Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL AFFAIRE N° IT-96-21-T

2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE

3 Jeudi 11 septembre 1997

4 L'audience est ouverte à 10 heures 05.

5 M. le Président (interprétation). - Mesdames et Messieurs, bonjour.

6 Les parties peuvent-elles se présenter, s'il vous plaît ?

7 M. Niemann (interprétation). - Bonjour, Madame et Messieurs les Juges. Je

8 m'appelle Grant Niemann. Je comparais avec mes collègues, Me McHenry,

9 Me Turone et Me Khan, au nom de l'accusation.

10 M. le Président (interprétation). - Les parties de la défense peuvent-

11 elles se présenter, s'il vous plaît ?

12 Mme Residovic (interprétation). - Bonjour, Madame et Messieurs les Juges.

13 Je m'appelle Edina Residovic. Je suis le conseil de la défense pour

14 M. Zejnil Delalic. Je comparais avec mon confrère Eugene O’Sullivan,

15 professeur de droit au Canada. Je vous remercie.

16 M. le Président (interprétation). - Je vous remercie.

17 M. Olujic (interprétation). - Bonjour, Madame et Messieurs les Juges. Je

18 m'appelle Zeljko Olujic. Je suis avocat de Croatie. Je défends

19 M. Zdravko Mucic en compagnie de mon confrère M. Michael Greaves, avocat

20 du Royaume-Uni.

21 M. Karabdic (interprétation). - Bonjour, Madame et Messieurs les Juges. Je

22 m'appelle Salih Karabdic. Je suis avocat à Sarajevo. Je défends

23 M. Hazim Delic avec mon confrère M. Tom Moran, avocat de Houston, Texas.

24 M. Ackerman (interprétation). - Bonjour, Madame et Messieurs les Juges. Je

25 m'appelle John Ackerman. Je comparais, ce matin, avec ma consoeur

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1 Cynthia McMurrey. Je défends Esad Landzo. Je vous remercie.

2 M. le Président (interprétation). - Vous vous en souvenez sans doute, nous

3 ne sommes pas absolument certains de l'ordre des travaux abordés ce matin.

4 Mais je viens d'être informé que le témoin, qui devait comparaître ce

5 matin, comme prévu, ne va pas comparaître. Je pense que nous allons donc

6 pouvoir, dès maintenant, aborder le débat juridique. C'est bien ce que

7 nous avions d'ailleurs prévu.

8 M. Niemann (interprétation). - C'est absolument exact, M. le Président.

9 L'accusation ne va pas citer à comparaître le témoin dont nous parlions

10 hier. Nous souhaitions qu'il apporte un document très précis et il n'est

11 pas à même de le présenter. Il ne va pas comparaître aujourd'hui.

12 M. le Président (interprétation). - Nous allons donc respecter le

13 calendrier que nous avions établi. Pour commencer, nous allons étudier les

14 requêtes présentées par l'accusation, requêtes déposées le 8 juillet,

15 relatives à la présentation d'échantillons écrits. L'accusation peut-elle

16 présenter ses arguments ?

17 M. Niemann (interprétation). - Madame et Messieurs les Juges,

18 l'accusation, comme vous le savez, a déposé une requête écrite concernant

19 le problème soulevé à l'origine par Me McHenry lorsqu'elle essayait de

20 soumettre un document au cours de la déclaration d'un des témoins.

21 Madame et Messieurs les Juges, les problèmes qui sont abordés dans cette

22 requête écrite sont en rapport avec trois problèmes principaux. Tout

23 d'abord, la question de la recevabilité d'une façon générale, et d'une

24 façon plus particulière la recevabilité de documents. Le deuxième problème

25 abordé dans cette requête est celui de la recevabilité de la lettre que

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1 Me McHenry a cherché à verser au dossier. Enfin, la requête se penche sur

2 la question du pouvoir de la Chambre de première instance de donner

3 l'ordre à un accusé de fournir un échantillon de son écriture.

4 Dans une large mesure, Madame et Messieurs les Juges, il me semble que la

5 première question, celle relative à la recevabilité d'une façon générale,

6 sera très comparable à ce que je vais dire en rapport avec les documents

7 qui ont été saisis par la police autrichienne. Bien sûr, il y a d'autres

8 problèmes qui se posent en rapport avec les documents qui ont été saisis

9 par la police autrichienne. Mais la question de la recevabilité de ces

10 documents, les points de droit que je vais aborder, seront vraiment les

11 grandes lignes de mes arguments.

12 M. le Président (interprétation). - Eh bien, présentez vos arguments,

13 Monsieur Niemann, nous n'allons pas étudier deux requêtes à la fois.

14 M. Niemann (interprétation). - Je le comprends parfaitement, Monsieur le

15 Président, je comprends cela et je vais me conformer à vos désirs.

16 En ce qui concerne la question de l'ordre qui pourrait être émis à

17 l'accusé de fournir un échantillon de son écriture, je vais m'appuyer en

18 grande partie sur ce qui est écrit dans notre requête écrite. Mais si

19 vous, Madame et Messieurs les Juges, avez besoin de plus de détails, alors

20 je demanderai à ma consoeur, Mme McHenry, de faire les recherches

21 nécessaires. Je pense qu'elle pourra vous aider si vous avez quelque

22 problème que ce soit en rapport avec ce problème. D'une façon générale,

23 nous allons nous appuyer sur ce qui a été dit dans la requête écrite de

24 l'accusation.

25 Madame et Messieurs les Juges, dans notre requête, il est dit sur la

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1 question de la recevabilité des documents et, de fait sur la recevabilité

2 des éléments de preuve de façon générale, dans les débats qui se tiennent

3 devant ce Tribunal, que les outils fournis par le droit coutumier ne sont

4 pas des outils très adaptés, outils qui ne sont pas extrêmement utiles,

5 lorsqu'il s'agit d'essayer de verser certains documents. Je vais élaborer

6 sur ce point un peu plus tard et indiquer pourquoi je dis que le droit

7 coutumier ne fournit pas les outils adaptés en la matière.

8 Mais je lance l'idée suivante dès le départ : le droit coutumier, tel

9 qu'il est appliqué dans les pays qui relèvent de ce système de droit, et

10 d'après la façon dont il est adopté dans ces pays-là, est très souvent

11 modifié, notamment lorsqu'il s'agit de verser et de recevoir certains

12 documents.

13 Il suffit de se pencher sur les différentes juridictions qui ont procédé,

14 de par le monde, à des modifications vraiment importantes de leur droit en

15 ce qui concerne les archives des entreprises, en ce qui concerne

16 l'élaboration d'exceptions concernant le principe du ouï-dire, en ce qui

17 concerne la façon de traiter les documents qui relèvent du domaine public

18 et autres documents de ce type.

19 De fait, en Australie - et je ne parle pas de l'Australie parce que je suis

20 moi-même citoyen de ce pays, mais parce que je crois que cela illustre

21 fort bien cette question de la recevabilité de documents- dans les hautes

22 juridictions de ce pays, toute cette question du droit coutumier a fait

23 l'objet de commentaires réguliers du barreau, notamment en ce qui concerne

24 le principe de l'ouï-dire. Il a été déclaré que les principes de droit

25 coutumier en la matière n'étaient pas satisfaisants.

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1 Par conséquent, dans la loi sur les éléments de preuve de 1995, il y a eu

2 des modifications très importantes qui ont été apportées à la loi qui

3 traite de la recevabilité de documents. Des modifications telles que je

4 crois que nous sommes en droit de dire que les principes du droit

5 coutumier ne sont plus d'aucune actualité et ne s'appliquent plus.

6 De fait, le paragraphe 51 de la loi de 1995 sur les éléments de preuve

7 énonce que les principes et les règles du droit coutumier, en rapport avec

8 la valeur de preuve du contenu de certains documents, sont abolis.

9 Pourquoi cela, Madame et Messieurs les Juges ? Dans ma requête, je donne

10 les raisons les suivantes.

11 Avec les progrès réalisés en termes de moyens de communication, au vu du

12 fait que l'on se fonde de plus en plus sur des documents écrits, du fait

13 que dans la vie quotidienne on s'appuie de plus en plus sur des documents,

14 ce qui n'était pas le cas auparavant, à l'époque où le droit coutumier a

15 été mis sur pied, je dis dans ma requête - et c'est peut-être un peu

16 artificiel de dire cela- que lorsqu'un Tribunal aborde cette question de

17 la recevabilité, il faut qu'il adopte une position plus sévère que celle

18 qui est généralement adoptée dans la société lorsque ces questions se

19 posent.

20 En ce qui concerne cette question de la recevabilité, bien évidemment un

21 document qui est versé comme élément de preuve peut à première vue sembler

22 un document digne d'être reçu ou pertinent. Mais il se peut que par la

23 suite, alors qu'il est confronté à d'autres éléments de preuve, on ne le

24 trouve plus si pertinent.

25 Ce sont des arguments de poids qui figurent dans ma requête.

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1 Il y a dans les juridictions actuelles une tendance à ne plus refuser

2 d'accepter des documents au départ, mais plutôt à accepter les éléments de

3 preuve, à en examiner le contenu, à les prendre en compte. Et si le

4 Tribunal, suite à ces examens, déduit que ces éléments de preuve ne sont

5 pas dignes d'être reçus, ne sont pas pertinents ou autre, seulement après

6 les avoir examinés, alors le Tribunal peut effectivement dire qu'il ne

7 prendra pas ces documents en compte et, à ce stade-là, il pourra même

8 aller jusqu'à l'exclusion de ces éléments de preuve.

9 Madame et Messieurs les Juges, ce Tribunal est une juridiction de droit

10 international. En tant que tel, il ne peut se référer à aucune législature

11 pour essayer de modifier ou de moderniser la loi. Il est également

12 extrêmement difficile pour ce Tribunal d'adopter certaines variations

13 statutaires du droit coutumier et de les appliquer à son mode de

14 fonctionnement.

15 Quelle est la conséquence de cela ? Elle est la suivante. Lorsque le droit

16 coutumier n'est pas modifié ou modernisé, si je puis dire, ce Tribunal,

17 s'il avait à se référer à un certain type de droit, ne pourrait pas se

18 prévaloir de ces modifications. Le Tribunal, en fait, serait bloqué dans

19 un système de droit, par exemple le droit coutumier, tel qu'il a été créé

20 à l'origine. Alors il ne pourrait pas tenir compte des changements qui ont

21 lieu dans une société moderne, des changements qui permettent de ne pas

22 avoir à appliquer de vieux principes de loi, des principes qui remontent à

23 l'époque où la loi a été élaborée.

24 Dans ma requête, j'explique que c'est pour cette raison que je vous

25 demande, à vous, Madame et Messieurs les Juges, de ne pas dire : c'est

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1 telle ou telle loi qu'il nous faut appliquer ou respecter, qu'il s'agisse

2 de la loi du droit coutumier ou du droit romain. Mais je crois que la

3 question se pose surtout avec le droit coutumier. Car il faut absolument

4 regarder ce qui s'est passé à l'origine de la création de cette loi et

5 comment a évolué ce droit. Il s'est développé dans un contexte où ceux qui

6 jugeaient des faits était des jurys, des gens qui n'étaient pas vraiment

7 formés, qui n'étaient pas juristes.

8 Ce système de droit évoluait dans un environnement ou, de fait, ceux qui

9 jugeaient de la validité des faits, qui leur étaient présentés, n'étaient

10 pas formés au traitement des éléments de preuve. Ils ne savaient pas

11 comment trancher des questions compliquées de recevabilité, de pertinence,

12 etc.

13 Dans ma requête, j'explique que les procédures ont évolué de telle sorte

14 qu'avant que le jury ne soit chargé de ces tâches compliquées, avant qu'on

15 attende de lui qu'il tranche ces questions compliquées, et Dieu si leur

16 tâche est compliquée, le Juge qui préside l'audience, le Juge qui examine

17 l'affaire, doit agir en tant que filtre. Il doit d'abord procéder à un

18 premier examen des documents que les parties cherchent à verser au

19 dossier.

20 Donc il y a un premier filtrage des documents, ce qui est en soi un

21 travail extrêmement pénible, mais un travail qui est considéré comme

22 n'étant pas comme ne relevant pas des compétences du jury. Cela a permis

23 de soulager le jury d'une certaine charge de travail. La responsabilité de

24 ce travail de filtrage a été confiée aux Juges, qui sont formés pour

25 trancher de telles questions.

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1 Ainsi, Madame et Messieurs les Juges, le processus du pouvoir dire est né.

2 Comme vous le savez, Madame et Messieurs les Juges, dans de tels processus

3 les questions de recevabilité ne se posent pas. On ne pose pas la question

4 de la recevabilité d'un document devant un juge. Il est clair que le juge

5 chargé du procès doit observer le document, doit décider - suite à cet

6 examen- si ce document est intéressant, mais c'est le juge qui en prend la

7 décision.

8 Il décide : a/- Qu'effectivement le document est suffisamment digne de

9 foi. b/- Qu'il est pertinent. c/- Qu'il a valeur probante et que cette

10 valeur probante est suffisante pour juger de la valeur du document.

11 Ce n'est qu'une fois que le juge a tranché ces questions que le document

12 est confié au tribunal, dans le sens où il est confié au jury. Bien sûr,

13 ce ne sont pas des procédures que nous adoptons ici, dans le cadre de ce

14 Tribunal. Ce Tribunal fonctionne de façon différente.

15 Dans ma requête, Madame et Messieurs les Juges, je déclare qu'il est

16 absolument insensé de penser que vous puissiez ne pas jeter un coup d'oeil

17 sur les documents concernés avant de prendre une décision. Il faut

18 absolument que vous puissiez, comme des juges chargés de procès dans

19 d'autres types de juridiction, avoir recours à ce processus de voir dire

20 avant de prendre votre décision. Bien sûr qu'il faut examiner ces

21 documents, sinon vous travaillez dans le vide.

22 Les arguments de l’une et l'autre partie vous sont présentés. Vous devez

23 essayer de trancher une question sans vous référer au document concerné et

24 en faire une examen détaillé. Bien évidemment, il y a des documents qui

25 sont à tel point non pertinents que la décision est extrêmement facile à

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1 prendre. Il est très facile de dire en quelques secondes qu’un document

2 n'est pas pertinent pour l'affaire qui nous concerne. Parfois, ce document

3 est si peu digne de foi qu'il est extrêmement aisé, là aussi, de déclarer

4 que le document ne va pas être reçu. Donc il est vrai que, dans certains

5 cas, la question de la recevabilité peut être tranchée extrêmement

6 rapidement.

