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1 Le mardi 18 octobre 2005
2 [Audience d'appel]
3 [Audience publique]
4 [Les appelants sont introduits dans le prétoire]
5 --- L'audience est ouverte à 9 heures 05.
6 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Bonjour. Monsieur le Greffier
7 d'audience, veuillez annoncer l'affaire, je vous prie.
8 M. LE GREFFIER : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Madame et
9 Messieurs les Juges, il s'agit de l'affaire IT-98-34-A, le Procureur contre
10 Mladen Naletilic et Vinko Martinovic.
11 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vous remercie. Est-ce que tout le
12 monde est en mesure de m'entendre, Messieurs Naletilic et Martinovic sont-
13 ils en mesure de suivre les débats ?
14 Je crois comprendre que c'est bien le cas, que nous pouvons poursuivre
15 l'audience consacrée à l'appel. Après avoir levé l'audience d'hier, le
16 Procureur avait commencé la réponse au conseil de M. Martinovic.
17 L'Accusation disposera d'une heure aujourd'hui pour poursuivre son exposé
18 et conclure sa réponse. Nous donnons donc la parole au Procureur.
19 M. FARRELL : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Bonjour à tous,
20 également. Je salue également mes confrères.
21 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Le Juge Schomburg voudrait pouvoir
22 prendre la parole.
23 M. FARRELL : [interprétation] Je m'excuse, Monsieur le Président.
24 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
25 Je suppose que vous avez terminé vos remarques sur le conflit armé
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1 international. Après avoir procédé à quelques recherches et lu
2 attentivement les remarques que vous avez formulées hier, au compte rendu
3 d'audience provisoire d'hier page 124, à 17 heures 35, vous avez déclaré
4 que dans l'arrêt Kordic, au paragraphe 311, les jugements de Celebici et
5 Tadic ont été implicitement annulés.
6 Je souhaiterais revenir sur cette question fondamentale. Je pense qu'il est
7 tout à fait incontestable que lorsqu'il est question de compétence, la mens
8 rea n'intervient absolument pas. Il s'agit uniquement de critères
9 objectifs. N'est-il pas exact de dire, et je ne parle pas du principe de la
10 légalité mais du principe fondamental de la culpabilité, n'est-il pas exact
11 de dire que tout élément constitutif d'un crime doit impliquer la
12 conscience de l'auteur du crime ? Est-ce que vous souhaiteriez nous donner
13 des exemples en droit pénal où les éléments constitutifs des crimes sont
14 considérés uniquement comme des conditions objectives de pénalisation ? Je
15 comprends bien que dans Kordic et Cerkez, il a été inutile de parler de
16 l'aspect factuel et il s'agit de savoir si les accusés en l'espèce savaient
17 qu'il existait un conflit armé. Hier, vous avez dit que dans l'affaire qui
18 nous intéresse, du point de vue factuel cela ne constitue aucun problème,
19 mais du point de vue juridique c'est très important. Je souhaiterais savoir
20 quel est exactement votre point de vue sur la question. Est-ce que vous
21 pensez qu'un crime peut être commis sans que son auteur ait conscience des
22 éléments constitutifs de ce crime ?
23 M. FARRELL : [interprétation] Merci, Monsieur le Juge Schomburg. Pour moi,
24 votre question porte sur les éléments constitutifs d'un crime. Est-ce que
25 j'ai bien compris si je dis qu'il s'agit de savoir si un élément
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1 constitutif doit être prouvé -- si les éléments contextuels ne doivent pas
2 être prouvés pour chacun des auteurs. L'un des points que j'ai soulevés
3 hier n'a toujours pas été tranché, à savoir, la question de savoir si
4 l'auteur doit avoir connaissance de la nature généralisée ou systématique,
5 c'est-à-dire les conditions générales d'application de l'article concerné.
6 Ceci n'est pas tout à fait clair. Dans les arrêts de la Chambre d'appel, le
7 Tribunal a estimé que l'auteur doit savoir qu'il y avait une attaque
8 dirigée contre la population civile et que ses actes s'inscrivaient dans le
9 cadre de cette attaque.
10 La Chambre de première instance, Tuta, Stela, a considéré que les accusés
11 devaient avoir connaissance de la nature généralisée et systématique de
12 l'attaque. Dans Kunarac, la question n'a pas été abordée explicitement et
13 se limite au fait de savoir qu'il devait avoir connaissance de cette
14 attaque et qu'il en faisait partie. Il y a donc un élément de connaissance.
15 Pour ce qui est de l'aspect contextuel ou de ce qui touche à la compétence,
16 il y a la question du lien avec le conflit armé. Cela relève de l'élément
17 de compétence aux termes de notre Statut.
18 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Je pense que ceci n'est contesté
19 par personne. Il est inutile de discuter cela plus avant. Lorsque le
20 Tribunal est compétent pour juger d'une affaire particulière, comment se
21 fait-il qu'outre les crimes sanctionnés par l'Article 5 ou l'Article 3
22 commun sont pénalisés, sanctionnés lorsque les auteurs des crimes reprochés
23 n'ont absolument pas conscience de ces crimes. Je n'imagine pas une
24 situation où une personne n'aurait pas connaissance de l'existence d'un
25 conflit armé, mais c'est possible. Par conséquent, j'ai essayé hier de
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1 comprendre pour quelle raison vous aviez conclu que lorsque nous déclarons
2 une personne coupable, cette personne n'avait pas nécessairement besoin
3 d'avoir connaissance des éléments du crime reproché.
4 M. FARRELL : [interprétation] Je vous renvoie à l'arrêt Blaskic. D'après
5 mes souvenirs, l'appelant dans cette affaire, le général Blaskic, on a
6 estimé qu'il devait savoir que les personnes étaient des personnes
7 protégées, c'est-à-dire, il devait avoir conscience que ces personnes
8 étaient des personnes protégées pour que l'Article 2 trouve à s'appliquer
9 et que sa responsabilité soit mise en jeu. Telle a été la position de
10 l'appelant résumée dans l'arrêt Blaskic. La Chambre d'appel a considéré
11 qu'il n'était pas requis que l'accusé ait connaissance du fait que ces
12 personnes étaient protégées. Il y a un exemple précis que je voudrais vous
13 présenter à ce sujet. Je n'ai pas de référence précise.
14 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] J'ai vérifié cela hier.
15 M. FARRELL : [interprétation] La question était de savoir si les
16 conventions de Genève nécessitaient que cet élément de mens rea soit
17 établi. Le Tribunal n'a pas estimé que ce fût le cas et a trouvé que
18 l'Article 2 trouvait à s'appliquer sur la base de critères objectifs.
19 Il y a les affaires Celebici, Tadic et Blaskic où ces éléments objectifs
20 relatifs à un conflit armé international n'ont pas été jugés nécessaires.
21 Je reconnais que la CPI a adopté un point de vue tout à fait différent, et
22 j'accepte votre point de vue selon lequel il y a connaissance d'un conflit
23 armé dans la plupart des cas, qu'il soit international ou non
24 international. Je reconnais que les Etats parties à la CPI ont estimé qu'il
25 y avait un élément mental requis, donc il n'est pas nécessaire de prouver
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1 que l'auteur des crimes reprochés avait connaissance ou conscience de
2 certains des éléments constitutifs du crime s'ils relèvent du contexte.
3 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Est-ce que vous dites que dans la
4 situation peu probable où un accusé n'a pas conscience qu'il existait un
5 conflit armé parce que ce conflit armé venait juste de commencer, qu'il n'a
6 pas la possibilité de suivre les médias, par exemple, il commet le crime en
7 question, il ne sait pas qu'il y a ce conflit armé et ce conflit est
8 couvert par certains articles, mais si l'auteur du crime en question ne
9 savait pas qu'il y avait un conflit armé -- est-ce que vous savez si
10 l'auteur du crime doit savoir ou avoir conscience que cet élément,
11 l'existence d'un conflit armé, était un élément requis pour que le crime
12 soit établi par la suite ?
13 M. FARRELL : [interprétation] Si le Tribunal juge qu'il s'agit d'un élément
14 requis pour que le crime soit établi et si la mens rea doit être établie
15 contrairement à ce qui a été déterminé au sujet des personnes protégées
16 dans l'affaire Blaskic, je suis d'accord avec vous.
17 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Merci.
18 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] M. le Juge Shahabuddeen a une question
19 à vous poser.
20 M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : [interprétation] Je vous remercie. Je
21 souhaiterais enchaîner brièvement à la question posée par le Juge
22 Schomburg.
23 Est-ce que vous iriez jusqu'à dire qu'il doit exister un lien entre l'acte
24 de l'accusé et le conflit armé international ? La Chambre de première
25 instance en a parlé au paragraphe 176 lorsqu'elle a déclaré que l'Article 2
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1 du Statut est applicable lorsque quatre conditions sont réunies. Tout
2 d'abord, il doit exister un conflit armé; deuxièmement, il doit exister un
3 lien entre ce conflit et les crimes allégués. Puis au paragraphe 177,
4 dernière phrase, la Chambre de première instance a jugé que : "L'existence
5 d'un lien avec le conflit armé est établi s'il est prouvé que les crimes
6 allégués étaient étroitement liés aux hostilités." La question que je
7 souhaite vous poser est la suivante : comment peut-on déterminer que l'acte
8 commis par l'accusé était étroitement lié aux hostilités si on ne prend pas
9 en compte l'élément moral qui a animé l'auteur de l'acte ?
10 M. FARRELL : [interprétation] La manière dont j'interprète ce passage -- en
11 fait, je vous renvoie à Celebici et à Tadic. Il y a un élément objectif
12 pour ce qui est du lien au conflit armé. Dans l'affaire Rutaganda, la
13 question a été évoquée également, la question de savoir s'il y avait un
14 lien ou pas. D'après mon interprétation, il s'agissait d'un lien objectif.
15 De toute façon, il doit y avoir un lien entre le conflit armé dans le sens
16 où il s'agit d'un conflit armé international, il doit y avoir un lien entre
17 l'acte et le conflit armé, qu'il soit national ou international. La
18 question de savoir s'il est national ou international est une question
19 objective.
20 M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : [interprétation] Lorsque vous utilisez ce
21 qualificatif "d'objectif," je crois comprendre que vous voulez dire qu'il
22 est inutile de prouver que l'accusé avait conscience de l'existence d'un
23 conflit armé international ?
24 M. FARRELL : [interprétation] C'est exact.
25 M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : [interprétation] Pourriez-vous pencher votre
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1 esprit brillant sur l'Article 3 du Statut qui porte sur les crimes de
2 guerre. Il me semble qu'il y a une exigence dans cet article selon laquelle
3 le crime de guerre reproché était étroitement lié au conflit armé; est-ce
4 exact ?
5 M. FARRELL : [interprétation] C'est ainsi que je le comprends.
6 M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : [interprétation] Comment est-ce possible si on ne
7 démontre pas que l'accusé participait au conflit armé et éventuellement,
8 conflit armé international, si l'Article 2 trouve à s'appliquer ? Donc, il
9 avait connaissance de l'existence de ce conflit et il savait qu'il
10 commettait un crime. Comment peut-on ne pas prouver cela ?
11 M. FARRELL : [interprétation] Je m'excuse, mais est-ce qu'il avait le
12 conflit armé à l'esprit ?
13 M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : [interprétation] Oui.
14 M. FARRELL : [interprétation] Il me faut vérifier la jurisprudence pour
15 déterminer si, oui ou non, il y a un élément subjectif requis. D'après mes
16 souvenirs, il s'agit d'un élément objectif. La question est de savoir s'il
17 y a un lien ou pas. Dans le cadre de la question que vous avez posée, je
18 pense que l'accusé doit être conscient qu'il commet un crime dans le
19 contexte d'un conflit, mais il n'a pas besoin d'avoir connaissance du
20 contexte plus vaste. Il n'a pas besoin d'avoir connaissance de la nature du
21 conflit, de l'étendue de l'implication des troupes. Il doit simplement
22 savoir qu'il y a un conflit et qu'il agit dans le cadre de ce conflit.
23 M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : [interprétation] Vous êtes d'accord avec ma
24 proposition.
25 M. FARRELL : [interprétation] Oui.
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1 M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : [interprétation] Monsieur Farrell, veuillez
2 garder quelque chose à l'esprit. J'ai participé à quelques affaires que
3 vous avez mentionnées aujourd'hui, et cela ne m'empêche pas malgré tout de
4 considérer objectivement la question à la lumière de vos arguments et de
5 ceux de la Défense.
6 M. FARRELL : [interprétation] Merci, Monsieur le Juge.
7 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Monsieur Farrell, vous pouvez
8 poursuivre votre exposé.
9 M. FARRELL : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
10 Trois questions principales ont été soulevées par l'appelant Martinovic
11 hier. Ces questions doivent être encore abordées. Premièrement, le meurtre
12 de M. Nenad Harmandzic; deuxièmement, l'affaire des fusils en bois; et
13 troisièmement, la question de l'acte d'accusation. La Chambre d'appel a
14 posé des questions à ce sujet à l'Accusation et aux appelants.
15 La quatrième question qui a été soulevée hier, nous n'en parlerons
16 pas aujourd'hui, mais nous pouvons répondre à des questions, si nécessaire,
17 sur la question du cumul de déclarations de culpabilité.
18 Je souhaiterais vous expliquer comment nous allons procéder dans les
19 40 minutes à venir. Je parlerai du meurtre de Nenad Harmandzic. Mme Kind
20 parlera de l'affaire des fusils en bois; M. Kremer, de même qu'il a parlé
21 de la question de l'acte d'accusation pour ce qui est de M. Naletilic,
22 parlera pour ce qui touche à M. Martinovic.
23 Compte tenu du temps bref qui nous est imparti, je vais résumer mes
24 arguments concernant le meurtre de Nenad Harmandzic. En quelques minutes,
25 je souhaiterais aborder la question suivante qui est celle des différences
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1 exprimées par les experts concernant l'identification du cadavre de M.
2 Harmandzic.
3 Pour résumer, deux témoins ont été cités à comparaître, l'un par
4 l'Accusation, l'autre par la Défense. Ces deux témoins n'étaient pas
5 d'accord sur la méthode de calcul du cadavre. L'expert de la Défense a
6 examiné la taille des os et a ensuite calculé la taille du corps. L'expert
7 de l'Accusation a examiné la taille du squelette et ensuite a ajouté
8 quelques centimètres pour estimer la taille de la personne de son vivant.
9 Les chiffres auxquels ils sont parvenus étaient différents. L'expert de la
10 Défense est arrivé à une estimation de 182 à 183 centimètres avec une marge
11 d'erreur d'environ 2 centimètres, ce qui permettrait d'estimer la taille du
12 corps à 185 centimètres, 1 mètre 85 et la question s'est posée de savoir si
13 on pouvait accepter une marge d'erreur de 10 centimètres. Comme l'a évoqué
14 mon confrère, je pense qu'il était question de 11 à 14 centimètres de
15 différence. Il y a une grande différence entre les deux estimations.
16 L'expert de l'Accusation a déclaré qu'on pouvait ajouter une marge d'erreur
17 d'environ 2 centimètres par rapport à l'estimation de 182 à 183
18 centimètres, ce qui permettait d'arriver au résultat de 185 centimètres.
19 L'expert de l'Accusation a dit qu'il fallait ajouter 5 centimètres en plus
20 de la taille du squelette pour estimer la taille de la personne de son
21 vivant. Donc, 190 centimètres pour ce qui est de l'estimation du témoin
22 expert. Ensuite, il y a eu des débats assez longs sur la question de savoir
23 si une marge d'erreur supérieure était acceptable et si cette marge était
24 telle qu'elle invalidait l'identification du corps.
25 Les experts étaient en désaccord sur d'autres points. Les calculs
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1 étaient différents, 185 centimètres d'un côté, 190 centimètres de l'autre.
2 On a posé des questions pour savoir si c'était tout à fait déterminant pour
3 l'expert de la Défense qui maintenait son estimation de 185 centimètres. Il
4 s'agissait d'une marge très importante et déterminante pour l'Accusation ou
5 l'expert de l'Accusation qui est parvenu au calcul de 190 centimètres. La
6 taille de 196 centimètres du vivant de la personne n'invalidait pas
7 l'identification du corps.
8 J'avance que la Chambre de première instance a usé de son pouvoir
9 discrétionnaire pour accepter le témoignage d'un expert en le préférant au
10 témoignage de l'autre expert. Des questions ont été posées à l'expert de la
11 Défense. Il a reconnu que l'expert de l'Accusation était un renommé qui
12 connaissait parfaitement la question. Il a expliqué, en réponse à une
13 question posée par le Juge Clark : Ceci ne constitue pas une science exact.
14 Il a dit que ces estimations étaient fondées sur des calculs. L'expert de
15 la Défense a reconnu qu'il pouvait y avoir une marge d'erreur, mais a
16 conclu que cette marge d'erreur était différente que celle proposée par
17 l'Accusation. La Chambre a noté que la taille de la victime était
18 approximative. Il n'a jamais été scientifiquement établi qu'il mesurait 1
19 mètre 96. En réalité, l'expert de la Défense, page 14 912 du compte rendu
20 d'audience, lorsqu'on lui a posé des questions sur la taille a dit que les
21 informations relatives à la taille venaient de la famille et qu'elles
22 étaient subjectives.
23 Le Juge Clark a posé des questions à la page 7 742 du compte rendu
24 d'audience et suite à cette question, l'expert de l'Accusation a exprimé
25 l'avis que compte tenu des preuves irréfutables, relatives aux éléments de
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1 nature à identifier le corps, y compris le fait qu'on avait retrouvé une
2 balle de calibre 6,35 dans le corps de la personne décédée et compte tenu
3 des témoignages relatifs à ce qu'il était advenu de la personne avant sa
4 mort et avant son exhumation, à savoir que Nenad Harmandzic s'était blessé
5 dans la jambe là où on a retrouvé la balle, compte tenu de son âge, de
6 l'état de sa dentition, des blessures qu'il avait subies, de sa taille de
7 chaussures, de ses vêtements, la détermination de la Chambre de première
8 instance a été considérée valable et la Chambre de première instance a
9 préféré le témoignage du témoin expert de l'Accusation à celui de la
10 Défense et elle était en droit de le faire. Je vais terminer mes arguments
11 sur cette question, compte tenu du temps qui m'est imparti. Mme Kind va à
12 présent parler des fusils en bois. Je vous remercie.
13 Mme KIND : [interprétation] Bonjour. Je vais répondre aux arguments
14 présentés par Martinovic hier au sujet de ce qu'on a appelé l'affaire des
15 fusils en bois. A ce titre, l'appelant Martinovic a été condamné pour actes
16 inhumains, travail illégal, traitement inhumain et traitement cruel. Il
17 s'agit des chefs 2, 3, 4 et 5 de l'acte d'accusation.
18 L'appelant Martinovic fait valoir plusieurs erreurs commises, selon lui,
19 par la Chambre de première instance qui a entré cette déclaration de
20 culpabilité et suite à l'emploi de quatre détenus de l'Heliodrom comme
21 boucliers humains le 17 septembre 1993. Je souhaiterais vous renvoyer aux
22 mémoires en réponse de l'Accusation, paragraphes 3.16 à 3.27, et
23 aujourd'hui, je ne traiterai que trois des allégations qui ont été faites
24 hier par l'appelant. En premier lieu, l'enregistrement du retour des
25 prisonniers à l'Heliodrom, pièce PP601.1. Deuxièmement, les incohérences au
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1 sujet des trois victimes qui ont déposé, les incohérences de leur
2 déposition au sujet de cet incident. Troisièmement, l'implication présumée
3 de la police secrète dans la découverte d'un des fusils en bois.
4 S'agissant de la première question, l'appelant Martinovic fait valoir que
5 chaque fois qu'ils sortaient de l'Heliodrom, les prisonniers devaient
6 signer un registre et qu'ensuite, tous ces prisonniers, tous ceux qui sont
7 partis le 17 septembre 1993 sont retournés à l'Heliodrom le 27 septembre,
8 dont les quatre prisonniers qui ont participé à l'affaire des fusils de
9 bois. L'appelant s'appuie sur la pièce PP601.1, c'est-à-dire, le registre
10 de l'Heliodrom,
11 page 01535273. Je souhaiterais maintenant vous demander d'examiner les deux
12 pages pertinentes de la pièce PP601.1 qui devrait normalement apparaître
13 maintenant sur votre écran, ce registre, donc. Il suffit de presser sur
14 votre boîtier le bouton "computer evidence"…
15 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Je n'ai pas de bouton.
16 Mme KIND : [interprétation] Excusez-moi. Je ne suis pas très forte en
17 technologie. Les pages qui nous intéressent, 01535272 et 273. Première
18 page, vous voyez la colonne de droite et on voit la liste des noms des
19 détenus qui sont partis, qui sont allés avec Vinko Martinovic ce jour-là,
20 le 17 septembre 1993. Ensuite, si on regarde la page suivante qui se
21 termine par les chiffres 273, on voit toujours la même liste, on la voit en
22 haut, à gauche. En bas, on voit, retourné, rentré le 27 septembre 1993 à 19
23 heures 40.
24 Maintenant, j'aimerais vous présenter la traduction de ce document.
25 D'abord, la traduction de la première page 01535272, et là, nous avons la
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1 suite de cette traduction et vous devriez voir la date et l'heure, 27
2 septembre, retour à 19 heures 40.
3 Si on revient à la version originale en B/C/S de ce document, vous
4 constaterez que certains des noms ont été suivis d'une sorte de V, alors
5 qu'à coté des autres, il y a une ligne. Les éléments de preuve nous ont
6 montré que les noms à coté desquels il y a des lignes horizontales, ce sont
7 les noms des prisonniers qui ne sont pas revenus à l'Heliodrom. Ainsi, par
8 exemple, les noms des quatre victimes dont les noms figurent sur sa liste
9 et qui ont déposé à la Chambre de première instance, témoin 00, J et PP.
10 Afin de vous donner les noms de ces témoins, j'aimerais que nous passions
11 rapidement et brièvement à huis clos partiel pour protéger l'identité
12 desdites personnes.
13 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Oui.
14 M. LE GREFFIER : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel.
15 [Audience à huis clos partiel]
16 (expurgé)
17 (expurgé)
18 (expurgé)
19 (expurgé)
20 (expurgé)
21 (expurgé)
22 (expurgé)
23 (expurgé)
24 (expurgé)
25 (expurgé)
`
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1 [Audience publique]
2 Mme KIND : [interprétation] Les éléments de preuve nous montrent que trois
3 autres témoins qu'on voit ici et qui ont été remis à Vinko Martinovic ce 17
4 septembre 1993, ces témoins ne sont pas revenus à l'Heliodrom. Pourquoi ?
5 Parce qu'ils ont été tués le
6 17 septembre au Bulevar sur la ligne de front. A coté d'eux, on voit
7 également une ligne horizontale, une petite ligne horizontale. Il s'agit
8 des numéros 13, Hamdija Culakovic, le numéro 19, Enes Pajo, et le numéro
9 28, Aziz Colakovic. Les certificats de décès de ces trois hommes ont été
10 versés au dossier sous les cotes PP829, pour Hamdija Culakovic; PP839
11 [comme interprété], pour Enes Pajo et PP55 pour Aziz Colakovic.
12 L'Accusation fait valoir qu'à la lumière de ces éléments de preuve, il
13 n'était pas déraisonnable de la part de la Chambre de première instance de
14 rejeter la thèse de la Défense selon laquelle tous les prisonniers sont
15 revenus à l'Heliodrom et qu'ils y étaient tous revenus à la date du 27
16 septembre 1993.
17 Je voudrais maintenant vous parler brièvement de deux autres questions qui
18 ont été soulevées hier. En premier lieu, les soi-disant incohérences dans
19 les dépositions des trois victimes de cet incident. L'Accusation fait
20 valoir que les dépositions des témoins 00, J et PP sont des dépositions qui
21 présentent une cohérence pour les éléments essentiels, par exemple, le nom
22 de chacune des trois victimes, trois autres victimes, le fait que ce soit
23 Drinko Knezovic qui soit venu les chercher à l'Heliodrom, un subordonné de
24 Vinko Martinovic, le fait qu'on les ait amenés au QG de Martinovic. Ils ont
25 dit que Martinovic leur avait donné pour instruction de courir le long de
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1 la ligne de front. Ils ont parlé de l'uniforme de camouflage qu'on leur a
2 remis, des sacs à dos qu'ils devaient porter qui étaient remplis de pierres
3 ainsi que des bouteilles en plastique qui ressemblaient à des Motorola,
4 enfin, qui devaient passer pour des Motorola. Ils ont expliqué qu'ils
5 devaient aller du dispensaire jusqu'au Bulevar en marchant à côté d'un char
6 et couraient le plus vite qu'ils pouvaient pour traverser la ligne de
7 confrontation. Le témoin PP a été grièvement blessé, mais on a réussi à le
8 récupérer.
9 L'Accusation fait valoir qu'à la lumière de tous ces éléments, il n'était
10 pas déraisonnable de la part de la Chambre de première instance de
11 s'appuyer sur les dépositions sur ces trois témoins puisque ce qu'ils ont
12 dit a été confirmé par d'autres éléments présentés en l'espèce.
13 Enfin, s'agissant de l'allégation selon laquelle la police secrète a été
14 impliquée dans la découverte d'un des fusils de bois, l'Accusation fait
15 valoir, tout d'abord, que ces allégations sont totalement sans fondement.
16 L'Accusation invite la Défense à nous indiquer quels sont les éléments de
17 preuve qui soutiennent cette thèse. Deuxièmement, ces arguments sont sans
18 aucune pertinence puisque la Chambre de première instance a refusé le
19 versement au dossier de ce fusil de bois dont on avait proposé le versement
20 sous la cote PP962. La Chambre de première instance a étudié la chose, et
21 finalement, a décidé de rejeter cet élément, cette pièce. Ceci, on le voit
22 au paragraphe 287 du jugement.
23 J'en ai terminé de ce que j'avais à dire sur ce point. A moins que vous
24 n'ayez des questions, je vais dire quelques mots sur la peine avant de
25 passer la parole à M. Kremer. Je ne sais pas s'il y a des questions. Est-ce
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1 que je peux poursuivre ?
2 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Veuillez poursuivre.
3 Mme KIND : [interprétation] Merci. Quelques mots sur ce qui a été dit hier.
4 Bien entendu, nous vous invitons à relire notre mémoire, mais s'agissant
5 des circonstances atténuantes et de la reddition volontaire, nous estimons
6 que la Chambre était tout à fait en droit d'accepter le fait que le
7 transfert de Martinovic à La Haye ne constituait pas une circonstance
8 atténuante, de ne lui accorder aucun poids. La Chambre de première instance
9 a demandé aux parties de présenter des arguments supplémentaires sur ce
10 point dans une ordonnance du 14 février 2003. Elle a tenu compte des
11 circonstances atténuantes que pourrait éventuellement présenter ce
12 transfert au paragraphe 761 du jugement et je vous invite, pour plus de
13 détails, à relire les paragraphes 9.2 à 9.14 de notre mémoire, et en
14 particulier le paragraphe 9.6.
15 S'agissant de l'argument selon lequel M. Martinovic a aidé les Musulmans --
16 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] M. le Juge Schomburg a une question à
17 vous poser.
18 Mme KIND : [interprétation] Je m'excuse.
19 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Une question de fait. Est-ce que
20 vous reconnaissez la validité de l'argument de la Défense présenté hier
21 selon lequel l'appelant a fait de son mieux, alors qu'il était incarcéré
22 dans l'ex-Yougoslavie, il a fait tout ce qu'il pouvait pour venir le plus
23 rapidement possible à La Haye, qu'il a renoncé à son droit d'interjeter
24 appel contre la décision d'extradition et que c'est l'accusation en
25 Croatie, le procureur croate qui a fait obstruction, qui l'a empêché de
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1 venir immédiatement à La Haye et qu'il a entrepris quelques démarches, il a
2 fait des efforts pour venir à La Haye ? Est-ce que vous acceptez ce fait en
3 tant que fait ?
