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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL AFFAIRE N° IT-96-21-T
2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE
3 Jeudi 12 mars 1998
4 (Les accusés sont introduits dans la salle.)
5 (L'audience est ouverte à 10 heures 10.)
6 M. le Président (interprétation). - Mesdames et Messieurs,
7 bonjour. Nous nous retrouvons aujourd'hui pour poursuivre la présentation
8 des arguments par les conseils de la défense. Si je ne m'abuse, c'est à
9 Me Olujic de présenter ses arguments. Je suppose que vous avez bien
10 compris notre façon de procéder. Nous avons votre mémoire écrit entre nos
11 mains. Nous l'avons examiné et lu. Il me semble que les arguments avancés
12 par la défense, en retour à la réponse de l'accusation, constituent les
13 documents que nous avons reçus le plus récemment. Je ne crois pas que vous
14 ayez déposé d'autres documents.
15 Nous avons lu ces documents, je le répète, je crois qu'ils
16 répondent en partie aux questions qui se posent. Concernant la question de
17 la détention préventive ou la mise en liberté provisoire, je ne crois pas
18 qu'elle fasse partie du mémoire portant sur l'absence de preuve
19 suffisante, l'absence de présomption. La mise en liberté provisoire est
20 une question tout à fait à part, régie par d'autres articles. Enfin, nous
21 nous attendons également à ce que vous suiviez la procédure suivie
22 jusqu'ici.
23 En fait, il faut vous appuyer sur des fondements juridiques. Si
24 vous essayez de nous démontrer que des éléments de preuve insuffisants ont
25 été réunis à l'appui des charges retenues contre votre client, si vous
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1 arrivez à nous convaincre qu'effectivement ces éléments de preuve n'ont
2 pas été réunis, alors nous demanderons à l'accusé de nous présenter les
3 arguments qui lui
4 permettent d'avancer une telle thèse. Je crois que tels sont les
5 paramètres qui doivent régir la présentation de vos arguments, Maître.
6 La Chambre de première instance ne souhaite pas que des
7 déclarations soient faites en dehors des grandes lignes que je viens de
8 tracer. Nous ne nous attendons pas non plus et ne souhaitons pas non plus
9 que des critiques soient émises, quant aux faits qui ont été avancés,
10 parce que l'implication est que vous avez admis les faits tels qu'ils ont
11 été présentés. Toute déclaration qui ne se tiendra pas aux grandes lignes
12 que je viens d'évoquer, ne sera pas reçue par cette Chambre de première
13 instance.
14 Vous pourrez peut-être présenter ces arguments à un stade
15 ultérieur, mais vous ne pouvez pas les présenter dans cette Chambre de
16 première instance, régie par un certain nombre de règles et de procédures
17 et par son propre règlement de fonctionnement. Je vous remercie
18 infiniment. Nous allons maintenant vous céder la parole. Je m'aperçois que
19 j'ai oublié de demander aux parties de se présenter. Nous allons tout de
20 suite procéder aux comparutions.
21 Me Nieman (interprétation). - Bonjour, Monsieur le Président. Je
22 m'appelle Grant Nieman et je comparais avec mes collègues, Me McHenry,
23 Me Turone, Me Dixon et Me Khan, au nom de l'accusation.
24 M. le Président (interprétation). - Je me tourne vers le conseil
25 de la défense maintenant.
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1 Mme Residovic (interprétation). - Bonjour, Monsieur le
2 Président, Madame et Messieurs les Juges. Je m'appelle Edina Residovic, je
3 suis avocate à Sarajevo et je représente ici M. Delalic, avec mon collègue
4 Me O'Sullivan, professeur du Canada, et Me Ekrem Galijatovic, avocat à
5 Sarajevo.
6 M. Olujic (interprétation). - Bonjour, Monsieur le Président, je
7 m'appelle Zeljko Olujic, je suis avocat à Zagreb en Croatie, je représente
8 M. Zdravko Mucic. Je travaille avec Me Michael Greaves, avocat du Royaume-
9 Uni. Puis-je simplement ajouter un chose,
10 Monsieur le Président ? Auriez-vous l'obligeance d'autoriser mon client à
11 quitter la salle d'audience aujourd'hui à 11 heures 30 ? Cela lui
12 permettrait d'assister à une messe qui sera tenue au sein du quartier
13 pénitentiaire à Scheveningen. Merci, Monsieur le Président.
14 M. Karabdic (interprétation). - Bonjour, Monsieur le Président,
15 Madame et Messieurs les Juges. Je m'appelle Salih Karabdic, je suis avocat
16 à Sarajevo et je comparais au nom de M. Hazim Delic. Se trouve avec moi
17 mon confrère, Me Thomas Moran, avocat à Houston, Texas.
18 M. Ackerman (interprétation). - Bonjour, Monsieur le Président.
19 Je m'appelle John Ackerman, je représente M. Esad Landzo, en compagnie de
20 ma consoeur, Mlle McMurrey. Je voudrais profiter de l'occasion qui m'est
21 offerte pour répondre à une question que m'a posé hier le Juge Jan, sur la
22 ratification de la Convention de Genève par le Rwanda. Je lui avais dit
23 que je tâcherais de répondre à sa question aujourd'hui. Le Rwanda a signé
24 la Convention de 1949 le 6 mai 1964 et le premier protocole, le
25 19 novembre 1984. A cette même date, il a également signé le deuxième
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1 protocole ainsi que le paragraphe D-90 du protocole 2. Il semble que le
2 Rwanda ait également ratifié ce paragraphe d'une certaine façon. Donc le
3 Rwanda a signé tous les protocoles, vous l'aviez omis peut-être,
4 Monsieur le Juge. Le Rwanda a signé ce protocole, ce que n'ont pas fait
5 mon pays, ni le vôtre, Monsieur le Juge.
6 M. le Président (interprétation). - Je vous remercie. Sur la
7 demande formulée par Me Olujic, je souhaite lui faire savoir que nous
8 faisons droit à sa demande. Après 11 heures 30, M. Mucic est autorisé à
9 quitter la salle d'audience et à assister à la messe.
10 M. Olujic (interprétation). - Merci infiniment, Monsieur le
11 Président.
12 M. le Président (interprétation). - Me Olujic, vous avez la
13 parole.
14 M. Olujic (interprétation). - Encore une fois, bonjour, Monsieur
15 le Président. Je tiens d'emblée à vous remercier pour l'écoute de la
16 réponse que je fournis aujourd'hui à la réplique du Procureur. Je crois
17 avoir compris également que, dans la phase du procès que nous
18 vivons aujourd'hui, compte tenu que la défense estime qu'il n'existe pas
19 de présomption suffisante, les conditions existent donc pour abandonner
20 les chefs d'inculpation de l'acte d'accusation.
21 Je suis donc dans l'obligation, cela m'est autorisé dans le
22 cadre des textes officiels de ce Tribunal, de répondre aux arguments
23 présentés par le bureau du Procureur dans son document écrit, eu égard à
24 mon client. Bien entendu, je ne vais pas enfreindre l'acte de l'habeas
25 corpus sur lequel le Président, M. Karibi-Whyte a attiré mon attention.
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1 C'est bien entendu un élément que ce Tribunal va prend prendre en compte
2 dans sa décision. Je crois qu'il est nécessaire de souligner, eu égard à
3 notre réponse au bureau du Procureur, que c'est avant tout un problème lié
4 aux compétences de ce Tribunal.
5 Puis, dans un deuxième temps, je me concentrerai sur la question
6 de savoir si le conflit était interne ou international. Après quoi, je
7 parlerai de la nationalité, question tout à fait pertinente et essentielle
8 dans ce procès. Je reprendrai également la thèse de l'accusation qui met
9 en cause la notion de responsabilité qui est reprochée à mon client. Ce
10 faisant, au cas où j'omettrais un élément, je tiens à souligner que nous
11 sommes en désaccord avec tous les arguments de l'accusation retenus par le
12 Procureur à l'encontre de mon client dans son texte écrit.
13 M. le Président (interprétation). - Vous êtes censé reprendre
14 les points que vous avez déjà présentés dans votre texte écrit, mais vous
15 avez déjà abordé tous ces éléments dans une intervention orale précédente.
16 M. Olujic (interprétation). - Monsieur le Président, je ne vais
17 pas reprendre, point par point, les éléments qui figurent dans mon texte
18 écrit, puisque je suis tout à fait convaincu que les membres de la Chambre
19 de première instance l'auront examiné avec soin et prendront en compte
20 tous ces éléments pour rendre leur décision. Mais je dois reprendre les
21 arguments présentés par le Procureur, car nous estimons que nous pouvons
22 non seulement jeter quelque
23 lumière sur ces arguments, mais en outre aider les juges à rendre une
24 décision équitable et objective à ce sujet. Je dirai la chose suivante :
25 le Procureur, dans son document, affirme qu'il est impossible de remettre
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1 en cause les compétences du Tribunal. Nous pensons qu'il est tout à fait
2 possible de remettre en cause ou en tout cas de soulever le problème car,
3 dans le cadre du beneficio cohesionis, tout éclaircissement à ce sujet
4 sera à l'avantage de notre client, M. Mucic.
