Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le lundi 5 octobre 2009

  2   [Audience publique]

  3   [Les accusés sont introduits dans le prétoire]

  4   [L'accusé Coric est absent]

  5   --- L'audience est ouverte à 14 heures 22.

  6   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Greffier, appelez le numéro de

  7   l'affaire, s'il vous plaît.

  8   M. LE GREFFIER : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs

  9   les Juges. Je vous remercie.

 10   Il s'agit de l'affaire IT-04-74-T, le Procureur contre Prlic et

 11   consorts.

 12   M. LE JUGE ANTONETTI : En ce lundi, je salue MM. les accusés, Mmes et MM.

 13   les avocats, M. le Procureur et toutes les personnes qui nous assistent.

 14   Monsieur le Greffier, si vous avez quelques numéros IC à nous donner, je

 15   vous donne la parole.

 16   M. LE GREFFIER : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.

 17   En effet, nous avons quelques numéros IC demandés par les parties.

 18   Certaines parties ont présenté des listes de documents à être versés

 19   par le biais du témoin Tokic. Les numéros IC sont les  suivants : la liste

 20   présentée par 3D recevra la cote IC 1066; la liste de 4D recevra la cote IC

 21   1067; la liste présentée par 2D recevra la cote IC 1068; et la liste

 22   présentée par le bureau du Procureur recevra la cote IC 1069. Et nous avons

 23   aussi un document présenté par la Défense Praljak, il s'agit de la réplique

 24   de la Défense Praljak à l'objection de l'Accusation portant sur les

 25   documents versés par le biais de Slobodan Praljak et ce dernier document

 26   sera la cote IC 1070.

 27   M. LE JUGE ANTONETTI : Merci, Monsieur le Greffier.

 28   La Défense Praljak nous a envoyé son nouveau planning d'où il apparaît

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  1   qu'ils ont retiré le témoin Vlado Zeric [phon] qui ne viendra pas. Ce qui

  2   fait que dans la semaine du 12 octobre, nous n'aurons que le témoin Bragan

  3   Krsic [phon].

  4   J'au cru comprendre que Me Alaburic avait quelques mots à nous dire.

  5   M. STEWART : [interprétation] Non, c'était moi qui devais prendre la

  6   parole, mais en fait le point n'est pas soulevé, donc nous n'avons pas

  7   besoin de prendre du temps si précieux de la Chambre.

  8   M. LE JUGE ANTONETTI : On va faire venir le témoin.

  9   Monsieur l'Huissier, introduisez le témoin.

 10   [Le témoin est introduit dans le prétoire]

 11   M. LE JUGE ANTONETTI : Bonjour, Monsieur.

 12   LE TÉMOIN : [aucune interprétation]

 13   M. LE JUGE ANTONETTI : Pouvez-vous me donner votre nom, prénom et date de

 14   naissance, s'il vous plaît.

 15   LE TÉMOIN : [interprétation] Je m'appelle Vlado Sakic. Je suis né le 2

 16   septembre 1954.

 17   M. LE JUGE ANTONETTI : [hors micro] -- actuellement.

 18   LE TÉMOIN : [interprétation] Je suis professeur d'université et

 19   scientifique.

 20   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Professeur, avez-vous déjà témoigné

 21   devant un tribunal sur les faits qui se sont déroulés dans l'ex-Yougoslavie

 22   ou bien c'est la première fois que vous témoignez ?

 23   LE TÉMOIN : [interprétation] Non.

 24   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Vous n'avez donc jamais témoigné.

 25   Je vous demande de lire le serment.

 26   LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la

 27   vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

 28   LE TÉMOIN : VLADO SAKIC [Assermenté]

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  1   [Le témoin répond par l'interprète]

  2   M. LE JUGE ANTONETTI : Merci, Monsieur le Professeur, vous pouvez vous

  3   asseoir.

  4   LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.

  5   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Professeur, quelques éléments

  6   d'information pour que cette audience se déroule le mieux possible.

  7   Vous allez répondre à des questions qui vont vous être posées par la

  8   Défense du général Praljak. La Défense du général Praljak a prévu deux

  9   heures pour vous poser des questions. A l'issue de cette phase, les autres

 10   avocats auront eux une heure pour vous poser également des questions s'ils

 11   le jugent utile. Et le Procureur qui se trouve à votre droite aura lui deux

 12   heures pour le contre-interrogatoire.

 13   Les trois Juges, d'habitude on est quatre, mais il y en a un qui est

 14   malade. Mais les trois Juges qui sont devant vous, vous poseront également

 15   des questions en cas de nécessité.

 16   Comme vous êtes enseignant dans l'université, vous savez mieux que

 17   quiconque qu'il faut que vos réponses soient précises, synthétiques et que

 18   la réponse soit bien cadrée par rapport à la question. Evitez de partir sur

 19   des terrains qui n'ont pas été abordés au moment de la question. Si vous ne

 20   comprenez pas le sens d'une question, n'hésitez pas à demander à celui qui

 21   vous la pose de la reformuler.

 22   Nous faisons des pauses toutes les heures et demie. Nous avons pris

 23   malheureusement l'audience avec un peu de retard qui ne nous était pas

 24   imputable, donc nous arrêterons dans environ une heure 25 minutes pour la

 25   première pause.

 26   Vous avez prêté serment, ce qui veut dire qu'à partir de maintenant vous

 27   êtes le témoin de la justice et donc pendant les jours prochains vous

 28   n'aurez plus aucun contact avec la Défense du général Praljak.

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  1   Voilà ce que je voulais vous dire. Je vais partant de là donner la parole à

  2   Maître Kovacic.

  3   M. KOVACIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

  4   Interrogatoire principal par M. Kovacic :

  5   Q.  [interprétation] Bonjour, Monsieur le Témoin expert. Bonjour à toutes

  6   les personnes présentes dans le prétoire et autour du prétoire.

  7   R.  Bonjour.

  8   M. KOVACIC : [interprétation] Messieurs les Juges, j'aimerais simplement,

  9   aux fins d'une économie de quelques minutes de notre temps peut-être,

 10   attirer l'attention sur le point suivant : je vais demander l'assistance de

 11   M. l'Huissier afin que nous puissions mettre sur le rétroprojecteur le

 12   curriculum vitae abrégé de notre témoin. Et j'aimerais également demander à

 13   mon estimé confrère, M. le Procureur, pour ce qui concerne ce document

 14   papier que tout un chacun a reçu, il me semble, voilà comment il se

 15   présente, donc M. Scott voilà comment se présente le document.

 16   M. SCOTT : [interprétation] Je ne sais pas très bien ce qu'on me demande

 17   d'acquiescer. On regarde des documents tous les jours dans le prétoire,

 18   alors je ne vois pas qu'elle est la différence entre celui-ci et un autre,

 19   enfin, je ne comprends pas très bien la question qui m'est posée.

 20   M. KOVACIC : [interprétation] Non, Monsieur Scott, excusez-moi, peut-être

 21   juste encore un peu de patience, je vais expliquer. Je voulais juste dans

 22   un premier temps vérifier si vous aviez bien le document papier vous aussi.

 23   Messieurs les Juges, afin de gagner un peu de temps, nous voyons ici un

 24   résumé du parcours professionnel du témoin avec en plus quelques pages

 25   émanant de l'institut Ivo Pilar, et avec votre permission et la permission

 26   de mon estimé confrère, je souhaiterais pouvoir poser des questions

 27   directrices portant sur ce parcours professionnel afin d'en terminer

 28   rapidement avec ce dernier document qui a été fourni antérieurement à

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  1   toutes les parties, et nous avons affaire ici à un résumé du parcours

  2   professionnel qui a été soumis précédemment à toutes les parties.

  3   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien, allez-y.

  4   M. KOVACIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

  5   Q.  Monsieur le Témoin, vous avez ce même document sous les yeux. Je vais

  6   demander à M. l'Huissier de bien vouloir le placer sur le rétroprojecteur.

  7   Merci, Monsieur l'Huissier. Je vous prie de vous reporter à ce document. En

  8   quelques grandes lignes, j'ai extrait les points principaux de votre

  9   parcours professionnel de ce document que vous nous avez envoyé. Je vais

 10   simplement vous demander de nous apporter quelques explications.

 11   Au point numéro 1, où il y a uniquement des données personnelles, je

 12   voudrais que vous me confirmiez si tout ce qui figure là est exact ou non ?

 13   R.  C'est exact.

 14   Q.  Donc ce sont bien vos données personnelles, les informations

 15   personnelles vous concernant telles qu'elles sont inscrites ici, n'est-ce

 16   pas ?

 17   R.  [aucune interprétation]

 18   Q.  Merci. Au point 2, le premier paragraphe, le premier point a trait à

 19   quelques-unes de vos activités antérieures. Pouvez-vous vérifier si cela

 20   aussi est exact ?

 21   R.  C'est exact.

 22   Q.  Merci. Au point numéro 2 également, dans la deuxième partie sous-titrée

 23   "actuellement", on trouve plusieurs points. Pouvez-vous vous y reporter

 24   aussi et nous confirmer si c'est exact ou non ?

 25   R.  C'est exact.

 26   Q.  Merci. Passons à présent --

 27   M. LE JUGE ANTONETTI : Apparemment, vous auriez été expert de l'ONU en

 28   matière pénale. Vous pouvez nous dire qu'est-ce que ça signifie au juste ?

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  1   LE TÉMOIN : [interprétation] Je n'étais pas expert en droit pénal. J'ai été

  2   un expert reconnu auprès des Nations Unies, ce qui est un statut inférieur

  3   à celui d'expert des Nations Unies. Je l'ai été de 1989 à 1990 jusqu'à ce

  4   que j'aie été invité par l'institut d'Helsinki des Nations Unies pour être

  5   leur boursier. Ensuite, j'ai été invité à participer au congrès des Nations

  6   Unies au titre d'expert reconnu, congrès qui se tenait à Cuba. C'était dans

  7   le domaine de la prévention de la criminalité et du traitement des

  8   perpétrateurs d'infractions. Ce département dépend du Conseil économique

  9   des Nations Unies.

 10   M. LE JUGE ANTONETTI : Merci.

 11   M. KOVACIC : [interprétation] Merci. Je voudrais demander à M. l'Huissier

 12   de bien vouloir passer à la page suivante.

 13   Q.  Monsieur le Professeur, je voudrais vous demander de vous reporter au

 14   chiffre romain III, s'y trouvent également résumés certaines de vos

 15   fonctions et certains de vos titres. Est-ce que cela est exact ?

 16   R.  Oui.

 17   Q.  Passons alors au chiffre romain IV. Si vous avez pu passer cela en

 18   revue, est-ce que vous pourriez nous dire si c'est exact ?

 19   R.  Oui, c'est exact. Ce sont des informations tout à fait générales.

 20   Q.  Je voudrais cependant poser ici une question supplémentaire portant sur

 21   le point numéro 3 du chiffre romain IV, "conseil éditorial" -- juste un

 22   instant. Ce qui figure sous la mention "Board of editors" en anglais, vous

 23   avez reçu lors du récolement le document qui porte la cote 3D 03523,

 24   l'ouvrage intitulé "Psychologie militaire". Vous avez dit que vous avez été

 25   au sein de la rédaction de cet ouvrage. Est-ce que cet ouvrage vous est

 26   resté en mémoire pour quelque raison que ce soit ?

 27   R.  Oui, je m'en souviens. Mais puis-je peut-être corriger quelque chose,

 28   Maître, dans le paragraphe III ? Il y est indiqué que j'aurais été l'ex-

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  1   président et le vice-président de l'Association pénologique croate, mais

  2   cela n'est pas exact. J'ai été le président de cette association et le

  3   vice-président de la Société de psychologie croate.

  4   Pour revenir maintenant à la "Psychologie militaire", il s'agit d'un

  5   manuel universitaire auquel j'ai collaboré au sein du comité de rédaction

  6   au début, et ce domaine de la psychologie militaire, cet ouvrage était un

  7   projet qui a été lancé par le département de la psychologie au sein du

  8   ministère de la Défense de la République de Croatie. Ce projet a réuni un

  9   grand nombre de psychologues qui ont rédigé ce manuel en trois tomes, et ce

 10   manuel a très rapidement été accepté comme manuel universitaire dans toutes

 11   les universités croates. Ce qui est particulièrement intéressant toutefois,

 12   concernant cet ouvrage, est qu'il a été traduit en hongrois et que,

 13   personnellement, comme tous les rédacteurs des différents chapitres de cet

 14   ouvrage, moi-même tout comme tous les autres rédacteurs, nous avons fait

 15   l'objet d'une critique par un célèbre professeur d'université hongrois,

 16   critique très positive de ce manuel, il a envoyé cette recommandation qui

 17   était la sienne et sa critique dans un grand nombre de pays européens, en

 18   recommandant que ce manuel qui avait été rédigé en se fondant également sur

 19   la guerre d'indépendance croate, était un manuel excellent qui devrait être

 20   accepté en Europe plus généralement.

 21   Q.  Merci. Si l'on poursuit, on voit au chiffre romain IV une activité qui

 22   a également trait à la promotion et à la vulgarisation des sciences

 23   sociales, c'est ce projet des "jeudi de la science", c'est ainsi que c'est

 24   porté ici. Il y a des hommes de sciences célèbres qui ont participé dont

 25   les noms figurent ici. Je voudrais juste poser deux questions. Monsieur le

 26   Témoin, quelle était la signification ou l'importance de ces "jeudi de la

 27   science" et vous rappelez-vous peut-être d'autres noms de personnalités

 28   célèbres qui y ont participé ? Ou plutôt, M. Martin Bell, député

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  1   britannique, a été un invité de ces "jeudi de la science", il est également

  2   un journaliste connu, n'est-ce pas ?

  3   R.  Oui, mais juste peut-être une précision. Ces "jeudi de la science"

  4   était un forum public, c'est une activité de vulgarisation scientifique

  5   assez habituelle. J'étais à l'époque le directeur de l'institut et je

  6   dirigeais également ce forum, c'était au moment des affrontements les plus

  7   intenses en Croatie, au moment où l'agression était à son comble. Et c'est

  8   la façon dont nous autres scientifiques nous sommes efforcés de donner une

  9   dimension internationale à ces événements, c'est la raison pour laquelle

 10   nous avons invité des intervenants connus, comme vous pouvez le voir, parmi

 11   eux ce sont trouvés Alain Finkielkraut, le Dr Kampits, qui est Autrichien,

 12   au cours de ces mêmes années, M. Martin Bell est aussi venu, je me rappelle

 13   que M. Janos Bugajski a également été invité, et ainsi de suite, donc toute

 14   une série de personnalités célèbres, d'hommes de sciences, de journalistes,

 15   d'éditeurs, et plus généralement d'acteurs du monde de la culture qui ont

 16   eu à traiter de tous ces conflits. Jacques Klein a été notre dernier invité

 17   à l'occasion du dixième anniversaire de la réintégration pacifique de

 18   Vukovar. C'est moi-même qui l'ai invité à titre personnel et non pas

 19   l'institut.

 20   Q.  Merci. Vous avez parlé de Jacques Klein, qui était le représentant de

 21   l'ONU pour la réintégration pacifique de la Slavonie orientale, n'est-ce

 22   pas ?

 23   R.  Oui.

 24   Q.  Et tout le reste de ces éléments qui figurent au chiffre romain IV est

 25   exact, n'est-ce pas ?

 26   R.  Oui.

 27   Q.  Au chiffre romain V, j'ai fait figurer certaines caractéristiques

 28   fondamentales de l'institut des sciences sociales. Nous avons déjà vu que

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  1   vous avez été le directeur de cet institut Ivo Pilar, on trouve plusieurs

  2   éléments qui sont mentionnés ici. Sans entrer dans trop de détails, pouvez-

  3   vous me dire si ce qui figure au chiffre romain V concernant cet institut

  4   est exact ou non ?

  5   R.  C'est exact. Il y aurait bien plus de choses à dire à ce sujet, mais

  6   tout cela est exact.

  7   Q.  Bien entendu, mais il nous faudrait des jours entiers pour expliquer

  8   tout cela. Merci. Je voudrais juste vous poser une question sur un point

  9   particulier.

 10   Quand j'ai discuté avec vous et quand je me suis informé sur cet

 11   institut, j'ai vu qu'on accordait une grande importance aux approches

 12   pluridisciplinaires dans vos activités et dans vos projets. Je voudrais que

 13   vous n'entriez pas trop dans les détails, mais que vous nous disiez très

 14   brièvement pourquoi vous estimez qu'en dehors de l'approche traditionnelle

 15   par spécialité, cette approche multidisciplinaire est particulièrement

 16   importante.

 17   R.  Nous avons fondé cet institut au début des années 1990, lorsque la

 18   Croatie est devenue un Etat indépendant et démocratique. Et notre slogan,

 19   le slogan sur lequel nous avons fondé cet institut est l'effet par la

 20   recherche. Il faut bien comprendre le contexte qui était le contexte croate

 21   précédent. Ça permet de comprendre pourquoi nous avons immédiatement fait

 22   le choix de la pluridisciplinarité; nous avons tout simplement suivi

 23   l'exemple d'instituts homologues des pays occidentaux. Nous souhaitions

 24   procéder à des recherches de façon similaire et nous organiser également

 25   d'une façon qui était semblable à la leur. Je me réfère, par exemple, à un

 26   institut de l'Université de Chicago, de l'institut Gallup et un institut

 27   également de recherche en sciences sociales en Allemagne, institut Max

 28   Planck, pour me référer à une institution de l'ancien espace communiste.

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  1   Q.  Merci. Juste quelques questions encore pour en terminer avec ce sujet.

  2   Qu'est-ce qui est véritablement au centre de vos travaux

  3   scientifiques, de votre intérêt d'homme de sciences ? A quoi vous êtes-vous

  4   le plus consacré ?

  5   R.  Je m'occupe des questions scientifiques depuis plus de 30 ans. Donc

  6   j'ai eu à m'intéresser à différents domaines. Mais au sens plus strict,

  7   tous ces différents domaines avaient pour centre de gravité la psychologie

  8   sociale, qui était la ligne directrice de toutes mes recherches. Et le

  9   domaine plus spécifique auquel je me suis intéressé, c'est la psychologie

 10   sociale des migrations, de la criminalité, la psychologie de la guerre, de

 11   la violence et la psychologie pénologique. Aujourd'hui, je m'occupe plus

 12   spécifiquement d'identité sociale, qui est l'un des domaines de la

 13   psychologie sociale qui font l'objet du plus grand nombre de recherches en

 14   Europe.

 15   Q.  [aucune interprétation]

 16   M. LE JUGE PRANDLER : [interprétation] Je suis désolé de vous interrompre,

 17   mais vous savez que je suis là pour aider les interprètes, c'est mon rôle.

 18   Donc je vous demande, je vous supplie de ralentir. Professeur Sakic, vous

 19   aussi, vous devez ralentir, vous devez ménager une pause entre les

 20   questions et les réponses, attendre que la traduction soit terminée avant

 21   de répondre; sinon, l'interprétation est impossible. Donc j'espère que vous

 22   obéirez à ces consignes, vous vous y conformerez.

 23   Etant donné que j'ai la parole, j'aimerais aussi vous demander, Monsieur le

 24   Professeur, une question sur un point bien précis.

 25   Vous avez dit que votre livre et vos activités avaient été débattus par

 26   l'un des professeurs hongrois de sociologie, qu'il avait aussi été soutenu

 27   par ce professeur. Donc comme je suis moi-même hongrois, j'aimerais savoir

 28   le nom de ce professeur hongrois.

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  1   LE TÉMOIN : [interprétation] Je dois dire que malheureusement, à cet

  2   instant précis, je ne m'en souviens pas, mais je peux vous donner une

  3   réponse demain. Je ne m'en souviens pas aujourd'hui, je ne m'attendais pas

  4   à cette question.

  5   M. LE JUGE PRANDLER : [interprétation] Bon, ce n'est pas très urgent, ni

  6   très important, mais j'aimerais, s'il vous plaît, que vous nous le

  7   communiquiez lorsque vous vous en souviendrez.