4 Mme KIND : [interprétation] L'Accusation, oui, l'accepte effectivement,
5 reconnaît ce fait. Cependant, nous souhaitons vous renvoyer à nos
6 arguments, en particulier au paragraphe 9.6 de notre mémoire où nous
7 indiquons quelles étaient les motivations de
8 M. Martinovic, pourquoi il voulait venir à La Haye. Nous renvoyons à une
9 déclaration qu'il a faite au tribunal de Zagreb où il disait qu'il voulait
10 être transféré à La Haye pour être jugé à nouveau pour des faits dont il
11 avait été reconnu coupable par le tribunal d'Etat en Croatie.
12 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Merci.
13 Mme KIND : [interprétation] S'agissant de l'argument selon lequel M.
14 Martinovic a aidé les Musulmans, nous vous renvoyons à nos arguments de
15 notre mémoire aux paragraphes 9.15 à 9.18. Cette affaire a été étudiée de
16 manière circonstanciée lors du procès parce que la Chambre avait demandé
17 aux parties de présenter des arguments bien précis sur ce point.
18 L'Accusation fait valoir que la Chambre de première instance était tout à
19 fait en droit, vu la gravité des crimes et vu la participation active de M.
20 Martinovic, vu sa position d'autorité, la Chambre était tout à fait en
21 droit d'estimer que l'assistance qu'il a pu apporter à un groupe choisi
22 d'amis et de voisins ne devait pas se voir attribuer le statut de
23 circonstance atténuante. S'agissant des circonstances aggravantes, la
24 position de l'Accusation, c'est que la Chambre de première instance n'a pas
25 abusé de son pouvoir discrétionnaire en estimant que le rôle d'un supérieur
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1 hiérarchique de Martinovic constituait une circonstance aggravante. Au
2 paragraphe 758, la Chambre de première instance a premièrement traité de la
3 gravité des infractions. Elle a conclu que bien que
4 M. Martinovic -- excusez-moi. Il n'a pas joué un rôle essentiel dans le
5 contexte de l'incident des fusils en bois. Son comportement criminel et la
6 nature des crimes auxquels il a participé avaient une gravité extrêmement
7 élevée. Dans le paragraphe suivant, la Chambre estime qu'il était très
8 respecté par ses soldats et qu'il était en mesure d'avoir une influence sur
9 le comportement des hommes de son unité. Elle a estimé que c'était là une
10 circonstance aggravante.
11 Enfin, s'agissant de l'argument selon lequel la peine est excessive,
12 injuste, si on la compare à celles prononcés contre d'autres accusés devant
13 ce Tribunal, nous souhaitons vous renvoyer à notre réponse au mémoire
14 supplémentaire de Martinovic déposée le
15 4 mars 2005. J'en ai terminé de mon intervention.
16 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Merci, Madame Kind.
17 Vous pouvez y aller, Monsieur Kremer.
18 M. KREMER : [interprétation] Oui, Monsieur le Président, Madame, Messieurs
19 les Juges. Je ne vais pas répéter nos arguments relatifs à la position de
20 l'Accusation au sujet de l'acte d'accusation, j'en ai déjà parlé hier. Je
21 vais m'intéresser plutôt aux allégations de portée générale faite par le
22 conseil de M. Martinovic hier. Je peux dire, à titre préliminaire, que les
23 griefs qui ont été présentés devant la Chambre d'appel ne sont pas
24 différents des griefs soulevés devant la Chambre de première instance au
25 tout début de l'affaire. Dans une décision en date du 15 février 2000, la
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1 Chambre de première instance avait répondu aux griefs de l'appelant au
2 sujet de l'acte d'accusation, de son manque de précision et, à ce moment-
3 là, la Chambre de première instance lui avait donné des indications sur ce
4 qu'il pouvait faire, sur ce qu'il devait faire pour obtenir réparation de
5 ce fait étant donné qu'il estimait que l'acte d'accusation était trop
6 imprécis.
7 La première suggestion faite par la Chambre de première instance à M.
8 Martinovic, c'était de lire les déclarations qui lui avaient été remises.
9 Au cours de l'examen de la requête, il est devenu clair que le conseil de
10 M. Martinovic n'avait pas lu la totalité des 137 déclarations de témoins
11 qui lui avaient été remises. La Chambre a insisté, à très juste titre, sur
12 le fait qu'il devait lire ces déclarations avant de prétendre qu'il ne
13 savait pas contre quoi ou contre qui il devait se défendre.
14 En deuxième lieu, la Chambre de première instance a déclaré que si M.
15 Martinovic était gêné au sujet du manque de détails de l'acte d'accusation,
16 étant donné que l'acte d'accusation ne présentait qu'une description
17 générale des infractions, du fait de la période très longue pendant que
18 toutes ces infractions ont eu lieu, elle a dit donc qu'à ce moment-là, il
19 devait demander des détails précis à l'Accusation. A défaut, la Chambre de
20 première instance lui a dit qu'il pouvait tout à fait déposer une demande
21 auprès de la Chambre aux fins d'obtenir des éléments supplémentaires, des
22 précisions supplémentaires.
23 M. Martinovic n'a rien fait de tel. Il n'a pas demandé et exigé de
24 l'Accusation des précisions au sujet de l'acte d'accusation. Il n'a pas
25 présenté de requête à ce sujet. L'Accusation a fait de son mieux pour
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1 fournir au conseil de Martinovic des informations qui lui permettrait de
2 déterminer les détails des chefs d'accusation généraux qui étaient portés
3 contre lui afin qu'il puisse se défendre.
4 J'ai fait référence hier à la liste 65 ter, et on voit que tous les
5 témoins sur les déclarations desquels s'est appuyée la Chambre de première
6 instance, tous ces témoins, on les trouve sur la liste 65 ter, une des
7 trois listes qui a été déposée dans le cadre de la mise en état. Je
8 souhaiterais vous renvoyer à deux témoins parce qu'on en a beaucoup parlé
9 hier s'agissant des transferts illégaux. Le témoin AB, par exemple - je
10 souhaiterais vous renvoyer à la liste des témoins, vous pourrez trouver le
11 nom de cette personne - ce témoin AB, d'après le résumé joint à la liste 65
12 ter, le 19 juillet 1993, sa famille a été expulsée de son appartement par
13 Dario Solaja. Le témoin explique ensuite qu'il a été emprisonné à
14 l'Heliodrom. Ensuite, à la fin du résumé des déclarations de ce témoin, on
15 peut lire la chose suivante, je cite : "Le témoin a été contraint par les
16 hommes de Martinovic à piller les appartements de Bosniaques. Le pillage
17 était systématique et Martinovic était l'un des principaux instigateurs des
18 pillages. Il était présent au moment des pillages et des chargements dans
19 les camions. Le témoin connaissait également un membre de l'unité de Tuta
20 qui a organisé l'expulsion des Musulmans à partir de Mostar et le pillage
21 de leurs biens." Ceci nous ramène au chef 21, paragraphe 57, le chef
22 relatif au pillage. Donc l'appelant, l'accusé, disposait d'information au
23 sujet du chef de pillage.
24 Autre témoin au sujet du pillage, et ensuite, je passerai aux deux chefs de
25 transfert illicite, le témoin II, qui nous dit qu'au début août 1993, le
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1 témoin a été emmené au QG de Martinovic à côté du Rondo où il a réalisé un
2 certain nombre de travaux. A la fin de l'été, il a été emmené pour piller
3 des maisons. Chaque jour, l'Unité de Stela emmenait 30 prisonniers, dix
4 pour les pillages, dix pour la ligne de front, et dix pour travailler au
5 QG. Stela était au courant de tout cela. Le témoin a entendu dire que ses
6 amis ont été contraints de porter des uniformes et de porter également des
7 fusils en bois le long de la ligne de confrontation. Ici encore, l'accusé
8 était au courant de ce qu'on lui reproche s'agissant des pillages et
9 s'agissant des témoins qui allaient déposer dans ce sens.
10 Maintenant, s'agissant du transfert forcé, le témoin Jeremy Bowen, un
11 journaliste vidéaste, a filmé sur place à Mostar en septembre et, en
12 particulier, il a filmé ce 29 septembre et en tout début du journée le 30
13 septembre, une période pendant laquelle une bonne partie de la population
14 de Mostar a été repoussée dans la zone occupée par l'ABiH. On l'a forcé à
15 franchir le pont.
16 Avant qu'il ne vienne déposer, on avait remis à la Défense un compte rendu
17 de ses propos et on a signalé à la Défense de quoi il allait parler. Ceci
18 était mis en rapport avec l'acte d'accusation. Nous l'avons fait pour
19 chacun des témoins qui ont déposé devant la Chambre de première instance.
20 M. Stringer, à la page 5 767 du compte rendu d'audience, il l'indique
21 puisqu'il dit ces éléments de preuve sont en rapport avec le chef 18 des
22 expulsions forcées, au
23 paragraphe 24.
24 Nous avons également la déposition du témoin GG. Au début du compte rendu
25 d'audience, page 4 739, nous avons également
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1 M. Poryvaev, un des procureurs a déclaré, je cite : "Le témoin va déposer
2 au sujet du chef 18, paragraphe 54. Page 4 756 du compte rendu d'audience,
3 le témoin répond à une question au sujet des expulsions, il répond, je cite
4 : "J'ai été expulsé une fois encore de mon appartement le 13 juin."
5 Ensuite, il dit à la page suivante qu'il a été expulsé de son appartement.
6 Il explique qu'il a été transféré le 13 juin. On ne peut pas faire plus
7 clair, plus limpide.
8 Le témoin WW, page 705, M. Scott nous présente le témoin, il dit que le
9 témoin va parler du chef 18, paragraphe 54. Page 7 006 du compte rendu
10 d'audience, -- non, excusez-moi, page 7 034, le témoin nous parle du 13
11 juin 1993. C'est M. Scott qui demande au témoin de parler de cette date
12 pour qu'il explique ce qui s'est passé ce jour-là. Il s'ensuit une
13 discussion assez longue au sujet des événements du 13 juin. Ceci a été le
14 cas pour la totalité des témoins.
15 Si cela ne suffisait pas, si ces déclarations ne suffisaient pas pour
16 prévenir l'accusé de la pertinence de ces éléments au regard des chefs de
17 l'acte d'accusation et des faits allégués dans l'acte d'accusation, si cela
18 ne suffisait pas, l'accusé a encore reçu d'autres informations qui auraient
19 dû l'informer suffisamment. Il y a des éléments de preuve documentaires qui
20 l'ont informé. Un exemple très bref, parce que la Chambre de première
21 instance a beaucoup parlé de tous ces éléments dans son jugement, la pièce
22 455.1. C'est un rapport quotidien du 14 juin 1993 de Mate Anisic. Le 14
23 juin 1993, les unités du HVO, placées sous le commandement de Vinko
24 Martinovic, alias Stela, ont procédé à des opérations de nettoyage
25 ethnique.
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1 Nous avons également la vidéo où M. Bowen, ce journaliste vidéaste
2 dont j'ai déjà parlé. Cette vidéo s'appelle "Unfinished Business," un
3 documentaire sur ce qui s'est passé dans la partie orientale de Mostar par
4 le correspondant de la BBC, Jeremy Bowen, et il y a également sa déposition
5 dans laquelle il mentionne l'incident du 29 et du 30.
6 Enfin, nous avons le rapport P620.1, comme je l'ai dit, il y a
7 beaucoup de documents qui ont été communiqués à la Défense avant le procès
8 et pendant le procès, des documents qui ont tout à fait informé M.
9 Martinovic des détails de ce qui lui était reproché, et ici, je ne vous
10 présente que certains des éléments, des exemples qui nous montrent qu'on
11 l'a informé des détails relatifs à tous les chefs de l'acte d'accusation.
12 Nous avons là un rapport adressé à la République de Bosnie-Herzégovine,
13 communauté croate de Herzeg-Bosna, conseil de la défense croate, un
14 document strictement confidentiel, un document militaire adressé au
15 ministère de la défense, je cite : "Enlèvements des musulmans du quartier
16 Centar II, le 29 septembre 1993. Vers 16 heures, le 29 septembre 1993,
17 Vinko Martinovic, alias Stela, est arrivé au secteur de défense de Mostar
18 pour chercher Zelic, le commandant. Quand il ne l'a pas trouvé, il est allé
19 chercher l'adjoint au commandant du 1er Bataillon d'assaut léger, et il lui
20 a dit que l'opération devait commencer vers 19 heures dans la soirée comme
21 cela était convenu." Dernier paragraphe : "Il a été convenu que deux
22 groupes mèneraient cette opération, l'ATG Vinko Skrobo, le groupe
23 antiterroriste ainsi que d'autres. On a mis en place un plan pour le
24 transfert des femmes et des enfants et pour l'emprisonnement des hommes à
25 l'Heliodrom, qui devraient ensuite travailler. On a prévu de saisir toutes
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1 les clés des appartements et de placer des autocollants sur les
2 appartements."
3 Cela n'est pas suffisamment clair puisque le 29 septembre est une
4 date tout à fait pertinente, une date qui a un rapport direct avec l'acte
5 d'accusation s'agissant du transfert forcé des Musulmans de Mostar. Même
6 chose pour le 13 et le 14 juin. Il en a été de même pour les incidents de
7 pillage, pour les incidents de sévices, toujours autant de détail, toujours
8 autant de précision sans compter les déclarations très précises fournies à
9 l'avance, les déclarations des témoins fournies à l'avance. Nous estimons
10 que si l'acte d'accusation était entaché de vices d'une manière ou d'une
11 autre, ces vices ont été couverts par la fourniture par l'Accusation à la
12 Défense de documents en temps utile au cours de la période précédent le
13 procès et pendant le procès.
14 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Vous nous dites qu'on peut peut-
15 être penser que l'acte d'accusation n'était pas suffisamment clair. Si on
16 va, par exemple, au paragraphe 27 : "Il y a eu deux vagues de transfert
17 forcé et d'emprisonnement, l'une qui a suivi l'attaque du 9 mai 1993, la
18 deuxième dans les premières journées de juillet 1993." On pourrait dire que
19 c'est trop vague cela puisqu'on n'y parle pas du 29 septembre. Alors
20 qu'est-ce qui a permis de couvrir ce vice de forme, cette imprécision de
21 l'acte d'accusation ? Qu'est-ce qui a permis d'y remédier ? La liste 65
22 ter, les déclarations, les communiqués ou quelque chose dont nous
23 connaissons tous dans nos grands systèmes judiciaires respectifs, à savoir,
24 cette allusion judiciaire, cette sorte d'allusion judiciaire fournie au
25 cours du procès ? Qu'est-ce que vous pensez qui, en fin de compte, a permis
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1 de couvrir ce vice de forme de l'acte d'accusation, cette imprécision ?
2 M. KREMER : [interprétation] Tout cela. Il y a d'abord eu initialement les
3 suggestions faites par la Chambre de première instance sur ce que devait
4 faire M. Martinovic pour obtenir les détails qu'il souhaitait obtenir. Il y
5 a ensuite eu toutes les informations communiquées à la Défense en vertu de
6 l'Article 65 ter. Puis, il y a eu toutes les références qui ont été
7 données, références directes avec les noms de témoins identifiés par
8 l'Accusation en faisant référence aux déclarations qui avaient été
9 précédemment communiquées. Il y a aussi les documents qui traitaient des
10 mêmes incidents, parce que dans la liste 65 ter, on parle précisément des
11 incidents sur lesquels vont déposer les témoins. Ceci qui est mis en
12 relation avec les paragraphes précis, les chefs précis de l'acte
13 d'accusation. On a également communiqué à la Défense la nature de la
14 déposition des témoins avant qu'ils ne viennent dans le prétoire. On a
15 expliqué sur quel paragraphe et chef de l'acte d'accusation ils allaient
16 déposer. Puis, il y a aussi le fait que ces témoins soient venus, qu'ils
17 ont déposé, qu'il n'y a pas eu d'objection sur ce point parce que la
18 Défense n'a jamais prétendu qu'elle avait été prise par surprise, rien du
19 tout. La Défense a procédé systématiquement au contre-interrogatoire de ces
20 témoins. Tout ceci, rétrospectivement, nous montre qu'il n'y a pas
21 d'inéquité ici, même si l'acte d'accusation initialement était imprécis.
22 Ceci, on y a remédié pendant le procès, comme cela d'ailleurs a été montré
23 par M. Martinovic, enfin M. Martinovic n'a jamais montré que son procès
24 avait été équitable car les incidents qui ont étayé ses déclarations de
25 culpabilité, il en avait été informé de manière très claire pendant toute
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1 la procédure de communication des pièces avant les dépositions des témoins.
2 Il n'a pas été pris par surprise, on lui avait remis les documents, les
3 déclarations des témoins, les listes 65 ter et ceci en rapport avec l'acte
4 d'accusation qui fournissait les détails sur les dates relatives, les dates
5 des incidents de pillage, de sévices, et cetera, un grand nombre
6 d'incidents. La Chambre a décidé de prendre ces incidents, d'estimer que
7 ces incidents s'inscrivaient dans le cadre d'une accusation plus générale,
8 charges qui étaient constituées d'un nombre multiple d'incidents qui ont eu
9 lieu sur place. Donc, il appartenait à l'Accusation de fournir à la Défense
10 tous ces éléments dans la liste 65 ter, dans les déclarations, dans les
11 documents fournis à la Défense. La Défense a eu toute possibilité, si elle
12 était un petit peu troublée et perturbée, elle a eu toute la possibilité de
13 déposer une requête aux fins de précision, mais elle ne l'a pas fait. Nous
14 estimons que si les arguments de la Défense doivent être acceptés ici, il
15 faut qu'elle nous démontre qu'elle a été victime d'une injustice
16 puisqu'elle n'aurait pas été informée dans les temps et de manière précise.
17 Or, la Défense n'a rien montré de tel. J'estime, sur la base de ce que je
18 viens de vous dire, que c'est tout à fait le contraire qui s'est passé.
19 Merci.
20 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Merci.
21 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Monsieur le Juge Shahabuddeen.
22 M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : [interprétation] Monsieur Kremer, est-ce que ce
23 collège de Juges a la possibilité de déduire, d'après ce que vous avez
24 avancé, dans un premier temps, que la Chambre de première instance a
25 indiqué à la Défense que la Défense avait la possibilité de demander de
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1 plus amples précisions, et deuxièmement, que le fait que la Défense n'a pas
2 demandé de précisions, est-ce que de ce fait, la Chambre d'appel peut tirer
3 des déductions sur la situation gênante dans laquelle se trouvait la
4 Défense ou non ?
5 M. KREMER : [interprétation] Je pense qu'elle a tout à fait la possibilité
6 de prendre en considération cela afin de déterminer s'il y a eu préjudice
7 ou non en première instance. Voilà ce que nous pensons.
8 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je pense que les Juges n'ont plus de
9 question à vous poser.
10 M. KREMER : [interprétation] Pour ce qui est des questions à propos des
11 qualifications subsidiaires et cumulatives, M. Tracol est tout à fait
12 disposé à répondre à toute question puisque cela a été soulevé dans la
13 lettre de la Chambre et dans l'ordonnance portant calendrier.
14 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je ne pense pas qu'il y ait de question
15 à ce sujet. Nous en avons terminé avec la réplique de l'Accusation.
16 Nous allons maintenant donner la parole au conseil de
17 M. Martinovic. Nous attendons votre réponse. Vous avez, Maître, une demi-
18 heure pour apporter cette réponse.
19 M. PAR : [interprétation] Monsieur le Président, Madame, Messieurs les
20 Juges, je vous remercie. Je vais essayer d'évoquer brièvement toutes les
21 questions qui ont été soulevées par l'Accusation. J'espère que je pourrai
22 ensuite donner la parole à mon confrère, Me Kerns, qui souhaitera aborder
23 certains éléments juridiques.
24 Nous allons commencer par la fin de l'argumentation de mon collègue à
25 propos du manque de précision de l'acte d'accusation. Voilà ce que pense la
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1 Défense : l'accusé a tout à fait le droit de recevoir un acte d'accusation
2 très clair et cela est son droit depuis le premier jour, sans aucune
3 réserve, car il s'agit d'un droit fondamental de l'accusé et c'est le point
4 de vue de la Défense et l'accusé fait valoir ce droit aujourd'hui
5 également.
6 Nous avons entendu l'Accusation dire aujourd'hui que les conseils de la
7 Défense avaient reçu des orientations de la part de la Chambre de première
8 instance. Mais des orientations à propos de quoi ? Des orientations pour
9 rédiger un acte d'accusation pour nous-mêmes ? La Chambre de première
10 instance a indiqué que nous avions les déclarations des témoins que nous
11 avions, que nous disposions de plusieurs listes et que nous pouvions
12 comprendre quels étaient les chefs d'inculpation. Qu'étions-nous censés
13 faire ? Rédiger nous-mêmes ces chefs d'inculpation ? Je pense que je me
14 contenterai d'avancer ces arguments pour ce qui est de notre point de vue
15 vis-à-vis de l'acte d'accusation.
16 Pour ce qui est de l'incident des fusils de bois, mon estimé confrère nous
17 a présenté une liste sur laquelle figuraient les noms des personnes qui
18 étaient vivantes, ceux qui étaient revenus et ceux qui n'étaient pas
19 revenus. J'aimerais poser une question à ce sujet. Nous avons mentionné
20 plusieurs personnes qui ont été tuées, qui se trouvent sur cette liste. M.
21 Martinovic a été déclaré coupable de ce chef d'inculpation. Toutefois, ces
22 personnes ont été tuées ailleurs. Nous avançons que ces personnes ont été
23 tuées parce qu'elles avaient des fusils en bois, mais dans une autre unité,
24 dans une unité différente. Pour ce qui est du meurtre de Harmandzic et de
25 savoir s'il s'agissait d'un meurtre ou non, j'avance que cette Chambre
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1 devrait véritablement voir quelles ont été les qualifications subsidiaires
2 utilisées par le bureau du Procureur pour cet incident. Pourquoi est-ce que
3 cela a été fait de la sorte ? Non pas de façon fortuite que cela a été
4 fait, car il s'agit d'un chef d'inculpation de meurtre et de traitement
5 cruel, et ce, pour couvrir tous les éléments.
6 Nous ne contestons absolument pas que Harmandzic se trouvait dans l'unité
7 de Martinovic. Maintenant, pour ce qui est de savoir s'il a été passé à
8 tabac ou non, cela n'a toujours pas été tranché. Pourquoi est-ce que le
9 bureau du Procureur incrimine M. Martinovic de la sorte ? Tout simplement
10 pour s'assurer qu'ils ne vont pas perdre cette bataille, et je suis
11 absolument choqué de voir que la Chambre de première instance a tout
12 simplement accepté ce qui a été offert par le bureau du Procureur. Ce que
13 j'avance, c'est que la Chambre d'appel devrait véritablement envisager
14 cette question sous une autre perspective.
15 L'existence du conflit international armé nous a été présenté suivant le
16 point de vue ou la perspective du bureau du Procureur et mon estimé
17 confrère, M. Farrell, nous a expliqué la position subjective de M.
18 Martinovic par rapport à ce conflit. Ce que mon estimé confrère a dit n'a
19 aucune valeur puisqu'ils nous ont offert le témoignage du cuisinier danois,
20 M. Alan Knudsen. Ils nous ont dit de prendre en considération les
21 paragraphes du jugement. Alors, je vous demanderais de prendre en
22 considération ou de consulter ce compte rendu. Il s'agit d'un jeune homme
23 très intelligent, un jeune homme très dangereux également, qui travaillait
24 en tant que cuisinier au Danemark. Pour nous, cela était une aventure que
25 de participer à une guerre. Il a trouvé une publicité, une annonce dans les
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1 journaux où ils recrutaient des personnes dans le cadre de guerres en
2 Croatie, en Afghanistan et en Irak. Il est arrivé en Croatie ainsi. Il
3 avait un numéro de téléphone, c'est tout. C'est un numéro de téléphone
4 qu'il devait appeler le jour de son arrivée, c'est tout ce qu'il avait. On
5 lui a demandé de rencontrer quelqu'un à la gare centrale de Zagreb. A son
6 arrivée, il y avait un groupe de personnes qui ont rencontré cet homme
7 Brajcic, et peu importe son nom, mais cette personne recrutait des
8 volontaires. Il ne le faisait pas, d'ailleurs, au nom du gouvernement
9 croate. Cet homme Knudsen aurait pu se présenter ailleurs, aurait pu être
10 recruté, par exemple, au Canada ou ailleurs, là où ils recrutaient des
11 volontaires pour la guerre. Cette personne n'avait absolument rien à voir
12 avec l'Etat croate. Apparemment, on l'a emmené au parlement croate.
13 Absolument pas. On l'a emmené à la cantine du parlement croate parce que
14 c'est là qu'il travaillait et à partir de cet endroit, on l'a envoyé à
15 Mostar et il avait des documents. Pourquoi ? Parce qu'il fallait bien
16 qu'ils s'assurent qu'il ne serait pas tué à son arrivée à Mostar parce
17 qu'on aurait pu le prendre pour un espion, par exemple. Mon client
18 Martinovic ne se souvient pas des documents ou des papiers à proprement
19 parler, mais il est évident que cette personne devait avoir sur lui des
20 papiers pour pouvoir s'identifier.
21 C'est sur la base de ce document précis que nous devons prendre des
22 décisions, des décisions de droit international, afin de décider si M.
23 Martinovic était conscient de cela ou non. Sur la base de ce témoignage de
24 cette personne, Alan Knudsen je ne pense pas que nous pouvons, que nous
25 sommes à même de juger ou d'apprécier la responsabilité de M. Martinovic
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1 car cet exemple devrait servir pour prouver que le Danemark était conscient
2 de l'existence d'un conflit armé international plutôt que M. Martinovic.
3 J'aimerais juste établir un parallèle. Quelle est l'intention du Procureur
4 lorsqu'il fait référence à Knudsen ? Il souhaite jeter le discrédit sur le
5 témoignage de Sir Martin Garrod. Nous savons qui il était. Il était le chef
6 de la mission de contrôle à Mostar qui se rendait quotidiennement au QG de
7 M. Martinovic. Il savait ce qui se passait à Mostar. Lorsqu'il envoyait un
8 rapport, les capitales du monde entier appelaient sur la base de ce rapport
9 qu'il envoyait. C'est la personne qui a témoigné à propos de l'existence du
10 conflit international armé. Lorsqu'il est venu ici déposer, on lui a posé
11 justement des questions à propos de l'approche subjective vis-à-vis du
12 conflit international armé, et soudainement, le bureau du Procureur trouve
13 qu'il s'agit d'une question tout à fait saugrenue. On a demandé à Martin
14 Garrod s'il connaissait M. Martinovic, ce qui est le cas, puisqu'il le
15 rencontrait tous les jours. On lui a posé des questions à propos du rôle
16 joué par M. Martinovic, à propos des informations stratégiques dont il
17 aurait pu disposer à l'époque. Si vous prenez le témoignage de Sir Martin
18 Garrod qui se trouve à la page 8 595, c'est là qu'on lui demande s'il pense
19 que M. Martinovic était conscient de l'existence du conflit international
20 armé. C'était la personne qui était la mieux placée pour répondre à cette
21 question et quelle fut sa réponse ? Il lui a dit qu'il lui est impossible
22 de détenir ces informations et que la seule chose qui le préoccupait à
23 l'époque, c'était sa survie. C'est cet autre témoin, le cuisinier danois,
24 qui était censé discréditer l'autre témoin dont le témoignage a eu tant de
25 poids. Voilà ce que je souhaiterais indiquer à ce sujet.
