LE TRIBUNAL PÉNAL INTERNATIONAL POUR L’EX-YOUGOSLAVIE

Affaire n° IT-03-68-PT

LE PROCUREUR DU TRIBUNAL

CONTRE

NASER ORIC

Le Procureur du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par l’article 18 du Statut du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (le « Statut du Tribunal ») accuse :

NASER ORIC

de VIOLATIONS DES LOIS OU COUTUMES DE LA GUERRE, telles qu’exposées ci-dessous :

L’ACCUSÉ

1) Naser ORIC, fils de Dzemal et Hata (née MUSTAFIC), est né le 3 mars 1967 à Potocari, dans la municipalité de Srebrenica, en République de Bosnie-Herzégovine (la « Bosnie-Herzégovine »).

2) Durant son service militaire en République fédérale de Yougoslavie (la « RFY ») en 1985 et 1986, Naser ORIC a été affecté à l’unité spéciale de défense atomique et chimique de l’Armée populaire yougoslave (la « JNA »). Il a quitté la JNA avec le grade de caporal.

3) Naser ORIC est un ancien policier. En 1988, il a achevé un stage de formation de six mois à Zemun et a été policier stagiaire à Savski Venac, dans la ville de Belgrade. En sa qualité de membre de l’unité de police spéciale, il a suivi deux années de plus de formation. En 1990, Naser ORIC a été affecté au Kosovo en tant que membre d’une unité de police spéciale du Ministère de l’intérieur de la République de Serbie. Puis il est revenu à Belgrade. Le 5 août 1991, il a été muté dans un poste de police à Ilidza, dans la banlieue de Sarajevo. Fin 1991, Naser ORIC a été affecté au poste de police de Srebrenica et, le 8 avril 1992, il a été nommé chef du poste de police annexe de Potocari.

4) Le 17 avril 1992 a vu l’établissement de la Défense territoriale (la « TO ») de Potocari, dont Naser ORIC a été nommé chef. La zone de commandement de la TO de Potocari englobait les communautés locales de Potocari, Likari, Caus, Zalazje et Azlica.

5) Le 20 mai 1992, des membres de la cellule de crise de la TO de Srebrenica ont porté à leur tête Naser ORIC. Le 27 juin 1992, Sefer HALILOVIC, chef de l’état-major du commandement suprême de l’Armée de Bosnie-Herzégovine (« l’ABiH »), a confirmé officiellement la nomination de Naser ORIC au poste de chef du quartier général de la TO de Srebrenica. Toutes les unités subordonnées au quartier général de la TO de Srebrenica ont été placées sous les ordres de Naser ORIC. Le 8 août 1992, la nomination de Naser ORIC au poste de chef du quartier général de la TO de Srebrenica a été confirmée par la présidence de Bosnie-Herzégovine. Le 3 septembre 1992, le quartier général de la TO de Srebrenica a été rebaptisé « quartier général des forces armées de Srebrenica ». Le commandement est resté entre les mains de Naser ORIC.

6) En sa qualité de chef du quartier général de la TO de Srebrenica, Naser ORIC est devenu membre de la présidence de guerre de Srebrenica dès sa création, le 1er juillet 1992.

7) Début novembre 1992, Naser ORIC a été promu chef des forces armées mixtes de la sous-région de Srebrenica. Il avait alors autorité sur les zones géographiques de plusieurs municipalités, dont celles de Srebrenica, Bratunac, Vlasenica et Zvornik, en Bosnie orientale.

8) Le 1er janvier 1994, toutes les unités placées sous le commandement de Naser ORIC ont pris le nom de « 8e groupe opérationnel du quartier général de Srebrenica de l’ABiH ».

9) Le 12 juillet 1994, Naser ORIC a été promu au grade de général de brigade.

10) Début 1995, le 8e groupe opérationnel du quartier général de Srebrenica a été rebaptisé « 28division du 2e corps de l’ABiH ». Naser ORIC a continué d’en exercer le commandement jusqu’à ce qu’il quitte l’ABiH, en août 1995.

