LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Almiro Rodrigues, Président
M. le Juge Fouad Riad
Mme le Juge Patricia Wald

Assistée de :
Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier

Décision rendue le :
22 juin 2000

LE PROCUREUR

C/

MLADEN NALETILIC
VINKO MARTINOVIC

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DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE DE L’ACCUSATION AUX FINS DE L’APPROBATION DE LA PROCÉDURE DE L’ARTICLE 94 TER DU RÈGLEMENT DE PROCÉDURE ET DE PREUVE (DÉCLARATIONS CERTIFIÉES)

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Le Bureau du Procureur :

M. Franck Terrier

Le Conseil de la Défense :

M. Branko Seric
M. Kresimir Krsnik

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991,

VU la Requête aux fins de l’approbation de la procédure de l’article 94 ter du Règlement de procédure et de preuve (Déclarations certifiées) déposée par l’Accusation le 14 mars 2000,

VU la Réponse de la Défense à la requête de l’Accusation aux fins de l’approbation de la procédure de l’article 94 ter du Règlement de procédure et de preuve (Déclarations certifiées) datée du 17 avril 2000,

OUÏ les conclusions des parties sur cette question lors de la conférence de mise en état du 16 mai 2000,

ATTENDU que l’article 94 ter du Règlement de procédure et de preuve (le «Règlement») prévoit que «pour prouver un fait en litige, une partie peut proposer de citer un témoin et soumettre des déclarations sous serment ou des déclarations certifiées d’autres témoins pour corroborer son témoignage sur ce fait. Ces déclarations sous serment et déclarations certifiées sont faites conformément au droit de l’État dans lequel elles sont signées»,

ATTENDU que le Procureur souhaite soumettre, en vue d’une présentation au procès et en application de l’article 94 ter du Règlement, les déclarations certifiées de témoins dont beaucoup résident dans la Fédération de Bosnie-Herzégovine («BiH»),

ATTENDU que l’article 230 du Code de procédure pénale de la Fédération de BiH prévoit que des témoins peuvent, dans certaines circonstances, prêter serment devant un juge d’instruction pendant la phase préalable au procès et que des déclarations de témoins déposées devant des juges d’instruction à Zenica ont été admises en vertu de l’article 94 ter du Règlement dans l’affaire Le Procureur c/ Kordic et Cerkez, n° IT-95-14/2-T,

ATTENDU que l’Accusation craint que la procédure adoptée dans l’affaire Kordic n’offre pas une protection suffisante à ses témoins en l’espèce parce que, selon elle, la situation est plus incertaine dans la région de Mostar (où résident ces témoins) qu’à Zenica (où vivaient les témoins dans Kordic) et qu’elle estime qu’il lui serait impossible de limiter l’accès aux informations concernant l’identité de ses témoins et à la teneur de leurs dépositions, une fois que ces dernières auraient été envoyées au gouvernement de la BiH,

ATTENDU que l’Accusation avance qu’il est donc «peu probable […] que le Procureur puisse obtenir un grand nombre de déclarations certifiées en vertu [de l’article 94 ter du Règlement] s’il doit se conformer strictement à ses termes» et qu’elle demande à la Chambre de première instance d’user des pouvoirs inhérents que lui confère le Règlement afin de «modifier la procédure pour obtenir et accepter un témoignage en vertu de l’article 94 ter du Règlement», l’objectif étant de permettre à l’Accusation de faire recueillir des déclarations en vertu de l’article 94 ter du Règlement par ses propres enquêteurs, lesquels ne seraient pas tenus par le droit la BiH mais devraient respecter certaines formalités (telles que photocopier le passeport ou la carte d’identité des témoins ou faire signer aux témoins une déclaration par laquelle ils reconnaissent être informés que leur déclaration peut être utilisée dans le cadre de poursuites judiciaires devant le Tribunal et que mentir dans cette déclaration constituerait un outrage passible d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement),

VU l’argument de la Défense selon lequel cette procédure déroge aux dispositions sans équivoque de l’article 94 ter, qui autorise uniquement l’admission «des déclarations sous serment ou des déclarations certifiées d’autres témoins […] faites conformément au droit de l’État dans lequel elles sont signées» [Non souligné dans l’original],

VU l’argument de la Défense selon lequel le Procureur, s’il souhaite voir réviser la procédure d’obtention et d’admission de preuves régie par l’article 94 ter du Règlement, devrait demander une modification dudit article, laquelle devrait être adoptée par un vote des juges du Tribunal réunis en session plénière, conformément à l’article 15 du Statut («Règlement du Tribunal») et à l’article 6 du Règlement («Modification du Règlement»),

ATTENDU que la Chambre de première instance estime que la procédure proposée par l’Accusation ne satisfait pas à la disposition expresse de l’article 94 ter du Règlement selon laquelle «ces déclarations sous serment et déclarations certifiées sont faites conformément au droit de l’État dans lequel elles sont signées»,

ATTENDU que la Chambre estime que les parties n’ont pas épuisé tous les moyens potentiels d’obtenir des déclarations en application de l’article 94 ter du Règlement, tels que coopérer avec les autorités de la BiH pour déterminer des procédures spécifiques permettant de limiter le nombre de personnes ayant accès aux informations confidentielles ou ne pas faire déposer les témoins à Mostar mais dans une région proche en BiH, où ils se sentiraient plus à l’abri,

ATTENDU qu’il est dans l’intérêt tant de l’Accusation que de la Défense de s’entendre sur une procédure applicable par les deux parties pour obtenir, en vue d’en faire usage, des déclarations conformes à l’article 94 ter,

PAR CES MOTIFS,

REJETTE la requête de l’Accusation, sans préjudice d’autres solutions sur lesquelles les parties pourraient s’accorder dans l’esprit de ce qui précède et de décisions supplémentaires de la Chambre de première instance.

 

Fait en français et en anglais, la version en anglais faisant foi.

Fait le 22 juin 2000
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre de première instance I
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Almiro Rodrigues

[Sceau du Tribunal]