  8   Monsieur Kovacic, c'est à vous.

  9   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, je vais le retrouver, je vous répondrai.

 10   M. KOVACIC : [interprétation]

 11   Q.  Nous avons remis à la Chambre ce document, la pièce 3D 03721, qui est

 12   votre rapport d'expert. Tout le monde a pu en prendre connaissance. Je

 13   voudrais juste demander si c'est vous qui avez rédigé ce rapport et si

 14   c'est bien vous qui l'avez signé.

 15   R.  Oui, c'est bien moi qui l'ai rédigé et signé.

 16   Q.  Et pour finir, dites-nous simplement deux phrases, s'il vous plaît, en

 17   tant que citoyen de la République de Croatie, où vous avez résidé pendant

 18   ces événements, à partir de 1990 et au-delà, dans quelle mesure étiez-vous

 19   au courant des événements qui se déroulaient sur le territoire de la

 20   République de Bosnie-Herzégovine ?

 21   R.  Pour ce qui concerne ces événements, j'ai été informé à ce sujet comme

 22   tous les autres citoyens croates par l'intermédiaire des médias, à travers

 23   des discussions avec mes amis, avec d'autres scientifiques avec lesquels je

 24   collaborais et d'autres façons également qui appartiennent à la sphère

 25   publique. Donc je n'ai recouru à aucun autre moyen que ceux qui sont à la

 26   disposition du citoyen, et j'ai évidemment également pris connaissance des

 27   publications qui ont été éditées pendant toutes ces années au sujet de la

 28   Bosnie-Herzégovine.

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  1   Q.  Merci, Monsieur le Témoin.

  2   M. LE JUGE ANTONETTI : Me Kovacic a quitté votre CV et avant d'aborder le

  3   fond de votre rapport, je voudrais revenir sur un élément de votre CV.

  4   J'ai noté avec intérêt, c'est au numéro II, que vous avez été invité

  5   à l'université Notre-Dame, dans l'Indiana, à Chicago, université Notre-

  6   Dame, bien connue, qui est une université catholique. Et en 2009, le

  7   président Obama avait été aussi invité et il avait tenu un discours sur le

  8   dialogue et le respect des libertés. Vous-même, ayant été invité par cette

  9   prestigieuse université, vous avez fait un discours, une intervention, et

 10   si oui, sur quelle thème ?

 11   LE TÉMOIN : [interprétation] Je n'ai pas fait de communication à

 12   cette occasion, je n'ai pas donné de cours. Mais il y avait un accord pour

 13   que je me rende dans ce centre de l'université Notre-Dame, centre qui

 14   s'occupait de recherches sur la violence et l'établissement de la paix. En

 15   fait, il s'agissait de nous mettre d'accord, de convenir de notre

 16   coopération avec ce centre particulier de cette université

 17   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Merci.

 18   Maître Kovacic, excusez-moi de vous avoir interrompu.

 19   M. KOVACIC : [interprétation] Compte tenu du fait que l'ensemble de votre

 20   CV, de votre parcours professionnel a été remis précédemment à la Chambre

 21   en même temps que votre rapport d'expert et que nous avons passé en revue

 22   les points les plus importants - je précise la cote sous laquelle cela a

 23   été présenté, c'est le 3D 03727 - je n'aurai donc plus de questions

 24   concernant le parcours professionnel du témoin. Je pense que c'est

 25   suffisant pour avoir une vue d'ensemble. Je voudrais donc passer à la

 26   substance et je voudrais demander à la Chambre de bien vouloir permettre au

 27   général Praljak de poser des questions au témoin, car comme les Juges de la

 28   Chambre le savent, le général Praljak est lui-même formé en sciences

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  1   sociales. Merci.

  2   M. LE JUGE ANTONETTI : Attendez, Général Praljak.

  3   Monsieur le Professeur, juste une question. J'essaie de comprendre le

  4   fonctionnement de votre institut Ivo Pilar. Au niveau du fonctionnement

  5   budgétaire, c'est un institut qui a des ressources qui proviennent

  6   directement du gouvernement, ou bien vous avez un budget fondé sur des

  7   donations, des recettes propres ? Est-ce que vous pouvez m'expliquer si

  8   vous êtes l'émanation du gouvernement ou bien vous êtes totalement autonome

  9   et notamment autonomie au point de vue budgétaire ?

 10   LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

 11   l'institut de sciences sociales Ivo Pilar est financé de la même façon que

 12   tous les instituts en Croatie et toutes les universités publiques également

 13   en Croatie. C'est donc un organisme scientifique public qui fait l'objet

 14   d'un financement par l'intermédiaire du budget du ministère de l'Education

 15   et des Sciences. En plus de cela, nous recevons une partie de nos moyens

 16   financiers par l'intermédiaire de dons d'institutions et d'acteurs aussi

 17   bien locaux croates qu'internationaux. Nous recevons également des dons de

 18   certaines fondations. Une partie de notre financement provient également de

 19   projets qui sont d'ailleurs des projets de marchés, à savoir dont nous

 20   convenons avec des commanditaires qui sont des tiers. Ces commanditaires

 21   peuvent être des acteurs de l'économie, des acteurs sociaux, des

 22   institutions sociales ou politiques et ainsi de suite.

 23   M. LE JUGE ANTONETTI : Une dernière question et je n'y reviendrai plus.

 24   Le directeur est nommé par le gouvernement ou bien est élu par un collège

 25   de scientifiques de haut niveau ?

 26   LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Président, c'est le comité de

 27   direction qui élit le directeur. Ce comité est composé de scientifiques et

 28   l'élection du directeur se fonde sur l'opinion du comité scientifique de

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  1   l'institut. Donc tous les candidats font l'objet d'une évaluation par le

  2   comité scientifique alors que le comité de direction a des membres qui sont

  3   choisis par le ministère, le ministère de l'Education et de la Science, qui

  4   ne se mêle absolument pas de l'élection ni de l'indépendance du travail des

  5   scientifiques, mais se contente de contrôler la régularité de la procédure.

  6   M. LE JUGE ANTONETTI : Merci.

  7   L'ACCUSÉ PRALJAK : [interprétation] Bonjour, Messieurs les Juges.

  8   Interrogatoire principal par M. Praljak :

  9   Q.  [interprétation] Bonjour, Professeur Sakic.

 10   R.  Bonjour, Mon Général.

 11   Q.  Deux choses pour commencer. Comme vous avez pu le voir, nous disposons

 12   de très peu de temps dans ce prétoire et nous devons passer en revue toute

 13   une série de points assez élémentaires en psychologie sociale. Et deuxième

 14   chose, pour ce qui est de l'interprétation, attendez quelques secondes pour

 15   que j'aie terminé, et je vous prie de bien vouloir donner les réponses les

 16   plus concises possibles.

 17   Donc ce que nous allons tout d'abord passer en revue au sein de cet ouvrage

 18   qu'on a cité et qui porte la cote 3D 03523 -- 3D 03521, donc ce document a

 19   été versé et nous n'avons aucune autre possibilité que de passer cela en

 20   revue de façon extrêmement concise, et ensuite tout un chacun pourra lire

 21   le reste. Donc 3D 03521.

 22   M. SCOTT : [interprétation] Je suis désolé, Monsieur le Président,

 23   d'interrompre les débats mais -- j'attends que le Juge Trechsel ait trouvé

 24   le document en question. Donc je suis désolé de vous interrompre, mais je

 25   pensais que nous allions entendre parler d'un rapport écrit par le

 26   professeur. Je pensais que c'était de cela que nous allions parler, non pas

 27   d'un livre qu'il n'a pas écrit. Donc à moins que ce soit une référence au

 28   passage ou à une citation bien particulière, d'accord, mais j'ai entendu M.

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  1   Praljak dire qu'il entend passer tout l'interrogatoire principal à étudier

  2   ce livre.

  3   M. LE JUGE ANTONETTI : Vous pouvez nous expliquer quelle est la pertinence

  4   du livre par rapport au rapport de l'expert ? Est-ce que ce livre est

  5   mentionné dans les notes de bas de page du rapport de l'expert ?

  6   L'ACCUSÉ PRALJAK : [interprétation] Monsieur le Président, Messieurs les

  7   Juges, dans ce livre, à plusieurs endroits il est précisé toute une série

  8   d'expérimentations qui, dans ce manuel classique de la psychologie sociale,

  9   et je précise qu'il s'agit d'un manuel qui a été réédité à plusieurs

 10   reprises, donc il est question de tous les éléments qui permettent à

 11   l'expert de rédiger son rapport et de tirer les conclusions qu'il a triées.

 12   En termes simples, on y évoque les tests, les expérimentations, bien des

 13   éléments. Et pour que l'on puisse comprendre de quoi il s'agit, il s'agit

 14   de parcourir les éléments de base qui se rapportent aux comportements de

 15   l'individu dans des circonstances exceptionnelles et celles de la guerre.

 16   Et cet ouvrage, en termes simples, je dirais qu'il n'est pas nécessaire à

 17   mon avis de répéter tout ce qui est dit dans un manuel parce que c'est déjà

 18   écrit dedans, mais il faut tirer au clair des éléments fondés de façon

 19   scientifique et prouvés de façon expérimentale pour que l'on puisse avoir

 20   une vue d'ensemble et comprendre le comportement d'un certain nombre

 21   d'individus dans des circonstances de guerre et autres.

 22   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur Scott, je vous rappelle que vous avez

 23   deux heures pour contre-interroger. Alors si vous faites à chaque fois des

 24   objections, on va passer son temps en objection alors que ce qui serait

 25   plus intéressant c'est de voir le contenu de son rapport. 

 26   M. SCOTT : [interprétation] Tout à fait d'accord, Monsieur le Président. Il

 27   faudrait voir le contenu du rapport et non pas un livre qui n'est pas le

 28   rapport. Et ce n'est pas déduit de mon temps. On ne l'a jamais fait, on ne

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  1   va pas le faire maintenant.

  2   Mais je fais objection et je pense que s'il faut faire une objection,

  3   je le fais. Nous avons toujours été très économes pour ce qui est du temps.

  4   On utilise moins de temps que quiconque ici. Donc je pense qu'il ne faut

  5   pas faire trop attention à cela.

  6   Mais je fais objection ici à cette procédure car le Règlement dit que

  7   lorsqu'un rapport est préparé, il est soumis à la Chambre, à l'Accusation

  8   et aux co-accusés, d'ailleurs, de façon à ce que les parties puissent se

  9   préparer ainsi que la Chambre et se pencher sur ce rapport, mais le rapport

 10   uniquement. Parce qu'ici, nous n'avons pas un témoin ordinaire. Un rapport

 11   précis est préparé qui est fourni aux parties et à la Chambre et c'est de

 12   cela qu'on devrait parler.

 13   Alors, je ne veux pas vexer le témoin, mais si le rapport ne se passe

 14   pas de commentaires, si l'expert n'a pas préparé son rapport de façon à ce

 15   que chacun le comprenne de long en large, sauf le respect que je dois au

 16   témoin, je dirais que c'est un problème, mais qui le concerne lui.

 17   On est ici pour recevoir ce rapport et rien d'autre. Je fais donc

 18   objection à ce que ce temps soit consacré à l'examen d'un livre qui ne fait

 19   pas partie du rapport. En tout cas dans la traduction, je reçois des dires

 20   de M. Praljak et je revois le compte rendu d'audience, ce que nous allons

 21   faire a-t-il dit c'est : 

 22   "Examiner et parcourir ce livre."

 23   Or, ce n'est pas le rapport du témoin, d'où notre objection.

 24   M. LE JUGE ANTONETTI : Général Praljak, l'expert qu'on a devant nous a fait

 25   un rapport avec deux grands thèmes : l'histoire, fil conducteur de la

 26   construction identitaire en Bosnie-Herzégovine avec deux sous-chapitres,

 27   les éléments majeurs du concept d'identité sociale et la stabilisation de

 28   la structure identitaire, conséquences de l'éclosion du nationalisme. Et la

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  1   deuxième grande partie c'est le conflit nationalisme en Bosnie-Herzégovine,

  2   un conflit prévisible, des approches sociopsychologiques divergentes, la

  3   responsabilité de la communauté internationale. Voilà l'intégralité de son

  4   rapport.

  5   Le livre que vous venez évoquer, dans quelle partie de ce rapport il

  6   s'intègre ? Et vous auriez pu demander, un, si un expert, avant de rédiger

  7   son rapport, il a étudié ce livre et quelle est la conséquence de l'étude

  8   de ce livre dans son rapport. Sinon, comme le dit à juste titre M. Scott,

  9   on va passer du temps sur un livre alors qu'on est là censé être sur un

 10   rapport d'expert. Moi-même j'ai passé plusieurs heures à lire le rapport de

 11   l'expert, je n'ai pas lu ce livre. Si vous m'aviez dit avant que vous

 12   vouliez poser des questions sur le livre, j'aurais lu le livre.

 13   L'ACCUSÉ PRALJAK : [interprétation] Monsieur le Juge Antonetti, il ne

 14   s'agit pas d'un livre mais d'un manuel. C'est là la différence. Parce qu'un

 15   manuel en physique vaque aux lois de la gravitation. Mais quand l'expert

 16   parle du conformisme, quand il parle de l'appartenance à un groupe,

 17   lorsqu'il parle des éléments extérieurs au groupe, quand il parle

 18   d'éléments liés à la peur, c'est là des manuels qui énumèrent des éléments

 19   relatant les connaissances en sciences sociales. Ce n'est pas un manuel

 20   d'auteur qui vous raconte des choses partant de sa perspective à lui. Il

 21   s'agit d'un manuel qui parle de la totalité des connaissances en

 22   psychologie sociale et d'expérimentation. Quand l'expert dit dans son livre

 23   ou dans son manuel qu'un objet dans cette salle, par exemple, une raquette

 24   de badminton, ou une arme, peut sensiblement modifier le sentiment

 25   d'agressivité que vous êtes en train d'examiner. C'est un manuel, ce n'est

 26   pas un livre tout court. Et les manuels en maths et en physique reprennent

 27   chaque fois la connaissance complète acquise en la matière dans certains

 28   segments, qu'il s'agisse de géométrie analytique ou de physique à Newton.

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  1   Sans ces éléments-là qui sont à mentionner ici, parce qu'ils constituent la

  2   substance même, si l'on accepte deux ou trois autres chapitres que l'expert

  3   mentionne, à savoir les raisons historiques, la définition des nations, des

  4   Etats, et cetera. Je n'ai que deux heures, je ne peux pas parcourir tout

  5   cela, c'est écrit dans l'ouvrage.

  6   M. LE JUGE ANTONETTI : Commencez à poser vos questions, mais je vous

  7   signale que les trois Juges ont lu le rapport. Ils ont tous passé du temps

  8   sur ce rapport, donc si nous estimons que vos questions sont hors sujet, on

  9   arrête. C'est bien compris.

 10   Alors je vous donne la parole, posez vos questions, mais ayez bien dans

 11   l'esprit que les Juges ont le rapport de l'expert.

 12   M. KOVACIC : [interprétation] Monsieur le Président, si vous le permettez.

 13   Du point de vue de la procédure, je voudrais répondre à l'objection de mon

 14   confrère, M. Scott. Je me réfère notamment au 94 bis du Règlement de

 15   procédure et de preuve.

 16   Le rapport d'expert est versé au dossier conformément à cet article.

 17   Ça a été fait en temps utile, distribué à tout un chacun, et la partie

 18   concernée, la Défense en l'occurrence, a le droit de demander à ce que ce

 19   rapport d'expert soit versé au dossier. Ça on a le droit de le faire en

 20   tout état de cause. En application de la même disposition, le Procureur en

 21   l'occurrence, la partie adverse, a le droit de demander que l'expert soit

 22   contre-interrogé, vienne pour être contre-interrogé. Et le Règlement ne

 23   prévoit nulle part la nécessité de jauger par les Juges de la Chambre la

 24   justification ou le bien fondé de cette requête. Donc c'est automatique. Si

 25   le Procureur veut contre-interroger viva voce, il doit nous le dire, ça a

 26   été fait du reste, et on peut contre-interroger suivant le rapport, mais la

 27   Défense n'a pas du tout besoin, mais pas du tout besoin d'entrer dans la

 28   teneur du rapport.

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  1   Le rapport c'est un texte écrit. Le rapport est rédigé par un expert,

  2   on a constaté pourquoi il l'était, et il maintient ce qu'il a écrit.

  3   M. LE JUGE ANTONETTI : Vous avez face à vous des Juges qui ont une certaine

  4   expérience du fonctionnement de ce Tribunal. Et je ne suis pas tout à fait

  5   d'accord avec ce que vous venez de dire. Une partie demande le versement

  6   d'un rapport. La Chambre, la Chambre, s'il n'y a pas d'opposition -- je

  7   répète -- au terme du Règlement, une partie qui demande le versement d'un

  8   rapport, si l'autre partie ne fait pas d'obstacle, le rapport est versé et

  9   le témoin ne vient pas. Regardez comment ça se passe dans d'autres

 10   Chambres. Quand une partie conteste le versement d'un rapport, ce qui est

 11   le cas en l'espèce, et demande à contre-interroger le témoin, à ce moment-

 12   là, la partie peut poser des questions au témoin, mais c'est surtout le

 13   contre-interrogatoire qui est le but principal. Et ce n'est qu'après que la

 14   Chambre décide ou pas d'admettre le rapport. Donc ne partez pas de l'idée

 15   que votre rapport est déjà dans la procédure. La Chambre n'a pas pris de

 16   décision d'admettre le rapport. Ça dépendra des questions que vous allez

 17   poser et du contre-interrogatoire. Si ça se trouve, on n'admettra pas le

 18   rapport.

 19   Donc il ne faut pas qu'il y ait d'erreur. Et par ailleurs, les Juges

 20   vont apprécier la pertinence des questions à partir de ce manuel de

 21   psychologie, mais moi, en l'état, ça ne me paraît pas pertinent.

 22   Maintenant, attendons de voir les questions du général Praljak. Mais si la

 23   Chambre estime qu'elle perd son temps, et parfois j'ai l'impression de

 24   perdre mon temps, on arrêtera.

 25   C'est bien compris.

 26   M. KOVACIC : [interprétation] Monsieur le Président, je --

 27   M. LE JUGE PRANDLER : [interprétation] Continuez, Maître Kovacic, je veux

 28   d'abord vous écouter.

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  1   M. KOVACIC : [interprétation] Monsieur le Juge, je ne veux pas vous

  2   déposséder de votre temps. Je voulais juste répliquer à l'objection

  3   soulevée par mon éminent confrère, M. Scott, et pour ce qui est de cette

  4   objection, il y avait une affirmation, et je suis revenu sur le compte

  5   rendu pour le vérifier, cela impliquait que la Défense était tenue

  6   d'interroger suivant le rapport.

  7   Or, moi, je suis d'accord, Monsieur le Président, tout à fait

  8   d'accord avec ce que vous avez dit pour ce qui est de la façon dont vous

  9   avez expliqué la procédure, tout à fait d'accord. Et c'est ça la substance.

 10   Le Procureur peut contre-interroger sur le rapport autant qu'il le veut et

 11   autant qu'il a le temps de le faire, et c'est justement la raison pour

 12   laquelle ça a été rédigé, comme vous l'avez dit. M. Praljak, en sus, et là

 13   je parle de la procédure, donc je parle de M. Praljak, il a dit qu'il y

 14   avait du point de vue de la teneur un lien. L'un ne va pas sans l'autre, de

 15   notre humble avis. Et nous pouvons le présenter suivant les modalités qui,

 16   à notre avis, méthodologiquement parlant, sont bonnes. A vous d'en juger.

 17   Mais l'objection, telle qu'elle est faite, ne se fonde pas sur le

 18   Règlement et n'est pas conforme aux articles du Règlement.

 19   Merci.

 20   M. SCOTT : [interprétation] Excusez-moi, Monsieur le Président. Permettez-

 21   moi de répondre ne serait-ce qu'en quelques mots.

