Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 (Lundi 16 décembre 2002.)

2 (Audience de sentence.)

3 (L'audience est ouverte à 9 heures 34.)

4 (Audience publique.)

5 M. le Président (interprétation): Je demanderai à Mme la Greffière

6 d'annoncer le numéro de l'affaire.

7 Mme Anoya (interprétation): Bonjour, Monsieur le Président.

8 Il s'agit de l'Affaire IT-00-39&40-S, le Procureur contre Biljana Plavsic.

9 M. le Président (interprétation): Je demande aux parties de se présenter.

10 Mme Del Ponte (interprétation): Monsieur le Président, Messieurs les

11 Juges, je comparais ici en ma qualité de Procureure générale du Tribunal,

12 avec mes collègues M. Mark Harmon et M. Tieger, qui présenteront un

13 certain nombre de détails au sujet de la présente Affaire, ainsi que Mme

14 Carmela Annink-Javier qui est notre assistante.

15 Merci.

16 M. Pavich (interprétation): Bonjour, Monsieur le Président. Je m'appelle

17 Robert Pavich, je suis accompagné de Me O'Sullivan et nous défendons tous

18 les deux Mme Biljana Plavsic.

19 M. le Président (interprétation): Madame le Procureur, avant de commencer,

20 je tiens à vous dire que nous avons reçu une requête commune demandant une

21 ordonnance en application de l'Article 70, et ce eu égard à un témoin.

22 Nous nous trouvons dans des circonstances exceptionnelles et, compte tenu

23 du fait que cette requête est présentée en commun par les deux parties,

24 nous avons l'intention d'y faire droit. Ce faisant, nous tenons à dire

25 très clairement que ceci ne crée aucun précédent, car, comme je viens de

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1 le dire, les circonstances de la présente audience et de la présente

2 affaire sont exceptionnelles.

3 Vous avez la parole, Madame la Procureure.

4 Mme Del Ponte (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

5 Avant de vous présenter mes remarques liminaires, j'aimerais en quelques

6 instants traiter d'emblée un point de procédure.

7 Nous sommes ici aujourd'hui en audience publique, mais le document clé

8 dont il sera question, à savoir les bases fondamentales relatives au

9 plaidoyer de culpabilité, a été déposé sous scellés par les parties le 30

10 septembre. Cela faciliterait l'audience d'aujourd'hui, car je crois savoir

11 que l'audience doit être diffusée en direct en Yougoslavie. Donc il serait

12 plus facile si le document en question devenait public aujourd'hui.

13 Je demande donc à la Chambre d'ordonner une modification du Statut de ce

14 Règlement de façon à ce qu'il soit permis d'y faire référence sans le

15 moindre obstacle. Je demande donc la levée des scellés sur ce document

16 immédiatement, mais les autres documents devraient rester confidentiels

17 jusqu'à la fin de l'audience.

18 M. le Président (interprétation): Le document en question est rendu public

19 par levée des scellés.

20 (Déclarations liminaires de l'accusation, par la Procureure Mme Del Ponte.)

21 Mme Del Ponte (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

22 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, des audiences de prononcé de

23 peine sont par nature des audiences publiques qui ont un rôle central dans

24 l'application de la justice.

25 Il est important que les membres de la société puissent connaître la

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1 nature des crimes commis ainsi que la responsabilité individuelle qui est

2 engagée s'agissant de la commission de ces crimes.

3 Le processus que cela implique est souvent douloureux, mais je le crois

4 nécessaire. Je considère que l'audience d'aujourd'hui est d'une importance

5 rare pour mettre en lumière ce qui s'est passé durant le conflit en

6 Bosnie-Herzégovine.

7 C'est la première fois dans ce Tribunal qu'une personnalité très

8 importante de l'ex-Yougoslavie, mise en accusation en raison de son rôle

9 au plus haut de la hiérarchie, a admis sa responsabilité vis-à-vis des

10 crimes horribles commis pendant le conflit de Bosnie-Herzégovine.

11 Madame Plavsic a plaidé coupable par rapport au Chef n°3 de l'Acte

12 d'accusation, qui est une charge globale recouvrant des crimes contre

13 l'humanité, à savoir la persécution et le nettoyage ethnique, crimes qui

14 ont provoqué des souffrances sans nom pour plusieurs milliers de victimes

15 innocentes. Nombre de survivants porteront les cicatrices de leurs

16 souffrances pendant le reste de leurs jours. Je tiens à souligner que,

17 dans la nature même d'un plaidoyer de culpabilité, il n'y a rien qui

18 modifie, qui amoindrisse la gravité du crime en tant que tel. Ces crimes

19 sont de la plus haute gravité et sont détaillés dans les annexes

20 pertinentes à l'Acte d'accusation.

21 Dans la présentation que je fais ici ce matin, la gravité des crimes

22 devraient être l'aspect pris en compte en priorité par la Chambre

23 lorsqu'elle présentera sa sentence.

24 Tout dirigeant a pour devoir de défendre tous les citoyens de son pays, et

25 les crimes commis contre des personnes méritant la protection sont

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1 d'autant plus graves.

2 Toutefois, le fait que Mme Plavsic admet, devant la présente Chambre de

3 première instance, l'horreur des crimes commis en Bosnie-Herzégovine est

4 d'une énorme importance, ainsi que le fait qu'elle reconnaît sa

5 responsabilité pénale individuelle vis-à-vis de ses crimes.

6 Sa position est tout à fait différente de celle d'autres dirigeants de

7 l'époque qui continuent aujourd'hui à nier les crimes commis ou qui

8 tentent de se maintenir hors de portée de la justice internationale.

9 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, nous ne devons jamais oublier

10 que ce Tribunal a, en dernière analyse, été créé pour servir d'instrument

11 de restauration de la paix. La réconciliation dans les Balkans ne sera pas

12 obtenue tant que les faits continueront à être niés.

13 Le plaidoyer de culpabilité de Mme Plavsic s'appuie sur l'admission de

14 deux vérités impossibles à nier: premièrement, que des crimes de masse

15 décrits au Chef n°3 de l'Acte d'accusation ont effectivement eu lieu, tels

16 que décrits dans l'Acte d'accusation; deuxièmement, en jouant le rôle

17 qu'elle a joué à l'époque, elle est responsable pénalement.

18 Tant que ces vérités ne seront pas affrontées honnêtement, comme cela

19 peut-être le cas dans la présente procédure avec à l'appui bien sûr la

20 jurisprudence du Tribunal international, il n'y aura certainement aucun

21 espoir d'une véritable réconciliation dans la société de l'ex-Yougoslavie.

22 Je ne propose pas que le plaidoyer de culpabilité de Mme Plavsic soit

23 synonyme de pardon immédiat de la part des victimes ou d'ailleurs de la

24 part de la Chambre de première instance; ces crimes sont trop graves pour

25 ce faire.

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1 Dans son plaidoyer de culpabilité et certainement dans les échanges

2 qu'elle a eus avec mon Bureau, l'accusée n'a pas cherché à obtenir un

3 avantage personnel quelconque ou à se soustraire à la responsabilité qui

4 est la sienne s'agissant des actes commis par elle. Mais le fait qu'elle

5 ait plaidé coupable doit être une étape importante vers la réconciliation

6 en Bosnie-Herzégovine; elle doit aider à briser le révisionniste et la

7 négation des faits et j'espère qu'elle contraindra d'autres personnes à

8 affronter la réalité de ce qui s'est passé au cours du conflit.

9 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, la Chambre entendra de

10 nombreux aspects de ce plaidoyer de la bouche de témoins importants cités

11 à la barre pour témoigner au cours des deux jours à venir.

12 Elle entendra également davantage de détails au sujet de crimes eux-mêmes

13 ainsi que du rôle joué par Mme Plavsic dans la commission des ces crimes.

14 Par conséquent, je vais demander à M. Harmon de vous détailler de façon

15 plus approfondie et plus précise la façon dont la procédure se déroulera.

16 Je vous remercie de votre attention.

17 (Déclarations liminaires de l'accusation, par M. Harmon.)

18 M. Harmon (interprétation): Merci, Madame la Procureure.

19 Bonjour, Monsieur le Président. Bonjour, Messieurs les Juges. Et bonjour

20 également à mes collègues de la défense.

21 Mes remarques liminaires ont pour objet de vous présenter des éléments de

22 preuve oraux ou écrits que le Procureur et la défense soumettront durant

23 la présente audience et qui ont pour but de vous présenter les témoins qui

24 témoigneront et la nature de leur témoignage.

25 Les deux parties présentes à cette audience se sont efforcées, en toute

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1 conscience, de définir les questions critiques et les éléments de preuve

2 les plus importants susceptibles d'aider les Juges à déterminer quelle est

3 la sentence la plus juste à appliquer à Mme Plavsic pour sa responsabilité

4 pénale admise devant le Tribunal pour crimes contre l'humanité. Au cours

5 des deux jours à venir, nous présenterons donc ces éléments de preuve à la

6 Chambre.

7 S'agissant du cadre juridique dans lequel se déroule la présente audience

8 de prononcé de sentence, et s'agissant de vos délibérations, les parties

9 se sont penchées sur le Statut du Tribunal, le Règlement de procédure et

10 de preuve ainsi que la jurisprudence de ce Tribunal. Nous sommes convenus

11 de prendre en compte les facteurs qui sont pertinents et qui valent la

12 peine de vous être soumis et nous les avons pris en compte globalement

13 dans nos mémoires relatifs au prononcé de la sentence déposé devant la

14 Chambre de première instance le 25 novembre 2002.

15 Ces facteurs sont les suivants.

16 Premièrement, gravité de l'infraction.

17 Deuxièmement, circonstances personnelles dans lesquelles se trouvait la

18 personne condamnée.

19 Troisièmement, toutes circonstances aggravantes ou atténuantes.

20 Et, quatrièmement, la pratique générale appliquée par les Tribunaux de

21 l'ex-Yougoslavie en matière de peine de prison.

22 Durant les deux jours à venir, le Procureur et la défense présenteront des

23 éléments de preuve qui porteront sur les trois premiers facteurs que je

24 viens de citer. Quant au quatrième facteur, à savoir la pratique

25 généralement appliquée par les Tribunaux de l'ex-Yougoslavie en matière de

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1 peine de prison, il ne sera pas traité par le Procureur au cours de la

2 partie présentation d'éléments de preuve de cette audience, car il est

3 traité de façon très détaillée dans le mémoire écrit du Procureur aux

4 paragraphes 35 à 39.

5 Les éléments de preuve qui vous seront soumis au cours des deux jours à

6 venir seront présentés oralement et par écrit, et divisés de façon

7 générale en trois catégories distinctes.

8 Premièrement, l'audience commencera avec des témoins de l'accusation et

9 des éléments de preuve centrés sur la gravité de l'infraction pour

10 laquelle Mme Plavsic a plaidé coupable, en rapport avec l'Article 24-2) du

11 Statut.

12 Selon la jurisprudence de ce Tribunal, c'est le facteur le plus important

13 qu'il convient que les Juges prennent en compte pour prononcer la

14 sentence, confère Delalic, Kupreskic et Aleksovski,

15 L'importance des crimes pour lesquels Mme Plavsic a plaidé coupable est

16 tout simplement immense. Le Chef 3 de l'Acte d'accusation qui fait l'objet

17 du plaidoyer de culpabilité de Mme Plavsic ainsi que les quatre annexes à

18 cet Acte d'accusation, décrivent une campagne de persécution menée dans 37

19 municipalités de Bosnie-Herzégovine entre juillet 1991 et décembre 1992.

20 Les victimes de cette campagne discriminatoire étaient principalement des

21 Musulmans, des Croates de Bosnie, mais également des victimes qui ont été

22 prises dans cette odieuse toile d'araignée. J'ai parlé, par exemple, de

23 Serbes de Bosnie qui se sont opposés à la politique de Mme Plavsic et sont

24 restés à Sarajevo pendant toute la durée du terrible siège de cette ville.

25 La campagne de persécution visant les non-Serbes se présente sous la forme

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1 d'assassinats de masse, d'arrestations massives, de destruction de maisons

2 appartenant à des non-Serbes, de destruction de commerces et d'entreprises

3 appartenant à des non-Serbes, de destruction de lieux de culte et

4 d'expulsion sous la contrainte de populations entières de non-Serbes à

5 partir des zones prétendument contrôlées par les Serbes de Bosnie.

6 Nous reconnaissons d'emblée que le caractère très global des éléments de

7 preuve qui seront soumis aux Juges de cette Chambre ne peut pas décrire

8 dans le détail l'immensité des souffrances collectives et individuelles

9 qui ont été le résultat de cette campagne de persécution ni démontrer

10 entièrement les conséquences corrosives que cette campagne a eues en

11 1991/1992 et continue à avoir aujourd'hui sur le tissu social de Bosnie-

12 Herzégovine.

13 L'audience, en effet, est trop courte pour cela. A fortiori, nos exposés

14 ne seront que l'arbre qui cache la forêt s'agissant de décrire les

15 souffrances humaines en cause, et ne pourront pas illustrer dans le détail

16 les conséquences passées et présentes de cette campagne de persécution.

17 Nous proposons que la voix des victimes soit entendue par le biais des

18 témoins de l'accusation et d'un témoin conjoint.

19 Le premier de ces témoins est Mirsad Tokaca. Il est représentant de la

20 commission mise en place par l'Etat de Bosnie en 1992 aux fins de

21 recueillir des éléments de preuve au sujet des crimes de guerre commis en

22 Bosnie-Herzégovine. Son témoignage traitera de l'importance des crimes

23 commis en Bosnie-Herzégovine et de l'incidence que ces crimes ont eu sur

24 les victimes. Cet homme parlera également de l'échec de la tentative de

25 parler ouvertement de ces crimes qui est également un frein à la

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1 réconciliation.

2 Le deuxième témoin est Adil Draganovic, représentant de l'Alliance

3 nationale bosniaque des anciens détenus dans les camps. Son témoignage,

4 qui est représentatif de milliers de détenus enfermés dans les camps,

5 traitera de la situation dans ces camps, des conditions de détention, des

6 installations dans lesquelles les détenus vivaient et de l'incidence de

7 cette détention sur la vie des détenus. Cet homme parlera également de son

8 expérience personnelle. Il le dira à la Chambre de première instance,

9 s'agissant de son séjour dans les camps de Sanski Most et de Manjaca.

10 Le troisième témoin est Mme Teufika Ibrahimefendic. Madame Ibrahimefendic

11 est une professionnelle de la santé, coordinatrice des cliniques de Viva

12 Zene, ONG créée en 1994 avec financement de la Communauté européenne. Viva

13 Zene apporte un soutien psychosocial aux victimes de la guerre, et

14 notamment aux femmes et aux enfants. Le témoignage de cette femme

15 permettra à la Chambre de première instance d'entendre le point de vue

16 d'une praticienne clinique quant aux effets traumatisants de la guerre sur

17 toute une partie de la communauté des victimes de Bosnie-Herzégovine;

18 effets qui se font sentir encore aujourd'hui.

19 Nous ajouterons au témoignage de ces trois témoins des documents écrits

20 qui se divisent en deux catégories. D'abord, des témoignages

21 représentatifs de victimes non-serbes entendues dans d'autres affaires par

22 ce Tribunal. Nous entendrons donc un certain nombre de témoins qui ont

23 déjà déposé dans les affaires Tadic, Jelisic, Krnojelac, Stakic, Kvocka,

24 Brdjanin & Talic, et Vasiljevic.

25 Nous soumettrons également aux Juges de cette Chambre des rapports

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1 provenant d'experts en démographie, tels que Ewa Tabeau et Marcin

2 Zoltkowski, qui illustrent la réduction importance de la population de

3 non-Serbes dans les 37 municipalités sur lesquelles les Serbes de Bosnie

4 prétendaient installer leur contrôle.

5 Cette partie de l'audience consacrée à la présentation des éléments de

6 preuve se conclura avec l'audition du témoignage du professeur Elie

7 Wiesel, écrivain, moraliste, lauréat du Prix Nobel de la paix, qui parlera

8 au nom des victimes, au nom du besoin de l'humanité et des victimes de

9 justice qui doit être rendue dans la présente affaire.

10 La deuxième partie des éléments de preuve présentés seront les éléments de

11 preuve présentés par la défense; ils seront en rapport avec les

12 circonstances atténuantes. Ces circonstances n'enlèvent rien à la gravité

13 du crime, mais peuvent permettre d'atténuer la peine qui sera prononcée

14 par la Chambre. En fait, le Procureur a défini au paragraphe 22 du mémoire

15 du Procureur, au sujet de la peine à prononcer contre Biljana Plavsic, un

16 certain nombre de circonstances atténuantes dont nous estimons qu'elles

17 méritent la considération des Juges. Au nombre de ces facteurs, on trouve

18 le fait que Mme Plavsic ait plaidé coupable, le fait qu'elle ait admis sa

19 responsabilité, qu'elle ait exprimé du remords, qu'elle se soit rendue

20 volontairement au Tribunal; l'âge de Mme Plavsic est également à prendre

21 en compte, ainsi que son comportement après le conflit et le caractère

22 positif de sa personnalité avant le conflit.

23 Les témoins de la défense qui seront entendus au nom de Mme Plavsic seront

24 les suivants: Milorad Dodik, Président du Parti des Social-démocrates

25 indépendants de la Republika Srpska; Son Excellence l'ambassadeur Carl

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1 Bildt, premier représentant permanent des Nations Unies et ancien chef de

2 la Mission en Bosnie-Herzégovine.

3 Enfin, dans la dernière partie des éléments de preuve présentés à la

4 Chambre, nous entendrons des témoins qui sont communs à l'accusation et à

5 la défense; leur témoignage se concentrera sur le plaidoyer de culpabilité

6 de Mme Plavsic et permettra de voir de quelle façon elle a participé à

7 l'établissement de la vérité, s'agissant de décrire les événements cités

8 dans l'Acte d'accusation. Ils permettront également de voir de quelle

9 façon ce plaidoyer peut contribuer à la réconciliation en Bosnie-

10 Herzégovine.

11 Les parties à la présente affaire partagent le point de vue que c'est

12 seulement par l'établissement de la vérité au sujet des événements

13 survenus en Bosnie-Herzégovine que le processus vital et néanmoins fragile

14 de la réconciliation pourra commencer. Par ailleurs, nous sommes d'accord

15 que c'est seulement par l'établissement de la vérité que les liens

16 malsains du révisionnisme, qui affaiblissent actuellement l'ex-Yougoslavie

17 en suscitant la suspicion, la haine ethnique et les troubles civiques,

18 pourront être défaits.

19 Les témoins qui déposeront dans cette partie de l'audience sont Mme

20 l'Ambassadeur Madeleine Albright, ancienne représentante des Nations Unies

21 de 1993 à 1997, ancien secrétaire d'Etat américain de 1997 à 2001; elle

22 sera entendue par les deux parties. Le deuxième témoin entendu dans cette

23 partie de l'audience sera le Dr Alex Boraine, ex-député d'Afrique du Sud,

24 vice-président de la Commission pour la vérité et la réconciliation en

25 Afrique du Sud.

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1 Enfin, nous entendrons une déclaration de Mme Plavsic qui conclura la

2 présente audience.

3 Mercredi après-midi, les parties présenteront leurs arguments finaux et

4 c'est M. Alan Tieger, mon collègue, qui parlera au nom du Bureau du

5 Procureur.

6 Les deux parties espèrent clore que, lors de cette audience historique,

7 les éléments de preuve soumis à la Chambre au cours des deux jours qui

8 viennent permettront d'aider les Juges dans leurs délibérations et leur

9 permettront de prononcer la sentence la plus appropriée qui soit.

10 Je vous remercie de votre attention.

11 M. le Président (interprétation): Monsieur Harmon, il y a un point dont

12 j'aimerais parler avec vous, qui ne semble pas être traité dans vos

13 mémoires écrits, si je ne me trompe pas: il s'agit du problème de la

14 coopération avec le Procureur. C'est l'un des facteurs dont nous parlons

15 parfois et je ne vois aucune référence à ce facteur dans vos écritures.

16 Peut-être pourriez-vous nous en dire quelques mots à un moment ou à un

17 autre, ainsi que la défense, si vous souhaitez le faire?

18 M. Mark Harmon (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

19 M. le Président (interprétation): Bien. Nous allons maintenant entendre

20 les témoins.

21 (Déclarations liminaires de la défense, par Me O'Sullivan.)

22 M. O'Sullivan (interprétation): J'aimerais tout de même prononcer une

23 brève allocution liminaire, Monsieur le Président.

24 Monsieur le Président, nous pensons que décrire ce qui va se passer dans

25 ce prétoire dans les deux ou trois jours à venir, il n'est pas exagéré de

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1 le définir comme l'audience de prononcé de sentence la plus importante qui

2 ait jamais été organisée par ce Tribunal.

3 Une dirigeante politique accusée de violation grave du Droit international

4 et notamment de crimes contre l'humanité, s'est volontairement rendue au

5 Tribunal international. Par conséquent et par la suite, elle a également

6 reconnu que les forces dirigées par un certain nombre de personnes,

7 notamment par elle, ont mené une campagne de persécution organisée,

8 systématique et de grande ampleur. Elle a admis sa culpabilité et accepté

9 sa responsabilité juridique pour le rôle joué par elle dans cette campagne

10 de persécution.

11 Cet aveu est décrit de façon détaillée dans le document intitulé "Bases

12 factuelles", qui accompagne son plaidoyer de culpabilité et qui vient

13 d'être rendu public il y a quelques instants. Nous pensons que ce document

14 supportera l'examen très approfondi dont il va certainement faire l'objet.

15 La Chambre de première instance devra donc, d'une part, tenir compte de

16 l'aveu de Mme Plavsic et de son admission de responsabilité et de

17 culpabilité, et elle devra également apprécier les actions extraordinaires

18 de Biljana Plavsic à la direction dont elle faisait partie, ainsi que le

19 grand courage dont elle a fait preuve après la guerre: le fait qu'elle ait

20 admis sa responsabilité devant le Tribunal et les effets qu'aura la

21 présente audience dans laquelle elle voit une possibilité d'avancer dans

22 la direction de la réconciliation. Ses actes d'atténuation des tensions ne

23 font que prolonger la mission du Tribunal qui a été créé, lui-même, pour

24 restaurer la paix et la sécurité dans la région, en établissant les

25 responsabilités des uns et des autres et en étant un facteur de promotion

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1 de la réconciliation.

2 Les diplomates internationaux au plus haut niveau viendront témoigner que

3 Mme Biljana Plavsic a été utile, sinon indispensable, à la mise en oeuvre

4 des Accords de Paix de Dayton pendant les mois les plus importants et les

5 années les plus importantes qui ont immédiatement suivi la signature de

6 cet Accord.

7 En tant que Président de la Republika Srpska et en courant des risques

8 personnels et politiques importants, Mme Plavsic s'est opposée à la

9 corruption politique et aux structures gouvernementales de l'époque. Elle

10 a exposé et combattu le crime organisé et pris des mesures importantes

11 pour rétablir l'Etat de droit après la guerre.

12 Outre ce travail de mise en oeuvre des Accords de Dayton, la Chambre devra

13 également se pencher sur les effets positifs de son plaidoyer de

14 culpabilité, qui est le seul plaidoyer de culpabilité venant d'un

15 dirigeant politique ayant accepté sa responsabilité eu égard aux méfaits

16 commis pendant la guerre. Ceci est considéré comme tellement important

17 qu'un certain nombre de dirigeants politiques et moraux, respectés dans le

18 monde entier, et notamment des lauréats du Prix Nobel de la Paix, se sont

19 portés volontaires pour participer à la présente audience.

20 Enfin, Mme Plavsic s'adressera en personne aux Juges de cette Chambre,

21 donc au Tribunal, et aux personnes qu'elle a eu la responsabilité de

22 servir en tant que dirigeante.

23 En conclusion, la présente Chambre devra prononcer une sentence rendant

24 compte de tous les aspects de la présente audience absolument

25 extraordinaire.

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1 Je vous remercie de votre attention.

2 Voilà les remarques liminaires que je voulais présenter au nom de Mme

3 Plavsic.

4 M. le Président (interprétation): Merci beaucoup.

5 Le Procureur peut maintenant entendre ses témoins.

6 M. Tieger (interprétation): Monsieur le Président, le premier témoin à

7 comparaître sera M. Mirsad Tokaca.

8 (Le témoin, M. Mirsad Tokaca, est introduit dans le prétoire.)

9 M. le Président (interprétation): Je vais demander au témoin de donner

10 lecture de la déclaration solennelle.

11 M. Tokaca (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la

12 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

13 M. le Président (interprétation): Merci, Monsieur. Veuillez vous asseoir.

14 (Le témoin s'assoit.)

15 M. Tieger (interprétation): Monsieur le Président, je commencerai en

16 relevant que le Bureau du Procureur a préparé un classeur que la Chambre a

17 reçu. Dans ce classeur se trouvent différentes pièces à conviction. A cet

18 égard, je demanderai à la Chambre l'autorisation pour que Mme Anninck-

19 Javier s'installe près du témoin: de cette façon, elle pourra vous aider,

20 s'agissant de la présentation des preuves et des pièces en ce qui concerne

21 les deux témoins suivants.

22 M. le Président (interprétation): Oui, c'est autorisé.

23 M. Tieger (interprétation): Je vous remercie, Monsieur le Président.

24 (Mme Anninck-Javier s'installe à côté du témoin.)

25 (Interrogatoire principal du témoin, M. Mirsad Tokaca, par M. Tieger.)

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1 M. Tieger (interprétation): Bonjour, Monsieur Tokaca.

2 M. Tokaca (interprétation): Bonjour.

3 Question: Pourriez-vous dire à la Chambre quelles sont vos fonctions

4 actuelles?

5 Réponse: En ce moment, à savoir depuis 1992, depuis août 1992 pour être

6 plus précis, je me trouve à la tête du secrétariat de la commission d'Etat

7 pour la collecte des faits relatifs aux crimes de guerre perpétrés en

8 Bosnie-Herzégovine.

9 Question: Je suis désolé, Monsieur le Président, je ne reçois pas

10 l'interprétation.

11 (Intervention de l'huissier.)

12 Monsieur Tokaca, depuis combien de temps exercez-vous ces fonctions?

13 Réponse: Plus de dix ans. Au mois d'août, cela a fait exactement dix ans,

14 donc maintenant cela fait encore quatre mois de plus.

15 Question: Monsieur Tokaca, cette commission pour laquelle vous travaillez

16 depuis ce temps, depuis quand a-t-elle été établie?

17 Réponse: Cette commission a été mise en place par la présidence, suite à

18 une décision datée du 28 avril 1992.

19 Question: A quoi devait-elle servir?

20 Réponse: Son rôle consiste à recueillir tous les faits pertinents

21 afférents aux crimes contre l'humanité, violation des Droits de l'homme,

22 preuves matérielles à communiquer aux organes compétents du gouvernement,

23 des institutions non gouvernementales et internationales concernant les

24 déclarations de témoins, les rapports, et ainsi de suite.

25 Il convient, pour ce qui est des tâches de cette commission, de mentionner

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1 les contacts avec les organisations non gouvernementales en Bosnie-

2 Herzégovine et à l'extérieur de la Bosnie-Herzégovine aux fins de

3 regrouper tous les renseignements afférents.

4 Et d'autre part, notre rôle consiste à informer l'opinion publique

5 nationale et internationale sur ce qui se passe en Bosnie-Herzégovine.

6 L'une des fonctions de cette commission avait été de mettre en place une

7 ambiance, une atmosphère dans laquelle les gens seraient à même de parler

8 sans aucune crainte de ce qui leur est arrivé.

9 Et pour finir, l'une des tâches très importantes a consisté à coopérer

10 avec les différents organismes des Nations Unies qui ont traité, à ce

11 moment-là, des événements de guerre en Bosnie-Herzégovine.

12 J'ai à l'esprit notamment une commission d'experts mise en place par la

13 résolution des Nations Unies, puis les équipes d'enquêteurs qui se sont

14 déplacées vers la Bosnie-Herzégovine. Notre objectif avait consisté à leur

15 venir en aide dans leur travail d'enquête.

