Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le lundi 19 mai 2008

  2   [Audience publique]

  3   [Les accusés sont introduits dans le prétoire]

  4   --- L'audience est ouverte à 14 heures 15.

  5   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Greffier, appelez le numéro de

  6   l'affaire, s'il vous plaît.

  7   M. LE GREFFIER : [interprétation] Bonjour à toutes et à tous. Affaire IT-

  8   04-74-T, le Procureur contre Prlic et consorts. Merci.

  9   M. LE JUGE ANTONETTI : Merci, Monsieur le Greffier.

 10   En ce lundi 19 mai 2008, je salue les représentants de l'Accusation,

 11   notamment M. Stringer, qui revient parmi nous après une longue absence; je

 12   salue Mmes et MM. les avocats, et je salue aussi Me Khan que je revois

 13   également avec plaisir, nous ne l'avons pas vu ces derniers temps. Je salue

 14   également MM. les accusés ainsi que toutes les autres personnes qui nous

 15   assistent.

 16   Je vais donner la parole à M. le Greffier qui va nous donner des numéros

 17   IC, comme vous le savez, à la suite des dépôts d'admission des "exhibits".

 18   M. LE GREFFIER : [interprétation] Merci. Un certain nombre des parties ont

 19   déposé des listes de documents qu'elles souhaitent verser au dossier par

 20   l'intermédiaire du témoin Zoric. La liste de 1D recevra la cote IC 00791.

 21   La liste du bureau du Procureur recevra la cote IC 00792. La liste de 3D

 22   recevra la cote IC 00793. Et la liste de 4D recevra la cote IC 00794.

 23   Merci.

 24   M. LE JUGE ANTONETTI : Merci, Monsieur le Greffier.

 25   Je crois que M. Scott veut intervenir.

 26   M. SCOTT : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, bonjour,

 27   Messieurs les Juges, bonjour aux conseils de la Défense et bonjour à toutes

 28   et à tous.

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  1   Il y a une question que je souhaite soulever dans la Chambre, j'espère que

  2   cela ne durera pas trop longtemps, j'espère qu'il n'y aura pas d'objection

  3   qui prolongerait le débat. Au cours des derniers jours, l'Accusation a reçu

  4   - et je remercie la Défense pour ce faire - a reçu un volume important de

  5   documents qui, soit viennent d'être traduits soit n'ont pas encore été

  6   traduits. Depuis vendredi dernier, nous avons reçu à peu près le volume de

  7   documents que je suis en train de vous montrer et que j'ai en main. Donc je

  8   ne veux rien dire de plus que c'est ce que nous avons reçu. Je ne veux

  9   nullement accuser la Défense de faire preuve de mauvaise ou de bonne foi ou

 10   quoi que ce soit. Je remercie la Défense.

 11   Mais quoi qu'il en soit, nous ne pouvons pas nous préparer correctement

 12   pour contre-interroger ce témoin cette semaine. C'est beaucoup trop de

 13   documents nouveaux pour nous. Et nous demandons à la Chambre de reporter le

 14   contre-interrogatoire du témoin à une date ultérieure afin que nous

 15   puissions examiner ces documents avec attention et en obtenir la

 16   traduction. Merci.

 17   M. KARNAVAS : [interprétation] Permettez-moi d'intervenir juste pour le

 18   compte rendu d'audience, Monsieur le Président. Jeudi, nous avons remis à

 19   l'Accusation un rapport préparé par M. Rebic il y a deux ou trois ans, et

 20   ce n'est que jeudi que j'ai vu la traduction de ce rapport pour la première

 21   fois, ce rapport s'intitule : "Mon travail au sein du Bureau chargé des

 22   personnes déplacées et des réfugiés." Si bien que l'Accusation a reçu ce

 23   rapport au même moment que moi, première chose.

 24   Deuxième chose -- oui, je précise qu'il s'agit de la pièce 1D 02921. Tout

 25   le monde l'a reçue.

 26   Deuxième chose, vous constaterez à la toute dernière ligne du paragraphe 1,

 27   qu'il est indiqué que ce rapport a été préparé à partir de son journal, qui

 28   compte quelque 200 pages -- ou qui comptait quelque 200 pages. Lorsque j'ai

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  1   lu cette phrase, j'ai demandé à ce que M. Rebic amène son journal avec lui

  2   au cas où l'Accusation souhaite le consulter, contrairement à d'autres

  3   institutions des Nations Unies qui sont déjà venues déposer ici et qui ont

  4   refusé de fournir leurs notes, nous, nous sommes toujours prêts à fournir

  5   ce genre de documents à l'Accusation ou à qui que ce soit d'autre. Ces

  6   notes -- et je crois qu'il s'agit de la pièce 1D 02922.

  7   Ces notes, elles n'ont pas été versées au dossier, nous n'en avons pas

  8   demandé le versement. Nous les avons présentées au cas où l'Accusation

  9   souhaite vérifier leur contenu, pour voir quelle est leur teneur et pour

 10   voir si elles sont en droite ligne avec le rapport de M. Rebic. Elles

 11   correspondent à ce qui figure dans le rapport qu'il a écrit il y a deux ou

 12   trois ans. J'aurais tout à fait pu biffer cette dernière phrase et personne

 13   n'en aurait rien su. Pourquoi est-ce que je dis ça ? Je dis cela parce que

 14   parfois j'ai l'impression qu'on met en doute notre intégrité. Je ne dis pas

 15   que c'est M. Scott qui est à l'origine de ce genre de choses, mais c'est

 16   quelque chose qui nous tient à cœur.

 17   En tout cas, moi, je n'ai pas lu ces 200 pages de notes, elles sont en

 18   croate, je ne peux pas les lire. Je comprends le dilemme devant lequel se

 19   trouve placée l'Accusation. Je dirais une chose, c'est qu'il serait

 20   vraiment peu souhaitable que M. Rebic revienne ici, l'Accusation nous a

 21   fourni ce document, le document que je viens de vous montrer.

 22   Je trouve un peu regrettable que l'Accusation intervienne en faisant cette

 23   demande lundi, on aurait pu me contacter samedi. Là, je ne veux rien dire

 24   au nom des autres équipes de la Défense pour l'avenir, mais je peux dire

 25   qu'en ce qui me concerne, ça ne me gêne absolument pas que l'Accusation

 26   rencontre mes témoins à La Haye. Donc l'Accusation aurait pu demander à

 27   rencontrer le témoin ce week-end, aurait pu examiner certains passages de

 28   son journal, parce qu'ils ont du personnel qui parle croate. Si bien que je

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  1   m'oppose à la demande faite par l'Accusation tout à l'heure. Si la Chambre

  2   de première instance, cependant, était encline à aller dans le sens de la

  3   demande de l'Accusation, je demanderais à ce que le Dr Rebic revienne en

  4   automne parce que cela ne pourrait pas se faire plus tôt vu la

  5   programmation de nos témoins à nous. Si vous examinez notre programme, vous

  6   verrez que c'est assez serré, c'est assez difficile de demander à quelqu'un

  7   de faire don d'une semaine de son existence sans le prévenir suffisamment à

  8   l'avance.

  9   Je comprends la situation de l'Accusation, oui, mais je veux aussi qu'ils

 10   comprennent que moi aussi je suis dans une situation défavorable vis-à-vis

 11   de ces documents. Bien entendu que je suis sensible à la demande qu'ils

 12   font de pouvoir avoir suffisamment de temps pour examiner ces notes. Il

 13   s'agit de notes manuscrites, et s'ils souhaitent consulter M. Rebic à ce

 14   sujet, ça ne me gêne pas du tout. Voilà l'offre que j'ai à leur faire et

 15   mon objection a été consignée au compte rendu d'audience.

 16   M. LE JUGE ANTONETTI : Je vais résumer le problème. Dans les classeurs, il

 17   y a la pièce 1D 2921 qui, elle, est traduite en anglais, qui concerne donc

 18   : "Mon travail à l'Office des personnes déplacées et les réfugiés." Ce

 19   document a été établi par M. Rebic. Dans la version anglaise, il fait

 20   exactement 36 pages. Donc quelqu'un qui connaît bien cette affaire depuis

 21   des années ne doit pas être handicapé par la lecture de 36 pages.

 22   Qui plus est, je pense que pendant l'interrogatoire principal, la Défense,

 23   via Me Karnavas, abordera certainement des points qui sont dans ce rapport.

 24   Ensuite, il y a un autre document qui est beaucoup plus volumineux, c'est

 25   la pièce 1D 02922, qui sont des notes personnelles, en B/C/S, non

 26   traduites, qui font exactement 213 pages. Ce sont donc des documents qui

 27   ont été remis à l'avocat, qui, lui, ne connaît pas le B/C/S, lors de

 28   l'entretien dit du récolement. Et Me Karnavas, qui a toujours, depuis deux

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  1   ans que je le connais, exigé que tous les témoins remettent leurs notes

  2   personnelles, joint les notes personnelles de son témoin pour que

  3   l'Accusation en ait connaissance. Mais Me Karnavas a ajouté qu'il ne

  4   demanderait pas l'admission du document 2922. Voilà comment se présente la

  5   situation. Alors la Chambre délibérera pour savoir si le Procureur fera ou

  6   ne fera pas son contre-interrogatoire.

  7   Mais pour éviter de perdre du temps, on va introduire le témoin.

  8   Oui, Monsieur Scott.

  9   M. SCOTT : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Avant que vous

 10   n'examiniez cette question, que vous ne délibériez, je dois dire que j'ai

 11   fait preuve de beaucoup de prudence dans mon intervention. Tout le monde,

 12   bien entendu, souhaite qu'on respecte son intégrité, son honnêteté, et

 13   cetera, et de notre côté c'est exactement pareil. Et mon intervention, elle

 14   ne repose uniquement sur des accusations de mauvaise foi de la part de qui

 15   que ce soit. Mais quoi qu'il en soit, les faits restent les faits, à savoir

 16   que l'Accusation s'est vu remettre des informations qu'elle ne peut pas

 17   raisonnablement digérer dans le laps de temps qui est à sa disposition pour

 18   l'instant. J'insiste sur ce fait, vu un certain nombre de questions que

 19   nous avons déjà soulevées à votre attention, Monsieur le Président,

 20   Messieurs les Juges. Je souhaiterais vous demander de ne pas examiner cette

 21   question de manière isolée.

 22   Me Karnavas et moi avons un dialogue continu à ce sujet, mais l'Accusation

 23   estime quant à elle que les résumés 65 ter fournis par la Défense sont

 24   insuffisants. Ils sont très généraux. Je comprends les difficultés d'accès

 25   à ces témoins, d'obtention des informations, mais en tout cas l'article 65

 26   ter (g) exige que l'on présente un résumé digne de ce nom des faits dont va

 27   parler le témoin pendant sa déposition ceci pour la Chambre, pas seulement

 28   pour l'Accusation mais aussi pour la Chambre. Il ne s'agit pas simplement

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  1   d'une liste de sujets, c'est la déposition même du témoin. C'est un résumé

  2   des faits que le témoin va présenter. L'Accusation est toujours

  3   désavantagée à ce sujet parce que nous n'avons pas de résumés préalables

  4   des dépositions du témoin contrairement à ce qu'a fait l'Accusation.

  5   Parfois il est arrivé que nous fournissions ces résumés des dépositions

  6   anticipées plusieurs années à l'avance à la Défense, contrairement à ce qui

  7   se passe ici. Si bien qu'en ce qui nous concerne, et avec tout le respect

  8   que je dois à la Chambre, les résumés que nous recevons sont insuffisants,

  9   nous n'avons pas de déclarations, et quand nous essayons de nous préparer,

 10   on nous donne quelque temps avant l'arrivée du témoin ce volume de

 11   documents que j'ai en main. Je remercie, bien entendu, Me Karnavas de

 12   m'avoir fait parvenir tous ces documents, mais les faits restent ce qu'ils

 13   sont, nous n'avons pas le temps de nous préparer vu le volume des

 14   documents, le Règlement, c'est le Règlement, je l'ai déjà dit la dernière

 15   fois, le Règlement s'applique à tout le monde ici, il s'applique aux

 16   parties, et il s'applique à la Chambre de première instance. Aux termes du

 17   Règlement dans le cadre de la communication des pièces, il faut respecter

 18   un certain nombre de démarches, un certain nombre d'étapes. Or, ce n'est

 19   pas de cette manière qu'on doit procéder. L'Accusation n'a pas à essayer de

 20   se débrouiller. Si les parties ne respectent pas le Règlement, nous ne

 21   pouvons pas continuer comme ça, ce n'est pas juste. Lorsque c'est arrivé

 22   pendant la présentation des moyens à charge, systématiquement, la Chambre a

 23   reporté le contre-interrogatoire jusqu'à ce que l'on ait pu examiner avec

 24   soin les documents, jusqu'à ce qu'on les ait traduits, et cetera, la

 25   Chambre l'a fait systématiquement durant la présentation des moyens à

 26   charge, je pense qu'elle devrait faire pareil pour nous pendant la

 27   présentation des moyens à décharge.

 28   M. KARNAVAS : [interprétation] Réponse brève en ce qui concerne les notes

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  1   personnelles des témoins, l'Accusation n'a pas pu contraindre un certain

  2   nombre de témoins de les fournir, même si certains de ces témoins venaient

  3   d'organisations dont on aurait pu attendre une certaine transparence, ça

  4   c'est une chose. Dans le Règlement, rien ne dit que je dois remettre les

  5   notes d'un témoin à qui que ce soit, et j'aurais très bien pu décider de ne

  6   pas le faire, et à ce moment-là on ne se serait pas lancé dans la

  7   discussion que nous menons actuellement. Mais par souci d'équité, puisque

  8   le témoin m'avait expliqué que le rapport avait été préparé à partir de ses

  9   notes, à partir de son journal, je me suis dit que le mieux ce serait quand

 10   même de remettre ces notes.

 11   Et quand j'ai reçu ce journal jeudi, jeudi, en anglais. Sans même le lire,

 12   ma première réaction a été, il faut communiquer tout cela. Je pense que

 13   l'Accusation ne subit aucun préjudice. Si elle avait lu ce document, si

 14   elle a des problèmes, elle peut consulter éventuellement les notes, elle

 15   dispose de collaborateurs qui parlent le B/C/S. Donc ce n'est pas un

 16   problème, première chose.

 17   Deuxième chose, il y a un dialogue entre l'Accusation et la Défense, quand

 18   l'Accusation a besoin d'éléments, nous les communiquons. Par exemple, dans

 19   le cas d'un témoin, que je ne vais pas nommer parce que c'est un témoin

 20   protégé, l'Accusation a demandé des informations supplémentaires. Je leur

 21   ai signalé que le bureau du Procureur avait déjà recueilli une déposition

 22   de ce témoin en 1996, qui reprend la totalité de sa déposition. Et ce

 23   témoin avait déposé pendant deux jours en 1996. M. Scott lui-même avait

 24   contre-interrogé le témoin. Alors de quoi ont-ils besoin ? Il va nous

 25   parler d'un certain nombre d'événements qui portent sur une période donnée.

 26   En ce qui concerne le témoin que nous allons avoir tout à l'heure, soyons

 27   réalistes, M. Zoric, vient de déposer, M. Zoric c'était le numéro deux. Si

 28   on regarde les documents que j'ai l'intention d'examiner avec M. Rebic, on

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  1   se rend compte qu'il y a beaucoup de ces documents qui ont déjà été

  2   examinés lors de la déposition de M. Zoric. Le sujet, c'est le même. Il n'y

  3   a pas de surprise à attendre.

  4   Bien entendu, je comprends les principes, et je comprends que par principe

  5   l'Accusation essaie de dire ce qu'il en est pour l'avenir, pour les témoins

  6   suivants, mais je pense qu'au bout d'un moment ça suffit. Il faut prendre

  7   une décision. Je sais que je ne suis pas toujours d'accord avec certains

  8   membres de la Chambre, mais je vais être très franc, très direct : la

  9   Chambre de première instance ne peut pas me contraindre de fournir la

 10   déclaration d'un témoin. Rien ne le prévoit dans le statut ni dans le

 11   Règlement, et cela serait un abus de pouvoir que de l'exiger de moi ou de

 12   qui que ce soit d'autre, nous sommes ici dans un système contradictoire.

 13   J'ai essayé de ne pas entrer dans le détail de toute cette mécanique, Me

 14   Khan en a parlé de manière très éloquente, mais voilà comment se présentent

 15   les choses. Quand on me fait la demande, je fournis dans la mesure du

 16   possible les informations qui me sont demandées par l'Accusation.

 17   Si j'avais reçu ce document avant, je l'aurais communiqué avant, et je le

 18   répète, je ne mets nullement en cause M. Scott, mais on semble voir se

 19   dessiner, créer l'impression que nous ne faisons pas preuve de suffisamment

 20   de franchise envers les autres parties. Et moi, je pense que chacun des

 21   membres de l'équipe Prlic fait preuve du plus grand professionnalisme qui

 22   se puisse imaginer, et de la plus grande honnêteté et du plus grand respect

 23   de la déontologie, s'il y a une erreur, je l'assume. Quand j'ai des

 24   documents, je les communique. Quand j'ai reçu ces documents la première

 25   fois, ces 200 pages, je me suis dit : il faut le communiquer et tout de

 26   suite. Ma deuxième réaction, ça a été : bien entendu, ils vont demander un

 27   report du contre-interrogatoire parce que je comprends la situation dans

 28   laquelle ils se trouvent.

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  1   Voilà j'en reste là. Mais je pense qu'avant peut-être de prendre une

  2   décision, il faudrait peut-être d'abord écouter l'interrogatoire principal

  3   du témoin, ensuite on pourrait même commencer un petit peu le contre-

  4   interrogatoire pour que le témoin n'ait pas à revenir. C'est un homme très

  5   âgé qui a été opéré du cœur. C'est un homme qui est très occupé par

  6   ailleurs. J'ai beaucoup de mal à trouver le temps de le rencontrer

  7   tellement il est occupé. Et ce serait vraiment très difficile pour moi

  8   d'exiger de lui qu'il revienne ici.

  9   M. LE JUGE ANTONETTI : La Chambre va délibérer sur la question.

 10   On a passé 20 minutes sur ce problème. J'ai deux choses à dire. Première

 11   chose - mais c'est à titre purement personnel - mais en ma qualité de

 12   Président de la Chambre je me dois de le dire. Il y a un document qui fait

 13   216 pages qui est en B/C/S. Certes, ça peut être un problème, mais quand je

 14   regarde les bancs de l'Accusation aujourd'hui, je vois assis quatre

 15   Procureurs, il n'est pas nécessaire qu'il y en ait quatre à l'audience, un

 16   suffit. Les autres peuvent très bien se réunir avec quelqu'un du bureau du

 17   Procureur qui pratique le B/C/S et pendant l'interrogatoire principal,

 18   travailler les 216 pages pour savoir s'il y a des éléments importants ou

 19   pas.

 20   Deuxième chose, ce problème risque de se renouveler à chaque fois. J'ai

 21   consulté la liste des témoins de M. Prlic jusqu'au 3 juillet. J'ai constaté

 22   qu'un certain nombre de personnalités vont venir. Ces personnalités ont

 23   certainement des notes personnelles, et à chaque fois on risque de se

 24   retrouver dans cette même situation. Quand un témoin viendra et lors du

 25   profil, on remettra à Me Karnavas un rapport des notes personnelles qui

 26   feront 100, 200, 1 000 pages ou je ne sais quoi, l'Accusation se lèvera

 27   d'un seul bond pour dire qu'elle ne peut pas contre-interroger. Et ceci

 28   risque de se renouveler à chaque fois car la plupart maintenant des témoins

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  1   qui vont venir, ce n'est pas au niveau des victimes mais ce sont des

  2   personnes qui ont occupé des hautes fonctions. Et à partir de là, bien

  3   entendu, si elles viennent avec leurs notes personnelles, il risque d'y

  4   avoir des documents en B/C/S de plusieurs centaines de pages. Et donc on ne

  5   va pas à chaque fois renvoyer pour le contre-interrogatoire. Ce sont des

  6   contraintes qui existent et dont on doit tenir compte.

  7   N'oublions pas également que la charge de la preuve incombe au Procureur,

  8   et la Défense en fonction de ce principe, n'est tenue à rien sauf, sauf

  9   lorsqu'elle présente ses témoins, de donner la liste des pièces qui vont

 10   venir avec les témoins et de produire des résumés. Voilà les obligations

 11   résultant du Règlement.

 12   Mais moi mon inquiétude c'est que pour les témoins à venir dont je ne donne

 13   pas les noms parce que s'il y a des témoins protégés, on se retrouve à

 14   nouveau dans la même situation. Et je rajoute que lorsqu'on est censé bien

 15   connaître le dossier, on doit être à même à faire face à tout moment à tout

 16   document. Les Juges qu'est-ce qu'ils font ? Ils arrivent à l'audience, on

 17   leur donne trois classeurs sous les yeux et il faut bien qu'ils se

 18   débrouillent, sinon on pourrait dire, on découvre qu'il y a trois

 19   classeurs, on arrête pendant 15 jours et on reviendra dans 15 jours.

 20   Pourquoi pas ? Pourquoi pas ? Mais à ce moment-là le procès va durer 20

 21   ans. Alors il faut que chacun y mette du sien. Il y a des revendications

 22   légitimes, mais il y a à un moment donné où il ne faut pas non plus

 23   franchir la ligne jaune.

 24   Alors, Monsieur Scott.

 25   M. SCOTT : [interprétation] Avec tout le respect que j'ai pour vous,

 26   Monsieur le Président, je dois dire que je suis choqué par les observations

 27   que vient de faire le Président, qui vient de nous dire nous n'avons pas le

 28   temps de faire appliquer le Règlement, d'appliquer le Règlement et si on ne

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  1   peut pas appliquer le Règlement, tant pis. Je ne veux pas être mis sur la

  2   défensive et il y a un Règlement qui doit --

  3   M. LE JUGE ANTONETTI : Il doit y avoir une erreur de traduction. Je n'ai

  4   jamais dit, je n'ai jamais dit ce que je vous dis. Et là vous vous

  5   précipitez à reprendre toujours la parole quand je parle mais avant de

  6   reprendre la parole vérifiez au transcript ce que j'ai dit. Je n'ai jamais

  7   dit concernant la question du Règlement. J'ai dit que dans le Règlement, la

  8   Défense n'a qu'une obligation de fournir la liste des pièces et les

  9   résumés. C'est ça que j'ai dit. Je n'ai rien dit d'autre. Et là vous faites

 10   de l'interprétation. Alors c'est peut-être la traduction qui fait que vous

 11   avez mal compris le sens de mes propos.

 12   M. SCOTT : [interprétation] Non, Monsieur le Président. Non, avec tout le

 13   respect que je vous dois, ce à quoi je faisais référence c'est ce que vous

 14   avez dit il y a quelques instants quand vous avez dit que vous étiez

 15   préoccupé parce que vous pensiez que cette situation risquait de se

 16   produire de nouveau à l'avenir et que si c'était le cas, ça entraînerait un

 17   retard du procès. C'est ça qui m'inquiète et ce que vous avez dit, vous,

 18   Monsieur le Président, c'est qu'à cause du retard, d'un retard éventuel du

 19   procès, nous ne pouvons pas respecter le Règlement de procédure et de

 20   preuve. C'est cela que je disais. Je ne veux pas être mis sur la défensive

 21   sur ce point. L'Accusation fait son travail. Il y a des règles qu'il faut

 22   respecter. Je n'ai pas accusé Me Karnavas de faire preuve de mauvaise foi,

 23   mais ce qui est indéniable c'est qu'il y a un Règlement, des règles qu'il

 24   faut respecter et ça n'a pas été le cas jusqu'à présent, peut-être sans

 25   aucune mauvaise foi. Mais je ne veux pas être mis sur la défensive quand

 26   c'est moi qui reçois ces documents et ce n'est pas à mes collaborateurs de

 27   passer la nuit à lire 213 pages de documents en B/C/S non traduits pour que

 28   le procès puisse se poursuivre alors qu'il y en a qui ne respectent pas le

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  1   Règlement.

  2   Je suis choqué. Je suis choqué par la déclaration du Président. J'espère

  3   que les autres Juges qui composent la Chambre de première instance auront

  4   une vision plus raisonnable et raisonnée de ce qui se passe et que la

  5   Chambre nous donnera la possibilité de faire traduire ces documents, nous

  6   donnera suffisamment de temps pour nous préparer un contre-interrogatoire

  7   comme nous en avons le droit.

