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1 (Lundi 16 décembre 2002.)
2 (Audience de sentence.)
3 (L'audience est ouverte à 9 heures 34.)
4 (Audience publique.)
5 M. le Président (interprétation): Je demanderai à Mme la Greffière
6 d'annoncer le numéro de l'affaire.
7 Mme Anoya (interprétation): Bonjour, Monsieur le Président.
8 Il s'agit de l'Affaire IT-00-39&40-S, le Procureur contre Biljana Plavsic.
9 M. le Président (interprétation): Je demande aux parties de se présenter.
10 Mme Del Ponte (interprétation): Monsieur le Président, Messieurs les
11 Juges, je comparais ici en ma qualité de Procureure générale du Tribunal,
12 avec mes collègues M. Mark Harmon et M. Tieger, qui présenteront un
13 certain nombre de détails au sujet de la présente Affaire, ainsi que Mme
14 Carmela Annink-Javier qui est notre assistante.
15 Merci.
16 M. Pavich (interprétation): Bonjour, Monsieur le Président. Je m'appelle
17 Robert Pavich, je suis accompagné de Me O'Sullivan et nous défendons tous
18 les deux Mme Biljana Plavsic.
19 M. le Président (interprétation): Madame le Procureur, avant de commencer,
20 je tiens à vous dire que nous avons reçu une requête commune demandant une
21 ordonnance en application de l'Article 70, et ce eu égard à un témoin.
22 Nous nous trouvons dans des circonstances exceptionnelles et, compte tenu
23 du fait que cette requête est présentée en commun par les deux parties,
24 nous avons l'intention d'y faire droit. Ce faisant, nous tenons à dire
25 très clairement que ceci ne crée aucun précédent, car, comme je viens de
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1 le dire, les circonstances de la présente audience et de la présente
2 affaire sont exceptionnelles.
3 Vous avez la parole, Madame la Procureure.
4 Mme Del Ponte (interprétation): Merci, Monsieur le Président.
5 Avant de vous présenter mes remarques liminaires, j'aimerais en quelques
6 instants traiter d'emblée un point de procédure.
7 Nous sommes ici aujourd'hui en audience publique, mais le document clé
8 dont il sera question, à savoir les bases fondamentales relatives au
9 plaidoyer de culpabilité, a été déposé sous scellés par les parties le 30
10 septembre. Cela faciliterait l'audience d'aujourd'hui, car je crois savoir
11 que l'audience doit être diffusée en direct en Yougoslavie. Donc il serait
12 plus facile si le document en question devenait public aujourd'hui.
13 Je demande donc à la Chambre d'ordonner une modification du Statut de ce
14 Règlement de façon à ce qu'il soit permis d'y faire référence sans le
15 moindre obstacle. Je demande donc la levée des scellés sur ce document
16 immédiatement, mais les autres documents devraient rester confidentiels
17 jusqu'à la fin de l'audience.
18 M. le Président (interprétation): Le document en question est rendu public
19 par levée des scellés.
20 (Déclarations liminaires de l'accusation, par la Procureure Mme Del Ponte.)
21 Mme Del Ponte (interprétation): Merci, Monsieur le Président.
22 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, des audiences de prononcé de
23 peine sont par nature des audiences publiques qui ont un rôle central dans
24 l'application de la justice.
25 Il est important que les membres de la société puissent connaître la
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1 nature des crimes commis ainsi que la responsabilité individuelle qui est
2 engagée s'agissant de la commission de ces crimes.
3 Le processus que cela implique est souvent douloureux, mais je le crois
4 nécessaire. Je considère que l'audience d'aujourd'hui est d'une importance
5 rare pour mettre en lumière ce qui s'est passé durant le conflit en
6 Bosnie-Herzégovine.
7 C'est la première fois dans ce Tribunal qu'une personnalité très
8 importante de l'ex-Yougoslavie, mise en accusation en raison de son rôle
9 au plus haut de la hiérarchie, a admis sa responsabilité vis-à-vis des
10 crimes horribles commis pendant le conflit de Bosnie-Herzégovine.
11 Madame Plavsic a plaidé coupable par rapport au Chef n°3 de l'Acte
12 d'accusation, qui est une charge globale recouvrant des crimes contre
13 l'humanité, à savoir la persécution et le nettoyage ethnique, crimes qui
14 ont provoqué des souffrances sans nom pour plusieurs milliers de victimes
15 innocentes. Nombre de survivants porteront les cicatrices de leurs
16 souffrances pendant le reste de leurs jours. Je tiens à souligner que,
17 dans la nature même d'un plaidoyer de culpabilité, il n'y a rien qui
18 modifie, qui amoindrisse la gravité du crime en tant que tel. Ces crimes
19 sont de la plus haute gravité et sont détaillés dans les annexes
20 pertinentes à l'Acte d'accusation.
21 Dans la présentation que je fais ici ce matin, la gravité des crimes
22 devraient être l'aspect pris en compte en priorité par la Chambre
23 lorsqu'elle présentera sa sentence.
24 Tout dirigeant a pour devoir de défendre tous les citoyens de son pays, et
25 les crimes commis contre des personnes méritant la protection sont
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1 d'autant plus graves.
2 Toutefois, le fait que Mme Plavsic admet, devant la présente Chambre de
3 première instance, l'horreur des crimes commis en Bosnie-Herzégovine est
4 d'une énorme importance, ainsi que le fait qu'elle reconnaît sa
5 responsabilité pénale individuelle vis-à-vis de ses crimes.
6 Sa position est tout à fait différente de celle d'autres dirigeants de
7 l'époque qui continuent aujourd'hui à nier les crimes commis ou qui
8 tentent de se maintenir hors de portée de la justice internationale.
9 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, nous ne devons jamais oublier
10 que ce Tribunal a, en dernière analyse, été créé pour servir d'instrument
11 de restauration de la paix. La réconciliation dans les Balkans ne sera pas
12 obtenue tant que les faits continueront à être niés.
13 Le plaidoyer de culpabilité de Mme Plavsic s'appuie sur l'admission de
14 deux vérités impossibles à nier: premièrement, que des crimes de masse
15 décrits au Chef n°3 de l'Acte d'accusation ont effectivement eu lieu, tels
16 que décrits dans l'Acte d'accusation; deuxièmement, en jouant le rôle
17 qu'elle a joué à l'époque, elle est responsable pénalement.
18 Tant que ces vérités ne seront pas affrontées honnêtement, comme cela
19 peut-être le cas dans la présente procédure avec à l'appui bien sûr la
20 jurisprudence du Tribunal international, il n'y aura certainement aucun
21 espoir d'une véritable réconciliation dans la société de l'ex-Yougoslavie.
22 Je ne propose pas que le plaidoyer de culpabilité de Mme Plavsic soit
23 synonyme de pardon immédiat de la part des victimes ou d'ailleurs de la
24 part de la Chambre de première instance; ces crimes sont trop graves pour
25 ce faire.
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1 Dans son plaidoyer de culpabilité et certainement dans les échanges
2 qu'elle a eus avec mon Bureau, l'accusée n'a pas cherché à obtenir un
3 avantage personnel quelconque ou à se soustraire à la responsabilité qui
4 est la sienne s'agissant des actes commis par elle. Mais le fait qu'elle
5 ait plaidé coupable doit être une étape importante vers la réconciliation
6 en Bosnie-Herzégovine; elle doit aider à briser le révisionniste et la
7 négation des faits et j'espère qu'elle contraindra d'autres personnes à
8 affronter la réalité de ce qui s'est passé au cours du conflit.
9 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, la Chambre entendra de
10 nombreux aspects de ce plaidoyer de la bouche de témoins importants cités
11 à la barre pour témoigner au cours des deux jours à venir.
12 Elle entendra également davantage de détails au sujet de crimes eux-mêmes
13 ainsi que du rôle joué par Mme Plavsic dans la commission des ces crimes.
14 Par conséquent, je vais demander à M. Harmon de vous détailler de façon
15 plus approfondie et plus précise la façon dont la procédure se déroulera.
16 Je vous remercie de votre attention.
17 (Déclarations liminaires de l'accusation, par M. Harmon.)
18 M. Harmon (interprétation): Merci, Madame la Procureure.
19 Bonjour, Monsieur le Président. Bonjour, Messieurs les Juges. Et bonjour
20 également à mes collègues de la défense.
21 Mes remarques liminaires ont pour objet de vous présenter des éléments de
22 preuve oraux ou écrits que le Procureur et la défense soumettront durant
23 la présente audience et qui ont pour but de vous présenter les témoins qui
24 témoigneront et la nature de leur témoignage.
25 Les deux parties présentes à cette audience se sont efforcées, en toute
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1 conscience, de définir les questions critiques et les éléments de preuve
2 les plus importants susceptibles d'aider les Juges à déterminer quelle est
3 la sentence la plus juste à appliquer à Mme Plavsic pour sa responsabilité
4 pénale admise devant le Tribunal pour crimes contre l'humanité. Au cours
5 des deux jours à venir, nous présenterons donc ces éléments de preuve à la
6 Chambre.
7 S'agissant du cadre juridique dans lequel se déroule la présente audience
8 de prononcé de sentence, et s'agissant de vos délibérations, les parties
9 se sont penchées sur le Statut du Tribunal, le Règlement de procédure et
10 de preuve ainsi que la jurisprudence de ce Tribunal. Nous sommes convenus
11 de prendre en compte les facteurs qui sont pertinents et qui valent la
12 peine de vous être soumis et nous les avons pris en compte globalement
13 dans nos mémoires relatifs au prononcé de la sentence déposé devant la
14 Chambre de première instance le 25 novembre 2002.
15 Ces facteurs sont les suivants.
16 Premièrement, gravité de l'infraction.
17 Deuxièmement, circonstances personnelles dans lesquelles se trouvait la
18 personne condamnée.
19 Troisièmement, toutes circonstances aggravantes ou atténuantes.
20 Et, quatrièmement, la pratique générale appliquée par les Tribunaux de
21 l'ex-Yougoslavie en matière de peine de prison.
22 Durant les deux jours à venir, le Procureur et la défense présenteront des
23 éléments de preuve qui porteront sur les trois premiers facteurs que je
24 viens de citer. Quant au quatrième facteur, à savoir la pratique
25 généralement appliquée par les Tribunaux de l'ex-Yougoslavie en matière de
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1 peine de prison, il ne sera pas traité par le Procureur au cours de la
2 partie présentation d'éléments de preuve de cette audience, car il est
3 traité de façon très détaillée dans le mémoire écrit du Procureur aux
4 paragraphes 35 à 39.
5 Les éléments de preuve qui vous seront soumis au cours des deux jours à
6 venir seront présentés oralement et par écrit, et divisés de façon
7 générale en trois catégories distinctes.
8 Premièrement, l'audience commencera avec des témoins de l'accusation et
9 des éléments de preuve centrés sur la gravité de l'infraction pour
10 laquelle Mme Plavsic a plaidé coupable, en rapport avec l'Article 24-2) du
11 Statut.
12 Selon la jurisprudence de ce Tribunal, c'est le facteur le plus important
13 qu'il convient que les Juges prennent en compte pour prononcer la
14 sentence, confère Delalic, Kupreskic et Aleksovski,
15 L'importance des crimes pour lesquels Mme Plavsic a plaidé coupable est
16 tout simplement immense. Le Chef 3 de l'Acte d'accusation qui fait l'objet
17 du plaidoyer de culpabilité de Mme Plavsic ainsi que les quatre annexes à
18 cet Acte d'accusation, décrivent une campagne de persécution menée dans 37
19 municipalités de Bosnie-Herzégovine entre juillet 1991 et décembre 1992.
20 Les victimes de cette campagne discriminatoire étaient principalement des
21 Musulmans, des Croates de Bosnie, mais également des victimes qui ont été
22 prises dans cette odieuse toile d'araignée. J'ai parlé, par exemple, de
23 Serbes de Bosnie qui se sont opposés à la politique de Mme Plavsic et sont
24 restés à Sarajevo pendant toute la durée du terrible siège de cette ville.
25 La campagne de persécution visant les non-Serbes se présente sous la forme
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1 d'assassinats de masse, d'arrestations massives, de destruction de maisons
2 appartenant à des non-Serbes, de destruction de commerces et d'entreprises
3 appartenant à des non-Serbes, de destruction de lieux de culte et
4 d'expulsion sous la contrainte de populations entières de non-Serbes à
5 partir des zones prétendument contrôlées par les Serbes de Bosnie.
6 Nous reconnaissons d'emblée que le caractère très global des éléments de
7 preuve qui seront soumis aux Juges de cette Chambre ne peut pas décrire
8 dans le détail l'immensité des souffrances collectives et individuelles
9 qui ont été le résultat de cette campagne de persécution ni démontrer
10 entièrement les conséquences corrosives que cette campagne a eues en
11 1991/1992 et continue à avoir aujourd'hui sur le tissu social de Bosnie-
12 Herzégovine.
13 L'audience, en effet, est trop courte pour cela. A fortiori, nos exposés
14 ne seront que l'arbre qui cache la forêt s'agissant de décrire les
15 souffrances humaines en cause, et ne pourront pas illustrer dans le détail
16 les conséquences passées et présentes de cette campagne de persécution.
17 Nous proposons que la voix des victimes soit entendue par le biais des
18 témoins de l'accusation et d'un témoin conjoint.
19 Le premier de ces témoins est Mirsad Tokaca. Il est représentant de la
20 commission mise en place par l'Etat de Bosnie en 1992 aux fins de
21 recueillir des éléments de preuve au sujet des crimes de guerre commis en
22 Bosnie-Herzégovine. Son témoignage traitera de l'importance des crimes
23 commis en Bosnie-Herzégovine et de l'incidence que ces crimes ont eu sur
24 les victimes. Cet homme parlera également de l'échec de la tentative de
25 parler ouvertement de ces crimes qui est également un frein à la
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1 réconciliation.
2 Le deuxième témoin est Adil Draganovic, représentant de l'Alliance
3 nationale bosniaque des anciens détenus dans les camps. Son témoignage,
4 qui est représentatif de milliers de détenus enfermés dans les camps,
5 traitera de la situation dans ces camps, des conditions de détention, des
6 installations dans lesquelles les détenus vivaient et de l'incidence de
7 cette détention sur la vie des détenus. Cet homme parlera également de son
8 expérience personnelle. Il le dira à la Chambre de première instance,
9 s'agissant de son séjour dans les camps de Sanski Most et de Manjaca.
10 Le troisième témoin est Mme Teufika Ibrahimefendic. Madame Ibrahimefendic
11 est une professionnelle de la santé, coordinatrice des cliniques de Viva
12 Zene, ONG créée en 1994 avec financement de la Communauté européenne. Viva
13 Zene apporte un soutien psychosocial aux victimes de la guerre, et
14 notamment aux femmes et aux enfants. Le témoignage de cette femme
15 permettra à la Chambre de première instance d'entendre le point de vue
16 d'une praticienne clinique quant aux effets traumatisants de la guerre sur
17 toute une partie de la communauté des victimes de Bosnie-Herzégovine;
18 effets qui se font sentir encore aujourd'hui.
19 Nous ajouterons au témoignage de ces trois témoins des documents écrits
20 qui se divisent en deux catégories. D'abord, des témoignages
21 représentatifs de victimes non-serbes entendues dans d'autres affaires par
22 ce Tribunal. Nous entendrons donc un certain nombre de témoins qui ont
23 déjà déposé dans les affaires Tadic, Jelisic, Krnojelac, Stakic, Kvocka,
24 Brdjanin & Talic, et Vasiljevic.
25 Nous soumettrons également aux Juges de cette Chambre des rapports
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1 provenant d'experts en démographie, tels que Ewa Tabeau et Marcin
2 Zoltkowski, qui illustrent la réduction importance de la population de
3 non-Serbes dans les 37 municipalités sur lesquelles les Serbes de Bosnie
4 prétendaient installer leur contrôle.
5 Cette partie de l'audience consacrée à la présentation des éléments de
6 preuve se conclura avec l'audition du témoignage du professeur Elie
7 Wiesel, écrivain, moraliste, lauréat du Prix Nobel de la paix, qui parlera
8 au nom des victimes, au nom du besoin de l'humanité et des victimes de
9 justice qui doit être rendue dans la présente affaire.
10 La deuxième partie des éléments de preuve présentés seront les éléments de
11 preuve présentés par la défense; ils seront en rapport avec les
12 circonstances atténuantes. Ces circonstances n'enlèvent rien à la gravité
13 du crime, mais peuvent permettre d'atténuer la peine qui sera prononcée
14 par la Chambre. En fait, le Procureur a défini au paragraphe 22 du mémoire
15 du Procureur, au sujet de la peine à prononcer contre Biljana Plavsic, un
16 certain nombre de circonstances atténuantes dont nous estimons qu'elles
17 méritent la considération des Juges. Au nombre de ces facteurs, on trouve
18 le fait que Mme Plavsic ait plaidé coupable, le fait qu'elle ait admis sa
19 responsabilité, qu'elle ait exprimé du remords, qu'elle se soit rendue
20 volontairement au Tribunal; l'âge de Mme Plavsic est également à prendre
21 en compte, ainsi que son comportement après le conflit et le caractère
22 positif de sa personnalité avant le conflit.
23 Les témoins de la défense qui seront entendus au nom de Mme Plavsic seront
24 les suivants: Milorad Dodik, Président du Parti des Social-démocrates
25 indépendants de la Republika Srpska; Son Excellence l'ambassadeur Carl
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1 Bildt, premier représentant permanent des Nations Unies et ancien chef de
2 la Mission en Bosnie-Herzégovine.
3 Enfin, dans la dernière partie des éléments de preuve présentés à la
4 Chambre, nous entendrons des témoins qui sont communs à l'accusation et à
5 la défense; leur témoignage se concentrera sur le plaidoyer de culpabilité
6 de Mme Plavsic et permettra de voir de quelle façon elle a participé à
7 l'établissement de la vérité, s'agissant de décrire les événements cités
8 dans l'Acte d'accusation. Ils permettront également de voir de quelle
9 façon ce plaidoyer peut contribuer à la réconciliation en Bosnie-
10 Herzégovine.
11 Les parties à la présente affaire partagent le point de vue que c'est
12 seulement par l'établissement de la vérité au sujet des événements
13 survenus en Bosnie-Herzégovine que le processus vital et néanmoins fragile
14 de la réconciliation pourra commencer. Par ailleurs, nous sommes d'accord
15 que c'est seulement par l'établissement de la vérité que les liens
16 malsains du révisionnisme, qui affaiblissent actuellement l'ex-Yougoslavie
17 en suscitant la suspicion, la haine ethnique et les troubles civiques,
18 pourront être défaits.
19 Les témoins qui déposeront dans cette partie de l'audience sont Mme
20 l'Ambassadeur Madeleine Albright, ancienne représentante des Nations Unies
21 de 1993 à 1997, ancien secrétaire d'Etat américain de 1997 à 2001; elle
22 sera entendue par les deux parties. Le deuxième témoin entendu dans cette
23 partie de l'audience sera le Dr Alex Boraine, ex-député d'Afrique du Sud,
24 vice-président de la Commission pour la vérité et la réconciliation en
25 Afrique du Sud.
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1 Enfin, nous entendrons une déclaration de Mme Plavsic qui conclura la
2 présente audience.
3 Mercredi après-midi, les parties présenteront leurs arguments finaux et
4 c'est M. Alan Tieger, mon collègue, qui parlera au nom du Bureau du
5 Procureur.
6 Les deux parties espèrent clore que, lors de cette audience historique,
7 les éléments de preuve soumis à la Chambre au cours des deux jours qui
8 viennent permettront d'aider les Juges dans leurs délibérations et leur
9 permettront de prononcer la sentence la plus appropriée qui soit.
10 Je vous remercie de votre attention.
11 M. le Président (interprétation): Monsieur Harmon, il y a un point dont
12 j'aimerais parler avec vous, qui ne semble pas être traité dans vos
13 mémoires écrits, si je ne me trompe pas: il s'agit du problème de la
14 coopération avec le Procureur. C'est l'un des facteurs dont nous parlons
15 parfois et je ne vois aucune référence à ce facteur dans vos écritures.
16 Peut-être pourriez-vous nous en dire quelques mots à un moment ou à un
17 autre, ainsi que la défense, si vous souhaitez le faire?
18 M. Mark Harmon (interprétation): Merci, Monsieur le Président.
19 M. le Président (interprétation): Bien. Nous allons maintenant entendre
20 les témoins.
21 (Déclarations liminaires de la défense, par Me O'Sullivan.)
22 M. O'Sullivan (interprétation): J'aimerais tout de même prononcer une
23 brève allocution liminaire, Monsieur le Président.
24 Monsieur le Président, nous pensons que décrire ce qui va se passer dans
25 ce prétoire dans les deux ou trois jours à venir, il n'est pas exagéré de
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1 le définir comme l'audience de prononcé de sentence la plus importante qui
2 ait jamais été organisée par ce Tribunal.
3 Une dirigeante politique accusée de violation grave du Droit international
4 et notamment de crimes contre l'humanité, s'est volontairement rendue au
5 Tribunal international. Par conséquent et par la suite, elle a également
6 reconnu que les forces dirigées par un certain nombre de personnes,
7 notamment par elle, ont mené une campagne de persécution organisée,
8 systématique et de grande ampleur. Elle a admis sa culpabilité et accepté
9 sa responsabilité juridique pour le rôle joué par elle dans cette campagne
10 de persécution.
11 Cet aveu est décrit de façon détaillée dans le document intitulé "Bases
12 factuelles", qui accompagne son plaidoyer de culpabilité et qui vient
13 d'être rendu public il y a quelques instants. Nous pensons que ce document
14 supportera l'examen très approfondi dont il va certainement faire l'objet.
15 La Chambre de première instance devra donc, d'une part, tenir compte de
16 l'aveu de Mme Plavsic et de son admission de responsabilité et de
17 culpabilité, et elle devra également apprécier les actions extraordinaires
18 de Biljana Plavsic à la direction dont elle faisait partie, ainsi que le
19 grand courage dont elle a fait preuve après la guerre: le fait qu'elle ait
20 admis sa responsabilité devant le Tribunal et les effets qu'aura la
21 présente audience dans laquelle elle voit une possibilité d'avancer dans
22 la direction de la réconciliation. Ses actes d'atténuation des tensions ne
23 font que prolonger la mission du Tribunal qui a été créé, lui-même, pour
24 restaurer la paix et la sécurité dans la région, en établissant les
25 responsabilités des uns et des autres et en étant un facteur de promotion
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1 de la réconciliation.
2 Les diplomates internationaux au plus haut niveau viendront témoigner que
3 Mme Biljana Plavsic a été utile, sinon indispensable, à la mise en oeuvre
4 des Accords de Paix de Dayton pendant les mois les plus importants et les
5 années les plus importantes qui ont immédiatement suivi la signature de
6 cet Accord.
7 En tant que Président de la Republika Srpska et en courant des risques
8 personnels et politiques importants, Mme Plavsic s'est opposée à la
9 corruption politique et aux structures gouvernementales de l'époque. Elle
10 a exposé et combattu le crime organisé et pris des mesures importantes
11 pour rétablir l'Etat de droit après la guerre.
12 Outre ce travail de mise en oeuvre des Accords de Dayton, la Chambre devra
13 également se pencher sur les effets positifs de son plaidoyer de
14 culpabilité, qui est le seul plaidoyer de culpabilité venant d'un
15 dirigeant politique ayant accepté sa responsabilité eu égard aux méfaits
16 commis pendant la guerre. Ceci est considéré comme tellement important
17 qu'un certain nombre de dirigeants politiques et moraux, respectés dans le
18 monde entier, et notamment des lauréats du Prix Nobel de la Paix, se sont
19 portés volontaires pour participer à la présente audience.
20 Enfin, Mme Plavsic s'adressera en personne aux Juges de cette Chambre,
21 donc au Tribunal, et aux personnes qu'elle a eu la responsabilité de
22 servir en tant que dirigeante.
23 En conclusion, la présente Chambre devra prononcer une sentence rendant
24 compte de tous les aspects de la présente audience absolument
25 extraordinaire.
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1 Je vous remercie de votre attention.
2 Voilà les remarques liminaires que je voulais présenter au nom de Mme
3 Plavsic.
4 M. le Président (interprétation): Merci beaucoup.
5 Le Procureur peut maintenant entendre ses témoins.
6 M. Tieger (interprétation): Monsieur le Président, le premier témoin à
7 comparaître sera M. Mirsad Tokaca.
8 (Le témoin, M. Mirsad Tokaca, est introduit dans le prétoire.)
9 M. le Président (interprétation): Je vais demander au témoin de donner
10 lecture de la déclaration solennelle.
11 M. Tokaca (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la
12 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
13 M. le Président (interprétation): Merci, Monsieur. Veuillez vous asseoir.
14 (Le témoin s'assoit.)
15 M. Tieger (interprétation): Monsieur le Président, je commencerai en
16 relevant que le Bureau du Procureur a préparé un classeur que la Chambre a
17 reçu. Dans ce classeur se trouvent différentes pièces à conviction. A cet
18 égard, je demanderai à la Chambre l'autorisation pour que Mme Anninck-
19 Javier s'installe près du témoin: de cette façon, elle pourra vous aider,
20 s'agissant de la présentation des preuves et des pièces en ce qui concerne
21 les deux témoins suivants.
22 M. le Président (interprétation): Oui, c'est autorisé.
23 M. Tieger (interprétation): Je vous remercie, Monsieur le Président.
24 (Mme Anninck-Javier s'installe à côté du témoin.)
25 (Interrogatoire principal du témoin, M. Mirsad Tokaca, par M. Tieger.)
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1 M. Tieger (interprétation): Bonjour, Monsieur Tokaca.
2 M. Tokaca (interprétation): Bonjour.
3 Question: Pourriez-vous dire à la Chambre quelles sont vos fonctions
4 actuelles?
5 Réponse: En ce moment, à savoir depuis 1992, depuis août 1992 pour être
6 plus précis, je me trouve à la tête du secrétariat de la commission d'Etat
7 pour la collecte des faits relatifs aux crimes de guerre perpétrés en
8 Bosnie-Herzégovine.
9 Question: Je suis désolé, Monsieur le Président, je ne reçois pas
10 l'interprétation.
11 (Intervention de l'huissier.)
12 Monsieur Tokaca, depuis combien de temps exercez-vous ces fonctions?
13 Réponse: Plus de dix ans. Au mois d'août, cela a fait exactement dix ans,
14 donc maintenant cela fait encore quatre mois de plus.
15 Question: Monsieur Tokaca, cette commission pour laquelle vous travaillez
16 depuis ce temps, depuis quand a-t-elle été établie?
17 Réponse: Cette commission a été mise en place par la présidence, suite à
18 une décision datée du 28 avril 1992.
19 Question: A quoi devait-elle servir?
20 Réponse: Son rôle consiste à recueillir tous les faits pertinents
21 afférents aux crimes contre l'humanité, violation des Droits de l'homme,
22 preuves matérielles à communiquer aux organes compétents du gouvernement,
23 des institutions non gouvernementales et internationales concernant les
24 déclarations de témoins, les rapports, et ainsi de suite.
25 Il convient, pour ce qui est des tâches de cette commission, de mentionner
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1 les contacts avec les organisations non gouvernementales en Bosnie-
2 Herzégovine et à l'extérieur de la Bosnie-Herzégovine aux fins de
3 regrouper tous les renseignements afférents.
4 Et d'autre part, notre rôle consiste à informer l'opinion publique
5 nationale et internationale sur ce qui se passe en Bosnie-Herzégovine.
6 L'une des fonctions de cette commission avait été de mettre en place une
7 ambiance, une atmosphère dans laquelle les gens seraient à même de parler
8 sans aucune crainte de ce qui leur est arrivé.
9 Et pour finir, l'une des tâches très importantes a consisté à coopérer
10 avec les différents organismes des Nations Unies qui ont traité, à ce
11 moment-là, des événements de guerre en Bosnie-Herzégovine.