 22   Je ne pourrais pas être plus en désaccord que cela.

 23   Parce que l'article en question, 94(B) [comme interprété], le dit. Il

 24   dit "Toute la déclaration ou la partie du rapport doit être communiquée,"

 25   c'est parce que c'est le sujet que va évoquer le témoin. Ce n'est pas

 26   simplement pour se faire plaisir, ce n'est pas pour passer le temps qu'on

 27   prépare un rapport et qu'on le présente à votre examen et à celui des

 28   parties. C'est de façon à ce que les éléments de preuve puissent être

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  1   étudiés et préparés.

  2   Je veux dire, ici c'est différent. On copie, on envoie ça à la

  3   Chambre, on envoie ça aux parties, et quand on arrive ici, on parle de

  4   quelque chose de carrément différent, même si en apparence il y a un lien.

  5   C'est tout à fait contraire, comme vous l'avez fort bien dit,

  6   Monsieur le Président, à la pratique du Tribunal. Si on parle d'une note de

  7   bas de page, ça fait une minute ou deux de temps, si c'est le cas, je

  8   n'interviendrai plus. Mais les indications étaient claires et ça a

  9   d'ailleurs été confirmé ces dernières minutes par M. Praljak, il a

 10   l'intention de consacrer le temps qu'il a à l'examen de ce livre. Et là ça

 11   n'est pas correct comme procédure.

 12   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Monsieur Praljak, vous avez pris note de

 13   tout cela. Ce qui intéresse les Juges et ce qui intéresse tout le monde,

 14   d'ailleurs, c'est le rapport en premier de l'expert. Maintenant, si le

 15   livre se rattache au rapport, mettez-le en évidence, parce que pour le

 16   moment on ne sait pas s'il se rattache directement ou pas.

 17   M. LE JUGE PRANDLER : [interprétation] Je voudrais ici corroborer et

 18   soutenir ce que vient de dire le Président. Nous le savons, nous avons

 19   rencontré plusieurs situations, nous avons envisagé la possibilité de

 20   donner un temps de parole à M. Praljak. Mais je le répète et j'insiste,

 21   nous avons passé plusieurs semaines ici à entendre M. Praljak en tant que

 22   témoin. On lui a posé des questions sur divers sujets, il y a répondu. Nous

 23   le rappelons, la règle veut que l'accusé soit représenté par ses avocats.

 24   Moi, j'ai le texte ici, en français --

 25   [en français] " -- de la Chambre, un accusé peut s'adresser

 26   directement à un témoin ou lui poser des questions."

 27   [interprétation] Et ma question est celle-ci, je veux des

 28   éclaircissements, Monsieur Praljak. Quelles sont les questions

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  1   exceptionnelles, extraordinaires que vous aimeriez poser au témoin expert ?

  2   Parce que pendant plusieurs semaines, vous avez eu l'occasion de vous

  3   exprimer, de nous donner votre avis, vous avez présenté grand nombre de

  4   documents. Je suis dès lors convaincu qu'il faut que vous reconnaissiez les

  5   limites du droit qui est le vôtre. Vous ne pouvez pas continuer sans arrêt

  6   à poser des questions qui ne sont pas vraiment bien fondées. Je vous

  7   demande par conséquent de nous dire en quelques mots très concis quels sont

  8   les grands sujets que vous aimeriez poser à propos de ce livre.

  9   Merci d'avance.

 10   L'ACCUSÉ PRALJAK : [interprétation] Merci, Monsieur le Juge Prandler.

 11   En ma qualité de témoin, je n'ai pas pu formuler mes positions, mais

 12   je répondais à des questions. Ça, c'est d'un.

 13   De deux, dans le cadre de mes études de sociologie, j'ai écouté

 14   pendant quatre semestres des collègues parlant de sociologie systématique

 15   et deux semestres de sociologie avec d'autres travaux pratiques, et par la

 16   suite, je me suis occupé de ce type de problème. Ce que j'affirme, c'est

 17   que la non-compréhension de la psychologie sociale que ce manuel, et pas

 18   seulement celui-là, mais tout manuel au monde explique pour ce qui est des

 19   comportements fondamentaux de l'être humain, car sans cela, il n'est pas

 20   possible de comprendre l'affaire. Et c'est la raison pour laquelle, de la

 21   part des Juges et auprès des autres, mis à part le témoin expert ici, je

 22   suis le plus à même d'expliquer les éléments-clés pour ce qui est du

 23   comportement de l'individu dans des circonstances spéciales, qu'il s'agisse

 24   de la guerre en Irak, la panne d'électricité à New York, le meurtre de van

 25   Gogh aux Pays-Bas, et cetera.

 26   Sans cela, juste parce qu'on a négligé les éléments fondamentaux du

 27   comportement de l'être humain dans des situations extrêmes, c'est la raison

 28   pour laquelle il y a ce type d'actes d'accusation qui sont dus à de

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  1   l'ignorance, pour des raisons délibérées ou pas, et j'estime qu'il convient

  2   de comprendre les acquis scientifiques fondamentaux de la psychologie

  3   scientifique et de la psychologie sociale dont parle ce manuel et où

  4   s'expriment des dizaines d'hommes de sciences en la matière. Ce que

  5   j'affirme, c'est que sans ces connaissances du manuel, pas d'un livre, d'un

  6   individu seul qui viendrait vous parler de choses et d'autres sans que ce

  7   soit vérifié de façon scientifique, il ne serait pas possible de comprendre

  8   comment il y a eu le crime de Mi Lai, comment les gens sont, par exemple,

  9   au petit bonheur la chance, certains sont détenus, d'autres sont des

 10   gardiens de prison, comment fonctionnent des groupes, quelle est l'identité

 11   des uns et des autres, et tout cela est expliqué dans le rapport du

 12   professeur Sakic.

 13   Je pense que je suis tout à fait à même de poser ce type de

 14   questions. Je connais ces problèmes, je les connaissais, ces problèmes,

 15   avant la guerre. Je les ai compris pendant la guerre, j'étais chef d'un

 16   département où M. Sakic travaillait, où intervenait un grand groupe de

 17   psychologues et de psychologues en matière de sociologie en Croatie, et on

 18   a essayé de transposer nos connaissances dans la pratique pour éviter

 19   certaines choses. Et je pense que ceci fait de moi une personne qualifiée,

 20   ce sont des connaissances particulières qui sont les miennes, comme le dit

 21   la décision des Juges de la Chambre.

 22   Et si quelqu'un est plus à même de poser mieux ces questions que moi-

 23   même, je n'ai rien contre. Je n'ai rien contre le fait de voir les Juges

 24   parcourir la totalité des chapitres, la soumission à l'autorité.

 25   M. LE JUGE PRANDLER : [interprétation] Vraiment, Monsieur Praljak, je pense

 26   qu'il serait préférable que vous commenciez à poser vos questions. Ça fait

 27   plusieurs minutes déjà que vous présentez ces arguments qui nous sont bien

 28   connus. Commencez, mais respectez le cadre que vous a fixé, à plusieurs

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  1   reprises, il y a longtemps, la Chambre. S'il vous plaît, commencez, mais

  2   respectez ce cadre.

  3   Merci.

  4   Mme ALABURIC : [interprétation] Peut-être une petite rectification au

  5   compte rendu.

  6   Page 24, ligne 13, on a dit que le général Praljak a indiqué qu'entre

  7   autres il pouvait bien expliquer le musée de van Gogh à Amsterdam, chose

  8   que M. Praljak n'a pas dite. Il a dit qu'il pouvait expliquer le meurtre de

  9   van Gogh aux Pays-Bas. Merci.

 10   L'ACCUSÉ PRALJAK : [interprétation] Je ne peux pas l'expliquer. C'est M.

 11   Sakic. Je peux parler de représailles dans un pays quand il y a ce type

 12   d'événements. Je vais m'en tenir au Règlement, justement.

 13   Q.  Monsieur Sakic, dites-nous, ce manuel, vous l'avez eu, vous l'avez lu ?

 14   En avez-vous été le rédacteur et ainsi de suite ?

 15   R.  Il s'agit d'un manuel de psychologie sociale rédigé par Elliot Aronson

 16   et ses collaborateurs, Akert et Wilson. C'est de nos jours le manuel le

 17   plus traduit en psychologie sociale au monde. Et son auteur, Elliot

 18   Aronson, est probablement le numéro 1, sinon l'un des premiers des

 19   sociologues au monde pour ce qui est d'une illustration, je vous dirais

 20   qu'il s'est vu attribuer trois grandes récompenses de l'association

 21   américaine pour ce qui est de ses travaux en psychologie sociale.

 22   Ce manuel, j'ai lancé l'initiative de la faire traduire en Croatie. Ça a

 23   été traduit par une maison d'édition qui s'appelle Mate et qui travaille

 24   avec la faculté d'économie et de management à Zagreb, où j'ai enseigné la

 25   psychologie sociale pendant un certain temps. Ça a été traduit par des

 26   collaborateurs à moi.

 27   R.  Juste une petite observation de nature technique, vous avez dit,

 28   Général, que j'ai travaillé dans un département du ministère qui a traité

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  1   de la psychologie militaire. Je n'ai pas travaillé là-bas, j'ai collaboré

  2   avec ce département lorsqu'on a rédigé un manuel en matière de psychologie

  3   dans les milieux militaires, pour que les choses soient tout à fait

  4   claires.

  5   Q.  Je vous demande d'ouvrir la page 253 du texte croate. Dans cette

  6   partie, il est question de conformisme et on parle du massacre à Mi Lai au

  7   Vietnam, où on a tué 450 ou 500 Vietnamiens. En une phrase, qu'est-ce que

  8   c'est que ce conformisme, comment cela agit et quelles peuvent être les

  9   conséquences de ce conformisme au sein de groupes humains ?

 10   R.  Je m'excuse, c'est plutôt difficile de répondre en une phrase, mais je

 11   vais essayer d'être tout à fait bref.

 12   Les comportements conformistes, très souvent, c'est le comportement le plus

 13   fréquent dans la gent humaine et nous nous conformons conformément à des

 14   éléments implicites ou explicites des normes sociales. Alors, pour ne pas

 15   aller trop en large, je vais vous parler des aspects négatifs. Je pense que

 16   c'est ça qui vous intéresse.

 17   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] J'attends jusqu'à la fin de la

 18   traduction, mais je voulais prendre la parole pour attirer votre attention

 19   à propos du compte rendu d'audience. C'est "conformisme" et non pas

 20   "confirmism" en anglais. C'est un "o" et pas un "i". Le verbe, il est bien

 21   noté dans le compte rendu page 26, ligne 25. Merci.

 22   L'ACCUSÉ PRALJAK : [interprétation]

 23   Q.  Ma question a été celle de savoir si cela pouvait nous amener à des

 24   choses terrifiantes telles que par exemple ce crime de Mi Lai.

 25   R.  En somme, en sus des éléments positifs du conformisme pour ce qui est

 26   des comportements sociaux que nous qualifions aussi de comportements

 27   conformistes, il y a des aspects négatifs de ce comportement conformiste

 28   qui, très souvent, se manifestent au travers de ce que l'on appelle les

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  1   influences informatiques et sociales. Les aspects négatifs de ces

  2   influences sociales du point de vue de l'information et des normes et

  3   autres aspects pour ce qui est de ces influences en matière d'information

  4   et de normes telles que par exemple la contagion, ça peut conduire à des

  5   crimes du type Mi Lai et similaires. D'après ces constatations

  6   sociopsychologiques et d'après cette logique sociopsychologique, la chose

  7   est tout à fait possible.

  8   Q.  Merci. Je vous renvoie au 258, 259 et 260 de la version croate. Il est

  9   question de contagion sociale. Avez-vous connaissance du fait que du point

 10   de vue de l'influence en matière d'information et de normes, ça peut

 11   générer des maladies sociopsychologiques et par exemple, à cet effet, on

 12   peut citer l'événement de l'Etat du Tennessee ?

 13   R.  Oui, j'en ai connaissance. C'est quelque chose qui est survenu souvent

 14   dans l'histoire humaine et ça arrive de nos jours parce que ce cas que vous

 15   venez de citer, c'est quelque chose de tout à fait récent.

 16   M. KOVACIC : [interprétation] Monsieur le Président, pour qu'il n'y ait pas

 17   d'interruption et de perte de temps pour ce qui est des pages, lorsque le

 18   général s'est référé aux pages du manuel "Psychologie sociale", à savoir 3D

 19   03521, c'est les mêmes pages pour ce qui est de la version anglaise. Il se

 20   peut qu'en version anglaise se soit une page plus loin. Mais comme vous

 21   pouvez le voir, le livre a été traduit de façon à ce que les illustrations

 22   et la mise en page soient identiques pour que les choses correspondent. Et

 23   à chaque fois, la page en croate correspond à la page en anglais. Merci.

 24   M. SCOTT : [interprétation] Excusez-moi. Avant que vous ne poursuiviez,

 25   Monsieur Praljak, il semble, à moins que ce soit ma seule copie qui soit

 26   concernée, je sais qu'il faut faire beaucoup de photocopies, mais il y a

 27   peut-être un autre problème dans l'utilisation du rapport parce que moi je

 28   n'ai pas ces pages dans mon rapport. Moi, je passe de la page 254 à 260.

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  1   Donc je ne peux pas tout à fait suivre ce que dit le témoin à moins d'avoir

  2   la bonne référence en matière de pages.

  3   M. KOVACIC : [interprétation] Il y a confusion au niveau des chiffres ou

  4   des numéros parce que les versions anglaises sont celles que l'on a mises

  5   en référence. Le général s'est référé aux 258, 259 et encore une --

  6   L'ACCUSÉ PRALJAK : [interprétation] 260.

  7   M. KOVACIC : [interprétation] 260, oui. Et je pense que ces pages-là

  8   existent, mais je vais revérifier.

  9   M. SCOTT : [interprétation] Il n'y a pas de page 258 ou 259, ni 255 ni 256,

 10   ni 257, parce que le général vient de parler de ces pages-là; et moi je ne

 11   peux pas suivre si je n'ai pas les bonnes pages.

 12   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Je peux vous aider peut-être. Est-ce

 13   que vous avez les numéros en bas de page à droite ?

 14   M. SCOTT : [interprétation] Oui.

 15   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Cette page 259 où on parle de

 16   maladies de masse psychogéniques. C'est le 3D 430571.

 17   M. SCOTT : [hors micro]

 18   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] La Défense peut-elle vous fournir

 19   une copie complète.

 20   M. KOVACIC : [interprétation] Je ne sais même pas de quoi il s'agit. Moi,

 21   en version anglaise, j'ai les pages en question, 254, 255, 256, 257, 259,

 22   260, et cetera. Mais c'est très volontiers que je remettrai mon exemplaire

 23   à mon confrère, s'il le souhaite. Et moi, je pendrai son exemplaire à lui.

 24   Mais permettez-moi -- enfin, laissez-moi le temps de sortir ça du classeur.

 25   Tout a été copié de façon automatique dans la chambre destinée aux conseils

 26   de la Défense et je ne vois pas pourquoi l'exemplaire du Procureur serait

 27   différent. Pour moi, ça ne s'est jamais produit. Je pense que la chose est

 28   simplement incompréhensible.

Page 45617

  1   C'est le Procureur qui a copié lui-même, donc c'est là le problème. Je

  2   m'excuse. C'est très volontiers que je donnerai mon exemplaire à mon

  3   confrère.

  4   Je demanderais à M. l'Huissier de me donner un coup de main pour passer mon

  5   exemplaire au Procureur.

  6   Monsieur le Président, oui, le Procureur a photocopié lui-même. Ils ont

  7   reçu les numéros en affichage électronique il y a longtemps. Ça n'a pas été

  8   communiqué en dernière minute. Alors si M. Scott ne s'est pas préparé, ce

  9   n'est pas notre problème à nous.

 10   M. SCOTT : [interprétation] Excusez-moi, Monsieur le Président. Je n'ai

 11   aucune raison de --

 12   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur Scott --

 13   M. SCOTT : [interprétation] Ce commentaire personnel était vraiment

 14   superflu. Je n'ai critiqué personne. Je n'ai pointé du doigt personne. J'ai

 15   dit simplement que je n'avais pas de pages. Je ne vais pas ici être trop

 16   sensible, mais tout d'un coup c'est de ma faute parce que je ne me suis pas

 17   bien préparé. Ecoutez, Grand Dieu. Tout ce que je sais c'est que je n'avais

 18   pas ces pages, c'est tout. Si le conseil m'aide, je le remercie, mais

 19   inutile de faire un commentaire personnel.

 20   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur Praljak

 21   L'INTERPRÈTE : L'accusé Praljak hors micro.

 22   L'ACCUSÉ PRALJAK : [interprétation]

 23   Q.  Donc c'est en page 261, Monsieur le Témoin. Dites-moi dans quelles

 24   situations les gens se conformeront à l'influence sociale du système

 25   d'information ?

 26   R.  Le plus souvent, c'est dans des situations confuses qu'on assiste à ce

 27   type de conformité ou dans les situations ambiguës, également dans les

 28   situations de crise ainsi que dans les situations où la source à partir de

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  1   laquelle est exercée cette influence sociale et influence par la

  2   transmission d'information, lorsque cette source est un expert ou quelqu'un

  3   qui a une autorité en la matière.

  4   Q.  Très bien. Je vous ai posé cette question dans un but précis. Est-ce

  5   que le massacre de Mi Lai est la conséquence des circonstances

  6   particulières dans lesquelles se sont trouvés un ou deux commandants, ou

  7   bien cela résultait-il d'un ordre qui est venu du sommet des autorités

  8   américaines ? Qu'est-ce qui est la cause d'un tel comportement ? Est-ce que

  9   c'était un accident ? Est-ce que c'était prévisible ? Est-ce que ça a été

 10   l'objet d'un ordre ? Est-ce que cela a résulté de la chaîne de commandement

 11   ?

 12   R.  Ici je souscris à ce que dit mon confrère, M. Aronson, qui a fait une

 13   analyse sociopsychologique détaillée du cas de My L'ai, et en ce fondant

 14   sur un nombre d'arguments qui est tout à fait suffisant, on peut ici

 15   confirmer que du point de vue de la psychologie sociale, il était

 16   nécessaire ni que cela vienne d'un ordre précis ni que cela passe par la

 17   hiérarchie militaire pour que les événements se passent comme ils se sont

 18   passés à Mi Lai.

 19   Q.  Dans les situations de psychose de masse, est-ce que ce que l'on

 20   observe se produit sur la base d'information fictive ? Est-ce que sur la

 21   base de rumeur ou d'information tout à fait fictive, on peut ainsi arriver

 22   à des conséquences réelles et négatives pour la santé, des dommages pour la

 23   santé de l'individu ?

 24   R.  La psychologie des masses ne s'intéresse pas aux souffrances ou aux

 25   maladies qui se produisent sans le moindre symptôme. Vous avez parlé du cas

 26   de l'école dans le Tennessee, c'est un exemple qui nous montre la façon

 27   dont les informations peuvent avoir une influence majeure. C'est un cas

 28   dans lequel on a eu cette enseignante qui est entrée dans la classe, qui a

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  1   donné une information, et elle avait le rôle d'un expert. Elle était en

  2   position d'autorité. L'information en question, c'était qu'elle sentait une

  3   odeur d'essence et qu'en raison de cette odeur d'essence, elle ressentait

  4   des symptômes physiques tels des vertiges, des maux de tête, des

  5   évanouissements passagers et bénins. 

  6   Q.  Merci.

  7   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Je suis désolé, mais à qui faites-

  8   vous référence lorsque vous dites "elle" ? De qui s'agit-il ?