11) À une date antérieure au 1er mars 1994, Naser ORIC a été décoré du lys d’or, la plus haute distinction qui soit, par le chef d’état-major du commandement suprême de l’ABiH, lequel lui a également remis, le 15 avril 1993, un ordre du mérite.

RESPONSABILITÉ PÉNALE INDIVIDUELLE

Article 7 1) du Statut du Tribunal

12) Naser ORIC est individuellement responsable, au regard de l’article 7 1) du Statut du Tribunal, des crimes de destruction sans motif de villes et de villages que ne justifient pas les exigences militaires, et de pillage, ainsi qu’il est allégué dans le présent acte d’accusation. Est individuellement responsable pénalement quiconque a planifié, incité à commettre, ordonné, commis ou de toute autre manière aidé et encouragé la planification, la préparation ou l’exécution de l’un quelconque des actes ou omissions décrits dans le présent acte d’accusation. En ne prenant pas les mesures raisonnables pour empêcher la destruction sans motif de villes et de villages, en ne punissant pas les auteurs de ces crimes, et en participant activement aux attaques durant lesquelles ces destructions sans motif ont été commises, Naser ORIC a incité à la commission de ces crimes et en a aidé et encouragé les auteurs.

Article 7 3) du Statut du Tribunal

13) Naser ORIC était tenu par les règlements disciplinaires de l’ABiH, en particulier ceux publiés au Journal officiel du 13 août 1992, d’appliquer les règles relatives aux enquêtes sur les crimes de guerre.

14) Suivant la pratique courante de l’ABiH qui utilisait divers règlements et directives de l’ex-JNA, Naser ORIC était, en raison de son pouvoir et de ses fonctions de commandant, responsable, entre autres, de la préparation, de la conduite et de l’exécution des opérations de combat. Naser ORIC a également exercé son pouvoir de commandant en négociant et en participant activement aux échanges de détenus serbes.

15) À l’époque des faits, Naser ORIC commandait, en vertu de ses fonctions et de son pouvoir de commandant, toutes les unités qui opéraient dans sa zone de responsabilité, et notamment toutes celles qui étaient engagées dans des opérations de combat dans les municipalités de Srebrenica et Bratunac, en particulier à Rupovo Brdo le 10 juin 1992, à Ratkovici les 21 et 27 juin 1992, à Jezestica le 8 août 1992, à Fakovici le 5 octobre 1992, à Bjelovac entre le 14 et le 19 décembre 1992, et à Kravica les 7 et 8 janvier 1993, ainsi que toutes les unités, y compris celles de police militaire, impliquées dans la détention de Serbes à Srebrenica.

16) Naser ORIC a, tant en droit qu’en fait, exercé dans le domaine militaire un pouvoir de direction et de commandement comme un supérieur hiérarchique, en donnant des ordres, des instructions et des directives aux unités, en veillant à leur exécution et en en assumant l’entière responsabilité.

17) Naser ORIC exerçait un contrôle effectif sur ses subordonnés.

18) Ayant occupé le poste indiqué dans le présent acte d’accusation, Naser ORIC est, au regard de l’article 7 3) du Statut, pénalement responsable en tant que supérieur hiérarchique des actes de ses subordonnés. Un supérieur est responsable des actes de ses subordonnés s’il savait ou avait des raisons de savoir que ceux-ci s’apprêtaient à commettre ces actes ou l’avaient fait, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que lesdits actes ne soient commis ou en punir les auteurs. Par conséquent, Naser ORIC est pénalement responsable, au regard de l’article 7 3) du Statut du Tribunal, de tous les crimes recensés dans le présent acte d’accusation.

ALLÉGATIONS GÉNÉRALES

19) Tous les actes et omissions allégués dans le présent acte d’accusation se sont produits entre le 10 juin 1992 et le 20 mars 1993 sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine.

