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1 Le lundi 4 mai 2009
2 [Audience publique]
3 [Les accusés sont introduits dans le prétoire]
4 [Les accusés Prlic et Coric sont absents]
5 --- L'audience est ouverte à 14 heures 14.
6 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Greffier, appelez le numéro de
7 l'affaire, s'il vous plaît.
8 M. LE GREFFIER : [interprétation] Bonjour, Messieurs les Juges. Bonjour à
9 toutes et à tous.
10 Affaire IT-04-74-T, le Procureur contre Prlic et consorts. Merci,
11 Monsieur le Président.
12 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci, Monsieur le Greffier.
13 En ce lundi 4 mai 2009, je salue en premier MM. les accusés. Je salue Mmes
14 et MM. les avocats. Je salue tout le bureau du Procureur, ils sont tous là.
15 Je salue également M. l'Huissier, M. le Greffier et toutes les personnes
16 qui nous assistent.
17 Je sais que M. le Greffier a quatre numéros IC à nous donner.
18 M. LE GREFFIER : [interprétation] C'est vrai, Monsieur le Président.
19 L'équipe 2D a déposé sa réponse aux objections du Procureur aux documents
20 versés par le truchement d'Ivan Bagaric. Ce sera la pièce IC 997. Quelques
21 parties ont déposé leurs listes de documents versés par le truchement de
22 Dragan Juric. La liste 2D portera la cote IC 998. La liste 4D sera la pièce
23 999 et la liste de l'Accusation portera la cote IC 1000. Monsieur le
24 Président, merci.
25 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci, Monsieur le Greffier.
26 Bien. Aujourd'hui, nous allons donc commencer la partie de la Défense de M.
27 Praljak.
28 La Chambre a été saisie vendredi dernier d'une demande par l'Accusation
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1 d'une audience du type 65 ter ou d'un débat à l'audience afin de limiter
2 l'ampleur du témoignage de M. Praljak. La Chambre constate que le délai de
3 réponse pour les autres parties est au 15 mai. Donc la Chambre statuera sur
4 cette requête après le 15 mai. En tout état de cause, la Chambre va
5 procéder dès maintenant à la déclaration 84 bis de M. Praljak. Et dans le
6 cadre de cette déclaration 84 bis, M. Praljak va prêter serment, comme
7 l'avait indiqué la décision antérieure rendue par cette Chambre, et je
8 demanderais dans quelques instants si M. Praljak jure de dire toute la
9 vérité, rien que la vérité. Après quoi, M. Praljak fera sa déclaration qui
10 est prévue pour une durée d'une heure 30, ce qui peut nous amener donc à la
11 fin de la journée.
12 Et une fois cette phase procédurale accomplie, M. Praljak déposera en
13 qualité de témoin et il viendra s'installer devant nous au banc des
14 témoins. Et là, M. Praljak relira la déclaration solennelle qui est
15 présentée à tous les témoins.
16 La Défense de Praljak nous a communiqué un calendrier, donc M. Praljak va
17 répondre à l'interrogatoire principal pendant plusieurs jours et nous
18 aurons également à fixer le temps pour le contre-interrogatoire des autres
19 témoins.
20 Concernant les questions qui pourraient être posées à M. Praljak par les
21 Juges, en ce qui me concerne et je ne parle qu'en mon nom, je
22 n'interviendrai dans cette phase que lorsque M. Praljak aura répondu aux
23 questions de son avocat et lorsque les autres avocats l'auront, le cas
24 échéant, contre-interrogé. Et ce n'est qu'à ce moment-là je poserai des
25 questions que j'articulerai en trois thèmes, que j'indique tout de suite à
26 M. Praljak pour qu'il n'y ait pas de surprise ou d'interrogation
27 quelconque.
28 Je lui poserai des questions tout d'abord à partir des éléments qu'il
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1 abordera dans ses réponses mais qui seront uniquement consacrées par
2 rapport à l'acte d'accusation et au mémoire préalable. Et je lui poserai
3 des questions à partir des documents qui figurent en note de bas de page du
4 mémoire préalable. Ça, ça sera le premier temps de mes questions.
5 Le second temps sera uniquement consacré aux documents qui lui seront
6 présentés par son avocat lors de son témoignage.
7 Et le troisième temps sera consacré, le cas échéant, aux questions
8 qui lui seront posées par les autres avocats. Donc, je décomposerai mes
9 questions en trois temps : premier temps, l'acte d'accusation et mémoire
10 préalable; deuxième temps, les documents qu'il présentera; et troisième
11 temps, les documents et questions posés par les autres avocats.
12 Voilà. Maintenant je laisse la parole à mes collègues qui vont
13 indiquer comment ils comptent procéder le cas échéant.
14 M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Pas vraiment, Monsieur le Président.
15 C'est simplement une observation. Ligne 16, on va bientôt la voir sortir de
16 l'écran. Vous avez dit jusqu'à la fin de la journée ou c'est plutôt
17 "jusqu'après la première pause."
18 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci pour cette précision. Voilà.
19 Alors, Monsieur Praljak, vous allez vous lever. Je vais vous demander si
20 vous allez dire toute la vérité, rien que la vérité. Et vous allez me
21 répondre, je le jure ? Alors, Monsieur Praljak, allez-vous dire toute la
22 vérité, rien que la vérité ?
23 L'ACCUSÉ PRALJAK : [interprétation] Oui, Monsieur le Juge Antonetti,
24 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je dirai la vérité, rien que la
25 vérité et toute la vérité.
26 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci, Monsieur Praljak.
27 Bien. Alors Monsieur Praljak, je vous laisse la parole maintenant pour
28 votre déclaration au titre de l'article 84 bis du Règlement.
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1 [Déclaration liminaire de la Défense Praljak]
2 L'ACCUSÉ PRALJAK : [interprétation] Je vous remercie.
3 Je salue tous et toutes dans le prétoire, les Procureurs, les avocats, les
4 Juges, et tous ceux qui sont ici pour accomplir une tâche.
5 Et c'est parce que j'ai gardé espoir d'obtenir trois heures et on a réduit
6 la chose à une heure et demie. Je demanderais à tout un chacun d'ouvrir le
7 classeur qui est remis et je vais commencer à partir du point numéro 15.
8 Et ce, c'est l'intitulé de l'armée croate en Bosnie-Herzégovine.
9 La JNA s'est attaquée à la Croatie. Le champ de bataille est la Yougoslavie
10 entière. Les Serbes insurgés, à savoir l'armée de la soi-disant Krajina aux
11 côtés de la JNA s'est attaquée à la Croatie. Et le champ de bataille, c'est
12 le territoire de la Yougoslavie entière d'où viennent donc ces soldats et
13 leur armement. La JNA, les soldats de la Krajina, l'armée de la Republika
14 Srpska s'attaquent à la Croatie. Le champ de bataille, c'est le territoire
15 entier à partir duquel ces attaques sont lancées, à savoir les territoires
16 à partir desquels viennent les soldats qui participent aux dites attaques,
17 les territoires où il est produit les moyens militaires nécessaires à ces
18 attaques ainsi que la totalité des territoires et routes qui servent au
19 transport de ces MTS. La JNA et toutes les autres armées serbes ne se sont
20 pas attaquées seulement à la Croatie mais aussi à l'ensemble des
21 territoires ainsi qu'aux populations qui vivent à l'est de la frontière
22 Karlobag-Karlovac-Virovitica parce que c'est la frontière déterminée pour
23 faire partie de la Grande-Serbie.
24 Sur la totalité du territoire des attaquants, sur le territoire qui, en
25 matière de droits de guerre internationale se trouve être défini par notion
26 de champ de bataille, la Croatie s'est trouvée autorisée à riposter par la
27 force militaire, à condition de le pouvoir. La Bosnie-Herzégovine, en sa
28 qualité de territoire et en sa qualité d'Etat, s'est attaquée à la
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1 République de Croatie. La Croatie, en application du droit international,
2 avait le droit de riposter par l'envoi de ses propres troupes sur n'importe
3 quelle partie du champ de bataille au cas où elle était capable de le
4 faire.
5 Au référendum qui s'est tenu le 19 mai 1990, il s'est prononcé en faveur
6 d'une République de Croatie autonome et indépendante plus de 93 % des
7 votants. A l'occasion de ces élections pluripartites parlementaires et
8 démocratiques qui se sont tenues au printemps 1990, il a été procédé à
9 l'élection des membres du Parlement croate.
10 Le 25 mai [comme interprété] 1990, ici il y a une erreur, 1991, il faut
11 entendre 1991, une prise de décisions constitutionnelles portant sur la
12 souveraineté et l'autonomie de la République de Croatie et une déclaration
13 portant proclamation d'une République de Croatie souveraine et autonome.
14 C'est le droit juridique constitutionnel qui porte création de la
15 République de Croatie.
16 Les reconnaissances internationales constituent un acte politique
17 déclaratif de soutien à ce nouvel Etat. Mais l'Etat lui est créé par l'acte
18 qui est le prononcé de la volonté du peuple.
19 Au 30 juillet 1991, le Parlement de la Lituanie a adopté une
20 résolution reconnaissant l'indépendance et la souveraineté de la République
21 de Croatie. La reconnaissance de la part de la France, des Etats-Unis
22 d'Amérique, de l'Angleterre, de l'Allemagne constitue politiquement un
23 élément plus important. Mais en ce qui me concerne personnellement, la
24 reconnaissance de la République de Croatie par la Lituanie, et un peu plus
25 tard par l'Islande, se trouve moralement plus important à un degré
26 incomparable que les reconnaissances qui ont suivi lorsque la Croatie, en
27 dépit des prévisions qui disaient qu'elle allait être vaincue, a réussi à
28 se maintenir. Et tous, mis à part la Lituanie et l'Islande ont attendu
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1 d'abord que ces expectatives ou ces pronostics soient réalisés.
2 Alors est-ce que le président Alija Izetbegovic, le président de la
3 présidence de Bosnie-Herzégovine voulait, pouvait ou souhaitait : A,
4 empêcher les attaques de la République de Croatie à partir du territoire de
5 la Bosnie-Herzégovine; B, empêcher que soient emmenés des soldats croates
6 emprisonnés depuis le Kostunica croate vers les camps serbes en Bosnie-
7 Herzégovine; C, empêcher la prise de Unista sur le territoire de la Bosnie-
8 Herzégovine par des unités appartenant à Martic; D, empêcher les massacres
9 du village de Ravno ou est-ce pour lui, je cite ce qu'il a dit : "Ce n'est
10 pas notre guerre"; E, empêcher l'attaque de Dubrovnik, Slavonski Brod,
11 Okucane, et cetera; F, empêcher la mobilisation des citoyens de la Bosnie-
12 Herzégovine dans les rangs de la JNA. Pour ce qui est de poser la question
13 où peut et où ne peut pas aller l'armée croate en application de la
14 définition juridique en temps de guerre de ce qui est champ de bataille ou
15 pas n'importe peu. L'armée croate avait le droit de se rendre sur le
16 territoire de la Bosnie-Herzégovine parce qu'à partir de ce territoire-là
17 il y a eu agression contre la Croatie, et de l'avis de la Croatie c'est un
18 champ de bataille.
19 M. Alija Izetbegovic, lui, n'a pas souhaité signer un accord
20 militaire avec Franjo Tudjman. Afin de ne pas mettre en colère outre mesure
21 les Serbes, alors il ne peut pas ou il ne veut pas protéger la Croatie vis-
22 à-vis de cette agression de l'Etat à la tête duquel il se trouve. Il ne
23 peut pas ou il ne souhaite pas protéger les Croates au sein de la Bosnie-
24 Herzégovine. Il ne peut pas assurer la chose ni à l'égard des Musulmans,
25 lui, Alija Izetbegovic, car il n'exerce pas le pouvoir vis-à-vis des 70 %
26 du territoire de l'Etat où il se trouve être le président de la présidence.
27 Mais il se comporte comme quelqu'un au pouvoir et signe un accord d'amitié
28 et de coopération avec la République de Croatie, et cet accord permet à
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1 l'armée croate d'intervenir dans les territoires frontaliers. En même
2 temps, il négocie un accord historique avec l'agresseur.
3 L'armée croate n'a pas traversé la frontière pour entrer dans le territoire
4 de la Bosnie-Herzégovine mis à part l'action de libération de Dubrovnik,
5 car cela s'était avéré indispensable en raison de ce territoire très étroit
6 sur lequel les actions devaient être réalisées. Les volontaires de l'armée
7 croate, et dans l'armée de Croatie il y avait quelque 15 000 volontaires
8 originaires de la Bosnie-Herzégovine, s'en sont revenus chez eux pour aider
9 à la défense de la Bosnie-Herzégovine. Malheureusement, ils n'ont pas été
10 en nombre suffisant. Ce chiffre n'a jamais dépassé 500 à 600 volontaires
11 véritablement engagés, du moins jusqu'au 9 novembre 1993 lorsque j'étais
12 commandant de l'état-major du HVO.
13 Dans la suite, à l'intention des Juges et des autres, j'ai mis à la
14 disposition des passages du livre portant sur le droit international, parce
15 que j'ai estimé que c'était nécessaire pour moi de l'étudier aux fins de
16 pouvoir rédiger tout ceci.
17 C'est dans le livre du "Droit international numéro 3" dont les auteurs sont
18 Andrassy, Bakotic, Sersic et Vukas. En page 4 il est dit :
19 "En application du droit de guerre classique, le champ de bataille et le
20 territoire entier où les parties belligérantes peuvent préparer et mettre
21 en œuvre des hostilités. Ce champ de bataille englobe en premier lieu le
22 territoire des Etats en guerre, les terres, les eaux maritimes internes, la
23 mer territoriale, et l'espace aérien au-dessus. Les activités de guerre
24 peuvent, elles, avoir lieu sur toutes les parties qui ne tombent pas sous
25 la souveraineté de quelque Etat que ce soit."
26 Aussi en application du droit de guerre classique, le champ de bataille est
27 englobé également par la mer et les territoires n'appartenant à personne
28 (terra nullius).
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1 Alors tout ce qui est dit ici figure également dans le livre du Dr Pr Gavro
2 Perazic, c'est un Serbe, il s'agit d'un manuel. Et en page 7 on dit que :
3 "Le champ de bataille et les territoires de l'Etat en conflit, ces
4 territoires et les autres territoires qui ne tombent pas sous la
5 souveraineté des Etats, et peuvent devenir champs de bataille en
6 application du droit international s'il y a des préparatifs à y être
7 effectués ou des opérations de combat à y être conduites."
8 Sur la carte qui figure après, le 3D 03254, j'ai montré un passage tiré
9 d'un livre de Salzburg montrant comment l'Amérique pendant la Deuxième
10 Guerre mondiale a envoyé à bon nombre de pays de l'aide sous forme de
11 crédits, de prêts, entre mars 1941 jusqu'à septembre 1946, avec les
12 montants qui sont des dollars de l'époque. On n'a pas calculé l'équivalent
13 de nos jours, mais c'était des montants énormes.
14 Alors sur le 3D 03254, on a montré l'Europe suite aux conquêtes nazies. Et
15 ici on voit sur l'exemple de la Norvège qu'à partir du moment où les
16 troupes de l'Allemagne nazi, à savoir de la Wermacht ont occupé la Norvège,
17 la Grande-Bretagne a bien sûr envoyé des forces d'expédition sans consulter
18 le gouvernement de marionnettes en Norvège, parce qu'il s'agissait de
19 l'utilisation de ports pour utilisation des forces allemandes, donc
20 bateaux, sous-marins, et cetera, pour aller ailleurs dans l'Atlantique
21 nord. Alors la carte d'après, et celle que je veux montrer maintenant c'est
22 le 3D 20324 [comme interprété].
23 Il s'agit des combats célèbres en Afrique du nord entre les troupes de la
24 Wermacht, sous le commandement du maréchal Rommel, et au début les forces
25 britanniques puis ensuite les troupes américaines sous le commandement du
26 maréchal Montgomery. Donc, dans son avancée vers l'Egypte, la Wermacht
27 voulait s'emparer des sources de pétrole, elle voulait contrôler les voies
28 maritimes et les alliés ni anglais ni américains ne se sont considérés
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1 empêchés en application de la définition internationale du champ de
2 bataille de s'opposer à ces forces-là où qu'elles se soient trouvées. C'est
3 la raison pour laquelle il y a eu des combats de menés pendant plusieurs
4 années et on voit par exemple la bataille de Kasserine où Rommel a perdu la
5 bataille.
6 Sur les autres cartes qui commencent par un numéro en bas à droite qui est
7 le numéro 12, à l'intention des Juges, du Procureur et des personnes dans
8 le prétoire, on montre la disposition des forces armées de la RSFY dans le
9 cas d'une agression potentielle des forces du pacte de Varsovie, et on
10 connaît cela comme étant le plan S-1. Alors ça prendrait trop de temps que
11 d'étudier et d'expliquer tout ceci dans le moindre détail, mais il y a
12 plusieurs éléments qui se trouvent être clairs, à savoir que les attaques
13 étaient attendues depuis la Hongrie, depuis la Roumanie et depuis la
14 Bulgarie. Et les réserves stratégiques, à savoir la dernière ligne de
15 défense se trouvait en Bosnie-Herzégovine, ou plutôt dans la partie
16 centrale de la Bosnie-Herzégovine.
17 La carte d'après porte le numéro 13, montre le déploiement des forces
18 armées, et c'est à cet effet qu'il y a eu des exercices militaires, des
19 manœuvres militaires qui se sont déroulées pour ce qui est des forces
20 armées de la RSFY dans l'hypothèse d'une agression des forces de l'OTAN.
21 Une fois de plus on voit les axes d'attaque depuis l'Italie et l'Autriche
22 et notamment les axes en provenance de la mer, de l'Adriatique. Et on voit
23 que les axes se sont plus déplacés ou la dernière ligne de défense s'est
24 déplacée plus à l'est, vers la Serbie. Donc ces manœuvres ont constamment
25 eu lieu. Le général Petkovic, lorsqu'il faisait partie des rangs de la JNA
26 en Slovénie, très souvent a dû creuser des tranchées, faire sortir ces
27 unités pour des simulations d'attaques en provenance de l'Occident.
28 La carte numéro 14 nous montre les zones de l'insurrection armée serbe en
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1 Croatie. Dans la partie inférieure, on a décrit ce qui est important de
2 dire ici, c'est qu'il y a eu quelque 25 % du territoire de la République de
3 Croatie de pris dans 11 municipalités à majorité de la population serbe, où
4 il y avait quelque 144 344 Serbes, à savoir 24,9 % du nombre total des
5 Serbes en Croatie. Dans les 91 autres municipalités, il y avait 75 % du
6 nombre total des Serbes de la Croatie, et eux n'ont pas fait l'objet de
7 quelque représaille ou mauvais traitement que ce soit de la part des
8 autorités croates, si l'on excepte les cas particuliers ou les exceptions
9 qui existent.
10 Alors sur la carte 15, on voit l'axe d'agression envisagé vers la Croatie
11 et la Slovénie, et on voit la légende explique tout, le déploiement des
12 corps d'armée, des brigades et du reste. Bien entendu, s'il y a des
13 questions, je me propose d'apporter des explications plus détaillées, et
14 ce, à l'occasion du contre-interrogatoire.
15 Sur la carte numéro 16, il y a un plan d'attaque contre la République de
16 Croatie après le retrait de la JNA de la Slovénie au mois de juillet 1991.
17 Ceci est un petit complément à l'égard de ce qui figure à la carte
18 précédente.
19 A la carte numéro 17, on montre la situation militaire et politique en
20 Croatie entre le mois de décembre 1991 et le mois de janvier 1992, on voit
21 les territoires occupés de la République de Croatie ainsi que les axes de
22 l'attaque. En l'occurrence, ce sont les axes de défense tels qu'envisagés,
23 sans beaucoup de succès pour ce qui est de l'armée croate.
24 3D 03173, ce sont des cartes que j'ai déjà montrées dans ce Tribunal, dans
25 ce prétoire, il s'agit de la répartition de la JNA par zones ou régions
26 militaires en 1985. Et on voit les modifications survenues au niveau de la
27 carte suivante, 3D 03175. Dans le cadre des aspirations militaires et
28 politiques déjà déterminées pour ce qui est de l'éventualité d'un
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1 démantèlement de la Yougoslavie où l'on voit survenir une modification
2 substantielle pour ce qui est de l'organigramme territorial de l'armée
3 populaire yougoslave, et ceci coïncide avec les positions politiques
4 avancées par le mémorandum et les souhaits de Milosevic et des autres
5 disant que si déjà la Slovénie veut s'en aller, tant mieux et tant pis,
6 mais si la Croatie veut quitter la Yougoslavie, il n'y aura qu'un tout
7 petit bout au-dessus de Zagreb entre Virovitica et Karlobag que les Serbes
8 considèrent ne pas être leur territoire à eux. 3D 003189 [comme interprété]
9 est également une pièce à conviction --
10 M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Excusez-moi, Monsieur Praljak. Je
11 voudrais juste que vous vous rendiez compte qu'il y a un petit problème
12 dont vous n'êtes peut-être pas bien conscient.
13 Vous nous donnez des numéros de référence dans le prétoire électronique,
14 comme 3D 00859, mais je ne retrouve pas ce numéro sur les cartes, sur
15 aucune des cartes. Vous nous avez donné un grand nombre de numéros qui
16 portent sur les cartes, mais je n'ai pas trouvé les numéros sur ces cartes.
17 Vous avez donné le numéro de page aussi, et je me suis rendu compte que
18 vous parliez de cartes qui portaient en fait un autre numéro de page. Donc
19 il faudrait faire attention à cela, il serait peut-être plus utile sans
20 doute de nous donner les titres des cartes puisque la dernière carte que
21 nous avions je crois que le titre était "Situation militaro-politique en
22 Croatie, décembre 1991 à janvier 1992." Donc si vous nous donnez le titre
23 en entier, ce sera plus simple pour nous de suivre.
24 La carte suivante dont vous allez parler, si je ne me trompe, comporte
25 comme intitulé en haut à gauche le numéro "1985". Je ne sais pas si c'est
26 correct ou non, c'est juste pour que qu'est-ce que vous dites soit bien
27 compris par la Chambre et puisse être suivi par la Chambre.