7 Mais, dans ma requête, Madame et Messieurs les Juges, je déclare que les

8 critères de la recevabilité d'un document devraient êtres des critères

9 extrêmement larges, des critères si larges qu'ils vous permettent, sauf

10 dans les circonstances les plus extrêmes, dans les circonstances où les

11 documents ne sont absolument pas pertinents, de les étudier.

12 Madame et Messieurs les Juges, vous pouvez exclure un document à tout

13 stade des débats. Vous pouvez vous demander en quoi il est pertinent, en

14 quoi il peut aider l'accusation à présenter son affaire. Vous êtes en

15 droit de poser cette question. Mais par la suite, au cours du procès, il

16 peut surgir quelque chose qui va changer le degré de recevabilité du

17 document, qui va changer le degré de pertinence de ce document.

18 Dans ce cas précis, et c'est bien ce que je dis, il n'y a pas beaucoup de

19 différence entre ce cas présent et des dépositions orales. En quoi une

20 déposition orale est si différente ? Le témoin vient, arrive à la barre et

21 donne sa version des faits. A l'écoute de ces faits, vous décidez, vous,

22 Madame et Messieurs les Juges, que vous n’êtes pas sûr que nous puissions

23 accepter cela au vu de ce que nous connaissons déjà. Mais cette déposition

24 n'est pas considérée comme non admissible, sauf dans des circonstances

25 extrêmes. Généralement, la déposition est acceptée.

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1 Autre possibilité, un témoin peut arriver et donner une histoire

2 extrêmement crédible, une histoire que vous acceptez totalement. Puis,

3 subitement, un peu plus tard, au cours du procès un élément surgit qui

4 vous suggère intimement que cette déclaration ne peut pas être digne de

5 foi. La décision que vous prenez alors ne se base pas sur le fait de

6 savoir alors si, oui ou non, le témoin aurait mieux fait de ne rien dire.

7 On ne peut pas exclure des éléments de preuve avant même que le témoin les

8 ait formulés ; en aucun cas. Le témoin fait sa déclaration et ensuite,

9 vous, Madame et Messieurs les Juges, vous confrontez cette déclaration

10 avec d'autres éléments de preuve. Mais, à la fin, vous dites : nous

11 n'allons pas prendre cette déclaration en compte, nous ne l'acceptons pas,

12 elle n'est pas digne de foi et de confiance. Vous pouvez même aller plus

13 loin et dire que ce témoin ne dit pas la vérité. Mais, vous en décidez par

14 la suite. Il n'y a pas un stade préalable où vous décidez de tout.

15 M. Jan (interprétation). - Vous dites qu'il faut d'abord déterminer quelle

16 est la valeur probante de ce qui est dit, et ensuite confronter ce qui a

17 été dit avec d'autres éléments pour voir si cela est admissible ou pas.

18 M. Niemann (interprétation). - Ce que je dis, Madame et Messieurs les

19 Juges, c’est qu'il faut absolument que ces documents vous soient soumis à

20 vous.

21 M. Jan (interprétation). - Donc il faut d'abord déterminer la valeur du

22 document et ensuite déterminer si ce document est recevable ou non ? Vous

23 ne faites que dire la même chose de façon différente.

24 M. Niemann (interprétation). - Monsieur le Juge, dans ma requête, je dis

25 que ce n'est pas tellement différent de ce qui se passe dans un processus

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1 de voir dire. Les juges reçoivent le document, parce ce sont les Juges

2 chargés du procès, et font une évaluation de ces documents.

3 M. le Président (interprétation). - Mais c’est un cas tout à fait

4 particulier. Si vous regardez à l'article 89 du Règlement de procédure et

5 de preuve, j’ai l’impression que cela fait un bon résumé des différents

6 systèmes. En fait, cela vous dit ce qu'il faut faire lorsqu'aucun des

7 documents qui vous sont présentés ne sont abordés par cet article du

8 Règlement. Cela vous explique qu'elles sont les différents types

9 d'éléments de preuve qui peuvent être reçus. Cela parle de la pertinence

10 de ces éléments de preuve, cela parle de leur valeur probante.

11 M. Niemann (interprétation). - Je n’essaie pas du tout de m'éloigner de ce

12 qui est dit dans ce Règlement, Monsieur le Président. Ce que je dis c'est

13 qu'il faut toujours essayer d'interpréter ces documents afin de voir s'ils

14 sont, oui ou non, pertinents et recevables.

15 M. le Président (interprétation). - Mais, il s'agit d'une règle générale,

16 d’un principe général. On ne parle pas ici de cas particuliers. Il y a des

17 cas où c'est à l'accusation de prouver que quelqu'un a fait quelque chose

18 de spécial. La question ne se pose que lorsqu'il faut prouver que la

19 charge de la preuve incombe à quelqu'un d'autre.

20 M. Niemann (interprétation). - Mais, je ne parlais pas,

21 Monsieur le Président, du problème de la charge de la preuve.

22 M. le Président (interprétation). - Mais il me semble que tout ce dont

23 vous nous parlez est lié à la question des éléments de preuve et de leur

24 valeur probante.

25 M. Niemann (interprétation). - Monsieur le Président, j’essaie de dire la

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1 chose suivante. Il y a des éléments du droit coutumier qui nous montrent

2 pourquoi les critères de recevabilité peuvent être de plus en plus sévères

3 et stricts. Je pourrais vous donner un exemple , Monsieur le Président.

4 Dans les pays qui relèvent du droit coutumier, lorsque les tribunaux sont

5 créés, ou lorsque seul un juge décide une affaire, il y a souvent des

6 dispositions statutaires qui fournissent un cadre à ce type de

7 juridiction, qui fournissent un cadre qui permet au juge de travailler

8 dans un cadre qui n'est pas tellement différent du cadre dans lequel,

9 vous, Madame et Messieurs les Juges, travaillez. C'est quelque chose qui

10 est créée pacifiquement pour ce type d'affaires et, dans ces cas précis,

11 les règles ordinaires qui jugent de la recevabilité des éléments dans le

12 cadre de la loi coutumière ne sont pas appliquées.

13 M. le Président (interprétation). - Il y a tellement de systèmes

14 nationaux, de systèmes de droit différents qui fonctionnent de la même

15 façon que nous. Le juge juge des points de fait et des points de droit.

16 Chacun a ses propres règles, mais certaines règles sont pratiquement

17 identiques à celles avec lesquelles nous fonctionnons.

18 M. Niemann (interprétation). - Il me semble qu'on va vous demander que les

19 principes et les règles qui doivent être appliqués sont ceux généralement

20 appliqués dans le cadre de la loi coutumière de Grande-Bretagne. Si c'est

21 ce qu'on vous demande, c'est précisément la base de mon argument.

22 M. le Président (interprétation). - Mais nos règlements et nos statuts ne

23 disent pas cela.

24 M. Niemann (interprétation). - C'est ce que j'essaie de présenter dans ma

25 requête, Monsieur le Président.

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1 M. Jan (interprétation). - Je pensais que, dans un système de droit

2 coutumier, il y avait trois stades en ce qui concerne les documents qui

3 servent d'éléments de preuve Tout d’abord l'admissibilité, enfin la

4 question de la valeur probante. Vous dites qu'il faut d'abord considérer

5 la valeur probante de l'argument et ensuite décider de sa recevabilité.

6 M. Niemann (interprétation). - Je ne disais pas cela. Si c'est ce que vous

7 avez cru comprendre, alors je suis désolé : ce n'est pas du tout ce que je

8 voulais dire.

9 Je dis que, pour les documents qui doivent être reçus ou non, il faut

10 établir des critères extrêmement larges pour savoir s'ils doivent être

11 reçus ou non. Il faut que ces critères soient extrêmement larges parce

12 qu'il faut que vous ayez la possibilité, Madame et Messieurs les Juges, de

13 juger par vous-mêmes de la validité d'un document. Il faut que vous

14 puissiez vous décider, mais suite à un examen de ce document. Il faut que

15 vous jugiez après un examen de la pertinence, de la valeur probante ou de

16 la recevabilité de cet élément. C'est extrêmement difficile ; j'ai

17 toujours pensé que c'était très difficile.

18 M. le Président (interprétation). - J'ai un problème avec votre argument.

19 Vous partez d'un point de vue qui est celui d'un système national au lieu

20 de partir du point de vue du fonctionnement de nos propres règles.

21 M. Niemann (interprétation). - Je vais y arriver, Monsieur le Président.

22 Pour le moment, j'essaie de vous montrer qu'il ne faut pas se fonder sur

23 les systèmes de droit coutumier. C'est le premier argument de ma requête.

24 M. le Président (interprétation). - Il faudrait procéder dans l'autre

25 sens : vous devriez d'abord nous dire pourquoi nos propres règles

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1 devraient fonctionner de la manière dont vous semblez le suggérer.

2 M. Niemann (interprétation). - Je promets que je vais en venir à cela,

3 Monsieur le Président. Si vous m'en donnez l'autorisation, j'aimerais

4 passer par un certain nombre de phases parce que je crois que c'est plus

5 naturel.

6 Nous sommes formés dans le cadre d'une juridiction particulière.

7 Automatiquement, nous nous fondons sur notre formation et nous disons :

8 "Ce n'est pas bon ; cela ne va pas" et, ensuite, nous prenons des

9 décisions définitives qui se fondent sur ce qui, d'après nous, est juste.

10 Il est difficile, lorsqu'on arrive dans cette juridiction, de dire : "Non,

11 ce n'est pas la bonne façon d'aborder le problème. Il y a de bonnes

12 raisons qui motivent tel eu tel type d'approche".

13 Je vais continuer, Madame et Messieurs les Juges. Mais je voulais

14 absolument souligner que la loi coutumière est peut-être le système de

15 droit le moins utile sur lequel vous puissiez vous reposer pour savoir

16 quoi faire dans de tels domaines. Je souligne cela encore une fois parce

17 que c'est vraiment un système qui n'est pas du tout utile. Même dans les

18 juridictions qui relèvent de ce droit coutumier, il n'est pas utile non

19 plus. La loi coutumière traditionnelle est en train d'être changée afin

20 d'être plus utile.

21 Dans les affaires de fraude, où les gens doivent gérer des milliers et des

22 milliers de documents et où les procès durent des mois et des mois, tous

23 les documents sont admis. Ce n'est qu'à la fin de tous les travaux qu'on

24 décide, une fois pour toutes, s’ils sont admissibles et quels sont les

25 liens qui existent entre tous ces documents. On ne peut pas déterminer la

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1 valeur d'un document en y jetant simplement un coup d'oeil. Il faut

2 absolument examiner dans le détail l'intégralité des documents qui sont

3 présentés.

4 Madame et Messieurs les Juges, je voudrais maintenant parler du droit

5 civil. Je voudrais dire que ce droit n'aide pas beaucoup non plus, sauf

6 qu'on y adopte une démarche totalement différente. C'est une démarche qui

7 est beaucoup plus proche de la démarche que je propose dans ma requête.

8 En ce qui concerne le droit civil, la recevabilité, en tant que telle,

9 n'est pas un point extrêmement important. Il y a beaucoup de raisons qui

10 justifient cet état de fait. Une des raisons est qu'il y a des juges

11 d'instruction : les juges d'instruction règlent ces différentes questions,

12 souvent avant même le début du procès, et ils constituent un dossier qui

13 contient les différentes preuves. Donc, c'est un processus tout à fait

14 différent, différent de celui que nous avons ici et différent des

15 juridictions internationales en général.

16 Par exemple, dans la plupart des juridictions —j'aurais pu vous en parler,

17 mais je ne pense pas que cela vous aide beaucoup si je le fais et je me

18 contenterai donc qu'un résumé— l'intérêt ne réside pas véritablement dans

19 la recevabilité des preuves. Je ne dis pas être un expert en la matière,

20 mais je sais que parfois les documents ne sont pas pris en compte et sont

21 exclus. Mais, de façon générale, le problème de la recevabilité ne se pose

22 pas. On parle plutôt du problème du poids des éléments. Les documents ont

23 tendance à être versés au dossier ; une fois versés, on considère les

24 éléments de preuve dans leur totalité.

25 Donc nous n'avons dit que ni le droit coutumier ni le droit civil ne nous

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1 aident beaucoup à résoudre ces différents problèmes.

2 D'ailleurs je trouve que les remarques du Juge Jorda sont très

3 intéressantes sur ce point, notamment dans l'affaire Blaskic. Il disait en

4 substance que : "Cette différence, cette opposition, entre droit civil et

5 droit coutumier n'aidait pas beaucoup à résoudre les différents problèmes

6 qui se posent et, qu'en fait, la véritable question devrait être résolue

7 en se fondant sur le Règlement et le Statut du Tribunal".

8 Les questions de recevabilité ont été examinées, au moins dans une

9 certaine mesure, dans le cadre d'une juridiction de droit international.

10 Je cherche, Madame et Messieurs les Juges, ces remarques écrites. C'est un

11 passage tout à fait intéressant et extrêmement riche dans le cadre du

12 problème qui nous occupe aujourd'hui.

13 Je voudrais maintenant passer au droit international. Comme vous le savez,

14 le droit international, ou plutôt la partie la plus active de ce droit,

15 n'est pas le droit pénal. La partie la plus active, la plus mouvante, a

16 été les conflits entre Etats ou même dans les juridictions quasi-

17 judiciaires. Je ne pense pas que nous devrions ignorer les différents

18 aspects du droit international ; je l'ai dit dans ma requête. Je dis

19 simplement que le droit international doit être la seule base, le seul

20 fondement pour nos travaux.

21 Dans ma requête, j'ai essayé de dire ce qu'il s'est produit au

22 Tribunal international de Justice, à la Cour internationale de Justice,

23 dans le système américain, dans le système européen, les différentes cours

24 d'arbitrage international, etc.

25 Avant de continuer, j'ai trouvé le commentaire de M. le Juge Jorda, auquel

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1 j'ai fait référence précédemment dans le cas Blaskic du 25 juin 1997,

2 page 86 du compte rendu. Je crois que ce qui nous sépare est un problème

3 conceptuel, un problème de culture juridique. On ne peut pas continuer à

4 opposer deux systèmes différents tout au long de ce procès.

5 Comme je l'ai dit hier, le Tribunal garantit un procès juste et équitable

6 pour les accusés et demande au bureau du Procureur de supporter la charge

7 de la preuve. Dans ma requête, j'ai exprimé ma volonté de fonder les

8 démarches et les travaux du Tribunal sur cette base et sur ces fondements.

