Affaire n° : IT-03-70-PT

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Patrick Robinson, Président
M. le Juge O-Gon Kwon
M. le Juge Iain Bonomy

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
14 avril 2005

LE PROCUREUR

c/

VLADIMIR LAZAREVIC

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DÉCISION RELATIVE À LA DEMANDE DE MISE EN LIBERTÉ PROVISOIRE

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Le Bureau du Procureur :

M. Thomas Hannis
Mme Christina Moeller 

Le Conseil de l’Accusé :

M. Mihajlo Bakrac

LA PRÉSENTE CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE (la « Chambre ») du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis  1991 (le « Tribunal international »),

VU la demande de mise en liberté provisoire (Defence Request for Provisional Release) (la « Demande »), déposée le 22 mars 2005 par la Défense de Vladimir Lazarevic (l’« Accusé »), dans laquelle la celle-ci soutient que l’Accusé remplit les conditions posées par l’article 65 B) du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal international (le « Règlement »), et que les circonstances de l’espèce justifient son élargissement,

ATTENDU que l’article 65 B) du Règlement dispose que :

La mise en liberté provisoire ne peut être ordonnée par la Chambre de première instance qu’après avoir donné au pays hôte, et au pays où l’accusé demande à être libéré la possibilité d’être entendus, et pour autant qu’elle ait la certitude que l’accusé comparaîtra et, s’il est libéré, ne mettra pas en danger une victime, un témoin ou toute autre personne.

ATTENDU, par conséquent, qu’avant de faire droit à une demande de mise en liberté provisoire, la Chambre doit être convaincue que ladite demande remplit deux conditions : 1) que l’Accusé comparaîtra ; et 2) que, s’il est libéré, il ne mettra pas en danger une victime, un témoin ou toute autre personne,1

ATTENDU que le Greffe a adressé une copie certifiée conforme de la Demande aux autorités compétentes des Pays-Bas, invitant celles-ci à présenter les observations du pays hôte à ce sujet, que le Greffe n’a reçu aucune réponse depuis le dépôt de la Demande il y a trois semaines, et que la condition posée par l’article 65 B) du Règlement, à savoir que le pays hôte doit avoir la possibilité d’être entendu, est bien remplie,

ATTENDU que les garanties fournies par le Conseil des ministres de la Serbie -et-Monténégro et les autorités de la République de Serbie2 font clairement apparaître leur point de vue sur les questions soulevées dans la Demande et, dès lors, indiquent que « le pays où l’accusé demande à être libéré  » a eu la possibilité d’être entendu,

VU la réponse de l’Accusation à la Demande (Prosecution’s Response to Defence Request for Provisional Release), déposée le 29 mars 2005 (la « Réponse  »), dans laquelle l’Accusation indique qu’elle ne s’oppose pas à la Demande, « compte tenu de […] la situation particulière de l’Accusé », et analyse les faits de l’espèce que la Chambre examine en détail dans la suite3,

ATTENDU qu’en règle générale, l’Accusation communique à la Chambre de première instance tout élément tendant à indiquer que la mise en liberté provisoire n’est pas souhaitable, et que l’Accusation n’en a relevé aucun concernant l’Accusé,

ATTENDU qu’une Chambre de première instance doit indiquer tous les éléments dont elle a tenu compte pour prendre sa décision et, en particulier, les circonstances de l’affaire dont elle est saisie4,

ATTENDU que la Chambre a précédemment considéré les éléments suivants comme des éléments à prendre en compte en cas de demande de mise en liberté provisoire5 :

a) la gravité des crimes reprochés à l’Accusé ;

b) la longueur de la peine d’emprisonnement encourue ;

c) les circonstances de sa reddition ;

d) le degré de coopération des autorités du pays où l’Accusé demande à être libéré  ;

e) les garanties fournies par ces autorités et, le cas échéant, par l’Accusé lui -même ; en particulier, le poids accordé aux garanties gouvernementales doit être apprécié à la lumière des fonctions exercées par l’Accusé avant sa reddition au Tribunal ;

f) dans le cas d’une infraction aux conditions de l’élargissement, la probabilité que les autorités compétentes arrêteront de nouveau l’Accusé s’il refuse de se livrer  ;

g) le degré de coopération avec l’Accusation ;

h) tout élément laissant supposer que l’Accusé a entravé le cours de la justice depuis que l’acte d’accusation établi à son encontre a été confirmé ;