  8   M. LE JUGE ANTONETTI : -- vous savez, vous imaginez bien.

  9   M. Scott est très vite choqué. Je ne sais pas d'ailleurs de quoi il

 10   est choqué du fait que j'ai dit en regardant le tableau que j'ai sous les

 11   yeux des témoins jusqu'au 3 juillet, il y a plusieurs témoins qui vont

 12   venir. Il y a de fortes chances que tous ces témoins qui vont venir

 13   risquent de venir avec des notes personnelles et qu'à ce moment-là Me

 14   Karnavas le week-end va produire à l'Accusation parce que le monsieur qui

 15   va venir le 9 juin risque, je dis risque de produire des notes

 16   personnelles, peut-être il les fera, peut-être il ne les fera pas, mais

 17   s'il le fait on sera dans la même situation et c'est ça que je dis. Alors

 18   je ne vois pas en quoi vous êtes choqué d'une hypothèse qui peut --

 19   M. SCOTT : [aucune interprétation] 

 20   M. LE JUGE ANTONETTI : [hors micro]

 21   M. KHAN : [aucune interprétation]

 22   M. SCOTT : [aucune interprétation]

 23   M. LE JUGE ANTONETTI : [hors micro]

 24   M. KHAN : [interprétation] -- excusez-moi, excusez-moi. Excusez-moi. Mais

 25   on n'est pas ici dans un système où chacun peut sortir de sa boîte pour

 26   répondre aux Juges de la Chambre comme si les trois intervenants étaient

 27   tout à fait sur un pied d'égalité.

 28   M. SCOTT : [interprétation] -- le Président s'est adressé à moi, donc je

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  1   veux pouvoir lui répondre.

  2   M. KHAN : [interprétation] Je souhaiterais intervenir parce que ça peut

  3   peut-être faire avancer le débat et M. Scott pourra répondre bien entendu

  4   après moi. J'interviens pourquoi, parce que je veux faire avancer le débat.

  5   Je veux apporter mon concours. Il faut, on ne peut s'empêcher de se

  6   souvenir de ce qu'a dit M. le Juge Prandler il y a quelques semaines

  7   lorsqu'il a insisté et mis en évidence le temps considérable consacré à des

  8   questions de procédure en l'espèce. En tant qu'avocats qui pratiquent le

  9   droit, qui ont l'expérience du prétoire, nous devons faire preuve de

 10   discipline.

 11   Par exemple, au cours de la demi-heure qui vient de s'écouler dans ce

 12   prétoire, j'ai l'impression d'être confronté à un microcosme où ça met en

 13   évidence un certain nombre des problèmes que nous rencontrons ici.

 14   Mon éminent confrère a commencé en faisant une demande. Il a dit que

 15   ça ne prendrait pas très longtemps. Il a parlé de documents fournis par M.

 16   Karnavas, pièce 1D 02922. Me Karnavas a répondu et moi, ce que je veux dire

 17   c'est que dans le Règlement rien ne donne le droit de répliquer à une

 18   question -- de répliquer, il n'a pas le droit systématique de répliquer.

 19   Tous les arguments, on doit les présenter lorsqu'on intervient pour la

 20   première fois.

 21   Or, mon éminent confrère de l'Accusation, lui décide de répliquer, il

 22   élargit son argumentation. Il parle soudain des résumés 65 ter, de leurs

 23   caractères insuffisants, et cetera. Combien de fois, dans un prétoire, a-t-

 24   on le droit de revenir pour la énième fois sur les mêmes sujets ? Je pense

 25   que ça élargit de manière tout à fait inutile le champ des questions de

 26   procédure que l'on aborde.

 27   Mon éminent confrère nous dit que "le Règlement c'est le Règlement pour

 28   tout le monde." Il a tout à fait raison. Je pense qu'il faut se référer au

Page 28142

  1   Règlement avec précision et dire là où il y a manquement. Bien entendu, aux

  2   termes de l'article 66 et de l'article 68, l'Accusation a des obligations

  3   qui sont différentes de celles de la Défense parce que tout ça, ça vient de

  4   la charge de la preuve qui incombe à l'Accusation qui doit prouver sa

  5   thèse. Nous, en ce qui nous concerne, notre équipe, nous n'avons pas

  6   d'intérêt dans cette discussion. Mais s'agissant de la pièce 1D 02922, je

  7   dois dire que la Défense n'est pas dans l'obligation de fournir des

  8   documents qu'elle n'a pas l'intention d'utiliser. Me Karnavas a simplement

  9   fourni ce document à l'Accusation pour lui donner une idée de ce que

 10   c'était, mais il a uniquement l'obligation de ce faire. Donc je ne vois pas

 11   comment une partie qui n'a aucun droit, pour commencer, à avoir ce

 12   document, peut ensuite se plaindre et dire qu'il subit un préjudice.

 13   Et s'agissant -- je pense que si on ne met pas un petit peu d'ordre dans la

 14   manière de présenter les demandes, les réponses, et cetera, on va se

 15   trouver dans une situation un petit peu difficile.

 16   Je m'excuse auprès de M. Scott de cette interruption. C'est dans un

 17   esprit de coopération que je souhaitais intervenir, et ce que j'ai dit a

 18   peut-être un intérêt ou pas, mais c'était uniquement dans un esprit

 19   constructif. Merci, Monsieur le Président.

 20   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur Scott, pour la énième réplique, je vous

 21   écoute.

 22   M. SCOTT : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. C'était vraiment

 23   superflu, si vous me permettez de le dire.

 24   Je suis sûr que si la Chambre ou qui que ce soit prend le temps, la peine

 25   d'analyser le temps consacré aux questions de procédure en l'espèce, je

 26   suis tout à fait sûr que vous allez voir que l'Accusation a passé beaucoup

 27   moins de temps que la Défense, une partie infinitésimale. Je ne veux pas

 28   m'excuser pour avoir soulevé une question qui m'incombe à mon avis de

Page 28143

  1   Juriste de soulever dans l'intérêt du procès, de la victime et de la

  2   communauté internationale que nous représentons. Je ne vais pas présenter

  3   d'excuses, car je crois que je fais mon travail. Je crois que nous avons

  4   bien utilisé notre temps et que nous avons vraiment fait part de

  5   parcimonie.

  6   Je ne vais pas relever les questions soulevées par Me Karnavas, je ne

  7   voulais pas non plus ici élargir davantage la question que vous avez

  8   soulevée. Je crois que j'ai simplement répondu.

  9   Je suis d'accord avec vous lorsque vous dites que ça pourrait se

 10   poser avec d'autres témoins, c'est pour cela qu'il est important de le

 11   dire. Me Karnavas sait qui sont ces témoins, il lui est possible d'obtenir

 12   ces documents à l'avance, dans les temps, pour que ces documents soient

 13   traduits au service de traduction. Il sait qui va venir d'ici au mois de

 14   juillet, il a un téléphone, il peut appeler ces personnes, s'il y a des

 15   déclarations préalables, demander à ces gens s'ils ont un journal qu'ils

 16   ont gardé, si c'est le cas, est-ce qu'ils peuvent le donner. C'est ma

 17   faute, ce n'est pas tout à fait la faute de Me Karnavas, mais en tout cas,

 18   ce n'est pas la faute de l'Accusation si nous recevons seulement maintenant

 19   ces documents. Et le recours ce n'est pas d'ignorer le problème, ce n'est

 20   pas simplement faire fi des inquiétudes de l'Accusation, le recours c'est

 21   effectivement d'appliquer les règles s'appliquant en matière de

 22   communication et de bonne conduite.

 23   Je dois dire -- comment dire ? Je ne sais pas trop le mot. Je suis

 24   assez perturbé lorsqu'on dit que ce n'est pas ce que le Règlement exige. Je

 25   suppose que tout le monde veut se comporter de façon équitable, et si on ne

 26   fait pas le minimum monimorum [phon] qu'exige le Règlement. Voilà ce qu'il

 27   en est, Monsieur le Président.

 28   Je veux être tout à fait clair. J'ai le plus grand respect pour la

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  1   Chambre, pour les quatre Juges que vous êtes. Mais, en toute équité, je ne

  2   veux pas m'excuser, je ne veux pas être sur la défensive. Il y a des règles

  3   régissant la communication, nous venons de recevoir ces documents et, à

  4   l'avenir, nous insisterons, vous avez tout à fait raison, si ça se

  5   reproduit, je vais de nouveau intervenir. S'il faut le faire chaque fois,

  6   je le ferai chaque fois pour que le Règlement s'applique de façon

  7   raisonnable et équitable à tous. C'est tout ce que nous demandons en tant

  8   qu'Accusation. Je vous remercie.

  9   M. LE JUGE ANTONETTI : -- le témoin.

 10   Bien, la Chambre rappelle qu'elle a fixé à 4 heures l'interrogatoire

 11   principal.

 12   [Le témoin est introduit dans le prétoire]

 13   M. LE JUGE ANTONETTI : Bonjour Monsieur, je vais d'abord vérifier que la

 14   technique marche. Si vous m'entendez, dites que vous me comprenez.

 15   LE TÉMOIN : [interprétation] Bonjour.

 16   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. 

 17   Alors, Monsieur, pouvez-vous nous donner votre nom, prénom et date de

 18   naissance.

 19   LE TÉMOIN : [aucune interprétation]

 20   M. LE JUGE ANTONETTI : J'ai l'impression que la cabine d'interprétation ne

 21   fonctionnait pas, mais je vois que vous êtes né le 23 janvier 1937. Pouvez-

 22   vous m'indiquer si vous exercez une profession ou avez-vous une activité

 23   actuellement ?

 24   LE TÉMOIN : [interprétation] En partie, je suis à la retraite en ma qualité

 25   de professeur à l'Université de Zagreb à la faculté de théologie. En

 26   partie, je travaille encore en ma qualité de directeur de l'Actualité

 27   chrétienne, qui est une maison d'édition.

 28   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Monsieur, avez-vous déjà témoigné devant un

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  1   tribunal international ou national sur les faits qui se sont déroulés dans

  2   l'ex-Yougoslavie ou bien c'est la première fois que vous témoignez ?

  3   LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Juge, c'est la première fois que

  4   je viens témoigner devant ce Tribunal.

  5   M. LE JUGE ANTONETTI : Je vous demande de lire la déclaration solennelle.

  6   LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la

  7   vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

  8   LE TÉMOIN : ADALBERT REBIC [Assermenté]

  9   [Le témoin répond par l'interprète] 

 10   M. LE JUGE ANTONETTI : Merci. Vous pouvez vous asseoir.

 11   LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.

 12   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur, quelques brèves explications de ma part.

 13   L'avocat, Me Karnavas, que vous avez dû rencontrer a dû vous dire déjà les

 14   mêmes choses, mais je préfère les redire. Nous sommes dans une procédure de

 15   type anglo-saxon et vous devez répondre dans un premier stade à des

 16   questions qui vont vous être posées par Me Karnavas, qui se trouve à votre

 17   gauche. Me Karnavas va vous poser des questions et va vous présenter des

 18   documents.

 19   Les quatre Juges qui sont devant vous pourront aussi, à partir des

 20   documents ou en fonction des réponses, peut-être intervenir pour éclairer

 21   certaines parties de vos réponses. Le Procureur qui se trouve à gauche

 22   pourra, dans le cadre du contre-interrogatoire, alors peut-être cette

 23   semaine ou ultérieurement, mais la Chambre va en délibérer, vous posera des

 24   questions dans le cadre du contre-interrogatoire. Par ailleurs, les avocats

 25   des autres accusés, car Me Karnavas est l'avocat de M. Prlic, mais les

 26   autres avocats qui représentent chaque accusé, pourront à la suite de Me

 27   Karnavas vous poser des questions dans le cadre du contre-interrogatoire de

 28   la défense des autres accusés.

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  1   Comme vous êtes professeur, vous savez mieux que quiconque que vous

  2   devez apporter des réponses synthétiques à des questions qui peuvent être

  3   posées de manière très compliquée. Mais essayez dans votre réponse de bien

  4   faire ressortir les éléments importants car tout ce que vous dites est

  5   enregistré. C'est pour cela que vous avez devant vous un écran dont nos

  6   propos sont traduits en anglais.

  7   Par ailleurs, si vous ne comprenez pas le sens d'une question, n'hésitez

  8   pas à demander à celui qui vous pose la question de la reformuler. Nous

  9   faisons en règle générale des pauses toutes les heures et demie, des pauses

 10   de 20 minutes. Mais si à un moment donné vous ne vous sentez pas bien, vous

 11   avez besoin d'un repos supplémentaire, n'hésitez pas à nous le demander et

 12   à ce moment-là, j'ordonnerai donc une suspension d'audience.

 13   Pour la semaine est prévu donc tous les après-midi jusqu'à jeudi, étant

 14   précisé que jeudi nous terminerons au plus tard aux environs de 18 heures

 15   25, 18 heures 30. Par ailleurs, comme vous venez de prêter serment, vous

 16   êtes maintenant le témoin de la justice, ce qui veut dire que vous n'avez

 17   plus aucun contact à avoir avec les avocats de la Défense ni avec le

 18   Procureur, sinon votre témoignage évidemment n'aurait pas la même valeur.

 19   Si à un moment donné vous estimez devoir poser une question à la Chambre,

 20   n'hésitez pas, nous sommes là pour répondre à toute question.

 21   Ceci étant dit, je vais maintenant donner la parole à Me Karnavas qui a,

 22   montre en main, quatre heures.

 23   M. KARNAVAS : [interprétation] Merci.

 24   Interrogatoire principal par M. Karnavas :

 25   Q.  [interprétation] Bonjour, Monsieur Rebic.

 26   R.  Bonjour.

 27   M. KARNAVAS : [interprétation] Avec l'autorisation de la Chambre, et s'il

 28   n'y a pas d'objection de la part de l'Accusation, je vais poser quelques

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  1   questions directrices au témoin.

  2   Q.  Pour ce qui est d'établir votre contexte pour gagner du temps, si j'ai

  3   bien compris, Monsieur Rebic, vous avez un doctorat en théologie ou en

  4   philosophie ?

  5   R.  C'est exact.

  6   Q.  Vous avez obtenu votre doctorat à l'Institut grégorien à Rome ?

  7   R.  C'est exact, mais en matière de théologie, non pas de philosophie. Je

  8   suis docteur ès sciences théologiques.

  9   Q.  Oui, théologie, excusez-moi. Et votre thèse, vous l'avez écrite en

 10   allemand ?

 11   R.  Oui, exact.

 12   Q.  Puisque nous parlons de langues, vous parlez plusieurs langues dont

 13   l'allemand, le français, l'anglais, l'hébreu, si je ne m'abuse, vous

 14   comprenez couramment le slovène et vous parlez italien encore.

 15   R.  C'est exact. J'ai passé huit années à Rome, j'ai fait mes études à

 16   Rome; cependant, ces langues-là, bien sûr, je les parle, mais certaines

 17   mieux, d'autres moins bien. L'hébreu, je l'ai étudié durant des années,

 18   j'ai passé des années à l'université pour enseigner l'hébreu, et c'est la

 19   bible, l'ancien testament qui a été rédigé dans cette langue, l'hébreu. Je

 20   peux comprendre les Israéliens, mais c'est plus difficile parce que c'est

 21   une langue parlée qu'il eut fallu avoir pratiqué.

 22   Q.  Si j'ai bien compris, vous avez publié plus de 20 livres, et vous avez

 23   traduit quelques 35 ouvrages, n'est-ce pas ?

 24   R.  C'est bien exact.

 25   Q.  Dans le cadre de votre audition d'aujourd'hui et du reste de la

 26   semaine, à partir de 1991 jusqu'en 1996, vous étiez chef de l'Office chargé

 27   des personnes déplacées et des réfugiés en République de Croatie ?

 28   R.  Exact.

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  1   Q.  Je pense que pendant un an, en 1995, me semble-t-il, vous avez été

  2   ministre sans portefeuille ?

  3   R.  Exact.

  4   Q.  Parfait. Nous allons bientôt examiner les documents, mais auparavant je

  5   voulais vous poser une série de questions générales qui risquent

  6   d'intéresser tout le monde pour esquisser les contours de votre

  7   interrogatoire principal. Toute première question, si j'ai bien compris, au

  8   fil des ans, entre 1991 et 1996, vous avez souvent eu l'occasion de vous

  9   trouver avec le Dr Tudjman, qui était président de la République de

 10   Croatie, n'est-ce pas ?

 11   R.  C'est exact.

 12   Q.  Vous avez assisté à des réunions du gouvernement ?

 13   R.  Aux réunions du gouvernement et souvent à d'autres réunions où il a été

 14   débattu des questions relatives aux personnes déplacées et aux réfugiés.

 15   Q.  Bien. La théorie défendue par l'Accusation, c'est que le président

 16   Tudjman avait une vision des choses qui voulait recréer la Banovina

 17   Hrvatska, et pour ce faire, il voulait que la Bosnie-Herzégovine soit

 18   divisée pendant le temps où vous étiez chef de l'Office des personnes

 19   déplacées et des réfugiés. Je vais vous demander, partant de vos

 20   connaissances et des contacts que vous avez eus avec le Dr Tudjman et pour

 21   avoir participé à des réunions, pourriez-vous nous dire quelle était la

 22   position du Dr Tudjman par rapport à la Banovina Hrvatska et à la division

 23   de la Bosnie-Herzégovine ?

 24   R.  Non, le Dr Tudjman, de par sa profession, était historien; et en sa

 25   qualité d'historien, il savait fort bien que les Serbes et les Croates

 26   avant la Deuxième Guerre mondiale avaient convenu d'une autonomie plus

 27   grande pour les Croates et la Croatie. Aussi la Croatie à l'époque s'était

 28   vu attribuer une région de la Bosnie-Herzégovine actuelle où il y a une

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  1   majorité de la population croate. Cette Banovina a périclité en 1941 avec

  2   le début de la Deuxième Guerre mondiale et avec la création de cet Etat

  3   croate indépendant, qui était une création artificielle. En sa qualité

  4   d'historien préoccupé par le sort des Croates en Bosnie-Herzégovine,

  5   Tudjman avait envisagé déjà avant cela que ce qui avait été convenu de par

  6   le passé par les Serbes et les Croates pourrait se voir réaliser. Tudjman

  7   n'a pas démantelé ou désintégré la Bosnie-Herzégovine. Avant Tudjman, il y

  8   a eu ce cas de l'agression serbe, et du fait de l'agression serbe, la

  9   Bosnie-Herzégovine non seulement s'est vue agressée, mais aussi démantelée.

 10   Lorsque les groupes ethniques de la Bosnie-Herzégovine ont décidé d'être

 11   indépendants, comme l'avaient avant eux fait les Croates en Croatie, et les

 12   Slovènes en Slovénie, alors le Dr Tudjman, qui se trouvait déjà être

 13   président de la République de Croatie, a accepté le fait en question.

 14   Si je ne m'abuse, la Croatie a été la première à reconnaître cet Etat

 15   indépendant de Bosnie-Herzégovine. Depuis lors, il a respecté ses

 16   frontières et l'intégrité de cet Etat. Bien entendu, lors de différentes

 17   négociations, il y a eu des tentatives de faire en sorte que la Bosnie-

 18   Herzégovine soit subdivisée en différentes parties à l'intérieur des

 19   frontières extérieures internationalement reconnues pour en faire des

 20   cantons. Et Tudjman s'était efforcé à cet effet de faire en sorte que la

 21   population croate ne soit pas écrasée, et qu'en Bosnie-Herzégovine cette

 22   population croate qui y résidait depuis 13 siècles continue à y résider

 23   avec les deux autres groupes ethniques, le groupe ethnique serbe et

 24   bosnien, pour constituer cet Etat de Bosnie-Herzégovine en sa qualité de

 25   peuple constitutif de l'Etat.

 26   De par ma conviction et de par les impressions qui sont les miennes,

 27   il a conservé cette position jusqu'à sa mort. Après la reconnaissance de la

 28   République de Bosnie-Herzégovine, il n'a jamais touché ou voulu toucher à

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  1   l'intégrité de la Bosnie-Herzégovine.

  2   Q.  En ce qui concerne l'Office des personnes déplacées et des réfugiés, il

  3   a été affirmé que cet office a joué un rôle dans l'entreprise criminelle

  4   commune dans la mesure où à un moment donné une partie de cette entreprise

  5   criminelle consistait à procéder au nettoyage ethnique de la Bosnie-

  6   Herzégovine pour la nettoyer de sa population musulmane dans certaines

  7   régions, et qu'on a pour ainsi dire utilisé votre office comme centre de

  8   transit, qu'on aurait utilisé ces camps comme centres de transit pour

  9   écarter le plus loin possible les Musulmans de Bosnie-Herzégovine, de les

 10   écarter le plus possible de la Bosnie-Herzégovine dans l'espoir qu'ils n'y

 11   retourneraient pas.

 12   Je vous pose la question suivante. D'après la façon dont vous avez compris

 13   les choses, alors que vous étiez chef de cet office, est-ce que cet office

 14   a été utilisé d'une façon ou d'une autre à des fins criminelles ou

 15   répréhensibles ?

 16   R.  Non, jamais. Notre bureau se trouvait être une organisation plutôt

 17   humanitaire que politique. Sa mission principale consistait dans cette

 18   situation grave de guerre, de conflit sur le territoire de l'ex-

 19   Yougoslavie, en l'accueil de tous ceux qui étaient dans le besoin, tant les

 20   citoyens et les ressortissants croates de Croatie qui, à l'occasion de

 21   l'occupation de certaines parties de la Croatie, étaient dans le malheur

 22   puisqu'ils ont été expulsés de chez eux. Dès 1991, vers la fin de cette

 23   année-là, nous avions déjà quelque 400 000 personnes déplacées, en anglais

 24   "displaced persons". Lorsqu'il y a eu conflit, à savoir agression à l'égard

 25   de la République de Bosnie-Herzégovine, depuis la Bosnie-Herzégovine, il

 26   est arrivé bon nombre de réfugiés, à savoir des citoyens de cette Bosnie-

 27   Herzégovine qui en République de Croatie ont recherché un abri. En notre

 28   qualité de bureau gouvernemental chargé des personnes déplacées et des

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  1   réfugiés, nous leur avons assuré dans la mesure du possible un hébergement

  2   digne de ce nom et décent.

  3   Il convient de dire que par moment nous avions plus d'un million de

  4   personnes déplacées ou de réfugiés tant des ressortissants de notre Etat,

  5   voire les ressortissants de la Bosnie-Herzégovine, et tous ces gens-là, il

  6   a fallu en prendre soin. Cela a constitué 12 à 15 % de la population de la

  7   République de Croatie pour ce qui est des réfugiés. Et si l'on prend en

  8   compte les personnes déplacées qui étaient des nôtres, cela faisait même 20

  9   %. C'est comme si, en Allemagne, vous aviez 20 millions de personnes

 10   déplacées et réfugiées. Imaginez un peu un Etat économiquement fort comme

 11   l'Allemagne, comment il se porterait avec 20 millions de personnes

 12   déplacées ou réfugiées.

 13   Il faut aussi savoir que la Croatie était attaquée elle aussi. Le

 14   tiers, voire le quart du pays, était occupé par des Serbes, voire des

 15   unités paramilitaires serbes. L'économie se portait très mal. Nous avons

 16   quand même trouvé des forces, la solidarité de nos concitoyens était très

 17   grande. Bien entendu, il y a eu beaucoup d'aide de la part des

 18   organisations humanitaires internationales, et en premier lieu le HCR des

 19   Nations Unies et l'Union européenne ont fait en sorte que nous puissions

 20   assurer un abri à l'intention de ces personnes déplacées et de ces

 21   réfugiés. En aucun cas, et je dis bien en aucun cas il ne saurait être dit

 22   que la Croatie a procédé à un nettoyage ethnique de la Bosnie-Herzégovine

 23   de qui que ce soit. C'est une supercherie des plus grandes que l'on ait

 24   essayé de proférer à l'encontre du peuple croate et de la Croatie.

 25   Q.  Permettez-moi de vous interrompre. J'ai l'intention de vous poser toute

 26   une série de questions, vous me donnerez des réponses courtes, puis je

 27   pourrai poser des questions de suivi.

 28   Première chose, questions générales, celles-ci aussi. Personnes

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  1   déplacées/réfugiés, d'après vous, est-ce que votre office faisait une

  2   distinction au niveau du traitement réservé à ces personnes - nous

  3   connaissons la différence juridique qu'il y a entre une personne déplacée

  4   et un réfugié - mais est-ce que votre service faisait une différence au

  5   niveau du service fourni, que ce soit l'hébergement, la nourriture,

  6   l'éducation ? Pourriez-vous nous le dire ?

  7   R.  Pour autant que nos possibilités le permettaient, dans notre façon de

  8   faire à l'égard de ces gens-là, nous n'avons adopté aucune forme de

  9   ségrégation. Pour moi, c'était des gens qui étaient dans le malheur et qui

 10   avaient besoin d'aide.