9 Bien sûr, de temps en temps on peut utiliser la loi coutumière, le droit

10 civil. Vous le savez, nous ne sommes pas liés par le droit coutumier, ni

11 par le droit civil. Vous savez également que nous ne sommes pas liés par

12 le droit international. Nous ne sommes sans doute pas liés par les

13 décisions d'autres Chambres de ce Tribunal. Mais si nous devons prendre un

14 fondement, essayer d'établir une hiérarchie des différentes valeurs de ces

15 différents systèmes, comme je l’ai dit dans ma requête, la source la moins

16 valable de droit - je voudrais insister sur ce point- est le droit

17 coutumier ; ensuite je mettrais le droit civil, puis je placerais le droit

18 international dans les juridictions civiles, et les différents éléments

19 intéressants du droit international dans les juridictions pénales. Enfin

20 je prendrais en considération les décisions prises par la Cour d'appel de

21 ce Tribunal.

22 C’est un peu cette espèce de hiérarchie que je propose dans ma requête,

23 afin que vous puissiez vous fonder sur différents éléments. Je voudrais

24 souligner ce point. Cela peut changer, mais de règle générale c'est la

25 hiérarchie que j'établis.

Page 7132

1 Dans la Cour internationale de Justice, la preuve est rarement exclue. Les

2 Etats sont encouragés à apporter autant d'éléments que possible, qu'ils

3 considèrent utiles dans le cadre de l'affaire traitée. Dans la pratique,

4 le Tribunal n'émet que peu de restrictions sur le droit des parties à

5 produire autant d'éléments qu'elles le souhaitent. Le Tribunal a rarement

6 exercé son droit de limiter, de refuser ou d'accepter des preuves

7 proposées. De manière générale, dans la Cour internationale, les preuves

8 sont généralement acceptées.

9 Comme nous l'avons vu dans d'autres cas - le Tribunal établi par la

10 Commission américaine des droits de l'homme, la Commission inter-

11 américaine ou le Tribunal inter-américain - dans ces différentes

12 organisations, les parties aux procès peuvent offrir toute information

13 orale ou écrite qui semble pertinente afin de clarifier les faits étudiés.

14 Là encore, il n'y a pas de juridiction criminelle en tant que telle. Dans

15 les débats qui ont lieu devant la Cour internationale d'Arbitrage, le

16 Tribunal a connaissance de tous les éléments de preuve qui semblent

17 pertinents dans tel ou tel cas. Bien entendu, dans la tradition, peu

18 d'éléments de preuve sont exclus dans cette procédure.

19 Dans ma requête, je cite également les principes de Nuremberg qui ont une

20 valeur historique et une valeur probante. Je pense que ce sont les

21 meilleurs sources auxquelles, Madame et Messieurs les Juges, vous puissiez

22 vous référer. Durant le procès de Nuremberg, on a mis l'accent sur le fait

23 que les procès devaient se tenir dans un cadre international, que les

24 débats n'allaient pas être limités par des problèmes techniques,

25 concernant les éléments de preuve, tels que connus dans toutes les autres

Page 7133

1 juridictions. Je parle notamment des Etat-Unis, mais il y en a d'autres.

2 Il n'y avait pas de jury et le Tribunal a jugé lui-même les différentes

3 affaires. Les critères de recevabilité de la preuve ont été établis sur le

4 fait que les tribunaux devaient admettre toute preuve qu'ils considéraient

5 comme ayant valeur probante.

6 Madame et Messieurs les Juges, l'article 7 prévoyait que toute preuve

7 serait recevable si elle semblait contenir des informations ayant valeur

8 probante, en rapport aux chefs d'accusation. Les différents types de

9 preuve, considérés comme recevables par le Tribunal s'il respectait ces

10 critères, étaient des déclarations sous serment, des dépositions, des

11 interrogatoires et d'autres déclarations, des lettres, des journaux, des

12 déclarations et des jugements issus de tribunaux militaires ; la relecture

13 et la confirmation d'autorités des Nations Unies, par exemple. Je ne vais

14 pas faire une liste exhaustive de tous ces éléments. C'est une liste très

15 longue.

16 Madame et Messieurs les Juges, il y a de nombreux exemples auquels vous

17 pouvez vous référer dans le cadre de Nuremberg. On parle notamment de

18 documents saisis, de documents allemands, et j'en parlerai peut-être plus

19 tard. Par exemple, le type de document qui a été accepté au procès de

20 Nuremberg contenait des photocopies d'une lettre non signée et obtenue au

21 papier carbone qui donnait le nom et le poste d'Alfred Krupp dans plus de

22 trente entreprises ou organisations. Ce document avait été découvert dans

23 les dossiers de l'accusé, au siège d’Essen, une entreprise allemande. Le

24 document a été proposé le premier jour de la présentation du bureau du

25 Procureur. La défense y a fait objection en déclarant que ce document ne

Page 7134

1 portait pas de signature et qu'aucun élément de preuve n'avait été soumis

2 et n'avait prouvé qui était l'auteur de ce document ni son origine. Après

3 une certaine discussion, le Tribunal a fini par accepter cette preuve.

4 Elle a été versée au dossier, en disant que toute objection devait se

5 référer plutôt au poids de la preuve, mais ne devait pas porter sur la

6 recevabilité même du document.

7 Il y a d'autres cas, d'autres documents, auxquels je pourrais me référer.

8 Je le ferai lorsque nous parlerons de l'autre requête. Donc, je vous ai

9 dit - et je l'ai dit dans ma requête- que durant le procès de Nuremberg il

10 n'y avait que très peu d'oppositions à l'admission de preuves.

11 Cette procédure permettait toujours au Tribunal de rejeter et de juger de

12 leur recevabilité à une date ultérieure, si cette preuve n'était pas digne

13 de foi ou bien si elle n'était pas pertinente.

14 Le niveau plus élevé, juste au-dessus de l'échelle de hiérarchie dont j'ai

15 parlé au départ, ce sont les décisions prises par ce Tribunal. Jusqu'ici,

16 il n'y en a pas eu beaucoup, mais cependant il y en a eu quelques-unes.

17 Tout d'abord, les décisions prises lors de l’affaire Tadic. Dans cette

18 affaire, la Chambre de première instance a élaboré un texte sur les normes

19 de recevabilité en harmonie avec l'esprit du Statut, tout en respectant

20 bien sûr le texte et la philosophie du Règlement de procédure et de

21 preuve. Il a été reconnu qu'il ne s'agissait pas là de jurys, mais bien de

22 juges professionnels qui, grâce à leur expérience, grâce à leur formation,

23 peuvent comprendre le contexte dans lequel la preuve a été obtenue et

24 juger de la validité de celle-ci.

25 Dans l'affaire Tadic, il y a eu une requête de la défense sur l'ouï-dire.

Page 7135

1 En réponse à cette requête, le Tribunal a dit qu'il fallait effectivement

2 qu'il y ait certains éléments de fiabilité de cette preuve. Dans notre

3 requête, ces éléments de fiabilité sont moindres que ce qu'on estimait

4 traditionnellement et considérait comme étant la norme en la matière,

5 notamment dans les juridiction de droit coutumier. Madame et Messieurs les

6 Juges, dans le cas Tadic, à plusieurs reprises les éléments de preuve, qui

7 devaient être versés, ont été déclarés par la défense comme non fiables ou

8 la défense a déclaré qu'ils auraient dû être exclus. De temps en temps,

9 des débats se sont ouverts sur ce problème particulier. Ces débats ont

10 mené à la requête qui a suivi et sur laquelle la décision a été prise.

11 Je pense qu'il est intéressant de vous proposer certains exemples de ces

12 cas de figure. Il est facile de parler de ce sujet d'une manière générale,

13 mais, lorsqu'on se concentre sur différents cas particuliers, on voit

14 mieux la manière dont le Tribunal a réglé ces problèmes et je pense que

15 cela pourrait vous être utile. Là encore, je ne dis pas que tout cela vous

16 lie à quelque décision que ce soit, mais je dis que cela pourrait vous

17 aider.

18 Je voudrais parler notamment d'un témoin dont le témoignage a été pris le

19 11 juin 1996 : il s'agissait du témoin Q. Celui-ci a fait une déclaration

20 et on peut voir, à la ligne 12 du compte rendu, dans le cas Tadic :

21 "L'histoire des gardiens qui se trouvaient là-bas, l'histoire qu'il nous a

22 racontée était plus ou moins la suivante. Ils étaient assis au poste de

23 garde, près de l'église". Ensuite, il continue.

24 Monsieur Kay, de la défense, réagit immédiatement. Il fait une objection

25 et dit que ce concept de l'ouï-dire lui pose un problème. Il dit : "Nous

Page 7136

1 entendons maintenant un compte-rendu qui est donné par ce témoin qui a

2 lui-même entendu d'autres personnes raconter une histoire, ceci bien sûr

3 contre l'accusé, M. Tadic".

4 Il y a donc différents niveaux d'ouï-dire que le Tribunal peut peut-être

5 accepter. Il pourrait accepter certaines preuves qui permettent de

6 continuer les débats.

7 Cependant, nous pensons qu'il y a un moment, un stade où la preuve est

8 très importante en ce qui concerne le règlement de tels problèmes,

9 notamment dans l'affaire qui nous occupe. Il faut que la défense soit

10 suffisamment protégée face aux dommages éventuels que pourrait causer

11 cette procédure de l'ouï-dire.

12 Ce n'est pas la première fois que nous devons gérer des preuves qui

13 concernent des allégations contre l'accusé, bien entendu. Le Procureur a

14 choisi de se fonder sur ces éléments de preuve grâce à un témoin parce

15 qu'on lui a raconté...

16 Madame et Messieurs les Juges, je ne vous ennuierai pas avec la réponse de

17 l'accusation. C'est Me Tieger qui a répondu. Je vous citerai ce qui figure

18 à la ligne 14 de la page 1497, à savoir les propos du Président de la

19 Chambre qui a déclaré : "Nous avons déjà dit par le passé, je suppose, que

20 nous n'avons pas de règlements concernant l'ouï-dire. A titre

21 d'information et cela pourrait vous aider, messieurs les avocats, je ne

22 pense pas que je sois en train de décrire les règles d'une école qui me

23 soit particulière. D'autres juges peuvent me corriger si je me trompe.

24 Comme vous le savez, les juges ont rédigé ce règlement et, au cours de ce

25 processus de rédaction, il y a eu de très longues discussions au sujet de

Page 7137

1 la recevabilité des éléments de preuve. Nous avons dix règles qui

2 régissent cette recevabilité des éléments de preuve. Le juge Stephen et

3 moi-même venons d'un système judiciaire où l'ouï-dire est un élément qui

4 intervient dans les procès. Dans le système d’où je viens, nous avons

5 24 ou 28 exceptions à la règle régissant l'ouï-dire. Même si l'ouï-dire

6 est une cause de non recevabilité, il devient possible de verser des

7 éléments au dossier, y compris dans le cadre de l'ouï-dire, si on se situe

8 dans les limites de ces exceptions.

9 Il y a donc dans notre système des éléments de preuve qui peuvent porter

10 sur des déclarations, notamment faites par d'autres que le témoin, et que

11 le Tribunal peut prendre en considération. Même si le règlement ne traite

12 pas précisément de l'ouï-dire, nous avons cette exigence de valeur

13 probante qui intervient également à part égale avec l'élément ouï-dire. Au

14 cours de nos discussions, au sujet du Règlement de procédure et de preuve,

15 les juges ont exprimé des points de vue différents, quant à la façon de

16 recevoir des éléments de preuve. Nous avons examiné ces points de vue de

17 très près, notamment les points de vue des trois Juges qui sont ici dans

18 le prétoire. Donc je rejette votre objection parce que nous sommes ici un

19 Tribunal de nature particulière. Nous avons dix règles qui régissent

20 l'ouï-dire et nous devons donc nous concentrer sur la valeur probante."

21 Ce genre de débat a eu lieu à de très nombreuses reprises. Mais je crois

22 me rappeler que, pratiquement dans tous les cas, c'est l'ouï-dire qui a

23 été l'élément initiateur du débat. Bien entendu, l'ouï-dire est un élément

24 très important. Il faut prouver que cet ouï-dire existe et de façon

25 formelle. Il ne suffit pas que le témoin s'exprime pour que l'ouï-dire

Page 7138

1 soit prouvé. Les objections sont tout à fait valables. Je pourrais vous

2 citer bien d'autres exemples de ce même genre de discussion. Il y en a eu

3 de très nombreuses.

4 Pour ce qui nous concerne, nous avons eu la témérité de faire objection au

5 versement d'un élément de preuve au dossier sur des bases très

6 comparables, mais vous-mêmes, Monsieur le Président, avait été plus rapide

7 que dans l'autre Chambre et vous n'avez pas souhaité entendre nos

8 arguments. Voilà ce que je voulais dire. Ce sont les fondements qui

9 justifient l'objection que j'élève. Nous sommes dans un système judiciaire

10 très particulier.

11 M. le Président (interprétation). - De quels documents parlez-vous ?

12 M. Niemann (interprétation). - Je parle d'un document unique qui est la

13 base de cette requête.

14 M. le Président (interprétation). - Quel est ce document ?

15 M. Niemann (interprétation). - C'est une lettre. Mme McHenry a demandé le

16 versement au dossier de cette lettre.

17 M. le Président (interprétation). - Je sais de quoi vous parlez.

18 M. Jan (interprétation). - Une lettre écrite par M. Pavo Mucic à l'un des

19 témoins.

20 M. le Président (interprétation). - Prétendument écrite par lui.

21 M. Niemann (interprétation). - Oui, Monsieur le Président. Nous disons

22 qu'elle évoque des problèmes de fiabilité. Nous disons que cette lettre

23 est pertinente et qu'elle a une valeur probante. Mme McHenry a pris la

24 parole à l'époque pour développer ces trois arguments.

25 Je pourrais vous ramener à cette date si cela peut vous aider, mais

Page 7139

1 j'affirme aujourd'hui que les trois questions que je viens d'évoquer se

2 posent au sujet de ce document. C'est un problème de recevabilité parce

3 que l'auteur n'a pas été déterminé avec précision. La personne qui a écrit

4 ce document n'a pas voulu se présenter. Nous affirmons que cette lettre a

5 été écrite par M. Mucic. A notre avis, ce document répond à tous les

6 critères que je viens d'évoquer.

7 M. le Président (interprétation). - Laissez-vous tomber les autres

8 arguments ?

9 M. Niemann (interprétation). - Non, Monsieur le Président. Je pensais que

10 je pouvais continuer à maintenir l'ensemble de mes arguments.

