Affaire n° : IT-04-74-PT

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Liu Daqun, Président
M. le Juge Amin El Mahdi
M. le Juge Alphons Orie

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
5 octobre 2004

LE PROCUREUR

c/

JADRANKO PRLIC
BRUNO STOJIC
SLOBODAN PRALJAK
MILIVOJ PETKOVIC
VALENTIN CORIC
BERISLAV PUSIC

____________________________________

DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE DE L’ACCUSATION AUX FINS DE MESURES DE PROTECTION S’APPLIQUANT À LA COMMUNICATION DE PIÈCES CONFIDENTIELlES À ENVER HADZIHASANOVIC ET AMIR KUBURA

____________________________________

Le Bureau du Procureur :

M. Kenneth Scott

Les Conseils des Requérants :

Mme Edina Residovic et M. Stéphane Bourgon pour Enver Hadzihasanovic
MM. Fahrudin Ibrisimovic et Rodney Dixon pour Amir Kubura

Les Conseils des Accusés :

MM. Camil Salahovic et Zelimir Par pour Jadranko Prlic
M. Zeljko Olujic pour Bruno Stojic
M. Bozidar Kovacic et Mme Nika Pinter pour Slobodan Praljak
Mme Vesna Alaburic pour Milivoj Petkovic 
M. Tomislav Jonjic pour Valentin Coric
M. Marinko Skobic pour Berislav Pusic

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I (la « Chambre de première instance ») du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal »),

VU la Décision relative à la requête de Hadzihasanovic et Kubura aux fins d’obtenir l’accès à des pièces jointes confidentielles, rendue le 3 septembre 2004, par laquelle la Chambre de première instance a accordé aux accusés Enver Hadžihasanovic et Amir Kubura (les « Requérants ») l’accès aux pièces confidentielles jointes à l’acte d’accusation dressé à l’encontre des accusés dans l’affaire Le Procureur c/ Prlic et consorts, et ordonné à l’Accusation de déposer une requête aux fins de mesures de protection (la « Décision »),

VU la Requête de l’Accusation aux fins de mesures de protection s’appliquant à la communication de pièces confidentielles à Enver Hadžihasanovic et Amir Kubura, datée du 15 septembre 2004 (la « Requęte »), par laquelle celle-ci demande l’autorisation de supprimer de ces pièces tous les éléments qui permettraient d’identifier ou de localiser les témoins qui y sont mentionnés, en précisant que « les autres informations concernant un témoin particulier ne pourront être communiquées que si les Requérants démontrent, en invoquant des raisons sérieuses et légitimes, et de façon significative et précise, en quoi la communication de telles informations est, dans la pratique, justifiée1 »,

VU la Réponse conjointe des Requérants à la requête de l’Accusation aux fins de mesures de protection, datée du 20 septembre 2004 (la « Réponse »), par laquelle ceux-ci 1) indiquent qu’ils « ne voient pas d’objection à se voir accorder l’accès aux pièces confidentielles demandées dont on aurait supprimé au préalable les noms, adresses, coordonnées et autres éléments d’identification des témoins mentionnés » ; 2) demandent que « cette expurgation [soit limitée] aux témoins qui ont effectivement sollicité des mesures de protection ou qui en bénéficient déjà dans d’autres affaires » ; 3) s’agissant des pièces relevant de l’article 70 du Règlement, les Requérants demandent à la Chambre de première instance d’ordonner à l’Accusation de demander aux personnes ou aux entités les ayant fournies l’autorisation de les divulguer et de signaler à la Chambre si cette autorisation lui a été refusée2,

ATTENDU qu’il appartient à la Chambre, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, de trouver un juste équilibre entre le droit d’une partie à consulter des pièces confidentielles nécessaires à la préparation de sa cause et la nécessité d’assurer la protection des témoins et des informations confidentielles3 ; que les mesures de protection accordées précédemment aux témoins concernés par les pièces qui seront communiquées aux Requérants doivent rester entièrement en vigueur ; qu’à ce stade, les Requérants n’ont pas besoin de connaître l’identité des victimes ou témoins protégés pour déterminer si les pièces demandées les aideraient effectivement à préparer leur défense4 ; et qu’il est donc justifié que les pièces où il est question de ces victimes ou de ces témoins soient expurgées avant d’être communiquées aux Requérants ;

ATTENDU, toutefois, que l’Accusation sera peut-être amenée, à un stade ultérieur, à dévoiler des informations concernant ces victimes ou témoins protégés si les Requérants en démontrent la nécessité après avoir examiné les pièces demandées ;

ATTENDU que, sous réserve des dispositions générales de confidentialité imposées par la présente Chambre à la Défense dans l’affaire Prlic et consorts5, en ce qui concerne les pièces concernant ou permettant d’identifier les témoins qui n’ont pas demandé de mesures de protection ou qui ne bénéficient pas encore de mesures de protection accordées dans d’autres affaires, la Chambre de première instance n’est pas convaincue que la communication aux Requérants d’une version non expurgée des pièces demandées menacera l’intégrité de l’information si des ordonnances portant les mesures de protection appropriées sont rendues ;

EN APPLICATION des articles 20, 21 et 22 du Statut et des articles 54 et 75 du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement »),

FAIT DROIT partiellement à la Requête et ORDONNE que l’accès des Requérants aux pièces jointes confidentielles dans Prlic et consorts sera subordonné aux dispositions et mesures de protection suivantes :