16 Question: Pourriez-vous, en quelques mots, nous dire quelle est

17 l'appartenance ethnique et quel est le contexte professionnel de ces

18 membres de la commission?

19 Réponse: Eh bien, selon les coutumes et selon la législation en vigueur,

20 toutes les institutions créées en Bosnie-Herzégovine ont été des

21 institutions multiethniques.

22 Et cette commission a été mise sur pied en partant de deux segments: un

23 segment d'expert et un segment politique. Ce segment politique était

24 constitué de trois membres -un Bosnien, un Croate et un Serbe-, et

25 l'équipe d'experts à la tête de laquelle je me trouvais était également

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1 multiethnique. Mais nous n'avons pas exclusivement fait référence à ce

2 critère-là, parce que nous avons eu une vingtaine d'experts de profils

3 différents, et nous avons, en premier lieu, apprécié leurs

4 caractéristiques professionnelles.

5 Mais le critère essentiel avait été d'avoir des experts, des intellectuels

6 indépendants qui n'appartenaient à aucun parti afin d'effectuer les tâches

7 de façon professionnelle et technique. Mais je dirais que ce segment a été

8 multiethnique: il y avait des Juifs, des Serbes, des Musulmans, des

9 Bosniens, des Croates et d'autres nationalités.

10 Question: Monsieur Tokaca, je ne veux pas que nous abordions dans trop de

11 détails la méthode de travail utilisée par cette commission, mais

12 pourriez-vous donner une idée à la Chambre de la démarche qui avait été

13 retenue pour recueillir ces moyens de preuve pour répondre aux obligations

14 et pour remplir le mandat de cette commission?

15 Réponse: Eh bien, nous nous en sommes strictement tenus à ce que disaient

16 les Conventions sur les Droits de l'homme et les Conventions de Genève

17 pour ce qui est des us et coutumes de la guerre.

18 Pour ce qui est de notre méthodologie de travail, elle s'est entièrement

19 basée là-dessus. Nos instruments de travail ont essentiellement été des

20 interviews avec les témoins; à savoir des personnes qui ont été

21 directement victimes ou alors ont eu des connaissances directes concernant

22 ce qui est arrivé à d'autres personnes.

23 En sus de ces contacts directs, il y avait des recherches à effectuer sur

24 le terrain. Il s'agissait de collecter une documentation photographique et

25 autres, et des rapports aux fins d'aider aux enquêtes approfondies.

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1 Le Tribunal et les autres instances qui suivent ce qui se passe pourront

2 aisément constater que c'était là une période où l'on ne s'attendait pas à

3 ce qu'il advienne quoi que ce soit. Nous avons donc essayé d'avoir une

4 méthodologie tout à fait nouvelle, pour ce qui est de ce qui ferait partie

5 intégrante des modalités suivant lesquelles nous travaillerions

6 Question: Pourriez-vous donner une idée à la Chambre de la portée du

7 travail effectué par cette commission? Pourriez-vous nous donner un

8 chiffre approximatif du nombre de documents recueillis par cette

9 commission?

10 Réponse: Eh bien, cela était un travail véritablement très grand. Nous ne

11 nous attendions pas à obtenir autant de documents: nous avons plus d'un

12 million de pages de documents, des milliers et des milliers de rapports,

13 quelque 20.000 photographies, 2.000 heures d'enregistrement vidéo et toute

14 une série de rapports très importants émanant des institutions variées

15 dont j'en ai mentionné quelques-unes.

16 Question: Vous avez interviewé, dans le cadre de cette commission, combien

17 de témoins?

18 Réponse: Plus de 5.000.

19 Question: Monsieur Tokaca, vous, en personne, combien de témoins avez-vous

20 rencontré et à combien de témoins avez-vous parlé qui vous ont relaté leur

21 expérience?

22 Réponse: C'est plus de 1.000 témoins que j'ai rencontrés moi-même. Bien

23 sûr, ma tâche n'avait pas toujours consisté à recueillir leurs dires; ma

24 tâche avait été d'établir un premier contact.

25 Et lorsque les situations l'exigeaient, étant donné que notre équipe

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1 n'était pas très grande et que cela était constitué essentiellement de

2 volontaires, j'ai travaillé moi-même avec des témoins pour recueillir

3 leurs déclarations. Mais je peux vous dire et affirmer que j'ai lu plus de

4 5.000 déclarations de témoins.

5 Question: Est-ce que vous vous êtes déplacé pour aller dans des régions où

6 des crimes ont été commis?

7 Réponse: Bien entendu. Cela faisait partie intégrante de ma tâche et

8 c'était là ma tâche essentielle, à savoir celle de me déplacer sur le

9 terrain parce que, sans contacter les victimes, il n'est pas possible de

10 se procurer des renseignements nécessaires. Et les circonstances dans

11 lesquelles nous avons travaillé dans cette ville de Sarajevo assiégée

12 exigeaient ce type de fonctionnement.

13 J'ai exploité avec mes collaborateurs toute possibilité qu'il y avait de

14 sortir de Sarajevo, soit à pied soit par des moyens de transport variés,

15 pour visiter tous les sites qui revêtaient de l'intérêt pour nous.

16 D'une part, il s'agissait d'établir des contacts avec les témoins

17 potentiels et, d'autre part, de mettre en place un réseau à nous, que nous

18 avons réussi à développer à Tuzla, Zenica, Travnik, Mostar et ainsi de

19 suite.

20 Donc dans une série de localités parce que la situation l'exigeait tout

21 simplement.

22 Question: Monsieur le Président, je demanderai que la pièce n°1 soit

23 placée sur le rétroprojecteur.

24 Monsieur Tokaca, voici la pièce n°1. Elle nous montre les 37 municipalités

25 qui sont énumérées dans le présent Acte d'accusation.

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1 (Intervention de Mme Anninck-Javier.)

2 Je vais d'abord vous demander si vous connaissez, si vous êtes au courant

3 des événements qui se sont produits dans ces municipalités, du fait du

4 travail que vous avez exécuté dans le cadre de cette commission?

5 Réponse: Toute localité se trouvant sur cette carte, que ce soit indiqué

6 en bleu ou en blanc, pratiquement dans chacune de ces municipalités nous

7 avons recueilli des renseignements, et je suis au courant personnellement

8 de tout ce qui se passait au niveau de toutes ces municipalités.

9 Question: A la lumière de ces efforts déployés pendant plus de dix ans

10 dans le cadre de cette commission, je vais vous demander si vous pouvez

11 aider la Chambre en lui fournissant des détails sur les événements repris

12 dans l'Acte d'accusation et pour lesquels Mme Plavsic a plaidé coupable.

13 J'aimerais que nous nous concentrions ici bien sûr, dans le cadre de votre

14 déposition, sur les 37 municipalités reprises dans la pièce n°1 et sur les

15 événements qui se sont produits en 1992.

16 En premier lieu, je vais vous poser des questions à propos de la taille ou

17 de l'importance relative des communautés musulmanes et croates s'agissant

18 de ces municipalités que l'on voit sur la pièce n°1.

19 Les Croates et les Musulmans constituaient-ils la population majoritaire

20 dans plusieurs de ces municipalités?

21 Réponse: Comme vous venez de le dire vous-mêmes, vous n'êtes pas sans

22 ignorer la structure de la Bosnie. A certains endroits les Musulmans sont

23 majoritaires, et d'autres parts ils sont minoritaires. Dans certaines

24 municipalités, les Serbes faisaient une majorité absolue. Mais vous ne

25 sauriez trouver aucun territoire qui pourrait être considéré ethniquement

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1 majoritaire ou minoritaire en faveur de telle ou telle ethnie. Parfois,

2 vous aviez 51/49 pour cent pour les uns ou pour les autres. Par exemple, à

3 Cajnice ou plutôt…

4 (L'interprète s'excuse, l'interprète parlait vraiment trop vite.)

5 Nous pouvions dire la chose pour Cajnice. Visegrad avait compté plus de

6 50% de Musulmans. Rogatica, il y avait plus de 60% de Musulmans. D'autres

7 municipalités avaient une majorité serbe. Bratunac avait 80% de Musulmans.

8 S'agissant de ces municipalités dans la partie est de la Bosnie-

9 Herzégovine, exception faite de Bjeljina, nous pourrions dire que ces

10 municipalités étaient essentiellement à majorité bosnienne.

11 A Brcko, il s'agissait d'une municipalité très mélangée, à savoir qu'il y

12 avait des Croates et des Serbes et moins de Musulmans. Mais en allant vers

13 la Krajina vers Prnjavor, Doboj, et toutes ces localités-là; à Banja Luka,

14 nous avions une majorité serbe. Mais si vous faisiez le total, personne ne

15 bénéficiait d'une majorité absolue. A Sanski Most, c'était à 50%-50%; pour

16 ce qui est de Kljuc également.

17 Donc en gros, il y avait soit des territoires majoritairement musulmans,

18 soit des territoires habités par une composition ethnique équilibrée des

19 uns et des autres, voire des tiers.

20 Question: Avez-vous été en mesure d'établir par le biais des témoins avec

21 qui vous avez parlé comment ils vivaient avant la guerre? Comment ils

22 cohabitaient avec les voisins d'appartenance ethnique différente? Comment

23 se présentait la vie en commun pour ce qui est de ces témoins que vous

24 avez rencontrés dans le cadre de la commission?

25 Réponse: En réalité, chaque interview, chaque entretien commençait ainsi:

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1 quelle avait été la nature des rapports entre les groupes ethniques avant

2 la guerre? Et ce que je puis vous dire, je puis vous parler de la lecture

3 des interviews avec les témoins, eh bien, je pourrais dire que ces témoins

4 avaient déclaré que ces rapports étaient des rapports harmonieux, et la

5 structure sociale était solide. Il y avait des règles de respect mutuel.

6 Les gens vivaient ensemble; et là, je parle notamment des villes où il y

7 avait par exemple 50 ou 100.000 personnes qui vivaient à certains endroits

8 ensemble. Et on ne savait identifier les gens par leur appartenance

9 ethnique, ils ne se distinguaient pas. Ce qui est très caractéristique,

10 par exemple, pour la Krajina en Bosnie: les gens étaient témoins au

11 mariage des uns ou des autres ou au baptême, ils étaient parrains ou

12 marraines. Donc la structure était compacte sur le plan social et il n'y

13 avait pas d'isolation ou d'isolement des uns par rapport aux autres, même

14 dans les villages qui étaient peut-être plus ethniquement purs, quoique je

15 n'aime pas utiliser ces termes-là. Les gens communiquaient entre eux, tant

16 au niveau des villages qu'entre les villages.

17 Nous avions interrogé les témoins, nous voulions savoir s'il y avait eu

18 des conflits sur des fondements quelconques, sur des fondements religieux,

19 sur des fondements ethniques; et dans aucune des déclarations dont il m'a

20 été donné l'occasion d'en prendre connaissance, il n'y avait aucun

21 conflit, il n'y avait eu des litiges au niveau de la délimitation des

22 terres ou des parcelles occupées par les uns et les autres, mais cela il

23 arrivait qu'il y ait des litiges entre des frères pour ce qui est des

24 mitoyennetés. Mais, en ma qualité de personne qui a passé sa vie en

25 Bosnie-Herzégovine, à Sarajevo notamment, il arrivait que les gens ne

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1 fassent pas du tout la distinction entre leur nom de famille, à moins que

2 les gens ne se déclarent expressément comme étant de tel ou tel groupe

3 ethnique, parce qu'il y a beaucoup de noms de famille où il n'est guère

4 possible de déterminer l'appartenance à un groupe ethnique.

5 Question: Parlons maintenant de ce qui est devenu de ces communautés, et

6 parlons des crimes visés à l'Acte d'accusation. Pourriez-vous faire

7 comprendre aux Juges quelle fut l'ampleur et la portée de ces expulsions

8 forcées qui se sont produites dans les 37 municipalités reprises dans la

9 pièce n°1?

10 Réponse: En bref, ce que je pourrais dire, c'est que rares sont les

11 municipalités où l'envergure de la brutalité et des modalités de

12 persécution a constitué une exception à la règle.

13 Je vais parler des exceptions qui ne sont pas toutes survenues en 1992,

14 mais que l'on peut placer dans ce contexte: donc une localité seulement, à

15 proximité de Bijeljina, appelée Janja, où les gens sont restés sur place

16 jusqu'en 1995, date à laquelle ils ont été expulsés; et Banja Luka qui,

17 depuis 1992 et par la suite, a connu des éléments de persécution, mais

18 tout le monde n'a pas été chassé. Mais si vous comptez Bratunac,

19 Vlasenica, Visegrad et les autres municipalités de la Bosnie de l'Est, et

20 plus particulièrement la vallée de la Sana, à savoir Prijedor, Sanski Most

21 et Kljuc, ces régions-là ont été caractérisées par des actions de

22 persécutions très brutales; persécutions qui se sont accompagnées de

23 violences parce que ce n'est seulement que par la force brutale qu'il a

24 été possible de dissocier les gens les uns des autres. Parce que les

25 Bosniens et les Croates ne vivaient pas, ne résidaient pas sur des

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1 territoires facilement contrôlables; donc il n'a été possible de chasser,

2 d'expulser de certains territoires des personnes que par la force. Et sur

3 ces territoires-là, je parle de personnes qui ont fait l'objet de

4 persécutions, d'expulsions, notamment de populations bosnienne et croate.

5 Quand je parle de Croates, ils habitaient notamment ma région de Brcko et

6 très peu, très peu le long de la Drina; mais ils étaient plus présents à

7 Prijedor, Sanski Most et Kljuc.

8 Par conséquent, la méthode utilisée avait essentiellement été la même:

9 attaques, bombardements, pilonnages, puis unités mécanisées qui faisaient

10 leur entrée dans les agglomérations, violence et tout le reste qui

11 s'ensuivait.

12 M. Tieger (interprétation): Monsieur Tokaca, la Chambre a reçu un rapport

13 démographique, lequel montre comment se répartit, comment se disperse la

14 population, la population musulmane et la population croate, entre 1991 et

15 1997, dans ces municipalités.

16 Prenons la municipalité de Foca. On a 51% de Musulmans et de Croates en

17 1991, alors que ce chiffre tombe à 3,8% en 1997. Pourriez-vous nous donner

18 une indication de l'ampleur de ces mesures d'expulsion en 1992, par

19 rapport aux années qui s'ensuivirent?

20 M. Tokaca (interprétation): En termes pratiques, 70%; et là, je suis

21 pratiquement certain de pouvoir l'affirmer. C'est en 1992 que cela s'est

22 passé. En gros, l'année 1992 est une année clé ou une année où les choses

23 ont basculé. Donc c'est une période concentrée, à savoir mai, juin,

24 juillet et août de cette année-là qui ont été des mois de persécutions,

25 d'expulsions intenses ou intensives de leurs domiciles. Et seulement 6% de

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1 cette population expulsée sont revenues dans leurs maisons qui étaient

2 abandonnées dans ce secteur le long de la Drina que l'on appelle Podrinje.

3 M. le Président (interprétation): Je pense qu'il serait utile de savoir,

4 lorsque l'on montre des chiffres tels que le chiffre de 70%…

5 manifestement, ce n'est qu'un chiffre estimatif, mais il serait utile de

6 connaître le chiffre plus exact. Peut-être pourrez-vous aborder cette

7 question tôt ou tard?

8 M. Tieger (interprétation): Volontiers, Monsieur le Président.

9 Pourriez-vous, Monsieur le Témoin, dire aux Juges ce qu'il en est

10 s'agissant du nombre précis de Croates et de Musulmans expulsés de ces

11 diverses municipalités? Nous savons bien que vous n'avez pas ces chiffres

12 exacts sous les yeux, nous en sommes conscients; et, je le répète, il y a

13 un rapport démographique qui montre les différences au niveau des chiffres

14 entre les populations en 1991 et en 1997 par municipalités.

15 Pour une municipalité donnée, pourriez-vous nous donner une échelle de

16 l'ampleur des expulsions à partir du chiffre brut des personnes expulsées?

17 M. le Président (interprétation): Souvenez-vous, Monsieur, que nous

18 parlons ici de 1992.

19 M. Tokaca (interprétation): Bien entendu, Monsieur le Président, je me

20 centre sur cette année 1992. En effet; parfois, je parle d'autres années.

21 Par exemple, si nous parlons de Foca et si nous savons qu'il y avait 51%

22 de Bosniens auparavant et que, fin 1992, il n'y a pratiquement plus eu de

23 Bosniens du tout, la mathématique ou le calcul est simple: sur 50.000

24 habitants, 50%, cela faisait 25.000; cela signifie que 24 ou 25.000

25 personnes ont été chassées de leurs maisons, ces personnes n'ont plus

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1 habité là-bas. Il en a été de même pour ce qui est de Bratunac; ce sont

2 des personnes qui sont dirigées essentiellement vers l'enclave de

3 Srebrenica. J'ai dit que, dans une certaine mesure, Bijeljina était une

4 exception où tout s'est terminé fin mars, début avril, où beaucoup de gens

5 résidaient chez eux, notamment à Janja. Janja était l'exception. Les

6 autres, Sanski Most, Kljuc, Prijedor, ont plus ou moins connu des

7 destinées semblables.

8 Donc une majorité de personnes ont quitté leur domicile, pas de leur

9 propre gré, mais ont été chassées de là par force.

10 M. Tieger (interprétation): Nous serons peut-être en mesure de faire mieux

11 comprendre à la Chambre quelle a été la nature et la portée de ces

12 expulsions si nous nous concentrons davantage sur tel ou tel village.

13 Est-ce qu'il y a eu des villages dont les habitants étaient musulmans ou

14 croates, des villages qui ont cessé d'exister après cette campagne de

15 persécutions de 1992?

16 Réponse: Bien entendu. Un nombre énorme de villages ont été détruits,

17 physiquement détruits, n'existent plus. Dans nos fichiers, dans nos

18 archives, il est des analyses qui indiquent que plus de 850 villages ont

19 été rasés, et ceci essentiellement dans les régions dont j'ai parlé

20 jusqu'à présent. Dans ces villages, il n'y a pratiquement plus

21 d'habitants; qu'il s'agisse de Croates ou de Musulmans, peu importe.

22 Donc nous pouvons les énumérer, nous pouvons énumérer des villages où des

23 familles entières ont disparu: Srnja, Kljuc, les Draganovic, les Potonic.

24 Puis le cas de Biljani est connu, où 250 personnes ont été tuées en un

25 jour. Donc il s'agit d'une échelle énorme. J'ai estimé que le temps qui

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1 m'était imparti était limité et je ne voulais pas sortir des cadres, mais

2 j'ai ici certaines notes que je pourrais vous citer. Je peux vous citer

3 des noms de famille ou de villages où des personnes ont un jour... Par

4 exemple, Nevesinja, la famille Colak-Hodzic. Nous avons retrouvé des

5 personnes dans une vallée. Ces personnes ont toutes été tuées; elles

6 étaient âgées de 70 ou 80 ans.

7 Puis le village de Stedin. Puis les événements de la rue Pionirska, dans

8 la maison de Mehmed Alispahic où seule une femme a survécu. Puis Foca.

9 J'ai noté ici une dizaine de familles: Srnja, Hajric, Hodzic -9 membres-,

10 Ceric -8 membres-, Selimovic -7 membres-, et ainsi de suite.

11 J'ai jugé ou j'ai pensé que le Tribunal disposait déjà de toute une série

12 d'éléments de preuve et, en lisant les Chefs d'accusation à l'Acte

13 d'accusation, j'ai constaté que cela était effectivement le cas. Mais la

14 liste des villages est très longue: Hrnici, Velagici, Krasulje, Biljani,

15 Prhovo, Ogruc où des familles entières ou un grand nombre de personnes ont

16 été tuées, chassées; certains villages ont été détruits. J'ai visité

17 certains de ces villages, pas pendant la guerre mais après la guerre. Il a

18 été très difficile de retrouver, dans des villages, des maisons intactes.

19 J'ai visité Kozarac et j'ai vu, aux phases de reconstruction, tout ce qui

20 avait été détruit. Malheureusement, la liste est très longue et nous

21 pourrions passer des jours et des jours à donner lecture de ces listes-là,

22 ici, dans ce prétoire.

23 Question: Vous avez mentionné plusieurs villages. Depuis combien de temps

24 y avait-il, dans ces villages, une communauté musulmane ou croate?

25 Réponse: Tous ces gens-là, quand nous parlons de Bosniens et de Croates

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1 qui ont été chassés et de Serbes qui vivaient avec eux, c'étaient des gens

2 qui avaient résidé sur place des siècles durant; c'étaient des gens qui

3 avaient leurs racines, leurs traditions, leurs coutumes, qui avaient leurs

4 cultures, qui avaient des monuments qui étaient les leurs, des cimetières,

5 qui étaient les leurs. C'étaient donc des familles qui avaient résidé sur

6 ces terres-là depuis fort longtemps. Ce n'étaient pas des gens qui étaient

7 fraîchement arrivés; c'étaient des personnes, des familles qui étaient

8 très anciennes sur place.

9 Question: Voyons maintenant quels ont été les moyens utilisés pour

10 expulser par la force les habitants et les membres de ces communautés?

11 Nous allons commencer, si vous le voulez bien, par la Bosnie Orientale où

12 il y a eu une première vague d'expulsions.

13 Pourriez-vous dire aux Juges quels furent les moyens utilisés pour chasser

14 les Musulmans et les Croates de leur communauté?

15 Réponse: La méthodologie était toujours la même, elle n'a pas varié

16 pendant toute cette période. Donc, entre fin mars-avril et la fin 1992,

17 d'une manière générale, les choses ne différaient guère. Il y avait des

18 attaques à l'artillerie, des pilonnages de villages, l'intrusion d'unités,

19 l'entrée en force d'unités mécanisées et blindées. Vous aviez donc toute

20 une échelle de degrés de violences qui commençaient à se dérouler.

21 J'ai dit tout à l'heure et je tiens à vous le rappeler à présent: on

22 voulait utiliser la force, la brutalité pour faire peur aux gens, pour les

23 faire bouger de là; les choses n'étaient pas faisables autrement: donc

24 meurtres, les meurtres qui arrivaient en majeure partie dès le début. Il y

25 avait certaines formations qui avaient des listes à leur disposition,

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1 c'étaient des formations bien formées. On rassemblait, on chassait les

2 personnes, on séparait les femmes et les hommes, et on les amenait vers

3 des directions inconnues, vers des prisons, des camps de détention, vers

4 d'autres régions, là où cela était possible. Et vous aviez des personnes

5 qui, prises de peur, s'enfuyaient vers des régions variées. Par exemple,

6 les gens qui fuyaient Bratunac allaient vers Srebrenica. De Vlasenica, ils

7 ne pouvaient pas aller vers Tuzla ou Zvornik; alors ils s'en allaient vers

8 Srebrenica et d'autres allaient vers l'enclave de Zepa. Et c'est là qu'ils

9 se concentraient. Ceux qui n'avaient pas pu fuir dès le début se mettaient

10 à l'abri à ces endroits-là.

11 Mais je tiens à attirer votre attention sur un fait: très longtemps, les

12 gens frappés par le malheur étaient en état de choc. Ils n'arrivaient pas

13 à croire que cela était possible. Ils s'attendaient, ils espéraient que

14 les choses allaient quand même connaître un terme. Les gens étaient plutôt

15 incrédules et cette incrédulité, bon nombre d'entre eux l'ont payée par

16 leur vie parce qu'ils sont restés chez eux.

17 Vous m'avez demandé combien de temps ces gens ont vécu ainsi. Quand j'ai

18 parlé de la tradition en Bosnie, je dirais que cette tradition est liée au

19 palier de son logis, de son chez-soi. Les gens étaient indécis pour ce qui

20 était de s'en aller de chez eux et un grand nombre de ces personnes ont

21 payé la chose de leur vie. Et dans cet éventail de violences variées, il y

22 a eu des violences sexuelles, des viols de femmes et, pratiquement, vous

23 ne sauriez trouver sur cette carte une seule ville sans qu'il y ait des

24 cas analogues.

25 Parfois, les cas sont extrêmes: Foca, Bratunac, Zvornik, Prijedor, Brcko

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1 où vous avez un grand nombre de viols, mais des viols qui, comme un expert

2 l'a récemment dit, se sont traduits par une sexualité ou le besoin

3 d'extérioriser sa sexualité. Mais au contraire, on a voulu faire de l'acte

4 sexuel une expression de violence et, dans un pays conservateur et

5 traditionnel tel que la Bosnie, ces gens -quel que soit le groupe ethnique

6 en question- avaient les mêmes caractéristiques parce que le viol était

7 considéré comme un acte qui déshonorait la personne et la famille. Cela a

8 été une explosion et les vagues de cette explosion se sont propagées de

9 façon si grande dans le pays qu'elles ont engendré la peur, la crainte

10 chez les gens.

11 Mais en sus des viols, je puis énumérer des dizaines de formes de torture,

12 d'humiliation. Par exemple, le meurtre d'un imam dans une école à

13 Bratunac. On lui avait donné l'ordre de faire le signe de croix ou de

14 boire de l'alcool: il ne voulait pas, il s'est fait tuer. Donc des

15 humiliations ou des actes de violence qui visaient à faire en sorte que la

16 victime soit en même temps humiliée, abaissée. Il fallait tuer le

17 sentiment du respect de soi chez la victime.

18 Mais je ne puis en parler davantage: je crois que mon temps est limité.

19 Mais si vous souhaitez que j'ajoute autre chose, je le ferai volontiers.

20 Question: Ces Musulmans et ces Croates qui sont restés dans les

21 municipalités après les premières attaques et ceux qui n'ont pas été

22 emmenés dans des camps, s'agissant de toutes ces personnes -vous venez

23 d'en faire une description-, pourriez-vous nous dire quelle était leur vie

24 au quotidien? Dans leur vie civique, quelle était la nature de celle-ci

25 dans ces communautés avant leur expulsion, avant que ces personnes prises

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1 de peur ne prennent la fuite, ne s'enfuient?

2 Réponse: J'ai parlé et je ne parlerai que de ce que des gens ont relaté

3 dans leur déclaration. Je puis vous donner un exemple: par exemple, les

4 gens de Janja, qui sont restés en 1992 et qui ne sont partis qu'en 1995,

5 je leur ai demandé dans quelles conditions ils avaient vécu là-bas. Ils

6 ont tous dit qu'ils avaient vécu dans des conditions de peur permanente:

7 ils s'attendaient chaque jour que quelqu'un vienne frapper à leur porte

8 pour les emmener de chez eux, pour les emmener faire des travaux forcés.

9 Les gens avaient été exposés à des actes humiliants; les intellectuels

10 éminents ont été contraints à nettoyer des rues et ils ont été traités

11 comme des citoyens de deuxième rang. Par exemple, à Banja Luka où les

12 opérations militaires ont vite cessé, les gens ont continué à y résider

13 dans une insécurité humaine. Et sur le plan juridique, sur le plan légal,

14 il n'y avait point de loi à même de les protéger. Il y avait des pillages,

15 des intrusions dans les appartements sous prétexte de chercher des armes,

16 et on les privait, dépossédait de leurs objets personnels. Donc

17 l'insécurité était constante et le peu de gens qui sont restés à certains

18 endroits ont vécu dans l'insécurité totale.

19 Question: Est-ce que, dans ces municipalités, on séparait de façon très

20 claire les Musulmans et les Croates des Serbes? Je veux dire par là, est-

21 ce qu'on indiquait par certains signes qui était musulman ou croate, en

22 faisant la différence avec les Serbes?

23 Réponse: Ecoutez, les gens se connaissaient très bien entre eux, ils

24 savaient qui habitait à quel endroit.

25 Toutefois, il y a eu aussi des situations dans la Krajina, à Prijedor et

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1 Sanski Most, où l'on plaçait des rubans sur les manches des gens, des

2 brassards ou des rubans, mais c'était quand même des cas à part, ce

3 n'était pas généralisé. On n'avait nullement besoin de le faire parce que

4 les gens se connaissaient très bien entre eux. Et le peu de gens qui

5 étaient restés sur place, savaient pertinemment bien qui étaient les uns

6 et qui étaient les autres.