12 J'ai à l'esprit notamment une commission d'experts mise en place par la
13 résolution des Nations Unies, puis les équipes d'enquêteurs qui se sont
14 déplacées vers la Bosnie-Herzégovine. Notre objectif avait consisté à leur
15 venir en aide dans leur travail d'enquête.
16 Question: Pourriez-vous, en quelques mots, nous dire quelle est
17 l'appartenance ethnique et quel est le contexte professionnel de ces
18 membres de la commission?
19 Réponse: Eh bien, selon les coutumes et selon la législation en vigueur,
20 toutes les institutions créées en Bosnie-Herzégovine ont été des
21 institutions multiethniques.
22 Et cette commission a été mise sur pied en partant de deux segments: un
23 segment d'expert et un segment politique. Ce segment politique était
24 constitué de trois membres -un Bosnien, un Croate et un Serbe-, et
25 l'équipe d'experts à la tête de laquelle je me trouvais était également
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1 multiethnique. Mais nous n'avons pas exclusivement fait référence à ce
2 critère-là, parce que nous avons eu une vingtaine d'experts de profils
3 différents, et nous avons, en premier lieu, apprécié leurs
4 caractéristiques professionnelles.
5 Mais le critère essentiel avait été d'avoir des experts, des intellectuels
6 indépendants qui n'appartenaient à aucun parti afin d'effectuer les tâches
7 de façon professionnelle et technique. Mais je dirais que ce segment a été
8 multiethnique: il y avait des Juifs, des Serbes, des Musulmans, des
9 Bosniens, des Croates et d'autres nationalités.
10 Question: Monsieur Tokaca, je ne veux pas que nous abordions dans trop de
11 détails la méthode de travail utilisée par cette commission, mais
12 pourriez-vous donner une idée à la Chambre de la démarche qui avait été
13 retenue pour recueillir ces moyens de preuve pour répondre aux obligations
14 et pour remplir le mandat de cette commission?
15 Réponse: Eh bien, nous nous en sommes strictement tenus à ce que disaient
16 les Conventions sur les Droits de l'homme et les Conventions de Genève
17 pour ce qui est des us et coutumes de la guerre.
18 Pour ce qui est de notre méthodologie de travail, elle s'est entièrement
19 basée là-dessus. Nos instruments de travail ont essentiellement été des
20 interviews avec les témoins; à savoir des personnes qui ont été
21 directement victimes ou alors ont eu des connaissances directes concernant
22 ce qui est arrivé à d'autres personnes.
23 En sus de ces contacts directs, il y avait des recherches à effectuer sur
24 le terrain. Il s'agissait de collecter une documentation photographique et
25 autres, et des rapports aux fins d'aider aux enquêtes approfondies.
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1 Le Tribunal et les autres instances qui suivent ce qui se passe pourront
2 aisément constater que c'était là une période où l'on ne s'attendait pas à
3 ce qu'il advienne quoi que ce soit. Nous avons donc essayé d'avoir une
4 méthodologie tout à fait nouvelle, pour ce qui est de ce qui ferait partie
5 intégrante des modalités suivant lesquelles nous travaillerions
6 Question: Pourriez-vous donner une idée à la Chambre de la portée du
7 travail effectué par cette commission? Pourriez-vous nous donner un
8 chiffre approximatif du nombre de documents recueillis par cette
9 commission?
10 Réponse: Eh bien, cela était un travail véritablement très grand. Nous ne
11 nous attendions pas à obtenir autant de documents: nous avons plus d'un
12 million de pages de documents, des milliers et des milliers de rapports,
13 quelque 20.000 photographies, 2.000 heures d'enregistrement vidéo et toute
14 une série de rapports très importants émanant des institutions variées
15 dont j'en ai mentionné quelques-unes.
16 Question: Vous avez interviewé, dans le cadre de cette commission, combien
17 de témoins?
18 Réponse: Plus de 5.000.
19 Question: Monsieur Tokaca, vous, en personne, combien de témoins avez-vous
20 rencontré et à combien de témoins avez-vous parlé qui vous ont relaté leur
21 expérience?
22 Réponse: C'est plus de 1.000 témoins que j'ai rencontrés moi-même. Bien
23 sûr, ma tâche n'avait pas toujours consisté à recueillir leurs dires; ma
24 tâche avait été d'établir un premier contact.
25 Et lorsque les situations l'exigeaient, étant donné que notre équipe
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1 n'était pas très grande et que cela était constitué essentiellement de
2 volontaires, j'ai travaillé moi-même avec des témoins pour recueillir
3 leurs déclarations. Mais je peux vous dire et affirmer que j'ai lu plus de
4 5.000 déclarations de témoins.
5 Question: Est-ce que vous vous êtes déplacé pour aller dans des régions où
6 des crimes ont été commis?
7 Réponse: Bien entendu. Cela faisait partie intégrante de ma tâche et
8 c'était là ma tâche essentielle, à savoir celle de me déplacer sur le
9 terrain parce que, sans contacter les victimes, il n'est pas possible de
10 se procurer des renseignements nécessaires. Et les circonstances dans
11 lesquelles nous avons travaillé dans cette ville de Sarajevo assiégée
12 exigeaient ce type de fonctionnement.
13 J'ai exploité avec mes collaborateurs toute possibilité qu'il y avait de
14 sortir de Sarajevo, soit à pied soit par des moyens de transport variés,
15 pour visiter tous les sites qui revêtaient de l'intérêt pour nous.
16 D'une part, il s'agissait d'établir des contacts avec les témoins
17 potentiels et, d'autre part, de mettre en place un réseau à nous, que nous
18 avons réussi à développer à Tuzla, Zenica, Travnik, Mostar et ainsi de
19 suite.
20 Donc dans une série de localités parce que la situation l'exigeait tout
21 simplement.
22 Question: Monsieur le Président, je demanderai que la pièce n°1 soit
23 placée sur le rétroprojecteur.
24 Monsieur Tokaca, voici la pièce n°1. Elle nous montre les 37 municipalités
25 qui sont énumérées dans le présent Acte d'accusation.
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1 (Intervention de Mme Anninck-Javier.)
2 Je vais d'abord vous demander si vous connaissez, si vous êtes au courant
3 des événements qui se sont produits dans ces municipalités, du fait du
4 travail que vous avez exécuté dans le cadre de cette commission?
5 Réponse: Toute localité se trouvant sur cette carte, que ce soit indiqué
6 en bleu ou en blanc, pratiquement dans chacune de ces municipalités nous
7 avons recueilli des renseignements, et je suis au courant personnellement
8 de tout ce qui se passait au niveau de toutes ces municipalités.
9 Question: A la lumière de ces efforts déployés pendant plus de dix ans
10 dans le cadre de cette commission, je vais vous demander si vous pouvez
11 aider la Chambre en lui fournissant des détails sur les événements repris
12 dans l'Acte d'accusation et pour lesquels Mme Plavsic a plaidé coupable.
13 J'aimerais que nous nous concentrions ici bien sûr, dans le cadre de votre
14 déposition, sur les 37 municipalités reprises dans la pièce n°1 et sur les
15 événements qui se sont produits en 1992.
16 En premier lieu, je vais vous poser des questions à propos de la taille ou
17 de l'importance relative des communautés musulmanes et croates s'agissant
18 de ces municipalités que l'on voit sur la pièce n°1.
19 Les Croates et les Musulmans constituaient-ils la population majoritaire
20 dans plusieurs de ces municipalités?
21 Réponse: Comme vous venez de le dire vous-mêmes, vous n'êtes pas sans
22 ignorer la structure de la Bosnie. A certains endroits les Musulmans sont
23 majoritaires, et d'autres parts ils sont minoritaires. Dans certaines
24 municipalités, les Serbes faisaient une majorité absolue. Mais vous ne
25 sauriez trouver aucun territoire qui pourrait être considéré ethniquement
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1 majoritaire ou minoritaire en faveur de telle ou telle ethnie. Parfois,
2 vous aviez 51/49 pour cent pour les uns ou pour les autres. Par exemple, à
3 Cajnice ou plutôt…
4 (L'interprète s'excuse, l'interprète parlait vraiment trop vite.)
5 Nous pouvions dire la chose pour Cajnice. Visegrad avait compté plus de
6 50% de Musulmans. Rogatica, il y avait plus de 60% de Musulmans. D'autres
7 municipalités avaient une majorité serbe. Bratunac avait 80% de Musulmans.
8 S'agissant de ces municipalités dans la partie est de la Bosnie-
9 Herzégovine, exception faite de Bjeljina, nous pourrions dire que ces
10 municipalités étaient essentiellement à majorité bosnienne.
11 A Brcko, il s'agissait d'une municipalité très mélangée, à savoir qu'il y
12 avait des Croates et des Serbes et moins de Musulmans. Mais en allant vers
13 la Krajina vers Prnjavor, Doboj, et toutes ces localités-là; à Banja Luka,
14 nous avions une majorité serbe. Mais si vous faisiez le total, personne ne
15 bénéficiait d'une majorité absolue. A Sanski Most, c'était à 50%-50%; pour
16 ce qui est de Kljuc également.
17 Donc en gros, il y avait soit des territoires majoritairement musulmans,
18 soit des territoires habités par une composition ethnique équilibrée des
19 uns et des autres, voire des tiers.
20 Question: Avez-vous été en mesure d'établir par le biais des témoins avec
21 qui vous avez parlé comment ils vivaient avant la guerre? Comment ils
22 cohabitaient avec les voisins d'appartenance ethnique différente? Comment
23 se présentait la vie en commun pour ce qui est de ces témoins que vous
24 avez rencontrés dans le cadre de la commission?
25 Réponse: En réalité, chaque interview, chaque entretien commençait ainsi:
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1 quelle avait été la nature des rapports entre les groupes ethniques avant
2 la guerre? Et ce que je puis vous dire, je puis vous parler de la lecture
3 des interviews avec les témoins, eh bien, je pourrais dire que ces témoins
4 avaient déclaré que ces rapports étaient des rapports harmonieux, et la
5 structure sociale était solide. Il y avait des règles de respect mutuel.
6 Les gens vivaient ensemble; et là, je parle notamment des villes où il y
7 avait par exemple 50 ou 100.000 personnes qui vivaient à certains endroits
8 ensemble. Et on ne savait identifier les gens par leur appartenance
9 ethnique, ils ne se distinguaient pas. Ce qui est très caractéristique,
10 par exemple, pour la Krajina en Bosnie: les gens étaient témoins au
11 mariage des uns ou des autres ou au baptême, ils étaient parrains ou
12 marraines. Donc la structure était compacte sur le plan social et il n'y
13 avait pas d'isolation ou d'isolement des uns par rapport aux autres, même
14 dans les villages qui étaient peut-être plus ethniquement purs, quoique je
15 n'aime pas utiliser ces termes-là. Les gens communiquaient entre eux, tant
16 au niveau des villages qu'entre les villages.
17 Nous avions interrogé les témoins, nous voulions savoir s'il y avait eu
18 des conflits sur des fondements quelconques, sur des fondements religieux,
19 sur des fondements ethniques; et dans aucune des déclarations dont il m'a
20 été donné l'occasion d'en prendre connaissance, il n'y avait aucun
21 conflit, il n'y avait eu des litiges au niveau de la délimitation des
22 terres ou des parcelles occupées par les uns et les autres, mais cela il
23 arrivait qu'il y ait des litiges entre des frères pour ce qui est des
24 mitoyennetés. Mais, en ma qualité de personne qui a passé sa vie en
25 Bosnie-Herzégovine, à Sarajevo notamment, il arrivait que les gens ne
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1 fassent pas du tout la distinction entre leur nom de famille, à moins que
2 les gens ne se déclarent expressément comme étant de tel ou tel groupe
3 ethnique, parce qu'il y a beaucoup de noms de famille où il n'est guère
4 possible de déterminer l'appartenance à un groupe ethnique.
5 Question: Parlons maintenant de ce qui est devenu de ces communautés, et
6 parlons des crimes visés à l'Acte d'accusation. Pourriez-vous faire
7 comprendre aux Juges quelle fut l'ampleur et la portée de ces expulsions
8 forcées qui se sont produites dans les 37 municipalités reprises dans la
9 pièce n°1?
10 Réponse: En bref, ce que je pourrais dire, c'est que rares sont les
11 municipalités où l'envergure de la brutalité et des modalités de
12 persécution a constitué une exception à la règle.
13 Je vais parler des exceptions qui ne sont pas toutes survenues en 1992,
14 mais que l'on peut placer dans ce contexte: donc une localité seulement, à
15 proximité de Bijeljina, appelée Janja, où les gens sont restés sur place
16 jusqu'en 1995, date à laquelle ils ont été expulsés; et Banja Luka qui,
17 depuis 1992 et par la suite, a connu des éléments de persécution, mais
18 tout le monde n'a pas été chassé. Mais si vous comptez Bratunac,
19 Vlasenica, Visegrad et les autres municipalités de la Bosnie de l'Est, et
20 plus particulièrement la vallée de la Sana, à savoir Prijedor, Sanski Most
21 et Kljuc, ces régions-là ont été caractérisées par des actions de
22 persécutions très brutales; persécutions qui se sont accompagnées de
23 violences parce que ce n'est seulement que par la force brutale qu'il a
24 été possible de dissocier les gens les uns des autres. Parce que les
25 Bosniens et les Croates ne vivaient pas, ne résidaient pas sur des
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1 territoires facilement contrôlables; donc il n'a été possible de chasser,
2 d'expulser de certains territoires des personnes que par la force. Et sur
3 ces territoires-là, je parle de personnes qui ont fait l'objet de
4 persécutions, d'expulsions, notamment de populations bosnienne et croate.
5 Quand je parle de Croates, ils habitaient notamment ma région de Brcko et
6 très peu, très peu le long de la Drina; mais ils étaient plus présents à
7 Prijedor, Sanski Most et Kljuc.
8 Par conséquent, la méthode utilisée avait essentiellement été la même:
9 attaques, bombardements, pilonnages, puis unités mécanisées qui faisaient
10 leur entrée dans les agglomérations, violence et tout le reste qui
11 s'ensuivait.
12 M. Tieger (interprétation): Monsieur Tokaca, la Chambre a reçu un rapport
13 démographique, lequel montre comment se répartit, comment se disperse la
14 population, la population musulmane et la population croate, entre 1991 et
15 1997, dans ces municipalités.
16 Prenons la municipalité de Foca. On a 51% de Musulmans et de Croates en
17 1991, alors que ce chiffre tombe à 3,8% en 1997. Pourriez-vous nous donner
18 une indication de l'ampleur de ces mesures d'expulsion en 1992, par
19 rapport aux années qui s'ensuivirent?
20 M. Tokaca (interprétation): En termes pratiques, 70%; et là, je suis
21 pratiquement certain de pouvoir l'affirmer. C'est en 1992 que cela s'est
22 passé. En gros, l'année 1992 est une année clé ou une année où les choses
23 ont basculé. Donc c'est une période concentrée, à savoir mai, juin,
24 juillet et août de cette année-là qui ont été des mois de persécutions,
25 d'expulsions intenses ou intensives de leurs domiciles. Et seulement 6% de
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1 cette population expulsée sont revenues dans leurs maisons qui étaient
2 abandonnées dans ce secteur le long de la Drina que l'on appelle Podrinje.
3 M. le Président (interprétation): Je pense qu'il serait utile de savoir,
4 lorsque l'on montre des chiffres tels que le chiffre de 70%…
5 manifestement, ce n'est qu'un chiffre estimatif, mais il serait utile de
6 connaître le chiffre plus exact. Peut-être pourrez-vous aborder cette
7 question tôt ou tard?
8 M. Tieger (interprétation): Volontiers, Monsieur le Président.
9 Pourriez-vous, Monsieur le Témoin, dire aux Juges ce qu'il en est
10 s'agissant du nombre précis de Croates et de Musulmans expulsés de ces
11 diverses municipalités? Nous savons bien que vous n'avez pas ces chiffres
12 exacts sous les yeux, nous en sommes conscients; et, je le répète, il y a
13 un rapport démographique qui montre les différences au niveau des chiffres
14 entre les populations en 1991 et en 1997 par municipalités.
15 Pour une municipalité donnée, pourriez-vous nous donner une échelle de
16 l'ampleur des expulsions à partir du chiffre brut des personnes expulsées?
17 M. le Président (interprétation): Souvenez-vous, Monsieur, que nous
18 parlons ici de 1992.
19 M. Tokaca (interprétation): Bien entendu, Monsieur le Président, je me
20 centre sur cette année 1992. En effet; parfois, je parle d'autres années.
21 Par exemple, si nous parlons de Foca et si nous savons qu'il y avait 51%
22 de Bosniens auparavant et que, fin 1992, il n'y a pratiquement plus eu de
23 Bosniens du tout, la mathématique ou le calcul est simple: sur 50.000
24 habitants, 50%, cela faisait 25.000; cela signifie que 24 ou 25.000
25 personnes ont été chassées de leurs maisons, ces personnes n'ont plus
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1 habité là-bas. Il en a été de même pour ce qui est de Bratunac; ce sont
2 des personnes qui sont dirigées essentiellement vers l'enclave de
3 Srebrenica. J'ai dit que, dans une certaine mesure, Bijeljina était une
4 exception où tout s'est terminé fin mars, début avril, où beaucoup de gens
5 résidaient chez eux, notamment à Janja. Janja était l'exception. Les
6 autres, Sanski Most, Kljuc, Prijedor, ont plus ou moins connu des
7 destinées semblables.
8 Donc une majorité de personnes ont quitté leur domicile, pas de leur
9 propre gré, mais ont été chassées de là par force.
10 M. Tieger (interprétation): Nous serons peut-être en mesure de faire mieux
11 comprendre à la Chambre quelle a été la nature et la portée de ces
12 expulsions si nous nous concentrons davantage sur tel ou tel village.
13 Est-ce qu'il y a eu des villages dont les habitants étaient musulmans ou
14 croates, des villages qui ont cessé d'exister après cette campagne de
15 persécutions de 1992?
16 Réponse: Bien entendu. Un nombre énorme de villages ont été détruits,
17 physiquement détruits, n'existent plus. Dans nos fichiers, dans nos
18 archives, il est des analyses qui indiquent que plus de 850 villages ont
19 été rasés, et ceci essentiellement dans les régions dont j'ai parlé
20 jusqu'à présent. Dans ces villages, il n'y a pratiquement plus
21 d'habitants; qu'il s'agisse de Croates ou de Musulmans, peu importe.
22 Donc nous pouvons les énumérer, nous pouvons énumérer des villages où des
23 familles entières ont disparu: Srnja, Kljuc, les Draganovic, les Potonic.
24 Puis le cas de Biljani est connu, où 250 personnes ont été tuées en un
25 jour. Donc il s'agit d'une échelle énorme. J'ai estimé que le temps qui
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1 m'était imparti était limité et je ne voulais pas sortir des cadres, mais
2 j'ai ici certaines notes que je pourrais vous citer. Je peux vous citer
3 des noms de famille ou de villages où des personnes ont un jour... Par
4 exemple, Nevesinja, la famille Colak-Hodzic. Nous avons retrouvé des
5 personnes dans une vallée. Ces personnes ont toutes été tuées; elles
6 étaient âgées de 70 ou 80 ans.
7 Puis le village de Stedin. Puis les événements de la rue Pionirska, dans
8 la maison de Mehmed Alispahic où seule une femme a survécu. Puis Foca.
9 J'ai noté ici une dizaine de familles: Srnja, Hajric, Hodzic -9 membres-,
10 Ceric -8 membres-, Selimovic -7 membres-, et ainsi de suite.
11 J'ai jugé ou j'ai pensé que le Tribunal disposait déjà de toute une série
12 d'éléments de preuve et, en lisant les Chefs d'accusation à l'Acte
13 d'accusation, j'ai constaté que cela était effectivement le cas. Mais la
14 liste des villages est très longue: Hrnici, Velagici, Krasulje, Biljani,
15 Prhovo, Ogruc où des familles entières ou un grand nombre de personnes ont
16 été tuées, chassées; certains villages ont été détruits. J'ai visité
17 certains de ces villages, pas pendant la guerre mais après la guerre. Il a
18 été très difficile de retrouver, dans des villages, des maisons intactes.
19 J'ai visité Kozarac et j'ai vu, aux phases de reconstruction, tout ce qui
20 avait été détruit. Malheureusement, la liste est très longue et nous
21 pourrions passer des jours et des jours à donner lecture de ces listes-là,
22 ici, dans ce prétoire.
23 Question: Vous avez mentionné plusieurs villages. Depuis combien de temps
24 y avait-il, dans ces villages, une communauté musulmane ou croate?
25 Réponse: Tous ces gens-là, quand nous parlons de Bosniens et de Croates
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1 qui ont été chassés et de Serbes qui vivaient avec eux, c'étaient des gens
2 qui avaient résidé sur place des siècles durant; c'étaient des gens qui
3 avaient leurs racines, leurs traditions, leurs coutumes, qui avaient leurs
4 cultures, qui avaient des monuments qui étaient les leurs, des cimetières,
5 qui étaient les leurs. C'étaient donc des familles qui avaient résidé sur
6 ces terres-là depuis fort longtemps. Ce n'étaient pas des gens qui étaient
7 fraîchement arrivés; c'étaient des personnes, des familles qui étaient
8 très anciennes sur place.
9 Question: Voyons maintenant quels ont été les moyens utilisés pour
10 expulser par la force les habitants et les membres de ces communautés?
11 Nous allons commencer, si vous le voulez bien, par la Bosnie Orientale où
12 il y a eu une première vague d'expulsions.
13 Pourriez-vous dire aux Juges quels furent les moyens utilisés pour chasser
14 les Musulmans et les Croates de leur communauté?
15 Réponse: La méthodologie était toujours la même, elle n'a pas varié
16 pendant toute cette période. Donc, entre fin mars-avril et la fin 1992,
17 d'une manière générale, les choses ne différaient guère. Il y avait des
18 attaques à l'artillerie, des pilonnages de villages, l'intrusion d'unités,
19 l'entrée en force d'unités mécanisées et blindées. Vous aviez donc toute
20 une échelle de degrés de violences qui commençaient à se dérouler.
21 J'ai dit tout à l'heure et je tiens à vous le rappeler à présent: on
22 voulait utiliser la force, la brutalité pour faire peur aux gens, pour les
23 faire bouger de là; les choses n'étaient pas faisables autrement: donc
24 meurtres, les meurtres qui arrivaient en majeure partie dès le début. Il y
25 avait certaines formations qui avaient des listes à leur disposition,
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1 c'étaient des formations bien formées. On rassemblait, on chassait les
2 personnes, on séparait les femmes et les hommes, et on les amenait vers
3 des directions inconnues, vers des prisons, des camps de détention, vers
4 d'autres régions, là où cela était possible. Et vous aviez des personnes
5 qui, prises de peur, s'enfuyaient vers des régions variées. Par exemple,
6 les gens qui fuyaient Bratunac allaient vers Srebrenica. De Vlasenica, ils
7 ne pouvaient pas aller vers Tuzla ou Zvornik; alors ils s'en allaient vers
8 Srebrenica et d'autres allaient vers l'enclave de Zepa. Et c'est là qu'ils
9 se concentraient. Ceux qui n'avaient pas pu fuir dès le début se mettaient
10 à l'abri à ces endroits-là.
11 Mais je tiens à attirer votre attention sur un fait: très longtemps, les
12 gens frappés par le malheur étaient en état de choc. Ils n'arrivaient pas
13 à croire que cela était possible. Ils s'attendaient, ils espéraient que
14 les choses allaient quand même connaître un terme. Les gens étaient plutôt
15 incrédules et cette incrédulité, bon nombre d'entre eux l'ont payée par
16 leur vie parce qu'ils sont restés chez eux.
17 Vous m'avez demandé combien de temps ces gens ont vécu ainsi. Quand j'ai
18 parlé de la tradition en Bosnie, je dirais que cette tradition est liée au
19 palier de son logis, de son chez-soi. Les gens étaient indécis pour ce qui
20 était de s'en aller de chez eux et un grand nombre de ces personnes ont
21 payé la chose de leur vie. Et dans cet éventail de violences variées, il y
22 a eu des violences sexuelles, des viols de femmes et, pratiquement, vous
23 ne sauriez trouver sur cette carte une seule ville sans qu'il y ait des
24 cas analogues.
25 Parfois, les cas sont extrêmes: Foca, Bratunac, Zvornik, Prijedor, Brcko
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1 où vous avez un grand nombre de viols, mais des viols qui, comme un expert
2 l'a récemment dit, se sont traduits par une sexualité ou le besoin
3 d'extérioriser sa sexualité. Mais au contraire, on a voulu faire de l'acte
4 sexuel une expression de violence et, dans un pays conservateur et
5 traditionnel tel que la Bosnie, ces gens -quel que soit le groupe ethnique
6 en question- avaient les mêmes caractéristiques parce que le viol était
7 considéré comme un acte qui déshonorait la personne et la famille. Cela a
8 été une explosion et les vagues de cette explosion se sont propagées de
9 façon si grande dans le pays qu'elles ont engendré la peur, la crainte
10 chez les gens.
11 Mais en sus des viols, je puis énumérer des dizaines de formes de torture,
12 d'humiliation. Par exemple, le meurtre d'un imam dans une école à
13 Bratunac. On lui avait donné l'ordre de faire le signe de croix ou de
14 boire de l'alcool: il ne voulait pas, il s'est fait tuer. Donc des
15 humiliations ou des actes de violence qui visaient à faire en sorte que la
16 victime soit en même temps humiliée, abaissée. Il fallait tuer le
17 sentiment du respect de soi chez la victime.
18 Mais je ne puis en parler davantage: je crois que mon temps est limité.
19 Mais si vous souhaitez que j'ajoute autre chose, je le ferai volontiers.
20 Question: Ces Musulmans et ces Croates qui sont restés dans les
21 municipalités après les premières attaques et ceux qui n'ont pas été
22 emmenés dans des camps, s'agissant de toutes ces personnes -vous venez
23 d'en faire une description-, pourriez-vous nous dire quelle était leur vie
24 au quotidien? Dans leur vie civique, quelle était la nature de celle-ci
25 dans ces communautés avant leur expulsion, avant que ces personnes prises
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1 de peur ne prennent la fuite, ne s'enfuient?
2 Réponse: J'ai parlé et je ne parlerai que de ce que des gens ont relaté
3 dans leur déclaration. Je puis vous donner un exemple: par exemple, les
4 gens de Janja, qui sont restés en 1992 et qui ne sont partis qu'en 1995,
5 je leur ai demandé dans quelles conditions ils avaient vécu là-bas. Ils
6 ont tous dit qu'ils avaient vécu dans des conditions de peur permanente:
7 ils s'attendaient chaque jour que quelqu'un vienne frapper à leur porte
8 pour les emmener de chez eux, pour les emmener faire des travaux forcés.
9 Les gens avaient été exposés à des actes humiliants; les intellectuels
10 éminents ont été contraints à nettoyer des rues et ils ont été traités
11 comme des citoyens de deuxième rang. Par exemple, à Banja Luka où les
12 opérations militaires ont vite cessé, les gens ont continué à y résider
13 dans une insécurité humaine. Et sur le plan juridique, sur le plan légal,
14 il n'y avait point de loi à même de les protéger. Il y avait des pillages,
15 des intrusions dans les appartements sous prétexte de chercher des armes,
16 et on les privait, dépossédait de leurs objets personnels. Donc
17 l'insécurité était constante et le peu de gens qui sont restés à certains
18 endroits ont vécu dans l'insécurité totale.
19 Question: Est-ce que, dans ces municipalités, on séparait de façon très
20 claire les Musulmans et les Croates des Serbes? Je veux dire par là, est-
21 ce qu'on indiquait par certains signes qui était musulman ou croate, en
22 faisant la différence avec les Serbes?
23 Réponse: Ecoutez, les gens se connaissaient très bien entre eux, ils
24 savaient qui habitait à quel endroit.
25 Toutefois, il y a eu aussi des situations dans la Krajina, à Prijedor et
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1 Sanski Most, où l'on plaçait des rubans sur les manches des gens, des
2 brassards ou des rubans, mais c'était quand même des cas à part, ce
3 n'était pas généralisé. On n'avait nullement besoin de le faire parce que
4 les gens se connaissaient très bien entre eux. Et le peu de gens qui
5 étaient restés sur place, savaient pertinemment bien qui étaient les uns
6 et qui étaient les autres.
