LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE
Composée comme suit : Mme le Juge Gabrielle Kirk McDonald, Président
M. le Juge Ninian Stephen
M. le Juge Lal C. Vohrah
Assistée de : Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier
Décision rendue le : 2 octobre 1996
LE PROCUREUR
C/
ZEJNIL DELALIC
ZDRAVKO MUCIC alias "PAVO"
HAZIM DELIC
ESAD LANDZO alias "ZENGA"
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DÉCISION CONCERNANT LEXCEPTION PRÉJUDICIELLE DE LACCUSÉ DELALIC RELATIVE À DES VICES DE FORME DE LACTE DACCUSATION
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Le Bureau du Procureur :
M. Eric Ostberg
Mme Teresa McHenry
Le Conseil de la Défense :
Mme Edina Residovic, représentant Zejnil Delalic
I. INTRODUCTION
Le 3 juillet 1996, laccusé Zejnil Delalic a présenté une Exception préjudicielle relative à des vices de forme de lacte daccusation en vertu des articles 72 et 73 du Règlement de procédure et de preuve (le "Règlement") du Tribunal international. Le Bureau du Procureur ("lAccusation") a répondu par écrit à lexception le 23 juillet 1996. Avant cette date, la Défense avait présenté plusieurs documents à lappui dune requête en instance portant sur la mise en liberté provisoire de laccusé. Après avoir décidé que ces documents étaient potentiellement pertinents pour lException préjudicielle relative à des vices de forme de lacte daccusation (l"Exception préjudicielle"), le 7 août 1996 la Chambre de première instance a ordonné à lAccusation de répondre aux pièces et documents supplémentaires. Le 14 août 1996, lAccusation a présenté sa Réponse aux pièces et documents déposés par Delalic à lappui de la requête de mise en liberté provisoire en ce quils se rapportent à sa requête sur les vices de forme de lacte daccusation ("Réponse aux pièces et documents"). Les parties ont présenté des arguments oraux concernant lException préjudicielle le 20 août 1996.
LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE, AYANT EXAMINÉ les conclusions écrites et entendu lexposé des parties,
REND LA PRÉSENTE DÉCISION.
II. EXAMEN
A. Contexte
1. Lacte daccusation ("lacte daccusation") contre Zejnil Delalic ("lAccusé") comprend un total de 49 chefs mis à la charge de lAccusé et de trois autres personnes. Il a été initialement confirmé le 21 mars 1996. LAccusation y allègue que Zejnil Delalic était le Commandant du Premier Groupe tactique des forces des Musulmans de Bosnie de juin à novembre 1992 et que ses responsabilités comprenaient lexercice du pouvoir hiérarchique sur le camp de Celebici et son personnel. En cette capacité, Zejnil Delalic se voit reprocher aux chefs 13, 14, 33 à 35, 38, 39 et 44 à 48 la responsabilité hiérarchique dans des cas spécifiques de meurtres, tortures, traitements cruels, actes causant de grandes souffrances ou portant des atteintes graves à lintégrité physique, traitements inhumains et détention illégale de civils.
2. La Défense allègue que lacte daccusation est vague, imprécis, contradictoire et non fondé. LException préjudicielle conteste spécifiquement les paragraphes 2, 3 et 7 ainsi que le manque de spécificité présumé des crimes fondamentaux qui sont mis à la charge de laccusé au titre de la responsabilité hiérarchique. En soulevant lException préjudicielle, la Défense demande le rejet de toutes les accusations portées contre lAccusé ou, à défaut, une ordonnance de la Chambre de première instance chargeant lAccusation de présenter un acte daccusation plus précis.
3. LAccusation soppose à lException préjudicielle de la Défense principalement sur le motif quelle soulève des questions relatives à des éléments de preuve quil nest pas opportun dexaminer dans le cadre dune exception préjudicielle sur les vices de forme de lacte daccusation. Sagissant des autres objections, lAccusation affirme que lacte daccusation fournit à lAccusé des informations suffisantes sur la nature des chefs daccusation retenus contre lui et quil est totalement conforme aux exigences de larticle 18 4) du Statut du Tribunal international (le "Statut") et de larticle 47 B) du Règlement. La Chambre de première instance examine ci-après séparément chaque argument présenté dans lException préjudicielle.