7 Question: Vous avez parlé du fait que des personnes avaient été

8 dépossédées de leurs biens personnels; qu'est-il advenu des lieux

9 culturels, des monuments, des lieux sacrés pour les Musulmans et les

10 Croates dans ces municipalités?

11 Réponse: Eh bien, je vous ai déjà dit que ce que les gens ont acquis

12 durant des années a fini dans un sac en matière plastique que l'on pouvait

13 emporter avec soi.

14 Les pillages, la dépossession des biens individuels se faisaient suivant

15 deux modalités. Je vous demanderai de me permettre d'en parler.

16 Donc la dépossession de biens, la destruction des biens immobiliers, la

17 privation des objets en or, parce que les Bosniens sont réputés comme des

18 gens aimant les objets en or. Ce n'est pas seulement la valeur matérielle

19 de ces objets qui importait, mais il y avait une valeur culturelle et

20 historique de ces objets. Un grand nombre de familles possédaient des

21 objets d'une grande valeur et il s'agissait là d'objets qui étaient des

22 souvenirs et on arrachait ces valeurs et ces souvenirs des gens.

23 S'agissant maintenant des villes le long de la Drina ou dans la Krajina,

24 Visegrad, Zvornik -des villes très anciennes et dans des villages anciens-

25 il existait des bâtisses variées qui dataient du Moyen Âge et qui ont

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1 existé jusqu'à ce jour-là, qui avaient la caractéristique de ces régions

2 et on a détruit des bâtiments de cette nature. Des mosquées, qui de par

3 leur architecture, avaient indiqué ou caractérisé les régions entières ont

4 été détruites, les noms des villes, les toponymes ont été changés.

5 Donc tout ce qui, de quelque façon que ce soit, pouvait évoquer des

6 souvenirs a été détruit. Je pourrais vous parler des mosquées de Foca, de

7 Zvornik ou de quelques autres régions que ce soit de la Bosnie-

8 Herzégovine. Il ne s'agit pas de 5 ou 10, mais il s'agit de centaines de

9 constructions qui ont été rasées soit à l'explosif, soit parfois on

10 s'amusait entre équipages de chars pour entraînement de tir. Donc ce sont

11 des constructions, des bâtiments qui ont été entièrement ou partiellement

12 détruits. Je crois que les archives, les fichiers sont très nombreux. Nous

13 avons des photographies en abondance pour ce qui est des destructions

14 effectuées. Nous préparons ces jours-ci une conférence à ce sujet qui se

15 tiendra dans le courant de l'année prochaine. Mais cela importe peu en ce

16 moment-ci.

17 Question: Monsieur le Président, je vais demander maintenant que la pièce

18 n°2 soit placée sur le rétroprojecteur.

19 (Intervention de l'huissière.)

20 Monsieur Tokaca, reconnaissez-vous ce qui apparaît à la pièce n°2?

21 Réponse: Oui, c'est la mosquée Aladza de Foca. C'était l'une des perles de

22 la culture dans cette partie de l'Europe. Je puis l'affirmer en toute

23 certitude, c'est une mosquée qui a plus de 450 ans. C'est une bâtisse qui

24 pourrait être à l'honneur de la région et c'est la chose qu'il convient de

25 dire, c'est ce qui traduit dans quelle mesure certains auteurs, certains

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1 écrivains serbes ont parlé de ces monuments en rédigeant des pages

2 magnifiques à leur sujet.

3 Question: Nous allons maintenant aborder un autre sujet. Est-ce que la

4 commission a mené des enquêtes sur des allégations ou des incidents

5 d'assassinats de masse s'agissant des municipalités représentées à la

6 pièce n°1?

7 Réponse: Oui.

8 Question: Excusez-moi. Je vous demandais simplement si vous pourriez

9 donner une idée à la Chambre de l'ampleur de ces assassinats massifs qui

10 se sont produits en 1992 dans ces dites municipalités?

11 Réponse: L'année 1992 est une année où les choses ont basculé, pour ce qui

12 est des événements.

13 Je tiens à placer cela en corrélation directe avec les personnes

14 disparues. J'ai établi et élaboré une étude très ample pour les besoins de

15 la Commission chargée de la protection des Droits de l'homme et ce

16 problème a été traité; M. Novak avait conduit cette commission.

17 Mais il y a donc eu des hommes qui ont été séparés de leurs familles, de

18 leurs femmes, de leurs enfants et qui ont fait l'objet de meurtres

19 massifs. Et la courbe statistique, que nous avons établie pour ce qui est

20 des périodes mai, juin, juillet de cette année-là, indique… Nous avons mis

21 de côté Srebrenica, parce qu'à ce moment-là Srebrenica n'était pas un cas

22 pertinent.

23 Nous nous sommes concentrés vers ces mois de mai, juin, juillet et août de

24 l'année 1992. Et à titre d'exemple, sur les 208 personnes qui ont disparu

25 à Rogatica, ces personnes ont disparu précisément au cours de ces quelques

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1 mois de l'année 1992.

2 Donc ces problèmes de disparition de gens, d'assassinats en masse, de

3 fosses communes que nous allons retrouver par la suite; et je me référerai

4 par exemple au village de Biljani et aux 250 villageois qui ont été tués,

5 nous avons exhumé par la suite en 1996 ces gens-là. Nous avons retrouvé

6 188 corps qui ont été jetés dans une fosse commune à proximité de Kljuc, à

7 proximité d'une caserne militaire.

8 Et il y a beaucoup de situations analogues à citer.

9 Question: Pourriez-vous nous dire combien d'incidents, de meurtres en

10 masse ont été portés à votre connaissance? Et pourriez-vous nous dire dans

11 quelle mesure c'étaient là des événements généralisés?

12 Réponse: Nos recherches englobent tout la période en question. Mais il est

13 tout à fait hors de doute et nous pouvons dire qu'il y a 1.100 événements

14 où il y a eu assassinats de masse, 80% donc sont survenus en 1992, et il y

15 a 320 sites de cette nature.

16 Les informations que nous avions à notre disposition se sont avérées par

17 la suite fiables. Le scénario, je vous en ai parlé tout à l'heure: comment

18 on rassemblait les gens, comment on les amenait dans des directions

19 inconnues. Et si nous nous mettons d'accord sur la notion d'assassinats de

20 masse, là aussi il y a des divergences parce que certains estiment que ces

21 3, 4, 5 personnes ou 50 ou 100 personnes, ou alors c'est une opération

22 militaire où en une journée, sur différents sites, vous tuez 200 ou 300

23 personnes. Donc le critère que nous avons utilisé, c'était celui de

24 plusieurs personnes en même temps. Nous nous sommes référés à l'intention

25 d'éliminer plus de trois personnes. Il y avait intrusion dans des villages

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1 et s'il y avait là plus de personnes, évidemment, je crois qu'il en

2 périrait davantage; s'il y en avait moins, évidemment, il en périrait

3 moins.

4 Question: J'ai oublié de vous poser une question avant de passer à un

5 autre sujet. Nous avons vu une mosquée -il s'agit là de la pièce n°2-,

6 pourriez-vous nous dire ce qui est arrivé s'agissant de cette mosquée?

7 Réponse: Cette mosquée, on l'a fait sauter à l'explosif et ç'a été rasée,

8 elle a été dynamitée. Des parties de cette mosquée ont par la suite été

9 retrouvées le long de la rivière Drina, et c'est analogue à bon nombre de

10 situations où l'on a détruit les mosquées.

11 Question: Ceci s'est produit en 1992?

12 Réponse: Oui.

13 M. Tieger (interprétation): Monsieur Tokaca, vous avez parlé d'assassinats

14 de masse. Est-ce que vous avez mis sur pied un projet pour essayer de

15 déterminer le nombre de victimes qui sont tombées au cours de ce conflit

16 en Bosnie-Herzégovine?

17 M. Tokaca (interprétation): Oui. En réalité, tout ce qui s'est passée au

18 fil des cinq années en question m'a motivé pour faire ce que j'ai fait. Il

19 y a deux raisons essentielles qui importent pour ce que nous sommes en

20 train de faire, indépendamment de l'importance de ce Tribunal, mais aussi

21 pour ce qui est du champ d'intervention de ce Tribunal.

22 En effet, on manipule encore avec le nombre de victimes. Il n'y a pas eu

23 de recensement de la population pour déterminer le nombre des victimes. Il

24 n'a pas été procédé à des recherches de cette nature. Il y a toujours

25 tendance à dissimuler les renseignements afférents aux victimes. Et on

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1 manipule, sur le plan politique, avec le nombre des victimes.

2 Nous nous efforcerons donc de conduire à terme ce projet que nous avons

3 entamé pendant la guerre, pour nous procurer des chiffres exacts

4 concernant le nombre de victimes en Bosnie-Herzégovine, à savoir le nombre

5 de citoyens de Bosnie-Herzégovine qui ont disparu, qui ont perdu leur vie

6 en 1992 et par la suite.

7 Nous allons donc recenser les personnes qui ont été tuées de façons

8 variées, nous allons recenser les personnes qui faisaient partie de

9 formations militaires variées, et un troisième chapitre du projet en

10 question aurait trait au problème des disparus; c'est là le problème que

11 l'on ne saurait résoudre à court terme. La question va longtemps rester

12 ouverte et, à notre avis, il s'agit là de quelque 20% du nombre total des

13 victimes.

14 Notre objectif consiste donc à conduire à terme, dans les deux années à

15 venir, la liste définitive des victimes. Dans notre banque de données,

16 nous avons quelque 90.000 noms de victimes, mais cela n'est que le

17 résultat d'enquêtes partielles. Pour aboutir à une vérité complète, je

18 pense qu'il convient absolument de mener à terme la tâche entamée.

19 M. Kwon (interprétation): Avant que vous ne poursuiviez, Monsieur Tieger,

20 je m'interroge. Monsieur Tokaca fait partie de cette commission d'enquêtes

21 sur les crimes de guerre. Cette commission a-t-elle déjà publié un rapport

22 complet sur les résultats obtenus par cette commission, et ce document

23 serait-il disponible dans une de nos langues de travail?

24 M. Tieger (interprétation): Pourriez-vous informer la Chambre?

25 M. Tokaca (interprétation): Certes. Malheureusement, ce n'est pas le cas.

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1 Pour ce qui est d'un rapport complet, général, non, ce n'est pas le cas.

2 Nous avons appliqué une autre méthodologie. Etant donné que l'envergure et

3 le caractère massif des crimes sont tels, cela ne peut faire partie d'un

4 seul et même rapport. Nous avons, pour cette raison-là, visé à

5 objectiviser les choses, parce que les enquêtes n'ont pas… l'instruction

6 n'est pas terminée et ce n'est pas possible encore.

7 Nous avons donc accédé à une phase préparatoire et nous élaborons des

8 rapports particuliers par volet, par domaine d'intervention. Nous le

9 faisons avec des experts internationaux qui nous sont accessibles. Nous

10 avons organisé une conférence internationale qui se tient tous les deux

11 ans à Sarajevo et nous débattons de questions déterminées. En 1999, nous

12 avons parlé du problème des violences à l'égard des femmes; puis, en 2001,

13 nous avons parlé des enfants. Lorsque nous allons terminer ces volets-là,

14 il nous sera possible de parler de patrimoine culturel historique et

15 d'élaborer un rapport général qui tirera des conclusions.

16 Je tiens à préciser que je travaille au niveau de cette commission chargée

17 de livrer la vérité et d'œuvrer en faveur de la réconciliation. Nous

18 voulons que ces meurtres-là soient dévoilés, qu'ils fassent l'objet d'un

19 accomplissement ou d'un achèvement des enquêtes. Et la question qui se

20 pose, c'est de savoir combien d'années il nous faudra pour mener à terme

21 toutes ces activités-là.

22 M. Kwon (interprétation): Je vous remercie.

23 M. le Président (interprétation): S'agissant de l'ampleur des assassinats,

24 pourriez-vous nous donner un chiffre, s'agissant des personnes qui ont été

25 assassinées en 1992, puisque cette année-là nous concerne, nous intéresse?

Page 407

1 M. Tokaca (interprétation): Il n'est pas de doute que je suis en mesure de

2 l'affirmer. Il est certain que cette année 1992 est celle qui a connu le

3 plus de victimes; je ne pense pas qu'il y ait eu moins de 50.000 victimes

4 en cette année-là.

5 Nous sommes en phase d'achèvement de nos activités pour compléter les

6 renseignements mais, s'agissant de la carte que nous avons vue tout à

7 l'heure, je puis y aller, procéder par ordre. Pour parler, par exemple, de

8 Foca, au moins 1.000 personnes; Sanski Most, au moins 1.500 personnes;

9 Prijedor, au moins 2.000 personnes; Bratunac, au moins 1.000 personnes;

10 Zvornik, pareil.

11 Par conséquent, donc, si l'on prend les chiffres minimum et, au niveau de

12 la Bosnie-Herzégovine, cela fait au moins 50.000 personnes. Mais, compte

13 tenu des facteurs limitatifs, en notre qualité de commission somme toute

14 petite, qui n'a compté qu'une quinzaine de personnes qui étaient

15 essentiellement des volontaires qui n'ont bénéficié que de peu d'aide ou

16 pratiquement pas d'aide, quoique nous soyons une commission d'Etat, nous

17 avons tous travaillé essentiellement comme des bénévoles. Et nous avons

18 foi en l'assistance dont nous avons besoin pour en arriver à un nombre

19 final définitif, pour ce qui est du nombre de victimes et pour éviter les

20 manipulations politiques. Dans certains cas, il a été question de 300.000

21 personnes ou 300.000 victimes dont il a été fait cas.

22 M. Tieger (interprétation): Monsieur Tokaca, est-il exact de dire que la

23 commission avait pour vocation de déterminer quelles avaient été les

24 victimes de crimes de guerre, quelle que soit leur appartenance ethnique?

25 Réponse: Absolument. Nous nous sommes centrés sur les victimes et leurs

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1 témoins. Leur appartenance ethnique ne nous a jamais intéressés, autrement

2 que pour des questions ou des problèmes de classification.

3 Question: Pour apporter un éclaircissement à une question, je reviens à

4 ceci: s'agissant des personnes qui ont été tuées et dont vous avez parlé

5 dans votre réponse précédente, dans cette municipalité reprise dans l'Acte

6 d'accusation -il y a notamment Foca, Bratunac, Zvornik-, quel était le

7 pourcentage, parmi ces personnes qui ont été tuées, de personnes qui

8 étaient des Musulmans ou des Croates?

9 Réponse: Dans toutes ces municipalités, les personnes tuées étaient

10 pratiquement toutes des Musulmans ou des Croates. Et je dois m'excuser et

11 préciser qu'il y a eu des Serbes qui ont été tués, des Serbes qui ont aidé

12 leurs voisins, des Serbes qui sont devenus victimes de ceux qui voulaient,

13 par la violence, détruire ces liens mutuels qu'il y avait entre voisins,

14 amis, "kum" ou même couples mixtes.

15 Vous verrez, si vous vous concentrez sur ces municipalités dont j'ai parlé

16 pour l'année 1992, qu'il est rare de trouver une municipalité où des

17 Serbes n'avaient pas été victimes de la violence la plus brutale au moment

18 où ils s'étaient efforcés de venir en aide à leurs voisins -et je ne

19 voulais pas aller sur un front trop large, j'ai essayé de me concentrer

20 sur des problèmes particuliers-, mais vous devez avoir forcément

21 conscience du fait qu'il y a eu des cas analogues aussi.

22 M. Tieger (interprétation): Vous avez dit que vous aviez participé à cette

23 oeuvre de réconciliation. Ces efforts furent nombreux. Ils visaient à

24 déterminer l'ampleur et la portée des crimes commis dans ce travail en

25 faveur de la réconciliation.

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1 Quel est votre avis personnel s'agissant du fait que Mme Plavsic a reconnu

2 ses crimes, a accepté la responsabilité qui est la sienne? Dans quelle

3 mesure a-t-elle potentiellement contribué à la réconciliation?

4 M. Tokaca (interprétation): Absolument, oui. A partir du jour où j'ai pu

5 lire qu'il y a eu confession et reconnaissance de culpabilité, je l'ai dit

6 en public. Certains journalistes étaient venus me voir et je leur ai dit

7 en public. Et, dans d'autres milieux, il y a eu des réactions différentes,

8 il y a eu des désaccords, mais c'est naturel. Je pense personnellement

9 qu'il s'agit là d'un geste extrêmement courageux, extrêmement important.

10 Cela apporte un soutien à ce qui est l'objectif final de nous tous, à

11 savoir d'édifier des conditions de vie normale, non seulement en Bosnie-

12 Herzégovine, mais dans la région toute entière. J'ai estimé qu'il

13 s'agissait là de quelque chose de capital, en espérant qu'il s'agissait

14 là, effectivement, d'une reconnaissance de culpabilité qui venait du fond

15 de l'âme, du fond du cœur; et je ne veux pas en douter. Je pense que c'est

16 là un geste courageux de la part d'une femme qui a compris que des crimes

17 graves ont été perpétrés contre l'humanité. Et c'est la raison pour

18 laquelle il convient de respecter la chose. Nous pouvons individuellement

19 penser ce que nous voulons, mais je parle en termes généraux.

20 Je tiens également à attirer l'attention de chacun sur quelque chose. La

21 polarisation est très importante en Bosnie et dans la région. Les

22 criminels, de nos jours encore, sont considérés comme étant des héros

23 nationaux, ce qui n'est pas une bonne chose pour la paix, ce n'est pas une

24 bonne chose pour la réconciliation entre les gens. C'est pourquoi j'estime

25 que cela est très important.

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1 Je sais, je suis certain du fait qu'il y a encore beaucoup de gens qui

2 n'ont pas relaté leur récit à eux. Et, lorsque les Juges m'ont demandé si

3 nous avions élaboré un rapport final, j'ai dit que non parce que bon

4 nombre de récits n'ont pas encore été recueillis et le rapport ne saurait

5 être complet, ne représenterait pas une vérité complète.

6 Ce que fait ce Tribunal est également une contribution à cette vérité

7 entière.

8 Il importe particulièrement que ceux qui ont commis des crimes prennent la

9 parole aussi et le disent. Et je crois profondément, je suis certain,

10 partant de ce que j'ai fait au fil de toutes ces années, que les gens ont

11 perpétré des crimes dans des circonstances variées. Ils ont été poussés à

12 le faire, ils n'ont pas fait cela parce qu'ils voulaient expressément le

13 faire. C'est pourquoi cette reconnaissance de culpabilité est importante:

14 pour que l'on continue à en parler.

15 Ce qui importe, ce n'est pas de voir Mme Plavsic se taire, mais parler; il

16 faut qu'elle prenne la parole. Elle a été professeur à l'université, elle

17 a travaillé avec de jeunes gens, elle a vécu dans ma ville et c'est une

18 personne que j'ai connue dans cette atmosphère-là. Je l'ai connue comme

19 professeur. C'est important pour nos enfants, pas pour nous, parce que

20 nous avons ressenti tout ce qui s'est passé.

21 M. Robinson (interprétation): Monsieur Tokaca, seriez-vous en mesure de

22 cerner, de façon plus précise, les raisons pour lesquelles, selon vous, le

23 fait de reconnaître la culpabilité pour quelqu'un va contribuer à la

24 réconciliation? Vous vous êtes prononcé de façon générale, mais pourriez-

25 vous être plus précis?

Page 411

1 M. Tokaca (interprétation): Quand quelqu'un reconnaît un délit aussi

2 grave, il faut forcément que cela influe sur des personnes qui ont commis

3 quelque chose d'analogue, parce qu'il est très difficile de reconnaître la

4 perpétration de tels délits; il faut de gros effort pour le faire et le

5 gros des efforts est essentiellement déployé pour dissimuler, au

6 contraire, la chose, et cela est très présent.

7 Je ne puis que parler de la perspective dans laquelle je me trouve. Je

8 n'arrive pas à trouver des renseignements qui sont évidents mais que les

9 gens dissimulent et qui clarifieraient bon nombre de choses. Beaucoup de

10 gens sont au courant de sites de fosses communes, mais ils ne veulent pas

11 le dire. Et une reconnaissance de culpabilité peut déclencher l'avalanche,

12 inciter les gens à parler.

13 Je ne sais comment vous l'expliquer. Cela peut avoir son poids, sa

14 puissance. Cela ne met pas un terme à la responsabilité de tout un chacun,

15 mais il faut reconnaître que cela s'est fait. C'est comme si vous rangiez

16 des dominos, puis que vous les abattiez; nous sommes en train de faire

17 tomber une lignée de dominos.

18 Je suis conscient de la chose. Je viens de ce milieu-là et je sais qu'il

19 est difficile aux gens de reconnaître leur culpabilité. Les gens encore…,

20 même les victimes ont encore du mal à parler parce qu'ils ont peur. A

21 Banja Luka, on a interdit la diffusion d'un film très émouvant concernant

22 une mère qui a été à la recherche de son enfant.

23 Donc ce voile de silence est très dangereux pour toute société, et c'est

24 pour cela que je pense que la reconnaissance de culpabilité de Mme Plavsic

25 a beaucoup d'importance parce que risquant de motiver bon nombre de

Page 412

1 personnes à le faire.

2 Il est certain que la chose sera traitée par ce Tribunal comme émanant

3 d'une personne qui a ses droits de l'homme et qu'elle verra être prononcée

4 une sentence qui sera certes celle qui aura été méritée, mais qui tiendra

5 compte de toutes ces circonstances à décharge.

6 M. Robinson (interprétation): Je crois que l'heure de la pause est

7 arrivée.

8 M. le Président (interprétation): Monsieur Tieger, de combien de temps

9 avez-vous encore besoin?

10 M. Tieger (interprétation): C'est un moment tout à fait opportun, Monsieur

11 le Président. J'en ai terminé avec mes questions.

12 M. le Président (interprétation): Vous en avez terminé? Y a-t-il des

13 questions de la part de la défense?

14 M. Pavich (interprétation): Non, Monsieur le Président.

15 M. le Président (interprétation): Très bien.

16 Monsieur Tokaca, vous êtes arrivé au terme de votre déposition. Vous

17 pouvez maintenant vous retirer.

18 Suspension pendant une demi-heure.

19 (L'audience, suspendue à 11 heures 07, est reprise à 11 heures 36.)

20 M. le Président (interprétation): Oui, Monsieur Harmon, vous avez la

21 parole.

22 M. Harmon (interprétation): Notre prochain témoin sera M. Adil Draganovic,

23 Monsieur le Président.

24 M. Robinson (interprétation): Monsieur Harmon, ce témoin va témoigner

25 pratiquement de ce qui s'est passé en 1992?

Page 413

1 M. Harmon (interprétation): Oui. Sa déposition se concentrera sur les

2 événements de 1992, mais plus particulièrement sur les camps, de façon

3 générale, et aussi des expériences vécues par ce témoin dans les camps.

4 M. Robinson (interprétation): Pourriez-vous veiller à structurer ces

5 questions, afin d'obtenir les moyens de preuve dont nous avons besoin, ou

6 les renseignements dont nous avons besoin.

7 M. Harmon (interprétation): Je le ferai, Monsieur le Juge. Je vous

8 remercie.

9 (Le témoin, M. Adil Draganovic, est introduit dans le prétoire.)

10 (Interrogatoire principal du témoin, M. Adil Draganovic, par M. Harmon.)

11 M. le Président (interprétation): Je vais demander au témoin de donner

12 lecture de la déclaration solennelle.

13 M. Draganovic (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la

14 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

15 M. le Président (interprétation): Je vous remercie, Monsieur. Veuillez

16 vous asseoir.

17 (Le témoin s'assoit.)

18 M. Harmon (interprétation): Monsieur Draganovic, tout d'abord, je tiens à

19 vous remercier d'avoir accepté l'invitation de Mme la Procureure et de

20 venir en qualité de témoin pour parler à la Chambre des conditions de

21 détention, des installations de détention et des camps.

22 Veuillez commencer en déclinant votre identité, nom de famille et prénom

23 aux fins du compte rendu d'audience.

24 M. Draganovic (interprétation): Je m'appelle Adil Draganovic.

25 Question: Veuillez épeler votre nom de famille aux fins du dossier et du

Page 414

1 compte rendu d'audience?

2 Réponse: D-R-A-G-A-N-O-V-I-C, A-D-I-L.

3 Question: Merci, Monsieur Draganovic.

4 Nous allons d'abord parler des questions de contexte personnel. Vous êtes

5 diplômé de la Faculté de droit de Sarajevo et vous avez terminé vos études

6 en 1976. Est-ce exact?

7 Réponse: Oui.

8 Question: Pourriez-vous dire aux Juges quelle est la profession que vous

9 exercez en ce moment?

10 Réponse: En ce moment, je suis juge ou plutôt je suis président d'un

11 tribunal municipal à Sanski Most.

12 Question: A quel moment êtes-vous entré en fonction?

13 Réponse: S'agissant de ces tâches de juge, je les exerce depuis 1982. J'ai

14 d'abord travaillé à Bosanska Dubica en qualité de juge, puis à Sanski

15 Most; j'y travaille depuis 1987. Et en 1988, je suis devenu président de

16 ce tribunal municipal de Sanski Most.

17 Question: Vous êtes bosnien; est-ce exact?

18 Réponse: Oui.

19 Question: Parlons, si vous le voulez bien, de cette Union d'anciens

20 détenus de camps en Bosnie-Herzégovine. Pourriez-vous expliquer la nature

21 de cette association? Quelle en est en l'origine et quelle est sa

22 vocation, son objectif, son but?

23 Réponse: L'Union des associations de détenus ou d'anciens détenus des

24 camps, c'est une association volontaire ou bénévole multiethnique de

25 citoyens de Bosnie-Herzégovine. Cette association a été mise sur pied en

Page 415

1 1996 et elle est constituée essentiellement de citoyens de Bosnie-

2 Herzégovine qui ont fait des séjours dans des camps de concentration dans

3 le courant de l'agression contre la Bosnie-Herzégovine.

4 L'objectif de l'association consiste à déterminer un listing de tous les

5 citoyens de Bosnie-Herzégovine, de personnes qui ont séjourné dans ces

6 camps de détention, dans le courant de l'agression contre la Bosnie-

7 Herzégovine, de 1992 à 1995. Il s'agit de procéder à une classification

8 des sites de détention, il s'agit de recenser la totalité des camps de

9 détention sur le territoire de Bosnie-Herzégovine, et ceci dans l'objectif

10 de déterminer la vérité concernant l'agression perpétrée contre la Bosnie-

11 Herzégovine pour ce qui est de lancer des poursuites pénales contre des

12 auteurs de crimes de guerre sur le territoire de Bosnie-Herzégovine,

13 s'agissant donc des personnes qui ont planifié, organisé, mis sur pied ces

14 camps et qui ont violé les normes internationales dans des sites que nous

15 désignons actuellement comme étant des sites de camp de concentration.

16 Cette association des anciens détenus de Bosnie-Herzégovine se compose

17 d'associations municipales et d'associations cantonales de détenus. Puis

18 il y a une association régionale au niveau de la Republika Srpska. En

19 outre, il est une association de ces anciens détenus qui a été organisée

20 dans des pays étrangers, les pays d'accueil d'anciens détenus qui avaient

21 fait de la détention pendant le l'agression contre la Bosnie-Herzégovine.

22 Question: Quel poste occupez-vous au sein de cette organisation?

23 Réponse: Dans cette organisation, je suis tout d'abord membre et je suis,

24 à titre bénévole, un expert juridique pour ce qui est de l'élaboration de

25 documentations appropriées et de recherches.

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1 Question: Pourriez-vous expliquer aux Juges comment vous recueillez ces

2 données et comment vous gardez à jour cette base de données?

3 Réponse: Cette association des anciens détenus de Bosnie-Herzégovine

4 établit des fichiers pour tout citoyen de Bosnie-Herzégovine qui a

5 séjourné dans des camps de détention, qui est venu de son plein gré vers

6 l'association principale ou vers l'Union des associations de ces anciens

7 détenus.