 11   Q.  Parlant de l'hébergement, il y a un témoin qui est venu ici en effet,

 12   Azra Krajsek, qui avait pas mal de griefs ou qui a affirmé toutes sortes de

 13   choses. Mais parlons d'abord de la question du logement. Est-ce que votre

 14   service a réservé des logements qui étaient meilleurs aux Croates déplacés

 15   et aux réfugiés d'origine croate de Bosnie-Herzégovine pour ne donner aux

 16   Musulmans ou aux Serbes ou aux autres que ce qui restait ? Quelle était la

 17   procédure suivie ?

 18   R.  En principe, la procédure était la même pour tout le monde, tant vis-à-

 19   vis des personnes déplacées que des personnes expulsées de la Bosnie-

 20   Herzégovine. Il convient de savoir toutefois ce qui suit, la Croatie a été

 21   la première à être attaquée, et il y a eu d'abord ces personnes déplacées

 22   de présentes en Croatie. Dès 1991 ces gens-là étaient installés dans des

 23   centres d'accueil disponibles. Donc dans les hôtels de catégorie peu

 24   élevée, dans les centres de repos, dans des maisons privées, dans les

 25   foyers de ceux qui avaient la bonne volonté d'accueillir des gens à titre

 26   provisoire. Bien sûr, personne ne savait combien cette guerre allait durer.

 27   Tous pensaient que cette guerre ou ce conflit se ferait très vite et que

 28   les gens rentreraient aussitôt chez eux. Puis il y a eu la guerre en

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  1   Bosnie-Herzégovine ensuite. Et il y a eu afflux d'un très grand nombre de

  2   réfugiés originaires de la Bosnie-Herzégovine. Nous étions à bout de force.

  3   Il était à peine possible de trouver quelque part des centres d'accueil

  4   pour un nombre de personnes aussi grand.

  5   Ce qu'il convient d'avoir à l'esprit, c'est qu'en 1992 nous avions

  6   environ 400 000 réfugiés de Bosnie-Herzégovine et quelque 250 000

  7   ressortissants de la République de Croatie en qualité de personnes

  8   expulsées de chez elle. Dans cette situation-là, il était déjà miraculeux

  9   de trouver un hébergement quel qu'il soit. Et en outre, nous nous trouvions

 10   à des centres d'accueil au niveau des centres de repos sur le littoral, là

 11   où, auparavant, on avait développé des activités touristiques.

 12   M. LE JUGE ANTONETTI : La fin de votre réponse me pose un problème et je

 13   voudrais que vous me renseigniez à ce propos. Vous faites une distinction -

 14   - vous faites une distinction entre l'agression des Serbes et puis, après,

 15   la guerre de Bosnie-Herzégovine. Si vous le permettez, on va rester à

 16   l'agression des Serbes. Moi ce qui m'intéresse de savoir, quand il y a eu

 17   ce que vous qualifiez vous d'agression des Serbes, est-ce qu'à ce moment-

 18   là, c'est les années 1991, semble-t-il, d'après vos propos, y a-t-il eu,

 19   vers la Croatie un mouvement de réfugiés ou de personnes déplacées qui

 20   venaient de la Bosnie-Herzégovine ou bien les 400 000 que vous indiqués à

 21   la ligne 20 de la page 27 ne sont arrivés cela que pendant le conflit en

 22   Bosnie-Herzégovine ?

 23   Pour me résumer, je voudrais savoir s'il y avait des réfugiés en

 24   provenance de la Bosnie-Herzégovine pendant l'agression des Serbes,

 25   indépendamment du conflit en Bosnie-Herzégovine ?

 26   LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Président, lorsqu'on parle de

 27   l'agression menée par l'ex-armée yougoslave qui, à l'époque, se trouvait

 28   entre les mains des Serbes et l'agression menée par diverses unités

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  1   paramilitaires serbes, agression contre la Croatie, cette même agression,

  2   par la suite, il me semble que ça a commencé en avril 1992 contre la

  3   Bosnie-Herzégovine. Ça a été le même type d'agression contre l'état voisin,

  4   la République de Bosnie-Herzégovine. Puisque cette agression ou cette

  5   guerre, comme vous voulez, s'est produite d'abord contre la République de

  6   Croatie au cours de l'année 1991, dans un premier temps les ressortissants

  7   de la République de Croatie des zones occupées, Slavonie orientale,

  8   Slavonie occidentale, la région de Banovina, Knin, une partie de la

  9   Dalmatie, s'enfuyaient pour arriver dans les zones libres de Croatie. Et

 10   c'est là qu'on les prenait en charge en tant que personnes déplacées. Et

 11   puis, en 1992, à peu près à partir du mois d'avril, mai, cette agression a

 12   été lancée également contre la République de Bosnie-Herzégovine. Sarajevo,

 13   rappelez-vous, l'occupation de Sarajevo et d'autres villes. A ce moment-là,

 14   on a vu arriver en Croatie également des réfugiés de Bosnie-Herzégovine.

 15   Si l'on considère cela sur un plan temporel, c'est dès l'année 1991

 16   que nous recevons à peu près 400 000 personnes déplacées à l'intérieur du

 17   territoire de la République de Croatie. En plus de cela, il y avait nombre

 18   de citoyens croates qui sont partis en Autriche, en Slovénie ou en

 19   Allemagne. Après le cessez-le-feu en janvier 1992, certaines régions se

 20   sont calmées. Là, on a vu les gens commencer à revenir dans ces régions, de

 21   Slovénie, de certaines parties de la Croatie libre. On a vu décroître le

 22   nombre de personnes déplacées en Croatie.

 23   En 1992, lorsque commence l'agression - maintenant nous parlons de

 24   l'agression contre la Bosnie-Herzégovine - à ce moment-là, de manière très

 25   rapide, brutale, de semaine en semaine augmente le nombre de réfugiés de

 26   Bosnie-Herzégovine. Tout comme précédemment, nous avions pris en charge nos

 27   propres personnes déplacées, nos ressortissants, à présent, nous prenons en

 28   charge les citoyens de Bosnie-Herzégovine indépendamment de savoir s'il

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  1   s'agissait de Croates de Bosnie-Herzégovine ou de Bosniens, c'est-à-dire de

  2   Musulmans. Nous ne faisions pas la différence. Nous les avons installés

  3   dans les centres d'accueil que nous avions à notre disposition. De manière

  4   urgente, nous nous sommes adressés au ministre de la Défense pour mettre à

  5   notre disposition des casernes de grandes tailles utilisées par l'armée

  6   yougoslave. C'étaient des casernes où l'infrastructure était bonne, où nous

  7   pouvions placer un nombre considérable de personnes réfugiées de Bosnie-

  8   Herzégovine. Bien entendu, nous avons également placé des gens dans des

  9   centres de vacances ou de repos, ouvriers ou d'autres centres touristiques

 10   --

 11   M. LE JUGE ANTONETTI : Je vous arrête parce que je pense que l'avocat

 12   reviendra là-dessus. Moi ce qui m'intéresse, c'est ce que vous venez de

 13   dire à la ligne 11. Vous dites qu'en 1992, quand il y a l'agression qui

 14   s'est déroulée en Bosnie-Herzégovine, il y a, à ce moment-là, eu un afflux

 15   de réfugiés en provenance de Bosnie-Herzégovine. Alors ce que je voudrais

 16   savoir, parce que là je rentre dans le cœur du problème, est-ce qu'à partir

 17   de cette période vous avez vu arriver en Croatie des Musulmans venant de

 18   l'Herzégovine ? Est-ce qu'à ce moment-là il y a eu un flot de Musulmans

 19   qui, à la suite des combats menés par les Serbes, ont quitté l'Herzégovine,

 20   notamment Mostar, par exemple, pour venir en Croatie ?

 21   LE TÉMOIN : [interprétation] Egalement, il se pouvait qu'il y ait des gens

 22   de Mostar. Il y a eu à la fois des Musulmans et des Croates parmi eux de

 23   Mostar, car les uns comme les autres se sont sentis mis en danger de la

 24   part de l'armée yougoslave et des unités paramilitaires serbes. Cependant,

 25   la plupart de ces réfugiés, au début, pendant le premier mois de la guerre

 26   de Bosnie-Herzégovine, ils sont arrivés des parties orientales de Bosnie-

 27   Herzégovine, du centre et de Sarajevo, et de l'Herzégovine orientale. Quant

 28   à l'Herzégovine occidentale, elle a été attaquée au tout début de la

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  1   guerre, de l'agression, mais elle a réussi à se défendre et elle a réussi à

  2   préserver son caractère non exposé au risque. Parce que le risque, le

  3   danger, s'est arrêté sur la rivière Neretva. Il y a eu des parties des

  4   unités de l'armée yougoslave et de l'armée croate et du HVO, et des

  5   Musulmans ont réussi à les repousser. 

  6   Il faut savoir qu'en Herzégovine, la majorité de la population est

  7   croate. Si je ne me trompe pas, c'est la raison de 96 % en Herzégovine

  8   occidentale la population est croate. Eux aussi, ils ont figuré parmi les

  9   réfugiés de Bosnie-Herzégovine, et ce, de la même façon que nous les avons

 10   pris en charge. Je tiens à répéter que pendant ces événements, lorsqu'il

 11   s'agissait d'accueillir, de prendre en charge les réfugiés de Bosnie-

 12   Herzégovine, que nous ne faisions aucune différence entre eux, entre les

 13   uns et les autres. Nous offrions de placer les uns comme les autres sur un

 14   pied d'égalité. Souvent, d'ailleurs, ils étaient placés ensemble dans les

 15   mêmes centres de réfugiés. Ainsi, il a pu arriver à Gasinci, par exemple,

 16   qu'avec les Musulmans, il y ait des Catholiques également. A Gasinci, nous

 17   avions une chapelle catholique et également une mosquée pour les Musulmans.

 18   M. LE JUGE ANTONETTI : -- par les questions des avocats.

 19   M. LE JUGE PRANDLER : [interprétation] Excusez-moi, Maître Karnavas, loin

 20   de moi l'idée d'interrompre les débats. Il y a un chiffre qui a été donné

 21   par le témoin, et le Dr Rebic a dit, je reprends ses propos, ligne 20 : "Si

 22   je ne m'abuse, 96 % de la population de l'Herzégovine occidentale est

 23   d'appartenance ethnique croate."

 24   Je ne suis pas tout à fait sûr où se trouve l'Herzégovine

 25   occidentale, enfin je ne suis pas un spécialiste en la matière, mais il me

 26   semble qu'on nous a donné jusqu'à présent un certain nombre de

 27   pourcentages, de statistiques concernant les Croates, les Musulmans, les

 28   Bosniaques et les Serbes, si bien que la question que je me pose c'est de

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  1   savoir si ce 96 % se trouve dans un territoire peut-être un petit peu

  2   différente de celui dont vous parliez, je parle de cette fameuse

  3   Herzégovine occidentale qui compte 96 % de Croates.

  4   LE TÉMOIN : [interprétation] Je vais vous énumérer quelques villes :

  5   Medjugorje, que tout le monde connaît, c'est l'endroit de l'apparition de

  6   la Vierge Marie, là la population est entièrement catholique; puis

  7   Capljina; Tomislavgrad, même si certains considèrent que Tomislavgrad fait

  8   partie déjà de la Bosnie, la frontière n'est pas très claire là; Ljubuski,

  9   ce sont des Croates. Il est difficile de dire exactement le pourcentage 96

 10   ou 94 % puisque lors du recensement de la population, il y a eu des

 11   Musulmans qui se déclaraient comme Croates avant. A Mostar,

 12   traditionnellement, il y avait des Musulmans qui se déclaraient comme

 13   Croates. Moi personnellement j'ai vu nombre de documents qui m'ont été

 14   montrés par des Musulmans arrivés de Bosnie-Herzégovine sur lesquels

 15   c'était leur diplôme par exemple scolaire où il était écrit appartenance

 16   ethnique croate. Donc ce serait difficile du point de vue d'aujourd'hui de

 17   séparer ces réponses.

 18   M. LE JUGE ANTONETTI : -- la remarque de mon collègue, j'avais  constaté le

 19   chiffre 96 % qui m'avait étonné et mon collègue, et je l'en remercie, vous

 20   a posé la question. Mais vous semblez être affirmatif. Vous dites qu'à

 21   Capljina il y avait quasiment une majorité de Croates. Vous avez même dit

 22   Ljubuski, ce n'est pas au transcript, si ça y est. Ljubuski aussi mais

 23   alors d'où l'interrogation. S'il y a presque 100 % de Croates, l'épuration

 24   ethnique à quoi ça sert s'il y a une majorité. Vous êtes sûr de vos

 25   chiffres ?

 26   LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Président, je ne sais pas de

 27   quelle épuration ethnique il s'agit. Est-ce que je peux poser la question,

 28   Monsieur le Président ?

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  1   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien, l'épuration ethnique c'est que dans l'acte

  2   d'accusation il y a -- dans l'acte d'accusation il y est dit que le HVO a

  3   fait partir des populations musulmanes afin d'avoir donc des majorités

  4   croates. Mais est-ce que ceci s'accorde avec des endroits où il y a 96 % de

  5   Croates, d'où l'interrogation ? Mais vous maintenez vos chiffres ?

  6   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

  7   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien.

  8   Maître Karnavas, excusez-nous de cette digression, mais il y avait quelques

  9   points à élucider.

 10   M. KARNAVAS : [interprétation] Oui, merci, Monsieur le Président.

 11   Q.  Une précision. Vous avez dit qu'en 1992 l'agression s'est arrêtée au

 12   niveau de la Neretva, et je voudrais être sûr qu'on se comprend bien. Est-

 13   ce que le HVO était aux côtés des forces musulmanes qui ont repoussé la

 14   JNA; c'est ce que vous avez dit, n'est-ce pas ? Vous n'avez pas dit que le

 15   HVO combattait aux côtés de la JNA ?

 16   R.  Non. Non, ils étaient contre la JNA, les uns et les autres. En 1992,

 17   c'est absolument la concorde qui régnait entre les Musulmans et les

 18   Catholiques. Je vais employer ce terme-là, Catholiques, c'est-à-dire des

 19   Bosniens, des Musulmans et des Croates de Bosnie. Pendant ces années-là,

 20   c'était l'entente parfaite entre eux, et à chaque fois qu'ils le pouvaient,

 21   c'est de manière conjointe qu'ils ont posé une résistance aux forces

 22   d'occupation.

 23   Q.  Pour rebondir sur une autre question, en 1992 on vous a posé une

 24   question au sujet des réfugiés qui venaient en Croatie de Bosnie-

 25   Herzégovine, est-ce qu'on peut dire qu'ils venaient de la zone de la

 26   Posavina ?

 27   R.  Oui, aussi de Posavina; il y en a eu un nombre considérable d'ailleurs

 28   et en particulier lorsque dans la Posavina il y a eu des secteurs très

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  1   importants qui ont été occupés, qui ont été pris par l'armée yougoslave qui

  2   était placée sous le commandement serbe à ce moment-là. En passant par la

  3   Save, on a vu arriver des centaines de milliers de Musulmans et de Croates

  4   en Croatie. A ce moment-là en Croatie, on leur a offert abri, et c'est là

  5   que nous avons créé Gasinci, le centre d'accueil de réfugiés parce qu'il y

  6   avait des milliers de personnes qu'il nous a fallu prendre en charge à un

  7   endroit.

  8   Q.  Pour être sûr de bien comprendre, en 1992, j'imagine que vous nous

  9   parlez de la zone de Slavonski Brod, à partir de 1992 ces réfugiés on les

 10   installait à Gasinci, c'est ça ?

 11   R.  Oui, c'est ça, c'est ça. Mais il n'y avait pas que ceux qui sont

 12   arrivés de Posavina bosniaque, il y avait aussi des gens qui arrivaient

 13   d'autres régions de Bosnie plus en profondeur. Prenons maintenant les

 14   premiers réfugiés que nous avons installés à Gasinci, c'étaient des gens

 15   arrivés de Sarajevo. Il me semble, si mes souvenirs sont bons, sept ou huit

 16   autocars multipliés par 50 personnes, donc 400 personnes à peu près sont

 17   arrivées dans cette première vague, arrivées de Sarajevo et qui ont demandé

 18   d'être placées en République de Croatie. C'étaient les premiers individus à

 19   qui nous avons pu offrir de les prendre en charge dans cet ancien centre

 20   d'entraînement militaire où il y avait les infrastructures nécessaires. On

 21   a pu les placer dans des bâtiments solides.

 22   Q.  Bien. Nous savons, parce que des témoins sont venus nous l'expliquer,

 23   qu'on a vu arriver un grand nombre de personnes en Croatie à tel point

 24   qu'il devenait presque impossible d'accueillir des réfugiés

 25   supplémentaires. La question que j'ai à vous poser est la suivante : à

 26   votre connaissance, est-ce que la République de Croatie a jamais fermé ses

 27   frontières à des réfugiés supplémentaires, et en particulier aux réfugiés

 28   musulmans ? Par exemple, est-ce qu'on a laissé passer les Croates mais en

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  1   empêchant les Musulmans de passer la frontière ou est-ce qu'on a fermé la

  2   frontière en dirigeant les réfugiés vers d'autres pays, Slovénie, Hongrie,

  3   mais surtout pas en Croatie parce qu'il n'y avait plus de place ?

  4   R.  Non. Pendant cette période-là et pendant toute la durée de l'agression

  5   contre la Bosnie-Herzégovine, nous n'avons jamais fermé nos frontières pour

  6   ce qui est des réfugiés de Bosnie-Herzégovine, il ne s'est jamais produit

  7   que l'on refuse l'entrée à certaines personnes arrivées de Bosnie-

  8   Herzégovine ou qu'on les ramène en Bosnie-Herzégovine, renvoie en Bosnie-

  9   Herzégovine parce que ce serait les renvoyer à la mort. Nous, en fonction

 10   des conventions de Genève, on ne pouvait pas et on n'avait pas le droit

 11   d'envoyer de force ces réfugiés dans des pays voisins parce qu'aux termes

 12   de ces conventions, la Croatie était leur premier pays voisin et elle était

 13   dans l'obligation d'offrir la sécurité à ces réfugiés et de les prendre en

 14   charge. D'ailleurs, si nous avions fait cela, la Slovénie ne les aurait pas

 15   reçus. Je me souviens d'un cas où les réfugiés eux-mêmes ont exprimé le

 16   souhait de se rendre en Slovénie. Ils se sont trouvés au poste-frontière de

 17   Bregana, pendant deux jours ils ont protesté là-bas, ils voulaient entrer

 18   en Slovénie mais la police des frontières slovènes n'a pas accepté de les

 19   recevoir et au bout de deux jours nous les avons reçus en Croatie.

 20   Il faut savoir que nous avons toujours opéré de concert avec les

 21   organisations humanitaires internationales, c'est d'une manière stricte que

 22   nous avons coopéré avec le HCR des Nations Unies. Nous, nous nous sommes

 23   concertés tous les jours avec des représentants du HCR des Nations Unies.

 24   Nous avons entretenu de bonnes relations avec eux, nous avons suivi leurs

 25   conseils, et je considère que leurs conseils disaient toujours : Recevez-

 26   les, accueillez-les, et nous allons vous aider, puis nous allons voir par

 27   la suite quels sont les pays prêts à recevoir le reste des réfugiés que

 28   vous ne pouvez pas prendre en charge.

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  1   Egalement, à un moment donné pendant une période, il me semble que c'était

  2   en août et septembre 1992, voire en 1993 également, il y a eu des vagues

  3   très importantes de réfugiés qui sont arrivés de Bosnie-Herzégovine en

  4   Croatie, à ce moment-là notre gouvernement a lancé un appel aux pays

  5   voisins en demandant que ces pays nous viennent en aide pour prendre en

  6   charge ces réfugiés.

  7   A cet égard, c'est l'Allemagne qui a aidé, elle a reçu un nombre important

  8   de ces réfugiés et les a placés en Allemagne. Puis je me souviens que les

  9   Pays-Bas également, le pays où nous sommes aujourd'hui, ils ont même envoyé

 10   des trains à Karlovac pour prendre en partie des réfugiés et pour qu'ils

 11   viennent s'installer aux Pays-Bas. Egalement on a été aidé à ce moment-là

 12   par l'Autriche, la Suède, le Danemark, d'autres pays dans une moindre

 13   mesure. Un très petit peu l'Italie, peu la France. L'Espagne, peu; la

 14   Belgique, très peu, si ce n'est des gens qui avaient la famille qui

 15   travaillaient là-bas, donc la majorité de ces réfugiés -- nous avons des

 16   listes précises puisque nous tenions ces listes.

 17   La majorité des réfugiés, hormis la République de Croatie où en 1993 ils se

 18   sont trouvés à raison de 250 000, donc le chiffre le plus important après

 19   c'est celui qui revient à l'Allemagne. Et pour ne pas trop fatiguer ceux

 20   qui nous écoutent, il existe des rapports régulièrement envoyés par notre

 21   bureau. Il convient également de mentionner à cette occasion que par trois

 22   fois nous avons procédé au recensement des personnes déplacées et des

 23   réfugiés, et ce, sur l'initiative du HCR et également grâce à l'aide

 24   financière que nous avons reçue du HCR. Ce premier recensement, nous

 25   l'avons fait en avril, mai, juin 1992 et à ce moment-là nous avons recensé

 26   toutes les personnes déplacées -- oui, je vous en prie.

 27   Q.  Je vais vous interrompre et ce ne sera peut-être pas la dernière fois

 28   pour essayer de raccourcir un petit peu vos réponses. Nous disposons de

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  1   statistiques indiquant que la Hongrie a fait preuve de beaucoup de

  2   générosité dans l'accueil des réfugiés.

  3   R.  [aucune interprétation]

  4   Q.  Alors que si j'ai bien compris, la Slovénie n'a accueilli que très peu

  5   de réfugiés, et il y a un incident qui s'est déroulé dans la localité de

  6   Pineta où les gens étaient contraints à accueillir des réfugiés qui

  7   venaient de votre région ?

  8   R.  Je vais vous parler tout à fait ouvertement, pour ce qui est de la

  9   Hongrie pendant cette première vague d'agression contre la Croatie, elle a

 10   reçu beaucoup de Croates et des minorités nationales, il y avait aussi des

 11   Hongrois. Environ 30 000 personnes ont été reçues depuis la région

 12   d'Osijek, en Croatie. Ils ont été très bien pris en charge, ça été très

 13   bien organisé. Deux ou trois fois, je suis allé en Hongrie moi-même pour me

 14   rendre auprès de nos réfugiés. Mais dès que cette région dans les environs

 15   d'Osijek n'a plus été menacée par la guerre, ils ont tous commencé à

 16   retourner en Croatie. Donc vers la fin de l'année 1992, il ne restait plus

 17   que 3 ou 4 000 réfugiés en Hongrie, ceux qui étaient originaires de Vukovar

 18   ou de Slavonie orientale qui étaient occupés.

 19   Quant à la Slovénie maintenant, je dois faire preuve de gratitude puisque

 20   dans un premier temps lorsque les Croates s'enfuyaient vers la Slovénie,

 21   les Croates de Croatie, de Vukovar, voire même de Zagreb, nous avons eu des

 22   réfugiés de Zagreb en Slovénie car il faut savoir que l'armée yougoslave

 23   entre les mains serbes se trouvait à deux pas de Zagreb, à 40 kilomètres

 24   seulement. Et tous les jours nous entendions des pilonnages. A Zagreb on

 25   pouvait parfaitement entendre cela, et il y avait beaucoup d'habitants de

 26   Zagreb qui se sont enfuis à ce moment-là à Ljubljana, à la recherche d'un

 27   abri, mais très vite, dès le mois de janvier 1992 lorsque les actions de

 28   guerre se sont arrêtées à l'extérieur des zones occupées, ils sont revenus,

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  1   donc en Slovénie. Il est resté à peu près 20 000 de nos réfugiés croates et

  2   graduellement nous avons dû les recevoir au retour en Croatie.

  3   Pour ce qui est de Pineta --

  4   Q.  On va en parler.

  5   M. KARNAVAS : [interprétation] Mais je me demandais si on pourrait peut-

  6   être faire la pause maintenant, à moins que vous ne souhaitiez que je

  7   poursuive.

  8   M. LE JUGE ANTONETTI : -- faire cinq minutes encore, c'est comme vous

  9   voulez.

 10   M. KARNAVAS : [interprétation] Oui, encore cinq minutes.

 11   Q.  En bref, parce qu'après on va entrer dans le détail des choses. Nous

 12   avons beaucoup de documents à examiner. Nous savons qu'en 1993, en mai,

 13   juin, juillet, août, on a enregistré des tensions entre les Croates et les

 14   Musulmans en Bosnie-Herzégovine centrale. Ma question - et je vous demande

 15   d'être bref dans votre réponse - à votre connaissance, est-ce que le Bureau

 16   chargé des personnes déplacées et des réfugiés ou est-ce que la République

 17   de Croatie, à ce moment-là, est-ce qu'ils ont refusé l'accès à leur pays à

 18   des Musulmans venant de cette zone après le conflit entre les Croates et

 19   les Musulmans; et s'ils ont accueilli ces Musulmans, est-ce qu'ils ont

 20   commencé à les traiter en appliquant une certaine discrimination, par

 21   exemple, les installant dans des locaux de moindre qualité, en ne leur

 22   donnant pas suffisamment à manger, en les empêchant d'avoir accès à

 23   l'enseignement ?