5 Par ailleurs nous n'avons jamais déclaré, dans nos textes, que
6 nous ne nous appuyons que sur le droit coutumier. Le Procureur tente de
7 dévier le problème en affirmant cela. J'ai soumis un très grand nombre
8 d'éléments qui citent des lois appartenant à un autre corpus du droit. Le
9 fait pour le Procureur de dire que nous nous appuyons sur la Constitution
10 de la République socialiste de Yougoslavie et de Bosnie-Herzégovine et sur
11 les éléments que ces constitutions autorisaient et stimulaient, à savoir
12 des infractions au droit international, ceci s'écarte de ce qu'ont pu
13 affirmer les plus grands experts des écoles militaires notamment. Pour ces
14 personnes, les conventions étaient illégales et notre exception nullum
15 crimen sine lege tient toujours.
16 Le Procureur dans son texte s'appuie toujours sur l'article 72
17 du nouveau Règlement et affirme qu'au terme du délai accordé, il est
18 possible de renoncer à un droit.
19 Le Procureur continue à affirmer que ce droit existe. Pour ma
20 part, j'ai toujours évoqué ces droits en insistant sur le fait qu'il était
21 impossible d'y déroger si le but consiste à rendre la justice de façon
22 équitable et juste. Je pense que la thèse du Procureur selon laquelle la
23 Croix-Rouge internationale est l'organe chargé d'interpréter sur le fond
24 les conventions est inacceptable. Nous affirmons qu'il importe de
25 s'appuyer sur la logique lorsque ces conventions sont lues.
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1 Pourquoi ne pas montrer que, pour déterminer si les personnes
2 impliquées dans ce procès sont des parties tierces à un conflit, pourquoi
3 ne pas affirmer que ceci peut se faire d'une autre manière ? Il est tout à
4 fait clair que les parties participantes au conflit, c'est-à-dire la
5 fédération yougoslave en particulier, ont utilisé la force et ont enfreint
6 les lois et coutumes de la guerre pour s'opposer en Bosnie-Herzégovine à
7 une partie de leur patrie.
8 Nous pensons également que les positions des vainqueurs, au
9 cours de la Deuxième guerre mondiale, ne peuvent pas être légalement
10 prises en compte, contrairement à ce qu'affirme le bureau du Procureur.
11 Quant à la position des partisans évoquée par le Procureur, page 21 dans
12 son document, je dois dire que ces partisans étaient une force de guérilla
13 et jouissaient d'une organisation en bonne et due forme. Ils constituaient
14 une partie reconnue au cours de la guerre. Ils avaient donc le même statut
15 qu'un Etat des Nations Unies.
16 Le Royaume-Uni et l'Etat yougoslave, avec Tito à sa tête
17 en 1944, ont accepté la constitution d'un Etat uni. Les partisans étaient
18 donc une force autochtone, comme je l'appellerai, sur le territoire
19 yougoslave. Ils étaient reconnus en tant que tels, non seulement par les
20 autres puissances, mais également par les autres forces qui se battaient
21 sur le territoire yougoslave. Les partisans n'ont pas été mobilisés par la
22 force sur un territoire tiers et ont été encore moins reconnus par un Etat
23 ennemi. Les partisans n'ont donc pas enfreint les Conventions, ni avant
24 l'existence du droit international, ni après.
25 Cela prouve que la théorie du Procureur exposée dans son
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1 document écrit est inacceptable et incomplète. En effet, cette position
2 n'a rien à voir avec la situation des Serbes de Bosnie dans la période
3 récente. La même chose peut être dite des forces de De Gaulle qui
4 agissaient également aux côtés des Nations Unies, à l'avantage de la
5 France libre et ce, contre un pays qui n’a jamais été reconnu par les
6 Nations Unies sur son propre territoire temporairement occupé.
7 Je voudrais en outre signaler que nous ne sommes pas
8 particulièrement intéressés ici par les forces gaullistes constituées à
9 l'étranger. Mais, sur la base des Conventions dont nous parlons, De Gaulle
10 a également mobilisé les siens sur des bases volontaires ; s'il l'avait
11 fait par la force, cela n'eut pas eu d'importance.
12 S'agissant de la déposition du Pr Gow et de Mme Calic, je pense
13 que dans cette phase du procès, nous ne sommes pas encore en mesure d’en
14 discuter. Ces dépositions, les éléments de preuve apportés par le Pr Gow
15 et Mme Calic, doivent être considérées avec un regard critique par le
16 Tribunal, et vérifiées au préalable avant de pouvoir être considérées
17 comme pertinentes. Ces éléments ne seront pertinents que lorsque le
18 Tribunal les aura adoptés. Quant à moi, je pense que, aussi bien
19 concernant les propos tenus par le Pr Gow et Mme Calic, un grand nombre de
20 ces éléments ne seront pas retenus par le Tribunal.
21 Je considère également que, dans sa réponse écrite, le Procureur
22 parle du général Kadijevic sans argument valable. Il ne signale pas que le
23 général Kadijevic est une personne qui a commis des crimes sur le
24 territoire de l’ex-Yougoslavie. Le Procureur affirme que la guerre en
25 Bosnie-Herzégovine était un conflit international. Or, il n'a jamais
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1 prouvé que les Serbes de Celebici étaient une partie belligérante. Il n'a
2 jamais montré que les prisonniers ont été arrêtés en tant que militaires
3 ou en tant que civils, mais en tout cas en tant que parties au conflit.
4 Ces personnes n'étaient pas parties au conflit parce que ces
5 Serbes de Bosnie étaient des ressortissants de Bosnie-Herzégovine.
6 Militairement, ils étaient responsables par rapport à la
7 Bosnie-Herzégovine, étant des citoyens de ce pays. C'est seulement en tant
8 que traîtres ou espions qu'ils auraient pu participer à l’activité d’une
9 armée ennemie contre un Etat reconnu par les Nations Unies.
10 Ce qui eut signifié, si cette logique est acceptée, que les
11 Nations Unis ont reconnu la Bosnie-Herzégovine et que, au même instant,
12 les Nations Unies ont affirmé que la Bosnie-Herzégovine n'existait pas en
13 tant qu'Etat et qu'ils n'étaient pas autorisés de respecter ces lois. Par
14 conséquent, les Nations Unies auraient dû affirmer qu'il était interdit de
15 se soulever pour défendre cet Etat. Je pense qu'une telle position est
16 tout à fait illogique et inacceptable.
17 Si nous lisons le texte à partir de la page 27, nous voyons que
18 le Procureur ne s'efforce pas de comprendre que frapper une femme enceinte
19 est une chose et que frapper un combattant hostile en est une autre. Ceci
20 est inacceptable car cela ne fait pas intervenir la portée de la sentence.
21 Il est tout à fait clair que, dans le cadre d'un conflit, il est possible
22 que deux personnes en viennent aux coups, mais ces coups peuvent être le
23 résultat d'une autodéfense. Or, rien n’a été dit à ce sujet. Donc, dans ce
24 procès, nous ne pouvons pas évaluer la véracité des faits puisque nous ne
25 connaissons pas la situation dans laquelle se trouvaient un certain nombre
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1 de personnes impliquées.
2 Ce qui est particulièrement non pertinent, c'est que le Statut
3 du Tribunal accepte toutes les positions contenues dans les Conventions de
4 Genève, alors que le Procureur devrait, en tout état de cause, identifier
5 et préciser les éléments qu'il reproche aux accusés. Une telle position
6 est inacceptable et, lorsque l'on parle de sévices, de mauvais
7 traitements, le concept ne peut pas être abordé de la même façon s'il a
8 été pratiqué à l'encontre d'un prisonnier de guerre ou à l'encontre d'un
9 civil.
10 Il est tout à fait clair que chacune des Conventions de Genève
11 comporte sa propre structure logique et légale interne. Dans ces
12 conditions lorsque, dans un article, il est question d'un civil comme d'un
13 homme qui ne porte pas d’arme et n'a aucune activité militaire et que,
14 dans un autre article de cette même Convention, il est stipulé qu'il n'est
15 pas permis d'humilier ce civil, il est dit qu'il est impossible de se
16 comporter de façon avilissante à l'égard d'un civil qui correspond
17 pleinement à la description donnée du civil dans cette Convention de
18 Genève.
19 Lorsque l'on voit un article de la Convention qui définit ce
20 qu'est un prisonnier de guerre et qu'un autre article dit qu'il ne faut
21 pas humilier ce prisonnier de guerre, dans la situation où l'on est en
22 présence d'un prisonnier de guerre, le terme humiliation a un sens tout à
23 fait différent.
24 Le Procureur, dans sa réponse, affirme également que certains
25 prisonniers étaient
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1 des civils et que d'autres ne l'étaient pas. Sur le plan juridique, nous
2 ne savons donc plus de quoi il est question. Pourquoi les noms de ces
3 prisonniers étaient-ils relevés ? Pourquoi les infractions commises
4 étaient-elles énumérées ? Il faudrait que soit signalé, dans le détail, le
5 moment où l'infraction a eu lieu, qui en a été responsable, quelle en
6 était la portée. La seule question qui se pose n'est pas seulement de
7 savoir si les personnes concernées étaient des civils et quel était leur
8 nombre, mais qui étaient ces civils en tant qu'êtres humains et quelles
9 sont les infractions commises contre eux ?