28 Mme PINTER : [interprétation] Messieurs les Juges, je voudrais juste
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1 apporter une explication. Le général Praljak a reçu une liste de documents
2 au sein du système e-court simplement afin que l'on puisse aussi afficher à
3 l'écran les cartes dont il est question. Quant au général, lui, il aborde
4 les cartes dans le même ordre, strictement dans le même ordre que celui
5 dans lequel elles sont rangées dans le classeur qui a été remis, si bien
6 que dans ce classeur ne figurent pas les numéros e-court, puisque vous avez
7 reçu une version papier. Ce n'est qu'aux fins de l'affichage sur écran
8 qu'on a également tenu compte des numéros e-court afin de pouvoir procéder
9 à cet affichage.
10 L'ACCUSÉ PRALJAK : [interprétation] Alors, nous avons maintenant la carte
11 qui porte le numéro de page 18, en bas à droite, et qui correspond à
12 l'année 1985. En 1985, la structure territoriale de la JNA était telle
13 qu'indiquée ici, donc la 1ère, la 2e, la 3e armée, et cetera, la 5e Armée
14 autour de Zagreb. Et tout cela est particulièrement important pour la
15 raison suivante. En effet, dans la carte suivante qui correspond à l'année
16 1987, on voit qu'on assiste à une réorganisation très importante de la JNA,
17 conformément, comme je l'ai déjà dit, aux aspirations politiques de la JNA
18 et des dirigeants serbes, tel que déjà expliqué dans le mémorandum de
19 l'Académie des sciences de Serbie, à savoir que par l'intermédiaire de la
20 désintégration de l'ex-Yougoslavie, la Slovénie peut sortir de l'ex-
21 Yougoslavie. Mais pour ce qui concerne les autres parties de l'ex-
22 Yougoslavie, seule la partie de la Croatie délimitée par une ligne
23 Virovitica-Karlovac-Karlobag peut sortir de la fédération yougoslave. C'est
24 un territoire particulièrement petit. Et tout le reste du territoire de la
25 Croatie ne pourrait pas en sortir. Donc, cela correspondait à cette
26 conception qui était celle du groupe préparant la guerre et qui considérait
27 que tout le reste de la Croatie appartenait à l'entité nationale serbe.
28 La carte suivante correspond à l'année 1992 et nous montre "le
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1 développement opérationnel des forces armées de la RSFY". C'est la pièce 3D
2 00859. Elle nous montre comment les unités de la JNA ont été positionnées
3 et déployées après qu'elles aient quitté le territoire de la République de
4 Slovénie. On voit donc que le 3e Corps d'armée s'est rendu au Monténégro,
5 et c'est le même corps d'armée qui, ensuite, a procédé aux attaques contre
6 Mostar et cette région. Le 10e Corpus de Knin s'est déplacé en Bosnie-
7 Herzégovine, le 9e également en Bosnie-Herzégovine, et cetera.
8 Sur la carte suivante, on voit la répartition des forces de la JNA en
9 Bosnie-Herzégovine à la date du 20 mars 1992. On voit de façon tout à fait
10 exhaustive la répartition de ces unités, leur nature; on a le 5e, le 10e
11 Corps d'armée, et on voit combien de soldats et combien de soldats
12 volontaires sont présents au sein de chacun. Là encore, c'est une pièce à
13 conviction qui est le 3D 00859.
14 Et à titre informatif, j'ai ajouté un tableau ensuite qui indique le
15 nombre d'enfants blessés et décédés à Slavonski Brod à partir du moment où
16 l'artillerie a commencé à procéder à des tirs à partir de la Bosnie-
17 Herzégovine et comme conséquence de cela. Et je n'ai rien d'autre à ajouter
18 à ce document.
19 Je passe au point 16, à savoir malentendus potentiels dans des Etats qui
20 procèdent à des changements de leur système politique, dans des Etats qui
21 non seulement procèdent au changement de leur système politique mais sont
22 en pleine gestation, se constituent en des Etats qui non seulement
23 modifient leur système politique, sont en gestation, mais également doivent
24 conduire une guerre contre un agresseur. Dans ce type d'Etat, ni le
25 président de la République de Croatie, ni le président de la présidence ou
26 la présidence de la Bosnie-Herzégovine, ni le gouvernement, ni les
27 ministres, ni l'armée qui permet la création et la survie de l'Etat, ni
28 même les commandants de cette armée, ni la police militaire, ni quelque
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1 autre structure sociale que ce soit ne correspondent à la signification que
2 recouvrent les mêmes dénominations dans les pays dont sont originaires MM.
3 les Juges et les membres du bureau du Procureur. Il s'agit ici d'une erreur
4 très fréquente qui provient d'une approche nominaliste stricte, à savoir
5 que l'on attribue à ces termes la signification d'un concept appartenant à
6 l'Etat et la culture et la civilisation dont est originaire l'observateur.
7 De là, il découle une erreur de communication et un malentendu,
8 puisque c'est par un même mot que l'on désigne des significations très
9 différentes, ce qui peut donner lieu à une interprétation, elle aussi
10 différente, voire complètement erronée, du système dont il est question.
11 J'ai eu de nombreuses occasions d'observer ce type de cas de la part de
12 tous les observateurs qui ont eu l'occasion d'être présents sur nos
13 territoires pendant la durée de la guerre. J'ai observé un manque de
14 connaissances chez les personnes qui sont venues et trop de clichés, tant
15 sur le plan culturel, civilisationnel que politique, qui ne sont valables
16 que dans les pays d'origine des personnes qui se sont efforcées de modérer
17 la crise. Par exemple, les conceptions liées à l'armée, armée en tant que
18 corps organisé, juridiquement légitime, disposant de traditions, de modes
19 de financement, opérant une sélection positive, disposant de moyens de
20 soutien psychologique et d'importants moyens, tant matériels qu'humains,
21 ainsi qu'exerçant un contrôle permanent et une surveillance constante de
22 chacun de ses segments, et cetera.
23 Egalement, j'ai observé le même cas avec la conception de la société
24 démocratique qui serait censée fonctionner à partir du moment où l'on passe
25 une loi établissant des élections libres. La conception ou le cliché
26 concernant l'Etat de droit, qui serait introduit dès que de bonnes lois
27 seraient mises en place concernant les services de police et leur
28 efficacité, ou plutôt, le critère correspondant au travail de la police qui
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1 intervient lorsque certains citoyens viennent à endosser tel ou tel
2 uniforme ou insigne, rien de tout ça n'est particulièrement simple, et nous
3 avons affaire à des malentendus qui sont particulièrement complexes,
4 généralement, depuis plusieurs décennies.
5 La sociologie est une science complexe, et tous ceux qui
6 s'intéressent à la société et à ses problèmes sont bien au courant des
7 erreurs les plus fréquentes : a) la réduction du système que l'on observe
8 au niveau qui est celui de sa propre ignorance; et b) l'introduction
9 d'hypothèses erronées à chaque fois qu'on a besoin d'expliquer tel ou tel
10 phénomène. Je ne souhaite pas que l'on s'imagine que cela signifie la chose
11 suivante, à savoir que tous ceux qui ne disposent pas de cela ont le droit
12 de commettre des crimes. Bien sûr que non. Mais la désorganisation qui peut
13 entacher tout système social entraîne nécessairement un nombre croissant de
14 tous ceux qui, au cours du temps, et cela pour de nombreuses raisons,
15 franchissent les limites de ce qui est permis. C'est pourquoi je pense que
16 ce n'est qu'une analyse exhaustive et de grande ampleur, analyse portant
17 sur les cas individuels qui se sont présentés.
18 Seule une telle analyse peut nous donner la réponse à la question de
19 savoir si les délits au pénal et les crimes ont été encouragés, si on les a
20 permis en ne les punissant pas, en les passant sous silence, en n'y
21 souscrivant de façon tacite ou bien s'ils correspondent à la distribution
22 statistique habituelle des phénomènes indésirables amenés par toute guerre
23 et toute situation sociale chaotique.
24 Pour tous ceux dans le prétoire que cela intéresse, j'ai préparé de courts
25 extraits de l'ouvrage de Len Deighton, "Guerre éclaire ou Blitzkreig",
26 ouvrage sur la Seconde Guerre mondiale. J'ai notamment repris l'extrait qui
27 explique la façon dont s'est déroulé et comment il a été possible que les
28 troupes de la Wermacht menées par les généraux Rommel, Manstein et Guderian
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1 aient pu, tout près de l'endroit où nous nous trouvons en Belgique dans les
2 Ardennes, briser, pour ainsi dire, aussi facilement la résistance des
3 divisions françaises et du corps expéditionnaire britannique.
4 Et je voudrais donc lire seulement la chose suivante de la page 4. "Une
5 chose était claire. Quoi qu'ils fassent, quelque jeu qu'ils choisissent de
6 jouer, les alliés se trouveront dans une situation particulièrement peu
7 enviable, et cela, uniquement en raison du refus obstiné des Belges de
8 participer à leur propre défense. Cette position des Belges s'est
9 finalement confirmée lorsque l'ambassadeur Belge à Londres a rendu visite
10 au ministère britannique des Affaires étrangères quelques heures à peine
11 après l'entrée des troupes allemandes dans son pays. Il a donc rendu visite
12 au ministère des Affaires étrangères britanniques et a remis une note de
13 protestation au nom de son gouvernement, note de protestation adressée
14 parce que l'armée britannique avait franchi la frontière franco-belge afin
15 de se battre contre l'envahisseur sans y avoir été officiellement invitée
16 par la Belgique."
17 En page 5, j'ai fait figurer un extrait en caractère gras pour
18 montrer à quoi peuvent ressembler des troupes bien entraînées et
19 organisées. Voilà. Alors, je lis :
20 Voilà ce qu'un officier britannique a écrit au sujet d'une unité du
21 9e Corps d'armée, il s'agit de l'armée française, du 9e Corps d'armée qui
22 était particulièrement important :
23 "Il est rare de voir une unité militaire aussi désorganisée et dont
24 les hommes prennent aussi peu soins d'eux. Les soldats étaient pratiquement
25 tous -- aucun d'entre eux n'étaient rasés, leurs chevaux, on voyait bien
26 qu'ils n'en n'avaient pas pris soin non plus. Sur les visages des soldats,
27 on ne pouvait lire aucune trace de fierté, que ce soit une fierté d'eux-
28 mêmes ou par rapport à leur unité. Mais ce qui m'a le plus marqué, malgré
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1 tout, c'était l'expression de leurs visages, expression insatisfaite,
2 insoumise et rétive. Et bien que l'ordre leur ait été adressé de saluer à
3 gauche, ils sont passés à côté de nous et pratiquement aucun d'eux n'a pris
4 la peine de nous saluer."
5 Alors, parmi les causes principales du faible moral des troupes françaises
6 en 1940, on cite généralement l'alcool, la propagande, et cetera. Et
7 pendant ces quelques mois d'inaction quasi-totale, ce phénomène
8 d'alcoolisme et autres ont pris des proportions si massives que les chemins
9 de fer ont dû organiser des pièces spéciales au sein des stations pour que
10 soient accueillis les soldats ivres morts.
11 Bien souvent, les Juges de cette Chambre posent des questions sur l'état de
12 communication dans les forces armées, qui contacte qui, à quelle vitesse,
13 dans quel délai on peut contacter quelqu'un ou réagir à telle ou telle
14 situation. Voyons l'état de désordre et de chaos qui régnaient au sein des
15 troupes françaises, au sein du commandement des troupes françaises et des
16 unités de l'armée britannique qui lui était subordonnée. C'est en pages 7,
17 8 et 9. Les soldats britanniques étaient sous le commandement direct
18 d'officiers français puisque le corps expéditionnaire britannique était
19 petit.
20 Mais il est dit que la structure même de commandement français était
21 si rigide qu'il était purement et simplement impossible d'y faire passer
22 les ordres nécessaires à une réaction prompte. Plus loin, il est dit que
23 les officiers ne pouvaient pas contourner ce mauvais système de
24 commandement. Et il est dit à quel point le soutien qu'a reçu le général de
25 brigade Charles de Gaule s'est avéré insuffisant et même négligeable
26 lorsqu'il s'est efforcé de poursuivre la lutte contre les Allemands avec
27 ses hommes qui, après avoir perdu la guerre avec les Allemands, ont signé
28 un armistice avec eux le 21 juin, un accord de paix. Le général français
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1 Gamelin, si je prononce bien son nom, a été à l'origine de la stratégie
2 française. Il nommait les commandants des unités et il émettait des ordres
3 non seulement aux unités françaises qui combattaient les forces allemandes,
4 mais également les unités françaises qui combattaient les italiens, celles
5 qui étaient dans l'Afrique du nord et en Syrie également. Cependant, il est
6 intéressant pour moi de noter qu'il ne disposait pas d'un état-major.
7 Le commandement opérationnel des forces alliées en France du sud-est
8 était une tâche qui incombait au général Georges qui était major. Mais même
9 le chef d'état-major de ce général a reconnu que ces officiers n'étaient
10 pas tout à fait sûrs de la question de savoir où s'arrêtait la
11 responsabilité du général Gamelin et où commençait la sienne. Et
12 finalement, lorsqu'ils ont perdu la guerre, et quand il a répondu à la
13 question de savoir à quelle vitesse il pouvait envoyer des ordres sur le
14 théâtre des opérations, il a répondu que cela prenait généralement 48
15 heures pour atteindre le théâtre des opérations. Dans le choc avec les
16 unités allemandes, les trois généraux qui étaient les plus près du front
17 ont eu à faire face à un adversaire qui disposait de bonnes communications
18 et a une armée face à laquelle les divisions françaises n'avaient
19 simplement qu'une chance de tenir.
20 Et je voudrais également dire quelque chose au sujet de la peur des chars.
21 Lorsque Guderian a procédé à une percée sur la ligne de la 5e Division.
22 C'est à la page 10, "Le poste de commandement de la 55e Division
23 d'infanterie" -- je vais commencer un peu plus haut. Excusez-moi.
24 Il est intéressant de constater que la première pierre de cette
25 véritable avalanche catastrophique n'a pas chuté à cet endroit-là. Ce n'est
26 peut-être pas là que la ligne s'est brisée. Ce qui a déclanché cette
27 avalanche c'est ce qui s'est passé vers 18 heures 30, trop tard déjà, ce
28 jour qui ressemblait à un jour d'été ordinaire, où le commandant d'une
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1 unité d'artillerie française, qui avait été déployée près du village de
2 Chaumont, a envoyé un rapport selon lequel les chars allemands avaient
3 opéré une percée jusqu'à la colline de Marfais.
4 Ce rapport était complètement inexact, mais chaque commandant
5 français qui avait souhaité rejeter ce rapport comme une manifestation
6 hystérique de la peur a bien rapidement dû changer d'avis, lorsque peu de
7 temps plus tard un colonel d'artillerie français, originaire de Bulson
8 [phon], un peu plus au sud de Chaumont, a lui aussi envoyé au commandement
9 de son corps d'armée un rapport, lui aussi prématuré, et dans ce rapport il
10 affirmait que les combats s'étaient rapprochés de façon menaçante de son
11 propre poste de commandement, si bien qu'il devait ou bien se retirer ou
12 bien se faire à l'idée que son unité allait être encerclée. Et on parle
13 ensuite dans la suite de ce même texte d'un afflux de déserteurs et de
14 réfugiés. On y parle aussi du courage et du moral du 213e Régiment
15 d'infanterie de l'armée française qui, malheureusement, bien que ses
16 soldats aient été capables de marcher sur des distances allant jusqu'à 100
17 kilomètres, n'a pas réussi à arriver pour participer aux combats. Et cela
18 ne représente que quelques courts échantillons de ce qui échappe
19 constamment à notre attention en raison même des conditions qui prévalent
20 dans ce prétoire, à savoir les conditions chaotiques de la guerre.
21 Je vais maintenant passer au point 17, "La volonté, l'intention, l'action
22 et le pouvoir."
23 Si nous interrogions les personnes et nous leur demandions si elles
24 souhaitent que les problèmes de la faim, des maladies causées par la
25 misère, les problèmes de la guerre, de la criminalité, des meurtres,
26 trouvent une solution, elles répondraient par oui. Pourquoi alors ne
27 parvenons-nous pas à trouver une solution à cela ? Pourquoi la Baroness
28 Statures [phon] a-t-elle besoin de quelques années pour venir à bout du
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1 problème des excès des supporteurs britanniques ? Pourquoi faut-il
2 plusieurs mois au ministre de l'Intérieur français Sarcozy pour venir à
3 bout des désordres causés par des citoyens français, donc des meurtres, des
4 incendies, des destructions de véhicules et de magasins dans les banlieues
5 des villes françaises ? Comment se fait-il que les personnes qui sont aux
6 responsabilités en France n'aient pas été en mesure d'empêcher que tous ces
7 véhicules soient incendiés à l'occasion du Nouvel An ? Mille deux cents
8 cette année, et au cours des dix dernières années si on fait le total ça
9 représente plus de 30 000 véhicules. Comment se fait-il que le gouvernement
10 grec ne soit pas en mesure de mettre un terme à des désordres qui ont duré
11 plusieurs mois qui étaient causés par ses propres citoyens à Athènes ?
12 Comment se fait-il que l'armée américaine ne soit pas en mesure d'arrêter
13 le meurtre de plusieurs centaines de civils en Iraq, un pays d'où ont été
14 chassés ou qu'ont fui plus de 4 millions d'Iraquiens ? S'agit-il de
15 nettoyage ethnique ? S'agit-il de personnes qui ont été chassés ou qui ont
16 simplement fui pour sauver leur peau ? Qui est responsable de cela et
17 comment peut-on l'empêcher ? Pourquoi les catholiques et les protestants en
18 Irlande du nord se sont-ils affrontés de façon sanglante pendant des
19 décennies ? Et tout cela à l'intérieur de ce qu'on appelle le monde
20 civilisé. Cela ne nous fait-il pas mal que de constater la façon dont la
21 Chine, il y a 20 ans de cela, a détruit une civilisation et une culture
22 toute entière au Tibet, et ce qu'elle continue à faire en maintenant tout
23 un peuple à la limite même de la survie ? Et que pouvons-nous faire en la
24 matière ? Pourquoi ne pouvons-nous rien faire ? Il n'est pas besoin de
25 continuer à énumérer parce que la liste serait trop longue.
26 Mais quand, à la fin, dans toute cette mer du mal qui inonde le
27 monde, quand à la fin nous apprenons qu'il s'est passé quelque chose, dans
28 combien de cas allons-nous vraiment trouver les auteurs de tels actes ?
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1 N'est-ce pas une route longue et difficile qui passe entre le fait d'avoir
2 appris que quelque chose s'est produit et le moment où l'on trouve l'auteur
3 ? Et quels sont les moyens organisationnels, technologiques dont nous
4 devons disposer pour trouver et découvrir ces auteurs ?
5 L'incapacité de faire quelque chose pour empêcher ou découvrir des
6 crimes est un sentiment désespérant, mais ce n'est pas un crime. Autrement
7 dit, il s'agit là d'un sentiment de désespoir mais il ne s'agit pas là d'un
8 acte criminel.
9 Je passe au point 18, entreprise criminelle commune ou bien entreprise
10 jointe commune. On a beaucoup écrit sur des groupes sociaux, de grands
11 groupes, de petits groupes, des groupes professionnels ouverts ou fermés,
12 plus ou moins organisés, hétérogènes, unis, idéologiques, et cetera. Quelle
13 est la logique qu'on a employée pour choisir justement ce groupe des
14 accusés ? Le Procureur dit tous les membres du HDZ, tous les membres du
15 HVO, et cetera. Mais ensuite il dit : "Mais il y en a qui n'en font pas
16 partie." Quelqu'un qui a étudié un petit peu la logique, et en
17 réfléchissant d'ailleurs, si on ne pense pas que réfléchir n'est rien
18 d'autre qu'une activité chimique du lobe frontal, quelqu'un qui réfléchit
19 n'aurait jamais écrit "tous," en ajoutant qu'il y en a qui ne font pas
20 partie de cela. Parce que s'ils ont tous fait partie de cela, ceux qui
21 n'ont pas fait partie de cela ne peuvent pas exister. Donc s'ils n'ont pas
22 tous participé à cela, il faut savoir quels sont ceux qui n'ont pas été
23 membres de ce groupe, et pourquoi il y en a quatre parmi eux qui sont
24 décédés et six seulement qui sont encore vivants ? Quel était le critère
25 qu'on a adopté pour les choisir ?
26 La question qui est encore plus difficile est la question du
27 phénomène social de guerre et des causes de la guerre, et l'essence même de
28 ce phénomène. Il s'agit là de phénomènes qui sont extrêmement complexes et
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1 qui ont des liens de cause à effet. Tout a une influence sur tout. Nous
2 avons des milliers, des centaines de milliers de variables qui agissent
3 entre elles pour arriver à des équations différentielles extrêmement
4 complexes sans jamais pouvoir trouver de solution véritable.
5 Nous avons deux grandes théories du XXe siècle qui sont importantes
6 pour comprendre de quoi il s'agit. La première, c'est la théorie du
7 déterministe du chaos. Autrement dit, vous pouvez avoir de petits
8 changements à l'entrée d'un système, et si on les intègre de façon rapide,
9 il va y avoir de grands changements non prévisibles au sein même de ces
10 systèmes.
11 Et je pense que là c'est quelque chose qui est très important,
12 justement, très pertinent pour la situation telle qu'elle était en Bosnie-
13 Herzégovine, parce qu'il y a eu des éléments répétitifs qui ont fini par se
14 retrouver dans une singularité hors contrôle. Ensuite, nous avons la
15 théorie électrodynamique Bohr, Heisenberg, Schrodinger, Dirac, Planck, et
16 cetera. Parce que là nous avons la théorie des probabilités qui constitue
17 une façon logique de comprendre, ensuite il y a aussi le principe de
18 complémentarité, qui va comme suit : aucun phénomène naturel véritable ne
19 peut pas être déterminé par des mots qui viennent du discours quotidien.