20) Durant toute la période visée par le présent acte d’accusation, le territoire de la Bosnie-Herzégovine était le théâtre d’un conflit armé international et était partiellement occupé.

21) Durant toute la période visée par le présent acte d’accusation, Naser ORIC était tenu de respecter les lois et coutumes régissant la conduite des conflits armés, y compris les Conventions de Genève de 1949 et leurs Protocoles additionnels. En outre, Naser ORIC était chargé de veiller à ce que les unités militaires placées sous sa direction et son commandement respectent et appliquent ces règles de droit international. De surcroît, Naser ORIC avait reçu de sa hiérarchie, en l’occurrence la Présidence de Bosnie-Herzégovine, un ordre daté du 23 août 1992 lui enjoignant d’engager des actions contre les individus placés sous sa direction et son commandement qui avaient violé le droit international de la guerre.

ACCUSATIONS

CHEFS 1 et 2
(MEURTRE ET TRAITEMENTS CRUELS)

22) Entre le 24 septembre 1992 et le 20 mars 1993, des membres de la police militaire placés sous la direction et le commandement de NASER ORIC ont gardé plusieurs Serbes en détention au poste de police de Srebrenica et dans le bâtiment situé derrière les locaux de la municipalité de Srebrenica.

23) Les gardiens et/ou d’autres personnes bénéficiant de leur appui ont soumis les détenus à des sévices corporels, à de grandes souffrances, à des atteintes graves à l’intégrité physique et à la santé, ainsi qu’à des traitements inhumains. Dans certains cas, des prisonniers ont été battus à mort. Les sévices ont été infligés à l’aide d’instruments divers, notamment des bâtons, des tuyaux métalliques, des barres de fer, des battes de base-ball, des crosses de fusil ; les prisonniers étaient frappés à coups de pied et coups de poing, et on leur arrachait des dents avec des tenailles rouillées. Ces sévices et violences physiques entraînaient de grandes douleurs et des blessures graves, notamment des fractures, des lésions graves aux membres et des dents cassées. En de nombreuses occasions, les détenus étaient battus jusqu’à ce qu’ils perdent connaissance. Ils étaient enfermés dans des locaux surpeuplés et sans hygiène.

24) Traitements cruels :

a) Entre le 24 septembre 1992 et le 16 octobre 1992, les Serbes mentionnés ci-après ont été détenus au poste de police de Srebrenica dans les conditions décrites au paragraphe précédent :

i) Nedeljko RADIC, né le 15 juillet 1951, a été frappé avec divers objets, y compris des bâtons et des barres de fer. Des coups de poing et de pied lui ont été assénés sur tout le corps. Il a été frappé à la tête avec une barre de fer. On lui a arraché des dents avec des tenailles rouillées. Un soldat a uriné dans sa bouche meurtrie et l’a forcé à avaler. Il saignait du nez et de la bouche. Il a eu les dents cassées et les côtes fracturées.

ii) Slavoljub ZIKIC, surnommé Drago, né le 18 mai 1935, a été roué de coups de poing et de coups de pied, et frappé à coups de crosse de fusil. À plusieurs reprises, il a été frappé jusqu’à ce qu’il perde connaissance. Il a eu les côtes fracturées et les dents du maxillaire supérieur cassées, ainsi qu’une fracture à l’épaule. Son acuité visuelle et auditive s’en est trouvée fortement diminuée.

iii) Zoran BRANKOVIC, né en 1975, Nevenko BUBANJ, surnommé Slavenko (date de naissance inconnue) et Veselin SARAC, né le 17 novembre 1938, ont été roués de coups de pied et de coups de poing. Ils ont été frappés à l’aide de divers objets, notamment des bâtons et des barres de fer.

