LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

 Composée comme suit :
M. le Juge Almiro Rodrigues, Président
M. le Juge Fouad Riad
Mme le Juge Patricia Wald

Assistée de :
Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier

Décision rendue le :
27 novembre 2000

LE PROCUREUR

C/

MLADEN NALETILIC alias «TUTA»

et

VINKO MARTINOVIC alias «STELA»

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DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE DE L'ACCUSÉ AUX FINS
D'ÊTRE SOUMIS AU DÉTECTEUR DE MENSONGE
DANS LE CADRE DE SON INTERROGATOIRE

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Le Bureau du Procureur :

M. Kenneth Scott

Les Conseils des accusés :

M. Kresimir Krsnik pour Mladen NALETILIC
M. Branko Seric pour Vinko MARTINOVIC

 

La Chambre de première instance I du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le «Tribunal»),

VU la «Requête de l'accusé aux fins d'être soumis au détecteur de mensonge dans le cadre de son interrogatoire» déposée le 12 octobre 2000 (la «Requête»),

VU la «Réponse du Procureur à la requête de l'accusé Mladen Naletilic aux fins d'etre soumis au détecteur de mensonge dans le cadre de son interrogatoire» datée du 1er novembre 2000, par laquelle le Procureur s'oppose à la Requête,

ATTENDU que le Règlement de procédure et de preuve du Tribunal (le «Règlement») ne prévoit pas l'utilisation du détecteur de mensonge dans le cadre des procédures devant le Tribunal,

ATTENDU, en outre, qu'au sens du Statut et des règles de procédure relatives aux droits des suspects et des accusés pendant l'interrogatoire par le Procureur, il appartient à ce dernier de décider si l'interrogatoire sera mené ou non1,

ATTENDU, par ailleurs, que l'accusé est indigent et qu'aux termes de l'article 18 A) de la Directive de commission d'office de conseil de la défense, seules les dépenses «nécessaires et raisonnables» causées par la défense du suspect ou de l'accusé sont à la charge du Tribunal,

ATTENDU qu'un consensus dans la communauté scientifique2 ainsi qu'un tour d'horizon des juridictions nationales3 nous enseignent que l'utilisation du détecteur de mensonge ne permet pas de recueillir des témoignages fiables et que, dès lors, l'utilisation d'un tel appareil ne saurait être une dépense nécessaire et raisonnable,

ATTENDU, par ailleurs, que la présentation d'un témoignage ainsi recueilli ne serait pas à même d'accélérer la procédure dans la mesure où, si la Chambre de première instance devait l'admettre, elle ne manquerait pas d'avoir à examiner des questions connexes, comme la fiabilité de ce type de témoignage et les conditions dans lesquelles il aurait été recueilli,

ATTENDU que, en dernier lieu, il appartient à la Chambre de première instance d'apprécier la fiabilité des propos des témoins et de l'accusé ; qu'en l'état actuel du droit et de la technique, un témoignage ainsi recueilli ne lui serait d'aucune véritable utilité au regard de cette évaluation ; que, dans le cas où un accusé souhaite plaider sa cause devant la Chambre de première instance, la procédure du Tribunal veut qu'il comparaisse en qualité de témoin pour sa propre défense4 ou qu'il fasse une déclaration en vertu de l'article 84 bis du Règlement5.

PAR CES MOTIFS,

REJETTE la Requête de l'accusé.

Fait en français et en anglais, la version en anglais faisant foi.

Fait le 27 novembre 2000
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre de première instance I
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Almiro Rodrigues

[Sceau du Tribunal]


1. Cf. article 18 2) et 3) du Statut et articles 42, 43 et 63 du Règlement.
2. Cf. par exemple Irving B. Weiner et Allen K. Hess, éd. "What Psychologists Should Know About Lie Detection" in HANDBOOK OF FORENSIC PSYCHOLOGY, p. 468 à 486 (Wiley-Interscience Publications).
3. Aux États-Unis, certains tribunaux de circuit et les tribunaux militaires ont adopté eux-mêmes des règles excluant l'utilisation du détecteur de mensonge car les résultats fournis par cet appareil ne sont pas considérés comme fiables. Cf. par exemple, United States v. Scheffer, 523 U.S. 303 (1998) et United States v. Sanchez, 118 F.3d 192, 197 (4th Cir. 1997). En Allemagne, le Bundesgerichtshofa régulièrement établi que l'utilisation du détecteur de mensonge lors d'un interrogatoire à l'audience était «formellement à exclure». Cf. Code de procédure pénale allemand, article 244, paragraphe 3, alinéa 2, StPO (Amtliche Sammlung der Entscheidungen des Bundesgerichtshofes in Strafsachen (BGHSt) 44, p. 308 ; Bundesgerichtshof (BGH), in : Neue Zeitschrift für Strafrecht-Rechtsprechungsreport (NStZ-RR) 2000, p. 35). Au Royaume-Uni, la pratique veut que l'on exclue l'utilisation du détecteur de mensonge car ce moyen n'est pas reconnu comme fiable. Cf. Royal Commission on Criminal Procedure, Cmnd. 8092 (1981) § 4 à 76 (cité dans CRIMINAL EVIDENCE, Richard May (3e éd. 1995).
4. L'article 85 C) du Règlement dispose comme suit : «[l']accusé peut, s'il le souhaite, comparaître en qualité de témoin pour sa propre défense».
5. L'article 84 bis du Règlement énonce, en ces dispositions pertinentes, que : «[…] l'accusé peut faire une déposition s'il le souhaite, avec l'accord de la Chambre de première instance et sous le contrôle de cette dernière. L'accusé n'est pas tenu de faire une déclaration solennelle et n'est pas interrogé quant à la teneur de sa déposition».