  9   LE TÉMOIN : [interprétation] Je parle de l'enseignante de cette classe, à

 10   partir de laquelle les écoliers de cette école sont massivement tombés

 11   malades. Il s'agissait d'un phénomène de masse. Et c'est un exemple de

 12   contamination sociale, à commencer par la classe où elle était enseignante,

 13   et puis cela s'est propagé à l'ensemble de l'école. On a vu apparaître des

 14   symptômes sans qu'il y ait une cause physique, organique à cela.

 15   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Vous avez répondu à ma question. Je

 16   vous remercie.

 17   L'ACCUSÉ PRALJAK : [interprétation]

 18   Q.  Très bien. Passons à la page 278, et une partie de la page 279. Est-ce

 19   que le fait de se conformer aux influences sera encore renforcé par le fait

 20   qu'on a affaire à une culture collectiviste, et dans quelle mesure les

 21   différentes cultures et les différentes données culturelles et

 22   sociologiques en présence peuvent-elles exercer une influence sur ce

 23   conformisme ?

 24   R.  Dans mon rapport, vous trouverez un grand nombre d'éléments sur les

 25   théories de l'identité sociale qui s'intéressent aux phénomènes des

 26   cultures à orientation plutôt individualiste ou plutôt à opposition aux

 27   cultures plus réalistes ou collectivistes. C'est un phénomène auquel

 28   s'intéressent les sociologues dans le monde entier. Les groupes qui ont

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  1   tendance à se comporter de façon collectiviste apparaîtront plus facilement

  2   dans les cultures collectivistes; et ce type de collectivisme dans ces

  3   cultures peut être le résultat de différentes catégories sociales. Il peut

  4   être la conséquence d'aspects idéologiques, religieux, celle du

  5   nationalisme et ainsi de suite.

  6   Q.  Merci. Dans votre livre, vous faites référence aux recherches de

  7   Milgram portant sur l'obéissance et la subordination aux autorités; est-ce

  8   exact ?

  9   R.  Oui, et dans mon rapport, je passe en revue tous les aspects auxquels

 10   vous vous référez qui émanent du livre d'Aronson.

 11   Q.  En page 288 --

 12   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Excusez. La question est "dans votre

 13   livre." Mais ce n'est pas le livre du témoin. Il parle aussi de Milgram

 14   dans son rapport d'expert. Donc je ne vois pas pourquoi vous lui posez la

 15   question à propos du manuel et non pas à propos de son rapport d'expert,

 16   puisque dans son rapport d'expert il l'aborde.

 17   L'ACCUSÉ PRALJAK : [interprétation] Monsieur le Juge Trechsel, oui, bien

 18   sûr, j'ai fait erreur lorsque j'ai dit "dans votre livre." C'était une

 19   erreur de ma part. Je voulais dire "dans votre rapport." Je ne peux pas

 20   dire "dans votre livre," car ce n'est pas un ouvrage qu'a écrit ce témoin.

 21   Q.  En pages 278, 279, 290, et 291 - vous avez cité cela dans votre rapport

 22   - dites-nous, s'il vous plaît, quelles sont les conclusions exactes des

 23   recherches de Milgram pour ce qui est de la soumission à l'autorité dans le

 24   cadre du groupe ?

 25   R.  Comme on le voit dans la description de cette expérience, Milgram a

 26   utilisé des sujets tout à fait normaux, qui étaient des citoyens absolument

 27   dans la moyenne. Et dans cette expérience dans laquelle on faisait des

 28   recherches sur le degré auquel les gens seraient enclins à se soumettre à

Page 45622

  1   l'autorité, on a réussi à montrer une inclination extrême à se soumettre

  2   dans certaines situations à différents types d'autorités. En l'espèce,

  3   c'était lui-même, dans son rôle de professeur d'université, qui était

  4   l'autorité en tant que professeur qui dirigeait cette expérience. Et sa

  5   conclusion porte sur la puissance de cette influence sociale et de

  6   l'influence des informations, et les effets négatifs de cette influence si

  7   elle émane d'une autorité; évidemment, à supposer que les instructions et

  8   les informations fournies par cette autorité soient erronées et fausses.

  9   Q.  Est-ce que des gens, des citoyens, des personnes tout à fait

 10   ordinaires, des étudiants, des employés ont fait partie de ces expériences

 11   ?

 12   R.  Oui, c'était un échantillon de citoyens des Etats-Unis, et je dois dire

 13   que c'est là une série d'expériences qui fait partie des expériences les

 14   plus connues et les plus reproduites en psychologie sociale; elles ont été

 15   conduites dans toutes les cultures et non pas seulement en Amérique du

 16   nord. Les résultats ont été interprétés et ont été confirmés dans d'autres

 17   cultures de la même façon.

 18   Q.  Dans votre rapport, vous avez également fait état de la puissance des

 19   rôles sociaux. Pouvez-vous passer aux pages 302 et 303 de cet ouvrage et

 20   dire aux Juges de la Chambre dans quelle mesure cette expérience qui a été

 21   conduite à l'Université de Stanford, expérience de Zimbardo et ses

 22   collègues, donc dans quelle mesure on a constaté que les gens se basaient

 23   sur des rôles dans leurs comportements, et dites-nous également s'il

 24   s'agissait d'un échantillon représentatif de citoyens ? Quelle était la

 25   nature de l'échantillon de personnes sur lesquelles cette expérience a été

 26   conduite, brièvement, s'il vous plaît.

 27   R.  C'était un échantillon d'étudiants de Stanford. Ils savaient qu'il y

 28   avait une prison fictive qui avait été construite dans les sous-sols de

Page 45623

  1   l'Université de Stanford, c'était un simulacre de prison. Et ils savaient

  2   que les rôles avaient été distribués au hasard. On avait tiré au sort les

  3   rôles. Ceux qui devaient jouer le rôle de prisonniers portaient un uniforme

  4   particulier, un uniforme de travail. On leur avait posé des chaînes à la

  5   cheville, ils portaient également un casque en nylon qui avait été simulé à

  6   partir d'un bas en nylon, et des chaussures en caoutchouc; alors que les

  7   gardiens étaient habillés de façon différente, ils avaient des sifflets. Et

  8   il était prévu de conduire cette expérience pendant deux semaines.

  9   Cependant, elle a dû être interrompue au bout de six jours car on a

 10   constaté un phénomène d'identification extrême, aussi bien du côté des

 11   gardiens que des prisonniers, identification extrême des personnes à leurs

 12   rôles. On a constaté que les prisonniers se comportaient comme des

 13   personnes totalement perdues et impuissantes alors que les gardiens avaient

 14   imaginé des insultes de façon assez créatives, à vrai dire, et ils se

 15   comportaient de façon assez sadique dans cette violence verbale dirigée à

 16   l'encontre des prisonniers.

 17   Q.  Est-ce que dans cette expérience, l'expert a, de quelque façon que ce

 18   soit, incité un côté ou l'autre à se comporter de cette façon, ou cela a-t-

 19   il résulté des rôles sociaux endossés par les uns et les autres de façon

 20   spontanée ?

 21    R.  Non. L'expérience sous-entendait que personne n'intervienne. Les

 22   expérimentateurs se sont contentés d'observer ce qui se passait. Lorsqu'ils

 23   ont vu que les choses allaient trop loin et qu'il pourrait y avoir des

 24   conséquences graves, ils ont interrompu l'expérience.

 25   Q.  Merci.

 26   R.  Et cette expérience a été reproduite de nombreuses fois avec des

 27   résultats similaires.

 28   Q.  Encore une chose. Vous parlez de désindividuation [phon] ou de la perte

Page 45624

  1   de l'individualité dans le groupe ou dans la multitude; c'est en pages 321,

  2   323. Pouvez-vous nous dire brièvement ce qui se passe lorsqu'on entraîne

  3   les gens, lorsqu'ils endossent des uniformes, lorsqu'ils intègrent de

  4   groupes nombreux ? On parle ici de lynchage. Alors de quoi les gens sont-

  5   ils capables lorsqu'on les soumet à ce phénomène de désindividuation en

  6   leur faisant porter un uniforme quel qu'il soit, par exemple, celui du Klu

  7   Klux Klan, qu'est-ce qui se passe ?

  8   R.  Lorsqu'il se produit cette désindividuation, je dois dire que,

  9   préalablement à cela, il doit exister une forte cohésion du groupe au sein

 10   duquel les individus vont être enclins à ce phénomène. Un deuxième élément

 11   est le comportement collectif, comportement collectif de tout groupe dans

 12   des situations données. Il s'agit de situations spontanées, et cela est

 13   particulièrement fréquent dans la guerre, situations spontanées dans

 14   lesquelles le groupe se comporte en fonction de règles décidées à la va-

 15   vite et en fonction desquelles on répartit des rôles qui affectent

 16   l'influence des normes sociales. Dans ce type de comportement collectif

 17   extrême, chaque attaque contre le groupe est ressentie par les individus

 18   comme étant une attaque contre lui-même. Donc on assiste à un phénomène

 19   extrême de désindividualisation où, pour simplifier, il y a fusion de

 20   l'individu avec le groupe, avec la multitude, au point qu'il perd la notion

 21   des limites habituelles s'appliquant à son comportement, et dans une

 22   situation de ce type, il est prêt à se livrer à des actes déviants et

 23   impulsifs, y compris les plus graves.

 24   Q.  Est-ce que dans de tels groupes l'agressivité est renforcée en raison

 25   de l'immersion de l'individu dans un tel contexte, dans une multitude au

 26   sein de laquelle il perd son individualité ?

 27   R.  Dans de tels groupes, on justifie l'agressivité, et, de façon générale,

 28   l'agressivité s'auto-entretient, l'agressivité d'un comportement renforce

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  1   l'agressivité en général.

  2   L'ACCUSÉ PRALJAK : [interprétation] Messieurs les Juges, peut-être est-il

  3   temps de faire la pause. Il me semble que c'est le temps. Je voudrais

  4   demander personnellement pouvoir souffler un peu.

  5   M. LE JUGE ANTONETTI : On va faire 20 minutes de pause.

  6   --- L'audience est suspendue à 15 heures 46.

  7   --- L'audience est reprise à 16 heures 07.

  8   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien, l'audience est reprise.

  9   Je vais lire une décision orale de la Chambre, décision orale

 10   relative aux modalités de l'interrogatoire du témoin Dragan Curcic.

 11   Le témoin Dragan Curcic doit comparaître devant la Chambre au titre de

 12   l'article 92 ter du Règlement de procédure et de preuve les 12 et 13

 13   octobre 2009. Par courrier du 29 septembre 2009, l'Accusation a demandé à

 14   la Chambre l'autorisation de disposer de deux heures pour mener son contre-

 15   interrogatoire. Lors de l'audience du 30 septembre 2009, l'Accusation a

 16   réitéré sa demande alors que la Défense Petkovic s'est adressée oralement à

 17   la Chambre ce même jour pour être autorisée à contre-interroger le témoin

 18   Dragan Curcic durant 45 à 60 minutes.

 19   La Chambre note que d'après la dernière actualisation du calendrier

 20   des témoins de la Défense Praljak envoyée aujourd'hui, l'interrogatoire

 21   principal du témoin Dragan Curcic serait d'une heure. Au vu des sujets

 22   abordés par le témoin dans la déclaration écrite, la Chambre décide de

 23   faire droit à la demande de l'Accusation et de lui accorder deux heures

 24   pour mener le contre-interrogatoire.

 25   En outre, la Chambre décide de donner une heure et 30 minutes de

 26   temps pour l'ensemble des équipes de la Défense pour mener leur contre-

 27   interrogatoire et invite les équipes de la Défense à se répartir ce temps

 28   alloué.

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  1   La Chambre estime, au vu du temps alloué à l'ensemble des équipes de

  2   la Défense et en l'absence de demandes spécifiques des autres équipes de la

  3   Défense, que la Défense Petkovic devrait avoir suffisamment de temps pour

  4   mener à bien son contre-interrogatoire sans qu'il soit nécessaire de lui

  5   attribuer une période de temps additionnelle. En conséquence, la Chambre

  6   rejette la demande de temps spécifique de la Défense Petkovic. 

  7   Bien. Donc, en un mot, la Défense Praljak aura une heure,

  8   l'Accusation aura deux heures, et les autres équipes de la Défense auront

  9   une heure et 30 minutes. Voilà.

 10   M. KOVACIC : [interprétation] Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

 11   je vous remercie pour cette décision. Tout est clair.

 12   Je voudrais simplement vous informer que dans le calendrier

 13   prévisionnel pour le témoin Curcic, pour ce qui est de ce temps d'une heure

 14   qui est prévu, c'est la durée maximale que nous prévoyons. Nous estimons

 15   qu'il est assez probable même que nous ayons besoin de beaucoup moins d'une

 16   heure. C'est la prévision en l'état actuel.

 17   Merci.

 18   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Témoin, une question de suivi par

 19   rapport aux questions de tout à l'heure.

 20   Vous nous avez parlé de l'expérience de Milgram qui a d'ailleurs fait

 21   l'objet d'un film français dont le titre était "I comme icare," et dont le

 22   rôle principal était joué par Yves Montand. Cette expérience de Milgram qui

 23   est connue dans le monde entier, puisqu'elle a été reprise dans plusieurs

 24   pays, fait que grosso modo, 70 % de personnes obéissent à l'autorité, quels

 25   que soient les ordres donnés par l'autorité. Est-ce que vous êtes d'accord

 26   avec ce pourcentage ?

 27   LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Président, d'après l'expérience de

 28   Milgram, il s'agit approximativement du pourcentage qui correspond à ce

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  1   choc maximal de 450 volts, donc au nombre de sujets participant à

  2   l'expérience et auxquels ce choc est infligé, car on utilisait cette

  3   information fausse comme quoi il s'agirait là de la punition qui serait

  4   infligée, en punition donc d'une mauvaise mémorisation, d'un apprentissage

  5   insuffisant. Alors, vous mentionnez maintenant une application analogue de

  6   ces résultats en disant qu'environ 70 % des gens seraient enclins à se

  7   soumettre aux ordres d'une autorité conformément aux principes du

  8   conformisme spontané et compte tenu du fait que l'on accorde de la valeur,

  9   socialement parlant, à cette soumission.

 10   Vous parlez d'un film. Je voudrais juste ajouter que cette expérience

 11   a été conduite à la télévision allemande, en 1980, par ailleurs, de façon

 12   tout à fait publique et les résultats obtenus ont été les mêmes.

 13   M. LE JUGE ANTONETTI : Très bien.

 14   Général Praljak.

 15   L'ACCUSÉ PRALJAK : [interprétation]

 16   Q.  Monsieur le Témoin, M. le Président le Juge Antonetti vous a interrogé

 17   au sujet d'une soumission aux autorités, au pouvoir. Mais est-ce qu'il

 18   s'agit ici de soumission aux structures du pouvoir de la société et de la

 19   soumission aux autorités de cette société ou de la soumission de l'autorité

 20   qui est à la tête du groupe ? De laquelle des deux s'agit-il ?

 21   R.  Nous parlons ici de soumission au phénomène de l'autorité. L'autorité

 22   est un concept assez général. Cela peut être une personne qui, dans une

 23   certaine situation, détiendra la meilleure solution pour le groupe en

 24   question. C'est ce que nous entendons par autorité à l'intérieur du groupe.

 25   Maintenant, le pouvoir, l'autorité, dans le contexte plus diversifié du

 26   pouvoir d'un Etat, c'est le président de cet Etat ou premier ministre.

 27   Q.  Exact. Mais ces personnes, en tant que citoyens, savaient pertinemment

 28   que la torture et d'autres comportements étaient inacceptables d'un point

Page 45628

  1   de vue social dans tous les pays où cette expérience a été conduite; n'est-

  2   ce pas ?

  3   R.  Oui, et c'est pour cela qu'au cours de ces expériences, les gens ont

  4   montré d'innombrables problèmes et réactions; mais ils ont continué à

  5   réagir en fonction de ces différents niveaux de choc. C'est ce qui est

  6   particulièrement intéressant.

  7   L'ACCUSÉ PRALJAK : [interprétation] Je vous remercie.

  8   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Je propose un changement au compte

  9   rendu.

 10   A la page 39, ligne 10, on emploie le mot "subrogation" en anglais,

 11   "soumission à l'autorité." Je pense que le mot est plutôt "soumission," en

 12   anglais, "subjugation."

 13   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

 14   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Je vous remercie.

 15   L'ACCUSÉ PRALJAK : [interprétation]

 16   Q.  Monsieur le Professeur, je vais continuer à vous poser des questions.

 17   Est-ce que tout ce au sujet de quoi je vous ai interrogé jusqu'à présent a

 18   été inclus dans votre rapport d'expert comme faits ?

 19   R.  Oui, il s'agit de faits théoriques et fondamentaux sur lesquels je me

 20   suis appuyé dans mon rapport. Cependant, je me suis également appuyé sur un

 21   contexte beaucoup plus large d'un point de vue théorique, aussi bien tel

 22   qu'il ressort de cette ouvrage, mais également d'autres ouvrages cités en

 23   bibliographie.

 24   Q.  Merci. Passons maintenant à la page 314 et 315, certaines parties de la

 25   page 317 également, 318, 319, 320 et 321. On y parle de décisions de groupe

 26   et on pose la question de savoir si deux cerveaux sont plus intelligents

 27   qu'un seul, deux ou plus, s'il y a une forme d'aveuglement ou de

 28   polarisation en direction des extrêmes et au bénéfice des membres les plus

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  1   extrêmes. Et j'aimerais que vous puissiez faire un lien entre cela et

  2   toutes les valeurs qui doivent être prises en compte, bien entendu, dans

  3   toute étude sociale et psychologique ainsi que, bien sûr, le contexte

  4   culturel dans lequel cela s'inscrit, les données culturelles et

  5   civilisationnelles. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

  6   R.  Il s'agit ici de la prise de décisions dans les groupes. Aujourd'hui,

  7   dans le monde civilisé, cela fait l'objet d'un certain consensus. On prend

  8   les décisions au sein de groupes car on considère que si un groupe se

  9   conforme à un scénario donné lors de la prise de décisions, il est à même

 10   de prendre des décisions meilleures que ne le ferait un individu seul. Ce

 11   dont vous parlez c'est l'aspect négatif de la prise de décision au sein des

 12   groupes. Il y a ici plusieurs phénomènes en jeu. Il y a le phénomène des

 13   pertes qui apparaissent au cours du processus, le phénomène de

 14   l'aveuglement au sein du groupe qui est fondé sur la théorie des groupes,

 15   conformément aux travaux d'un spécialiste américain, un psychologue

 16   reconnu.

 17   Q.  [hors micro]

 18   R.  Il me faudra un peu plus de temps pour expliquer cela.

 19   Le phénomène de la perte au cours du processus se produit lorsque le

 20   groupe ne tient pas compte de tous les arguments, mais ne prend de

 21   décisions en ne se fondant que sur les informations consensuelles au sujet

 22   desquelles tous les membres du groupe sont d'accord. Et de telles décisions

 23   ont généralement des conséquences négatives.

 24   L'aveuglement du groupe est un phénomène plus grave et le problème

 25   vient dans ce cas du fait que la décision est prise au sein des groupes

 26   présentant une très forte cohésion, qui ont à leur tête un leader qui

 27   exerce une influence et donne une orientation. Il s'agit d'une personne qui

 28   ne va pas discuter, aborder les différentes informations disponibles, mais

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  1   donner des indications, une orientation. Et il y a là un problème

  2   méthodologique de mauvaises méthodes qui sont utilisées, enfin, le cas où

  3   le groupe qui prend des décisions est isolé. Il y a cet aveuglement de

  4   groupe qui se produit également dans les cas où le groupe a l'illusion

  5   d'être un groupe d'élus, invulnérable, qui exerce une certaine suprématie

  6   sur le reste du monde. Il y a dans ces cas-là une forme d'autocensure à

  7   l'intérieur du groupe afin que les personnes qui pensent peut-être

  8   différemment au sein du groupe se taisent. Il y a également ceux qui jouent

  9   le rôle de gardiens des opinions, qui empêchent les opinions dissidentes

 10   d'apparaître et qui s'assurent que tout le monde suit bien la position du

 11   leader. Donc les décisions sont partielles et elles sont prises en ne

 12   prenant pas en compte tous les facteurs de risques en ne s'appuyant pas sur

 13   toutes les sources d'information disponibles et en s'appuyant sur la

 14   conviction qu'il n'y a pas d'autre alternative pour obtenir le résultat

 15   désiré.