10 Il est intéressant de constater qu'à la page 31 du texte du
11 Procureur, celui-ci affirme que, dans la région de Konjic, des membres de
12 l'armée populaire yougoslave étaient présents également en tant que
13 membres d'une armée en bonne et due forme, bien entendu tempore criminis
14 suspecti.
15 Parlons de la nationalité et de la citoyenneté. Tant que les
16 personnes impliquées étaient sur le territoire d'un Etat à l'époque de la
17 République socialiste fédérative yougoslave, celle-ci reconnaissait une
18 citoyenneté de République. Bien entendu, les ressortissants de Bosnie-
19 Herzégovine étaient tenus de respecter les lois de la République de
20 Bosnie-Herzégovine et ils ne pouvaient pas être mobilisés dans une armée
21 d'un pays tiers et encore moins dans une armée d'un pays ennemi. La
22 nationalité de Bosnie-Herzégovine était donc celle de tous les
23 ressortissants de l’ex-République de la Bosnie-Herzégovine en République
24 socialiste fédérative yougoslave.
25 Cette nationalité n'était pas reçue par les citoyens par hasard
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1 simplement sur la base d'un séjour d'une certaine durée sur le territoire.
2 Selon la constitution de 1974, en ex-Yougoslavie, il existait une
3 citoyenneté liée à la république. Puisque la République socialiste de
4 Bosnie-Herzégovine était une des Républiques de l'Etat, la définition de
5 qui était citoyen de cette République et de qui ne l'était pas, était tout
6 à fait précise. La citoyenneté de la République de Bosnie-Herzégovine
7 était donc obtenue immédiatement, pas simplement sur la
8 base d'un séjour temporaire sur le territoire.
9 Il fallait vérifier que toutes les conditions étaient remplies
10 pour pouvoir briguer la citoyenneté de la République de Bosnie-Herzégovine
11 et, bien entendu, les personnes qui étaient acceptées en tant que
12 ressortissants de la République de Bosnie-Herzégovine étaient également
13 reconnues en tant que ressortissants de l'Etat yougoslave.
14 Il convient de souligner également qu'avant 1974, il était
15 impossible d'accepter d'être reconnu en tant que ressortissant de deux
16 républiques au sein du pays. En tout état de cause, la citoyenneté de la
17 République socialiste de Bosnie-Herzégovine qui, ensuite est devenue la
18 République de Bosnie-Herzégovine, était définie de façon très précise.
19 Toute personne avait le droit de changer de citoyenneté, mais aucun des
20 éléments de preuve présentés devant ce Tribunal n'a montré qu'une
21 quelconque personne a essayé d'agir de la sorte au moment du conflit.
22 S'agissant de la mobilisation dans une force armée, nous savons
23 qu'un certain nombre de personnes ont été contraintes à se battre dans les
24 rangs d'une force hostile à la République de la Bosnie-Herzégovine.
25 En réponse à la page 33 du texte du Procureur, je pense qu'il
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1 est inacceptable de confondre ce qui est dit ici et ce qui a été dit dans
2 l'affaire Tadic. Personne ne conteste le fait qu'en cas de conflit armé,
3 les Musulmans étaient des personnes protégées aussi longtemps qu'ils
4 défendaient leur pays et qu'ils vivaient dans ce pays. C'est le cas de
5 tous les autres ressortissants de la Bosnie-Herzégovine également. Il est
6 possible pour un agresseur de commettre un crime de guerre à leur
7 encontre. Les soldats de la JNA ont commis des crimes de guerre de ce
8 genre au cours d'une guerre d'agression.
9 Quel rôle a occupé M. Tadic au sein de cette armée d'agression
10 qu'il a aidée ? Cette situation n'a aucune pertinence dans le procès qui
11 nous intéresse. Il est possible qu'il était un espion ou un provocateur.
12 Cela n'a aucune importance pour nous. Nous affirmons ici que tous
13 les Serbes de Bosnie-Herzégovine étaient citoyens de la République de
14 Bosnie-Herzégovine, et étaient donc tenus par la législation de la Bosnie-
15 Herzégovine et qu'en enfreignant cette législation, ils se privaient eux-
16 mêmes de la protection qui pouvait leur être assurée par les Conventions
17 de Genève.
18 De même, Monsieur le Président, le Procureur, à la page 34 de
19 son texte, parle d'une insurrection en masse. Une telle insurrection ne
20 peut être le fait que des habitants relevant de la partie au conflit qui
21 défend son pays, qui défend son Etat. Qui étaient protégés ? Les citoyens
22 loyaux de la Bosnie-Herzégovine qui, très souvent, ont défendu leur Etat,
23 y compris sans bénéficier d'une organisation en bonne et due forme ou bien
24 ceux qui se sont soulevés pour combattre cet Etat ?
25 Ce concept n'a rien à voir avec le droit international ni avec
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1 quel qu'autre droit de quelque autre Etat que ce soit, parce que c'est un
2 concept qui fait dérogation à la notion d'Etat et donc se pose en
3 infraction d'un droit national ou international.
4 Le droit international ne peut exister qu'entre plusieurs Etats
5 comme les termes l'impliquent par eux-mêmes. Si nous disons qu'un Etat n'a
6 pas le droit à sa propre armée, à sa propre constitution, comme l'affirme
7 le Procureur, qu'il n'a pas le droit à son propre peuple, cela signifie
8 que cet Etat n'aurait pas le droit à l'existence.
9 La question de la responsabilité objective a également été
10 soulevée dans le cadre des arguments de l'accusation. C'est un chef
11 d'accusation établi contre notre client. Nous pensons quant à nous qu'il
12 n'existe pas de preuves suffisantes à cet égard.
13 Je vais tâcher d'expliquer pourquoi. Aux pages 37 et 38 de son
14 mémoire, l'accusation affirme que dans le cadre de ce type de
15 responsabilité, il n'y a pas de critères de jure qui soient exigés. Nous
16 disons que cela est faux car, dans le cadre des Conventions
17 internationales, c'est bien le principe de jure qui est appliqué. Ces
18 Conventions internationales n'ont pas été rédigées pour que quelqu'un
19 d'autre vienne se substituer au législateur et vienne
20 rédiger à nouveau un nouveau corps de loi. Au contraire, ces Conventions
21 internationales ont été établies pour que des Tribunaux s'appuient sur ces
22 conventions. J'espère bien que ce Tribunal le fera.
23 Supposons un instant que la définition de jure ne soit pas
24 exigée et qu'une définition de facto soit suffisante ou qu'une combinaison
25 des deux principes le soit. Dès lors se pose la question de savoir si et
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1 quand cette responsabilité a existé et dans quelle mesure la
2 responsabilité de jure a existé. Il faut essayer également de savoir dans
3 quelle mesure cette responsabilité a existé de facto. Il ne s'agit pas là
4 d'une question qui peut être réglée par une décision juridique parce que,
5 dans toute armée, un général a tous pouvoirs de commandement sur un soldat
6 parce qu'il a responsabilité de jure dont découle la responsabilité de
7 facto.
8 Cette responsabilité de jure lui permet d'exercer un
9 commandement sur l'armée, d'avoir une influence sur l'armée et sur son
10 moral, etc. Précisément ,du fait de cette influence exercée par le
11 commandant, sa responsabilité de responsabilité supérieure découle
12 logiquement de ce premier élément que je viens de citer. La responsabilité
13 d'un général d'expérience et le sens de la guerre qu'il est en train de
14 mener se basent sur ces deux éléments. La question à se poser est de
15 savoir si les conventions sanctionnent les personnes parce qu'elles
16 souhaitent essayer d'éviter qu'une guerre ne soit pas menée en fonction
17 des lois et principes de la guerre et qui souhaitent que cette guerre soit
18 menée de façon totalement irresponsable.
19 Par conséquent, il est juridiquement inacceptable que
20 l'accusation estime ou déclare que quelqu'un, ici, sera à même de décider
21 de l'autorité de facto de M. Mucic et de son autorité de jure. Nous nous
22 fondons sur des conventions officielles qui, très clairement et très
23 explicitement, définissent ce qu'est la responsabilité. En fait, le
24 Procureur essaie tout simplement de trouver une aiguille dans une meule de
25 foin. C'est impossible à prouver. Cela apparaît clairement au vu de la
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1 réplique de l'accusation, notamment lorsqu'il apparaît qu'elle n'engage
2 aucune poursuite contre la personne qui était hiérarchiquement supérieure
3 à
4 M. Delalic.
5 On peut dire beaucoup de choses, mais dire que Zdravko Mucic
6 avait une quelconque autorité alors que personne ne l'a nommé à un poste
7 quelconque et qu'il n'existe aucun document prouvant sa nomination à ce
8 poste, et étant donné que rien n'a été fait contre les personnes qui n'ont
9 pas obéi à ses ordres, c'est se fourvoyer complètement et avancer un
10 argument parfaitement spécieux.