b) Entre le 15 décembre 1992 et le 20 mars 1993, les Serbes mentionnés ci-après ont été initialement détenus au poste de police de Srebrenica et transférés par la suite dans le bâtiment situé derrière les locaux de la municipalité de Srebrenica. Ils ont été détenus dans les conditions décrites au paragraphe 23 :

i) Ilija IVANOVIC, né le 1er février 1962, a été frappé à coups de poing et de pied, avec des bâtons, des barres de fer et des battes de base-ball, et a reçu plusieurs coups de couteau. Il a été roué de coups. On lui a cassé les côtes, les dents et le nez et fracturé l’os de la pommette. On lui a tapé la tête sur les barres métalliques de la porte et sur les murs en béton. Il a perdu connaissance de nombreuses fois à la suite de ces sévices.

ii) Ratko NIKOLIC (civil serbe), né le 12 juillet 1945, a été sauvagement battu à l’aide de bâtons, de battes de base-ball et de barres de fer. Il a été roué de coups de poing et de coups de pied, et il a été frappé de plusieurs coups de couteau. À la suite de ces sévices, il a eu les côtes cassées et il a perdu connaissance de nombreuses fois.

iii) Rado PEJIC (civil serbe), surnommé Miso, né le 27 mars 1956, a été sauvagement battu à l’aide de bâtons, de battes de base-ball, de barres de fer et de crosses de fusil. Il a été roué de coups de poing et de coups de pied. Il a été frappé à de multiples reprises jusqu’à ce qu’il perde connaissance. À la suite de ces sévices et traitements inhumains, il était si amaigri qu’il était incapable de marcher et qu’un brancard a été nécessaire pour le transporter lorsqu’il a fait l’objet d’un échange de prisonniers.

iv) Stanko MITROVIC, surnommé Cane (date de naissance inconnue), Miloje OBRADOVIC (date de naissance inconnue) et Mile TRIFUNOVIC, né en 1920, tous des civils serbes, ont été sauvagement battus avec des bâtons, des battes de base-ball, des barres de fer et des crosses de fusil. Ils ont été roués de coups de poing et de coups de pied. En de nombreuses occasions, ils ont été battus jusqu’à ce qu’ils perdent connaissance.

25) Meurtres :

a) Le 25 septembre 1992 ou vers cette date, un Serbe dénommé Dragutin KUKIC, né le 12 mai 1934, qui était détenu au poste de police de Srebrenica dans les conditions décrites au paragraphe 23, a été battu à mort.

b) Entre le 6 février et le 20 mars 1993, ont été tués les Serbes mentionnés ci-après qui étaient détenus dans le bâtiment situé derrière les locaux de la municipalité de Srebrenica, dans les conditions décrites au paragraphe 23 : Jakov DJOKIC, né en 1972, Dragan ILIC, né en 1975, Milisav MILOVANOVIC surnommé Mico, né en 1950, Kostadin POPOVIC, né le 20 septembre 1947, Branko SEKULIC, né le 1er janvier 1967 et Bogdan ZIVANOVIC, né le 14 octobre 1930.

26) Entre septembre 1992 environ et août 1995 environ, Naser ORIC savait ou avait des raisons de savoir que ses subordonnés s’apprêtaient à planifier, préparer ou commettre des actes consistant à emprisonner, tuer ou infliger des traitements cruels aux Serbes détenus au poste de police de Srebrenica et dans le bâtiment situé derrière les locaux de la municipalité de Srebrenica, ou qu’ils avaient commis lesdits actes, et il n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que ces actes ne soient commis ou pour en punir les auteurs.

Par ces actes et omissions, Naser ORIC s’est rendu coupable de :

Chef 1 : MEURTRE, une VIOLATION DES LOIS OU COUTUMES DE LA GUERRE sanctionnée par les articles 3 et 7 3) du Statut du Tribunal et reconnue par l’article 3 1) a) des Conventions de Genève.