7 Question: Vous avez parlé du fait que des personnes avaient été
8 dépossédées de leurs biens personnels; qu'est-il advenu des lieux
9 culturels, des monuments, des lieux sacrés pour les Musulmans et les
10 Croates dans ces municipalités?
11 Réponse: Eh bien, je vous ai déjà dit que ce que les gens ont acquis
12 durant des années a fini dans un sac en matière plastique que l'on pouvait
13 emporter avec soi.
14 Les pillages, la dépossession des biens individuels se faisaient suivant
15 deux modalités. Je vous demanderai de me permettre d'en parler.
16 Donc la dépossession de biens, la destruction des biens immobiliers, la
17 privation des objets en or, parce que les Bosniens sont réputés comme des
18 gens aimant les objets en or. Ce n'est pas seulement la valeur matérielle
19 de ces objets qui importait, mais il y avait une valeur culturelle et
20 historique de ces objets. Un grand nombre de familles possédaient des
21 objets d'une grande valeur et il s'agissait là d'objets qui étaient des
22 souvenirs et on arrachait ces valeurs et ces souvenirs des gens.
23 S'agissant maintenant des villes le long de la Drina ou dans la Krajina,
24 Visegrad, Zvornik -des villes très anciennes et dans des villages anciens-
25 il existait des bâtisses variées qui dataient du Moyen Âge et qui ont
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1 existé jusqu'à ce jour-là, qui avaient la caractéristique de ces régions
2 et on a détruit des bâtiments de cette nature. Des mosquées, qui de par
3 leur architecture, avaient indiqué ou caractérisé les régions entières ont
4 été détruites, les noms des villes, les toponymes ont été changés.
5 Donc tout ce qui, de quelque façon que ce soit, pouvait évoquer des
6 souvenirs a été détruit. Je pourrais vous parler des mosquées de Foca, de
7 Zvornik ou de quelques autres régions que ce soit de la Bosnie-
8 Herzégovine. Il ne s'agit pas de 5 ou 10, mais il s'agit de centaines de
9 constructions qui ont été rasées soit à l'explosif, soit parfois on
10 s'amusait entre équipages de chars pour entraînement de tir. Donc ce sont
11 des constructions, des bâtiments qui ont été entièrement ou partiellement
12 détruits. Je crois que les archives, les fichiers sont très nombreux. Nous
13 avons des photographies en abondance pour ce qui est des destructions
14 effectuées. Nous préparons ces jours-ci une conférence à ce sujet qui se
15 tiendra dans le courant de l'année prochaine. Mais cela importe peu en ce
16 moment-ci.
17 Question: Monsieur le Président, je vais demander maintenant que la pièce
18 n°2 soit placée sur le rétroprojecteur.
19 (Intervention de l'huissière.)
20 Monsieur Tokaca, reconnaissez-vous ce qui apparaît à la pièce n°2?
21 Réponse: Oui, c'est la mosquée Aladza de Foca. C'était l'une des perles de
22 la culture dans cette partie de l'Europe. Je puis l'affirmer en toute
23 certitude, c'est une mosquée qui a plus de 450 ans. C'est une bâtisse qui
24 pourrait être à l'honneur de la région et c'est la chose qu'il convient de
25 dire, c'est ce qui traduit dans quelle mesure certains auteurs, certains
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1 écrivains serbes ont parlé de ces monuments en rédigeant des pages
2 magnifiques à leur sujet.
3 Question: Nous allons maintenant aborder un autre sujet. Est-ce que la
4 commission a mené des enquêtes sur des allégations ou des incidents
5 d'assassinats de masse s'agissant des municipalités représentées à la
6 pièce n°1?
7 Réponse: Oui.
8 Question: Excusez-moi. Je vous demandais simplement si vous pourriez
9 donner une idée à la Chambre de l'ampleur de ces assassinats massifs qui
10 se sont produits en 1992 dans ces dites municipalités?
11 Réponse: L'année 1992 est une année où les choses ont basculé, pour ce qui
12 est des événements.
13 Je tiens à placer cela en corrélation directe avec les personnes
14 disparues. J'ai établi et élaboré une étude très ample pour les besoins de
15 la Commission chargée de la protection des Droits de l'homme et ce
16 problème a été traité; M. Novak avait conduit cette commission.
17 Mais il y a donc eu des hommes qui ont été séparés de leurs familles, de
18 leurs femmes, de leurs enfants et qui ont fait l'objet de meurtres
19 massifs. Et la courbe statistique, que nous avons établie pour ce qui est
20 des périodes mai, juin, juillet de cette année-là, indique… Nous avons mis
21 de côté Srebrenica, parce qu'à ce moment-là Srebrenica n'était pas un cas
22 pertinent.
23 Nous nous sommes concentrés vers ces mois de mai, juin, juillet et août de
24 l'année 1992. Et à titre d'exemple, sur les 208 personnes qui ont disparu
25 à Rogatica, ces personnes ont disparu précisément au cours de ces quelques
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1 mois de l'année 1992.
2 Donc ces problèmes de disparition de gens, d'assassinats en masse, de
3 fosses communes que nous allons retrouver par la suite; et je me référerai
4 par exemple au village de Biljani et aux 250 villageois qui ont été tués,
5 nous avons exhumé par la suite en 1996 ces gens-là. Nous avons retrouvé
6 188 corps qui ont été jetés dans une fosse commune à proximité de Kljuc, à
7 proximité d'une caserne militaire.
8 Et il y a beaucoup de situations analogues à citer.
9 Question: Pourriez-vous nous dire combien d'incidents, de meurtres en
10 masse ont été portés à votre connaissance? Et pourriez-vous nous dire dans
11 quelle mesure c'étaient là des événements généralisés?
12 Réponse: Nos recherches englobent tout la période en question. Mais il est
13 tout à fait hors de doute et nous pouvons dire qu'il y a 1.100 événements
14 où il y a eu assassinats de masse, 80% donc sont survenus en 1992, et il y
15 a 320 sites de cette nature.
16 Les informations que nous avions à notre disposition se sont avérées par
17 la suite fiables. Le scénario, je vous en ai parlé tout à l'heure: comment
18 on rassemblait les gens, comment on les amenait dans des directions
19 inconnues. Et si nous nous mettons d'accord sur la notion d'assassinats de
20 masse, là aussi il y a des divergences parce que certains estiment que ces
21 3, 4, 5 personnes ou 50 ou 100 personnes, ou alors c'est une opération
22 militaire où en une journée, sur différents sites, vous tuez 200 ou 300
23 personnes. Donc le critère que nous avons utilisé, c'était celui de
24 plusieurs personnes en même temps. Nous nous sommes référés à l'intention
25 d'éliminer plus de trois personnes. Il y avait intrusion dans des villages
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1 et s'il y avait là plus de personnes, évidemment, je crois qu'il en
2 périrait davantage; s'il y en avait moins, évidemment, il en périrait
3 moins.
4 Question: J'ai oublié de vous poser une question avant de passer à un
5 autre sujet. Nous avons vu une mosquée -il s'agit là de la pièce n°2-,
6 pourriez-vous nous dire ce qui est arrivé s'agissant de cette mosquée?
7 Réponse: Cette mosquée, on l'a fait sauter à l'explosif et ç'a été rasée,
8 elle a été dynamitée. Des parties de cette mosquée ont par la suite été
9 retrouvées le long de la rivière Drina, et c'est analogue à bon nombre de
10 situations où l'on a détruit les mosquées.
11 Question: Ceci s'est produit en 1992?
12 Réponse: Oui.
13 M. Tieger (interprétation): Monsieur Tokaca, vous avez parlé d'assassinats
14 de masse. Est-ce que vous avez mis sur pied un projet pour essayer de
15 déterminer le nombre de victimes qui sont tombées au cours de ce conflit
16 en Bosnie-Herzégovine?
17 M. Tokaca (interprétation): Oui. En réalité, tout ce qui s'est passée au
18 fil des cinq années en question m'a motivé pour faire ce que j'ai fait. Il
19 y a deux raisons essentielles qui importent pour ce que nous sommes en
20 train de faire, indépendamment de l'importance de ce Tribunal, mais aussi
21 pour ce qui est du champ d'intervention de ce Tribunal.
22 En effet, on manipule encore avec le nombre de victimes. Il n'y a pas eu
23 de recensement de la population pour déterminer le nombre des victimes. Il
24 n'a pas été procédé à des recherches de cette nature. Il y a toujours
25 tendance à dissimuler les renseignements afférents aux victimes. Et on
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1 manipule, sur le plan politique, avec le nombre des victimes.
2 Nous nous efforcerons donc de conduire à terme ce projet que nous avons
3 entamé pendant la guerre, pour nous procurer des chiffres exacts
4 concernant le nombre de victimes en Bosnie-Herzégovine, à savoir le nombre
5 de citoyens de Bosnie-Herzégovine qui ont disparu, qui ont perdu leur vie
6 en 1992 et par la suite.
7 Nous allons donc recenser les personnes qui ont été tuées de façons
8 variées, nous allons recenser les personnes qui faisaient partie de
9 formations militaires variées, et un troisième chapitre du projet en
10 question aurait trait au problème des disparus; c'est là le problème que
11 l'on ne saurait résoudre à court terme. La question va longtemps rester
12 ouverte et, à notre avis, il s'agit là de quelque 20% du nombre total des
13 victimes.
14 Notre objectif consiste donc à conduire à terme, dans les deux années à
15 venir, la liste définitive des victimes. Dans notre banque de données,
16 nous avons quelque 90.000 noms de victimes, mais cela n'est que le
17 résultat d'enquêtes partielles. Pour aboutir à une vérité complète, je
18 pense qu'il convient absolument de mener à terme la tâche entamée.
19 M. Kwon (interprétation): Avant que vous ne poursuiviez, Monsieur Tieger,
20 je m'interroge. Monsieur Tokaca fait partie de cette commission d'enquêtes
21 sur les crimes de guerre. Cette commission a-t-elle déjà publié un rapport
22 complet sur les résultats obtenus par cette commission, et ce document
23 serait-il disponible dans une de nos langues de travail?
24 M. Tieger (interprétation): Pourriez-vous informer la Chambre?
25 M. Tokaca (interprétation): Certes. Malheureusement, ce n'est pas le cas.
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1 Pour ce qui est d'un rapport complet, général, non, ce n'est pas le cas.
2 Nous avons appliqué une autre méthodologie. Etant donné que l'envergure et
3 le caractère massif des crimes sont tels, cela ne peut faire partie d'un
4 seul et même rapport. Nous avons, pour cette raison-là, visé à
5 objectiviser les choses, parce que les enquêtes n'ont pas… l'instruction
6 n'est pas terminée et ce n'est pas possible encore.
7 Nous avons donc accédé à une phase préparatoire et nous élaborons des
8 rapports particuliers par volet, par domaine d'intervention. Nous le
9 faisons avec des experts internationaux qui nous sont accessibles. Nous
10 avons organisé une conférence internationale qui se tient tous les deux
11 ans à Sarajevo et nous débattons de questions déterminées. En 1999, nous
12 avons parlé du problème des violences à l'égard des femmes; puis, en 2001,
13 nous avons parlé des enfants. Lorsque nous allons terminer ces volets-là,
14 il nous sera possible de parler de patrimoine culturel historique et
15 d'élaborer un rapport général qui tirera des conclusions.
16 Je tiens à préciser que je travaille au niveau de cette commission chargée
17 de livrer la vérité et d'œuvrer en faveur de la réconciliation. Nous
18 voulons que ces meurtres-là soient dévoilés, qu'ils fassent l'objet d'un
19 accomplissement ou d'un achèvement des enquêtes. Et la question qui se
20 pose, c'est de savoir combien d'années il nous faudra pour mener à terme
21 toutes ces activités-là.
22 M. Kwon (interprétation): Je vous remercie.
23 M. le Président (interprétation): S'agissant de l'ampleur des assassinats,
24 pourriez-vous nous donner un chiffre, s'agissant des personnes qui ont été
25 assassinées en 1992, puisque cette année-là nous concerne, nous intéresse?
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1 M. Tokaca (interprétation): Il n'est pas de doute que je suis en mesure de
2 l'affirmer. Il est certain que cette année 1992 est celle qui a connu le
3 plus de victimes; je ne pense pas qu'il y ait eu moins de 50.000 victimes
4 en cette année-là.
5 Nous sommes en phase d'achèvement de nos activités pour compléter les
6 renseignements mais, s'agissant de la carte que nous avons vue tout à
7 l'heure, je puis y aller, procéder par ordre. Pour parler, par exemple, de
8 Foca, au moins 1.000 personnes; Sanski Most, au moins 1.500 personnes;
9 Prijedor, au moins 2.000 personnes; Bratunac, au moins 1.000 personnes;
10 Zvornik, pareil.
11 Par conséquent, donc, si l'on prend les chiffres minimum et, au niveau de
12 la Bosnie-Herzégovine, cela fait au moins 50.000 personnes. Mais, compte
13 tenu des facteurs limitatifs, en notre qualité de commission somme toute
14 petite, qui n'a compté qu'une quinzaine de personnes qui étaient
15 essentiellement des volontaires qui n'ont bénéficié que de peu d'aide ou
16 pratiquement pas d'aide, quoique nous soyons une commission d'Etat, nous
17 avons tous travaillé essentiellement comme des bénévoles. Et nous avons
18 foi en l'assistance dont nous avons besoin pour en arriver à un nombre
19 final définitif, pour ce qui est du nombre de victimes et pour éviter les
20 manipulations politiques. Dans certains cas, il a été question de 300.000
21 personnes ou 300.000 victimes dont il a été fait cas.
22 M. Tieger (interprétation): Monsieur Tokaca, est-il exact de dire que la
23 commission avait pour vocation de déterminer quelles avaient été les
24 victimes de crimes de guerre, quelle que soit leur appartenance ethnique?
25 Réponse: Absolument. Nous nous sommes centrés sur les victimes et leurs
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1 témoins. Leur appartenance ethnique ne nous a jamais intéressés, autrement
2 que pour des questions ou des problèmes de classification.
3 Question: Pour apporter un éclaircissement à une question, je reviens à
4 ceci: s'agissant des personnes qui ont été tuées et dont vous avez parlé
5 dans votre réponse précédente, dans cette municipalité reprise dans l'Acte
6 d'accusation -il y a notamment Foca, Bratunac, Zvornik-, quel était le
7 pourcentage, parmi ces personnes qui ont été tuées, de personnes qui
8 étaient des Musulmans ou des Croates?
9 Réponse: Dans toutes ces municipalités, les personnes tuées étaient
10 pratiquement toutes des Musulmans ou des Croates. Et je dois m'excuser et
11 préciser qu'il y a eu des Serbes qui ont été tués, des Serbes qui ont aidé
12 leurs voisins, des Serbes qui sont devenus victimes de ceux qui voulaient,
13 par la violence, détruire ces liens mutuels qu'il y avait entre voisins,
14 amis, "kum" ou même couples mixtes.
15 Vous verrez, si vous vous concentrez sur ces municipalités dont j'ai parlé
16 pour l'année 1992, qu'il est rare de trouver une municipalité où des
17 Serbes n'avaient pas été victimes de la violence la plus brutale au moment
18 où ils s'étaient efforcés de venir en aide à leurs voisins -et je ne
19 voulais pas aller sur un front trop large, j'ai essayé de me concentrer
20 sur des problèmes particuliers-, mais vous devez avoir forcément
21 conscience du fait qu'il y a eu des cas analogues aussi.
22 M. Tieger (interprétation): Vous avez dit que vous aviez participé à cette
23 oeuvre de réconciliation. Ces efforts furent nombreux. Ils visaient à
24 déterminer l'ampleur et la portée des crimes commis dans ce travail en
25 faveur de la réconciliation.
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1 Quel est votre avis personnel s'agissant du fait que Mme Plavsic a reconnu
2 ses crimes, a accepté la responsabilité qui est la sienne? Dans quelle
3 mesure a-t-elle potentiellement contribué à la réconciliation?
4 M. Tokaca (interprétation): Absolument, oui. A partir du jour où j'ai pu
5 lire qu'il y a eu confession et reconnaissance de culpabilité, je l'ai dit
6 en public. Certains journalistes étaient venus me voir et je leur ai dit
7 en public. Et, dans d'autres milieux, il y a eu des réactions différentes,
8 il y a eu des désaccords, mais c'est naturel. Je pense personnellement
9 qu'il s'agit là d'un geste extrêmement courageux, extrêmement important.
10 Cela apporte un soutien à ce qui est l'objectif final de nous tous, à
11 savoir d'édifier des conditions de vie normale, non seulement en Bosnie-
12 Herzégovine, mais dans la région toute entière. J'ai estimé qu'il
13 s'agissait là de quelque chose de capital, en espérant qu'il s'agissait
14 là, effectivement, d'une reconnaissance de culpabilité qui venait du fond
15 de l'âme, du fond du cœur; et je ne veux pas en douter. Je pense que c'est
16 là un geste courageux de la part d'une femme qui a compris que des crimes
17 graves ont été perpétrés contre l'humanité. Et c'est la raison pour
18 laquelle il convient de respecter la chose. Nous pouvons individuellement
19 penser ce que nous voulons, mais je parle en termes généraux.
20 Je tiens également à attirer l'attention de chacun sur quelque chose. La
21 polarisation est très importante en Bosnie et dans la région. Les
22 criminels, de nos jours encore, sont considérés comme étant des héros
23 nationaux, ce qui n'est pas une bonne chose pour la paix, ce n'est pas une
24 bonne chose pour la réconciliation entre les gens. C'est pourquoi j'estime
25 que cela est très important.
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1 Je sais, je suis certain du fait qu'il y a encore beaucoup de gens qui
2 n'ont pas relaté leur récit à eux. Et, lorsque les Juges m'ont demandé si
3 nous avions élaboré un rapport final, j'ai dit que non parce que bon
4 nombre de récits n'ont pas encore été recueillis et le rapport ne saurait
5 être complet, ne représenterait pas une vérité complète.
6 Ce que fait ce Tribunal est également une contribution à cette vérité
7 entière.
8 Il importe particulièrement que ceux qui ont commis des crimes prennent la
9 parole aussi et le disent. Et je crois profondément, je suis certain,
10 partant de ce que j'ai fait au fil de toutes ces années, que les gens ont
11 perpétré des crimes dans des circonstances variées. Ils ont été poussés à
12 le faire, ils n'ont pas fait cela parce qu'ils voulaient expressément le
13 faire. C'est pourquoi cette reconnaissance de culpabilité est importante:
14 pour que l'on continue à en parler.
15 Ce qui importe, ce n'est pas de voir Mme Plavsic se taire, mais parler; il
16 faut qu'elle prenne la parole. Elle a été professeur à l'université, elle
17 a travaillé avec de jeunes gens, elle a vécu dans ma ville et c'est une
18 personne que j'ai connue dans cette atmosphère-là. Je l'ai connue comme
19 professeur. C'est important pour nos enfants, pas pour nous, parce que
20 nous avons ressenti tout ce qui s'est passé.
21 M. Robinson (interprétation): Monsieur Tokaca, seriez-vous en mesure de
22 cerner, de façon plus précise, les raisons pour lesquelles, selon vous, le
23 fait de reconnaître la culpabilité pour quelqu'un va contribuer à la
24 réconciliation? Vous vous êtes prononcé de façon générale, mais pourriez-
25 vous être plus précis?
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1 M. Tokaca (interprétation): Quand quelqu'un reconnaît un délit aussi
2 grave, il faut forcément que cela influe sur des personnes qui ont commis
3 quelque chose d'analogue, parce qu'il est très difficile de reconnaître la
4 perpétration de tels délits; il faut de gros effort pour le faire et le
5 gros des efforts est essentiellement déployé pour dissimuler, au
6 contraire, la chose, et cela est très présent.
7 Je ne puis que parler de la perspective dans laquelle je me trouve. Je
8 n'arrive pas à trouver des renseignements qui sont évidents mais que les
9 gens dissimulent et qui clarifieraient bon nombre de choses. Beaucoup de
10 gens sont au courant de sites de fosses communes, mais ils ne veulent pas
11 le dire. Et une reconnaissance de culpabilité peut déclencher l'avalanche,
12 inciter les gens à parler.
13 Je ne sais comment vous l'expliquer. Cela peut avoir son poids, sa
14 puissance. Cela ne met pas un terme à la responsabilité de tout un chacun,
15 mais il faut reconnaître que cela s'est fait. C'est comme si vous rangiez
16 des dominos, puis que vous les abattiez; nous sommes en train de faire
17 tomber une lignée de dominos.
18 Je suis conscient de la chose. Je viens de ce milieu-là et je sais qu'il
19 est difficile aux gens de reconnaître leur culpabilité. Les gens encore…,
20 même les victimes ont encore du mal à parler parce qu'ils ont peur. A
21 Banja Luka, on a interdit la diffusion d'un film très émouvant concernant
22 une mère qui a été à la recherche de son enfant.
23 Donc ce voile de silence est très dangereux pour toute société, et c'est
24 pour cela que je pense que la reconnaissance de culpabilité de Mme Plavsic
25 a beaucoup d'importance parce que risquant de motiver bon nombre de
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1 personnes à le faire.
2 Il est certain que la chose sera traitée par ce Tribunal comme émanant
3 d'une personne qui a ses droits de l'homme et qu'elle verra être prononcée
4 une sentence qui sera certes celle qui aura été méritée, mais qui tiendra
5 compte de toutes ces circonstances à décharge.
6 M. Robinson (interprétation): Je crois que l'heure de la pause est
7 arrivée.
8 M. le Président (interprétation): Monsieur Tieger, de combien de temps
9 avez-vous encore besoin?
10 M. Tieger (interprétation): C'est un moment tout à fait opportun, Monsieur
11 le Président. J'en ai terminé avec mes questions.
12 M. le Président (interprétation): Vous en avez terminé? Y a-t-il des
13 questions de la part de la défense?
14 M. Pavich (interprétation): Non, Monsieur le Président.
15 M. le Président (interprétation): Très bien.
16 Monsieur Tokaca, vous êtes arrivé au terme de votre déposition. Vous
17 pouvez maintenant vous retirer.
18 Suspension pendant une demi-heure.
19 (L'audience, suspendue à 11 heures 07, est reprise à 11 heures 36.)
20 M. le Président (interprétation): Oui, Monsieur Harmon, vous avez la
21 parole.
22 M. Harmon (interprétation): Notre prochain témoin sera M. Adil Draganovic,
23 Monsieur le Président.
24 M. Robinson (interprétation): Monsieur Harmon, ce témoin va témoigner
25 pratiquement de ce qui s'est passé en 1992?
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1 M. Harmon (interprétation): Oui. Sa déposition se concentrera sur les
2 événements de 1992, mais plus particulièrement sur les camps, de façon
3 générale, et aussi des expériences vécues par ce témoin dans les camps.
4 M. Robinson (interprétation): Pourriez-vous veiller à structurer ces
5 questions, afin d'obtenir les moyens de preuve dont nous avons besoin, ou
6 les renseignements dont nous avons besoin.
7 M. Harmon (interprétation): Je le ferai, Monsieur le Juge. Je vous
8 remercie.
9 (Le témoin, M. Adil Draganovic, est introduit dans le prétoire.)
10 (Interrogatoire principal du témoin, M. Adil Draganovic, par M. Harmon.)
11 M. le Président (interprétation): Je vais demander au témoin de donner
12 lecture de la déclaration solennelle.
13 M. Draganovic (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la
14 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
15 M. le Président (interprétation): Je vous remercie, Monsieur. Veuillez
16 vous asseoir.
17 (Le témoin s'assoit.)
18 M. Harmon (interprétation): Monsieur Draganovic, tout d'abord, je tiens à
19 vous remercier d'avoir accepté l'invitation de Mme la Procureure et de
20 venir en qualité de témoin pour parler à la Chambre des conditions de
21 détention, des installations de détention et des camps.
22 Veuillez commencer en déclinant votre identité, nom de famille et prénom
23 aux fins du compte rendu d'audience.
24 M. Draganovic (interprétation): Je m'appelle Adil Draganovic.
25 Question: Veuillez épeler votre nom de famille aux fins du dossier et du
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1 compte rendu d'audience?
2 Réponse: D-R-A-G-A-N-O-V-I-C, A-D-I-L.
3 Question: Merci, Monsieur Draganovic.
4 Nous allons d'abord parler des questions de contexte personnel. Vous êtes
5 diplômé de la Faculté de droit de Sarajevo et vous avez terminé vos études
6 en 1976. Est-ce exact?
7 Réponse: Oui.
8 Question: Pourriez-vous dire aux Juges quelle est la profession que vous
9 exercez en ce moment?
10 Réponse: En ce moment, je suis juge ou plutôt je suis président d'un
11 tribunal municipal à Sanski Most.
12 Question: A quel moment êtes-vous entré en fonction?
13 Réponse: S'agissant de ces tâches de juge, je les exerce depuis 1982. J'ai
14 d'abord travaillé à Bosanska Dubica en qualité de juge, puis à Sanski
15 Most; j'y travaille depuis 1987. Et en 1988, je suis devenu président de
16 ce tribunal municipal de Sanski Most.
17 Question: Vous êtes bosnien; est-ce exact?
18 Réponse: Oui.
19 Question: Parlons, si vous le voulez bien, de cette Union d'anciens
20 détenus de camps en Bosnie-Herzégovine. Pourriez-vous expliquer la nature
21 de cette association? Quelle en est en l'origine et quelle est sa
22 vocation, son objectif, son but?
23 Réponse: L'Union des associations de détenus ou d'anciens détenus des
24 camps, c'est une association volontaire ou bénévole multiethnique de
25 citoyens de Bosnie-Herzégovine. Cette association a été mise sur pied en
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1 1996 et elle est constituée essentiellement de citoyens de Bosnie-
2 Herzégovine qui ont fait des séjours dans des camps de concentration dans
3 le courant de l'agression contre la Bosnie-Herzégovine.
4 L'objectif de l'association consiste à déterminer un listing de tous les
5 citoyens de Bosnie-Herzégovine, de personnes qui ont séjourné dans ces
6 camps de détention, dans le courant de l'agression contre la Bosnie-
7 Herzégovine, de 1992 à 1995. Il s'agit de procéder à une classification
8 des sites de détention, il s'agit de recenser la totalité des camps de
9 détention sur le territoire de Bosnie-Herzégovine, et ceci dans l'objectif
10 de déterminer la vérité concernant l'agression perpétrée contre la Bosnie-
11 Herzégovine pour ce qui est de lancer des poursuites pénales contre des
12 auteurs de crimes de guerre sur le territoire de Bosnie-Herzégovine,
13 s'agissant donc des personnes qui ont planifié, organisé, mis sur pied ces
14 camps et qui ont violé les normes internationales dans des sites que nous
15 désignons actuellement comme étant des sites de camp de concentration.
16 Cette association des anciens détenus de Bosnie-Herzégovine se compose
17 d'associations municipales et d'associations cantonales de détenus. Puis
18 il y a une association régionale au niveau de la Republika Srpska. En
19 outre, il est une association de ces anciens détenus qui a été organisée
20 dans des pays étrangers, les pays d'accueil d'anciens détenus qui avaient
21 fait de la détention pendant le l'agression contre la Bosnie-Herzégovine.
22 Question: Quel poste occupez-vous au sein de cette organisation?
23 Réponse: Dans cette organisation, je suis tout d'abord membre et je suis,
24 à titre bénévole, un expert juridique pour ce qui est de l'élaboration de
25 documentations appropriées et de recherches.
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1 Question: Pourriez-vous expliquer aux Juges comment vous recueillez ces
2 données et comment vous gardez à jour cette base de données?
3 Réponse: Cette association des anciens détenus de Bosnie-Herzégovine
4 établit des fichiers pour tout citoyen de Bosnie-Herzégovine qui a
5 séjourné dans des camps de détention, qui est venu de son plein gré vers
6 l'association principale ou vers l'Union des associations de ces anciens
7 détenus.