11 A la page 39 de sa réplique, l'accusation déclare que les
12 conventions internationales n'exigent pas que l'accusé ait été
13 officiellement un commandant. Dans cet argument, l'accusation ne s'attache
14 pas vraiment au fond de la question. Jamais je n'ai dit et je ne crois pas
15 non plus que l'un quelconque de mes collègues l'ait dit non plus, qu'il y
16 avait eu des postes officiels de responsabilités occupés. Si une personne
17 est sanctionnée parce qu'elle n'a pas empêché la commission de certains
18 crimes, alors on est en droit de penser que la personne était à un poste
19 qui lui permettait d'agir ainsi.
20 La charge de la preuve incombe donc à l'accusation dans de tels
21 cas. Ce n'est pas quelque chose qui peut être déduit de certains
22 principes. Ici, nous parlons de la responsabilité pénale et non pas de
23 responsabilité morale. En premier lieu, l'accusation doit prouver que
24 cette possibilité factuelle existait bien et cela n'a rien à voir avec des
25 critères officiels.
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1 Il n'était pas habilité. Il n'avait pas la possibilité
2 d'empêcher, de punir ou de rapporter les faits à des organes supérieurs. A
3 la page 40 de la réponse du Procureur, se pose la question de savoir qui
4 était habilité et qui ne l'était pas. Nous pensons que, s'agissant du camp
5 de Celebici, le Procureur n'a pas prouvé qui avait la possibilité de
6 contrôler les faits ou qui était habilité puisque le Procureur n'a pas
7 prouvé qui avait le contrôle sur les événements.
8 Avoir le contrôle sur les événements signifie que l'on fait
9 partie de ce que j'appellerais une hiérarchie plus large et est en tout
10 cas une hiérarchie qui comporte des échelons supérieurs. Sur le territoire
11 de la République socialiste fédérative de Yougoslavie,
12 l'action de la Croix-Rouge internationale ne peut pas être considérée
13 comme une action susceptible, sur le fond, de nous donner une
14 interprétation des conventions qui puisse nous satisfaire.
15 En pages 41, 42 et jusqu'à la page 49, le Procureur nous donne
16 toute une série de citations qui répondent aux éléments que nous avons
17 proposés dans notre texte écrit. Mais le Procureur ne remet pas en cause,
18 sur le plan logique, les thèses que nous défendons dans notre document
19 écrit, thèses que nous continuons à soutenir sans une seule exception.
20 Tout à fait au début, et on le constate à la page 49 du texte du
21 Procureur, celui-ci affirme qu'il n'était pas absolument sûr que M. Mucic
22 était un commandant, mais aujourd'hui dans le texte qu'il présente, il
23 nous dit qu'il n'y a aucun doute sur cette question.
24 Il ne peut donc pas le prouver, mais il affirme que des
25 personnes tierces peuvent apporter des éléments pertinents sur ce plan.
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1 Nous demandons quelles sont ces personnes ? Le Procureur répond qu'il
2 s'agit de personnes ayant occupé des postes clés dans l'organisation du
3 commandement. Mais, logiquement, il peut s'agir simplement de personnes
4 qui avaient la possibilité d'écrire ou d'utiliser un sceau ou qui se
5 trouvaient physiquement dans la structure d'organisation au moment des
6 faits, sur les lieux.
7 Le problème le plus essentiel et le plus fondamental est que,
8 même s'il n'avait pas pu le faire, Mucic aurait fait certaines choses.
9 Nous disons que le Procureur est incapable de prouver cela. Il ne peut pas
10 prouver que Mucic pouvait agir, donc il essaie de prouver que Mucic avait
11 la responsabilité et qu'il aurait donc dû agir. Dans la mesure où il ne
12 peut pas prouver que Mucic avait la responsabilité, il affirme sans le
13 prouver que Mucic a sûrement agi.
14 C'est ce que nous appelons une combinaison de la notion de
15 responsabilités de jure et de facto. En page 50 du texte du Procureur,
16 celui-ci continue de citer un certain nombre de pouvoirs hiérarchiques à
17 l'encontre de toute logique. Pourquoi le Procureur, au cours de son
18 interrogatoire principal, n'a-t-il pas cité à la barre ces personnes de
19 rang élevé dans la
20 hiérarchie ? Nous estimons qu'il est également inacceptable de s'appuyer
21 sur les protocoles additionnels car ceux-ci ne sont pas pris en compte
22 dans le statut ou dans le Règlement de procédure et de preuve de ce
23 Tribunal.
24 En pages 70 et suivantes, le Procureur abordant la question des
25 détenus affirme que ces détenus ont déclaré que M. Mucic était le
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1 commandant du camp. Ceci n'est pas prouvé en aucune façon et ne correspond
2 pas à la vérité. Cela ne correspond pas à la vérité de dire qu'une
3 quelconque de ces personnes a été en mesure de prouver ce fait.
4 Le Procureur semble ignorer ce que signifie le fait d'être un
5 commandant dans une guerre. Un commandant agit très souvent en fonction
6 d'instructions et les personnes qui ont été entendues ici ont dit qu'elles
7 ont eu, à plusieurs reprises, l'impression que M. Mucic était un
8 commandant, mais qu'elles n'en savaient rien. Elles ne savaient rien de la
9 définition des devoirs, des droits, des responsabilités et des compétences
10 de Mucic et elles savaient encore moins ce que M. Mucic était en capacité
11 ou en incapacité de faire.
12 C'est une chose de prendre en compte ce que les détenus
13 pensaient, mais qu'ils étaient incapables de savoir avec certitude. Les
14 détenus étaient incapables de savoir avec certitude que M. Mucic était
15 commandant. Le Procureur ne peut donc pas le prouver. Nous considérons
16 donc que, dans les propos du Procureur, il y a ingérence et double emploi
17 des éléments de facto.
18 Le Procureur affirme que les témoins qui ont parlé à la barre
19 ont tous dit dans leur déposition que Mucic était commandant. Nous allons
20 jusqu'à dire qu'aucun de ces témoins n'a affirmé cette chose. Les détenus
21 étaient éventuellement des personnes lésées, mais ces personnes lésées qui
22 ne bénéficiaient pas de protection ne pouvaient pas savoir. Il y a une
23 différence entre penser et savoir. C'est la raison pour laquelle aucun de
24 ces témoins n'a véritablement affirmé que M. Mucic était commandant du
25 camp.
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1 Aucun des détenus n'avait la possibilité, devant cet honorable
2 Tribunal, de dire
3 dans sa déposition à quel moment Zdravko Mucic aurait été commandant du
4 camp, ni à quel moment il est arrivé dans le camp. Le fait que certains
5 témoins aient dit que M. Mucic a conduit certaines personne à Musala ne
6 peut pas signifier autre chose que le fait que M. Mucic était peut-être
7 simplement un chauffeur. Les témoins du Procureur, dans leur déposition et
8 par leurs propos, n'ont fait que prouver que M. Mucic n'était pas le
9 commandant du camp. Dans la lecture du texte du Procureur, à partir de la
10 page 70, nous concluons qu'il n'est pas prouvé par le Procureur que
11 M. Mucic était le commandant du camp car aucun des témoins entendus ici ne
12 l'a prouvé.
13 L'identité d'un commandant, Monsieur le Président, Madame et
14 Messieurs les Juges, n'est pas un élément impressionniste, c'est quelque
15 chose de tout à fait précis. Aucun des témoins n'a prouvé que M. Mucic
16 détenait ce pouvoir de facto dont le Procureur parle à l'envi. Ils n'ont
17 donc pas prouvé que M. Mucic était commandant. Ils ont simplement dit,
18 dans le cadre des actions qu'ils ont vu accomplir par M. Mucic dans son
19 service, qu'ils pensaient qu'il était le commandant du camp.
20 De même, M. Mucic dans l'acte d'accusation est accusé d'avoir
21 détenu des civils, mais aucun des témoins entendus ici n'a prouvé que les
22 détenus étaient des civils. Nous avons entendu tous les témoins parler à
23 la barre ici et aucun d'entre eux n'a dit que Zdravko Mucic avait arrêté
24 des civils. Cela ne fait pas l'ombre d'un doute.
25 Il faut préciser cependant que nombre d'autres témoins, nous ne
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1 parlons jusqu'à présent que des témoins de l'accusation puisque
2 l'accusation a terminé, sont venus à la barre et ont déclaré qu'ils
3 étaient reconnaissants à M. Mucic de son aide et même de son aide
4 financière. Souvenons-nous, Monsieur le Président, Madame et
5 Messieurs les Juges, du témoin qui en parlant à ce Tribunal a précisé que
6 M. Mucic lui avait fourni des médicaments qu'il avait pris dans son propre
7 domicile pour apporter une aide à ce témoin. C'est tout à fait à tort que
8 l'on accuse M. Mucic. Nous pensons que la thèse avancée par l'accusation
9 ne peut en
10 aucun cas être acceptée, notamment celle concernant sa participation à un
11 pillage ou sa caution morale donnée au pillage qui a été effectué.
12 Pour conclure, Monsieur le Président, j'avance que l'accusation
13 n'a en aucune façon prouvé les points pertinents que nous soulevons dans
14 notre requête. L'incapacité et le caractère incomplet de la réplique du
15 Procureur démontrent bien que toutes nos allégations sont justifiées. Je
16 précise qu'à l'exception des sources de certaines citations, la réponse de
17 l'accusation n'a aucune validité juridique, logique, légale.