B. Dispositions applicables
4. LException préjudicielle est soulevée conformément à larticle 72 du Règlement, qui autorise le dépôt dexceptions préjudicielles, et à larticle 73, qui présente une liste non limitative dexceptions pouvant être soulevées par un accusé. Larticle 73 dispose, notamment, que laccusé peut soulever une "(l) exception fondée sur des vices de forme de lacte daccusation". Les articles 18 et 21 du Statut et larticle 47 B) fournissent le fondement des arguments stipulés dans lException. Larticle 18, qui expose en détail le processus dinstruction et détablissement dun acte daccusation, dispose au paragraphe 4 :
Sil décide quau vu des présomptions, il y a lieu dengager des poursuites, le Procureur établit un acte daccusation dans lequel il expose succinctement les faits et le crime ou les crimes qui sont reprochés à laccusé en vertu du statut. Lacte daccusation est transmis à un juge de la Chambre de première instance.
Larticle 47 B) du Règlement réitère ce concept, disposant que "Lacte daccusation indique le nom du suspect et les renseignements personnels le concernant ainsi quune relation concise des faits de laffaire et la qualification quils revêtent". De plus, larticle 21 4) a) prévoit que la personne accusée a droit "A être informée rapidement, dans le plus court délai, dans une langue quelle comprend et de façon détaillée, de la nature et des motifs de laccusation portée contre elle" et lalinéa 4) b) du même article permet à laccusé de "disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ...".
C. Analyse
1. Questions factuelles
5. La Défense soutient que plusieurs déclarations figurant dans lacte daccusation sont factuellement inexactes. Ces déclarations figurent principalement aux deuxième et troisième paragraphes de lacte daccusation. En réponse, lAccusation avance que la Chambre de première instance ne peut examiner les contestations de la validité des faits dans le cadre dune exception préjudicielle sur les vices de forme de lacte daccusation.
6. Le paragraphe 2 de lacte daccusation est libellé comme suit :
A compter de la fin mai 1992, des forces composées de Musulmans de Bosnie et de Croates de Bosnie ont attaqué et se sont emparées du contrôle des villages occupés en majorité par des Serbes de Bosnie situés dans la municipalité de Konjic et aux alentours. Les attaquants ont expulsé les résidents serbes de leurs maisons par la force et les ont gardés à des centres de rassemblement. De nombreuses femmes et enfants ont été confinés dans une école locale ou dans dautres endroits. La plupart des hommes et certaines femmes ont été emmenés dans danciennes installations de la JNA à Celebici. Des détenus y ont été tués, torturés, ont fait lobjet de sévices sexuels, ont été passés à tabac et, de façon générale, ont fait lobjet dun traitement cruel et inhumain....
7. La Défense affirme tout dabord que les circonstances de lépoque dictent que les forces loyales au Gouvernement de Bosnie-Herzégovine nauraient pas pu "attaquer et semparer du contrôle" de leur propre territoire mais quelles avaient au contraire "libéré" un secteur qui avait auparavant fait lobjet dune prise de contrôle, dune occupation et dune fortification. Elle soutient donc que, de ce fait, lacte daccusation est vague. Cependant, cet argument nest pas fondé. Le membre de phrase "attaqué et se sont emparés du contrôle" est seulement une caractérisation factuelle qui ne suggère aucune faute ou pouvoir de lAccusé. De surcroît, cette allégation ne constitue pas le fond des chefs de lacte daccusation, comme le montre le fait quelle figure dans la section intitulée "Contexte". Enfin, en tant que déclaration factuelle, cette phrase ne peut pas être contestée pertinemment par la voie de la présente Exception. En fait, dans la mesure où cette déclaration sert de fondement à lune quelconque des accusations portées contre laccusé dans lacte daccusation, il appartiendra au Procureur détablir tous les éléments nécessaires de ces accusations afin de soutenir linterprétation des faits donnés par lAccusation. En conséquence, un désaccord sur les faits nest pas une base suffisante pour fonder une exception relative aux vices de forme de lacte daccusation.
8. La deuxième contestation de la Défense portant sur ce paragraphe est que, dans son ensemble, il contredit les événements qui se sont effectivement déroulés. La Défense soutient que puisque la capture de participants à un conflit armé ne constitue pas une violation des
Conventions de Genève, lacte daccusation est vague sans une indication précise des individus qui ont été amenés aux centres de rassemblement. Cet argument peut être écarté de la même façon que le premier. Comme indiqué antérieurement, une exception préjudicielle sur la forme de lacte daccusation nest pas le cadre approprié pour une contestation des faits. De plus, ce paragraphe ne renferme que des informations de caractère introductif sur la situation et ne formule aucune accusation spécifique contre lun quelconque des accusés cités dans ledit acte daccusation et, par conséquent, une décision dimprécision nest pas fondée. Comme indiqué précédemment, ce paragraphe ne fournit que des informations de base et ne prétend pas tenir Zejnil Delalic responsable des actions qui y sont présentées.