8 Nous complétons là des renseignements qui sont des renseignements types
9 portant sur tout un chacun de ces détenus. Et chacun d'entre eux est tenu
10 également de rédiger une déclaration écrite où il indiquerait tous les
11 détails d'incarcération: lieu d'incarcération, personnes incarcérées en
12 même temps, citation de témoins qui savent qu'il avait été détenu avec
13 eux, ce qu'ils ont subi, quelles sont les personnes qui les ont
14 incarcérés, les dates d'incarcération, date de libération, renseignements
15 afférents à leur famille, lieu de naissance, lieu de résidence et ainsi de
16 suite. Ce sont là des renseignements nécessaires pour le traitement
17 scientifique et le traitement analytique de ce qui s'est passé et nous
18 procédons aux vérifications au niveau de l'Union de ces associations.
19 Question: Pourriez-vous me dire combien d'anciens détenus ont été inscrits
20 par votre association, dont le décompte a été fait par votre association?
21 Réponse: Selon certains renseignements qui sont loin d'être complets, il a
22 été établi des listes d'anciens détenus et il y est question de plusieurs
23 dizaines de milliers d'anciens détenus. Mais nous n'avons pas conduit à
24 terme cette procédure d'enregistrement de tous ces anciens détenus. La
25 chose est en cours au niveau de toutes les municipalités, cantons aussi
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1 bien qu'à l'étranger.
2 Nous avons en ce moment-ci entre 7 et 10.000 dossiers d'anciens détenus
3 dans nos bandes de données. Nous avons, en outre, au niveau des
4 associations cantonales et des associations municipales des banques de
5 données, ce qui fait qu'une chose est sûre à savoir que nous n'avons pas
6 recensé la totalité des anciens détenus. La procédure est en cours et elle
7 risque de durer quelques années encore.
8 Ce que je puis encore dire, c'est que, partant des évaluations et des
9 fichiers existants, il se peut qu'une centaine de milliers de personnes
10 aient séjourné dans des camps de concentration en Bosnie-Herzégovine.
11 Question: Au vu de votre expérience personnelle grâce au travail que vous
12 faites au sein de cette association, pensez-vous être en mesure de dûment
13 informer la Chambre des conditions qui prévalaient dans ces camps, dans
14 ces lieux de détention?
15 Réponse: Partant de mon expérience personnelle et partant de la
16 documentation recueillie, partant aussi des conversations que nous avons
17 eues avec des victimes, avec des personnes qui ont séjourné dans ces camps
18 de concentration, je crois pouvoir parler des souffrances endurées par ces
19 personnes au niveau des camps de concentration tout au large de la Bosnie-
20 Herzégovine.
21 Question: Monsieur Draganovic, abordons maintenant la première pièce qui
22 porte la cote n°3. C'est une carte qui vous montre les 37 municipalités
23 énumérées dans l'Acte d'accusation pour lequel Mme Plavsic avait une
24 déclaration de culpabilité. Veuillez dire aux Juges de cette Chambre
25 combien de lieux de détention il y avait dans ces 37 municipalités en
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1 1992, à la fin de l'année 1992?
2 Réponse: Dans 37 municipalités, il y avait 408 camps de concentration en
3 tout et pour tout, à savoir sites où des personnes ont été détenues de
4 force et malmenées sur le plan physique et psychique. Ces renseignements
5 sont fiables et se basent sur une documentation dont dispose l'Union des
6 associations d'anciens détenus de Bosnie-Herzégovine.
7 Question: Vous avez vous-même été détenu en deux lieux, et votre
8 expérience est telle que vous avez été détenu dans un petit camp et puis
9 dans un camp plus important, celui de Manjaca. Grâce à votre expérience,
10 les Juges auront une idée de ce qu'ont vécu les autres détenus ainsi que
11 vous-même.
12 Commençons, si vous le voulez bien, par votre première détention. Veuillez
13 en parler aux Juges. Où avez-vous été incarcéré? Quelles étaient vos
14 tâches, vos responsabilités au moment où vous avez été placé en détention?
15 Réponse: Comme je l'ai précisé, j'ai été président de ce tribunal
16 municipal de Sanski Most. J'exerçais mes tâches, je ne voulais pas quitter
17 la municipalité de Sanski Most en dépit des menaces qui étaient proférées
18 à mon égard, disant que j'allais être tué, liquidé, tout comme ma famille,
19 si je ne quittais pas la ville avant le 15 mai 1992.
20 Je suis resté au tribunal jusqu'au 15 mai, jusqu'au bout; journée où les
21 forces serbes, à savoir les autorités illégales de l'époque, étaient
22 venues en force pour m'expulser du tribunal, arme au poing, moi-même et
23 d'autres collègues, à savoir des juges et le procureur adjoint du tribunal
24 qui étaient musulmans, eux aussi.
25 Donc à partir du 15 mai, je me suis trouvé chez moi, à la maison. Pendant
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1 un certain temps, je suis allé chez des parents à Kljuc et je suis revenu
2 le 25 mai.
3 Ce 25 mai, on m'a privé de ma liberté; cela a été fait par la police
4 militaire et la police civile. On m'a tout simplement fait sortir de force
5 de ma voiture; j'ai été menacé, arme au poing, et j'ai été emmené au poste
6 de police de Sanski Most pour y être emprisonné dans une pièce de
7 détention à vue, au niveau du poste de sécurité publique à Sanski Most.
8 Question: Nous allons maintenant examiner la pièce suivante qui porte la
9 cote P4; elle va vous apparaître sur le rétroprojecteur et sur l'écran.
10 Est-ce là que vous avez été détenu, dans ce poste de police?
11 Réponse: Oui, c'est bien ce poste de sécurité publique à Sanski Most. J'ai
12 été détenu derrière ce bâtiment; c'est là que se trouvaient les cellules
13 pour la garde à vue au quotidien. Ce n'était pas une prison proprement
14 dite, ce ne sont pas des locaux de prison, mais c'étaient des pièces qui
15 étaient destinées à la garde à vue, à la détention de jour.
16 Question: Avant que vous ne poursuiviez le récit de vos conditions de
17 détention, pourriez-vous nous dire, s'agissant de ce poste-ci, le poste de
18 sécurité publique, pendant combien de temps vous avez été détenu dans une
19 cellule?
20 Réponse: Je suis resté là du 25 mai 1992 au 17 juin de la même année.
21 Question: Veuillez décrire les conditions de détention qui furent les
22 vôtres dans cette cellule; pour vous, bien sûr, et pour les autres
23 détenus?
24 Réponse: Les conditions de détention dans lesquelles nous nous trouvions
25 étaient catastrophiques. Le lendemain, les responsables du SDS de Sanski
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1 Most sont venus nous voir et nous ont dit qu'on allait nous abattre et que
2 nos têtes à nous allaient tomber les premières, dans la localité de Sanski
3 Most. Rien que cette menace-là était sérieuse au point de nous faire
4 prendre conscience du fait que nous allions être tués, tous autant que
5 nous étions.
6 Nous étions, pendant ces deux premières journées, neuf à être détenus dans
7 une pièce de 2 mètres sur 2,5, pratiquement blindée de toutes parts; il
8 n'y avait ni air, ni lumière. Il y avait de la tôle sur les murs, avec des
9 trous qui ont été faits au clou. Nous n'avions ni suffisamment d'air ni
10 suffisamment de place pour ce qui est des conditions de détention ou de
11 vie. Nous transpirions, nous étions complètement trempés de sueur; il n'y
12 avait pas d'air. Les murs étaient jaune clair et, au bout de quelques
13 jours, ces murs avaient noirci; ça sentait mauvais.
14 Nous n'avions aucune circonstance propice à la détention. On nous ouvrait
15 la porte pour cinq à dix minutes, pour nous permettre d'aller aux
16 toilettes et nous donner à manger. Le tout se faisait l'arme au poing et
17 dans une atmosphère de peur. Lorsqu'on nous faisait sortir, il y avait des
18 groupes de soldats, des groupes de policiers qui nous malmenaient, qui
19 nous menaçaient, qui nous crachaient dessus, qui nous humiliaient. Et
20 pendant que nous nous trouvions dans la cellule, lorsqu'il y avait cette
21 tôle ou plaque de tôle à la fenêtre, ils jetaient des objets contre cette
22 tôle en nous laissant entendre que c'étaient des grenades. Nous étions
23 terrorisés à un point incroyable; nous nous attendions à tout moment à
24 être tués.
25 Lorsqu'on venait dans cette cellule, on nous communiquait des
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1 désinformations ou des mensonges tout fraîchement inventés de toutes
2 pièces pour nous garder dans cette atmosphère de peur. Et la cellule à
3 côté était également pleine de gens; c'étaient des citoyens en vue, des
4 civils de Sanski Most, des personnes qui avaient fait partie des autorités
5 ou des partis politiques, des enseignants, des hommes d'affaires.
6 Question: Pourriez-vous relater aux Juges les conditions d'hygiène,
7 notamment, qui prévalaient pour vous et les autres détenus au cours de ces
8 trois semaines et demie?
9 Réponse: Pendant que nous nous trouvions dans cette cellule, j'ai déjà dit
10 tout à l'heure que nous ne pouvions sortir qu'une fois ou deux par jour.
11 Seulement une seule fois, nous pouvions faire nos besoins dans le couloir
12 qui avait cinq à huit mètres de long. Dans la partie supérieure de ce
13 couloir, il y avait plein de déchets et cela sentait très mauvais: c'était
14 plein d'excréments. Les conditions sur le plan sanitaire étaient
15 terribles. Lorsque le couloir était plein d'excréments, on nous conduisait
16 dehors pour creuser un trou derrière ces locaux-là, à côté du mur du
17 stade. On nous a dit donc de creuser un trou pour qu'ils puissent nous
18 jeter dedans et nous ensevelir.
19 En séjournant là pendant quelques jours, je me suis trouvé dans une
20 situation d'amnésie grave parce que toutes ces informations, toutes ces
21 désinformations, tous ces mauvais traitements, toutes ces accusations
22 complètement erronées ne conduisaient qu'à une chose: d'après ce que j'en
23 savais, ça conduisait à une issue fatale pour moi et pour tous ceux qui se
24 trouvaient là.
25 Question: A la fin de votre détention à Sanski Most, après celle-ci, où
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1 êtes-vous allé? Où avez-vous été transféré?
2 Réponse: Dans le courant de la matinée, le 17 mai 1992, le directeur de
3 cette prison, Vujanic Drago qui était juriste -un ex-collègue à moi se
4 trouvant actuellement à Banja Luka- est venu avec une liste et il a donné
5 lecture de mon nom et de celui d'un autre détenu qui était dans ma
6 cellule: Jakupovic Ismet. Nous sommes sortis et nous croyions qu'on allait
7 nous relâcher sans savoir ce qui se passait à l'extérieur.
8 Or on nous a donné l'ordre d'incliner la tête vers le bas et de mettre nos
9 bras dans le dos. Il y avait deux policiers qui, l'arme au poing, se
10 dirigeaient vers nous. Nous avons dû les suivre, sortir de l'enceinte de
11 ce poste de police. Nous sommes passés par des cordons de policiers et de
12 civils serbes, et de soldats serbes également, qui nous crachaient dessus,
13 qui nous traitaient de tous les noms, qui nous offensaient et nous
14 injuriaient. On nous a conduits sur 50 mètres vers un bâtiment qu'on
15 appelait la "Bétonnière" où l'on avait détenu des Bosniens. C'est là qu'on
16 m'a fait monter dans un camion.
17 Question: Et où avez-vous été emmenés? Je vais demander que l'on place la
18 pièce suivante sur le rétroprojecteur.
19 Merci, Madame Javier.
20 (Intervention de Mme Anninck-Javier.)
21 Réponse: On nous a transférés à Manjaca. En fait, nous ne savions pas où
22 on nous emmenait jusqu'au moment où nous sommes arrivés là-bas.
23 Question: Est-ce que vous avez été détenu à Manjaca jusqu'au 14 décembre
24 1992?
25 Réponse: Oui.
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1 Question: Monsieur Draganovic, on voit une photographie à l'écran; c'est
2 la pièce de l'accusation P5.
3 Veuillez examiner cette photographie et dire aux Juges ce que cette
4 photographie représente?
5 Réponse: Sur cette photographie, on montre une étable à Manjaca. C'était
6 l'étable où je me suis retrouvé moi-même. J'avais une place à gauche dans
7 un box, à gauche, tout au fond de cette étable. Et des étables de ce
8 genre, il y en avait six. Elles étaient toutes pleines de détenus qui, de
9 façon illicite, avaient été dépossédés des Droits de l'homme et qui ont
10 été gardés là jusqu'à la fin de l'existence de ce camp.
11 Question: Est-ce qu'il s'agissait là de non-Serbes, de Bosniens, de
12 Croates?
13 Réponse: Il s'agissait là essentiellement de Bosniens. Il y avait un fort
14 petit nombre de Croates et il y avait également un petit nombre de Serbes,
15 de déserteurs de la JNA qui n'avaient pas voulu faire la guerre en
16 Croatie.
17 Question: Pourriez-vous expliquer aux Juges quelles étaient les
18 conditions, conditions sanitaires surtout, mais les conditions climatiques
19 aussi? Est-ce que vous disposiez des produits de première nécessité? Est-
20 ce que vous aviez un toit? Est-ce que vous aviez des vêtements?
21 Réponse: Lorsqu'on nous a amenés à Manjaca, on a d'abord commencé à nous
22 tabasser, chacun d'entre nous, au fur et à mesure qu'on lisait nos noms
23 pour descendre du camion. Et en descendant, il y avait une haie de
24 policiers militaires et de soldats serbes qui nous tapaient dessus avec
25 des objets variés: avec des bâtons, avec des battes. Et c'est ce qui nous
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1 est arrivé lorsque nous descendions; donc nous avions abaissé la tête, les
2 bras dans le dos, et on nous tapait dessus avec des matraques.
3 Puis, ensuite, on nous a fait entrer dans une étable qu'on avait appelée
4 "l'écurie". Et j'y ai passé huit jours. J'ai été battu chaque jour, tout
5 comme les autres personnes qui étaient détenues avec moi dans cette
6 écurie. A un moment donné, nous étions plus de 70.
7 Question: Monsieur Draganovic, quelles étaient les conditions en matière
8 d'hygiène notamment, conditions sanitaires?
9 Je dois vous avertir du fait que nous n'avons qu'un temps précis qui nous
10 a été imparti. Je regarde l'heure qui passe. Nous avons un autre témoin
11 qu'il faudra entendre avant 13 heures. Je vous demanderai d'être concis
12 tout en étant complet. Je vous remercie d'avance.
13 Réponse: Fort bien.
14 S'agissant des conditions hygiéniques, je dirai qu'il n'y en avait pas.
15 D'abord, cette écurie ou plutôt cette étable était destinée au bétail.
16 Vous pouvez d'ailleurs le constater partant de cette photographie. Cette
17 étable faisait 16 mètres sur 50 et, dans chacune de ces étables, il y
18 avait 500 à 700, parfois même 800 personnes. Nous séjournions là tout ce
19 temps. Et dans ces étables, il faisait froid. Nous étions allongés, nous
20 dormions sur le sol, sur le béton. Nous faisions nos besoins là, dans
21 l'enceinte, entre les étables, le jour et la nuit, dans des seaux. Le seau
22 était placé à proximité de la porte. Il n'y avait pas assez d'eau, l'eau
23 n'était pas propre, elle était polluée. Nous buvions de l'eau en
24 provenance du lac et cette eau ne satisfaisait pas au minimum, au strict
25 minimum prévu pour la consommation humaine.
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1 Nous avons été tabassés et, à force de coups, nous perdions tout le
2 liquide que nous avions dans notre corps. Nos bouches étaient desséchées,
3 nous ne pouvions pas parler. Donc, s'agissant de ces conditions d'hygiène,
4 ce que je puis affirmer, c'est que c'était catastrophique, inhumain;
5 c'était brutal.
6 Question: Vous avez parlé de ces passages à tabac; est-ce qu'il y a des
7 détenus qui ont été tués également?
8 Réponse: Les passages à tabac étaient permanents, notamment au cours des
9 deux à trois premiers mois. Par la suite, les passages à tabac étaient
10 plus rares. Au moment où la Croix-Rouge internationale a enregistré tous
11 les cas et au moment où nous avons commencé à recevoir la visite de
12 représentants de la Croix-Rouge internationale, nous avons été tabassés.
13 Et nous étions, dans le camp entier, 5.434 exactement.
14 Vous aviez posé encore une autre question? Excusez-moi.
15 Question: Je vous ai demandé si des gens ont été tués?
16 Réponse: Oui. Il y a eu des gens qui ont été tués. Suite aux passages à
17 tabac, des personnes sont décédées. Il y a eu des personnes tuées à
18 l'intérieur et à l'extérieur du camp, et j'ai pu voir des personnes en
19 train d'être tuées de mes yeux.
20 Question: Nous allons maintenant parler de la nourriture disponible pour
21 les détenus. Nous avons deux brèves séquences vidéo. Je vous décris la
22 première qui est très brève: vous allez voir comment les autorités serbes
23 de Bosnie avaient préparé l'accueil des représentants de la Communauté
24 internationale. On croirait que c'est vraiment le règne de l'abondance, il
25 y a énormément de nourriture. Vous verrez d'ailleurs M. Draganovic au fil
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1 de ces images. Je vais d'abord vous montrer ces extraits et je vais lui
2 poser quelques questions. Et puis, vous verrez une deuxième séquence qui
3 montre les conditions véritables qui prévalaient pour les détenus de
4 Manjaca.
5 Nous allons maintenant demander à la régie de diffuser la première
6 séquence. Après quoi, je vous demanderai d'apporter un commentaire bref,
7 si vous voulez bien, Monsieur Draganovic. Il s'agit de la pièce n°6.
8 (Diffusion de la cassette.)
9 Réponse: Vous voyez, dans une chemise blanche, moi-même je suis passé en
10 portant un sac sur le dos; et c'était la journée où il y a eu, dans le
11 camp, une première fois des journalistes qui étaient arrivés. Ils
12 attendaient devant le portail que vous avez vu tout à l'heure. Ce jour-là,
13 il est arrivé de grandes quantités de pains que l'on a rangées à cet
14 endroit-là. Et nous autres, on nous avait pris dans le camp pour nous
15 faire porter ces pains vers un autre camp, c'est-à-dire arriver devant le
16 portail pour être filmés par les journalistes.
17 Question: Manifestement, ceci ne montrait pas la quantité de nourriture
18 dont pouvait bénéficier chacun des détenus pendant votre période de
19 détention.
20 Nous allons maintenant voir la deuxième séquence et je vais vous demander
21 d'examiner cette pièce de l'accusation n°7 et en faire un commentaire.
22 (Diffusion de la vidéo.)
23 Réponse: C'étaient des images types de détenus dans ces étables.
24 Question: Est-ce que vous reconnaissez l'une de ces personnes?
25 Réponse: Je le reconnais, c'est un parent à moi; il s'appelle Draganovic
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1 aussi. Il est originaire de Pudin Han, originaire de Kljuc.
2 Je reconnais tous ces gens-là. Ce que je veux dire, c'est que pendant ces
3 trois premiers mois, c'était un camp de la faim; les gens étaient affamés,
4 il n'y avait pas assez à manger et ce qu'il y avait à manger était de
5 mauvaise qualité. Il y avait de tous petits repas le matin. C'était soi-
6 disant une tasse de thé, mais c'était de l'eau réchauffée avec un peu de
7 sucre et un morceau de pain. Et laissez-moi vous dire, sur 2.500 personnes
8 on distribuait 90 miches de pain; donc un pain entier était découpé en 20
9 ou 40 tranches et chacun des détenus obtenait une tranche. C'était des
10 tranches au travers desquelles on pouvait voir l'autre personne.
11 Question: Quelle a été la perte pondérale moyenne de chaque détenu, pour
12 autant que vous le sachiez? Nous parlons ici du camp de Manjaca.
13 Réponse: Je puis dire, partant de ce que j'ai vécu et vu, que les détenus
14 avaient perdu entre 20 et 30 kilos chacun, et cela a été constaté par les
15 représentants de la Croix-Rouge internationale également. Ces
16 représentants étaient venus se rendre compte de la situation. Et si la
17 Croix-Rouge internationale n'était pas venue, si l'UNHCR n'était pas venu
18 nous voir, nous serions tous morts de fin.
19 Question: Le temps passe, nous avons un autre témoin à entendre. Je vais
20 donc être rapide pour aborder un autre sujet.
21 Vous avez été libérés du camp de Manjaca le 13 décembre. Est-ce que vous
22 avez dû, dans ce cadre, signer un document pour obtenir votre libération
23 du camp? Veuillez le dire rapidement aux Juges pour expliquer ce qu'on
24 vous a dit à propos de ce document.
25 Réponse: Chacun d'entre nous devait signer un document auprès d'un
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1 officier du commandement, disant que nous allions quitter la Bosnie-
2 Herzégovine à tout jamais et que nous n'allions jamais revenir en Bosnie-
3 Herzégovine, et dire que nous acceptions d'être pris en charge par l'UNHCR
4 ou la Croix-Rouge aux fins de déportation.
5 Question: Pourriez-vous parler de l'effet déshumanisant qu'ont eu ces
6 conditions de vie dans le camp pour vous et pour les autres détenus?
7 Réponse: Nous avons des limites de temps, je pourrais en parler fort
8 longtemps, mais ce que je pourrais dire à ce sujet, c'est que j'ai
9 souffert de séquelles pour ma santé, tant sur le plan physique que
10 psychique.
11 Et depuis le jour de ma sortie de ce camp, je me soumets régulièrement à
12 des contrôles, à des soins médicaux. Je suis un intellectuel et, d'une
13 certaine façon, j'ai réussi à réintégrer une vie normale. Mais il est des
14 séquelles durables tant sur le plan psychique que physique, des
15 traumatismes. Et il en est de même pour ce qui est des autres détenus.
16 Je voudrais préciser que dans tous les camps aussi bien qu'à Manjaca, les
17 gens ont vu leur état de santé se détériorer. Ils ont perdu dix ans de
18 leur vie. Bon nombre sont décédés. Je dirai pour Sanski Most et Prijedor
19 que depuis la fin de la guerre à nos jours, d'après la documentation dont
20 nous disposons, plus de 500 détenus ou anciens détenus son mort à l'âge de
21 40 ou 50 ans. Nous allons élaborer une étude approfondie à ce sujet-là qui
22 engloberait le territoire entier de la Bosnie-Herzégovine.
23 Question: Nous allons maintenant examiner la pièce suivante qui porte la
24 cote P8. Il s'agit, Messieurs les Juges, d'une photographie vous montrant
25 plusieurs individus au camp d'Omarska.
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1 Voici ma question, Monsieur Draganovic: est-ce qu'à Omarska aussi il y
2 avait pénurie ou… je me corrige, est-ce qu'à Manjaca la situation en
3 matière de nourriture était tout à fait exceptionnelle, ou est-ce que dans
4 les autres camps aussi il y avait malnutrition du fait de la pénurie de
5 nourriture?
6 Réponse: Partant des recherches, partant des conversations que nous avons
7 eues avec les ex-détenus, nous pouvions dire que les méthodes ont été les
8 mêmes dans tous les camps, les méthodes où l'on affamait les gens étaient
9 les mêmes dans tous les camps. Ces images que vous voyez sont des images
10 du camp d'Omarska.
11 Question: Lorsqu'on parle ici du manque de nourriture, vous avez parlé des
12 sévices physiques dont vous avez été victime, de l'absence de conditions
13 d'hygiène correctes, l'absence de vêtements pour l'hiver notamment, toutes
14 ces privations. D'après vous, au vu de la recherche que vous avez
15 effectuée, est-ce que c'était une réalité qui était aussi celle des autres
16 camps de détention se trouvant dans les 37 municipalités reprises dans
17 l'Acte d'accusation?
18 M. Draganovic (interprétation): Je vais répondre brièvement à cette
19 question. Dans toutes les localités, dans tous les sites de détention on a
20 mis en œuvre des méthodes identiques ou très semblables. L'objectif est
21 évident.
22 M. Harmon (interprétation): Monsieur le Président, Messieurs les Juges,
23 nous devons agir à la hâte puisqu'un autre témoin est prévu. Mais
24 permettez-moi d'attirer votre attention sur la pièce de l'accusation P11.
25 Madame Anninck-Javier, veuillez poser cette pièce sur le rétroprojecteur.
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1 Monsieur le Président, nous avons ici trois pièces: les pièces 10, 11 et
2 12. Ce sont des extraits d'un rapport élaboré par M. Mazowiecki,
3 rapporteur spécial en matière des Droits de l'homme. Ces rapports, ce sont
4 des rapports établis en 1992, des extraits en ont été surlignés; je les ai
5 montrés au témoin.
6 Vu le peu de temps imparti, je vous demande ceci, Monsieur le Témoin.
7 Etes-vous en mesure de confirmer ceci: avez-vous eu l'occasion d'examiner
8 ces extraits et pouvez-vous en confirmer l'exactitude au niveau du
9 contenu?
10 Réponse: Je m'excuse, je n'ai pas obtenu de traduction dans mes écouteurs
11 et je n'ai pas du tout compris ce que vous avez dit tout à l'heure.
12 Question: Hier, est-ce que je vous ai montré, Monsieur Draganovic,
13 certains extraits du rapport établi au nom du Conseil de sécurité par M.
14 Mazowiecki? Est-ce que vous avez eu l'occasion d'en examiner la teneur?
15 Réponse: Oui, je me suis penché sur ces parties de rapports.
16 Question: Et sont-ce là des extraits exacts?
17 Réponse: Toutes les parties qu'il m'a été donné de voir sont tout à fait
18 exactes.
19 M. Harmon (interprétation): Monsieur le Président, je n'ai plus de
20 questions à poser à ce témoin. Je vous remercie.
21 Merci, Monsieur Draganovic.
22 M. le Président (interprétation): La défense souhaite-t-elle poser des
23 questions?
24 M. O'Sullivan (interprétation): Non, Monsieur le Président. Merci.
25 M. le Président (interprétation): Monsieur Draganovic, ceci met un terme à
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1 votre déposition. Merci d'être venu déposer en tant que témoin devant le
2 Tribunal pénal international. Vous pouvez désormais disposer.
3 M. Draganovic (interprétation): Merci également, Messieurs les Juges.
4 (Le témoin, M. Adil Draganovic, est reconduit hors du prétoire.)
5 M. le Président (interprétation): Nous allons poursuivre l'audience de ce
6 matin jusqu'à 13 heures 10.
7 M. Harmon (interprétation): Je vous remercie, Monsieur le Président.
8 Le témoin suivant appelé à la barre sera Mme Teufika Ibrahimefendic.
9 En guise de résumé, dans l'attente de l'arrivée du témoin dans le
10 prétoire, je vous dirai que Mme Ibrahimefendic est une professionnelle des
11 soins de santé qui s'occupe de victimes depuis 1994. Elle vous donnera
12 l'avis d'un clinicien s'agissant de son expérience quotidienne,
13 puisqu'elle a travaillé avec des personnes souffrant de traumatismes, et
14 surtout avec des femmes et des enfants qui ont subi ces traumatismes
15 pendant la période couverte par l'Acte d'accusation; ce traumatisme
16 demeure. Elle vous parlera de certains des problèmes rencontrés par ces
17 personnes dans leur vie quotidienne en Bosnie.
18 (Le témoin, Mme Teufika Ibrahimefendic, est introduit dans le prétoire.)
19 M. le Président (interprétation): Je vais demander au témoin de donner
20 lecture de la déclaration solennelle.
21 Mme Ibrahimefendic (interprétation): Je déclare solennellement que je
22 dirai la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
23 M. le Président (interprétation): Je vous remercie, Madame. Veuillez vous
24 asseoir.
25 (Le témoin s'exécute.)
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1 (Interrogatoire principal du témoin, Mme Teufika Ibrahimefendic, par M.