11 M. Jan (interprétation). - Maître Niemann, il y a encore un problème. Vous

12 avez encore à prouver que cette lettre a été écrite par lui. Si vous

13 prouvez qu'il en est bien l'auteur, elle sera recevable en dehors de toute

14 cette argumentation.

15 M. Niemann (interprétation). - Monsieur le Président, Madame et Messieurs

16 les Juges, je ne souhaite pas devoir revenir sur l'ensemble de ces

17 arguments.

18 M. Jan (interprétation). - Il faut d'abord prouver que la lettre a bien

19 été écrite par lui. Dans ce cas, elle est recevable.

20 M. Niemann (interprétation). - Nous affirmons que nous pouvons prouver que

21 cette lettre est recevable en fonction de la teneur du document. Nous

22 disons que cette lettre a été écrite par une personne qui s'appelle Pavo

23 et que Pavo est une personne... Excusez-moi, je dois relire mes notes.

24 Cette lettre contient un certain nombre d'éléments qui indiquent sa

25 fiabilité, son authenticité, en tant que document écrit par

Page 7140

1 l'accusé Mucic. La lettre a été remise personnellement.

2 M. le Président (interprétation). - Vous n'avez pas besoin de lire les

3 réponses écrites. Je connais le contenu de votre requête écrite. Ce qui me

4 préoccupe, c'est ce que vous dites au sujet de l'article 54 et de

5 l'échantillon manuscrit. Vous avez la possibilité d'abandonner cet

6 argument.

7 M. Niemann (interprétation). - Je n'abandonne rien. J'allais arriver à

8 l'étape suivante. C'est un des points importants de mon argumentation.

9 Ici, nous parlons de recevabilité. Quelle serait l'utilité de faire

10 analyser un document s'il n'est pas recevable ? Il me semble que ce serait

11 mettre la charrue avant les boeufs.

12 Si l'on admet le document en tant qu'élément de preuve, si nous disons que

13 ce document a un certain poids, alors vous pouvez à très juste titre nous

14 dire : "Nous ne pouvons pas nous permettre de recevoir ce document parce

15 que nous mettons en cause sa fiabilité. Nous ne pouvons pas nous permettre

16 de lui accorder un poids important parce que nous mettons en cause sa

17 fiabilité." C'est une étape ultérieure. Vous pourriez essayer aussi

18 d'accroître le poids de ce document en obtenant des échantillons

19 d'écriture et en les analysant.

20 M. le Président (interprétation). - Si vous avez établi que c'est là un

21 élément utile, si on peut prouver qui est l'auteur de ce document, il n'y

22 aura pas de question quant à un examen de l'écriture.

23 M. Niemann (interprétation). - Ce que nous affirmons,

24 Monsieur le Président, c'est que la question qui se pose est centrée sur

25 la recevabilité. A mon avis, ce n'est pas le cas, mais il peut y avoir des

Page 7141

1 facteurs qui modifient la possibilité de recevabilité de ce document et le

2 poids accordé au document intervient dans cette argumentation, les indices

3 de fiabilité, la pertinence, la valeur probante. Le document à ce sujet

4 parle de lui-même. Monsieur le Président, ce sont des éléments à évaluer

5 pour tous documents, bien entendu, mais ici son contenu parle de lui-même.

6 M. le Président (interprétation). - Mais ceci est notre argumentation.

7 M. Niemann (interprétation). - C'est aussi la nôtre. Je n'abandonne aucun

8 aspect de mon argumentation. Je dis qu'il y a d'abord le problème de la

9 recevabilité et ensuite ces autres éléments.

10 M. le Président (interprétation). - Habituellement, vous n'accordez pas un

11 poids quelconque à un document qui n'a pas été versé au dossier, qui n'a

12 pas été admis.

13 M. Niemann (interprétation). - Effectivement. Mais l'étape suivante du

14 raisonnement est de savoir si l'on ne peut pas accorder un poids plus

15 important à un document, pour peu qu'il ait été soumis à une analyse

16 graphologique.

17 A ce moment-là, on peut aller plus loin et décider que le document mérite

18 de se voir accorder un poids plus important. Peut-être n'est-ce pas là le

19 facteur le plus important pour l'accusation, je le reconnais, j'ai entendu

20 un certain nombre d'arguments développés par la défense au sujet de la

21 nécessité de prouver qu'il n'y avait aucun doute raisonnable pesant sur un

22 élément de preuve et j'accepte mon ignorance éventuelle. Mais il me semble

23 que c'était là aller trop vite, Monsieur le Président.

24 L'accusation a dit : "Ce document prouve que l'accusé a assassiné X, ou a

25 frappé X, ou a eu un comportement inhumain". Ce que l'on essaie de prouve

Page 7142

1 en disant cela, c'est un délit. Mais l'accusation ne l'a pas prouvé au-

2 delà de tout doute raisonnable par ces mots. Dans ce cas, l'accusation se

3 trouve face à un problème important, mais du point de vue de la

4 recevabilité des documents et de la prise en compte globale de ces

5 documents, de la nécessité de les examiner tous, elle ne fait aucun doute.

6 Elle n'est pas liée directement à cet élément de valeur probante.

7 Monsieur le Président, Me McHenry va m'aider si vous décidez que

8 l'échantillon manuscrit mérite une analyse graphologique. Elle a effectué

9 un certain nombre de recherches sur ce sujet et peut vous en parler.

10 M. Jan (interprétation). - Mais vous n'avez pas à imposer une analyse

11 graphologique, vous pouvez produire un témoin qui connaît cette écriture

12 et qui peut l'identifier.

13 M. Niemann (interprétation). - Oui. Monsieur le Président, il y a un

14 certain nombre de façons dont on peut régler le problème, mais la

15 difficulté que l'accusation va avoir, c'est de trouver des gens pour

16 témoigner sur ce point. Nous avons déjà eu pas mal de problèmes pour

17 obtenir des témoins prêts à déposer sur d'autres sujets. Il y a un certain

18 nombre de complications et c'est en raison de ces complications que des

19 mesures particulières doivent être prises. C'est en raison de ces

20 complications que la Common Law a été amendée par le passé sur un certain

21 nombre de points. Là, je ne parle pas uniquement du droit relatif aux

22 affaires. Il y a pas mal de documents juridiques qui stipulent que si une

23 personne qui a écrit un document n'est pas disponible, ou qu'elle n'est

24 pas à l'intérieur des frontières du pays, d'autres moyens permettent de

25 verser ces documents au dossier. C'est une des dispositions de la Common

Page 7143

1 Law.

2 M. Jan (interprétation). - (Hors micro.)

3 La source d'un document a, bien entendu, un poids, une incidence générale,

4 sur les décisions des juges. Lorsqu'il y a coïncidence entre les

5 différents documents versés, il est possible de déterminer la validité

6 d'un document particulier. Cela dépend d'un certain nombre de facteurs qui

7 peuvent éventuellement concerner d'autres documents.

8 M. Niemann (interprétation). - C'est vrai, en fait vous avez tout à fait

9 raison, Monsieur le Juge, la source du document est le point n° 1, bien

10 entendu, mais ce n'est pas le seul élément qui intervient, en tout cas

11 lorsqu'on parle de recevabilité. L'endroit où a été trouvé le document est

12 une question importante, elle a son poids, mais elle n'est pas la seule.

13 M. le Président (interprétation). - J'ai encore quelques problèmes. Vous

14 dites que le document doit être recevable en l'état, n'est-ce pas. C'est

15 ce que vous dites ?

16 M. Niemann (interprétation). - Oui.

17 M. le Président (interprétation). - Vous avez donc fait certaines

18 allégations. Pourquoi n'établissez-vous pas ces allégations ?

19 M. Niemann (interprétation). - Si nous ne parvenons pas à les établir et

20 si vous n'êtes pas satisfait de notre argumentation, Monsieur le

21 Président, vous pouvez rejeter le document. Mais la question qui se pose à

22 vous, Madame et Messieurs les Juges, c'est de savoir pour quelle raison

23 vous excluriez cet élément de preuve. Traditionnellement, les raisons qui

24 justifient d'exclure un élément versé au dossier sont les éléments que

25 j'ai décrits tout à l'heure. Mais ici, vous n'avez pas de jury,

Page 7144

1 l'accusation fait une allégation, en général elle donne le document au

2 jury et elle le charge de trancher.

3 Ici, nous ne sommes pas dans ce système, donc nous ne sommes pas non plus

4 dans le système traditionnel de la Common Law. Les solutions ne sont pas

5 les mêmes, elles ne s'appliquent pas.

6 Si vous, Madame et Messieurs les Juges, décidez finalement que vous n'êtes

7 pas satisfaits de l'argumentation, que vous ne pensez pas que le document

8 vient de M. Mucic, vous n'avez pas à l'accepter et vous ne vous appuirez

9 pas sur ce document.

10 M. le Président (interprétation). - Mais ce qui est important, ici aussi,

11 c'est que M. Mucic n'a rien dit.

12 M. Niemann (interprétation). - Cela fonctionne dans les deux sens,

13 Monsieur le Président.

14 M. le Président (interprétation). - Il n'a rien dit au sujet de cette

15 lettre. Donc il s'appuie entièrement sur vous pour en établir

16 l'authenticité.

17 M. Jan (interprétation). - Il y a trois étapes : prouver la validité d'un

18 document, sa recevabilité et sa valeur probante. C'est dans cet ordre que

19 ces facteurs doivent être pris. Si vous prouvez que la lettre a été écrite

20 par lui, elle est admissible.

21 M. Niemann (interprétation). - Je ne suis pas sûr qu'il soit nécessaire de

22 prouver d'abord qu'elle a été écrite par lui.

23 M. Jan (interprétation). - Mais c'est la preuve de l'identité du document.

24 M. Niemann (interprétation). - Le document est un document en tant que

25 tel.

Page 7145

1 M. Jan (interprétation). - Que ce document appartient à telle ou telle

2 personne ou qu'il émane de telle ou telle personne.

3 M. Niemann (interprétation). - A des fins de recevabilité, vous avez tout

4 à fait raison, Monsieur le Juge.

5 M. Jan (interprétation). - La deuxième étape, c'est la recevabilité.

6 Troisième étape : si le document est recevable, quelle en est la valeur ?

7 Mais il faut d'abord régler la première étape. Une lettre ne fait pas

8 partie d'un dossier de travail. C'est une lettre envoyée par une personne

9 qui est censée être Pavo et vous l'avez montrée comme étant une lettre de

10 l'accusé.

11 M. Niemann (interprétation). - Je devrais citer M. Mucic ?

12 M. Jan (interprétation). - Pas nécessairement, mais quelqu'un qui connaît

13 son écriture peut être cité à la barre pour dire que cette lettre a été

14 écrite par lui. Vous n'avez pas besoin de développer des arguments sur ce

15 point.

16 M. Niemann (interprétation). - Monsieur le Juge, je parle d'abord du droit

17 traditionnel qui me semble être la base de départ de notre raisonnement.

18 La façon dont le droit traite traditionnellement des éléments de preuve en

19 Common Law consiste à citer les auteurs de la lettre.

20 M. Jan (interprétation). - Bien sûr, vous pouvez le faire. Mais il s'agit

21 d'un document isolé, dont vous alléguez qu'il est écrit par lui. Vous

22 devez donc prouver que c'est bien lui qui en est l'auteur.

23 M. Niemann (interprétation). - C'est sur la base du contenu qu'il est

24 possible de le faire. La lettre a été adressée à une personne déterminée.

25 Celle-ci sait de qui provient cette lettre. Tous les facteurs prouvent

Page 7146

1 qu'elle émane de l'accusé.

2 M. Jan (interprétation). - Cette personne a aussi dit ne pas connaître

3 l'écriture employée dans la lettre. C'était l'une des questions qui se

4 posait.

5 M. Niemann (interprétation). - Mais cette personne connaissait celle qui a

6 écrit la lettre.

7 M. le Président (interprétation). - La personne oui, mais pas l'écriture.

8 M. Niemann (interprétation). - Monsieur le Président, nous n'avons aucun

9 doute quant à l'expérience que vous pouvez appliquer à l'évaluation de

10 cette lettre.

11 M. Jan (interprétation). - Je reçois régulièrement des lettres de

12 quelqu'un et je peux dire si je reconnais son écriture ou pas, si cette

13 lettre émane de cette personne ou pas. C'est donc un test qui peut

14 satisfaire tout le monde.

15 M. Niemann (interprétation). - Peut-être puis-je être autorisé...

16 M. le Président (interprétation). - Je suppose que Me McHenry va traiter

17 de ce point très utilement.

18 M. Niemann (interprétation). - Puis-je vous donner un exemple, Monsieur le

19 Président ? Si je reçois une lettre d'une écriture que je connais ou que

20 je ne connais pas, mais qui traite de sujet que je connais et qui vient

21 d'une personne que je connais, tous ces indices suffisent à me faire

22 penser que la lettre est bien écrite par cette personne.

23 Je peux faire toutes sortes de choses avec cette lettre, mais je ne vais

24 pas commencer par dire : je ne peux pas utiliser cette lettre à telle et

25 telle fin parce que je ne peux pas prouver qu'elle émane de M. ou de

Page 7147

1 Mme X.

2 Dans la vie quotidienne, on se fonde d'abord sur le contenu, sur les

3 sujets abordés, sur la pertinence de ces sujets, sur des éléments cités

4 dans la lettre qui peuvent appartenir à la vie privée, à la connaissance

5 privée de telle ou telle personne. Voilà les questions qui interviennent.

6 On examine tout cela et on établit un indice de fiabilité.

7 Vous pouvez dire : "Est-ce que je suis prêt à donner à quelqu'un

8 200.000 florins sur la base de ce qui est dit dans cette lettre ? Bien sûr

9 que non. Mais il y a ensuite, après la preuve de l'identité de l'auteur,

10 d'autres choses qui interviennent, et notamment devant ce Tribunal.

11 Lorsque ce document est versé au dossier, Monsieur le Président, vous

12 pouvez exprimer toutes sortes de suspicions et, à très juste titre peut-

13 être, vous pouvez même passer à l'étape suivante.

14 Il y a une deuxième étape, c'est-à-dire comparer le document avec

15 l'ensemble des éléments de preuve qui ont déjà été versés au dossier.

16 Cette deuxième étape vous permet de traiter d'autres sujets et de citer un

17 témoin à la barre qui va dire par exemple : "M. Pavo ? je le connais très

18 bien. Oui, je reconnais son écriture : c'est bien lui qui a écrit cette

19 lettre". A ce moment-là, l'élément de preuve est tout à fait satisfaisant.