9. Le dernier argument de la Défense relatif au paragraphe 2 de lacte daccusation, à savoir quil contredit la déclaration ultérieure aux paragraphes 9 et 10 quun état de conflit armé international et doccupation partielle existait en Bosnie-Herzégovine, est quelque peu ambigu. Du fait de labsence dexplication de la Défense sur cette question, la Chambre de première instance ne peut que conclure que cette affirmation est basée sur le fait que tous les contingents cités dans le paragraphe - Croates de Bosnie, Musulmans de Bosnie et Serbes de Bosnie - sont des nationaux bosniaques et que le conflit en cause se déroulait en Bosnie-Herzégovine. Ceci, cependant, ne révèle pas une incohérence dans les allégations. Le seul fait que des Bosniaques participaient à laffrontement particulier en cause dans cet acte daccusation ne signifie pas que lensemble du conflit dans la région nétait pas de caractère international. Pour quun conflit soit considéré de caractère international, il nest pas nécessaire que des forces internationales soient présentes dans chaque région du pays; de fait, la Chambre dappel du Tribunal international a décidé que "il suffit que les crimes présumés aient été étroitement liés aux hostilités se déroulant dans dautres parties des territoires contrôlés par les parties au conflit". Le Procureur c. Tadic, Arrêt relatif à lappel de la Défense concernant lexception préjudicielle dincompétence (No IT-94-1-AR72, Chambre dappel, 2 octobre 1995). La Défense ne conteste pas que les crimes présumés dans cet acte daccusation ont eu lieu dans le cadre ou du fait du conflit plus large se déroulant en Bosnie-Herzégovine et, par conséquent, largument dincohérence est sans fondement.
10. La Défense affirme que le troisième paragraphe de lacte daccusation renferme des renseignements manifestement inexacts. Ce paragraphe figure dans la section intitulée "Les Accusés" et il est libellé comme suit :
Zejnil DELALIC, né le 25 mars 1948, a coordonné les activités des forces des Musulmans de Bosnie et celles des Croates de Bosnie dans la région de Konjic, davril 1992 environ à septembre 1992 au moins, et était le commandant du 1er Groupe tactique des forces des Musulmans de Bosnie de juin 1992 environ à novembre 1992. Ses responsabilités comprenaient lexercice de lautorité sur le camp de détention de Celebici et sur son personnel.
Contrairement à ces allégations, la Défense affirme que lAccusé était un simple soldat jusquau 2 mai 1992, date à laquelle il a reçu lautorisation spéciale de la Présidence du temps de guerre et du Commandant du quartier-général de la Défense territoriale à Konjic, de participer pendant six mois aux activités de logistique. Exception préjudicielle, page 2. Le 9 mai 1992, selon la Défense, lAccusé a reçu une autorisation semblable du Ministère de la défense de la République de Bosnie-Herzégovine. Idem. La Défense déclare que lAccusé a été nommé au poste de Coordinateur entre les forces de la défense de Konjic et la Présidence du temps de guerre le 18 mai 1992 et que, le 27 juillet 1992, il a été nommé au poste de Commandant du Premier Groupe tactique par le Quartier-général des forces armées de la République de Bosnie-Herzégovine. Selon la Défense, ce commandement avait une zone dactivité et une tâche militaire spécifiques. Idem, page 2. De surcroît, selon la Défense, lallégation dans ce paragraphe que les responsabilités de lAccusé "comprenaient lexercice de lautorité sur le camp de détention de Celebici" nest pas étayée par les éléments de preuve joints à lacte daccusation. La Défense fonde cet argument sur sa conviction que les déclarations des témoins sur lesquelles sappuie lAccusation ne peuvent pas être traitées comme des éléments de preuve en raison de leur imprécision et de leurs erreurs et parce que les deux dépositions de témoins sur lesquelles sappuie lAccusation émanent de témoins qui auraient des motifs inavoués en portant ces accusations contre lAccusé.