8 Nous complétons là des renseignements qui sont des renseignements types

9 portant sur tout un chacun de ces détenus. Et chacun d'entre eux est tenu

10 également de rédiger une déclaration écrite où il indiquerait tous les

11 détails d'incarcération: lieu d'incarcération, personnes incarcérées en

12 même temps, citation de témoins qui savent qu'il avait été détenu avec

13 eux, ce qu'ils ont subi, quelles sont les personnes qui les ont

14 incarcérés, les dates d'incarcération, date de libération, renseignements

15 afférents à leur famille, lieu de naissance, lieu de résidence et ainsi de

16 suite. Ce sont là des renseignements nécessaires pour le traitement

17 scientifique et le traitement analytique de ce qui s'est passé et nous

18 procédons aux vérifications au niveau de l'Union de ces associations.

19 Question: Pourriez-vous me dire combien d'anciens détenus ont été inscrits

20 par votre association, dont le décompte a été fait par votre association?

21 Réponse: Selon certains renseignements qui sont loin d'être complets, il a

22 été établi des listes d'anciens détenus et il y est question de plusieurs

23 dizaines de milliers d'anciens détenus. Mais nous n'avons pas conduit à

24 terme cette procédure d'enregistrement de tous ces anciens détenus. La

25 chose est en cours au niveau de toutes les municipalités, cantons aussi

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1 bien qu'à l'étranger.

2 Nous avons en ce moment-ci entre 7 et 10.000 dossiers d'anciens détenus

3 dans nos bandes de données. Nous avons, en outre, au niveau des

4 associations cantonales et des associations municipales des banques de

5 données, ce qui fait qu'une chose est sûre à savoir que nous n'avons pas

6 recensé la totalité des anciens détenus. La procédure est en cours et elle

7 risque de durer quelques années encore.

8 Ce que je puis encore dire, c'est que, partant des évaluations et des

9 fichiers existants, il se peut qu'une centaine de milliers de personnes

10 aient séjourné dans des camps de concentration en Bosnie-Herzégovine.

11 Question: Au vu de votre expérience personnelle grâce au travail que vous

12 faites au sein de cette association, pensez-vous être en mesure de dûment

13 informer la Chambre des conditions qui prévalaient dans ces camps, dans

14 ces lieux de détention?

15 Réponse: Partant de mon expérience personnelle et partant de la

16 documentation recueillie, partant aussi des conversations que nous avons

17 eues avec des victimes, avec des personnes qui ont séjourné dans ces camps

18 de concentration, je crois pouvoir parler des souffrances endurées par ces

19 personnes au niveau des camps de concentration tout au large de la Bosnie-

20 Herzégovine.

21 Question: Monsieur Draganovic, abordons maintenant la première pièce qui

22 porte la cote n°3. C'est une carte qui vous montre les 37 municipalités

23 énumérées dans l'Acte d'accusation pour lequel Mme Plavsic avait une

24 déclaration de culpabilité. Veuillez dire aux Juges de cette Chambre

25 combien de lieux de détention il y avait dans ces 37 municipalités en

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1 1992, à la fin de l'année 1992?

2 Réponse: Dans 37 municipalités, il y avait 408 camps de concentration en

3 tout et pour tout, à savoir sites où des personnes ont été détenues de

4 force et malmenées sur le plan physique et psychique. Ces renseignements

5 sont fiables et se basent sur une documentation dont dispose l'Union des

6 associations d'anciens détenus de Bosnie-Herzégovine.

7 Question: Vous avez vous-même été détenu en deux lieux, et votre

8 expérience est telle que vous avez été détenu dans un petit camp et puis

9 dans un camp plus important, celui de Manjaca. Grâce à votre expérience,

10 les Juges auront une idée de ce qu'ont vécu les autres détenus ainsi que

11 vous-même.

12 Commençons, si vous le voulez bien, par votre première détention. Veuillez

13 en parler aux Juges. Où avez-vous été incarcéré? Quelles étaient vos

14 tâches, vos responsabilités au moment où vous avez été placé en détention?

15 Réponse: Comme je l'ai précisé, j'ai été président de ce tribunal

16 municipal de Sanski Most. J'exerçais mes tâches, je ne voulais pas quitter

17 la municipalité de Sanski Most en dépit des menaces qui étaient proférées

18 à mon égard, disant que j'allais être tué, liquidé, tout comme ma famille,

19 si je ne quittais pas la ville avant le 15 mai 1992.

20 Je suis resté au tribunal jusqu'au 15 mai, jusqu'au bout; journée où les

21 forces serbes, à savoir les autorités illégales de l'époque, étaient

22 venues en force pour m'expulser du tribunal, arme au poing, moi-même et

23 d'autres collègues, à savoir des juges et le procureur adjoint du tribunal

24 qui étaient musulmans, eux aussi.

25 Donc à partir du 15 mai, je me suis trouvé chez moi, à la maison. Pendant

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1 un certain temps, je suis allé chez des parents à Kljuc et je suis revenu

2 le 25 mai.

3 Ce 25 mai, on m'a privé de ma liberté; cela a été fait par la police

4 militaire et la police civile. On m'a tout simplement fait sortir de force

5 de ma voiture; j'ai été menacé, arme au poing, et j'ai été emmené au poste

6 de police de Sanski Most pour y être emprisonné dans une pièce de

7 détention à vue, au niveau du poste de sécurité publique à Sanski Most.

8 Question: Nous allons maintenant examiner la pièce suivante qui porte la

9 cote P4; elle va vous apparaître sur le rétroprojecteur et sur l'écran.

10 Est-ce là que vous avez été détenu, dans ce poste de police?

11 Réponse: Oui, c'est bien ce poste de sécurité publique à Sanski Most. J'ai

12 été détenu derrière ce bâtiment; c'est là que se trouvaient les cellules

13 pour la garde à vue au quotidien. Ce n'était pas une prison proprement

14 dite, ce ne sont pas des locaux de prison, mais c'étaient des pièces qui

15 étaient destinées à la garde à vue, à la détention de jour.

16 Question: Avant que vous ne poursuiviez le récit de vos conditions de

17 détention, pourriez-vous nous dire, s'agissant de ce poste-ci, le poste de

18 sécurité publique, pendant combien de temps vous avez été détenu dans une

19 cellule?

20 Réponse: Je suis resté là du 25 mai 1992 au 17 juin de la même année.

21 Question: Veuillez décrire les conditions de détention qui furent les

22 vôtres dans cette cellule; pour vous, bien sûr, et pour les autres

23 détenus?

24 Réponse: Les conditions de détention dans lesquelles nous nous trouvions

25 étaient catastrophiques. Le lendemain, les responsables du SDS de Sanski

Page 420

1 Most sont venus nous voir et nous ont dit qu'on allait nous abattre et que

2 nos têtes à nous allaient tomber les premières, dans la localité de Sanski

3 Most. Rien que cette menace-là était sérieuse au point de nous faire

4 prendre conscience du fait que nous allions être tués, tous autant que

5 nous étions.

6 Nous étions, pendant ces deux premières journées, neuf à être détenus dans

7 une pièce de 2 mètres sur 2,5, pratiquement blindée de toutes parts; il

8 n'y avait ni air, ni lumière. Il y avait de la tôle sur les murs, avec des

9 trous qui ont été faits au clou. Nous n'avions ni suffisamment d'air ni

10 suffisamment de place pour ce qui est des conditions de détention ou de

11 vie. Nous transpirions, nous étions complètement trempés de sueur; il n'y

12 avait pas d'air. Les murs étaient jaune clair et, au bout de quelques

13 jours, ces murs avaient noirci; ça sentait mauvais.

14 Nous n'avions aucune circonstance propice à la détention. On nous ouvrait

15 la porte pour cinq à dix minutes, pour nous permettre d'aller aux

16 toilettes et nous donner à manger. Le tout se faisait l'arme au poing et

17 dans une atmosphère de peur. Lorsqu'on nous faisait sortir, il y avait des

18 groupes de soldats, des groupes de policiers qui nous malmenaient, qui

19 nous menaçaient, qui nous crachaient dessus, qui nous humiliaient. Et

20 pendant que nous nous trouvions dans la cellule, lorsqu'il y avait cette

21 tôle ou plaque de tôle à la fenêtre, ils jetaient des objets contre cette

22 tôle en nous laissant entendre que c'étaient des grenades. Nous étions

23 terrorisés à un point incroyable; nous nous attendions à tout moment à

24 être tués.

25 Lorsqu'on venait dans cette cellule, on nous communiquait des

Page 421

1 désinformations ou des mensonges tout fraîchement inventés de toutes

2 pièces pour nous garder dans cette atmosphère de peur. Et la cellule à

3 côté était également pleine de gens; c'étaient des citoyens en vue, des

4 civils de Sanski Most, des personnes qui avaient fait partie des autorités

5 ou des partis politiques, des enseignants, des hommes d'affaires.

6 Question: Pourriez-vous relater aux Juges les conditions d'hygiène,

7 notamment, qui prévalaient pour vous et les autres détenus au cours de ces

8 trois semaines et demie?

9 Réponse: Pendant que nous nous trouvions dans cette cellule, j'ai déjà dit

10 tout à l'heure que nous ne pouvions sortir qu'une fois ou deux par jour.

11 Seulement une seule fois, nous pouvions faire nos besoins dans le couloir

12 qui avait cinq à huit mètres de long. Dans la partie supérieure de ce

13 couloir, il y avait plein de déchets et cela sentait très mauvais: c'était

14 plein d'excréments. Les conditions sur le plan sanitaire étaient

15 terribles. Lorsque le couloir était plein d'excréments, on nous conduisait

16 dehors pour creuser un trou derrière ces locaux-là, à côté du mur du

17 stade. On nous a dit donc de creuser un trou pour qu'ils puissent nous

18 jeter dedans et nous ensevelir.

19 En séjournant là pendant quelques jours, je me suis trouvé dans une

20 situation d'amnésie grave parce que toutes ces informations, toutes ces

21 désinformations, tous ces mauvais traitements, toutes ces accusations

22 complètement erronées ne conduisaient qu'à une chose: d'après ce que j'en

23 savais, ça conduisait à une issue fatale pour moi et pour tous ceux qui se

24 trouvaient là.

25 Question: A la fin de votre détention à Sanski Most, après celle-ci, où

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1 êtes-vous allé? Où avez-vous été transféré?

2 Réponse: Dans le courant de la matinée, le 17 mai 1992, le directeur de

3 cette prison, Vujanic Drago qui était juriste -un ex-collègue à moi se

4 trouvant actuellement à Banja Luka- est venu avec une liste et il a donné

5 lecture de mon nom et de celui d'un autre détenu qui était dans ma

6 cellule: Jakupovic Ismet. Nous sommes sortis et nous croyions qu'on allait

7 nous relâcher sans savoir ce qui se passait à l'extérieur.

8 Or on nous a donné l'ordre d'incliner la tête vers le bas et de mettre nos

9 bras dans le dos. Il y avait deux policiers qui, l'arme au poing, se

10 dirigeaient vers nous. Nous avons dû les suivre, sortir de l'enceinte de

11 ce poste de police. Nous sommes passés par des cordons de policiers et de

12 civils serbes, et de soldats serbes également, qui nous crachaient dessus,

13 qui nous traitaient de tous les noms, qui nous offensaient et nous

14 injuriaient. On nous a conduits sur 50 mètres vers un bâtiment qu'on

15 appelait la "Bétonnière" où l'on avait détenu des Bosniens. C'est là qu'on

16 m'a fait monter dans un camion.

17 Question: Et où avez-vous été emmenés? Je vais demander que l'on place la

18 pièce suivante sur le rétroprojecteur.

19 Merci, Madame Javier.

20 (Intervention de Mme Anninck-Javier.)

21 Réponse: On nous a transférés à Manjaca. En fait, nous ne savions pas où

22 on nous emmenait jusqu'au moment où nous sommes arrivés là-bas.

23 Question: Est-ce que vous avez été détenu à Manjaca jusqu'au 14 décembre

24 1992?

25 Réponse: Oui.

Page 423

1 Question: Monsieur Draganovic, on voit une photographie à l'écran; c'est

2 la pièce de l'accusation P5.

3 Veuillez examiner cette photographie et dire aux Juges ce que cette

4 photographie représente?

5 Réponse: Sur cette photographie, on montre une étable à Manjaca. C'était

6 l'étable où je me suis retrouvé moi-même. J'avais une place à gauche dans

7 un box, à gauche, tout au fond de cette étable. Et des étables de ce

8 genre, il y en avait six. Elles étaient toutes pleines de détenus qui, de

9 façon illicite, avaient été dépossédés des Droits de l'homme et qui ont

10 été gardés là jusqu'à la fin de l'existence de ce camp.

11 Question: Est-ce qu'il s'agissait là de non-Serbes, de Bosniens, de

12 Croates?

13 Réponse: Il s'agissait là essentiellement de Bosniens. Il y avait un fort

14 petit nombre de Croates et il y avait également un petit nombre de Serbes,

15 de déserteurs de la JNA qui n'avaient pas voulu faire la guerre en

16 Croatie.

17 Question: Pourriez-vous expliquer aux Juges quelles étaient les

18 conditions, conditions sanitaires surtout, mais les conditions climatiques

19 aussi? Est-ce que vous disposiez des produits de première nécessité? Est-

20 ce que vous aviez un toit? Est-ce que vous aviez des vêtements?

21 Réponse: Lorsqu'on nous a amenés à Manjaca, on a d'abord commencé à nous

22 tabasser, chacun d'entre nous, au fur et à mesure qu'on lisait nos noms

23 pour descendre du camion. Et en descendant, il y avait une haie de

24 policiers militaires et de soldats serbes qui nous tapaient dessus avec

25 des objets variés: avec des bâtons, avec des battes. Et c'est ce qui nous

Page 424

1 est arrivé lorsque nous descendions; donc nous avions abaissé la tête, les

2 bras dans le dos, et on nous tapait dessus avec des matraques.

3 Puis, ensuite, on nous a fait entrer dans une étable qu'on avait appelée

4 "l'écurie". Et j'y ai passé huit jours. J'ai été battu chaque jour, tout

5 comme les autres personnes qui étaient détenues avec moi dans cette

6 écurie. A un moment donné, nous étions plus de 70.

7 Question: Monsieur Draganovic, quelles étaient les conditions en matière

8 d'hygiène notamment, conditions sanitaires?

9 Je dois vous avertir du fait que nous n'avons qu'un temps précis qui nous

10 a été imparti. Je regarde l'heure qui passe. Nous avons un autre témoin

11 qu'il faudra entendre avant 13 heures. Je vous demanderai d'être concis

12 tout en étant complet. Je vous remercie d'avance.

13 Réponse: Fort bien.

14 S'agissant des conditions hygiéniques, je dirai qu'il n'y en avait pas.

15 D'abord, cette écurie ou plutôt cette étable était destinée au bétail.

16 Vous pouvez d'ailleurs le constater partant de cette photographie. Cette

17 étable faisait 16 mètres sur 50 et, dans chacune de ces étables, il y

18 avait 500 à 700, parfois même 800 personnes. Nous séjournions là tout ce

19 temps. Et dans ces étables, il faisait froid. Nous étions allongés, nous

20 dormions sur le sol, sur le béton. Nous faisions nos besoins là, dans

21 l'enceinte, entre les étables, le jour et la nuit, dans des seaux. Le seau

22 était placé à proximité de la porte. Il n'y avait pas assez d'eau, l'eau

23 n'était pas propre, elle était polluée. Nous buvions de l'eau en

24 provenance du lac et cette eau ne satisfaisait pas au minimum, au strict

25 minimum prévu pour la consommation humaine.

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1 Nous avons été tabassés et, à force de coups, nous perdions tout le

2 liquide que nous avions dans notre corps. Nos bouches étaient desséchées,

3 nous ne pouvions pas parler. Donc, s'agissant de ces conditions d'hygiène,

4 ce que je puis affirmer, c'est que c'était catastrophique, inhumain;

5 c'était brutal.

6 Question: Vous avez parlé de ces passages à tabac; est-ce qu'il y a des

7 détenus qui ont été tués également?

8 Réponse: Les passages à tabac étaient permanents, notamment au cours des

9 deux à trois premiers mois. Par la suite, les passages à tabac étaient

10 plus rares. Au moment où la Croix-Rouge internationale a enregistré tous

11 les cas et au moment où nous avons commencé à recevoir la visite de

12 représentants de la Croix-Rouge internationale, nous avons été tabassés.

13 Et nous étions, dans le camp entier, 5.434 exactement.

14 Vous aviez posé encore une autre question? Excusez-moi.

15 Question: Je vous ai demandé si des gens ont été tués?

16 Réponse: Oui. Il y a eu des gens qui ont été tués. Suite aux passages à

17 tabac, des personnes sont décédées. Il y a eu des personnes tuées à

18 l'intérieur et à l'extérieur du camp, et j'ai pu voir des personnes en

19 train d'être tuées de mes yeux.

20 Question: Nous allons maintenant parler de la nourriture disponible pour

21 les détenus. Nous avons deux brèves séquences vidéo. Je vous décris la

22 première qui est très brève: vous allez voir comment les autorités serbes

23 de Bosnie avaient préparé l'accueil des représentants de la Communauté

24 internationale. On croirait que c'est vraiment le règne de l'abondance, il

25 y a énormément de nourriture. Vous verrez d'ailleurs M. Draganovic au fil

Page 426

1 de ces images. Je vais d'abord vous montrer ces extraits et je vais lui

2 poser quelques questions. Et puis, vous verrez une deuxième séquence qui

3 montre les conditions véritables qui prévalaient pour les détenus de

4 Manjaca.

5 Nous allons maintenant demander à la régie de diffuser la première

6 séquence. Après quoi, je vous demanderai d'apporter un commentaire bref,

7 si vous voulez bien, Monsieur Draganovic. Il s'agit de la pièce n°6.

8 (Diffusion de la cassette.)

9 Réponse: Vous voyez, dans une chemise blanche, moi-même je suis passé en

10 portant un sac sur le dos; et c'était la journée où il y a eu, dans le

11 camp, une première fois des journalistes qui étaient arrivés. Ils

12 attendaient devant le portail que vous avez vu tout à l'heure. Ce jour-là,

13 il est arrivé de grandes quantités de pains que l'on a rangées à cet

14 endroit-là. Et nous autres, on nous avait pris dans le camp pour nous

15 faire porter ces pains vers un autre camp, c'est-à-dire arriver devant le

16 portail pour être filmés par les journalistes.

17 Question: Manifestement, ceci ne montrait pas la quantité de nourriture

18 dont pouvait bénéficier chacun des détenus pendant votre période de

19 détention.

20 Nous allons maintenant voir la deuxième séquence et je vais vous demander

21 d'examiner cette pièce de l'accusation n°7 et en faire un commentaire.

22 (Diffusion de la vidéo.)

23 Réponse: C'étaient des images types de détenus dans ces étables.

24 Question: Est-ce que vous reconnaissez l'une de ces personnes?

25 Réponse: Je le reconnais, c'est un parent à moi; il s'appelle Draganovic

Page 427

1 aussi. Il est originaire de Pudin Han, originaire de Kljuc.

2 Je reconnais tous ces gens-là. Ce que je veux dire, c'est que pendant ces

3 trois premiers mois, c'était un camp de la faim; les gens étaient affamés,

4 il n'y avait pas assez à manger et ce qu'il y avait à manger était de

5 mauvaise qualité. Il y avait de tous petits repas le matin. C'était soi-

6 disant une tasse de thé, mais c'était de l'eau réchauffée avec un peu de

7 sucre et un morceau de pain. Et laissez-moi vous dire, sur 2.500 personnes

8 on distribuait 90 miches de pain; donc un pain entier était découpé en 20

9 ou 40 tranches et chacun des détenus obtenait une tranche. C'était des

10 tranches au travers desquelles on pouvait voir l'autre personne.

11 Question: Quelle a été la perte pondérale moyenne de chaque détenu, pour

12 autant que vous le sachiez? Nous parlons ici du camp de Manjaca.

13 Réponse: Je puis dire, partant de ce que j'ai vécu et vu, que les détenus

14 avaient perdu entre 20 et 30 kilos chacun, et cela a été constaté par les

15 représentants de la Croix-Rouge internationale également. Ces

16 représentants étaient venus se rendre compte de la situation. Et si la

17 Croix-Rouge internationale n'était pas venue, si l'UNHCR n'était pas venu

18 nous voir, nous serions tous morts de fin.

19 Question: Le temps passe, nous avons un autre témoin à entendre. Je vais

20 donc être rapide pour aborder un autre sujet.

21 Vous avez été libérés du camp de Manjaca le 13 décembre. Est-ce que vous

22 avez dû, dans ce cadre, signer un document pour obtenir votre libération

23 du camp? Veuillez le dire rapidement aux Juges pour expliquer ce qu'on

24 vous a dit à propos de ce document.

25 Réponse: Chacun d'entre nous devait signer un document auprès d'un

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1 officier du commandement, disant que nous allions quitter la Bosnie-

2 Herzégovine à tout jamais et que nous n'allions jamais revenir en Bosnie-

3 Herzégovine, et dire que nous acceptions d'être pris en charge par l'UNHCR

4 ou la Croix-Rouge aux fins de déportation.

5 Question: Pourriez-vous parler de l'effet déshumanisant qu'ont eu ces

6 conditions de vie dans le camp pour vous et pour les autres détenus?

7 Réponse: Nous avons des limites de temps, je pourrais en parler fort

8 longtemps, mais ce que je pourrais dire à ce sujet, c'est que j'ai

9 souffert de séquelles pour ma santé, tant sur le plan physique que

10 psychique.

11 Et depuis le jour de ma sortie de ce camp, je me soumets régulièrement à

12 des contrôles, à des soins médicaux. Je suis un intellectuel et, d'une

13 certaine façon, j'ai réussi à réintégrer une vie normale. Mais il est des

14 séquelles durables tant sur le plan psychique que physique, des

15 traumatismes. Et il en est de même pour ce qui est des autres détenus.

16 Je voudrais préciser que dans tous les camps aussi bien qu'à Manjaca, les

17 gens ont vu leur état de santé se détériorer. Ils ont perdu dix ans de

18 leur vie. Bon nombre sont décédés. Je dirai pour Sanski Most et Prijedor

19 que depuis la fin de la guerre à nos jours, d'après la documentation dont

20 nous disposons, plus de 500 détenus ou anciens détenus son mort à l'âge de

21 40 ou 50 ans. Nous allons élaborer une étude approfondie à ce sujet-là qui

22 engloberait le territoire entier de la Bosnie-Herzégovine.

23 Question: Nous allons maintenant examiner la pièce suivante qui porte la

24 cote P8. Il s'agit, Messieurs les Juges, d'une photographie vous montrant

25 plusieurs individus au camp d'Omarska.

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1 Voici ma question, Monsieur Draganovic: est-ce qu'à Omarska aussi il y

2 avait pénurie ou… je me corrige, est-ce qu'à Manjaca la situation en

3 matière de nourriture était tout à fait exceptionnelle, ou est-ce que dans

4 les autres camps aussi il y avait malnutrition du fait de la pénurie de

5 nourriture?

6 Réponse: Partant des recherches, partant des conversations que nous avons

7 eues avec les ex-détenus, nous pouvions dire que les méthodes ont été les

8 mêmes dans tous les camps, les méthodes où l'on affamait les gens étaient

9 les mêmes dans tous les camps. Ces images que vous voyez sont des images

10 du camp d'Omarska.

11 Question: Lorsqu'on parle ici du manque de nourriture, vous avez parlé des

12 sévices physiques dont vous avez été victime, de l'absence de conditions

13 d'hygiène correctes, l'absence de vêtements pour l'hiver notamment, toutes

14 ces privations. D'après vous, au vu de la recherche que vous avez

15 effectuée, est-ce que c'était une réalité qui était aussi celle des autres

16 camps de détention se trouvant dans les 37 municipalités reprises dans

17 l'Acte d'accusation?

18 M. Draganovic (interprétation): Je vais répondre brièvement à cette

19 question. Dans toutes les localités, dans tous les sites de détention on a

20 mis en œuvre des méthodes identiques ou très semblables. L'objectif est

21 évident.

22 M. Harmon (interprétation): Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

23 nous devons agir à la hâte puisqu'un autre témoin est prévu. Mais

24 permettez-moi d'attirer votre attention sur la pièce de l'accusation P11.

25 Madame Anninck-Javier, veuillez poser cette pièce sur le rétroprojecteur.

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1 Monsieur le Président, nous avons ici trois pièces: les pièces 10, 11 et

2 12. Ce sont des extraits d'un rapport élaboré par M. Mazowiecki,

3 rapporteur spécial en matière des Droits de l'homme. Ces rapports, ce sont

4 des rapports établis en 1992, des extraits en ont été surlignés; je les ai

5 montrés au témoin.

6 Vu le peu de temps imparti, je vous demande ceci, Monsieur le Témoin.

7 Etes-vous en mesure de confirmer ceci: avez-vous eu l'occasion d'examiner

8 ces extraits et pouvez-vous en confirmer l'exactitude au niveau du

9 contenu?

10 Réponse: Je m'excuse, je n'ai pas obtenu de traduction dans mes écouteurs

11 et je n'ai pas du tout compris ce que vous avez dit tout à l'heure.

12 Question: Hier, est-ce que je vous ai montré, Monsieur Draganovic,

13 certains extraits du rapport établi au nom du Conseil de sécurité par M.

14 Mazowiecki? Est-ce que vous avez eu l'occasion d'en examiner la teneur?

15 Réponse: Oui, je me suis penché sur ces parties de rapports.

16 Question: Et sont-ce là des extraits exacts?

17 Réponse: Toutes les parties qu'il m'a été donné de voir sont tout à fait

18 exactes.

19 M. Harmon (interprétation): Monsieur le Président, je n'ai plus de

20 questions à poser à ce témoin. Je vous remercie.

21 Merci, Monsieur Draganovic.

22 M. le Président (interprétation): La défense souhaite-t-elle poser des

23 questions?

24 M. O'Sullivan (interprétation): Non, Monsieur le Président. Merci.

25 M. le Président (interprétation): Monsieur Draganovic, ceci met un terme à

Page 431

1 votre déposition. Merci d'être venu déposer en tant que témoin devant le

2 Tribunal pénal international. Vous pouvez désormais disposer.

3 M. Draganovic (interprétation): Merci également, Messieurs les Juges.

4 (Le témoin, M. Adil Draganovic, est reconduit hors du prétoire.)

5 M. le Président (interprétation): Nous allons poursuivre l'audience de ce

6 matin jusqu'à 13 heures 10.

7 M. Harmon (interprétation): Je vous remercie, Monsieur le Président.

8 Le témoin suivant appelé à la barre sera Mme Teufika Ibrahimefendic.

9 En guise de résumé, dans l'attente de l'arrivée du témoin dans le

10 prétoire, je vous dirai que Mme Ibrahimefendic est une professionnelle des

11 soins de santé qui s'occupe de victimes depuis 1994. Elle vous donnera

12 l'avis d'un clinicien s'agissant de son expérience quotidienne,

13 puisqu'elle a travaillé avec des personnes souffrant de traumatismes, et

14 surtout avec des femmes et des enfants qui ont subi ces traumatismes

15 pendant la période couverte par l'Acte d'accusation; ce traumatisme

16 demeure. Elle vous parlera de certains des problèmes rencontrés par ces

17 personnes dans leur vie quotidienne en Bosnie.

18 (Le témoin, Mme Teufika Ibrahimefendic, est introduit dans le prétoire.)

19 M. le Président (interprétation): Je vais demander au témoin de donner

20 lecture de la déclaration solennelle.

21 Mme Ibrahimefendic (interprétation): Je déclare solennellement que je

22 dirai la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

23 M. le Président (interprétation): Je vous remercie, Madame. Veuillez vous

24 asseoir.

25 (Le témoin s'exécute.)

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1 (Interrogatoire principal du témoin, Mme Teufika Ibrahimefendic, par M.

2 Harmon.)

3 M. Harmon (interprétation): Madame Ibrahimefendic, je vais vous demander

4 de vous rapprocher des micros. Merci.

