LA CHAMBRE DE PREMIERE INSTANCE

Composèe comme suit : Mme le Juge Gabrielle Kirk McDonald, Prèsident
M. le Juge Ninian Stephen
M. le Juge Lal C. Vohrah
Assistèe de : Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier
Dècision rendue le : 15 novembre 1996

LE PROCUREUR

C/

ZEJNIL DELALIC
ZDRAVKO MUCIC alias "PAVO"
HAZIM DELIC
ESAD LANDZO alias "ZENGA"

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DECISION RELATIVE A L'EXCEPTION PREJUDICIELLE FONDEE SUR DES VICES DE FORME DE L'ACTE D'ACCUSATION SOULEVEE PAR L'ACCUSE ESAD LANDZO

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Le Bureau du Procureur :

M. Eric Ostberg
Mme Teresa McHenry

Le Conseil de la Dèfense :

M. Mustafa Brackovic, reprèsentant Esad Landzo

I. INTRODUCTION

Le 28 juin 1996, l'accusè Esad Landzo a soulevè devant la prèsente Chambre de première instance du Tribunal international chargè de poursuivre les personnes prèsumèes responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis 1991 (le "Tribunal international") une exception prèjudicielle fondèe sur des vices de forme de l'acte d'accusation (l'"Exception prèjudicielle") et ce, conformèment aux articles 72 et 73 du Règlement de procèdure et de preuve du Tribunal international (le "Règlement"). Le Bureau du Procureur (l'"Accusation") a prèsentè une rèponse ècrite cette Exception prèjudicielle en date du 10 septembre 1996. Les parties ont exposè leurs arguments l'audience du 1er octobre 1996.

LA CHAMBRE DE PREMIERE INSTANCE,

VU les conclusions ècrites et entendu les exposès des parties,

STATUE EN CES TERMES.

II. EXAMEN

A. Introduction

1. L'acte d'accusation dèlivrè l'encontre d'Esad Landzo (l'"Acte d'accusation") contient un total de 49 chefs d'accusation retenus contre l'accusè et trois autres personnes. Il a ètè initialement confirmè le 21 mars 1996. Dans ce document, l'Accusation allègue que la responsabilitè de l'accusè Esad Landzo est engagèe au regard de sa participation personnelle prèsumèe aux mauvais traitements et aux meurtres de plusieurs dètenus dans le camp de Celebici (Chefs d'accusation 1-2, 5-6, 7-8, 9-10, 11-12, 15-17, 24-26, 27-29, 30-32, 36-37 et 46-47).

2. La Dèfense demande la Chambre de première instance, conformèment l'article 54 du Règlement, d'ordonner l'Accusation de modifier l'Acte d'accusation.

B. Dispositions applicables

3. L'Exception est soulevèe conformèment l'article 72 du Règlement, qui autorise les parties prèsenter des exceptions prèjudicielles, et l'article 73 du Règlement, qui prèsente une liste non exhaustive des exceptions prèjudicielles qu'un accusè peut soulever. L'article 73 dispose notamment qu'un accusè peut soulever une "exception fondèe sur des vices de forme de l'acte d'accusation". Les articles 18 et 21 du Statut et l'article 47(B) du Règlement ènoncent les bases sur lesquelles se fondent les arguments que la Dèfense fait valoir dans son Exception. L'article 18 dispose en son paragraphe 4 :

S'il dècide qu'au vu des prèsomptions, il y a lieu d'engager des poursuites, le Procureur ètablit un acte d'accusation dans lequel il expose succinctement les faits et le crime ou les crimes qui sont reprochès l'accusè en vertu du statut. L'acte d'accusation est transmis un juge de la Chambre de première instance.

L'article 47(B) du Règlement affirme que "l 'acte d'accusation indique le nom du suspect et les renseignements personnels le concernant, ainsi qu'une relation concise des faits de l'affaire et la qualification qu'ils revÍtent." Le paragraphe 4(a) de l'article 21 du Statut prècise que toute personne accusèe a droit "Ítre informèe, dans le plus court dèlai, dans une langue qu'elle comprend et de faÁon dètaillèe, de la nature et des motifs de l'accusation portèe contre elle."

C. Analyse

4. La Dèfense allègue que plusieurs chefs d'accusation sont formulès en des termes trop gènèraux, imprècis et vagues, dans la mesure où ils ne font pas concrètement le dèpart entre les actes commis par l'accusè Esad Landzo et ceux perpètrès par les "autres". L'Accusation s'oppose l'Exception, essentiellement au motif que l'Acte d'accusation est conforme aux articles 18(4) du Statut et 47(B) du Règlement, dans la mesure où il "expose succinctement les faits et le crime ou les crimes qui sont reprochès l'accusè en vertu du statut." L'Accusation fait observer que d'autres renseignements dètaillès peuvent Ítre trouvès dans les pièces jointes l'Acte d'accusation.

5. La Chambre de première instance ne considère pas que l'Acte d'accusation soit rèdigè en des termes trop gènèraux ou imprècis. Le critère auquel l'Acte d'accusation doit satisfaire, tel qu'ènoncè dans le Statut, est celui d'un exposè succinct des faits. L'Acte d'accusation prèsentè la Chambre de première instance contient toutes les informations nècessaires pour permettre la Dèfense de prèparer sa dèfense : l'identitè de la victime, le lieu et la date approximative du crime prèsumè et les moyens utilisès pour sa perpètration. C'est en raison de la participation personnelle prèsumèe de l'accusè dans les actes visès que la responsabilitè pènale personnelle de celui-ci est engagèe (article 7(1) du Statut). Il n'est donc pas important ce stade de prèciser de manière plus dètaillèe la nature exacte de sa participation et du rÙle jouè par les "autres" dans les èvènements.