20 L'accusé lui-même pourrait le faire, mais il est peu probable qu'il le

21 fera. A défaut, un expert en graphologie peut venir, comparer cette lettre

22 à d'autres éléments versés au dossier et dire si c'est bien cette personne

23 qui a écrit cette lettre.

24 Il y a donc toutes sortes de manières de prouver l'identité de l'auteur de

25 la lettre. Cela n'a pas grand-chose à voir avec la recevabilité. Ce n'est

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1 pas le seul élément qui intervient. Ce qui intervient, dans notre système

2 judiciaire, c'est l'indice de fiabilité que l'on peut accorder à tel ou

3 tel document. A mon avis, cet indice existe dans le cas qui nous

4 intéresse. A moins que je ne puisse vous aider davantage, Me McHenry

5 pourra prendre la parole sur le problème de la graphologie.

6 M. le Président (interprétation). - J'ai quelques problèmes en ce qui

7 concerne le respect de l'article 89 et les dispositions permettant

8 d'assurer un procès équitable parce que nous sommes ici face à un problème

9 d'éléments de preuve. Il ne faut donc pas agir de façon préjudiciable à

10 l'accusé en recevant un document qui ne devrait pas être admissible. Si

11 vous regardez le petit d, il faut penser aux différentes manières

12 d'établir qu'un élément de preuve ne nuit pas à l'accusé.

13 M. Niemann (interprétation). - Monsieur le Président, la détermination de

14 ce qui permet un procès équitable vous appartient entièrement. A mon avis,

15 il est impossible de penser que vous seriez subjectif au point d'ignorer

16 un élément de preuve.

17 M. le Président (interprétation). - Mais il y a là un pouvoir

18 discrétionnaire qui nous permet, le cas échéant, d'exclure un élément de

19 preuve.

20 M. Niemann (interprétation). - Monsieur le Président, la raison pour

21 laquelle vous pourriez exclure ce document résiderait dans son effet

22 préjudiciable à l'accusé. Et la majeure partie des éléments de preuve que

23 l'accusation estime être préjudiciables...

24 M. le Président (interprétation). - Si vous pouvez déterminer la nature du

25 document, si quelqu'un peut prouver que la signature a été impossible à

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1 falsifier et qu'elle ne peut provenir que d'une seule personne, alors vous

2 établissez la valeur probante. Sinon, il sera difficile à quiconque

3 d'accepter l'authenticité de ce document.

4 M. Niemann (interprétation). - Il peut être difficile d'accorder ce genre

5 de poids à ce document ; en tout cas le poids que vous souhaitez lui

6 accorder dans les conditions où vous souhaitez le lui accorder.

7 J'affirme qu'il est très instructif de relire l'article 89/e parce que les

8 mots "élément de preuve" figure à l'article 89/e. Donc, cela concerne un

9 élément qui a été porté à la connaissance des Juges pendant le cours du

10 procès et qui doit être évalué par les Juges. Vous avez quelque inquiétude

11 au sujet de la fiabilité. Vous avez, bien entendu, le pouvoir de vérifier

12 la fiabilité des documents qui vous sont soumis. En tout cas, l'élément de

13 preuve est utilisé dans l'article 89.

14 M. le Président (interprétation). - Tout ne dépend pas des circonstances.

15 M. Niemann (interprétation). - Oui, Monsieur le Président, mais vous

16 pouvez exiger une vérification de l'authenticité d'un élément de preuve.

17 C'est cela qui fait la nature même d'un document. Ce serait peu probable,

18 à mon avis, mais vous pouvez exiger de vérifier quelque chose avant que ce

19 quelque chose devienne un élément de preuve, donc passe du stade

20 "document" au stade "élément de preuve".

21 Je dis que c'est sans doute peu probable, mais vous pouvez exiger la

22 vérification de ce que nous demandons à verser au dossier. Vous pouvez

23 aussi l'exclure complètement ou bien décider que cet élément de preuve a

24 un poids, une incidence, une importance très faible.

25 A mon avis, le paragraphe e de l'article 89 apporte de l'eau à mon

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1 moulin : c'est-à-dire que c'est après qu'un document a été versé au

2 dossier que les Juges ont la possibilité d'en évaluer le pouvoir de

3 conviction. Donc, ce n'est pas uniquement un problème de recevabilité.

4 Vous ne portez préjudice à personne en examinant la lettre. Moi, j'ai

5 toute confiance dans le fait que vous allez accorder aux accusés un procès

6 équitable. J'ai toute confiance, Monsieur le Président, dans le fait que

7 vous n'allez pas dire : "Eh bien, ce document ne nous paraît pas très

8 fiable. Pourtant, nous allons l'utiliser pour former notre conviction,

9 indépendamment du fait que nous ne sommes pas satisfaits de la qualité de

10 sa fiabilité". Vous n'allez pas agir de la sorte, Monsieur le Président,

11 vous allez remplir vos fonctions, les fonctions qui vous sont dévolues, et

12 accorder à cet accusé un procès équitable.

13 M. le Président (interprétation). - J'attire votre attention sur les

14 dispositions qui permettent de limiter la possibilité pour l'accusation de

15 produire telle ou telle pièce.

16 M. Niemann (interprétation). - A mon avis, même si le 89/e confirme déjà

17 complètement mes dires, il y a aussi le 89/a. Il y a d'abord l'application

18 des règles nationales ; il ne faut pas les confondre avec les autres.

19 M. le Président (interprétation). - Elles s'appliquent, mais pas

20 nécessairement. Il est possible qu'elles s'appliquent. Elles ne sont pas

21 exclues.

22 M. Niemann (interprétation). - Mais elles ne peuvent pas être

23 obligatoires. Elles ont juste une certaine valeur.

24 M. Jan (interprétation). - Les règles techniques, mais pas les règles.

25 M. le Président (interprétation). - Parce qu'il est dit : "Tout article du

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1 Règlement régissant les éléments de preuve doit être propre à parvenir à

2 un règlement équitable de la cause", fermez les guillemets.

3 M. Niemann (interprétation). - Et qui soit conforme à l'esprit du Statut.

4 M. Jan (interprétation). - Les règles de prudence.

5 M. Niemann (interprétation). - Effectivement, les règles de prudence,

6 Monsieur le Président, laissent à penser qu'une lettre écrite par une

7 personne, signée par cette personne, et reçue par un témoin au cours d'un

8 procès, donc évoquée au cours du procès, peut être utilisée à diverses

9 fins. Je ne vais pas entrer dans le détail, ni développer tous les

10 arguments, mais si une lettre a été signée par une personne qui a un

11 surnom, à mon avis, il faut en établir l'autorité dans ce procès. Cette

12 lettre peut avoir un indice de fiabilité important.

13 M. le Président (interprétation). - Mais ne dirions-nous pas : "devrait

14 avoir une grande portée" ?

15 M. Niemann (interprétation). - A moi, cela suffit d'utiliser les termes

16 que vous jugerez bons, Monsieur le Président. Si ces mots doivent être

17 utilisés, ils seront utilisés, mais...

18 M. le Président (interprétation). - C'est le mot exact ; "Il convient de"

19 est le mot exact, jusqu'à ce que l'élément de preuve ait été établi.

20 M. Niemann (interprétation). - Selon les termes que vous avez utilisés,

21 Monsieur le Président, ce document doit être admissible. Il peut y avoir

22 d'autres questions à traiter : l'identité de l'auteur, l'authenticité de

23 la lettre, effectivement. Si vous pensez que c'est nécessaire, cela pourra

24 être fait. J'affirme que tout cela n'a pas grand-chose à voir avec la

25 recevabilité. Je vous ai fourni un certain nombre d'arguments, Madame et

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1 Messieurs les Juges.

2 La défense affirme que, dans ces conditions, il est impossible d'avoir un

3 procès équitable. Nous disons que ce n'est pas exact. Les Juges peuvent

4 prendre en compte ce document et ensuite en évaluer la valeur probante ou

5 le poids qu'il convient de lui accorder. Si le document n'est pas fiable,

6 le Tribunal sera tout à fait en mesure de ne pas le prendre en compte.

7 Il y a d'abord l'élément de preuve. L'article 89/e, à notre avis, vous

8 donne l'occasion, Madame et Messieurs les Juges, de dire à l'accusation et

9 à la défense : "Le niveau d'authenticité requis n'a pas été atteint et la

10 fiabilité nécessaire n'est pas garantie, donc nous décidons de prendre en

11 considération cet élément de preuve ou de l'exclure".

12 Souhaitez-vous que je traite du problème de la graphologie, Monsieur le

13 Président ?

14 M. le Président (interprétation). - Si vous le faites toujours intervenir,

15 allez-y.

16 M. Niemann (interprétation). - Oui, nous le faisons toujours intervenir.

17 M. le Président (interprétation). - Nous pourrions avoir une pause et

18 reprendre à midi.

19 L'audience, suspendue à 11 heures 25, est reprise à 12 heures 05.

20 M. le Président (interprétation). - Maître McHenry, je vous en prie.

21 Mme McHenry (interprétation). - Merci, Madame et Messieurs les Juges. Je

22 vais tâcher d'être extrêmement concise et, d'une façon générale, de

23 m'appuyer sur ce qui figure dans notre requête écrite.

24 Avant tout, je voudrais essayer d'éclaircir un peu les choses, en

25 particulier parce qu'il me semble que ma demande d'obtenir un échantillon

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1 d'écriture a peut-être été à l'origine de tout ce débat.

2 L'accusation n'a, en aucun cas, abandonné certains de ses arguments selon

3 lesquels ce Tribunal a le pouvoir de demander à un accusé qu'il fournisse

4 un échantillon d'écriture. Je vais aborder ce problème dans un instant.

5 Dans sa requête, l'accusation a, dès le départ, dit et continue

6 aujourd'hui à dire qu'un échantillon d'écriture n'est pas et ne peut pas

7 être utile quand il s'agit de décider si un document est recevable ou pas.

8 L'accusation pense notamment qu'au titre de l'article 89 du Règlement de

9 preuve et de procédure, et d'après les décisions de cette Cour, en

10 particulier la décision Tadic, dans laquelle cela est dit, elle n'a pas à

11 prouver l'authenticité d'un élément de preuve, qu'il s'agisse d'un

12 document, d'une déclaration d'ouï-dire ou d'autres documents, afin que ce

13 document soit versé au dossier.

14 Des indices prouvent que ces documents sont fiables. Dans ce cas précis,

15 il existe des indices qui nous permettent d'affirmer que ce document est

16 bien ce qu'il est, c'est-à-dire une lettre provenant de l'accusé,

17 M. Mucic. Je ne vais pas revenir, une fois encore, sur ce qui figure déjà

18 dans notre requête écrite, mais dans ce cas précis, outre le fait que ce

19 document est signé du nom : "Pavo", il fait état de documents qui sont

20 connus à la fois de l'accusé et de l'auteur de ces documents. Il fait

21 mention d'une déclaration de témoin qui n'a pas été diffusée au grand

22 public. Il nous donne sa propre adresse à La Haye. Il me semble que cela

23 suffit à ce que ce document soit admis.

24 L'accusation sera certainement d'accord avec le fait que cet indice de

25 recevabilité ne prouve pas ou n'est pas une preuve, au-delà de tout doute

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1 raisonnable, que cette lettre a été écrite par l'accusé. Nous disons que

2 nous n'avons pas besoin de prouver cela de cette manière et que ce n'est

3 même pas normal, d'après les règles de ce Tribunal, de devoir prouver cela

4 au-delà de tout doute raisonnable, dans ce cas-ci ou dans des cas

5 similaires.

6 C'est d'ailleurs ce qui s'est passé dans le cadres des débats d'hier. Des

7 documents ont été finalement acceptés par la défense et vous, Madame et

8 Messieurs les juges, vous les avez admis à la demande de la défense.

9 Une preuve, au-delà ou quasi au-delà de tout doute raisonnable, peut être

10 pertinente quand il s'agit d'évaluer la valeur d'un document. Dans le cas

11 de la lettre de M. Mucic, au moment où il a été admis ou s’il est admis,

12 l'accusation ou le Tribunal peut, au titre de l'article 54 et de

13 l'article 89/e du Règlement de preuve et de procédure, demander à l'accusé

14 de fournir un échantillon d'écriture.

15 Je vais essayer d'être brève et ne pas trop prolonger cet argument. Mais

16 nous pensons qu'il faut absolument aborder ce problème. D'après

17 l'article 54, ce Tribunal a le droit de demander à un accusé de fournir ce

18 type d'échantillon. Il est notamment stipulé que la Chambre peut délivrer

19 des ordonnances ou des citations à comparaître ou d'autres choses

20 nécessaires aux fins de l'enquête, de la préparation ou de la conduite du

21 procès. C'est un article qui est extrêmement vaste et il est vrai que,

22 dans le cadre de cet article, la Chambre ne peut pas demander à l'accusé

23 de faire des choses qui l'incriminent lui-même ou qui le poussent à avouer

24 quoi que ce soit.

25 Dans tous les systèmes... Dieu sait que nous avons parlé des différences

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1 de fonctionnement des différents systèmes, Dieu sait si nous avons dit que

2 certains systèmes acceptent certaines choses alors que d'autres pas :

3 certains systèmes acceptent des éléments sans que rien n'ait besoin d'être

4 prouvé.

5 Mais, dans aucun de ces systèmes, il n'est dit que le fait de demander un

6 échantillon d'écriture à un accusé, c'est demander à l'accusé de

7 s'incriminer lui-même ou d'avouer quoi que ce soit. Un échantillon

8 d'écriture, c'est simplement un problème d'identification, c'est un

9 élément permettant d'identifier quelque chose. Le Tribunal a le droit de

10 demander que des empreintes digitales soient données, que des photos

11 soient prises de l'accusé parce que tous ces éléments sont des éléments

12 permettant d'identifier des documents ou d'autres choses. Cela n'a rien à

13 voir avec le fait que l'accusé soit poussé à s'incriminer lui-même ou à

14 avouer toute culpabilité. Voici un certain nombre d'exemples que je vous

15 donne qui prouvent que cette Chambre, au titre de l'article 54 a le droit

16 de demander une telle chose, des choses qui permettent d'identifier des

17 documents. Parmi ces choses-là, il y a des échantillons d'écriture.

18 M. Jan (interprétation). - Je ne suis pas absolument certain de ce que

19 vous dites, parce que l'article 54 est effectivement extrêmement vaste et

20 sa formulation assez floue. On ne peut absolument pas en conclure de

21 quelle façon il affecte les droits accordés à l'accusé. Je pense qu'il a

22 le droit de garder le silence et, lorsque le Tribunal demande à l'accusé

23 un échantillon d'écriture, ce droit de garder le silence n'est-il pas

24 violé ?