Chef 2 : TRAITEMENTS CRUELS, une VIOLATION DES LOIS OU COUTUMES DE LA GUERRE sanctionnée par les articles 3 et 7 3) du Statut du Tribunal et reconnue par l’article 3 1) a) des Conventions de Genève.

CHEFS 3 à 6
(DESTRUCTION SANS MOTIF DE VILLES ET DE VILLAGES QUE NE JUSTIFIENT PAS LES EXIGENCES MILITAIRES, PILLAGE DE BIENS PUBLICS OU PRIVÉS)

27) Pendant la période comprise entre mai 1992 et février 1993, des unités musulmanes armées ont pris part à diverses opérations militaires contre les forces de l’Armée de la République serbe de Bosnie-Herzégovine (« VRS ») en Bosnie orientale. Au cours de ces opérations, les unités musulmanes armées ont incendié ou de toute autre manière détruit et pillé au moins 50 villages et hameaux peuplés majoritairement de Serbes dans les municipalités de Bratunac, Srebrenica et Skelani. En conséquence de quoi des milliers de Serbes ont fui la région.

28) Entre le 10 juin 1992 et le 8 janvier 1993, des unités placées sous la direction et le commandement de Naser ORIC ont participé à diverses opérations de combat contre les forces de la VRS en Bosnie orientale.

29) Au cours de ces opérations de combat, des bâtiments, des habitations et d’autres biens appartenant à des Serbes de Bosnie vivant dans des villages où ils étaient majoritaires ont été incendiés et détruits ; ces actes sont détaillés aux paragraphes 30 à 36 ci-dessous.

30) Le 10 juin 1992, le village de Rupovo Brdo a été attaqué. La TO de Suceska a participé à cette attaque.

31) Les 21 et 27 juin 1992, le village de Ratkovici ainsi que les hameaux voisins de Bradjevina, Ducici et de Gornji Ratkovici ont été attaqués. Les TO de Srebrenica, d’Osmace, de Kragljivoda, de Skenderovici et de Biljeg ont participé à cette attaque.

32) Le 8 août 1992, le village de Jezestica et le hameau de Bozici ont été attaqués. Les TO de Potocari, de Suceska, de Skenderovici et d’Osmace ont participé à cette attaque.

33) Le 5 octobre 1992, le village de Fakovici ainsi que les hameaux voisins de Radijevici et de Divovici ont été attaqués. Les TO de Potocari, d’Osmace, de Suceska, la compagnie Stari Grad, la TO de Skenderovici et de Kragljivoda ont participé à cette attaque. Naser ORIC commandait cette attaque à laquelle il a personnellement pris part.

34) Entre les 14 et 19 décembre 1992, le village de Bjelovac et le hameau voisin de Sikirici ont été attaqués. Ont pris part à cette attaque l’état-major des forces armées conjointes de la sous-région de Srebrenica, la compagnie Stari Grad, la compagnie Srebrenica issue du bataillon indépendant de Srebrenica, la brigade de Potocari, la brigade de Suceska, la brigade « 3 Maj » de Kragljivoda, le bataillon indépendant d’Osmace, la compagnie Pusmulici du bataillon indépendant de Srebrenica, le bataillon indépendant de Skenderovici, la 114e brigade de Bosnie orientale, le bataillon indépendant de Voljavica, le bataillon indépendant de Biljeg, le 1er détachement de Cerani, la compagnie Kasani issue du bataillon indépendant de Srebrenica et le bataillon indépendant « 5 Juli » de Tokoljaci. Naser ORIC commandait cette attaque à laquelle il a personnellement pris part.

35) Les 7 et 8 janvier 1993, le village de Kravica et deux villages voisins, Siljkovici et Jezestica, ont été attaqués. Ont participé à cette attaque la compagnie Stari Grad, la brigade de Potocari, la brigade de Suceska, la brigade « 3 Maj » de Kragljivoda, le bataillon indépendant d’Osmace, la compagnie Pusmulici issue du bataillon indépendant de Srebrenica, le 6e détachement de Kamenica, la 114e brigade de Bosnie orientale, le bataillon indépendant de Voljavica, le bataillon indépendant de Biljeg et le 1er détachement de Cerani. Naser ORIC commandait cette attaque à laquelle il a personnellement pris part.