ATTENDU que c’est à l’Accusé de rapporter la preuve, sur la base de l’hypothèse la plus probable, que les deux conditions posées pour une mise en liberté provisoire sont réunies6,

ATTENDU que, malgré les crimes graves reprochés à l’Accusé et la longue peine d’emprisonnement qu’il encourt, la Chambre a déjà souligné que « la gravité des accusations ne suffit pas à elle seule à justifier de longues périodes de détention préventive »7, point de vue qui a reçu l’aval de la Chambre d’appel8,

ATTENDU que l’Accusé s’est livré le 3 février 2005, six jours après que l’acte d’accusation lui eut été officiellement signifié au tribunal de district de Belgrade, conformément à la loi sur la coopération entre le Tribunal international et la Serbie-et-Monténégro9,

ATTENDU que les autorités de la Serbie-et-Monténégro et de la République de Serbie coopèrent depuis quelques mois plus étroitement avec le Tribunal international,

ATTENDU que lesdites autorités se sont engagées à respecter toute ordonnance rendue par la Chambre de façon à garantir que l’Accusé se représentera et, en particulier, qu’elles reconnaissent l’obligation qui leur est faite d’arrêter l’Accusé si celui -ci venait à violer toute condition mise à son élargissement10,

ATTENDU que l’Accusé a coopéré avec l’Accusation en se soumettant à un interrogatoire approfondi de plusieurs jours et en présentant de nouveaux documents, ce dont il est fait en particulier état dans la Réponse11,

ATTENDU que rien n’indique que l’Accusé ait entravé le cours de la justice depuis la confirmation de l’acte d’accusation établi à son encontre, notamment en essayant d’influencer ou d’intimider des victimes ou des témoins potentiels, et que rien ne permet de penser qu’il mettra en danger d’autres personnes s’il est libéré,

ATTENDU qu’une des conditions ordinaires de la mise en liberté provisoire, que les autorités compétentes se sont engagées à faire respecter par leurs garanties, interdit à l’Accusé d’entrer en contact avec toute victime ou témoin potentiel, d’exercer toute pression sur eux ou d’entraver le cours de la procédure et de la justice,

ATTENDU que l’Accusé a convaincu la Chambre que, s’il est libéré, il comparaîtra au procès et ne mettra nulle personne en danger,

ATTENDU que l’article 65 C) du Règlement dispose que « [l]a Chambre de première instance peut subordonner la mise en liberté provisoire de l’accusé aux conditions qu’elle juge appropriées, y compris la mise en place d’un cautionnement et, le cas échéant, l’observation de conditions nécessaires pour garantir la présence de l’accusé au procès et la protection d’autrui »,

EN APPLICATION de l’article 65 du Règlement,

FAIT DROIT à la Demande, et

1) ORDONNE ce qui suit :

a) l’Accusé sera transporté à l’aéroport de Schiphol (Pays-Bas) par les autorités néerlandaises,

b) à l’aéroport de Schiphol, l’Accusé sera provisoirement libéré et remis à la garde d’un représentant de l’État de Serbie-et-Monténégro qui aura été préalablement nommé à cet effet, conformément au paragraphe 2) a) du présent dispositif, et qui accompagnera l’Accusé durant le reste de son trajet vers la Serbie-et-Monténégro et jusqu’à son domicile,