11. Ces affirmations de la Défense démontrent clairement que ces objections sont fondées sur des arguments factuels et ne soutiennent pas une exception relative à des vices de forme de lacte daccusation. De fait, la Défense concède que lAccusation sest appuyée sur des dépositions de témoins pour soutenir ses allégations. De surcroît, les dépositions des témoins serviraient apparemment de fondement à ce stade pour lallégation de lAccusation concernant le pouvoir hiérarchique de facto. Comme indiqué antérieurement, ces arguments ne sont pas opportuns dans le cadre dune exception préjudicielle sur les vices de forme de lacte daccusation et ne peuvent pas être évalués à ce stade. Au contraire, comme le déclare à juste titre lAccusation, "Les questions de fait contestées doivent être tranchées au procès, après la possibilité sans réserve de présenter des éléments de preuve". Réponse aux pièces et documents, page 3. La question de savoir si les allégations figurant dans lacte dallégation sont vraies sera, en dernière analyse, tranchée au procès.
2. Allégations dimprécision
12. Les dernières contestations de lacte daccusation par la Défense portent sur son imprécision. Sa première allégation dimprécision concerne son affirmation que lacte daccusation ne renferme aucun renseignement détaillé sur les personnes qui y sont citées et sur lesquelles Zejnil Delalic aurait exercé un pouvoir hiérarchique. Dans le même ordre didée, la Défense qualifie le paragraphe 7 de lacte daccusation de "complètement vague" pour ce qui est des allégations du Procureur, sans autre commentaire ou argument, que Zejnil Delalic occupait "de(s) position(s) de supérieur hiérarchique par rapport à tous les gardiens du camp ainsi quaux autres personnes autorisées à entrer dans le camp et à maltraiter les détenus". La Défense conteste aussi la déclaration que Zejnil Delalic "savai(en)t ou avai(en)t des raisons de savoir que des personnes occupant un rang hiérarchiquement inférieur au leur maltraitaient les détenus" et quil(s) "ont négligé de prendre les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que ces actes ne soient commis ou pour punir les auteurs après la perpétration dudit acte". La Défense allègue ensuite que la description factuelle des atteintes à lintégrité physique imputables aux coaccusés Hazim Delic et Esad Landzo devrait être précise en ce qui concerne la date et le lieu de leur perpétration ainsi que la façon dont elles ont été commises. Plus spécifiquement, la Défense demande des renseignements détaillés sur les victimes et une description complète de la date, du lieu, des actes et de la façon dont chaque crime particulier a été commis.
13. En réponse, lAccusation soutient que "Il ne fait aucun doute que des informations aussi détaillées ne doivent pas être mentionnées dans lacte daccusation et quelles ne sont même pas requises au stade du procès". Réponse de lAccusation, page 4 Selon lAccusation, sil est établi que Zejnil Delalic "occupait plusieurs postes spécifiquement mentionnés dans lacte daccusation", représentant lexercice du pouvoir sur le personnel et sur le camp, cela suffit pour établir quil avait qualité de supérieur hiérarchique. De surcroît, lAccusation soutient quen ce qui concerne les actions présumées des coaccusés Hazim Delic et Esad Landzo, lacte daccusation renferme lexposé succinct des faits approprié requis tant par le Statut que par le Règlement.
14. Le Tribunal international a statué sur des contestations dactes daccusation dans trois autres décisions : Le Procureur c. Tadic, Décision sur lexception préjudicielle de la Défense relative à la forme de lacte daccusation (No IT-94-1-T, Chambre de première instance II, 14 novembre 1995) ("Décision sur lacte daccusation dans Tadic"); Le Procureur c. \ukic, Décision relative aux exceptions préjudicielles soulevées par laccusé (No IT-96-20-T, Chambre de première instance I, 26 avril 1996) ("Décision sur les exceptions préjudicielles dans \ukic"); et plus récemment en ce qui concerne un coaccusé dans la présente affaire,
Le Procureur c. Delalic, Mucic, Delic et Landzo, Décision relative à lexception préjudicielle de laccusé Mucic demandant des renseignements détaillés (No IT-96-21-T, Chambre de première instance II, 26 juin 1996) ("Décision sur les renseignements détaillés dans Mucic").