20 Pour pouvoir déterminer une telle chose, il faut au moins deux éléments
21 complémentaires. Les exemples pour cela : la vie, les objets quantiques,
22 système physique, et cetera, car il n'y a pas de science sans l'art, il n'y
23 a pas de beauté sans laideur, il n'y a pas de bonté sans mal, et la lumière
24 du soleil, quand elle passe par un prisme, fait un arc-en-ciel, mais quand
25 elle passe par une loupe, elle brûle. Et pourquoi tout ceci est important
26 pour nous ? Je vais vous répondre de deux façons. Tout d'abord, je vais
27 répondre si on me pose la question, et ensuite, je vais aussi essayer de
28 présenter des documents qui n'ont pas été présentés jusqu'alors pour
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1 comprendre toute la vérité en l'espèce.
2 Dix milles à 15 000 guerres ont existé dans l'histoire, et leur nombre
3 défini de la définition même de la guerre. On a eu plus de 500 guerres
4 après la Deuxième Guerre mondiale, plus de 200 interventions militaires
5 plus ou moins importantes des Etats-Unis d'Amérique après la Deuxième
6 Guerre mondiale. Nous avons une guerre jamais terminée entre le Japon et la
7 Russie, ensuite, une guerre jamais terminée entre la Corée du Sud et du
8 Nord, entre la Chine et l'Inde, l'Inde et le Pakistan, les Tigres et les
9 Tamouls, le Moyen-Orient, les Basques, l'Islande du Nord, l'Afrique, et
10 cetera, et cetera. Jamais le nombre de guerres plus ou moins importantes
11 n'a représenté un chiffre inférieur à 25 ou 30. Il y a eu 25 guerres entre
12 la France et l'Allemagne au cours des 300 dernières années.
13 Ensuite vous avez la famine et les maladies. Dix millions d'enfants
14 périssent tous les ans de faim; 100 millions de personnes ont été tuées par
15 le communisme, et cetera, et cetera; 25 000 jeunes filles tombent enceinte
16 après avoir été violées chaque année aux Etats-Unis, et ceci ne représente
17 pas le nombre de femmes violées, c'est tout simplement le nombre de femmes
18 violées qui sont tombées enceinte.
19 Et la justice, les procureurs, les juges, quand, il y a 2 300 ans,
20 quand on a jugé Socrate parce qu'il a mal enseigné les jeunes, qu'est-ce
21 que il y avait vraiment de moral là-dedans ? Il y a eu des procès à Rome,
22 il y a eu des procès communistes, nazis, des procès de races, de classes,
23 et tout cela au cours du XXe siècle. L'Amérique, déjà en 1962 a, par la
24 force des armes, empêché la ségrégation raciale dans les écoles.
25 Est-ce que toute l'histoire de l'humanité n'est autre chose qu'une
26 entreprise criminelle commune ? Je vous demande de bien me comprendre. Je
27 ne suis pas là pour écrire la morale, mais là, je m'adresse au bureau du
28 Procureur, n'utilisez pas des termes aussi pathétiques quand vous invoquez
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1 la justice et ce terme obscure qui est la communauté internationale. Si
2 jamais il se trouve que je suis coupable de quoi que ce soit, je vais être
3 coupable devant les victimes, parce que c'est les victimes que je respecte.
4 A travers les pages qui suivent, même si cela peut paraître étrange que je
5 m'occupe de cela, je me suis penché aussi sur la doctrine même de
6 l'entreprise criminelle commune, surtout quand il s'agit des écritures du
7 Pr Marijan Damaska, qui était le professeur, justement, à l'Université de
8 Yale, aux Etats-Unis d'Amérique, où il enseignait justement ce sujet,
9 l'entreprise criminelle commune. Et à la page 4, vous allez voir quelques
10 citations, mais je ne veux pas les énumérer, vous les trouverez dans le
11 document. Et j'attire votre attention là-dessus parce que je ne veux pas me
12 poser en donneur de leçons, surtout pas aux Juges, que je respecte, bien
13 entendu, mais les Juges sont ici, bien sûr, pour écrire les lois et pour
14 faire fonctionner la justice. Mais tout le monde a le droit de réfléchir à
15 la justice, et donc je l'ai fait, parce que je me suis toute ma vie
16 intéressé à l'éthique, à la déontologie et le rapport qui existe entre la
17 justice et la moralité.
18 Et donc à la page 4 (a), vous allez trouver qu'il faut qu'il existe
19 un plan commun, un dessein commun, l'intention, mais je ne veux pas
20 m'attarder là-dessus.
21 Ensuite à la page 5, il dit à quel point ce terme de l'intention commune
22 est mal défini, et cetera. Mais moi ce que je veux faire ici c'est de vous
23 donner lecture de ce qui figure à la page 6, comment se comportait la
24 communauté internationale, et là c'est un extrait du livre de Florence
25 Hartmann, donc il s'agit des hommes protégés qui, par la décision des
26 membres permanents du Conseil de sécurité, avaient été protégés. On leur a
27 garanti la survie, la vie dans cette enclave. Je cite :
28 "Paris, Londres et Washington ont omis, en 1995, à prendre toutes les
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1 mesures nécessaires pour empêcher qu'un génocide se produise qui, petit à
2 petit, s'est préparé sous nos yeux."
3 Déjà en 1993, les représentants internationaux clairvoyants ont dit
4 que le resserrement de l'étau autour de cette enclave encerclée, ils ont
5 dit qu'il s'agissait là d'un génocide lent.
6 Pendant toute la dernière offensive contre Srebrenica entre le 6 et
7 le 11 juillet 1995, les grandes forces n'ont jamais cessé d'affirmer que
8 les forces serbes, en dépit de leur avancement flagrant, n'ont aucune
9 intention de prendre le contrôle de l'enclave. En feignant la surprise, ils
10 ont, sans bouger le petit doigt, laissé Mladic entrer dans la ville le 11
11 juillet 1995. Ensuite, je vais sauter quelques phrases. Jacques Chirac a
12 jeté la lumière sur cela. Il a essayé de convaincre ses partenaires
13 d'intervenir.
14 Le 11 juillet, le président français conseille la Grande-Bretagne,
15 les Etats-Unis d'Amérique et l'Allemagne de reprendre l'enclave par la
16 force. Ensuite, la France se tourne vers le Conseil de sécurité et dit à
17 nouveau qu'elle est tout à fait prête à mettre ses hommes à la disposition
18 pour toute opération militaire jugée utile et réalisable.
19 Le 13 juillet, Chirac persiste et téléphone à Bill Clinton en lui
20 disant : Vous avez les hommes à Srebrenica, ils sont en danger de se faire
21 égorger s'ils ne sont pas aptes à porter des armes. Ils ont été séparés des
22 femmes. Les peuples civilisés doivent s'opposer à cette forme de fascisme,
23 et il faut absolument qu'ils mettent en œuvre une opération militaire
24 décisive et limitée." Mais Clinton, qui n'était pas enclin à voir les
25 troupes américaines engagées dans l'action en Bosnie, il refuse. Kofi
26 Annan, qui est toujours le chef des opérations du maintien de la paix
27 auprès des Nations Unies, considère que la proposition française n'est pas
28 réaliste et n'est pas réalisable, et ensuite on connaît la suite des
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1 événements.
2 Ensuite, on peut lire que Carla del Ponte sait que les forces
3 internationales étaient aussi responsables des crimes perpétrés à
4 Srebrenica, et l'a dit clairement :
5 "Les forces internationales savaient qu'il allait y avoir des
6 massacres importants qui allaient être commis à Srebrenica. Ils en ont
7 parlé et ils n'ont rien fait pour les empêcher."
8 Et cetera, et cetera. Mme Carla del Ponte, dans son livre, écrit à la
9 page 9 de mon texte : Un des Procureurs du Tribunal, un Canadien, très bien
10 connu dans les cercles pour son humour, utilisait les aphorismes pour bien
11 montrer quelle est la différence entre les Serbes et les Croates qui
12 essayaient d'empêcher le fonctionnement du Tribunal : "Les Serbes sont des
13 bâtards," disait-il, "alors que les Croates, ce sont des bâtards perfides."
14 J'ai envoyé cette lettre à des dizaines d'adresses pertinentes avec
15 l'aide de mes avocats en affirmant que del Ponte a utilisé un verbe dans
16 une forme qui indique -- répétitive, donc en perspective, qui montre que
17 là, il ne s'agit pas de quelque chose qui a été dit une fois. Il s'agit là
18 de quelque chose qui a été répété, réitéré. Il s'agit de propos
19 chauvinistes, d'une attitude chauviniste et raciste à l'égard des Croates.
20 Ensuite, ce qu'elle fait, c'est qu'elle répète finalement les propos de ce
21 procureur sans prendre aucune distance; autrement dit, elle est tout à fait
22 d'accord.
23 Si, par hasard, moi, Slobodan Praljak, si j'avais écrit quelque chose
24 de semblable à quelque moment que ce soit de ma vie et sous quelque forme
25 que ce soit par rapport à quelque peuple que ce soit ou groupe ethnique à
26 l'époque où il y avait la guerre sur le territoire de l'ex-Yougoslavie,
27 j'aurais été condamné, rien que pour ça, à cinq années de réclusion
28 criminelle.
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1 Maintenant, je passe au paragraphe 19, quid pro quo ou tu quoque, comme on
2 dit ici devant ce Tribunal, l'attaque de la JNA sur la Croatie et la
3 Bosnie-Herzégovine a été aidée par les formations de Serbes du cru, armés,
4 et cette attaque a mis en marche des centaines de milliers de réfugiés qui
5 quittaient les villages brûlés. Les camps, les civils tués, les
6 destructions, les viols étaient partie intégrante de cette agression.
7 Comme dans les relations sociales, il n'existe rien d'autre qu'une
8 loi de cause à effet, action-réaction. A partir du moment où, auprès des
9 individus ou de groupes petits, organisés, mais qui n'étaient placés sous
10 aucun contrôle, à partir du moment où le seuil d'acceptabilité pour
11 supporter la souffrance a dépassé toutes les limites, vous avez eu
12 vengeance chez les Croates et chez les Musulmans. Cela se produit dans
13 toutes les guerres. Avec le temps et à cause de la mixité de la population,
14 cette guerre en Bosnie-Herzégovine a commencé à ressembler à une guerre
15 civile. Les Musulmans, à cause des conquêtes serbes des différents actes,
16 pouvaient à peine subsister en Bosnie-Herzégovine, et puisqu'il y avait cet
17 embargo sur les armes imposé par les forces internationales, ces Musulmans,
18 ils ont accepté l'aide des Moudjahidines. Les Moudjahidines ont apporté un
19 nouvel élément dans cette guerre, dans ce chaos qui courait déjà, un
20 élément de la guerre sainte et qui a été très importante dans cette idée
21 qui consistait à attaquer les Croates.
22 C'est absolument clair qu'un commandant, quel que soit son niveau, ne
23 doit jamais prendre des décisions qui seraient contraires au droit
24 international de la guerre. Ceci n'est pas contesté. Mais ce qui est
25 contesté, c'est la thèse du Procureur, et j'ai bien peur que les Juges ne
26 réduisent le système tout entier aussi de la même façon; autrement dit, que
27 l'incapacité de diriger dans cette situation chaotique représente en soi la
28 culpabilité.
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1 Il y a un humaniste intellectuel qui dit qu'en 1992, il est arrivé à
2 Mostar pour aider, mais ce qu'il a trouvé c'était une situation chaotique,
3 alors il est rentré chez lui. Donc, la plupart de ces faux intellectuels
4 racontaient des histories dans les salons, dans leur cercle fermé,
5 racontant les histoires sur ceux qui sont restés sur place, et s'il y a
6 quelque chose qu'il n'aime pas dans ce qui s'est passé dans la guerre,
7 c'est sur cela, ceux qui sont restés qu'ils jettent le blâme. Ils auraient
8 pu, disent-ils, s'ils avaient voulu. Moi, je méprise le rôle de ces
9 spectateurs théâtraux de la guerre. Ce que je dis à 98 % des hommes dont
10 j'étais le commandant, je leur dis : Honneur à ceux qui ont décidé de
11 défendre Thermopylae. Je cite le poète grec, Kavafis. Je respecte leur
12 mort, je respecte leurs blessures, leur courage, le fait qu'ils ont gelé
13 dans les tranchées, mal habillés, mal chaussés, mal nourris, je respecte
14 leur désespoir quand ils réfléchissaient au sort de leurs familles, ce qui
15 allait se passer avec leurs familles s'ils mourraient. Ils étaient mal
16 armés. Très souvent, leur objectif n'était pas clair. Ils ne comprenaient
17 pas l'objectif de cette bataille qui avait beaucoup trop d'orchestrateurs
18 qui n'avaient pas suffisamment de principes et pas beaucoup de moralité.
19 Ce qu'on ne savait pas c'est quelle serait exactement la position du peuple
20 croate dans cet Etat pour lequel ils se battaient, car se sont le peuple
21 qui font les Etats, ce n'est pas l'inverse.
22 Puis, il faut aussi ajouter, pour être tout à fait vrai, que même les
23 droits de guerre internationale parfois acceptent la logique tu quoque.
24 C'est un élément que j'ai pu retrouver dans différents livres que j'ai lus,
25 notamment le livre de M. Gavro Perazic, qui est le professeur du droit de
26 guerre international à l'Université de Belgrade. Dans ce livre que j'ai pu
27 lire et des livres que j'ai pu lire pendant la guerre aussi, des livres
28 portants sur le droit international de la guerre, qu'il s'agisse de livres
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1 écrits en Suisse ou ailleurs traduits, partout dans ces œuvres on dit que
2 parfois quand vous avez un ennemi qui ne respecte jamais le droit
3 international de la guerre, on a le droit à la vengeance. Ensuite, a-t-on
4 pensé que ce mot, ce terme "vengeance" était un terme trop fort,
5 puisqu'elle évoque l'œil pour l'œil, dent pour dent, cette idée biblique,
6 donc aujourd'hui on parle de "représailles". Aujourd'hui, on dit que les
7 représailles peuvent constituer une infraction au droit de la guerre qui
8 représente une réponse aux infractions du droit de la guerre effectué par
9 l'ennemi.
10 Monsieur le Juge Prandler, évidemment que je n'ai jamais pensé que tu
11 quoque est un principe de droit. J'ai toujours dit que ce principe est
12 inévitable dans la vie réelle, dans la société, et qu'au fur et à mesure
13 que la situation s'empire, devient plus chaotique, le rôle de ceux qui
14 doivent prendre les décisions devient de plus en plus difficile. La
15 difficulté s'augmente de façon exponentielle au fur et à mesure que les
16 chaos de guerre s'accentuent.
17 Monsieur le Juge, je dispose encore de combien de temps, s'il vous plaît,
18 pour pouvoir m'organiser ?
19 M. LE JUGE ANTONETTI : La juriste de la Chambre m'a dit il y a à peu près
20 cinq minutes vous aviez utilisé une heure 13 minutes. Donc il doit vous
21 rester 15 minutes, ce qui nous permet d'arriver jusqu'à 4 heures. Vous avez
22 l'horloge devant vous, donc faites en sorte de terminer à 4 heures.
23 L'ACCUSÉ PRALJAK : [interprétation] Le point 20, crime de guerre contre
24 crime de guerre.
25 Quand dans la langue croate le nom "guerre" devient l'adjectif "guerrier,"
26 on en arrive à une composante nominale, à savoir "crime de guerre." Donc
27 crime de guerre ne peut pas être dissocié de crime. Cela devient un terme
28 indissociable de sorte que nous avons l'orthographe croate, les vins
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1 français, les horloges suisses. Cela donne une signification particulière
2 au sous-ensemble de ce qui constitue l'orthographe, les vins, les montres.
3 A un crime en temps de guerre, il faut attribuer une teneur du point de vue
4 de la notion sous-entendue dans la pensée. L'on extrait cela à titre
5 individuel et on le transfère vers la partie structurelle qui constitue la
6 guerre, à savoir l'ensemble qui gère pour la politique et l'élément
7 politique et militaire. En quoi le crime en temps de paix diffère-t-il du
8 crime commis en temps de guerre ? Le crime de guerre c'est le crime qui
9 découle de ce qui est le fondement, à savoir l'idée politique que l'on vise
10 à réaliser par des moyens de guerre, par des modalités et des techniques
11 qui englobent l'idée du crime. L'idée politique ne serait être réalisée
12 qu'au travers de la perpétration d'un crime. C'était l'idée, par exemple,
13 de l'Allemagne nazi pour ce qui est de sa pensée politique. C'est l'idée
14 politique idéologique de communiste staliniste pour ce qui est de
15 l'exécution des officiers polonais dans la forêt de Katyn. Je ne vais pas
16 maintenant ici expliquer la pensée politique serbe qui a conduit à
17 l'agression vis-à-vis de la Slovénie, de la Croatie et de la Bosnie-
18 Herzégovine, et ce qui s'est produit dans cette guerre confirme-t-il le
19 crime de guerre dans ses fondements. Je ne vais non plus parler de cette
20 déclaration islamique et m'enquérir sur la présentation éventuelle
21 d'objectifs qui auraient été éventuellement réalisables sans guerre et sans
22 crime de guerre.
23 Mais je sais au-delà de tout doute raisonnable que les structures
24 croates politiques et militaires en Croatie et les structures politiques et
25 militaires croates en Bosnie-Herzégovine n'ont jamais et nulle part eu pour
26 objectif des éléments qui n'auraient pu être réalisés que par une forme
27 quelconque de crime de guerre.
28 La guerre est propice à la propagation des délits au pénal par
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1 rapport ou par exemple à une situation de temps de paix. Mais il y a bon
2 nombre de raisons à cela que je ne peux pas toutes les énumérer. Je me
3 propose de revenir plus tard à des éléments de sociologie psychologique.
4 Etant donné que la Croatie et la Bosnie-Herzégovine, en même temps
5 qu'agressé, ont dû créer un Etat et modifier l'organisation politique de
6 cet Etat, et qu'elles se sont vu occuper en partie avec des structures
7 communales économiques et sociales détruites, et je préciserais que la
8 Bosnie-Herzégovine l'a été plus que la Croatie. Alors le nombre de
9 problèmes et de difficultés est difficilement imaginable pour ceux et
10 celles qui n'ont pas connu telle chose. C'est la raison pour laquelle les
11 crimes commis par les membres de la population croate en Croatie et en
12 Bosnie-Herzégovine sont des crimes sans nulle doute possible, mais ce sont
13 au-delà de tout doute raisonnable des crimes qui ont été commis en temps de
14 guerre. Ils ne sont pas produits pour cause de mise en place d'une idée
15 politique ou d'une volonté idéologique d'une intention de ceux qui ont géré
16 ou qui ont donné des ordres, mais qui se sont produits en dépit des
17 fondements, des souhaits, des volontés, des intentions, et des activités
18 déployées. Or, comme nous ne nous servons pas du syntagme "crimes
19 parisiens" pour les crimes qui se sont produits à Paris ou crimes
20 américains pour tous les délits au pénal qui sont commis au fil d'une année
21 en Amérique, ou d'une manière générale crimes civils pour tout ce qui se
22 produit comme crime dans tout Etat civilisé en temps de paix, il s'entend,
23 je crois qu'il est indispensable à ce même titre de faire la différence
24 entre la signification de ces crimes commis en temps de guerre pour qu'on
25 puisse parler d'une classification en crimes de guerre ou en crimes commis
26 en temps de guerre.
27 Compte tenu du nombre des délits au pénal, on pourrait être tenté de parler
28 pour ce qui est de l'entreprise criminelle commune et d'accuser les
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1 gouvernements, les ministres, la police et les maires des pays occidentaux
2 parce qu'ils ne réussissent pas, en dépit de toutes les ressources qui sont
3 à leur disposition, de réduire le nombre de crimes commis pour franchir un
4 seuil qui serait, par exemple, satisfaisant. Pour ceux qui commettent
5 certaines formes de crimes graves, on n'arrive pas à descendre en dessous
6 du pourcentage de 15 % du nombre total des crimes commis.
7 Nous allons passer au 24, et si besoin est, je reviendrai au 21. Je
8 demande à tout un chacun de passer au 24.
9 Acte d'accusation. Les Croates, depuis 1102, se sont battus pour leur
10 Etat, pour leur survie contre des pays qui les ont envahis, qui les ont
11 occupés ou assiégés. A partir de 1102 et au delà, il n'y a eu que des
12 combats pour survivre contre les percées de l'Empire Ottoman, contre
13 Venise, contre l'Italie, contre l'Autriche, contre la Hongrie, contre la
14 Serbie et le Royaume de Yougoslavie et contre cette création unitariste et
15 communiste à Tito. C'est ainsi qu'en 1971, dans le cadre d'un mouvement
16 estudiantin, puis au sein de la Ligue des Communistes de Croatie, en
17 bénéficiant d'un énorme soutien de la population, que la Croatie a essayé
18 d'aboutir à une autonomie et une décentralisation politique, culturelle et
19 économique plus grande vis-à-vis de la RSFY. Entre d'autres termes, elle
20 voulait diminuer la domination serbe et s'octroyer des droits autonomes et
21 démocratiques plus grands. La riposte a été puissante et impitoyable. Des
22 centaines de personnes ont été emprisonnées, des milliers et des milliers
23 de personnes sont restées sans travail et des millions ont émigré. Dans les
24 prisons, sans travail et dans l'immigration, il y a eu une grande majorité
25 d'intellectuels croates à s'y être retrouvée. Et bon nombre d'émigrants
26 notables ont été abattus à l'étranger par la police secrète yougoslave. Je
27 vais donner comme exemple le meurtre de Bruno Busic à Paris. Vlado Gotovac,
28 un grand intellectuel croate, poète et essayiste a été mis en accusation
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1 pour délit verbal et pour atteinte à l'ordre autogestionnaire socialiste.
2 Et quand on lui a demandé de se prononcer, de plaider coupable ou non
3 coupable, il a dit: "L'acte d'accusation est absurde. Donc on saurait le
4 faire échouer." Et il a fait cinq ou six ans de prison aux côtés de
5 criminels.