c) au retour, l’Accusé sera accompagné par le même représentant de l’État de Serbie -et-Monténégro, qui remettra l’Accusé à la garde des autorités néerlandaises à l’aéroport de Schiphol à une date et une heure que la Chambre de première instance fixera par une ordonnance, et les autorités néerlandaises assureront son transport jusqu’au Quartier pénitentiaire des Nations Unies à La Haye,

d) durant sa liberté provisoire, l’Accusé observera les conditions suivantes, que les autorités de l’État de Serbie-et-Monténégro et de la République de Serbie, y compris la police locale, veilleront à faire respecter :

i) il communiquera l’adresse de son domicile à Belgrade au Ministère de la justice et au Greffier du Tribunal international avant de quitter le Quartier pénitentiaire des Nations Unies à La Haye ;

ii) il restera sur le territoire de la municipalité de Belgrade ;

iii) il remettra son passeport au Ministère de la justice ;

iv) il se présentera tous les jours au bureau de la police de Belgrade désigné par le Ministère de la justice ;

v) il consentira à ce que le Ministère de la justice vérifie sa présence auprès de la police locale et acceptera des visites domiciliaires effectuées à l’improviste par le Ministère de la justice ou une personne désignée par le Greffier du Tribunal international ;

vi) il n’aura aucun contact avec son coaccusé en l’espèce ;

vii) il n’aura aucun contact avec des victimes ou des témoins potentiels, n’exercera aucune pression sur eux et ne tentera en rien d’entraver le cours de la procédure et de la justice ;

viii) il ne parlera de son procès avec personne d’autre (médias compris) que son conseil ;

ix) il continuera à coopérer avec le Tribunal international ;

x) il respectera strictement les conditions posées, le cas échéant, par les autorités de Serbie-et-Monténégro et de la République de Serbie afin de leur permettre de s’acquitter des obligations qui découlent pour elles de la présente ordonnance et des garanties présentées ;

xi) il reviendra au Tribunal international aux date et heure fixées par une ordonnance de la Chambre de première instance ; et

xii) il se conformera strictement à toute nouvelle ordonnance rendue par la Chambre de première instance modifiant les conditions de la mise en liberté provisoire ou mettant un terme à celle-ci ;

2) DEMANDE que les autorités de la Serbie-et-Monténégro et de la République de Serbie s’engagent à :

a) désigner un représentant des autorités de la Serbie-et-Monténégro sous la garde duquel l’Accusé sera provisoirement libéré et qui accompagnera celui-ci de l’aéroport de Schiphol et jusqu’à son domicile en Serbie-et-Monténégro, et informer dès que possible la Chambre de première instance et le Greffier du Tribunal international du nom dudit représentant ;

b) assurer la sécurité personnelle de l’Accusé qui il sera en liberté ;

c) prendre à leur charge tous les frais de déplacement de l’Accusé de l’aéroport de Schiphol à Belgrade et retour ;

d) prendre à leur charge tous les frais de logement ainsi que les dépenses engagées pour assurer la sécurité de l’Accusé quand il sera en liberté ;

e) faciliter, à la demande de la Chambre de première instance ou des parties, la coopération et la communication entre les parties et veiller à ce que lesdites communications demeurent confidentielles ;

f) présenter tous les mois un rapport écrit à la Chambre de première instance sur le respect par l’Accusé des conditions énoncées par la présente Ordonnance ;

g) arrêter et détenir l’Accusé immédiatement s’il contrevient à l’une des conditions énoncées par la présente Ordonnance ;

h) signaler immédiatement à la Chambre de première instance toute infraction à l’une des conditions susmentionnées ;

3) DONNE INSTRUCTION au Greffier du Tribunal international de consulter le Ministère de la justice des Pays-Bas quant aux modalités pratiques de la mise en liberté de l’Accusé et de maintenir celui-ci en détention au Quartier pénitentiaire des Nations Unies à La Haye jusqu’à ce que la Chambre de première instance et le Greffier aient été informés du nom du représentant désigné par les autorités de Serbie-et-Monténégro sous la garde duquel l’Accusé doit être libéré à titre provisoire,