5 Je tiens tout d'abord à vous remercier d'avoir accepté de venir

6 comparaître en qualité de témoin et de participer à cette audience des

7 plus importantes.

8 J'ai eu l'occasion de donner quelques informations de contexte vous

9 concernant aux Juges avant votre arrivée dans le prétoire. Voici ce que

10 j'aimerais que vous fassiez maintenant: pourriez-vous décliner votre

11 identité et épeler, aux fins du compte rendu, votre nom de famille?

12 Mme Ibrahimefendic (interprétation): Teufika Ibrahimefendic, I-B-R-A-H-I-

13 M-E-F-E-N-D-I-C.

14 Question: Je ne vais pas vous demander d'énoncer vos qualités

15 professionnelles au nom des Juges. Je le ferai, vous me direz si c'est

16 exact; nous pourrons ainsi procéder plus rapidement.

17 Madame le Témoin, vous êtes psychothérapeute; vous travaillez pour Viva

18 Zene, une ONG basée à Tuzla; est-ce exact?

19 Réponse: Oui.

20 Question: Et vous êtes membre d'une équipe, d'abord de l'équipe de

21 direction; et vous êtes coordinatrice clinicienne, responsable du

22 programme ambulatoire s'occupant des victimes traumatisées?

23 Réponse: Oui.

24 Question: Vous êtes aussi psychothérapeute et vous avez vos propres

25 clients; est-ce exact?

Page 433

1 Réponse: Oui.

2 Question: S'agissant de votre formation universitaire, je vais la passer

3 en revue et vous demander confirmation. Vous avez fait l'école secondaire

4 médicale à Tuzla en 1967; de 1970 à 1972, vous avez reçu une formation

5 d'assistante sociale à une école supérieure.

6 De 1975 à 1980, vous avez suivi des cours à l'Université de Sarajevo et

7 vous avez obtenu un diplôme en psychologie et en pédagogie. Vous avez

8 suivi les cours suivant: en 1995 et 1996, vous avez reçu un certificat de

9 l'OMS à l'Université de Columbia pour des cours portant sur les

10 traumatismes de guerre.

11 En 1996 et 1997, vous avez suivi des cours de l'Université de Cologne en

12 conseil psychosociaux à donner à des personnes et à des enfants

13 traumatisés. Ce qui a fait en tout, 300 heures de formation.

14 De 1988 à 2000, vous avez suivi 300 heures de cours en psychodrame. C'est

15 une spécialité, une méthode spéciale permettant de travailler avec des

16 femmes et des enfants traumatisés par la guerre; programme payé par la

17 Communauté européenne. Vous avez trois ans de formation en "Gestalt

18 therapy", en thérapie corporelle; vous avez suivi plus de 200 heures de

19 formation.

20 Entre 1997 et 1998, vous avez suivi des cours de formation pour la

21 thérapie par la douleur et vous avez également reçu une formation

22 supplémentaire en thérapie familiale, est-ce exact?

23 Réponse: Oui.

24 Question: S'agissant de votre expérience en matière de travail, entre 1967

25 et 1970, vous avez été infirmière en pédiatrie.

Page 434

1 De 1970 à 1994, vous avez été assistante sociale psychiatrique à Tuzla, au

2 centre clinique.

3 Depuis 1994 jusqu'à nos jours, vous êtes psychothérapeute à Viva Zene:

4 est-ce exact?

5 Réponse: Oui.

6 Question: Madame le Témoin, vous viviez à Tuzla au début de la guerre,

7 n'est-ce pas? Et vous y êtes restée jusqu'à nos jours; est-ce exact?

8 Réponse: Oui.

9 Question: Pourriez-vous, en quelques mots, nous décrire la communauté qui

10 était présente à Tuzla avant le début de la guerre?

11 Réponse: Tuzla était considérée comme une des villes où la démocratie

12 s'exprimait le mieux, si je puis m'exprimer un peu. Suite aux dernières

13 élections avant la guerre, les forces réformistes l'ont emporté et je

14 crois pouvoir dire que nous avions un sentiment de liberté par rapport à

15 l'avenir. Très franchement, nous pensions que nous avions des perspectives

16 favorables pour l'avenir.

17 Et pendant que la guerre faisait rage en Croatie, peu à peu, des rumeurs

18 ont commencé à parler de possibilité de guerre en Bosnie également. Des

19 intimidations venaient des Etats voisins, notamment de la Croatie, et

20 étaient véhiculées par les médias.

21 Je dois dire que moi-même et mes amis -en tout cas, les gens avec qui je

22 travaillais- n'étaient pas suffisamment bien informés. Donc nous avons

23 ressenti une certaine frayeur; nous ne savions plus très bien où nous en

24 étions et nous avons néanmoins continué à penser de façon optimiste et

25 avec espoir à ce qui pouvait se produire à l'avenir.

Page 435

1 Mais, dès le début de 1992, plus précisément dès le début du mois de mars

2 1992, la situation s'est considérablement modifiée avec augmentation de la

3 nervosité, de la confusion, de la peur -il y avait pas mal de peur-, de la

4 panique, d'un sentiment général d'incertitude. Les gens ont commencé à se

5 préparer à la guerre, même si personne ne pouvait imaginer combien une

6 telle guerre pouvait durer et quels seraient exactement les caractères de

7 cette guerre.

8 Donc à Tuzla, à l'époque, la panique a commencé à régner et, dans ce

9 climat, pas mal de gens ont fait partir leurs enfants de la ville. La

10 majorité des habitants serbes ont quitté la ville, mais des représentants

11 des autres nationalités ont commencé à s'en aller également. Peut-être

12 s'agissait-il, d'ailleurs, au début, des personnes les plus aisées, les

13 plus instruites qui ont commencé à envoyer leurs enfants ou d'autres

14 membres de leur famille à l'étranger. Mais en tout cas, on sentait que le

15 climat était tendu et que quelque chose de négatif allait arriver. Je

16 travaillais à l'époque à l'hôpital et je dois admettre que nous n'avions

17 rien fait de particulier pour nous préparer à la guerre.

18 Peut-être peut-on parler de certaines préparations dans le cadre de la

19 Croix-Rouge. Je militais à cette époque-là au sein de cette organisation,

20 donc certains préparatifs ont été accomplis, tels que les prises de sang

21 et les collectes de sang, ce genre de choses, pour satisfaire aux besoins

22 d'un hôpital pendant la guerre.

23 Question: Madame Ibrahimefendic, permettez-moi de vous arrêter ici parce

24 que j'aimerais revenir à la guerre et en particulier au début de la

25 guerre.

Page 436

1 Les Juges ont déjà entendu le premier témoin qui, aujourd'hui, a parlé du

2 grand nombre de crimes qui ont été commis un peu partout en Bosnie.

3 La guerre a commencé. J'aimerais que nous nous concentrions sur la crise

4 qu'a provoqué l'arrivée des réfugiés à Tuzla. Pourriez-vous dire aux Juges

5 ce qui s'est passé lorsque la guerre a commencé dans les municipalités

6 environnant Tuzla et que la crise a fait rage à Tuzla avec l'arrivée des

7 réfugiés?

8 Réponse: Eh bien, les réfugiés sont arrivés des villages voisins de

9 Zvornik. C'étaient des gens qui étaient effrayés, terrorisés, qui ne

10 portaient que très peu de choses sur eux. La ville n'était absolument pas

11 prête à les recevoir. Ils ont été installés au centre sportif de Tuzla.

12 Ils venaient à la clinique pour proposer du sang en disant que, chez eux,

13 il y avait la guerre. C'est ce que j'ai entendu lors de mes premiers

14 contacts avec eux.

15 Les services médicaux ont donc été concentrés sur les premiers soins qui

16 étaient nécessaires à ces réfugiés, alors que la Croix-Rouge s'occupait de

17 les nourrir.

18 La population de Tuzla a essayé de les aider en apportant de la

19 nourriture, des vivres, ce genre de choses. Mais cela a duré jusqu'à la

20 fin du mois d'avril, début du mois de mai. Et à ce moment-là, vraiment, le

21 nombre de personnes nouvellement arrivées à Tuzla était tout à fait

22 important. Je ne m'occupais pas précisément de cela à l'époque, donc je ne

23 peux pas vous donner un chiffre exact, mais je sais qu'il y avait des

24 services spécialisés qui recensaient les personnes arrivant à Tuzla. Car

25 c'est le 15 mai, qui marque le début de la guerre officielle à Tuzla;

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1 c'est à partir de ce jour-là que Tuzla a été encerclée, fermée et que plus

2 personne ne pouvait quitter la ville. Donc les personnes qui s'y sont

3 trouvées par hasard n'ont pas pu partir.

4 C'est à partir de ce jour-là –donc à partir du 15 mai- que la ville a

5 commencé à perdre tous ses caractères de civilisation. Nous avons été

6 privés d'électricité, privés d'eau. La panique et le chaos le plus général

7 régnaient. Et ensuite, fin mai-début juin, d'autres réfugiés encore sont

8 arrivés d'autres villes: de Bratunac, de Zvornik, de Bijeljina, par

9 exemple.

10 Je crois que c'est de ces trois municipalités que le nombre des nouveaux

11 arrivants a été le plus important. Mais il y en a eu aussi qui venaient de

12 Doboj et d'autres municipalités de Bosnie-Herzégovine. Tout dépendait de

13 l'endroit où les gens avaient des amis ou des membres de leur famille.

14 Question: Pourriez-vous me dire, s'agissant de la santé mentale de ces

15 réfugiés, quelle était la situation? Etaient-ils traumatisés?

16 Pouvez-vous dire aux Juges, si tel était le cas, quelle était la cause des

17 traumatismes vécus par ces personnes d'après vous?

18 Réponse: Les gens en question avaient vécu un choc émotionnel. Ils étaient

19 complètement désorientés, si je puis utiliser ce terme. Ils n'étaient en

20 fait pas conscients de la réalité de la situation, pas conscients de ce

21 qui se passait, pas conscients de la réalité dans laquelle ils se

22 trouvaient. Ils avaient beaucoup de mal à s'y retrouver, s'agissant des

23 besoins de s'alimenter, de se vêtir et de satisfaire aux autres nécessités

24 de la vie. Le personnel médical, qui s'occupait de toutes ces personnes à

25 ce moment-là, leur offrait des soins médicaux lorsqu'il y avait eu choc

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1 physique ou physiologique. Mais je dois dire que, dans ces premiers temps,

2 il n'y avait guère de préoccupations vis-à-vis de leurs problèmes

3 psychologiques et mentaux. En effet, la ville n'était pas prête à un tel

4 chaos, à l'arrivée d'un nombre aussi énorme de personnes à la recherche

5 d'aide; et la ville ne savait pas très bien quoi faire. Les habitants, à

6 ce moment-là, s'occupaient encore trop de leur propre situation, de leurs

7 propres craintes, de leurs propres terreurs. Donc il a été difficile de

8 proposer une quelconque empathie à ces personnes nouvellement arrivées, de

9 leur proposer des solutions, de leur offrir des vivres, des vêtements,

10 d'organiser l'évacuation de ceux qui avaient le plus de difficultés, comme

11 par exemple, les personnes âgées ou les enfants. Pas mal d'enfants

12 d'ailleurs se sont retrouvés à l'hôpital, car, physiquement, ils étaient

13 épuisés. En effet, il leur avait fallu marcher plusieurs jours d'affilée

14 lorsqu'ils ont fui leurs villages et leurs maisons incendiées. Une fois

15 qu'ils ont pris la fuite, ils se sont d'abord retrouvés dans la forêt,

16 avant de marcher longtemps pour arriver à Tuzla.

17 Donc toutes ces personnes étaient véritablement épuisées, totalement

18 épuisées, sans énergie, sans force, impuissantes. Et elles ne pouvaient

19 pas s'occuper d'elles-mêmes, donc encore moins de leurs enfants. C'était

20 la confusion la plus totale qui régnait en ville, un chaos total qui reste

21 un souvenir très pénible, pas seulement pour les femmes nouvellement

22 arrivées en ville, mais pour nous tous ici, qui habitions dans cette ville

23 et qui nous trouvions totalement impuissants face à cette situation.

24 Question: Madame Ibrahimefendic, vous avez dit hier, en ma présence -et

25 j'aimerais vous le faire confirmer-, que les services qui ont été les

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1 premiers à s'occuper de l'aspect psychologique du traumatisme que ces

2 personnes avaient vécu étaient insuffisants au début et que, finalement,

3 la Communauté internationale ainsi qu'un certain nombre de volontaires des

4 milieux médicaux de Tuzla ont commencé à se mobiliser et à prêter

5 davantage attention à ce genre de problèmes. C'est bien cela?

6 Réponse: Oui, c'est exact. Les professionnels, les psychologues, les

7 psychiatres, les travailleurs sociaux ne sont pas parvenus à s'y retrouver

8 au début. Ils avaient leur propre expérience professionnelle qui leur

9 permettait de s'occuper d'autrui. Ils étaient habitués à proposer une aide

10 humaine à un autre être humain, mais avaient moins d'expérience dans le

11 domaine des traumatismes. Car, pour nous, tout cela était une expérience

12 très nouvelle de voir tout d'un coup un groupe très important de civils

13 plonger dans ce que je pourrais qualifier de situation catastrophique

14 survenue par surprise.

15 Donc il nous a fallu du temps pour nous y retrouver et nous rendre compte

16 de ce que nous pouvions faire. D'abord des volontaires se sont rendus dans

17 les différents hameaux…

18 Question: Madame Ibrahimefendic, je me permettrai de vous interrompre, car

19 nous disposons d'un temps limité. Nous avons déjà parlé de cela pendant

20 pas mal de temps.

21 J'aimerais que nous consacrions un certain temps à ce qui a été fait dans

22 le cadre de votre expérience professionnelle.

23 Pourriez-vous dire, je vous prie dire, en quelques mots aux Juges, ce

24 qu'est exactement Viva Zene? Quand ce groupe a-t-il été créé? Quel était

25 l'objet de cette organisation? Pourriez-vous nous le dire rapidement, s'il

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1 vous plaît?

2 Réponse: Je me contenterai de dire qu'à la fin de 1992 ou au début de

3 1993, des experts ont commencé à venir en provenance de l'étranger, qui

4 nous ont proposé leur savoir en matière de traumatismes et nous ont

5 indiqué comment nous pouvions aider les personnes traumatisées.

6 Un groupe de femmes allemandes a, un peu plus tard, décidé d'essayer

7 d'aider les femmes et les enfants de Bosnie. Ce groupe était au courant de

8 l'arrivée d'un grand nombre de réfugiés à Tuzla et a donc décidé de se

9 concentrer sur Tuzla; ça, c'était en 1993. Et, en 1994, Viva Zene a déjà

10 accueilli les premières femmes et les a logées de façon permanente.

11 Viva Zene est une organisation qui, aujourd'hui encore, s'occupe donc de

12 fournir une aide psychologique aux personnes traumatisées, notamment aux

13 femmes et aux enfants qui ont subi des traumatismes liés à la guerre ou

14 d'autres traumatismes. Dans le centre que nous avons, nous mettons en

15 oeuvre un programme qui s'applique à des femmes logées en permanence ou

16 traitées en ambulatoire et nous travaillons également dans deux sites de

17 réfugiés.

18 Dans les sites où se trouvent les réfugiés, nous appliquons donc

19 l'ensemble du programme sur toute la population et, dans notre centre,

20 nous nous occupons plus particulièrement des personnes qui ont davantage

21 besoin d'aide; nous nous occupons également des personnes qui sont logées

22 avec leurs enfants dans nos locaux.

23 Question: J'aimerais, Madame Ibrahimefendic, vous poser maintenant la

24 question suivante. En fait, j'aurais dû vous le dire dès le début de votre

25 déposition. Ce qui intéresse les Juges de cette Chambre, plus

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1 particulièrement, ce sont les traumatismes dus aux événements survenus en

2 1992, événements qui ont fait de nombreuses victimes.

3 Je sais, parce que j'ai parlé avec vous, que vous soignez encore des

4 personnes traumatisées en 1992. Mais je vous demanderai, si vous le

5 pouvez, de faire une distinction entre les victimes de traumatismes de

6 guerre qui ont subi des traumatismes entre 1993 et la période ultérieure,

7 et les personnes victimes des événements liés à la guerre qui ont été

8 traumatisées en 1992. Ce serait utile de d'établir cette distinction, dans

9 l'intérêt des Juges de cette Chambre.

10 Donc j'aimerais, si vous voulez bien, que vous commenciez par nous dire

11 quelles ont été les actions psychologiques entreprises par les services

12 psychosociaux à l'intention des femmes et des enfants traumatisés.

13 En effet, pouvez-vous nous décrire la symptomatologie de ce traumatisme?

14 S'agissait-il de traumatismes assez typiques que l'on retrouve dans

15 d'autres lieux où des soins sont proposés, sur le territoire de la Bosnie-

16 Herzégovine?

17 Réponse: Eh bien, en peu de mots et pour commencer, j'aimerais dire

18 d'abord ce qu'est un traumatisme et de quelle façon moi-même et l'équipe

19 dont je fais partie avons, depuis dix ans, adapté à notre contexte la

20 définition du mot "traumatisme".

21 Sur le plan clinique, il existe de très nombreuses définitions du terme

22 "traumatisme", mais la définition qui nous convient le mieux, dans le

23 contexte qui est le nôtre, consiste à définir le traumatisme comme un

24 événement dû à quelque chose d'anormal assorti de menaces. Dans ces

25 conditions, l'organisme humain est affaibli par existence de ces menaces,

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1 menaces à l'intégrité physique et donc liées à la peur que crée cette

2 coercition. Donc ça, c'est le premier traumatisme, celui qui a été vécu

3 par les personnes qui sont arrivée en 1992 et 1993; et ce traumatisme crée

4 chez la personne un sentiment d'incertitude, d'impuissance; elle a

5 l'impression qu'elle ne pourra pas maîtriser la situation.

6 Ce sentiment de peur de destruction physique existe également parce que la

7 guerre est tout de même une catastrophe très importante; c'est un

8 événement qui enclenche toutes sortes d'autres événements qui mènent la

9 personne soumise à tout cela, à se sentir incapable de réagir.

10 Un être humain a des réactions souvent instinctives qui suffisent, face à

11 diverses réalités. Mais face à une réalité aussi catastrophique que celle-

12 là, face à un stress aussi important, à des menaces aussi graves, la

13 réaction semble ne plus être possible. Donc il y a ce sentiment

14 d'impuissance –j'en ai déjà parlé-; la personne a l'impression qu'elle ne

15 peut pas maîtriser la situation, elle craint d'être tuée, d'être réduite à

16 néant, elle craint de voir tout simplement disparaître son organisme et,

17 dans certains cas, on peut voir des ruptures psychiques importantes se

18 produire chez certaines personnes.

19 Nous avons observé, dans les cas les plus graves, de véritables ruptures

20 de la personnalité chez des personnes pour qui la tension est trop

21 importante, et elles ne peuvent pas réagir à cette tension. Et puis, à ce

22 moment-là, les symptômes se développent dans le cadre des souvenirs de

23 l'événement, souvenirs que ces personnes ne souhaitent pas se rappeler

24 mais qui leur reviennent sans cesse et, semble-t-il, de façon

25 incontrôlable. Ces souvenirs reviennent en petites parcelles qui ne durent

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1 que quelques instants et, à ce moment-là, la personne se retrouve dans la

2 situation antérieure.

3 Et puis, il y a aussi d'autres formes de symptômes; des personnes qui

4 souhaitent ne pas souvenir de l'événement en question et luttent sans

5 cesse pour ne pas se souvenir. Alors, il y a conflit incessant entre ces

6 images, ces souvenirs incessants qui se présentent à la personne et le

7 désir de la personne ne de ne pas se souvenir. Donc cette personne épuise

8 son énergie à lutter contre des images qui lui viennent à l'esprit, sans

9 qu'elle puisse les empêcher de se présenter.

10 Ensuite, arrive la réaction au traumatisme avec encore d'autres symptômes:

11 insomnie, hyperactivité, mouvements permanents, et puis diverses formes de

12 peur. Et sur le plan de la sensibilité, on voit une diminution de la

13 sensibilité, un rétrécissement de la conscience, une personne qui, en

14 fait, se dit: "Je n'ai plus la force de sentir quoi que ce soit, il ne

15 faut plus que je ressente quoi que ce soit."

16 Question: Madame Ibrahimefendic, la question que je vous ai posée portait

17 sur les symptômes que vous venez de décrire et que vous constatez encore

18 aujourd'hui chez les personnes traumatisées par les évènements de 1992.

19 Mais j'aimerais vous demander également si ces symptômes se distinguent de

20 ceux que l'on a pu constater dans l'autre partie de la Bosnie? Et si vous

21 pourriez répondre par oui ou par non, ce serait utile.

22 Réponse: Oui, le traumatisme est un traumatisme.

23 Question: Y a-t-il d'autres organisations que Viva Zene qui se sont occupé

24 des personnes traumatisées par les événements liés à la guerre en 1992? Et

25 si oui, pourriez-vous nous donner rapidement la liste de ces organisations

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1 qui soignent également ce même genre de victimes?

2 Réponse: Il y a pas mal d'organisations qui bénéficient d'un financement

3 de l'Union européenne, comme par exemple l'organisation italienne Amica,

4 financée par les Italiens. Amica Educa est également financée par la

5 Suisse, l'Amicale Amica est financée par l'Allemagne. Il y a diverses

6 organisations à Sarajevo, à Prijedor, à Banja Luka avec lesquelles nous

7 coopérons et avec lesquelles nous avons des relations à Zenica, il y a par

8 exemple l'organisation Medika qui a vu le jour en 1993, également avec

9 financement allemand, et il y a encore d'autres organisations dont je ne

10 me rappelle pas le nom à l'instant, mais je sais que ces organisations

11 sont assez nombreuses. Je crois me souvenir qu'il y en a à peu près 160

12 qui s'occupent des personnes ayant subi des traumatismes liés à la guerre,

13 dans le sens donc de la protection de ces personnes et de la prévention

14 sur le plan psychique.

15 Donc ces organisations s'occupent de personnes qu'elles traitent comme

16 appartenant à une population normale, mais une population qui court des

17 risques graves de trouble mental néanmoins.

18 Question: Ces personnes qui ont été traumatisées, pouvez-vous le confirmer

19 à l'intention des Juges? Hier, n'est-ce pas, lorsque vous et moi avons

20 discuté ensemble, vous nous avez parlé de la gravité de ces traumatismes

21 et du fait que certaines de ces personnes traumatisées en 1992 étaient

22 encore soignées par vous aujourd'hui, traumatismes liés au fait d'avoir vu

23 des membres de sa famille se faire tuer, d'avoir vu sa propre maison

24 incendiée, d'avoir été contraint de quitter sa maison et la communauté

25 dont ont fait partie, traumatismes liés à la fracture, à la rupture du

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1 tissu social et humain dont on faisait partie. Ces traumatismes ont-ils

2 des effets durables et continuent-ils à affecter négativement les

3 personnes que vous soignez encore aujourd'hui?

4 Réponse: La source du traumatisme est un événement et n'importe quelle

5 sorte d'événement, du moment qu'il risque de créer une tension: le fait

6 d'avoir assisté à un crime, à un viol, à de la torture, d'avoir été forcé

7 de quitter son domicile, d'avoir été forcé de se séparer de sa famille,

8 tout cela est source de traumatisme. Quelquefois d'ailleurs, on peut, sans

9 même avoir vécu l'événement, en avoir entendu parler par quelqu'un

10 d'autre; c'est ce qui arrive aux enfants très souvent qui entendent parler

11 les adultes autour d'eux, ils entendent parler de privation d'électricité,

12 de privation d'eau. Dans 13 cas que nous avons eu à soigner, il s'agissait

13 de personnes qui étaient témoins oculaires ou qui avaient entendu parler

14 de l'événement traumatisant par des tiers, mais qui ne l'avaient pas vécu.

15 Question: Et?

16 Réponse: Eh bien, aujourd'hui encore, il existe des éléments qui

17 rappellent le traumatisme. Vous en avez parlé avec moi. Ce sont des

18 éléments qui font resurgir le traumatisme, qui déclenchent une nouvelle

19 fois le traumatisme en forçant à se rappeler ce qui s'est passé. La

20 semaine dernière, par exemple, j'ai eu en face de moi une femme qui m'a

21 dit: "Chaque fois que je vois un homme avec une barbe, j'ai peur. Ou bien

22 lorsque je vois à la télévision la moindre image qui me rappelle la

23 guerre, cela me renvoie à la situation à l'époque et cela me fait peur."

24 Question: Vous m'avez parlé hier d'une situation dans laquelle une femme a

25 vu une bille. Pourriez-vous en quelques mots décrire cette situation

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1 traumatisante à l'attention des Juges?

2 Réponse: Cette femme vient de la municipalité de Zvornik, d'un petit

3 village ce de cette municipalité. Elle a été forcée de quitter son

4 domicile, expulsée donc sous la menace de la force en même temps que son

5 mari et ses enfants. Je crois que dans neuf villages la population a été

6 expulsée. Je crois au même moment, dans la municipalité de Zvornik, mais

7 avant cela, il y avait appel des noms lus sur une liste, diverses formes

8 de sévices, fouilles des maisons, restitution des armes, établissements de

9 listes et puis séparation des hommes et des femmes.

10 Son mari avait été emmené avec son père et trois de ses frères. Elle

11 n'avait plus jamais entendu parler d'eux. Elle était restée avec deux de

12 ses filles et, dans cette situation, elle arrive à Tuzla et elle

13 s'installe dans un camp de réfugiés à Zenica où un obus tombe -c'était en

14 1995- et le seul fils qui lui restait est tué à ce moment-là. Donc il y a,

15 à nouveau, traumatisme et expérience renouvelée d'une tragédie déjà très

16 difficile vécue auparavant. Elle se retrouve donc dans une situation

17 encore plus tendue qu'auparavant. Et lorsqu'elle nous a rencontrés avec

18 ses deux filles, il y avait un petit garçon qui jouait aux billes, tout

19 près; cette femme s'est, à ce moment-là, évanouie; elle a totalement perdu

20 le contrôle de ses fonctions physiologiques et il lui a fallu pas mal de

21 temps pour retrouver ses forces et être capable de parler de ce qui

22 s'était passé.

23 Donc une simple bille peut servir de déclencheur à une souffrance mentale

24 et psychique très importante.

25 Question: Puis-je vous rappeler ce que vous m'avez dit hier au sujet de

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1 l'association qu'elle a faite dans son esprit entre la bille et le fils

2 qu'elle avait perdu?

3 Réponse: Oui. La bille a été l'élément qui lui a rappelé ce qui était

4 arrivé à son fils.

5 Question: Madame Ibrahimefendic, ce que j'aimerais que vous fassiez

6 maintenant, puisque vous soignez toujours cette communauté de victimes

7 traumatisées encore aujourd'hui, à cause des événements de 1992, ce que

8 j'aimerais, c'est que vous disiez aux Juges de quelle façon ces

9 traumatismes affectent négativement toutes ces personnes dans leur vie

10 quotidienne en leur entravant la réintégration à une vie normale?

11 Réponse: Eh bien, je dirai encore une fois que le traumatisme est un

12 processus et qu'en Bosnie-Herzégovine, on voit bien la présence des

13 diverses séquences décrites par Hans Keilson s'agissant des différentes

14 étapes d'un traumatisme. Le traumatisme ne vient pas uniquement d'un acte

15 isolé, d'un viol ou d'un seul événement traumatisant. Le traumatisme, dans

16 ce cas précis, est le résultat de toute une série d'événements survenus

17 avant la guerre et pendant la guerre, et liés également au retour en

18 Bosnie-Herzégovine.

19 Donc la situation de la Bosnie-Herzégovine est éminemment traumatisante et

20 il est très difficile d'apporter une aide efficace et de défendre la santé

21 psychique de toutes ces personnes.

