LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

 Composée comme suit :
M. le Juge Almiro Rodrigues, Président
M. le Juge Fouad Riad
Mme le Juge Patricia Wald

Assistée de :
Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier

Décision rendue le :
10 novembre 2000

LE PROCUREUR

C/

MLADEN NALETILIC alias «TUTA»

et

VINKO MARTINOVIC alias «ŠTELA»

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DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE MODIFIÉE DE L’ACCUSATION
AUX FINS D’APPROBATION D'UNE PROCÉDURE DE L’ARTICLE 94 TER
DU RÈGLEMENT (DÉCLARATIONS CERTIFIÉES)

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Le Bureau du Procureur :

M. Kenneth Scott

Le Conseil de la Défense :

M. Kresimir Krsnik pour Mladen NALETILIC
M. Branko Seric pour Vinko MARTINOVIC

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le «Tribunal»),

VU la «Requête modifiée du Procureur aux fins d’approbation d'une procédure de l’article 94 ter du Règlement (Déclarations certifiées)» déposée le 11 octobre 2000 par l’Accusation (la «Requête»),

VU la «Déclaration de la Défense au nom de l'accusé Vinko Martinovic en réponse aux documents préalables au proccs présentés par le Procureur» datée du 23 octobre 2000 (la «Réponse de Martinovic») dans laquelle l'accusé Martinovic exposait ses objections à la Requête,

VU la «Déclaration de la Défense de Mladen Naletilic en réponse r l'exposé du Procureur quant au dépôt le 11 octobre 2000 de documents préalables au procès» datée du 24 octobre 2000 (la «Réponse de Naletilic») dans laquelle Naletilic faisait état de ses objections à la Requête,

ATTENDU qu'en ses dispositions pertinentes, l’article 94 ter du Règlement de procédure et de preuve (le «Règlement») s'énonce comme suit :

«pour prouver un fait en litige, une partie peut proposer de citer un témoin et soumettre des déclarations sous serment ou des déclarations certifiées d’autres témoins pour corroborer son témoignage sur ce fait. Ces déclarations sous serment et déclarations certifiées sont faites conformément au droit de l’État dans lequel elles sont signées»

ATTENDU que bien que le droit de la Fédération de Bosnie-Herzégovine («BiH») ne prévoit aucune procédure spécifique pour le recueil d'une déclaration sous serment ou d'une déclaration certifiée, l'article 230 du Code de procédure pénale de BiH stipule que des témoins peuvent, dans certaines circonstances, prêter serment devant un juge d'instruction pendant la phase préalable au procès1,

ATTENDU que dans sa première requête, visant à faire approuver une procédure fondée sur l'article 94 ter (la «Première requête du Procureur»), l'Accusation a souligné que la situation dans la région de Mostar (où habitent les témoins) était extrêmement incertaine et a proposé, dans le but de préserver la confidentialité des témoignages, qu'un enquêteur du Bureau du Procureur soit désigné pour recueillir les déclarations en vertu de l'article 94 ter, à la place d'un juge d'instruction de la BiH2,

ATTENDU que le 22 juin 2000, la Chambre de première instance a rejeté la Première requête du Procureur (la «Décision du 22 juin 2000») au motif que la procédure que l'Accusation se proposait de substituer à l'article 94 ter était inacceptable3 et a estimé que :

«les parties [n’avaient] pas épuisé tous les moyens potentiels d’obtenir des déclarations en application de l’article 94 ter du Règlement, tels que coopérer avec les autorités de la BiH pour déterminer des procédures spécifiques permettant de limiter le nombre de personnes ayant accès aux informations confidentielles ou ne pas faire déposer les témoins à Mostar mais dans une région proche en BiH, où ils se sentiraient plus à l’abri»4

ATTENDU qu'à l'invitation de la Chambre de première instance, l'Accusation a poursuivi ses consultations avec les autorités de la BiH afin de mettre en place une procédure capable de mieux respecter les conditions fixées à l'article 94 ter et d'assurer la protection des témoins,