2 Harmon.)
3 M. Harmon (interprétation): Madame Ibrahimefendic, je vais vous demander
4 de vous rapprocher des micros. Merci.
5 Je tiens tout d'abord à vous remercier d'avoir accepté de venir
6 comparaître en qualité de témoin et de participer à cette audience des
7 plus importantes.
8 J'ai eu l'occasion de donner quelques informations de contexte vous
9 concernant aux Juges avant votre arrivée dans le prétoire. Voici ce que
10 j'aimerais que vous fassiez maintenant: pourriez-vous décliner votre
11 identité et épeler, aux fins du compte rendu, votre nom de famille?
12 Mme Ibrahimefendic (interprétation): Teufika Ibrahimefendic, I-B-R-A-H-I-
13 M-E-F-E-N-D-I-C.
14 Question: Je ne vais pas vous demander d'énoncer vos qualités
15 professionnelles au nom des Juges. Je le ferai, vous me direz si c'est
16 exact; nous pourrons ainsi procéder plus rapidement.
17 Madame le Témoin, vous êtes psychothérapeute; vous travaillez pour Viva
18 Zene, une ONG basée à Tuzla; est-ce exact?
19 Réponse: Oui.
20 Question: Et vous êtes membre d'une équipe, d'abord de l'équipe de
21 direction; et vous êtes coordinatrice clinicienne, responsable du
22 programme ambulatoire s'occupant des victimes traumatisées?
23 Réponse: Oui.
24 Question: Vous êtes aussi psychothérapeute et vous avez vos propres
25 clients; est-ce exact?
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1 Réponse: Oui.
2 Question: S'agissant de votre formation universitaire, je vais la passer
3 en revue et vous demander confirmation. Vous avez fait l'école secondaire
4 médicale à Tuzla en 1967; de 1970 à 1972, vous avez reçu une formation
5 d'assistante sociale à une école supérieure.
6 De 1975 à 1980, vous avez suivi des cours à l'Université de Sarajevo et
7 vous avez obtenu un diplôme en psychologie et en pédagogie. Vous avez
8 suivi les cours suivant: en 1995 et 1996, vous avez reçu un certificat de
9 l'OMS à l'Université de Columbia pour des cours portant sur les
10 traumatismes de guerre.
11 En 1996 et 1997, vous avez suivi des cours de l'Université de Cologne en
12 conseil psychosociaux à donner à des personnes et à des enfants
13 traumatisés. Ce qui a fait en tout, 300 heures de formation.
14 De 1988 à 2000, vous avez suivi 300 heures de cours en psychodrame. C'est
15 une spécialité, une méthode spéciale permettant de travailler avec des
16 femmes et des enfants traumatisés par la guerre; programme payé par la
17 Communauté européenne. Vous avez trois ans de formation en "Gestalt
18 therapy", en thérapie corporelle; vous avez suivi plus de 200 heures de
19 formation.
20 Entre 1997 et 1998, vous avez suivi des cours de formation pour la
21 thérapie par la douleur et vous avez également reçu une formation
22 supplémentaire en thérapie familiale, est-ce exact?
23 Réponse: Oui.
24 Question: S'agissant de votre expérience en matière de travail, entre 1967
25 et 1970, vous avez été infirmière en pédiatrie.
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1 De 1970 à 1994, vous avez été assistante sociale psychiatrique à Tuzla, au
2 centre clinique.
3 Depuis 1994 jusqu'à nos jours, vous êtes psychothérapeute à Viva Zene:
4 est-ce exact?
5 Réponse: Oui.
6 Question: Madame le Témoin, vous viviez à Tuzla au début de la guerre,
7 n'est-ce pas? Et vous y êtes restée jusqu'à nos jours; est-ce exact?
8 Réponse: Oui.
9 Question: Pourriez-vous, en quelques mots, nous décrire la communauté qui
10 était présente à Tuzla avant le début de la guerre?
11 Réponse: Tuzla était considérée comme une des villes où la démocratie
12 s'exprimait le mieux, si je puis m'exprimer un peu. Suite aux dernières
13 élections avant la guerre, les forces réformistes l'ont emporté et je
14 crois pouvoir dire que nous avions un sentiment de liberté par rapport à
15 l'avenir. Très franchement, nous pensions que nous avions des perspectives
16 favorables pour l'avenir.
17 Et pendant que la guerre faisait rage en Croatie, peu à peu, des rumeurs
18 ont commencé à parler de possibilité de guerre en Bosnie également. Des
19 intimidations venaient des Etats voisins, notamment de la Croatie, et
20 étaient véhiculées par les médias.
21 Je dois dire que moi-même et mes amis -en tout cas, les gens avec qui je
22 travaillais- n'étaient pas suffisamment bien informés. Donc nous avons
23 ressenti une certaine frayeur; nous ne savions plus très bien où nous en
24 étions et nous avons néanmoins continué à penser de façon optimiste et
25 avec espoir à ce qui pouvait se produire à l'avenir.
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1 Mais, dès le début de 1992, plus précisément dès le début du mois de mars
2 1992, la situation s'est considérablement modifiée avec augmentation de la
3 nervosité, de la confusion, de la peur -il y avait pas mal de peur-, de la
4 panique, d'un sentiment général d'incertitude. Les gens ont commencé à se
5 préparer à la guerre, même si personne ne pouvait imaginer combien une
6 telle guerre pouvait durer et quels seraient exactement les caractères de
7 cette guerre.
8 Donc à Tuzla, à l'époque, la panique a commencé à régner et, dans ce
9 climat, pas mal de gens ont fait partir leurs enfants de la ville. La
10 majorité des habitants serbes ont quitté la ville, mais des représentants
11 des autres nationalités ont commencé à s'en aller également. Peut-être
12 s'agissait-il, d'ailleurs, au début, des personnes les plus aisées, les
13 plus instruites qui ont commencé à envoyer leurs enfants ou d'autres
14 membres de leur famille à l'étranger. Mais en tout cas, on sentait que le
15 climat était tendu et que quelque chose de négatif allait arriver. Je
16 travaillais à l'époque à l'hôpital et je dois admettre que nous n'avions
17 rien fait de particulier pour nous préparer à la guerre.
18 Peut-être peut-on parler de certaines préparations dans le cadre de la
19 Croix-Rouge. Je militais à cette époque-là au sein de cette organisation,
20 donc certains préparatifs ont été accomplis, tels que les prises de sang
21 et les collectes de sang, ce genre de choses, pour satisfaire aux besoins
22 d'un hôpital pendant la guerre.
23 Question: Madame Ibrahimefendic, permettez-moi de vous arrêter ici parce
24 que j'aimerais revenir à la guerre et en particulier au début de la
25 guerre.
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1 Les Juges ont déjà entendu le premier témoin qui, aujourd'hui, a parlé du
2 grand nombre de crimes qui ont été commis un peu partout en Bosnie.
3 La guerre a commencé. J'aimerais que nous nous concentrions sur la crise
4 qu'a provoqué l'arrivée des réfugiés à Tuzla. Pourriez-vous dire aux Juges
5 ce qui s'est passé lorsque la guerre a commencé dans les municipalités
6 environnant Tuzla et que la crise a fait rage à Tuzla avec l'arrivée des
7 réfugiés?
8 Réponse: Eh bien, les réfugiés sont arrivés des villages voisins de
9 Zvornik. C'étaient des gens qui étaient effrayés, terrorisés, qui ne
10 portaient que très peu de choses sur eux. La ville n'était absolument pas
11 prête à les recevoir. Ils ont été installés au centre sportif de Tuzla.
12 Ils venaient à la clinique pour proposer du sang en disant que, chez eux,
13 il y avait la guerre. C'est ce que j'ai entendu lors de mes premiers
14 contacts avec eux.
15 Les services médicaux ont donc été concentrés sur les premiers soins qui
16 étaient nécessaires à ces réfugiés, alors que la Croix-Rouge s'occupait de
17 les nourrir.
18 La population de Tuzla a essayé de les aider en apportant de la
19 nourriture, des vivres, ce genre de choses. Mais cela a duré jusqu'à la
20 fin du mois d'avril, début du mois de mai. Et à ce moment-là, vraiment, le
21 nombre de personnes nouvellement arrivées à Tuzla était tout à fait
22 important. Je ne m'occupais pas précisément de cela à l'époque, donc je ne
23 peux pas vous donner un chiffre exact, mais je sais qu'il y avait des
24 services spécialisés qui recensaient les personnes arrivant à Tuzla. Car
25 c'est le 15 mai, qui marque le début de la guerre officielle à Tuzla;
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1 c'est à partir de ce jour-là que Tuzla a été encerclée, fermée et que plus
2 personne ne pouvait quitter la ville. Donc les personnes qui s'y sont
3 trouvées par hasard n'ont pas pu partir.
4 C'est à partir de ce jour-là –donc à partir du 15 mai- que la ville a
5 commencé à perdre tous ses caractères de civilisation. Nous avons été
6 privés d'électricité, privés d'eau. La panique et le chaos le plus général
7 régnaient. Et ensuite, fin mai-début juin, d'autres réfugiés encore sont
8 arrivés d'autres villes: de Bratunac, de Zvornik, de Bijeljina, par
9 exemple.
10 Je crois que c'est de ces trois municipalités que le nombre des nouveaux
11 arrivants a été le plus important. Mais il y en a eu aussi qui venaient de
12 Doboj et d'autres municipalités de Bosnie-Herzégovine. Tout dépendait de
13 l'endroit où les gens avaient des amis ou des membres de leur famille.
14 Question: Pourriez-vous me dire, s'agissant de la santé mentale de ces
15 réfugiés, quelle était la situation? Etaient-ils traumatisés?
16 Pouvez-vous dire aux Juges, si tel était le cas, quelle était la cause des
17 traumatismes vécus par ces personnes d'après vous?
18 Réponse: Les gens en question avaient vécu un choc émotionnel. Ils étaient
19 complètement désorientés, si je puis utiliser ce terme. Ils n'étaient en
20 fait pas conscients de la réalité de la situation, pas conscients de ce
21 qui se passait, pas conscients de la réalité dans laquelle ils se
22 trouvaient. Ils avaient beaucoup de mal à s'y retrouver, s'agissant des
23 besoins de s'alimenter, de se vêtir et de satisfaire aux autres nécessités
24 de la vie. Le personnel médical, qui s'occupait de toutes ces personnes à
25 ce moment-là, leur offrait des soins médicaux lorsqu'il y avait eu choc
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1 physique ou physiologique. Mais je dois dire que, dans ces premiers temps,
2 il n'y avait guère de préoccupations vis-à-vis de leurs problèmes
3 psychologiques et mentaux. En effet, la ville n'était pas prête à un tel
4 chaos, à l'arrivée d'un nombre aussi énorme de personnes à la recherche
5 d'aide; et la ville ne savait pas très bien quoi faire. Les habitants, à
6 ce moment-là, s'occupaient encore trop de leur propre situation, de leurs
7 propres craintes, de leurs propres terreurs. Donc il a été difficile de
8 proposer une quelconque empathie à ces personnes nouvellement arrivées, de
9 leur proposer des solutions, de leur offrir des vivres, des vêtements,
10 d'organiser l'évacuation de ceux qui avaient le plus de difficultés, comme
11 par exemple, les personnes âgées ou les enfants. Pas mal d'enfants
12 d'ailleurs se sont retrouvés à l'hôpital, car, physiquement, ils étaient
13 épuisés. En effet, il leur avait fallu marcher plusieurs jours d'affilée
14 lorsqu'ils ont fui leurs villages et leurs maisons incendiées. Une fois
15 qu'ils ont pris la fuite, ils se sont d'abord retrouvés dans la forêt,
16 avant de marcher longtemps pour arriver à Tuzla.
17 Donc toutes ces personnes étaient véritablement épuisées, totalement
18 épuisées, sans énergie, sans force, impuissantes. Et elles ne pouvaient
19 pas s'occuper d'elles-mêmes, donc encore moins de leurs enfants. C'était
20 la confusion la plus totale qui régnait en ville, un chaos total qui reste
21 un souvenir très pénible, pas seulement pour les femmes nouvellement
22 arrivées en ville, mais pour nous tous ici, qui habitions dans cette ville
23 et qui nous trouvions totalement impuissants face à cette situation.
24 Question: Madame Ibrahimefendic, vous avez dit hier, en ma présence -et
25 j'aimerais vous le faire confirmer-, que les services qui ont été les
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1 premiers à s'occuper de l'aspect psychologique du traumatisme que ces
2 personnes avaient vécu étaient insuffisants au début et que, finalement,
3 la Communauté internationale ainsi qu'un certain nombre de volontaires des
4 milieux médicaux de Tuzla ont commencé à se mobiliser et à prêter
5 davantage attention à ce genre de problèmes. C'est bien cela?
6 Réponse: Oui, c'est exact. Les professionnels, les psychologues, les
7 psychiatres, les travailleurs sociaux ne sont pas parvenus à s'y retrouver
8 au début. Ils avaient leur propre expérience professionnelle qui leur
9 permettait de s'occuper d'autrui. Ils étaient habitués à proposer une aide
10 humaine à un autre être humain, mais avaient moins d'expérience dans le
11 domaine des traumatismes. Car, pour nous, tout cela était une expérience
12 très nouvelle de voir tout d'un coup un groupe très important de civils
13 plonger dans ce que je pourrais qualifier de situation catastrophique
14 survenue par surprise.
15 Donc il nous a fallu du temps pour nous y retrouver et nous rendre compte
16 de ce que nous pouvions faire. D'abord des volontaires se sont rendus dans
17 les différents hameaux…
18 Question: Madame Ibrahimefendic, je me permettrai de vous interrompre, car
19 nous disposons d'un temps limité. Nous avons déjà parlé de cela pendant
20 pas mal de temps.
21 J'aimerais que nous consacrions un certain temps à ce qui a été fait dans
22 le cadre de votre expérience professionnelle.
23 Pourriez-vous dire, je vous prie dire, en quelques mots aux Juges, ce
24 qu'est exactement Viva Zene? Quand ce groupe a-t-il été créé? Quel était
25 l'objet de cette organisation? Pourriez-vous nous le dire rapidement, s'il
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1 vous plaît?
2 Réponse: Je me contenterai de dire qu'à la fin de 1992 ou au début de
3 1993, des experts ont commencé à venir en provenance de l'étranger, qui
4 nous ont proposé leur savoir en matière de traumatismes et nous ont
5 indiqué comment nous pouvions aider les personnes traumatisées.
6 Un groupe de femmes allemandes a, un peu plus tard, décidé d'essayer
7 d'aider les femmes et les enfants de Bosnie. Ce groupe était au courant de
8 l'arrivée d'un grand nombre de réfugiés à Tuzla et a donc décidé de se
9 concentrer sur Tuzla; ça, c'était en 1993. Et, en 1994, Viva Zene a déjà
10 accueilli les premières femmes et les a logées de façon permanente.
11 Viva Zene est une organisation qui, aujourd'hui encore, s'occupe donc de
12 fournir une aide psychologique aux personnes traumatisées, notamment aux
13 femmes et aux enfants qui ont subi des traumatismes liés à la guerre ou
14 d'autres traumatismes. Dans le centre que nous avons, nous mettons en
15 oeuvre un programme qui s'applique à des femmes logées en permanence ou
16 traitées en ambulatoire et nous travaillons également dans deux sites de
17 réfugiés.
18 Dans les sites où se trouvent les réfugiés, nous appliquons donc
19 l'ensemble du programme sur toute la population et, dans notre centre,
20 nous nous occupons plus particulièrement des personnes qui ont davantage
21 besoin d'aide; nous nous occupons également des personnes qui sont logées
22 avec leurs enfants dans nos locaux.
23 Question: J'aimerais, Madame Ibrahimefendic, vous poser maintenant la
24 question suivante. En fait, j'aurais dû vous le dire dès le début de votre
25 déposition. Ce qui intéresse les Juges de cette Chambre, plus
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1 particulièrement, ce sont les traumatismes dus aux événements survenus en
2 1992, événements qui ont fait de nombreuses victimes.
3 Je sais, parce que j'ai parlé avec vous, que vous soignez encore des
4 personnes traumatisées en 1992. Mais je vous demanderai, si vous le
5 pouvez, de faire une distinction entre les victimes de traumatismes de
6 guerre qui ont subi des traumatismes entre 1993 et la période ultérieure,
7 et les personnes victimes des événements liés à la guerre qui ont été
8 traumatisées en 1992. Ce serait utile de d'établir cette distinction, dans
9 l'intérêt des Juges de cette Chambre.
10 Donc j'aimerais, si vous voulez bien, que vous commenciez par nous dire
11 quelles ont été les actions psychologiques entreprises par les services
12 psychosociaux à l'intention des femmes et des enfants traumatisés.
13 En effet, pouvez-vous nous décrire la symptomatologie de ce traumatisme?
14 S'agissait-il de traumatismes assez typiques que l'on retrouve dans
15 d'autres lieux où des soins sont proposés, sur le territoire de la Bosnie-
16 Herzégovine?
17 Réponse: Eh bien, en peu de mots et pour commencer, j'aimerais dire
18 d'abord ce qu'est un traumatisme et de quelle façon moi-même et l'équipe
19 dont je fais partie avons, depuis dix ans, adapté à notre contexte la
20 définition du mot "traumatisme".
21 Sur le plan clinique, il existe de très nombreuses définitions du terme
22 "traumatisme", mais la définition qui nous convient le mieux, dans le
23 contexte qui est le nôtre, consiste à définir le traumatisme comme un
24 événement dû à quelque chose d'anormal assorti de menaces. Dans ces
25 conditions, l'organisme humain est affaibli par existence de ces menaces,
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1 menaces à l'intégrité physique et donc liées à la peur que crée cette
2 coercition. Donc ça, c'est le premier traumatisme, celui qui a été vécu
3 par les personnes qui sont arrivée en 1992 et 1993; et ce traumatisme crée
4 chez la personne un sentiment d'incertitude, d'impuissance; elle a
5 l'impression qu'elle ne pourra pas maîtriser la situation.
6 Ce sentiment de peur de destruction physique existe également parce que la
7 guerre est tout de même une catastrophe très importante; c'est un
8 événement qui enclenche toutes sortes d'autres événements qui mènent la
9 personne soumise à tout cela, à se sentir incapable de réagir.
10 Un être humain a des réactions souvent instinctives qui suffisent, face à
11 diverses réalités. Mais face à une réalité aussi catastrophique que celle-
12 là, face à un stress aussi important, à des menaces aussi graves, la
13 réaction semble ne plus être possible. Donc il y a ce sentiment
14 d'impuissance –j'en ai déjà parlé-; la personne a l'impression qu'elle ne
15 peut pas maîtriser la situation, elle craint d'être tuée, d'être réduite à
16 néant, elle craint de voir tout simplement disparaître son organisme et,
17 dans certains cas, on peut voir des ruptures psychiques importantes se
18 produire chez certaines personnes.
19 Nous avons observé, dans les cas les plus graves, de véritables ruptures
20 de la personnalité chez des personnes pour qui la tension est trop
21 importante, et elles ne peuvent pas réagir à cette tension. Et puis, à ce
22 moment-là, les symptômes se développent dans le cadre des souvenirs de
23 l'événement, souvenirs que ces personnes ne souhaitent pas se rappeler
24 mais qui leur reviennent sans cesse et, semble-t-il, de façon
25 incontrôlable. Ces souvenirs reviennent en petites parcelles qui ne durent
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1 que quelques instants et, à ce moment-là, la personne se retrouve dans la
2 situation antérieure.
3 Et puis, il y a aussi d'autres formes de symptômes; des personnes qui
4 souhaitent ne pas souvenir de l'événement en question et luttent sans
5 cesse pour ne pas se souvenir. Alors, il y a conflit incessant entre ces
6 images, ces souvenirs incessants qui se présentent à la personne et le
7 désir de la personne ne de ne pas se souvenir. Donc cette personne épuise
8 son énergie à lutter contre des images qui lui viennent à l'esprit, sans
9 qu'elle puisse les empêcher de se présenter.
10 Ensuite, arrive la réaction au traumatisme avec encore d'autres symptômes:
11 insomnie, hyperactivité, mouvements permanents, et puis diverses formes de
12 peur. Et sur le plan de la sensibilité, on voit une diminution de la
13 sensibilité, un rétrécissement de la conscience, une personne qui, en
14 fait, se dit: "Je n'ai plus la force de sentir quoi que ce soit, il ne
15 faut plus que je ressente quoi que ce soit."
16 Question: Madame Ibrahimefendic, la question que je vous ai posée portait
17 sur les symptômes que vous venez de décrire et que vous constatez encore
18 aujourd'hui chez les personnes traumatisées par les évènements de 1992.
19 Mais j'aimerais vous demander également si ces symptômes se distinguent de
20 ceux que l'on a pu constater dans l'autre partie de la Bosnie? Et si vous
21 pourriez répondre par oui ou par non, ce serait utile.
22 Réponse: Oui, le traumatisme est un traumatisme.
23 Question: Y a-t-il d'autres organisations que Viva Zene qui se sont occupé
24 des personnes traumatisées par les événements liés à la guerre en 1992? Et
25 si oui, pourriez-vous nous donner rapidement la liste de ces organisations
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1 qui soignent également ce même genre de victimes?
2 Réponse: Il y a pas mal d'organisations qui bénéficient d'un financement
3 de l'Union européenne, comme par exemple l'organisation italienne Amica,
4 financée par les Italiens. Amica Educa est également financée par la
5 Suisse, l'Amicale Amica est financée par l'Allemagne. Il y a diverses
6 organisations à Sarajevo, à Prijedor, à Banja Luka avec lesquelles nous
7 coopérons et avec lesquelles nous avons des relations à Zenica, il y a par
8 exemple l'organisation Medika qui a vu le jour en 1993, également avec
9 financement allemand, et il y a encore d'autres organisations dont je ne
10 me rappelle pas le nom à l'instant, mais je sais que ces organisations
11 sont assez nombreuses. Je crois me souvenir qu'il y en a à peu près 160
12 qui s'occupent des personnes ayant subi des traumatismes liés à la guerre,
13 dans le sens donc de la protection de ces personnes et de la prévention
14 sur le plan psychique.
15 Donc ces organisations s'occupent de personnes qu'elles traitent comme
16 appartenant à une population normale, mais une population qui court des
17 risques graves de trouble mental néanmoins.
18 Question: Ces personnes qui ont été traumatisées, pouvez-vous le confirmer
19 à l'intention des Juges? Hier, n'est-ce pas, lorsque vous et moi avons
20 discuté ensemble, vous nous avez parlé de la gravité de ces traumatismes
21 et du fait que certaines de ces personnes traumatisées en 1992 étaient
22 encore soignées par vous aujourd'hui, traumatismes liés au fait d'avoir vu
23 des membres de sa famille se faire tuer, d'avoir vu sa propre maison
24 incendiée, d'avoir été contraint de quitter sa maison et la communauté
25 dont ont fait partie, traumatismes liés à la fracture, à la rupture du
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1 tissu social et humain dont on faisait partie. Ces traumatismes ont-ils
2 des effets durables et continuent-ils à affecter négativement les
3 personnes que vous soignez encore aujourd'hui?
4 Réponse: La source du traumatisme est un événement et n'importe quelle
5 sorte d'événement, du moment qu'il risque de créer une tension: le fait
6 d'avoir assisté à un crime, à un viol, à de la torture, d'avoir été forcé
7 de quitter son domicile, d'avoir été forcé de se séparer de sa famille,
8 tout cela est source de traumatisme. Quelquefois d'ailleurs, on peut, sans
9 même avoir vécu l'événement, en avoir entendu parler par quelqu'un
10 d'autre; c'est ce qui arrive aux enfants très souvent qui entendent parler
11 les adultes autour d'eux, ils entendent parler de privation d'électricité,
12 de privation d'eau. Dans 13 cas que nous avons eu à soigner, il s'agissait
13 de personnes qui étaient témoins oculaires ou qui avaient entendu parler
14 de l'événement traumatisant par des tiers, mais qui ne l'avaient pas vécu.
15 Question: Et?
16 Réponse: Eh bien, aujourd'hui encore, il existe des éléments qui
17 rappellent le traumatisme. Vous en avez parlé avec moi. Ce sont des
18 éléments qui font resurgir le traumatisme, qui déclenchent une nouvelle
19 fois le traumatisme en forçant à se rappeler ce qui s'est passé. La
20 semaine dernière, par exemple, j'ai eu en face de moi une femme qui m'a
21 dit: "Chaque fois que je vois un homme avec une barbe, j'ai peur. Ou bien
22 lorsque je vois à la télévision la moindre image qui me rappelle la
23 guerre, cela me renvoie à la situation à l'époque et cela me fait peur."
24 Question: Vous m'avez parlé hier d'une situation dans laquelle une femme a
25 vu une bille. Pourriez-vous en quelques mots décrire cette situation
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1 traumatisante à l'attention des Juges?
2 Réponse: Cette femme vient de la municipalité de Zvornik, d'un petit
3 village ce de cette municipalité. Elle a été forcée de quitter son
4 domicile, expulsée donc sous la menace de la force en même temps que son
5 mari et ses enfants. Je crois que dans neuf villages la population a été
6 expulsée. Je crois au même moment, dans la municipalité de Zvornik, mais
7 avant cela, il y avait appel des noms lus sur une liste, diverses formes
8 de sévices, fouilles des maisons, restitution des armes, établissements de
9 listes et puis séparation des hommes et des femmes.
10 Son mari avait été emmené avec son père et trois de ses frères. Elle
11 n'avait plus jamais entendu parler d'eux. Elle était restée avec deux de
12 ses filles et, dans cette situation, elle arrive à Tuzla et elle
13 s'installe dans un camp de réfugiés à Zenica où un obus tombe -c'était en
14 1995- et le seul fils qui lui restait est tué à ce moment-là. Donc il y a,
15 à nouveau, traumatisme et expérience renouvelée d'une tragédie déjà très
16 difficile vécue auparavant. Elle se retrouve donc dans une situation
17 encore plus tendue qu'auparavant. Et lorsqu'elle nous a rencontrés avec
18 ses deux filles, il y avait un petit garçon qui jouait aux billes, tout
19 près; cette femme s'est, à ce moment-là, évanouie; elle a totalement perdu
20 le contrôle de ses fonctions physiologiques et il lui a fallu pas mal de
21 temps pour retrouver ses forces et être capable de parler de ce qui
22 s'était passé.
23 Donc une simple bille peut servir de déclencheur à une souffrance mentale
24 et psychique très importante.
25 Question: Puis-je vous rappeler ce que vous m'avez dit hier au sujet de
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1 l'association qu'elle a faite dans son esprit entre la bille et le fils
2 qu'elle avait perdu?
3 Réponse: Oui. La bille a été l'élément qui lui a rappelé ce qui était
4 arrivé à son fils.
5 Question: Madame Ibrahimefendic, ce que j'aimerais que vous fassiez
6 maintenant, puisque vous soignez toujours cette communauté de victimes
7 traumatisées encore aujourd'hui, à cause des événements de 1992, ce que
8 j'aimerais, c'est que vous disiez aux Juges de quelle façon ces
9 traumatismes affectent négativement toutes ces personnes dans leur vie
10 quotidienne en leur entravant la réintégration à une vie normale?
11 Réponse: Eh bien, je dirai encore une fois que le traumatisme est un
12 processus et qu'en Bosnie-Herzégovine, on voit bien la présence des
13 diverses séquences décrites par Hans Keilson s'agissant des différentes
14 étapes d'un traumatisme. Le traumatisme ne vient pas uniquement d'un acte
15 isolé, d'un viol ou d'un seul événement traumatisant. Le traumatisme, dans
16 ce cas précis, est le résultat de toute une série d'événements survenus
17 avant la guerre et pendant la guerre, et liés également au retour en
18 Bosnie-Herzégovine.
19 Donc la situation de la Bosnie-Herzégovine est éminemment traumatisante et
20 il est très difficile d'apporter une aide efficace et de défendre la santé
21 psychique de toutes ces personnes.