22 Aujourd'hui, les personnes présentent des symptômes qui sont très

23 différents des premiers symptômes, mais ces symptômes se manifestent

24 aujourd'hui par un repli sur soi, un isolement, un retrait par rapport à

25 autrui et une grande passivité.

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1 Autrement dit, ce qui s'est passé, c'est qu'il y a eu accumulation de

2 stress, de tension pendant des années et des années d'existence comme

3 réfugiés, et ces personnes sont épuisées, épuisées d'avoir été et d'être

4 encore des réfugiés, épuisées de leur impuissance dans tous leurs

5 domaines. Et il leur arrive parfois de ne plus rien ressentir. Ceux qui,

6 au début, avaient été agressifs, furieux, hyperactifs ont beaucoup de mal

7 à supporter la douleur qui est la leur.

8 Mais, par ailleurs, il ne se passe rien. La situation de ces personnes ne

9 change pas. Donc leur état psychique se dégrade, mais également leur état

10 de santé physique. C'est la totalité de l'organisme qui est menacé de

11 destruction, si je puis m'exprimer ainsi. Les plus grandes inquiétudes

12 sont permises quant à leur état de santé à l'avenir. Dans une telle

13 situation, il y en a pas mal qui décident d'aller à l'étranger.

14 D'ailleurs, nombreux sont ceux qui ont déjà quitté la Bosnie-Herzégovine.

15 Quant à ceux qui restent en Bosnie, ils doivent confronter leur problème

16 et confronter des situations qui continuent encore aujourd'hui à les

17 traumatiser de façon intense.

18 Question: Pourriez-vous expliquer aux Juges les problèmes vécus par les

19 enfants traumatisés en 1992, et les problèmes qu'ils vivent encore

20 aujourd'hui? Et je vous demanderai de le faire en vous référant à votre

21 expérience personnelle en tant que psychothérapeute travaillant avec les

22 enfants en question.

23 Réponse: Partant de mon expérience personnelle et des recherches qui ont

24 été faites en Bosnie-Herzégovine, et plus précisément à Sarajevo, par

25 exemple, eh bien, les conclusions de ces études sont que ces enfants sont

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1 aujourd'hui très craintifs. Ils manifestent un attachement exagéré à leur

2 mère, y compris à une étape tardive de la puberté. C'étaient des enfants

3 qui, lorsqu'ils étaient tout petits, n'ont pas ressenti la moindre

4 sécurité auprès de leur mère, car leur mère avait à traiter, à l'époque,

5 ses propres problèmes; il y avait aussi les conditions de vie dans

6 lesquelles ils se trouvaient. Tout cela explique les problèmes en

7 question.

8 Ces enfants ont également des problèmes de sommeil; ils manifestent des

9 signes de dépression, pleurent très souvent. L'agressivité est assez

10 souvent présente chez ces enfants. Ils éprouvent des difficultés à se

11 concentrer, à étudier. Ils souffrent d'énurésie. Ils ont tendance à

12 réfléchir sans cesse à la même chose tout en restant isolés. La plupart

13 d'entre eux n'ont pas d'amis, sont repliés sur eux et se manifestent

14 également comme des enfants très passifs, très isolés. C'est l'image que

15 je donnerai, l'image la plus générale que je donnerai des enfants que je

16 soigne encore aujourd'hui.

17 Question: Donc ce que vous êtes en train de dire, Madame Ibrahimefendic,

18 c'est que, dix ans après les événements qui font l'objet de l'Acte

19 d'accusation dont nous parlons ici, donc dix ans après, les événements de

20 l'époque continuent à être traumatisants et des personnes continuent

21 d'être négativement affectées par ces événements? C'est bien cela?

22 Réponse: Le souvenir d'événements de ce genre -événements qui ne sont pas

23 isolés, mais qui sont très nombreux- est inoubliable. Le traumatisme est

24 inoubliable également. Il est impossible de l'oublier, car il est inscrit

25 profondément dans la mémoire par tous les sens: par le sens de la vue, par

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1 le sens de l'ouïe, par tout ce que ces personnes ont vu, ressenti, qui

2 laisse des traces dans le cerveau.

3 Donc toutes les études faites sur le traumatisme concluent à la même

4 chose: à savoir qu'il est impossible d'oublier un traumatisme. La seule

5 chose qu'il est possible de faire, c'est soigner un traumatisme, s'en

6 occuper. Il faudrait que ces personnes se voient offrir une chance de

7 vivre dans une atmosphère sécurisée qui leur permettrait de raconter la

8 cause de leur traumatisme sans avoir peur et donc de pouvoir donner un

9 sens à ce traumatisme pour l'intégrer dans leur existence, dans leur

10 expérience, ce qui pourrait leur permettre de ressentir une aide par

11 rapport à leur avenir.

12 Question: Le pourcentage de personnes toujours traumatisées aujourd'hui,

13 suite aux événements de 1992, le pourcentage donc de personnes qui sont

14 soignées par des organisations comme "Viva Zene" ou d'autres, notamment

15 "Amica", dont vous avez cité le nom, est un pourcentage très restreint de

16 la communauté totale des victimes, n'est-ce pas?

17 Réponse: Oui.

18 Question: A votre avis, s'agissant des possibilités de récupération de ces

19 personnes, s'agissant des succès que vous remportez dans l'application de

20 votre programme, que pouvez-vous dire de tout cela aux Juges de cette

21 Chambre?

22 Réponse: Eh bien, la question est très difficile. Le problème est

23 complexe; il exige des mobilisations à tous les niveaux. Il est très

24 difficile de répondre à votre question en quelques phrases, car, tout en

25 étant optimiste et tout en pensant que pas mal de choses changent dans la

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1 vie, je pense que le nombre de centres susceptibles d'apporter une aide de

2 ce genre devrait être beaucoup plus important. Et cette aide devrait

3 consister à proposer un environnement dans lequel les personnes se

4 verraient encouragées à parler de leur expérience personnelle sans

5 crainte, de façon à ce que ces personnes puissent s'éduquer, s'instruire

6 par rapport à leur traumatisme, lui donner un sens, car plus ces personnes

7 auraient de connaissance par rapport au traumatisme, plus elles auraient

8 la possibilité de maîtriser leur existence, plus elles auraient le

9 sentiment de pouvoir tirer leurs propres conclusions, plus elles seraient

10 en mesure de se rendre compte que tout ce qu'elles ont vécu les a en fait

11 rendues plus mûres, plus sages et que cela les aidera dans le reste de

12 leur vie.

13 Question: Madame Ibrahimefendic, s'agissant de l'aspect

14 psychothérapeutique de la récupération de l'équilibre mental et psychique,

15 quel est l'intérêt à pouvoir parler d'un événement traumatisant par

16 rapport à l'absence d'avantages que l'on remarque lorsque l'événement est

17 internalisé et qu'on n'en parle pas?

18 Réponse: Il faut pouvoir parler de ces événements traumatiques. En effet,

19 l'événement traumatique exige d'être verbalisé. C'est le premier pas vers

20 la récupération de la santé mentale. En effet, lorsque, par la parole,

21 l'événement se voit donner un sens -et cela peut se faire sans ressenti

22 parce que, lorsqu'on ressent quelque chose et qu'on n'en parle pas,

23 l'événement est vécu de façon beaucoup plus terrible-, lorsqu'il est

24 verbalisé, l'événement perd un peu de son côté terrifiant.

25 Il faut donc pouvoir parler. S'il n'y a pas parole, il y a isolement,

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1 isolement de personnes en tant qu'individus, mais également isolement de

2 groupes tout entiers. On en arrive à un isolement au niveau de la création

3 des idées. Donc il est tout à fait indispensable de pouvoir parler de tout

4 cela.

5 Question: Dès lors que les personnes que vous soignez deviennent capables

6 de parler de tout cela, les considérez-vous comme étant en meilleure santé

7 psychique?

8 Et puis, j'ajouterai une autre question: comment est-ce que la capacité de

9 parler des événements liés à la guerre peut éventuellement contribuer à la

10 création d'une tolérance accrue et contribuer peut-être à la

11 réconciliation en Bosnie-Herzégovine?

12 Et je vous demande de répondre à ces questions en partageant avec nous vos

13 points de vue personnels sur ces sujets.

14 Réponse: Je prendrai d'abord la première partie de la question. Mais

15 quelle était-elle?

16 Question: Pourriez-vous, je vous prie, dire aux Juges de cette Chambre de

17 quelle façon le fait de parler des événements liés à la guerre peut

18 améliorer l'état de santé psychique d'une personne? Et comment également

19 cela peut créer une meilleure tolérance, une tolérance accrue parmi les

20 habitants de la Bosnie, en contribuant éventuellement à la réconciliation?

21 Réponse: La verbalisation est quelque chose qui rend la santé, qui rend la

22 force, qui permet de cicatriser les plaies. Donc c'est un processus

23 indispensable. Il faut que toutes ces personnes puissent communiquer les

24 unes avec les autres et, d’ailleurs, qu'elles puissent communiquer avec

25 elle-même.

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1 Et si je vous parle d'un point de vue psychothérapeutique, je dirai ce qui

2 suit: les traumatismes -et ils ont été nombreux entre 1992 et 1995- ont eu

3 lieu et ils ont laissé derrière eux des souvenirs, des souvenirs qui,

4 encore aujourd'hui, sont terrifiants pour ces personnes et qui sont tus,

5 qui sont gardés secrets. Or, si le secret demeure, il peut se transformer

6 en poison. Dans toute vie, même la vie la plus quotidienne qui soit,

7 garder un secret est difficile. Mais lorsque le secret est un secret

8 terrifiant, il joue encore davantage le rôle de poison.

9 Donc ce qui importe, c'est que chacune de ces personnes reprenne

10 conscience de la réalité, se rende compte à nouveau de ce qui se passe

11 effectivement. La reprise de conscience de la réalité est un premier pas:

12 qu'est-ce que je suis en train de ressentir maintenant à l'instant

13 présent, en 2002? Qu'est-ce que je vois dans mon esprit? Qu'est-ce que je

14 suis en train de faire? Qu'est-ce que je souhaite? Qu'est-ce que je peux

15 faire?

16 Donc prendre conscience de sa propre existence, à l'instant présent, dès

17 lors que nous sommes conscients de notre propre existence, conscients de

18 soi, on est capable de se maîtriser soi-même, mais aussi de maîtriser ses

19 rapports avec autrui. On peut maîtriser la situation, on n'est plus

20 impuissant, on a le sentiment qu'on est capable d'entreprendre quelque

21 chose. Et de cette façon, on se forge peu à peu une sécurité personnelle.

22 Donc voilà, j'ai cela qui m'appartient; quant au reste, cela s'est passé

23 là-bas et avant. Donc, dans le cours du processus psychothérapeutique, je

24 demande à un certain moment que l'on retourne à l'année 1992; je demande à

25 la personne de me dire ce qu'elle pensait, ce qu'elle ressentait, ce

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1 qu'elle voulait, ce qu'elle faisait, à l'époque. Et un lien s'établit,

2 chez tous les habitants de Bosnie-Herzégovine, entre ces deux éléments.

3 Car l'histoire, elle est unique, l'histoire, donc chaque personne peut

4 néanmoins avoir sa propre histoire, son histoire personnelle, singulière,

5 unique.

6 Cette verbalisation peut permettre de créer quelque chose de nouveau, peut

7 permettre de jeter des passerelles de confiance, de sécurité, de

8 sincérité. La personne peut se trouver capable de consoler ou de calmer

9 autrui, ou d'encourager, de donner de la force à une tierce personne. Et

10 tout cela peut permettre de créer un rapport plus sain entre les

11 personnes.

12 Le résultat, c'est qu'il pourrait peut-être y avoir relation entre trois

13 groupes, trois religions, trois cultures, mais avec respect d'une certaine

14 distance. Car dans toute cette période, un certain nombre de choses se

15 sont passées qui nous ont divisé, et ça, il faut l'accepter parce que les

16 choses en question se sont passées. C'est vrai, elles ont eu lieu et il

17 faut se pencher sur la réalité de tous ces événements de façon

18 authentique; mais, en même temps, il faut se re-pencher sur le passé, il

19 faut réfléchir au passé, il faut donner un sens à ce passé pour permettre

20 l'existence, la poursuite de l'existence.

21 Voilà ce que je dirai.

22 M. Harmon (interprétation): Merci beaucoup, Madame Ibrahimefendic.

23 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, j'en suis arrivé au terme de

24 l'audition de ce témoin.

25 M. le Président (interprétation): La défense a-t-elle des questions pour

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1 ce témoin?

2 M. O'Sullivan (interprétation): Pas de questions, Monsieur le Président.

3 M. le Président (interprétation): Vous êtes arrivée au terme de votre

4 déposition, Madame Ibrahimefendic. Merci d'être venue pour témoigner

5 devant le Tribunal pénal international. Vous pouvez maintenant vous

6 retirer.

7 Nous allons suspendre pendant une heure et demie, comme d'habitude.

8 (Le témoin, Mme Teufika Ibrahimefendic, est reconduit hors du prétoire.)

9 (L'audience, suspendue à 13 heures 14, est reprise à 14 heures 45.)

10 (Le témoin, M. Elie Wiesel, est visible à l'écran de visioconférence dans

11 le prétoire.)

12 M. le Président (interprétation): Monsieur Tieger, vous avez la parole.

13 M. Tieger (interprétation): Je vous remercie, Monsieur le Président.

14 Notre témoin suivant sera le Professeur Elie Wiesel et nous allons

15 recevoir sa déposition par visioconférence. Apparemment, la régie nous dit

16 que nous sommes prêts.

17 M. le Président (interprétation): Fort bien. Je vais demander au témoin de

18 donner lecture de la déclaration solennelle. Oui?

19 M. Wiesel (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la

20 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

21 M. le Président (interprétation): Je vous remercie. Veuillez vous asseoir.

22 Monsieur Tieger, vous avez la parole.

23 (Interrogatoire principal du témoin, M. Elie Wiesel, par M. Tieger.)

24 M. Tieger (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

25 Bon après-midi, Monsieur le Professeur Wiesel. Merci de nous rejoindre

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1 pour être témoin dans cette procédure très importante.

2 Plutôt que de vous demander de vous présenter, je vais reprendre les

3 points saillants de votre carrière que je vais maintenant énumérer.

4 Vous êtes l'auteur de 40 ouvrages dont certains parlent de l'expérience

5 que vous avez vécue en tant que détenu dans les camps de concentration de

6 la Deuxième Guerre mondiale.

7 En 1986, vous avez reçu le prix Nobel de la paix en tant que -comme le

8 disait le comité Nobel- "un messager de l'humanité, comme un des

9 dirigeants spirituels les plus importants de l'humanité". Vous avez fondé

10 la "Fondation Elie Wiesel" qui oeuvre en faveur de la justice, et vous

11 êtes intervenu en faveur de personnes réprimées en Union soviétique, au

12 Vietnam, au Biafra, au Bengladesh ainsi qu'en Bosnie et en Afrique du Sud.

13 Est-ce bien exact?

14 M. Wiesel (interprétation): Oui.

15 Question: L'accusation et la défense vous ont demandé de témoigner ici.

16 Apparemment, vous avez préparé une déclaration et je vais maintenant vous

17 demander de vous adresser aux Juges de cette Chambre.

18 Réponse: J'ai été contacté par la défense de Mme Plavsic et l'accusation,

19 et je suis prêt à dire toute la vérité. Je pense qu'il est important que

20 tout le monde comprenne les souffrances qui ont été subies par les

21 victimes. Mais c'est aussi, si nous intervenons ici, une façon de servir à

22 la justice.

23 Je comprends que la Guerre des Balkans soit finie, mais son histoire ne

24 l'est pas. Elle continue à peser de son poids de douleur sur les familles

25 des victimes et, en un sens, sur notre conscience collective, ainsi

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1 qu'elle interpelle chacun de nous en nous forçant à tirer des leçons pour

2 l'avenir.

3 La Guerre des Balkans pèse surtout sur ses victimes et leur famille. Pour

4 les orphelins, jeunes ou adultes, le monde n'est plus le même. Une femme

5 violée le reste pour la vie, cela est bien connu. Les rêves sont devenus

6 des cauchemars pour tous ces gens, le passé vit dans le présent. De cela

7 aussi, les criminels contre l'humanité sont responsables.

8 Un crime contre l'humanité, comment le définir en termes psychologiques

9 simples? C'est un crime commis contre l'humanité de l'autre, mais aussi

10 -si on peut le dire- commis contre soi-même qui affame et viole des femmes

11 impuissantes, nie leur humanité, mais aussi la sienne propre. En

12 commettant ces crimes, le criminel se retranche et s'exclut de la société

13 qui se veut morale et civilisée.

14 En termes juridiques, un crime contre l'humanité est l'abus du pouvoir au

15 degré absolu. C'est lorsqu'un gouvernement met officiellement, sinon

16 légalement, en oeuvre un système pour humilier, persécuter, déporter,

17 emprisonner et assassiner des communautés civiles innocentes et sans

18 défense.

19 En étudiant les charges retenues contre l'accusée, je me suis rappelé ma

20 visite dans son pays ravagé et tourmenté, fin 1992. J'y ai rencontré

21 plusieurs dirigeants serbes, dont deux au moins figurent sur votre liste

22 d'inculpés pour les mêmes crimes contre l'humanité, à savoir Slobodan

23 Milosevic et Radovan Karadzic.

24 A Sarajevo et à Banja Luka aussi, je n'ai fait qu'écouter les survivants,

25 évoquer l'agonie que les dirigeants serbes leur avaient fait subir.

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1 Souvent, ils s'interrompaient, ne pouvant achever leur récit. Leurs

2 larmes, pour celui qui les voit couler, font aussi partie de l'Acte

3 d'accusation.

4 L'importance de ce procès est universellement reconnue: révéler la réalité

5 des crimes commis est ici aussi significatif que de châtier leurs auteurs.

6 C'est que la plupart du temps, une fois occupant de hautes positions

7 gouvernementales, les criminels contre l'humanité comptent pouvoir se

8 servir de leur puissance néfaste pour maquiller, voire pervertir la

9 vérité, sinon l'enterrer à tout jamais. Ils misent sur le mensonge et plus

10 encore sur l'oubli. Ainsi, ici même dans ce Tribunal, c'est également le

11 devoir de mémoire que la justice internationale est soucieuse d'accomplir.

12 Pour les victimes et les survivants, ceci demeure la priorité des

13 priorités.

14 Pour le cas de Mme Plavsic, le problème ne se pose pas puisqu'elle a

15 reconnu sa responsabilité ainsi que sa culpabilité dans les atrocités

16 perpétrées par son gouvernement contre des Croates et des Musulmans en

17 Bosnie-Herzégovine.

18 Personnalité politique respectée par ses paires, universitaire honorée par

19 une bourse Fulbright, elle remplissait des fonctions supérieures dans les

20 sphères les plus élevées de son pays. En cette qualité, elle approuvait le

21 but qui consistait à diviser les citoyens de Bosnie par la force. Elle

22 connaissait le discours de Radovan Karadzic de 1991 dans lequel il

23 menaçait les Musulmans d'extermination.

24 Pire encore: elle a souvent, sinon constamment, donné son appui aux

25 efforts des militaires serbes dans leurs opérations abominables de

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1 purification ethnique, transferts de population, traitements cruels et

2 inhumains des civils, travaux forcés et usage de boucliers humains, c'est

3 à cela qu'ont servi les prisonniers. Et Mme Plavsic était pour, était en

4 faveur de tout cela.

5 Comment pouvait-elle appuyer pareils procédés? Comment s'arrangeait-elle

6 avec son éducation, sa culture sinon sa conscience? Comment espérait-elle

7 demeurer humaine en s'alliant à ce qui est ignoble et honteux dans

8 certains êtres humains?

9 J'ignore si Mme Plavsic va s'exprimer ou comment elle pense devoir

10 expliquer ses actions, pour autant qu'elles puissent être expliquées; je

11 sais seulement que rien ne peut justifier ni excuser le crime contre

12 l'humanité.

13 Cela dit, le fait qu'elle soit la seule inculpée à librement et

14 entièrement assumer son rôle dans les méfaits et crimes cités dans l'Acte

15 d'accusation, elle qui appartenait aux hautes sphères du pouvoir dans son

16 pays, peut-être pourra-t-elle, devrait-elle servir d'exemple pour des cas

17 similaires.

18 En général, les autres inculpés dans d'autres procès similaires

19 préféraient nier la vérité, la véracité de leurs crimes, espérant ainsi

20 aider les falsificateurs de l'histoire à semer le doute dans un public non

21 averti.

22 En lisant et en relisant l'Acte d'accusation dressé contre Mme Plavsic, je

23 me suis interrogé sur sa personnalité. On ne lui reproche pas d'avoir

24 personnellement participé aux persécutions, aux tortures et aux meurtres

25 d'innocents êtres humains, mais d'avoir utilisé sa position de dirigeante

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1 pour encourager et soutenir ces crimes. En d'autres termes, c'est en son

2 nom, aussi, qu'elle permettait aux tortionnaires de torturer et aux tueurs

3 de tuer.

4 Comment une femme comme elle, intellectuelle réputée, sans aucun doute

5 intelligente et douée, comment a-t-elle pu garder le silence devant tant

6 de violations, tant de crimes, tant de sang versé, tant d'exécutions

7 sommaires attribuées aux serviteurs du gouvernement dont elle était une

8 des dirigeantes? Comment pouvait-elle rester humaine devant une telle

9 trahison de l'humanité?

10 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, permettez-moi de vous le

11 répéter en m'adressant à vous, aujourd'hui: c'est aux victimes que je

12 pense. Pour les venger? Mais non, la vengeance ne m'a jamais motivé ni

13 inspiré. C'est simple: je n'y crois pas; je n'y ai jamais cru. Ce n'est

14 pas pour venger les miens, mais pour ne pas les laisser mourir une seconde

15 fois que, devenu adulte, écrivain et enseignant, je me suis consacré à

16 sauvegarder leur mémoire, mais aussi à défendre les prisonniers du destin

17 ou les victimes du désespoir, les enfants affamés et les déracinés et

18 pourchassés. Autrement dit, pour défendre leurs Droits de l'homme. Ici

19 aussi, devant vous, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, cela reste

20 mon seul souci.

21 Plus précisément, je ne suis pas ici pour invoquer des circonstances

22 atténuantes en faveur de Mme Plavsic. Le rôle d'un témoin est de parler,

23 de réclamer la justice sans prononcer de sentence. Si l'on met toutes les

24 souffrances des victimes d'un côté de la balance, combien d'années de

25 prison faudrait-il mettre de l'autre côté pour parvenir à l'équilibre?

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1 En cela, en cela aussi, le monde civilisé s'en remet à vous et à votre

2 conscience. Vos sentences seront entendues au-delà des frontières

3 nationales et ethniques. Grâce à vous, grâce au travail accompli par ce

4 Tribunal, les propos prononcés dans ce prétoire seront reçus, étudiés et

5 retenus bien au-delà des frontières et des siècles.

6 Quant au témoin que je suis, je tiens simplement à vous dire que vos

7 délibérations, aussi bien que votre verdict, seront partout où des crimes

8 contre l'humanité ont semé ou sèmeront le deuil et le désespoir.

9 Nous le savons, l'humanité a besoin d'espoir, d'espérance. A vous de nous

10 la donner en gage et espérons que cet espoir est bien placé.

11 Je vous remercie.

12 M. Tieger (interprétation): Je n'ai plus de question à poser.

13 M. le Président (interprétation): La défense souhaite-t-elle poser des

14 questions?

15 M. O'Sullivan (interprétation): Non. Merci, Monsieur le Président.

16 M. le Président (interprétation): Merci, Monsieur le Professeur Elie

17 Wiesel d'être venu déposer. Nous venons de vous entendre, nous venons de

18 recevoir vos propos. Nous vous remercions et ceci met terme à votre

19 déposition.

20 (Fin de la visioconférence avec le témoin, M. Elie Wiesel.)

21 (Les Juges se concertent sur le siège.)

22 M. le Président (interprétation): Nous avons la déclaration du témoin

23 précédent dans le jeu de documents que nous avons reçus. En demandez-vous

24 le versement?

25 M. Tieger (interprétation): Je pense que nous allons demander un versement

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1 collectif en temps utile.

2 M. le Président (interprétation): Vous voulez que ce soit versé au

3 dossier?

4 M. Tieger (interprétation): Oui.

5 M. le Président (interprétation): Nous allons donner une cote à ce

6 document.

7 Je m'adresse à la Greffière d'audience: est-ce que les pièces sont

8 clairement indiquées au dossier? Si c'est le cas, nous pourrons passer à

9 la présentation des moyens à décharge.

10 Mme Anoya (interprétation): La déclaration sera la pièce S13. Nous avons

11 numéroté les pièces de l'accusation par "S" et ce document constituera la

12 dernière pièce dans la série, à savoir la pièce S13.

13 M. le Président (interprétation): Oui, Maître Pavich, vous avez la parole.

14 M. Pavich (interprétation): Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

15 nous appelons à la barre M. Milorad Dodik.

16 (Le témoin, M. Milorad Dodik, est introduit dans le prétoire.)

17 (Interrogatoire principal du témoin, M. Milorad Dodik, par Me Pavich.)

18 M. le Président (interprétation): Je vais demander au témoin de donner

19 lecture de la déclaration solennelle.

20 M. Dodik (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la

21 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

22 M. le Président (interprétation): Je pense que nous n'avons pas reçu de

23 traduction, semble-t-il?

24 (Les interprètes en cabine anglaise demandent si la traduction passe.)

25 Je n'ai pas reçu cette partie-là et puis, ceci n'apparaît pas au compte

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1 rendu d'audience.

2 Est-ce que vous pouvez recommencer, Monsieur le Témoin?

3 M. Dodik (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la

4 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

5 M. le Président (interprétation): Je vous remercie. Veuillez vous asseoir.

6 (Le témoin s'exécute.)

7 Vous avez la parole, Maître Pavich.

8 M. Pavich (interprétation): Monsieur le Témoin, veuillez décliner votre

9 identité et veuillez épeler votre nom de famille.

10 M. Dodik (interprétation): Milorad Dodik, D-O-D-I-K, M-I-L-O-R-A-D.

11 Question: Merci d'avoir accepté de comparaître aujourd'hui.

12 Pourriez-vous nous dire si vous avez une position en tant qu'élu en

13 Republika Srpska aujourd'hui?

14 Réponse: Oui. Aujourd'hui, je n'ai pas de fonction particulière; je suis

15 seulement député à l'assemblée nationale de la Republika Srpska et je me

16 trouve à la tête d'un parti politique là-bas.

17 Question: Quels sont vos devoirs et responsabilités en tant que

18 parlementaire au Parlement de la Republika Srpska?

19 Réponse: Eh bien, ces devoirs sont prescrits par la loi, à savoir que je

20 suis tenu de prendre part aux sessions du Parlement et, conformément au

21 programme politique que je représente, je suis là-bas pour représenter les

22 intérêts des électeurs qui m'ont fait confiance aux élections.

23 Question: Pourriez-vous nous donner le nom de votre parti politique?

24 Réponse: Ce parti s'appelle "Alliance des Socio-démocrates indépendants";

25 il intervient sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine toute entière. Il

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1 s'agit d'un parti parlementaire qui est présent au niveau de la Republika

2 Srpska et au niveau de l'autre entité qui existe dans cette Fédération de

3 Bosnie-Herzégovine. Et ce parti intervient au niveau des institutions

4 conjointes de la Bosnie-Herzégovine.

5 Pour ce qui est de la composition parlementaire de la Republika Srpska, je

6 préciserai qu'il est des députés qui sont originaires du groupe ethnique

7 serbe et du groupe ethnique croate. Donc c'est un parti pluriethnique.

8 Question: Et quelles fonctions ou positions avez-vous dans ce parti?

9 Réponse: Je suis président de ce parti politique, et ceci depuis la

10 création du parti en 1996.

11 Question: A quel moment avez-vous commencé à être actif en politique dans

12 cette région?