Page 261
1 Mon confrère, Me Kerns, va vous parler des questions juridiques et
2 relatives au conflit armé international.
3 M. KERNS : [interprétation] Je souhaiterais répondre à certaines questions
4 soulevées par mon collègue, M. Farrell, hier. Au début de son intervention,
5 il a semblé suggérer que le critère de l'élément moral ou de la mens rea
6 était un critère relatif au conflit international armé et je pense que ce
7 qu'il a suggéré -- c'est que nous souhaitons présenter les arguments de la
8 Défense.
9 J'aimerais revenir sur notre premier moyen d'appel qui se trouve dans notre
10 mémoire d'appel. Cela a été rédigé par mon confrère, Me Par et il est
11 indiqué, aux paragraphes 8 et 9 :
12 "M. Martinovic ne peut pas être tenu responsable du caractère du conflit
13 dans lequel il se trouvait lors de la période visée par l'acte
14 d'accusation. Notamment, il faut savoir que le caractère du conflit dépasse
15 sa connaissance, sa conscience, la conscience qu'il avait des événements et
16 son intention. Il est absolument incontesté que M. Martinovic se trouvait
17 positionné devant sa maison, à Mostar, sur une rue de 200 mètres de long.
18 "Dans un premier temps, il a assuré la défense contre les forces serbes en
19 1992 et ensuite, deuxièmement, contre les forces musulmanes lors de leur
20 attaque en 1992 [comme interprété].
21 "M. Martinovic n'avait absolument aucun lien avec les personnes, les
22 autorités, les unités qui se trouvaient à l'extérieur de Mostar, et n'avait
23 absolument aucune façon de connaître le contexte plus général ou le
24 caractère du conflit."
25 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Il serait utile que vous ralentissiez
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1 pour les interprètes.
2 M. KERNS : [interprétation] Je m'excuse.
3 Mais il y a un nouvel élément. Il a été dit que c'était un nouvel élément
4 qui avait été soulevé, ce qui n'est pas vrai, d'ailleurs, puisque cela se
5 trouve dans notre premier moyen d'appel. Vous verrez, dans le mémoire
6 supplémentaire dans lequel nous avons cité l'arrêt Kordic, que l'Accusation
7 a répondu en présentant une réponse séparée. Ils ont, d'ailleurs, cité, à
8 nouveau, l'appel Kordic. Donc, nous dire maintenant que le paragraphe 311
9 de l'appel Kordic les a pris complètement au dépourvu et qu'il n'ont
10 absolument pas été en mesure de réfléchir à la question le deuxième jour de
11 la présentation des arguments oraux, cela ne peut pas être fait. Je
12 remarque, également, que Me Hennessy a essayé, pendant des semaines, de
13 déposer des arguments supplémentaires à propos de la torture et il attend,
14 bien entendu, de voir si la Chambre appréciera ces éléments. Ce que
15 j'aimerais dire, également, c'est que nous ne pouvons pas dire que cette
16 question ou que ces éléments du critère de la mens rea n'ont pas été
17 présentés auparavant.
18 Puis, il faut savoir qu'en février 2005, lorsque le Procureur citait Kordic
19 en mars de cette année, nous, nous l'avons cité en février de cette année -
20 - donc, je pense qu'on ne peut pas maintenant dire en toute innocence, nous
21 souhaitons avoir la possibilité de réfléchir à la question, alors que cela
22 avait déjà été cité en décembre de l'année dernière. Pourquoi est-ce qu'ils
23 disent cela ? Ils disent cela parce que cela porte tort à leur position.
24 Nous n'avons pas répondu parce que -- d'ailleurs, M. Farrell, hier, a
25 indiqué certains faits qui sont censés étayer le critère d'élément moral de
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1 mon client. Lorsque nous lisons le compte rendu d'audience, nous voyons que
2 cela n'a pas été fait. Mon client est un homme qui a été décrit comme
3 originaire de Mostar par la Chambre de première instance, qui a été élevé à
4 Mostar, qui est resté à Mostar, qui a combattu sur une ligne de front qui
5 était très, très limité à Mostar et ils veulent déduire, à partir de cela,
6 qu'il y avait des hommes qui portaient des uniformes de la HV tout autour
7 de lui. Bien entendu qu'il y avait des hommes qui portaient l'uniforme de
8 l'armée croate, parce qu'il y a de nombreux Croates de Bosnie qui se sont
9 rendus en Croatie pour combattre et qui sont, ensuite, revenus à Mostar.
10 L'existence d'uniformes ne prouve absolument rien et ne prouve surtout pas
11 l'élément moral et l'intention coupable de mon client. J'aimerais demander
12 à la Chambre d'appel d'étudier ces arguments du conseil en prenant en
13 considération le doute que j'ai émis. Ils ne peuvent pas dire qu'ils ont
14 été surpris par cette condition du critère de la mens rea au paragraphe
15 311. Comme l'a dit le Juge Schomburg, ils n'ont même pas été en mesure
16 d'indiquer une seule affaire dans un pays dans lequel l'élément du crime
17 aurait été déduit à partir du critère de la mens rea.
18 Le conseil a également indiqué que puisque ce critère de la mens rea
19 n'avait pas été soulevé dans Kordic et dans Tadic, ils ont, en quelque
20 sorte, été considérés comme passés outre par l'affaire Kordic. Mais la
21 question n'a même pas été soulevée, la question de droit n'a même pas été
22 soulevée, comme nous, nous l'avons fait dans les paragraphes 8 et 9 de
23 notre mémoire.
24 Ce n'est pas la faute de la Défense, ce n'est pas la faute de M.
25 Martinovic, si aucun autre conseil n'a décidé de soulever cette question
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1 dans ces autres affaires.
2 Nous, nous avons, de façon très précise, soulevé cette question et
3 j'aimerais développer et étoffer un peu cet argument.
4 Ce matin, le Procureur a indiqué que le lien est également un critère
5 objectif. Non seulement le lien est un critère objectif, mais l'existence
6 d'un conflit armé international est également un critère objectif car tout
7 semble être un critère objectif. Mais si vous pensez à l'état d'esprit de
8 mon client, c'est un homme qui a été élevé à Mostar, qui a combattu à
9 Mostar contre les Serbes, au départ et avec les Musulmans, côte à côte
10 avec les Musulmans, de pair avec les Musulmans. Après, il a combattu les
11 Musulmans, toujours sur la même ligne de front.
12 C'est dans ce contexte qu'ici, ils disent que cela prouve, au-delà de tout
13 doute raisonnable, qu'il savait qu'il y avait conflit international.
14 N'oubliez pas que la Chambre de première instance avait décrit mon client
15 comme un homme ayant une éducation de base, qui n'a bénéficié d'aucune
16 formation militaire, qui était un chauffeur de taxi, qui est devenu
17 respecté dans sa communauté et qui est devenu commandant d'une toute petite
18 unité qui se trouvait sur la ligne de front.
19 Dans l'avis Kordic, il a été indiqué qu'un soldat doit, au moins, connaître
20 les circonstances factuelles, au moins qu'un état étranger participe au
21 conflit. Dans ce conflit armé, comme l'a indiqué Me Par, pour ce qui est de
22 la connaissance de mon client, mon client a dit : Nous, nous pensions à
23 survivre tout simplement. Nous étions sur la ligne de front et il y avait
24 des gens qui se trouvaient à portée de voix et nous voulions survivre. La
25 Chambre de première instance a estimé qu'il n'avait aucun lien avec le
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1 monde politique, absolument pas. Il s'agit d'un tout petit rôle qui a été
2 joué par
3 M. Martinovic dans cet incident.
4 Je sais que M. Farrell a donné à M. Naletilic un certain temps avant de
5 répondre, mais je voulais aborder cet élément ici et il est évident que je
6 reprendrai la parole après l'intervention de
7 M. Farrell. Je vous remercie.
8 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Puis-je supposer que cela met un terme
9 à votre réponse, Maître Kerns ?
10 M. KERNS : [interprétation] Oui, pour cette phase de l'audience, tout à
11 fait.
12 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] D'après notre programme, nous sommes
13 censés avoir une pause maintenant et nous reprendrons avec l'appel du
14 Procureur après la pause.
15 Monsieur Farrell ?
16 M. FARRELL : [interprétation] Je m'excuse de vous interrompre, mais je ne
17 voudrais surtout pas préjuger ce que va indiquer
18 M. Naletilic. Il n'a peut-être rien à dire à ce sujet, mais j'avais soulevé
19 certaines questions factuelles hier à propos du conflit international armé
20 et c'est la seule question qui n'a pas été abordée. Voilà ce que je voulais
21 indiquer.
22 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je comprends tout à fait, Monsieur
23 Farrell. Je n'ai pas eu de demande de la part de la Défense de M.
24 Naletilic.
25 M. FARRELL : [interprétation] Non, vous avez tout à fait raison, Monsieur
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1 le Président et il lui appartient de répondre.
2 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Monsieur Hennessy ?
3 M. HENNESSY : [interprétation] Si la Chambre n'y voit pas d'inconvénients,
4 je vais m'entretenir avec mon co-conseil et nous déciderons si nous
5 présenterons des arguments à propos du conflit armé international lors du
6 temps qui nous a été imparti et qui sera en début d'après-midi.
7 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Vous voulez dire que vous présenterez
8 vos arguments en réponse à l'appel du Procureur ? C'est ce que vous nous
9 dites ?
10 M. HENNESSY : [interprétation] Non.
11 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Non. Nous allons, maintenant, mettre un
12 terme à l'appel de M. Martinovic, pour ce qui est de l'appel de Naletilic,
13 il a été terminé hier et nous allons maintenant entamer la phase de l'appel
14 de l'Accusation. Vous avez l'intention Maître de présenter de plus amples
15 arguments au nom de M. Naletilic à propos du conflit armé international en
16 réponse à l'Accusation.
17 M. HENNESSY : [interprétation] Je ne pense pas que j'aurai de plus amples
18 précisions à apporter à propos du conflit international armé. Mais il y a
19 des remarques qui ont été faites par M. Kremer à propos du manque de
20 précision de l'acte d'accusation, ce sont des remarques qui n'ont pas été
21 présentées lors du cadre temporel qui lui avait été octroyé. J'ai une
22 réponse très brève à apporter à propos de certaines références très
23 précises qui ont été présentées sur la présentation de la liste 65 ter.
24 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je crois comprendre que cet après-midi,
25 vous êtes tenu de répondre à l'Accusation puisque le temps imparti à
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1 l'appel de M. Naletilic s'est écoulé maintenant. C'est ainsi que je conçois
2 la situation.
3 M. HENNESSY : [interprétation] Je comprends tout à fait.
4 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Si vous souhaitez présenter des
5 remarques brèves portant sur les faits qui ont été abordés hier par M.
6 Farrell à propos du caractère international du conflit, je peux vous
7 accorder 10 minutes, mais pas une de plus. Je préfère, d'ailleurs, que nous
8 le fassions maintenant.
9 M. HENNESSY : [interprétation] Je n'aurai rien à dire à propos du conflit
10 armé international.
11 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] D'accord.
12 M. KERNS : [interprétation] J'ai essayé d'être aussi poli que possible pour
13 accorder quelques minutes à mon confrère, mais j'aimerais répondre en une
14 minute et demie ou deux minutes à l'argument qui a été présenté sur le
15 manque de précision de l'acte d'accusation.
16 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vous accorde réellement sept
17 minutes, Maître Kerns.
18 M. KERNS : [interprétation] Mon confrère a présenté une thèse, Peter a
19 indiqué ce suit à la Chambre d'appel. Regardez tout ce que nous avons dit à
20 propos de l'acte d'accusation. Nous leur avons dit qu'ils pouvaient déposer
21 les documents, nous avons dit à la Défense qu'ils pouvaient demander des
22 précisions. Nous avons convoqué des témoins qui nous ont dit qu'ils
23 allaient parlé du 29 septembre. Donc comment est-ce qu'ils ne pouvaient pas
24 savoir puisque le vice a été couvert. Mais je rappellerais à la Chambre
25 d'appel qu'au cours de tout procès, il y a des éléments de preuve qui sont
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1 présentés à propos des mobiles, des possibilités, de l'intention et des
2 autres mauvais agissements de l'accusé qui ne font pas partie des crimes
3 incriminés, des infractions, mais qui sont présentés comme preuve de
4 mobile, de connaissance, d'intention, de préparation de plan. Dans les
5 tribunaux fédéraux aux Etats-Unis, on parle des éléments de preuves
6 présentés au titre de la Règle 404(b), et il y a d'autres mauvais
7 agissements qui tendent à prouver les faits de l'acte d'accusation, mais
8 qui ne sont pas repris dans les chefs d'inculpation. Lorsque vous avez la
9 Défense qui consulte l'acte d'accusation, la Défense peut dire cela ne fait
10 pas partie des chefs d'inculpation, donc cela doit être examiné au titre de
11 la Règle 404(b). En fait, qu'est-ce qui nous préoccupe ? C'est parce que
12 tous les mauvais agissements dont il a été question à propos de notre
13 client, il faut faire très attention, il faut veiller au grain parce que
14 cela pourrait être considéré comme une infraction. S'ils avaient présenté
15 un acte d'accusation modifié ou amendé, nous aurions pu être suffisamment
16 informés de tous ce que l'on reprochait à mon client. Il faut savoir qu'il
17 y a différentes jurisprudences qui permettent aux tribunaux de prendre en
18 considération des éléments de preuves présentés à propos d'autres mauvais
19 agissements pour étayer les agissements qui sont reprochés à l'accusé.
20 M. MEEK : [interprétation] Je vais être très bref, mais il y a des
21 questions qui ont été soulevées hier à propos du manque de précision de
22 l'acte d'accusation. Nous n'avons pas été en mesure de répondre à cela et
23 j'aimerais savoir si vous pourriez m'accorder quelques minutes, cet après-
24 midi, pour le faire.
25 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Pourquoi est-ce que vous n'avez pas été
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1 en mesure de le faire hier ? Vous auriez tout à fait pu le faire.
2 M. MEEK : [interprétation] Nous n'avions pas le temps de le faire hier.
3 Puis, il y a un fait qui a été présenté par M. Farrell à propos de Falk
4 Simang et j'aimerais pouvoir y répondre. Mais nous pouvons avoir la pause,
5 Monsieur le Président, mais dans l'intérêt de la justice, je ne pense pas
6 véritablement que 10 minutes de plus vont véritablement représenter un
7 problème capital.
8 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Maître Meek, je vous ai déjà dit que
9 j'étais disposé à vous accorder dix minutes pour parler de cette question.
10 Me Hennessy nous a dit qu'il n'avait rien à dire à ce sujet. Il faudrait
11 que vous vous décidiez quand même.
12 M. MEEK : [interprétation] Me Hennessy a dit qu'il n'avait rien à dire à
13 propos du caractère international du conflit armé, alors que je parle du
14 manque de précision de l'acte d'accusation relatif à M. Naletilic. Tout ce
15 que je vous demande, c'est dix minutes, Monsieur le Président, c'est tout
16 et toujours dans l'intérêt de la justice, bien entendu.
17 M. Farrell, quel est votre point de vue sur la question ?
18 M. FARRELL : [interprétation] Je comprends les préoccupations exprimées par
19 Me Meek et je ne souhaiterais surtout pas être injuste. Mais il y a un
20 temps de parole qui a été imparti aux différentes parties. Je pense qu'il
21 appartient aux différentes parties de soulever telle ou telle question,
22 c'est leur choix, bien entendu. Je suppose que nous souhaiterions tous
23 avoir des minutes supplémentaires pour présenter certaines questions, mais
24 ce n'est pas l'objectif de cette audience. Je vous remercie.
25 [La Chambre de première instance se concerte]
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1 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Après avoir consulté mes collègues, je
2 vais vous accorder jusqu'à 10 heures 40 pour que vous répondiez aux
3 nouveaux arguments présentés par l'Accusation. Dix minutes, c'est tout,
4 jusqu'à 10 heures 42.
5 M. MEEK : [interprétation] Merci, Monsieur le Président, je vous en suis
6 très reconnaissant. Premièrement, je suis d'accord avec ce qu'a dit Me
7 Kerns, à savoir que pendant le procès, en tant qu'avocat, on sait qu'il y a
8 des éléments de preuve qui vont être présentés qui n'ont pas une pertinence
9 particulière s'agissant des chefs d'accusation. Si vous examinez notre
10 mémoire en clôture, nous, la Défense de Naletilic, vous verrez que nous
11 n'avons pas traité de la question des expulsions du 13 et 14 juin, ni du 29
12 septembre. Pourquoi est-ce qu'on n'en a pas parlé ? Parce qu'on ne savait
13 même pas qu'on nous accusait de ces crimes. Dans ce mémoire de 180 pages,
14 nous avons parlé de tout sauf de cela, sauf de cette question. Pourquoi ?
15 Parce qu'on ne nous a pas informé de manière adéquate de ces accusations.
16 Nous sommes ici des avocats, nous sommes des juges, nous savons tous
17 pertinemment que ce qui se passe dans un procès, c'est la chose suivante :
18 le Procureur fait une déclaration liminaire dans laquelle il indique les
19 éléments qu'il va présenter pour prouver sa thèse, pour prouver, il
20 l'espère, sa thèse au-delà de tout doute raisonnable, pour prouver que
21 l'accusé a commis tel ou tel crime. Relisez ce qu'a dit M. Scott dans sa
22 déclaration liminaire, le
23 10 septembre 2001. Relisez-la. Il parle des expulsions du 9 mai, des
24 expulsions du 30 mai, il ne parle pas du 13 ou du 14 juin, il ne parle pas
25 du 29 septembre. Il n'en parle absolument pas.
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1 Maintenant, Accusation nous dit, vous savez, ils ont été informés par
2 les témoins qui sont venus déposer. Cela les a informés, ils auraient dû le
3 savoir, ils auraient dû le comprendre pendant le procès. L'Accusation nous
4 dit tout cela, mais ceci pose la question suivante : est-ce que vraiment on
5 nous a informés suffisamment dans l'acte d'accusation ? Il est arrivé
6 devant ce Tribunal que des Chambres décident que lorsqu'il y a trop de
7 victimes, il n'est pas nécessaire de toutes les nommer dans l'acte
8 d'accusation, mais lorsqu'il s'agit simplement d'ajouter une phrase, une
9 simple phrase, en disant qu'il y a eu également, par exemple, il y a eu des
10 expulsions également le 13 et le 14 juin 1993, à Mostar ainsi que le 29
11 septembre 1993 à Mostar, l'Accusation devrait ajouter cette phrase. On en
12 vient au fondement même de l'équité et mon Dieu, nous n'en avons pas parlé
13 dans notre mémoire en clôture de cette question, non pas parce que nous
14 avons oublié quoi que ce soit. Pourquoi ? Parce qu'on ne nous a pas
15 informés de ce fait avant que le jugement ne soit rendu. On ne savait même
16 pas que M. Naletilic avait été mis en accusation aux termes de l'Article
17 7(3) de ces expulsions. Cela, c'est complètement injuste. Je vous prie de
18 relire la déclaration liminaire de l'Accusation.
19 Je n'aurai pas besoin de dix minutes, mais plutôt de cinq minutes, cela
20 suffira. J'aimerais juste vous parler de Falk Simang, de Ralf Mrachacz.
21 Veuillez, je vous prie, lire leurs déclarations, relire leurs dépositions.
22 Vous constaterez qu'on aurait dû les balayer d'un geste de la main, de n'en
23 tenir aucun compte. Merci beaucoup.
24 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Merci, Me Meek.
25 Nous allons, maintenant, pouvoir faire une pause de 30 minutes, si bien que
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1 nous nous retrouverons ici à 11 heures 05.
2 --- L'audience est suspendue à 10 heures 36.
3 --- L'audience est reprise à 11 heures 10.
4 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Aux termes de notre ordre du jour, nous
5 allons, maintenant, entendre l'appel de l'Accusation. L'Accusation
6 disposera d'une heure pour nous présenter ses arguments, suite à quoi, nous
7 entendrons le début de la réponse de Naletilic,
8 30 minutes avant la pause. Maître Meek, vous souhaitez intervenir ?
9 M. MEEK : [interprétation] Oui. Une chose seulement. Mon client, une fois
10 encore, m'a demandé de vous poser la question suivante : la Chambre, s'est
11 elle prononcée, a-t-elle décidé s'il était en mesure de parler plus de 15
12 minutes cet après-midi, si
13 M. Martinovic décidait de ne pas utiliser la totalité des 15 minutes qui
14 lui avaient été imparties ? C'est la seule question que j'ai à vous poser.
15 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Oui. La Chambre s'est prononcée.
16 J'accorderai à M. Naletilic cinq minutes de plus que prévu. Cela n'a rien à
17 voir avec le fait que M. Martinovic utilise ou non les 15 minutes qui lui
18 sont imparties. M. Martinovic disposera, de toute manière, de 15 minutes
19 pour s'exprimer.
20 M. MEEK : [interprétation] Merci beaucoup, Monsieur le Président.
21 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Monsieur Kremer, vous avez la parole.
22 M. KREMER : [interprétation] Je souhaite vous informer que je vais parler
23 de l'expulsion. Ensuite, M. Farrell parlera de la persécution et M. Tracol,
24 lui, parlera du cumul de déclarations de culpabilité dans l'acte d'appel de
25 l'Accusation.
Page 273
1 Avant de commencer, permettez-moi de vous dire que je ne me référerai
2 nullement au mémoire d'appel de l'Accusation, sauf pour vous indiquer que
3 le paragraphe 4.7 -- plutôt, 4.8 doit être corrigé dans la première phrase
4 du paragraphe 4.8. Il y a une omission qui me semble importante. Il
5 convient de vous l'indiquer afin qu'il n'y ait aucun malentendu. Je cite,
6 la signification en anglais du terme d'expulsion est : "Le fait de
7 transférer par la force, d'emmener par la force" - là, il y a un certain
8 nombre de mots qui ont été omis; je ne sais pas pourquoi parce que ce n'est
9 pas moi qui ai rédigé ce mémoire - la définition complète mentionne le
10 terme "d'exil et de période de transport."
11 Je pensais qu'il était mieux de vous le signaler pour inclure dans notre
12 mémoire la totalité de la définition de ce mot en anglais. La position qui
13 est la nôtre est la même que celle de notre mémoire écrit. Mais nous avons
14 une approche différente, une approche peut-être plus convaincante,
15 s'agissant de la manière dont la Chambre doit définir le terme
16 "d'expulsion" au sens de l'Article 5 du Statut.
17 Nous partons du principe sous-jacent selon lequel le déplacement illégal
18 d'une population civile, qu'il soit décrit comme un transfert illégal ou
19 comme une expulsion, constitue un crime de guerre et/ou un crime contre
20 l'humanité aux termes du droit coutumier international. Nous avançons que
21 ce crime a été qualifié de la sorte depuis Nuremberg. Faire du déplacement
22 d'une population civile un crime revient à protéger des droits humanitaires
23 fondamentaux. La Chambre d'appel l'a reconnu dans Krnojelac, elle a reconnu
24 ce droit protégé, je vous renvoie au paragraphe 218 de l'arrêt Krnojelac.
25 Je cite : "La prohibition des déplacements forcés vise à garantir le droit
Page 274
1 et l'aspiration des individus à vivre dans leurs communautés et leurs
2 foyers sans ingérence extérieure. C'est le caractère forcé du déplacement
3 et le déracinement forcé des habitants d'un territoire qui entraînent la
4 responsabilité pénale de celui qui le commet et non pas," j'insiste sur le
5 terme de non pas, "la destination vers laquelle ces habitants sont
6 envoyés."
7 Dans Krnojelac, la Chambre d'appel s'est également penchée sur l'examen de
8 ces deux crimes en utilisant le terme de déplacement forcé. Elle a décidé
9 que l'acte consistant à déplacer des civils constituait l'acte sous-jacent
10 du crime contre l'humanité de persécution aux termes de l'Article 5(H). Que
11 cet acte ait entraîné un transfert vers un lieu situé à l'intérieur du
12 territoire concerné ou vers un autre pays. Aux fins de notre discussion, je
13 vais utiliser le terme de déplacements illégaux, mais j'insiste sur le fait
14 que les termes d'expulsion et de transfert forcé sont utilisés de manière
15 plus courante dans les actes d'accusation portés devant le Tribunal.
16 L'Accusation reconnaît, avec la Chambre d'appel, dans Krnojelac, que la
17 déclaration de culpabilité au titre du crime de persécution était justifiée
18 en l'espèce, étant donné que l'acte sous-adjacent de déplacement illicite
19 avait été établi. Ce qui nous amène à la question qui semble intéresser la
20 Chambre d'appel, à savoir, la manière dont il convient de définir
21 l'expulsion au sens de l'Article 5(D) du Statut.
22 Nous faisons valoir que l'expulsion inclut le transfert forcé ou illégal.
23 La Chambre d'appel a établi les principes juridiques s'appliquant aux
24 crimes contre l'humanité de persécution et maintenant, il appartient à la
25 Chambre d'appel de définir de quel crime contre l'humanité relève le
Page 275
1 déplacement illégal, est-ce qu'il s'agit d'expulsion ou de transfert
2 illégal ou forcé lorsqu'il n'y a pas d'intention discriminatoire.
3 Dans son appel, l'Accusation fait valoir que la Chambre d'appel, dans
4 Krnojelac, a eu un raisonnement qui s'applique également à l'expulsion en
5 tant que crime contre l'humanité. Si la destination vers laquelle sont
6 envoyées les victimes n'a aucune importance pour définir le crime dans le
7 droit coutumier international, comme cela a été conclu par la Chambre dans
8 Krnojelac, à ce moment-là, la définition de l'expulsion au sens de
9 l'Article 5(D) peut inclure tous les déplacements illégaux, y compris, les
10 transferts forcés ou les transferts illégaux.
11 Le droit coutumier international va dans le sens de cette prise de
12 position. Nous avons déposé auprès de la Chambre un ensemble de sources
13 juridiques supplémentaires. Nous avons réuni toutes les sources juridiques
14 relatives au déplacement, aux personnes déplacées qui émanent d'une étude
15 réalisée par le CICR en matière de droit humanitaire international. C'est
16 un document qui a été publié en 2005.
17 Jamais, auparavant, on n'avait disposé d'autant de sources juridiques pour
18 interpréter le droit coutumier international sur ce point. Cette étude qui
19 a duré dix ans nous montre que les termes utilisés pour définir le crime de
20 déplacement, même si c'est là, dans le contexte des lois ou coutumes de la
21 guerre, que les termes utilisés ne sont pas systématiquement les mêmes, ne
22 sont pas cohérents et qu'on n'utilise que très rarement la notion de
23 frontière dans cette définition.
24 Si vous examinez les documents qui ont été déposés à ce titre auprès de la
25 Chambre d'appel, vous constaterez que seules 17 des
Page 276
1 243 sources citées mentionnent le transfert vers un autre état. Dans 200
2 définitions, on parle de territoire occupé et dans 47, on ne fait référence
3 à aucun territoire. Un examen de ces sources juridiques nous démontre que
4 de nombreux termes sont utilisés pour décrire les déplacements en tant
5 qu'activité criminelle. Je les cite : transfert illégal, transfert
6 illicite, transfert forcé, déplacement forcé, déplacement illégal,
7 expulsion forcée, expulsion massive, le fait de chasser. Il arrive souvent
8 que deux ou plusieurs de ces termes soient utilisés pour décrire le même
9 crime. On a un certain nombre de cohérences, s'agissant des termes utilisés
10 pour désigner ce crime; cependant, les principes fondamentaux restent
11 sacro-saints, à savoir qu'universellement, on considère que le déplacement
12 d'une population civile est un acte criminel.