6. Deuxièmement, la Dèfense affirme qu'en raison du cumul des chefs d'accusation, l'Acte d'accusation incrimine Esad Landzo deux reprises pour un seul crime. En revanche, l'Accusation insiste sur le fait que les divers chefs d'accusation reflètent et abordent des aspects diffèrents du comportement criminel allèguè de l'accusè Esad Landzo. L'Accusation signale ègalement qu'il n'est pas opportun de contester des faits ce stade et que, de toute manière, les èlèments de preuve communiquès par l'Accusation la Dèfense ètayent les allègations.

7. La Chambre de première instance rejette l' "Exception Prèjudicielle" sur ce second point, concernant le cumul des chefs d'accusation. Une question similaire a ètè soulevèe dans l'affaire Le Procureur c/ Tadic, et la Chambre de première instance a conclu que cet argument n'ètait pertinent que dans le cadre du prononcè d'une sentence, pour autant que l'accusè soit jugè coupable au regard des chefs d'accusation concernès :

En tout ètat de cause, puisqu'il s'agit d'une question qui n'est pertinente que dans la mesure où elle touche la peine, son examen relève davantage de cette question, si elle vient se poser. Cependant, ce que l'on peut dire avec certitude c'est que la peine ne peut pas Ítre rendue tributaire de ce que les accusations relatives des crimes provenant du mÍme comportement sont formulèes cumulativement ou alternativement. La peine sanctionne un comportement criminel prouvè et ne dèpend pas de points techniques relatifs la prèsentation des arguments.

Le Procureur c/ Tadic, Dècision sur l'exception prèjudicielle de la Dèfense relative la forme de l'acte d'accusation, par. 17 (IT-94-1-T, Chambre de première instance II, 14 novembre 1995). La Chambre de première instance a dèj tenu semblable raisonnement lorsqu'elle a rejetè une exception soulevèe contre le prèsent Acte d'accusation par le coaccusè Zejnil Delalic. Le Procureur c/ Zejnil Delalic, Zdravko Mucic, Hazim Delic et Esad Landzo, Dècision concernant l'exception prèjudicielle de l'accusè Delalic relative des vices de forme de l'acte d'accusation, par. 24 (IT-96-21-T, Chambre de première instance II, 2 octobre 1996) (la "Dècision sur l'acte d'accusation dans Delalic ").

8. Troisièmement, la Dèfense allègue que les chefs d'accusation 9 et 10 de l'acte d'accusation ne doivent pas Ítre pris en considèration. Elle prècise que l'existence de la victime prèsumèe n'est pas ètablie avec certitude. L'Accusation affirme que les èlèments de preuve actuellement en sa possession et communiquès la Dèfense apportent la confirmation exacte des allègations contenues dans l'acte d'accusation et que les contestations portant sur des faits doivent Ítre examinèes dans le cadre du procès proprement dit, après que les parties auront eu la possibilitè de prèsenter leurs èlèments de preuve.

9. La Chambre de première instance estime que la question de l'existence rèelle de la personne dèsignèe comme ètant la victime aux chefs d'accusation 9 et 10 est un èlèment de fait qui devra Ítre examinè lors du procès. Une exception relative la forme de l'acte d'accusation n'est pas un moyen appropriè pour contester l'acte d'accusation : "La question de savoir si les allègations figurant dans l'acte d'allègation sont vraies sera, en dernière analyse, tranchèe au procès." Dècision sur l'acte d'accusation dans Delalic, par. 10.

10. Enfin, la Dèfense affirme qu'en raison de la "continuitè dans le temps" des actes criminels du mÍme type dècrits dans les divers chefs d'accusation, ces actes doivent Ítre considèrès comme un seul crime de grande envergure et doivent Ítre traitès en tant que tels. L'Accusation considère en revanche que chacune des infractions prèsumèes est un acte distinct touchant une victime diffèrente et rèsulte d'un exercice distinct de la volontè de l'accusè Esad Landzo sur une pèriode de longue durèe.

11. La Chambre de première instance estime que la question de l'existence d'une èventuelle relation entre les diffèrents crimes peut Ítre examinèe lors du prononcè de la sentence. Il est inopportun de prèsenter ces arguments dans le cadre d'une exception prèjudicielle relative la forme de l'acte d'accusation et cette question ne peut Ítre examinèe ce stade. Le fait que les actes criminels fassent l'objet de chefs d'accusation diffèrents n'empÍche nullement la Dèfense de prèparer sa dèfense.

III. DISPOSITIF


PAR CES MOTIFS,

LA CHAMBRE DE PREMIERE INSTANCE,

VU l'article 72 du Règlement de procèdure et de preuve du Tribunal,

REJETTE en tous ses chefs l'Exception prèjudicielle fondèe sur des vices de forme de l'acte d'accusation, soulevèe par l'accusè Esad Landzo.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi

[ Signè ]

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Gabrielle Kirk McDonald

Prèsident de la Chambre
Fait ce quinze novembre 1996
A La Haye,
Pays-Bas
[Sceau du Tribunal]