22 Aujourd'hui, les personnes présentent des symptômes qui sont très
23 différents des premiers symptômes, mais ces symptômes se manifestent
24 aujourd'hui par un repli sur soi, un isolement, un retrait par rapport à
25 autrui et une grande passivité.
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1 Autrement dit, ce qui s'est passé, c'est qu'il y a eu accumulation de
2 stress, de tension pendant des années et des années d'existence comme
3 réfugiés, et ces personnes sont épuisées, épuisées d'avoir été et d'être
4 encore des réfugiés, épuisées de leur impuissance dans tous leurs
5 domaines. Et il leur arrive parfois de ne plus rien ressentir. Ceux qui,
6 au début, avaient été agressifs, furieux, hyperactifs ont beaucoup de mal
7 à supporter la douleur qui est la leur.
8 Mais, par ailleurs, il ne se passe rien. La situation de ces personnes ne
9 change pas. Donc leur état psychique se dégrade, mais également leur état
10 de santé physique. C'est la totalité de l'organisme qui est menacé de
11 destruction, si je puis m'exprimer ainsi. Les plus grandes inquiétudes
12 sont permises quant à leur état de santé à l'avenir. Dans une telle
13 situation, il y en a pas mal qui décident d'aller à l'étranger.
14 D'ailleurs, nombreux sont ceux qui ont déjà quitté la Bosnie-Herzégovine.
15 Quant à ceux qui restent en Bosnie, ils doivent confronter leur problème
16 et confronter des situations qui continuent encore aujourd'hui à les
17 traumatiser de façon intense.
18 Question: Pourriez-vous expliquer aux Juges les problèmes vécus par les
19 enfants traumatisés en 1992, et les problèmes qu'ils vivent encore
20 aujourd'hui? Et je vous demanderai de le faire en vous référant à votre
21 expérience personnelle en tant que psychothérapeute travaillant avec les
22 enfants en question.
23 Réponse: Partant de mon expérience personnelle et des recherches qui ont
24 été faites en Bosnie-Herzégovine, et plus précisément à Sarajevo, par
25 exemple, eh bien, les conclusions de ces études sont que ces enfants sont
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1 aujourd'hui très craintifs. Ils manifestent un attachement exagéré à leur
2 mère, y compris à une étape tardive de la puberté. C'étaient des enfants
3 qui, lorsqu'ils étaient tout petits, n'ont pas ressenti la moindre
4 sécurité auprès de leur mère, car leur mère avait à traiter, à l'époque,
5 ses propres problèmes; il y avait aussi les conditions de vie dans
6 lesquelles ils se trouvaient. Tout cela explique les problèmes en
7 question.
8 Ces enfants ont également des problèmes de sommeil; ils manifestent des
9 signes de dépression, pleurent très souvent. L'agressivité est assez
10 souvent présente chez ces enfants. Ils éprouvent des difficultés à se
11 concentrer, à étudier. Ils souffrent d'énurésie. Ils ont tendance à
12 réfléchir sans cesse à la même chose tout en restant isolés. La plupart
13 d'entre eux n'ont pas d'amis, sont repliés sur eux et se manifestent
14 également comme des enfants très passifs, très isolés. C'est l'image que
15 je donnerai, l'image la plus générale que je donnerai des enfants que je
16 soigne encore aujourd'hui.
17 Question: Donc ce que vous êtes en train de dire, Madame Ibrahimefendic,
18 c'est que, dix ans après les événements qui font l'objet de l'Acte
19 d'accusation dont nous parlons ici, donc dix ans après, les événements de
20 l'époque continuent à être traumatisants et des personnes continuent
21 d'être négativement affectées par ces événements? C'est bien cela?
22 Réponse: Le souvenir d'événements de ce genre -événements qui ne sont pas
23 isolés, mais qui sont très nombreux- est inoubliable. Le traumatisme est
24 inoubliable également. Il est impossible de l'oublier, car il est inscrit
25 profondément dans la mémoire par tous les sens: par le sens de la vue, par
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1 le sens de l'ouïe, par tout ce que ces personnes ont vu, ressenti, qui
2 laisse des traces dans le cerveau.
3 Donc toutes les études faites sur le traumatisme concluent à la même
4 chose: à savoir qu'il est impossible d'oublier un traumatisme. La seule
5 chose qu'il est possible de faire, c'est soigner un traumatisme, s'en
6 occuper. Il faudrait que ces personnes se voient offrir une chance de
7 vivre dans une atmosphère sécurisée qui leur permettrait de raconter la
8 cause de leur traumatisme sans avoir peur et donc de pouvoir donner un
9 sens à ce traumatisme pour l'intégrer dans leur existence, dans leur
10 expérience, ce qui pourrait leur permettre de ressentir une aide par
11 rapport à leur avenir.
12 Question: Le pourcentage de personnes toujours traumatisées aujourd'hui,
13 suite aux événements de 1992, le pourcentage donc de personnes qui sont
14 soignées par des organisations comme "Viva Zene" ou d'autres, notamment
15 "Amica", dont vous avez cité le nom, est un pourcentage très restreint de
16 la communauté totale des victimes, n'est-ce pas?
17 Réponse: Oui.
18 Question: A votre avis, s'agissant des possibilités de récupération de ces
19 personnes, s'agissant des succès que vous remportez dans l'application de
20 votre programme, que pouvez-vous dire de tout cela aux Juges de cette
21 Chambre?
22 Réponse: Eh bien, la question est très difficile. Le problème est
23 complexe; il exige des mobilisations à tous les niveaux. Il est très
24 difficile de répondre à votre question en quelques phrases, car, tout en
25 étant optimiste et tout en pensant que pas mal de choses changent dans la
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1 vie, je pense que le nombre de centres susceptibles d'apporter une aide de
2 ce genre devrait être beaucoup plus important. Et cette aide devrait
3 consister à proposer un environnement dans lequel les personnes se
4 verraient encouragées à parler de leur expérience personnelle sans
5 crainte, de façon à ce que ces personnes puissent s'éduquer, s'instruire
6 par rapport à leur traumatisme, lui donner un sens, car plus ces personnes
7 auraient de connaissance par rapport au traumatisme, plus elles auraient
8 la possibilité de maîtriser leur existence, plus elles auraient le
9 sentiment de pouvoir tirer leurs propres conclusions, plus elles seraient
10 en mesure de se rendre compte que tout ce qu'elles ont vécu les a en fait
11 rendues plus mûres, plus sages et que cela les aidera dans le reste de
12 leur vie.
13 Question: Madame Ibrahimefendic, s'agissant de l'aspect
14 psychothérapeutique de la récupération de l'équilibre mental et psychique,
15 quel est l'intérêt à pouvoir parler d'un événement traumatisant par
16 rapport à l'absence d'avantages que l'on remarque lorsque l'événement est
17 internalisé et qu'on n'en parle pas?
18 Réponse: Il faut pouvoir parler de ces événements traumatiques. En effet,
19 l'événement traumatique exige d'être verbalisé. C'est le premier pas vers
20 la récupération de la santé mentale. En effet, lorsque, par la parole,
21 l'événement se voit donner un sens -et cela peut se faire sans ressenti
22 parce que, lorsqu'on ressent quelque chose et qu'on n'en parle pas,
23 l'événement est vécu de façon beaucoup plus terrible-, lorsqu'il est
24 verbalisé, l'événement perd un peu de son côté terrifiant.
25 Il faut donc pouvoir parler. S'il n'y a pas parole, il y a isolement,
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1 isolement de personnes en tant qu'individus, mais également isolement de
2 groupes tout entiers. On en arrive à un isolement au niveau de la création
3 des idées. Donc il est tout à fait indispensable de pouvoir parler de tout
4 cela.
5 Question: Dès lors que les personnes que vous soignez deviennent capables
6 de parler de tout cela, les considérez-vous comme étant en meilleure santé
7 psychique?
8 Et puis, j'ajouterai une autre question: comment est-ce que la capacité de
9 parler des événements liés à la guerre peut éventuellement contribuer à la
10 création d'une tolérance accrue et contribuer peut-être à la
11 réconciliation en Bosnie-Herzégovine?
12 Et je vous demande de répondre à ces questions en partageant avec nous vos
13 points de vue personnels sur ces sujets.
14 Réponse: Je prendrai d'abord la première partie de la question. Mais
15 quelle était-elle?
16 Question: Pourriez-vous, je vous prie, dire aux Juges de cette Chambre de
17 quelle façon le fait de parler des événements liés à la guerre peut
18 améliorer l'état de santé psychique d'une personne? Et comment également
19 cela peut créer une meilleure tolérance, une tolérance accrue parmi les
20 habitants de la Bosnie, en contribuant éventuellement à la réconciliation?
21 Réponse: La verbalisation est quelque chose qui rend la santé, qui rend la
22 force, qui permet de cicatriser les plaies. Donc c'est un processus
23 indispensable. Il faut que toutes ces personnes puissent communiquer les
24 unes avec les autres et, d’ailleurs, qu'elles puissent communiquer avec
25 elle-même.
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1 Et si je vous parle d'un point de vue psychothérapeutique, je dirai ce qui
2 suit: les traumatismes -et ils ont été nombreux entre 1992 et 1995- ont eu
3 lieu et ils ont laissé derrière eux des souvenirs, des souvenirs qui,
4 encore aujourd'hui, sont terrifiants pour ces personnes et qui sont tus,
5 qui sont gardés secrets. Or, si le secret demeure, il peut se transformer
6 en poison. Dans toute vie, même la vie la plus quotidienne qui soit,
7 garder un secret est difficile. Mais lorsque le secret est un secret
8 terrifiant, il joue encore davantage le rôle de poison.
9 Donc ce qui importe, c'est que chacune de ces personnes reprenne
10 conscience de la réalité, se rende compte à nouveau de ce qui se passe
11 effectivement. La reprise de conscience de la réalité est un premier pas:
12 qu'est-ce que je suis en train de ressentir maintenant à l'instant
13 présent, en 2002? Qu'est-ce que je vois dans mon esprit? Qu'est-ce que je
14 suis en train de faire? Qu'est-ce que je souhaite? Qu'est-ce que je peux
15 faire?
16 Donc prendre conscience de sa propre existence, à l'instant présent, dès
17 lors que nous sommes conscients de notre propre existence, conscients de
18 soi, on est capable de se maîtriser soi-même, mais aussi de maîtriser ses
19 rapports avec autrui. On peut maîtriser la situation, on n'est plus
20 impuissant, on a le sentiment qu'on est capable d'entreprendre quelque
21 chose. Et de cette façon, on se forge peu à peu une sécurité personnelle.
22 Donc voilà, j'ai cela qui m'appartient; quant au reste, cela s'est passé
23 là-bas et avant. Donc, dans le cours du processus psychothérapeutique, je
24 demande à un certain moment que l'on retourne à l'année 1992; je demande à
25 la personne de me dire ce qu'elle pensait, ce qu'elle ressentait, ce
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1 qu'elle voulait, ce qu'elle faisait, à l'époque. Et un lien s'établit,
2 chez tous les habitants de Bosnie-Herzégovine, entre ces deux éléments.
3 Car l'histoire, elle est unique, l'histoire, donc chaque personne peut
4 néanmoins avoir sa propre histoire, son histoire personnelle, singulière,
5 unique.
6 Cette verbalisation peut permettre de créer quelque chose de nouveau, peut
7 permettre de jeter des passerelles de confiance, de sécurité, de
8 sincérité. La personne peut se trouver capable de consoler ou de calmer
9 autrui, ou d'encourager, de donner de la force à une tierce personne. Et
10 tout cela peut permettre de créer un rapport plus sain entre les
11 personnes.
12 Le résultat, c'est qu'il pourrait peut-être y avoir relation entre trois
13 groupes, trois religions, trois cultures, mais avec respect d'une certaine
14 distance. Car dans toute cette période, un certain nombre de choses se
15 sont passées qui nous ont divisé, et ça, il faut l'accepter parce que les
16 choses en question se sont passées. C'est vrai, elles ont eu lieu et il
17 faut se pencher sur la réalité de tous ces événements de façon
18 authentique; mais, en même temps, il faut se re-pencher sur le passé, il
19 faut réfléchir au passé, il faut donner un sens à ce passé pour permettre
20 l'existence, la poursuite de l'existence.
21 Voilà ce que je dirai.
22 M. Harmon (interprétation): Merci beaucoup, Madame Ibrahimefendic.
23 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, j'en suis arrivé au terme de
24 l'audition de ce témoin.
25 M. le Président (interprétation): La défense a-t-elle des questions pour
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1 ce témoin?
2 M. O'Sullivan (interprétation): Pas de questions, Monsieur le Président.
3 M. le Président (interprétation): Vous êtes arrivée au terme de votre
4 déposition, Madame Ibrahimefendic. Merci d'être venue pour témoigner
5 devant le Tribunal pénal international. Vous pouvez maintenant vous
6 retirer.
7 Nous allons suspendre pendant une heure et demie, comme d'habitude.
8 (Le témoin, Mme Teufika Ibrahimefendic, est reconduit hors du prétoire.)
9 (L'audience, suspendue à 13 heures 14, est reprise à 14 heures 45.)
10 (Le témoin, M. Elie Wiesel, est visible à l'écran de visioconférence dans
11 le prétoire.)
12 M. le Président (interprétation): Monsieur Tieger, vous avez la parole.
13 M. Tieger (interprétation): Je vous remercie, Monsieur le Président.
14 Notre témoin suivant sera le Professeur Elie Wiesel et nous allons
15 recevoir sa déposition par visioconférence. Apparemment, la régie nous dit
16 que nous sommes prêts.
17 M. le Président (interprétation): Fort bien. Je vais demander au témoin de
18 donner lecture de la déclaration solennelle. Oui?
19 M. Wiesel (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la
20 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
21 M. le Président (interprétation): Je vous remercie. Veuillez vous asseoir.
22 Monsieur Tieger, vous avez la parole.
23 (Interrogatoire principal du témoin, M. Elie Wiesel, par M. Tieger.)
24 M. Tieger (interprétation): Merci, Monsieur le Président.
25 Bon après-midi, Monsieur le Professeur Wiesel. Merci de nous rejoindre
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1 pour être témoin dans cette procédure très importante.
2 Plutôt que de vous demander de vous présenter, je vais reprendre les
3 points saillants de votre carrière que je vais maintenant énumérer.
4 Vous êtes l'auteur de 40 ouvrages dont certains parlent de l'expérience
5 que vous avez vécue en tant que détenu dans les camps de concentration de
6 la Deuxième Guerre mondiale.
7 En 1986, vous avez reçu le prix Nobel de la paix en tant que -comme le
8 disait le comité Nobel- "un messager de l'humanité, comme un des
9 dirigeants spirituels les plus importants de l'humanité". Vous avez fondé
10 la "Fondation Elie Wiesel" qui oeuvre en faveur de la justice, et vous
11 êtes intervenu en faveur de personnes réprimées en Union soviétique, au
12 Vietnam, au Biafra, au Bengladesh ainsi qu'en Bosnie et en Afrique du Sud.
13 Est-ce bien exact?
14 M. Wiesel (interprétation): Oui.
15 Question: L'accusation et la défense vous ont demandé de témoigner ici.
16 Apparemment, vous avez préparé une déclaration et je vais maintenant vous
17 demander de vous adresser aux Juges de cette Chambre.
18 Réponse: J'ai été contacté par la défense de Mme Plavsic et l'accusation,
19 et je suis prêt à dire toute la vérité. Je pense qu'il est important que
20 tout le monde comprenne les souffrances qui ont été subies par les
21 victimes. Mais c'est aussi, si nous intervenons ici, une façon de servir à
22 la justice.
23 Je comprends que la Guerre des Balkans soit finie, mais son histoire ne
24 l'est pas. Elle continue à peser de son poids de douleur sur les familles
25 des victimes et, en un sens, sur notre conscience collective, ainsi
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1 qu'elle interpelle chacun de nous en nous forçant à tirer des leçons pour
2 l'avenir.
3 La Guerre des Balkans pèse surtout sur ses victimes et leur famille. Pour
4 les orphelins, jeunes ou adultes, le monde n'est plus le même. Une femme
5 violée le reste pour la vie, cela est bien connu. Les rêves sont devenus
6 des cauchemars pour tous ces gens, le passé vit dans le présent. De cela
7 aussi, les criminels contre l'humanité sont responsables.
8 Un crime contre l'humanité, comment le définir en termes psychologiques
9 simples? C'est un crime commis contre l'humanité de l'autre, mais aussi
10 -si on peut le dire- commis contre soi-même qui affame et viole des femmes
11 impuissantes, nie leur humanité, mais aussi la sienne propre. En
12 commettant ces crimes, le criminel se retranche et s'exclut de la société
13 qui se veut morale et civilisée.
14 En termes juridiques, un crime contre l'humanité est l'abus du pouvoir au
15 degré absolu. C'est lorsqu'un gouvernement met officiellement, sinon
16 légalement, en oeuvre un système pour humilier, persécuter, déporter,
17 emprisonner et assassiner des communautés civiles innocentes et sans
18 défense.
19 En étudiant les charges retenues contre l'accusée, je me suis rappelé ma
20 visite dans son pays ravagé et tourmenté, fin 1992. J'y ai rencontré
21 plusieurs dirigeants serbes, dont deux au moins figurent sur votre liste
22 d'inculpés pour les mêmes crimes contre l'humanité, à savoir Slobodan
23 Milosevic et Radovan Karadzic.
24 A Sarajevo et à Banja Luka aussi, je n'ai fait qu'écouter les survivants,
25 évoquer l'agonie que les dirigeants serbes leur avaient fait subir.
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1 Souvent, ils s'interrompaient, ne pouvant achever leur récit. Leurs
2 larmes, pour celui qui les voit couler, font aussi partie de l'Acte
3 d'accusation.
4 L'importance de ce procès est universellement reconnue: révéler la réalité
5 des crimes commis est ici aussi significatif que de châtier leurs auteurs.
6 C'est que la plupart du temps, une fois occupant de hautes positions
7 gouvernementales, les criminels contre l'humanité comptent pouvoir se
8 servir de leur puissance néfaste pour maquiller, voire pervertir la
9 vérité, sinon l'enterrer à tout jamais. Ils misent sur le mensonge et plus
10 encore sur l'oubli. Ainsi, ici même dans ce Tribunal, c'est également le
11 devoir de mémoire que la justice internationale est soucieuse d'accomplir.
12 Pour les victimes et les survivants, ceci demeure la priorité des
13 priorités.
14 Pour le cas de Mme Plavsic, le problème ne se pose pas puisqu'elle a
15 reconnu sa responsabilité ainsi que sa culpabilité dans les atrocités
16 perpétrées par son gouvernement contre des Croates et des Musulmans en
17 Bosnie-Herzégovine.
18 Personnalité politique respectée par ses paires, universitaire honorée par
19 une bourse Fulbright, elle remplissait des fonctions supérieures dans les
20 sphères les plus élevées de son pays. En cette qualité, elle approuvait le
21 but qui consistait à diviser les citoyens de Bosnie par la force. Elle
22 connaissait le discours de Radovan Karadzic de 1991 dans lequel il
23 menaçait les Musulmans d'extermination.
24 Pire encore: elle a souvent, sinon constamment, donné son appui aux
25 efforts des militaires serbes dans leurs opérations abominables de
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1 purification ethnique, transferts de population, traitements cruels et
2 inhumains des civils, travaux forcés et usage de boucliers humains, c'est
3 à cela qu'ont servi les prisonniers. Et Mme Plavsic était pour, était en
4 faveur de tout cela.
5 Comment pouvait-elle appuyer pareils procédés? Comment s'arrangeait-elle
6 avec son éducation, sa culture sinon sa conscience? Comment espérait-elle
7 demeurer humaine en s'alliant à ce qui est ignoble et honteux dans
8 certains êtres humains?
9 J'ignore si Mme Plavsic va s'exprimer ou comment elle pense devoir
10 expliquer ses actions, pour autant qu'elles puissent être expliquées; je
11 sais seulement que rien ne peut justifier ni excuser le crime contre
12 l'humanité.
13 Cela dit, le fait qu'elle soit la seule inculpée à librement et
14 entièrement assumer son rôle dans les méfaits et crimes cités dans l'Acte
15 d'accusation, elle qui appartenait aux hautes sphères du pouvoir dans son
16 pays, peut-être pourra-t-elle, devrait-elle servir d'exemple pour des cas
17 similaires.
18 En général, les autres inculpés dans d'autres procès similaires
19 préféraient nier la vérité, la véracité de leurs crimes, espérant ainsi
20 aider les falsificateurs de l'histoire à semer le doute dans un public non
21 averti.
22 En lisant et en relisant l'Acte d'accusation dressé contre Mme Plavsic, je
23 me suis interrogé sur sa personnalité. On ne lui reproche pas d'avoir
24 personnellement participé aux persécutions, aux tortures et aux meurtres
25 d'innocents êtres humains, mais d'avoir utilisé sa position de dirigeante
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1 pour encourager et soutenir ces crimes. En d'autres termes, c'est en son
2 nom, aussi, qu'elle permettait aux tortionnaires de torturer et aux tueurs
3 de tuer.
4 Comment une femme comme elle, intellectuelle réputée, sans aucun doute
5 intelligente et douée, comment a-t-elle pu garder le silence devant tant
6 de violations, tant de crimes, tant de sang versé, tant d'exécutions
7 sommaires attribuées aux serviteurs du gouvernement dont elle était une
8 des dirigeantes? Comment pouvait-elle rester humaine devant une telle
9 trahison de l'humanité?
10 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, permettez-moi de vous le
11 répéter en m'adressant à vous, aujourd'hui: c'est aux victimes que je
12 pense. Pour les venger? Mais non, la vengeance ne m'a jamais motivé ni
13 inspiré. C'est simple: je n'y crois pas; je n'y ai jamais cru. Ce n'est
14 pas pour venger les miens, mais pour ne pas les laisser mourir une seconde
15 fois que, devenu adulte, écrivain et enseignant, je me suis consacré à
16 sauvegarder leur mémoire, mais aussi à défendre les prisonniers du destin
17 ou les victimes du désespoir, les enfants affamés et les déracinés et
18 pourchassés. Autrement dit, pour défendre leurs Droits de l'homme. Ici
19 aussi, devant vous, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, cela reste
20 mon seul souci.
21 Plus précisément, je ne suis pas ici pour invoquer des circonstances
22 atténuantes en faveur de Mme Plavsic. Le rôle d'un témoin est de parler,
23 de réclamer la justice sans prononcer de sentence. Si l'on met toutes les
24 souffrances des victimes d'un côté de la balance, combien d'années de
25 prison faudrait-il mettre de l'autre côté pour parvenir à l'équilibre?
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1 En cela, en cela aussi, le monde civilisé s'en remet à vous et à votre
2 conscience. Vos sentences seront entendues au-delà des frontières
3 nationales et ethniques. Grâce à vous, grâce au travail accompli par ce
4 Tribunal, les propos prononcés dans ce prétoire seront reçus, étudiés et
5 retenus bien au-delà des frontières et des siècles.
6 Quant au témoin que je suis, je tiens simplement à vous dire que vos
7 délibérations, aussi bien que votre verdict, seront partout où des crimes
8 contre l'humanité ont semé ou sèmeront le deuil et le désespoir.
9 Nous le savons, l'humanité a besoin d'espoir, d'espérance. A vous de nous
10 la donner en gage et espérons que cet espoir est bien placé.
11 Je vous remercie.
12 M. Tieger (interprétation): Je n'ai plus de question à poser.
13 M. le Président (interprétation): La défense souhaite-t-elle poser des
14 questions?
15 M. O'Sullivan (interprétation): Non. Merci, Monsieur le Président.
16 M. le Président (interprétation): Merci, Monsieur le Professeur Elie
17 Wiesel d'être venu déposer. Nous venons de vous entendre, nous venons de
18 recevoir vos propos. Nous vous remercions et ceci met terme à votre
19 déposition.
20 (Fin de la visioconférence avec le témoin, M. Elie Wiesel.)
21 (Les Juges se concertent sur le siège.)
22 M. le Président (interprétation): Nous avons la déclaration du témoin
23 précédent dans le jeu de documents que nous avons reçus. En demandez-vous
24 le versement?
25 M. Tieger (interprétation): Je pense que nous allons demander un versement
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1 collectif en temps utile.
2 M. le Président (interprétation): Vous voulez que ce soit versé au
3 dossier?
4 M. Tieger (interprétation): Oui.
5 M. le Président (interprétation): Nous allons donner une cote à ce
6 document.
7 Je m'adresse à la Greffière d'audience: est-ce que les pièces sont
8 clairement indiquées au dossier? Si c'est le cas, nous pourrons passer à
9 la présentation des moyens à décharge.
10 Mme Anoya (interprétation): La déclaration sera la pièce S13. Nous avons
11 numéroté les pièces de l'accusation par "S" et ce document constituera la
12 dernière pièce dans la série, à savoir la pièce S13.
13 M. le Président (interprétation): Oui, Maître Pavich, vous avez la parole.
14 M. Pavich (interprétation): Monsieur le Président, Messieurs les Juges,
15 nous appelons à la barre M. Milorad Dodik.
16 (Le témoin, M. Milorad Dodik, est introduit dans le prétoire.)
17 (Interrogatoire principal du témoin, M. Milorad Dodik, par Me Pavich.)
18 M. le Président (interprétation): Je vais demander au témoin de donner
19 lecture de la déclaration solennelle.
20 M. Dodik (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la
21 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
22 M. le Président (interprétation): Je pense que nous n'avons pas reçu de
23 traduction, semble-t-il?
24 (Les interprètes en cabine anglaise demandent si la traduction passe.)
25 Je n'ai pas reçu cette partie-là et puis, ceci n'apparaît pas au compte
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1 rendu d'audience.
2 Est-ce que vous pouvez recommencer, Monsieur le Témoin?
3 M. Dodik (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la
4 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
5 M. le Président (interprétation): Je vous remercie. Veuillez vous asseoir.
6 (Le témoin s'exécute.)
7 Vous avez la parole, Maître Pavich.
8 M. Pavich (interprétation): Monsieur le Témoin, veuillez décliner votre
9 identité et veuillez épeler votre nom de famille.
10 M. Dodik (interprétation): Milorad Dodik, D-O-D-I-K, M-I-L-O-R-A-D.
11 Question: Merci d'avoir accepté de comparaître aujourd'hui.
12 Pourriez-vous nous dire si vous avez une position en tant qu'élu en
13 Republika Srpska aujourd'hui?
14 Réponse: Oui. Aujourd'hui, je n'ai pas de fonction particulière; je suis
15 seulement député à l'assemblée nationale de la Republika Srpska et je me
16 trouve à la tête d'un parti politique là-bas.
17 Question: Quels sont vos devoirs et responsabilités en tant que
18 parlementaire au Parlement de la Republika Srpska?
19 Réponse: Eh bien, ces devoirs sont prescrits par la loi, à savoir que je
20 suis tenu de prendre part aux sessions du Parlement et, conformément au
21 programme politique que je représente, je suis là-bas pour représenter les
22 intérêts des électeurs qui m'ont fait confiance aux élections.
23 Question: Pourriez-vous nous donner le nom de votre parti politique?
24 Réponse: Ce parti s'appelle "Alliance des Socio-démocrates indépendants";
25 il intervient sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine toute entière. Il
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1 s'agit d'un parti parlementaire qui est présent au niveau de la Republika
2 Srpska et au niveau de l'autre entité qui existe dans cette Fédération de
3 Bosnie-Herzégovine. Et ce parti intervient au niveau des institutions
4 conjointes de la Bosnie-Herzégovine.
5 Pour ce qui est de la composition parlementaire de la Republika Srpska, je
6 préciserai qu'il est des députés qui sont originaires du groupe ethnique
7 serbe et du groupe ethnique croate. Donc c'est un parti pluriethnique.
8 Question: Et quelles fonctions ou positions avez-vous dans ce parti?
9 Réponse: Je suis président de ce parti politique, et ceci depuis la
10 création du parti en 1996.
11 Question: A quel moment avez-vous commencé à être actif en politique dans
12 cette région?