15. Dans laffaire Tadic, la Défense a soutenu que les paragraphes quatre à douze de lacte daccusation étaient vagues parce quils ne donnaient que des dates approximatives et ne fournissaient pas à laccusé une indication claire des accusations portées contre lui. La Chambre a conclu que les dates approximatives figurant aux paragraphes cinq à douze de cet acte daccusation respectaient les conditions posées par le Règlement. Cependant, dans son analyse à lorigine de cette conclusion, la Chambre de première instance a fait remarquer que si la défense considère que les pièces et documents dont elle dispose ne suffisent pas pour lui permettre de préparer une défense, elle devrait solliciter dautres éléments en se fondant sur larticle 54 du Règlement. Décision sur lacte daccusation dans Tadic, paragraphe 8. La Chambre de première instance a conclu différemment en ce qui concerne le paragraphe quatre de cet acte daccusation qui, à lépoque, disposait :
Entre le 23 mai 1992 environ et le 31 décembre 1992 environ, Dusko TADIC a participé, avec des forces serbes, à des attaques, des destructions et des pillages de zones habitées musulmanes et croates bosniaques, à larrestation et à linternement, dans des conditions inhumaines, de milliers de Musulmans et de Croates dans des camps situés à Omarska, Keraterm et Trnopolje, ainsi quà la déportation et/ou lexpulsion par la force ou sous la menace du recours à la force de la plupart des résidents musulmans et croates de lopstina de Prijedor. Durant cette période, des forces serbes comprenant Dusko TADIC ont soumis les Musulmans et les Croates, tant à lintérieur quà lextérieur des camps, à une campagne de terreur et notamment à des meurtres, des viols, des sévices et autres atteintes à lintégrité physique et psychologique. Du fait de sa participation à ces actes, Dusko TADIC a commis :
Chef daccusation 1 : un CRIME CONTRE LHUMANITÉ, sanctionné par les articles 5 h) (persécutions pour des raisons politiques, raciales et/ou religieuses) et 7 1) du Statut du Tribunal; et
Chef daccusation 2 : un CRIME CONTRE LHUMANITÉ sanctionné par les articles 5 d) (expulsion) et 7 1) du Statut du Tribunal; et
Chef daccusation 3 : une INFRACTION GRAVE sanctionnée par les articles 2 g) (expulsion ou transferts illégaux ou détention illégale dun civil) et 7 1) du Statut du Tribunal.
La Chambre de première instance a conclu que ce paragraphe ne fournissait pas à laccusé un exposé spécifique des faits de laffaire et des crimes qui lui sont reprochés parce quil mentionne au moins six types de comportement distincts pendant une période de plusieurs mois. La Chambre de première instance a décidé quil devrait y avoir une certaine forme didentification claire des actes particuliers de la participation de laccusé à une telle attaque. Sagissant du troisième chef daccusation, la Chambre de première instance a décidé que lacte daccusation ne précise pas clairement celui des trois différents actes allégués - expulsion, transfert et emprisonnement - qui est mis à la charge de laccusé. En conséquence, elle a autorisé le Procureur à modifier lacte daccusation sil entendait maintenir le chef. Idem, paragraphes 9 à 14.
16. Dans laffaire \ukic, la Chambre de première instance I a examiné largument de la Défense que lacte daccusation nétait pas spécifique parce quil présentait des allégations générales sur le bombardement de cibles civiles à Sarajevo de mai 1992 à décembre 1995 environ sans indiquer spécifiquement la date, lheure, lidentité des personnes responsables ou les cibles. La Chambre de première instance I a conclu quen raison de la gravité des allégations contre laccusé, il avait le droit de recevoir toutes les informations nécessaires pour préparer sa défense et que lacte daccusation navait pas le degré de précision approprié requis par la Chambre de première instance dans la Décision sur lacte daccusation dans Tadic, faisant observer spécifiquement quil ne contenait aucune identification des actes ou omissions de laccusé \orde \ukic dans la préparation ou la planification de ses actes criminels présumés. En conséquence, la Chambre de première instance a invité le Procureur à apporter les modifications appropriées en vue de maintenir les chefs daccusation dans la partie pertinente de lacte daccusation. Décision sur les exceptions préjudicielles dans \ukic, paragraphes 16 à 18.