25 Mme McHenry (interprétation). - En aucun cas, Monsieur le Juge. Si vous

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1 demandiez à l'accusé d'écrire ce qui s'est passé en un jour précis, si

2 dans ses propres mots l'accusé devait expliquer ce qui s'était passé, si

3 vous demandiez donc à l'accusé de formuler quelque chose dans ses propres

4 mots, peut-être alors la question se poserait-elle. En l'occurrence, on

5 lui demandera d'écrire des mots, certains mots, mais cela dans le but

6 unique de permettre l'identification d'un document.

7 Tout comme vous pourriez procéder, Madame et Messieurs les Juges, lors

8 d'une identification de suspect, comme c'est très courant dans différents

9 systèmes : les Juges demandent à divers accusés de se tenir en ligne afin

10 que quelqu'un puisse reconnaître un suspect.

11 M. Jan (interprétation). - (Hors micro.)

12 Il n'est pas question ici de savoir s'il s'incrimine lui-même. Il a le

13 droit de rester silencieux ; c'est de cela que je parle.

14 Mme McHenry (interprétation). - Avant toute chose, Monsieur le Président,

15 je voudrais dire que notre Statut stipule bien que l'accusé n'a pas à

16 s'incriminer lui-même ou à avouer quelque culpabilité que ce soit. C'est

17 exact.

18 Mais, dans certains systèmes, les accusés ont des droits parfois très

19 vastes et très spécifiquement décrits. Ce n'est pas le cas ici, dans ce

20 Tribunal. Dans le Statut qui régit ce Tribunal, il est dit que l'accusé

21 n'a pas à s'incriminer lui-même, n'a pas à témoigner contre lui-même, ni à

22 avouer quelque culpabilité que ce soit. Ce sont les mots qui figurent dans

23 le Statut qui régit ce Tribunal. Il me semble que dans ces mots qu'il faut

24 interpréter, ce Statut qu'il faut interpréter, il n'y a rien dans ce

25 Statut du Tribunal qui viole en quoi que ce soit le droit international ;

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1 cela a été dit à plusieurs reprises.

2 Cela a été dit également dans le cadre de la Cour européenne des droits de

3 l'homme. Cette Cour a déclaré que le fait de demander à un accusé de

4 fournir certains éléments, par exemple un échantillon d'écriture, ne

5 consiste en aucun cas à une violation des droits de l'accusé.

6 M. le Président (interprétation). - Dans votre requête, il est dit que

7 l'on pourrait exiger de lui qu'ils fournisse un élément de preuve qui

8 pourrait être utilisé contre lui et ce, même s'il ne souhaite pas le

9 faire.

10 Mme McHenry (interprétation). - Il est exact que l'accusation déclare que

11 l'accusé peut recevoir l'ordre du Tribunal de coopérer en fournissant

12 quelque chose qui permette d'identifier un document. Par exemple, si un

13 accusé désirait se couvrir la tête d'un sac de papier afin qu'un témoin ne

14 puisse pas le regarder ni le voir, vous, Madame et Messieurs les Juges,

15 seriez en droit de laisser le témoin procéder de cette façon-là. Vous

16 pourriez également demander...

17 M. le Président (interprétation). - Voilà l'hypothèse que je soumets : le

18 Tribunal peut-il demander à un accusé de fournir des éléments de preuve

19 qui peuvent être utilisés contre lui, même s'il a en même temps le droit

20 de garder le silence ?

21 Mme McHenry (interprétation). - Monsieur le Président, il me semble que,

22 d'après ce que dit le Statut, la Chambre de première instance a le droit

23 de donner l'ordre à un accusé... Je me reprends : ce n'est pas ce que dit

24 expressément le Statut, mais il n'y a rien dans le Statut, ni dans la

25 lettre du droit international, qui puisse empêcher cette Chambre de donner

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1 l'ordre à un accusé de coopérer et de fournir des éléments qui permettent

2 de procéder à une identification de document, même si cela peut être

3 utilisé contre lui.

4 Les droits fondamentaux du témoin sont de ne pas avoir à s'incriminer lui-

5 même ; on ne peut pas le forcer à confesser quoi que ce soit ou à avouer

6 quoi que ce soit. Mais un accusé, par exemple, peut faire partie d'une

7 séance de reconnaissance par des témoins, une reconnaissance de suspects ;

8 un témoin peut être pris en photo, peut avoir à fournir des empreintes

9 digitales et des échantillons d'écriture. Il s'agit là de mesures qui

10 permettent d'identifier certains éléments de preuve.

11 Au centre des droits de l'accusé, il y a l'idée selon laquelle on ne peut

12 pas forcer quelqu'un à donner des arguments qui pourraient se retourner

13 contre lui, à avouer quelque chose. C'est bien ce qui est au coeur des

14 droits de l'accusé. C'est extrêmement clair dans notre Statut : c'est fort

15 bien formulé. Oui, l'accusation est convaincue du fait que la Chambre de

16 première instance peut, en toute occasion, demander à un accusé de fournir

17 un échantillon d'écriture, même si, après examen de cet échantillon

18 d'écriture par un expert, il est possible que cet échantillon soit utilisé

19 contre l'accusé.

20 M. le Président (interprétation). - Je vous remercie infiniment,

21 Me McHenry.

22 Mme McHenry (interprétation). - Je vous remercie, Monsieur le Président.

23 M. Greaves (interprétation). - Mes arguments seront beaucoup plus brefs

24 que ceux présentés par l'accusation, Madame et Messieurs les Juges.

25 Avant toute chose, je vais remercier Monsieur Niemann et le féliciter pour

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1 le tour de force dont il vient de faire preuve : tout ce qu'il vient de

2 nous dire sur les juridictions nationales et internationales. Certains

3 d'entre nous sont au courant de tout ce qu'il nous a dit, mais d'autres

4 ont pu découvrir un certain nombre d'éléments ce matin. Il s'est livré à

5 un exercice digne de louanges. Mais mon approche sera toute différente de

6 la sienne.

7 Je pense qu'il faut que la Cour adopte un point de vue bien différent. Je

8 vais décevoir M. Niemann, mais je vais vous demander de vous en référer à

9 la lettre des systèmes de Common Law : je vais vous demander de vous

10 référer au droit qui régit le système juridique de la Grande-Bretagne et

11 du Pays de Galles. Je ne vais pas vous demander de suivre la lettre de la

12 loi australienne, ni de suivre la lettre de la loi telle qu'elle est

13 appliquée par la Cour internationale de Justice. Je ne vais pas vous

14 demander de vous référer à ce qui a été dit dans le cadre des procès de

15 Nuremberg. Je vous demande de respecter les règles et les lois établies

16 par ce Tribunal, qui figurent dans le Statut et le Règlement de preuve et

17 de procédure, règles qui d'après moi sont une concentration et un mélange

18 de tous les différents systèmes juridiques qui existent. Je ne pense pas

19 seulement à des systèmes de loi précis, mais aussi à toute la

20 jurisprudence qui a pu être tirée, par exemple, de procès tels que celui

21 de Nuremberg.

22 Je n'étais pas encore membre de ce Tribunal lorsqu'ont eu lieu vos

23 délibérations concernant le Règlement et le Statut de ce Tribunal. Peut-

24 être qu'effectivement, lors de ces délibérations, on a passé en revue les

25 différentes juridictions, les différents systèmes juridiques. Peut-être

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1 que des parties d'entre eux ont été considérées comme pouvant être utiles

2 à ce Tribunal. Mais je pense qu'il faut absolument que le Tribunal

3 s'appuie avant tout sur son Statut, sur ses Règles de fonctionnement, qui

4 sont la quintessence de tout ce qui a pu être tiré des différents systèmes

5 juridiques et des différentes expériences de fonctionnement des systèmes

6 juridiques.

7 Je voudrais aborder un point en particulier, notamment en ce qui concerne

8 la charge de la preuve et les critères en matière d'éléments de preuve.

9 Puis-je me permette de vous rappeler, Madame et Messieurs les Juges, ce

10 que dit l'article 87 du Règlement de preuve et de procédure.

11 Mon éminent collègue, Me Niemann, a essayé de vous dire qu'il fallait

12 élargir les critères de preuves sur lesquelles s'appuie ce Tribunal.

13 Puis-je brièvement dire la chose suivante ? L'accusation a déclaré que la

14 lettre dont ils disent qu'elle a été écrite par M. Mucic prouve la

15 culpabilité de ce dernier. C'est ce qu'ils disent. Je vais aborder cette

16 question en profondeur, si vous m'en donnez l'autorisation.

17 Ce qu'ils disent, c'est que cette lettre prouve la culpabilité de

18 M. Mucic. Puis-je vous rappeler, Madame et Messieurs les Juges,

19 l'article 87 que chacun connaît, afin que le public qui se trouve à

20 l'extérieur, dans la galerie, puisse savoir ce qu'il dit.

21 L'article 87 a dit la chose suivante : "Lorsque les deux parties ont

22 terminé leur présentation de l'affaire, le Juge qui préside la Chambre

23 peut déclarer que la session est levée et la Chambre de première instance

24 peut ensuite délibérer à huis clos. C'est un partage extrêmement

25 important. L'accusé n'est déclaré coupable que lorsque la majorité de la

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1 Chambre de première instance considère que la culpabilité de l'accusé a

2 été prouvée au-delà de tout doute raisonnable".

3 J'ai donné un exemple extrêmement rapide, un exemple qui explique pourquoi

4 l'accusation dit que cette lettre prouve la culpabilité de M. Mucic.

5 A la page 6 de la requête de l'accusation, on trouve à peu près à un tiers

6 de la page : "Les contenus de cette lettre sont très importants pour

7 prouver un certain nombre de questions soulevées dans cette affaire,

8 questions relatives à la culpabilité ou à l'innocence de l'accusé,

9 M. Mucic".

10 Dans ma requête, je dis respectueusement la chose suivante : les critères

11 en matière de recevabilité d'éléments de preuve sont des critères qui

12 s'appliquent à tous les éléments que l'accusation cherche à prouver,

13 notamment en ce qui concerne la capacité de l'accusation à prouver que

14 l'accusé est coupable.

15 Je vous invite, Madame et Messieurs les Juges, à rejeter les arguments

16 présentés par l'accusation selon lesquels il faudrait appliquer des

17 critères de recevabilité de preuve plus larges à ces documents dont il

18 cherche à prouver la valeur. Je vous invite à rejeter tous les arguments

19 présentés par l'accusation.

20 Vous avez peut-être eu l'impression que l'accusation n'était pas très à

21 l'aise avec l'idée qu'il fallait prouver des choses au-delà de tout doute

22 raisonnable, et vous vous êtes peut-être penchés sur cette attitude de

23 l'accusation. Peut-être est-il tout à fait difficile, parfois, de prouver

24 que quelque chose est vrai au-delà de tout doute raisonnable, mais

25 malheureusement, c'est ainsi que la loi fonctionne.

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1 Je vous demande de suivre les lois et les règlements de ce Tribunal.

2 Pourquoi ? Je vais me référer à la décision Tadic. Dans celle-ci,

3 notamment le paragraphe qui concerne l'ouï-dire, les critères concernant

4 la recevabilité des éléments de preuve sont clairement établis. Puis-je

5 vous citer ce qu'a dit le Juge Stephen, un éminent juriste australien qui

6 s'est penché sur cette question ? Il a dit, à la page 4 de son jugement

7 dans l'affaire Tadic - et il parlait de l'article 89d : "Il faut noter que

8 dans l'alinéa d de l'article 89, que si de fait cet article peut

9 s'appliquer à certains problèmes de ouï-dire, il ne peut en aucun cas se

10 limiter à ces questions de ouï-dire.

11 Dans ma requête, j'explique clairement que la requête fournie par

12 l'accusation et ce qu'elle dit concernant les éléments de preuve qui sont

13 des documents est pertinent non pas seulement pour ceux qui apprécient

14 mais pour l'ensemble des débats qui seront soumis à la décision de cette

15 Chambre.

16 Peut-être que d'autres conseils de la défense auront quelque chose à

17 ajouter quant à l'application générale de cette loi, et non pas seulement

18 concernant l'affaire qui nous réunit ici aujourd'hui.

19 Je souhaiterais ne pas revenir sur des chemins qui ont été abondamment

20 parcourus, mais je pense qu'il est important que nous nous souvenions de

21 ce qui a été dit dans le cadre de la décision Tadic concernant les

22 questions d'ouï-dire.

23 Dans ma requête, je parle de l'article 89 du Règlement de preuve et de

24 procédure. Puis-je vous rappeler brièvement, Madame et Messieurs les

25 Juges, la terminologie de cet article ? Je vais à nouveau le lire, si vous

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1 le souhaitez. Je pense que vous m'excuserez de prendre cette liberté. Il y

2 a un certain nombre de dispositions générales qui sont très importantes,

3 dans les paragraphes c, d, et e de l'article 89.

4 L'article 89 dit la chose suivante : "La Chambre peut recevoir tout

5 élément de preuve pertinent qu'elle estime avoir valeur probante. La

6 Chambre peut exclure tout élément de preuve dont la valeur probante est

7 largement inférieure à l'exigence d'un procès équitable.

8 Paragraphe e : La Chambre peut demander à vérifier l'authenticité de tout

9 élément de preuve obtenu hors audience".

10 Il y a donc quatre étapes qu'il faut absolument respecter lorsqu'il s'agit

11 de prouver la recevabilité des éléments de preuve. Bien évidemment, il y a

12 de nombreux éléments de preuve. Il est difficile de savoir quels sont les

13 éléments qui sont réellement admissibles, quels sont les éléments

14 réellement pertinents, quels sont ceux qui ont une réelle valeur

15 probatoire. Il est difficile de savoir s'il faut les exclure ou non.

16 Je suppose que dans plus de 9/10ème des cas, tous les éléments présentés

17 devant la Cour vont être admis et la défense n'aura pas d'objection à

18 formuler. Mais il y a également certains éléments de preuve qui sont

19 contestables et je déclare les choses suivantes.

20 La première question que je pose est celle-ci : est-ce que l'élément de

21 preuve qu'on cherche à faire verser est digne de foi ? Si la réponse est

22 non, cet élément de preuve doit être exclu, si la réponse est oui, alors

23 on peut passer à la deuxième étape.