ATTENDU que, comme l'a proposé l'Accusation dans sa Requête, la procédure fondée sur l'article 94 ter se déroulera devant un juge d'instruction de la BiH, mais que les témoins seront conduits à Sarajevo par des représentants de la Section d’aide aux victimes et aux témoins du TPIY au lieu d'être convoqués par les autorités du pays ; et que la déclaration pourra être recueillie à l'Antenne du Bureau du Procureur à Sarajevo dans le cas où la confidentialité de l'identité du témoin et de ses propos ne pourrait être garantie dans l'enceinte des tribunaux de Sarajevo,

ATTENDU que l'accusé Naletilic s'oppose à la Requête au motif que la procédure visée ne répond pas strictement aux conditions d'application de l'article 94 ter ; que la Chambre de première instance n'est pas habilitée à modifier le contenu dudit article ; et que, du reste, il s'oppose par principe au versement de déclarations recueillies en vertu de l'article 94 ter en toute circonstance5,

ATTENDU que l'accusé Naletilic ne s'oppose pas à la procédure proposée en l'espèce par le Procureur, mais qu'il rejette le versement de déclarations recueillies en vertu de l'article 94 ter en toute circonstance, car il estime que tous les témoins devraient être interrogés en sa présence devant une Chambre de première instance au complet6,

ATTENDU, toutefois, que la procédure proposée par le Procureur prévoit que les déclarations soient recueillies devant un juge d'instruction de la BiH et qu'à ce titre, elle répond aux préoccupations fondamentales exprimées par la Chambre de première instance dans sa Décision du 22 juin 2000,

ATTENDU, en outre, que tout article du Règlement doit être interprété «à la lumière de [l’]objet et [du] but» du Statut et du Règlement7,

ATTENDU que l'article 94 ter a pour but «d’accélérer les procédures du Tribunal international en prévoyant un mécanisme d’introduction d’éléments de preuve sous forme de déclarations sous serment devant la Chambre de première instance dans certaines circonstances, sans qu’il soit nécessaire de citer chaque témoin dont on emploie les propos s’agissant d’un fait en litige, notamment lorsque les témoignages se répètent» mais que «[c]e souhait de rapidité est cependant limité par la nécessité de protéger les droits de l’accusé»8,

ATTENDU qu'en application des articles 20 et 22 du Statut et de l'article 75 du Règlement, le Tribunal se doit de prendre en compte la protection des victimes et des témoins pendant le procès,

ATTENDU que la procédure proposée par le Procureur dans sa Requête constitue un compromis acceptable entre les conditions formelles strictes de l'article 94 ter et la nécessité d'assurer la sécurité des témoins, et qu'elle ne porte pas atteinte aux droits de l'accusé,

PAR CES MOTIFS,

FAIT DROIT à la Requête de l'Accusation.

 

Fait en français et en anglais, la version en anglais faisant foi.

Fait le 10 novembre 2000
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre de première instance I
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Almiro Rodrigues

[Sceau du Tribunal]


1. Le Procureur c/ Naletilic et Martinovic, affaire nº IT-98-34-PT, Décision relative à la requête de l'Accusation aux fins de l'approbation de la procédure de l'article 94 ter du Règlement de procédure et de preuve (Déclarations certifiées), 22 juin 2000, (la «Décision du 22 juin 2000), p. 2. Dans l'affaire nº IT-95-14/2-T Le Procureur c/ Kordic et Cerkez, les déclarations de témoins ayant été convoqués par les autorités de la BiH afin qu'ils comparaissent devant un juge d'instruction local ont été admises par la Chambre, sur la base de l'article 94 ter. Cf. compte rendu d'audience, version en anglais, p. 15 109 à 15 115 et 16 485 à 16 492.
2. Le Procureur c/ Martinovic, «Requête aux fins de l'approbation de la procédure de l'article 94 ter du Règlement de procédure et de preuve (Déclarations certifiées)» datée du 14 mars 2000, par. 4 à 11.
3. Décision du 22 juin 2000, cf. supra note 1.
4. Ibid., p. 3 et 4.
5. La Réponse de Naletilic, p. 9 et 10.
6. La Réponse de Martinovic, p. 6.
7. Le Procureur c/ Kordic et Cerkez, affaire nº IT-95-14/2-AR73.6, Arrêt relatif au versement au dossier de sept déclaration sous serment et d'une déclaration certifiée, 18 septembre 2000, par.22.
8. Ibid., par. 25.