17. Plus récemment, la présente Chambre de première instance a examiné une demande semblable dans la Décision sur les renseignements détaillés dans Mucic. Cette décision portait sur le même acte daccusation que celui qui nous intéresse ici et, de ce fait, elle est peut-être plus pertinente pour la présente analyse. Dans cette requête, la Défense a contesté, sous la forme dune exception préjudicielle demandant des renseignements détaillés, parties des paragraphes 7, 22, 29, 31, 33, 34, 35, 36 et 37. Les allégations de lacte daccusation à propos desquelles la Défense demandait des renseignements supplémentaires relèvent de trois catégories : 1) la connaissance par laccusé de certains actes de ses subordonnés; 2) "le fait que laccusé na pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que ces actes ne soient commis par ses subordonnés ou en punir les auteurs"; et 3) les déclarations spécifiques relatives à certains actes qui auraient été commis par laccusé et ses subordonnés. Dans son examen de lexception préjudicielle, la Chambre de première instance a tout dabord décidé que lacte daccusation tel que formulé contre laccusé Zdravko Mucic nest pas vague. Plus spécifiquement, la Chambre de première instance a déclaré que
les accusations de responsabilité en tant que supérieur hiérarchique portées contre laccusé (chefs 13, 14, 33 à 35, 38, 39, 44, 45) sont fondées sur des actions particulières commises par ses subordonnés. Le lieu, la date approximative et les noms des victimes présumées sont fournis. Sagissant de la question de la participation de laccusé, lAccusation affirme que Zdravko Mucic était le commandant du camp de Celebici et, par conséquent, quil exerçait lautorité hiérarchique pour les faits allégués. Les accusations engageant sa responsabilité directe (chefs 46 à 49) se rapportent à un comportement prolongé, à savoir les conditions inhumaines du camp, la détention illégale de civils et le pillage de biens. Les allégations factuelles sur lesquelles sappuient ces accusations indiquent la durée approximative du comportement, décrivent le comportement avec spécificité et fournissent quelques renseignements sur la participation de laccusé et dautres personnes. En bref, chaque chef de lacte daccusation conter Zdravko Mucic lavertit de la nature des crimes mis à sa charge et présente la base factuelle de ces accusations. En conséquence, dans la mesure où lexception de laccusé se fonde sur le motif dimprécision pour contester lacte daccusation, elle est rejetée.
Décision sur des renseignements détaillés dans Mucic, paragraphe 6.
18. Les arguments de la Défense ne répondent pas à la norme ainsi établie par les Chambres de première instance. Dans la présente affaire, les paragraphes contestés donnent des dates relativement spécifiques des événements avec une fourchette de dates durant lesquelles les incidents présumés se seraient déroulés. De surcroît, tous les incidents auraient eu lieu au camp de Celebici ou à proximité et la façon dont les actions sont décrites suffit à ce stade de la procédure. De plus, du fait que Zejnil Delalic exerçait le pouvoir hiérarchique sur le camp de Celebici et son personnel, si cette allégation savère vraie, cela suffit pour fonder largument quil savait ou avait des raisons de savoir que des mauvais traitements étaient perpétrés. Enfin, comme le soutient lAccusation, il est presque impossible de fournir, comme le demande la Défense, une description détaillée du fait de ne pas prendre les mesures raisonnables et nécessaires pour empêcher que des actes ne soient commis ou pour en punir les auteurs. Ainsi quil est dit dans la Décision sur des renseignements détaillés dans Mucic, "cette requête est davantage une recherche des vues de lAccusation sur le droit applicable quune demande de renseignements détaillés en sa possession". Décision sur des renseignements détaillés dans Mucic, paragraphe 13.
19. En bref, à la différence du paragraphe 4 contesté dans lacte daccusation de laffaire Tadic, lacte daccusation contre Zejnil Delalic expose chaque chef spécifiquement et séparément. De surcroît, les actes de participation particuliers de Zejnil Delalic sont identifiés de façon satisfaisante. De même, à la différence de lacte daccusation initial dans laffaire \ukic, les dates durant lesquelles et les actions sur lesquelles Zejnil Delalic est censé avoir exercé un pouvoir hiérarchique sont relativement spécifiques. Le paragraphe 7 de lacte daccusation décrit seulement la base sur laquelle sappuie lAccusation pour soutenir que lAccusé exerçait une responsabilité hiérarchique pour les crimes qui sont décrits plus loin dans lacte daccusation. Ce paragraphe de lacte daccusation, lu en conjonction avec le troisième paragraphe qui cite laccusé comme Commandant du Premier Groupe tactique des forces des Musulmans de Bosnie exerçant lautorité sur le camp de détention de Celebici et sur son personnel, nest pas déficient. Il renferme un exposé succinct des faits sur lequel sont basés les accusations ainsi que les crimes mis à la charge de Zejnil Delalic. De même que la Chambre de première instance a conclu dans la Décision sur des renseignements détaillés dans Mucic, le présent acte daccusation suffit pour informer Zejnil Delalic des accusations contre lesquelles il doit se défendre. De ce fait, compte tenu du "caractère succinct" dun acte daccusation et de son but de "démontrer très succinctement ... que laccusé aurait commis un crime" il nest pas démontré que lacte daccusation dans cette affaire est déficient et lException préjudicielle de Zejnil Delalic est rejetée dans la mesure où elle conteste lacte daccusation pour des motifs dimprécision. Cependant, la Défense peut être justifiée à demander des informations supplémentaires à lAccusation.