18 Par conséquent, nous nous en tenons à notre document original.
19 Nous renouvelons tous les arguments que nous y formulons et nous demandons
20 qu'à ce stade de la procédure, une décision soit prise visant à rejeter
21 les chefs d'accusation. Nous demandons également que la Chambre de
22 première instance examine notre demande relative à la loi de la habeas
23 corpus. Merci, Monsieur le Président.
24 M. le Président (interprétation). - Je vous remercie,
25 Monsieur le conseil de la défense.
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1 Nous en avons terminé de la présentation de l'argumentation de
2 la défense. C'est maintenant à l'accusation de répondre.
3 M. Nieman (interprétation). - Monsieur le Président, c'est
4 Me McHenry qui va répondre aux arguments de la défense. Mais avant de
5 reprendre mon siège, je me sens obligé de répondre à certaines
6 observations faites par Me Residovic hier, notamment lorsqu'elle a déclaré
7 qu'Esad Ramic n'avait pas été cité à comparaître par l'accusation parce
8 que son témoignage aurait été à la décharge de l'accusé et nous aurait
9 placé clairement dans une violation de l'article 68 du Règlement.
10 Je trouve que ces remarques vous induisent en erreur,
11 Monsieur le Président, et Me Residovic le sait fort bien. Dans une lettre
12 du 18 novembre 1997, que je lui ai adressée, il apparaît clairement que
13 j'ai tout à fait respecté mes obligations au titre de l'article 68 du
14 Règlement. Si Me Residovic pouvait vous faire parvenir cette lettre,
15 Monsieur le Président, je suis convaincu que je suis en droit d'affirmer
16 une telle chose.
17 Nous réprouvons le fait que Me Residovic ait présenté de tels
18 arguments à notre égard.
19 Je vais demander à Me McHenry de prendre la parole.
20 M. le Président (interprétation). - Souhaitez-vous répondre,
21 Maître Residovic ?
22 Mme Residovic (interprétation). - Monsieur le Président, je ne
23 suis pas tenue de répondre, mais je tiens à dire qu'en me référant à cette
24 lettre, j'ai dit que le Procureur dans l'accomplissement des
25 responsabilités qui lui incombent, au titre de l'article 68, nous a
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1 informé de la situation de M. Esad Ramic. Je vous remercie, c'est tout ce
2 que j'ai dit.
3 M. le Président (interprétation). - Maître McHenry, vous avez la
4 parole. Je vous en prie.
5 Mme McHenry (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.
6 Bonjour, Monsieur le Président, Madame et Messieurs les Juges. Je vais
7 être très brève parce que nombre des questions soulevées ici ont reçu une
8 réponse très complète dans le mémoire de l'accusation.
9 Je vais simplement revenir sur certain des arguments qui ont été
10 abordés par l'un ou l'autre des conseils de la défense et je vais les
11 reprendre dans l'ordre dans lequel ils ont été présentés.
12 Tout d'abord, je vais examiner ce qui a été dit dans le cadre
13 des arguments de Me Ackerman. Me Ackerman a commencé par se demander si la
14 preuve de l'existence d'un conflit international avait été établi. Il
15 s'est également penché sur l'influence de la décision Tadic récemment
16 prise sur cette question. Nous remarquons tout d'abord que dans
17 l'affaire Tadic, la Chambre a décidé qu'il existait bien des éléments qui
18 justifiaient l'existence d'un conflit armé international.
19 Deuxièmement, la décision de la Chambre de première instance de
20 Tadic n'a aucune force contraignante sur cette Chambre de première
21 instance, qu'il s'agisse d'un point de droit ou d'un point de fait puisque
22 nous parlons ici de Chambres qui ont autorité et compétence égales.
23 Pour ce qui est des aspects juridiques et notamment pour ce qui
24 est du critère de l'existence de contrôle effectif, nous avons répondu à
25 cela dans notre mémoire et nous souhaitons simplement préciser ici, que
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1 cette question fait l'objet d'un appel en ce moment.
2 Pour ce qui est maintenant des conclusions. Bien sûr, les faits
3 qui nous concernent ici, ne sont pas les mêmes que ceux abordés dans
4 l'affaire Tadic. Cela dit, la défense a évoqué le principe de la chose de
5 juge mais n'a abordé en aucun cas la question de l'application de cette
6 doctrine dans notre contexte particulier.
7 D'après nous, nous disons que ces principes de la chose de juge
8 n'ont aucune implication pour ce qui nous concerne ici. Dans un certain
9 nombre de juridictions, notamment en Grande-Bretagne et en Australie, la
10 doctrine et le principe de la chose de juge ne s'appliquent jamais dans le
11 cadre de procédure pénale.
12 Pour ce qui est toujours des faits, effectivement des éléments
13 de preuve ont été présentés ici, et ne l'ont pas été dans l'affaire Tadic.
14 Ces éléments de preuve supplémentaires nous permettent d'établir qu'il y a
15 effectivement suffisamment de présomptions pour dire qu'il y avait
16 contrôle effectif et qu'il y avait bien conflit international armé. Nous
17 avons abordé ces questions dans notre mémoire et nous donnons des
18 citations à l'appui de ces éléments de preuve.
19 Je vais brièvement donner une liste de certains des éléments de
20 preuve supplémentaires. Tout d'abord, il y a toutes les informations
21 contenues dans le journal de M. Jovic, notamment des éléments de preuve
22 concernant le fait que la République fédérale de Yougoslavie a envoyé des
23 membres de haut niveau de la JNA en Republika Srpska et les a
24 chargés de gérer un certain nombre de problèmes militaires factuels
25 provenant d'entités extérieures et qui incluent notamment un rapport,
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1 ainsi qu'un certain nombre de discussions concernant un programme du SDS,
2 qui porte directement sur ce qui s'est passé à Konjic.
3 Enfin, nous voulons préciser que nous avons très souvent fait
4 valoir des déclarations de la Bosnie, argument selon lequel il y avait
5 bien un conflit international armé. Dans cette situation particulière, il
6 apparaît très clairement que les victimes se trouvaient aux mains de la
7 Bosnie, l'entité qui a formulé toutes ces déclarations. Nous pensons qu'il
8 ne revient pas à la défense de remettre en question l'existence d'un
9 conflit armé international. Nous souhaitons souligner que tout ce qui
10 porte sur la crédibilité ou non des témoins qui ont été cités à la barre,
11 ne peut être soulevé que dans l'intérêt et en faveur de l'accusation.
12 Me Ackerman, dans sa réponse, déclare qu'il ne pense pas qu'une
13 réponse crédible ait été apportée à propos des déclarations formulées par
14 la Bosnie. Nous répondons une fois encore à cet argument, que tout ce qui
15 porte sur la crédibilité des témoignages formulés jusqu'ici ne doit se
16 faire que dans l'intérêt de l'accusation pour l'instant.
17 L'argument suivant, évoqué par Me Ackerman, porte sur
18 l'article 3 commun. Sur cette question et sur les questions associées
19 soulevées dans le mémoire de M. Landzo, je crois, et dans le mémoire de
20 Me Olujic aujourd'hui, l'accusation souhaite souligner que ce sont des
21 questions de compétence, des questions juridiques qui ne doivent pas être
22 posées à ce stade de la procédure.
23 Notre Règlement est très clair sur ce point. Les questions
24 portant sur la compétence doivent être posées avant le début du procès et
25 non seulement avant que l'audience sur le fond ait lieu. En fait, je
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1 rappelle d'ailleurs que notre Règlement permet d'interjeter appel
2 immédiatement sur l'ensemble de la question avant même que l'audience sur
3 le fond ait eu lieu.
4 Si cette règle n'existait pas, il serait possible, dans cette
5 affaire comme dans toute autre, de s'engager dans une audience extrêmement
6 longue, difficile, complexe et coûteuse, qui
7 porterait sur le fond. Une audience qui pourrait durer plus d'un an,
8 permettant à la défense ou à toute autre partie de simplement retarder
9 encore et toujours les procédures en soulevant encore et toujours des
10 questions de compétence.
11 Pour ces raisons de sens commun, notre Règlement établit
12 clairement que toutes ces questions doivent être réglées avant le début du
13 procès, notamment que les questions portant sur la compétence doivent être
14 posées avant l'audience sur le fond. Pour cette seule raison, nous vous
15 demandons de refuser d'examiner la contestation qui a été faite quant à
16 votre compétence, notamment les contestations relatives à l'article 3
17 commun.
18 Cependant, Monsieur le Président, si vous décidiez d'analyser
19 cette contestation, au titre de l'article 3 commun, alors nous déciderions
20 de faire valoir que cette question a déjà été tranchée par la Chambre
21 d'appel de ce Tribunal, qui a rendu une décision dans de sens une
22 décision, liant cette Chambre d'instance comme les autres Chambres
23 d'instance de ce Tribunal.
24 Me Ackerman ou son successeur -puisque Me Ackerman nous quitte-
25 pourrait présenter ses arguments devant une Chambre d'appel et demander à
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1 la Chambre d'appel de revoir sa décision précédente. Mais la Chambre
2 d'appel a déjà tranché la question et il me semble que toute contestation
3 devant cette Chambre d'instance est parfaitement inopportune.