6 Lorsque je me suis prononcé moi-même pour plaider coupable ou non
7 coupable pour ce qui est de l'acte d'accusation dressé contre moi, j'ai dit
8 que j'avais compris du point de vue linguistique ce qui y figurait. Je
9 comprends les mots de la langue que j'ai lus. Mais la logique, la pensée et
10 la substance juridique, je ne les comprends pas. Cet acte d'accusation est
11 absurde. Et pendant le procès, j'ai eu à lire les livres de Florence
12 Hartmann et de Carle Del Ponte, et lorsque je me suis rendu compte du bien
13 fondé de tous mes doutes pour ce qui est des jeux politiques qui se jouent
14 dans et autour du bureau du Procureur, j'ai compris que les opinions qui
15 l'emportent là-bas ont fait que le scepticisme n'a été que renforcé chez
16 moi. Ce monde virtuel des intérêts politiques, ces récits de messages
17 relatifs au bon et au mauvais garçon, la partialité de cette pensée ont
18 rendu cette vérité avérée.
19 Une fois qu'on a dit à Hagel que certains faits ne coïncidaient pas
20 avec les fondements philosophiques, il a dit : "Eh bien, tant pis pour les
21 faits."
22 Je passe au 24 maintenant, "Déclaration". Jamais, nulle part et à aucune
23 rencontre, à aucune réunion, voire assemblée que ce soit en Croatie ou en
24 Bosnie-Herzégovine pendant la guerre de 1991 à 1995, je n'ai ouï-dire que
25 quelqu'un aurait planifié, encouragé, toléré, passé sous silence ou de
26 quelque autre façon que ce soit, propagé des actes au pénal qui seraient
27 passibles de peine d'emprisonnement en application de la législation en
28 vigueur. Je ne l'ai pas fait non plus. Vis-à-vis des membres de mon propre
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1 peuple dans différentes occasions, j'ai proféré des injures, j'ai aussi
2 gueulé au-delà de toute norme civilisée. Il m'est arrivé même de frapper
3 des gens. J'ai faussement signé en tant que général, alors que je n'ai
4 jamais été général du HVO. J'ai donné des ordres à l'occasion de certaines
5 opérations bien qu'à titre formel je n'avais pas les attributions
6 nécessaires pour le faire. J'ai menacé des Croates, bien sûr, par des actes
7 ou des faits qui n'étaient pas juridiquement fondés. Et chose analogue, je
8 vais bien sûr expliquer tout cela à l'occasion des questions qui me seront
9 posées et je répondrai pourquoi et quelles sont les raisons pour lesquelles
10 je l'ai fait, quelle était la finalité et la signification profonde de la
11 chose.
12 On nous a éduqués, on nous a appris qu'il ne fallait pas parler de
13 soi et notamment pas parler de choses bonnes et positives parce que ce
14 n'était pas bien élevé. Ce n'était pas une chose qu'il convenait de faire.
15 A l'occasion de bon nombre d'interviews et d'entretiens, pendant et après
16 la guerre, jamais et nulle part je ne me suis prononcé sur ce que j'ai bien
17 fait et ce que j'ai eu comme bon comportement dans la guerre. Et alors ils
18 ont commencé à mentir de plus en plus, à citer à comparaître de faux
19 témoins, à mettre en place de fausses vérités. Et on m'a amené devant une
20 cour en tant que criminel. Et maintenant, j'en ai marre. Je passe à la
21 première personne au singulier, je me libère de toute considération de la
22 décence civile ou civique et j'affirme que la loi d'Archimède et de Praljak
23 s'énonce comme suit : un Praljak plongé, immergé dans la guerre, diminuera
24 la quantité de mal dans cette guerre pour une unité d'un Praljak. Alors
25 cette unité, c'est l'énergie Slobodan Praljak, la quantité quotidienne
26 d'heures pendant lesquelles cette énergie est agissante et en ce qui me
27 concerne, c'était en moyenne 20 heures par jour; C, la passion, à savoir la
28 rapidité de consumation de l'énergie; D, courage; E, connaissance; F, "IQ",
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1 coefficient d'intelligence. Et bien sûr, le tout concerne Slobodan Praljak.
2 Dans certains éléments et tel qu'énuméré, il y a des gens qui peuvent
3 disposer de qualités meilleures que les miennes, par exemple, de
4 connaissances ou d'une intelligence plus grande. Mais ils ne sont pas
5 nombreux et les différences qu'il peut y avoir entre nous ne sauraient être
6 considérables. Je sais qu'on pourrait peut-être caractériser cela de
7 prétention. Mais je veux bien être soumis à des questions de psychologue
8 pour voir quel est mon coefficient intellectuel et dans quelle limite
9 évoluent mes connaissances.
10 Mais je ne veux pas reconnaître qu'à l'époque quelqu'un encore ait pu
11 disposer de qualités qui, additionnées toutes ensemble, auraient donné plus
12 d'un Praljak tel que je l'ai défini à la loi d'Archimède Praljak. En faire
13 plus à cette position là, eh bien, il aurait fallu être le bon Dieu.
14 Et par ceci, je viens de mettre un terme à mon exposé d'une heure et
15 demie. Je regrette de ne pas avoir eu l'occasion d'en dire plus, mais je me
16 propose d'en dire plus lorsque interrogé par M. Kovacic.
17 Je remercie MM. les Juges de m'avoir écouté. Je remercie le bureau du
18 Procureur d'avoir porté une oreille attentive à mes propos et je remercie
19 tous les autres.
20 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Il est donc l'heure de faire la pause. Nous
21 allons faire une pause de 20 minutes et nous reprendrons après la pause.
22 Monsieur Praljak se mettra au banc du témoin et à ce moment là, il répondra
23 aux questions de Me Kovacic après avoir prêté serment, bien entendu.
24 Bien, nous nous retrouverons dans 20 minutes.
25 --- L'audience est suspendue à 16 heures 01.
26 --- L'audience est reprise à 16 heures 25.
27 [Le témoin vient à la barre]
28 M. LE JUGE ANTONETTI : On va procéder à la prestation de serment.
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1 Alors Général Praljak, levez-vous. Pour les besoins du transcript
2 donnez-moi votre nom, prénom et date de naissance.
3 LE TEMOIN : [interprétation] Je m'appelle Slobodan Praljak. Je suis né le 2
4 janvier 1945, à Capljina.
5 M. LE JUGE ANTONETTI : Quelle était votre dernière profession ?
6 LE TÉMOIN : [interprétation] La dernière des choses que je m'occupe à faire
7 c'est de vaquer à des affaires juridiques au Tribunal, mais je suis parti à
8 la retraite avant que je ne vienne ici. J'ai fait beaucoup de choses dans
9 ma vie, beaucoup de choses, donc il faudrait énumérer tout cela.
10 M. LE JUGE ANTONETTI : Dernière question avant que vous ne lisiez le texte,
11 avez-vous déjà témoigné devant ce Tribunal, et si oui, pouvez-vous nous
12 rappeler dans quelle affaire ?
13 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, Messieurs les Juges, j'ai témoigné dans
14 l'affaire Naletilic et Martinovic en qualité de témoin de la Défense.
15 M. LE JUGE ANTONETTI : Très bien.
16 Monsieur l'Huissier, donnez le texte du serment.
17 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la
18 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
19 LE TÉMOIN : Slobodan Praljak [Assermenté]
20 [Le témoin répond par l'interprète]
21 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci, vous pouvez vous asseoir.
22 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.
23 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur Praljak, vous savez comment les choses vont
24 se dérouler puisque depuis plus de trois ans vous assistez à ce procès.
25 Vous allez donc devoir répondre à des questions que Me Kovacic va
26 vous poser, il vous présentera des documents et vous donnerez donc votre
27 point de vue sur les documents et à partir des questions posées. Après
28 quoi, les autres avocats vous poseront des questions dans le cadre du
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1 contre-interrogatoire, mais ceci c'est dans quelques semaines bien entendu
2 puisque votre déposition va prendre du temps. Les Juges qui sont devant
3 vous pourrons vous poser des questions, mais moi ce matin je vous ai dit
4 quand j'interviendrai, mais je laisse le soin à mes collègues d'intervenir
5 au moment qu'ils jugeront bon. Et puis une fois qu'on aura fait tout cela,
6 M. le Procureur vous posera des questions dans le cadre du contre-
7 interrogatoire.
8 Je tiens à vous dire que dans la première phase, Me Kovacic, les autres
9 avocats et les Juges, tout se passera bien. Mais vous savez, le Procureur,
10 il a de par les Statuts une fonction qui est de rapporter la preuve de
11 l'Accusation, et donc il fera comme il a l'habitude, un contre-
12 interrogatoire qui pourra être par moment difficile pour vous et je vous
13 demande évidemment -- je vous demanderais de garder votre calme, de bien
14 écouter les questions du Procureur et de répondre aux questions et d'éviter
15 toute polémique avec le Procureur qui ne fait que son travail.
16 J'ai d'ailleurs avec intérêt lu intégralement les contre-
17 interrogatoires qui ont été menés quand vous avez déposé, et à l'époque ça
18 s'était bien passé. Donc il n'y a pas de raison qu'ici même ça ne se passe
19 pas bien. Mais je vous fais toute confiance pour cela.
20 Essayez, c'est ce que je dis à tous les témoins, mais je le dis à vous-
21 même, d'être très précis dans les réponses que vous allez apporter. Pour
22 vous c'est un moment très important parce que le Règlement prévoit qu'un
23 accusé après serment peut déposer et que les Juges peuvent accorder une
24 valeur probante à ce qui sera dit, donc c'est très important pour vous et
25 essayez à ce moment-là d'être très précis.
26 Et de ce fait, ayant tout dit, je vais maintenant laisser à Me
27 Kovacic le soin de mener l'interrogatoire principal, et à ce moment-là vous
28 répondrez à toutes les questions qu'il va vous poser.
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1 Maître Kovacic, je vous salue à nouveau, et je vous laisse la parole.
2 M. KOVACIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
3 Bonjour à tous et à toutes dans le prétoire.
4 Si vous le permettez, je voudrais que l'on résolve un point technique
5 avant de commencer. Aujourd'hui, nous avons remis une liste IC avec 17
6 minutes de retard. On était censé remettre cette liste IC concernant le
7 dernier des témoins, Juric Drago. Je crois qu'on a été 17 minutes en retard
8 pour des raisons techniques, et je vous prie donc à cet effet d'autoriser
9 le versement au dossier par les soins du greffier pour ce qui est de notre
10 liste en corrélation avec Drago Jovic. Les lignes électroniques ne
11 fonctionnaient pas et puis après il y a eu encombrement, et c'est la raison
12 pour laquelle on a été en retard. Je m'excuse il s'appelle Juric, Dragan.
13 M. LE JUGE ANTONETTI : Je consulte avec mes collègues tout de suite.
14 [La Chambre de première instance se concerte]
15 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Alors la Chambre qui en a délibéré constatant
16 que vous avez remis la liste IC avec 1 020 secondes de retard accepte
17 néanmoins ce dépôt et donc demande à M. le Greffier de donner un numéro.
18 M. LE GREFFIER : [interprétation] La liste présentée par le document 3D au
19 travers du témoin Dragan Juric recevra la cote IC 1001.
20 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci, Monsieur le Greffier. Bien.
21 Maître Kovacic.
22 M. KOVACIC : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.
23 Autre chose, petite observation ou deux observations brèves. Compte
24 tenu du fait que vous avez dit que j'allais interrogé, je vais interroger
25 en partie et en partie ce sera ma collègue, le co-conseil Mme Nika Pinter.
26 Nous avons partagé la tâche pour être le plus efficace possible.
27 Deuxièmement, étant donné que vous nous avez dit et vous avez dit au témoin
28 notamment, et sans perdre de vue la façon de procéder auparavant dans ce
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1 prétoire, nous aimerions vous inviter à interrompre sans hésiter
2 l'interrogatoire pour poser la question qui vous intéresse au moment même
3 parce que cela se trouverait être lié à une idée et que vous aimeriez peut-
4 être avoir des compléments d'explication. Et je crois que M. Praljak sera
5 toujours disposé à le faire. Nous pouvons nous adapter aisément, donc je ne
6 vois pas d'obstacle, et je ne vois pas en quoi nous serions lésés du point
7 de vue de nos plannings ou de nos cadences.
8 La même chose se rapporte aux autres questions, mais on en est loin.
9 Donc avec votre autorisation, je me propose de commencer.
10 Interrogatoire principal par M. Kovacic :
11 Q. [interprétation] Bonjour, Général.
12 R. Bonjour, Maître Kovacic.
13 Q. Bien que vous veniez de le mentionner, c'est délibérément que
14 j'aimerais vous poser la question de votre date de naissance. Vous l'avez
15 au compte rendu, c'est le 2 janvier 1945, n'est-ce pas ?
16 Alors pourquoi est-ce que j'évoque la chose ? Parce qu'à l'acte
17 d'accusation on ignore la date de naissance du général Praljak et nous
18 avons confirmé les choses par écrit auparavant mais ce n'est pas indiqué
19 avec précision à l'acte d'accusation. Donc vous êtes né le 2 janvier 1945.
20 R. Oui.
21 Q. On sait où vous êtes né, Capljina.
22 R. Oui.
23 Q. Général Praljak, s'il vous plaît, étant donné que vous êtes né en
24 Bosnie-Herzégovine à Capljina et qu'une bonne partie de votre vie vous
25 l'avez passée en Croatie, la majeure partie me semble-t-il, quel est votre
26 statut du point de vue de la citoyenneté ?
27 R. J'ai la citoyenneté des deux Etats.
28 Q. Donc vous avez une double nationalité ?
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1 R. Oui.
2 Q. Veuillez nous indiquer, Mon Général, si c'est légal et si c'est
3 conforme à la législation des deux pays en question ?
4 R. Je ne sais pas, Monsieur Kovacic, mais si on m'a donné la citoyenneté,
5 ceux qui ont décidé savent fort bien ce qui est conforme à la loi et ce qui
6 ne l'est pas.
7 Q. Bien. Merci.
8 Au compte rendu semble-t-il on n'a pas consigné la chose, mais il est
9 clair qu'on a parlé de deux Etats, la Croatie et la Bosnie-Herzégovine. Je
10 crois que les questions posées par la suite ont rendu les choses tout à
11 fait claires.
12 Général Praljak, votre position subjective vis-à-vis de ce fait objectif de
13 l'existence de deux nationalités sur le plan officiel, pourquoi vous
14 sentez-vous citoyen de ces deux Etats à la fois ?
15 R. Parce que j'ai résidé dans les deux Etats, j'y ai travaillé, je suis né
16 dans l'un des deux, j'ai vécu dans cet Etat -- enfin je me suis scolarisé
17 jusqu'à mes 18 ans là-bas, 18 et demi. C'est dans cet Etat que vivent
18 encore mes parents, ma sœur, son époux et deux enfants à Sarajevo, les
19 parents à Mostar. Et très longtemps, même quand j'étais à Zagreb, j'ai été
20 déclaré aussi comme résident à Mostar et à Zagreb à titre temporaire.
21 C'est parce que nous avons notre pays natal au sens restreint du terme, et
22 la plupart des personnes ressemblent davantage à des plantes qu'à des
23 animaux du point de vue de la terre. Et moi du point de vue de la terre, je
24 me sens ressortissant de l'Herzégovine. J'ai beaucoup de joie à arriver
25 dans cette région, c'est une joie, c'est un plaisir quand je regagne ce
26 pays natal qui est très aride, c'est de la pierre, et j'ai plus de joie que
27 d'aller à Paris. Alors c'est subjectif aussi.
28 En Croatie j'y ai résidé, j'y ai vécu, j'ai ma famille. Donc j'ai
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1 deux Etats, la Bosnie-Herzégovine et la Croatie, et je sens que ces deux
2 Etats sont les miens. Et ce n'est pas tout à fait inhabituel ailleurs dans
3 le monde non plus.
4 Q. Merci. Mon Général, quelle est votre raison à vous pour ce qui est de
5 faire en 1992, en ces temps difficiles, un déplacement vers la Bosnie-
6 Herzégovine ?
7 M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Monsieur Kovacic, vous avez très
8 gentiment proposé que nous posions des questions pour clarifier les choses.
9 Monsieur Praljak, avez-vous deux passeports ?
10 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.
11 M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Je vous remercie.
12 LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Juge, j'ai des documents, des
13 papiers des deux. J'ai des pièces d'identité, mais je n'ai pas pris le
14 passeport de la Bosnie-Herzégovine. Je ne l'ai pas pris pour une raison
15 simple, parce que les limitations en matière de voyage avec ce passeport
16 sont bien plus grandes que cela n'est le cas avec le passeport croate. Donc
17 en termes simples je n'ai pas deux passeports, mais les autres documents,
18 les cartes d'identité, j'ai mes cartes d'identité des deux Etats, oui.
19 M. KOVACIC : [interprétation] Je vous remercie.
20 M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Merci.
21 M. KOVACIC : [interprétation]
22 Q. Peut-être pourriez-vous maintenant répondre à la question que je
23 vous ai posée, quels sont les motifs pour lesquels vous avez quitté en 1992
24 pour la Bosnie-Herzégovine ? Je parle de vos raisons subjectives.
25 R. C'est parce que c'est avec une grande certitude ou avec beaucoup de
26 précision dans la mesure ou dans les sciences sociales qui sont
27 probabilistes, on peut le savoir, moi je le savais de la sorte, je savais
28 qu'il allait y avoir une guerre en Bosnie-Herzégovine et je savais quel
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1 type de guerre il allait y avoir en Bosnie-Herzégovine.
2 Alors, je peux dire aux Juges, et si les autres le souhaitent aussi,
3 je peux leur dire que je suis à même d'amener beaucoup de gens qui seraient
4 à même de témoigner que la guerre en Yougoslavie, je l'avais prévue 15 ans
5 avant qu'elle ne survienne.
6 Mes connaissances sont liées aussi à mes options professionnelles, les
7 quantités d'information affluant à moi, et tout cela me disait que cette
8 crise yougoslave ne saurait être démêlée de façon pacifique. La seule
9 opportunité de faire en sorte que cela soit surmonté de façon pacifique,
10 c'est qu'il y ait ingérence extérieure de la part de la communauté
11 internationale, à savoir des grandes puissances. Tout ce qui, du point de
12 vue politique et social en Yougoslavie, avait cru, à partir des années
13 1970, à savoir depuis ce printemps de la Croatie, donner à croire que cette
14 pensée politique serbe, du point de vue social, avait pris tant d'envergure
15 qu'elle ne permettrait pas un démantèlement pacifique de la Yougoslavie qui
16 permettrait aux républiques qui, de par la constitution de 1974, s'étaient
17 vu attribuer la capacité de créer des Etats, à savoir ces éléments qui
18 étaient déjà existant lors de la deuxième session du conseil antifasciste
19 de lutte de libération nationale de Yougoslavie, donc pendant la guerre, et
20 notamment pendant la session du conseil antifasciste de la Bosnie-
21 Herzégovine. Ce sont donc des sessions du mouvement partisan qui ont siégé
22 à Toposko et qui ont défini la Croatie en tant qu'Etat et qu'elle ferait en
23 tant que telle partie de la République fédérative populaire de Yougoslavie.
24 Cela, bien sûr, d'autres personnes peuvent le confirmer, des
25 intellectuels, des artistes à qui j'ai dit pendant des années ce qui allait
26 se produire en Yougoslavie. Je le savais aussi lorsque j'étais en Croatie
27 pendant la guerre à Sunja. Je l'ai raconté à Pesa, à de nombreux autres
28 témoins. J'étais par ailleurs très au fait des plans de la JNA, et comme
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1 nous le verrons ici, à partir des registres des livres des généraux de la
2 JNA, ces plans prévoyaient les axes principaux de percée en direction de la
3 mer, cela, à travers la vallée de la Neretva en provenance de Kupres, ce
4 qui supposait la prise du plateau de Livno et de Kupres.
5 Par conséquent, je me suis très clairement mis à la disposition de la
6 création de l'Etat croate et de la résistance face à cette menace qui se
7 dressait non seulement face au peuple mais également à l'Etat, et mon
8 départ pour la Bosnie est la résultante de cette position morale qui était
9 la mienne.
10 Q. Merci. Je voudrais revenir à quelques détails à présent. Dans l'acte
11 d'accusation, on fait état de votre surnom. Pouvez-vous dire pour les Juges
12 de la Chambre si vous avez un surnom, et si oui, lequel ?
13 R. Les surnoms, j'en ai eu de nombreux au cours de ma vie. J'avais le
14 surnom de "Zeleni", "le vert", parce que quand j'allais à l'école à Mostar,
15 je portais une chemise verte, et c'est pour ça qu'on m'appelait le vert. A
16 l'université, on m'appelait Georges et à une époque, ailleurs, on m'a
17 appelé "Sakuta" plus tard parce que je boite légèrement. Et avant cela, on
18 m'avait appelé Hemingway. C'est en Siroki que j'avais eu cette blessure et
19 c'est pour ça que je boitais légèrement et qu'on m'a appelé le boiteux. Et
20 puis j'ai reçu plus tard ce surnom de "Brada,", le barbu.
21 Q. Alors, est-ce que la plupart de vos collaborateurs proches vous
22 appellent le barbu, "brada" ou non ?
23 R. Non.
24 Q. S'agit-il d'un surnom qui apparaît rarement en réalité ?
25 R. Je ne sais pas. Peut-être est-ce à quelques reprises que ce surnom a
26 été utilisé, je ne l'ai pas vraiment accepté ni adopté. Mais bien entendu,
27 les gens ont le droit d'utiliser ce qu'ils souhaitent. Il y a d'autres
28 surnoms encore "Caca", "Cefe," "le vieux" également; c'était un surnom que
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1 l'on m'a attribué.
2 Q. Très bien. Général Praljak, peut-être serait-il bon que les Juges de la
3 Chambre puissent entendre également quelques détails concernant votre
4 parcours scolaire, où a-t-il commencé, comment s'est-il terminé, quels sont
5 les diplômes que vous avez acquis, qu'est-ce que vous avez étudié et fait
6 ensuite. C'est ce à quoi nous pourrions passer dans un second temps.