24 La question suivante est celle-ci : si cet élément de preuve est digne de

25 foi, est-il pertinent ? S'il n'est pas pertinent, il ne peut pas être

Page 7164

1 admis au titre de l'article 89c du Règlement de preuve et de procédure et

2 par conséquent il doit être exclu. Mais si la réponse à cette question est

3 oui, si cet élément est pertinent, la prochaine question qui se pose est

4 celle-ci : a-t-il une valeur probante ? S'il n'a pas de valeur probante,

5 alors une fois de plus il ne peut pas être admis parce que le Règlement

6 exige que vous, Madame et Messieurs les Juges, vous déclariez que cet

7 élément de preuve a une valeur probatoire. Sinon, il ne peut pas être

8 admis.

9 S'il n'a pas de valeur probatoire, alors il peut potentiellement être

10 admis, mais - et c'est la quatrième étape qu'il faut aborder- dans ce

11 cas-là, doit-il ou non être exclu au titre de l'article 89d ou de

12 l'article 95.

13 Donc dans ma requête, ce sont les critères dont je demande qu'ils soient

14 respectés en ce qui concerne la recevabilité des éléments de preuve. Comme

15 je l'ai dit, la plupart des éléments de preuve passent ces trois premières

16 étapes sans aucun problème.

17 M. le Président (interprétation). - Mais vous placez la question de la

18 recevabilité au-dessus de tous les autres problèmes ?

19 M. Greaves (interprétation). - Permettez-moi de continuer. Si jamais

20 toutes ces étapes sont franchies avec succès...

21 M. le Président (interprétation). - Avant la question de la pertinence ?

22 M. Greaves (interprétation). - Oui, parce que si l'argument n'est pas

23 digne de foi, alors dans ma requête pas aborder la question de la

24 recevabilité. Donc je vais en venir au paragraphe de la décision que j'ai

25 fait figurer dans ma requête.

Page 7165

1 Une fois que cela est admis, c'est alors et seulement alors que vous,

2 Madame et Messieurs les Juges, en tant que personnes jugeant de la

3 validité des faits, pouvez juger du poids à donner à cet élément de

4 preuve. Enfin, et si vous en décidez ainsi, il faut en venir à une

5 cinquième étape qui est celle qui consiste à évaluer la qualité et le

6 poids des éléments de preuve présentés.

7 Puis-je vous rappeler ce qui figure aux paragraphes 15, 16 et 19 de la

8 décision principale, la décision Tadic ? Je cite le paragraphe 15 : "La

9 Chambre de première instance est tenue par son Règlement qui exige

10 implicitement que la recevabilité d'un élément de preuve soit prouvée afin

11 d'être admis. Si l'élément de preuve versé n'est pas digne de foi, il ne

12 peut en aucun cas être considéré comme ayant valeur probatoire. Il doit

13 être exclu au titre de l'alinéa c de l'article 89 du Règlement de preuve

14 et de procédure.".

15 Les Juges éminents qui ont pris cette décision disent qu'il faut d'abord

16 juger de la recevabilité d'un élément de preuve. On ne peut pas aller au-

17 delà de cette étape. S'il ne passe pas ce test de la recevabilité, il doit

18 être exclu.

19 La décision poursuit : "Par conséquent, même sans l'existence d'une règle

20 spécifique qui exclut l'admissibilité d'éléments considérés comme des

21 éléments d'ouï-dire, la Chambre de première instance peut exclure des

22 éléments de preuve qui ne satisfont pas aux conditions de valeur

23 probatoire parce qu'ils sont considérés comme non fiables. La question qui

24 consiste à déterminer si, oui ou non, un élément de preuve a valeur

25 probatoire, dans le cadre de ce qui est dit à l'alinéa c de l'article 89,

Page 7166

1 devrait être un critère minimal qui est celui de savoir si l'élément de

2 preuve est fiable ou non."

3 A ce moment précis de cette décision, il y a une note de bas de page. Je

4 vais le lire : "L'article 95 se penche sur les méthodes qui ont présidé à

5 l'obtention d'éléments de preuve et qui permettent de dire si oui ou non,

6 il faut exclure ces éléments de preuve, si celui-ci n'est pas fiable."

7 Puis-je vous rappeler que la décision que vous avez émise, en relation à

8 l'admissibilité des entretiens dont il est fait question à l'article 95,

9 abordait précisément cette question ?

10 Au paragraphe 16 de la décision Tadic, il est dit : "En évaluant la valeur

11 probante des preuves obtenues par ouï-dire, la Chambre doit accorder une

12 attention particulière aux indices de sa fiabilité. En parvenant à cette

13 détermination, la Chambre de première instance peut considérer si la

14 déclaration a été faite volontairement - cela parle des déclarations

15 orales- si cette déclaration est vraie et si elle est digne de confiance."

16 Là encore, je crois que le premier élément est la fiabilité. Si ce cela ne

17 peut pas être prouvé, la preuve ne peut pas être admise.

18 Paragraphe 19 : "En décidant si, oui ou non, les moyens de preuves obtenus

19 par ouï-dire seront exclus, la Chambre de première instance déterminera si

20 les moyens de preuve sont pertinents et ont valeur probante en se basant

21 sur sa fiabilité. Ce faisant, la Chambre de première instance entendra à

22 la fois les circonstances dans lesquelles les moyens de preuves ont été

23 recueillis ainsi que le contenu de cette déclaration. La Chambre de

24 première instance pourra être guidée, mais ne sera pas liée par les

25 exceptions d'ouï-dire, généralement reconnues par certains systèmes

Page 7167

1 juridiques nationaux, ainsi que par le caractère de vérité, de déclaration

2 volontaire ou non, et par la fiabilité des moyens de preuve."

3 Ces trois paragraphes sont un fondement que j'ai utilisé pour établir ces

4 cinq phases que j'ai énumérées devant vous ce matin. Je crois que c'est

5 important. Ces faces sont très importantes parce que c'est la fiabilité

6 qui est au coeur de ce qui est dit. Je pense que c'est ce à quoi le

7 Juge Jan se référait lorsqu'il a dit que vous devez prouver que c'est son

8 document, que ce document émane de lui.

9 Il y a quelques instants à peine, Monsieur le Juge, vous êtes intervenu.

10 J'en ai d'ailleurs pris note. J'ai donné un exemple de ce genre de

11 procédure. Le Procureur allait appeler un témoin aujourd'hui à la barre et

12 il allait indiquer que ce témoin était lié à un document particulier. Ils

13 ont dû retirer ce témoin parce qu'apparemment celui-ci ne peut pas prouver

14 la validité ou identifier le document.

15 Dans ma requête, c'est par une admission par le Procureur qu'ils ont eux-

16 mêmes eu expérience de cette procédure que je soumets aujourd'hui à vous,

17 Madame et Messieurs les Juges. Donc ils savent très bien de quoi il

18 s'agit.

19 Nous disons que l'accusation doit entrer dans un tel exercice afin de

20 prouver que le document émane de l'accusé. Je vais faire cela de trois

21 façons différentes. Si le Procureur peut prouver en utilisant les

22 échantillons de l'écriture, s'il peut le faire de cette manière, il dit

23 qu'il peut le prouver en se fondant sur le contenu de ce document, mais

24 comme vous l'avez vous-même dit, nous pourrions appeler un témoin qui

25 connaît cette écriture.

Page 7168

1 Je vais traiter de ces trois points les uns après les autres. Tout

2 d'abord, le problème de quelqu'un qui connaîtrait l'écriture. Il est tout

3 à fait vrai que par le passé il y avait un processus qui permettait à

4 quelqu'un qui connaissait l'écriture d'une autre personne d'être cité à la

5 barre. Je ne vais pas revenir sur tous les détails du droit d'Angleterre

6 et du pays de Galles, parce que c'est celui que je connais le mieux, mais

7 il y a des commentaires que je fais à ce sujet, parce qu'il me semble

8 qu'en Angleterre et dans le pays de Galles les choses se passent de la

9 façon suivante.

10 L'écriture peut être authentifiée par l'auteur du document, par exemple au

11 cours d'un entretien ou parce qu'on lui pose la question par

12 l'intermédiaire de son conseil ou que la question lui est posée par

13 quelqu'un qui a vu l'auteur écrire ou signer le document en question. En

14 outre, cela peut être prouvé par n'importe quel témoin qui jure qu'il

15 croit que l'écriture est bien celle de la personne concernée et qui a soit

16 vu la personne écrire, soit a correspondu régulièrement avec cette

17 personne, soit a agi avec une correspondance émanant de cette personne

18 entre les mains.

19 Le commentaire qui est fait, et j'invite Madame et Messieurs les Juges à

20 le prendre en considération, est le suivant. Ces propositions viennent

21 d'Archbold qui est le texte juridique standard utilisé dans les tribunaux

22 anglais. Ce commentaire, que je reprends dans mon argumentation, ne

23 concerne pas uniquement le droit anglais mais s'applique également de

24 façon générale.

25 Je cite : "De nombreux cas cités ci-dessus viennent d'une période où les

Page 7169

1 documents de communication et d'affaire étaient écrits à la main. Ces

2 documents devaient être examinés avec précaution. L'identification de

3 l'écriture d'une personne par un témoin non juriste, sur la base d'une

4 observation ou de plusieurs observations préalables de l'acte d'écriture,

5 n'a guère de qualité en tant que tel, sauf dans des conditions

6 exceptionnelles et donc ne doit pas être considérée comme la règle. Il

7 faut que la personne qui témoigne soit très familière avec l'écriture de

8 la personne qui a écrit".

9 Pour reprendre les différentes façons dont on peut authentifier le

10 document, l'incidence pratique de ce qui vient d'être dit est la suivante.

11 En vingt ans, devant le barreau britannique, je n'ai jamais eu à traiter

12 d'une affaire où un élément de preuve a été accepté par la Couronne sur la

13 base de l'argument suivant : "je reconnais l'écriture" et où un témoin n'a

14 été cité à la barre que pour reconnaître une écriture.

15 La seule façon dont cela se fait dans la pratique dans la pratique et dans

16 la coutume, c'est en analysant graphologiquement l'écriture. La raison qui

17 préside à cela, c'est que citer quelqu'un à la barre pour reconnaître une

18 écriture peut être quelque chose de très dangereux et potentiellement de

19 qualité assez limitée.

20 L'exercice risque donc d'être totalement sans fiabilité. J'affirme ici que

21 citer quelqu'un à la barre pour dire : "je reconnais cette écriture" ne

22 serait pas une manière satisfaisante de procéder. Il convient de remarquer

23 que l'accusation n'a pas demandé que ce soit fait non plus. Je suppose que

24 nous n'aurons plus besoin d'en parler à partir de maintenant.

25 Maintenant, je vais me concentrer sur le problème de la teneur de la

Page 7170

1 lettre. Il a été dit que la teneur du document relève uniquement de la

2 connaissance de l'accusé. Si Madame et Messieurs les Juges examinent ce

3 document, vous constaterez que ce n'est pas du tout le cas. Chacun des

4 éléments stipulés dans ce document est pratiquement dans le domaine

5 public. Ce qui est encore plus important, c'est qu'un grand nombre de

6 personnes qui travaillent pour le bureau du Procureur connaissent ces

7 éléments. Par exemple - je n'accuse personne en disant cela, je ne me

8 plains de rien- ce n'est pas un fait que les éléments factuels contenus

9 dans cette lettre sont uniquement connus par l'accusé. Il y a d'autres

10 personnes qui peuvent attester du contenu de ce document.

11 Maintenant, une autre manière d'authentifier la lettre peut consister à

12 demander un échantillon de l'écriture et à l'analyser. Il est important

13 que cela passe par une ordonnance du Tribunal, car c'est la seule manière,

14 à mon avis, qui serait valable.

15 J'aimerais vous rappeler un certain nombre de points et notamment, parce

16 que je crois que c'est très important, ce qu'à mon avis le Procureur est

17 en train d'essayer de faire.

18 Page 6 du texte de l'accusation, le texte de l'accusé Mucic au témoin P,

19 contient l'avis de Mucic et son aveu quant à ce qu'il a fait dans le camp

20 de Celebici. Des dates précises de ces comportements sont citées

21 également. Voilà quelle est la teneur de cette lettre qui est importante

22 par rapport à un certain nombre de points qui permettraient de prouver la

23 culpabilité ou l'innocence de l'accusé, M. Mucic. En outre, la valeur

24 probante existe. En effet, cette lettre permet de prouver les actions de

25 l'accusé Mucic au début du mois de juin ; elle atteste qu'au début du mois

Page 7171

1 d'août 1992, M. Mucic était présent dans le camp et cela permet donc de

2 faire avancer les enquêtes en cours.

3 Page 7 : "Un échantillon de l'écriture de Mucic établira de façon très

4 nette la valeur de la pièce à conviction 155." La pièce à conviction de

5 l'accusation 155 est pertinente par rapport à l'enquête et au procès parce

6 que la teneur de cette lettre est probante selon l'accusation. La

7 pertinence de cette lettre s'appuie sur les aveux de l'accusé, y compris

8 sur l'aveu qu'il a fait quant à sa présence dans le camp au moment où les

9 prisonniers ont été transférés de l'école du 3 Mars à Celebici.

10 Nous affirmons que ce que l'accusation cherche à faire à l'aide de ce

11 document consiste à l'utiliser en tant que pièce à conviction, pas

12 seulement pour fournir une preuve de nature générale, mais pour prouver un

13 certain nombre d'éléments tout à fait précis relatifs aux charges figurant

14 dans l'acte d'accusation. Ce sont donc des questions tout à fait capitales

15 qui doivent être prouvées dans cette affaire afin de condamner l'accusé.

16 L'importance de ce point est perçue par chacun ici.

17 Ce que l'accusation essaie donc de faire avec ce document, c'est de

18 l'utiliser pour prouver la culpabilité de l'accusé. Le Procureur affirme

19 qu'un échantillon de l'écriture prouvera que c'est bien l'écriture de

20 l'accusé qui est utilisée dans cette lettre et que ce document prouvera un

21 certain nombre d'éléments fondamentaux qui permettent d'attester des

22 crimes commis et des charges figurant dans l'acte d'accusation. Cela

23 aidera donc l'accusation à défendre ses arguments contre l'accusé. Or,

24 c'est une ordonnance des Juges qui aura contraint l'accusé à fournir un

25 échantillon de sa propre écriture et qui contribuera donc à ajouter une

Page 7172

1 pièce à conviction au dossier.