4 De toute façon, Monsieur le Président, Madame et Messieurs les
5 Juges, nous voulons faire valoir que l'article 3 commun tombe évidemment
6 dans la compétence de ce Tribunal. Nous avons abordé les raisons qui nous
7 permettent d'avancer cet argument dans notre mémoire et nous avons
8 également abordé ce sujet de façon très exhaustive dans le cadre d'une
9 décision d'appel.
10 Nous voudrions brièvement rappeler sur ce point, que nous
11 pensons que la défense a mal étayé son argument relatif à l'article 3.
12 Me Ackerman a établi une analogie concernant les parcmètres ou le fait de
13 cracher dans la rue, mais nous ne pensons pas que ces analogies soient
14 pertinentes. En tout cas, elles ne sont pas pertinentes ici, étant donné
15 que le statut couvre
16 explicitement d'autres types de violation des lois et coutumes de la
17 guerre que celles qui sont expressément précisées. Si quelqu'un devait
18 faire une analogie quelconque, elle devrait porter sur les infractions qui
19 sont précisées aux articles 2, 4 et 5 de notre Statut.
20 Nous n'avons pas précédemment répondu à l'argument de la défense
21 concernant les commentaires du Secrétaire général, commentaire émis non
22 seulement après que le statut pour le Tribunal de l'ex-Yougoslavie a été
23 voté, mais également après que le statut pour le Rwanda a été voté. Etant
24 donné que Me Ackerman a stipulé qu'il souhaitait que l'accusation réponde
25 à cet argument, alors nous allons le faire.
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1 Nous voulons dire que, quelle que soit l'interprétation qui est
2 faite, ces commentaires ont beaucoup moins de poids et d'influence que les
3 commentaires faits par les membres du Conseil de sécurité au moment même
4 où ils ont adopté le statut du Tribunal pour l'ex-Yougoslavie.
5 Deuxièmement, le commentaire émis concernant le statut du Rwanda
6 est peut-être plus explicite et plus précis concernant l'incorporation de
7 l'article 3 commun dans les texte du statut, simplement parce que grâce à
8 l'expérience du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, il
9 apparaissait qu'il était bon de reconnaître explicitement dans un texte
10 écrit que cet article 3 commun était incorporé. Voici la réponse que je
11 souhaitais apporter aux arguments de Me Ackerman sur cette question.
12 Sur les arguments avancés par Me Moran, notamment sur les
13 éléments relatifs à la définition de l'infraction, je voudrais simplement
14 clarifier notre position sur ce point. La position de l'accusation est la
15 suite suivante. Elle ne revient pas à dire que cette Chambre n'est pas à
16 même de déterminer ce qui constitue ou non les éléments d'une infraction.
17 Nous disons simplement que ce qui a été dit dans l'affaire Tadic
18 n'entraîne aucune obligation à votre égard, Monsieur le Président, vous
19 n'avez pas à agir de la même façon.
20 Pour ce qui est maintenant de la pertinente question de la
21 nationalité, puisqu'il
22 s'agit de savoir si oui ou non les civils du camp de Celebici peuvent être
23 considérés comme des personnes protégées. Nous répondons exhaustivement à
24 cette question dans notre mémoire. Je me contenterai de souligner ici que
25 la nationalité, ainsi qu'elle a été interprétée précédemment, dans le
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1 cadre de l'application du droit international coutumier, n'est pas
2 nécessairement circonscrite à des définitions nationales relativement
3 étroites, relativement précises. C'est particulièrement vrai ici, dans un
4 contexte où il s'agit de savoir si les victimes sont ou non des personnes
5 protégées.
6 Nous sommes ici dans le contexte de la dissolution d'un Etat,
7 cela entraîne des questions particulièrement complexes, concernant la date
8 de dissolution de l'Etat, cela concerne également le fait de savoir si la
9 législation nationale était encore en vigueur ou pas.
10 Je voudrais enfin aborder certaines questions portant sur la
11 législation nationale et sur le fait que l'application de la loi nationale
12 peut faire durer pendant des années la résolution de questions sur la
13 nationalité. Ces éléments ne devraient pas empêcher qu'une interprétation
14 de ces lois permette de protéger les personnes qui peuvent être
15 concernées. Sur le statut des personnes protégées et sa relation par
16 rapport aux prisonniers de guerre, là encore, je vous renvoie à notre
17 mémoire qui étudie la question en profondeur.
18 Simplement je voudrais préciser qu'il était clair qu'à l'époque
19 qui nous occupe, il y avait clairement différentes catégories de
20 personnes, qui pouvaient toutes être considérées comme des prisonniers de
21 guerre. En fait, elles pouvaient même être considérées comme membres de
22 milices volontaires, comme membres d'une insurrection de masse, comme des
23 membres des groupes de résistance et cela a été reconnu.
24 Il me semble très clair, au vu de la lettre des Conventions de
25 Genève, que les personnes concernées jouissaient bien du statut de
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1 personnes protégées, en tant que prisonniers de guerre.
2 Me Moran a ensuite abordé la doctrine de la responsabilité du
3 supérieur
4 hiérarchique. Comme cela apparaît dans notre mémoire, nous pensons que la
5 défense a tort lorsqu'elle avance ses arguments sur la causalité et le
6 fait que le supérieur hiérarchique est tenu de savoir ce que font ses
7 subordonnés. Sur le lien de causalité, la défense soutient, il me semble,
8 les thèses avancées dans le livre qui s'intitule "Crime contre l'humanité"
9 rédigé par M. Bacuni*. Nous vous renvoyons à ce même livre, notamment aux
10 pages 371 et 372, à la lecture de ces pages, Monsieur le Président, je
11 suis sure que vous arriverez à une conclusion très claire sur ce point.
12 De toute façon, au vu du statut des accusés qui sont ici réunis,
13 au vu des conditions qui prévalaient dans le camp de Celebici, les
14 distinctions concernant les différentes opinions en matière de
15 connaissance des faits ou en matière de causalité ne sont mêmes pas
16 pertinentes. En effet, les éléments de preuve proposés dans cette affaire
17 permettraient même de satisfaire à des critères plus étroits, et
18 d'ailleurs incorrects, qui sont avancés par la défense.
19 Pour ce qui est maintenant de la responsabilité de supérieur de
20 M. Delic, je voudrais préciser que nous n'avons pas intégralement compris
21 les arguments avancés par Me Moran, mais dans la mesure où nous les avons
22 compris, il ne me semble pas qu'il y ait désaccord quant aux points
23 juridiques concernés ici.
24 D'après nous, le désaccord porte simplement sur les faits. Comme
25 cela apparaît dans notre mémoire, les éléments de preuve prouvent bien
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1 que, quel qu'ait été son grade, M. Delic avait bien la responsabilité du
2 supérieur hiérarchique. Il avait compétence et autorité sur les gardes du
3 camp, il pouvait exercer une influence sur leurs actes. Quelques exemples
4 des éléments de preuve de cela : je vous renvoie tout simplement à notre
5 mémoire. Vous les trouverez, ils sont très clairement établis.
6 Comme vous le savez, le fait que l'autorité de commandement soit
7 simplement une autorité intermédiaire et non pas absolue, cela ne permet
8 pas de dire que la personne concernée n'était pas totalement responsable.
9 La question qui doit se poser est : était-il en mesure
10 d'empêcher ou de sanctionner les personnes ayant commis des infractions,
11 du fait de l'autorité dont il était revêtu ? Dans ce cas, je crois que
12 nous avons clairement prouvé que M. Delic jouissait d'une telle autorité.
13 Pour ce qui est maintenant de la détention illégale de civils,
14 une question abordée par Me Moran et Me Residovic, il y a bien sûr des
15 circonstances où des civils peuvent être détenus légalement.
16 Mais ce sont des circonstances très précises. Elles supposent
17 que les autorités qui détiennent ces personnes prennent certaines mesures
18 qui rendent les mesures de détention légales. Or, ici, ces mesures n’ont
19 jamais été appliquées. S'il s'agissait ici de dire que les événements qui
20 ont eu lieu à Celebici se sont en fait déroulés dans le cadre d’une
21 détention préventive tout à fait légitime, affirmer une telle chose, c’est
22 aller à l’encontre des témoignages toujours émouvants et parfois tragiques
23 que nous avons entendus ici, dans ce prétoire.
24 Faire une telle proposition est parfaitement aberrant, notamment
25 de la part de conseils de la défense aussi éminents. Si cette proposition
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1 était acceptée par la Chambre de première instance, si elle permettait de
2 justifier la détention de toutes ces personnes - qu'il s'agisse du camp de
3 Celebici ou d’autres camps dans l’ex-Yougoslavie -, ce serait absolument
4 déplorable.
5 Pour ce qui est maintenant des arguments de Mme Residovic
6 concernant la responsabilité du supérieur hiérarchique de M. Delalic,
7 l’accusation note simplement que tous les éléments de preuve présentés
8 doivent être interprétés pour l'instant en faveur de l'accusation. Ainsi,
9 les arguments de Mme Residovic relatifs à certains éléments de preuve qui
10 ne seraient pas fiables, authentifiés, ne peuvent servir de base aux
11 arguments qu’elle avance. En fait, il convient à Mme Residovic de revoir
12 sa position. Ces arguments ne peuvent être présentés que lors de sa
13 plaidoirie finale.