13 Réponse: J'ai commencé à être actif après la fin de mes études, des études
14 à la Faculté de sciences politiques à Belgrade, donc depuis 1985 à peu
15 près. Et c'est jusqu'en 1990 que je suis intervenu au niveau local. J'ai
16 été président des autorités locales dans une municipalité qui s'appelle
17 Laktasi depuis 1988 jusqu'à la fin de 1990.
18 Question: Est-ce que, au cours de l'automne 1990, il y a eu… ou je dirai
19 plutôt au cours de l'été 1990, est-ce qu'il y a eu des élections
20 importantes qui se sont tenues en Bosnie-Herzégovine?
21 Réponse: Oui, il s'est tenu des élections cette année-là, en automne, et
22 c'est la première fois que nous avons eu des élections pluripartites.
23 L'importance de ces élections est précisément celle d'avoir eu plusieurs
24 partis aux élections, alors que jusque là nous n'en avions qu'un seul.
25 J'étais membre de l'Alliance des forces réformistes, un parti qui avait
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1 été créé au niveau de l'ex-Yougoslavie toute entière. Son président avait
2 été le Premier ministre de l'époque, le Premier ministre de la
3 Yougoslavie, à savoir M. Ante Markovic, alors qu'en Bosnie-Herzégovine, le
4 représentant de ce parti pour la Bosnie-Herzégovine était le Dr, le Pr
5 Nenad Kecmanovic, originaire de Sarajevo. J'étais président du comité
6 régional de ce parti pour la ville de Banja Luka et j'avais fait partie de
7 la direction au sommet de ce parti, pour ce qui est de la Bosnie-
8 Herzégovine.
9 Maintenant, à ces élections-là, j'étais devenu député, représentant de ce
10 parti au Parlement de la Bosnie-Herzégovine de l'époque. Nous étions en
11 tout et pour tout 12, voire 13 personnes à être originaires de ce parti-
12 là; et nous étions un parti d'opposition.
13 Question: Pouvez-vous, en quelques mots, nous dire quel était le programme
14 politique de votre parti?
15 Réponse: La plate-forme politique avait consisté en la sauvegarde de la
16 Yougoslavie, en sa qualité de communauté qui était censée être soumise à
17 des transformations, pour ce qui est notamment du caractère de la
18 propriété dans le pays. En effet, pour ce qui est des relations entre les
19 peuples et les Républiques, ces relations étaient censées être résolues de
20 façon pacifique, par négociations. La finalité de notre intervention était
21 celle de faire en sorte que les Républiques demeurent dans cette
22 communauté au sein de laquelle il y aurait une politique extérieure, une
23 sphère monétaire et le secteur de l'armée qui devaient être communs;
24 l'espace économique devait être commun également. L'objectif avait donc
25 été de préserver la communauté en tant que telle et de préparer ces
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1 territoires-là pour en faire partie intégrante des intégrations
2 européennes, à savoir aux fins d'un rapprochement avec l'Union européenne.
3 Question: Monsieur Dodik, vous avez mentionné d'autres partis qui avaient
4 participé à ces élections. Quel était l'autre parti le plus important qui
5 existait, au cours de cette campagne électorale?
6 Réponse: En Bosnie-Herzégovine, il y a eu émergence de plusieurs partis
7 politiques, à l'époque; un très grand nombre de ces partis se sont
8 présentés aux élections. Mais le parti le plus important avait été le
9 parti de l'Action démocratique, à savoir le parti de M. Izetbegovic, qui
10 avait adopté une attitude exclusivement nationaliste; et c'était le
11 premier parti de ce caractère-là à avoir été formé sur le territoire de la
12 Bosnie-Herzégovine.
13 Par la suite, il a été mis en place un Parti démocratique serbe et un HDZ
14 qui avait existé en Croatie; donc, ayant existé en Croatie, il a créé une
15 ramification en Bosnie-Herzégovine.
16 Ces trois partis politiques avaient été les partis les plus forts et
17 c'étaient eux qui avaient remporté les élections. Il y avait cette
18 Alliance des forces réformatrices auxquelles j'avais appartenu, et un
19 parti SDP qui était le Parti des communistes réformés. Il y avait un
20 certain nombre de petits partis, de partis mineurs tels que le Parti
21 libéral et autres partis plus petits encore.
22 Question: Vous avez présenté un des partis comme étant un parti
23 nationaliste. Est-ce qu'il y avait d'autres grands partis, à votre avis,
24 qui avaient épousé une cause nationaliste?
25 Réponse: Oui. Il y avait le SDS qui avait pris des positions consistant en
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1 la défense des intérêts nationaux serbes. Il en va de même pour le HDZ qui
2 s'était prononcé en faveur de la défense des intérêts nationaux croates en
3 Bosnie-Herzégovine ou en ex-Yougoslavie, d'une manière plus générale.
4 Et s'agissant du SDA, le Parti de l'action démocratique, c'était un parti
5 qui avait profilé sa politique pour ce qui est de la défense des intérêts
6 nationaux des Musulmans, des Bosniens.
7 Le SDS, lui, s'était placé au service des intérêts nationaux serbes; alors
8 que le HDZ, lui, s'était fait défenseur ou promu défenseur des intérêts
9 nationaux croates.
10 Donc c'étaient les trois principaux partis qui avaient représenté trois
11 communautés ethniques en présence.
12 Question: Est-ce que Mme Biljana Plavsic a manifesté certaines activités
13 au cours de cette campagne?
14 Réponse: J'ai entendu parler du nom de Mme Biljana Plavsic avant cela
15 encore, parce qu'elle avait fait partie de la vie académique de Bosnie-
16 Herzégovine. Par la suite, après ces élections, je n'ai pas été au courant
17 de son engagement politique. Mais la première fois où j'ai remarqué sa
18 présence, c'est quand elle avait déposé sa candidature aux fonctions de
19 membre de la Présidence de Bosnie-Herzégovine au-devant de la population
20 serbe. Cette présidence, qui était constituée de sept personnes, élisait
21 deux membres de chaque groupe ethnique, donc du groupe ethnique musulman,
22 du groupe croate et du groupe serbe; et un membre de la Présidence était
23 censé représenter les autres groupes ethniques en présence en Bosnie-
24 Herzégovine. Donc c'est la première fois, à ce moment-là, que j'ai
25 remarqué le nom de Mme Plavsic sur la liste des candidats à la Présidence
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1 de Bosnie-Herzégovine.
2 Question: Est-ce que vous la connaissiez du fait de la réputation dont
3 elle jouissait, à l'époque?
4 Réponse: Je vous ai dit que, jusque-là, j'avais entendu parler de Mme
5 Plavsic uniquement pour ce qui est des titres académiques qui étaient les
6 siens; elle était un professeur très respecté à l'Université de Sarajevo.
7 S'agissant de la campagne préélectorale qui a été conduite dans le cadre
8 du SDS, elle s'était présentée aux rassemblements électoraux, mais je n'ai
9 pas remarqué un très important engagement de sa part. En tout état de
10 cause, elle avait été le candidat de ce parti à l'époque et moi, j'ai
11 conduit la campagne du parti auquel j'appartenais moi-même. En quelque
12 sorte, nos partis respectifs étaient opposés l'un à l'autre. Cependant, je
13 dois préciser qu'à l'époque, je n'avais pas remarqué, noté un engagement
14 politique d'importance de sa part.
15 Les élections ont montré que ces trois groupes ethniques avaient apporté
16 un soutien inaltéré aux représentants de leur propre groupe ethnique; donc
17 les Serbes ont voté pour le SDS, les Bosniens pour le SDA et les Croates
18 pour le HDZ. Très peu de gens avaient voté en faveur de l'Alliance des
19 forces réformatrices ou pour le SDP de Bosnie-Herzégovine.
20 Question: Et quels ont été les résultats de ces élections en ce qui
21 concerne Mme Plavsic?
22 Réponse: Elle a bénéficié de la confiance du peuple, et ceci à des
23 élections à vote direct. Elle était sur une liste conjointe de son parti
24 pour la présidence et elle représentait le peuple serbe dans la présidence
25 au côté de M. Koljevic, qui était également membre serbe de la présidence
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1 de Bosnie-Herzégovine.
2 Pour ce qui est des Bosniens, il y avait Alija Izetbegovic et Fikret Abdic
3 et, chez les Croates, je sais qu'il y avait Franjo Boras. Et je ne sais
4 plus qui était le second. Les autres étaient représentés par Ejup Ganic.
5 Question: Vous venez de mentionner ces trois partis plus nationaux, à
6 vocation nationaliste. Est-ce qu'ils ont continué à promouvoir les
7 intérêts de leur groupe ethnique respectif, d'après ce que vous avez pu en
8 juger, pendant toute l'année 1990, mais en 1991 aussi?
9 Réponse: Ce que j'ai pu voir, c'était une collaboration au niveau de ces
10 trois partis et cela a contribué à la mise en place des institutions du
11 pouvoir en Bosnie-Herzégovine. C'est partant des concertations entre ces
12 trois partis politiques qu'il a été créé un gouvernement, à savoir un
13 conseil exécutif de la Bosnie-Herzégovine. C'est suivant ces accords entre
14 partis qu'ils auraient appartenu à un certain nombre de postes
15 ministériels, suivant le nombre de votes, et à la tête du parlement
16 conjoint se trouvait M. Momcilo Krajisnik.
17 Pendant un peu moins d'un an, vers le mois de juin 1991 -donc, depuis les
18 élections jusqu'au mois de juin, il y a eu une bonne coopération entre ces
19 trois partis politiques-, au mois de juin 1991, il arrive une chose, à
20 savoir le Parlement croate décide de quitter la Yougoslavie en tant que
21 communauté, et la discorde commence à ce moment-là entre les partis
22 politiques en présence; et la situation devient plus complexe.
23 Le HDZ et le SDA avaient soutenu le droit à la Croatie de faire sécession
24 à l'égard de la Yougoslavie; le SDS avait exigé, avait demandé, avait
25 propagé l'idée de faire en sorte que l'on reste tous ensemble en
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1 Yougoslavie. Donc, suite à cet événement-là, il y a eu des divergences
2 politiques importantes entre les trois partis politiques en présence.
3 Question: Madame Plavsic a-t-elle gardé son poste pendant toute cette
4 période, jusqu'en juin 1991, au sein du gouvernement de Bosnie-
5 Herzégovine, en tant que l'un des deux représentants serbes au sein de la
6 présidence?
7 Réponse: Il s'agissait de la présidence de Bosnie-Herzégovine. Oui, Mme
8 Plavsic est restée à ce moment-là à ces fonctions. Et j'ai pu la voir
9 assister aux sessions du Parlement. Elle était essentiellement présente,
10 mais je ne me souviens pas qu'elle ait pris la parole à ces sessions-là.
11 Question: Est-ce qu'elle était encore une des dirigeantes du SDS au cours
12 de cette période?
13 Réponse: Oui, je pense qu'à l'époque, elle était membre du SDS. Et, pour
14 autant que je le sache, elle n'était pas membre de la direction au sommet
15 du parti, mais elle avait été membre du parti. J'étais député d'un parti
16 de l'opposition au Parlement de l'époque.
17 Question: Et pendant combien de temps êtes-vous resté parlementaire de
18 l'opposition au Parlement?
19 Réponse: Eh bien, autant que cela existait, je crois qu'il s'agissait du
20 mois de février 1992, date à laquelle s'est tenue la dernière session de
21 ce Parlement, ou peut-être fin janvier de la même année. Donc depuis le
22 mois de juin jusqu'à ce mois de février, on a pu assister à des débats
23 politiques essentiellement au Parlement. A l'occasion de ces sessions du
24 Parlement, c'étaient notamment des sujets politiques qui étaient sur le
25 tapis.
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1 On a remarqué la participation au débat des présidents des trois
2 représentants ou chefs politiques, M. Izetbegovic, M. Karadzic ou M.
3 Stjepan Kljujic, qui avait été à la tête du HDZ en Bosnie-Herzégovine à
4 l'époque. C'est là qu'on a eu l'idée d'organiser un référendum auquel la
5 population était censée se prononcer au niveau de l'indépendance de la
6 Bosnie-Herzégovine. Cette décision a été prise en automne. Et...
7 Question: En automne 1991, Monsieur le Témoin?
8 Réponse: Oui, c'est cela. Et à l'époque, la décision a été prise par la
9 majorité des voix des deux partis politiques; le SDA -le parti de M.
10 Izetbegovic- et le HDZ -le parti qui était présidé par M. Stjepan Kljujic-
11 s'étaient prononcés contre la tenue de ce référendum le parti politique
12 serbe.
13 Nous autres qui faisions partie de l'opposition, avions compris que la
14 question était très grave et qu'elle était susceptible de produire une
15 crise très profonde, voire la guerre. Nous n'avons pas pris part au vote,
16 mais nous avons estimé que la question devait être évitée.
17 Question: A quel moment ce vote a-t-il eu lieu?
18 Réponse: Je crois que cela s'est passé vers la fin de cette année-là. La
19 réaction des gens avait été la suivante: les Serbes n'ont pas pris part au
20 référendum, ne sont pas allés voter, mais le référendum a bénéficié de la
21 majorité des deux autres groupes ethnique en présence.
22 Je pense que c'est l'événement qui a défini ou qui a déterminé les
23 conflits ultérieurs, les grands conflits qui sont survenus ultérieurement,
24 parce que l'impression qui s'était créée était celle de devoir assurer une
25 majorité formelle pour procéder à des changements, des transformations de
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1 statut, chose qui avait fait l'objet d'un forcing de la part des Musulmans
2 et des Croates.
3 D'autre part, les Serbes s'étaient sentis en péril parce que chacune des
4 décisions ultérieures pouvait être prise en moyennant une majorité contre
5 eux.
6 Je dois vous dire que je n'ai pas pris part moi-même au vote, à ce
7 référendum parce que j'avais pensé que cela n'apporterait rien de bon à la
8 Bosnie-Herzégovine et à la région dans son ensemble.
9 Question: Pourriez-vous nous décrire la situation politique qui s'est
10 présentée à la suite de ce référendum jusqu'au moment où vous, vous avez
11 quitté votre fonction de parlementaire au Parlement?
12 Réponse: Eh bien, en règle générale, la situation était plutôt euphorique
13 de part et d'autre, pour les deux parties que j'ai décrites. Les Bosniens
14 et les Croates se sont volontiers présentés au référendum, et ont apporté
15 leur soutien à la Constitution de la Bosnie-Herzégovine en tant qu'Etat
16 indépendant séparé de l'ex-Yougoslavie. Les Serbes ont été plutôt
17 résignés. Là où il y avait une majorité serbe, les gens n'étaient pas
18 allés voter du tout. Cela a contribué à l'approfondissement du fossé
19 politique sur des bases ethniques et, pour des raisons que j'ai citées; à
20 savoir un sentiment de domination de la part d'une majorité des deux
21 autres groupes ethniques.
22 J'ai l'impression que les événements ultérieurs ont été essentiellement en
23 corrélation avec ce débat qui visait à prouver le fait d'avoir eu un
24 référendum justifié ou pas justifié, d'avoir eu un référendum qui s'est
25 bien fait dans les règles de l'art ou pas. Chacun avait des arguments en
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1 faveur ou contre.
2 Il survient par la suite une chose, à savoir que les groupes
3 parlementaires des députés serbes -je crois que c'était en novembre 1991-
4 ont constitué une assemblée à part des députés serbes de Bosnie-
5 Herzégovine. Cette assemblée avait pour objectif de continuer à affirmer
6 et à défendre ce que l'on avait jugé, à l'époque, faire partie des
7 intérêts nationaux serbes. C'était en corrélation avec la survie de la
8 communauté yougoslave telle qu'elle avait existé auparavant.
9 En Croatie, les conflits armés à grande échelle avaient déjà commencé et,
10 sans aucun doute, ceci a eu une grosse influence sur les événements en
11 Bosnie-Herzégovine.
12 Question: Est-ce qu'à un moment donné, les actes entrepris par les
13 dirigeants serbes ont débouché sur une déclaration, déclaration
14 gouvernementale de constitution de gouvernement de la part des Serbes?
15 Réponse: Oui, c'est l'événement qui était en corrélation avec la mise en
16 place de cette assemblée de la part des assemblées serbes. A ce moment-là,
17 le gouvernement n'avait pas encore été élu. Il était évident déjà que le
18 conflit était amorcé et qu'il n'y avait plus possibilité de préserver les
19 organes en place de cette Bosnie-Herzégovine.
20 Question: Vous nous avez dit, je pense, que vous avez quitté le Parlement
21 de Sarajevo au cours du printemps 1992. Est-ce exact, Monsieur Dodik?
22 Réponse: Au printemps, le Parlement de Bosnie-Herzégovine ne fonctionnait
23 plus. Il n'était physiquement plus possible d'assurer la continuité du
24 fonctionnement de ce Parlement de Bosnie-Herzégovine. Après le mois de
25 février, en effet, il y avait déjà eu des conflits armés sporadiques et,
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1 début avril de cette année-là, les conflits à grande échelle ont commencé,
2 ce qui a rendu impossible la tenue des sessions du Parlement de Bosnie-
3 Herzégovine. J'ai participé à la dernière des sessions de ce parlement; je
4 crois que c'est la session de fin janvier ou de tout début février de
5 cette année, 1992.
6 Question: Vous avez dit qu'il y avait eu proclamation d'un gouvernement
7 serbe. Est-ce que ce gouvernement se composait notamment d'une présidence
8 au cours de cette période dont nous parlons, à savoir le printemps 1992?
9 Réponse: Je pense que l'on n'avait pas proclamé à ce moment-là une
10 présidence serbe. Je ne puis l'affirmer avec certitude pour ce qui est du
11 mois, mais je crois que c'est peut-être en mars qu'il a été institué un
12 Gouvernement de la République serbe de Bosnie-Herzégovine, et ceci par les
13 soins de cette assemblée qui s'est tenue en novembre 1991.
14 Question: Est-ce que Mme Plavsic a occupé un poste au sein de ce
15 gouvernement?
16 Réponse: Elle était membre de la Présidence de Bosnie-Herzégovine qui
17 fonctionnait encore, à l'époque. Elle était membre d'un organe, d'une
18 instance, aux fonctions auxquelles elle avait été élue aux élections
19 d'octobre 1990. Cette présidence s'était employée en faveur de
20 l'apaisement de ces conflits sporadiques, en faveur de tentatives
21 d'apporter des solutions par des voies pacifiques.
22 Et ce que je sais, ce que j'ai remarqué, c'était un engagement de la part
23 de Mme Plavsic, au cours de ces mois-là précisément, aux côtés de M.
24 Fikret Abdic et de M. Franjo Boras. Je sais qu'ils sont allés à Bosanski
25 Brod, endroit où il y a eu des incidents; je sais qu'ils sont allés à
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1 Bijeljina et je sais qu'ils sont allés à Kupres, en leur qualité de
2 représentants de la Présidence de Bosnie-Herzégovine de l'époque. Cette
3 présidence-là avait envoyé une délégation mixte sur le terrain aux fins
4 d'essayer d'assainir la situation; et je crois que le Parlement et le
5 Gouvernement de l'époque avaient, en grande mesure, cessé de fonctionner.
6 Question: Et est-il arrivé un moment où la Présidence, telle qu'elle avait
7 été créée à la suite des élections de 1990, a cessé de fonctionner?
8 Réponse: Oui. Je pense que c'est après le mois d'avril que cela s'est
9 fait. Je ne sais plus s'il y a eu des sessions ultérieures de cette
10 Présidence; présidence créée, comme on l'a dit, fin 1990. Mais je ne sais
11 pas… Je pense qu'il y en a eu encore peut-être fin avril, mais je n'en
12 suis pas certain.
13 Mais après le début des conflits à grande échelle, lorsqu'ils ont
14 commencé, et suite à cette homogénéisation nationale, tous ceux qui
15 avaient été élus par ces groupes ethniques étaient restés dans le cadre
16 des partis politiques et des groupes ethniques en présence.
17 Question: Veuillez vous consacrer sur la période suivante: celle qui va
18 d'avril 1992 jusqu'à la fin de l'année 1992.
19 A ce moment-là, la Présidence de la Bosnie-Herzégovine telle qu'elle avait
20 été élue en 1990 n'existait plus. Est-ce que, à ce moment-là, Mme Plavsic
21 occupait un poste quelconque au sein de la Republika Srpska? Nous parlons
22 de la période allant d'avril à décembre 1992.
23 Réponse: Ce que je sais, c'est qu'il y a eu plusieurs assemblées de cette
24 République serbe de Bosnie-Herzégovine, sessions de l'assemblée où Mme
25 Plavsic n'a pas pris part. Je pense qu'à l'époque, elle devait se trouver
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1 à Sarajevo et que ce n'est que vers le début du mois de juin qu'elle a
2 quitté Sarajevo, avec l'assistance et dans l'organisation des effectifs
3 internationaux.
4 Question: Excusez-moi de vous interrompre. Pourquoi était-il devenu
5 nécessaire pour elle de quitter Sarajevo avec l'assistance des forces
6 internationales?
7 Réponse: Ce que je sais, c'est que c'est arrivé. Je ne sais pas vous dire
8 si Mme Plavsic, en sa qualité de personnalité importante, était exposée à
9 des périls, elle et sa famille, en raison des conflits survenus à Sarajevo
10 même. Mais après ce mois de juin, sa présence là-bas était dangereuse pour
11 elle et pour sa famille; c'est ce que j'ai cru comprendre et je crois
12 qu'il en a été ainsi. Et la direction serbe, à ce moment-là, se trouvait
13 déjà à Pale.
14 Question: Est-ce que Mme Biljana Plavsic est restée membre de cette
15 direction –nous parlons ici de la période qui va jusqu'à la fin de 1992-,
16 pour autant que vous ayez pu en juger?
17 Réponse: J'imagine que les communications étaient devenues impossibles
18 pendant qu'elle était à Sarajevo, pour ce qui est des membres de cette
19 direction, donc, qui se trouvaient d'une part à Pale et les autres à
20 Sarajevo. Je pense qu'après cette étape-là, elle était présente aux
21 sessions du Parlement que nous avions et j'ai, à ce moment-là, remarqué sa
22 présence.
23 Je ne sais pas quand elle a démissionné de ses fonctions au niveau de la
24 Présidence de la Bosnie-Herzégovine mais je sais qu'il en avait été
25 question, pendant une période de temps.
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1 Il avait été mis en place une autre Présidence, Présidence de la
2 République serbe de Bosnie-Herzégovine; je pense que c'est ainsi que cela
3 s'appelait.
4 Question: Seriez-vous en mesure de nous dire la situation qui était la
5 vôtre au cours de cette période allant d'avril à décembre? Est-ce que vous
6 avez conservé vos postes que vous aviez jusqu'alors, que ce soit en tant
7 que représentant ou au sein du Gouvernement?
8 Réponse: Je n'ai occupé aucune fonction dans le cadre du pouvoir, à
9 l'époque. Je dois dire plutôt que, dans des temps pareils, il était normal
10 de prendre part à la vie du Parlement, à la vie du Parlement de la
11 République serbe de Bosnie-Herzégovine. Et en ma qualité de député, j'ai
12 participé aux sessions et aux activités de ce Parlement. Je n'ai jamais
13 été membre du Parti démocratique serbe, pour ma part; et, à cette époque-
14 là, j'ai pris part aux activités, conformément au sentiment qui était le
15 mien, pour ce qui est des activités politiques à déployer.
16 Donc, indépendamment des temps durs que nous avions vécus, je crois que
17 j'ai été reconnaissable ou distingué au niveau du Parlement comme étant
18 une personne qui avait réfléchi de façon autre.
19 Au bout d'un certain temps, j'ai été mobilisé dans l'armée de la Republika
20 Srpska, armée qui, au mois de mai, est devenue l'armée de la Republika
21 Srpska et j'y suis resté engagé ou mobilisé jusqu'à la fin de cette année-
22 là.
23 En même temps, j'ai pris part à plusieurs sessions du Parlement, ou plutôt
24 de l'assemblée de la Republika Srpska.
25 Question: Nous sommes maintenant fin 1992. Est-ce que vous avez constaté
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1 que Mme Plavsic s'était séparée, s'était dissociée des dirigeants du SDS?
2 Réponse: Je parle de ce que j'ai pu remarquer aux sessions du Parlement.
3 Je n'avais pas disposé d'informations sur ce qui se passait à d'autres
4 réunions, ce qui se passait au niveau de leurs relations mutuelles, mais
5 en tout état de cause, vers la fin de cette année-là -j'entends une
6 session du Parlement qui s'était tenue à Prijedor-, il était devenu
7 apparent que Mme Plavsic avait adopté des positions tout à fait
8 différentes à l'égard de la situation dans son ensemble, à l'égard du fait
9 qu'un groupe informel de profiteurs de guerre avait mis à profit tout ce
10 qui se passait pour s'enrichir personnellement; elle s'était
11 personnellement opposée, avec véhémence, à leurs agissements. Et ce groupe
12 se trouvant en partie au sommet même de la Republika Srpska, elle est
13 intervenue. Ce qui est certain, c'est que l'impression avait été celle de
14 voir une divergence très nette sur cette question-là.
15 Question: A partir de ce moment-là, comment décririez-vous ses rapports,
16 les rapports de Mme Plavsic avec les dirigeants du SDS, ou lors de cette
17 confrontation qui intervient fin 1992?
18 Réponse: C'était particulièrement chose présente à ces sessions du
19 Parlement: c'est là qu'on pouvait voir une divergence très nette entre les
20 points de vue avancés par Mme Plavsic et ceux avancés par le reste de la
21 direction de l'époque pour la Republika Srpska.
22 Je crois que ce conflit avait quelque chose à voir avec les activités de
23 plusieurs ministres, le ministre de la Justice et de la Police à l'époque,
24 notamment. Je me souviens que Mme Plavsic s'était attaquée vigoureusement
25 à la pratique de ce ministère et je parle, là, de la fin de l'année 1992,
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1 début 1993.
2 Madame Plavsic était encore membre de la Présidence ou plutôt vice-
3 Présidente de la Republika Srpska. Mon rôle à moi et ma présence avaient
4 quelque chose à voir avec les remarques qui étaient les miennes et que je
5 viens de vous communiquer. Le Parlement de la Republika Srpska se
6 constituait du Parti démocratique serbe essentiellement. Et je dois dire
7 que j'ai été témoin de plusieurs propositions faites par Mme Plavsic, mais
8 qui n'ont pas été acceptées par le Parlement ou par le parti en question,
9 s'agissant des activités déployées par les deux ministères. Elle s'était
10 employée en faveur de la révocation de ces deux ministres et elle avait
11 dit que les choses devaient être placées sous contrôle, parce qu'il y
12 avait un fort mécontentement pour ce qui se passait. Et je crois que les
13 débats prédominants étaient ceux de savoir s'ils allaient être écartés ou
14 pas du gouvernement.
15 Question: Je pense qu'elle a gardé cette fonction de vice-Présidente
16 jusqu'en 1996, à un moment donné en 1996: est-ce exact, Monsieur Dodik?
17 Réponse: Oui, c'est exact. Elle avait été vice-Présidente de la Republika
18 Srpska tout au long de ces années. Et une fois de plus, je tiens à
19 préciser que la connaissance que j'ai de ses positions est celle du
20 Parlement de la Republika Srpska. Je précise aussi que son combat en
21 faveur de la normalisation des activités du gouvernement était celui qui
22 visait à orienter le travail, les activités du gouvernement, pour aider
23 les réfugiés serbes qui venaient de Croatie ou de la Fédération de Bosnie-
24 Herzégovine, qui étaient, de mois en mois, de plus en plus nombreux. Et
25 elle avait pris part à tous les débats qui avaient revêtu un caractère
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1 humanitaire, pour ce qui est, notamment, des réfugiés qui étaient arrivés
2 sur le territoire de la Republika Srpska.
3 Je sais qu'elle est allée visiter des sites, des écoles, des salles de
4 sport ou des salles de production d'usine où l'on avait logé des réfugiés.
5 Elle avait exigé l'adoption d'un programme approprié de la part du
6 gouvernement pour ce qui est de l'hébergement et de l'accueil de toutes
7 ces personnes-là.