2 Notre avis au sujet de cette pièce à conviction, c'est qu'elle aidera à

3 condamner l'accusé, notre client. Et que c'est vous, Madame et

4 Messieurs les Juges, qui demanderez à ce que cela soit fait.

5 Nous affirmons donc, avec tout le respect que nous devons à ce Tribunal,

6 que cela aurait pour effet de contraindre l'accusé à contribuer à

7 s'incriminer lui-même par rapport aux charges figurant dans l'acte

8 d'accusation. Nous le disons avec tout le respect que nous devons au

9 Tribunal. Nous disons que cela va contre les principes mêmes établis aux

10 articles 20 et 21 des textes du Tribunal et contre les principes établis

11 dans le Règlement de procédure et de preuve.

12 J'espère ne pas vous fatiguer exagérément en vous donnant lecture de ces

13 articles, Madame et Messieurs les Juges, mais voici ce que stipule

14 l'article 20, § 1 : "La Chambre de première instance veille à ce que le

15 procès soit équitable et rapide et à ce que l'instance se déroule

16 conformément aux règles de procédure et de preuve, les droits de l'accusé

17 étant pleinement respectés et la protection des victimes et des témoins

18 dûment assurés".

19 Au §2 de l'article 21, nous lisons : "Toute personne contre laquelle des

20 accusations sont portées a droit à ce que sa cause soit entendue

21 équitablement et publiquement, sous réserve des dispositions de

22 l'article 22 du Statut".

23 L'article 21, bien entendu, est intitulé : "Les droits de l'accusé". A

24 l'article 21 §4 g, nous lisons : "Toute personne contre laquelle une

25 accusation est portée en vertu du présent statut a le droit, en pleine

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1 légalité, au moins à ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou

2 de s'avouer coupable". Cet article figure dans les textes de façon à

3 garantir un procès équitable à l'accusé.

4 Nous disons, avec le respect que nous devons à ce Tribunal, que personne

5 ne devrait être contraint à agir contre ses propres intérêts ou à

6 contribuer à s'accuser lui-même. Car une telle conduite, un tel

7 comportement ne peut pas être décrit comme étant un comportement

8 équitable.

9 Je vous ai déjà donné lecture d'une partie de l'article 89 du Règlement de

10 procédure et de preuve. Mais l'article 89b exige des Juges qu'ils fassent

11 la chose suivante —je cite— : "La Chambre applique les règles

12 d'administration de la preuve propres à parvenir dans l'esprit du Statut

13 et des principes généraux du droit à un règlement équitable de la cause"

14 (fin de citation).

15 J'espère ne pas faire preuve d'arrogance si je dis que l'esprit du Statut

16 vise à garantir un procès équitable en évitant de contraindre quiconque à

17 agir contre ses intérêts ou à s'accuser lui-même.

18 Madame et Messieurs les Juges, la série d'articles du Règlement qui

19 existent et qui régissent les interrogatoires sont un bon exemple de ce

20 que je viens de dire. Vous vous rappellerez que ces articles sont

21 notamment l'article 42a petit 3 : "Avant d'être interrogé par le

22 Procureur, le suspect est informé de ses droits dans une langue qu'il

23 parle et comprend, à savoir son droit de garder le silence et d'être

24 averti que chacune de ses déclarations sera enregistrée et pourra être

25 utilisée comme moyen de preuve". C'est un article qui est confirmé dans

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1 l'article 63b du Règlement et qui concerne les personnes accusées.

2 Il est donc possible de comparer l'esprit qui a présidé à la rédaction des

3 articles du Règlement. Un interrogatoire a lieu : pourquoi un

4 interrogatoire se produit-il ? Parce que la personne qui interroge espère

5 qu'il obtiendra une chose, deux choses ou trois choses. Il espère obtenir

6 des aveux, mais s'il n'obtient pas des aveux il espère au moins obtenir

7 une admission des faits, une reconnaissance des faits. J'utilise ce mot

8 dans un contexte différent de celui du terme "aveu". Pour moi, dans cet

9 exposé, le terme "reconnaissance des faits" est un élément particulier qui

10 est différent d'un "aveu", car il a un poids différent par rapport aux

11 charges figurant dans l'acte d'accusation. Le troisième élément recherché

12 par la personne qui interroge, c'est d'obtenir un mensonge qui pourra être

13 démontré et qui pourra donc servir d'élément de preuve dans le procès,

14 dans l'intérêt de l'accusation. Un accusé est donc protégé contre la

15 nécessité d'avoir à parler et ce, dans l'intérêt de la bonne

16 administration de la justice. Parce que, dans tous les systèmes

17 judiciaires qu'on peut appeler civilisés, dans tous les systèmes

18 judiciaires où l'accusé est représenté par un conseil et où des juges

19 statuent dans le Tribunal, les droits de l'accusé que je viens de citer

20 sont protégés. Le but de cela est de respecter le principe selon lequel

21 personne ne doit être contraint d'agir contre ses intérêts ou de s'accuser

22 soi-même.

23 C'est la raison pour laquelle existent les articles du Règlement de

24 procédure et de preuve, concernant les interrogatoires notamment. Mais ces

25 principes sont également très importants quant au fait qu'une personne ne

Page 7175

1 doit pas être contrainte d'identifier quoi que ce soit, notamment des

2 échantillons d'écriture ou des échantillons de sang ou d'autres éléments

3 qui pourraient nuire à ses intérêts. Personne ne doit être contraint à

4 s'accuser de quelque façon que ce soit.

5 Dans cette affaire, les choses ne sont pas différentes et je dis, avec

6 tout le respect que je dois à ce Tribunal, qu'il conviendrait à présent

7 d'examiner la première détermination de ce dont nous parlons, à savoir que

8 cet élément servirait à aider au processus consistant à ce que l'accusé

9 s'accuse lui-même. Je rappelle à Madame et Messieurs les Juges,

10 l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. C'est un

11 article qui a trouvé de nombreux échos dans le Statut de notre Tribunal.

12 On peut penser que les personnes qui ont rédigé cette convention des

13 Nations Unies ont passé pas mal de temps à examiner des documents de

14 nature comparable. On peut penser à cette Convention européenne, mais

15 aussi à la convention américaine qui est très comparable et qui porte sur

16 les mêmes sujets ou à des projets de loi qui existent dans le monde

17 entier, par exemple des projets de loi de Nouvelle-Zélande ou du Canada.

18 Cet article 6 de la Convention stipule la chose suivante : "Dans la

19 détermination de ses droits civils et de ses obligations ou dans les

20 charges pénales prononcées contre elle, toute personne a droit à une

21 audience équitable et publique organisée dans un délai raisonnable par un

22 Tribunal indépendant et impartial mis en place en vertu de la loi".

23 On peut également relire les articles 20 et 21 et les revoir en

24 comparaison avec ce que je viens de lire. La Convention européenne est

25 importante, me semble-t-il, parce qu'elle a un caractère international et

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1 parce qu'elle traite de nombreuses façons assez similaires des mêmes

2 principes que ceux qui régissent ce Tribunal. Donc, il est possible que

3 vous, Madame et Messieurs les Juges, estimiez que l'expérience accumulée

4 par cette Cour européenne peut être applicable dans une certaine mesure

5 aux décisions de ce Tribunal.

6 Monsieur le Président, je me suis concentré sur la Cour européenne et sur

7 le fonctionnement d'un certain nombre de tribunaux français. Ce que je dis

8 est tout à fait simple. Pouvez-vous m'accorder un instant, je vous prie,

9 Monsieur le Président ? Je vous donne lecture du principe suivant : "Le

10 droit à un procès équitable recouvre le droit dont bénéficie chacun s'il

11 est accusé d'un délit criminel de garder le silence et de ne pas

12 contribuer à s'accuser lui-même".

13 Dans ce que je dis, avec tout le respect que je dois au Tribunal, figure

14 l'argument selon lequel ce que je viens de lire recouvre le souci défendu

15 dans notre Statut. Bien sûr, ce que je viens de lire n'a pas effet

16 obligatoire pour ce Tribunal. Mais je pense que le pouvoir des mots que je

17 viens de lire est très important, très convaincant. Nous disons, avec tout

18 le respect que nous devons au Tribunal, que vous, Madame et

19 Messieurs les Juges, pourriez en tenir compte et examiner les prétentions

20 de l'accusation à la lumière de ces faits. C'est la raison pour laquelle,

21 dans mon exposé, je vous demande de tenir compte avec la plus grande

22 attention de ce que je viens de citer.

23 Je poursuis en disant la chose suivante : "Le statut ne consacre nulle

24 part expressément la possibilité pour les juges de rendre des ordonnances

25 en la matière". Je suppose que les techniques scientifiques modernes ont

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1 contribué à modifier le fonctionnement des tribunaux, en tout cas dans les

2 systèmes judiciaires nationaux et, notamment, en ce qui concerne

3 l'administration de la preuve. Il n'y a pas de législation primaire

4 régissant le statut ou le règlement de procédure et de preuve, en matière

5 d'administration de la preuve. Il faut donc anticiper - c'est ce que je dis

6 en tout cas- que ceux qui ont rédigé le règlement de procédure et de

7 preuve et les articles régissant l'administration de la preuve étaient

8 bien au courant de l'existence des systèmes judiciaires nationaux qui ont

9 voté des législations exécutoires sur ce plan.

10 Il est raisonnable de penser que l'absence d'un pouvoir dans tel ou tel

11 domaine, si elle a été décidée, l’a été de façon délibérée et que si un

12 pouvoir n'a pas été accordé au Tribunal, cela a été fait de façon

13 délibérée. Nous disons que l'article 54, ou tout autre article du

14 Règlement, ne donne pas pouvoir à un accusé de fournir au Tribunal un

15 échantillon de quoi que ce soit.

16 M. Jan (interprétation). - Vous avez lu un passage de la convention

17 européenne, l'article 6. L'expression utilisée dans cet article est :

18 "contribué à s'accuser soi-même".

19 M. Greaves (interprétation). - J'ai cité l’affaire Funke contre la France.

20 M. Jan (interprétation). - C'est un texte beaucoup plus vaste.

21 M. Greaves (interprétation). - Monsieur le Juge, vous trouverez dans le

22 texte de l'affaire Funke contre la France les propos que j'ai cités. Ils

23 sont annexés à ma réponse. J'espère que vous y trouverez un élément utile

24 à votre réflexion.

25 Monsieur le Juge, je vous invite bien sûr à tenir compte de tout ce qui

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1 figure dans ma requête écrite. La défense affirme que l'authentification

2 du document doit se faire de la façon normale, dans le cadre du

3 fonctionnement normal de la charge de la preuve, mais ma collègue,

4 Mme McHenry, a cherché à faire admettre un élément essentiel par rapport à

5 ce document qui reposait sur une intervention de l'Unité de protection et

6 de défense des victimes et des témoins. Nous disons que la Division d'aide

7 aux victimes et aux témoins fonctionne pour l'ensemble d'entre nous.

8 L'accusation ne peut pas se l’approprier, la défense non plus, parce

9 qu'elle est au service de chacun ici. Donc, cette Division doit être vue

10 comme un organisme indépendant qui ne prend pas partie dans les

11 accusations portées contre une quelconque personne et qui n'est pas là

12 pour fournir des éléments de preuve à l'accusation.

13 Ce serait très dangereux si la Division d'aide aux victimes et aux témoins

14 devait être considérée comme partie au procès, notamment comme partie liée

15 à l'accusation. En effet, ici, nous sommes dans un procès public et nous

16 pensons que cette Division d'aide aux victimes et aux témoins doit

17 demeurer un organisme indépendant, doit demeurer du côté du Barreau et

18 doit continuer à pouvoir profiter de la confiance de chacun. Si elle était

19 considérée comme étant du côté de l'une ou l'autre des parties, il

20 deviendrait impossible de lui faire confiance et un élément de fiabilité

21 important serait donc supprimé, notamment toute preuve émanant de cette

22 Division ne pourrait plus bénéficier de la confiance publique.

23 C'est ce que nous disons. C'est important et d'autres conseils de la

24 défense pourraient prendre la parole pour s'exprimer sur ce point dans le

25 même sens, je pense.

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1 Notre conclusion est la suivante : nous vous avons invités, Madame et

2 Messieurs les Juges, à examiner les arguments de l'accusation en essayant

3 de voir ce que l'accusation veut faire lorsqu'elle argumente comme elle le

4 fait sur la recevabilité des documents. L'accusation demande qu'un homme

5 contribue à sa propre accusation. L'accusation demande que cet homme vous

6 aide à déterminer sa culpabilité. Ce n'est pas acceptable et doit être

7 rejeté.

8 M. le Président (interprétation). - Est-ce la fin de votre exposé,

9 Me Greaves ?

10 M. Greaves (interprétation). - Oui. Et l'horaire a été tout à fait

11 respecté.

12 M. Ackerman (interprétation). - Je vais essayer de prendre la parole

13 pendant quelques minutes. Cela ne sera pas plus long que dix minutes. Je

14 ne sais pas si vous souhaitez que nous interrompions maintenant et que

15 nous reprenions à 14 heures 30, mais je n'en ai en tout cas pas pour plus

16 de dix minutes ?.

17 M. le Président (interprétation). - Votre manière de procéder ne m'est pas

18 très familière. J'ai l'impression d'avoir entendu une objection qui était

19 présentée par l'équipe des défenseurs de M. Mucic. Vous joignez-vous à

20 l'exposé qui vient d'être fait ? Est-ce donc une défense générale ?

21 M. Ackerman (interprétation). - Monsieur le Président, Me Niemann, dans

22 les arguments qu'il a développés devant vous, ce matin, est allé très loin

23 concernant ce document particulier. Notamment, il vous a demandé d'adopter

24 un comportement par rapport à l'administration de la preuve qui a une

25 signification tout à fait générique. C'est la raison pour laquelle je

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1 demande la possibilité de répondre à ces arguments. Egalement, Me Niemann

2 a très peu parlé du document qui est soumis au Tribunal. En fait, il s'est

3 principalement exprimé sur un plan très global en ce qui concerne

4 l'administration des éléments de preuve soumis à la Chambre d'instance.

5 C'est sur ce point que je souhaiterais vous adresser quelques mots pendant

6 un temps très bref.

7 M. le Président (interprétation). - Peut-être pourriez-vous être autorisé

8 à parler dans ce cadre. Mais, de façon générale, je pense qu'on devrait en

9 rester à la question en discussion qui, à mon avis, est la recevabilité ou

10 la non recevabilité de cette lettre particulière dont il a été dit

11 qu'elle était écrite par Pavo. Nous reprendrons ce sujet à 14 heures 30.

12 Je suspends l'audience.

13 L'audience est suspendue à 13 heures.

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