 24   Pouvez-vous donner des explications à la Chambre de première instance, est-

 25   ce que pendant cette période il y avait des différences entre le traitement

 26   des Croates et des Musulmans qui venaient de Bosnie-Herzégovine qui

 27   arrivaient en Croatie en tant que réfugiés, est-ce qu'ils subissaient une

 28   discrimination ?

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  1   R.  A l'époque que vous venez de mentionner, nous avons continué de

  2   recevoir les réfugiés de Bosnie-Herzégovine, nous ne faisions toujours

  3   aucune discrimination entre les uns et les autres, nous avons au contraire

  4   reçu de façon identique les Musulmans tout comme les Croates de Bosnie. A

  5   ce moment-là, nous avons cherché à les placer dans les hôtels de meilleure

  6   catégorie sur la Riviera de Makarska, parce que nous n'avions plus aucune

  7   possibilité de placer ces gens ailleurs en Croatie. J'étais le chef du

  8   Bureau chargé des personnes déplacées et des réfugiés et en cette qualité-

  9   là, je me suis adressé au gouvernement croate, je leur ai demandé de mettre

 10   à notre disposition les hôtels dans les environs de Makarska sur cette

 11   Riviera-là, et c'est là que nous avons placé ces réfugiés, à la fois des

 12   Musulmans et des Croates de Bosnie-Herzégovine, sans jamais procéder à une

 13   discrimination quelle qu'elle soit, même si nous étions pleinement

 14   conscients du fait qu'à ce moment-là entre la Bosnie-Herzégovine, il y a eu

 15   partiellement, pas dans toute la Bosnie-Herzégovine mais partiellement,

 16   qu'il y a eu un conflit.

 17   M. KARNAVAS : [interprétation] Je pense que nous pouvons maintenant faire

 18   la pause, Monsieur le Président.

 19   M. LE JUGE ANTONETTI : On va faire une pause de 20 minutes.

 20   --- L'audience est suspendue à 15 heures 44.

 21   --- L'audience est reprise à 16 heures 08.

 22   M. LE JUGE ANTONETTI : Alors avant de redonner la parole à Me Karnavas, la

 23   Chambre va rendre une décision orale sur la question liée aux documents et

 24   au contre-interrogatoire de l'Accusation. Bien. Donc la Chambre a été

 25   saisie de la difficulté suivante exposée par l'Accusation, à savoir que la

 26   Défense a communiqué à l'Accusation les pièces 1D 02921 et 1D 02922, et que

 27   l'Accusation souhaite avoir du temps pour contre-interroger, le cas

 28   échéant, le témoin, et demande que son contre-interrogatoire soit renvoyé

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  1   en automne.

  2   Après avoir reçu, donc, les observations en réplique de la Défense Prlic et

  3   de la Défense de M. Stojic, la Chambre décide que le contre-interrogatoire

  4   aura lieu cette semaine, que pour le cas où l'Accusation -- où la Défense

  5   utiliserait le document 1D 2921, qui, lui, faisant 36 pages, est traduit en

  6   anglais. En revanche, si la Défense aborde des questions à partir du

  7   document 1D 2922, qui n'est pas traduit, à ce moment-là, le contre-

  8   interrogatoire aura lieu à l'automne.

  9   La Chambre invite à l'avenir la Défense à communiquer dès que possible à

 10   l'Accusation tout rapport ou note personnelle du témoin afin de permettre à

 11   l'Accusation de se préparer au contre-interrogatoire dans des délais

 12   raisonnables. Voilà.

 13   Donc, Maître Karnavas, vous pouvez poser des questions sur le 2922 et, à ce

 14   moment -- sur le premier document, le 2921, sans problème puisque

 15   l'Accusation l'a en anglais et ça ne fait que 36 pages, qui est un -- une

 16   chronologie des événements. En revanche, si vous abordez des questions

 17   liées au 2922, à ce moment-là, le contre-interrogatoire aura lieu en

 18   automne.

 19   M. KARNAVAS : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Aux fins du

 20   compte rendu, je veux m'assurer que tout le monde comprend, nous avons

 21   demandé à tous nos témoins de nous fournir toute note ou autre rapport.

 22   Nous avons essayé de faire preuve de diligence, mais je le répète, ceci n'a

 23   été traduit qu'à la dernière minute. Dès que nous l'avons reçu, nous

 24   l'avons communiqué, bien sûr, on avait des problèmes de traduction. Mais

 25   nous remercions la Chambre d'avoir fait preuve de compréhension et nous

 26   comprenons aussi les préoccupations de l'Accusation et nous allons essayer

 27   d'œuvrer dans le meilleur esprit de coopération possible à l'avenir.

 28   Q.  Monsieur Rebic, en matière d'enseignement, la question de l'éducation

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  1   se pose, nous avons un témoin à charge, Azra Krajsek, qui a dit que

  2   s'agissant de l'enseignement, les réfugiés musulmans n'avaient pas pu

  3   exercer leur droit fondamental à l'enseignement dans des écoles croates.

  4   Pourriez-vous aborder cette question de l'enseignement ? A votre

  5   connaissance, quels sont les cours qu'on a pu donner aux personnes

  6   réfugiées ou déplacés, qu'elles soient croates, musulmanes ou autres, car

  7   nous savons qu'il y a eu aussi des Serbes qui étaient réfugiés ou déplacés.

  8   Nous savons aussi qu'il y avait une grande communauté juive de Sarajevo qui

  9   a été transportée à Zagreb. Auriez-vous un commentaire à ce propos ?

 10   R.  En principe, les personnes expulsées et les réfugiés, en vertu de la

 11   convention de Genève, avaient le droit de se scolariser. S'agissant des

 12   ressortissants croates expulsés de territoires occupés en République de

 13   Croatie, c'était chose plus aisée à réaliser. S'agissant des ressortissants

 14   de la République de Bosnie-Herzégovine, donc des réfugiés, ce droit était

 15   quelque peu plus difficile à réaliser pour plusieurs raisons. D'abord,

 16   parce que ces gens avaient fui en plein milieu de l'année scolaire ou de

 17   l'année académique, ou voire parce qu'ils avaient espéré retourner chez eux

 18   très rapidement et poursuivre leur formation dans leur localité d'origine,

 19   voire encore du fait d'avoir été accueillis dans des centres d'accueil pour

 20   réfugiés où il n'y avait pas d'école du tout. 

 21   Alors, en principe, tous avaient le droit à une scolarisation. Nous

 22   avons eu des cas où, par exemple, à Gasinci, les enfants de réfugiés ont

 23   fréquenté une école à Djakovo, et à ce sujet nous avons des données disant

 24   qu'un certain nombre d'élèves avaient fini une formation quelconque dans

 25   des écoles secondaires ou dans d'autres écoles déjà en place à Djakovo. En

 26   outre, à Zagreb, c'était plus facile d'exercer ce droit, car on pouvait les

 27   inscrire, s'ils le voulaient, dans des écoles croates. Personnellement, je

 28   connais certains Musulmans qui, à Zagreb, ont terminé des écoles

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  1   secondaires et des facultés, et qui sont restés à Zagreb. Je les vois ça et

  2   là et ils sont très contents en Croatie. Je dirai, en passant, que ce sont

  3   des gens très capables.

  4   Ils étaient venus en Croatie dans d'autres localités, à Split Pula,

  5   là où il y avait des écoles à disposition, et là, je souligne, s'ils le

  6   voulaient, ils pouvaient poursuivre leur formation scolaire. Mais étant

  7   donné que bon nombre de ces centres de formation se trouvaient quelque peu

  8   à l'écart des centres d'installations, nous avions apporté notre soutien à

  9   la création d'écoles extraterritoriales. En effet, parmi ces réfugiés, il y

 10   avait des enseignants, des instituteurs qui ont participé à des activités

 11   professionnelles, ce qui fait que l'on a pu créer des écoles

 12   extraterritoriales dans ces centres d'accueil à l'intention de réfugiés.

 13   Cela tombait sous la coupe en partie de notre ministère chargé de la

 14   culture et de l'éducation et, en partie, cela était sous l'égide de

 15   l'ambassade de Bosnie-Herzégovine qui était à même de nous aider quelque

 16   peu à cet effet. Donc, de notre côté, il n'y a eu aucun obstacle pour ce

 17   qui est de la scolarisation des réfugiés.

 18   Q.  Fort bien. Je comprends que votre bureau était à Zagreb. Dites-nous,

 19   pendant que vous étiez chef de l'Office des personnes déplacées et des

 20   réfugiés, est-ce que vous vous êtes rendu en visite dans plusieurs

 21   endroits, à quelle fréquence, où se trouvaient ces lieux --

 22   M. LE JUGE ANTONETTI : Maître Karnavas, vous allez revenir à votre

 23   question, mais je pensais que vous alliez approfondir la réponse du témoin

 24   et vous ne l'avez pas fait.

 25   Alors, Monsieur le Témoin, j'allais dire, Monsieur le Professeur, nous

 26   avons eu déjà des témoins qui sont venus et qui nous parlaient des

 27   programmes scolaires. Alors, moi, ce qui m'intéresse, ce n'est pas les

 28   programmes universitaires, mais les programmes primaires ou de l'école

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  1   secondaire. Il y a un nombre considérable de réfugiés qui arrivent en

  2   Croatie, vous nous l'avez indiqué, d'autres témoins nous l'ont dit, nous

  3   sommes pleinement conscients de ce problème. Mais les élèves de l'école

  4   primaire, voire les adolescents de l'école secondaire, quand ils sont

  5   arrivés dans votre pays, est-ce que vous avez mis en place des programmes

  6   spécifiques tenant compte de leurs programmes scolaires à eux ou bien -

  7   mais ça, je n'ai aucun élément d'information - il y avait un programme

  8   général dans l'ex-Yougoslavie qui était appliqué dans toutes les

  9   républiques, ou bien chaque république avait une spécificité au niveau de

 10   l'enseignement, et s'il y avait une spécificité, est-ce qu'elle a été prise

 11   en compte par la Croatie, par votre ministre de la Culture et de

 12   l'Education, pour apporter aux jeunes Musulmans le même soutien scolaire

 13   qu'ils avaient dans leur pays ? Est-ce qu'il y a eu des efforts qui ont été

 14   faits ? Est-ce qu'il y a eu une adaptation du programme scolaire à leurs

 15   propres besoins ? Et j'irai même plus loin, est-ce qu'également il a été

 16   tenu compte, le cas échéant, des différences linguistiques, s'il y en avait

 17   ?

 18   LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Juge, en partie j'ai déjà répondu

 19   à votre question, mais je vais approfondir. La mission de ce Bureau chargé

 20   des personnes déplacées et des réfugiés consistait, en premier lieu, à

 21   héberger ces gens-là, à les nourrir. Leur permettre une scolarisation, par

 22   principe, leur assurer une protection médicale, une protection ou des soins

 23   psychiatriques et psychologiques, car ils en avaient besoin. Nous étions en

 24   guerre. Je l'ai déjà dit, la Croatie a été grandement occupée. L'économie

 25   était entamée dans une grande mesure, donc affaiblie du fait de la guerre,

 26   et à l'époque, entreprendre ce type d'actions telles que vous les avez

 27   énumérées dans votre question serait véritablement quelque chose de plutôt

 28   demandant pour un pays bien plus développé encore que la Croatie, notamment

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  1   sur une période prolongée. Nous étions sous un grand fardeau et nous avons

  2   dû intervenir en guise de sapeurs-pompiers, donc il fallait sauver ce qui

  3   pouvait être sauvé.

  4   En ex-Yougoslavie, bien sûr, il y a eu des différences entre les

  5   différentes républiques, ces différentes n'étaient tout de même pas aussi

  6   grandes, ce qui fait que les gens originaires de Bosnie-Herzégovine, s'ils

  7   le voulaient, pouvaient poursuivre leur formation en République de Croatie

  8   sans une difficulté majeure parce que l'organigramme de la scolarisation

  9   était similaire. Pour ce qui est de la langue, il n'y avait pas de problème

 10   parce que la langue utilisée par les citoyens de la République de Croatie

 11   est la même que celle dont se servent les citoyens de la République de

 12   Bosnie-Herzégovine. En ex-Yougoslavie, on appelait cela le serbo-croate ou

 13   le croato-serbe. Il convient aussi de souligner que la langue que nous

 14   appelons à présent "croate", puisque c'est devenu indépendant, a des

 15   caractéristiques qui sont propres à la langue croate, que nous utilisons

 16   librement et qu'il nous était à l'époque interdit d'utiliser en ex-

 17   Yougoslavie. Mais nous avons parlé un mélange de langue avec le serbe.

 18   Je tiens à préciser qu'en Bosnie-Herzégovine, tant Musulmans que

 19   Croates parlent une langue qu'ils comprennent mutuellement à perfection,

 20   c'est une langue utilisée par les uns et par les autres. Il y a certaines

 21   divergences du point de vue de la lexicologie. Du point de vue grammatical,

 22   il n'y a pratiquement pas de différences, donc il n'y a pas eu besoin de

 23   procéder à des modifications ou adaptations.

 24   Je vous ai dit que les programmes étaient pratiquement les mêmes et

 25   pouvaient facilement être adaptés. Pour ce qui est de ces écoles

 26   extraterritoriales qui se sont organisées au niveau des centres d'accueil

 27   de réfugiés, nous leur fournissions des manuels et c'est nous qui les

 28   payions, ces manuels, le Bureau chargé des personnes déplacées ou alors le

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  1   ministère de l'Education. En principe, c'était le ministère de l'Education

  2   qui était censé fournir ces manuels, mais nous y avons pris part nous

  3   aussi. Je leur fournissais des renseignements à ces gens du ministère de

  4   l'Education, ou alors c'est eux qui venaient demander ces renseignements

  5   auprès de moi.

  6   En bref, tous, dans le principe, avaient la possibilité de se

  7   scolariser au niveau primaire, c'est l'éducation générale telle que nous la

  8   qualifions. Mais dans la situation qui était celle des centres d'accueil

  9   des réfugiés, la chose était plutôt difficile à réaliser. On a essayé de

 10   faire ce qu'il était possible. On n'a pas évité de faire quelque chose

 11   parce qu'on avait de mauvaises intentions. Je dirais --

 12   L'INTERPRÈTE : le micro du témoin vient de se débrancher.

 13   LE TÉMOIN : [interprétation] -- je dirais que du fait de manques de

 14   ressources, du fait de l'accru de carence en personnel ou en bâtiment, cela

 15   a bien sûr été difficile et nous avons pu résoudre bon nombre au fil du

 16   temps. 

 17   Mais je vais vous dire qu'au niveau de la scolarisation et de

 18   l'organisation de la scolarisation, nous avons même de nos jours des

 19   difficultés, c'est une chose qui prend beaucoup de temps.

 20   M. LE JUGE ANTONETTI : Merci, pour cette réponse complète.

 21   J'ai mon collègue qui a une question.

 22   M. LE JUGE MINDUA : Maître Karnavas, excusez-moi. Je voudrais juste

 23   vérifier quelque chose. Je ne sais pas si j'ai bien compris.

 24   Monsieur le Témoin, vous dites que la langue qui est parlée aujourd'hui en

 25   Croatie a des spécificités de sorte qu'elle était interdite à l'époque dans

 26   l'ex-Yougoslavie. C'est bien ça ?

 27   LE TÉMOIN : [interprétation] Votre question requiert une réponse qui n'est

 28   pas si simple. En Croatie nous parlons la langue croate depuis longtemps.

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  1   Ça nous ferait aller très loin si je vous interprétais maintenant

  2   l'évolution de l'histoire de la langue croate. En ex-Yougoslavie, nous en

  3   République de Croatie, nous avons eu une autonomie culturelle particulière

  4   et nous avions une formation scolaire élémentaire, secondaire et

  5   universitaire qui était de façon claire en langue croate. Mais pour des

  6   raisons politiques, cette langue croate était appelée croato-serbe et en

  7   Serbie, ils appelaient cela le serbo-croate. Ces deux langues sont très

  8   proches l'une de l'autre mais je vais être direct pour que vous compreniez

  9   mieux. Du fait de l'hégémonie d'une langue dans ce cas concret du serbe à

 10   l'égard du croate, on a essayé d'intégrer des variantes serbes dans la

 11   langue croate et il y a eu toujours des problèmes de ce fait à Zagreb. En

 12   Bosnie-Herzégovine, la situation était analogue, à savoir la population

 13   parlait la langue qui était pratiquement celle parlée par la population en

 14   République de Croatie, mais les Serbes là-bas ont pu faire passer plus

 15   facilement les variantes des formes serbes du point de vue de la

 16   lexicologie et la syntaxe aussi se trouve être quelque peu différente entre

 17   le serbe et le croate. Maintenant que nous sommes devenus un état

 18   indépendant, dans la République de Croatie nous parlons librement la langue

 19   croate que nous parlions auparavant de toute façon mais personne ne nous

 20   limite du point de vue de l'utilisation de certains mots, de certaines

 21   formes ou d'une certaine syntaxe. Donc nous ne sommes pas obligés de parler

 22   le croato-serbe ou le serbo-croate. Il en va de même pour la Serbie. Pour

 23   ce qui est de la Bosnie-Herzégovine, cette influence est restée, cette

 24   influence antérieure du fait de ce mélange des deux langues et ces deux

 25   langues, disais-je, ne sont pas si différentes pour qu'on ne puisse pas se

 26   comprendre. Donc ce sont deux langues où nous nous comprenons parfaitement

 27   bien. On peut s'aimer et se disputer dans cette langue.

 28   M. LE JUGE MINDUA : Merci beaucoup, Monsieur le Témoin. Alors ma dernière

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  1   question sur ce chapitre. Maintenant dans les écoles des enfants réfugiés,

  2   quelle était la langue qui était utilisée ? C'est cette langue que vous

  3   pratiquez aujourd'hui, libérée de contraintes de la part de l'ex-

  4   Yougoslavie ou la langue qui était en application dans l'ex-Yougoslavie ?

  5   Laquelle était utilisée dans les écoles des réfugiés ? Ce sera ma dernière

  6   question sur ce sujet.

  7   LE TÉMOIN : [interprétation] Dans ces écoles extraterritoriales au niveau

  8   des centres d'accueil de réfugiés, parmi les réfugiés du groupe ethnique

  9   bosnien, donc parmi les Musulmans, on utilisait la variante bosniaque de

 10   cette langue croate, ils avaient la liberté de le faire. Bien entendu, ils

 11   avaient leur enseignement religieux et c'est de façon tout à fait libre

 12   qu'ils avaient l'occasion de suivre des cours en matière de catéchisme mais

 13   islamique. Dans des conditions qui étaient à l'époque les nôtres parmi,

 14   parmi nous autres Catholiques, il y avait les expressions arabes : yanti

 15   all [phon], yahti allah [phon] et Merhamet. Ils avaient Merhamet. Nous les

 16   appelons cette organisation Caritas. Mais le Merhamet, ce n'est pas une

 17   expression slave, donc un homme ordinaire ne sera pas ce que c'est que

 18   Merhamet mais une personne qui a de l'éducation saura que c'est un mot

 19   arabe qui veut dire miséricorde et il en va de même pour ce qui est de

 20   Caritas, donc ils avaient la liberté de se servir de leur langue bosniaque,

 21   bien entendu, si les instituteurs, les enseignants connaissaient cette

 22   langue et je suppose que pratiquement tous utilisaient cette langue-là.

 23   M. LE JUGE MINDUA : Merci, Monsieur le Témoin.

 24   LE TÉMOIN : Il n'y a pas de quoi. 

 25   M. LE JUGE ANTONETTI : Vous avez soulevé un problème sous-jacent. Vous avez

 26   développé la question de l'éducation mais vous avez abordé un côté

 27   religieux. Alors ces jeunes musulmans de confession musulmane, est-ce que

 28   le gouvernement de Zagreb a fait le nécessaire pour qu'ils aient au même

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  1   titre qu'un croate catholique qui a le catéchisme pour qu'ils aient eux ces

  2   Musulmans des imams qui viennent continuer à leur enseigner la religion

  3   musulmane ?

  4   LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Juge, c'est de façon tout à fait

  5   libre qu'ils le faisaient. Ils avaient parmi les réfugiés des imams qu'ils

  6   embauchaient. En Croatie, qui plus est, il y a une communauté islamique et

  7   l'Eglise catholique, les chrétiens ont de bonnes relations avec. Moi-même

  8   en personne j'ai de bonnes relations avec M. Seko Omerbasic, le responsable

  9   de la communauté islamique en Croatie. C'est avec eux que j'ai inspecté

 10   certains centres d'accueil de réfugiés où se trouvaient des Musulmans. Donc

 11   je suis allé avec lui à Varazdin 1, Varazdin 2, à Karlovoj, dans la ville

 12   de Pula, et cetera. Ils avaient absolument une liberté entière de pratiquer

 13   leur religion. Chaque centre d'accueil avait une mosquée. Il y avait une

 14   mosquée à Gasinci, il y en avait à l'île d'Obonjan, et partout ailleurs où

 15   il y avait des groupes plus importants de Musulmans. Qui plus est, cela on

 16   s'en félicitait, nous autres, qu'ils puissent le faire parce que plus

 17   quelqu'un est croyant plus c'est un homme bon.

 18   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien.

 19   M. KARNAVAS : [interprétation] Merci. Merci, Messieurs les Juges.

 20   Permettez-moi de rebondir parce que j'avais oublié.

 21   Q.  Si je comprends bien, vous êtes un prêtre, n'est-ce pas ?

 22   R.  C'est exact. Je suis prêtre catholique. C'est en 1964 que je suis

 23   devenu prêtre. Il a très longtemps à Rome pendant le deuxième concile du

 24   Vatican.

 25   Q.  D'ailleurs si j'ai bien compris, vous faites la messe à la cathédrale

 26   de Zagreb, mais en Allemagne comme en France quelques fois vous avez des

 27   fonctions de prêtre pour remplacer des prêtres là-bas ?

 28   R.  C'est exact. Si nécessaire, je préciserais qu'en ma qualité de

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  1   professeur du temps de l'ex-Yougoslavie, tous les étés j'allais passer mes

  2   vacances en partie vers la France, vers des bonnes sœurs carmélites à Saint

  3   Germain en l'Aix non loin de Paris et une partie de l'été, c'était à peu

  4   près un mois, j'allais à Perha [phon] au sud de Munich où je remplaçais le

  5   prêtre local. 

  6   Q.  Puisque la question de la religion a été posée, si je comprends bien,

  7   vous êtes un homme qui croit en la tolérance religieuse. Est-ce qu'en fait

  8   vous n'enseignez pas la religion comparée ? Est-ce que vous n'avez pas

  9   étudié les grandes religions du livre donc le bouddhisme et les autres

 10   aussi donc l'islam, le judaïsme, le bouddhisme ?

 11   R.  C'est exact. J'ai enseigné à la faculté de théologie. J'ai enseigné

 12   l'hébreu et également l'araméen et l'arabe en tant que matières

 13   optionnelles. Mes matières principales étaient l'interprétation des textes

 14   bibliques de l'ancien testament, leur analyse et la synthèse, donc la

 15   théologie biblique de l'ancien testament. J'offrais des options par exemple

 16   la question de la judaïté, le rite et les coutumes puis la littérature

 17   araméenne du Ier au IVe siècle après Jésus-Christ, puis les relations entre

 18   les Juifs et les Chrétiens à travers l'histoire. J'ai également publié un

 19   livre là-dessus. Puis d'autres peuvent connaître la nature de ces

 20   relations, d'autres comme mes étudiants, parfois ces relations étaient

 21   bonnes parfois très mauvaises. Mais c'est quelque chose qu'il faut savoir

 22   pour que cela ne se réitère pas, pour que le mal ne se reproduise pas.

 23   M. LE JUGE ANTONETTI : Témoin, je viens de découvrir que vous êtes prêtre

 24   catholique, ce qui nous avait un peu échappé au début de l'audience. De ce

 25   fait, quand vous prenez la direction de l'office, vous aviez une double

 26   casquette étant religieux et directeur de cet office, ou bien vous étiez

 27   mis en congé du clergé pendant l'exercice de cette mission administrative ?