 16   Q.  Merci.

 17   R.  [aucune interprétation]

 18   Q.  [aucune interprétation]

 19   R.  Est-ce que vous voulez que je donne plus de détails sur les risques ?

 20   Q.  Non, nous allons sauter cela. Une guerre est un conflit. Je sais que

 21   vous avez abordé cela également, donc en pages 325 et 326, je voudrais que

 22   vous puissiez nous dire très clairement quels sont les différents éléments

 23   du conflit et de la coopération, que ce soit d'un point de vue théorique,

 24   et nous verrons après également d'un point de vue pratique; donc pages 325

 25   et 326.

 26   R.  Dans ce contexte, pour ce qui est de la coopération et du conflit, se

 27   posent toujours certaines questions fondamentales. Par exemple, de quelle

 28   façon peut-on amener à coopérer des personnes en conflit ? Comment peut-on

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  1   résoudre ce conflit ? Et on est confronté alors à de nombreux dilemmes.

  2   L'un de ces dilemmes est un dilemme de nature sociale. Dans les termes de

  3   ce dilemme, l'action la plus utile, du point de vue d'un individu choisi

  4   par le groupe pour le représenter ou pour décider, est une action qui va

  5   s'avérer être la plus désastreuse pour le groupe dans son ensemble. Un

  6   autre aspect de la même question a trait à la tentative qui peut être celle

  7   de résoudre le conflit en recourant à la menace.

  8   Q.  Très bien.

  9   R.  Souhaitez-vous des détails à ce sujet ?

 10   Q.  Nous allons voir cette question du recours à la menace pour résoudre un

 11   conflit. Vous avez écrit à ce sujet. Mais dites-moi pourquoi est-ce que le

 12   pourcentage des homicides aux Etats-Unis est bien plus élevé que dans

 13   d'autres pays, par exemple, par comparaison au Canada ?

 14   R.  Il y a de nombreuses interprétations de cela, mais la plus fréquente

 15   fait référence à la grande quantité d'armes qui peuvent être portées de

 16   façon tout à fait légale aux Etats-Unis et certaines d'entre elles sont

 17   portées de façon illégale également. Du point de vue de la psychologie

 18   sociale, la seule présence d'arme, comme Leonid Berkovich le dit, est un

 19   signe d'agressivité du point de vue théorique. Donc la seule présence des

 20   armes peut entraîner et causer une agressivité supplémentaire chez des

 21   personnes tout à fait ordinaires. Et c'est donc en raison de cette présence

 22   massive d'armes aux Etats-Unis que l'on considère, dans cette

 23   interprétation, qu'il y a également des conséquences qui se traduisent

 24   également par un taux de meurtres plus important qu'au Canada, par exemple,

 25   où le port d'arme est interdit.

 26   Q.  Passons à la page 329 et cette question du recours à la menace dans la

 27   résolution des conflits et la question de savoir comment se comportent les

 28   gens dans cette expérience de Deutsch et Krauss, expérience assez célèbre.

Page 45632

  1   Je voudrais que vous expliquiez cela pour les Juges de la Chambre. Pour

  2   autant que je le sache, vous en avez fait mention dans votre rapport.

  3   R.  En effet, mais il faut un peu de temps pour décrire cela. Vous

  4   souhaitez que je vous donne uniquement les conclusions de l'expérience ?

  5   Q.  En effet. Oui, donnez seulement les conclusions.

  6   R.  Deutsch et Krauss sont deux psychologues qui ont conduit cette

  7   expérience tout à fait classique dans les années '60. On se posait la

  8   question de savoir s'il était possible de résoudre un conflit entre deux

  9   parties en utilisant des menaces, compte tenu du fait que les menaces sont

 10   assez présentes dans la vie quotidienne. Par exemple, une mère menace ses

 11   enfants ou le professeur menace ses élèves et les deux s'efforcent de

 12   contrôler, de réguler un comportement de cette façon. Dans cette

 13   expérience, on a constaté que non seulement la menace n'établit pas de

 14   coopération entre les deux parties et ne résout pas le conflit, mais on a

 15   constaté également que plus la menace était grande, plus le conflit

 16   s'exacerbait entre les deux parties.

 17   Q.  Est-il donc exact de dire que juste avant le début de la guerre ou au

 18   début de cette dernière, lorsque les menaces augmentent, il y a une plus

 19   forte probabilité de voir le conflit éclater et se développer s'il n'y a

 20   pas de force qui s'y oppose ? Il est plus probable de voir cela se produire

 21   que de voir des solutions pacifiques émergées ? Je ne parle pas ici

 22   uniquement de la guerre en ex-Yougoslavie mais de toute guerre dans tout

 23   pays.

 24   R.  Au terme de cette expérience, les menaces ne parviennent jamais aux

 25   résultats désirés. D'autres mesures sont nécessaires, y compris dans le cas

 26   de la guerre et dans le cas que vous avez mentionné.

 27   Q.  Merci. Passons maintenant à une partie très importante qui a été

 28   étudiée depuis que l'humanité existe. C'est la question de l'agression.

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  1   Passez en pages 417, 418, 419 et nous poursuivrons. Qu'est-ce que

  2   l'agression ? Comment distingue-t-on différentes catégories ? Est-ce qu'il

  3   s'agit de quelque chose d'inné ou d'acquis ?

  4   R.  L'agression, c'est un acte hostile vis-à-vis d'une autre personne qui

  5   vise à lui porter du tort psychiquement ou physiquement, de la douleur. Il

  6   y a deux types fondamentaux d'agression. Il s'agit d'agression hostile et

  7   d'agression instrumentale. Quand il s'agit de cette agression hostile, il

  8   n'y a pas d'autre objectif que de porter de la douleur à la victime; alors

  9   que l'agression instrumentale, ce n'est pas primordial que de lui faire

 10   mal, mais d'aboutir à la réalisation d'un autre objectif, pillage, violence

 11   en vue de piller. C'est la raison pour laquelle la guerre peut être

 12   considérée comme étant la forme privilégiée d'agression instrumentale,

 13   parce que la forme et le planning fondamentaux, d'après Erich Fromm, il y a

 14   l'objectif rationnel. L'agression permet d'aboutir à un autre objectif, un

 15   objectif qui n'est pas seulement celui de la violence ou le fait de tuer

 16   des gens. Il y a des facteurs biologiques et sociaux. 

 17   Q.  Petite question sous-jacente. Alors, d'après Erich Fromm, la guerre

 18   comme agression instrumentale, est-ce qu'il y a l'agression hostile qui en

 19   fait partie ? Et dans cette agression instrumentale, est-ce que cela influe

 20   sur la spirale de la guerre, sa durée, et cetera, et cetera ?

 21   R.  Je l'ai expliqué dans mon expertise. La thèse de Fromm est acceptée en

 22   long et en large pour ce qui est des causes de la guerre. Il affirme que la

 23   prétendue cause de la guerre, disons que c'est des penchants irrationnels,

 24   ne tient pas debout parce que depuis les tout débuts jusqu'à nos jours, les

 25   guerres avaient des objectifs rationnels; on voulait atteindre un objectif

 26   rationnel : les biens économiques, des territoires ou des biens analogues.

 27   Q.  En page 419 --

 28   R.  Je voulais encore expliquer quand est-ce que l'autre type fait son

Page 45635

  1   apparition. La guerre, c'est un nouveau contexte pour un psychologue en

  2   matière de sociologie. C'est un contexte nouveau. Et dans ce contexte

  3   nouveau, ce ne sont pas les mêmes règles qui prévalent que celles lorsqu'on

  4   accède à la guerre. Dans ce contexte, il peut y avoir des agressions

  5   hostiles, non pas seulement instrumentalisées, mais l'hostilité qui a pour

  6   objectif de faire souffrir, et dans toutes les guerres, ça fait son

  7   apparition aussi.

  8   L'INTERPRÈTE : Hors micro.

  9   L'ACCUSÉ PRALJAK : [interprétation]

 10   Q.  Page 419, et je crois que vous vous êtes occupé de ce problème,

 11   l'agressivité dans les différentes cultures. Ici, il est question de la

 12   civilisation européenne occidentale à laquelle nous appartenons. On a parlé

 13   des Iroquois [comme interprété], puis la culture de l'honneur. Enfin, je

 14   vous demanderais d'étoffer.

 15   R.  Dans le manuel, on en parle très peu. Le phénomène est beaucoup plus

 16   important qu'il n'en a été question dans le manuel. Il existe de nombreuses

 17   études du point de vue de l'anthropologie, de la sociologie et de la

 18   psychologie sociale. Il importe ici de mentionner le fait qu'un cercle

 19   d'anthropologistes américains a étudié la chose de façon intense entre les

 20   années '30 et '50, parmi eux, Margaret Mead et Ruth Benedict, qui sont les

 21   plus connues. Il convient de préciser que le président Roosevelt a contacté

 22   Ruth Benedict pendant la guerre et son groupe de chercheurs pour justement

 23   aborder ce type de problème de différence dans ce contexte de l'agression

 24   relié aux différentes cultures, pour ce qui est, par exemple, de la culture

 25   allemande et japonaise.

 26   Q.  Professeur Sakic --

 27   R.  Donc la position conjointe entre anthropologistes, sociologues et

 28   psychologues sociaux qui veut dire que toutes les cultures ne sont pas

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  1   disposées à se comporter de façon aussi agressive les unes que les autres.

  2   Certaines sociétés sont plus portées à des comportements agressifs. Fromm

  3   l'illustre très bien dans son livre intitulé "L'anatomie de la

  4   destructivité humaine."

  5   Q.  Professeur, une question hors contexte. Dans la Deuxième Guerre

  6   mondiale, savez-vous nous dire combien de psychologues américains sont

  7   intervenus et ont travaillé pour l'armée américaine, notamment pour ce qui

  8   est de la détermination de la sélection positive, et combien d'interviews

  9   il y a eus et d'analyses, de recherches, pour ce qui est des missions à

 10   confier aux officiers, officiers supérieurs, et cetera ? Auriez-vous

 11   connaissance de ce type de données ?

 12   R.  Certainement. Il n'y a pas que la Deuxième Guerre mondiale. C'est

 13   l'Amérique qui a introduit la psychologie dans la guerre et les

 14   psychologues. Avant la Deuxième Guerre mondiale, le phénomène le plus connu

 15   c'est la série Woodworth alpha et bêta, tests d'intelligence alpha et bêta.

 16   Ces tests ont permis de tester les soldats américains, c'est-à-dire ceux

 17   qui s'étaient portés volontaires pour aller se battre en Europe. Ceux-là

 18   ont été soumis à ce type de tests et on en a fait une sélection. C'est

 19   partant de cette sélection qu'on a envoyé des soldats américains faire

 20   cette guerre, et cela a permis de prévenir un grand nombre d'échecs. On a

 21   envoyé les plus aptes et on a empêché qu'il y en ait plus à périr.

 22   Dans la Deuxième Guerre mondiale, non seulement on a fait participer une

 23   quantité énorme de psychologues, mais on en a eu au niveau de toute unité

 24   militaire d'envergure. Il y a eu l'intervention de centres et de cliniques

 25   en la matière qui ont vaqué à l'étude des différents aspects psychologiques

 26   de la guerre.Je vais donner un exemple. Allport, un sociologue en matière

 27   de psychologie très connu dans la deuxième moitié du XXe siècle, pendant la

 28   Deuxième Guerre mondiale, a eu à organiser une clinique se chargeant

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  1   d'étudier les rumeurs. Cette clinique a vaqué à l'étude de la psychologie

  2   de la propagande, et les résultats des recherches qu'ils ont avancés ont

  3   été utilisés par l'armée américaine, notamment dans le Pacifique, pour ce

  4   qui est des combats maritimes contre les Japonais. On estime qu'il y a eu

  5   beaucoup plus de succès pour ce qui est des rumeurs qu'on a fait courir

  6   quant aux batailles contre la marine japonaise que cela n'a été le cas dans

  7   la réalité.

  8   Q.  Merci. Est-ce que vous pouvez nous dire brièvement qu'est-ce qu'on a

  9   encore étudié du point de vue chimique, cette forme plutôt bizarre d'étude

 10   de la testostérone, de la sérotonine et de ce type de réacteurs chimiques

 11   qui font que ce type de sécrétion fait que quelqu'un est plus agressif que

 12   quelqu'un d'autre. Alors, que nous dit la sociologie psychologique et que

 13   nous disent aussi la pharmacologie et les sciences annexes s'agissant de ce

 14   problème ?

 15   R.  Vous parlez là des causes biologiques ?

 16   Q.  Il s'agit du 421, 422 et 423. A la fin, il y a l'alcool et l'agression.

 17   R.  Vous êtes en train de parler des causes biologiques de ces

 18   comportements agressifs. Pour ce qui est de savoir dans quelle mesure cela

 19   est conditionné par les sécrétions chimiques, il y a bon nombre de théories

 20   qui parlent de la nativité ou de cette filière nativiste dans l'étude de la

 21   société. Mais ici, il est question de ce qui a été prouvé en tant qu'agents

 22   biologiques et chimiques. Il s'agit de l'étude d'une zone du cerveau que

 23   l'on appelle l'amygdale [comme interprété] et qui est chargée des

 24   comportements agressifs. On a fait des tests sur des animaux à cet effet.

 25   Puis, il y a aussi des sécrétions renforcées de testostérone, c'est un

 26   agent chimique dans le cerveau qui inhibe les comportements agressifs. On

 27   diminue la tendance au comportement agressif du fait de cette sécrétion

 28   renforcée de la testostérone, c'est donc l'hormone masculin qui génère le

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  1   fait d'être porté à des comportements plus agressifs.

  2   L'alcool est une autre substance chimique qui influe sur l'augmentation des

  3   comportements agressifs, mais de façon indirecte. L'alcool diminue le seuil

  4   critique et augmente le fait d'être porté à réagir de façon exagérée à

  5   certaines situations critiques. Il convient de dire que c'est l'une des

  6   causes les plus fréquentes de ce type de comportement. C'est dans plus de

  7   70 % des actes de violence que cela est présent pour ce qui est de la

  8   population humaine, qu'on parle d'accidents de la circulation, des

  9   violences au sein de la famille, et en temps de guerre. Quand on parle du

 10   territoire de l'ex-Yougoslavie, on a pu voir que cela a été très présent,

 11   parce que les unités paramilitaires serbes s'en sont servies dans de

 12   grandes quantités, et il y a eu des bombardements renforcés de villes

 13   autour desquelles ils se trouvaient déployés, et il y a eu de gros dégâts

 14   subis par ces villes et par la population à l'intérieur de ces dernières.

 15   Q.  Est-ce qu'on peut dire que les autres aussi ont consommé de l'alcool ?

 16   R.  Oui. J'ai parlé d'un phénomène. Mais les autres, c'était aussi le cas,

 17   parce que l'alcool est un phénomène qui est grandement intervenu dans la

 18   guerre.

 19   Q.  Est-ce que dans l'histoire vous avez connaissance qu'il y ait eu

 20   utilisation de l'alcool dans la Première Guerre, Deuxième Guerre mondiale,

 21   qui était une façon légale d'augmenter le niveau d'agressivité, par

 22   exemple, des troupes russes ou autres à l'égard de leurs adversaires ?

 23   R.  C'est connu, c'est vrai. On sait que sous l'effet de l'alcool, il y a

 24   diminution de l'aptitude de l'homme à discerner les choses, donc il y a

 25   diminution du sens critique, et les soldats sont alors plus disposés à se

 26   lancer dans des actions risquées.

 27   Q.  Maintenant, on va parler des causes circonstancielles de l'agression,

 28   et là, je me réfère notamment aux 423, 424, 425, 426, 427 et 428, puis à la

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  1   page 429 aussi. Nous allons aborder brièvement tout ça, et ça va jusqu'à la

  2   page 430. Pouvez-vous brièvement nous dire si la douleur ou le malaise peut

  3   aussi générer l'agression ? Et là, vous avez sous les yeux une grande

  4   corrélation entre la violence et la chaleur de l'été.

  5   R.  Ce sont des aspects circonstanciels des comportements agressifs. La

  6   douleur est de nature à vous inciter à vous comporter de façon agressive;

  7   le malaise aussi, le malaise occasionné par des mauvaises odeurs. On a

  8   particulièrement étudié la chaleur. La chaleur influe grandement sur les

  9   comportements agressifs, et des cas notoirement connus sont ceux des années

 10   '60 aux Etats-Unis d'Amérique où il y a eu des protestations contre la

 11   guerre au Vietnam. Certains appelaient cela les longs étés très chauds,

 12   parce que les doses de protestations étaient plus grandes en été que dans

 13   les autres saisons de l'année. Les expérimentations en laboratoire

 14   confirment cette hypothèse, à savoir, dans les milieux où il fait plus

 15   chaud, rien que de ce fait-là, les gens sont plus portés à se comporter de

 16   façon agressive.

 17   Q.  Alors vous avez un groupe d'étudiants, on leur fait mettre les mains

 18   dans une eau froide et après on teste l'augmentation de l'agressivité ou

 19   pas.

 20   R.  Ça, c'est l'effet de la douleur. Ceux à qui on n'a pas plongé le bras

 21   dans une eau glaciale réagissent de façon différente que ceux où cela a été

 22   fait.

 23   Q.  Monsieur le Professeur, les soldats qui séjournent longuement dans des

 24   tranchées, qui souffrent du froid, d'une sous-alimentation, de la fatigue,

 25   est-ce que dans des situations de ce genre, on peut s'attendre à une

 26   agressivité renforcée de leur part ?

 27   R.  C'est la somme de la totalité des facteurs que nous avons déjà évoqués.

 28   Ces facteurs interviennent de façon synergique, et les soldats exposés à ce

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  1   type de circonstances sont plus portés à l'agressivité que cela n'est le

  2   cas dans les situations ordinaires, si on peut parler de situation

  3   ordinaire ou régulière en temps de guerre.

  4   Q.  Bon. Situations sociales qui mènent à l'agression; frustration,

  5   provocation directe.

  6   R.  La frustration est la forme la plus fréquente pour ce qui est des

  7   causes ou des incitateurs au comportement agressif. Comme on le sait, la

  8   frustration est une circonstance où l'on est entravé dans la réalisation de

  9   certains de nos objectifs, et c'est plus manifeste chez nous dans le cas où

 10   l'objectif est vraiment très important à nos yeux.

 11   Q.  Bon.

 12   R.  Si vous voulez parler de frustration, il y a la théorie de Don et

 13   Miller [phon] qui est très connue en tant que phénomène sociopsychologique.

 14   Mais il n'y a pas de doute pour ce qui est de dire que la frustration

 15   génère plus de comportements agressifs. Le deuxième élément que vous avez

 16   évoqué, c'est la provocation. Quand il y a provocation, celle-ci peut

 17   générer de l'agressivité, notamment si les situations s'y prêtent. Par

 18   exemple, si une personne provoquée est alcoolisée, son agressivité n'en

 19   fait que croître. Il en sera de même pour ce qui est des situations qui ne

 20   sont pas tout à fait habituelles.

 21   Les symptômes d'agressivité --

 22   Q.  On va en parler une fois de plus parce que c'est une expérimentation

 23   assez surprenante. Vous l'avez mentionnée déjà, et je pense que vous en

 24   avez parlé également dans votre expertise. Il s'agit des pages 428 et 429,

 25   et ça va jusqu'à la page 430. Penchons-nous brièvement sur cela. Expliquez-

 26   nous l'expérimentation en question. Que cela signifie-t-il pour la

 27   croissance de l'agressivité, la modification d'un élément insignifiant dans

 28   une même situation, dans une salle, par exemple, vous avez quelqu'un qui

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  1   tient une raquette et quelqu'un qui tient une arme, un pistolet, et

  2   pourquoi les psychologues en matière de sociologie en sont-ils venus à

  3   cette phrase : est-ce que c'est l'homme qui tue ou est-ce que c'est le

  4   fusil qui tue ?