8 Question: Est-ce que, d'après vous, c'était son travail le plus important
9 au cours de cette période, après qu'elle eut pris ses distances par
10 rapport aux dirigeants du SDS, et ce jusqu'en 1996?
11 Réponse: Je pense que c'était le seul engagement qu'elle ait eu,
12 concernant ces questions humanitaires. C'est avec une certitude absolue
13 que je peux affirmer devant ce Tribunal que mon sentiment, pendant ces
14 jours, ces mois et ces années, était que Mme Plavsic, sur le plan
15 politique, avait été complètement marginalisée, pour ce qui est de la
16 direction de la Republika Srpska et s'agissant du plan politique. Donc ces
17 positions avaient fait l'objet de votes opposés par la majorité et j'ai
18 été témoin direct d'une situation analogue.
19 Question: Vous avez signalé qu'elle avait été vice-Présidente jusqu'en
20 1996. Qu'est-ce qui est intervenu? Qu'est-ce qui s'est passé qui l'a
21 forcée à abandonner ses fonctions?
22 Réponse: Je pense qu'elle était formellement restée membre de la
23 Présidence ou vice-Présidente de la Republika Srpska jusqu'aux premières
24 élections après Dayton; et c'étaient les élections qui s'étaient tenues en
25 septembre/octobre de 1996.
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1 Entre-temps, vu les fortes pressions exercées sur Karadzic pour ce qui est
2 de quitter ses fonctions de Président, je sais qu'elle avait été, en sa
3 qualité d'adjoint, celle qui a exercé ces fonctions-là à l'issue de ces
4 élections et suite aux négociations, et pour parler avec la communauté
5 internationale pour ce qui était donc de déterminer les modalités de mise
6 en oeuvre des dispositions de ces Accords de Dayton.
7 Question: L'assemblée serbe s'est-elle réunie début 1996 à la suite de la
8 signature des Accords de Dayton, si vous vous en souvenez?
9 Réponse: Oui, je pense qu'il y a eu une session, peut-être également fin
10 janvier ou début février, plutôt début février, à la montagne de Jahorina.
11 Il y a été question des Accords de paix de Dayton. Je sais que l'ambiance
12 disait que l'accord était mauvais pour les Serbes de Bosnie-Herzégovine;
13 le SDS n'avait pas -disait-on- accepté les termes de cet accord et c'est
14 donc sur cet arrière-fond, cette toile de fond que les intervenants
15 prenaient la parole. Nous avions estimé que les Accords devaient être
16 acceptés et qu'il fallait accéder à la réalisation de ceux-ci, notamment
17 aux fins d'aboutir à la paix en Bosnie-Herzégovine et de définir les
18 fondements politiques de cette Bosnie-Herzégovine.
19 A notre avis, ces accords prévoyaient bon nombre de mécanismes pour ce qui
20 est de la protection du groupe ethnique serbe et des institutions
21 conjointes de Bosnie-Herzégovine. Il y avait une protection au niveau de
22 la prise de décision paritaire à tous les niveaux de la Bosnie-
23 Herzégovine. Je dois faire remarquer qu'à ce moment-là, Mme Plavsic -dans
24 une brève intervention- avait été plutôt proche des positions que nous
25 avions défendues. Elle avait été de ceux qui s'étaient employés en faveur
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1 de l'acceptation des Accords de paix de Dayton.
2 La direction sise à Pale avait estimé à l'époque que c'était là une phase
3 transitoire qui devait permettre d'aboutir à une situation tout à fait
4 différente.
5 Question: A cette époque-là, Mme Plavsic soutenait-elle les Accords de
6 Dayton, même si pratiquement tous les dirigeants du SDS étaient opposés à
7 ces Accords?
8 Réponse: J'ai déjà dit qu'il était très difficile à l'époque d'être
9 fermement favorable aux Accords de Dayton, mais ce que j'ai considéré
10 comme un élément positif, c'est que la porte était ouverte, permettant
11 éventuellement de les accepter, car nous étions dans une phase qui
12 éventuellement pouvait aboutir à une acceptation complète des Accords de
13 Dayton.
14 Et je me souviens que Mme Plavsic a déclaré que Dayton n'était pas
15 absolument satisfaisant, que tout le monde était pratiquement opposé à ces
16 Accords, aussi bien les Bosniens que les Serbes, mais que l'avantage était
17 que ces Accords pouvaient permettre de s'engager sur la voie de la paix.
18 Donc il est permis de considérer que ce point de vue était très, très,
19 très éloigné de celui qui consistait à dire qu'il fallait rejeter les
20 Accords de Dayton, qu'ils étaient défavorables, qu'ils ne présentaient
21 aucun intérêt pour le peuple serbe. Or c'était cela qui dominait dans le
22 discours de l'autre partie de la direction.
23 M. Pavich (interprétation): Est-il arrivé un moment où Mme Plavsic est
24 devenue Présidente en exercice? Et si oui, pouvez-vous brièvement,
25 Monsieur Dodik -car il ne nous reste qu'une dizaine de minutes- nous dire
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1 comment cela s'est passé?
2 M. le Président (interprétation): En fait, nous avons commencé l'audience
3 avec un certain retard, à 14 heures 45, donc nous poursuivrons jusqu'à 16
4 heures 15.
5 M. Pavich (interprétation): Merci, Monsieur le Président.
6 M. Dodik (interprétation): Eh bien, je dois dire que j'étais moi-même dans
7 une espèce d'opposition; je le répète. Donc je ne sais pas grand chose de
8 l'événement au cours duquel il y a eu échange de postes entre Mme Plavsic
9 et M. Koljevic d'une part, et M. Karadzic d'autre part.
10 En effet, selon les Accords de Dayton, ce dernier ou plutôt M. Karadzic ne
11 pouvait plus continuer à exercer des activités politiques, il devait donc
12 se retirer. Et ce qui important à mes yeux, c'est qu'une représentante de
13 l'opposition, telle que Mme Plavsic, a fait dans ces conditions le maximum
14 pour préparer de façon objective les élections politiques et les actions
15 des autres partis politiques qui s'étaient créés en Republika Srpska,
16 ainsi que sur tout le territoire de la Bosnie-Herzégovine. Ils étaient
17 nombreux, ces partis. Donc les élections se sont déroulées huit mois après
18 la signature des Accords, ou plutôt neuf mois après la signature des
19 Accords de Dayton. Par conséquent, je sais quel travail elle a accompli
20 pendant cette période.
21 Quant aux détails complémentaires, je ne pourrais pas vous en dire plus,
22 car nous n'avons pas eu de nombreuses rencontres à cette époque-là. Mais,
23 dans ce contexte, je suis en mesure de témoigner que la porte était
24 ouverte à la création d'autres partis politiques et que l'accent était
25 désormais placé sur la possibilité d'être représenté et de poursuivre des
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1 objectifs immédiats dans un autre sens.
2 Question: Madame Plavsic est-elle devenue Présidente élue à un certain
3 moment durant cette période?
4 Réponse: Oui, à l'issue des premières élections qui se sont tenues après
5 la signature des Accords de Dayton.
6 Question: En quelle année, Monsieur Dodik?
7 Réponse: C'était à la fin de 1996.
8 Question: La Présidence exercée par Mme Plavsic avait-elle des pouvoirs
9 extraordinaires et, notamment ce à quoi je pense, c'est le pouvoir de
10 dissoudre le Parlement? Vous souvenez-vous de cela, Monsieur Dodik?
11 Réponse: Suite à ces élections, il n'existait plus de Présidence de la
12 Republika Srpska puisque les fonctions de Président de la République et de
13 vice-Président de la République ont été respectivement inaugurées. L'un
14 des pouvoirs du Président, entre autres, était de dissoudre le Parlement,
15 c'est-à-dire l'Assemblée de la Republika Srpska.
16 Question: Etait-ce un pouvoir qui appartenait à Mme Plavsic à ce moment-
17 là, dans la dernière partie de 1996 et le début de 1997?
18 Réponse: Lorsqu'elle a été élue Présidente de la République, elle avait
19 cette compétence. Elle pouvait dissoudre, entre autres, l'assemblée et
20 susciter de nouvelles élections.
21 Question: Dans cette période qui va de l'automne 1996 à l'été 1997, avez-
22 vous été en mesure de déterminer si elle a continué à apporter son soutien
23 aux Accords de Dayton?
24 Réponse: De nombreuses activités ont eu lieu dans cette période. Le HCR a
25 participé, entre autres, parmi d'autres organisations, à la surveillance
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1 de la mise en œuvre des Accords de Dayton. Donc c'est de cette façon que
2 la communauté internationale a pu vérifier l'application de l'Accord. Et
3 lorsque les premiers représentants sont arrivés en Bosnie-Herzégovine,
4 j'ai remarqué que de nombreuses activités ont eu lieu de la part des
5 organes qui coopéraient avec cette organisation.
6 En tant que représentant de l'opposition, j'ai été assez actif et j'ai vu
7 qu'elle a transféré, entre autres, dès qu'elle est devenue Présidente, le
8 cabinet du gouvernement à Banja Luka. Donc elle n'a pas conservé le siège
9 de Pale.
10 Question: Pouvez-vous nous dire, Monsieur Dodik, à peu près, ce qui s'est
11 passé à quel moment?
12 Réponse: Je pense que ceci s'est passé durant son mandat en tant que
13 Présidente de la République.
14 Question: Savez-vous pourquoi elle a pris cette décision? L'a-t-elle
15 déclarée en public?
16 Réponse: Je crois que l'objectif était de permettre un travail normal des
17 institutions en écartant les obstacles. En tout cas, c'est ce que je
18 pense, car le gouvernement, à l'époque, pensait que Mme Plavsic devait
19 n'être qu'exécutante des décisions prises.
20 Question: Etait-ce une décision du SDS à l'époque, Monsieur Dodik?
21 Réponse: Ce n'était pas une décision très visible à l'époque, mais les
22 événements qui sont survenus par la suite ont indiqué très clairement
23 qu'il existait, au sein de la direction de la Republika Srpska, des
24 divergences de vue. Ceci a pu se constater dès le début du mandat de Mme
25 Plavsic car, grâce aux institutions, elle a engagé des poursuites eu égard
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1 à une affaire criminelle importante, et elle a fait intervenir la police
2 et d'autres organes pour que cette affaire soit traduite en justice comme
3 il se devait.
4 Le simple fait qu'elle se trouve à Banja Luka a été considéré comme une
5 mesure d'opposition. On lui a demandé de revenir à Pale et ceci a
6 constitué un point culminant dans ses divergences.
7 A la mi-1997, pour être plus précis, en juillet 1997, elle a fait usage de
8 son pouvoir en démantelant l'Assemblée de la Republika Srpska et en
9 suscitant de nouvelles élections.
10 Question: Mais avant d'agir de la sorte, à votre avis, ses actions lui
11 avaient-elles fait courir un risque politique quelconque ou un risque
12 personnel quelconque? Lorsque je parle de "ses actions", je veux dire le
13 transfert, notamment, de l'Assemblée de Pale à Banja Luka, et tout ce
14 qu'elle a fait pour obtenir l'application de l'Accord de Dayton? Ses actes
15 précis ont-ils fait courir à Mme Plavsic un danger politique ou personnel,
16 si vous pouvez nous le dire?
17 Réponse: J'ai dit que c'était son cabinet qui fonctionnait à Banja Luka.
18 Le Parlement, lui, opérait toujours à Pale. Et en raison de cela, en
19 raison également du fait que le Parlement était à l'époque directement
20 sous le contrôle de la majorité du SDS, le Parlement a appliqué, à
21 l'époque, la politique qui correspondait à ce parti politique. Je crois
22 que les événements ultérieurs ont indiqué à quel point le fait de
23 démanteler le Parlement a constitué une action dangereuse.
24 Je me souviens que Mme Plavsic à l'époque, passait toutes ses nuits et
25 toutes ses journées au sein du cabinet et qu'elle ne quittait pas son
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1 appartement, entre autres pour des raisons de sécurité.
2 Question: Est-il arrivé un moment où elle était à une conférence
3 internationale et où elle a ressenti le besoin de revenir dans le pays en
4 raison de la crise? Je parle de l'été 1997, c'est-à-dire avant la
5 dissolution du Parlement, mais après le transfert du cabinet à Banja Luka.
6 Réponse: Oui. Elle était allée à Londres pour participer à une réunion et,
7 compte tenu du fait qu'une séance de la direction du SDS avait été
8 convoquée en urgence car la direction du SDS s'était servie du fait
9 qu'elle était absente à ce moment-là -et n'oublions pas que la situation
10 politique était assez négative, à l'époque-, eh bien, en raison de tout
11 cela, elle a pratiquement fait demi-tour à l'aéroport pour retourner en
12 Republika Srpska. Et à son arrivée à Belgrade, elle a été retenue dans une
13 pièce de l'aéroport et déportée quelques moments après jusqu'à la
14 frontière entre la Yougoslavie et la Republika Srpska, donc la Bosnie-
15 Herzégovine. Arrivée en Bosnie-Herzégovine, c'est la police de la
16 Republika Srpska qui a pris la responsabilité de son sort et, plusieurs
17 heures plus tard, des représentants de l'armée de la Republika Srpska
18 l'ont amenée jusqu'à Banja Luka. Elle n'est pas allée à Pale, ce qui était
19 le but initial de la direction du SDS. C'est ce que je sais au sujet de
20 cet incident; en tout cas, c'est la façon dont j'ai interprété ces
21 événements.
22 Question: Lorsqu'elle a été arrêtée et maintenue en détention à Belgrade,
23 était-ce durant l'été 1997, Monsieur Dodik?
24 Réponse: Oui, c'est exact. Je pense que c'était en juillet 1997, à peu
25 près.
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1 Question: Qui présidait la Serbie, à l'époque, Monsieur Dodik?
2 Réponse: C'était M. Milosevic.
3 Question: Mais malgré tout cela, a-t-elle tout de même réussi à dissoudre
4 le Parlement, après cet incident?
5 Réponse: Oui. Plusieurs jours après tout cela, plusieurs jours donc après
6 la prise de décision dont je viens de parler de la part de la direction du
7 SDS à Pale, car son séjour à Londres a servi à ce que le vice-Président de
8 la Republika Srpska de l'époque soit investi en tant que Président à part
9 entière de la Republika Srpska, de façon à acquérir une maîtrise sur le
10 poste de Président; et Mme Plavsic a pris en compte les rapports qui
11 existaient à l'époque, les divergences de vue, les affrontements entre les
12 uns et les autres, et fait usage de son droit constitutionnel de dissoudre
13 le Parlement et de convoquer de nouvelles élections.
14 Question: Avez-vous pris part à ces élections, Monsieur Dodik?
15 Réponse: Oui. A ce moment-là, j'étais déjà Président de l'Alliance des
16 sociaux-démocrates indépendants, parti qui avait été créé le 15 juin 1996;
17 et je dois dire qu'en 1994, vers la fin de 1994, avec un groupe de députés
18 qui ne faisaient pas partie du SDS au sein de ce premier Parlement de la
19 Republika Srpska, j'ai immédiatement créé un groupe de députés
20 indépendants que je présidais.
21 Donc après la signature des Accords de Dayton, le Parti des sociaux-
22 démocrates indépendants a été créé, parti que je présidais et qui a
23 participé aux élections de façon indépendante.
24 Question: Ces élections se sont-elles déroulées à l'automne 1997, Monsieur
25 Dodik?
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1 Réponse: Oui, c'étaient des élections législatives extraordinaires au sein
2 de la Republika Srpska.
3 Question: A ce moment-là, Mme Plavsic s'est-elle officiellement retirée du
4 SDS pour créer un nouveau parti?
5 Réponse: Oui. A ce moment-là, après la dissolution du Parlement, quelques
6 semaines après, un nouveau parti qu'elle a présidé a vu le jour; il
7 s'agissait de l'Alliance nationale serbe. C'était un parti politique qui a
8 été le deuxième parti à l'issue des élections.
9 Question: Ce parti est arrivé second à l'issue des élections, alors qu'il
10 n'existait que depuis quelques mois; c'est bien cela?
11 Réponse: Oui, c'est cela.
12 Question: Quels ont été les résultats généraux de ces élections? Vous nous
13 avez dit que son parti était arrivé deuxième; pouvez-vous nous dire ce
14 qu'il en a été de votre parti, du SDS et des autres partis importants
15 existant à l'époque?
16 Réponse: Eh bien, mon parti a été représenté au Parlement avec un nombre
17 très restreint de députés; nous en avions deux. Mais ce qui comptait, à
18 l'époque, c'était le fait que le SDS n'était plus au contrôle du pouvoir
19 absolu. Relativement, il l'avait emporté, mais il n'était plus un parti
20 capable de disposer de la majorité pour constituer le Gouvernement. Je
21 crois que ces élections ont été caractérisées par ce fait nouveau, à
22 savoir que le SDS ne pouvait plus constituer à lui seul le Gouvernement.
23 Question: Suite à ces élections, Mme Plavsic a-t-elle emporté la
24 Présidence?
25 Réponse: Elle était Présidente. Les élections ne concernaient que les
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1 députés du Parlement. Elle a continué à exercer le mandat qui était le
2 sien, mandat qui durait de 1996 à 1998. Ça, c'était un mandat ordinaire,
3 alors que les élections étaient des élections législatives
4 extraordinaires.
5 Elle est donc restée Présidente de la Republika Srpska, y compris dans
6 cette période, y compris après ces élections; et, en même temps, elle
7 présidait le nouveau parti dont je viens de parler.
8 Question: En tant que Présidente, était-elle habilitée à présenter un
9 candidat au poste de Premier ministre?
10 Réponse: Oui. Elle avait le droit exclusif, en tant que Présidente de la
11 Republika Srpska, de proposer la personne qui se présentait comme candidat
12 au poste de Premier ministre. A cette époque-là, une majorité
13 parlementaire suffisait pour créer le nouveau Gouvernement en dehors du
14 SDS et du Parti radical serbe. Et Mme Plavsic a proposé M. Ivanic au poste
15 de Premier ministre, alors que celui-ci ne présidait aucun parti, à
16 l'époque. A ce moment là, il n'avait aucun engagement politique net, dans
17 la mesure où il n'était membre d'aucun parti particulier; c'était un homme
18 connu dans l'opinion publique comme professionnel, comme expert. Et c'est
19 à M. Ivanic que Mme Plavsic a donné sa confiance comme candidat au poste
20 de Premier ministre.
21 Monsieur Ivanic, pour sa part, a rendu son mandat deux ou trois jours
22 avant la session de l'Assemblée; il l'a rendu à Mme Plavsic en lui disant
23 qu'il ne pouvait pas constituer un gouvernement.
24 Question: A ce moment-là, vous a-t-elle nommé, vous, à ce poste, Monsieur
25 Dodik?
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1 Réponse: Oui. Le mandat consistant à constituer le Gouvernement, elle me
2 l'a confié à moi, à ce moment-là.
3 Question: Y avait-il des partis qui étaient opposés à son intention de
4 vous nommer au poste de Premier ministre, à ce moment-là?
5 Réponse: Oui, surtout le Parti radical serbe qui était très opposé à cela
6 et qui a mené une lutte politique et médiatique contre cette proposition.
7 Mais, en dépit de cela, au Parlement de la Republika Srpska, qui s'est
8 réuni le 18 janvier 1998, un gouvernement a été constitué et j'ai présidé
9 ce gouvernement. Ce gouvernement a été créé grâce à une majorité à
10 laquelle ne participaient ni le SDS ni le Parti radical serbe.
11 Question: Qui étaient les principaux dirigeants du SDS à cette époque-là?
12 A savoir ceux qui étaient opposés à votre nomination?
13 Réponse: Le SDS était toujours le parti politique le plus fort au
14 Parlement. Il avait le plus grand nombre de députés avec le Parti radical.
15 A eux deux, ces partis avaient 39 députés, alors que la majorité absolue
16 était de 42. Donc ils constituaient des partis très puissants.
17 Pour autant que je m'en souvienne, je crois que c'était Aleksa Buha, qui
18 était Président de la Présidence -comme on l'appelait à l'époque- du SDS à
19 l'époque.
20 Question: Qui dirigeait le Parti radical à l'époque?
21 Réponse: A l'époque, le dirigeant du Parti radical en Republika Srpska
22 était Nikola Poplasen. Je dirai pour ma part qu'il était le Président de
23 ce parti dirigé par M. Seselj.
24 Question: Monsieur Dodik, j'aimerais que vous décriviez brièvement à notre
25 intention les efforts accomplis par vous-même et Mme Plavsic au cours de
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1 l'année 1997, alors que vous étiez tous deux en fonction pour poursuivre
2 l'œuvre menant à la mise en oeuvre des Accords de Dayton? Et quelle était
3 votre priorité dans cette application des Accords de Dayton?
4 Réponse: Je dois dire que notre première priorité consistait à intégrer la
5 Republika Srpska sur la scène politique internationale; cela, c'était une
6 priorité. Et par ailleurs, nous souhaitions mettre en place une situation
7 financière qui nous permettrait d'avoir accès au système financier
8 international pour stabiliser et reconstruire la Republika Srpska, après
9 les dommages subis durant la guerre.
10 Je bénéficiais du plein soutien de Mme Plavsic, eu égard à ces deux
11 priorités et, ensemble, nous avons été très actifs sur la scène
12 internationale. Et nous avons assis les dispositions des Accords de Dayton
13 sur des bases plus stables, ce qui a impliqué de communiquer avec les
14 représentants de la communauté internationale et de régler la situation à
15 l'intérieur du pays avec les différentes compétences des membres du
16 gouvernement, ainsi que de participer au travail des institutions de
17 Bosnie-Herzégovine.
18 Ce travail a été une tâche très dure et Mme Plavsic, en tant que
19 Présidente de la République, a contribué pleinement à cette tâche en
20 aidant le gouvernement pendant toute la durée de son existence.
21 Je dois dire que l'un des aspects les plus difficiles des Accords de
22 Dayton était le retour des réfugiés. Or c'était un thème dominant pour
23 nous sur le plan politique à l'époque. Nous estimions qu'il fallait agir
24 officiellement pour garantir le retour de ces personnes et la restitution
25 de leurs biens. Madame Plavsic avec le gouvernement en place à l'époque,
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1 ont appuyé de toutes leurs forces les diverses activités menées dans ce
2 sens à l'époque. Elle était encore Présidente durant le débat très animé
3 qui a eu lieu et qui a abouti à la décision prise en 1999, c'est-à-dire
4 quelques mois après qu'elle a cessé d'exercer les fonctions de Présidente.
5 Mais elle-même et son parti ont été très actifs dans ce débat consistant à
6 restituer leurs biens aux réfugiés qui revenaient.
7 Question: Vous venez de parler de 1999. Donc nous pouvons parler des
8 élections de 1998. Pouvez-vous nous dire si elle a pris des risques
9 politiques au cours de ces élections qui, si je ne m'abuse, ont abouti à
10 sa défaite en tant que candidate à la présidence?
11 Réponse: Effectivement, c'est M. Nikola Poplasen qui l'a emporté en tant
12 que Président du Parti radical serbe et en tant que candidat conjoint du
13 Parti démocratique serbe et du Parti radical serbe.
14 Au sein de la Présidence de Bosnie-Herzégovine, le candidat élu devait
15 représenter une association de partis politiques, une coalition que nous
16 appelions "Sloga". A ce moment-là, Mme Plavsic a abandonné ses fonctions
17 présidentielles. Ceci a été avéré un petit peu plus tard et c'est le
18 candidat du SDS et du Parti radical serbe, M. Krajisnik, qui l'a emporté à
19 ce moment-là.
20 Question: Monsieur Dodik, j'aimerais à présent vous poser une question
21 qui, j'en suis sûr, vous a été posée à de très nombreuses reprises.
22 Comment, en tant que Serbe, pouvez-vous justifier l'œuvre accomplie par
23 vous et par Mme Plavsic, s'agissant de ce que vous avez fait pour
24 faciliter l'application des Accords de Dayton?
25 Réponse: Personnellement, je pense que l'événement dont nous avons parlé,
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1 les activités entreprises par Mme Plavsic, je veux parler de la
2 dissolution du Parlement et de la convocation de nouvelles élections, je
3 pense que c'est cette action qui a permis de poursuivre l'application des
4 Accords de Dayton, pas seulement en Republika Srpska, mais sur l'ensemble
5 du territoire de la Bosnie-Herzégovine.
6 C'est suite à cela qu'un gouvernement acceptable pour la communauté
7 internationale a été mis en place et ce gouvernement souhaitait
8 l'application de l'Accord de Dayton. Nous en avions beaucoup discuté
9 ensemble, nous savions tous les deux que dans les Accords de Dayton il y
10 avait des éléments positifs pour le peuple serbe qu'il importait d'asseoir
11 plus solidement. C'est la raison pour laquelle nous avons considéré les
12 Accords de Dayton comme nous l'avons fait. Autrement dit, nous n'estimions
13 pas que ces Accords de Dayton étaient défavorables au peuple serbe en
14 République serbe de Bosnie-Herzégovine, mais nous pensions que c'était
15 uniquement en assumant la responsabilité de l'application de cet accord
16 qu'il était possible de lui conserver ses aspects positifs. Toute
17 tentative faite pour limiter la portée des dispositions de cet accord
18 avait en général pour conséquence le fait que c'était un représentant au
19 sommet du gouvernement qui reprenait les rênes; et nous estimions que
20 notre responsabilité sur le plan politique et autres consistait à assumer
21 pleinement l'application des Accords de Dayton.
22 Bien entendu, cela a posé quelques problèmes s'agissant de la
23 compréhension de ce qui se passait à ce moment-là, mais jamais la question
24 de savoir si les Accords de Dayton devaient ou ne devaient pas être
25 appliqués ne s'est posée.
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1 Question: Estimez-vous que cette application générale des Accords de
2 Dayton a été utile à tous les habitants de Bosnie-Herzégovine? Et si oui,
3 veuillez expliquer, je vous prie, pour quelles raisons vous pensez cela?
4 Réponse: Oui, il a été tout à fait apparent à l'issue des Accords de
5 Dayton qu'il ne pouvait pas y avoir de vainqueur par les armes en Bosnie-
6 Herzégovine. Donc aucune population ne pouvait l'emporter.
7 D'ailleurs, dans les Accords de Dayton, on trouvait un compromis qui
8 contenait des éléments favorables aux trois populations majoritaires sur
9 le territoire de la Bosnie-Herzégovine à l'époque, mais aucune de ces
10 populations ne devaient l'emporter sur les autres. Ce qui était important,
11 c'était de trouver la voie vers la paix, la voie vers la stabilisation, la
12 voie vers la réconciliation, ou en tout cas vers une meilleure
13 compréhension entre les parties belligérantes quelques moments avant. Et
14 divers partis politiques qui existaient pendant la guerre, divers
15 dirigeants de ces partis politiques, ont maintenu les mêmes positions que
16 ce qu'ils défendaient pendant la guerre et ont en fait interprété les
17 Accords de Dayton uniquement à partir de leurs intérêts personnels; ce
18 qui, dans la réalité, rendait impossible une application complète de ces
19 Accords de Dayton. Mais, comme tout processus, ce processus a été assorti
20 d'un certain nombre de difficultés et de problèmes et je peux confirmer
21 que ce qui s'est passé en 1997 avec ces élections extraordinaires, a
22 permis de maintenir de façon durable et de définir de façon durable la
23 voie suivie par la Republika Srpska dans le respect des dispositions de
24 l'Accord de Dayton.
25 M. Pavich (interprétation): Merci beaucoup, Monsieur Dodik. Je n'ai pas
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1 d'autre question à vous poser.
2 M. Tieger (interprétation): Nous n'avons pas de question pour ce témoin,
3 Monsieur le Président.
4 M. le Président (interprétation): Monsieur Dodik, ceci met un terme à
5 votre déposition. Merci d'être venu devant le Tribunal pénal international
6 pour témoigner. Vous pouvez maintenant vous retirer.
7 Nous suspendons l'audience jusqu'à 9 heures 30 demain matin.
8 (L'audience est levée à 16 heures 15.)
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