 28   LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Président, j'ai continué d'exercer

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  1   mon service de prêtre, et ce, à la Cathédrale de Zagreb car c'est de la

  2   part de la Cathédrale de Zagreb que j'ai reçu un logement de fonction que

  3   j'occupe et en échange je dois servir d'office à la Cathédrale. C'est ce

  4   que je faisais également quand je travaillais au Bureau des personnes

  5   déplacées et des réfugiés, mais à ce moment-là il fallait que je paye les

  6   gens qui venaient me remplacer. Donc pendant tout le temps j'ai été prêtre,

  7   je me suis trouvé au bureau avec l'autorisation de mon archevêque, le

  8   cardinal Franjo Kuharic. Car sans son autorisation je n'aurais pas pu me

  9   trouver à la tête du bureau du gouvernement qui avait la charge des

 10   personnes déplacées et des réfugiés, et jusqu'à la fin j'ai pu y travailler

 11   avec son autorisation, et lorsque j'ai remis ma démission c'était selon le

 12   souhait du cardinal Kuharic qui souhaitait que je revienne à l'université,

 13   je me mette entièrement à la disposition de l'université car lui a estimé

 14   qu'avec la fin de la guerre quelqu'un d'autre pouvait assumer ces

 15   fonctions.

 16   M. LE JUGE ANTONETTI : Et en 1995, quand vous avez été ministre sans

 17   portefeuille, vous étiez toujours prêtre ?

 18   LE TÉMOIN : [interprétation] A ce moment-là, j'étais toujours prêtre avec

 19   l'autorisation du cardinal Kuharic et avec l'autorisation du nonce papal,

 20   qui était à ce moment-là en Croatie, je lui ai demandé l'autorisation et il

 21   m'a répondu. Si votre cardinal vous autorise à faire cela Rome n'aura pas à

 22   y redire. Or si votre cardinal ne vous donne pas le feu vert vous n'avez

 23   pas le droit de le faire et c'est ce qui a été fait avec le consentement du

 24   cardinal, donc je n'ai rencontré aucune difficulté, je n'ai eu aucun

 25   problème avec Rome.

 26   Parce que cette fonction, ce poste était de nature humanitaire, et non de

 27   nature politique. Je n'étais membre d'aucun parti politique, aucun parti.

 28   Donc j'étais un employé qui exerçait hors parti et je n'ai suivi ni telle

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  1   ni telle autre ligne des partis. J'ai fait comme me l'a ordonné ma

  2   conscience. C'est ce que j'ai exigé de la part de mes collaborateurs au

  3   bureau, on ne leur demandait pas à eux de devenir membres des partis

  4   politiques non plus. Donc le bureau était plutôt de nature humanitaire,

  5   dirais-je, que de nature politique. Surtout si je puis ajouter, le

  6   gouvernement au tout début a souhaité que l'église se penche sur la

  7   question des personnes déplacées et des réfugiés parce que pour l'Etat ça

  8   constituait une charge trop importante; cependant, à ce moment-là l'Eglise

  9   a répondu au gouvernement qu'elle ne pouvait pas se charger de ça car les

 10   moyens, les ressources lui manquaient, financières, car en fin de compte

 11   c'est une charge qui revient à l'Etat et c'est finalement ce qui s'est

 12   passé, c'est le gouvernement qui a créé ce Bureau pour les personnes

 13   déplacées et réfugiés.

 14   M. LE JUGE ANTONETTI : Veuillez poursuivre, Maître Karnavas.

 15   M. KARNAVAS : [interprétation]

 16   Q.  Si j'ai bien compris, c'est à ce moment-là qu'on vous a demandé

 17   d'organiser le bureau ou l'office ?

 18   R.  C'est ça. L'on m'a demandé -- cela s'est passé en novembre, fin

 19   novembre, on m'a demandé d'organiser de concert avec M. Damir Zoric et avec

 20   quelques autres collaborateurs, de mettre sur pied ce bureau. En fait, nous

 21   avons créé ce bureau de rien. Au préalable nous n'avions ni de texte de loi

 22   ni aucune expérience. Nous avons commencé à apprendre sur le tas et je dois

 23   sur ce plan remercier M. Comkulato, qui a été le premier représentant du

 24   HCR à Zagreb à ce moment-là, et nous avons beaucoup coopéré avec lui. Le

 25   bureau du HCR d'ailleurs a été hébergé dans les mêmes locaux que le Bureau

 26   des personnes déplacées et des réfugiés, donc nous avons collaboré très

 27   étroitement.

 28   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Excusez-moi, Monsieur Karnavas.

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  1   Je pensais que vous insisteriez pour avoir une réponse complète à votre

  2   question précédente.

  3   On vous a demandé, Monsieur le Témoin, si vous avez enseigné la religion

  4   comparative y compris le bouddhisme et l'islam, or vous n'avez pas répondu

  5   à cette question. Vous avez parlé de l'enseignement comparé de la religion

  6   chrétienne et la religion juive. Est-ce que vous pourriez répondre avec

  7   plus de précision à la question.

  8   LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Juge, je n'ai pas enseigné

  9   l'histoire comparée des religions, c'est un collègue qui a enseigné cela.

 10   C'était la deuxième matière à enseigner, mais puisque vous me posez la

 11   question, si je puis vous en parler, je suis le rédacteur en chef du

 12   lexique général des religions publié en 2000 en Croatie sur 1 200 pages

 13   environ, très riche en illustration. Ce glossaire général des religions,

 14   j'y ai travaillé pendant cinq ou six ans avec mon équipe. Toutes les

 15   religions y sont représentées, à commencer par les religions préhistoriques

 16   de l'Amérique latine, de l'Asie, jusqu'aux grandes religions du monde,

 17   bouddhisme, l'indouisme, l'islam, la judaïté, toutes les formes de

 18   chrétienté. Donc d'après moi, très modestement, si je puis, c'est l'un des

 19   meilleurs lexiques que nous ayons aujourd'hui en République de Croatie. Je

 20   transmets là l'avis des autres.

 21   M. KARNAVAS : [interprétation]

 22   Q.  Merci.

 23   R.  Je vous en prie.

 24   Q.  Bien. Vous nous avez dit que vous bénéficiez de l'aide de représentants

 25   de la communauté internationale, vous avez parlé d'un certain M. Comkulato.

 26   Pendant cette période où vous avez travaillé au sein du Bureau chargé des

 27   personnes déplacées et des réfugiés, dans quelle mesure avez-vous eu des

 28   contacts avec ce qu'on appelait les internationaux, c'est-à-dire des gens

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  1   qui représentaient l'Union européenne, enfin à l'époque c'était la

  2   Communauté européenne, les Nations Unies, les organisations non

  3   gouvernementales. Pouvez-vous nous parler de vos contacts avec eux et de la

  4   nature de vos activités communes ?

  5   R.  Le nom de la personne est Comkulato avec C, ça s'écrit avec un C et je

  6   voudrais préciser cela pour que le nom soit correctement transcrit.

  7   Il est vrai, ce que vous me demandez, de nombreuses organisations

  8   humanitaires se rendaient en Croatie pour apporter leur aide pour ce qui

  9   est de l'accueil des personnes déplacées et des réfugiés. J'ai eu des

 10   contacts réguliers, quotidiens avec ces personnes. Je les adressais à des

 11   différents endroits pour qu'ils puissent apporter leur aide. Pour certains,

 12   ils ont organisé l'acheminement de l'aide, des vivres venus de l'étranger.

 13   Pour d'autres, par exemple, Médecins du monde, ils ont organisé des soins

 14   médicaux dispensés dans différents centres d'accueil de réfugiés, il y

 15   avait des psychiatres, des psychologues, des pédagogues. Il y a eu

 16   également des humanitaires arabes islamiques, Al Haramija [phon], Ikasa

 17   [phon], Merhamet venus d'autres pays. Là encore, nous avons eu une bonne

 18   coopération. Dans les centres où il y avait la majorité de Musulmans, c'est

 19   là précisément que je les adressais pour qu'ils les aident.

 20   Comme j'ai déjà mentionné, sur le plan humanitaire, c'est le HCR surtout

 21   qui nous a aidés et aussi l'Union européenne. Nous avons vu arriver de

 22   nombreux représentants des pays européens qui nous ont apporté leur aide,

 23   c'était surtout aussi des Croates qui travaillaient en Allemagne. Vous

 24   devez savoir, nous avions une diaspora croate très importante et nous

 25   l'avons toujours en Allemagne, en Autriche et en Suisse. Lorsque la guerre

 26   s'est déclarée en Croatie, ils ont été très sensibilisés et très

 27   solidaires. Et parmi nos ressortissants en Allemagne et en Autriche et en

 28   Suisse, ils ont organisé la collecte d'aide pour nous. Et cette aide nous

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  1   arrivait tous les jours, j'avais des contacts, des réunions d'information.

  2   Q.  Je vous interromps. Je vous avais posé une question, vous y répondiez

  3   puis vous avez été interrompu. Je vous avais posé une question au sujet des

  4   différents centres, de vos visites dans ces centres, je vous avais demandé

  5   si, quand vous étiez à la tête du bureau, vous vous étiez rendu dans ces

  6   centres. Bien entendu, ce qui m'intéresse en premier lieu c'est Gasinci et

  7   Obonjan puisque nous avons entendu certains témoins nous dire que les

  8   réfugiés qui s'y trouvaient étaient victimes de discrimination. Je voudrais

  9   donc savoir quelle était la fréquence de vos visites dans ce centre et je

 10   voudrais savoir si vous vous êtes jamais rendu dans ces deux centres dont

 11   je viens de donner le nom ?

 12   R.  Il m'est arrivé de me rendre dans tous les centres d'accueil pour

 13   réfugiés et aussi tous les centres d'accueil des personnes déplacées. Bien

 14   entendu, je n'ai pas pu le faire de manière très fréquente parce qu'il y

 15   avait aussi chez nous une structure de subordination. En République de

 16   Croatie, nous avons mis sur pieds 21 bureaux régionaux qui couvraient toute

 17   la République de Croatie, répartis d'après les régions administratives. Et

 18   puis, il y avait aussi des centres sociaux qui dépendaient du ministère de

 19   Protection sociale. J'avais au moins une personne, parfois deux, qui

 20   étaient placées sous ma compétence dans chaque centre, et ces personnes

 21   avaient la charge des réfugiés et des personnes déplacées. C'était moi et

 22   non pas le ministre des Affaires sociales qui était le ministère -- il

 23   n'était pas leur ministère de tutelle. A chaque fois qu'il y avait des

 24   problèmes, il fallait réagir; dans un village de 5 000 personnes, il peut y

 25   avoir des problèmes, comment voulez-vous qu'il n'y en ait pas dans un

 26   centre d'accueil de réfugiés qui, parfois, avait la même taille ? Donc je

 27   me rendais dans ces différents centres à chaque fois que des problèmes se

 28   posaient pour ce qui est du logement, d'installations, de vivres, de soins

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  1   médicaux, parce que les personnes déplacées et les réfugiés avaient des

  2   besoins, des souhaits également. Et il arrivait que ces centres ne puissent

  3   pas répondre pleinement à cela, ce qui est tout à fait naturel. Et donc

  4   nous essayions de trouver des solutions.

  5   A Gasinci, j'y suis allé à plusieurs reprises, voire même une fois

  6   avec Mme Ogata, qui était la présidente du HCR à Genève. Je lui ai servi de

  7   guide lorsque nous avons fait le tour du centre d'accueil pour réfugiés de

  8   Gasinci. Elle a été très satisfaite de ce que nous faisions, de la manière

  9   dont nous procédions. Elle s'est entretenue avec des personnes qui se sont

 10   trouvées sur place et elle m'a exprimé sa gratitude pour ce que nous

 11   faisons, elle m'a dit même : Je vous admire, vous le faites mieux que

 12   certains autres pays. J'ai eu des contacts avec elle à Zagreb également, je

 13   lui ai montré les centres d'accueil pour réfugiés à Kruge, à Spansko, et

 14   ailleurs. Pour ce qui est de l'île d'Obojan, pour que tout le monde sache

 15   de quoi il s'agit, c'est une île magnifique près de Sibenik. Et sur cette

 16   île, avant cette dernière guerre, il y avait un centre pour boy-scouts,

 17   c'est là qu'ils avaient leur centre d'été. Et il y avait les

 18   infrastructures, il y avait là des rencontres internationales de jeunes.

 19   C'est la raison pour laquelle cette île s'appelait l'île de la jeunesse.

 20   Lorsque cette crise s'est déclenchée, la crise des réfugiés, nous nous

 21   sommes adressés au ministre du Tourisme ou plus précisément à la ville de

 22   Sibenik, dont fait partie cette île et ce centre touristique, nous leur

 23   avons demandé de nous le louer. C'est sur cette île que nous avons placé

 24   des réfugiés de Bosnie-Herzégovine, des Musulmans, mais il y avait là aussi

 25   des Croates. Il y avait des Tziganes également, et des Serbes aussi.

 26   C'était une petite Yougoslavie.

 27   C'est là que nous avons placé dans un premier temps un certain nombre

 28   de réfugiés dans les locaux que nous avions sur place, donc des bâtiments

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  1   fixes. Mais comme le nombre de réfugiés s'est accru, c'est là pour la

  2   première fois que nous avons également placé des gens sous des tentes.

  3   D'ailleurs à Split et également à Stobrec, nous avons utilisé des tentes

  4   pour une période brève, temporairement, parce que chez nous les gens

  5   hésitent à se placer sous des tentes et je les comprends. Pour ce qui est

  6   d'Obojan, j'y suis allé deux ou trois fois, je suis venu voir sur place

  7   surtout au début, lorsque mon collègue, l'avocat Miso Hribar, a très bien

  8   organisé cet hébergement. Je n'ai pas rencontré de mécontentement

  9   particulier. Certes, les gens demandaient plus de nourriture, celle de

 10   meilleure qualité, mais ils étaient libres de pêcher et de préparer le

 11   poisson et de se débrouiller ainsi. D'après ce que j'en sais, jamais

 12   personne n'a eu faim sur cette île. Il y avait, Dieu merci, suffisamment à

 13   manger. Bien sûr, il n'y en avait pas pour jeter, mais même cela s'est

 14   passé, j'ai eu des situations désagréables, pas dans ce centre, mais dans

 15   un autre centre. Quand j'y suis venu avec une organisation humanitaire,

 16   nous avons trouvé des restes de nourriture autour de ce centre pour

 17   réfugiés. Enfin, ça peut se comprendre.

 18   Il y avait à Obonjan un médecin, un dentiste, un dispensaire, une

 19   mosquée, une école extraterritoriale, ils avaient tout. Et il y avait un

 20   bac qui était mis à la disposition des réfugiés à tout moment pour un

 21   accouchement ou pour une intervention urgente, très rapidement, ces

 22   personnes pouvaient être transférées à Sibenik parce que, par bac, on

 23   pouvait atteindre Sibenik en une vingtaine de minutes, une demi-heure. Donc

 24   de ce côté là également, Obonjan était protégée.

 25   Il y avait des médecins qui venaient de l'extérieur, des volontaires.

 26   Je me souviens également d'une jeune association française qui se penchait

 27   sur le sort des jeunes et des enfants, tout un chacun qui était bien

 28   intentionné était libre de venir et d'aider. Ils devaient obtenir une

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  1   autorisation de notre part puisqu'il nous fallait savoir qui se rendait

  2   dans ces centres pour réfugiés et quelles étaient les intentions des

  3   personnes. Mais, ce serait ce que je pourrais vous dire en bref sur

  4   Obonjan.

  5   Q.  Avez-vous jamais reçu des protestations de la part, par exemple, du HCR

  6   des Nations Unies selon lesquelles votre bureau ou le gouvernement de la

  7   République de Croatie avait des pratiques discriminatoires envers les

  8   Musulmans qui se trouvaient à Gasinci ou dans cette île dont vous nous

  9   parlez ?

 10   R.  Non. Je n'ai jamais reçu de manière explicite une objection, une

 11   remarque. Nous avons coopéré pour résoudre des problèmes qui se sont posés.

 12   Le plus souvent c'était des problèmes qui concernaient la nourriture, qui

 13   concernaient les soins médicaux et des choses comparables. Et là le HCR

 14   venait nous aider et cherchait à résoudre les problèmes de concert avec

 15   nous. Qu'il y ait pu avoir des protestations ou des griefs, ça se comprend

 16   parce que même en temps de paix dans des villages, dans des villes où les

 17   gens habitent, il y a des protestations, il y a des manifestations même à

 18   Zagreb. Vous avez des manifestations où des gens vivent comme on sait

 19   qu'ils vivent. Donc il y a eu des mécontentements de moindre envergure,

 20   mais dans cette situation, on ne pouvait pas offrir aux gens plus qu'on

 21   pouvait. On était hélas très limité. Mais jamais il n'y a eu de mauvaises

 22   intentions. Jamais nous n'avons privé des réfugiés de quelque chose que

 23   nous étions tenus de leur offrir.

 24   M. SCOTT : [interprétation] Excusez-moi, Maître Karnavas. J'attendais

 25   délibérément pour voir si Me Karnavas avait une question de suivi puisque

 26   la semaine dernière, il a dit que j'avais tendance à me lever un petit peu

 27   vite. Comme le savent les Juges de la Chambre, la question des dates est

 28   absolument essentielle pour l'espèce et ce qui se passe en 1992 ou en 1995

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  1   a une importance différente et a une signification différente de ce qui se

  2   passe en 1993. Donc j'aimerais que Me Karnavas lui demande quelles sont les

  3   dates des visites du témoin à Obonjan et Gasinci ?

  4   M. KARNAVAS : [interprétation] Oui, merci de cette intervention.

  5   Q.  Nous allons passer en revue tous les documents que j'ai à côté

  6   ici, mais pourriez-vous me dire, Monsieur le Témoin, à quel moment vous

  7   vous êtes rendu dans ces installations, dans ces centres ?

  8   R.  Quinze années se sont écoulées, et il est difficile de se rappeler

  9   différents moments. Je sais que je suis allé sur l'île d'Obonjan au début,

 10   à la création de ce centre pour réfugiés; c'était à un moment donné en

 11   1992. Et une deuxième fois, si j'y suis retourné plus tard lorsqu'il y

 12   avait un surpeuplement d'Obonjan, c'était à un moment donné en 1993. Je me

 13   souviens que c'était la première moitié de 1993, donc c'est les deux fois

 14   pour l'île d'Obonjan. Pour Gasinci, c'était plus fréquent parce qu'il y

 15   avait des délégations, des délégations diplomatiques et humanitaires, je

 16   vous ai cité déjà Mme Ogata, j'y suis allé en sa compagnie mais aussi

 17   quelques ministres allemands et des ministres venus d'autres pays. Je suis

 18   allé avec eux à Gasinci.

 19   J'y suis allé également avec des organisations humanitaires arabes,

 20   avec le Caritas allemand, avec d'autres organisations ou employés

 21   humanitaires européens qui souhaitaient apporter de l'aide à Gasinci. Par

 22   exemple, les Allemands et les Danois voulaient construire des bungalows, et

 23   c'est ce qu'ils ont fait, pour que les réfugiés de Bosnie-Herzégovine

 24   puissent être à peu près décemment logés.

 25   Q.  Je vais vous interrompre, puisque nous allons examiner les documents,

 26   des documents que nous avons déjà vus ici. Mais à un moment donné, on a vu

 27   des documents échangés entre Azra Krajsek et Turkovic qui était ambassadeur

 28   à l'époque, ils vous ont envoyé des lettres. Nous allons examiner avec

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  1   attention ces lettres, ces documents. Mais pourriez-vous me dire s'ils sont

  2   jamais venus vous voir à votre bureau, je pense en particulier à Azra

  3   Krajsek qui écrivait à son ministère sans vous envoyer de copie de la

  4   lettre -- c'est ce qu'on peut déduire de la lecture de la lettre. Est-ce

  5   qu'il est jamais venu voir dans votre bureau pour vous expliquer la nature

  6   exacte des problèmes à Gasinci ou Obonjan ?

  7   R.  Mme Azra Krasjek est venue à Zagreb en tant qu'attachée de l'ambassade

  8   de Bosnie-Herzégovine, je pense que c'était au début de l'année 1993 ou

  9   pendant les derniers mois de l'année 1992. Je dirais plutôt que c'était en

 10   mars de l'année 1993, et elle est restée à peu près jusqu'en janvier ou

 11   février 1994, ou peut-être quelques mois de plus. Elle est venue plusieurs

 12   fois au Bureau des personnes déplacées et des réfugiés. Nous avons

 13   entretenu de bonnes relations. Il nous est arrivé de discuter ensemble des

 14   problèmes qui se posaient à Gasinci ou à Obonjan. Elle était surtout,

 15   comment dirais-je, préoccupée par ces deux centres de réfugiés. Les autres

 16   centres où il y avait les Musulmans et les Croates à la fin ne

 17   l'intéressaient pas autant. Je ne sais pas pour quelle raison elle

 18   s'intéressait surtout et autant à ces deux centres de réfugiés. Peut-être à

 19   juste titre parce qu'ils étaient spécifiques.

 20   Elle n'est jamais venue me voir avec des problèmes expressément

 21   énoncés ou avec des griefs plus importants. C'était généralement des

 22   problèmes de la nature qui se comprend tout à fait dans ce type de

 23   situation où vous avez 3 000, 4 000, parfois 5 000 personnes dans un centre

 24   d'accueil, et vous n'avez pas le meilleur approvisionnement. Vous n'avez

 25   pas non plus tous des gens qui ont le même caractère, la même nature, puis

 26   c'est une population très mixte, rurale, urbaine avec des modes de vie

 27   différents. Il est très difficile de les harmoniser et accorder tous. Et

 28   donc c'est tout à fait naturel qu'elle écoute des individus. Moi aussi il

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  1   m'est arrivé d'écouter des individus. Il y avait parmi les personnes

  2   déplacées des ressortissants croates qui n'étaient pas satisfaits. Une

  3   fois, je suis arrivé dans un hôtel à Trogir où des ressortissants croates

  4   m'ont dit la nourriture est mauvaise, le pain est ranci et il date de trois

  5   jours, l'eau n'est pas bonne, donc j'ai vérifié dans les cuisines. Une fois

  6   je suis arrivé sans préavis, et j'ai pu constater que la cuisine était tout

  7   à fait satisfaisante. C'était un hôtel qui n'était pas de très haute

  8   catégorie, mais c'était un hôtel.

  9   Vous aviez des centres où des cuisiniers étaient des professionnels,

 10   mais parfois c'est aussi des réfugiés qui venaient aider dans les cuisines.

 11   Et à Gasinci, hélas, il y a eu un empoisonnement, le cuisinier s'était

 12   empoisonné et deux de ses assistants, mais heureusement personne d'autre.

 13   Vous savez ça arrive même à Zagreb aujourd'hui dans des centres

 14   touristiques en été. Mais alors nous essayions de réagir sur-le-champ,

 15   résoudre le problème, se rendre sur place et apporter une solution.

 16   Quant à Azra Krajsek, je n'ai pas rencontré d'autres problèmes ou du

 17   moins elle ne m'en a pas évoqués. Si, pour être tout à fait franc, il y

 18   avait le problème de la prorogation du statut de réfugié. Ça, c'est quelque

 19   chose qu'elle ne pouvait pas comprendre. Elle n'avait pas en tête toutes

 20   mes instructions que j'envoyais aux bureaux régionaux, et que les bureaux

 21   régionaux étaient tenus de respecter, mais là il y a eu des cas dans

 22   différentes localités d'abus ou de mauvaises interprétations. Mais à ce

 23   moment-là, Bisera Turkovic et Azra Krajsek, je les ai invités, et Tadic

 24   également et Raguz pour qu'on tienne une réunion.

 25   Je me souviens le 11 avril 1993, nous avons discuté de ce problème

 26   pendant trois heures. Nous avons trouvé une solution, et c'est conformément

 27   à cette solution qu'on ne privait pas de statut de réfugié des personnes

 28   qui ne pouvaient pas revenir chez elles.

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  1   M. LE JUGE ANTONETTI : -- Maître Karnavas. Monsieur le Témoin, vous

  2   avez parlé du HCR à la demande de Me Karnavas, vous avez parlé des

  3   ambassadeurs qui venaient, vous avez parlé des ministres, notamment des

  4   ministres allemands. Mais en vous écoutant une question me vient à

  5   l'esprit. Votre propre hiérarchie religieuse,l'Eglise catholique, via le

  6   cardinal à Zagreb, est-ce que -- évidemment ça va remonter au Vatican, est-

  7   ce qu'ils suivaient de très près la situation humanitaire, notamment à

  8   l'égard des personnes déplacées et réfugiées dans la mesure où il y avait

  9   aussi des organisations du type Caritas. Est-ce que l'Eglise catholique

 10   s'était impliquée dans cette action ?