7 Commençons d'abord pour votre parcours scolaire.
8 R. Si je devais en parler en détail, cela durerait trop longtemps. Je vais
9 donc passer assez rapidement. Les quatre premières années de l'école
10 primaire, je les ai terminées à Rama Prozor, car mon père était en service
11 là-bas, il était fonctionnaire de la Yougoslavie communiste. Aussi bien lui
12 que ma mère avaient été partisans et après, ils ont travaillé à Ludoba
13 [phon], à la sécurité de l'Etat. Ils ont beaucoup eu l'occasion de
14 déménager. J'ai fait quatre années à Rama, les quatre premières, puis
15 ensuite six ans à Siroki Brijeg; cela représente le fondement de mon
16 éducation. C'est l'époque à laquelle j'ai même fait mes premiers amis et où
17 je monte de façon décisive dans une ville et dans la société locale. Voilà.
18 D'autres informations, je pourrais vous en donner plus tard si vous le
19 souhaitez. Mais après, j'ai été en classe avec Gojko Susak, l'ancien
20 ministre de la Défense de la République de Croatie. Et c'est pendant au
21 moins trois ans et demi, sinon quatre années que nous avons été dans la
22 même classe et nous étions amis. Mais je pense qu'on nous a séparés, on
23 était sur le même banc en fait, et ensuite on m'a fait passer à l'avant
24 parce qu'on n'était assez turbulents.
25 Ensuite, j'ai fini mon lycée, trois années de lycée à Mostar, septième et
26 huitième année de scolarité, suite à quoi, je suis parti comme la majorité
27 des étudiants à Zagreb car il n'y avait pas de cursus adapté à l'époque à
28 Mostar. Mais tous mes amis de Siroki Brijeg sont aussi allés faire leurs
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1 études à Zagreb. Je me suis inscrit à l'université d'ingénierie électrique
2 et des télécommunications. J'ai achevé mes études avec succès. J'ai
3 travaillé à la correction de l'image chromatique des signaux de
4 télécommunication. C'était un domaine assez en pointe à l'époque.
5 M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Excusez-moi. Vous dites 4. Est-ce
6 que 4 c'est la meilleure note ou est-ce que c'est 5 la meilleure note, ou 1
7 ou 6 ? Pourriez-vous le préciser ?
8 LE TÉMOIN : [interprétation] C'est pourquoi je dis que ma vie a été assez
9 complexe. Les études, Monsieur le Juge Trechsel, durent huit semestres et
10 il y a un neuvième semestre qui est consacré au mémoire de fin d'études.
11 J'ai mis trois ans pour faire la deuxième année, et plusieurs années pour
12 les deux premières également. Puis une seule année pour la quatrième.
13 M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Excusez-moi. Je me suis sans doute
14 mal exprimé.
15 M. KOVACIC : [interprétation] Non, ce n'est pas votre faute, c'est la
16 traduction qui a posé problème.
17 M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Ecoutez, ce qui compte c'est que je
18 ne vous accuse pas, Monsieur Praljak.
19 C'est simplement que vous avez dit la note 4. Vos résultats
20 scolaires, l'autre note, c'était 4. Mais 4, ça ne veut dire quelque chose
21 que si on connaît l'échelle. Est-ce que c'est 1 sur 100 ou de 1 à 5, ou de
22 1 à 10 ?
23 Vous semblez dire que c'est sur 5; donc vous avez su 4 sur 5. C'est
24 ça ?
25 M. KOVACIC : [interprétation] C'est dans la traduction qu'était le
26 malentendu.
27 LE TÉMOIN : [interprétation] La note maximale est de 5, et mon mémoire de
28 fin d'études a reçu une note excellente de 5. Quant à l'ensemble de mes
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1 études, elles ont été sanctionnées par la note immédiatement inférieure qui
2 est très bonne aussi, qui est celle de 4.
3 Alors, je me suis inscrit en 1966 à la faculté de philosophie, car
4 dès ma première année d'études, j'ai compris que je ne souhaitais pas
5 rester ingénieur toute ma vie, et pour de nombreuses autres raisons, j'ai
6 traversé une véritable crise à l'époque, une période d'intense remise en
7 question. Et si vous le souhaitez, vous pourrez m'interroger à ce sujet. La
8 raison en est qu'aussi bien mon éducation familiale que ce que j'ai appris
9 au cours de mes études, lors des premières années, était en opposition
10 complète avec ce que l'on m'a inculqué ultérieurement. Donc la conception
11 générale communiste était en contradiction totale avec ce sur quoi se
12 fondaient mon propre parcours et mon éducation. Compte tenu de cela, en
13 l'espace de deux ans, j'ai traversé cette période de remise en question
14 pendant laquelle je n'ai pas fait d'études, et j'ai repris mes études en
15 1966 lorsque je me suis inscrit en philosophie et en sociologie à la
16 faculté de philosophie de Zagreb; et c'était là une précondition pour
17 pouvoir s'inscrire à l'Académie des beaux-arts pour faire des études de
18 théâtre et de cinéma. C'était une précondition absolue que d'être inscrit à
19 la faculté de philosophie de Zagreb, or, c'était ce que je voulais faire.
20 C'était une société en évolution constante et lorsque moi, je me suis
21 inscrit en 1968, en troisième année de philosophie, l'Académie des beaux-
22 arts a changé son programme qui, donc, est passé à un programme de quatre
23 ans. Et j'ai réussi, à ce moment-là, à la fin de l'année, à être l'un des
24 trois candidats parmi 125 à être pris à cette académie.
25 Entre-temps, j'avais travaillé, j'avais eu plusieurs emplois. Je suis
26 également allé travailler en Suède. Je buvais beaucoup à l'époque. Je suis
27 allé travailler en Suède trois ou quatre mois. Je faisais la plonge, je
28 travaillais pour la société Akla [phon]. C'était une vie assez typique d'un
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1 étudiant, une vie assez laborieuse, notamment dans ma tête. Je travaillais
2 dur.
3 Alors, j'ai eu mon diplôme d'ingénieur fin 1969, début 1970. J'ai eu
4 mon diplôme de philosophie en 1970-1971, et je suis diplômé de l'Académie
5 en 1972 avec d'excellents résultats. Mon travail de fin d'études à la
6 faculté de philosophie portait sur la possibilité de fonder une éthique
7 dans le cadre de la philosophie de Karl Marx; donc la question fondamentale
8 était de savoir si dans le cadre d'un système qui envisage une histoire
9 comme étant uniquement la résultante nécessaire des forces de production,
10 s'il est possible, dans le cadre d'un système historique normé comme celui-
11 là, de fonder quelque système éthique que ce soit qui supposerait une
12 possibilité de choisir, ce qui permettait d'enchaîner ensuite sur les
13 questions de la morale, questions qui m'occupent aujourd'hui encore avec
14 plus ou moins de succès.
15 Et c'est juste après avoir terminé mes études d'ingénieur que j'ai
16 trouvé un emploi en tant que chef de laboratoire d'électronique dans une
17 bonne école, une école technique. Je gagnais ma vie de cette façon-là.
18 Et en 1972, après avoir été diplômé de l'Académie, j'ai donné ma
19 démission et je suis devenu artiste à titre professionnel, si on peut dire.
20 Je n'étais pas salarié, mais j'étais à mon compte, je touchais des
21 honoraires. J'ai alors réalisé environ une vingtaine de représentations
22 théâtrales. J'ai réalisé également deux films pour la télévision, une série
23 télévisée, un long métrage avec lequel je me suis rendu à plusieurs
24 festivals, par exemple à Mannheim, où j'avais été invité.
25 A la fin des années 1970 et au début des années 1980, les honoraires
26 étaient très modestes et la Yougoslavie était touchée par une crise grave
27 sur le plan économique, et j'ai de nouveau, alors, travaillé dans une école
28 en donnant des cours du soir. C'était une école proposant un cursus de
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1 quatre semestres pour des adultes et qui se trouvait en dessous du niveau
2 de la faculté. Je donnais des cours dans trois domaines, trois matières :
3 l'électrotechnique théorique, les fondements de l'électricité --
4 l'électrotechnique, et les automates et la régulation, ainsi que la théorie
5 des communications.
6 Pour ce qui est des aspects dont vous pourriez avoir connaissance et
7 qui concernent des aspects sociaux, j'ai réalisé une pièce intitulée "Un
8 homme est un homme," de Brecht, qui concerne la transformation d'un paysan
9 en soldat. J'ai aussi réalisé une pièce, "Le conducteur," dont le texte a
10 été récompensé comme le meilleur de l'année, à l'époque, et j'ai travaillé
11 aussi avec Ronald Pekni [phon], qui avait eu le rôle principal et qui était
12 un brillant acteur. J'ai aussi adapté deux romans pour le théâtre. L'un
13 deux était "Orange mécanique," que le grand réalisateur anglais que l'on
14 connaît a adapté au cinéma -- Stanley Kubrick. Je vous remercie. Cependant,
15 Stanley Kubrick a interdit la projection de ce film dans les pays du bloc
16 communiste, si bien que l'auteur, Anthony Burgess, m'a donné ses droits
17 d'auteur, m'a permis d'adapter son œuvre, ce que j'ai fait à Zagreb.
18 J'ai également travaillé sur une pièce, "Retour à midi," qui avait
19 été écrite par une personne qui s'était échappée de l'URSS au début des
20 années 1930. Il s'agissait d'un auteur qui, à l'époque déjà, avait décrit
21 brillamment la façon dont fonctionnait ce système communiste et
22 l'acceptation des gens pour ce qui était d'accuser les membres de leur
23 entourage le plus proche sans véritable pression physique lors de procès
24 dans ce système communiste et tout cela, dans la croyance qui était la
25 leur, qu'ils allaient contribuer ainsi à un monde meilleur. Voilà.
26 Après la fin du travail sur ce film, j'ai pris part à la vie politique en
27 Croatie en étant pleinement conscient de ce qui se préparait et de
28 l'obligation morale qui était la mienne de prendre part à cela, bien que,
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1 tout à fait honnêtement, je n'ai jamais eu d'ambitions politiques, et je ne
2 pense pas non plus que dans ce type de période, il faille parler de
3 politique de la même façon que cette dernière est envisagée dans des
4 sociétés organisées.
5 Je pense qu'il s'agissait d'une période pré-politique, si l'on puit dire,
6 parce que la création d'un Etat n'est pas seulement une question politique,
7 c'est l'obligation morale de tout homme responsable. Et selon toutes les
8 analyses dont nous disposions, il s'agissait là peut-être de la dernière,
9 au moins d'une des dernières chances que nous Croates, peuple croate,
10 avions de mettre sur pied un Etat dans lequel nous pourrions vivre dans ce
11 que nous appelions un Etat civilisé à l'image des Etats occidentaux.
12 Q. Merci. Je ne voudrais pas entrer plus en détail dans votre parcours.
13 Nous devons encore aborder de nombreux points. Mais je voudrais que nous
14 abordions certains sujets généraux maintenant.
15 Le premier d'entre eux a été abordé lors du récolement, mais comme on
16 vous a donné moins de temps pour votre déclaration, je voudrais que vous
17 disiez ce que vous savez de ces sujets, de quoi vous avez véritablement été
18 témoin et ce que vous savez de la situation.
19 Je voudrais tout d'abord vous interroger sur la situation en ce qui
20 concerne l'approvisionnement en eau potable à Mostar en 1992 et 1993. Donc
21 après le 30 juin 1993, et je pose cette question en lien direct avec l'acte
22 d'accusation et l'affirmation qui y figure selon laquelle le HVO aurait
23 utilisé l'approvisionnement en eau potable de Mostar est comme moyen
24 d'exercer des pressions inhumaines sur cette même partie est de Mostar.
25 Pouvez-vous nous en dire plus ? Nous avons beaucoup entendu parler de cela
26 dans ce prétoire, mais je pense que vous êtes en situation d'établir un
27 lien entre tous ces éléments.
28 R. Oui, mais juste pour revenir à la question précédente, je dois dire
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1 pour les Juges de la Chambre qu'à l'époque de mes études, je suis allé
2 pendant cinq étés travailler comme garçon de café en Allemagne. Donc je
3 devais passer des examens très tôt au mois de juin, puis j'allais
4 travailler. Je suis allé à Schwiesel, près de la frontière Suisse. J'ai pu
5 également travailler près de Strasbourg en France, et c'est ainsi que je
6 gagnais de l'argent. On gagnait pas mal d'argent de cette façon-là, je
7 gagnais l'argent que j'avais besoin pour faire mes études. A la fin de ces
8 périodes de travail comme étudiant, j'ai même reçu un certificat montrant
9 que j'étais un bon garçon de café, un certificat de l'hôtel où je
10 travaillais.
11 Alors pour ce qui est l'acte d'accusation, le Procureur dit que la
12 partie est de la ville à partir du 30 janvier 1993 n'a plus d'eau potable,
13 et l'Accusation dit que le HVO est coupable de cela. Mais qui en 1992 a
14 rendu inopérant les sources de Radoje à Mostar et la sources de Studenac à
15 Rastani, sources qui approvisionnaient en eau la ville de Mostar ? Qui a
16 fait cela en 1992 ? Qui exerçait le contrôle sur la source de Rastani et
17 jusqu'à quand ? L'ABiH le faisait jusqu'au 24 août 1993. Qui a détruit les
18 ponts à Mostar et les canalisations d'eau qui reliaient les sources de la
19 rive droite de la Neretva et la partie est de la ville ? Qui a endommagé le
20 réseau d'approvisionnement en eau, à quels endroits et de quelles façons ?
21 Quel était l'état de vétusté de ce réseau et la situation d'un point de vue
22 technique de ce réseau d'approvisionnement ?
23 L'Accusation ne dit pas cela. Quelle était l'importance des pertes
24 d'eau à cause du mauvais état des canalisations d'approvisionnement en eau
25 avant les attaques d'artilleries de la JNA visant Mostar en 1992 ? Quelle
26 est la capacité d'approvisionnement de ces deux sources en été, été qui
27 s'est avéré particulièrement chaud en 1993 ? Quelle était la pression de
28 l'eau dans ces canalisations en approvisionnement, et pourquoi était-il
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1 nécessaire de disposer de compresseurs pour acheminer l'eau jusque dans les
2 étages des bâtiments ? Qui a pris le générateur et la pompe qui devaient
3 approvisionner en eau les bâtiments de plusieurs étages sur la partie est
4 de Mostar ? Qui l'a fait, à quel moment et dans quel but ? Pourquoi, dans
5 la période s'étendant entre juin 1992, lorsque de par la destruction du
6 pont ferroviaire dans l'entrée nord de Mostar, il y a eu une interruption
7 des canalisations d'eau principales à Mostar est qui acheminaient l'eau des
8 sources de Studenac et Rastani ? Donc pourquoi dans cette période de juin
9 1992 à août 1993, on n'a pas remplacé cette canalisation d'eau par
10 l'intermédiaire du barrage qui se trouve à proximité?
11 Pourquoi les autorités de Mostar est, après les attaques de l'ABiH du
12 9 mai 1993 et le cessez-le-feu qui a pris place ensuite, n'ont-elles pas
13 exigé une vérification, une réparation des bouches d'inspection principales
14 sur la boulevard, et pourquoi n'ont-elles pas remis en état les tuyaux
15 d'approvisionnement en eau passant par le vieux pont ? Pourquoi après les
16 attaques de l'ABiH et la trahison des membres musulmans du HVO intervenus
17 le 30 juin 1993, les autorités de Mostar est n'ont-elles jamais fait état
18 du problème de l'eau par l'intermédiaire de la FORPRONU alors qu'elles ont
19 fait état du problème des blessés, qui lui, a trouvé une solution ?
20 Pourquoi ces autorités n'ont-elles pas demandé qu'on leur fournisse la
21 dizaine de pompes qui conjointement avec l'utilisation des tuyaux
22 d'extinction d'incendies auraient permis d'approvisionner régulièrement et
23 en quantité suffisante l'eau nécessaire à différents endroits et provenant
24 de la Neretva qui était souvent suffisamment bonne pour être consommée à
25 l'époque ?
26 M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Excusez-moi, mais ça fait à peu près
27 deux pages de compte rendu d'audience, je ne peux pas m'empêcher de le
28 constater, que vous accumulez des questions. Toutes vos phrases se
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1 terminent par un point d'interrogation et en fait, je pensais que vous
2 veniez déposer en tant que témoin. Or, un témoin ne pose pas de questions.
3 Il répond à des questions. Il dit ce qu'il a vu, ce qu'il a entendu, ou ce
4 dont il a été témoin. Je m'interroge, est-ce qu'il ne vaudrait pas mieux,
5 est-ce qu'il ne serait pas plus -- en fait, en prise directe sur cette
6 procédure, de ne pas poser ce genre de questions, mais plutôt de vous
7 comporter en tant que témoin et de parler comme un témoin le fait.
8 LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Juge Trechsel, il y a des
9 questions qui contiennent en elles-mêmes leurs propres réponses. J'aurais
10 pu à chaque fois dire ce qu'il en était, c'est ainsi. Ces questions sont
11 d'un point de vue grammatical des questions, mais il ne s'agit pas ici de
12 questions d'un point de vue logique. Je dis simplement que la question que
13 nous avons là, par exemple, suggère la réponse : ils n'ont pas demandé
14 qu'on leur fournisse une dizaine de pompes, ils n'ont pas demandé à ce
15 qu'on résolve la question de l'approvisionnement en eau comme nous avons pu
16 résoudre le problème des blessés. Ils n'ont pas réparé les tuyaux
17 d'approvisionnement en eau, ils n'ont pas rétabli l'approvisionnement à
18 partir du barrage.
19 Il ne s'agit pas de questions, il s'agit d'affirmations qui sont exprimées
20 sous forme de questions, de questions rhétoriques. Ce que je dis
21 simplement, c'est que ces questions, le Procureur lui-même aurait dû les
22 poser, tout comme il aurait dû poser la question de savoir comment l'on
23 peut réapprovisionner des tuyaux du même réseau d'approvisionnement en eau
24 après que ces derniers ont été vidés, quelle est la procédure technique,
25 quelle est la procédure sanitaire. Nous aurions dû avoir des réponses
26 fournies à ces questions concernant la façon de savoir, par exemple, qui au
27 sein du HVO a émis cette décision en vertu de laquelle la partie est de
28 Mostar est censée avoir vu son approvisionnement en eau coupé. Qui aurait
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1 mis en œuvre cette décision et comment cela aurait été mis en œuvre d'un
2 point de vue technique, mais nous n'avons rien entendu de tel, nous n'avons
3 entendu cette affirmation selon laquelle le HVO serait responsable de cela,
4 que ce soit la branche civile ou la branche militaire. On ne nous a
5 présenté aucun fait en la matière. La partie est avait la possibilité de
6 construire des tuyaux d'approvisionnement, de demander une aide financière
7 comme cela a été fait pour l'électricité, pour les lignes de téléphone, et
8 cetera. Ils pouvaient en parler avec la FORPRONU.
9 Mon conseil de la Défense et moi-même avons établi une carte dans
10 laquelle il est clair qu'ils ont montré qu'ils avaient bien une source à
11 Rastani. J'ai utilisé cette question pour affirmer simplement que si Mostar
12 est n'a pas d'eau, cela ne veut pas dire que c'est le HVO nécessairement
13 qui en est responsable. Le HVO, la partie est de Mostar n'a pas demandé les
14 pompes qui leur auraient permis d'être approvisionné à partir de la rivière
15 Neretva.
16 M. KOVACIC : [interprétation] Je ne vais plus maintenant utiliser de
17 questions rhétoriques.
18 M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Je veux être clair. Un témoin, le
19 genre de réponse qu'il doit donner ce sont des réponses qui sont fidèles au
20 bas à la vérité. Vous, vous faites allégation sur allégation, accusation
21 sur accusation, et ça ne correspond pas tout à fait à cette idée. Je
22 voulais simplement vous apporter mon concours pour que vous tiriez le
23 meilleur parti possible du temps qui vous est donné dans le cadre du
24 Règlement.
25 Merci.
26 Poursuivez, Maître Kovacic.
27 M. KOVACIC : [interprétation] Je pense que nous allons résoudre cela très
28 rapidement, car il y a un point qui n'est pas resté clair, peut-être à
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1 cause de la traduction, peut-être à cause de la façon dont M. Praljak s'est
2 exprimé.
3 Parce qu'en réalité, les questions posées par M. Praljak étaient des
4 questions rhétoriques qui contiennent déjà une réponse. Ceci a été peut-
5 être perdu dans la traduction. C'est pour cela qu'il y a un malentendu. Je
6 l'ai dit juste pour me rendre utile. Mais je vais terminer en posant une
7 question pour éclaircir tout cela.
8 Q. Mon Général, nous avons entendu votre évaluation de ces problèmes, vous
9 nous avez parlé de tous ces problèmes qui ont pu apparaître, et ensuite on
10 tire des conclusions qui ne sont pas tout à fait précises, correctes, parce
11 qu'on ne connaît pas toute la situation. Est-ce que le HVO a fait exprès ou
12 a tout fait pour couper l'eau dans Mostar est ?
13 R. Non.
14 Q. Merci.
15 M. LE JUGE ANTONETTI : Attendez. Général, je me permets de déroger à ce que
16 j'ai dit en début d'après-midi, mais en vous posant une question sur votre
17 CV, ça n'a rien à voir avec le fond de l'acte d'accusation.
18 Vous nous avez dit tout à l'heure que suite à des études vous avez été dans
19 l'électricité, après quoi vous avez été artiste, et en tant qu'artiste,
20 c'est ce qui m'a frappé, vous avez dit que vous avez mis en œuvre plusieurs
21 pièces et vous avez cité la pièce : "Un homme est un homme" de Bertolt
22 Brecht. Comme vous le savez, cette pièce il y a eu deux écritures; une en
23 1925 et une en 1938. C'est l'histoire d'un homme qui change de vie, qui va
24 renier sa femme, et qui va devenir dans les Indes britanniques, qui va
25 devenir soldat. Il va devenir soldat dans des circonstances particulières,
26 parce qu'il y a une scène de pillage et il y en a un qui ne veut pas se
27 dénoncer. A à ce moment-là, Galigay, [phon] qui est le personnage central,
28 va intégrer cette unité de tirailleurs. Donc, il va changer de vie, en
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1 laissant la problématique de savoir s'il va devenir un monstre ou devenir
2 un sage.
3 Vous-même, en mettant en œuvre cette pièce, est-ce que ça vous a
4 entraîné après à entrer dans la chose militaire ? Est-ce que vous en avez
5 tiré une leçon ou pas de cette pièce ?