13 L'Accusation fait valoir qu'une définition de l'expulsion qui inclut le
14 transfert forcé et illégal conforte le principe selon lequel le déplacement
15 illicite est un crime aux termes du droit international coutumier et
16 conforte la pratique qui consiste à définir ce crime dans le droit
17 coutumier international. Ceci va permettre de fournir une définition claire
18 et des indications, des orientations fort utiles pour les Chambres de
19 première instance et pour les parties.
20 Je déduis de la question qui a été posée par la Chambre d'appel, dans
21 l'ordonnance portant calendrier, qu'il faut que je me prononce sur l'option
22 des deux crimes, comme cela a été appelé. La Chambre d'appel a posé la
23 question qu'elle a posé au sujet de la définition de l'expulsion en partant
24 du principe qu'on y incluait l'élément de la frontière. Pour répondre à
25 cette question, la Chambre d'appel doit accepter le principe fondamental
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1 que j'ai décrit, à savoir que le déplacement illégal d'une population
2 civile, qu'il soit décrit comme un transfert illégal ou comme une
3 expulsion, est, à la fois, un crime de guerre et un crime contre l'humanité
4 aux termes du droit coutumier international.
5 Comment la Chambre d'appel peut-elle définir ou décrire ce crime comme
6 incluant le transfert au-delà d'une frontière ou une destination et
7 respecter ce principe fondamental ? Le fait de reconnaître la nécessité de
8 la présence d'une frontière force à reconnaître ces deux crimes. Un de ces
9 crimes étant réalisé au sein du territoire de l'état concerné et l'autre au
10 sein du territoire de l'état et au-delà de la frontière. Ceci peut être
11 accompli en définissant les déplacements illégaux vers un autre pays en
12 tant qu'expulsion constitutive de crime contre l'humanité au titre de
13 l'Article 5(D) et les déplacements illégaux au sein d'un même territoire en
14 tant que constitutif d'autres actes inhumains, un crime contre l'humanité
15 défini par l'Article 5(I). On reconnaît deux crimes, mais la
16 différenciation est faite par la destination du transfert. Cependant, la
17 criminalisation de ce comportement est préservée.
18 La Chambre d'appel a également posé une question au sujet des frontières de
19 facto. Dans nos recherches, nous avons constaté que dans le droit coutumier
20 international, on ne parle nullement de frontières de facto, bien que les
21 frontières d'un territoire soient utilisées pour faire la différence entre
22 le transfert illégal et l'expulsion en tant que crimes de guerre.
23 L'expulsion et le transfert forcés constituent des dispositions qui
24 protègent contre les déplacements illégaux au-delà d'une frontière
25 nationale et au sein d'un territoire occupé.
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1 Cette occupation ne modifie nullement la manière dont la protection
2 s'applique. Bien que cette interprétation fournisse une définition claire
3 et une orientation aux Chambres de première instance et aux parties, cette
4 interprétation est en conflit avec la pratique qui consiste à définir ce
5 crime dans le cadre du droit international coutumier, une définition à
6 laquelle j'ai fait référence précédemment.
7 Cependant, cette approche soulève une question qui mérite d'être examinée.
8 Est-ce que les déplacements forcés peuvent être considérés comme d'autres
9 actes inhumains au titre de
10 l'Article 5(I) ? Ceci nécessite de répondre à deux questions. Premièrement,
11 est-ce que les autres actes inhumains sont des crimes et deuxièmement, est-
12 ce que les transferts illégaux au sein d'un même territoire ont la gravité
13 suffisante pour en faire d'autres actes inhumains conformément à la
14 jurisprudence ? La réponse à la première question est oui. Dans Krnojelac,
15 la Chambre d'appel a conclu que les déplacements forcés constituaient un
16 crime sous-jacent constitutif d'acte de persécution. Au paragraphe 223, la
17 Chambre a conclu que cette analyse est également consacrée par la pratique
18 récente des états telle qu'exprimée dans le statut de Rome qui prévoit que
19 les déplacements aussi bien à l'intérieur d'un état qu'au-delà des
20 frontières nationales peuvent constituer un crime contre l'humanité et un
21 crime de guerre. Le principe du nullum crimen sine lege est respecté
22 lorsque le crime de déplacement illégal aux termes du droit international
23 est considéré comme un acte de persécution ou autres actes inhumains.
24 L'absence d'intention discriminatoire ne diminue en rien la gravité de ce
25 crime. Cette conclusion est soutenue et étayée par les arrêts Krstic,
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1 Kupreskic et Blagojevic. Les déplacements illicites ont été considérés
2 comme dans l'arrêt Krnojelac comme ayant une gravité semblable aux autres
3 crimes prévus à l'Article 5 du Statut. La Chambre d'appel au paragraphe 221
4 a statué que : "Cette analyse a été également consacrée par la pratique
5 récente des Etats exprimée dans le statut de Rome qui prévoit que les
6 déplacements autant à l'intérieur d'un Etat qu'au-delà des frontières
7 nationales peuvent constituer une crime contre l'humanité et un crime de
8 guerre. Les crimes de déplacement illégal au sein d'un Etat doivent être
9 classifiés aux termes de l'Article 5 du Statut. Si l'expulsion aux termes
10 de l'Article 5(D) ne comprend que le crime de déplacement illicite au-delà
11 d'une frontière nationale, afin d'éviter de décriminaliser le crime de
12 transfert illégal au sein d'un même Etat, ce crime doit être considéré
13 comme entrant dans le cadre de l'Article 5(I) 'autres actes inhumains.'"
14 En résumé, la Chambre d'appel a deux options. Premièrement, définir
15 l'expulsion au terme de l'Article 5(D) conformément au droit coutumier
16 international en reprenant la définition de la CPI qui recouvre les
17 déplacements illégaux sans tenir compte et sans mentionner la destination.
18 Deuxième option, définir l'expulsion en tant que déplacement illégal au-
19 delà d'une frontière nationale et reconnaître que le déplacement illégal au
20 sein d'un territoire est un autre acte inhumain. Chacune de ces options
21 permet d'attendre un grand degré de certitude et de clarté.
22 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Monsieur le Juge Schomburg ?
23 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Merci.
24 Premièrement, je pense que nous sommes tous d'accord pour dire qu'il
25 ne s'agit pas ici de se pencher sur la question du nullum crimen sine lege.
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1 Le principe de légalité ne se pose pas, il s'agit simplement de classifier
2 un certain nombre d'agissements, et ma question est la suivante : est-ce
3 qu'il ne serait pas utile de faire une distinction tout à fait claire entre
4 l'expulsion au-delà d'une frontière, on reviendra plus tard à la question
5 de savoir s'il s'agit d'une frontière de facto ou de jure ou est-ce que
6 qu'il s'agit d'une expulsion au sein d'un même territoire ? Je pense que
7 ces derniers agissements relèvent de l'Article 5(I). Mais quand on procède
8 à un examen circonstancié de l'Article 5, est-ce qu'il ne faut pas d'abord
9 se demander si tous les éléments requis à l'Article 5(D) sont remplis avant
10 de savoir si les agissements criminels en question relèvent de l'Article
11 5(I) ? Quelle est la logique à appliquer dans ce contexte ?
12 Malheureusement, nous avons une légère différence de la version anglaise et
13 française du Statut. Mais ce qu'il y a en commun entre ces deux versions,
14 c'est qu'il y en anglais "deportation," avec le préfixe de et expulsion en
15 français. Ce qui signifie qu'on est "deported" ou expulsé d'un territoire,
16 du territoire où l'Etat dont on relève garantit la sécurité de ses
17 citoyens, donc on subit une extradition illégale, on ne bénéficie plus de
18 la protection habituelle de son Etat.
19 Je suis complètement d'accord avec vous. Peu importe la destination,
20 cela n'a aucune espèce de pertinence. N'est-il pas intéressant cependant de
21 faire avancer le droit international en s'écartant, -- enfin, je ne sais
22 pas si on s'écarte vraiment, parce qu'à Nuremberg, dans l'acte
23 d'accusation, il était manifeste que l'acte d'accusation faisait état
24 d'expulsions au sein de l'Allemagne. Les accusés étaient accusés
25 d'expulsions au sein ou de déportations, dans ce cas-là sans doute, au sein
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1 de l'Allemagne, si bien que le transfert au-delà d'une frontière n'avait
2 absolument aucune importance à ce moment-là, cela n'a pas été pris en
3 compte. N'est-il pas exact que lorsqu'on interprète une norme, un critère
4 juridique, il faut tenir compte de l'environnement dans lequel on vit ?
5 Est-ce que cet environnement, ces circonstances n'ont pas évolué ? N'est-il
6 pas exact qu'il serait intéressant d'avoir une définition claire qui nous
7 mènerait à la chose suivante, à savoir que les actes de nettoyage, de
8 ratissage au sein d'un même et unique pays constitue un déplacement forcé
9 ou un transfert forcé, alors que le fait de chasser une personne au-delà
10 d'une frontière pourrait être qualifié d'expulsion ou de "deportation" en
11 anglais ? A ce titre, la destination est sans aucune pertinence. Si vous
12 regardez, par exemple, la carte de l'Europe, comment qualifier un transfert
13 forcé ou une expulsion vers la Trandienstria ? C'est une région qui se
14 trouve aux alentours de la Russie. C'est une région qui n'a pas de
15 frontière internationalement reconnue, mais cette frontière est reconnue
16 par la Fédération russe et par le Kazakhstan.
17 Est-ce que cela suffit ? Est-ce que cette reconnaissance-là suffit ?
18 Alors que nous vivons dans un monde en changement constant, qu'est-ce que
19 c'est qu'une frontière internationalement reconnue ? Certains spécialistes
20 disent qu'il est très difficile de déterminer exactement ce que c'est
21 qu'une frontière de facto. Comment la définir ? Mais est-ce que ce n'est
22 pas parfaitement clair dans l'affaire qui nous intéresse ici ? A nombreuses
23 reprises, le jugement nous parle de lignes de séparation, nous parle de
24 division de Mostar. Dans l'acte d'accusation au paragraphe 53, on parle de
25 la ligne de front, de la ligne de front militaire, au paragraphe 23. Ne
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1 conviendrez-vous donc pas, qu'à ce jour, il convient de développer les
2 principes juridiques et de décider qu'une frontière de facto suffit puisque
3 la logique qui s'applique est la même ? Il y a une seule question que vous
4 n'avez pas abordée, c'est celle du caractère permanent des déplacements. Je
5 crois que dans la définition, l'élément moral du déplacement permanent doit
6 être inclus. J'aimerais bénéficier de vos lumières sur ce point.
7 M. KREMER : [interprétation] Premièrement, je dirais respectueusement que
8 ce que vous venez d'avancer en faveur d'une frontière de facto n'est pas un
9 argument juridique, c'est un argument de politique. Il s'agit d'un problème
10 juridique ici qui doit être interprété par un Tribunal. Nous devons mettre
11 en application le droit international coutumier. Les références que nous
12 avons fournies à la Chambre prouvent très clairement qu'une frontière de
13 facto n'a absolument aucune base en dépit de l'évolution de la situation
14 politique, mais la situation était une situation de confrontation
15 militaire, c'est ce que vous avez décrit, cette frontière de facto, mais au
16 regard du droit international conformément aux droits et coutumes de la
17 guerre, notamment, la frontière de facto n'est pas reconnue. Ce que nous
18 indiquons, c'est qu'il faut reconnaître les deux crimes, les deux
19 infractions : le transfert illégal au sein du même Etat qui est reconnu par
20 le droit international coutumier et par les conventions de Genève, et le
21 crime d'expulsion de l'Etat. Notre argument essentiel se fonde sur le fait
22 suivant : au cours des 60 dernières années, le choix des mots utilisés pour
23 décrire ces deux types de conduite a, en quelque sorte, abouti à fusionner
24 ces deux types de conduite en un seul et même concept, le concept du
25 transfert forcé, des déplacements forcées et la frontière, en quelque
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1 sorte, est devenue peu pertinente. Dans la mesure, par exemple, que cette
2 Chambre a pris une décision dans l'arrêt Krnojelac et a ainsi interprété à
3 juste titre le droit international coutumier. Ce que nous avançons, c'est
4 qu'il y a une fusion des concepts, et que l'expulsion peut et doit inclure
5 la définition de transfert forcé au regard de l'Article 5(D), mais ce que
6 nous avançons, c'est qu'il y a un seul crime, à savoir, le crime de
7 déplacement forcé, peu importe la destination de la personne et ce principe
8 doit être respecté. S'il y a une frontière de facto qui est installée, en
9 acceptant qu'il y a une infraction au titre de l'Article 5(I) qui est
10 l'Article des transferts internes au sein du territoire d'un gouvernement,
11 le déplacement forcé hors du territoire n'est pas une question sur laquelle
12 doit se pencher cette Chambre. La question qui doit être envisagée lorsque
13 l'on détermine l'élément de la frontière doit être conforme au droit
14 international coutumier. Toutes les références en la matière convergent
15 vers le fait qu'une frontière territoriale devient pertinente, mais vous
16 avez la frontière à la suite d'un régime d'occupation qui ne modifie
17 absolument pas la définition du terme, qu'il s'agisse de ce qui se passe à
18 l'intérieur du territoire ou hors du territoire. Ce n'est seulement que
19 lorsqu'il y a transfert vers un autre pays conformément au droit de la
20 guerre que cela devient une déportation, expulsion, dans le contexte des
21 conventions de Genève. Ce que nous avançons, c'est que vous avez l'option
22 d'avoir les deux crimes ou l'option qui consiste à avoir une seule et même
23 définition, mais dans les deux cas, le droit international est respecté.
24 Si, comme dans la décision Stakic, il y a, en quelque sorte, un vide
25 juridique parce que l'Article 5(I) est décriminalisé, et qu'il n'y a pas de
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1 couverture au sein du territoire de l'occupant, là nous avons un problème.
2 Pour répondre à votre question, je dirais qu'une frontière de facto ne
3 résout absolument pas le problème. Cela en crée certainement beaucoup plus,
4 parce que vous avez ensuite le problème de la ligne de confrontation qui se
5 trouve à un endroit un certain jour. Est-ce qu'il s'agit d'une ligne de
6 confrontation ou d'une ligne territoriale ? Si une personne est expulsée de
7 Mostar à Zagreb, et si on lui a demandé, où est-ce qu'elle est sortie du
8 train et que la personne dit on m'a obligé à sortir du train à Zagreb, je
9 pense que cette Chambre peut véritablement tenir compte du fait que cette
10 personne se trouvait dans un autre pays. C'est une preuve qui est très
11 simple. J'espère avoir répondu à votre question.
12 Pour ce qui est de votre autre question, la question du déplacement
13 permanent, il n'y a pas de condition relative à la frontière. Il n'y a pas
14 de critère relatif à la mens rea. Ce que nous indiquons, c'est que la
15 Chambre de première instance n'a pas interprété à bon escient les
16 dispositions relatives à l'évacuation. Une évacuation signifie qu'il s'agit
17 d'un déplacement licite. Cela n'impose pas une définition, une
18 interprétation du transfert. L'intention, c'est que la personne doit savoir
19 quelle est l'intention, l'intention étant que cette personne soit
20 transférée de son domicile vers un autre endroit. Alors, pour ce qui est de
21 savoir où se rend la personne, comment est-ce que cette personne y arrive,
22 quelles sont les personnes qui organisent cela, cela n'est absolument pas
23 pertinent.
24 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] M. le Juge Guney souhaiterait poser une
25 question.
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1 M. LE JUGE GUNEY : [interprétation] Vous venez de dire qu'une frontière de
2 facto ne peut pas résoudre le problème, et que cela pourrait même être une
3 source de conflit. Qu'en est-il des frontières qui sont reconnues de façon
4 générale, la frontière reconnue comme étant une frontière de facto ? C'est
5 un concept qui a été adopté dans de nombreuses affaires conformément au
6 droit international.
7 M. KREMER : [interprétation] La Cour internationale de Justice a passé des
8 années à essayer de déterminer où se trouvait la frontière d'un Etat. Les
9 frontières sont définies de façons différentes, par des traités, par des
10 conventions, par des commissions et par des décisions qui sont en fin de
11 compte prises par la Cour internationale de Justice. Une frontière
12 nationale, dans la mesure où elle est reconnue --
13 M. LE JUGE GUNEY : [interprétation] Non, non. Pas seulement dans la mesure
14 où elle est reconnue, mais dans la mesure où elle est reconnue
15 généralement.
16 M. KREMER : [interprétation] Oui. Si elle est reconnue de façon générale,
17 c'est un peu comparable à une frontière de jure. Je dirais que cela peut
18 faire l'objet d'un débat. Est-ce qu'une frontière qui est reconnue de façon
19 générale est un concept suffisant pour le droit international coutumier, et
20 pour justement supplanter le concept vers un autre pays peut poser des
21 problèmes. Je dirais que si la frontière est en règle générale acceptée, je
22 ne dirais pas qu'il s'agit d'une frontière de facto, mais il s'agit d'une
23 frontière qui peut être considérée comme l'équivalent d'une frontière de
24 jure. Mais cela dépend, bien entendu, de la définition. Mon problème
25 lorsque je répond à votre question, c'est que je ne comprends pas le
Page 286
1 concept d'une frontière qui est acceptée en règle générale. Je dirais --
2 M. LE JUGE GUNEY : [hors micro]
3 M. KREMER : [interprétation] Oui, mais une frontière de facto ne peut pas
4 être définie et n'est pas définie d'ailleurs par le droit international
5 coutumier. Alors, une frontière qui est acceptée en règle générale, est-ce
6 qu'il s'agit d'une frontière de jure ou est-ce qu'il s'agit d'une frontière
7 qui est généralement acceptée ? Je pense que le point de départ, ce n'est
8 pas la frontière de facto dans ce cas que vous mentionnez.
9 M. LE JUGE GUNEY : [interprétation] Je vous remercie.
10 M. KREMER : [interprétation] Merci.
11 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Monsieur Farrell, vous pouvez
12 poursuivre.
13 M. FARRELL : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président. Je
14 vais traiter du premier moyen d'appel de l'Accusation. Il s'agit des
15 persécutions.
16 Permettez-moi de préciser quelque chose, Monsieur le Président. Je pense
17 que nous avons commencé entre 11 heures 05 et 11 heures 10, et je vais
18 essayer de m'en tenir au temps qui nous a été imparti, à savoir une heure,
19 bien que je puisse vous demander quelques minutes de plus pour que M.
20 Tracol et moi-même puissions parler de certains éléments parce que nous
21 avions prévu à tort que M. Kremer serait beaucoup plus bref, en tout cas,
22 pour ce qui est de la réponse aux questions qui lui ont été posées. Donc,
23 nous vous demanderons peut-être quelques minutes supplémentaires, Monsieur
24 le Président.
25 Dans son premier moyen d'appel, l'Accusation est d'avis que la Chambre de
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1 première instance a commis une erreur en avançant que certains crimes
2 commis par Vinko Martinovic, tout en étant constitutifs de crimes contre
3 l'humanité, ne constituaient pas des persécutions. Il y a trois incidents
4 précis qui ont été soulevés dans le mémoire de l'Accusation. Nous avons,
5 dans un premier temps, la déclaration de culpabilité pour ce qui est des
6 crimes contre l'humanité, avec les passages à tabac et sévices des détenus.
7 Deuxièmement, nous avons la déclaration de culpabilité de crimes contre
8 l'humanité pour le travail illégal. Il s'agit du traitement cruel et
9 inhumain à la suite du travail des détenus dans sa zone de responsabilité,
10 et troisièmement, nous avons le travail illégal avec les incidents bien
11 précis des fusils en bois.
12 Il s'agit de savoir si l'approche retenue par la Chambre de première
13 instance était exacte pour ce qui est des éléments de preuve et pour ce qui
14 est des conclusions factuelles raisonnablement avancées par la Chambre de
15 première instance. L'Accusation avance que la Chambre de première instance
16 a adopté une approche qui n'était pas exacte et a présenté des conclusions
17 factuelles qu'aucune Chambre de première instance n'aurait pu présenter de
18 façon raisonnable. Nous allons commencer par les conclusions de la Chambre
19 de première instance qui sont impérieuses.
20 Il y avait, dans un premier temps, une attaque généralisée et systématique
21 contre la population civile musulmane dans la zone visée par l'acte
22 d'accusation dont le but précis était de transformer cette zone qui,
23 auparavant, était une zone à mixité ethnique dans Mostar et autour de
24 Mostar en un territoire exclusivement croate, avec une population croate
25 pure. Les actes pour lesquels M. Martinovic a été condamné s'inscrivaient
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1 dans le cadre de cette attaque généralisée et systématique menée contre la
2 population civile musulmane de Bosnie-Herzégovine dans cette zone, et leurs
3 actes, leurs agissements ont contribué directement à l'objectif général de
4 la campagne menée contre la population civile. Vinko Martinovic, qui avait
5 connaissance de l'attaque, a décidé de mener à la réalisation des objectifs
6 de l'attaque qui était discriminatoire. Il savait que ces actes faisaient
7 partie ou s'inscrivaient dans le cadre de cette attaque. Vinko Martinovic a
8 effectué l'arrestation et la détention de la population civile à Mostar le
9 9 mai 1993, et il l'a fait avec une intention discriminatoire contre les
10 Musulmans. Il a également effectué des transferts forcés de Mostar, des
11 transferts de Musulmans. Cela faisait partie d'une campagne organisée dont
12 le but était d'expulser la population civile musulmane de Bosnie-
13 Herzégovine de la partie ouest de Mostar et il l'a fait avec une intention
14 discriminatoire contre les Musulmans. Vinko Martinovic a participé au
15 pillage des foyers musulmans dans Mostar après l'attaque du 9 mai 1993 et
16 il l'a fait avec une intention discriminatoire contre les Musulmans.
17 Il a également appelé des détenus qui avaient été emmenés à l'Heliodrom
18 pour s'acquitter de travaux illégaux, il les a traités de façon péjorative.
19 Il les a plus précisément appelés "balija," un terme extrêmement péjoratif
20 pour les Musulmans, synonyme d'intégriste et d'extrémiste, ce qui démontre
21 très clairement l'intention discriminatoire. A chaque fois que des détenus
22 étaient choisis pour des travaux illégaux, ils étaient Musulmans. J'ai
23 vérifié la liste des victimes qui a été donnée à la Chambre de première
24 instance dans les chapitres pertinents du jugement. Si vous prenez les
25 détenus qui travaillaient pour Vinko Skrobo, cela correspond aux
Page 289
1 paragraphes 263 à 273 du jugement; l'incident des fusils en bois,
2 paragraphes 274 à 292; les sévices dans sa zone de commandement,
3 paragraphes 382 à 389. Toutes les victimes auxquelles il est fait référence
4 dans ces paragraphes, auxquelles il est fait référence par la Chambre de
5 première instance étaient des victimes musulmanes.
6 L'une des victimes pour laquelle Vinko Martinovic a été condamné pour le
7 travail illégal et les sévices, toutes les victimes étaient des Musulmanes.
8 En dépit de ces éléments de preuve absolument impérieux et percutants, sur
9 lesquels je reviendrai dans certains cas, la Chambre de première instance a
10 conclu que pour tous les travaux illégaux et pour tous les sévices, il n'y
11 avait pas de base discriminatoire dans le choix de ces détenus musulmans.
12 La Chambre de première instance a conclu qu'il n'avait pas été prouvé
13 pour chaque incident précis que les crimes avaient été menés à bien pour
14 des raisons discriminatoires. La Chambre de première instance a considéré
15 les différents incidents de façon séparée et a essayé d'identifier, au cas
16 par cas, si ces crimes avaient été menés à bien avec discrimination. Si
17 vous prenez, par exemple, les conclusions de la page 693, vous verrez que
18 la Chambre a été d'avis que l'utilisation des prisonniers comme boucliers
19 humains, lorsqu'ils devaient traverser la ligne de front en portant des
20 fusils en bois, tout en faisant l'objet de cibles, ne se fondait pas sur le
21 fait qu'ils étaient musulmans. La Chambre de première instance a conclu
22 cela au paragraphe 693, et je cite : "L'Accusation n'a présenté aucun
23 élément de preuve montrant pourquoi les quatre prisonniers concernés
24 avaient été choisis." Cette approche qui a été retenue consiste à étudier
25 de façon isolée s'il y a des éléments de preuve sur la façon dont les
Page 290
1 personnes ont été choisies est une approche erronée. La Chambre de première
2 instance a commis une erreur en ciblant l'incident précis et la base
3 précise à partir de laquelle ces personnes avaient été choisies à ce
4 moment-là. Si vous prenez le paragraphe 692, vous verrez qu'il est indiqué
5 que l'Accusation n'a pas présenté d'éléments de preuve suffisants pour
6 établir que les prisonniers en question avaient été choisis pour des
7 raisons précises, de nature religieuse, politique ou raciale. On a un peu
8 l'impression que l'analyse de la Chambre de première instance s'est
9 interrompue à un moment et qu'elle n'a pas suivi l'évolution temporelle et
10 que la Chambre s'est contentée ou s'est limitée à se demander pourquoi ces
11 détenus musulmans avaient été choisis plutôt que de se demander s'il y
12 avait d'autres raisons, hormis le fait qu'ils étaient Musulmans, qui
13 expliquait le choix qui avait été fait. Dans ces deux paragraphes, le
14 contexte de l'attaque n'est absolument pas pris en considération. Il n'est
15 pas, non plus, fait référence aux circonstances qui prévalent et aux
16 circonstances qui entourent l'utilisation de ces Musulmans de Bosnie pour
17 faire office de boucliers humains et dans le cadre de travaux illégaux. Le
18 contexte est tout à fait pertinent, c'est ce que nous avançons. Les
19 circonstances également qui prévalent sont pertinentes. Il faut savoir que
20 cette Chambre d'appel a indiqué dans l'arrêt Kovacka, au paragraphe 366,
21 que "l'intention discriminatoire peut être déduit du contexte de l'attaque
22 à condition que cela soit étayé par les circonstances qui prévalaient au
23 moment du crime."
24 Il faut savoir également quels étaient les éléments factuels du
25 contexte. Il y a un facteur qui est important. Par exemple, le caractère
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1 discriminatoire de l'attaque perpétrée contre les Musulmans de Bosnie et le
2 but très clair qui consistait à créer ou à avoir une population croate
3 ethniquement pure.
4 Il y a également un autre facteur contextuel qui est pertinent,
5 d'après la Chambre de première instance, à savoir, Vinko Martinovic
6 connaissait la nature, le caractère discriminatoire de l'attaque qui avait
7 été décidée, afin d'œuvrer à la réalisation d'un objectif qui consistait à
8 transformer une zone à mixité ethnique en une zone purement croate. Il y a
9 également un autre facteur contextuel. Il s'agit du fait que Vinko
10 Martinovic a agi avec une intention discriminatoire en expulsant des civils
11 musulmans de Bosnie. Il a agi avec discrimination contre les Musulmans de
12 Bosnie en les contraignant à être transférés de la partie est de Mostar et
13 en pillant leurs biens. Est-ce que tous ces facteurs ont été considérés par
14 la Chambre de première instance lorsqu'elle a apprécié la discrimination ?