13 Réponse: J'ai commencé à être actif après la fin de mes études, des études

14 à la Faculté de sciences politiques à Belgrade, donc depuis 1985 à peu

15 près. Et c'est jusqu'en 1990 que je suis intervenu au niveau local. J'ai

16 été président des autorités locales dans une municipalité qui s'appelle

17 Laktasi depuis 1988 jusqu'à la fin de 1990.

18 Question: Est-ce que, au cours de l'automne 1990, il y a eu… ou je dirai

19 plutôt au cours de l'été 1990, est-ce qu'il y a eu des élections

20 importantes qui se sont tenues en Bosnie-Herzégovine?

21 Réponse: Oui, il s'est tenu des élections cette année-là, en automne, et

22 c'est la première fois que nous avons eu des élections pluripartites.

23 L'importance de ces élections est précisément celle d'avoir eu plusieurs

24 partis aux élections, alors que jusque là nous n'en avions qu'un seul.

25 J'étais membre de l'Alliance des forces réformistes, un parti qui avait

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1 été créé au niveau de l'ex-Yougoslavie toute entière. Son président avait

2 été le Premier ministre de l'époque, le Premier ministre de la

3 Yougoslavie, à savoir M. Ante Markovic, alors qu'en Bosnie-Herzégovine, le

4 représentant de ce parti pour la Bosnie-Herzégovine était le Dr, le Pr

5 Nenad Kecmanovic, originaire de Sarajevo. J'étais président du comité

6 régional de ce parti pour la ville de Banja Luka et j'avais fait partie de

7 la direction au sommet de ce parti, pour ce qui est de la Bosnie-

8 Herzégovine.

9 Maintenant, à ces élections-là, j'étais devenu député, représentant de ce

10 parti au Parlement de la Bosnie-Herzégovine de l'époque. Nous étions en

11 tout et pour tout 12, voire 13 personnes à être originaires de ce parti-

12 là; et nous étions un parti d'opposition.

13 Question: Pouvez-vous, en quelques mots, nous dire quel était le programme

14 politique de votre parti?

15 Réponse: La plate-forme politique avait consisté en la sauvegarde de la

16 Yougoslavie, en sa qualité de communauté qui était censée être soumise à

17 des transformations, pour ce qui est notamment du caractère de la

18 propriété dans le pays. En effet, pour ce qui est des relations entre les

19 peuples et les Républiques, ces relations étaient censées être résolues de

20 façon pacifique, par négociations. La finalité de notre intervention était

21 celle de faire en sorte que les Républiques demeurent dans cette

22 communauté au sein de laquelle il y aurait une politique extérieure, une

23 sphère monétaire et le secteur de l'armée qui devaient être communs;

24 l'espace économique devait être commun également. L'objectif avait donc

25 été de préserver la communauté en tant que telle et de préparer ces

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1 territoires-là pour en faire partie intégrante des intégrations

2 européennes, à savoir aux fins d'un rapprochement avec l'Union européenne.

3 Question: Monsieur Dodik, vous avez mentionné d'autres partis qui avaient

4 participé à ces élections. Quel était l'autre parti le plus important qui

5 existait, au cours de cette campagne électorale?

6 Réponse: En Bosnie-Herzégovine, il y a eu émergence de plusieurs partis

7 politiques, à l'époque; un très grand nombre de ces partis se sont

8 présentés aux élections. Mais le parti le plus important avait été le

9 parti de l'Action démocratique, à savoir le parti de M. Izetbegovic, qui

10 avait adopté une attitude exclusivement nationaliste; et c'était le

11 premier parti de ce caractère-là à avoir été formé sur le territoire de la

12 Bosnie-Herzégovine.

13 Par la suite, il a été mis en place un Parti démocratique serbe et un HDZ

14 qui avait existé en Croatie; donc, ayant existé en Croatie, il a créé une

15 ramification en Bosnie-Herzégovine.

16 Ces trois partis politiques avaient été les partis les plus forts et

17 c'étaient eux qui avaient remporté les élections. Il y avait cette

18 Alliance des forces réformatrices auxquelles j'avais appartenu, et un

19 parti SDP qui était le Parti des communistes réformés. Il y avait un

20 certain nombre de petits partis, de partis mineurs tels que le Parti

21 libéral et autres partis plus petits encore.

22 Question: Vous avez présenté un des partis comme étant un parti

23 nationaliste. Est-ce qu'il y avait d'autres grands partis, à votre avis,

24 qui avaient épousé une cause nationaliste?

25 Réponse: Oui. Il y avait le SDS qui avait pris des positions consistant en

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1 la défense des intérêts nationaux serbes. Il en va de même pour le HDZ qui

2 s'était prononcé en faveur de la défense des intérêts nationaux croates en

3 Bosnie-Herzégovine ou en ex-Yougoslavie, d'une manière plus générale.

4 Et s'agissant du SDA, le Parti de l'action démocratique, c'était un parti

5 qui avait profilé sa politique pour ce qui est de la défense des intérêts

6 nationaux des Musulmans, des Bosniens.

7 Le SDS, lui, s'était placé au service des intérêts nationaux serbes; alors

8 que le HDZ, lui, s'était fait défenseur ou promu défenseur des intérêts

9 nationaux croates.

10 Donc c'étaient les trois principaux partis qui avaient représenté trois

11 communautés ethniques en présence.

12 Question: Est-ce que Mme Biljana Plavsic a manifesté certaines activités

13 au cours de cette campagne?

14 Réponse: J'ai entendu parler du nom de Mme Biljana Plavsic avant cela

15 encore, parce qu'elle avait fait partie de la vie académique de Bosnie-

16 Herzégovine. Par la suite, après ces élections, je n'ai pas été au courant

17 de son engagement politique. Mais la première fois où j'ai remarqué sa

18 présence, c'est quand elle avait déposé sa candidature aux fonctions de

19 membre de la Présidence de Bosnie-Herzégovine au-devant de la population

20 serbe. Cette présidence, qui était constituée de sept personnes, élisait

21 deux membres de chaque groupe ethnique, donc du groupe ethnique musulman,

22 du groupe croate et du groupe serbe; et un membre de la Présidence était

23 censé représenter les autres groupes ethniques en présence en Bosnie-

24 Herzégovine. Donc c'est la première fois, à ce moment-là, que j'ai

25 remarqué le nom de Mme Plavsic sur la liste des candidats à la Présidence

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1 de Bosnie-Herzégovine.

2 Question: Est-ce que vous la connaissiez du fait de la réputation dont

3 elle jouissait, à l'époque?

4 Réponse: Je vous ai dit que, jusque-là, j'avais entendu parler de Mme

5 Plavsic uniquement pour ce qui est des titres académiques qui étaient les

6 siens; elle était un professeur très respecté à l'Université de Sarajevo.

7 S'agissant de la campagne préélectorale qui a été conduite dans le cadre

8 du SDS, elle s'était présentée aux rassemblements électoraux, mais je n'ai

9 pas remarqué un très important engagement de sa part. En tout état de

10 cause, elle avait été le candidat de ce parti à l'époque et moi, j'ai

11 conduit la campagne du parti auquel j'appartenais moi-même. En quelque

12 sorte, nos partis respectifs étaient opposés l'un à l'autre. Cependant, je

13 dois préciser qu'à l'époque, je n'avais pas remarqué, noté un engagement

14 politique d'importance de sa part.

15 Les élections ont montré que ces trois groupes ethniques avaient apporté

16 un soutien inaltéré aux représentants de leur propre groupe ethnique; donc

17 les Serbes ont voté pour le SDS, les Bosniens pour le SDA et les Croates

18 pour le HDZ. Très peu de gens avaient voté en faveur de l'Alliance des

19 forces réformatrices ou pour le SDP de Bosnie-Herzégovine.

20 Question: Et quels ont été les résultats de ces élections en ce qui

21 concerne Mme Plavsic?

22 Réponse: Elle a bénéficié de la confiance du peuple, et ceci à des

23 élections à vote direct. Elle était sur une liste conjointe de son parti

24 pour la présidence et elle représentait le peuple serbe dans la présidence

25 au côté de M. Koljevic, qui était également membre serbe de la présidence

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1 de Bosnie-Herzégovine.

2 Pour ce qui est des Bosniens, il y avait Alija Izetbegovic et Fikret Abdic

3 et, chez les Croates, je sais qu'il y avait Franjo Boras. Et je ne sais

4 plus qui était le second. Les autres étaient représentés par Ejup Ganic.

5 Question: Vous venez de mentionner ces trois partis plus nationaux, à

6 vocation nationaliste. Est-ce qu'ils ont continué à promouvoir les

7 intérêts de leur groupe ethnique respectif, d'après ce que vous avez pu en

8 juger, pendant toute l'année 1990, mais en 1991 aussi?

9 Réponse: Ce que j'ai pu voir, c'était une collaboration au niveau de ces

10 trois partis et cela a contribué à la mise en place des institutions du

11 pouvoir en Bosnie-Herzégovine. C'est partant des concertations entre ces

12 trois partis politiques qu'il a été créé un gouvernement, à savoir un

13 conseil exécutif de la Bosnie-Herzégovine. C'est suivant ces accords entre

14 partis qu'ils auraient appartenu à un certain nombre de postes

15 ministériels, suivant le nombre de votes, et à la tête du parlement

16 conjoint se trouvait M. Momcilo Krajisnik.

17 Pendant un peu moins d'un an, vers le mois de juin 1991 -donc, depuis les

18 élections jusqu'au mois de juin, il y a eu une bonne coopération entre ces

19 trois partis politiques-, au mois de juin 1991, il arrive une chose, à

20 savoir le Parlement croate décide de quitter la Yougoslavie en tant que

21 communauté, et la discorde commence à ce moment-là entre les partis

22 politiques en présence; et la situation devient plus complexe.

23 Le HDZ et le SDA avaient soutenu le droit à la Croatie de faire sécession

24 à l'égard de la Yougoslavie; le SDS avait exigé, avait demandé, avait

25 propagé l'idée de faire en sorte que l'on reste tous ensemble en

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1 Yougoslavie. Donc, suite à cet événement-là, il y a eu des divergences

2 politiques importantes entre les trois partis politiques en présence.

3 Question: Madame Plavsic a-t-elle gardé son poste pendant toute cette

4 période, jusqu'en juin 1991, au sein du gouvernement de Bosnie-

5 Herzégovine, en tant que l'un des deux représentants serbes au sein de la

6 présidence?

7 Réponse: Il s'agissait de la présidence de Bosnie-Herzégovine. Oui, Mme

8 Plavsic est restée à ce moment-là à ces fonctions. Et j'ai pu la voir

9 assister aux sessions du Parlement. Elle était essentiellement présente,

10 mais je ne me souviens pas qu'elle ait pris la parole à ces sessions-là.

11 Question: Est-ce qu'elle était encore une des dirigeantes du SDS au cours

12 de cette période?

13 Réponse: Oui, je pense qu'à l'époque, elle était membre du SDS. Et, pour

14 autant que je le sache, elle n'était pas membre de la direction au sommet

15 du parti, mais elle avait été membre du parti. J'étais député d'un parti

16 de l'opposition au Parlement de l'époque.

17 Question: Et pendant combien de temps êtes-vous resté parlementaire de

18 l'opposition au Parlement?

19 Réponse: Eh bien, autant que cela existait, je crois qu'il s'agissait du

20 mois de février 1992, date à laquelle s'est tenue la dernière session de

21 ce Parlement, ou peut-être fin janvier de la même année. Donc depuis le

22 mois de juin jusqu'à ce mois de février, on a pu assister à des débats

23 politiques essentiellement au Parlement. A l'occasion de ces sessions du

24 Parlement, c'étaient notamment des sujets politiques qui étaient sur le

25 tapis.

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1 On a remarqué la participation au débat des présidents des trois

2 représentants ou chefs politiques, M. Izetbegovic, M. Karadzic ou M.

3 Stjepan Kljujic, qui avait été à la tête du HDZ en Bosnie-Herzégovine à

4 l'époque. C'est là qu'on a eu l'idée d'organiser un référendum auquel la

5 population était censée se prononcer au niveau de l'indépendance de la

6 Bosnie-Herzégovine. Cette décision a été prise en automne. Et...

7 Question: En automne 1991, Monsieur le Témoin?

8 Réponse: Oui, c'est cela. Et à l'époque, la décision a été prise par la

9 majorité des voix des deux partis politiques; le SDA -le parti de M.

10 Izetbegovic- et le HDZ -le parti qui était présidé par M. Stjepan Kljujic-

11 s'étaient prononcés contre la tenue de ce référendum le parti politique

12 serbe.

13 Nous autres qui faisions partie de l'opposition, avions compris que la

14 question était très grave et qu'elle était susceptible de produire une

15 crise très profonde, voire la guerre. Nous n'avons pas pris part au vote,

16 mais nous avons estimé que la question devait être évitée.

17 Question: A quel moment ce vote a-t-il eu lieu?

18 Réponse: Je crois que cela s'est passé vers la fin de cette année-là. La

19 réaction des gens avait été la suivante: les Serbes n'ont pas pris part au

20 référendum, ne sont pas allés voter, mais le référendum a bénéficié de la

21 majorité des deux autres groupes ethnique en présence.

22 Je pense que c'est l'événement qui a défini ou qui a déterminé les

23 conflits ultérieurs, les grands conflits qui sont survenus ultérieurement,

24 parce que l'impression qui s'était créée était celle de devoir assurer une

25 majorité formelle pour procéder à des changements, des transformations de

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1 statut, chose qui avait fait l'objet d'un forcing de la part des Musulmans

2 et des Croates.

3 D'autre part, les Serbes s'étaient sentis en péril parce que chacune des

4 décisions ultérieures pouvait être prise en moyennant une majorité contre

5 eux.

6 Je dois vous dire que je n'ai pas pris part moi-même au vote, à ce

7 référendum parce que j'avais pensé que cela n'apporterait rien de bon à la

8 Bosnie-Herzégovine et à la région dans son ensemble.

9 Question: Pourriez-vous nous décrire la situation politique qui s'est

10 présentée à la suite de ce référendum jusqu'au moment où vous, vous avez

11 quitté votre fonction de parlementaire au Parlement?

12 Réponse: Eh bien, en règle générale, la situation était plutôt euphorique

13 de part et d'autre, pour les deux parties que j'ai décrites. Les Bosniens

14 et les Croates se sont volontiers présentés au référendum, et ont apporté

15 leur soutien à la Constitution de la Bosnie-Herzégovine en tant qu'Etat

16 indépendant séparé de l'ex-Yougoslavie. Les Serbes ont été plutôt

17 résignés. Là où il y avait une majorité serbe, les gens n'étaient pas

18 allés voter du tout. Cela a contribué à l'approfondissement du fossé

19 politique sur des bases ethniques et, pour des raisons que j'ai citées; à

20 savoir un sentiment de domination de la part d'une majorité des deux

21 autres groupes ethniques.

22 J'ai l'impression que les événements ultérieurs ont été essentiellement en

23 corrélation avec ce débat qui visait à prouver le fait d'avoir eu un

24 référendum justifié ou pas justifié, d'avoir eu un référendum qui s'est

25 bien fait dans les règles de l'art ou pas. Chacun avait des arguments en

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1 faveur ou contre.

2 Il survient par la suite une chose, à savoir que les groupes

3 parlementaires des députés serbes -je crois que c'était en novembre 1991-

4 ont constitué une assemblée à part des députés serbes de Bosnie-

5 Herzégovine. Cette assemblée avait pour objectif de continuer à affirmer

6 et à défendre ce que l'on avait jugé, à l'époque, faire partie des

7 intérêts nationaux serbes. C'était en corrélation avec la survie de la

8 communauté yougoslave telle qu'elle avait existé auparavant.

9 En Croatie, les conflits armés à grande échelle avaient déjà commencé et,

10 sans aucun doute, ceci a eu une grosse influence sur les événements en

11 Bosnie-Herzégovine.

12 Question: Est-ce qu'à un moment donné, les actes entrepris par les

13 dirigeants serbes ont débouché sur une déclaration, déclaration

14 gouvernementale de constitution de gouvernement de la part des Serbes?

15 Réponse: Oui, c'est l'événement qui était en corrélation avec la mise en

16 place de cette assemblée de la part des assemblées serbes. A ce moment-là,

17 le gouvernement n'avait pas encore été élu. Il était évident déjà que le

18 conflit était amorcé et qu'il n'y avait plus possibilité de préserver les

19 organes en place de cette Bosnie-Herzégovine.

20 Question: Vous nous avez dit, je pense, que vous avez quitté le Parlement

21 de Sarajevo au cours du printemps 1992. Est-ce exact, Monsieur Dodik?

22 Réponse: Au printemps, le Parlement de Bosnie-Herzégovine ne fonctionnait

23 plus. Il n'était physiquement plus possible d'assurer la continuité du

24 fonctionnement de ce Parlement de Bosnie-Herzégovine. Après le mois de

25 février, en effet, il y avait déjà eu des conflits armés sporadiques et,

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1 début avril de cette année-là, les conflits à grande échelle ont commencé,

2 ce qui a rendu impossible la tenue des sessions du Parlement de Bosnie-

3 Herzégovine. J'ai participé à la dernière des sessions de ce parlement; je

4 crois que c'est la session de fin janvier ou de tout début février de

5 cette année, 1992.

6 Question: Vous avez dit qu'il y avait eu proclamation d'un gouvernement

7 serbe. Est-ce que ce gouvernement se composait notamment d'une présidence

8 au cours de cette période dont nous parlons, à savoir le printemps 1992?

9 Réponse: Je pense que l'on n'avait pas proclamé à ce moment-là une

10 présidence serbe. Je ne puis l'affirmer avec certitude pour ce qui est du

11 mois, mais je crois que c'est peut-être en mars qu'il a été institué un

12 Gouvernement de la République serbe de Bosnie-Herzégovine, et ceci par les

13 soins de cette assemblée qui s'est tenue en novembre 1991.

14 Question: Est-ce que Mme Plavsic a occupé un poste au sein de ce

15 gouvernement?

16 Réponse: Elle était membre de la Présidence de Bosnie-Herzégovine qui

17 fonctionnait encore, à l'époque. Elle était membre d'un organe, d'une

18 instance, aux fonctions auxquelles elle avait été élue aux élections

19 d'octobre 1990. Cette présidence s'était employée en faveur de

20 l'apaisement de ces conflits sporadiques, en faveur de tentatives

21 d'apporter des solutions par des voies pacifiques.

22 Et ce que je sais, ce que j'ai remarqué, c'était un engagement de la part

23 de Mme Plavsic, au cours de ces mois-là précisément, aux côtés de M.

24 Fikret Abdic et de M. Franjo Boras. Je sais qu'ils sont allés à Bosanski

25 Brod, endroit où il y a eu des incidents; je sais qu'ils sont allés à

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1 Bijeljina et je sais qu'ils sont allés à Kupres, en leur qualité de

2 représentants de la Présidence de Bosnie-Herzégovine de l'époque. Cette

3 présidence-là avait envoyé une délégation mixte sur le terrain aux fins

4 d'essayer d'assainir la situation; et je crois que le Parlement et le

5 Gouvernement de l'époque avaient, en grande mesure, cessé de fonctionner.

6 Question: Et est-il arrivé un moment où la Présidence, telle qu'elle avait

7 été créée à la suite des élections de 1990, a cessé de fonctionner?

8 Réponse: Oui. Je pense que c'est après le mois d'avril que cela s'est

9 fait. Je ne sais plus s'il y a eu des sessions ultérieures de cette

10 Présidence; présidence créée, comme on l'a dit, fin 1990. Mais je ne sais

11 pas… Je pense qu'il y en a eu encore peut-être fin avril, mais je n'en

12 suis pas certain.

13 Mais après le début des conflits à grande échelle, lorsqu'ils ont

14 commencé, et suite à cette homogénéisation nationale, tous ceux qui

15 avaient été élus par ces groupes ethniques étaient restés dans le cadre

16 des partis politiques et des groupes ethniques en présence.

17 Question: Veuillez vous consacrer sur la période suivante: celle qui va

18 d'avril 1992 jusqu'à la fin de l'année 1992.

19 A ce moment-là, la Présidence de la Bosnie-Herzégovine telle qu'elle avait

20 été élue en 1990 n'existait plus. Est-ce que, à ce moment-là, Mme Plavsic

21 occupait un poste quelconque au sein de la Republika Srpska? Nous parlons

22 de la période allant d'avril à décembre 1992.

23 Réponse: Ce que je sais, c'est qu'il y a eu plusieurs assemblées de cette

24 République serbe de Bosnie-Herzégovine, sessions de l'assemblée où Mme

25 Plavsic n'a pas pris part. Je pense qu'à l'époque, elle devait se trouver

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1 à Sarajevo et que ce n'est que vers le début du mois de juin qu'elle a

2 quitté Sarajevo, avec l'assistance et dans l'organisation des effectifs

3 internationaux.

4 Question: Excusez-moi de vous interrompre. Pourquoi était-il devenu

5 nécessaire pour elle de quitter Sarajevo avec l'assistance des forces

6 internationales?

7 Réponse: Ce que je sais, c'est que c'est arrivé. Je ne sais pas vous dire

8 si Mme Plavsic, en sa qualité de personnalité importante, était exposée à

9 des périls, elle et sa famille, en raison des conflits survenus à Sarajevo

10 même. Mais après ce mois de juin, sa présence là-bas était dangereuse pour

11 elle et pour sa famille; c'est ce que j'ai cru comprendre et je crois

12 qu'il en a été ainsi. Et la direction serbe, à ce moment-là, se trouvait

13 déjà à Pale.

14 Question: Est-ce que Mme Biljana Plavsic est restée membre de cette

15 direction –nous parlons ici de la période qui va jusqu'à la fin de 1992-,

16 pour autant que vous ayez pu en juger?

17 Réponse: J'imagine que les communications étaient devenues impossibles

18 pendant qu'elle était à Sarajevo, pour ce qui est des membres de cette

19 direction, donc, qui se trouvaient d'une part à Pale et les autres à

20 Sarajevo. Je pense qu'après cette étape-là, elle était présente aux

21 sessions du Parlement que nous avions et j'ai, à ce moment-là, remarqué sa

22 présence.

23 Je ne sais pas quand elle a démissionné de ses fonctions au niveau de la

24 Présidence de la Bosnie-Herzégovine mais je sais qu'il en avait été

25 question, pendant une période de temps.

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1 Il avait été mis en place une autre Présidence, Présidence de la

2 République serbe de Bosnie-Herzégovine; je pense que c'est ainsi que cela

3 s'appelait.

4 Question: Seriez-vous en mesure de nous dire la situation qui était la

5 vôtre au cours de cette période allant d'avril à décembre? Est-ce que vous

6 avez conservé vos postes que vous aviez jusqu'alors, que ce soit en tant

7 que représentant ou au sein du Gouvernement?

8 Réponse: Je n'ai occupé aucune fonction dans le cadre du pouvoir, à

9 l'époque. Je dois dire plutôt que, dans des temps pareils, il était normal

10 de prendre part à la vie du Parlement, à la vie du Parlement de la

11 République serbe de Bosnie-Herzégovine. Et en ma qualité de député, j'ai

12 participé aux sessions et aux activités de ce Parlement. Je n'ai jamais

13 été membre du Parti démocratique serbe, pour ma part; et, à cette époque-

14 là, j'ai pris part aux activités, conformément au sentiment qui était le

15 mien, pour ce qui est des activités politiques à déployer.

16 Donc, indépendamment des temps durs que nous avions vécus, je crois que

17 j'ai été reconnaissable ou distingué au niveau du Parlement comme étant

18 une personne qui avait réfléchi de façon autre.

19 Au bout d'un certain temps, j'ai été mobilisé dans l'armée de la Republika

20 Srpska, armée qui, au mois de mai, est devenue l'armée de la Republika

21 Srpska et j'y suis resté engagé ou mobilisé jusqu'à la fin de cette année-

22 là.

23 En même temps, j'ai pris part à plusieurs sessions du Parlement, ou plutôt

24 de l'assemblée de la Republika Srpska.

25 Question: Nous sommes maintenant fin 1992. Est-ce que vous avez constaté

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1 que Mme Plavsic s'était séparée, s'était dissociée des dirigeants du SDS?

2 Réponse: Je parle de ce que j'ai pu remarquer aux sessions du Parlement.

3 Je n'avais pas disposé d'informations sur ce qui se passait à d'autres

4 réunions, ce qui se passait au niveau de leurs relations mutuelles, mais

5 en tout état de cause, vers la fin de cette année-là -j'entends une

6 session du Parlement qui s'était tenue à Prijedor-, il était devenu

7 apparent que Mme Plavsic avait adopté des positions tout à fait

8 différentes à l'égard de la situation dans son ensemble, à l'égard du fait

9 qu'un groupe informel de profiteurs de guerre avait mis à profit tout ce

10 qui se passait pour s'enrichir personnellement; elle s'était

11 personnellement opposée, avec véhémence, à leurs agissements. Et ce groupe

12 se trouvant en partie au sommet même de la Republika Srpska, elle est

13 intervenue. Ce qui est certain, c'est que l'impression avait été celle de

14 voir une divergence très nette sur cette question-là.

15 Question: A partir de ce moment-là, comment décririez-vous ses rapports,

16 les rapports de Mme Plavsic avec les dirigeants du SDS, ou lors de cette

17 confrontation qui intervient fin 1992?

18 Réponse: C'était particulièrement chose présente à ces sessions du

19 Parlement: c'est là qu'on pouvait voir une divergence très nette entre les

20 points de vue avancés par Mme Plavsic et ceux avancés par le reste de la

21 direction de l'époque pour la Republika Srpska.

22 Je crois que ce conflit avait quelque chose à voir avec les activités de

23 plusieurs ministres, le ministre de la Justice et de la Police à l'époque,

24 notamment. Je me souviens que Mme Plavsic s'était attaquée vigoureusement

25 à la pratique de ce ministère et je parle, là, de la fin de l'année 1992,

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1 début 1993.

2 Madame Plavsic était encore membre de la Présidence ou plutôt vice-

3 Présidente de la Republika Srpska. Mon rôle à moi et ma présence avaient

4 quelque chose à voir avec les remarques qui étaient les miennes et que je

5 viens de vous communiquer. Le Parlement de la Republika Srpska se

6 constituait du Parti démocratique serbe essentiellement. Et je dois dire

7 que j'ai été témoin de plusieurs propositions faites par Mme Plavsic, mais

8 qui n'ont pas été acceptées par le Parlement ou par le parti en question,

9 s'agissant des activités déployées par les deux ministères. Elle s'était

10 employée en faveur de la révocation de ces deux ministres et elle avait

11 dit que les choses devaient être placées sous contrôle, parce qu'il y

12 avait un fort mécontentement pour ce qui se passait. Et je crois que les

13 débats prédominants étaient ceux de savoir s'ils allaient être écartés ou

14 pas du gouvernement.

15 Question: Je pense qu'elle a gardé cette fonction de vice-Présidente

16 jusqu'en 1996, à un moment donné en 1996: est-ce exact, Monsieur Dodik?

17 Réponse: Oui, c'est exact. Elle avait été vice-Présidente de la Republika

18 Srpska tout au long de ces années. Et une fois de plus, je tiens à

19 préciser que la connaissance que j'ai de ses positions est celle du

20 Parlement de la Republika Srpska. Je précise aussi que son combat en

21 faveur de la normalisation des activités du gouvernement était celui qui

22 visait à orienter le travail, les activités du gouvernement, pour aider

23 les réfugiés serbes qui venaient de Croatie ou de la Fédération de Bosnie-

24 Herzégovine, qui étaient, de mois en mois, de plus en plus nombreux. Et

25 elle avait pris part à tous les débats qui avaient revêtu un caractère

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1 humanitaire, pour ce qui est, notamment, des réfugiés qui étaient arrivés

2 sur le territoire de la Republika Srpska.

3 Je sais qu'elle est allée visiter des sites, des écoles, des salles de

4 sport ou des salles de production d'usine où l'on avait logé des réfugiés.

5 Elle avait exigé l'adoption d'un programme approprié de la part du

6 gouvernement pour ce qui est de l'hébergement et de l'accueil de toutes

7 ces personnes-là.

