LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit : M. le Juge David Hunt, Juge de la mise en état de l’appel

Assistée de : Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier

Décision rendue le : 16 décembre 1999

LE PROCUREUR

C/

Zejnil DELALIC, Zdravko MUCIC (alias "PAVO"), Hazim DELIC
Et Esad LANDZO (alias "ZENGA")

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DECISION RELATIVE À LA REQUÊTE D’ESAD LANDZO
AUX FINS D’ECLAIRCISSEMENT DE L’ORDONNANCE DU 7 DECEMBRE 1999

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Le Bureau du Procureur :

M. Upawansa Yapa
M. Christopher Staker
M. Norman Farrell
M. Rodney Dixon

Le Conseil de la Défense :

M. John Ackerman, pour Zejnil Delalic
M. Tomislav Kuzmanovic et M. Howard Morrison, pour Zdravko Mucic
M. Salih Karabdic, M. Thomas Moran, pour Hazim Delic
Mme Cynthia Sinatra et M. Peter Murphy, pour Esad Landzo

 

1. L’appelant Esad Lanžo (« Landžo ») demande des éclaircissements au sujet de l’Ordonnance rendue le 7 décembre 1999, aprcs dépôt par lui d’une requete portant demande d’autorisation de recueillir et de soumettre de nouveaux éléments de preuve en appel.

2. Dans la requête à l’origine de cette Ordonnance, Landžo invoque la violation de son droit r un proccs équitable en tant que fondement de son pourvoi en appel, au motif que le Président de la Chambre de première instance «a eu le droit de dormir pendant une grande partie des débat » («quatrième fondement du pourvoi en appel »). Il y est demandé à la Chambre d’appel :

(i) d’ordonner ou de demander au fonctionnaire responsable de lever toute forme de privilège ou d’immunité décernée à l’ancien Président du Tribunal (le Juge Cassese), au Greffier ou au juriste de la Chambre de première instance («les témoins proposés »),

(ii) d’ordonner ou de demander aux témoins proposés de témoigner par voie de déposition, et

(iii) d’ordonner ou de demander à l’ancien Président et au Greffier du Tribunal de produire les documents relatifs aux discussions qu’ils affirment avoir eues avec le Conseil qui représentait Landžo en premicre instance. Ces éléments ont été qualifiés de pertinents par rapport r un argument de l’accusation selon lequel en n’invoquant pas, durant son procès, la violation de ses droits qu’il invoque aujourd’hui, Landžo aurait renoncé à se plaindre de celle-ci en appel.

3. La Chambre d’appel a rejeté cette requête pour plusieurs raisons ; dont deux au moins sont liées au fait qu’elle a conclu à l’inutilité de voir déposer les témoins proposés, aux motifs suivants :

(a) l’accusation a accepté que certaines initiatives soient prises en rapport avec une portion importante de la déposition que ces témoins proposés étaient censés pouvoir fournir et

(b) le Conseil représentant Landžo en premicre instance pouvait témoigner sur les éléments que les initiatives acceptées par l’accusation n’auraient pas permis de couvrir.

(Le Conseil de Landžo était seul apte r apporter des éléments de preuve au sujet de l’un au moins des éléments dont la démonstration était souhaitée par l’appelant).

4. Le Conseil qui a défendu Landžo en premicre instance est aussi, r la demande de l’appelant, l’un des deux Conseils qui le représentent en appel ; ce fait soulève un problème lié à l’application de l’article 16 du Code d’éthique professionnelle applicable aux Conseils de la défense comparaissant devant le Tribunal international, selon lequel :

Article 16

Faculté de témoigner du conseil

Le Conseil ne plaide pas dans un procès où il sera sans doute appelé à comparaître comme témoin, sauf si son témoignage porte sur un point non contesté ou si sa récusation serait cause d’un dommage substantiel à son client.

L’Ordonnance stipule donc ce qui suit :

NOTANT les dispositions de l’article 16 du Code d’éthique professionnelle applicable aux Conseils de la défense comparaissant devant le Tribunal international, selon lesquelles un Conseil ne peut agir en qualité d’avocat de la défense dans une affaire où il est susceptible d’être appelé à témoigner, sauf si son témoignage porte sur un point non contesté ou si son refus de le défendre doit causer un tort considérable à son client (« Article 16 ») ;

CONSIDERANT que les effets de l’article 16 auraient dus être pris en considération dès avant que le Conseil qui le représentait en première instance eût été, à la demande de l’appelant, affecté à l’équipe de deux Conseils qui assureront sa défense en appel ;

ET CONSIDERANT que l’application de l’article 16 ne causera aucun tort à l’appelant, puisque son second Conseil peut présenter tous les arguments liés au quatrième fondement de son pourvoi en appel.