14 Nous avons établi, dans un certain nombre d'écritures
15 précédentes, qu'il y avait effectivement suffisamment de preuves établies
16 contre M. Delalic. Je serais ravie de revoir tous ces points en détail
17 avec vous, Monsieur le Président, mais pour l'instant, je me contenterai
18 de vous informer que, pour ce qui est de notre réponse détaillée à tous
19 ces points de droit, nous les aborderons dans notre plaidoirie finale.
20 Concernant maintenant les arguments proposés par M. Olujic , là
21 aussi nous y avons répondu de façon tout à fait complète et exhaustive
22 dans notre mémoire. Quant à tous les arguments factuels supplémentaires
23 qu'il a abordés aujourd'hui, là aussi nous y apporterons une réponse dans
24 le cadre de notre plaidoirie finale. Il ne semble pas nécessaire d'y
25 répondre maintenant car, dans notre mémoire, il nous semble que nous avons
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1 avancé suffisamment d’éléments de preuve qui permettent de venir à l’appui
2 des chefs d’accusation établis contre M. Mucic. C’est le cas d'ailleurs
3 pour tous les autres accusés.
4 C’est la raison pour laquelle, Monsieur le Président, Madame et
5 Messieurs les Juges, nous vous demandons de rejeter les requêtes de la
6 défense aux fins d'abandon des chefs d'accusation. Voici quels sont nos
7 arguments.
8 Monsieur le Président, si vous avez des questions, si vous
9 souhaitez que nous apportions quelque précision que se soit, nous serons
10 ravis d'y répondre.
11 M. le Président (interprétation). - Je ne crois pas que nous
12 ayons des questions à vous poser, Maître. Je vous remercie.
13 Mme McHenry (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.
14 M. le Président (interprétation). - M. Ackerman, souhaitez-vous
15 vous exprimer ?
16 M. Ackerman (interprétation). - Oui, Monsieur le Président, mais
17 quelques minutes seulement.
18 M. le Président (interprétation). - Bien. Je vous donne
19 l'autorisation de vous exprimer.
20 M. Ackerman (interprétation). - Merci, Monsieur le Président, je
21 serai très bref. Hier, j'ai oublié de préciser que l'accord du 22 mai
22 auquel Mme McHenry a fait référence a fait l'objet de discussions
23 extrêmement complètes dans le cadre de la décision d’appel de l’affaire
24 Tadic. Il a été dit que cet accord avait bien été signé le 22 mai 1992
25 sous l'égide du CICR et que c'est la Croatie, la Bosnie-Herzégovine et la
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1 Republika Srpska qui avaient été parties à cet accord. Le commentaire
2 établi dans le cas de la décision d’appel de l'affaire Tadic a été que
3 cela prouvait bien que le CICR et les trois parties concernées
4 considéraient le conflit dans lequel elles étaient engagées comme un
5 conflit interne. Dans le cas contraire, le CICR et toutes les autres
6 parties concernées auraient violé la teneur même des Conventions de Genève
7 en signant un tel accord.
8 Je rappelle que ces Conventions prévoient spécifiquement que des
9 parties ne peuvent pas conclure un accord qui amoindrit l'impact des
10 Conventions d'une façon quelconque. L'accord du 22 mai fait bien cela
11 puisqu'il n'inclut que des parties infimes des Conventions pertinentes :
12 dans le cadre de la décision d’appel de l’affaire Tadic, il a été dit que
13 cela prouvait bien que les parties elles-mêmes pensaient qu'elles étaient
14 parties à un conflit interne.
15 Pour ce qui est de la question de la compétence et de
16 l'article 3 commun, la question de savoir si l'on parle dans un certain
17 cas de droit international coutumier, comme je l’ai dit hier, c'est une
18 question qui implique à la fois des points de droit et des points de fait.
19 La CIG, dans un certain nombre d'affaires - je n'ai pas les noms à
20 l'esprit pour l'instant - a déclaré qu'une personne qui tenterait
21 d'invoquer le droit international coutumier se met dans une position où il
22 lui incombe de prouver que quelque chose relève bien du droit
23 international coutumier.
24 Il serait ridicule d'affirmer qu'il nous revienne, à nous, de
25 soulever la compétence du Tribunal relative à l'article 3 commun, avant
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1 que l'accusation ne s'exprime en premier lieu
2 sur la question. Le seul moment où une telle question sur la compétence
3 fondée à la fois sur le droit et sur le fait peut être soulevée de façon
4 légitime, c'est après que l'accusation ait présenté tous ces éléments de
5 preuve et a failli dans sa présentation de ces éléments de preuve.
6 En outre, ce Tribunal ne peut être compétent que dans la mesure
7 où il s'est vu attribuer certaines compétences par les Nations Unies. Il
8 ne jouit pas de compétence supplémentaire. Le bureau du Procureur et moi-
9 même ne pouvons pas vous dire aujourd'hui que vous jouissez de plus de
10 compétences que celles qui vous ont été données par les Nations Unies.
11 Nous ne pouvons pas le faire.
12 Si Mme McHenry et moi-même, nous nous levions et vous disions :
13 "Monsieur le Président, nous avons décidé de vous accorder certaines
14 compétences concernant des questions irakiennes et concernant les combats
15 qui s'y déroulent", nous serions en train de violer tous les principes
16 fondamentaux du droit. Nous ne pouvons pas vous donner compétence
17 simplement en passant un accord entre nous.
18 Il n’y a pas un tribunal au monde dont j'ai connaissance où la
19 question de la compétence ne peut être évoquée à tout moment, et même au
20 moment de la conclusion de l'affaire, et même au moment d’un appel qui
21 serait interjeté. La question de la compétence peut toujours être posée
22 parce qu'une Cour ne peut agir que dans le cadre des compétences qui lui
23 ont été accordées.
24 M. Moran (interprétation). - J'aimerai, moi aussi, si vous me le
25 permettez, Monsieur le Président, aborder un certain nombre de choses et
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1 répondre à deux ou trois points abordés par Mme McHenry.
2 M. le Président (interprétation). - Je vous en prie.
3 M. Moran (interprétation). - Tout d'abord, Mme McHenry déclare
4 que la Chambre de première instance est tenue par la décision Tadic
5 relative à l'article 3 commun. Si c’était vrai, alors je suggérerais que
6 cette Chambre d'appel soit également tenue de respecter la
7 décision prise dans l’appel de l'affaire Tadic, celle qui s’applique à la
8 nationalité des Serbes de Bosnie. Je vous renvoie notamment au
9 paragraphe 76 de la décision de la Chambre d’appel de l’affaire Tadic.
10 Nous ne devrions même pas nous poser la question de savoir si les Serbes
11 de Bosnie et les Musulmans de Bosnie avaient bien la même nationalité.
12 Deuxièmement, Mme McHenry semble faire une interprétation
13 abusive de l'article 5 de la Convention de Genève sur les prisonniers de
14 guerre. Rien n'exige que toute personne placée en détention, au cours d’un
15 conflit armé, invoque l'article 5 de la Convention. Il y a un doute quant
16 à leur statut en tant que prisonniers de guerre et aucune protection ne
17 peut leur être accordée au titre de l'article 5 de la Convention de Genève
18 sur les prisonniers. Sauf si nous parlons d'un prisonnier qui jouit
19 légitimement du statut de prisonnier de guerre.
20 Pour ce qui est maintenant de la détention illégale, Mme McHenry
21 semble établir une équivalence entre le fait de détenir quelqu’un avec la
22 condition de détention de cette personne. Mais il s’agit de deux choses
23 différentes au sein de l'acte d'accusation. L'accusation laisse entendre
24 que les gens enfermés dans le camp de Celebici auraient pu être partie
25 prenante à une insurrection de masse. Or la majorité des textes fondant le
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1 droit international stipulent qu'en cas d’insurrection de masse, il peut
2 être justifié de traiter tous les hommes en âge de porter les armes en
3 qualité de détenus équivalent à des prisonniers de guerre.
4 Je prends pour source le manuel de l'armée américaine FM-27/10,
5 paragraphe 65. Je ne crois pas que l'on puisse traiter les arguments par
6 la négative et l'affirmative en même temps. Tel est,
7 Monsieur le Président, ce que je voulais dire.
8 M. le Président (interprétation). - Merci beaucoup.
9 Mme Residovic (interprétation). - Je parlerai très brièvement
10 comme l'ont fait mes confrères, mais j'aimerais dire quelques mots de
11 réponse aux propos qui viennent d'être avancés par le Procureur devant
12 cette Chambre de première instance.