  5   R.  C'est une série d'expérimentations conduite par Leoni de Berkovich, un

  6   psychologue américain, l'un des plus connus en matière de psychologie

  7   sociale à avoir étudié les comportements agressifs, et cela a modifié la

  8   façon dont on a compris ce domaine, c'est-à-dire la présence de l'arme ou

  9   des armes sur le comportement des individus. Il a pris deux types

 10   d'individus, deux groupes, dans deux pièces. Dans une pièce, il y avait des

 11   armes, et dans l'autre, il y avait des raquettes de badminton. Puis, il les

 12   a exposés, ces groupes, à des situations différentes, et on les a

 13   provoqués, on les a incités à se comporter de façon agressive. Dans la

 14   pièce où il y avait des armes, statistiquement parlant, il y a eu un

 15   comportement beaucoup plus agressif que pour ce qui est du groupe de

 16   l'autre pièce où il n'y avait que des raquettes de badminton. Alors le

 17   symbole de l'agression porte à des comportements agressifs. Ce qui signifie

 18   qu'en temps de guerre, la présence d'énormes quantités d'armes influe

 19   certainement sur la croissance de l'agressivité, et une agressivité plutôt

 20   souvent incontrôlée, où c'est le cas des situations tout à fait

 21   inhabituelles.

 22   Q.  Est-ce que nous pouvons en conclure que la présence d'un fusil ou le

 23   fait de pouvoir tirer sur la gâchette est susceptible d'augmenter

 24   l'agressivité auprès de personnes tout à fait normales ?

 25   R.  Exact. Et là, je peux vous donner des données ou des analyses

 26   impressionnantes qui ont été réalisées par des psychologues américains.

 27   C'est-à-dire, dans les foyers américains, il y a la présence, pratiquement

 28   dans chaque foyer, d'une arme ou d'armes. Et on a fait une analyse pour

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  1   déterminer les suicides et les meurtres. On a constaté qu'il est normal que

  2   les gens se procurent des armes pour se protéger soi-même. Mais on a

  3   analysé aussi le fait de savoir dans quelle mesure ces armes ont été visées

  4   à des fins d'autodéfense et dans quelle mesure cela a été utilisé de façon

  5   autre. La constatation est celle-ci : seulement dans 2 % des cas ces armes

  6   ont été utilisées pour l'autodéfense, et dans tous les autres cas, ça a été

  7   utilisé entre époux/épouse pour tuer l'un l'autre, ou alors, pour des cas

  8   de suicide de la part d'enfants ou de la part de qui que ce soit d'autre,

  9   ou alors, meurtres d'un voisin quelconque, ce qui fait que la présence

 10   d'une arme est susceptible de générer des conséquences aussi tragiques,

 11   rien que la présence. La motivation ce n'est pas seulement la présence de

 12   l'arme, mais c'est la présence de l'arme qui facilite les comportements

 13   agressifs.

 14   Q.  Est-ce que l'on a fait des recherches pour ce qui est d'une culture

 15   tout à fait similaire telle que celle du Canada ?

 16   R.  Il y a des statistiques d'établis, c'est mondialement fait. Et à titre

 17   comparatif, on sait qu'au Canada on utilise beaucoup moins les armes et il

 18   y a beaucoup moins de violence extrême, notamment beaucoup moins de

 19   meurtres. Il y a dix ou sept fois moins de meurtres au Canada qu'aux Etats-

 20   Unis.

 21   Q.  Professeur, j'en arrive au dernier sujet, qui, de mon avis, est très

 22   important, et notamment c'est important pour ce procès. Comment diminue-t-

 23   on l'agressivité ? Je me réfère au 438, à la page 439 à la page 440, 441,

 24   442, 443, 444, et 445. D'après moi, c'est un segment très important de ce

 25   chapitre et cela me permettrait d'en terminer avec ce manuel.

 26   Alors, le fait de sanctionner les comportements agressifs risque-t-il de

 27   les faire baisser ou pas, et que convient-il ou qu'importe-t-il de

 28   souligner dans tout ce récit-là ?

Page 45643

  1   R.  Les recherches pour ce qui est de l'influence des sanctions à l'égard

  2   des comportements agressifs, ces analyses sont très riches, on n'a pas fait

  3   cela seulement en matière de psychologie sociale, on l'a fait depuis des

  4   centaines d'années. On sait très bien quel est le rôle de la sanction dans

  5   la civilisation qui est la nôtre. Les psychologues en matière de sociologie

  6   ont fait des expérimentations en faisant varier les personnes examinées et

  7   les circonstances. Et il s'est avéré que les punitions, les sanctions du

  8   type classique, là où on enferme les gens, ou là où il y a peine de mort,

  9   donc qui est la peine la plus grave, d'après ces analyses et d'après les

 10   simulations en laboratoire pour ce qui est de ce type de cas de figure, il

 11   s'est avéré que la sanction génère très peu, fort peu d'effets pour ce qui

 12   est des individus pour les inciter à ne pas commettre ce type de chose. Et

 13   il en va de même pour ce qui est des individus qui ont été déjà sanctionnés

 14   pour qu'il n'y ait pas récidive pour ce qui est des cas de crime le plus

 15   grave.

 16   Pour ce qui est des recherches en laboratoire, ces recherches ont montré --

 17   d'abord, on a posé la question de savoir : est-ce que la sanction est utile

 18   du tout. Et puis il s'est avéré toute une série d'expérimentations. Je ne

 19   vais pas parler des psychologues parce qu'ils sont nombreux en la matière.

 20   Il s'est avéré, disais-je, que la sanction est susceptible d'être efficace

 21   seulement si elle survient rapidement après la commission du délit et si

 22   cela est fait de façon conséquente et si la sanction ne saurait être évitée

 23   par l'auteur du délit ou du crime. Donc il faut que ça se fasse rapidement

 24   et il faut que ces trois éléments soient présents pour que la sanction

 25   aboutisse à la finalité qui est la sienne pour ce qui est des délits où il

 26   y a violence.

 27   Q.  Question : est-ce que la suppression ou la mise en place d'une peine de

 28   mort, compte tenu des incertitudes et des aléas qui sont appliqués dans ces

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  1   deux cas de figure, ont influé sur l'augmentation ou la diminution des

  2   crimes en Amérique ou dans d'autres pays ? 

  3   R.  Non. Il y a des Etats en Amérique où on a supprimé la peine de mort et

  4   puis on l'a réintroduite, et il s'est avéré que dans l'un et dans l'autre

  5   cas, rien n'influait sur le taux des crimes commis, crimes qui étaient

  6   susceptibles ou passibles d'une peine de mort.

  7   Q.  Professeur, on a expliqué ici le problème dans les écoles norvégiennes

  8   lorsqu'on avait constaté des violences, et à la demande du gouvernement, un

  9   psychologue en matière de sociologie, un dénommé Olweus a fait un certain

 10   nombre de choses. Mais ce qui m'intéresse c'est de savoir si ce type de

 11   circonstances, d'après les explications qui sont données ici dans ce manuel

 12   et l'expérimentation qui a été conduite pendant deux ans, ont conduit à des

 13   résultats partiels. Ce type de situation, l'agressivité dans les écoles

 14   avec suicide d'un garçon, est-ce que ça aurait pu être tranché par des

 15   ordres de la part du gouvernement ou du président de la République, ou il y

 16   aurait eu interdiction officielle ? Si cela avait été possible, pourquoi

 17   aurait-on gaspillé deux ans de travail énorme de la part d'instituteurs, de

 18   psychologues, de parents, d'institutions de l'Etat, et cetera, pour dire

 19   que le résultat a été diminué de    50 %. Le problème s'est donc vu réduit

 20   de 50 %. 

 21   R.  Ici, il s'agit d'un programme préventif mondialement connu établi par

 22   un psychologue norvégien qui répond au nom d'Olweus contre le dénommé

 23   bullying [comme interprété]. Ces programmes ont été établis dans le monde

 24   entier, et il est clair qu'on ne peut pas par des ordres influer sur les

 25   cas de violence dans les écoles. Il faut entreprendre toute une surie de

 26   mesures en application d'un scénario déterminé, en application d'une

 27   procédure bien déterminée. Et dans la mise en œuvre de ce type de

 28   procédure, il faut qu'il y ait participation de la totalité des acteurs, et

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  1   on parle d'instituteurs, des parents, des autorités locales et des

  2   autorités suprêmes. Dans ce cas particulier, il y a un programme préventif

  3   de mise en place qui a prévu une procédure, et dans un délai de deux ans,

  4   il y a eu une réduction de 50 % des cas de harcèlement dans les écoles

  5   norvégiennes. 

  6   Q.  Mais Professeur, pourquoi n'a-t-on pas tout simplement donner un ordre

  7   de faire cesser la chose ?

  8   R.  Parce qu'on ne peut pas donner ce type d'ordre. Parce que pour ce qui

  9   est du harcèlement, il y a des facteurs psychologiques systématiques et

 10   autres qu'on ne peut trancher du jour au lendemain.

 11   Q.  Et la guerre, est-ce une situation différente, meilleure ou pire que la

 12   situation de cette société norvégienne où ils ont eu besoin de deux ans ?

 13   R.  La guerre c'est une situation de crise à l'extrême. C'est la situation

 14   la plus critique du point de vue psychologique, et bien entendu, la guerre

 15   ne peut être stoppée par des ordres. Le mieux c'est de faire de la

 16   prévention et non pas laisser les choses aller jusqu'à ce que cette guerre

 17   ne survienne.

 18   Q.  Très bien. Dans cette phrase, il est dit, je cite : "Dans la plupart

 19   des villes américaines, la probabilité de voir le perpétrateur d'un crime

 20   violent être découvert, arrêté, poursuivi et condamné n'est pas très

 21   élevé." Alors, petit A, est-ce que cela est exact ? Est-ce que cela vaut

 22   également pour la Grande-Bretagne, et cetera ? Et petit B, est-ce que cette

 23   probabilité de voir le perpétrateur arrêté, poursuivi, et condamné, et

 24   cetera, est-ce que cette probabilité exerce également une influence sur la

 25   répétition éventuelle d'actes de cette nature ?

 26   R.  Nous avons parlé de cela. Je ne parlerais pas ici particulièrement des

 27   Etats-Unis. Cela s'applique aussi à la Grande-Bretagne et partout ailleurs.

 28   C'est d'une validité générale partout où on assiste à des taux de

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  1   criminalité significatifs, dans ce cas-là, la probabilité est plus grande

  2   que de voir les perpétrateurs ne pas être arrêtés et ne pas être poursuivis

  3   en justice, donc cette probabilité est plus grande. Et dans ce type de

  4   circonstance, on assiste à la formation d'un rapport particulier des gens

  5   par rapport au comportement agressif, parce que ce dernier n'est pas puni.

  6   Si l'on n'arrête pas tous les perpétrateurs de crimes violents, si on ne

  7   les traduits pas en justice, dans ce cas-là, tous les autres voient

  8   également dans cette réalité un encouragement et une forme de certitude ou

  9   une raison de penser qu'eux-mêmes ne seront pas arrêtés.

 10   Q.  Compte tenu de la difficulté dont il est question ici, difficulté de

 11   traduire en justice ces différents perpétrateurs dans tous ces différents

 12   pays, compte tenu du fait des conséquences que cela entraîne, à savoir la

 13   perpétuation de ce type de comportement au sein de la population, est-ce

 14   que dans l'exemple particulier de la Bosnie-Herzégovine et dans le contexte

 15   de la décomposition des institutions sociales et des institutions de

 16   l'Etat, la possibilité de découvrir les perpétrateurs d'actes et de crimes

 17   violents, de les poursuivre en justice et de les condamner, est-ce que

 18   cette possibilité est significativement plus importante ou

 19   significativement inférieure à ce qu'elle est dans les sociétés modernes ?

 20   R.  Il est évident que dans les sociétés et les démocraties bien

 21   organisées, les possibilités sont bien plus importantes de découvrir ces

 22   perpétrateurs, de les arrêter et de les poursuivre en justice. Mais même

 23   dans ces cas-là, bien des perpétrateurs arrivent à échapper aux poursuites.

 24   Il est absolument impossible de comparer cela avec la situation de la

 25   Bosnie-Herzégovine pendant la guerre, parce que là-bas, pendant la guerre,

 26   on a assisté à un effondrement du système institutionnel. Et une fois que

 27   l'on assiste à un tel effondrement des institutions, il devient extrêmement

 28   difficile de mettre sur pied un nouveau système institutionnel. C'est

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  1   particulièrement difficile même en temps de paix, et cela, surtout si ce

  2   système doit être organisé sur des bases nouvelles d'un point de vue

  3   politique, une nouvelle plateforme politique. Dans ces cas-là, il est

  4   particulièrement difficile d'exercer quelque contrôle que ce soit sur les

  5   comportements qui reviennent à des infractions, qui contredisent les normes

  6   héritées du passé ou les normes applicables dans le moment présent.

  7   M. LE JUGE ANTONETTI : Vous dites qu'en Bosnie-Herzégovine, il y avait une

  8   désintégration du système institutionnel. Et peu de temps auparavant, vous

  9   avez parlé de la question de l'exemplarité de la peine et des effets d'une

 10   peine sur le comportement d'un individu.

 11   Alors, Professeur, vous savez ou vous ne savez pas, mais lors de la

 12   Première Guerre mondiale, il y a eu, ne serait-ce que pour mon pays, 2 400

 13   condamnations à mort, dont 600 exécutions. L'armée américaine, pendant la

 14   Seconde Guerre mondiale, a fait exécuter 147 soldats, dont 98 sont

 15   actuellement inhumés dans un cimetière sous la parcelle E. Donc, les pays,

 16   quels qu'ils soient, avaient pris des mesures pour punir les déserteurs,

 17   les criminels, et cetera. Il semblerait, d'après les éléments de preuve que

 18   nous avons eus, que pendant ce conflit dans l'ex-Yougoslavie, il n'y a eu

 19   quasiment aucune sanction de condamnations à mort, alors que le code pénal

 20   de l'ex-Yougoslavie prévoyait la condamnation à mort. Est-ce que vous liez

 21   cela à la désintégration du système institutionnel, ou bien il y a une

 22   autre raison qui expliquerait qu'on n'a pas appliqué la peine de mort à

 23   l'époque ?

 24   LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Président, la raison fondamentale,

 25   à vrai dire, parce qu'il en existe d'autres aussi, mais la raison

 26   fondamentale de la désintégration du système institutionnel de l'ex-

 27   Yougoslavie, la raison principale c'est la désintégration du système

 28   institutionnel de l'ancienne Yougoslavie. Les autres républiques ont repris

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  1   le système juridique, mais quand il s'agissait de l'armée, elles n'ont pas

  2   été en mesure de mettre en œuvre des mesures telles que celle que vous

  3   décrivez. Parce que dans tous ces nouveaux Etats, l'armée était constituée

  4   en partant de zéro, parce que la Serbie a alors pris le contrôle de l'armée

  5   populaire yougoslave, et ce processus de constitution d'une nouvelle armée

  6   a été caractérisé d'emblée par la présence de volontaires et d'autres

  7   caractéristiques également qui ne sont pas de nature régulière. Et dans ces

  8   premiers temps, le fait de quitter l'armée en temps de guerre, de partir,

  9   n'entraînait pas la moindre sanction, et la hiérarchie militaire,

 10   d'ailleurs, n'avait pas la moindre possibilité de sanctionner ceux qui

 11   abandonnaient leurs unités. C'est cela à quoi je me référais lorsque je

 12   parlais de désintégration relative du système institutionnel.

 13   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Général Praljak.

 14   L'ACCUSÉ PRALJAK : [interprétation]

 15   Q.  Monsieur Sakic, nous avons maintenant la question de la catharsis et de

 16   l'agression et l'influence particulière des comportements agressifs sur une

 17   agression ultérieure. C'est une question très importante qui nous parle de

 18   la possibilité d'une spirale, à savoir qu'une fois commis un acte, une

 19   infraction qui n'est pas sanctionnée, cela mène plus facilement à une

 20   nouvelle infraction. Et cela nous parle également de la façon dont cela

 21   affecte, comme dans une spirale, les comportements dans une situation de

 22   guerre et la façon dont cela augmente le nombre d'actes criminels.

 23   R.  La catharsis est par ailleurs un concept qui émane de l'art dramatique

 24   grec, et c'est Sigmund Freud qui l'a introduit en psychologie. Il a été à

 25   l'origine de la théorie dite hydraulique, en fonction de laquelle si on

 26   accumule un certain nombre d'impulsions dans un territoire confiné - on

 27   parle de théorie hydraulique parce qu'on parle de l'espace contenu dans une

 28   bouteille - donc si on accumule des impulsions agressives dans l'esprit

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  1   d'une personne, cela résultera en une explosion, ou alors il faut arriver à

  2   détourner, à dévier ces impulsions grâce à une autre forme d'expression.

  3   C'est de cela qu'il s'agit lorsqu'on parle de catharsis : les instincts

  4   agressifs doivent être exprimés d'une autre manière, et c'est en

  5   psychologie ce qu'on appelle la catharsis. En psychologie, par ailleurs,

  6   jusqu'à il y a une trentaine d'années, on estimait qu'il était bon de

  7   disposer d'un système permettant de détourner ces instincts agressifs pour

  8   remplacer ces impulsions agressives.

  9   Q.  Et qu'est-ce qui s'est passé ?

 10   R.  On a constaté exactement l'inverse, à savoir que si on a un

 11   comportement agressif, par exemple, dans le sport ou dans d'autres moyens

 12   d'expression, il est inexact de dire qu'il en résultera une moindre

 13   agressivité. A l'inverse, si nous nous livrons à certains comportements

 14   agressifs qui font l'objet d'une certaine approbation sociale, notre

 15   tendance à nous comporter de façon agressive augmente, comme le montrent de

 16   nombreuses études, elle ne diminue pas.

 17   Q.  Peut-on dire qu'il y a eu une forme de cercle vicieux, de répétition

 18   qui en a résulté ?

 19   R.  En termes simples, on peut dire cela. Oui.

 20   Q.  Alors, vous dites que la manifestation de l'agressivité, son

 21   expression, n'inhibait pas la tendance à l'agressivité, mais que c'était

 22   l'inverse. Dites-moi si c'est exact et dites-moi comment il en va de la

 23   culpabilisation de la victime d'une autre agression et au-delà, ce qu'il en

 24   a été pour ce qui est de la Seconde Guerre mondiale, donc c'est 343, 344,

 25   345 [comme interprété], numéros de pages. Donc pour la Seconde Guerre

 26   mondiale, lorsqu'on a justifié les bombardements de certaines villes ?

 27   R.  Alors, Général, pour votre première question, oui, un comportement

 28   agressif engendre de nouveaux comportements agressifs. Il n'y a pas de

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  1   catharsis dans ce cas-là. Pour le deuxième aspect de votre question, la

  2   culpabilisation de la victime, cela montre la tendance de groupes qui ont

  3   eu des comportements agressifs à ne pas ressentir de culpabilité, parce

  4   qu'ils ont commis des actes agressifs ou une agression à l'encontre d'un

  5   autre groupe ou d'un individu.

  6   M. LE JUGE ANTONETTI : [hors micro] -- parce que ce que vous développez, je

  7   le relie à la théorie hydraulique de Freud. Selon cette théorie, il peut y

  8   avoir agressivité quand l'individu dépasse le trop, quand il y a un trop-

  9   plein. Est-ce à dire à ce moment-là, selon cette théorie hydraulique, que

 10   le commandement militaire doit veiller en permanence à contrôler les

 11   soldats car s'ils se rendent compte que les soldats peuvent dépasser un

 12   seuil qui serait le dépassement du trop-plein, à ce moment-là il pourrait

 13   avoir un comportement agressif ? Et donc ce que vous dites, est-ce que ça

 14   n'implique pas de la part du commandement militaire la prise en compte de

 15   cela pour éviter, j'allais dire, des bavures ?