6 LE TÉMOIN : [interprétation] Messieurs les Juges, vous avez vu quelle était
7 ma préoccupation principale. Voyez-vous, moi, j'ai interprété cette pièce
8 comme suit : C'est un pêcheur qui rencontre une unité anglaise qui a perdu
9 un soldat, et ils ne peuvent pas rentrer sans ce soldat. Donc qu'est-ce
10 qu'ils font ? De ce pêcheur simple, ils font un soldat. Ils en font un
11 soldat, et par la suite ils détruisent tout. Vous savez, je n'étais pas un
12 soldat dans le sens propre du terme. Je n'ai même pas fait l'armée
13 populaire yougoslave. Je n'ai pas fait mon service militaire, parce que je
14 n'étais pas apte à faire mon service, parce que j'ai un problème à la
15 hanche. Je suis tombé beaucoup de fois. J'ai fait beaucoup de fractures
16 dans la vie. J'ai subi sept opérations. J'ai été assez maladroit
17 d'ailleurs, dans la vie physiquement.
18 Ce qui se passe avec les intellectuels, voyez-vous, vous savez la
19 guerre, c'est probablement la forme la plus difficile de la société
20 humaine. Un grand nombre d'intellectuels énorme rejettent ces phénomènes,
21 même les sociologues, parce qu'on considère qu'un humaniste, un
22 intellectuel humaniste ne doit pas traiter de la guerre parce que c'est
23 quelque chose de vulgaire. Il s'agit de meurtre, et ce n'est pas notre
24 problème. Donc, souvent la guerre n'a pas fait l'objet des analyses de
25 sociologie. La sociologie, elle, traite la situation ou la société jusqu'à
26 la guerre et après la guerre. Mais la guerre tel quel, on la considère
27 comme quelque chose de très particulier où se produisent des explosions, et
28 tout devient imprévisible.
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1 Les répercussions sur les individus, et c'est cela qui intéresse les
2 sociologues, ce qui se passe c'est que vous avez la destruction, la
3 décomposition totale d'un individu de son intégrité morale, et là vous avez
4 deux variables que l'on peut isoler, qui sont très importants. Par la
5 suite, le prix Nobel, Conrad de Laurent [phon] a traité de cela parce qu'il
6 a participé à la Première Guerre mondiale et cela l'a préoccupé. Il a dit
7 que ces deux variables, à savoir la force morale d'un individu et la durée
8 des épreuves, là vous avez des choses complètement différentes, deux
9 variables complètement différentes qu'il faut prendre en compte. Il arrive
10 souvent que des personnes pour lesquelles on pense qu'elles aient une
11 moralité très ferme, très stable, qu'elles craquent tout simplement à un
12 moment donné, et d'autres personnes qui ne brillaient en rien, surtout du
13 côté des convictions morales, et traversent la guerre et montrent un visage
14 et leur véritable valeur dans des situations les plus difficiles.
15 Donc cette pièce que j'ai montée, y compris la pièce de Brecht que
16 j'ai présentée, je peux vous dire que c'est quelque chose qui m'a toujours
17 beaucoup intéressé. J'ai beaucoup lu au sujet de la guerre pour faire cela.
18 J'ai beaucoup lu sur le débarquement, sur la Première Guerre mondiale, la
19 Deuxième. Je me suis beaucoup intéressé à l'armée française qui avait tant
20 de soldats, qui s'est beaucoup préparée à la guerre. Comment se fait-il
21 qu'elle a pu être vaincue alors qu'elle avait tout un système élaboré, des
22 commandements, des communications, et cetera. Je me suis penché aussi sur
23 deux autres théoriciens de la guerre qui ont été à l'origine de la
24 sociologie de la guerre, Klauzevitz et --
25 L'INTERPRÈTE : L'interprète n'a pas entendu le premier nom.
26 LE TÉMOIN : [interprétation] Pendant les guerres napoléoniennes, l'alliance
27 entre la Turquie, l'Angleterre, l'Espagne, ils ont perdu une dizaine de
28 batailles contre Napoléon, donc ces deux-là, ces deux théoriciens, se sont
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1 posés la question, à savoir comment les armées structurées des Etats
2 structurés avec des super-commandants peuvent perdre la guerre. Parce qu'on
3 peut prendre une bataille, deux batailles, mais comment peut-on perdre
4 toute une série de batailles ? Ce théoricien a commencé à étudier les
5 cadres sociologiques de la guerre.
6 Vous avez la France qui sort de la révolution, qui a finalement les
7 militaires peu formés. Napoléon, à l'époque, produisait les maréchaux et
8 les généraux encore plus rapidement que nous ne le faisions au sein de
9 l'armée croate ou du HVO, parce qu'il n'avait pas d'autres moyens de s'en
10 sortir, de créer son armée. Par exemple, la bataille de Borodin, des deux
11 côtés vous aviez des pertes énormes. Cent généraux ont perdu leur vie. A
12 l'époque, les généraux périssaient plus souvent qu'aujourd'hui. Et qu'est-
13 ce qu'il faisait ? Il les remplaçait très rapidement.
14 La guerre est quelque chose qui a été rejeté par les intellectuels.
15 Je considérais que c'est quelque chose qui était très important, parce que
16 c'est une apparition récurrente au cours de l'histoire humaine, alors même
17 que ceci n'a jamais été vraiment étudié dans les universités, et cetera.
18 Moi, je me suis posé la question de savoir d'où vient ce phénomène, comment
19 se fait-il qu'il y a tellement de guerres, que cela existe depuis toujours
20 dans de telles quantités ?
21 Messieurs les Juges, depuis que la guerre a commencé en Bosnie-
22 Herzégovine, il y a eu dix millions de personnes qui sont mortes pendant la
23 guerre, au Rwanda et autres guerres, et personne n'y prête beaucoup
24 d'attention.
25 Je me suis penché sur le problème des bombes atomiques, Dresden, la
26 question morale du bombardement de Nuremberg, Dresde et Hamburg. J'ai lu
27 aussi les procès-verbaux de Nuremberg. J'avais beaucoup d'énergie et
28 j'avais une grande capacité de travail, à la différence de tel que je suis
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1 aujourd'hui. Donc, j'ai beaucoup lu, et je me rappelais de beaucoup de
2 choses.
3 M. LE JUGE ANTONETTI : Vous avez donné une explication. Ça pourrait durer
4 beaucoup plus longtemps, mais vous avez répondu à la question qui me
5 préoccupait.
6 Maître Kovacic.
7 M. LE JUGE MINDUA : J'ai une observation, excusez-moi, mais ce n'est plutôt
8 pas à M. Praljak que je veux l'adresser, mais c'est à Me Kovacic.
9 Maître Kovacic, vous avez demandé au témoin de parler brièvement de
10 son cursus scolaire et universitaire, et aussi de son parcours
11 professionnel. Aujourd'hui, il est là, c'est le général Praljak. Juste sans
12 parler de son parcours militaire, vous l'avez arrêté pour qu'il se mette à
13 parler de la question de l'eau. Alors, j'ai l'impression qu'il y a quelque
14 chose qui manque, et c'est à juste titre, d'ailleurs, je crois, qu'il y a
15 eu ce lien entre la pièce dont on a parlé et la vie même du témoin. Alors
16 je ne sais pas, est-ce que vous avez prévu de lui poser la question sur son
17 parcours militaire pour que nous puissions en connaître un peu plus sur sa
18 personnalité ?
19 M. KOVACIC : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Juge, de cette
20 mise en garde. J'ai voulu tout simplement demander à M. Praljak de nous
21 exposer quelques éléments biographiques. Mais vu la question que vous venez
22 de poser, il me semble que, puisque c'est tout à fait naturel de poser
23 cette question, je propose que l'on pose cette dernière question au sujet
24 de sa biographie, et on va revenir là-dessus.
25 Q. Mon Général, vous avez dit que vous êtes parti en Bosnie-Herzégovine,
26 car vous le souhaitiez, vous étiez motivé de le faire. Puisque dans l'acte
27 d'accusation il est indiqué que vous y êtes allé à plusieurs reprises et
28 dans différents rôles, et c'est un fait d'ailleurs, je vais vous demander
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1 de vous concentrer sur l'année 1992, et de nous dire brièvement quand vous
2 y êtes allé au cours de cette année-là et ce que vous y avez fait.
3 R. Je vais vous répondre.
4 Vers la fin de 1988, beaucoup de gens en Croatie comprenaient qu'on
5 allait se retrouver dans une situation tout à fait catastrophique, et vous
6 aviez une sorte d'opposition au système de l'époque qui commençait à se
7 réunir de façon plutôt clandestine, cinq, dix personnes qui se réunissent
8 pour se préparer à quelque chose. Evidemment, j'avais participé à cela.
9 J'ai été présent au premier rassemblement qui a eu lieu en février 1990.
10 C'était la session de fondement du HDZ, quand on a adopté sa déclaration,
11 son programme. C'était une période tumultueuse et complexe. Il s'agissait
12 des thèses de toutes sortes que l'on avançait, des réflexions. Je vais
13 présenter des documents. Je pense que le Procureur souhaitera en apprendre
14 davantage aussi.
15 En 1991 au printemps, je n'avais plus d'obligations politiques au
16 sein d'un parti important, parce que j'étais le secrétaire général de ce
17 parti, donc il s'agissait là d'un organe politique et réalisationnel, et je
18 me suis engagé en tant que soldat simple, soldat volontaire. J'avais mes
19 bottes de soldat. Pour qu'il n'y ait pas de doute, je peux vous dire que je
20 me serais battu, que la Croatie s'organise ou non, moi, je me serais battu.
21 Donc, je me trouve à Sunja, sept jours plus tard, je deviens commandant, et
22 j'y suis resté jusqu'en 1992, au mois de mars.
23 Ensuite, je suis descendu là-bas. C'est vrai que j'en savais pas mal
24 sur la guerre, sur la stratégie, la tactique de la guerre, parce que j'ai
25 lu pas mal de choses. Mais il y avait d'autres choses que je ne savais pas,
26 des informations plus précises, qu'est-ce qu'une Zolja, et cetera, les
27 différents obus. En ce qui concerne comment creuser les tranchées, comment
28 se protéger des obus d'artillerie, ça, je le savais théoriquement, parce
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1 que j'ai lu des œuvres de la Première Guerre mondiale. Puis je savais
2 comment faire avec les hommes, parce que j'avais été enseignant.
3 J'ai toujours eu affaire à des hommes. Après cette nomination, je
4 suis devenu adjoint du ministre de la Défense, chargé des activités
5 psychologiques et d'information. C'était l'aile politique. J'ai organisé
6 cela au sein du ministère. C'était un département très important. J'avais
7 une centaine d'hommes sous mes ordres. Il y avait pas mal de psychologues,
8 des scientifiques. Ma devise à l'époque, c'était qu'il faut bien choisir
9 ses hommes. Si vous avez des éléments de qualité, tout va fonctionner. Cela
10 ne sert à rien d'avoir de beaux documents, des belles résolutions et
11 déclarations si vous n'avez pas les éléments, les hommes de qualité qui
12 suivent.
13 En ce qui concerne la Bosnie-Herzégovine, les zones là-bas, j'y ai
14 été entre le 10 avril 1992, j'ai été le commandant de la zone de
15 l'Herzégovine du sud-est. Ensuite, je suis revenu, j'ai mené l'attaque pour
16 libérer la rive gauche et droite de la Neretva. Je suis allé calmer la
17 situation à Rama ou à Uskoplje. J'ai passé un mois et demi entre Travnik,
18 Novi Travnik, Bugojno, Uskoplje, Konjic, mais il vaudrait mieux en parler à
19 travers les documents.
20 Il s'agissait là de beaucoup de travail. Il y a eu beaucoup
21 d'événements, beaucoup, beaucoup d'événements. Je pourrais vous en parler
22 pendant des heures et des heures. Sans corroborer cela par des documents,
23 je pense que ce n'est pas très utile.
24 Mais ce que j'ai voulu ajouter, parce que j'ai pris quelques notes,
25 parce que vous savez, mon cerveau ne fonctionne plus comme avant, mais plus
26 aussi agile qu'il ne l'était. Donc cet excellent livre qui s'appelle
27 "L'éclipse à midi" de Kestler, il s'agit là d'une excellente étude du
28 système staliniste communiste.
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1 M. LE JUGE PRANDLER : [interprétation] Je voudrais apporter un point de
2 correction ici. Lorsque vous parlez d'une certaine personne, il était
3 certes juif mais ce n'était pas un -- mais il était Hongrois. J'aimerais
4 que ceci soit noté au compte rendu.
5 LE TÉMOIN : [interprétation] Excusez-moi. Vous avez tout à fait raison.
6 C'était un juif hongrois qui a fui le stalinisme et il a écrit ce livre qui
7 est brillantissime.
8 M. KOVACIC : [interprétation] Une petite correction au niveau du compte
9 rendu d'audience. La question que je vais vous poser pour éviter tout
10 malentendu.
11 Q. Mon Général, en commençant à répondre, vous avez dit : "Ensuite, je
12 suis allé là-bas. Après Sunja, je suis allé là-bas." A quoi faisiez-vous
13 référence ?
14 R. L'Herzegovine du sud-est, Mostar, Capljina, et cetera.
15 Q. Et après avez-vous parlé de la Bosnie-Herzégovine, n'est-ce pas ?
16 R. Oui.
17 Q. Et puis encore une petite question pour être encore plus précis. Vous
18 avez parlé de votre séjour en Bosnie-Herzégovine. Est-ce que vous pouvez
19 nous dire quelle était votre fonction quand vous y êtes allé ? Est-ce que
20 quelqu'un vous a envoyé là-bas en vous disant, Praljak, allez là-bas,
21 faites ceci ou cela, ou bien est-ce que vous y êtes allé en tant que
22 volontaire, parce que vous vouliez y aller ?
23 R. Je suis allé parce que j'ai voulu y aller.
24 Q. Aussi, on peut lire à la page 61, ligne 21, "Novi Sad" et en fait c'est
25 "Novi Travnik", n'est-ce pas ?
26 R. Oui.
27 Q. On va continuer sur le contexte et on va pour ainsi dire ouvrir
28 certains thèmes et ensuite on va aller plus en détail en montrant des
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1 documents.
2 Là je voudrais vous poser quelques questions au sujet des téléphones.
3 Pourquoi cela était-il important et qui les contrôlait, et cetera ?
4 M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Je suis désolé, Monsieur Praljak et
5 Maître Kovacic, mais j'aimerais ajouter une petite question à propos de
6 votre départ à la Bosnie-Herzégovine.
7 Vous étiez en poste en Croatie, n'est-ce pas ? J'imagine que vous ne
8 pouviez pas tout simplement abandonner ce poste sans en parler à quiconque.
9 Qu'avez-vous fait exactement ? Est-ce que vous avez démissionné, est-ce que
10 vous avez demandé une permission pour pouvoir partir ? Comment vous y êtes
11 pris ?
12 LE TÉMOIN : [interprétation] Je vais vous dire la vérité. Voilà quelle
13 était la situation. Moi, je n'ai pas demandé à être démis de mes fonctions.
14 Je n'ai pas demandé à avoir un accord. Voilà, je vais vous raconter comment
15 les choses se sont présentées exactement.
16 D'après toutes les informations qui arrivent au quartier général
17 principal et auxquelles j'ai accès, il est clair quelle est l'intention de
18 l'armée populaire yougoslave, à savoir elle avait l'intention de percer la
19 Neretva en allant vers Split. Donc là-bas, il existe quelques unités
20 armées. Quand j'étais en présence de personnes tierces, j'adressais à M.
21 Susak, "M. le ministre," mais en dehors de cela, je l'appelais, je
22 l'adressais par son prénom, Gojko.
23 Et autour de la date du 20 mars 1993, dans la soirée, quand on avait
24 un petit peu moins de travail et quand on trouvait quelques instants pour
25 nous asseoir, moi je lui ai dit, écoute, Gojko, la situation là-bas est
26 très mauvaise et ils vont percer jusqu'à Split. Je ne vois pas comment la
27 Croatie peut se défendre. C'est un couloir étroit. Et il m'a répondu,
28 écoute, la situation n'est pas si mauvaise que cela. Il y a quelques unités
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1 là-bas. Moi, j'ai encore appelé, j'ai parlé avec mon père qui a fait la
2 guerre pendant quatre années au cours de la Deuxième Guerre mondiale puis
3 même après la guerre, ils ont combattu quelques éléments qui étaient des
4 résidus du système du régime oustachi, et je lui ai dit, écoute, papa,
5 quelle est la situation là-bas ? Et il m'a dit, écoute, c'est vraiment
6 catastrophique. Ça ne va pas bien se finir. Et moi, le lendemain, je dis,
7 écoute Susak, toi tu dis que la situation là-bas est bonne mais moi je peux
8 te dire que c'est le contraire de ce que j'ai appris. Moi, j'ai appris que
9 la situation là-bas était mauvaise. Alors on a répété ça trois fois et moi
10 je lui ai demandé de me laisser partir là-bas pour voir sur place quelles
11 sont les chances de la Croatie par rapport au plan qu'avait l'armée
12 populaire yougoslave et qu'est-ce qui allait se passer si jamais cette
13 ligne allait être percée parce que la situation là-bas n'était pas bonne.
14 A mon retour, on s'est réuni et j'ai rencontré Gojko Susak, j'ai
15 rencontré aussi le président de la république, Franjo Tudjman, et j'ai
16 demandé que l'on permette aux gens originaires de cette terre, et dans le
17 cadre du droit légitime à la défense, de nous permettre, de permettre à ces
18 gens-là d'essayer d'organiser une défense là-bas. Et j'ai demandé aussi que
19 l'on crée en Croatie, pour aider cette terre-là mais aussi pour pouvoir
20 libérer Dubrovnik, quelque chose que l'on appelle ici les fronts du sud. Ce
21 front du sud qui a été créé par l'armée croate, c'était le général Bobetko
22 qui était à la tête de ce front du sud --
23 M. STRINGER : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs
24 les Juges. Je suis désolé de vous interrompre.
25 Nous regardons la ligne 19 qui va bientôt d'ailleurs ne plus être sur
26 la page. Il y a une référence au 20 mars 1993 et je me demande si ce
27 n'était pas plutôt 1992 et s'il n'y a pas eu une erreur dans le compte
28 rendu autour de 1992.
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1 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, non, ce n'était pas une erreur. C'était à
2 peu près le 20 mars 1993. Ah non, excusez-moi, 1992. Oui, vous avez tout à
3 fait raison. C'est une erreur de ma part.
4 Donc ce front du sud devait aider les Croates et les Musulmans qui étaient
5 prêts à se battre contre le Corps d'Uzice, le général Perisic et autres
6 dont on a déjà entendu parler ici. Et moi, j'ai demandé à être envoyé là,
7 sur les territoires que je connaissais le mieux, à savoir l'Herzégovine du
8 sud-est, Capljina, Mostar. Le général Russo qui lui aussi est originaire de
9 cette région est parti à Livno et Trnci alors qu'un autre général aussi, né
10 en Herzégovine, a pris la partie centrale. Et moi, j'ai pris mes fonctions
11 le 10 avril 1992.
12 Quatre jours plus tard, le général Petkovic est arrivé et il a été
13 nommé au poste de chef d'état-major principal et on a commencé à mettre de
14 l'ordre dans cette situation parfaitement chaotique. On a essayé d'arrêter
15 les percées dans la vallée de Neretva et la trahison de Mostar.
16 Et c'est une réponse à la question qui a souvent été posée par M.
17 Antonetti. Parce qu'avant que je n'arrive, le commandant de Mostar Ouest
18 était M. Perak qui, à un moment donné, était le commandant du HVO et avant
19 il était officier de la JNA et un moment donné il a ordonné qu'on évacue
20 les civils et les soldats de Mostar, en fournissant l'explication suivante:
21 la JNA est si puissante que la ville allait être terrassée, écrasée et il
22 voulait se présenter en sauveteur de la ville.
23 Heureusement, les chefs des armées des quartiers - c'étaient des
24 toutes petites unités qui étaient créées dans différents quartiers de la
25 ville - avaient refusé d'exécuter cet ordre puisqu'ils étaient parfaitement
26 choqués par l'ordre donné et ils sont restés à Mostar. M. Perak a perdu
27 sans laisser de trace et où est-ce qu'on le retrouve ? En Serbie,
28 évidemment, où il a fait partie de l'organisation du contre-renseignement
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1 KOS qui a eu beaucoup, beaucoup d'influence sur cette guerre. Il était un
2 des cadres de ce service de contre-renseignement, M. Perak, qui a tout
3 simplement voulu laisser Mostar à l'armée populaire yougoslave, mais
4 évidemment les gars ne les ont pas laissé faire.
5 Mais après un tel événement, les hommes n'ont plus confiance aux
6 militaires. Vous avez une perte totale de confiance. Pendant des mois et
7 des mois, ils ne font confiance qu'aux chefs de groupes, à leurs petits
8 chefs qu'ils ont proclamé commandants eux-mêmes. Donc moi, mon commandement
9 de cette zone ne vient pas du fait que j'avais un grade, non. J'ai pu
10 commander parce que sur le terrain j'ai pu démontrer que je n'avais pas
11 peur, que j'étais prêt à mourir, que j'allais emprunter une route
12 dangereuse pour me rendre à Mostar une dizaine de fois, au risque de perdre
13 ma vie, que j'allais m'exposer aux tirs, et c'est uniquement si j'arrive à
14 survivre que j'ai le droit de commander. Ce n'est pas par nomination que
15 vous devenez commandant dans telles armées, non, c'est par votre
16 comportement. Il faut faire preuve d'un comportement qui va être apprécié.
17 Dans les armées professionnelles organisées, ce n'est pas exactement le
18 cas, mais c'est vrai qu'entre les commandements et la fonction il y a
19 toujours une petite différence. Mais dans les armées des volontaires, et
20 surtout après la trahison de Perak, il faut faire preuve de courage pour
21 être accepté.