13 Dans notre document écrit et par oral, nous avons montré très
14 clairement que le
15 Procureur n'avait pas établi l'existence de présomptions suffisantes eu
16 égard à M. Zejnil Delalic. Bien au contraire, les éléments de preuve qui
17 nous ont été présentés, qui ont fait l'objet d'un contre-interrogatoire de
18 notre part et qui ont été versés au dossier de ce procès, ont prouvé le
19 contraire, à savoir que Zejnil Delalic n'a jamais occupé la moindre
20 fonction, n'a jamais eu la moindre mission, la moindre tâche prouvant
21 qu'il ait pu avoir compétence ou avoir une quelconque responsabilité en
22 rapport avec le camp de Celebici. L'aspect qualitatif des éléments de
23 preuve invoqué par le Procureur aujourd'hui me pousse à vous référer à la
24 décision de la Chambre de première instance du 25 septembre 1996, à la
25 demande de la défense de M. Delalic pour une libération provisoire. Le
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1 Juge McDonald et d'autres juges ont discuté de la question et nous voyons
2 à la lecture de cette requête que les éléments de preuve ont été
3 considérés comme insuffisants, comme trop faibles mais comme suffisants
4 pour établir l'existence de présomptions valables pour provoquer un
5 verdict. Nous disons qu'aujourd'hui cet élément est contredit par la
6 réalité et que ce qui est démontré est exactement le contraire.
7 Mme McHenry (interprétation). - Monsieur le Président, nous
8 élevons une objection car ce que dit Me Residovic en ce moment n'est pas
9 une réponse à des éléments évoqués par le Procureur initialement.
10 Mme Residovic (interprétation). - La phrase que je voudrais
11 prononcer est la suivante : les éléments prima facie auxquels le Procureur
12 fait référence aujourd'hui doivent être examinés également à la lumière
13 des textes européens régissant les droits de l'homme. S'il existe des
14 éléments, des conditions, des faits qui peuvent laisser penser que la
15 personne accusée a peut-être commis un crime, il existe des éléments, des
16 présomptions suffisants. Cela n'a pas été prouvé par le Procureur.
17 Je vais répéter la phrase que je viens dire. Il ne m'en reste
18 plus qu'une. On cherche à évaluer si les éléments de preuve soumis par le
19 Procureur au Tribunal sont suffisants pour garantir l'existence d'une
20 présomption prima facie. Je fais également référence à la décision du
21 Tribunal européen pour les droits de l'homme qui estime que l'existence
22 d'une suspicion suppose l'existence d'un acte ou de conditions qui
23 permettraient à un observateur extérieur de penser que la personne dont il
24 est question a peut-être commis un acte criminel. L'une des décisions
25 rendues par ce Tribunal adopte la même position dans l'affaire Hadzic*.
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1 La dernière phrase que je voudrais formuler, en rapport avec la
2 réplique du Procureur, est la suivante : il n'est pas acceptable que ce
3 Tribunal compare l'affaire de Celebici avec l'affaire de Keraterm ou une
4 quelconque autre situation. J'affirme cela car dès le premier jour de ce
5 procès, à l'encontre de M. Delalic et de ses coaccusés, une comparaison a
6 été établie par ce Tribunal avec les grands criminels de guerre nazis.
7 J'affirme que n'est pas ici l'endroit pour s'exprimer de cette façon. Je
8 m'y oppose avec la plus grande fermeté. Je vous remercie.
9 M. Olujic (interprétation). - Monsieur le Président, si vous me
10 le permettez, j'aimerais dire quelques mots très brièvement.
11 Dans sa réplique, notre collègue de la partie adverse, n'a pas
12 repris nos arguments, notamment ceux concernant la compétence.
13 Monsieur le Président, aucun Tribunal s'il n'est pas compétent
14 ne peut émettre un verdict légal. Si le problème de compétence est évoqué,
15 et c'est le cas, M. Mucic a même changé de défenseur en raison de ce
16 motif. Je remercie ma collègue de l'accusation de me mettre en garde à cet
17 égard. Il est tout à fait clair que l'existence d'exceptions préliminaires
18 est à prendre en compte, mais ce sont des exceptions préliminaires qui
19 peuvent être présentées dans n'importe quel procès. Je déclare que c'est
20 en raison de ce motif que M. Mucic a changé de défenseur au cours de ce
21 procès. C'est tout ce que j'ai à ajouter à ce que j'avais déjà dit. Je
22 vous remercie.
23 M. le Président (interprétation). - Merci beaucoup. Je crois que
24 nous sommes arrivés au terme de l'audition des arguments présentés par les
25 deux parties au sujet de cette requête.
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1 Nous rendrons notre décision mercredi prochain. Je crois qu'il
2 s'agit du 18 mars.
3 C'est donc le 18 mars, mercredi prochain, que nous rendrons
4 notre décision ce qui vous permettra, au cas où vous devriez vous engager
5 dans une défense, de la préparer, de savoir avec précision sur quel
6 domaine vous devez concentrer votre défense.
7 Mme Residovic (interprétation). - Puis-je vous prier d'entendre
8 une proposition que j'ai à faire ?
9 Lorsque la décision de la Chambre sera rendue le 18, j'aimerais,
10 au nom de M. Delalic qui sera le premier dans l'ordre de l'audition des
11 témoins de la défense, éventuellement vous demander, si cela est
12 nécessaire je le répète, de modifier l'ordre de comparution des témoins de
13 la défense, c'est-à-dire d'autoriser la défense de M. Delalic d'entendre
14 ses témoins trois semaines après le début de l'audition des témoins de la
15 défense. Je ne pense pas qu'il sera nécessaire d'entendre des témoins de
16 la défense, mais au cas où cela s'avérerait nécessaire, je vous prierai,
17 s'agissant de l'ordre des témoins de la défense d'entendre ceux qui
18 parleront de Delalic trois semaines après le début de l'audition de ces
19 témoins.
20 M. le Président (interprétation). - C'est une question à
21 discuter entre les conseils de la défense. Ce n'est pas à nous qu'il
22 appartient de décider à quel moment vous aller assurer la défense de votre
23 client. C'est une question que vous devriez discuter avec vos confrères.
24 Peut-être pourront-ils satisfaire à votre demande.
25 M. Moran (interprétation). - Monsieur le Président, je suppose
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1 que votre décision sera rendue par écrit et que vous ne vous attendez pas
2 à ce que nous soyons physiquement présents le 18 dans ce prétoire car
3 j'avais prévu de quitter les Pays-Bas ce week-end puisque rien n'était
4 prévu au calendrier des audiences. Je pensais donc que la décision serait
5 rendue par écrit.
6 M. le Président (interprétation). - Quel que soit le nom que
7 vous lui donnez, il s'agira d'une décision qui portera sur les arguments
8 que vous présenterez.
9 M. Moran (interprétation). - En fait, Monsieur le Président,
10 j'essayais de confirmer que la Chambre de première instance ne s'attend
11 pas à ce que nous soyons là le 18 mars.
12 M. le Président (interprétation). - Non. Vous n'avez pas besoin
13 d'être présents.
14 M. Moran (interprétation). - J'ai eu l'expérience ces derniers
15 jours de l'absence de certains avocats au cours des audiences. Je
16 n'aimerais pas me trouver dans cette situation.
17 M. le Président (interprétation). - Non absolument pas.
18 Mme Residovic (interprétation). - Monsieur le Président, peut-
19 être ne me suis-je pas bien exprimée ? Nous avons une information venant
20 de vous selon laquelle si la défense doit appeler des témoins, elle
21 pourrait commencer le 30 mars, mais je vous prierai de modifier cette date
22 et de nous permettre de commencer trois semaines après la date que vous
23 aviez citée dans votre proposition initiale.
24 M. le Président (interprétation). - Nous avons déjà établi un
25 calendrier et vous savez que selon ce calendrier la défense devrait
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1 commencer l'audition de ses témoins le 30 mars. Ce calendrier va demeurer
2 inchangé. Il est toujours valable.
3 M. Jan (interprétation). - Au cas où la décision qui sera rendue
4 sera favorable à la défense, cette date tombera, mais elle est maintenue
5 car trop de procès sont conduits simultanément. Nous ne pouvons donc pas
6 nous écarter du calendrier prévu. Si la décision rendue par la Chambre de
7 première instance vous est favorable, vous pourrez annuler toutes les
8 dispositions préalables que vous avez prises. Vous aurez tout le temps
9 nécessaire pour ce faire.
10 M. le Président (interprétation). - C'est donc la position de la
11 Chambre de première instance. Nous ne pouvons rien faire à ce sujet.
12 M. Nieman (interprétation). - Nous avons de toute façon une
13 objection à l'égard de tout ajournement. En effet, cela fait longtemps que
14 la date est fixée. En fait, la préparation de la défense ne commence pas
15 le jour de votre décision, Monsieur le Président. Elle aurait dû
16 commencer bien avant. Nous élevons une objection à l'encontre d'une
17 modification de l'ordre de l'audition des témoins car nous n'en avons pas
18 été informés. Nous nous sommes préparés à un certain ordre des témoins et
19 nous aurions le plus grand mal à modifier cet ordre si nous devions le
20 faire. nous aimerions en tout cas en être informés à l'avance de façon à
21 pouvoir nous préparer dans les délais nécessaires.
22 M. le Président (interprétation). - Merci beaucoup, Maître. Nous
23 n'allons pas nous prononcer immédiatement sur la question et simplement
24 déclaré que la séance est levée. Nous nous retrouverons le 30 mars.
25 (L'audience est levée à 11 heures 35.)