3. Demande de renseignements détaillés
20. A défaut dun rejet de toutes les accusations contre Zejnil Delalic, la Défense demande à lAccusation davantage de précision dans les allégations de lacte daccusation ainsi que des informations supplémentaires. La Défense demande des renseignements détaillés sur quatre points : 1) lorigine du pouvoir hiérarchique de Zejnil Delalic sur le camp de Celebici, ses gardiens et toutes les personnes qui entraient dans le camp et maltraitaient les détenus; 2) les fondements de lallégation du pouvoir hiérarchique de Zejnil Delalic sur les personnes citées dans lacte daccusation; 3) les allégations des atteintes graves à lintégrité physique mises à la charge des coaccusés Hazim Delic et Esad Landzo; et 4) les dates spécifiques des actions présumées des gardiens du camp, des visiteurs et des personnes citées dans lacte daccusation pour lesquelles Zejnil Delalic était responsable. LAccusation soutient que la Défense est en possession de toutes les informations dont elle a besoin pour préparer une défense adéquate.
21. Une telle requête, qualifiée parfois de requête aux fins dobtenir des renseignements détaillés, a été avalisée dans la Décision sur lacte daccusation dans Tadic, paragraphe 8 et dans la Décision sur des renseignements détaillés dans Mucic, paragraphe 7 en ce qui concerne les actions intentées devant ce Tribunal international. Ces deux Décisions conjuguées décrivent avec éloquence les modalités et les normes que doit suivre la Chambre de première instance pour évaluer ces requêtes. Avant de présenter une requête de renseignements détaillés, la Défense doit, tout dabord, présenter une demande directe dinformations à lAccusation, en spécifiant les chefs en question, les raisons pour lesquelles les éléments dont la Défense dispose déjà son insuffisants et les informations particulières nécessaires pour remédier à cette insuffisance. Décision sur lacte daccusation dans Tadic, paragraphe 8. Si lAccusation refuse de répondre à la demande, la Défense peut alors présenter une requête à la Chambre de première instance qui devra "indiquer avec précision le degré auquel un chef daccusation particulier, lu à la lumière du paragraphe qui le précède, exige de nouveaux renseignements et lesquels". Idem. En statuant sur une requête aux fins dobtenir des renseignements détaillés, la Chambre de première instance examine si ces renseignements sont nécessaires "pour permettre à laccusé de préparer sa défense et pour éviter une surprise préjudiciable". Décision sur des renseignements détaillés dans Mucic, paragraphe 9 (renvoyant à Wayne R. LaFave & Jerold H, Israel, Criminal Procedure, page 823 (2d ed. 1992) et 11 2) Halsburys Laws of England paragraphe 923 (1990). Point important, la Chambre de première instance a fait observer quune demande de renseignements détaillés ne peut viser que le point de savoir si lacte daccusation est suffisant ou non et elle ne remplace pas une demande de pièces avant louverture du procès. Idem. Cependant, du fait que la communication des pièces protège la Défense contre une surprise préjudiciable au procès et lui donne des informations adéquates pour préparer une défense significative, sa disponibilité est pertinente pour la présente analyse. Idem.