22 M. LE JUGE ANTONETTI : Je ne vous pose pas une question sur la JNA qui, par
23 la Neretva, voulait aller à Split en mars 1992. Ça, ça fera partie de mes
24 questions de fond quand je les aborderai à la fin de votre témoignage. Je
25 reviens uniquement sur votre CV, parce que la différence dans la procédure
26 de mon pays et celle d'ici c'est que dans mon pays, quand on juge quelqu'un
27 pour crime contre l'humanité ou crime de guerre, on fait une enquête de
28 personnalité, il y a un psychologue, il y a un psychiatre et on explore
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1 tout son passé familial.
2 Et là, tout à l'heure, vous avez donné un petit détail qui m'a
3 interpellé parce que c'est la première fois que je l'entends et je voudrais
4 que vous apportiez un petit complément avant qu'on fasse la pause. Vous
5 avez dit que votre père avait quelques connaissances dans l'armée et vous
6 avez dit qu'après la Seconde Guerre mondiale ou pendant - mais ça vous
7 allez nous préciser - il avait combattu des membres Oustachi, des
8 extrémistes, des résidus. Voilà, vos termes étaient exactement cela, des
9 résidus du système oustachi. Alors qu'est-ce que votre père a fait au
10 juste, et est-ce que ça a eu une influence sur vous ?
11 LE TÉMOIN : [interprétation] A la fin de la Deuxième Guerre mondiale, et je
12 précise à l'attention des Juges que pour ce procès-ci et on y viendra
13 bientôt, j'ai préparé un résumé, un aperçu historique non pas des réunions
14 de rois, de premiers ministres, et cetera, mais un aperçu des victimes sur
15 le territoire de la Croatie, de la Bosnie-Herzégovine avant la Deuxième
16 Guerre mondiale, pendant et après la Deuxième Guerre mondiale; parce que
17 sans ce cadre-là, il est difficile de comprendre et c'est un cadre des plus
18 important pour ce procès. Je suis allé donc vers une simplification
19 maximum, un abrégé pour les besoins de ce procès ou de ce Tribunal.
20 Voyez-vous quelles ont été les destinés des gens. Mon grand-père, le
21 père de mon père, a été emprisonné du temps du Royaume de Yougoslavie en sa
22 qualité de nationaliste croate. Puis son fils, de par cette filière, a été
23 emprisonné dans Mostar parce qu'il avait diffusé des tractes et tenu des
24 discours contre l'Etat. Puis mon père, par une organisation du Gradise
25 [phon] croate, c'était une organisation de paysans croates de politique,
26 des frères Radic, il a eu l'opportunité d'aller faire de l'artisanat, et
27 pendant la Deuxième Guerre mondiale, il a rejoint les rangs de l'école là-
28 bas; il y a eu des crimes commis parce qu'il avait rejoint les partisans.
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1 Mais il y a eu les tueries des Blidbe [phon].
2 Sur le territoire de la Croatie, de l'Herzégovine et de la Serbie
3 occidentale, il y a eu beaucoup de hors-la-loi. On appelle cela de façon
4 classique de la sorte. Ils s'étaient battus contre les nouveaux
5 communistes, ils avaient tué des fonctionnaires de cet Etat. Et à l'époque,
6 mon père, en sa qualité d'employé de la Sûreté de l'Etat y est resté
7 jusqu'en 1953 dans une espèce de guerre qui se perpétuait à se battre
8 contre ces résidus du régime chetnik en Serbie et du régime oustachi en
9 Croatie.
10 En 1953, on a tué un voïvode chetnik Bjelica à Foca et ça s'est à peu
11 près terminé là-bas, parce que là-bas il avait fait toutes sortes de
12 choses.
13 Et mon père a été mis à la retraite en 1963 par un éminent, un vilain
14 de la politique de l'époque, Aleksandar Rankovic qui l'a révoqué de ses
15 fonctions parce qu'il l'avait trouvé trop Croate comme cadre.
16 Et du point de vue politique, je commence à diverger des opinions de
17 mon père dès mes 17 ans, et bien qu'il ait tout laissé tomber après sa
18 retraite, nous n'avons pas partagé les mêmes convictions politiques. Lui,
19 il était resté un peu dans son âme favorable à la Yougoslavie et moi, ayant
20 lu de plus en plus de choses et ayant appris de plus en plus de choses,
21 j'avais fini par comprendre que cet Etat pouvait bien sûr, sous hypothèse
22 de le rendre démocratique et avec la volonté des peuples, bien qu'il y ait
23 eu des crimes de commis à l'égard des Allemands, des voïvodes, des Croates,
24 des Polonais, des riches, des intellectuels, des non-Hongrois, mais que ça
25 ne pouvait pas, en réalité, survivre. C'était une création serbe dans la
26 réalité qui empêchait les autres peuples de se développer et que nous avons
27 commencé à diverger du point de vue politique.
28 Mais mon père c'était un homme intègre, honnête et qui n'a rien
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1 profité de ce système communiste, et j'ai continué à communiquer avec lui
2 de façon régulière jusqu'à son décès en 1993. Alors que pendant deux ou
3 trois mois il a été dans le coma puisqu'il avait eu une hémorragie
4 cérébrale et il est resté immobilisé.
5 Et j'ai été le plus petit parce que tous les autres dans la famille, les
6 hommes de la famille étaient plus grands que moi, et moi j'étais un peu
7 attardé, c'est la raison pour laquelle j'ai probablement vaqué à des
8 activités artistiques. Et dans toutes ces difficultés, j'ai eu beaucoup de
9 mal à faire en sorte que cet homme énorme mais immobilisé, alité, paralysé,
10 ait quelqu'un pour prendre soin de lui, pour trouver quelqu'un pour le
11 retourner; il commençait à avoir des plaies au niveau du corps et il ne
12 pouvait pas parler, il ne pouvait pas communiquer avec les autres. Maman
13 était toute petite, toute menue, elle ne pouvait pas. Et dans cet effort
14 énorme pour ce qui est d'apporter des explications depuis mes 17 ans
15 jusqu'au début de la guerre, j'ai eu des positions complètement édifié
16 concernant ce qui, à mon avis un homme écrivain, donc faisant de la
17 littérature devait avoir. Alors j'ai cherché à en savoir plus, et il
18 s'entend qu'en Herzégovine il y a eu des gens à qui mon père avait fait du
19 mal dans le cadre de ses fonctions de service, et certaines de ces
20 personnes n'entendaient pas d'une bonne oreille le nom Praljak.
21 Je vais vous raconter une anecdote qui traduit le paradoxe de cet
22 état.
23 Mon père était déjà retraité, il est venu me rendre visite à Zagreb,
24 et nous rencontrons un étudiant avec qui je m'entretenais. Là, je vous
25 demande de comprendre la chose pour voir tout l'absurde de la situation.
26 Après l'entretien avec cet étudiant, mon père me dit : Ne raconte pas
27 toutes ces choses-là devant lui parce qu'il travaille pour nous. Alors cet
28 étudiant travaillait donc pour ce service secret, et ayant fait partie de
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1 ces services secrets, mon père me prévient qu'il ne faut pas raconter telle
2 chose parce que je vais finir en prison. Alors ces systèmes-là sont
3 terriblement compliqués. Cela génère énormément de frustration. Les gens
4 ont du mal à s'y retrouver, et de ce point de vue-là, je peux vous apporter
5 toute sorte d'information parce que je m'en suis occupé pendant bien 30 ou
6 40 ans.
7 M. LE JUGE ANTONETTI : Parce que c'est 6 heures moins 10, on fait une pause
8 de 20 minutes.
9 --- L'audience est suspendue à 17 heures 51.
10 --- L'audience est reprise à 18 heures 12.
11 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. L'audience est reprise.
12 Je crois que le Juge Prandler a une question à poser.
13 M. LE JUGE PRANDLER : [interprétation] Effectivement, Monsieur le
14 Président. Merci. En fait, j'avais une question que je n'avais pas
15 l'intention de poser aujourd'hui car je voulais suivre vos conseils,
16 Monsieur le Président, je voulais attendre le moment des questions posées
17 par les Juges, donc après l'interrogatoire mené par Me Kovacic et par Me
18 Pinter, mais par ailleurs, il y a quelques dernières questions qui ont été
19 posées qui portaient sur un sujet m'intéressant. C'est pour cela que je
20 souhaiterais poser ma question aujourd'hui. Elle est en rapport avec une
21 des déclarations que vous faites dans le mémoire préalable et la
22 déclaration que vous avez faite en début d'audience, avant que vous ne
23 commenciez à déposer, avant la première pause d'aujourd'hui.
24 Je ne trouve plus le texte exact, mais ça revenait à dire ceci, les
25 Croates, pendant des siècles, avez-vous dit, avaient combattu un grand
26 nombre d'ennemis, à commencer par la Hongrie à partir du XIIe siècle.
27 Je voudrais simplement signaler que ceci n'a rien à voir avec une
28 fierté nationale quelconque. C'est simplement pour rappeler les faits de
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1 l'histoire, et je dirais ceci, certes, à partir du XIIe siècle, la Croatie,
2 même si officiellement c'était un royaume croate indépendant, le roi
3 hongrois, à ce moment-là, est devenu et est resté aussi le roi de Croatie.
4 Au cours de ces siècles, si je me souviens bien, si je connais bien
5 l'histoire de nos pays, c'est une espèce de cohabitation qui n'a pas, ma
6 foi, si mal marchée. Bien sûr, il y a eu aussi des frictions, c'est
7 inévitable quand on a ce type de coopération forcée entre des Etats ou
8 royaumes, et puis il y a eu quelques moments un peu négatifs, moins
9 positifs.
10 Mais si je me souviens bien, un de ces mauvais moments est survenu au
11 XIXe siècle, plus exactement en 1848 ou 49. A la demande de la cour de
12 Vienne, pendant la guerre d'indépendance des Hongrois, à ce moment-là, Ban
13 Jelacic, Croate, a quelque part mené la guerre contre les Hongrois et il a
14 été battu le 29 septembre 1848.
15 Si je vous parle de cela, c'est parce que je voudrais revenir sur
16 l'énumération que vous avez faite des événements. Vous avez dit que vous
17 aviez combattu les Hongrois, les Autrichiens, Venise et d'autres alliances,
18 par exemple, Napoléon aussi lorsqu'il a été dans une partie de la Croatie.
19 Et pour parler de l'histoire moderne du XXe siècle, vous n'avez pas
20 mentionné de notre - j'insiste sur le notre - de notre histoire de l'Europe
21 centrale et orientale. Vous n'avez pas parlé de la guerre entre 1940 et
22 1945, vous n'avez pas dit qu'alors il s'est passé certaines choses, et
23 j'aimerais savoir ce que vous pensez, et c'est là l'objectif principal que
24 je vise en posant cette question. Ce que vous pensez de ce moment-là de
25 notre histoire, de votre histoire, de la mienne aussi, parce
26 qu'effectivement, il y a eu des ennemis, ceux qui ont combattu ces ennemis,
27 et vous parlez aussi de l'époque qui a vu la participation de votre père,
28 et c'est ça qui m'a poussé à vous poser cette question-ci : votre mère,
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1 votre père, étaient-ils des partisans ? Pourriez-vous dire que cette
2 partie-là de votre histoire -- enfin de l'histoire de la Croatie, c'était
3 une partie importante aussi lorsque les partisans ont combattu ceux qui
4 s'appelaient eux-mêmes les Oustachi, le gouvernement d'Ante Pavelic, donc
5 c'est là vraiment le cœur même de ma question. Quels sont vos sentiments,
6 comment appréciez-vous cette période-là de l'histoire de votre pays comme
7 du mien ?
8 LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Juge Prandler, en termes simples,
9 j'ai voulu être bref et j'ai parcouru brièvement et rapidement cette
10 histoire pour dire qui est-ce qui a régné sur la Croatie, bien qu'à partir
11 de 1102, par la volonté des grands propriétaires croates, s'était placée
12 sous l'autorité de la couronne du roi hongrois Koloman, et depuis là, nous
13 avions créé un royaume à deux parties, et l'assemblée du Parlement croate
14 avait certains droits inhérents à l'Etat, mais l'histoire des relations
15 croato-hongroises se divise en deux parties importantes. L'une des parties
16 c'est lorsque l'un et l'autre Etat ont été mis en péril par l'Empire
17 ottoman, à savoir que les relations militaires, sociales, économiques
18 étaient conjointes, communes. Et la deuxième partie de cette histoire date
19 de 1848, la révolution hongroise qui a été étouffée par Ban Jelatic, le ban
20 croate, et depuis lors les relations ont été différentes. Et il y a eu
21 création de tangentes croato-hongroises, il y a eu partage des richesses.
22 Je ne sais pas si vous le savez, Monsieur le Juge Prandler, mais il y
23 a eu à l'époque beaucoup de tentatives très strictes de domination
24 hongroise en Croatie avec introduction de la langue hongroise dans les
25 écoles croates. Il y a eu soulèvement des citoyens hongrois. Il y a même eu
26 des morts. Et on a voulu introduire la langue hongroise dans les chemins de
27 fer. Il ne fallait pas mettre un autre nom du tout, et les Hongrois avaient
28 une partie de leur territoire de l'Etat à Rijeka. C'était un lambeau de
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1 territoire qui n'était pas sous autorité croate mais sous autorité
2 hongroise, sous l'autorité de la couronne hongroise directement.
3 Et de ce point de vue-là, depuis donc 1848 ou quelques années avant,
4 lorsqu'il n'y a plus eu de danger du côté de l'Empire ottoman, jusqu'à la
5 Première Guerre mondiale, les relations avec les Hongrois -- enfin quand je
6 dis Hongrois, avec l'Etat hongrois de l'époque pas avec les Hongrois en
7 tant que gens, les relations étaient plutôt tendues. La Hongrie s'était
8 emparée d'une partie du territoire de Medjumurje qui appartient de nos
9 jours à la République de Croatie. Après la Première Guerre mondiale, il y a
10 eu pour ce qui est de ce territoire des combats. Et comme à l'époque la
11 Hongrie et la Croatie se trouvaient du côté perdant, puisqu'ils faisaient
12 partie des forces de la coalition, le problème a été tranché avec l'arrivée
13 de l'armée serbe victorieuse qui était du côté des Britanniques, des
14 Français, enfin des forces alliées, et donc ils ont tranché ce problème de
15 la Croatie et des relations avec les Hongrois en plaçant ce territoire sous
16 leur autorité.
17 Pour ce qui est maintenant -- enfin, j'ai préparé moi cet aperçu
18 historique plutôt bref à l'intention des Juges pour ce qui est de parler
19 des relations qui ont évolué au fil de l'histoire. Mais bien sûr Napoléon
20 est allé gouverner la Croatie jusqu'à Zagreb, le long de la Save et il est
21 descendu jusqu'à -- enfin c'est lui qui a fait qu'il y a eu une perte de
22 l'autonomie de la République de Racuz, la République de Dubrovnik. Le
23 général Marmon [phon] a fait entrer ses troupes et cette république a cessé
24 d'exister. Et sur les îles aussi du littoral croate il y a eu des batailles
25 navales entre les Français et les Russes pour ce qui est par exemple du
26 contrôle de l'île de Hrva.
27 Donc la destinée croate a été plutôt pénible. Il y a eu échec de
28 Napoléon, cela est repris non pas par la Hongrie mais par l'Autriche, mais
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1 qui s'est géré de la même façon, il y a introduction de la langue
2 allemande, il y a insurrection contre l'allemand, soulèvement, et il y a eu
3 une déclaration célèbre de la part des Croates qui disait : "Un royaume ne
4 prescrit pas des règles à un autre royaume." Il y avait aussi une autorité
5 tribale qui était en place et qui visait à rendre la domination toujours
6 plus grande. J'en parlerai plus longuement lorsque je présenterai un livre
7 présenté rapidement à votre intention.
8 Et pour ce qui est de la Deuxième Guerre mondiale, Monsieur le Juge
9 Antonetti, les choses sont tout à fait claires. La Croatie à cette époque
10 s'était divisée en deux parties. Une grande partie des Croates a rejoint
11 les rangs des partisans, notamment la Dalmatie, l'Istrie, parce que
12 l'Istrie avait été occupée en 1922 par les fascistes déjà, ils s'étaient
13 battus déjà à l'époque contre la Croatie centrale aussi.
14 A l'époque, le gros de ce mouvement partisan était venu de Croatie.
15 Le premier groupe d'insurgés dans l'Allemagne occupé par les Nazis, cela a
16 été créé à côté de Sisak en Croatie. Et ce groupe a été constitué d'une
17 quinzaine d'hommes qui a commencé à se battre l'arme au point. Et parmi eux
18 il y avait ce général Bobetko dont on a longuement parlé qui était un
19 partisan des tout débuts. Et il y a cette autre partie de la Croatie
20 bousculée, je ne l'ai pas trop expliqué, mais bousculée par des
21 persécutions très importantes de la part du Royaume de Yougoslavie, qui a
22 rejoint les forces de l'Allemagne nazie et il y a eu création de ce qu'il a
23 été convenu d'appeler la République indépendante de Croatie, à la tête de
24 laquelle il y avait Ante Pavelic. Les Oustachi ont commis des crimes
25 d'envergure, notamment dans deux camps de concentration à Gradiska et
26 Jasenovac, qui sont des centres commémoratifs de nos jours où chaque année
27 il y a commémoration des victimes. Donc depuis la création de cette Croatie
28 moderne, il y a toujours le président de la République croate qui est
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1 présent, voire le premier ministre, et dernièrement c'est aussi d'éminents
2 représentants du clergé catholique qui s'y rendent aussi. C'est une plaie
3 douloureuse au niveau de la Croatie pour deux raisons.
4 En effet, de mon opinion et d'après les connaissances qui sont les
5 miennes, il y a en Croatie deux périodes. L'une court jusqu'au 9 mai 1945,
6 date à laquelle les partisans, à savoir les combattants antifascistes se
7 sont battus contre les effectifs, les armées nazies et fascistes. Mais à
8 partir de 1943, notamment lorsque l'Italie a capitulé dans ce mouvement des
9 partisans, dans cette lutte antifasciste, tous les postes-clés ont commencé
10 à être pris par les communistes.
11 Et à la fin de la guerre, c'est l'idéologie communiste qui l'emporte.
12 Ils ont faussé des élections prétendument démocratiques et il y a eu
13 commission de crimes jamais vus jusque-là que je présenterai, dont je
14 parlerai dans le livre que j'ai évoqué tout à l'heure avec les données
15 précises.
16 Après ce mois de septembre 1945, rien qu'au carrefour à Dragobrat, en
17 Slovénie et dans d'autres endroits, ils ont tué au moins 150 000 citoyens
18 croates et soldats croates qui se repliaient en direction de l'Autriche.
19 Une bonne partie de ces soldats s'étaient rendus au général Alexander,
20 Anglais, et eux ils ont refusé leur reddition parce que Tito leur avait
21 assuré que ces gens-là allaient être traités de façon civilisée.
22 Jusqu'à ce jour, on a découvert plus de 800 charniers et en Croatie plus de
23 je ne sais combien, 900, qui ont été des gens exécutés par les autorités
24 communistes, et c'était notamment des gens de la population croate, parce
25 que ces gens-là se repliaient en compagnie de ces soldats de l'Etat
26 indépendant croate. Et les autres qui ont été capturés ont été emmenés sur
27 les routes jusqu'à la Macédoine et ils mourraient de faim et on appelait
28 cela le chemin de la croix, ce parcours qu'ils ont effectué.
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1 Alors pendant cette Deuxième Guerre mondiale, il y avait les forces nazies,
2 et il y avait de l'autre côté, de mon avis et d'après les faits, il y avait
3 non pas une coalition antifasciste, il y avait une coalition
4 antihitlérienne. Et cette coalition se partageait en coalition antifasciste
5 des Etats démocratiques avec les Etats-Unis d'Amérique, l'Angleterre, les
6 forces françaises du général de Gaulle et autres. Ce que faisaient les
7 troupes russes et ce que faisaient les troupes de partisans à la fin de la
8 Deuxième Guerre mondiale ce n'était pas antifasciste comme coalition mais
9 antihitlérien. Et ces armées-là communistes de 1945 et au-delà et les
10 Russes depuis cette forêt de Katyn où on a tué plein d'Ukrainiens, de
11 Tchétchène, et cetera, se trouvaient au niveau de ce que faisaient les
12 armées nazies. Le fait qu'ils se soient battus contre Hitler ne signifie
13 pas qu'ils étaient antinazis, parce qu'il y a 100 millions de victimes, et
14 j'ai préparé un livre d'auteurs français, "Victimes du communisme", 100
15 millions de victimes ont été générées par le communisme. Vous allez voir
16 des tableaux précis à cet effet.
17 Et je ne suis pas d'accord pour ce qui est de dire qu'après ce 9 mai
18 1945, il y ait eu à l'œuvre en Yougoslavie une autorité antifasciste.
19 C'était une autorité communiste, et là, je vous présenterais à cet effet
20 toutes les données nécessaires pour dire qu'il y a près d'un demi million
21 de Volksdeutschser, c'est-à-dire des ressortissants du groupe ethnique
22 allemand, c'étaient des citoyens de la Vojvodine, et on a expulsé 15 000
23 Polonais qui s'y trouvaient. On a tué des milliers de ceux qu'on appelait
24 les Kulaks, les exploitants. Donc c'était une dictature classique.
25 Je ne sais pas si vous allez partager mon opinion, mais je ne vais
26 sûrement pas modifier ou changer des opinions à moi. Je vous affirme
27 qu'après la guerre en Yougoslavie, la guerre ne s'est pas arrêtée depuis
28 1918, et c'était une guerre de faible intensité qui s'est poursuivie et des
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1 dizaines de milliers de personnes ont connues un chemin de la croix, et je
2 vous dirais combien de gens la police secrète de la Yougoslavie a tués au
3 fil de ces années, combien de prêtres ont été tués.
4 La Croatie se trouve encore divisée, et c'est le problème
5 que nous avons rencontré lorsque nous avons créé notre Etat. Et notamment
6 il y a eu un problème très marqué pour ce qui est de l'Herzégovine parce
7 qu'un grand nombre de ses paysans pauvres qui cultivaient le tabac,
8 notamment, sans savoir où ils allaient, sont allés dans l'armée d'Ante
9 Pavelic, ils ont voulu se retirer à la fin de guerre et bon nombre d'entre
10 eux ont été tués, exécutés. Alors que d'autres Etats après la Deuxième
11 Guerre mondiale ont ouvert les livres, les registres pour enterrer de façon
12 digne les innocents et en partie châtier les coupables.