8 Question: Est-ce que, d'après vous, c'était son travail le plus important

9 au cours de cette période, après qu'elle eut pris ses distances par

10 rapport aux dirigeants du SDS, et ce jusqu'en 1996?

11 Réponse: Je pense que c'était le seul engagement qu'elle ait eu,

12 concernant ces questions humanitaires. C'est avec une certitude absolue

13 que je peux affirmer devant ce Tribunal que mon sentiment, pendant ces

14 jours, ces mois et ces années, était que Mme Plavsic, sur le plan

15 politique, avait été complètement marginalisée, pour ce qui est de la

16 direction de la Republika Srpska et s'agissant du plan politique. Donc ces

17 positions avaient fait l'objet de votes opposés par la majorité et j'ai

18 été témoin direct d'une situation analogue.

19 Question: Vous avez signalé qu'elle avait été vice-Présidente jusqu'en

20 1996. Qu'est-ce qui est intervenu? Qu'est-ce qui s'est passé qui l'a

21 forcée à abandonner ses fonctions?

22 Réponse: Je pense qu'elle était formellement restée membre de la

23 Présidence ou vice-Présidente de la Republika Srpska jusqu'aux premières

24 élections après Dayton; et c'étaient les élections qui s'étaient tenues en

25 septembre/octobre de 1996.

Page 481

1 Entre-temps, vu les fortes pressions exercées sur Karadzic pour ce qui est

2 de quitter ses fonctions de Président, je sais qu'elle avait été, en sa

3 qualité d'adjoint, celle qui a exercé ces fonctions-là à l'issue de ces

4 élections et suite aux négociations, et pour parler avec la communauté

5 internationale pour ce qui était donc de déterminer les modalités de mise

6 en oeuvre des dispositions de ces Accords de Dayton.

7 Question: L'assemblée serbe s'est-elle réunie début 1996 à la suite de la

8 signature des Accords de Dayton, si vous vous en souvenez?

9 Réponse: Oui, je pense qu'il y a eu une session, peut-être également fin

10 janvier ou début février, plutôt début février, à la montagne de Jahorina.

11 Il y a été question des Accords de paix de Dayton. Je sais que l'ambiance

12 disait que l'accord était mauvais pour les Serbes de Bosnie-Herzégovine;

13 le SDS n'avait pas -disait-on- accepté les termes de cet accord et c'est

14 donc sur cet arrière-fond, cette toile de fond que les intervenants

15 prenaient la parole. Nous avions estimé que les Accords devaient être

16 acceptés et qu'il fallait accéder à la réalisation de ceux-ci, notamment

17 aux fins d'aboutir à la paix en Bosnie-Herzégovine et de définir les

18 fondements politiques de cette Bosnie-Herzégovine.

19 A notre avis, ces accords prévoyaient bon nombre de mécanismes pour ce qui

20 est de la protection du groupe ethnique serbe et des institutions

21 conjointes de Bosnie-Herzégovine. Il y avait une protection au niveau de

22 la prise de décision paritaire à tous les niveaux de la Bosnie-

23 Herzégovine. Je dois faire remarquer qu'à ce moment-là, Mme Plavsic -dans

24 une brève intervention- avait été plutôt proche des positions que nous

25 avions défendues. Elle avait été de ceux qui s'étaient employés en faveur

Page 482

1 de l'acceptation des Accords de paix de Dayton.

2 La direction sise à Pale avait estimé à l'époque que c'était là une phase

3 transitoire qui devait permettre d'aboutir à une situation tout à fait

4 différente.

5 Question: A cette époque-là, Mme Plavsic soutenait-elle les Accords de

6 Dayton, même si pratiquement tous les dirigeants du SDS étaient opposés à

7 ces Accords?

8 Réponse: J'ai déjà dit qu'il était très difficile à l'époque d'être

9 fermement favorable aux Accords de Dayton, mais ce que j'ai considéré

10 comme un élément positif, c'est que la porte était ouverte, permettant

11 éventuellement de les accepter, car nous étions dans une phase qui

12 éventuellement pouvait aboutir à une acceptation complète des Accords de

13 Dayton.

14 Et je me souviens que Mme Plavsic a déclaré que Dayton n'était pas

15 absolument satisfaisant, que tout le monde était pratiquement opposé à ces

16 Accords, aussi bien les Bosniens que les Serbes, mais que l'avantage était

17 que ces Accords pouvaient permettre de s'engager sur la voie de la paix.

18 Donc il est permis de considérer que ce point de vue était très, très,

19 très éloigné de celui qui consistait à dire qu'il fallait rejeter les

20 Accords de Dayton, qu'ils étaient défavorables, qu'ils ne présentaient

21 aucun intérêt pour le peuple serbe. Or c'était cela qui dominait dans le

22 discours de l'autre partie de la direction.

23 M. Pavich (interprétation): Est-il arrivé un moment où Mme Plavsic est

24 devenue Présidente en exercice? Et si oui, pouvez-vous brièvement,

25 Monsieur Dodik -car il ne nous reste qu'une dizaine de minutes- nous dire

Page 483

1 comment cela s'est passé?

2 M. le Président (interprétation): En fait, nous avons commencé l'audience

3 avec un certain retard, à 14 heures 45, donc nous poursuivrons jusqu'à 16

4 heures 15.

5 M. Pavich (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

6 M. Dodik (interprétation): Eh bien, je dois dire que j'étais moi-même dans

7 une espèce d'opposition; je le répète. Donc je ne sais pas grand chose de

8 l'événement au cours duquel il y a eu échange de postes entre Mme Plavsic

9 et M. Koljevic d'une part, et M. Karadzic d'autre part.

10 En effet, selon les Accords de Dayton, ce dernier ou plutôt M. Karadzic ne

11 pouvait plus continuer à exercer des activités politiques, il devait donc

12 se retirer. Et ce qui important à mes yeux, c'est qu'une représentante de

13 l'opposition, telle que Mme Plavsic, a fait dans ces conditions le maximum

14 pour préparer de façon objective les élections politiques et les actions

15 des autres partis politiques qui s'étaient créés en Republika Srpska,

16 ainsi que sur tout le territoire de la Bosnie-Herzégovine. Ils étaient

17 nombreux, ces partis. Donc les élections se sont déroulées huit mois après

18 la signature des Accords, ou plutôt neuf mois après la signature des

19 Accords de Dayton. Par conséquent, je sais quel travail elle a accompli

20 pendant cette période.

21 Quant aux détails complémentaires, je ne pourrais pas vous en dire plus,

22 car nous n'avons pas eu de nombreuses rencontres à cette époque-là. Mais,

23 dans ce contexte, je suis en mesure de témoigner que la porte était

24 ouverte à la création d'autres partis politiques et que l'accent était

25 désormais placé sur la possibilité d'être représenté et de poursuivre des

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1 objectifs immédiats dans un autre sens.

2 Question: Madame Plavsic est-elle devenue Présidente élue à un certain

3 moment durant cette période?

4 Réponse: Oui, à l'issue des premières élections qui se sont tenues après

5 la signature des Accords de Dayton.

6 Question: En quelle année, Monsieur Dodik?

7 Réponse: C'était à la fin de 1996.

8 Question: La Présidence exercée par Mme Plavsic avait-elle des pouvoirs

9 extraordinaires et, notamment ce à quoi je pense, c'est le pouvoir de

10 dissoudre le Parlement? Vous souvenez-vous de cela, Monsieur Dodik?

11 Réponse: Suite à ces élections, il n'existait plus de Présidence de la

12 Republika Srpska puisque les fonctions de Président de la République et de

13 vice-Président de la République ont été respectivement inaugurées. L'un

14 des pouvoirs du Président, entre autres, était de dissoudre le Parlement,

15 c'est-à-dire l'Assemblée de la Republika Srpska.

16 Question: Etait-ce un pouvoir qui appartenait à Mme Plavsic à ce moment-

17 là, dans la dernière partie de 1996 et le début de 1997?

18 Réponse: Lorsqu'elle a été élue Présidente de la République, elle avait

19 cette compétence. Elle pouvait dissoudre, entre autres, l'assemblée et

20 susciter de nouvelles élections.

21 Question: Dans cette période qui va de l'automne 1996 à l'été 1997, avez-

22 vous été en mesure de déterminer si elle a continué à apporter son soutien

23 aux Accords de Dayton?

24 Réponse: De nombreuses activités ont eu lieu dans cette période. Le HCR a

25 participé, entre autres, parmi d'autres organisations, à la surveillance

Page 485

1 de la mise en œuvre des Accords de Dayton. Donc c'est de cette façon que

2 la communauté internationale a pu vérifier l'application de l'Accord. Et

3 lorsque les premiers représentants sont arrivés en Bosnie-Herzégovine,

4 j'ai remarqué que de nombreuses activités ont eu lieu de la part des

5 organes qui coopéraient avec cette organisation.

6 En tant que représentant de l'opposition, j'ai été assez actif et j'ai vu

7 qu'elle a transféré, entre autres, dès qu'elle est devenue Présidente, le

8 cabinet du gouvernement à Banja Luka. Donc elle n'a pas conservé le siège

9 de Pale.

10 Question: Pouvez-vous nous dire, Monsieur Dodik, à peu près, ce qui s'est

11 passé à quel moment?

12 Réponse: Je pense que ceci s'est passé durant son mandat en tant que

13 Présidente de la République.

14 Question: Savez-vous pourquoi elle a pris cette décision? L'a-t-elle

15 déclarée en public?

16 Réponse: Je crois que l'objectif était de permettre un travail normal des

17 institutions en écartant les obstacles. En tout cas, c'est ce que je

18 pense, car le gouvernement, à l'époque, pensait que Mme Plavsic devait

19 n'être qu'exécutante des décisions prises.

20 Question: Etait-ce une décision du SDS à l'époque, Monsieur Dodik?

21 Réponse: Ce n'était pas une décision très visible à l'époque, mais les

22 événements qui sont survenus par la suite ont indiqué très clairement

23 qu'il existait, au sein de la direction de la Republika Srpska, des

24 divergences de vue. Ceci a pu se constater dès le début du mandat de Mme

25 Plavsic car, grâce aux institutions, elle a engagé des poursuites eu égard

Page 486

1 à une affaire criminelle importante, et elle a fait intervenir la police

2 et d'autres organes pour que cette affaire soit traduite en justice comme

3 il se devait.

4 Le simple fait qu'elle se trouve à Banja Luka a été considéré comme une

5 mesure d'opposition. On lui a demandé de revenir à Pale et ceci a

6 constitué un point culminant dans ses divergences.

7 A la mi-1997, pour être plus précis, en juillet 1997, elle a fait usage de

8 son pouvoir en démantelant l'Assemblée de la Republika Srpska et en

9 suscitant de nouvelles élections.

10 Question: Mais avant d'agir de la sorte, à votre avis, ses actions lui

11 avaient-elles fait courir un risque politique quelconque ou un risque

12 personnel quelconque? Lorsque je parle de "ses actions", je veux dire le

13 transfert, notamment, de l'Assemblée de Pale à Banja Luka, et tout ce

14 qu'elle a fait pour obtenir l'application de l'Accord de Dayton? Ses actes

15 précis ont-ils fait courir à Mme Plavsic un danger politique ou personnel,

16 si vous pouvez nous le dire?

17 Réponse: J'ai dit que c'était son cabinet qui fonctionnait à Banja Luka.

18 Le Parlement, lui, opérait toujours à Pale. Et en raison de cela, en

19 raison également du fait que le Parlement était à l'époque directement

20 sous le contrôle de la majorité du SDS, le Parlement a appliqué, à

21 l'époque, la politique qui correspondait à ce parti politique. Je crois

22 que les événements ultérieurs ont indiqué à quel point le fait de

23 démanteler le Parlement a constitué une action dangereuse.

24 Je me souviens que Mme Plavsic à l'époque, passait toutes ses nuits et

25 toutes ses journées au sein du cabinet et qu'elle ne quittait pas son

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1 appartement, entre autres pour des raisons de sécurité.

2 Question: Est-il arrivé un moment où elle était à une conférence

3 internationale et où elle a ressenti le besoin de revenir dans le pays en

4 raison de la crise? Je parle de l'été 1997, c'est-à-dire avant la

5 dissolution du Parlement, mais après le transfert du cabinet à Banja Luka.

6 Réponse: Oui. Elle était allée à Londres pour participer à une réunion et,

7 compte tenu du fait qu'une séance de la direction du SDS avait été

8 convoquée en urgence car la direction du SDS s'était servie du fait

9 qu'elle était absente à ce moment-là -et n'oublions pas que la situation

10 politique était assez négative, à l'époque-, eh bien, en raison de tout

11 cela, elle a pratiquement fait demi-tour à l'aéroport pour retourner en

12 Republika Srpska. Et à son arrivée à Belgrade, elle a été retenue dans une

13 pièce de l'aéroport et déportée quelques moments après jusqu'à la

14 frontière entre la Yougoslavie et la Republika Srpska, donc la Bosnie-

15 Herzégovine. Arrivée en Bosnie-Herzégovine, c'est la police de la

16 Republika Srpska qui a pris la responsabilité de son sort et, plusieurs

17 heures plus tard, des représentants de l'armée de la Republika Srpska

18 l'ont amenée jusqu'à Banja Luka. Elle n'est pas allée à Pale, ce qui était

19 le but initial de la direction du SDS. C'est ce que je sais au sujet de

20 cet incident; en tout cas, c'est la façon dont j'ai interprété ces

21 événements.

22 Question: Lorsqu'elle a été arrêtée et maintenue en détention à Belgrade,

23 était-ce durant l'été 1997, Monsieur Dodik?

24 Réponse: Oui, c'est exact. Je pense que c'était en juillet 1997, à peu

25 près.

Page 488

1 Question: Qui présidait la Serbie, à l'époque, Monsieur Dodik?

2 Réponse: C'était M. Milosevic.

3 Question: Mais malgré tout cela, a-t-elle tout de même réussi à dissoudre

4 le Parlement, après cet incident?

5 Réponse: Oui. Plusieurs jours après tout cela, plusieurs jours donc après

6 la prise de décision dont je viens de parler de la part de la direction du

7 SDS à Pale, car son séjour à Londres a servi à ce que le vice-Président de

8 la Republika Srpska de l'époque soit investi en tant que Président à part

9 entière de la Republika Srpska, de façon à acquérir une maîtrise sur le

10 poste de Président; et Mme Plavsic a pris en compte les rapports qui

11 existaient à l'époque, les divergences de vue, les affrontements entre les

12 uns et les autres, et fait usage de son droit constitutionnel de dissoudre

13 le Parlement et de convoquer de nouvelles élections.

14 Question: Avez-vous pris part à ces élections, Monsieur Dodik?

15 Réponse: Oui. A ce moment-là, j'étais déjà Président de l'Alliance des

16 sociaux-démocrates indépendants, parti qui avait été créé le 15 juin 1996;

17 et je dois dire qu'en 1994, vers la fin de 1994, avec un groupe de députés

18 qui ne faisaient pas partie du SDS au sein de ce premier Parlement de la

19 Republika Srpska, j'ai immédiatement créé un groupe de députés

20 indépendants que je présidais.

21 Donc après la signature des Accords de Dayton, le Parti des sociaux-

22 démocrates indépendants a été créé, parti que je présidais et qui a

23 participé aux élections de façon indépendante.

24 Question: Ces élections se sont-elles déroulées à l'automne 1997, Monsieur

25 Dodik?

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1 Réponse: Oui, c'étaient des élections législatives extraordinaires au sein

2 de la Republika Srpska.

3 Question: A ce moment-là, Mme Plavsic s'est-elle officiellement retirée du

4 SDS pour créer un nouveau parti?

5 Réponse: Oui. A ce moment-là, après la dissolution du Parlement, quelques

6 semaines après, un nouveau parti qu'elle a présidé a vu le jour; il

7 s'agissait de l'Alliance nationale serbe. C'était un parti politique qui a

8 été le deuxième parti à l'issue des élections.

9 Question: Ce parti est arrivé second à l'issue des élections, alors qu'il

10 n'existait que depuis quelques mois; c'est bien cela?

11 Réponse: Oui, c'est cela.

12 Question: Quels ont été les résultats généraux de ces élections? Vous nous

13 avez dit que son parti était arrivé deuxième; pouvez-vous nous dire ce

14 qu'il en a été de votre parti, du SDS et des autres partis importants

15 existant à l'époque?

16 Réponse: Eh bien, mon parti a été représenté au Parlement avec un nombre

17 très restreint de députés; nous en avions deux. Mais ce qui comptait, à

18 l'époque, c'était le fait que le SDS n'était plus au contrôle du pouvoir

19 absolu. Relativement, il l'avait emporté, mais il n'était plus un parti

20 capable de disposer de la majorité pour constituer le Gouvernement. Je

21 crois que ces élections ont été caractérisées par ce fait nouveau, à

22 savoir que le SDS ne pouvait plus constituer à lui seul le Gouvernement.

23 Question: Suite à ces élections, Mme Plavsic a-t-elle emporté la

24 Présidence?

25 Réponse: Elle était Présidente. Les élections ne concernaient que les

Page 490

1 députés du Parlement. Elle a continué à exercer le mandat qui était le

2 sien, mandat qui durait de 1996 à 1998. Ça, c'était un mandat ordinaire,

3 alors que les élections étaient des élections législatives

4 extraordinaires.

5 Elle est donc restée Présidente de la Republika Srpska, y compris dans

6 cette période, y compris après ces élections; et, en même temps, elle

7 présidait le nouveau parti dont je viens de parler.

8 Question: En tant que Présidente, était-elle habilitée à présenter un

9 candidat au poste de Premier ministre?

10 Réponse: Oui. Elle avait le droit exclusif, en tant que Présidente de la

11 Republika Srpska, de proposer la personne qui se présentait comme candidat

12 au poste de Premier ministre. A cette époque-là, une majorité

13 parlementaire suffisait pour créer le nouveau Gouvernement en dehors du

14 SDS et du Parti radical serbe. Et Mme Plavsic a proposé M. Ivanic au poste

15 de Premier ministre, alors que celui-ci ne présidait aucun parti, à

16 l'époque. A ce moment là, il n'avait aucun engagement politique net, dans

17 la mesure où il n'était membre d'aucun parti particulier; c'était un homme

18 connu dans l'opinion publique comme professionnel, comme expert. Et c'est

19 à M. Ivanic que Mme Plavsic a donné sa confiance comme candidat au poste

20 de Premier ministre.

21 Monsieur Ivanic, pour sa part, a rendu son mandat deux ou trois jours

22 avant la session de l'Assemblée; il l'a rendu à Mme Plavsic en lui disant

23 qu'il ne pouvait pas constituer un gouvernement.

24 Question: A ce moment-là, vous a-t-elle nommé, vous, à ce poste, Monsieur

25 Dodik?

Page 491

1 Réponse: Oui. Le mandat consistant à constituer le Gouvernement, elle me

2 l'a confié à moi, à ce moment-là.

3 Question: Y avait-il des partis qui étaient opposés à son intention de

4 vous nommer au poste de Premier ministre, à ce moment-là?

5 Réponse: Oui, surtout le Parti radical serbe qui était très opposé à cela

6 et qui a mené une lutte politique et médiatique contre cette proposition.

7 Mais, en dépit de cela, au Parlement de la Republika Srpska, qui s'est

8 réuni le 18 janvier 1998, un gouvernement a été constitué et j'ai présidé

9 ce gouvernement. Ce gouvernement a été créé grâce à une majorité à

10 laquelle ne participaient ni le SDS ni le Parti radical serbe.

11 Question: Qui étaient les principaux dirigeants du SDS à cette époque-là?

12 A savoir ceux qui étaient opposés à votre nomination?

13 Réponse: Le SDS était toujours le parti politique le plus fort au

14 Parlement. Il avait le plus grand nombre de députés avec le Parti radical.

15 A eux deux, ces partis avaient 39 députés, alors que la majorité absolue

16 était de 42. Donc ils constituaient des partis très puissants.

17 Pour autant que je m'en souvienne, je crois que c'était Aleksa Buha, qui

18 était Président de la Présidence -comme on l'appelait à l'époque- du SDS à

19 l'époque.

20 Question: Qui dirigeait le Parti radical à l'époque?

21 Réponse: A l'époque, le dirigeant du Parti radical en Republika Srpska

22 était Nikola Poplasen. Je dirai pour ma part qu'il était le Président de

23 ce parti dirigé par M. Seselj.

24 Question: Monsieur Dodik, j'aimerais que vous décriviez brièvement à notre

25 intention les efforts accomplis par vous-même et Mme Plavsic au cours de

Page 492

1 l'année 1997, alors que vous étiez tous deux en fonction pour poursuivre

2 l'œuvre menant à la mise en oeuvre des Accords de Dayton? Et quelle était

3 votre priorité dans cette application des Accords de Dayton?

4 Réponse: Je dois dire que notre première priorité consistait à intégrer la

5 Republika Srpska sur la scène politique internationale; cela, c'était une

6 priorité. Et par ailleurs, nous souhaitions mettre en place une situation

7 financière qui nous permettrait d'avoir accès au système financier

8 international pour stabiliser et reconstruire la Republika Srpska, après

9 les dommages subis durant la guerre.

10 Je bénéficiais du plein soutien de Mme Plavsic, eu égard à ces deux

11 priorités et, ensemble, nous avons été très actifs sur la scène

12 internationale. Et nous avons assis les dispositions des Accords de Dayton

13 sur des bases plus stables, ce qui a impliqué de communiquer avec les

14 représentants de la communauté internationale et de régler la situation à

15 l'intérieur du pays avec les différentes compétences des membres du

16 gouvernement, ainsi que de participer au travail des institutions de

17 Bosnie-Herzégovine.

18 Ce travail a été une tâche très dure et Mme Plavsic, en tant que

19 Présidente de la République, a contribué pleinement à cette tâche en

20 aidant le gouvernement pendant toute la durée de son existence.

21 Je dois dire que l'un des aspects les plus difficiles des Accords de

22 Dayton était le retour des réfugiés. Or c'était un thème dominant pour

23 nous sur le plan politique à l'époque. Nous estimions qu'il fallait agir

24 officiellement pour garantir le retour de ces personnes et la restitution

25 de leurs biens. Madame Plavsic avec le gouvernement en place à l'époque,

Page 493

1 ont appuyé de toutes leurs forces les diverses activités menées dans ce

2 sens à l'époque. Elle était encore Présidente durant le débat très animé

3 qui a eu lieu et qui a abouti à la décision prise en 1999, c'est-à-dire

4 quelques mois après qu'elle a cessé d'exercer les fonctions de Présidente.

5 Mais elle-même et son parti ont été très actifs dans ce débat consistant à

6 restituer leurs biens aux réfugiés qui revenaient.

7 Question: Vous venez de parler de 1999. Donc nous pouvons parler des

8 élections de 1998. Pouvez-vous nous dire si elle a pris des risques

9 politiques au cours de ces élections qui, si je ne m'abuse, ont abouti à

10 sa défaite en tant que candidate à la présidence?

11 Réponse: Effectivement, c'est M. Nikola Poplasen qui l'a emporté en tant

12 que Président du Parti radical serbe et en tant que candidat conjoint du

13 Parti démocratique serbe et du Parti radical serbe.

14 Au sein de la Présidence de Bosnie-Herzégovine, le candidat élu devait

15 représenter une association de partis politiques, une coalition que nous

16 appelions "Sloga". A ce moment-là, Mme Plavsic a abandonné ses fonctions

17 présidentielles. Ceci a été avéré un petit peu plus tard et c'est le

18 candidat du SDS et du Parti radical serbe, M. Krajisnik, qui l'a emporté à

19 ce moment-là.

20 Question: Monsieur Dodik, j'aimerais à présent vous poser une question

21 qui, j'en suis sûr, vous a été posée à de très nombreuses reprises.

22 Comment, en tant que Serbe, pouvez-vous justifier l'œuvre accomplie par

23 vous et par Mme Plavsic, s'agissant de ce que vous avez fait pour

24 faciliter l'application des Accords de Dayton?

25 Réponse: Personnellement, je pense que l'événement dont nous avons parlé,

Page 494

1 les activités entreprises par Mme Plavsic, je veux parler de la

2 dissolution du Parlement et de la convocation de nouvelles élections, je

3 pense que c'est cette action qui a permis de poursuivre l'application des

4 Accords de Dayton, pas seulement en Republika Srpska, mais sur l'ensemble

5 du territoire de la Bosnie-Herzégovine.

6 C'est suite à cela qu'un gouvernement acceptable pour la communauté

7 internationale a été mis en place et ce gouvernement souhaitait

8 l'application de l'Accord de Dayton. Nous en avions beaucoup discuté

9 ensemble, nous savions tous les deux que dans les Accords de Dayton il y

10 avait des éléments positifs pour le peuple serbe qu'il importait d'asseoir

11 plus solidement. C'est la raison pour laquelle nous avons considéré les

12 Accords de Dayton comme nous l'avons fait. Autrement dit, nous n'estimions

13 pas que ces Accords de Dayton étaient défavorables au peuple serbe en

14 République serbe de Bosnie-Herzégovine, mais nous pensions que c'était

15 uniquement en assumant la responsabilité de l'application de cet accord

16 qu'il était possible de lui conserver ses aspects positifs. Toute

17 tentative faite pour limiter la portée des dispositions de cet accord

18 avait en général pour conséquence le fait que c'était un représentant au

19 sommet du gouvernement qui reprenait les rênes; et nous estimions que

20 notre responsabilité sur le plan politique et autres consistait à assumer

21 pleinement l'application des Accords de Dayton.

22 Bien entendu, cela a posé quelques problèmes s'agissant de la

23 compréhension de ce qui se passait à ce moment-là, mais jamais la question

24 de savoir si les Accords de Dayton devaient ou ne devaient pas être

25 appliqués ne s'est posée.

Page 495

1 Question: Estimez-vous que cette application générale des Accords de

2 Dayton a été utile à tous les habitants de Bosnie-Herzégovine? Et si oui,

3 veuillez expliquer, je vous prie, pour quelles raisons vous pensez cela?

4 Réponse: Oui, il a été tout à fait apparent à l'issue des Accords de

5 Dayton qu'il ne pouvait pas y avoir de vainqueur par les armes en Bosnie-

6 Herzégovine. Donc aucune population ne pouvait l'emporter.

7 D'ailleurs, dans les Accords de Dayton, on trouvait un compromis qui

8 contenait des éléments favorables aux trois populations majoritaires sur

9 le territoire de la Bosnie-Herzégovine à l'époque, mais aucune de ces

10 populations ne devaient l'emporter sur les autres. Ce qui était important,

11 c'était de trouver la voie vers la paix, la voie vers la stabilisation, la

12 voie vers la réconciliation, ou en tout cas vers une meilleure

13 compréhension entre les parties belligérantes quelques moments avant. Et

14 divers partis politiques qui existaient pendant la guerre, divers

15 dirigeants de ces partis politiques, ont maintenu les mêmes positions que

16 ce qu'ils défendaient pendant la guerre et ont en fait interprété les

17 Accords de Dayton uniquement à partir de leurs intérêts personnels; ce

18 qui, dans la réalité, rendait impossible une application complète de ces

19 Accords de Dayton. Mais, comme tout processus, ce processus a été assorti

20 d'un certain nombre de difficultés et de problèmes et je peux confirmer

21 que ce qui s'est passé en 1997 avec ces élections extraordinaires, a

22 permis de maintenir de façon durable et de définir de façon durable la

23 voie suivie par la Republika Srpska dans le respect des dispositions de

24 l'Accord de Dayton.

25 M. Pavich (interprétation): Merci beaucoup, Monsieur Dodik. Je n'ai pas

Page 496

1 d'autre question à vous poser.

2 M. Tieger (interprétation): Nous n'avons pas de question pour ce témoin,

3 Monsieur le Président.

4 M. le Président (interprétation): Monsieur Dodik, ceci met un terme à

5 votre déposition. Merci d'être venu devant le Tribunal pénal international

6 pour témoigner. Vous pouvez maintenant vous retirer.

7 Nous suspendons l'audience jusqu'à 9 heures 30 demain matin.

8 (L'audience est levée à 16 heures 15.)

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