 16   LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Président, c'est exact. Dans une

 17   armée hautement organisée, c'est également possible, on peut le mettre en

 18   œuvre. Cela incombe au commandant, il en a l'obligation et il peut le

 19   faire. J'ai écrit ça dans mon rapport, d'ailleurs. Un commandant devrait

 20   avoir à sa disposition des spécialistes à même d'exercer un contrôle sur la

 21   situation, tant d'un point de vue social que psychologique au sein d'une

 22   unité, spécialistes qui seront également en mesure de l'informer de tout

 23   cela. Et s'il constate qu'il y a des hommes, pour ainsi dire, sous

 24   pression, ces hommes seront mis à l'écart. Cependant, il arrive que même

 25   dans la meilleure et la mieux organisée des armées, on constate des

 26   manquements à cet égard. Ça s'est passé dans les unités militaires du

 27   groupe Charlie, pour ce qui est de ces soldats américains qui, en 1968, au

 28   mois de mars, ont commis ces crimes à Mi Lai, dont nous avons déjà parlé.

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  1   Donc c'est le devoir d'un commandant, mais il ne peut s'en acquitter seul,

  2   il doit disposer de spécialistes qui vont l'assister en la matière, eu

  3   égard aux formes contemporaines de la guerre.

  4   M. LE JUGE ANTONETTI : [hors micro] -- que si le commandant n'a pas de

  5   spécialistes, il n'est pas en mesure d'apprécier le comportement

  6   potentiellement agressif de ses troupes ?

  7   LE TÉMOIN : [interprétation] Il faut ici faire une différence entre les

  8   différents commandants. Il devrait le faire. Il devrait pouvoir le faire.

  9   Car si un commandant a été correctement formé dans une académie militaire,

 10   il y a une partie de sa formation qui traite également de psychologie. Donc

 11   des commandants bien formés devraient être à même de détecter les hommes

 12   dans ce genre de situation et d'agir en conséquence.

 13   M. LE JUGE ANTONETTI : Général Praljak, pour que vous meniez à bien la fin

 14   de vos questions, je vous signale qu'il vous reste 30 minutes.

 15   L'ACCUSÉ PRALJAK : [interprétation] Merci, Monsieur le Président, Messieurs

 16   les Juges. Je pense que cela devrait me suffire.

 17   Q.  Reportez-vous à la page 445 et au tableau qui y figure, Monsieur le

 18   Témoin, influence de la guerre sur les Etats en guerre et les Etats qui ne

 19   sont pas en guerre. Indépendamment du fait que certaines personnes dans de

 20   tels Etats savent pertinemment que la guerre entraînera une période de

 21   recrudescence de la violence et des actes criminels au sein de la société

 22   après la guerre, comment empêche-t-on cela ? Et pourrait-il être impossible

 23   de l'empêcher à 100 % ? Est-ce que cela est le cas parce qu'ils ne sont pas

 24   correctement formés, parce qu'ils sont incapables, ou alors y a-t-il des

 25   formes de comportements déviants dans des situations de crise pendant la

 26   guerre, après la guerre ? Y en a-t-il toujours à un certain niveau ? Et

 27   s'agit-il simplement de l'impossibilité de réduire jusqu'à zéro ces nombres

 28   ?

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  1   R.  Je voudrais juste revenir sur cette notion de culpabilisation de la

  2   victime. Je n'ai besoin que de deux phrases.

  3   Nous sommes même disposés, en fait, dans ces cas-là, à accuser la

  4   victime de façon encore plus véhémente pour justifier le comportement qui a

  5   été le nôtre, comportement violent. Et pour les interprètes, c'est la

  6   théorie de la dissonance cognitive. C'est une théorie connue qui explique

  7   ce comportement.

  8   Alors, pourquoi maintenant, pour revenir à votre question, l'on ne met pas

  9   un terme à ce genre de phénomène ? Je ne peux vous répondre qu'en ma

 10   qualité de scientifique, de psychosociologue, en vous disant que de

 11   nombreux ouvrages ont été écrits à ce sujet et que c'est un fait connu,

 12   bien connu, que le nombre de tous les comportements déviants, et pas

 13   uniquement les comportements agressifs et violents, se présentent à une

 14   fréquence plus élevée, en nombre plus élevé et que cela dure un certain

 15   temps en fonction des mesures qui sont entreprises par les gouvernements

 16   concernés afin de réduire les conséquences de la guerre sur la situation

 17   d'après guerre et leurs efforts visant à réduire ces phénomènes.

 18   Q.  Vous avez eu sans doute l'occasion de lire cela, d'en prendre

 19   connaissance et de l'analyser, car il s'agit de questions généralement

 20   connues. Mais j'ai préparé à votre intention le document qui porte la cote

 21   3D 03156. Dans ce document, on trouve certains éléments de ce que la

 22   théorie désigne sous le nom de "pillage." On présente les cas de coupure

 23   d'électricité, on parle des conséquences de l'ouragan Katrina à la

 24   Nouvelle-Orléans, on parle des désordres survenus récemment en France, on

 25   parle de la réponse qui a été celle d'un certain nombre de citoyens

 26   néerlandais après le meurtre du réalisateur Theo van Gogh. Je voudrais donc

 27   vous demander de vous appuyer sur ce qu'on vous a remis et de nous dire des

 28   choses tout à fait élémentaires : A, est-ce que c'était des choses

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  1   prévisibles, et quand cela s'est produit, quand est-ce qu'il a été possible

  2   d'intervenir ? B, pour ce qui était des perpétrateurs, qui était-il

  3   possible de punir et combien de perpétrateurs sont restés impunis ? Vous

  4   pouvez librement élargir cela à tout ce qui est actuel, le nombre de morts

  5   à Bagdad, les morts à Gaza, et ainsi de suite. Donc brièvement, et en même

  6   temps selon votre libre choix, vous pouvez également élargir un peu. Donc

  7   A, pour ce qui concerne la possibilité de prévoir, de prévenir, de punir et

  8   tout le reste de ce qui, dans une société organisée disposant de moyens

  9   considérables, devrait normalement être possible.

 10   M. SCOTT : [interprétation] J'aimerais savoir quelle est la pertinence de

 11   tout cela.

 12   Savoir quelle est la pertinence du meurtre de M. van Gogh. Peut-être

 13   qu'il aurait pu être prévu. Quelle est la pertinence avec le fait que des

 14   centaines de milliers de Musulmans ont été chassés de leurs foyers ? Je ne

 15   vois absolument pas en quoi ça correspond à ce qui nous intéresse.

 16   M. LE JUGE ANTONETTI : Général Praljak, vous n'avez pas, dans cette salle

 17   d'audience, des personnes psychologues comme vous et le témoin expert. Donc

 18   pouvez-vous nous indiquer quelle est la pertinence, à quoi ça sert de

 19   parler du meurtre de Theo van Gogh, pour démontrer quoi, au juste ? C'est

 20   ça qu'en tant que béotiens on essaie de comprendre.

 21   L'ACCUSÉ PRALJAK : [interprétation] C'est très simple, Messieurs les Juges.

 22   J'en ai parlé en tant que témoin. La question n'est pas de savoir si l'on

 23   peut prévenir ou empêcher le meurtre de Theo van Gogh, mais la réponse à ce

 24   meurtre, à savoir l'incendie volontaire d'écoles, de mosquées dans un pays

 25   de haute civilisation et de haute culture, si on le compare avec les crimes

 26   d'Uzdol qui, selon les déclarations des acteurs internationaux, n'ont pas

 27   entraîné de répliques, de vengeance de la partie croate, me mettent en

 28   position de dire comment je me suis comporté, ce que moi je savais et

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  1   quelles étaient les forces dont je disposais. C'est pourquoi je parle de

  2   cela. C'est ce que j'essaie de montrer.

  3   Pourquoi est-ce qu'à New York, pourquoi dans le cas de l'ouragan

  4   Katrina, l'Etat américain ne peut pas, une fois que la chose s'est

  5   produite, empêcher --

  6   M. LE JUGE ANTONETTI : Je vais essayer de synthétiser ce que vous dites

  7   parce que c'est assez compliqué.

  8   Vous nous dites que vous, en tant que commandant du HVO, vous avez eu

  9   à faire face aux événements d'Uzdol, bien connus de tous, je l'espère; et

 10   que face à cette situation, vous avez eu un comportement militaire pour

 11   éviter des vengeances ou je ne sais quoi. Et pour vous appuyer sur cette

 12   démonstration, vous dites : Regardez ce qui s'est passé ailleurs, Theo van

 13   Gogh, les émeutes en France, et cetera, et cetera.

 14   Est-ce bien résumer ce que vous voulez nous démontrer par rapport aux

 15   événements qui se sont déroulés en République de Bosnie-Herzégovine ?

 16   L'ACCUSÉ PRALJAK : [interprétation] C'est exact, Monsieur le Président,

 17   Messieurs les Juges. C'est très simple. Juste une correction.

 18   Après les événements d'Uzdol, je ne me suis pas comporté comme un

 19   commandant, parce que ce n'était pas le travail d'un commandant dont il

 20   s'agit. Je me suis comporté en psychosociologue comme disposant d'une

 21   autorité en tant que père, en tant que commandant militaire et j'ai dû

 22   synthétiser tout cela --

 23   M. LE JUGE ANTONETTI : Avant que vous ne posiez votre question.

 24   Monsieur le Témoin expert, vous avez, tout à l'heure, parlé de la

 25   théorie cognitive. A ma connaissance, c'est une théorie qui est née aux

 26   Etats-Unis en 1957, et si je comprends bien, c'est une théorie qui fait que

 27   quelqu'un qui est sous une tension, il doit, à ce moment-là, être

 28   susceptible de changer.

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  1   Monsieur le Greffier, le témoin n'entend pas. Il y a un problème technique.

  2   LE TÉMOIN : [interprétation] J'ai entendu. J'avais juste un petit retard

  3   parce qu'il y avait une interruption.

  4   Monsieur le Président, c'est Westinger, célèbre psychologue

  5   américain, qui a jeté les bases de cette théorie dans les années 1950.

  6   Cette théorie parle de certaines situations - je vais essayer d'expliquer

  7   cela très brièvement - certaines situations dans lesquelles nous sommes

  8   prêts à nous comporter de façon cohérente, y compris dans le cas où ce

  9   comportement serait en contradiction avec les faits. Dans le contexte d'un

 10   comportement agressif, si l'on applique cette théorie, cela signifie

 11   qu'indépendamment du fait que nous avons commis une agression à l'encontre

 12   de personnes innocentes, nous n'allons pas ressentir de culpabilité, mais

 13   nous allons avoir bien plus tendance à accuser, à incriminer cette autre

 14   partie en disant qu'elle a bien mérité ce qui lui est arrivé afin de

 15   maintenir notre propre cohérence, pour être cohérent avec notre propre

 16   comportement. C'est de cela qu'il s'agissait.

 17   M. LE JUGE ANTONETTI : Pour relier avec la démonstration très compliquée du

 18   général Praljak, les événements d'Uzdol, ça vous dit quelque chose ou pas,

 19   Monsieur le Témoin expert ?

 20   LE TÉMOIN : [interprétation] Je suis au courant de par les médias, comme je

 21   l'ai dit. Et pour autant que chaque citoyen croate soit au courant de la

 22   chose, cela a été suivi de très près par les médias.

 23   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Témoin expert, quand un individu, de

 24   surcroît un commandant militaire, apprend que l'ennemi a commis un

 25   massacre, d'après ces différentes théories que vous nous avez évoquées,

 26   dans le cas général, l'individu, que fait-il ?

 27   LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne réponds pas vraiment ici en tant

 28   qu'expert, mais je peux répondre comme tout autre citoyen. Un commandant

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  1   devrait, tout d'abord, apaiser sa propre unité afin qu'on n'assiste pas à

  2   des représailles. Par ailleurs, cela est conforme aux conventions de Genève

  3   et aux règles et coutumes de la guerre, cela en découle, d'un point de vue

  4   psychologique, il est particulièrement important d'apaiser les soldats afin

  5   qu'il ne se produise pas de représailles ni de vengeance. Et ensuite, il

  6   s'agit de prévoir des actions militaires sur des bases rationnelles et qui

  7   soient conformes aux droits de la guerre.

  8   M. LE JUGE PRANDLER : [interprétation] Je reviendrais volontiers à ce qu'a

  9   dit M. Praljak. Ce n'est plus à l'écran, mais vous avez dit, notamment,

 10   ceci : J'agis en tant que psychologue ou sociopsychologue, en tant qu'homme

 11   fort, en tant que chef militaire, en tant que père. Et vous avez poursuivi.

 12   Nous le savons tous, je pense que c'est ce que vous pensez de vous-même,

 13   c'est ce que vous dites vous-même, vous êtes homo universalis. Mais par

 14   ailleurs, j'ai vraiment le sentiment que vous devriez plutôt vous en tenir

 15   à votre rôle actuel; votre fonction présente, c'est de poser des questions

 16   à l'expert. Vous ne devez pas chanter vos propres louanges, faire l'éloge

 17   de votre personne. J'utilise ces termes parce que c'est un peu trop à

 18   l'écoute. Vous ne posez pas de questions, vous plaidez.

 19   C'est tout. Merci.

 20   L'ACCUSÉ PRALJAK : [interprétation] Monsieur le Juge Prandler, vous parlez

 21   au pluriel, mais c'est M. le Juge Antonetti qui m'a demandé ce qu'il en

 22   était et pourquoi les choses se passent ailleurs, dans d'autres pays, comme

 23   elles se sont passées. Je pourrais vous dire aussi, vous répondre

 24   concernant ce qui s'est passé en Hongrie en 1956. En ce qui me concerne, je

 25   construis, me concernant, la vérité que je peux avancer dans ce prétoire.

 26   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Non, excusez-moi.

 27   L'ACCUSÉ PRALJAK : [interprétation] J'ai posé une question, que le témoin

 28   réponde.

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  1   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Excusez-moi, je ne pense pas que

  2   vous avez vraiment compris ce que M. le Juge Prandler vous disait. C'est un

  3   point technique. Il vous disait, abstenez-vous de faire le témoin et de

  4   dire comment les choses se sont passées d'après vous, et ce que vous

  5   souhaitiez faire. Contentez-vous de poser des questions, c'est tout.

  6   C'était un élément technique et il avait tout à fait raison.

  7   Vous pouvez poursuivre. Répondez à la question, Monsieur le Témoin.

  8   LE TÉMOIN : [interprétation] Messieurs les Juges, Général, je peux répondre

  9   d'un point de vue qui est le plus général à cette série de questions, en

 10   mettant en avant ce contexte psychosociologique que j'ai décrit dans mon

 11   rapport. En vertu de ce contexte, toutes ces différentes situations que

 12   vous avez énumérées entrent dans la catégorie classique des situations de

 13   crise. Et comme je l'ai déjà dit aujourd'hui, dans ces situations de crise,

 14   on voit à l'œuvre toutes les formes de comportement de groupe que nous

 15   avons désignées sous les termes de conformisme, de l'influence des normes

 16   sociales, de conformisme spontané, de l'influence des informations

 17   disponibles, et ainsi de suite, et toutes les formes également de

 18   comportements agressifs, qu'ils découlent de la situation concrète ou

 19   qu'ils aient des dimensions idéologiques.

 20   Il existe, bien entendu, des différences d'une situation de crise à

 21   l'autre. Toute situation de crise n'est pas identique à une autre. Il y a

 22   différents types de bases sur lesquelles des groupes se construisent après

 23   des catastrophes naturelles. C'est différent après les catastrophes

 24   naturelles et après les révoltes, par exemple, ou après une coupure massive

 25   de courant. Mais toutes ces différentes formes peuvent être expliquées dans

 26   le cadre théorique que j'ai proposé, et on a ici la possibilité de faire

 27   des analogies en tenant compte de ce cadre théorique dans le cas concret

 28   des événements qui se sont déroulés en Bosnie-Herzégovine, la situation que

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  1   cela représentait lors des affrontements et de la guerre entre les Croates,

  2   les Serbes et les Musulmans, à vrai dire, pendant toute la durée de la

  3   guerre en Bosnie-Herzégovine. C'est ça, ce niveau général auquel je peux

  4   répondre.

  5   Si vous voulez que je réponde à des échelons inférieurs, posez-moi

  6   les questions.

  7   L'ACCUSÉ PRALJAK : [interprétation]

  8   Q.  Très bien. Ce qui m'intéresse c'est de savoir si vous avez examiné les

  9   documents que j'ai joints ici pour ce qui est de la façon dont ça s'est

 10   présenté. Je parle ici de la documentation factuelle.

 11   R.  Oui, je l'ai fait.

 12   Q.  Pour finir, 3D 03097. Il s'agit d'un prix Nobel, Konrad Lorenz, qui est

 13   intitulé "Le soi-disant mal". Dans le cadre du treizième chapitre, et je

 14   vous renvoie à la page en croate numéro 205, et un début de page 206.

 15    M. KOVACIC : [interprétation] Pour qu'il n'y ait pas de problèmes,

 16   Messieurs les Juges, pour ce qui est des documents, je tiens à répéter le

 17   numéro, 3D 030558.

 18   L'ACCUSÉ PRALJAK : [interprétation] Non, non, Konrad Lorenz, 3D 03097.

 19   Pourquoi ai-je deux numéros ?

 20   M. KOVACIC : [interprétation] Non, je précise que M. Praljak a la vieille

 21   version. On a rescanné. C'est le 3D 030558. L'autre document est aussi en

 22   affichage électronique, mais il est combiné avec un seul numéro.

 23   L'ACCUSÉ PRALJAK : [interprétation]

 24   Q.  Avez-vous retrouvé ces pages 205 et 206 ?

 25   R.  Oui.

 26   Q.  Soyons brefs. Il est en train de parler de mécanismes de compensation

 27   et il dit : Ceux qui disposent de mécanismes de compensation dans des

 28   circonstances normales, ils sont nombreux, puis au quotidien dans la vie,

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  1   on ne gaspillera pas ce potentiel, et même en temps de guerre ça ne se

  2   perdra pas. Mais moi, ce qui m'intéresse c'est la chose suivante : serait-

  3   il exact de dire que le comportement social d'un homme peut être brisé dans

  4   des circonstances de charge de nature différente exercée à son encontre au

  5   quotidien, donc on réunit la totalité de tout ce qui a été énuméré jusqu'à

  6   présent ?

  7   R.  On parle ici de la force de la personnalité individuelle en

  8   termes psychologiques, et on sait dire que les hommes diffèrent selon des

  9   caractéristiques qui sont celles d'une personnalité stable ou d'une

 10   personnalité instable. Il y a des caractéristiques qui leur sont propres au

 11   niveau de chacune de ces personnalités-là. Alors si on se penche sur la

 12   totalité de l'individu, il y a aussi la partie morale de la personnalité

 13   qui est l'une des caractéristiques à prendre en compte, ou l'un des traits

 14   propres à la personnalité. Konrad Lorenz parle de la moralité et il cherche

 15   à savoir si la dimension morale de la personnalité, sous des pressions,

 16   peut placer cette personne dans la tentation, ou la briser, ou faire en

 17   sorte qu'elle se désocialise.

 18   Chaque homme a des capacités limitées. Ceux qui sont des

 19   personnalités stables vont pouvoir endurer plus de pression sociale ou de

 20   pression négative. Ceux qui sont moins stables ou qui ont des normes

 21   sociales moins marquées pourront moins supporter de pression. L'inverse est

 22   valable aussi. Donc si nous parlons des pressions, il y a une quantité de

 23   pressions auxquelles tout individu est susceptible de ne pas pouvoir

 24   résister.

 25   M. KOVACIC : [interprétation] Dans la version anglaise, il s'agit de

 26   ce livre, pages 248 et 249, version anglaise du texte. Merci.