13 En Yougoslavie, tout fait de mentionner Blajburg était
14 strictement interdit, il était passible d'une peine d'emprisonnement. Ce
15 n'est qu'à 21 ans que j'ai eu vent de Blajburg et j'ai été stupéfait par
16 les éléments de faits qu'on m'a communiqués. Pour ce qui est donc de ces
17 renseignements, c'est effroyable.
18 Dans mes livres, j'ai des ouvrages d'auteurs slaves, et si les Juges
19 veulent bien se pencher dessus, ou du moins sur les photos de ces terribles
20 crimes et de ces ossements que l'on a découverts il y a un mois ou une
21 semaine. Et il y a en Slovénie dans une mine où on a trouvé 13 000
22 personnes qui ont été jetées vivantes dans une mine. Rien que dans une
23 mine, ils ont été ensevelis par des tranchées de chars. Et c'est des cas
24 sans précédent. Ces gens qui ont perdu leurs proches ont vécu pendant 45
25 ans sans oser demander comment ils ont été tués, où est-ce qu'ils ont été
26 tués, et où est-ce qu'on les a enterrés. Cela a généré de terribles
27 frustrations parmi ces gens-là. Et bien entendu cela a donné naissance à
28 des comportements extrémistes parce que cette haine se perpétue notamment
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1 lorsqu'on ne peut pas la manifester.
2 Ce sont des questions que j'ai étudiées depuis longtemps, et je ne
3 peux pas changer d'opinion à ce sujet. Indépendamment de ce qui s'est passé
4 entre 1941 et 1945, c'était un combat honnête contre les Nazis. Et le 9 mai
5 1945, les communistes sont devenus pour ce qui est de la Yougoslavie la
6 même chose, pour ce qui est des crimes commis, crimes de toutes sortes par
7 la commune forme, et c'est là une organisation qui a généré beaucoup de
8 mal.
9 Vous allez vous rappeler, Monsieur le Juge Prandler, du fait que pour
10 ce qui est des petits peuples lorsque le ban Jelacic a étouffé en partie
11 cette révolution à Hongrie. Karl Mark, ce grand penseur du marxisme, a
12 déclaré que les Croates et les Slovaques et autres étaient des peuples non
13 historiques et qu'il fallait les biffer de l'histoire ou de l'image
14 historique de la région. Je peux vous apporter un livre qui illustre le
15 fait qu'il en est ainsi.
16 Il y a notamment le Dr Franjo Tudjman qui, en sa qualité d'historien,
17 a parlé "Des grandes idées et des petits peuples" pour illustrer ces
18 grandes idées et ces grandes décisions politiques au niveau mondial qui se
19 sont faites au détriment des petits peuples. Et je crois que vous devez
20 forcément le savoir, comment la Hongrie a perdu certaines parties de ces
21 territoires, comment deux millions de Hongrois sont restés en Roumanie sans
22 pouvoir regagner la communauté d'Etat à laquelle ils avaient appartenu
23 jusque-là.
24 Alors si je peux compléter, dites-le, je le ferai.
25 M. LE JUGE PRANDLER : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur Praljak.
26 Mais en ce qui concerne le paragraphe que j'avais cité, je ne
27 voudrais pas rentrer dans les détails de votre réponse, parce que nous ne
28 sommes pas ici bien sûr pour rentrer dans les détails de l'histoire de la
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1 Hongrie et de la Croatie et du monde d'ailleurs. Mais je voudrais juste --
2 lorsque vous parlez de l'intrusion ottomane, de Venise, de l'intrusion de
3 Venise et de l'Italie, de l'Autriche, de la Hongrie, lorsque vous parlez
4 ensuite de la Serbie, puis de la Yougoslavie, du Royaume de Yougoslavie
5 ensuite, et puis de l'organisation communiste de Tito, bon, vous énumérez
6 tous ces faits de l'histoire, certes, et je suis d'accord avec vous si vous
7 convenez avec moi que la période entre 1940 et 1945 doit aussi être ajoutée
8 car elle fait aussi partie de votre histoire. Je ne sais pas si vous voulez
9 appeler ça votre histoire antifasciste, votre histoire où vous avez lutté
10 contre le pouvoir nazi ou italien, moi, je pense dire que ce sont des
11 luttes qui doivent être au compte rendu de toute façon.
12 LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Juge Prandler, ce 9 mai 1945, il
13 s'agissait de forces antifascistes. Je l'ai dit très clairement. Le
14 mouvement des partisans jusqu'à ce 9 mai 1945 représentait des forces
15 antifascistes et a permis à la Croatie par l'intermédiaire de l'AVNOJ et du
16 ZAVNOJ [phon] de se replacer dans le camp des vainqueurs. Le mouvement
17 oustachi d'Ante Pavelic n'était pas cela. Ce mouvement, cette création de
18 Pavelic était du côté de l'Allemagne nazie, disposait de lois raciales qui
19 ont été appliquées dans deux camps où ont été tuées environ 80 000
20 personnes.
21 Ma réponse est très claire.
22 M. LE JUGE ANTONETTI : Maître Kovacic.
23 M. KOVACIC : [interprétation] Monsieur le Juge, avant de continuer, juste
24 aux fins du compte rendu d'audience, je voudrais corriger deux erreurs qui
25 se sont glissées avant l'interruption.
26 Je vous prie de bien vouloir suivre, Général Praljak, pour pouvoir
27 éventuellement confirmer, mais en page 64, ligne 8, est consigné la chose
28 suivante, je cite :
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1 "…et j'y suis allé deux ou trois fois ainsi, ensuite on m'a demandé
2 d'aller là-bas afin de voir sur place…"
3 Et cetera.
4 Et en croate le témoin a dit que c'est lui qui a demandé à se rendre
5 sur place. On ne lui a pas demandé de se rendre sur place.
6 Q. Est-ce exact ?
7 R. Oui, exact, c'est moi qui en ai fait la demande, je l'ai exigé même, je
8 l'ai demandé.
9 Q. Très bien. Et dans cette même partie, page 65, ligne 5, nous avons en
10 anglais, je cite, il est consigné :
11 "…et le général Perisic et le Corps d'Uzice, nous avons tout entendu à ce
12 sujet, et j'ai été envoyé dans cette zone, que je connais le mieux, la zone
13 de l'Herzégovine du sud-est."
14 Mais le général Praljak, en B/C/S, a dit, je cite : "Mais moi aussi,
15 j'ai demandé à me rendre en Herzégovine du sud-est."
16 Est-ce exact ?
17 R. Oui. C'est moi qui ai demandé à aller en Herzégovine du sud-est.
18 Q. Oui. Donc, au compte rendu d'audience, nous avons "le Corps oustachi,"
19 et en fait, c'est le Corps d'Uzice.
20 R. Excusez-moi, je dois encore répondre très brièvement à M. le Président,
21 qui m'a demandé la chose suivante au sujet d'expertises psychologiques et
22 psychiatriques : est-ce qu'il serait nécessaire de procéder à ce type
23 d'expertise pour ces personnes ? Et, Monsieur le Président, je m'y
24 attendais. Je pense que la procédure devrait être organisée différemment,
25 car ce sont les actes à un moment donné qui permettent de révéler la valeur
26 et la dignité morale d'une personne donnée. C'est pourquoi il y a eu tant
27 de témoins et de déclarations de témoins que je présente, témoins d'avant
28 la guerre, à Sunja et après cela.
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1 Sans entrer dans de grands débats, j'ai demandé à ces personnes de
2 décrire l'état des faits se rapportant à un événement donné et le
3 comportement qui avait été le mien dans ce cadre, et c'est même avant la
4 guerre, déjà, lorsque Kemo Music, qui est Musulman, et Alez Majetic [phon],
5 qui sont deux hommes de lettres croates et que j'ai eu l'occasion de les
6 rencontrer lors du festival de cinéma de Pula, on m'a demandé si je
7 sauterais dans la mer alors qu'il y avait une tempête et des vagues de cinq
8 mètres de haut, si je sauterais, donc, à l'eau pour sauver un homme et,
9 bien sûr, la réponse était affirmative. Ou alors, en d'autres occasions ou
10 un imbécile s'était permis de maltraiter une femme de ménage en renversant
11 la poubelle qu'elle avait remplie. C'est de nombreux exemples de ce type-là
12 au moyen desquels je souhaite montrer comment Slobodan Praljak s'est
13 comporté dans telle et telle occasion avant la guerre, pendant la guerre et
14 jusqu'à la fin, et je maintiens chacun de ces faits, et je suis disposé,
15 évidemment, à me mettre à disposition pour quelque forme d'enquête que ce
16 soit, de nature psychologique ou psychiatrique.
17 Q. Monsieur Praljak, je voudrais revenir à l'ordre avec lequel nous avons
18 commencé plus tôt. Je voudrais que vous nous parliez en quelques mots du
19 système de communication téléphonique en Bosnie-Herzégovine.
20 R. Au printemps 1992, l'artillerie de la JNA a détruit la poste de Mostar.
21 Le central téléphonique, lui aussi, a été détruit en même temps. La JNA
22 avait déjà placé des explosifs précédemment, au moyen desquels elle a
23 procédé à la destruction de tous les ponts sur la rivière Neretva, aussi
24 bien au nord qu'au sud de Mostar, et à Mostar même, à l'exception du vieux
25 pont, qui n'avait été que détruit. En même temps que les ponts, toutes les
26 installations communales qui couraient sous ces ponts ont été détruites. La
27 République de Croatie offre un petit central téléphonique permettant de
28 desservir une centaine de numéros, offre également des câbles coaxiaux
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1 couvrant la longueur de Mostar à Siroki Brijeg, et permet le transport du
2 signal par l'intermédiaire de son répétiteur signé à Bijekovo [phon] à
3 destination de Split pour les communications internationales. Cette
4 centaine de numéros disponibles ont été répartis selon les besoins, à la
5 fois aux Croates et aux Musulmans, au SDA également et à l'ABiH, aussi bien
6 à des individus qu'à des organisations. Et c'est également par
7 l'intermédiaire de cet unique lien par l'intermédiaire de Split que Tuzla,
8 Zenica, Travnik et Bugujno disposaient de communication, ainsi que toutes
9 les autres personnes se trouvant dans la partie non-occupée de la Bosnie-
10 Herzégovine qui pouvaient trouver une hauteur, une montagne ou quelque
11 répéteur que ce soit, à partir duquel il était possible d'établir une
12 communication hertzienne avec Split. Il est impossible de montrer la
13 moindre facture qui prouverait que qui que ce soit ait payé la moindre kuna
14 au poste des télécommunications croates pour ces services de
15 télécommunications-là. Or, l'Accusation affirme que tout cela a été fait
16 dans le but que la Banovine, au moyen de ce numéro 021 pour Split, soit
17 annexée à la Croatie. Selon cette même logique, Zenica, Tuzla, Visoko et
18 tout cela feraient partie également de la Banovina.
19 Q. Merci. Alors, je voudrais passer à la suite.
20 Quelle était la situation de l'approvisionnement en électricité en 1992 et
21 1993 en Bosnie-Herzégovine ?
22 R. En 1992, la JNA et la VRS ont détruit l'installation électrique de
23 Rastani et de Kula ainsi que la mine. En détruisant les lignes à haute
24 tension de 400 kilovolts, 220 kilovolts, 110 kilovolts, et 36 kilovolts
25 ainsi que les transformateurs permettant l'acheminement de l'électricité à
26 destination de Mostar, Jablanica, Konjic, Stolac, Capljina, Citluk, Siroki
27 Brijeg, et c'est par de grands efforts couronnés de succès de la HZ HB et
28 du HVO, et je pense ici à la branche militaire, conjointement avec toute
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1 l'aide qui pouvait être apportée par la République de Croatie, que l'on a
2 partiellement réparé ces dommages. Sans l'aide de la République de Croatie,
3 cela était tout simplement impossible. C'est avec les difficultés que l'on
4 imagine que le système d'approvisionnement en électricité a pu continuer à
5 fonctionner en étant branché sur celui de la République de Croatie, et ce,
6 non seulement sur le territoire couvert par Elektroprivreda, entreprise de
7 la HZ HB, mais également sur les zones de toutes les Elektroprivreda de la
8 Bosnie-Herzégovine qui n'étaient pas occupées par la JNA ou la VRS.
9 Et c'est conformément aux instructions reçues de France et grâce au savoir-
10 faire des ingénieurs et au courage des combattants du HVO à l'été 1992 que
11 l'on a réussi à arrêter l'usine Alumini [phon] à Mostar. Il s'agissait de
12 fours électriques. La perte qui a ainsi été empêchée avoisinait le milliard
13 d'euros. Ce que je veux dire, c'est que si ces fours électriques n'avaient
14 pas été éteints conformément à la procédure, il aurait fallu investir plus
15 de moyens pour que tout cela soit correctement détruit et traité qu'il n'en
16 est nécessaire pour construire ailleurs une nouvelle usine. C'est pour ça
17 que nous avons ici un montant si important.
18 Or, je répète que c'est de par cette trahison des Musulmans dans les rangs
19 du HVO, conjointement avec l'attaque de l'ABiH sur le HVO à Mostar et dans
20 la vallée de la Neretva, que nous voyons à ce moment-là la partie musulmane
21 prendre possession de toutes les centrales électriques sur la Neretva.
22 C'est en 1993, pendant l'été. La HZ HB ne recevait de courant électrique
23 qu'en provenance d'une petite centrale électrique réversible se trouvant au
24 sud de Capljina, et elle en recevait également en provenance de la
25 République de Croatie.
26 Messieurs les Juges, cette centrale électrique réversible est une
27 installation qui produit de l'électricité pendant le jour par génération
28 hydroélectrique, et le soir, lorsque la consommation est moindre, on
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1 procède au pompage de l'eau vers l'amont afin que de nouveau on puisse
2 produire le jour suivant de l'électricité --
3 XXX FIN DE TAKE NO.069 page 87 XXX
4 XXX Emma - TAKE NO.070 page 88 XXX
5 -- et c'est pourquoi on l'appelle réversible.
6 Subsiste la question de savoir pourquoi la partie est de Mostar ne
7 dispose pas de courant. C'est parce que nous avons affaire ici à une
8 question de nature technique et financière qui est donc complexe. Mais une
9 chose est certaine, à savoir que le HVO ni dans sa branche civile ni dans
10 sa branche militaire n'a rien à voir avec le fait qu'à ce moment-là il n'y
11 a pas de courant électrique à Mostar Est, absolument aucun rapport. Si bien
12 qu'il faudrait tout simplement savoir ici qui a coupé le courant à Mostar
13 Est et quand exactement, à quels endroits exactement, à partir de quelle
14 centrale électrique, quel transformateur que nous ne possédons pas, par
15 l'intermédiaire de quelle ligne à haute tension qui n'était pas non plus
16 sous notre contrôle, et cetera.
17 Je voulais dire simplement la chose suivante : le droit de la guerre qui
18 s'applique, que j'ai lu aussi bien avant la guerre qu'après afin que je
19 puisse adopter le comportement idoine là où j'aurais eu des doutes, il dit
20 la chose suivante, que dans un affrontement armé, on peut détruire
21 l'approvisionnement en électricité de la partie adverse. Il est permis de
22 rendre inopérants ses centrales électriques et ses lignes à haute tension,
23 et dans certaines conditions également ses barrages et ses digues. Cinq
24 ouvrages de droit international de la guerre vont dans ce sens --
25 M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Vous êtes ici un témoin, vous êtes
26 ici pour nous parler des faits, et maintenant vous êtes en train de nous
27 présenter des arguments, vous êtes en train de nous parler de la loi, et
28 cetera. C'est à votre conseil de faire cela en revanche, ce n'est pas à
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1 vous.
2 LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Juge Trechsel, la décision finale
3 vous appartient, bien sûr. Mais quand je parle des faits, je parle aussi
4 des choses telles que je les vois, telles que je les comprends. Moi j'ai
5 étudié cela et je vous en parle. Moi, en tant que général du HVO, en 1993,
6 j'ai donné l'ordre de détruire une vanne au niveau d'un lac d'une centrale
7 électrique de Mostar, parce que l'ABiH avait fermé cette centrale
8 électrique. Il y a eu l'inondation du champ qui était au dessus et il
9 existait la menace que toute la région au sud de Mostar allait être inondée
10 si jamais on ouvrait d'autres vannes simultanément. Donc j'ai été obligé de
11 donner cet ordre après avoir étudié le texte pertinent. J'ajoute donc
12 qu'incidemment je connais ce texte, je vous parle de cela et ce que je
13 sais, eh bien, c'est un fait aussi qui fait partie de mes connaissances des
14 faits que je vous expose.
15 M. KOVACIC : [interprétation]
16 Q. Je pense que nous avons recueilli toutes les informations importantes
17 au sujet de l'électricité, qu'il s'agisse de vos connaissances en matière
18 d'électricité ou bien en matière de droit de guerre, ce qui est permis et
19 ce qui n'est pas permis. Maintenant je voudrais vous poser quelques
20 questions au sujet des médias, sur les informations auxquelles on pouvait
21 avoir accès par le biais des médias, la télévision, journaux, et cetera.
22 R. Sarajevo a fait l'objet d'une attaque en été 1992. Cette ville a été
23 encerclée, pilonnée et détruite par l'armée populaire yougoslave et l'armée
24 de la Republika Srpska. Le bâtiment de PTT de Sarajevo a été détruit, le
25 bâtiment de la radio et de télévision de Sarajevo a été endommagé. Il n'y
26 avait pas d'électricité et les répétiteurs qui se trouvaient sur les
27 collines aux alentours étaient entre les mains de la VRS. Tous les câbles
28 qui mènent vers Sarajevo ne fonctionnaient pas pour différentes raisons
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1 militaires et techniques, donc les câbles n'arrivent pas jusqu'à Sarajevo
2 et de toute façon même quand cela fonctionne, il faut une maintenance
3 technique assez fréquente. Donc le répétiteur principal qui se trouvait à
4 Velez au-dessus de Mostar, qui couvrait les territoires de l'Herzégovine a
5 été détruit par la JNA et la VRS pendant l'été 1992.
6 A l'extérieur de Sarajevo, on pouvait capter les ondes de la radio Sarajevo
7 en partie, sur les ondes moyennes et longues, parce que les ondes courtes
8 étaient plus difficiles à capter, parce que son passage est plus facilement
9 empêché par les obstacles naturels, et donc ce sont des radios amateurs qui
10 communiquent. Donc les gens à Mostar qu'est-ce qu'ils regardaient, ils
11 regardaient le HTV, donc la télévision croate en passant par les répéteurs
12 qui se trouvaient à Biokovo, au-dessus de Makarska. Ils écoutaient la radio
13 Split, Zagreb.
14 Mais là, il s'agissait d'un choix. Ce n'était pas quelque chose qui leur
15 avait été imposé. Il en allait de même pour les journaux imprimés en
16 République de Croatie. Il en allait de même pour des journaux étrangers,
17 allemands, français, et cetera, ce que l'on pouvait trouver. En ce qui
18 concerne les satellites, on pouvait capter et regarder aussi bien la BBC
19 que le canal 5, ZDF, WDR, CNN, Rai Uno, et cetera.
20 Donc aujourd'hui, il est pratiquement impossible de faire un blocus
21 d'information. Dans Mostar Est, vous aviez depuis l'automne 1992 la radio
22 Mostar qui émettait sans interruption, et d'ailleurs le HVO n'a jamais
23 considéré que cette station était un objectif militaire. Moi, pendant que
24 j'ai été commandant, je n'ai jamais permis que cette radio soit considérée
25 comme un objectif militaire contrairement à ce qu'ont considéré les forces
26 de l'OTAN quand ils ont attaqué la Serbie et quand ils ont visé la radio et
27 télévision serbe.
28 Et pour ne pas irriter M. le Juge Trechsel, je peux dire que dans le
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1 droit international de la guerre, ces installations représentent les cibles
2 militaires légitimes.
3 M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Excusez-moi, mais je ne veux
4 pas laisser cela au compte rendu, ce n'est pas possible. Je ne suis
5 absolument pas embarrassé, en colère ou quoi que ce soit, je n'ai pas de
6 sentiment vis-à-vis de tout cela. Mais c'est à la Chambre de s'assurer que
7 la procédure suit les Règlements. Nous sommes ici pour parler des faits,
8 mais nous ne sommes pas ici et vous n'êtes pas ici pour nous donner votre
9 opinion juridique. Vous avez étudié un grand nombre de sujets, Monsieur
10 Praljak, mais il ne me semble pas que vous ayez étudié le droit. Je ne me
11 rappelle pas en tout cas que vous nous l'ayez dit. Je comprends bien que
12 vous êtes un expert en de nombreux sujets, mais vous n'êtes pas expert en
13 droit, donc c'est à votre conseil de s'en occuper. C'est dans votre
14 intérêt.
15 LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Juge Trechsel, vous avez
16 tout à fait raison. Je n'avais pas de mauvaise intention. Vous savez, il
17 faudrait peut-être me permettre un petit de licence poétique, parce que je
18 suis au fond un artiste et j'ai égaré mes réflexes. Je ne suis pas là pour
19 évaluer vraiment la loi, ce n'est pas cela que je souhaite faire mais,
20 Monsieur le Juge, il est impossible de dire que je n'ai jamais lu ce texte,
21 parce que la déontologie m'intéressait, l'éthique m'a toujours intéressé et
22 je me suis penché là-dessus, je n'ai pas vraiment étudié la loi, mais c'est
23 plutôt dans un optique humaniste que j'ai pu étudier des textes de loi.
24 Donc permettez-moi quelque licence et vous m'arrêtez.
25 M. LE JUGE ANTONETTI : Il est 19 heures, comme vous le savez nous
26 sommes d'audience d'après-midi cette semaine. Donc nous nous retrouverons à
27 14 heures 15, demain mardi.
28 Je vous souhaite à tous une bonne soirée.
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1 --- L'audience est levée à 19 heures 00 et reprendra le mardi 5 mai
2 2009, à 14 heures 15.
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