15 Si vous prenez le contexte des circonstances et le traitement, il est
16 absolument évident qu'il y a eu discrimination. Nous voyons, par exemple,
17 que si vous prenez le paragraphe 692, l'accusation -- ou plutôt, la Chambre
18 de première instance a indiqué que l'Accusation n'avait pas fourni
19 suffisamment d'éléments de preuve pour prouver que les personnes avaient
20 été contraintes à travailler. Le paragraphe 692 se fonde sur des
21 constatations relatives au travail de ces personnes dans la zone de la
22 brigade de M. Martinovic, et ces conclusions factuelles se trouvent au
23 paragraphe 268. Je souhaiterais, Madame, Messieurs les Juges, que nous
24 consultions le paragraphe 268 qui se trouve à la page 94.
25 La première phrase du paragraphe 268 du jugement indique que la
Page 292
1 Chambre a entendu le témoignage de nombreux prisonniers contraints
2 d'effectuer des travaux de soutien militaire dans des conditions
3 extrêmement dangereuses, ils ont dû notamment creuser des tranchées près de
4 la ligne de front. Vous avez lu la note en bas de page 722 qui correspond à
5 cette phrase. Si vous prenez cette note en bas de page, numéro 722, vous
6 voyez que le deuxième témoin qui est mentionné, je cite : "D'après le
7 témoin J, le travail consistait à remplir des sacs de sable et à creuser
8 des tranchées." Si nous prenons le témoignage du témoin J et je
9 souhaiterais que son témoignage soit affiché à l'écran. Vous avez ce
10 témoignage qui a été affiché à l'écran, Monsieur le Président. Est-ce que
11 ce témoignage est affiché maintenant à l'écran ?
12 La Chambre fait référence au témoin J dans la note en bas de page 722 pour
13 étayer sa conclusion suivant laquelle il y avait travail illégal et
14 creusement de tranchées près de la ligne de confrontation. Le témoignage du
15 témoin J à ce sujet et à propos de cet incident est comme suit : le témoin
16 J dit qu'il a été choisi et qu'il est allé travailler pour Vinko
17 Martinovic. C'est le chauffeur de Vinko Martinovic qui l'a amené et qui l'a
18 transporté au QG du commandant. Dans la première partie, est-ce que vous
19 voyez la fin de la question ? Vous voyez qu'il est écrit : "Est-ce que vous
20 n'avez jamais entendu Stela utiliser des termes particuliers lorsqu'il
21 faisait référence aux Musulmans ?"
22 Réponse : "Un terme ? Il nous appelait des extrémistes et parfois des
23 balija, mais la plupart du temps, il faisait référence à nous comme étant
24 des extrémistes.
25 "A propos de ce Stela, pour que tout soit clair, est-ce que vous avez
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1 entendu que le nom de cette personne concernait la même personne que
2 Martinovic ?
3 "Oui, oui, oui. Son nom complet est Vinko Martinovic et son surnom est
4 Stela."
5 La Chambre de première instance a fait référence au témoin J afin de
6 constater qu'il a été utilisé aux fins de travaux illégaux et de
7 fortification au paragraphe 262, alors que plus tard, au paragraphe 693, la
8 Chambre avance qu'il n'y a aucun élément de preuve avancé permettant de
9 voir que le témoin J avait été choisi du fait qu'il était Musulman pour des
10 raisons religieuses ou raciales.
11 Nous pensons que l'Accusation doit montrer, à chaque fois, quels sont les
12 mots qui ont été utilisés à son égard. C'est une question différente. Mais
13 je pense que c'est là que la Chambre de première instance a commis une
14 erreur.
15 Si nous prenons le paragraphe 268 et toujours la note en bas de page 722,
16 nous voyons que dans cette note en bas de page 722, il est également fait
17 référence au témoin PP, et ce, toujours afin de démontrer qu'il y a bien eu
18 travail illégal. Voyons ce que dit le témoin PP. Si vous prenez son
19 témoignage qui correspond à la
20 page 6 086 du compte rendu d'audience, nous voyons que le témoin PP a dû
21 répondre à une question qui lui a été posée par l'Accusation, on lui a
22 demandé ce qu'il avait eu à faire avec M. Martinovic, Stela, par rapport au
23 travail qu'il avait dû faire. Je vais vous donner lecture du passage qui se
24 trouve affiché à l'écran.
25 Question : "Premièrement, comment est-ce que vous saviez que cet homme
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1 s'appelait Stela ?"
2 Réponse : "Parce que je l'avais vu auparavant."
3 Question : "Quand est-ce que vous l'avez vu auparavant ?"
4 Réponse : "Je l'ai vu lorsque j'allais au travail, lorsqu'il nous
5 insultait, qu'il nous traitait de bétail, de balija et de ce genre de
6 chose, lorsqu'il venait nous rendre visite ou nous voir, lorsque nous
7 creusions des tranchées ou lorsque nous faisions tout autre type de tâches.
8 La plupart du temps, le matin, lorsqu'on nous amenait au travail, il
9 venait. Je connaissais son nom. Je savais que c'était Stela."
10 La Chambre de première instance a bien voulu s'appuyer sur la déposition du
11 témoin PP pour constater qu'il y avait bien eu travail illégal, mais
12 apparemment, elle a pris le même incident et n'a pas abouti à des
13 conclusions pour ce qui est des circonstances qui gravitaient autour de ce
14 travail.
15 Si vous prenez la note en bas de page 724, vous voyez qu'il s'agit de
16 travail de fortification, il s'agit du témoin OO et j'aimerais vous
17 présenter le témoignage du témoin OO, on y parle de la période, du moment
18 où il est arrivé à l'Heliodrom et il dit : "Je me souviens bien de ce qui
19 s'est passé lorsque nous sommes arrivés là-bas. Nous étions quelque 20 à 30
20 hommes par groupe. Il nous faisait mettre en rang à l'extérieur de son
21 poste de commandement qui était un bâtiment rouge. La plupart des hommes
22 faisaient l'objet de sévices de la part de Stela. Il nous insultait, nous
23 traitait d'extrémistes, d'intégristes et d'autres noms."
24 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] M. Shahabuddeen souhaite intervenir.
25 M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : [interprétation] Monsieur Farrell, si l'accusé
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1 traite les détenus ou des détenus qui ont été choisis pour effectuer des
2 tâches, s'il les traite de "bétail" ou "d'extrémistes," est-ce qu'il
3 s'ensuit qu'ils ont été choisis pour ce travail parce que l'accusé pensait
4 qu'ils étaient des extrémistes ou du bétail ?
5 M. FARRELL : [interprétation] Ce que j'essayais de dire, c'est que les
6 insultes qui étaient proférées venaient du fait qu'ils étaient Musulmans et
7 non pas du fait qu'ils appartenaient à l'armée de l'ABiH, car c'est le
8 raisonnement qui a été évoqué par la Chambre de première instance, parce
9 que ce genre de termes "extrémiste," "bétail," et cetera, montre la façon
10 dont il les traitait -- je m'excuse.
11 M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : [interprétation] J'aimerais vous poser une
12 question à ce sujet. Est-ce qu'il y avait des détenus d'une autre
13 nationalité qui auraient pu être choisis pour effectuer ces tâches, mais
14 qui n'ont pas été choisis pour effectuer ces tâches ?
15 M. FARRELL : [interprétation] Dans le centre de détention de l'Heliodrom,
16 il y avait également des détenus croates de Bosnie. Ils n'ont pas été
17 choisis.
18 M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : [interprétation] Je vois. Merci.
19 M. FARRELL : [interprétation] Vu l'heure, je ne vais pas afficher ces
20 différents passages à l'écran. Je vais simplement vous parler de passages
21 restants auxquels je souhaitais vous renvoyer ce matin. Il s'agit, en
22 réalité, de quelque chose qui a trait à la note en bas de page 734. Encore
23 une fois, à l'appui d'une conclusion rendue par la Chambre de première
24 instance, conclusion en vertu de quoi les détenus ont été contraints aux
25 travaux forcés de façon involontaire. Au compte rendu d'audience, le
Page 296
1 paragraphe 1 679 précise que lorsqu'il est arrivé, les propos suivants ont
2 été tenus. Il était assis à cet endroit-là, après avoir été amené au
3 Bulevar. Il s'agit du compte rendu d'audience à la page 1 679. "Lorsqu'il
4 nous a vus," lui et Stela, "lorsqu'il nous a vus à cet endroit-là, il a
5 utilisé un langage grossier et il nous a dit : Levez-vous les balija, vous
6 savez pour qui vous êtes venus travailler ? Il a dit que son nom était
7 Stela."
8 A la note en bas de page 736, on fait référence ici au
9 témoin K, et ce témoin est cité pour avoir décrit l'atmosphère qui régnait
10 lors de travaux forcés le long de la ligne de confrontation. J'avance que
11 cette ambiance ou cette atmosphère, le long de la ligne de confrontation,
12 constitue, en réalité, des éléments de preuve liés au contexte qui devrait
13 intéresser la Chambre. Le témoin K a fait sa déposition à huis clos. Par
14 conséquent, je ne vais pas souligner ici en audience publique les
15 différents éléments du compte rendu. Néanmoins, vous pouvez vous tourner
16 aux pages 1 581 à 1 582 et vous constaterez dans ces passages-là, que les
17 mêmes commentaires sont faits à propos de l'ambiance qui régnait à cet
18 endroit-là pour les personnes qui se trouvaient le long de ces lignes de
19 confrontation. Quelques instants encore avant de passer la parole à M.
20 Tracol. Ensuite, les témoins H, KK et YY; il s'agissait de civils. Dans
21 l'incident qui portait sur les fusils en bois, il y avait quatre personnes
22 qui ont été emmenées pour se servir d'un fusil en bois. Trois d'entre eux
23 ont témoigné. Parmi ces trois personnes, deux sont des membres du HVO. En
24 réalité, il s'agissait de Musulmans qui servaient dans l'armée du HVO qui
25 ont été arrêtés. A la note en bas de page 692, la déclaration de la Chambre
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1 de première instance qui précise qu'ils ont été choisis parce qu'il
2 s'agissait des membres de l'ABiH n'est pas exacte. Un des témoins qui a
3 témoigné, témoin I, dans l'incident des fusils en bois, est également un
4 membre musulman du HVO. Il faisait partie de la Défense territoriale placée
5 sous le commandement du HVO, a combattu aux côtés des membres du HVO, a été
6 arrêté parce qu'il y en a au moins un qui a été envoyé à l'Heliodrom.
7 Ensuite, quatre témoins par rapport à l'incident des fusils en bois ont des
8 commentaires très péjoratifs à cet égard.
9 Je crois qu'on ne peut pas établir de différence entre ces différents
10 témoins lorsqu'ils ont dû faire ces travaux forcés. Je crois que
11 l'intention discriminatoire ne fait pas de doute eu égard à l'utilisation
12 de ces détenus. Comme l'arrêt de Krnojelac l'a déclaré, je crois qu'une
13 approche au cas par cas montre que la Chambre a été induite en erreur par
14 rapport aux moyens de preuve. Le passage qu'on retrouve au paragraphe 692,
15 note en bas de page 1 685, où la Chambre précise qu'il s'agit d'une note en
16 bas de page à l'appui de ses conclusions, en vertu de quoi il n'y avait pas
17 d'intention discriminatoire et la note en bas de page 1 685 précise que
18 "les prisonniers ont tous été utilisés par rapport aux travaux forcés
19 illégaux, ont été utilisés parce que Vinko Martinovic aurait utilisé
20 l'ennemi pour accomplir ces tâches difficiles plutôt que ses propres
21 soldats." Le témoin SS a déclaré qu'il avait été choisi parce qu'il faisait
22 partie de l'ABiH.
23 Ce qui peut tout à fait être le cas et il se peut que dans ce cas-là, il a
24 été choisi et pris pour cible à cause de cela. Mais la Chambre de première
25 instance pouvait poser la question du doute raisonnable. L'erreur, je crois
Page 298
1 qu'il s'agit d'extrapoler ici un témoignage d'un témoin par rapport à un
2 incident que ce témoin a vécu par rapport, en conclusion en vertu de quoi
3 chaque détenu pour qui la Chambre a déclaré qu'il y avait eu travaux forcés
4 illégaux. C'est ce que je souhaite vous présenter et je crois que la
5 Chambre de première instance, avec tout le respect que je vous dois, a
6 commis une erreur ici. Pour ce qui est des questions de persécution, je
7 souhaite vous demander quelques minutes encore pour que M. Tracol puisse
8 prendre la parole.
9 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Vous avez encore trois minutes.
10 M. FARRELL : [interprétation] Je vais demander à M. Tracol d'être bref.
11 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Veuillez commencer, Monsieur Tracol.
12 M. TRACOL : Monsieur le Président, Madame et Messieurs les Juges, je vais
13 maintenant vous présenter le quatrième motif d'appel de l'Accusation
14 relatif au cumul de déclarations de culpabilité. Ce motif d'appel concerne
15 l'erreur sur un point de droit qui a été commise par la Chambre de première
16 instance en ne condamnant pas Naletilic à raison des mêmes faits pour
17 torture, en tant que crime contre l'humanité, en vertu de l'Article 5(F) du
18 Statut; pour le mauvais traitement des témoins FF et Z, il s'agit du chef 9
19 de l'acte d'accusation, en plus de sa condamnation pour persécution, en
20 vertu de l'Article 5(H) du Statut. Il s'agit du premier chef de l'acte
21 d'accusation.
22 La Chambre de première instance a, en effet, refusé de prononcer un cumul
23 de déclarations de culpabilité pour torture sur le fondement de la
24 conclusion juridique suivante, qui figure au paragraphe 724 du jugement que
25 je cite : "lorsqu'un accusé est déclaré coupable de persécution et d'un
Page 299
1 autre crime contre l'humanité, la déclaration de culpabilité à retenir
2 contre lui est celle prononcée pour persécution." La position de
3 l'Accusation est que la Chambre de première instance a commis une erreur
4 sur un point de droit dans l'application du critère relatif au cumul de
5 déclarations de culpabilité, tel qu'interprété par la Chambre d'appel dans
6 la jurisprudence pertinente. Les conclusions de la Chambre de première
7 instance aux paragraphes 720 à 728 du jugement ne sont, en effet, pas
8 conformes à celles de la Chambre d'appel aux paragraphes
9 1 040 à 1 043 de l'arrêt Kordic et Cerkez. Comme la Chambre d'appel l'a
10 conclu dans l'arrêt Kordic et Cerkez, les persécutions exigent la preuve
11 d'un acte ou d'une omission qui introduit une discrimination de fait d'une
12 part, et également la preuve que l'acte ou l'omission a été commis avec
13 l'intention spécifique de discriminer d'autre part.
14 Alors que la torture suffit à établir si un droit fondamental est dénié ou
15 bafoué, la torture n'est pas nécessaire pour condamner un accusé de
16 persécution. Les persécutions comportent des éléments nettement distincts
17 de la torture. De plus, la torture exige, d'une part, la preuve du fait
18 d'infliger par un acte ou une omission une douleur ou des souffrances
19 aiguës physiques ou mentales, qui est son élément matériel, et d'autre
20 part, la preuve d'une intention spécifique, à savoir, le but d'obtenir des
21 renseignements, des aveux ou de punir, d'intimider ou de contraindre la
22 victime ou un tiers ou d'opérer une discrimination pour quelque motif que
23 ce soit, ce qui est son élément moral. Je me réfère, bien entendu, pour la
24 définition de la torture, à l'arrêt Kunarac de la Chambre d'appel, aux
25 paragraphes 142 et 144.
Page 300
1 La preuve de ces deux éléments n'est pas exigée pour les persécutions. La
2 torture exige la preuve de deux éléments nettement distincts des
3 persécutions. L'Accusation fait valoir qu'en appliquant le même
4 raisonnement, les motifs de l'arrêt Kordic et Cerkez conduisent logiquement
5 la Chambre d'appel à conclure que le cumul de déclarations de culpabilité
6 pour les persécutions et la torture est légitime à raison du même fait sur
7 le fondement de l'Article 5 du Statut.
8 L'application correcte du critère relatif au cumul de déclarations de
9 culpabilité exige que la Chambre d'appel prononce des condamnations d'une
10 part, pour les persécutions en vertu de l'Article 5(H) du Statut, et
11 d'autre part, pour la torture en vertu de l'Article 5(F) du Statut en tant
12 que crime juridiquement distinct. L'Accusation fait valoir que cette
13 conclusion est conforme à l'arrêt Kordic et Cerkez et aux intérêts de la
14 justice et n'entraînerait pas de préjudice injustifié pour Naletilic. C'est
15 la raison pour laquelle j'en aurai fini, Monsieur le Président, Madame et
16 Messieurs les Juges. L'Accusation demande à votre Chambre d'appel de
17 condamner Naletilic pour torture en tant que crime contre l'humanité en
18 vertu du chef 9 de l'acte d'accusation, en plus de la condamnation par la
19 Chambre de première instance, à raison des mêmes faits, pour persécution en
20 vertu de l'Article 5(H) du Statut, chef premier de l'acte d'accusation. Je
21 me tiens, bien entendu, à la disposition de la Chambre d'appel pour toute
22 question éventuelle.
23 M. LE JUGE POCAR : [en français] Je constate qu'il n'y a pas de questions
24 de la part des Juges. Cela devrait conclure la présentation du Procureur.
25 [Interprétation] Nous allons maintenant passer à la réponse de Naletilic.
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1 Le conseil de Naletilic, vous avez maintenant
2 30 minutes, et après la pause, vous aurez encore 30 minutes pour présenter
3 vos arguments. Vous avez la parole.
4 M. HENNESSY : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
5 Pour ce qui est du motif d'appel sur les persécutions, cela ne s'applique
6 pas à M. Naletilic. Le deuxième motif d'appel présenté par l'Accusation sur
7 les travaux forcés illégaux a été retiré. Par conséquent, je n'ai pas de
8 réponse à faire à cet égard. Pour ce qui est de la question de l'expulsion,
9 M. Naletilic et M. Martinovic, sur ce point de droit, ont la même position.
10 Pour aller plus vite, la Défense de Naletilic va se reposer sur les
11 arguments présentés par Me Kerns. Donc, je ne vais parler que du cumul de
12 déclarations de culpabilité, ce qui a été présenté par l'Accusation.
13 D'après ce que j'ai compris, ce que l'Accusation souhaite maintenant,
14 c'est une condamnation pour persécution sur la base de la torture pour
15 laquelle il y a déjà eu une condamnation. Avec tout le respect que je dois,
16 je dois dire que cette question est traitée quasiment à l'identique dans
17 l'arrêt Krstic devant cette Chambre d'appel. Dans ce cas, l'Accusation a
18 recherché à avoir une déclaration de culpabilités multiples; ils ont obtenu
19 une condamnation pour persécution sur la base de meurtre, et néanmoins en
20 appel, ils ont demandé -- évidemment, ils souhaitaient que cette
21 condamnation pour persécution soit retenue, ils ont également demandé à ce
22 qu'une condamnation pour meurtre soit prononcée.
23 La Chambre n'a pas tenu compte de cela car elle a estimé qu'une
24 déclaration, un cumul de déclarations de culpabilité dans l'affaire Krstic
25 ne serait pas approprié d'après la jurisprudence du Tribunal. La Chambre
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1 d'appel s'est reposée avec l'affaire Blockburger de la Cour suprême des
2 Etats-Unis. Pardonnez moi de paraître un petit peu pédant. Le critère
3 appliqué dans l'affaire Blockburger est quelque chose qui est exposé dans
4 le mémoire de l'Accusation, également connu sous le nom de critère
5 Celibici, et qui précise que des condamnations multiples basées sur la même
6 conduite ne sont autorisées que si chaque disposition contient un élément
7 matériellement distinct qui n'est pas contenu dans l'autre chef.
8 Ce qui signifie ceci, autrement dit, vous avez deux infractions. La
9 première qui contient l'élément A, B et C. Vous avez une autre infraction
10 qui contient les éléments A, B, C et D. Le critère Blockburger nous précise
11 que des condamnations pour ces deux infractions sur la base d'un même
12 comportement ne peut pas être retenu. Les infractions, si elles doivent
13 être retenues comme étant -- pour qu'il y ait un cumul de déclarations, il
14 faut que l'un contienne un élément que l'autre ne contient pas, par exemple
15 A, B et C pour une infraction et A, B, C et D pour l'autre infraction. Très
16 bien, à ce moment-là, on peut effectivement prononcer une condamnation
17 multiple. Mais l'exemple que nous avons ici, ce qui nous a été présenté par
18 l'Accusation aujourd'hui, il s'agit non pas du premier, et non pas du
19 dernier cas. Autrement dit, ils recherchent une condamnation, ce qui
20 pourrait être qualifié comme une infraction qui serait contenue de façon
21 minime d'après la doctrine de Blockburger. Ils souhaitent une condamnation
22 pour torture, alors que cela doit déjà être compris dans la condamnation
23 rendue dans la Chambre de première instance de M. Naletilic. Nous estimons
24 qu'un cumul de déclarations de culpabilité n'est pas requis ici et n'est
25 pas légal en vertu de ce Tribunal. Un instant, s'il vous plaît.
Page 303
1 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Oui, est-ce que vous faites référence
2 ici lorsque vous présentez votre argument au critère Blockburger test ? Je
3 vais commencer par cela. Vous faites référence au test Blockburger, et vous
4 avez dit que pour ce qui est des dispositions statutaires, est-ce que vous
5 voulez parler des dispositions statutaires ou d'une situation concrète qu'a
6 présenté la Chambre de première instance ? Est-ce que vous pouvez clarifier
7 ce point ?
8 M. HENNESSY : [interprétation] Je vais essayer. Je crois que le critère de
9 Blockburger se concentre sur les faits, bien évidemment. Ceci n'est pas
10 utilisé si on n'essaie pas de punir deux fois la même conduite. Si on parle
11 de la même série de faits, une condamnation multiple ne peut pas être
12 prononcée, à moins que les deux infractions contiennent chacune un élément
13 distinct. Par exemple, si on parle au-delà du Statut, sur un plan pratique
14 et concret, quand bien même les éléments sont identiques, néanmoins le
15 critère Blockburger est toujours appliqué. Soyons concret. Que recherche
16 l'Accusation ici en l'espèce ? Ce que recherche l'Accusation, c'est un
17 cumul de déclarations de culpabilité, autrement dit, une deuxième
18 condamnation pour une conduite pour laquelle ils ont déjà obtenu une
19 condamnation. Cette condamnation évidemment repose sur l'autre condamnation
20 qu'il souhaite obtenir. Puisque j'ai parlé des ces éléments A, B, C et A,
21 B, C, D, il s'agit là donc de la première situation. Autrement dit,
22 l'Accusation demande une condamnation pour une infraction qui n'est pas
23 tout à fait contenue dans ce critère, donc, qui ne fait pas partie de la
24 persécution à cause de circonstances particulières.
25 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Si je vous ai bien compris, vous
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1 remettez en cause la définition des crimes ou est-ce que vous remettez en
2 cause -- bon, je repose ma question. Est-ce que vous remettez en cause la
3 définition des crimes de torture et persécution dans le sens où ceux-ci ne
4 contiendraient pas d'éléments distincts, hormis l'exemple que vous nous
5 avez cité, A, B, C ou A, B, D ? Donc vous maintenez que la torture
6 contiendrait deux éléments A, B, par exemple, et la persécution
7 contiendrait les éléments A, B et C, mais vous estimez que la torture ne
8 fait pas ressortir un élément distinct, c'est cela ?
9 M. HENNESSY : [interprétation] Ecoutez --
10 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je ne vous ai pas entendu parler de
11 cela. Pourriez-vous être plus précis, s'il vous plaît ?
12 M. HENNESSY : [interprétation] Je vais repartir un petit peu en arrière et
13 parler des faits. Ce que recherche l'Accusation ici, c'est une deuxième
14 condamnation sur la base d'une conduite pour laquelle ils ont déjà obtenu
15 une condamnation, à savoir, la persécution. D'après ce que j'ai compris,
16 d'après les arguments de l'Accusation quand bien même une condamnation pour
17 persécution a été prononcée sur la base de la torture, ils souhaitent
18 maintenant obtenir une deuxième condamnation basée sur cette même torture.
19 C'est ainsi que serait appliqué le critère Blockburger, dans Krstic aussi,
20 c'est dans mon argument, je crois que ces deux textes que j'ai cités
21 permettent de dire qu'un cumul de condamnations n'est pas autorisé dans ces
22 circonstances.
23 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Monsieur le Juge Shahabuddeen.
24 M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : [interprétation] Je souhaite vous poser une
25 question qui est celle-ci : est-ce qu'on peut imaginer qu'on puisse parler
Page 305
1 de torture sans qu'il y ait de persécution ?
2 M. HENNESSY : [interprétation] Oui, tout à fait. Si vous me le permettez et
3 dans le même ordre d'idée, l'Accusation recherche ceci : maintenant qu'ils
4 ont obtenu une condamnation basée sur la torture commise dans un cadre
5 discriminatoire, ce qu'ils souhaitent maintenant, c'est inclure cette
6 infraction moindre qui est la torture. J'estime que ceci ne devrait pas
7 être autorisé conformément aux jugements rendus dans l'affaire Krstic.
8 Y a-t-il d'autres questions?
9 M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : [interprétation] Vous nous avez demandé s'il y
10 avait d'autres questions, donc je vais vous en poser une. Diriez-vous que
11 les persécutions en tant que crime sont un crime qui relève de différents
12 éléments de torture ? Pour reprendre ce que vous avez dit, la torture peut
13 exister sans qu'il y ait persécution. Les deux crimes pointent-ils vers
14 des éléments factuels différents ?
15 M. HENNESSY : [interprétation] Je vais vous parler plus en détail. Je crois
16 qu'il est exact de dire que chaque acte de torture est discriminatoire
17 d'une certaine façon. Mais le Statut du Tribunal élève la torture au rang
18 d'autre chose. Autrement dit, c'est un crime de persécution si on peut
19 établir que ceci a été fait sur une base discriminatoire, qu'elle soit
20 raciale, politique ou autre. Donc oui, en termes pratiques, chaque torture
21 doit comporter un processus discriminatoire. Mais il n'y a que certains
22 types d'actes discriminatoires qui élèvent la torture au rang de la
23 persécution. Est-ce que vous me permettez de m'entretenir quelques instants
24 avec mon co-conseil ?
25 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vous en prie.
Page 306
1 [Le conseil de l'Accusation se concerte]
2 M. HENNESSY : [interprétation] Nous avons terminé la présentation de nos
3 arguments.
4 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Vous n'avez pas besoin de la demi-heure
5 qui avait été prévue au début de l'après-midi ?
6 M. HENNESSY : [interprétation] Non, à moins que vous souhaitiez que je
7 continue à parler.
8 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Non. Cela est fort bien. Je crois que
9 nous allons maintenant faire la pause, et nous allons reprendre à 14 heures
10 30 avec la réponse de Martinovic.
11 L'audience est levée.
12 --- L'audience est levée à 12 heures 26.
13 --- L'audience est reprise à 14 heures 33.
14 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Bonjour à tous. Nous allons reprendre
15 l'audience et entendre la réponse de Martinovic. Je donne la parole au
16 conseil de Martinovic.
17 M. KERNS : [interprétation] Plaise à la Chambre, à mes éminents confrères
18 de l'Accusation. Comme vous l'avez entendu, je m'appelle Kurt Kerns, et
19 j'aurai l'honneur de répondre aux arguments de l'Accusation cet après-midi.
20 Nous évoquerons les différentes questions soulevées par l'Accusation. A
21 l'origine, l'Accusation a soulevé quatre moyens d'appel. Je parlerai
22 simplement du premier et du troisième moyen d'appel, car le deuxième moyen
23 d'appel a été retiré et le quatrième n'a rien à voir avec M. Martinovic.