36) Au cours de ces attaques en Bosnie orientale, entre le 10 juin 1992 et le 8 janvier 1993, des unités placées sous la direction et le commandement de Naser ORIC ont pillé les biens des Serbes de Bosnie, à savoir le bétail, le mobilier et les téléviseurs. De plus, les biens des Serbes de Bosnie, y compris les bâtiments et les habitations, ont été illégalement détruits. Ces pillages et destructions illégales et arbitraires, non justifiés par des nécessités militaires, ont été commis notamment dans les villes et villages suivants aux dates indiquées (ou vers ces dates) :

Rupovo Brdo (municipalité de Vlasenica)

juin 1992

Ratkovici (municipalité de Srebrenica)

juin 1992

Bradjevina (municipalité de Srebrenica)

juin 1992

Ducici (municipalité de Srebrenica)

juin 1992

Gornji Ratkovici (municipalité de Srebrenica)

juin 1992

Jezestica (municipalité de Bratunac)

août 1992

Bozici (municipalité de Bratunac)

août 1992

Fakovici (municipalité de Bratunac)

octobre 1992

Radijevici (municipalité de Bratunac)

octobre 1992

Divovici (municipalité de Bratunac)

octobre 1992

Bjelovac (municipalité de Bratunac)

décembre 1992

Sikirici (municipalité de Bratunac)

décembre 1992

Kravica (municipalité de Bratunac)

janvier 1993

Jezestica (municipalité de Bratunac)

janvier 1993

Siljkovici (municipalité de Bratunac)

janvier 1993

37) De juin 1992 environ à août 1995 environ, Naser ORIC savait ou avait des raisons de savoir que ses subordonnés s’apprêtaient à commettre ces actes de destruction illégale et de pillage ou qu’ils les avaient commis, dans les villages et hameaux susmentionnés aux dates indiquées (ou vers ces dates), et il n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour les en empêcher ou les punir.

Par ces actes et omissions, Naser ORIC s’est rendu coupable de :

Chef 3 : DESTRUCTION SANS MOTIF DE VILLES ET DE VILLAGES QUE NE JUSTIFIENT PAS LES EXIGENCES MILITAIRES, une VIOLATION DES LOIS OU COUTUMES DE LA GUERRE sanctionnée par les articles 3 b) et 7 3) du Statut du Tribunal.

Chef 4 : PILLAGE DE BIENS PUBLICS OU PRIVÉS, une VIOLATION DES LOIS OU COUTUMES DE LA GUERRE sanctionnée par les articles 3 e) et 7 3) du Statut du Tribunal.

38) De plus, Naser ORIC a mis en œuvre une politique de destruction gratuite pour atteindre ses objectifs. De ce fait, il n’a donné aucun ordre ou des ordres insuffisants pour empêcher ces actes de destruction gratuite et de pillage. Il s’est abstenu d’évoquer ce sujet dans les comptes rendus faits à l’issue des opérations. Il a personnellement pris part à l’attaque de Fakovici (le 5 octobre 1992), de Bjelovac (entre les 14 et 19 décembre 1992), de Kravica et de Jezestica (les 7 et 8 janvier 1993). Naser ORIC a continué à ne donner aucun ordre ou des ordres insuffisants pour empêcher les destructions gratuites et les pillages. Ces actes et omissions ont constitué une incitation au crime, et une aide et un encouragement pour les auteurs de ces actes de destruction illégale et sans motif que ne justifient pas les exigences militaires et de ces actes de pillage, lors des attaques de Fakovici (le 5 octobre 1992), de Bjelovac (entre les 14 et 19 décembre 1992) et de Dravica et Jezestica (les 7 et 8 janvier 1993).