4) DEMANDE aux autorités de tous les États que traversera l’Accusé :

a) d’assurer la garde de l’Accusé pendant toute la durée de son transit à l’aéroport  ;

b) de l’arrêter et de le placer en détention dans l’attente de son transfert au Quartier pénitentiaire de La Haye au cas où il tenterait de prendre la fuite.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 14 avril 2005
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre de première instance
_______________
Patrick Robinson

[Sceau du Tribunal]


1 - Voir Le Procureur c/ Sainovic et Ojdanic, affaire n° IT-99-37-PT, Décision relative aux requêtes déposées par Nikola Sainovic et Dragoljub Ojdanic aux fins de mise en liberté provisoire, 26 juin 2002 (la « Décision Sainovic »), par. 11, citant Le Procureur c/ Blagojevic et consorts, affaire n° IT-02-53-AR65, Décision relative à la demande d’autorisation de faire appel de Dragan Jokic, 1[8] avril 2002, par. 7.
2 - Voir Le Procureur c/ Pavkovic, Lazarevic, Djordevic et Lukic, affaire n° IT-03-70-PT, correspondance de l’ambassade de Serbie-et-Monténégro, 7 avril 2005, p. 1 à 3 (accompagnant les garanties fournies par le Conseil des ministres de la Serbie-et-Monténégro en application de sa décision du 16 février 2005) (les « garanties de la Serbie-et-Monténégro ») ; ibid., p. 4 (accompagnant les garanties fournies par le Conseil des ministres de la République de Serbie en application de sa décision du 3 février 2005) (les « garanties de la République de Serbie »).
3 - Voir p. 3 infra.
4 - Le Procureur c/ Stanisic, affaire n° IT-03-69-PT, Décision relative à la mise en liberté provisoire, 28 juillet 2004 (la « Décision Stanisic »), par. 10.
5 - Voir, en général, Décision Stanisic, note 4 supra, par. 8 à 14 (citant Le Procureur c/ Sainovic et Ojdanic, affaire n° IT-99-37-AR65, Décision relative à la mise en liberté provisoire, 30 octobre 2002, par. 6 ; Le Procureur c/ Simatovic, affaire n° IT-03-69-PT, Décision relative à la mise en liberté provisoire, 28 juillet 2004 (la « Décision Simatovic »), par. 7 à 13 (idem).
6 - Voir Décision Stanisic, note 4 supra, par. 14 et note 15.
7 - Décision Stanisic, note 4 supra, par. 22 (guillemets et citation non reproduits) ; voir aussi Décision Simatovic, note 5 supra, par. 21.
8 - Le Procureur c/ Stanisic, affaire n° IT-03-69-AR65.1, Décision relative à l’appel interjeté par l’Accusation contre la décision d’accorder la mise en liberté provisoire, 3 décembre 2004 (la « Décision Stanisic en appel »), par. 27 ; Le Procureur c/ Stanisic, affaire n° IT-03-69-AR65.2, Décision relative à l’appel interjeté par l’Accusation contre la décision d’accorder la mise en liberté provisoire, 3 décembre 2004 (la « Décision Simatovic en appel »), par. 15.
9 - Bien que l’acte d’accusation établi contre les quatre coaccusés en l’espèce ait été confirmé en octobre 2003, l’Accusation fait observer dans sa Réponse qu’au moins une partie du laps de temps écoulé entre la confirmation de l’acte d’accusation et la reddition volontaire de l’Accusé était manifestement due à une notification tardive de la part des autorités serbes et au fait que l’Accusé a été hospitalisé à maintes reprises en 2004. Voir Réponse, par. 5.
10 - Voir garanties de la Serbie-et-Monténégro, note 2 supra, p. 2 ; garanties de la République de Serbie, note 2 supra, p. 1.
11 - Voir Réponse, par. 3.