24 Dans son premier moyen d'appel, l'Accusation cherche à créer de toutes
25 pièces une présomption du point de vue juridique que ne vient étayer aucun
Page 307
1 précédent. Bien que M. Martinovic ait été condamné pour persécution,
2 l'Accusation affirme que la Chambre de première instance a commis une
3 erreur en ne déduisant pas l'intention discriminatoire pour ce qui est des
4 trois épisodes de comportement répréhensible. J'ai écouté les arguments de
5 l'Accusation et la manière dont il a été fait référence à l'arrêt Krnojelac
6 qui, selon l'Accusation, étaye sa position. Dans cette affaire, la Chambre
7 d'appel a conclu que la Chambre de première instance avait commis une
8 erreur de fait pour ce qui est de l'existence d'une intention
9 discriminatoire.
10 D'après nous, une lecture attentive et complète de l'arrêt Krnojelac étaye,
11 en réalité, les arguments de la Défense en l'espèce. Pourquoi ? Parce qu'au
12 paragraphe 184 de l'arrêt Krnojelac, la Chambre d'appel a conclu
13 explicitement que l'intention discriminatoire ne peut pas être déduite
14 comme s'appliquant à un acte répréhensible spécifique en raison de la
15 nature discriminatoire générale de l'attaque. Cette intention
16 discriminatoire peut-être être déduite de certaines conditions, à savoir,
17 "pour autant que les circonstances entourant l'acte reproché étaye cette
18 déduction à portée générale." Cette déduction doit être étayée. En d'autres
19 termes, on ne peut pas simplement déduire l'intention discriminatoire du
20 fait que l'attaque avait un caractère généralement discriminatoire. Il doit
21 y avoir des faits spécifiques entourant l'incident reproché qui étayent
22 cette déduction. Dans l'affaire Krnojelac, il y avait des faits qui
23 étayaient cette déduction et c'est pour cela que la Chambre d'appel est
24 parvenue à cette conclusion.
25 En l'espèce, ces éléments de preuve manquent un examen complet des faits
Page 308
1 sous-jacents dans l'affaire Martinovic, étaye l'absence complète
2 d'intention discriminatoire, vu la manière dont les prisonniers ont été
3 conduits à la ligne de front et à son quartier général. Les trois épisodes
4 évoqués par l'Accusation, qui ont été décrits comme agressifs, inadéquats,
5 inutilement violents, ne peuvent pas être qualifiés d'actes
6 discriminatoires menés contre les Musulmans pour des motifs religieux,
7 politiques ou raciaux.
8 Je souhaiterais m'attarder sur trois épisodes qui ont été mentionnés
9 par l'Accusation, notamment, au paragraphe 2.2 de son mémoire.
10 L'Accusation a décrit les sévices infligés à des détenus au quartier
11 général; les cas de travail illégal; et troisièmement, l'affaire des fusils
12 en bois. Ici, nous ne parlerons que d'un seul épisode impliquant
13 l'utilisation de fusils en bois. Aux paragraphes 382 à 389 du jugement, il
14 est question des faits sous-jacents concernant le premier épisode évoqué
15 par l'Accusation.
16 Au paragraphe 677 du jugement, on a conclu, à bon droit, qu'aucun
17 sévice n'avait été infligé au quartier général pour des motifs
18 discriminatoires. La conclusion était tout à fait contraire, ces sévices
19 ont été infligés de façon arbitraire, "indépendamment de toute raison
20 religieuse, politique ou raciale."
21 Dans son appel, l'Accusation ignore totalement deux éléments-clés qui
22 devaient être pris en considération par la Chambre d'appel. Premièrement,
23 la manière dont Vinko Martinovic a sélectionné les détenus. Deuxièmement, y
24 a-t-il des preuves présentées au dossier selon lesquelles il n'y avait pas
25 de motifs non discriminatoires concernant ces trois épisodes ? Je parlerai
Page 309
1 des preuves qui ont été considérées par la Chambre de première instance et
2 évoquées dans le jugement.
3 Au paragraphe 265, la Chambre de première instance a constaté que les
4 détenus avaient été emmenés de l'Heliodrom à l'unité de Vinko Martinovic.
5 Il a été allégué qu'un dénommé Dinko Knezovic se rendait à l'Heliodrom, il
6 choisissait des détenus, et suite aux ordres de Vinko Martinovic, il allait
7 chercher un certain nombre d'hommes, pas nécessairement des Musulmans, mais
8 un certain nombre d'hommes. Il faut se souvenir qu'à l'origine, l'Heliodrom
9 était une prison militaire. Il faut bien comprendre qu'on ne peut pas
10 comparer l'Heliodrom au KP Dom qui était le lieu de détention dont il était
11 question dans l'affaire Krnojelac, alors que dans l'affaire Krnojelac, les
12 Serbes étaient séparés des non-Serbes et seuls les non-Serbes faisaient
13 l'objet de discrimination, ce n'est pas le cas dans cette affaire. Il
14 n'existe aucun élément de preuve devant cette chambre indiquant que Vinko
15 Martinovic avait son mot à dire dans la manière dont les détenus étaient
16 logés à l'Heliodrom ou dans la manière dont les détenus étaient choisis
17 pour venir travailler chez lui, à la différence de l'accusé dans l'affaire
18 Krnojelac où se dernier travaillait au centre de Détention. Il existe des
19 preuves selon lesquelles des prisonniers du HVO et des prisonniers
20 musulmans étaient détenus dans la même aile de l'Heliodrom, ce qui n'est
21 pas le cas dans l'affaire Krnojelac. Je vous renvoie à la page 6 541 du
22 compte rendu d'audience.
23 A l'Heliodrom, il n'y avait aucune politique visant à maltraiter les
24 détenus, ce qui n'était pas le cas du KP Dom dans l'affaire Krnojelac, et
25 deuxièmement, il n'y a pas de preuves indiquant que Vinko Martinovic avait
Page 310
1 des connaissances à ce sujet ou avait son mot à dire là-dessus. Il est
2 exact de dire que la majorité des détenus de l'Heliodrom étaient Musulmans.
3 Toutefois, il est également exact de dire que l'ABiH était essentiellement
4 composé de Musulmans. Vinko a demandé à ce qu'on lui amène dix, 20 ou 30
5 hommes. Comment peut-on en conclure que ces hommes étaient pris pour cible
6 pour des motifs raciaux, religieux ou politiques ?
7 Comme je l'ai dit, l'Accusation ignore totalement, selon nous, des
8 preuves concrètes d'intention non discriminatoire. L'Accusation demande à
9 ce qu'on attribue des motifs discriminatoires à Martinovic, alors qu'il
10 existe des preuves indiquant le contraire. Je vous donnerai quelques
11 exemples à ce titre. Pour ce qui est de l'épisode des sévices évoqués par
12 l'Accusation, l'un des détenus a été frappé. L'explication de cet incident
13 se trouve au paragraphe 387 du jugement. Il est dit que le détenu a été
14 frappé car il se cachait. Un autre a été frappé et un témoin a déclaré que
15 cet homme avait été frappé car il avait fait des commentaires au sujet du
16 père de mon client. Il a refusé d'abandonner son sac alors qu'il montait à
17 bord d'un autocar. C'est l'épisode impliquant la personne appelée "le
18 Professeur", épisode décrit au paragraphe 386 du jugement, notamment, la
19 note de bas de page 1 010. Il existe des preuves concrètes à propos de ces
20 épisodes qu'il n'y a pas eu intention discriminatoire. Si ces faits
21 auraient pu être qualifiés de traitements cruels, le crime de persécution
22 exige un élément supplémentaire qui doit être prouvé au-delà de tout doute
23 raisonnable, à savoir, l'existence d'une intention discriminatoire. On ne
24 peut pas conclure ceci, au stade de l'appel, en déduisant de façon générale
25 qu'il y a eu discrimination.
Page 311
1 Je vous renvoie, encore une fois, à l'arrêt Krnojelac qui, selon nous,
2 étaye la position de la Défense. Au paragraphe 184, la Chambre d'appel a
3 déclaré que lorsqu'on détermine l'existence d'une intention
4 discriminatoire, une Chambre de première instance doit prendre en
5 considération, je cite : "L'attitude générale de l'auteur des délits
6 reprochés". Que connaissait la Chambre de première instance de l'attitude
7 générale de Vinko Martinovic ? Cela a été cité dans le jugement. Vinko
8 Martinovic a été élevé dans un quartier à composition ethnique mixte de
9 Mostar appelé Rodoc, il avait des amis proches qui étaient Musulmans. Il
10 travaillait en collaboration étroite avec des Musulmans. Lorsque le conflit
11 a éclaté à Mostar, il a combattu au côté des Musulmans contre les Serbes.
12 D'après la Chambre de première instance, je cite : "Il n'a jamais été
13 engagé dans la vie politique." C'était un garçon de Mostar qui n'avait pas
14 fait de longues études et c'est ce qu'a constaté la Chambre au paragraphe
15 37 du jugement.
16 La Chambre d'appel Krnojelac, au paragraphe 104 [comme interprété], a jugé
17 que lorsqu'on établit l'intention discriminatoire, le juge de fait doit
18 prendre en considération "l'attitude générale de l'auteur des délits
19 reprochés." Pour ce qui est de l'attitude générale de Vinko Martinovic, bon
20 nombre de témoins ont déposé et déclaré que : "Son attitude générale
21 consistait à traiter les Musulmans et les Croates de la même manière."
22 Voilà ce qu'il en est de son attitude générale. Il se comportait de la même
23 manière à l'encontre des Musulmans et des Croates. C'est ce qui a été
24 confirmé au paragraphe 757 du jugement.
25 Par conséquent, même si la Chambre de première instance a estimé que Vinko
Page 312
1 ne s'était pas comporté correctement avec certains Musulmans, il en avait
2 aidé d'autres. Il existe des preuves substantielles au dossier qui
3 permettent de conclure qu'on ne peut pas parvenir à une conclusion au-delà
4 de tout doute raisonnable et qu'on ne peut pas, au vu des preuves, pour ce
5 qui est des trois épisodes allégués, on ne peut pas établir qu'il y a eu
6 une intention discriminatoire de la part de Martinovic.
7 Pour ce qui est de cette absence d'intention, je vous renvoie également au
8 paragraphe 384 du jugement. La Chambre de première instance a reconnu que
9 Vinko avait aidé et protégé certains prisonniers musulmans. A la note de
10 bas de page 1 000, on peut voir une série de témoins qui ont parlé de la
11 manière dont Vinko Martinovic les avait protégés, les avait aidés. Il
12 s'agissait de ses voisins musulmans. Il les a cachés dans sa cave. Il leur
13 a donné de l'argent et lorsque l'un d'entre eux a été blessé, il l'a
14 conduit dans les plus brefs délais à l'hôpital. Voilà ce que ces témoins
15 musulmans ont déclaré au sujet de Vinko.
16 A la note de bas de page 1 718, il est question du fait que nombre de
17 Musulmans voulaient travailler au sein de l'unité Vinko Skrobo car ils s'y
18 sentaient protégés, en sécurité, beaucoup plus qu'ailleurs. Des témoins
19 musulmans ont témoigné sur ce point. La Chambre de première instance avait
20 à sa disposition nombre d'éléments de preuve permettant de conclure qu'il
21 n'y avait pas intention discriminatoire de la part de Martinovic. La
22 décision rendue dans Krnojelac étaye cette thèse. Pourquoi ? Parce que la
23 Chambre a conclu qu'il fallait considérer les preuves dans leur ensemble
24 afin de déterminer l'existence d'une intention discriminatoire.
25 Les deux autres épisodes allégués par l'Accusation concernent le travail
Page 313
1 illégal. Il en est question au paragraphe 692. L'affaire des fusils en bois
2 est mentionnée au paragraphe 693 du jugement. L'Accusation semble accorder
3 beaucoup de poids à l'affaire des fusils en bois, je m'y attarderai un peu
4 plus. Comment ces détenus ont-ils été choisis d'après les constatations de
5 la Chambre ? Un dénommé Dinko Knezovic s'est rendu à l'Heliodrom et a
6 demandé 30 prisonniers. Pas 30 prisonniers musulmans, simplement 30
7 prisonniers. La Chambre de première instance a conclu que ces 30
8 prisonniers ont été conduits au QG de l'ATG Vinko Skrobo. Quelles preuves
9 ont été présentées par l'Accusation au sujet de l'implication de Vinko
10 Martinovic dans cette sélection ? La Chambre de première instance a noté au
11 paragraphe 276 du jugement que Vinko Martinovic avait ordonné à Ernest
12 Tadic de choisir quatre personnes parmi ces 30. Voilà ce qu'il en est. J'ai
13 peut-être mal prononcé son nom. Il y a cet homme, ce dénommé Dinko, qui va
14 aller à l'Heliodrom, qui ramène un certaine nombre de personnes et Vinko
15 demande ensuite à Ernest d'en choisir quatre. Comment peut-on conclure à
16 l'intention discriminatoire dans ce cas, même si tous les faits décrits
17 dans ce jugement sont considérés comme exacts, ce qui, selon nous, n'est
18 pas le cas ? Tout ce qui a été constaté, c'est que Vinko avait demandé à
19 Ernest de choisir quatre personnes parmi les 30 prisonniers. Il n'y a
20 absolument aucune preuve indiquant que ces hommes ont été choisis pour des
21 raisons discriminatoires. La Chambre de première instance a conclu
22 implicitement que même si l'affaire des fusils en bois pouvait être
23 assimilée à un épisode de travail forcé qui a donné lieu à une déclaration
24 de culpabilité, il n'y a pas eu persécution, car aucune preuve n'a été
25 présentée en ce sens. En réalité, il y a un certain nombre d'éléments de
Page 314
1 preuve qui ont indiqué le contraire.
2 L'Accusation demande simplement de tirer une déduction, car il y avait une
3 discrimination de façon générale et parce qu'on a utilisé des termes tels
4 que "balija" et on a traité certains prisonniers d'extrémistes à plusieurs
5 reprises. L'argument se poursuit. Les Musulmans faisaient l'objet de
6 discrimination de façon générale, étaient victimes de façon générale, et
7 par conséquent, l'Accusation avance que Vinko a été déclaré coupable de
8 persécution pour ce qui est des transferts illégaux. L'argument se poursuit
9 et l'Accusation dit que ces hommes ont été choisis parce qu'ils étaient
10 Musulmans, qu'il y avait intention discriminatoire. Nous pensons que ces
11 arguments sont dénués de fondement.
12 Pourquoi ces détenus ont-ils été utilisés ? La Chambre de première instance
13 a fait certaines constatations. Vous les avez entendus hier matin. Il en a
14 été question à la note de bas de
15 page 1 685, très importante sur ce point, il est dit que la Chambre de
16 première instance est convaincue. J'insiste que des prisonniers ont été
17 utilisés parce que Vinko Martinovic préférait avoir recours à des soldats
18 ennemis plutôt qu'à ses propres soldats pour effectuer des travaux
19 dangereux. La Chambre de première instance a été convaincue que tel était
20 son mobile, telle était la raison de ses agissements. Pourtant,
21 l'Accusation avance que même si la Chambre s'est déclarée convaincue de
22 cela, cela a donné lieu à une erreur judiciaire très grave. Au paragraphe
23 694 du jugement, la Chambre de première instance a constaté qu'aucune
24 preuve n'avait été présentée selon laquelle ces prisonniers avaient été
25 choisis pour des motifs religieux ou politiques.
Page 315
1 Toutes les guerres de l'histoire de l'humanité présentent des éléments de
2 discrimination, mais chaque acte répréhensible commis dans le cadre d'une
3 guerre ne peut pas être qualifié de persécution. C'est ce qu'a conclu la
4 Chambre d'appel dans l'affaire Krnojelac où la Chambre a conclu qu'on ne
5 peut pas déduire à l'intention discriminatoire simplement en raison de la
6 nature discriminatoire générale de l'attaque ou de la guerre. Dans la note
7 de bas de page 267 de l'arrêt Krnojelac, il est dit explicitement qu'on ne
8 peut pas qualifier toute attaque menée contre la population civile de
9 discriminatoire.
10 Aucune preuve présentée au sujet de l'affaire des fusils en bois ou au
11 sujet des épisodes de travail forcé n'indique que ces détenus ont été
12 sélectionnés pour d'autres raisons que pour le simple fait qu'ils étaient
13 prisonniers de guerre. La Chambre de première instance a fait cette
14 constatation à la lumière de l'ensemble des preuves présentées, et aux
15 paragraphes 677 et 692, des constatations très précises ont été faites sur
16 ce point. La Chambre de première instance a indiqué à la note de bas de
17 page 1 685 que le témoin SS avait été choisi parce qu'il faisait partie des
18 forces ennemies. L'Accusation estime qu'il y avait intention
19 discriminatoire. Il est important de souligner que les efforts de M.
20 Stringer. M. Stringer est l'auteur du document écrit sur lequel mon
21 confrère s'est appuyé pour présenter ses arguments aujourd'hui. Il convient
22 de s'incliner devant les constatations d'une Chambre de première instance
23 et de ne pas les modifier à moins qu'elles ne soient manifestement
24 arbitraires. Ce qui n'est pas le cas ici lorsque vous examinez la totalité
25 des éléments de preuve en relation avec les trois épisodes mentionnés par
Page 316
1 l'Accusation.
2 La Chambre de première instance a fait des constatations très précises sur
3 l'intention spécifique dont était animé mon client au vu des témoignages et
4 des pièces à conviction présentés. Il faut appeler un chat un chat.
5 L'affirmation de l'Accusation selon laquelle la Chambre de première
6 instance a appliqué de façon erronée le droit n'est rien de plus qu'une
7 tentative à peine dissimulée de créer des questions juridiques et de
8 soulever des points de droit, alors qu'il s'agit, en réalité, de point de
9 fait. Selon nous, la Chambre de première instance a conclu à juste titre
10 qu'il n'y avait pas intention discriminatoire pour ce qui est des trois
11 épisodes mentionnés, compte tenu des éléments de preuve accablants et
12 nombreux qui prouvent le contraire. Aucune personne raisonnable n'aurait pu
13 parvenir à une telle conclusion.
14 L'une des lacunes les plus manifestes du raisonnement de l'Accusation se
15 trouve au paragraphe 211, alinéa 4. Cet argument a été évoqué de nouveau
16 aujourd'hui dans l'exposé de l'Accusation. L'Accusation affirme qu'à moins
17 qu'un accusé ne produise des preuves précises selon lesquelles le crime a
18 été commis pour d'autres raisons, la Chambre ne peut pas conclure à
19 l'intention discriminatoire.
20 M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : [interprétation] Excusez-moi. Je suis un peu
21 perdu. Je ne trouve pas ce paragraphe 211, alinéa 4.
22 M. KERNS : [interprétation] Je voulais parler du mémoire d'appel de
23 l'Accusation. Cela se trouve en page 12.
24 M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : [interprétation] Très bien. Je ne l'ai pas sous
25 la main.
Page 317
1 M. KERNS : [interprétation] Je peux en fournir un exemplaire aux Juges de
2 la Chambre, si vous le souhaitez. J'ai moi-même un exemplaire à ma
3 disposition.
4 M. LE JUGE SCHOMBURG : [interprétation] Merci. Je souhaiterais poser une
5 question pour deux raisons, pour que le compte rendu d'audience soit bien
6 clair premièrement, et deuxièmement, pour vous fournir la possibilité de
7 répondre si vous le souhaitez. Vous nous avez renvoyé à la page 68, lignes
8 4 et 5 jusqu'au paragraphe 384, où on peut lire, la Chambre de première
9 instance, je cite : "a reconnu que Vinko avait aidé et protégé certains
10 prisonniers musulmans." D'après mon interprétation de ce paragraphe, la
11 Chambre a reconnu que Vinko Martinovic avait peut-être aidé et protégé
12 certains prisonniers musulmans avec lesquels il avait des liens ou qui
13 étaient proches, avec lesquels sa famille ou lui entretenaient de bonnes
14 relations et d'autres qui auraient acheté sa protection. Cependant, les
15 déclarations fiables et corroborées d'un certain nombre de témoins à charge
16 prouvent que cette protection n'était accordée qu'à une poignée de
17 Musulmans. Voilà la citation replacée dans son contexte.
18 M. KERNS : [interprétation] Vous avez raison. Mais au paragraphe suivant,
19 note de bas de page 1 000, la Chambre de première instance énumère bon
20 nombre de témoins qui ont déposé au sujet de l'assistance qui leur a été
21 fournie par mon client. Autrement dit, même si la Chambre a fait cette
22 constatation au paragraphe 384, la Chambre a reconnu par ailleurs que de
23 nombreux témoins avaient déclaré que Martinovic les avait aidés et ceci
24 doit être pris en compte lorsqu'il s'agit de déterminer s'il existe un
25 doute raisonnable ou non. J'espère avoir répondu aux questions de la
Page 318
1 Chambre.
2 M. LE JUGE GUNEY : Maître, vous avez fourni une explication détaillée.
3 M. KERNS : [interprétation] Je m'excuse, Monsieur le Président.
4 M. LE JUGE GUNEY : Je reprends. Vous avez fourni une explication détaillée
5 pour faire ressortir dans différents cas que votre client n'avait pas
6 intention discriminatoire. Toutefois, vous n'avez pas encore touché en
7 relation du travail des détenus, travail soit très consenti, soit forcé,
8 des détenus en relation de l'intention discriminatoire. Je voudrais que
9 vous développiez sur ce point, si possible, s'il y a des cas, bien entendu.
10 M. KERNS : [interprétation] Merci, Madame, Messieurs les Juges. Ecoutez,
11 c'est une réponse mitigée que je dois vous donner. Je pense que les
12 témoignages en cours de procès indiquaient que certains se sont portés
13 volontaires pour venir travailler pour Vinko et d'autres, non. La Chambre a
14 statué sur la question des travaux forcés. La réponse n'a pas été donnée et
15 tranchée de façon très claire dans un sens ou dans un autre, à savoir, s'il
16 s'agissait de travaux forcés ou non. Bon nombre étaient des volontaires, et
17 d'après les allégations de l'Accusation, d'autres ont été contraints et
18 forcés à faire ces tâches. Quoi qu'il en soit, l'Accusation se plaint de
19 trois incidents, en particulier, au paragraphe 2.2, un incident qui
20 concerne les passages à tabac au Bulevar et à la ligne de front;
21 deuxièmement, les travaux forcés au niveau de la ligne de front; et
22 troisièmement, l'incident des fusils de bois. Lors de leur appel, ils s'en
23 sont tenus à ces trois incidents, ces trois épisodes.
24 M. LE JUGE GUNEY : Même avec le consentement des détenus, quelle sorte de
25 travail avait été effectué, c'est-à-dire, travail de caractère militaire ou
Page 319
1 autre ?
2 M. KERNS : [interprétation] Encore une fois, je n'ai pas été l'avocat qui a
3 suivi cette affaire. Ecoutez, j'ai à côté de moi quelqu'un qui était avocat
4 au procès. Je vais lui donner la parole.
5 M. PAR : [interprétation] Avec votre permission, merci, Madame, Messieurs
6 les Juges. Puisqu'il s'agit de questions de faits, je propose de vous
7 répondre en plusieurs phrases. La question qui a été posée, c'est celle-ci
8 : qu'ont fait ces prisonniers ? Nous avons vu comment ces prisonniers sont
9 arrivés, ce qu'ils ont fait, ils ont été emmenés au quartier général. Ils
10 avaient des tâches légères et peut-être des travaux qu'auraient accompli
11 des artisans, par exemple, au niveau de la ligne de front. Est-ce que nous
12 pourrions mettre sur le rétroprojecteur la pièce P14.5 ? Ici, on voit une
13 photographie de la ligne de front, et je crois que c'est absolument très
14 clair ici. On voit très bien quel genre de travaux ils ont effectués.
15 Si vous voyez tous cette image sur votre écran, il s'agit ici de la ligne
16 de démarcation entre les deux côtés. Cette rue-ci s'appelle le Bulevar. Le
17 Bulevar divise Mostar en deux parties, la partie ouest et la partie est de
18 la ville. Les unités croates se trouvent ici, dans cette partie-ci, la
19 partie la plus proche de nous. De l'autre côté, nous voyons beaucoup de
20 destruction, c'est là où se trouvaient les positions de l'ABiH. Ce que l'on
21 voit ici en rouge représente la zone détenue par les unités de Vinko
22 Martinovic, à côté, se trouve ce qui a été appelé le centre médical. A ce
23 moment-là, au centre médical, c'était des soldats qui avaient pris position
24 à cet endroit-là. Vingt mètres plus bas, il y avait des soldats des parties
25 adverses, les adversaires. Il n'y avait rien à creuser à cet endroit-là,
Page 320
1 car on ne pouvait pas creuser au niveau de la route goudronnée. Ces deux
2 côtés étaient très proches, si vous voulez.
3 Un peu plus tôt, je n'ai pas soulevé les objections que nous avions à
4 propos de tous les témoignages qui ont été entendus, le fait que les gens
5 ont creusé des tranchées et qu'il y avait des sacs de sable. Ceci n'est pas
6 vrai parce qu'il n'y avait rien à creuser à cet endroit-là. Les gens
7 tiraient directement à partir des bâtiments. Donc, qu'ont fait les
8 prisonniers ? Les prisonniers ne se trouvaient pas ici à cet endroit. Les
9 prisonniers se trouvaient au quartier général qui est un bâtiment plus
10 loin. Ce bâtiment était protégé de cette ligne de front et se trouvait en
11 retrait. Lorsqu'ils se sont rendus à cet endroit-là, les prisonniers
12 devaient procéder à des réparations et dire : J'ai fait du café et j'ai
13 réparé des voitures, donc, toutes les fois que des petits travaux de ce
14 genre s'avéraient nécessaires. Mais ils ne sont pas allés sur la ligne de
15 front.
16 Je vais redonner la parole à mon collègue, car il s'agit ici de précisions
17 factuelles que je souhaitais vous donner. Je vous remercie de m'avoir donné
18 la parole pour ce faire.
19 M. KERNS : [aucune interprétation]
20 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Monsieur le Juge Shahabuddeen,
21 pardonnez-moi, a une question à vous poser.
22 M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : [interprétation] Je vous remercie beaucoup
23 d'avoir corrigé mon erreur et d'avoir attiré mon attention sur le mémoire
24 en appel de l'Accusation que j'ai pu consulter maintenant et regarder le
25 passage en question. Le paragraphe 211, il me semble que l'Accusation ne se
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1 reposait pas seulement sur ces passages à tabac, et cetera, mais se fondait
2 sur autre chose aussi. Le paragraphe commence de cette façon :
3 "L'Accusation a fait valoir premièrement, que lorsqu'il y a une attaque
4 généralisée et systématique dont le but est discriminatoire, de façon à ce
5 que les victimes soient prises comme cibles pour des raisons ou des motifs
6 discriminatoires, (dans ce cas une attaque contre les Musulmans de l'ABiH
7 dans le but de transformer la région en territoire peuplé uniquement de
8 Croates et ethniquement pur); ensuite, point 2, lorsqu'un accusé de
9 persécution participe à une telle attaque généralisée et systématique et a
10 commis un crime pertinent au cours de cette attaque généralisée et
11 systématique." Ensuite, nous avons les points 3 et 4 et la seule conclusion
12 raisonnable que l'on puisse faire est de dire qu'il s'agit-là de
13 persécution, et que l'intention discriminatoire requise est présente.
14 Il me semble d'après ce paragraphe, bien qu'elle étende les filets
15 assez loin, l'Accusation ne se fondait pas particulièrement sur les
16 passages à tabac, ni sur les fusils en bois, et cetera.
17 M. KERNS : [interprétation] Si vous me le permettez, je parlais du
18 changement de la loi. Si vous regardez ici le texte, c'est après la
19 virgule, après "attaque" : "A moins qu'il y ait des preuves indiquant que
20 le crime a été commis pour une autre raison bien particulière." J'estime
21 que là, nous déplaçons la charge de la preuve. Lorsque l'Accusation dit à
22 supposer que c'est le cas, à moins qu'ils puissent produire des faits pour
23 le contester.