 11   LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Juge, c'est une bonne chose que

 12   vous ayez posé cette question car il convient de le tirer au clair, cela

 13   aussi. L'Eglise catholique en Croatie dispose de Caritas qui, après

 14   l'établissement de la démocratie en 1990, s'est développée de façon assez

 15   considérable. Cette organisation a aidé les réfugiés et les personnes

 16   déplacées. Je dirais librement que s'il n'y avait pas eu de Caritas, il

 17   aurait été difficile de les héberger tous et de leur donner à manger. Je

 18   suis quelque peu émotionnel de ce point de vue-là, car sans eux on n'aurait

 19   rien fait, je ne veux pas être partial.

 20   Mais il est vrai que Caritas a fait beaucoup de choses. Les prêtres,

 21   les évêques ont lancé des appels à l'intention des fidèles. Ils ont

 22   collecté des vivres, ils ont distribué ces vivres aux réfugiés. Dans les

 23   bureaux des évêchés, il y avait des distributions, et il n'y avait jamais

 24   eu d'incident entre un prêtre ou évêque catholique et des Musulmans, parce

 25   que les Musulmans ont été bien accueillis. On leur a apporté de l'aide

 26   comme aux autres. Et je ne vais pas dire que du côté de Merhamet, il n'en

 27   pas été ainsi, je ne veux pas débattre des questions liées à Merhamet. Il y

 28   a eu beaucoup de Musulmans et je comprends que Merhamet ait veillé aux

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  1   intérêts des Musulmans seuls et non pas à ceux des Catholiques aussi, ce

  2   qui est compréhensible.

  3   Nous étions fort bien organisés pour notre part et en grande partie

  4   nous avons été à même d'aider des personnes expulsées qui étaient de

  5   confession catholique ou chrétienne en général. Pour ce qui est d'un point

  6   de vue hiérarchique, l'Eglise est structurée du point de vue hiérarchique,

  7   elle a beaucoup aidé de ce point de vue-là. Et je crois devoir dire que Mgr

  8   Vladimir Stankovic, qui se trouvait être directeur de Caritas, était à la

  9   fois membre du conseil d'administration du Bureau chargé des personnes

 10   expulsées et déplacées et aux côtés de la Croix-Rouge croate, aux côtés de

 11   deux membres du parlement et de deux autres représentants du gouvernement.

 12   Il était membre du conseil de l'administration de ce Bureau des personnes

 13   déplacées et des réfugiés et il était à la tête de Caritas. Ce qui fait que

 14   Caritas était directement et immédiatement mis au courant des besoins.

 15   Caritas a également organisé beaucoup d'aide en coopération avec le Caritas

 16   allemand et même américain. A Zagreb, il y a eu même un bureau de cet

 17   organisme américain, je ne sais plus comment il s'appelait au juste, mais

 18   ils étaient chargés de l'accueil des personnes expulsées et des réfugiés.

 19   Le Caritas italien à Zagreb avait également son bureau, la sœur Antonieta

 20   était chargée de rendre visite aux Musulmans, notamment. C'est une femme

 21   qui aimait beaucoup les Musulmans en tant que tel et elle était très

 22   contente de pouvoir les aider, de leur procurer des vivres, de l'argent, et

 23   tout ce qu'il convenait de faire, elle a même construit avec eux.

 24   Pour ce qui me concerne, je dirais qu'il n'y a pas eu de tension ou

 25   de divisions quelles qu'elles soient. Il y a peut-être eu des choses qui se

 26   sont produites et dont je n'ai pas été mis au courant, mais d'une manière

 27   générale je me trouvais satisfait de la façon dont les gens sont venus au

 28   secours des autres et de la grande solidarité qui s'est manifestée. Je

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  1   dirais qu'en Croatie, il n'y a plus eu la solidarité que nous avons connue

  2   pendant la guerre patriotique entre 1991 et 1995.

  3   M. LE JUGE ANTONETTI : -- à en un mot, est-ce qu'à Rome on était

  4   parfaitement informé de la situation ?

  5   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, on a été informé. J'ai même reçu la

  6   visite, enfin le bureau a reçu la visite d'un représentant du Saint-Siège

  7   qui s'est déplacé à Zagreb. Cette personne est venue dans nos locaux et

  8   s'est renseignée auprès de moi pour savoir comment nous assurions

  9   l'hébergement des personnes déplacées et des réfugiés, et il voulait savoir

 10   s'il y avait des tensions religieuses. C'était le secrétaire d'Etat du

 11   Saint-Siège. Je ne me souviens plus de son nom. J'ai reçu aussi la visite

 12   de représentants de l'Eglise catholique allemande, quelques évêques.

 13   C'était un évêque adjoint du chef de l'évêché de Munster, M. Foss, donc de

 14   ce côté, il convient de mentionner que soutien il y a eu. Je tiens à dire

 15   aussi que Franjo Kuharic n'a pas rendu visite aux centres de réfugiés, du

 16   reste personne ne s'attendait de sa part à ce qui le fasse, compte tenu de

 17   son service et des occupations qui sont les siennes, mais j'ai bénéficié de

 18   son soutien et très souvent il disait qu'il fallait se comporter de façon

 19   honnête et honorable.

 20   M. KARNAVAS : [interprétation]

 21   Q.  Qu'en est-il de Bruxelles, est-ce que Bruxelles était informée ? Là où

 22   se trouvait la Communauté européenne d'alors parce que Bruxelles apportait

 23   aussi une aide financière ?

 24   R.  Il y avait eux, bien sûr, et ils étaient parfaitement bien au courant,

 25   ils se sont intégrés aux activités, il y avait le ECTF, c'était un

 26   programme de la Communauté européenne pour ce qui est d'approvisionner en

 27   vivres les personnes déplacées et les réfugiés. Cet organisme est intervenu

 28   pendant toute la crise des réfugiés. Et c'est la raison pour laquelle il y

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  1   a eu ces listings des personnes déplacées et des réfugiés, parce que ceux

  2   de la Communauté européenne et du HCR devaient savoir combien de réfugiés,

  3   combien de personnes déplacées il y avait, afin de pouvoir apporter de

  4   l'aide. Avec l'Union européenne avec ce programme ECTF, il y avait une

  5   coopération commune; en quoi consistait cette coopération, il s'agissait

  6   d'acheminer les vivres à destination. Il ne fallait pas que des vivres

  7   disparaissent chemin faisant et qu'ils soient distribués à quelqu'un

  8   d'autre. Donc il y avait une commission organisée par ce ECTF, cet

  9   organisme de l'Union européenne avec notre bureau à nous, et ils avaient le

 10   droit d'intercepter chaque camion sur la route et de l'escorter jusqu'au

 11   centre d'accueil des réfugiés où il s'agissait de distribuer des vivres.

 12   Cela était destiné à faire éviter les manipulations, le commerce de denrées

 13   alimentaires, parce qu'il y a eu des objections de la part de certains

 14   disant que les vivres destinés à l'aide humanitaire étaient vendus sur les

 15   marchés. Ce type de choses n'a pas pris de l'envergure. D'habitude les

 16   personnes réfugiées ou les personnes déplacées portaient les conserves au

 17   marché pour les vendre et avoir un peu de sous, mais ça arrivait, mais

 18   c'est une chose qu'il n'est même pas nécessaire de mentionner. Les gens

 19   voulaient être aidés aussi de façon pécuniaire.

 20   Q.  Permettez-moi de vous interrompre. Qu'en est-il de Genève, est-ce que

 21   Genève était informée ?

 22   R.  Oui, ils ont été mis au courant de façon systématique par le biais du

 23   HCR, qui contactait régulièrement ces gens de Genève, qui contactaient Mme

 24   Ogata, notamment. J'ai été présent moi-même à plusieurs réunions à Genève

 25   et je suis allé rencontrer les gens de la Croix-Rouge internationale, Mme

 26   Sommaruga. Je suis allé avec Mme Sadako Ogata à Genève. Une fois, bien sûr,

 27   au sujet de la suppression de ce statut de réfugié, cela fait qu'à Genève

 28   les organisations humanitaires qui y avaient leur siège, donc la Croix-

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  1   Rouge et l'UNHCR ont été parfaitement mises au courant de la crise en

  2   matière de réfugiés et de personnes déplacées en Croatie. Je souligne que

  3   nous avons eu d'excellentes relations avec le HCR et nous recevions de

  4   l'aide. C'était, bien sûr, 10 % des nécessités au total, mais 10 % c'est

  5   énorme dans une situation de ce genre.

  6   Q.  Fort bien. Je sais que vous m'avez fourni ce rapport que vous avez

  7   rédigé qui s'intitule "Mon travail à l'Office des personnes déplacées et

  8   des réfugiés", document 1D 2921. Vous y décrivez les personnalités que vous

  9   avez rencontrées, M. Mazowiecki, entre autres, M. O'Shay, Mme Ogata, nous

 10   n'allons pas examiner ce rapport, mais serait-il juste de dire que dans ce

 11   rapport que vous avez rédigé vous évoquez les contacts que vous avez eus

 12   avec la communauté internationale pour vos activités entre 1991 et 1996 ?

 13   R.  Fort heureusement, Monsieur Karnavas, moi-même, voire ma secrétaire, a

 14   tenu à jour un journal, et lorsque j'ai quitté le bureau, ma secrétaire m'a

 15   remis ce journal. Je ne l'ai pas jeté, je l'ai gardé, sans pour autant

 16   penser que j'en aurais besoin un jour. Alors ceci est une occasion de se

 17   pencher sur ce journal pour voir ce qui a été fait et comment cela a été

 18   fait. Bien sûr, ce n'est pas un journal fort détaillé, il y a eu beaucoup

 19   de délégations qui n'ont pas été mentionnées, beaucoup de rencontres qui

 20   n'ont pas été évoquées, mais l'essentiel s'y trouve pour ce qui est donc de

 21   voir, dans ce journal à moi, comment, par mon bureau -- ou plutôt par le

 22   bureau du gouvernement - c'est une façon de parler - Bureau chargé des

 23   réfugiés et des personnes déplacées, il passait par jour en moyenne cinq

 24   délégations. Par jour. C'est ce que je pourrais vous dire au sujet de ce

 25   document.

 26   Q.  Très bien. Nous allons essayer de passer à la vitesse supérieure.

 27   Quelques sujets que j'aimerais évoquer rapidement avant de passer aux

 28   documents. Est-ce que votre office a donné des garanties, d'abord est-ce

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  1   qu'il avait le droit de donner des garanties à des pays tiers ? Je

  2   m'explique. Si vous avez quelqu'un qui arrivait de Bosnie-Herzégovine, est-

  3   ce que votre office pouvait garantir que cette personne allait aller en

  4   Allemagne, en Suisse et en Turquie ? Est-ce que ce genre de cas s'est

  5   présenté ?

  6   R.  Les personnes qui s'en allaient vers des pays tiers devaient obtenir

  7   des garanties de la part de ces pays tiers, non pas de notre part à nous.

  8   Le Bureau des réfugiés et des personnes déplacées délivrait des garanties

  9   pour ce qui était d'accéder sur le territoire de la Croatie et pour y

 10   bénéficier d'un statut de réfugié.

 11   Les réfugiés qui étaient placés sous la protection du HCR et qui

 12   allaient vers des pays tiers, nous avions des compétences pour ce qui est

 13   de leur délivrer ou faire délivrer un visa de transit. Ce n'est pas un visa

 14   au sens véritable de ce terme. C'était plutôt un document qui confirmait

 15   qu'avec l'autorisation de ce Bureau des réfugiés et des personnes déplacées

 16   -- et qui étaient placées sous la protection de l'HCR et qui allaient vers

 17   des pays tiers avaient l'autorisation de rester en République de Croatie en

 18   attendant leur départ vers ces pays tiers. Ce document, ils en avaient

 19   besoin pour pouvoir le montrer lors des contrôles de police, et ce document

 20   avait un poids politique aussi, parce que cela permettait ou assurait à

 21   l'intéressé une sécurité en matière politique.

 22   Q.  A votre connaissance et d'après les souvenirs que vous avez de

 23   l'époque, avez-vous en mémoire une situation où vous auriez un réfugié qui

 24   soit parti volontairement vers un pays tiers, imaginons qu'il avait la

 25   garantie de ce pays destinataire qu'il serait accueilli, une situation où

 26   ce réfugié veut rentrer en Croatie en qualité de réfugié ? Est-ce que ce

 27   genre de cas s'est présenté ?

 28   R.  Il y a eu des cas de ce genre pour des raisons variées. Il y a eu des

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  1   réfugiés qui voulaient revenir chez nous parce qu'ils estimaient que

  2   l'accueil ou l'hébergement était meilleur en Croatie qu'en Allemagne. Et

  3   c'est à moi-même que ces personnes s'adressaient pour écrire et dire les

  4   raisons qui les motivaient pour ce qui est d'un retour. Nous les recevions

  5   parce que nous avions obligation de le faire en notre qualité de premier

  6   pays à les avoir reçus en cas de péril. Ensuite, nous leur accordions un

  7   statut de réfugié, nous les installions dans l'un quelconque des centres

  8   destinés aux réfugiés et aux personnes déplacées, et ces personnes

  9   pouvaient rester aussi longtemps en attendant la création des préalables

 10   d'un retour éventuel en Bosnie-Herzégovine.

 11   Mis à part le cas où l'ambassade de Bosnie-Herzégovine, s'agissant de

 12   réfugiés de Bosnie-Herzégovine qui ont été envoyés voir la Turquie. J'ai

 13   reçu plusieurs appels de la part de ces réfugiés bosniaques qui disaient

 14   qu'ils voulaient revenir en Croatie parce qu'en Croatie, c'était mieux

 15   qu'en Turquie, et que la Croatie avait mieux assuré l'hébergement des

 16   réfugiés que cela n'était le cas en Turquie. Ou alors, on les envoyait à la

 17   frontière entre la Bulgarie et la Turquie, et ces gens se plaignaient de ne

 18   pas avoir assez de vivres, ni d'avoir un bon hébergement, ils étaient logés

 19   sous des tentes, et cetera.

 20   Ce qui est assez compréhensible, parce que ce pays-là aussi comptait

 21   bon nombre de réfugiés, M. Demiril me l'a dit et l'un de ces ministres

 22   également, lorsque nous avons rendu visite à Stobrec non loin de Split où

 23   il y avait des réfugiés de Bosnie-Herzégovine, et notamment des réfugiés

 24   bosniens, musulmans donc. Et les gens s'étaient plaints, ils voulaient

 25   ceci, ils voulaient cela. Et le ministre m'a dit : Chez nous, c'est le même

 26   problème. Les gens chez nous disent qu'ils veulent ceci ou qu'ils veulent

 27   cela, parce qu'un réfugié, c'est un réfugié. Vous savez, ce sont des gens

 28   qui sont sous le stress, et il faut en avoir conscience, notamment

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  1   lorsqu'il s'agit de personnes qui ont vu l'un quelconque des leurs tué

  2   devant eux. Un réfugié parfois n'est pas satisfait même quand vous

  3   l'hébergez dans un hôtel sur une période prolongée. Ce sont des personnes

  4   psychiquement instables, parce que si on a entendu telle personne ou telle

  5   autre personne, il lui fallait aussi savoir s'il y a des blessures, s'il y

  6   a eu stress, si c'est quelqu'un qui est objectif ou subjectif, et cetera.

  7   M. LE JUGE ANTONETTI : -- petite question accessoire --

  8   M. KARNAVAS : [interprétation] Permettez-moi, Monsieur le Président,

  9   d'enchaîner peut-être avant que vous ne posiez votre question.

 10   M. LE JUGE ANTONETTI : Allez-y.

 11   M. KARNAVAS : [interprétation]

 12   Q.  Vous avez parlé de Musulmans de Bosnie qui étaient allés en Turquie et

 13   qui vous ont appelé. Est-ce qu'il y avait des Croates, des Musulmans ou --

 14   quand vous dites "Bosniaques" ? Qu'est-ce que vous avez fait ? Vous avez

 15   dit : Restez là où vous êtes parce qu'on a déjà suffisamment de monde ici,

 16   ou est-ce que vous les avez fait revenir ?

 17   R.  C'étaient des Musulmans, ces gens, parce que l'ambassade de Bosnie, en

 18   principe, ne prenait pas soin des réfugiés croates. Leur réponse était

 19   celle de dire que c'était à la République de Croatie d'en prendre soin. Ils

 20   le disaient par principe, il y avait de la bonne volonté chez eux aussi

 21   vis-à-vis d'autres réfugiés originaires de la Bosnie-Herzégovine. Mais pour

 22   ce qui est de ce cas concret, puisque vous me posez la question, c'étaient

 23   des Musulmans que l'ambassade de Bosnie voulait coûte que coûte faire

 24   installer en Turquie, bien sûr, dans la meilleure des intentions possibles

 25   en se disant qu'ils seraient bien là-bas. Mais les gens me téléphonaient

 26   pour dire qu'ils n'en allaient pas mieux. Si vous le permettez, je dirai

 27   aussi que l'Etat d'Israël a fait une offre pour ce qui était d'accueillir

 28   200 réfugiés originaires de Bosnie-Herzégovine, et ce, des Musulmans. Parce

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  1   que vous savez, me disaient-ils, nous avons des tensions avec les

  2   Musulmans, avec les Palestiniens, et nous voulons prouver que nous ne

  3   sommes pas contre les Musulmans dans un pays où ils sont menacés et pour ce

  4   qui est de prendre soin d'eux. Il y en a eu 200 qui ont été envoyés et qui

  5   sont partis vers Israël. Ils ont été installés à Jérusalem, et je vais vous

  6   dire qu'il a été difficile de les retrouver. On s'est adressés à Split, aux

  7   différents centres, on demandait qui est-ce qui voulait y aller et ils

  8   n'étaient pas très enthousiastes.

  9   Je suis allé les visiter en 1993, 1994, lorsque je suis allé à un congrès à

 10   Jérusalem et le sujet était celui du génocide. J'ai rendu visite à ces

 11   jeunes gens qui étaient essentiellement jeunes, parce que les personnes

 12   âgées n'avaient pas du tout envie de prendre l'avion jusqu'à Tel-Aviv ou

 13   Jérusalem. Ils n'étaient pas très satisfaits à vrai dire parce que, vous

 14   savez, les gens ont coutume de dire chez nous : on est mieux chez soi.

 15   Quand on est près de la Bosnie on se sent mieux que quand on est loin. Il y

 16   a un poète qui a dit dans des vers à l'époque, enfin, un poète de chez nous

 17   qui a dit que le soleil des autres pays ne réchauffe pas comme celui de

 18   chez nous. Ce poète s'appelait Aleksa Santic, et j'espère que les

 19   interprètes sauront traduire.

 20   Q.  Concrètement, essayez de répondre à ma question. Si ces gens vous ont

 21   appelé au téléphone, ont demandé à quitter la Turquie, est-ce que vous les

 22   avez acceptés ?

 23   R.  Ma réponse à l'intention de ces personnes, c'est la suivante : si vous

 24   réussissez à assurer un transport vers la Croatie, on vous accueillera. Je

 25   leur disais, mais contactez l'ambassade de Bosnie-Herzégovine qui vous a

 26   envoyés là-bas, peut-être eux pourront-ils organiser ce retour parce que

 27   nous nous trouverions plutôt dans un pétrin, comme on le dit, si nous

 28   venions à nous mêler d'une solution qui avait été assurée par l'ambassade

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  1   de Bosnie-Herzégovine. De nos jours ou avec le recul, je dirais que je ne

  2   me souviens plus au juste ce qu'il en est advenu. Mais des pays comme la

  3   Slovénie, l'Autriche, l'Allemagne, les gens revenaient parce qu'il était

  4   plus facile de revenir vers la Croatie. Ils ont continué à bénéficier, en

  5   Croatie, du statut de réfugié jusqu'à leur retour en Bosnie-Herzégovine.

  6   Q.  D'accord. Puisque nous parlons de retour, ce sera le dernier sujet que

  7   j'aimerais aborder avant d'examiner les documents. En matière de retour,

  8   retour de réfugiés de Croatie qui seraient rentrés en Bosnie-Herzégovine,

  9   si ces gens perdaient leur statut, quelle était la procédure ? C'est de

 10   façon générale, et ce qui m'intéresse tout particulièrement c'est de savoir

 11   si la République de Croatie a délibérément révoqué le statut de réfugié de

 12   quelqu'un pour les renvoyer en Bosnie-Herzégovine en les remettant en

 13   difficulté ce faisant, je parle de la période qui va fin 1993, 1994, 1995 ?

 14   R.  Pour autant que je sache, le Bureau chargé des réfugiés et des

 15   personnes déplacées n'a jamais envoyé par la force qui que ce soit vers la

 16   Bosnie-Herzégovine. Je sais fort bien qu'il y a eu des problèmes du point

 17   de vue de la suppression de ce statut de réfugié tout comme du statut de

 18   personnes déplacées parce que le principe était, s'agissant des réfugiés,

 19   était identique au principe relatif aux personnes déplacées comme l'a fait

 20   la Slovénie, comme l'a fait l'Allemagne ou l'a fait le Danemark. Il y a eu

 21   des cas de renvois de réfugiés de ces pays-là. Dès qu'il y a eu des

 22   conditions de réunies pour le retour de ces réfugiés, ces personnes

 23   déplacées, on les ramenait à Osijek, par exemple. Souvenez-vous de la

 24   libération de la Slavonie occidentale : toutes nos personnes déplacées sont

 25   retournées vers cette Slavonie occidentale libérée. Ils ont regagné leurs

 26   maisons détruites et très rapidement, avec l'aide de l'Etat, ils

 27   reconstruisaient, ils labouraient les terres, ils essayaient de soigner les

 28   plaies survenues suite à une occupation de quatre années. Il en va de même

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  1   pour ce qui est des Serbes qui reviennent vers la Croatie qu'ils ont

  2   quittée pour se faire réfugier. S'agissant de nos citoyens à nous que nous

  3   faisions revenir vers leurs maisons lorsque la situation s'est calmée, nous

  4   avons fait de même vis-à-vis des réfugiés originaires de Bosnie-

  5   Herzégovine.

  6   Quand une région de la République de Bosnie-Herzégovine était devenue sûre,

  7   à l'abri de la guerre et des horreurs de la guerre, le Bureau chargé des

  8   réfugiés décrétait suppression de ce statut de réfugiés ou de personnes

  9   déplacées afin que ces gens retournent chez eux et chez elles. On disait

 10   quelles étaient les localités, les villes dans lesquelles on pouvait faire

 11   revenir les gens. Il ne s'agissait pas globalement de toute la Bosnie-

 12   Herzégovine, mais de localités déterminées. En ma qualité de directeur de

 13   ce Bureau chargé des réfugiés et personnes déplacées, je donnais des

 14   instructions aux bureaux régionaux pour que l'on supprime ce statut à

 15   l'intention seulement des réfugiés originaires de Bosnie-Herzégovine qui

 16   sont à même de revenir là où les maisons n'ont pas été détruites, réfugiés

 17   qui ne se trouvaient pas être menacés lors du retour vers leur région ou

 18   leur territoire, qui ne sont pas malades ou, par exemple, les enfants étant

 19   à l'école, il n'était pas question de supprimer ce statut.

 20   Dans mes instructions, il était clairement stipulé quels étaient les cas où

 21   il ne s'agissait pas du tout de faire retourner ces réfugiés vers chez eux.

 22   Il y a eu des points vagues du côté de ce bureau et des bureaux régionaux.

 23   Bisera Turkovic, Mme Krajsek, Tadic, et Raguz, on s'était réunis pour cela,

 24   pour nous concerter. Une fois de plus, j'ai envoyé vers les bureaux

 25   régionaux et les centres chargés des activités sociales des instructions

 26   concernant la façon de procéder, quels sont les réfugiés qui pouvaient

 27   revenir et quels sont ceux qui ne pouvaient pas revenir et à qui il fallait

 28   continuer d'apporter de l'aide. Il n'y a plus eu de tensions parce qu'en

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  1   conversant avec les gens on trouve toujours façon de résoudre la

  2   difficulté.

  3   Q.  Très bien. Vous avez bien dit qu'il y avait des réfugiés qui avaient

  4   quitté la Croatie pour aller en Allemagne, en Suisse ou en Italie, en

  5   Belgique. Est-ce que la République de Croatie a jamais à un moment donné

  6   subi des pressions pour qu'elle réintègre ces réfugiés à elle,

  7   indépendamment de la question de savoir si ces personnes étaient

  8   originaires de Bosnie-Herzégovine ou de Croatie ?