Par ces actes et omissions, Naser ORIC s’est rendu coupable de :

Chef 5 : DESTRUCTION SANS MOTIF DE VILLES ET DE VILLAGES QUE NE JUSTIFIENT PAS LES EXIGENCES MILITAIRES, une VIOLATION DES LOIS OU COUTUMES DE LA GUERRE sanctionnée par les articles 3 b) et 7 1) du Statut du Tribunal.

Chef 6 : PILLAGE DE BIENS PUBLICS OU PRIVÉS, une VIOLATION DES LOIS OU COUTUMES DE LA GUERRE sanctionnée par les articles 3 e) et 7 1) du Statut du Tribunal.

Le Procureur du TPIY
___________
Mme Carla Del Ponte

Fait le 16 juillet 2003
La Haye (Pays-Bas)


ANNEXE

FAITS POLITIQUES ET HISTORIQUES SUPPLÉMENTAIRES

1) Les événements exposés dans le présent acte d’accusation sont survenus alors que l’ex-République socialiste fédérative de Yougoslavie (« RSFY ») était en pleine désintégration.

2) La Bosnie-Herzégovine a proclamé son indépendance le 3 mars 1992. La Communauté européenne a reconnu la Bosnie-Herzégovine le 6 avril 1992. La Bosnie-Herzégovine a été admise au nombre des États Membres de l’Organisation des Nations Unies le 22 mai 1992.

3) Alors que la RSFY était en pleine désintégration, un état-major réduit constitué d’anciens officiers de la JNA a commencé à préparer la défense de la Bosnie-Herzégovine. Le 8 avril 1992, la présidence de la Bosnie-Herzégovine a transformé la TO de la RSFY en TO de Bosnie-Herzégovine. Le 15 avril 1992, le nouvel état-major de la TO a ordonné la création du grand quartier général de la TO, lequel a pris le commandement des unités existantes.

4) Le 8 avril 1992, la présidence de la Bosnie-Herzégovine a proclamé l’existence d’une « menace de guerre imminente ».

5) Le 20 mai 1992, la présidence de la Bosnie-Herzégovine a adopté le décret sur les forces armées de Bosnie.

6) Le 20 juin 1992, l’« état de guerre » a été déclaré par la présidence.

7) Le 18 août 1992, le Président de la présidence de Bosnie Herzégovine a rendu sa « Décision relative à la formation des corps de l’ABiH », qui prévoyait la division de la Bosnie-Herzégovine en cinq zones de responsabilité militaires recevant le nom de corps et donnait la liste des municipalités relevant de chaque corps.

8) L’un de ces corps, le 2e corps, avait son quartier général à Tuzla. Les municipalités suivantes étaient répertoriées comme faisant partie de la zone de responsabilité du 2e corps : Banovici, Bijeljina, Bosanski Brod, Bosanski Samac, Bratunac, Brcko, Derventa, Doboj, Gracanica, Gradacac, Kalesija, Kladanj, Lopare, Lukavac, Maglaj, Modrica, Odzak, Orasje, Srebrenica, Srebrenik, Sekovici, Teslic, Tesanj, Tuzla, Ugljevik, Vlasenica, Zvornik et Zivinice.

9) Le 23 août 1992, la présidence de la Bosnie-Herzégovine a pris une ordonnance portant adoption des « règles du droit international de la guerre par les forces armées de la Bosnie-Herzégovine ». Cette ordonnance est entrée en vigueur le 5 septembre 1992. Elle prévoyait ce qui suit :

a) Tous les chefs d’unité et membres des forces armées étaient responsables de la mise en pratique des règles ;
b) Les officiers supérieurs devaient prendre les mesures prévues dans ces règles contre quiconque enfreignait les lois ;
c) Tous les membres des forces armées devaient suivre une formation destinée à les familiariser avec les règles en question ;
d) Les forces armées devaient planifier et préparer les actions militaires dans le respect des règles et des lois.