24 M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : [interprétation] Je souhaite simplement
25 vous comprendre.
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1 M. KERNS : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
2 M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : [interprétation] Merci.
3 M. KERNS : [interprétation] Non. Ce que je voulais dire, c'est que de faire
4 une telle proposition pour déduire une intention générale ou placer la
5 charge de la preuve sur l'accusé pour qu'il puisse prouver le contraire est
6 un déplacement de la présomption d'innocence telle qu'elle figure à
7 l'Article 21(3). Dans la réponse de l'Accusation, l'Accusation a indiqué
8 qu'il n'y avait aucune incidence sur la présomption d'innocence.
9 L'Accusation répond en disant que l'on peut faire des déductions, et on
10 peut également autoriser la présomption. Nous sommes d'accord là-dessus.
11 Mais ce que l'Accusation recherche dans cet appel devant vous, Madame,
12 Messieurs les Juges, n'est pas une déduction. Il ne s'agit pas de réplique,
13 ils demandent une présomption. Ils ne demandent pas à ce qu'il y ait une
14 déduction obligatoire, mais simplement lorsqu'il y a une intention
15 discriminatoire générale, et que celle-ci est établie, tout ce qui se passe
16 par la suite constitue quelque chose qui a un caractère discriminatoire, à
17 moins que la Défense ne puisse nous indiquer le contraire. Plaçons ainsi la
18 charge de la preuve sur les épaules de la Défense.
19 Ce que j'avance ici, c'est que la Chambre d'appel a rendu sa décision
20 dans l'affaire Krnojelac, ils déclarent que l'intention discriminatoire
21 peut être déduite. Il ne s'agit pas de quelque chose qui est autorisé. Il
22 s'agit à ce moment-là de quelque chose qui est obligatoire, pour autant
23 qu'il y ait des faits qui permettent de justifier une intention générale.
24 Il s'agit-là d'une règle de droit que l'on peut autoriser.
25 M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : [interprétation] Maître Kerns, y a-t-il quelque
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1 chose dans le jugement qui indique que la Chambre de première instance,
2 lorsqu'elle est parvenue à la conclusion de non discrimination, a tenu
3 compte du fait que l'Accusation a indiqué que l'attaque contre la
4 population civile a été menée sur des bases discriminatoires, et que
5 l'accusé a pris part à cette attaque ? Y a-t-il quelque chose dans le
6 jugement qui indique que la Chambre de première instance n'a pas tenu
7 compte de cela ?
8 M. KERNS : [interprétation] Oui. Je crois qu'il faut dire que la Chambre de
9 première instance a reconnu qu'il y avait une intention discriminatoire
10 lorsqu'elle l'a constatée. Je vous renvoie aux paragraphes 680, 681 et 679.
11 Dans chacun de ces trois paragraphes, la Chambre de première instance
12 constate qu'il y a une intention discriminatoire : Au vu des faits, nous
13 constatons qu'il y avait une intention discriminatoire.
14 Donc, ils ne sont pas timides lorsqu'il s'agit de le constater
15 lorsque cela existe au niveau d'un chef. Ils ont condamné mon client pour
16 persécution sur la base d'une intention discriminatoire lorsqu'on a allégué
17 qu'il a aidé au transfert illégal d'un certain nombre de personnes. Donc il
18 s'agit d'une situation où la Chambre de première instance hésite à
19 constater qu'il y a effectivement intention discriminatoire lorsque les
20 faits sont présentés à l'appui de cela. Mon argument consiste simplement à
21 dire qu'il ne faut pas, lorsqu'il y a un acte répréhensible comme l'avance
22 l'Accusation, de dire toutes les fois qu'il s'agit d'intention
23 discriminatoire. J'espère que j'ai été clair. Pour ce qui est de
24 l'ordonnance portant calendrier, je dois ici évoquer un autre point, compte
25 tenu du temps qui m'est imparti. Lorsque mon éminent confrère dit qu'aucun
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1 juge du fait aurait pu statuer à propos de ces trois incidents comme cela a
2 été fait, je demande à la Chambre d'appel de tenir compte des moyens de
3 preuve qui ont été cités par la Chambre de première instance, à savoir que
4 mon client a vécu parmi les Musulmans. Il avait des amis musulmans, même
5 s'ils n'étaient pas en très grand nombre, il est vrai, mais il avait des
6 amis musulmans. Comme a dit Me Par : Si je ne les ai pas tous aidés,
7 néanmoins on devrait reconnaître que j'en ai aidé certains.
8 De plus, c'étaient des camarades pendant la guerre. Des Musulmans ont
9 témoigné en disant qu'il les avait protégés. Bon nombre d'entre eux ont dit
10 qu'ils souhaitaient se rendre à l'Heliodrom pour être avec lui, qu'il leur
11 a donné à manger et qu'il a partagé leur table pendant la guerre même. Tous
12 ces faits suffisent à faire intervenir le doute raisonnable à la lumière de
13 ces incidents-là en particulier. Mes bien-aimés confrères dans les 30
14 minutes suivantes m'ont dit que moi, du reste, en ayant l'air très sérieux,
15 que tous ces faits présentés à la Chambre de première instance devraient
16 être entendus et portés à l'attention des Juges de la Chambre. Tout ceci a
17 été complètement laissé de côté car on a supposé qu'il s'agissait
18 d'intention discriminatoire à caractère général. Respectueusement, j'avance
19 que ceci est erroné, et résulte au déplacement de la charge de la preuve.
20 Le point suivant que je souhaite soulever, et qui a été soulevé par
21 l'Accusation et qui a été présenté bon an mal an, je crois qu'une
22 description d'une augmentation pas très significative de la peine qui a été
23 imposée à mon client, car il y a un petit paragraphe au niveau de leur
24 mémoire en appel qui évoque cette question. Je me sens obliger de répondre.
25 Notre position est comme suit : Vinko Martinovic a déjà une peine qui
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1 est très lourde, et je crois qu'une augmentation peu significative de sa
2 peine dans le mémoire d'appel ne devrait pas être prise en compte, surtout
3 à la lumière des conclusions. Cet homme était un garçon de Mostar, sans
4 activités politiques, avec une éducation toute simple, responsable de
5 quelques mètres au niveau de la ligne de front comme cela a été indiqué par
6 les différentes pièces présentées à la Chambre, quelqu'un qui n'avait
7 aucune relation politique en tant que telle, cet homme Vinko dont nous
8 parlons qui a été élevé à Mostar. Il n'est même pas allé à la guerre. La
9 guerre est arrivée dans les rues de son village lorsqu'il était jeune, il
10 est resté simplement dans ce village.
11 C'est une pièce très importante que cette pièce PP608. On lui a même
12 proposé une promotion à ce moment-là : Vinko, si tu veux plus de pouvoir,
13 plus de prestige. Il a refusé. Il aurait pu aller sur la ligne de front, il
14 a préféré rester avec ses hommes. Donc nous ne parlons pas d'ici d'un
15 commandant qui avait beaucoup de pouvoir, nous parlons ici à la manière
16 dont la Chambre de première instance a constaté qu'il s'agissait d'un
17 garçon de Mostar qui défendait seulement quelques mètres qui se trouvaient
18 devant sa maison. A la pièce présentée par l'Accusation, donc nous parlons
19 ici d'un homme qui a 18 ans, une peine de 18 ans, le temps qu'il faut au
20 Etats-Unis pour grandir, 18 ans étant l'âge adulte.
21 Nous ne sommes pas en train de dire que c'est un saint, nous sommes
22 en train de dire que ce n'est pas véritablement un saint, certainement pas.
23 Mais il s'agissait d'un jeune homme de 29 ans qui a pris part à la guerre à
24 Mostar. Vous savez que maintenant c'est un homme qui a 42 ans et que son
25 sort est entre vos mains. Je ne sais pas, je serais assez fier de l'appeler
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1 mon ami. S'il y a une augmentation de sa peine quelle qu'elle soit, qu'a
2 demandé l'Accusation, je dois dire que je pense que ceci ne devrait pas
3 être appliqué.
4 Madame, Messieurs les Juges, je voulais parler d'expulsion. Je vous avais
5 promis de le faire, donc je vais le faire bien que ce troisième point
6 soulevé par l'Accusation ne requiert aucune modification quant à la peine
7 imposée à mon client. La Chambre dans son ordonnance portant calendrier a
8 demandé que cette question soit traitée, donc je vais m'y reporter et
9 reprendre l'opinion donnée dans l'affaire Krnojelac.
10 Au paragraphe 4.6 du mémoire en réponse de l'Accusation, l'Accusation
11 avance aux paragraphes 25 et 26 de l'acte d'accusation, semble-t-il que mon
12 client ait commis le crime d'expulsion dans les paragraphes cités par
13 l'Accusation. Dans leur mémoire en réponse au paragraphe 4.6, aucune
14 mention n'est faite d'expulsion du tout. En réalité, lorsque vous regardez
15 l'acte d'accusation, vous constaterez que le mot d'expulsion ne figure pas
16 dans l'acte d'accusation. Dans l'acte d'accusation, toutes les fois que
17 l'on parle de déplacement forcé de personnes, l'acte d'accusation parle de
18 transfert forcé. Non seulement le mot expulsion ne figure pas dans les
19 paragraphes cités par l'Accusation, le terme ne se retrouve nulle part dans
20 l'acte d'accusation. Le seul endroit où dans l'acte d'accusation le mot
21 expulsion a été modifié se trouve au 34e paragraphe lorsqu'on parle d'actes
22 sous-jacents. A ce moment-là, tout ce que l'on dit c'est : "Certains hommes
23 assuraient le transfert et l'expulsion de façon forcée de certaines
24 personnes."
25 Lorsqu'il s'agit de déplacer des personnes, à ce moment-là, on trouve
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1 le transfert forcé. Ce qui est, en réalité, ce qu'on reproche à l'accusé au
2 chef d'accusation numéro 18. Il faut également remarquer que les arguments
3 de l'Accusation sur l'expulsion sont intéressants mais peu pertinents dans
4 cette affaire. Car la même conduite sous-jacente pour laquelle ils ont
5 déposé ou se plaignent a été couverte par le chef d'accusation pour
6 persécution et a été fondée sur le transfert illégal ou le transfert forcé
7 comme cela a été rédigé dans l'acte d'accusation. Donc la Chambre de
8 première instance n'aurait pas pu constater que l'expulsion était un
9 fondement sur lequel se reposer pour le condamner à la persécution quand
10 bien même ils l'auraient souhaité. Pourquoi ? Parce mon client n'en est
11 même pas accusé dans l'acte d'accusation. La bonne nouvelle est que s'il
12 est accusé de quelque chose dans lequel il n'est pas accusé et qu'ensuite
13 il est acquitté, là, on peut considérer qu'il n'a pas été accusé du tout.
14 Il n'a pas été accusé d'expulsion, et néanmoins un commentaire de la
15 Chambre de première instance semble indiquer que cela n'a pas été prouvé.
16 Tout d'abord, l'expulsion n'est pas quelque chose pour lequel il est
17 accusé. Donc, nous estimons que cela n'est pas pertinent dans cette
18 affaire. Deuxièmement, la condamnation de Vinko pour persécution par le
19 biais de transferts forcés est couverte par le terme déplacements tels
20 qu'ils sont allégués au chef d'accusation numéro 18 lorsqu'on parle de
21 transferts forcés. La Chambre d'appel dans l'affaire Krnojelac a indiqué
22 que quel que soit l'endroit où les personnes sont déplacées de manière
23 forcée, le crime de persécution peut être établi. Nous sommes d'accord sur
24 ce point. Mais je crois qu'il s'agit ici d'un point de droit tout à fait
25 intéressant. Mais d'après nous, des déplacements ont été allégués de la
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1 partie est vers la partie ouest de la ville. La Chambre d'appel de
2 Krnojelac a cité le jugement de cette Chambre-ci à la note en bas de page
3 354 en disant que le transfert forcé constitue un crime de persécution.
4 Donc cette affaire a été citée dans ce sens.
5 L'expulsion telle qu'elle est citée par l'Accusation n'est pas
6 pertinente d'après nous. Cette affaire et dans l'affaire Krnojelac, la
7 Chambre d'appel a indiqué qu'il n'est pas nécessaire de définir un terme
8 qui n'y figure pas, la disposition sur laquelle se fonde l'acte
9 d'accusation. Mais d'un autre côté, en réalité, j'ai lu l'ensemble des
10 éléments de l'affaire et le Juge Schomburg, dans l'affaire Krnojelac, a
11 indiqué que si une Chambre d'appel peut aider à trouver des points de
12 droit, c'est une très bonne chose. Nous souhaitons également prendre part à
13 la rédaction de la jurisprudence de ce Tribunal. Notre position, d'après
14 nous, est que le terme d'expulsion n'est pas du tout pertinent dans cette
15 affaire.
16 Si la Chambre d'appel considère ou si la Chambre considère qu'il est
17 important d'inclure le terme "expulsion," immédiatement après le terme
18 "transfert forcé" en une seule phrase, aux paragraphes 58 et 22 de l'acte
19 d'accusation, suffit pour parler d'expulsion pour lequel l'accusé pourrait
20 être accusé de façon distincte, et que ceci est défini comme un crime de
21 fait, à ce moment-là, notre argument serait comme suit : le transfert forcé
22 devrait être défini ou décrit de façon bien différente de l'expulsion.
23 L'expulsion, d'après nous, est un crime beaucoup plus grave que le
24 transfert forcé. Cela dépend des circonstances et l'expulsion requiert un
25 déplacement au-delà d'une frontière de jure, alors qu'un transfert forcé
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1 doit être défini comme quelque chose qui a lieu à l'intérieur des
2 frontières d'un même état. Nous sommes d'accord pour dire que la forme de
3 déplacement peut constituer le fondement du crime de persécution, mais
4 j'avance que si on force trop là-dessus, en l'occurrence, il s'agissait de
5 passer de la partie ouest à la partie est de la ville, alors peut-être que
6 les gens ne parlent même pas la même langue, qu'ils ne partagent pas la
7 même culture, qu'ils n'ont pas les mêmes moyens économiques. De déplacer un
8 citoyen d'un pays à un autre peut constituer quelque chose de différent car
9 on ne parle pas la même langue, on n'a pas les mêmes relations, on n'a pas
10 les mêmes liens familiaux. Par conséquent, ils devraient être traités
11 différemment. Je crois qu'également, il y a davantage de dégâts dans ce
12 cas-là et ils doivent être traités différemment parce qu'effectivement, la
13 vie est plus difficile. L'expulsion, d'après nous, constitue ce crime.
14 Je crois qu'il est également important de remarquer que j'ai entendu mon
15 éminent confrère parler d'un article tout à fait impressionnant où on parle
16 de l'idée de refuser une définition de l'expulsion à la manière dont je
17 l'entends. Je crois que c'est important de savoir que le 6 octobre, le même
18 bureau du Procureur dans l'affaire en appel, dans l'affaire Stakic en
19 appel, a indiqué le contraire, qu'ils sont couverts par les différentes
20 jurisprudences et les différents textes juridiques de la Chambre de
21 première instance et ont reconnu que la jurisprudence qui a évolué n'est
22 pas en faveur de cette position.
23 Je crois que c'était le M. Juge Guney qui a posé une question --
24 pardonnez-moi, le troisième jour de l'audience du 6 octobre, ligne 13, "M.
25 Tracol, vous avez dit qu'après avoir mené vos recherches et que vous avez
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1 étudié la jurisprudence du Tribunal, vous êtes parvenu à la conclusion que
2 ceci n'était pas en faveur, au contraire, et
3 s'opposait au contraire à la position principale de l'Accusation." Encore,
4 M. Tracol poursuit en disant que cela peut être vrai à la lumière de la
5 décision et la jurisprudence telle qu'elle a évolué et surtout en faveur de
6 l'Accusation.
7 Question importante posée par M. le Juge Guney encore : "Concernant le
8 résultat, sur quelle base est-ce que vous maintenez cette position ?"
9 Ensuite, la réponse, si je cite le jugement en appel dans l'affaire
10 Krnojelac, je crois que même après avoir cité ce jugement en appel,
11 l'Accusation n'a pas pu définir cette question de façon précise.
12 Madame, Messieurs les Juges, j'ai répondu à l'Accusation comme il se doit.
13 Lorsque j'entends mon éminent confrère, deux fois, dire au cours des
14 arguments qu'aucun juge de fait ne pourrait constater qu'une Chambre de
15 première instance ait tenu compte de ces trois exemples, ces trois
16 épisodes, une image m'est venue à l'esprit, celle de ma fille. Sans manquer
17 de respect à qui que ce soit, je souhaite en parler. C'est un petit singe
18 qu'a ma fille et ce petit singe met les bras sur les yeux, sur la bouche et
19 sur les oreilles et on ne voit du mal nulle part. On ne parle pas de
20 mauvais termes et on ne voit, on n'entend rien de mal. Ici, c'est le
21 contraire, on veut voir le mal partout. On peut l'entendre et à la lumière
22 d'un certain nombre d'éléments de preuve, je crois qu'aucun juge de fait ne
23 pourrait avoir un doute là-dessus. Je pense que ceci n'est pas exact et je
24 demande à ce que la Chambre revoie ses conclusions sur ces trois incidents.
25 L'Accusation n'a pas pu établir au-delà de tout doute raisonnable ces
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1 différents faits évoqués par la Chambre de première instance.
2 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Maître Kerns, nous allons maintenant
3 entendre la réponse de l'Accusation.
4 M. FARRELL : [interprétation] Je vais consacrer quelques minutes simplement
5 pour faire la clarté sur un certain nombre de points évoqués par la
6 Défense.
7 Il y a un point sur lequel les parties ne sont pas d'accord. Je pense que
8 dans son exposé, la Défense s'est efforcée de traiter de la façon dont les
9 prisionniers étaient choisis et il insiste sur le fait que selon lui, le
10 département de M. Martinovic n'avait rien à voir avec cette sélection des
11 prisonniers. Mais là, nous pensons que ce n'est pas ainsi que les choses se
12 sont passées. La réalité, c'est qu'il insiste également sur le fait que
13 l'Accusation ne saurait prouver ses dires à ce sujet, ne saurait faire la
14 preuve d'un comportement discriminatoire et que ceci rétrécit un peu le
15 champ de l'examen des éléments de preuve. Comme je l'ai indiqué plus tôt,
16 seuls les Musulmans étaient choisis. Les Musulmans n'étaient pas traités de
17 la même façon au centre de Détention, comme l'indique le paragraphe 431 du
18 jugement, que les Croates de Bosnie qui avaient plus de liberté et étaient
19 autorisés, y compris, à frapper les détenus musulmans. Seuls les Musulmans
20 étaient emmenés hors de l'Heliodrom. Lorsqu'ils arrivaient, j'ai indiqué il
21 y a quelques instants, qu'on les choisissait pour les travaux les plus durs
22 en leur infligeant toutes sortes de noms insultants. C'est M. Martinovic
23 qui l'a admis lui-même. Il est inconcevable que la chose se soit faite au
24 hasard. Le fait d'infliger des noms péjoratifs de ce genre ne peut être
25 l'effet du hasard et cela correspond bien, ces noms correspondent tout à
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1 fait à la terminologie utilisée par les Croates à l'encontre des Musulmans
2 à l'époque.
3 En note en bas de page 1 685 dont j'ai parlé dans mon exposé, M. Kerns
4 souligne que la Chambre de première instance s'est convaincue du fait que
5 M. Martinovic a utilisé des soldats ennemis au lieu de ses propres soldats.
6 J'admets que cette conclusion a bien été faite et qu'elle peut faire
7 l'objet d'un doute raisonnable. Comme vous le savez, s'agissant de
8 l'incident des fusils de bois, il a été question de deux ou trois hommes
9 qui ont été des Musulmans, membres de l'armée de Croatie, tout cela dans le
10 cadre d'une opération où on a fait sortir un homme de l'hôpital, et le
11 témoin I, qui a témoigné ici était également un Musulman membre de l'armée
12 de Croatie. Il est difficile d'imaginer comment la Chambre aurait pu
13 conclure au fait que ces soldats étaient des soldats ennemis. Ils étaient
14 peut-être musulmans, mais pas membres de l'ABiH. Par rapport aux 20 civils
15 dont il a été question plus tôt, un certain nombre de civils figurent sur
16 la liste des envoyés aux travaux forcés dans les paragraphes 268 à 270, et
17 je pense que trois de ces hommes étaient des civils, y compris le témoin KK
18 qui n'avait que 16 ans à l'époque.
19 S'agissant d'autres éléments de preuve, M. Martinovic a peut-être aidé
20 certains Musulmans. Je vous renvoie à ce qu'a dit
21 M. le Juge Shahabuddeen -- ou plutôt, excusez-moi, M. le Juge Schomburg au
22 paragraphe 678 du jugement également. La Chambre n'a pas admis cela comme
23 suffisant pour éliminer l'intention discriminatoire.
24 J'aimerais maintenant dire quelques mots de l'exposé de Me Par parce qu'il
25 affirme que tout cela donne l'image d'une situation dans laquelle personne
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1 n'était contraint d'aller travailler sur le front. Personne n'était
2 contraint de creuser des tranchées sur le front, et pour l'essentiel, il a
3 indiqué que finalement, aucun travail n'était fait. Tout ce que j'aimerais
4 vous demander, c'est d'examiner les notes en bas de page que j'ai évoquées
5 dans mon exposé, notes 722, 723, 725 et 727. Elles indiquent toutes que le
6 témoin J travaillait de façon assez constante pour amasser des sacs de
7 sable et creuser des tranchées après avoir franchi la ligne de démarcation.
8 Le témoin PP a dû détruire des bunkers et des tranchées sous le feu de
9 l'ennemi et le témoin Knudsen a dit dans sa déposition que des prisonniers
10 travaillaient tout le temps sur la ligne de front. S'agissant de ce qui a
11 été dit par la Défense, ceci ne correspond pas à ce qu'a établi le
12 jugement.
13 M. Kerns souligne également que la charge de la preuve risque d'être
14 renversée. Le Procureur n'admet pas cela et n'admet pas qu'on invoque
15 l'arrêt Krnojelac à cet égard.
16 M. LE JUGE POCAR : [aucune interprétation]
17 M. TRACOL : Effectivement, pour la réplique de l'Accusation au quatrième
18 motif d'appel de l'Accusation à laquelle la Défense a répondu tout à
19 l'heure, je souhaiterais simplement répliquer très brièvement sur deux
20 points. Le premier concerne les éléments constitutifs des crimes, de
21 persécution et de torture. Le deuxième point concerne le critère applicable
22 au cumul de déclarations de culpabilité pour les persécutions et les autres
23 crimes contre l'humanité. S'agissant tout d'abord du premier point relatif
24 aux éléments constitutifs des crimes et s'agissant en premier lieu des
25 persécutions, la Chambre d'appel a défini le crime de persécution dans
Page 334
1 l'arrêt Krnojelac au paragraphe 185, et a appliqué le critère relatif au
2 cumul de déclarations de culpabilité, aux persécutions et à d'autres crimes
3 contre l'humanité dans l'arrêt Kordic et Cerkez au paragraphe 1 040 et
4 suivant.
5 S'agissant ensuite des éléments constitutifs de la torture, là également,
6 il existe une jurisprudence de la Chambre d'appel à ce sujet et je me
7 réfère précisément à l'arrêt Kunarac, aux paragraphes 142 et 144. La
8 Défense a fait valoir, en fin de matinée, que chaque acte de torture doit
9 être discriminatoire et qu'en pratique, chaque acte de torture implique
10 nécessairement un processus discriminatoire. Telle n'est pas la position de
11 la Défense, puisque d'après la définition qui a été donnée par votre
12 Chambre d'appel dans l'arrêt Kunarac aux paragraphes 142 et 144, l'élément
13 moral de la torture est une intention spécifique, à savoir, le but
14 d'obtenir des renseignements, des aveux ou de punir, d'intimider ou de
15 contraindre la victime ou un tiers ou d'opérer une discrimination pour
16 quelque motif que ce soit. La discrimination est un élément alternatif de
17 l'élément moral de la torture, mais il n'est pas nécessairement un élément
18 constitutif de la torture. S'agissant du critère relatif au cumul de
19 déclarations de culpabilité, la preuve de la discrimination n'est pas
20 exigée pour l'élément moral de la torture. Alors, si la Défense est en
21 désaccord avec cette jurisprudence de la Chambre d'appel, je me réfère tant
22 à l'arrêt Krnojelac qu'à l'arrêt Kunarac et à la définition de ce crime qui
23 a été donnée par la Chambre d'appel, libre à la Défense, bien entendu, de
24 prouver à votre Chambre d'appel qu'il y a des raisons impérieuses dans
25 l'intérêt de la justice pour que votre Chambre d'appel s'écarte de cette
Page 335
1 jurisprudence constante. Je me réfère, bien entendu, au paragraphe 108 de
2 l'arrêt Kowalowski [phon], mais force est de constater que la Défense, ce
3 matin, n'a même pas tenté de rapporter la preuve de ces raisons
4 impérieuses.
5 Sur mon second point maintenant, s'agissant du critère relatif au
6 cumul de déclarations de culpabilité pour les persécutions et d'autres
7 crimes contre l'humanité, l'Accusation relève que la Défense s'est référée
8 à de nombreuses reprises, en fin de matinée, à l'arrêt Krstic. La Défense
9 semble oublier que la Chambre d'appel, dans l'arrêt Kordic et Cerkez, a
10 précisément considéré que des raisons impérieuses lui commandaient de
11 s'écarter de l'arrêt Krstic comme étant une application incorrecte du
12 critère relatif au cumul de déclarations de culpabilité entre les
13 persécutions et l'assassinat. Le droit applicable au cumul de déclarations
14 de culpabilité entre les persécutions et les autres crimes contre
15 l'humanité est l'arrêt Krstic et seulement -- l'arrêt Kordic et Cerkez,
16 veuillez m'excuser, et non l'arrêt Krstic comme indiqué, ce matin, par la
17 Défense.
18 J'en ai fini avec mon réquisitoire, à moins, bien entendu, que la
19 Chambre d'appel ait des questions à ce sujet.
20 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je pense qu'il n'y a pas de questions.
21 Nous partons du principe que l'Accusation a terminé sa présentation en
22 réponse à la Défense.
23 M. FARRELL : [interprétation] Oui. Je vous remercie, Monsieur le Président.
24 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Puisque les parties en ont terminé de
25 leurs exposés, nous pouvons passer aux allocutions que les accusés
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1 souhaiteront peut-être prononcer.
2 Je demanderais d'abord à M. Naletilic s'il souhaite, à présent, s'exprimer
3 devant la Chambre. Selon ce qui a été dit ce matin, Monsieur Naletilic,
4 vous disposerez de 20 minutes pour cette intervention et je vous
5 demanderais de ne pas l'oublier. Vous avez la parole.
6 L'APPELANT NALETILIC : [interprétation] Monsieur le Président, je vous
7 remercie pour ces cinq minutes que vous venez de m'accorder. J'aimerais
8 commencer rapidement par ce qui a été à la base du Bataillon des Condamnés
9 créé en 1991. L'Accusation affirme que j'en étais le commandant, le premier
10 commandant de ce groupe, et ce, jusqu'au 15 août 1992.