  9   R.  Non. Ces gens tout simplement sont retournés en Croatie. Bon nombre

 10   d'entre eux n'ont pas demandé à mon bureau s'ils pouvaient ou pas

 11   retourner, ils sont retournés tout simplement en Croatie. Ensuite, ils

 12   savaient à qui il fallait s'adresser, au Bureau chargé des réfugiés et des

 13   personnes déplacées, voire au bureau régional de cette instance pour

 14   obtenir le statut de personne déplacée ou de réfugiés, selon le type de

 15   personne dont il s'agissait. Nous avions une pratique permanente, nous

 16   n'avons pas modifié cette pratique, nous ne voulions pas --

 17   Q.  Permettez-moi de vous interrompre. Est-ce qu'à un moment donné vous

 18   avez dû négocier et signer un accord, notamment avec l'Allemagne, parce que

 19   l'Allemagne voulait que les réfugiés quittent l'Allemagne et rentrent en

 20   Croatie ?

 21   R.  Si. L'Allemagne est intervenue très fortement pour que les réfugiés

 22   croates reviennent en Croatie, qu'il s'agisse de -- comment dirais-je, de

 23   ressortissants croates d'origine ou de Bosniens, de Bosniaques qui avaient

 24   un passeport croate, l'Allemagne considérait ces réfugiés de Bosnie-

 25   Herzégovine en Allemagne comme des ressortissants croates et nous a dit :

 26   On vous en prie, reprenez-les, vous leur avez délivré un passeport,

 27   reprenez-les maintenant. Bien sûr qu'on le faisait. Ces passeports croates,

 28   les Catholiques de Bosnie et les Croates les avaient, mais aussi les

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  1   Musulmans. Nombre de Musulmans à l'époque se sont faits délivrer des

  2   passeports croates.

  3   Donc à l'époque, il suffisait qu'un Musulmans de Bosnie-Herzégovine

  4   présente au bureau du ministère des Affaires intérieures, un document, un

  5   permis de conduire, le plus souvent un diplôme d'une école montrant qu'il

  6   s'était déclaré croate, et sur la base de cela il avait droit à obtenir le

  7   certificat de citoyenneté croate et un passeport. Il y avait en 1992 nombre

  8   de réfugiés musulmans ayant comme ça des documents croates et qui sont

  9   partis au Danemark, en Suède, je ne sais pas où. Lorsque les Allemands en

 10   ont eu assez, lorsqu'ils se sont rendu compte qu'ils ne pouvaient pas gérer

 11   200 000 réfugiés de Croatie, enfin peu importe qui ils étaient, aux yeux

 12   des autorités allemandes, le lieu de départ c'était la Croatie, peu leur

 13   importait si c'étaient des Croates ou des Bosniaques. Je suis allé négocier

 14   avec Kanther, le ministre des Affaires intérieures allemand et avec

 15   d'autres responsables, et avec eux je me suis mis d'accord sur un contrat

 16   et nous avons signé un contrat portant retour de tous les réfugiés croates

 17   en Croatie.

 18   C'était un contrat sur le retour organisé et graduel dans toutes les

 19   localités libres. Nous, nous avons fourni la liste des localités libres en

 20   République de Croatie pour les distinguer des lieux qui n'étaient pas

 21   libres. C'est cela qui servait de critère de sélection pour les Allemands.

 22   D'après ce contrat, ils voyaient aussi en parallèle la liste des localités

 23   et décidaient s'ils pouvaient ou ne pouvaient pas envoyer telle ou telle

 24   personne. Nous aussi ça nous guidait pour renvoyer des réfugiés en Bosnie-

 25   Herzégovine, mais à ce moment-là j'avais déjà quitté le bureau. C'est mon

 26   collègue Damir Zoric qui s'est chargé du relais, mais nous avions de bons

 27   précédents.

 28   M. LE JUGE ANTONETTI : Dans la suite de ce que vous venez de dire, et

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  1   notamment la préoccupation des Allemands.

  2   En regardant les documents, je me suis rendu compte que le 12 juillet

  3   1993, à 11 heures 45 jusqu'à 13 heures, vous avez reçu Mme le Dr Angela

  4   Merkel. Vous vous souvenez pourquoi vous l'avez rencontrée ?

  5   LE TÉMOIN : [interprétation] Angela Merkel, elle est venue comme bon

  6   nombre d'autres à l'époque. Elle n'exerçait pas les fonctions qu'elle a

  7   aujourd'hui. Elle n'avait pas non plus l'importance qu'elle a aujourd'hui.

  8   Elle est arrivée en tant que membre de l'Union chrétienne sociale, me

  9   semble-t-il c'était ça son parti. Elle souhaitait savoir quel était le

 10   traitement réservé aux Musulmans chez nous. Elle avait entendu, il y a eu

 11   certains échos diffusés par les médias parce que je reconnais qu'il y a eu

 12   des accusations contre nous à ce moment-là qu'elles soient justifiées ou

 13   pas, nous avons été accusés de faire la différence entre les gens et elle

 14   m'a demandé pourquoi on faisait ces différences. Je lui ai répondu, Mme

 15   Merkel, il n'y a pas de différence à nos yeux. Nous ne faisons pas la

 16   différence. Nous ne traitons pas de manière différente les Musulmans par

 17   rapport aux Catholiques de Bosnie. Non. Nous avons un traitement réservé

 18   aux réfugiés. Pour nous et pour moi personnellement, ils sont tous des

 19   réfugiés.

 20   Mais quant à cela, s'il y a des problèmes il y a des problèmes. Est-

 21   ce que vous n'en n'avez pas en Allemagne eu égard aux Turcs ? Elle m'a

 22   répondu, mais ça c'est notre problème. Et je lui ai dit, oui et là il

 23   s'agit de notre problème. Cette fois-là je dois dire j'ai été un peu ferme

 24   à son égard parce qu'elle est venue tout simplement d'un autre contexte,

 25   d'une autre situation. Elle pouvait parler de ses problèmes d'une manière

 26   différente que moi qui était préoccupé au quotidien par ces problèmes, qui

 27   devait les résoudre tous les jours, des problèmes que je devais résoudre

 28   dans la mesure où j'avais la possibilité. Nous n'étions pas un pays riche

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  1   et développé comme l'Allemagne et nous donnions véritablement ce que nous

  2   pouvions. Mais il n'y avait pas de miel, ce n'était pas le lait au miel qui

  3   coulait à volonté.

  4   M. LE JUGE ANTONETTI : On va faire la pause parce que -- à moins que Maître

  5   Karnavas ait une question.

  6   M. KARNAVAS : [interprétation] Juste une question de suivi parce que je

  7   veux être absolument sûr que tout est clair pour les Juges de la Chambre.

  8   Q.  Est-ce que la République de Croatie faisait une différence lorsqu'il

  9   s'agissait de donner de l'aide humanitaire, lorsqu'il s'agissait d'aider

 10   les réfugiés lorsqu'il s'agissait de leur fournir une scolarisation, un

 11   enseignement, des soins médicaux, est-ce qu'on faisait la différence entre

 12   les réfugiés croates de Bosnie-Herzégovine ou les réfugiés catholiques ou

 13   musulmans ? Est-ce qu'on faisait une différence ? Je veux que ce soit très

 14   clair pour les Juges. 

 15   R.  Le Bureau des réfugiés et des personnes déplacées n'a jamais fait

 16   aucune différence. Si c'était le cas du comportement de quelqu'un qui

 17   n'était pas employé de notre bureau, il faut lui adresser la question. Mais

 18   dans l'ensemble de sa structure, les 21 bureaux régionaux et tous les

 19   centres sociaux sous le bureau, je dois dire qu'il n'y a jamais eu de

 20   différences, de distinctions de faites. Compte tenu des circonstances et du

 21   contexte, on a réservé un même traitement à tous. Nous étions le Bureau

 22   chargé des réfugiés et des personnes déplacées et non pas Bureau chargé des

 23   personnes déplacées croates ou musulmanes. A nos yeux, c'étaient des

 24   réfugiés et nous n'avions pas le droit de traiter les uns différemment par

 25   rapport aux autres.

 26   M. KARNAVAS : [interprétation] Je n'ai plus de questions sur ce point. Je

 27   ne sais pas si les Juges en ont; sinon nous pouvons faire la pause.

 28   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. On va faire la pause et on reprendra aux

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  1   environs de 18 heures.

  2   --- L'audience est suspendue à 17 heures 41.

  3   --- L'audience est reprise à 18 heures 05.

  4   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. L'audience est reprise.

  5   Le Juge Prandler a une question à poser.

  6   M. LE JUGE PRANDLER : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

  7   Je ne voulais pas interrompre le fil de votre interrogatoire, Maître

  8   Karnavas, avant la pause. Mais puisque nous avons parlé des contacts avec

  9   les représentants de la communauté internationale et d'un certain nombre

 10   d'Etats, je voudrais évoquer un certain nombre de documents que vous allez

 11   vous-même utiliser pour poser des questions au témoin, et en l'occurrence,

 12   il s'agit du document qui se trouve dans le classeur 2, la cote a été déjà

 13   mentionnée à plusieurs reprises, 1D 02921, 1D 02921. C'est le rapport du

 14   Témoin Rebic intitulé : "Mon travail au Bureau chargé des personnes

 15   déplacées et des réfugiés." Ça se trouve dans le classeur numéro 2, 2921.

 16   Dans ce rapport, vous faites référence notamment à votre visite en

 17   Hongrie à la page 4 - je ne cache nullement le fait que je suis Hongrois,

 18   même si ici je ne parle pas en tant que Hongrois bien entendu, mais en tant

 19   que Juge indépendant et je suis heureux de constater que la Hongrie a fait

 20   preuve de beaucoup de générosité pendant cette période. Je peux le

 21   confirmer parce qu'à l'époque moi-même je travaillais au ministère des

 22   Affaires étrangères en Hongrie. A la page 4, vous dites que vous avez

 23   rencontré les représentants du HCR des Nations Unies avec le ministre de

 24   l'Intérieur de l'époque, Petar Buros [phon] et M. Geza Jesenski, ainsi que

 25   d'autres.

 26   Il y a une question que je souhaiterais évoquer avec vous; pendant le

 27   premier volet d'audience, vous nous avez expliqué qu'il n'y a que 2 500

 28   réfugiés qui sont restés en Hongrie, mais je crois que le chiffre est

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  1   différent -- vous dites que sur ce total de personnes qui venaient de

  2   Croatie et d'autres pays, 2 500 sont rentrés en Croatie, ne sont pas restés

  3   mais sont rentrés en Croatie, je crois que c'est la bonne façon

  4   d'interpréter ces chiffres.

  5   Au paragraphe suivant, vous dites, et vous en avez déjà parlé, qu'avec Mato

  6   Granic vous êtes allé à Genève pour vous rendre à la Croix-Rouge

  7   internationale, en fait c'est CICR, et vous êtes allé voir également le

  8   Haut-commissaire chargé des réfugiés. Vous dites que vous avez rencontré M.

  9   Cornelius Sommaruga qui était alors président du CICR, et vous êtes allé

 10   avoir Mme Sadako Ogata. A l'époque, la Hongrie a organisé plusieurs visites

 11   de M. Sommaruga, elle a apporté son concours à l'organisation de

 12   négociations à l'époque en Hongrie entre des représentants de la Serbie et

 13   de la Croatie, ou plutôt la République fédérale de Yougoslavie à l'époque,

 14   pour ce qui concernait l'échange de prisonniers de guerre et les autres

 15   détenus.

 16   Est-ce que votre bureau avait également participé aux échanges de

 17   prisonniers ayant le statut de prisonniers de guerre ou d'autres détenus

 18   entre les pays concernés, c'est-à-dire la Croatie, et ce qui était alors la

 19   République fédérale de Yougoslavie ou la Serbie ? Voilà la question que je

 20   souhaiterais vous poser. Merci.

 21   LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Juge, bien entendu, vous êtes

 22   Hongrois et je saisis cette occasion pour remercier la Hongrie de tout ce

 23   qu'elle a fait pour la Croatie, non seulement lorsqu'il s'agit des

 24   solutions apportées à cette crise de réfugiés et concernant les personnes

 25   déplacées, mais également sur le plan politique, nous avons de très bonnes

 26   relations avec la Hongrie. Nous n'avons aucune question en suspens. Pour ce

 27   qui est des réfugiés, il est vrai que c'est de manière indirecte que j'ai

 28   pris part à cela. Ceux qui ont été échangés, les détenus croates placés en

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  1   détention et qui ont été libérés par les autorités de la Yougoslavie

  2   fédérale dans le cadre des échanges, ils se sont retrouvés placés entre les

  3   mains du Bureau des réfugiés et des personnes déplacées et on leur a

  4   octroyé le statut de personne déplacée. Il y avait, si je ne me trompe pas,

  5   environ 300 à 400 personnes qui tombaient dans cette catégorie-là. 

  6   Il m'est appartenu de les recevoir, de les inviter à un dîner, et de

  7   les placer par la suite. C'était le 14 août, c'était la veille du 15 août,

  8   la grande fête catholique. Et j'ai présenté cela comme un miracle de la

  9   Vierge, si je puis présenter cela ainsi, puisque c'était à la veille de

 10   cette grande fête catholique que cela s'est passé. Nous viendrons à cela

 11   plus tard, j'en suis certain, mais permettez-moi d'anticiper un petit peu

 12   en passant, ceux qui ont été transférés de Bosnie-Herzégovine et qui avant

 13   avaient été placés en détention.

 14   Nous les avons reçus en République de Croatie en tant que réfugiés,

 15   c'est-à-dire nous leur avons accordé le statut de réfugiés puisque ce

 16   déplacement était fait par le HCR. Le HCR avait promis à certains un départ

 17   vers des pays tiers. Et il a demandé au bureau uniquement le droit de

 18   transit, donc nous avons émis des documents pour que ces réfugiés puissent

 19   rester en Croatie le temps que le HCR règle leur question. Donc j'ai pris

 20   part à cela suite à ces événements.

 21   M. LE JUGE PRANDLER : [interprétation] Merci beaucoup, Monsieur Rebic.

 22   M. LE JUGE ANTONETTI : La Hongrie, on se rend compte que le 19 mars vous

 23   avez été en Hongrie pour visiter quelques camps, et je découvre dans votre

 24   rapport qu'en Hongrie il y a le même office que le vôtre. Il existe un

 25   Office des personnes déplacées et des réfugiés en Hongrie qui apparemment

 26   est dirigé par M. Markus [phon] et M. Molnaj [phon]. Et avec ces deux

 27   personnes, vous avez visité plusieurs camps et vous avez incité les gens à

 28   repartir chez eux. Alors ce qui m'intéresse, c'est de constater que votre

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  1   office, en réalité, existait dans d'autres pays, la Hongrie. A votre

  2   connaissance, est-ce qu'en Slovénie il y avait un office du même type ? Et

  3   les Allemands, est-ce qu'ils avaient aussi un Office des personnes

  4   déplacées et réfugiés qui fonctionnait comme vous ?

  5   LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Président, pour commencer,

  6   permettez-moi de tirer au clair un point. Ce bureau des réfugiés en Hongrie

  7   n'était pas notre bureau, c'était un bureau qui appartenait au gouvernement

  8   hongrois. Ce bureau était organisé pratiquement selon les mêmes principes

  9   et les mêmes règles que le nôtre. Et puis la Slovénie, elle aussi, avait un

 10   bureau de ce type au sein du ministère de l'Intérieur. Il y avait un Bureau

 11   pour les personnes déplacées et les réfugiés et, de même, nous étions en

 12   contact permanent avec eux, tout comme avec le bureau hongrois des

 13   réfugiés. 

 14   Et M. Markus, M. Molnaj, deux ou trois fois j'ai eu l'occasion de les

 15   voir et nous avons fait le tour ensemble des centres d'Atac [phon] et

 16   Segacut [phon] où étaient placés nos réfugiés. Et nos réfugiés étaient bien

 17   pris en charge. Ils n'avaient pas d'observations particulières, si ce n'est

 18   qu'ils souhaitaient rentrer au plus vite chez eux. C'était un souhait qui

 19   était le leur de rentrer chez eux au plus vite.

 20   Ils sont revenus, c'était au moment où la région autour d'Osijek a

 21   été suffisamment libre, sans danger. Et à ce moment-là, le nombre de nos

 22   réfugiés en Hongrie a considérablement décru. De 30 000, ce nombre s'est

 23   réduit à 2 000 ou 3 000. C'étaient des gens qui ne pouvaient pas rentrer

 24   parce qu'ils étaient de Vukovar, et Vukovar était assiégé. Ces gens sont

 25   restés longtemps en Hongrie. Pendant que ces personnes se sont trouvées en

 26   Hongrie, on a mis à leur disposition la nourriture, les soins médicaux, et

 27   tout ce qui est prévu selon la loi pour que ces bureaux l'organisent et le

 28   garantissent. Peut-être que dans ce contexte je peux mentionner que le 25

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  1   mars de cette même année, 1992, nous avons organisé à Zagreb à l'hôtel

  2   Intercontinental, qui s'appelle Westin aujourd'hui, une réunion de travail

  3   tripartite qui a duré une journée entière. Vous avez mentionné un monsieur

  4   qui travaille au ministère de l'Intérieur chargé de l'humanitaire, M.

  5   Murvaj [phon]. Pendant toute la journée, nous avons envisagé les

  6   possibilités d'apporter l'aide aux personnes déplacées et aux réfugiés,

  7   comment subvenir à leurs besoins, et la Hongrie nous a grandement aidés là-

  8   dessus.

  9   Hélas, ces réunions tripartites, on n'en a plus organisées par la

 10   suite. Donc c'est de manière plus aléatoire que cette aide humanitaire des

 11   pays voisins était organisée. Mais cette réunion tripartite sur

 12   l'initiative de la Croatie et de la Hongrie avec le HCR a été extrêmement

 13   encourageante et nous a montré comment continuer de travailler à l'avenir.

 14   M. LE JUGE ANTONETTI : Juste ma dernière question qui va être très

 15   brève. Nous savons, parce que le témoin de la semaine dernière nous l'a dit

 16   et on a vu des documents, votre pays a dû faire face à un moment donné à

 17   plus de 1 800 000 réfugiés, c'est-à-dire un chiffre énorme. On constate, au

 18   travers de ce que vous nous avez dit et au travers des documents, que ces

 19   réfugiés se sont retrouvés en Allemagne, en Hongrie, en Slovénie, et

 20   cetera, puis après dispatchés dans toute l'Europe, et voire au Canada et

 21   aux Etats-Unis.

 22   Comme il s'agissait d'un problème très important, de votre avis, est-

 23   ce que cette affaire n'aurait pas dû être traitée par le HCR à titre

 24   principal, vous n'étant que les vecteurs ou le support d'une action

 25   internationale, compte tenu de l'immensité de la tâche ?

 26   LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Président, au départ, au début de

 27   la guerre, nous n'avions même pas de représentation du HCR en Croatie,

 28   c'est-à-dire à Zagreb. Le représentant du HCR était encore à Belgrade, donc

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  1   il ne pouvait rien faire pour nous, pour nos personnes déplacées et nos

  2   réfugiés, disons, qui au milieu de l'année 1991, vers la fin de cette

  3   année-là, et au début de l'année 1992, devaient s'enfuir dans des pays

  4   tiers. Le HCR a été fondé à Zagreb uniquement vers le mois de janvier 1992.

  5   Tout d'abord, M. Mendeluce est arrivé. Il était en bras de chemise parce

  6   qu'il a réussi à s'enfuir de Sarajevo, c'est pour la petite histoire, c'est

  7   à cause du pilonnage. Puis M. Comkulato est arrivé, et M. Comkulato avait

  8   l'autorisation et l'instruction de Genève de créer en République de Croatie

  9   le HCR. 

 10   C'est à partir du mois de janvier, d'ailleurs le 15 janvier 1992 est

 11   survenue la reconnaissance internationale de la République de Croatie.

 12   C'était uniquement le 15 janvier. Pour que les interprètes puissent

 13   comprendre, je cite les noms des mois de deux manières différentes. Donc la

 14   reconnaissance internationale de la Croatie intervient le 15 janvier. Et

 15   c'est uniquement à partir de ce moment-là que le HCR a été créé en

 16   République de Croatie. Et puis, le HCR a pris part à ces questions, mais de

 17   manière très graduelle. Je dois dire ici que, Dieu merci, en janvier 1992,

 18   les hostilités se sont terminées en République de Croatie à l'extérieur des

 19   zones occupées. Donc très rapidement, tous nos réfugiés ont commencé à

 20   revenir de Slovénie, d'Autriche, d'Allemagne. Tous ceux qui pouvaient

 21   revenir à Osijek, Karlovac, Sisak, voire même à Zagreb ou Varazdin, car de

 22   toutes ces villes, des gens se sont enfuis pour sauver leurs vies. Parce

 23   que, rappelez-vous, Zagreb lui aussi a été bombardé. J'avais très envie de

 24   revenir à Zagreb en 1991, en septembre, et la première nuit, il a fallu que

 25   je me mette à l'abri dans la cave, mais j'étais très fier d'être revenu à

 26   Zagreb. Tout un chacun souhaite rentrer dans sa patrie, même s'il y a des

 27   bombes qui explosent. Donc c'était ça, la situation, tout simplement. Nos

 28   ressortissants souhaitaient rentrer dans la patrie et, dès qu'il n'y avait

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  1   plus de danger de guerre, il y en a eu un très grand nombre qui sont

  2   revenus : 1 800 000, c'était juste à un moment ponctuel, c'était décembre,

  3   novembre ou décembre 1991. Dès janvier 1992 et février, vous avez un grand

  4   nombre de réfugiés croates qui sont revenus en Croatie de ces pays-là.

  5   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur -- Maître Karnavas.

  6   M. KARNAVAS : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Merci,

  7   Messieurs les Juges. A moins qu'il n'y ait d'autres questions, je vais tout

  8   de suite passer aux documents. Il faut que je réorganise un petit peu les

  9   documents, ils ne seront pas tout à fait dans l'ordre dans lequel ils

 10   figurent dans vos classeurs. Je suis contraint parce que c'est dans un

 11   souci d'efficacité.

 12   Q.  Nous allons commencer par le premier classeur. J'aimerais qu'on nous

 13   aide à le trouver, ce premier classeur. Je vais demander à M. Rebic de bien

 14   vouloir nous répondre de manière concise afin qu'on puisse passer en revue

 15   la totalité de ces documents. Il n'y a rien de plus stressant pour moi que

 16   de passer trop de temps à examiner des documents.

 17   R.  Merci, mais n'hésitez pas à m'interrompre.

 18   Q.  D'abord des questions d'ordre technique. Si vous regardez la pièce 2784

 19   [comme interprété], c'est la première pièce dans votre classeur. Vous

 20   constatez qu'il s'agit d'une décision aux termes de laquelle vous êtes

 21   nommé à la tête de l'Office chargé des personnes déplacées et des réfugiés

 22   le 11 décembre 1891. Mais j'imagine qu'il s'agit de 1991 en réalité.

 23   R.  Oui. Mais la date n'est pas la bonne. La date 1891, je la vois

 24   maintenant. Ça il faut corriger bien entendu.

 25   Q.  C'est aux termes de ce qui figure dans ce document que vous êtes devenu

 26   directeur ?

 27   R.  Oui.

 28   Q.  Document suivant 1D 02632. On voit que c'est une décision aux termes de

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  1   laquelle le chef ou le directeur du Bureau des personnes déplacées et

  2   réfugiés relevait de ces fonctions, M. Adalbert Rebic, 2 février 1996.

  3   C'est le document aux termes duquel vous avez été démis de vos fonctions ?

  4   R.  C'est exact. Là encore c'est la fête de la Vierge dans l'Eglise

  5   catholique.

  6   Q.  J'imagine que pour vous ça été en quelque sorte un jour de fête parce

  7   que vous avez pu, vous vouliez plutôt retrouver vos occupations ?

  8   R.  Maître Karnavas, vous avez parfaitement raison.

  9   Q.  Bien. Maintenant j'aimerais qu'on passe à un certain nombre de

 10   documents qui portent sur la législation en vigueur. Ces documents on les a

 11   déjà examinés la semaine dernière, mais je voudrais que le témoin me

 12   confirme un certain nombre de choses. Premier document, 1D 02632, 1D 02632,

 13   un décret portant sur la création de l'Office chargé des réfugiés de la

 14   République de Croatie, 30 août 1991, --

 15   R.  C'est 23 --

 16   Q.  Oui, oui, c'est 2623, excusez-moi. 

 17   Bien. D'accord oui c'est 2623. Vous connaissez ce décret ?

 18   R.  Oui et non. Ce décret a précédé la création du Bureau des réfugiés et

 19   des personnes déplacées. Ce décret portait création d'une institution

 20   provisoire qui allait s'occuper des réfugiés et des personnes déplacées.

 21   Vous voyez c'est le 30 août 1991, le bureau ne verra le jour que plus tard

 22   grâce à un nouveau décret. C'était un décret provisoire.

 23   Q.  Fort bien. Si nous examinons le document 1D 02637, c'est la date du 22

 24   novembre 1991 que l'on voit. Il s'agit d'un décret de l'Office pour les

 25   personnes déplacées et les réfugiés.

 26   Vous connaissez ce document ?

 27   R.  Je le connais. Je le connais. Tout à fait, c'est sur la base de ce

 28   décret qu'on a créé le Bureau des personnes déplacées et des réfugiés

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  1   auprès du gouvernement de la République de Croatie. Je connais très bien ce

  2   document.