10) Le 12 septembre 1991, la création de la Région autonome serbe d’Herzégovine a été proclamée. Le 16 septembre 1991, l’Assemblée de l’Association des municipalités de la Krajina bosniaque a proclamé la création de la Région autonome de la Krajina. Dès le 21 novembre 1991, les Régions autonomes serbes (« SAO ») et Régions autonomes comprenaient la Région autonome de la Krajina, la SAO d’Herzégovine, la SAO de Romanija-Birac, la SAO de Semberija et la SAO de Bosnie septentrionale.

11) Lors de la réunion du Conseil du SDS qui s’est tenue le 15 octobre 1991, il a été décidé de créer une assemblée distincte, l’« Assemblée des Serbes de Bosnie-Herzégovine », pour servir les intérêts du peuple serbe.

12) Le 24 octobre 1991, l’Assemblée des Serbes de Bosnie-Herzégovine, dominée par le SDS, a décidé d’organiser un « référendum parmi les Serbes de Bosnie-Herzégovine » pour qu’ils se prononcent sur le maintien ou non au sein de l’État commun de Yougoslavie avec la Serbie, le Monténégro, la Région autonome de la Krajina, la SAO de Slavonie occidentale et la SAO de Slavonie orientale, de la Baranja et du Srem occidental.

13) Les 9 et 10 novembre 1991, les Serbes de Bosnie ont procédé au référendum. Les résultats ont montré qu’une majorité écrasante de Serbes de Bosnie souhaitaient le maintien au sein de la Yougoslavie.

14) Le 11 décembre 1991, l’Assemblée des Serbes a demandé à la JNA de protéger par tous les moyens disponibles, comme « parties intégrantes de l’État de Yougoslavie », les territoires de Bosnie-Herzégovine dans lesquels les Serbes et d’autres citoyens avaient été appelés à se prononcer par référendum sur la question du maintien au sein d’un État yougoslave commun.

15) Le 9 janvier 1992, l’Assemblée des Serbes de Bosnie-Herzégovine a adopté une déclaration proclamant la République serbe de Bosnie-Herzégovine. Le territoire de cette république y a été décrit comme incluant « les territoires des Régions et Districts autonomes serbes et des autres entités ethniquement serbes de Bosnie-Herzégovine, y compris les régions où la population serbe est restée minoritaire à la suite du génocide dont elle a été victime lors de la Deuxième Guerre mondiale », et comme faisant partie de l’État fédéral yougoslave. Le 12 août 1992, la République serbe de Bosnie-Herzégovine a été rebaptisée Republika Srpska.

16) Du 29 février au 2 mars 1992, la Bosnie-Herzégovine a organisé un référendum sur l’indépendance. À l’appel du SDS, la majorité des Serbes de Bosnie a boycotté le scrutin. Une majorité s’est dégagée en faveur de l’indépendance.

17) Le 27 mars 1992, la création de la République serbe de Bosnie-Herzégovine a été officiellement proclamée à Pale.

18) À partir de fin mars 1992, les forces serbes de Bosnie ont commencé à s’emparer des municipalités qui avaient été déclarées comme faisant partie de l’« État serbe ».

19) Le 27 avril 1992, la Serbie et le Monténégro ont proclamé la naissance d’une nouvelle RFY en tant qu’État successeur de la RSFY.

20) Le 12 mai 1992, l’Assemblée des Serbes de Bosnie a voté la création de la VRS, transformant de fait les unités de la JNA qui étaient restées en Bosnie-Herzégovine en unités de la nouvelle armée. La JNA, qui avait été rebaptisée Armée Yougoslave lorsque la RSFY était devenue RFY en avril 1992, a continué à entretenir des liens étroits avec la VRS. Elle a lui fourni un appui tactique, financier et logistique déterminant lors des opérations militaires qu’elle a menées contre la population non serbe de Bosnie-Herzégovine.