5. C’est au sujet de ces paragraphes de l’Ordonnance que Landžo demande des éclaircissements. A la lecture de l’article 16, il est difficile (sauf le respect qui lui est du) de comprendre la nature exacte des éclaircissements souhaités par lui.

6. Les juges de la Chambre d’appel concluent, dans leur Ordonnance, que la question de la levée de l’immunité et des privilèges a déjà été traitée par le Procureur. Celui-ci en a fait état au moment où Landžo a demandé les cassettes vidéo filmées quotidiennement durant son procès pour y trouver la confirmation de ses dires quant au sommeil du juge ; le Procureur a déclaré, à l’époque, qu’il convenait de rejeter in limine le fondement du pourvoi en appel lié à cette affirmation, au motif que Landžo n’avait élevé aucune objection au sujet de ce comportement en première instance. Dans sa réponse, Landžo fait valoir que le Conseil qui assurait sa défense r l’époque avait, de façon informelle, porté ce fait r la connaissance du Président du Tribunal (le Juge Cassese) et du juriste de la Chambre de première instance. Se prononçant sur cette requête, la Chambre d’appel a statué qu’il lui appartenait, à elle, de résoudre la question posée par la levée de l’immunité et des privilèges. Elle a rejeté la demande dont elle était saisie, faute de preuves aptes à démontrer que l’obtention de ces cassettes serait d’une aide matérielle quelconque dans la présentation du pourvoi. Landzo a présenté une seconde demande, assortie de preuves (dont un affidavit du Conseil qui l’avait défendu en première instance) montrant que le Juge semblait avoir occasionnellement dormi au cours du procès. Le Procureur a déclaré que, par égard pour la Décision rendue par la Chambre d’appel sur ce sujet, il «continuerait », en appel, à demander le rejet de ce fondement du pourvoi en appel au motif, entre autres, de la levée de l’immunité et des privilèges. La Chambre d’appel a fait droit à la demande de communication des cassettes vidéo.

7. Si tel n’était pas le cas avant, il était devenu tout à fait clair, à ce moment-là, qu’au delà de tout doute raisonnable, le Conseil responsable de la défense de Landzo en première instance était «susceptible », au sens de l’article 16, d’être appelé à témoigner en appel. Or ce Conseil est resté affecté à la défense de Landžo en appel, aucune action n’étant entreprise par Landzo ou en son nom pour la remplacer. Dans ces conditions, il serait difficile d’affirmer que l’application de l’article 16, qui interdit à un Conseil d’agir en qualité d’avocat de la défense en appel (procédure qui ne débutera qu’au début de l’année prochaine) causerait un tort considérable à Landžo, le client.

8. La Chambre d’appel estime toutefois qu’au vu des circonstances prévalant dans cette affaire (le grand nombre de sujets très divers à traiter en appel), il est équitable de modifier l’application de l’article 16 en autorisant le Conseil en question à agir en qualité d’avocat de la défense de Landžo pour tous les fondements de pourvoi hormis le quatrième. Le second Conseil déjà affecté à Landžo pourra s’exprimer sur ce quatrième fondement. Cette situation ne cessera que lorsque le Conseil ne sera plus « susceptible » d’être appelé à témoigner, ce qui est peu vraisemblable (à mon avis, en tout cas). La question de la levée de l’immunité et des privilèges étant désormais posée, il appartient aux juges de la Chambre d’appel de statuer à son sujet, nonobstant l’attitude que le Procureur pourrait décider d’adopter sur ce point.

9. Dans ces conditions, il n’est absolument pas nécessaire de confronter les dispositions de l’article 16 au contenu des affidavits déjà déposés par le Conseil à l’appui de plusieurs requêtes soumises à la Chambre d’appel, mais à mon avis, le contenu de ces affidavits de rend pas, à lui seul, le Conseil de Landžo «susceptible » d’être appelé à témoigner en appel.

Fait en anglais et en français, la version anglaise faisant foi.

 

Le 16 décembre 1999
La Haye
Pays-Bas.

Le Juge David Hunt
Juge de la mise en état de l’appel
Sceau du Tribunal