  3   Q.  Est-ce que c'est partant de ce décret ou est-ce que ceci était la base

  4   sur laquelle votre office fonctionnait ?

  5   R.  C'est cela. Il devait respecter les dispositions de ce décret, et pas

  6   autrement.

  7   Q.  Document suivant, un bref commentaire, 1D 02634, 2634. Nous voyons la

  8   date du 11 décembre 1991, décision par laquelle on nomme le président, le

  9   président adjoint, les membres du conseil directeur ou du conseil de

 10   pilotage à l'Office des personnes déplacées et des réfugiés. Je pense que

 11   vous avez déjà fait un commentaire sur l'une des personnes faisant partie

 12   de ce conseil. Mais pourriez-vous de façon très brève nous dire quelle

 13   était la vocation de ce conseil ou comité de pilotage et quel était son

 14   rapport avec votre travail à vous ?

 15   R.  Monsieur Karnavas, le conseil d'administration était un organe de

 16   surveillance de notre Bureau des réfugiés et des personnes déplacées.

 17   Autrement dit, cette instance surveillait les travaux du bureau. Les

 18   membres de ce conseil se réunissaient tous les deux ou trois mois, selon le

 19   besoin, ça pouvait être plus fréquent, si un problème s'était posé. 

 20   Ce conseil était composé par Bernardo Jurlina, qui était ministre du

 21   Travail de la Protection sociale et de la famille. Il faut savoir qu'avant

 22   la création de notre bureau, ce ministère s'occupait des personnes

 23   déplacées et des réfugiés. Mais comme leur nombre a dépassé les capacités

 24   de ce ministère qui s'occupait déjà de 300 000 personnes qui étaient des

 25   cas sociaux en République de Croatie, le gouvernement a décidé de créer

 26   notre bureau. Puis il y avait le professeur, le Dr Skrabalo, qui était le

 27   chef de la coopération entre l'Organisation mondiale de la Santé et la

 28   République de Croatie. C'est un médecin, un physicien, médecin. Puis il y

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  1   avait Monseigneur Vladimir Stankovic qui avait la charge du Caritas croate

  2   donc il était son directeur, il était le président du Caritas de la

  3   conférence épiscopale. Il était à la tête de la première mission catholique

  4   à l'étranger, mission croate. Donc il avait sous sa tutelle tous les

  5   prêtres croates qui travaillaient à l'étranger. Il y en avait surtout en

  6   Allemagne. Puis il y a Nenad Javornik, qui était le secrétaire général de

  7   la Croix-Rouge croate qui lui aussi a grandement contribué à l'accueil des

  8   réfugiés et des personnes déplacées. Puis il y avait le médecin, Ivica

  9   Kostovic, qui était professeur à la faculté de médecine de Zagreb. Puis le

 10   Dr Kutle et Gordana Turic, ces deux étaient là en leur qualité de députés

 11   du parlement croate. Comme on peut le voir d'après le tableau tout ça

 12   c'étaient des gens compétents et responsables qui étaient chargés de

 13   surveiller les travaux du bureau.

 14   Q.  A votre connaissance, ce comité de pilotage a-t-il fonctionné pendant

 15   toute la durée de votre mandat en tant que chef de l'Office des personnes

 16   déplacées et des réfugiés ?

 17   R.  C'est cela, pendant toute la durée de cette période.

 18   Q.  Fort bien. Merci. Document suivant 1D 02588, 2588. Il s'agit d'un

 19   décret du 27 octobre 1992 portant sur le statut des personnes déplacées et

 20   des réfugiés. Voici ma première question : connaissez-vous la teneur de ce

 21   décret ? Dans l'affirmative, comment se fait-il que vous le connaissiez ?

 22   R.  Je suis au courant de ce décret aussi. Par rapport au premier décret

 23   qui a été promulgué un an avant, cela est devenu une loi parce que le

 24   parlement croate a approuvé le texte et il a été, il y a une signature du

 25   vice-président du parlement Ivan Milas. Par conséquent, le décret s'est mué

 26   en loi adoptée par le gouvernement de la République de Croatie et le bureau

 27   est censé s'y conformer pour autant que je le sache. Ce décret ne diffère

 28   presqu'en rien du texte précédent mis à part quelques petites

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  1   modifications. 

  2   Q.  Bien. Est-ce que c'est partant de ce décret portant sur le statut des

  3   personnes déplacées et des réfugiés que votre office a déterminé quel était

  4   le statut dont pouvait bénéficier une personne donnée ? Est-ce que cette

  5   personne allait être réfugiée ou personne déplacée et pourrait ainsi

  6   bénéficier des avantages associés à ce statut ?

  7   R.  C'est exact. C'est d'après ce décret que nous définissions le statut.

  8   Q.  1D 02635. Ici nous voyons qu'il y un amendement, une modification à ce

  9   décret portant statut des personnes déplacées et des réfugiés; est-ce que

 10   vous connaissez ce document, puisque ceci renvoie au décret fondateur de

 11   votre office plutôt que l'autre qui est le statut ?

 12   R.  Oui, je suis très au courant. Ce décret définit mieux ce qu'il faudrait

 13   qu'on ait au bureau, les départements, sections pour ce qui est du soin à

 14   l'hébergement organisé des personnes réfugiées et déplacées, ainsi que pour

 15   ce qui est de leur retour, puis il y a le département des finances, la

 16   collecte, le transport, la distribution de l'aide humanitaire, la

 17   coopération avec les organisations humanitaires, l'organisation sociale, et

 18   cetera.

 19   Q.  Merci.

 20   R.  C'est moi qui vous remercie.

 21   Q.  Bien. Document suivant, 1D 02638, il s'agit ici d'une décision, en date

 22   du 6 octobre 1993, excusez-moi, c'est une loi.

 23   R.  Oui, une loi.

 24   Q.  Excusez-moi. Est-ce que vous connaissez ce texte de loi ?

 25   R.  Oui, je suis au courant. C'est signé par le président de la République

 26   de Croatie parce que par sa signature la loi entre en vigueur au sein de la

 27   République de Croatie et cela avait force contraignante à mon égard.

 28   Q.  Est-ce que cette loi a servi de base pour que vous déterminiez le

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  1   statut d'une personne, pour savoir si cette personne remplissait les

  2   conditions nécessaires pour bénéficier du statut de personne déplacée ou de

  3   réfugié ?

  4   R.  [aucune interprétation]

  5   Q.  Parfait. Auparavant nous avons abordé le sujet de l'enseignement et des

  6   droits à l'enseignement donné à tout individu. Prenons à titre d'exemple le

  7   document 1D 02610, et je vais vous demander de le commenter, 2610, 12

  8   janvier 1994. En bas de document, nous voyons votre nom. Regardons une

  9   copie de l'original; c'est bien votre signature, n'est-ce pas, Monsieur

 10   Rebic ?

 11   R.  C'est exact, la signature elle est bien la mienne.

 12   Q.  Essayez en quelques mots de nous expliquer la teneur de ce document

 13   puisque vous en êtes l'auteur.

 14   R.  En effet l'ambassade de la République de Bosnie-Herzégovine nous a

 15   demandé en passant par le ministère des Affaires étrangères de fournir des

 16   renseignements exacts au sujet des enfants fréquentant ou suivant un

 17   programme scolaire. Bien sûr, j'ai transmis ce document ensuite au

 18   ministère de la Culture et de l'Education en les priant de communiquer les

 19   renseignements demandés à l'ambassade de la République de Bosnie-

 20   Herzégovine et la copie de la réponse était censée être envoyée au

 21   ministère des Affaires étrangères et à moi-même. Ce document montre que les

 22   réfugiés en République de Croatie avaient la possibilité de se scolariser.

 23   Q.  Comment se fait-il que vous deviez demander à un autre ministère ces

 24   données ? Comment se fait-il que votre office des personnes déplacées et

 25   des réfugiés n'avait pas ces données sous la main ?

 26   R.  Parce que pour ce qui est de la scolarisation c'était le ministère de

 27   la Culture et de l'Education qui était compétent, et seul ce ministère

 28   pouvait fournir les renseignements précis au sujet de ceux qui

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  1   fréquentaient des classes en République de Croatie. Ce n'était pas de la

  2   compétence du Bureau chargé des réfugiés.

  3   Q.  Une question technique à laquelle les Juges pensent peut-être. Qu'en

  4   est-il des écoles dites extraterritoriales, les données les concernant où

  5   est-ce qu'elles se trouvent ? Est-ce que c'est ce ministère-ci qui les

  6   avait aussi ces données concernant des élèves fréquentant des écoles

  7   extraterritoriales que ce soit des Croates de Bosnie-Herzégovine ou des

  8   Musulmans de Bosnie-Herzégovine ?

  9   R.  Pour ceux qui ont fréquenté des écoles extraterritoriales, des écoles

 10   primaires au niveau des centres d'accueil de réfugiés, il y a eu également

 11   compétence de ce ministère de la Culture et de l'Education au cas où ces

 12   centres d'accueil de réfugiés se trouveraient sur le territoire de la

 13   Croatie. Essentiellement, les centres et l'ambassade de la République de

 14   Bosnie-Herzégovine s'appuyaient sur les renseignements fournis par les

 15   centres chargés de l'accueil, il y avait là des enseignants, des

 16   professeurs, et à la fin de l'année ils distribuaient des certificats, bien

 17   entendu ces certificats étaient censés être reconnus par l'ambassade de la

 18   République de Bosnie-Herzégovine. C'est la raison pour laquelle dans leurs

 19   documents à mon intention et dans les conversations que j'ai eues avec eux,

 20   ces écoles extraterritoriales sont mentionnées si souvent. Ça fonctionnait

 21   plus ou moins bien, des fois mieux, des fois moins bien, des fois c'était

 22   mieux organisé, des fois ce n'était pas si bien organisé, ça dépendait des

 23   gens avec qui on travaillait.

 24   Q.  Un dernier sujet pour nous assurer que nous sommes sur la même longueur

 25   d'onde, --

 26   M. KARNAVAS : [interprétation] Ceci ne se trouve pas dans les classeurs,

 27   mais c'est saisi dans le prétoire électronique, 4D 01232.

 28   Q.  Ça ne se trouve pas dans vos classeurs, mais vous allez voir ce

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  1   document à l'écran, Monsieur le Témoin, vous allez le trouver. Monsieur

  2   Rebic, il s'agit d'un document qu'on a montré la semaine dernière. C'est la

  3   Loi portant sur le déplacement ou la circulation et le séjour des

  4   étrangers.

  5   R.  Je vois.

  6   Q.  Le 28 juin 1991, dites-nous, cette loi-ci s'appliquait-elle aux

  7   réfugiés venant de Bosnie-Herzégovine ?

  8   R.  Monsieur Karnavas, cette loi n'a pas été mise en œuvre ou appliquée

  9   s'agissant des réfugiés originaires de la Bosnie-Herzégovine. Tout d'abord,

 10   cette loi a été promulguée à Zagreb le 28 juin 1991, lorsqu'il n'y avait

 11   pas de réfugiés de Bosnie-Herzégovine. Mais il y avait des réfugiés de

 12   Croatie en Bosnie-Herzégovine. Parce qu'en juin 1991, il n'y avait pas eu

 13   d'agression de la JNA. Cette loi ne portait non pas sur ceux qui venaient

 14   de la République de Bosnie-Herzégovine mais ceux qui venaient d'autres

 15   pays, et on avait à l'esprit en premier lieu les gens qui venaient de

 16   Grèce, de Bulgarie, et pour ce qui est de la Bulgarie et de la Grèce il en

 17   venait depuis le Pakistan. On a eu en 1991 en Croatie des cas où il y a eu

 18   des réfugiés venant de pays si éloignés que cela. Je me suis trompé là, je

 19   crois. Parce qu'on voit ici 28 juin, non, non, il n'y a pas confusion.

 20   C'est bon. C'est la bonne date.

 21   Q.  Lorsqu'on parle ici d'étrangers, si je vous ai bien compris, il n'est

 22   pas fait état de citoyens de Bosnie-Herzégovine ?

 23   R.  Non.

 24   Q.  Votre office dans l'octroi --

 25   R.  On ne s'est pas conformé à cette loi-là.

 26   Q.  Parfait. Passons à un autre sujet, le document 1D 02629, c'est le

 27   document suivant dans votre classeur.

 28   M. KARNAVAS : [interprétation] Excusez-moi, Messieurs les Juges, de ne pas

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  1   avoir respecté l'ordre. Nous avons dû remanier les documents à la dernière

  2   minute. Je ne sais pas dans quel classeur ça se trouve.

  3   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Apparemment, le dernier du premier.

  4   M. KARNAVAS : [interprétation] Fort bien.

  5   Q.  Nous allons maintenant examiner toute une série de rapports. Permettez-

  6   moi de vous poser cette question avant d'examiner le document : est-ce que

  7   dans le cadre de vos fonctions de chef de l'office, vous aviez l'obligation

  8   de faire des statistiques et de faire des rapports ?

  9   R.  Bien sûr, Monsieur Karnavas, et je dirais même très souvent et de façon

 10   très importante et professionnelle parce qu'on envoyait ces données à

 11   l'UNHCR.

 12   Q.  Ce document-ci, 1D 02629, c'est une enquête et nous voyons qui a fait

 13   ce sondage ou cette enquête. Est-il exact de dire que ce n'est pas votre

 14   office qui a réalisé cette enquête ?

 15   R.  Non, ça n'a pas été fait par notre bureau, mais par cette agence qui

 16   s'appelle PULS et qui existe encore en Croatie de nos jours.

 17   Q.  Page 3.

 18   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Le témoin pourrait-il nous dire ce

 19   qu'il y a derrière ce titre Puls ou Pulse, pouls en français. Qu'est-ce que

 20   c'est que cette agence, P-U-L-S ?

 21   LE TÉMOIN : [interprétation] C'est le nom de l'agence qui est là à

 22   réaliser, conduire des enquêtes au niveau de l'opinion publique. C'est le

 23   pouls de tout un chacun que l'on mesure, enfin, le battement du cœur, et

 24   c'est de là que vient le nom. Donc il y a une corrélation médicale à faire

 25   avec pouls. De là à savoir si Pouls avait mesuré le pouls du peuple, c'est

 26   une autre question, mais ça existe encore et c'est très actif comme

 27   organisation quand il y a de nouvelles élections présidentielles ou

 28   parlementaires, et c'est cette agence qui procède à des enquêtes chez nous.

Page 28223

  1   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Merci.

  2   M. KARNAVAS : [interprétation] Merci.

  3   Q.  Page 3, au bas de la page. Nous relevons que votre office a participé

  4   dans la mesure où il a fourni des données. Il est écrit : "Toutes les

  5   autorisations et recommandations en vue de ces sondages ou recherches ont

  6   été obtenues du bureau de M. Rebic."

  7   R.  C'est bien exact.

  8   Q.  Qu'avez-vous fait précisément qui a permis à cette agence PULS

  9   d'effectuer ce sondage ?

 10   R.  L'agence PULS, d'abord, devait bénéficier d'une autorisation de la part

 11   du Bureau chargé des réfugiés et des personnes déplacées pour ce qui est de

 12   procéder à ce type d'enquête et de l'opinion publique ou de l'opinion des

 13   individus réfugiés ou déplacés ou qui que ce soit d'autre en Croatie. On

 14   nous a également demandé des renseignements concernant le nombre de centres

 15   d'accueil pour réfugiés et déplacés, concernant le nombre de ces gens et

 16   autres données dont ils avaient besoin pour leurs statistiques.

 17   Q.  Je n'ai pas l'intention de poser des questions particulières, mais les

 18   Juges s'intéresseront peut-être à la page 12. Vous voyez notamment la

 19   question numéro 5 ou la question 11 ou la question 12 encore qui risquent

 20   de vous intéresser. Messieurs les Juges, je ne sais pas si vous avez des

 21   questions, ce serait le bon moment. Sinon, je passerai au document suivant.

 22   R.  Si je puis, Monsieur Karnavas, et si les Juges le permettent, peut-être

 23   pourrais-je vous prévenir au sujet d'un élément. Vous avez parlé du

 24   paragraphe 2, "Organisations internationales humanitaires," et d'après

 25   nous, ils ont aidé plus de réfugiés musulmans que les deux autres ensemble,

 26   69 %. C'est très intéressant à dire, on voit qu'ils ont été aidés des uns

 27   et des autres et c'est la façon dont nos citoyens ont réagi pour ce qui est

 28   du sort des personnes réfugiées et des personne déplacées. Cela se rapporte

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  1   à ce que faisait le bureau, on ne faisait pas la distinction entre réfugiés

  2   et personnes déplacées. Les uns et les autres bénéficiaient de la même

  3   assistance. Même l'opinion publique en témoigne.

  4   Q.  Fort bien. Document suivant --

  5   M. KARNAVAS : [interprétation] Oui, Monsieur le Juge Trechsel.

  6   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Désolé.

  7   Pour savoir ce que ceci signifie, il faudrait savoir qui a été interrogé,

  8   il faudrait savoir aussi quel est le type d'échantillon. Cela se trouve

  9   sans doute dans le document, mais le témoin le sait sans doute.

 10   M. SCOTT : [interprétation] C'est le haut de la page 5, Monsieur le Juge.

 11   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, c'est au niveau de la méthodologie. Si je

 12   puis vous le dire, il y a une méthodologie propre au document. Ici, nous

 13   avons une agence qui est déjà intervenue pour ce qui est d'enquêtes

 14   publiques sur les points politiques, sociaux, nationaux. L'agence est très

 15   active. Ce n'était pas une agence progouvernementale, c'était une

 16   organisation non gouvernementale, une structure non gouvernementale donc et

 17   ils se sont conformés strictement à des principes qui étaient les leurs,

 18   ceux de l'agence. On y recense 335 cas de refus, et cetera. Enfin, il

 19   suffit de lire ces pages parce qu'on y trouve interprétation de toute

 20   chose, de la méthodologie et du reste.

 21   M. KARNAVAS : [interprétation]

 22   Q.  Merci de nous l'avoir signalé. Je ne voulais pas vous interrompre et

 23   manquer de courtoisie, mais vous savez, nous devons passer à autre chose.

 24   J'espère que vous acceptez mes excuses. Document suivant --

 25   R.  Mais vos excuses sont toutes acceptées.

 26   Q.  1D 02627, premier classeur. Je le dis à l'intention de vous, Messieurs

 27   les Juges. 1D 2627.

 28   Vous l'avez, Monsieur ?

Page 28225

  1   R.  Oui, je l'ai trouvé.

  2   Q.  Nous voyons que ceci vient du gouvernement de la République de Croatie,

  3   c'est une liste d'inscriptions des personnes chassées et de réfugiés en

  4   République de Croatie en 1994. Page 2, en bas de page, on voit votre nom.

  5   Pourriez-vous, en quelques mots, nous dire qui a préparé ce rapport ?

  6   R.  Monsieur Karnavas, ce rapport a été compilé par le Bureau chargé des

  7   réfugiés et des personnes déplacées de la République de Croatie et auprès

  8   du gouvernement de la République de Croatie. C'est un troisième recensement

  9   qui se passe en 1994, un troisième enregistrement. Le premier, c'était en

 10   1992, aux mois de mai et juin. C'est là qu'on a recensé la totalité des

 11   personnes déplacées en Croatie. Puis en 1993, mois de mai, juin, juillet,

 12   c'est le deuxième des recensements où nous avons enregistré la totalité des

 13   réfugiés originaires de la Bosnie-Herzégovine. Ceci est le troisième

 14   recensement ou enregistrement en 1994 où nous avons recensé tout le monde

 15   ensemble, les personnes déplacées et les réfugiés.

 16   Le recensement a été fait partant d'un modèle très détaillé. On a recueilli

 17   près de 100 renseignements auprès de chaque individu, renseignements

 18   importants et moins importants, biens ou propriétés économiques, est-ce

 19   qu'ils ont quitté une maison, abandonné une maison a été incendiée, et

 20   cetera. Donc on a recensé les noms des personnes qui l'ont fait. L'agence

 21   qui s'en est occupée, elle s'appelle VIP, V-I-P, dont le propriétaire se

 22   trouvait être Jakov Binenfeld, un homme de Zagreb très aisé, qui est

 23   d'origine étrangère, qui était d'origine juive, et qui avait ce service le

 24   plus développé là-bas.

 25   On nous avait recommandé un établissement gouvernemental du point de

 26   vue informatif, mais j'ai consulté le UNHCR, qui a cofinancé, et on a

 27   accepté de prendre Jakov Binenfeld qui était le seul à Zagreb et en Croatie

 28   à disposer en Croatie de ce type d'agence informatique. Le rapport est

Page 28226

  1   repris ici de façon détaillée. Et partant de ce rapport, on verra combien

  2   de personnes déplacées et réfugiés il y a eu.

  3   Q.  Les Juges auront peut-être des questions à vous poser, mais auparavant

  4   intéressons-nous à la page 20, bas de page, en anglais. En Croatie, ceci

  5   vous aidera peut-être parce qu'il y a quelque mention manuscrite --

  6   M. KARNAVAS : [interprétation] Est-ce que, Madame l'Huissière, pourrait

  7   nous donner un petit coup de main très rapidement. Page 20 en anglais.

  8   Q.  Et je vous donne à l'instant même la version croate --

  9   R.  Je connais ce texte.

 10   Q.  Bien. Ce n'est pas tellement les chiffres qui m'intéressent quand on

 11   voit le nombre de réfugiés en 1993, 269 000; puis 183 000 en 1994. C'est le

 12   paragraphe suivant qui m'intéresse. Il y a une partie manuscrite. Mais

 13   dites-nous qu'est-ce qu'il dit ce rapport dans cette partie-ci précisément

 14   ? Il ne nous reste que trois minutes. Essayez de limiter votre réponse à

 15   trois minutes.

 16   R.  Monsieur Karnavas, ce rapport parle de chiffres, de nombres de réfugiés

 17   et de personnes déplacées, et il y a comparaison par années. En 1992, où il

 18   y a eu 247 000 personnes déplacées; en 1994, ils étaient 196 000; donc 50

 19   000 de moins, ce qui veut dire que bon nombre de personnes déplacées entre

 20   1992 et 1994 ont pu regagner les territoires libérés, et on indique les

 21   sites où ils sont rentrés. On commence par Osijek et puis d'autres villes.

 22   Pour ce qui est des réfugiés en 1993, ils étaient 269 000, et en 1994, ils

 23   étaient 183 000. La différence est interprétée de la façon suivante : une

 24   partie des réfugiés originaires de Bosnie-Herzégovine est rentrée en

 25   Bosnie-Herzégovine, et il s'agit de Bosniens et de Croates. Ils partaient

 26   vers des territoires libérés et des territoires sûrs, qui n'étaient donc

 27   plus menacés par les combats, comme Zenica, Tuzla et Sarajevo.

 28   Là, il convient de préciser que dans les derniers mois de cette année 1994,

Page 28227

  1   depuis la Suède on en a rapatrié 150, donc des Bosniens, des Musulmans,

  2   parce qu'ils avaient des passeports croates. Et la Suède les a renvoyés à

  3   la Croatie puisqu'ils avaient des passeports croates, bien qu'étant

  4   Musulmans. Mais on les a fait partir chez eux puisqu'ils pouvaient rentrer

  5   vers des régions sûres. Si la région n'était pas sûre, cette personne ou

  6   ces personnes n'étaient pas renvoyées chez elle.

  7   Je remarque parce que quand j'ai fait cela a posteriori qu'il y en avait 40

  8   ou 50 de ces personnes qui revenaient de Suède, et c'est ainsi que les

  9   choses se faisaient, ont été concertées avec le gouvernement suédois. On en

 10   avait 40, 50 par semaine. Il ne fallait pas qu'y rentre en masse afin que

 11   nous puissions les héberger plus facilement en Croatie ou les envoyer plus

 12   loin vers la Bosnie-Herzégovine au cas où le site concerné n'était pas

 13   menacé par les combats. Voilà ce serait en bref, tout.

 14   Q.  Grand merci. Il est 19 heures, Monsieur Rebic, nous pourrons reprendre

 15   notre entretien demain.

 16   R.  Merci.

 17   M. LE JUGE ANTONETTI : Oui, Maître Karnavas, je crois que vous avez utilisé

 18   deux heures environ, donc il vous restera deux heures demain.

 19   Bien. Monsieur le Témoin, donc je vous souhaite une bonne soirée et nous

 20   nous retrouverons donc pour l'audience qui débutera donc demain à 14 heures

 21   15.

 22   Je vous remercie.

 23   LE TÉMOIN : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 24   --- L'audience est levée à 19 heures 01 et reprendra le mardi 20 mai 2008,

 25   à 14 heures 15.

 26  

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