1. Aux fins du présent dispositif :

a) le terme « Accusation » désigne le Procureur du Tribunal et son personnel ;

b) le terme « Requérants » désigne les accusés Enver Hadzihasanovic et Amir Kubura, leurs conseils respectifs, les collaborateurs directs et employés de ces derniers, et toute autre personne expressément affectée par le Tribunal aux équipes de la défense des accusés, dont le nom figure sur une liste que chaque conseil principal doit tenir et déposer devant la Chambre saisie de l’affaire des Requérants, à titre confidentiel et ex parte, dans les dix jours de l’entrée en vigueur de la présente ordonnance. Tout ajout ou suppression dans la liste initiale des personnes appartenant aux catégories susmentionnées, qui doivent obligatoirement être identifiées et participent légitimement à la préparation de la défense, est notifié selon les mêmes modalités à la Chambre de première instance dans un délai de sept jours ;

c) le terme « public » désigne l’ensemble des personnes, gouvernements, organisations, entités, clients, associations et groupes autres que les juges du Tribunal international, le personnel du Greffe (qu’il soit affecté aux Chambres ou au Greffe), l’Accusation et les Requérants, tels qu’ils sont définis ci-dessus. Il inclut en particulier, sans s’y limiter, les parents, amis et relations des Requérants, ainsi que les personnes accusées dans d’autres affaires ou actions engagées devant le Tribunal et leurs conseils ;

d) le terme « médias » désigne toute personne travaillant pour la presse écrite ou audiovisuelle, y compris les journalistes, les auteurs, le personnel de la télévision ou de la radio, ainsi que leurs agents ou représentants ;

2. Puisque l’Accusation a déjà pris connaissance des pièces demandées, elle procédera aux expurgations nécessaires et les remettra au Greffe, qui les communiquera aux Requérants ;

3. Les pièces qui relèvent de l’article 70 du Règlement ne seront communiquées que si l’Accusation en fait la demande dès que possible et obtient l’autorisation des autorités concernées ; c’est à elle qu’il incombe d’informer le Greffier le cas échéant ;

4. Les Requérants ne dévoileront aux médias aucune pièce confidentielle ou protégée communiquée par l’Accusation ;

5. Sauf si la préparation et la présentation de leurs moyens le requièrent directement et spécifiquement, et seulement si la Chambre en a donné l’autorisation au préalable, les Requérants s’abstiendront de divulguer au public, aux médias, à leurs parents et à relations :

a) le nom, l’adresse et tout élément qui permettrait d’identifier des témoins ou des témoins potentiels dont le nom est donné par l’Accusation, toute copie ou élément du contenu des déclarations de témoins, ainsi que toute information qui permettrait d’identifier ces témoins et constituerait ainsi une violation des mesures de protection déjà en place, sauf si la préparation des moyens des Requérants le requiert absolument, et toujours avec l’autorisation de la Chambre ;

b) tout élément de preuve (documentaire, audiovisuel, matériel ou autre) ou toute déclaration de témoin, ou la teneur, en tout ou en partie, de tout élément de preuve, déclaration ou déposition antérieure confidentiels qui aura été communiqué aux Requérants ;

6. Si les Requérants estiment que la préparation et la présentation de leurs moyens requièrent directement et spécifiquement de communiquer ces informations, et après avoir obtenu l’autorisation de la Chambre à cet effet, ils informeront tout membre du public auquel seraient montrées ou communiquées des pièces ou des informations protégées (qu’il s’agisse de déclarations de témoins, de comptes rendus de dépositions, de pièces à conviction, de dépositions antérieures, d’enregistrements vidéos ou du contenu de ceux-ci), qu’il ne peut ni copier ni reproduire ni rendre publiques ces pièces ou ces informations protégées, ni les montrer ou les communiquer à qui que ce soit. Toute personne qui se voit confier une telle pièce, qu’il s’agisse d’un original, d’une copie ou d’un double, doit la restituer à la Défense dès qu’elle n’est plus nécessaire à la préparation ni à la présentation des moyens à décharge.

7. Si un membre de l’une des équipes de la Défense se retire de l’affaire, il est tenu de restituer au conseil principal de son équipe toutes les pièces en sa possession ;

8. Les Requérants s’abstiendront de tout contact avec les témoins concernés par les pièces qui doivent être communiquées, sauf si la Chambre en décide autrement et aux conditions fixées par celle-ci ;

9. Sous réserve des mesures de protection et des dispositions énoncées ci-dessus, les mesures de protection s’appliquant déjà aux pièces communiquées restent en vigueur.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 5 octobre 2004
La Haye (Pays-Bas)

Le Juge de la mise en état de la Chambre première instance I
___________
Alphons Orie

[Sceau du Tribunal]


1. Requête, par. 13.
2. Réponse, par. 5 à 7.
3. Le Procureur c/ Tihomir Blaskic, affaire n° IT-95-14-A, Décision relative à la requête des appelants Dario Kordic et Mario Cerkez aux fins de consultation de mémoires d’appel, d’écritures et de comptes rendus d’audience confidentiels postérieurs à l’appel déposés dan l’affaire Le Procureur c/ Blaskic, 16 mai 2002, par. 29.
4. Le Procureur c/ Brdjanin et Talic, affaire n° IT-99-36-PT,
5. Ordonnance aux fins de mesures de protection, 30 juillet 2004.