22. Joints à sa Réponse aux pièces et documents, lAccusation a, dans la présente affaire, fourni des éléments de preuve supplémentaires à la Chambre de première instance à lappui de ses arguments, en particulier en ce qui concerne la position de supérieur hiérarchique présumée de Zejnil Delalic. LAccusation a fourni des déclarations dans lesquelles des témoins indiquent que Zejnil Delalic était chargé du camp de Celebici et que, en sa qualité de Coordinateur, il a reçu une copie du rapport de la Commission denquête faisant état dabus commis dans le camp de Celebici. De plus, lAccusation fait référence à des déclarations et documents, y compris un jugement du Tribunal militaire de Mostar, indiquant que Zejnil Delalic est devenu commandant du Premier Groupe tactique en juin ou début juillet et que, durant cette période, il exerçait le commandement sur le camp de Celebici. De surcroît, il y a une documentation signée de Zejnil Delalic concernant les détenus du camp et lAccusation affirme que la Défense a reçu des documents montrant que, en sa capacité de Commandant du Premier Groupe tactique, Zejnil Delalic a donné des ordres en août 1992 au coaccusé Zdravko Mucic, le Commandant du camp. Enfin, lAccusation note quelle dispose déléments de preuve, y compris des dépositions de témoins, indiquant que Zejnil Delalic a participé, dans un rôle de commandement, à laction qui sest traduite par lemprisonnement de bon nombre des détenus; que Zejnil Delalic a agi en tant que chef des forces armées dans la région; que Zejnil Delalic a ordonné la création du camp; quil a sélectionné son coaccusé Zdravko Mucic comme commandant du camp; quil était doté du pouvoir de libérer les prisonniers; et quil exerçait le pouvoir de décision sur les personnes pouvant entrer ou non dans le camp. Ces documents, qui ont été communiqués à la Défense, fournissent suffisamment dinformations à Zejnil Delalic pour lui permettre de préparer sa défense en ce qui concerne les deux premiers points pour lesquels la Défense requiert des renseignements détaillés, et la requête de la Défense aux fins dobtenir des renseignements détaillés est rejetée.
23. Sagissant des troisième et quatrième points pour lesquels des renseignements additionnels sont demandés sur les atteintes graves à lintégrité physique imputées aux coaccusés Hazim Delic et Esad Landzo ainsi que davantage de détails sur les actions citées dans lacte daccusation, Zejnil Delalic dispose aussi de suffisamment dinformations pour préparer sa défense. LAccusation a inclus dans lacte daccusation les noms des victimes des atteintes graves, le cadre temporel général des incidents allégués, et les noms des auteurs présumés de ces actions. De plus, lacte daccusation expose avec suffisamment de spécificité les atteintes graves à lintégrité physique mises à la charge des coaccusés Hazim Delic et Esad Landzo et fournit une période relativement précise durant laquelle les incidents se seraient déroulés. Rien ne permet de conclure que Zejnil Delalic subira une surprise préjudiciable en ce qui concerne ces allégations. En conséquence, la requête de la Défense aux fins dobtenir des renseignements détaillés relative aux deux derniers points est aussi rejetée.
4. Cumul des accusations
24. Le dernier argument de la Défense est que, dans lacte daccusation contre Zejnil Delalic, "un même acte reçoit plusieurs qualifications juridiques, ce qui multiplie la responsabilité de laccusé". Exception préjudicielle, page 6. La Défense fait valoir que cette manière de procéder nest pas admissible dans de nombreux systèmes pénaux dEurope centrale, y compris celui de lex-Yougoslavie. La Chambre de première instance a été saisie dune question identique dans laffaire Tadic. Dans ce dernier cas, elle a refusé dévaluer largument sur le motif que la question ne présente dintérêt quau plan de la peine si laccusé finit par être déclaré coupable des accusations en question :
En tout état de cause, puisquil sagit dune question qui nest pertinente que dans la mesure où elle touche la peine, son examen relève davantage de cette question, si elle vient à se poser. Cependant, ce que lon peut dire avec certitude cest que la peine ne peut être rendue tributaire de ce que les accusations relatives à des crimes provenant du même comportement sont formulées cumulativement ou alternativement. La peine sanctionne un comportement criminel prouvé et ne dépend pas de points techniques relatifs à la présentation des arguments.
Décision sur lacte daccusation dans Tadic, paragraphe 17. Ce raisonnement est applicable ici de la même manière. En conséquence, cette contestation de lacte daccusation est également rejetée.
III. DISPOSITIF
PAR CES MOTIFS, LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE,
VU larticle 72 du Règlement de procédure et de preuve,
REJETTE sur tous les points lException préjudicielle de la Défense relative à des vices de forme de lacte daccusation.
Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.
Le Président de la Chambre de
première instance
(signé)
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Gabrielle Kirk McDonald
Le deux octobre 1996
La Haye
(Pays-Bas)
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Sceau du Tribunal]