11 Mario Hrkac, Cikota, me succède à ce moment-là. Il existe des
12 éléments de preuve qui traitent de ce fait et il me succède sur ma
13 proposition aussi bien formelle que concrète. J'aimerais dire quelques mots
14 de la légende qui m'est associé. Je crois que c'est Sir Martin Garrod qui a
15 dit : "Tuta est une légende." J'ai souri à ce moment-là parce qu'à mes
16 yeux, ne peut être une légende que quelqu'un qui est mort, quelqu'un qui a
17 été tué. Mario Hrkac, Cikota, est à mes yeux, aujourd'hui, effectivement
18 une légende. C'est un homme que j'ai créé. Je crois que je suis à l'origine
19 de la plupart des qualités qu'il présentait car lorsqu'il m'a rejoint. Il
20 n'était qu'un tout jeune homme. Il avait à peine 18 ans. Il s'est développé
21 pour devenir un dirigeant qui, réellement, a fait toute mon admiration.
22 J'ai toujours pensé que s'il était resté en vie et était devenu un sportif,
23 s'il était devenu footballeur, il aurait été une grande vedette. S'il était
24 devenu joueur de basket, il serait également un champion du monde. En
25 effet, à mon avis, il présentait dans son caractère un mélange
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1 d'intériorité et de force. J'ai suivi de très près les actions qu'il a
2 accomplies. Quant à moi, mes dernières opérations armées se sont menées à
3 Brdo et j'ai dû me retirer car je ne pouvais plus continuer. Je pesais 56
4 kilos à l'époque. Ceci vous montre tout le bien que peut faire la prison à
5 un organisme humain parce que je pesais 56 kilos quand je suis entré en
6 prison et aujourd'hui, j'en pèse 80. Je ne dis pas cela pour fuir mes
7 responsabilités. Je suis resté fidèle à mes idées et je le serai toujours.
8 La responsabilité est une idée centrale à mes yeux.
9 Mario a été tué le 20 avril 1993. L'Accusation a entendu de nombreux
10 témoins dire que Mario était ceci ou cela, mais Tuta était toujours
11 mentionné comme étant présent en tout lieu et en permanence. Il est
12 indubitable que je soutenais Mario autant que je le pouvais, mais personne
13 ici ne semble bien comprendre ce que signifie le fait d'être un commandant.
14 Un commandant n'est un bon commandant que lorsqu'il est accepté par ses
15 soldats. Il ne peut être un bon commandant qu'aussi longtemps qu'il peut
16 suivre partout ses soldats là ils vont, qu'aussi longtemps qu'il peut
17 rester à leurs côtés et que ceux-ci estiment qu'il mérite le titre d'un
18 commandant. J'ai participé à l'action de Debelo Brdo, j'ai participé à
19 celle de Velez. Celle de Debelo Brdo a été ma dernière action. C'est là que
20 Mario a compris que j'avais atteint le point extrême de ma faiblesse
21 physique. J'ai pu voir qu'il compatissait avec moi. Il se disait c'est un
22 vieil homme qui n'en peut plus et c'était vrai. Bien entendu, je suis resté
23 à ses côtés, je l'ai aidé autant que je l'ai pu.
24 Aujourd'hui, nous parlons des actions de Doljani et de Sovici, mais
25 ce ne sont pas des actions que Tuta a dirigées. Ces actions étaient très
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1 complexes et je n'aurais pas eu les capacités physiques pour les diriger.
2 Il fallait être un grand spécialiste et avoir l'expérience des affectations
3 les plus difficiles, puisque 60 hommes environ étaient concernés. Or, mon
4 unité ne comptait même pas un tel nombre d'hommes. J'étais très doué dans
5 mon travail, mais Cikota était le meilleur. A l'époque de Sovici et de
6 Doljani, Cikota a été promu. Je ne sais pas dans quelle circonstance
7 exactement, mais il a reçu cette mission qu'il a accomplie à la perfection.
8 Il a contourné la colline derrière Doljani et Sovici, et je ne sais pas par
9 quel chemin parce que je n'étais pas sur place. Il est arrivé à la cote
10 905, alors que dans sa mission il devait monter jusqu'à plus de 1 000
11 mètres, et c'est là qu'il a été tué. J'étais avec mes enfants à 30
12 kilomètres de là.
13 Mate avait sept ans et mon autre fils, cinq ans. Ils ne parlent pas
14 le croate. Même si aujourd'hui je suis en prison, je considère que j'ai été
15 un bon père. Je n'ai peut-être pas été bon en tout, mais j'ai été un bon
16 père. Il m'aurait été absolument impossible de les quitter pendant quatre
17 ou cinq jours pour aller participer à une action armée en 1992.
18 Quand Boka a été tué, j'ai compris qu'il fallait que j'y aille et j'y suis
19 allé. Dès que je suis arrivé à Doljani, j'ai vu cinq, six ou peut-être dix
20 prisonniers à genoux. Je ne sais pas combien ils étaient exactement.
21 Immédiatement, j'ai dit : Relevez-vous. J'ai demandé : Qui est votre chef ?
22 A ce moment-là, il n'y avait plus de chef. Notre armée était à Stipica
23 Livade [phon] là-haut. C'est à plus de dix kilomètres de distance. Cikota
24 était aussi à dix kilomètres au moins de l'autre côté, donc ce n'est pas
25 notre armée, ce ne sont pas nos hommes qui ont fait tout cela. Je n'ai vu
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1 personne frapper quiconque. On a raconté que des hommes auraient été
2 frappés devant moi. Je ne cessais de dire qu'il était interdit de toucher à
3 qui que ce soit. Donc personne n'a jamais été frappé tant que j'ai assumé
4 mes responsabilités.
5 Il y avait, d'ailleurs je me souviens, ce jeune homme qui n'était
6 même encore majeur et il a demandé au commandant s'il pouvait partir. J'ai
7 dit : Fils rentre donc chez toi. Si qui que ce soit n'est pas d'accord avec
8 cette décision, laisse-les dire. Mais dans un témoignage qui a été fait
9 ici, nous avons vu un témoin qui affirme avoir une bonne mémoire des
10 événements, mais qui a été incapable lorsqu'il a parlé de coups de dire qui
11 avait porté ces coups et à qui. En 1996, vous savez les déclarations
12 peuvent évoluer. Je ne voudrais dire du mal de personne. J'ai lu toutes les
13 dépositions recueillies depuis 1993. Personne n'a jamais mentionné mon nom.
14 On mentionnait les hommes de Tuta, je reviendrai sur ce point. D'ailleurs,
15 j'ai écrit déjà un certain nombre à ce sujet.
16 Quand j'ai accepté Boka dans mes rangs, je suis allé à Risovac où se
17 trouvaient mes hommes et quelque chose s'est passé. Cikota a été tué. Je
18 n'en dirai pas plus. Je dis simplement que j'ai eu beaucoup de chagrin, car
19 il était comme un fils pour moi. Donc je l'ai pleuré. Cela a été un coup
20 très dur pour moi. Il y a des témoins ici qui ont dit qu'ils s'étaient
21 trouvés à Sovici et à Doljani. Je ne sais plus à quel moment exactement. En
22 tout cas, ils ont développé leur thèse. Je pense que le Juge Pocar a eu
23 sous les yeux un certain nombre de ces documents, qu'il les a rejetés, mais
24 en tout cas il a été dit que 26 personnes avaient été suspectées et que le
25 nom de Tuta avait été prononcé. Je ne sais absolument pas en rapport avec
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1 quel problème, quel problème le commandant aurait pu créer, puisqu'il était
2 en train de souffrir d'un chagrin très profond et qu'il n'aurait pas pu
3 mener la moindre action à ce moment-là. Donc si l'on considère les
4 capacités opérationnelles, je dirais que je n'aurais pas pu participer à
5 quoi que ce soit.
6 Est-ce que j'ai eu de l'aide ? Oui. Est-ce que j'ai pu retourner à
7 l'action ? Voyez-vous je souffrais d'emphysème, j'avais les poumons pris à
8 l'époque, qui ne fonctionnaient pas bien. Je ne respirais pas bien. Mon
9 cœur était soumis à des sollicitations trop importantes dans une telle
10 situation, donc j'avais aussi toutes sortes de douleurs. Or, j'ai été
11 accusé de persécution. J'aimerais regarder dans les yeux les personnes qui
12 m'accusent, parce que je n'ai jamais donné l'ordre ou exécuté un ordre
13 émanant de qui que ce soit qui aurait le moindre rapport avec des
14 persécutions ou des sévices infligés à quelque que personne que ce soit.
15 Je ne parle pas simplement de différence ethnique. Je me souviens de
16 l'époque où j'étais immigrant, un fameux professeur que je connaissais
17 avait l'habitude que les grecs anciens ne prononçaient jamais de peine de
18 mort. Que cette sanction n'était pas nécessaire. Que la pire sanction,
19 c'était d'être expulsé de sa terre, expulsé de sa patrie. Pour ce qui me
20 concerne, c'est quelque chose qui était hors de question que je puisse
21 faire. S'agissant de Sovici et de Doljani, je pense que cela s'est passé
22 plus tard au mois de mai ou au début du mois de mai.
23 J'aimerais que les noms de ces localités entrent correctement au
24 compte rendu d'audience. Peut-être l'Accusation reviendra-t-elle sur ses
25 thèses, parce que c'est très important. Miro Gradovac, surnommé Gida
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1 [phon], est venu me voir. Il m'a dit : On emmène les femmes, les enfants,
2 les personnes âgées jusqu'à l'école. Je ne sais pas si c'était une école
3 secondaire, mais en tout cas, c'était une école. J'ai dit que je voulais
4 voir ce qui se passait. J'ai demandé où étaient les enfants, les femmes, il
5 m'a dit qu'ils étaient là-bas. J'ai dit à Ivan de me fournir quelques
6 soldats et j'ai dit que nous allions aller là-bas.
7 Je pourrais si vous voulez, vous décrire le bâtiment. La façade était
8 en verre. Je ne sais pas si c'était une salle de sport, à cause de cette
9 façade en verre, mais en tout cas, je pense que c'était un lieu utilisé
10 pour pratiquer le sport. Tout était en désordre. Il n'y avait personne.
11 J'ai simplement dit à Ivan que nous avions été trahis par les nôtres, qu'il
12 fallait que quelqu'un le fasse savoir. D'ailleurs, vous pouvez vérifier
13 tout cela sur la base de documents qui se trouvent sans aucun doute au QG à
14 Gornje Vakuf en particulier.
15 Je jure que ce sont des paramilitaires qui ont mené cette opération, c'est
16 la seule possibilité envisageable. Je veux dire, ils sont venus avec des
17 fusils et ce n'était pas avec de bonnes intentions. Cette action, si elle
18 avait été menée par moi, elle l'aurait été dans des conditions parfaites.
19 Mais les actions de Mostar ont eu lieu plus tard. Ivan a reçu pour mission
20 de se diriger vers le vieux pont et si vous regardez les émissions de
21 télévision, je vais vous donner un exemple où il est question de quelqu'un
22 qui était à 100 % coupable. Vous l'interpréterez comme vous voudrez sur le
23 plan psychologique, mais cela s'est passé. Juka Prazina m'a appelé, c'était
24 l'après-midi. J'avais un téléphone Motorola Kenwood à l'époque, un
25 téléphone portable et ce serait important que vous visionniez les images
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1 vidéo, vous verriez que les gens qu'on voit sur ses images sont tous en
2 civil, assemblés devant le ministère. J'ai dit que je voulais les voir pour
3 comprendre ce qui se passait. Je crois qu'il serait très important, pour
4 examiner la situation par rapport à la Croatie à l'époque, que vous
5 revoyiez les images qui ont été proposées en tant qu'éléments de preuve et
6 le Juge Pocar a dit, d'ailleurs, qu'il s'intéressait particulièrement au
7 témoignage du témoin Z. Tout cela s'est effectivement passé. Brana Kvesic a
8 dit tout d'un coup et je l'ai entendu : Mon Dieu, qu'est-ce que vous faites
9 ici ? J'ai vu qu'il devenait très agressif. Il s'est approché de moi.
10 J'étais calme. Il était plus fort que moi physiquement, plus large
11 d'épaules. Il m'a, à ce moment-là, frappé cinq ou six fois, il m'a arraché
12 mon Motorola.
13 Povric, un homme qui a assisté à mon mariage, était là également. Nous
14 avons passé la soirée ensemble. Il y avait pas mal de soldats et je me
15 souviens assez bien de lui ce soir-là parce qu'il avait un comportement qui
16 était un comportement très poli, très bienséant par rapport à ce qui est
17 l'habitude chez nous. Quand je dis chez nous, je parle du Bataillon des
18 Condamnés. Je lui ai demandé qui il était. Il m'a dit : "Stari," je suis
19 tel et tel.
20 Ce mot de Stari qui veut dire vieux n'était utilisé que chez nous. J'ai
21 compris qu'il était de chez nous. Ce Motorola, quand il m'a été arraché, je
22 l'ai dit tout à l'heure, cela s'est passé dans une situation assez
23 difficile, assez peu agréable à décrire.
24 Alors, il y avait ce jeune homme qui était devant moi et quand je l'ai
25 interrogé peut-être un peu brusquement, il m'a dit : Tuta, je ne t'ai pas
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1 trahi. Je suis le chauffeur de Pasalic. Je lui ai dit : Je te connais.
2 Comment est-ce que tu peux être son chauffeur ? Il m'a dit : Mais oui, bien
3 sûr, je te connais, j'étais à ton mariage. Ce que je te dis, c'est la
4 vérité. Voilà ce qui s'est passé en rapport avec Juka Prazina. De combien
5 de temps est-ce que je dispose encore ?
6 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Quatre minutes.
7 L'APPELANT NALETILIC : [interprétation] Quatre minutes ? Je vais essayer de
8 ne pas dépasser.
9 En tout cas, il a été emmené à Zagreb, à l'ambassade. C'était son désir. Il
10 y travaille encore au jour d'aujourd'hui. Il n'est pas venu ici témoigner.
11 Voilà cet incident du Motorola que je tenais à vous exposer. Je serai très
12 rapide maintenant. Pas plus moi que Cikota et encore moins Andabak ou qui
13 que ce soit des gens qui ont été évoqués ici n'a commandé un quelconque
14 groupe ATG. Le Bataillon des Condamnés n'étaient que cela. Il n'était que
15 le Bataillon des Condamnés. C'était un groupe d'hommes qui étaient avec
16 nous. Predrag a été son commandant. Ensuite, Cikota; ensuite, Ivan et
17 Ilija. Il n'y a eu personne d'autre. Hier, M. le Procureur a parlé de la HV
18 et l'armée de Croatie. Je n'ai jamais exercé le moindre commandement au
19 sein de l'armée de Croatie. Je ne l'ai jamais fait à l'époque et je ne le
20 ferai jamais, même pas aujourd'hui. Je n'ai pas la meilleure opinion qui
21 soit de ces gens-là. J'ai toujours estimé que leur souci principal était de
22 monter en grades et rien d'autre.
23 J'aimerais conclure, Monsieur le Président. J'ai été accusé de persécution,
24 mais je n'en suis pas coupable. J'ai sauvé pas mal de gens et la Chambre de
25 première instance a eu sous les yeux des éléments de preuve le démontrant.
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1 Je ne demande grâce auprès de personne. J'ai déjà bénéficié de la grâce de
2 Dieu. Je suis en bonne santé, mes enfants sont en bonne santé et tout va
3 bien. Mais eu égard à la prison, peut-être pourriez-vous m'accorder deux
4 minutes de plus. M. Martinovic a déclaré qu'il était prêt à m'accorder huit
5 minutes de son temps. Vous pourriez peut-être me donner deux minutes de
6 plus car ce que je vais dire au sujet de la prison me paraît tout à fait
7 important.
8 L'Heliodrom existait en 1993. Ljubuski, Siroki Brijeg, ce sont des prisons
9 où je ne suis jamais allé personnellement. La première et la dernière fois
10 je suis allé dans une prison, c'était au mois de
11 mai 1994. Le témoin Z voulait remplacer Ivan Kovic, mais il n'a pas eu sa
12 place et n'a pas été relâché à ce moment-là. Le témoin Z, je lui ai dit :
13 Si tu veux, tu peux rester ici. Il est venu, à ce moment-là et mon
14 chauffeur, au moment de l'incident que j'ai décrit tout à l'heure, était
15 derrière lui. Il l'a pris par le col, il l'a soulevé et a voulu le jeter à
16 la porte. On a discuté, lui et moi, gentiment, j'ai aussi discuté avec
17 Aleksovski et il m'a dit : Tu n'aurait pas dû parler ainsi. J'ai juré un
18 petit peu et je lui ai
19 dit : La dernière fois que je t'ai vu, tu étais avec moi. Il m'a
20 dit : Oui, c'est vrai. Mais si j'avais su qu'il avait volé de l'argent
21 parce qu'il l'a fait, je lui aurais dit, tu es un révolutionnaire puisque
22 que tu as pris de l'argent à un ennemi. Je ne l'aurais pas insulté pour
23 cela, absolument pas. Chez Siroki Brijeg, je ne sais pas ce qui s'y
24 passait.
25 Mais il y a quelque chose d'important que je voudrais vous dire. Si j'avais
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1 su, je répète bien si j'avais su, je ne l'ai pas su, mais si j'avais su que
2 qui que ce soit avait frappé des hommes à Siroki Brijeg, je serais
3 intervenu.
4 J'arrive à la conclusion de mon propos. En 1994, je suis allé au cimetière
5 de Lisak. Je suis croate tout de même et je suis allé voir les tombes des
6 victimes. J'y ai rencontré des membres de familles de ces victimes
7 musulmanes, serbes et autres nationalités étrangères. Il y a beaucoup de
8 monde qui a perdu la vie au cours des événements d'Herzégovine. Je tiens à
9 dire toute la compassion que je ressens à l'égard des victimes de torture
10 et d'expulsion.
11 J'en ai terminé. Je pense, Monsieur le Président. De toute façon, je ne
12 dispose plus d'un temps suffisant et je ne voudrais pas dépasser le temps
13 qui m'a été imparti. Je remercie mes avocats qui se sont consacrés
14 pleinement à ma défense et on développé les meilleurs arguments possibles
15 devant la Chambre d'appel Je remercie, également, les avocats de Vinko
16 Martinovic, surnommé Stela. Je tiens à dire tout le respect que j'ai pour
17 le bureau du Procureur. Je dois admettre que j'ai beaucoup appris ici car
18 je n'étais pas sûr qu'on se battait pour la vérité et je l'ai vu. Monsieur
19 le Président, Madame, Messieurs les Juges, je tiens à vous remercier de
20 m'avoir donné la parole. Si vous pouviez m'accorder encore une minute pour
21 que je vous parle de la prison en Croatie --
22 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vous ai déjà accordé cinq minutes de
23 plus.
24 L'APPELANT NALETILIC : [interprétation] D'accord, d'accord. Merci beaucoup,
25 excusez-moi.
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1 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Vous pourriez peut-être conclure.
2 L'APPELANT NALETILIC : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le
3 Président.
4 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Monsieur Martinovic, je me tourne à
5 présent vers vous. Si vous voulez parler à la Chambre, vous disposez de 15
6 minutes pour ce faire.
7 L'APPELANT MARTINOVIC : [interprétation] Je vous remercie de me permettre
8 de m'exprimer devant vous, Monsieur le Président. Je me riens bien compte
9 que toute guerre est une horreur qui frappe, avant tout, les petits et les
10 humbles. Je compatis avec eux. Je respecte et plains toutes les victimes.
11 La seule chose que nous, les humbles, pouvons faire face à cette horreur,
12 c'est de nous entraider. On dit que ce Tribunal est celui de la vérité et
13 de la justice. C'est ce qui me pousse à dire que pour bien des raisons, je
14 n'admets pas le jugement prononcé à mon encontre. Je n'ai pas participé au
15 meurtre du détenu Nenad Harmandzic. Je n'ai violenté aucun prisonnier. Je
16 ne m'en suis pas servi comme bouclier humain. J'ai été condamné pour
17 participation à un meurtre sur la base d'un faux témoignage fourni par un
18 malade psychiatrique.
19 Les services secrets de Croatie et de Bosnie se sont associés pour
20 m'emmener ici afin de couvrir les véritables donneurs d'ordres et leurs
21 exécutants. M'amener ici était la chose la plus facile qui soit car je ne
22 connais rien au plan politique ou militaire d'où l'extrême facilité qu'il y
23 avait à sacrifier un simple soldat en faveur duquel personne n'était prêt à
24 s'investir. C'est pourquoi j'aimerais que ce Tribunal examine les éléments
25 de preuve relatifs à ce point de l'acte d'accusation.
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1 Madame, Messieurs les Juges, je n'ai jamais permis qu'un membre d'un groupe
2 de travail soit maltraité au sein de mon unité ou dans mon entourage. J'ai
3 laissé mes avocats expliquer quel a été mon rôle dans la guerre à Mostar
4 car je ne comprends rien à ce procès. J'étais un simple soldat, engagé dans
5 une guerre qui se déroulait au seuil de sa porte et qu'il n'avait pas
6 voulue.
7 C'est devant ce Tribunal que j'ai entendu pour la première fois que
8 j'aurais pris part à un conflit international. Mes voisins musulmans,
9 juifs, serbes et croates qui ont témoigné au cours de ce procès ont
10 démontré, Madame, Messieurs les Juges, que je ne haïssais personne pour sa
11 religion ou son appartenance ethnique et que je n'ai jamais nourri en moi
12 la moindre haine. Il est vrai que je ne suis pas très éduqué. Mais même
13 sans avoir lu le moindre règlement, je sais bien qu'il est interdit de
14 torturer ou de violenter un prisonnier. Je n'ai jamais autorisé une telle
15 chose, mais puisque le Procureur soutient qu'un homme a été tué alors qu'il
16 était sous ma garde, de toute la force de mon âme, Madame et Messieurs les
17 Juges, je vous affirme que ceci n'a pas eu lieu dans mon unité. Les
18 documents de l'Accusation montrent bien d'ailleurs qui était responsable de
19 cet homme. Ils montrent que je n'aurais pas dû être condamné pour cet acte.
20 Chacun sait, parce que c'est évident, que cet homme a été emmené par la
21 police militaire à la garde de laquelle il a échappé et d'ailleurs, la
22 police militaire en a rendu compte. Je suis confronté à une peine de 18 ans
23 d'emprisonnement pour quelque chose qui ne m'est jamais passé par la tête,
24 sans parler d'une quelconque volonté de ma part de couvrir un tel acte.
25 J'ai entendu ce qui s'est passé quand on a interrogé cet homme malade
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1 à Mostar. On lui a demandé : Pourquoi as-tu menti à La Haye ? Ce à quoi il
2 répond : Je suis peut-être fou, mais pas assez pour refuser qu'on me fasse
3 cadeau d'une maison pour deux heures de mensonges. Voilà ce qu'a dit le
4 témoin qui a été entendu au sujet de ce meurtre.
5 Si ma condamnation est difficile à supporter, ce faux témoignage
6 l'est encore plus. Malheureusement, c'est ce que je subis dans ma chair.
7 J'ai été condamné à 18 ans pour n'avoir pas conclu d'accord avec
8 l'Accusation. Comment expliquer que je n'avais pas de quoi conclure un
9 accord puisque je n'ai maltraité, torturé et encore moins tué personne ? Si
10 je trouvais le moyen, Madame, Messieurs les Juges, de vous expliquer quelle
11 était ma situation sur la ligne de démarcation, ce que j'y faisais et dans
12 quelles conditions, vous m'acquitteriez immédiatement. Mais je ne sais pas
13 expliquer tout cela. Ce serait peut-être plus facile, si vous me posiez des
14 questions.
15 Il a fallu sept ans pour rédiger un nouvel acte d'accusation contre
16 les auteurs des actes commis à Mostar et ce texte n'a vu le jour qu'après
17 que j'aie moi-même été condamné.
18 Tout a été fait pour faire endosser à Stela tous les méfaits commis
19 pendant la guerre, à Mostar. Ce sont des gens très liés à ce nouvel acte
20 d'accusation qui m'ont dit cela. Ils sont à mes côtés au quartier
21 pénitentiaire, à Mostar et à Zagreb. Il n'y a pas un oiseau sur une branche
22 qui ne sache tout ce qu'ont fait les Services secrets dans l'affaire
23 Martinovic. Mais le pire, c'est que ceux qui devraient le savoir, c'est-à-
24 dire, vous, Madame, Messieurs les Juges, vous l'ignorez. Vous ne savez pas
25 tout ce qui a été fait dans le cadre de notre procès. Il est malheureux que
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1 la Chambre d'appel ait refusé d'entendre de nouveaux témoins.
2 Il sera difficile de faire prévaloir la justice dans de telles
3 conditions. Si ces témoins avaient été entendus, tout serait devenu clair
4 pour vous. Vous auriez compris comment et pourquoi on a préparé 14 témoins
5 contre moi. Vous auriez constaté ce qu'ils ont reçu en récompense pour
6 leurs faux témoignages, ce que les représentants de l'Accusation savent
7 sans doute fort bien également. Ceci a eu un effet certain sur le jugement
8 qui, d'ailleurs, n'aurait pas été prononcé si la chose avait été sue. Ces
9 témoins n'auraient pas pu comparaître devant le Tribunal à une date
10 antérieure car à l'époque, les Services secrets fonctionnaient encore. Mais
11 aujourd'hui, le SIS [phon] de Croatie et l'AID musulman ont été démantelés.
12 Donc, ils auraient pu être entendus.
13 Je suis très malheureux de voir qu'on me place au même rang que les
14 pires criminels et les pires assassins menteurs. Quand on ramène ces
15 assassins menteurs dans le quartier pénitentiaire, je constate que les
16 peines auxquelles ils sont condamnés sont bien inférieures à celle à
17 laquelle j'ai été condamné. Ils continuent de se vanter de leurs méfaits.
18 Il y a quelque chose qui n'est pas acceptable dans tout cela pour les
19 victimes.
20 J'ai beaucoup de mal à garder tout cela pour moi. Quelquefois, je perds
21 l'espoir de pouvoir participer à la vie et à la croissance de mes fils.
22 Mais si c'est la volonté de Dieu que je supporte tout cela, je suis prêt à
23 le faire. Aujourd'hui, je suis conscient des erreurs que j'ai pu commettre
24 dans ma vie, mais je ne voudrais pas répondre d'actes que je n'ai pas
25 commis. Je sais que pour ce Tribunal et pour un état quel qu'il soit, je
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1 suis quelqu'un de très peu important. Mais pour mes fils et pour ma femme,
2 je suis le plus important qui soit. J'ai besoin de jouer un rôle positif
3 dans leurs vies.
4 Madame, Messieurs les Juges, si vous pensez que je n'ai pas suffisamment
5 aidé les gens à Mostar, dans ce cas, je serais coupable. Mais je vous
6 affirme que dans les conditions qui régnaient à l'époque, dans ces
7 conditions de guerre, j'ai fait tout ce qu'il était dans mon pouvoir de
8 faire en tant qu'homme très humble et très simple et en tant que simple
9 soldat, pour les aider. J'ai fait du mieux que j'ai pu pour aider les gens,
10 indépendamment de leur religion et de leur appartenance ethnique. Je crois
11 en Dieu et j'attends un jugement équitable. Je vous remercie de m'avoir
12 écouté.
13 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Merci, Monsieur Martinovic. Ceci met un
14 terme à cette audience en appel. Avant de suspendre, je tiens, au nom de la
15 Chambre, à remercier les parties pour leurs exposés et pour les réponses
16 apportées aux questions posées par les Juges. Je tiens aussi à remercier
17 tous les membres du personnel qui ont eu un rôle à jouer dans cette
18 audience et bien entendu, à remercier les interprètes qui ont donné plus
19 d'efficacité à notre audience.
20 Je suspends à présent cette audience.
21 --- L'audience d'appel est levée à 16 heures 16.
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