 27   L'INTERPRÈTE : Monsieur Praljak, hors micro.

 28   L'ACCUSÉ PRALJAK : [interprétation]

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  1   Q.  On dit que les soucis, la faim, la peur, l'épuisement, agissent dans le

  2   même sens. Etant donné qu'il a vécu une guerre, il dit qu'il sait que

  3   l'imprévisible, et de façon imprévisible et à l'improviste, il peut y avoir

  4   des compensations morales. Alors, est-ce que la bonne volonté d'un individu

  5   et sa résistance sont des variables ? Est-ce que la durée de la guerre

  6   influe de façon substantielle sur la décompensation morale ? Enfin, ce

  7   qu'on entend par là, au niveau de l'individu, la durée, l'incertitude, la

  8   fatigue, la famine, la peur, font-ils que les individus les plus résistants

  9   subissent une décompensation morale aussi ?

 10   R.  On a pu voir, au niveau de ce phénomène de contagion sociale, on peut

 11   voir que cette décompensation morale peut survenir en quelques minutes à

 12   peine au niveau de l'individu, et cela dépend de l'influence sociale qui

 13   est exercée à l'égard de cet individu, et ce, quand on a des situations

 14   extrêmes telles que la guerre, on peut dire que plus ça dure, plus les gens

 15   seront décompensés sur le plan moral, et les séquelles n'en seront que plus

 16   grandes.

 17   Il faut dire aussi que, pour ce qui est de Konrad Lorenz, je n'entre

 18   pas dans une polémique, mais c'est le seul prix Nobel en matière de

 19   psychologie. Il prend une perspective psychologique, mais il tire ses

 20   conclusions de la philosophie, et je traduis cela en langage

 21   sociopsychologique. Mais tout ce qu'il a dit fonctionne dans ce contexte-là

 22   aussi.

 23   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Témoin expert, vous évoquez ce prix

 24   Nobel, Konrad Lorenz, qui a occupé d'ailleurs la chaire de Kant. Ce prix

 25   Nobel avait la particularité d'avoir été dans l'armée allemande et il a été

 26   fait prisonnier et il a été détenu, je crois, jusqu'en 1948 par les Russes.

 27   Donc les problèmes de l'armée, il les connaît bien. Mais sa théorie de

 28   l'agression, qui est basée sur le comportement des animaux, et notamment la

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  1   fameuse balade nuptiale des animaux où le mâle tourne autour de la femelle

  2   pour finalement, après, attaquer un autre mâle, cette théorie de

  3   l'agression, avec cette notion sous-jacente de territoires, est-ce que vous

  4   l'appliquez à ce qui s'est passé en Bosnie-Herzégovine entre les Musulmans

  5   et les Croates ?

  6   LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Juge, permettez-moi de dire

  7   quelques phrases en guise d'introduction avant que de répondre à votre

  8   question.

  9   Je ne me suis pas servi de Konrad Lorenz dans mon expertise. J'ai répondu à

 10   une question individuelle posée par le général. J'ai transmis cela dans le

 11   contexte sociopsychologique et j'ai répondu. Je vais vous expliquer

 12   pourquoi.

 13   Konrad Lorenz, c'est quelqu'un d'exceptionnel. Il a apporté une grande

 14   contribution à la science. Mais il fait partie de ce que l'on qualifie de

 15   tradition au niveau des sciences qui, au travers de la philosophie des

 16   sciences humaines, existe depuis l'ancienne Grèce, Platon et Aristote. Il

 17   s'agit du nativisme et de l'empirisme en matière de la philosophie, puis

 18   dans les sciences humaines par la suite. Lui, il fait partie des

 19   nativistes. C'est l'orientation platonique, comme le dirait les

 20   philosophes. Donc il accorde aux facteurs biologiques un rôle prédominent.

 21   C'est un déterminisme biologique. C'est ce qu'il importe de dire au sujet

 22   de Konrad Lorenz.

 23   L'autre élément qu'il convient de mentionner, et là, vous l'avez relevé à

 24   juste titre, il est ethnologue. Son prix Nobel, il l'a eu pour ce qui est

 25   de l'étude du comportement des animaux, des bêtes. Et c'est partant de

 26   cette expérience énorme d'expérimentation laboratoire et de l'observation

 27   du comportement des bêtes, dans ce chapitre, par système d'analogie, il

 28   transpose cela et il puise dans son expérience de vie en sa qualité d'homme

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  1   de sciences et d'intellectuel.

  2   Dans la majeure partie de ce qu'il fait sur le plan psychologique, il

  3   relève à juste titre ce qui est dit dans ce chapitre. Mais il y a des

  4   parties, et ce n'est pas la partie que j'ai évoquée avec le général, il y a

  5   des parties où, moi, en ma qualité de psychologue en matière de sociologie,

  6   je dis que la psychologie sociale dit que ce n'est pas fondé ce qu'il dit,

  7   parce qu'il parle de la théorie de catharsis et il accepte cette théorie

  8   comme étant exacte. La raison en est le fait qu'il a suivi, dans bon nombre

  9   de ses explications psychologiques, la chose par Freud. Et dans la

 10   psychologie sociale, il n'y a pas eu expérimentations scientifiques qui ont

 11   démontrée le contraire. Leonid Berkovich et autres, qui ont ultérieurement

 12   fait des recherches en matière de catharsis et qui ne sont pas celles

 13   avancées par Freud ou par Konrad Lorenz.

 14   M. LE JUGE ANTONETTI : On va s'arrêter parce que c'est déjà 6 heures moins

 15   10 et on a quasiment plus de bande. Donc on va faire 20 minutes de pause.

 16   --- L'audience est suspendue à 17 heures 47.

 17   --- L'audience est reprise à 18 heures 08.

 18   M. LE JUGE ANTONETTI : L'audience est reprise.

 19   L'ACCUSÉ PRALJAK : [interprétation]

 20   Q.  Monsieur le Professeur, je touche à la fin de mes questions. Je n'ai

 21   encore plus qu'un sujet.

 22   Je vous prie de vous pencher sur votre rapport d'expert, 3D 03721. Je

 23   vous renvoie à la page 28 de votre texte en langue croate, à savoir 3D 42-

 24   6219. Ici, au début de la page, vous avez fait un résumé d'un certain

 25   nombre de phénomènes et vous avez dit que la totalité des phénomènes

 26   explicités contribue à la compréhension de la chose. Je cite le

 27   comportement des soldats, ce n'est souvent pas la conséquence --

 28   M. KOVACIC : [interprétation] Vous avez ici la version en anglais, ce sera

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  1   la page 29. C'est la section 4, "Les groupes ethniques et ethnocentrisme."

  2   L'ACCUSÉ PRALJAK : [interprétation]

  3   Q.  Je continue. Le comportement des soldats, ce n'est souvent pas la

  4   conséquence de l'exécution des ordres de leur part, et ce, des ordres

  5   émanant de commandants formels, mais c'est très souvent la conséquence de

  6   situations sociales et d'états émotionnels puissants où ces derniers, donc

  7   les soldats, se seraient trouvés. Puis, vous dites que ce type de groupe

  8   d'hommes, dans ce type de situations, est difficile à contrôler et à

  9   conduire, notamment sans le soutien de personnes avec des connaissances

 10   psychologiques suffisantes.

 11   Ma question est la suivante : vous étiez en Croatie au début de

 12   l'agression, et là, j'aimerais que vous me disiez si les volontaires ont

 13   rendu possible l'existence de l'Etat croate, le peuple, les jeunes, les

 14   hommes, les femmes, qui, en tant que volontaires, sont allés s'opposer à

 15   l'agression venue depuis la Serbie, est-ce qu'ils ont rendu possible la

 16   survie de l'Etat croate tel qu'il existe à présent ?

 17   R.  Je ne peux pas répondre par un oui ou un non, mais il faut que

 18   j'explique.

 19   Dans la situation du démantèlement de la Yougoslavie où l'agression

 20   serbe battait son plein contre la Slovénie et la Croatie, la décomposition

 21   de l'armée yougoslave, qui est devenue l'armée serbe, en réalité --

 22   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Monsieur Praljak, permettez-moi

 23   d'attirer votre attention sur le fait que la dernière question a été une

 24   question directrice classique. Vous avez dit, finalement, Oui ou non, vous

 25   êtes en interrogatoire principal, donc pas de question qui guide le témoin

 26   dans sa réponse.

 27   L'ACCUSÉ PRALJAK : [interprétation] Mea culpa.

 28   Q.  Parlez-nous des volontaires. Est-ce qu'il y avait un Etat qui a créé

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  1   l'armée ou est-ce qu'il y a eu des volontaires qui ont créé l'Etat ?

  2   R.  Dans cette situation, les volontaires en Croatie ont constitué des

  3   formations militaires déterminantes qui, pendant que l'agression serbe

  4   battait son plein, ont riposté, l'agression serbe combinée avec l'agression

  5   de la JNA, et on peut les considérer comme étant ceux qui ont le plus de

  6   mérite pour ce qui est de la défense de la démocratie croate et de la

  7   guerre croate visant à son indépendance.

  8   Q.  Merci. Dites-nous maintenant si, en Bosnie-Herzégovine, la situation

  9   était la même ou plus prononcée encore, compte tenu du fait que la Croatie,

 10   dans la partie qui ne s'était pas pliée à l'autorité d'autrui, est-ce que

 11   la situation était plus prononcée qu'en Croatie ou moins prononcée ? Est-ce

 12   que les volontaires ont contribué là-bas plus encore à la survie de cet

 13   Etat de Bosnie-Herzégovine ?

 14   R.  La Croatie, à l'époque, était plus aménagée de façon institutionnelle,

 15   chose qui est prouvée par le cas suivant. Pendant la première année, au

 16   début de la guerre, lorsqu'elle était exposée à l'agression la plus

 17   violente, elle a accueilli 800 000 réfugiés et personnes expulsées venues

 18   d'autres régions de Croatie et de Bosnie-Herzégovine. Et d'après l'étude de

 19   l'opinion publique, et on a testé l'opinion publique pendant les 20 années

 20   écoulées, l'opinion publique croate a attribué cela aux autorités croates

 21   en disant que c'est un grand succès. Donc l'organisation institutionnelle

 22   en Croatie était à un niveau bien plus élevé qu'en Bosnie-Herzégovine, et

 23   dans ce contexte, donc, le volontariat revêtait plus d'importance encore.

 24   C'était la seule issue possible parfois pour ce qui est de résister à

 25   l'agresseur en Bosnie-Herzégovine.

 26   Q.  Vous, vous n'êtes pas venu ici en tant qu'expert militaire, mais pour

 27   ce qui est des raisons sociopsychologiques, une comparaison de l'armée qui

 28   est l'armée d'un Etat institutionnellement bien organisé et les unités de

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  1   volontaires de ce type, donc, du point de vue de l'aménagement de la

  2   possibilité de contrôler, de commander, quelle est la différence qui existe

  3   sur le plan sociopsychologique ?

  4   R.  Justement, la psychologie sociologique est à même de répondre à ce type

  5   de question au mieux. S'il n'y a pas d'organisation hiérarchique et s'il

  6   n'y a pas l'autorité d'un commandement dans les situations où

  7   hiérarchiquement les choses sont claires, c'est une chose, mais dans

  8   l'autre cas de figure, c'est un contexte à part où ces groupes et unités se

  9   trouvent être impossibles à gérer, comme cela est le cas dans des systèmes

 10   organisés. C'est notamment dû au fait que le commandant n'a pas à sa

 11   disposition les moyens dont disposent habituellement les commandants

 12   militaires dans le reste du monde. Et dans ces années de départ, ce n'était

 13   pas le cas de l'armée -- enfin, il n'y avait pas d'armée en Croatie, ou

 14   c'était aussi le cas de ces groupes militaires en Bosnie-Herzégovine. Il

 15   n'y avait pas moyen de sanctionner des comportements qui sont

 16   habituellement sanctionnés en temps normal, dans des armées normales, le

 17   fait de quitter l'unité, de s'en aller tout simplement, donc cela sort du

 18   contexte du droit de guerre.

 19   L'ACCUSÉ PRALJAK : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le

 20   Professeur Sakic, des réponses que vous avez apportées, du rapport d'expert

 21   et je vous remercie d'être venu.

 22   LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous en prie.

 23   M. KOVACIC : [interprétation] Merci beaucoup. Nous n'avons pas d'autres

 24   questions à poser à ce témoin.

 25   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Merci.

 26   Monsieur le Président, une ou deux questions au témoin.

 27   Vous nous avez dit des choses parfois fort intéressantes, mais nous ne

 28   sommes pas ici pour écrire l'histoire, nous sommes ici pour mener un procès

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  1   au pénal. Pourriez-vous me dire ceci : savez-vous s'il y a, en droit pénal

  2   ou en droit de procédure pénale, un manuel, un livre où l'évolution que

  3   vous avez ici esquissée présente une certaine pertinence sous l'angle du

  4   droit pénal ?

  5   LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Juge, je ne suis pas expert en

  6   matière de droit ou de droit pénal, donc je ne peux pas répondre à votre

  7   question. Je n'en ai pas connaissance, tout simplement. Et s'agissant des

  8   manuels en matière pénale, mais je ne les ai pas étudiés. J'ai lu quelques

  9   ouvrages en matière de droit international, mais pas du droit pénal parce

 10   que ça ne m'a pas intéressé outre mesure.

 11   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Merci. Je comprends parfaitement. Si

 12   je vous ai posé la question, c'est parce que des experts en psychologie et

 13   en psychiatrie ont une place bien ancrée dans un prétoire, bien établie,

 14   mais ceci ne semble pas être le cas pour un expert en psychologie sociale.

 15   Est-ce que vous êtes d'accord avec moi ?

 16   LE TÉMOIN : [interprétation] Excusez-moi, je n'ai pas très bien compris

 17   votre question. Que vouliez-vous dire au juste ?

 18   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Vous avez parfaitement le droit de

 19   me poser une question si je n'ai pas été clair.

 20   Ce que je veux dire c'est que dans un procès au pénal, on a souvent

 21   des experts en psychologie. Je ne le sais pas, mais il se peut que vous,

 22   vous le sachiez, est-ce que des collègues à vous, spécialisés en

 23   sociopsychologie, sont parfois appelés à donner leur avis d'expert dans un

 24   procès au pénal ? Est-ce que vous avez connaissance de cas de ce genre ou

 25   non ?

 26   LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Juge, je viens de comprendre votre

 27   question.

 28   Non seulement j'ai connaissance du fait qu'il y a des psychologues en

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  1   matière de sociologie à avoir fait cela en Croatie, mais moi-même, dirais-

  2   je, dans une phase où j'ai œuvré en matière de psychologie pénologique, et

  3   la psychologie pénologique, dans une partie, fait partie du contexte de la

  4   psychologie sociale parce qu'on parle du sanctionnement, comme on en a

  5   parlé aujourd'hui. Donc je me suis trouvé être l'expert du ministère de la

  6   Justice croate dans des affaires au pénal de libération de personnes

  7   condamnées qui purgeaient leur peine alors qu'elles étaient condamnées pour

  8   des délits graves puisque ayant commis ces délits dans une situation

  9   psychologique incontrôlée. Et j'étais censé apporter mon opinion en ma

 10   qualité de pénologue et de psychologue et en matière de psychologie sociale

 11   pour déterminer si les conditions étaient réunies dans l'environnement qui

 12   était censé les accueillir, et compte tenu de l'état psychologique des

 13   individus en question pour ce qui est de déterminer si on pouvait les

 14   libérer ou les exonérer du traitement qu'on leur faisait suivre.

 15   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Je vous remercie. C'est assez

 16   convaincant. Mais ce n'est pas vraiment ce à quoi je pensais. Cela

 17   représente une autre phase de la procédure pénale. Ici, dans cette phase de

 18   la procédure, il n'est pas question de relâcher des accusés parce qu'ils

 19   sont encore présumés innocents; aucun d'entre eux n'a été condamné.

 20   Personne ne sait si l'un d'entre eux sera jamais condamné. Ils sont encore

 21   en détention préventive. Mais je parle ici de la phase d'une procédure où

 22   on est encore au procès avant un verdict. Est-ce que vous savez s'il y a

 23   des sociopsychologues qui sont intervenus dans cette phase-ci ?

 24   LE TÉMOIN : [interprétation] Dans ce type d'affaire, je n'ai pas

 25   d'information appropriée. Mais je peux vous fournir mon opinion

 26   personnelle.

 27   Si la psychologie ou si les psychologues peuvent être des experts

 28   lors de procès, comme vous venez de l'indiquer, Monsieur le Juge, aux côtés

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  1   du psychiatre, et cetera, et ce, dans des affaires au pénal, alors dans ce

  2   type de procès, si le procès ici présent dans le cadre de la psychologie,

  3   la psychologie sociale peut en dire beaucoup plus long que quelque autre

  4   branche que ce soit de la psychologie. Par conséquent, si les psychologues

  5   peuvent participer dans d'autres procès au pénal, je pense que je peux le

  6   faire dans l'affaire ici présente. Et j'estime que la psychologie sociale

  7   est susceptible de venir en aide aux Juges de la Chambre dans les activités

  8   qui sont les leurs dans le contexte présent, du fait de la totalité des

  9   éléments factuels que nous avons cités aujourd'hui.

 10   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Il reviendra à la Chambre d'en

 11   décider, bien entendu. Je vous remercie, Monsieur le Président.

 12   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Témoin, quelques questions de suivi.

 13   Je voudrais en revenir à la période de 1992, quand il y a eu

 14   l'agression des Serbes contre la Croatie. A l'époque, vous étiez affecté

 15   dans quel service exactement ?

 16   LE TÉMOIN : [interprétation] Jusqu'au 11 août 1992, j'ai travaillé au

 17   ministère de la Justice de la République de Croatie. A compter du 11 août,

 18   à l'institut des sciences sociales Ivo Pilar et depuis lors, je suis

 19   employé par cet institut.

 20   M. LE JUGE ANTONETTI : Est-ce qu'à un moment donné, dans le cadre de

 21   vos diverses fonctions, vous avez croisé le général Praljak ou bien vous ne

 22   le connaissiez pas du tout ?

 23   LE TÉMOIN : [interprétation] Le général Praljak est un metteur en

 24   scène très connu, un agent culturel et un intellectuel fort connu en

 25   Croatie. J'en ai entendu parler avant la guerre, mais je n'ai pas fait

 26   personnellement sa connaissance. Ce n'est pas quelqu'un que j'ai fréquenté.

 27   Ce n'est pas un camarade. Mais dans les années '90, on s'est trouvé en

 28   société ensemble parce que nous avons des amis en commun.

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  1   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Dans les années '90, vous vous êtes croisé

  2   avec lui. Puisqu'on est dans le domaine de la psychologie, voire la

  3   psychologie sociale, par rapport à l'étude que vous avez menée, le général

  4   Praljak vous apparaît comme un leader ou comme un commandant ?

  5   LE TÉMOIN : [interprétation] Excusez-moi. Je n'ai pas très bien compris

  6   cette question. Est-ce que vous pouvez la reposer, je vous prie.

  7   M. LE JUGE ANTONETTI : Je vais la reposer. Dans votre rapport que j'ai lu,

  8   relu en long, en large, à travers, vous abordez le sujet du leader. Vous

  9   expliquez que dans un groupe, il peut y avoir un leader et il peut y avoir

 10   aussi un commandant et que parfois, c'est le leader qui l'emporte sur le

 11   commandant. Est-ce bien ce que vous avez dit dans votre étude ?

 12   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, Monsieur le Juge.

 13   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Partant de là, je me suis dit, le général

 14   Praljak, il répondrait à quelle catégorie ? Est-ce un leader ou est-ce un

 15   commandant, ou bien les deux ? Je n'en sais rien. Mais comme vous qui le

 16   connaissez, vous pouvez peut-être nous répondre.

 17   LE TÉMOIN : [interprétation] Comme je vous l'ai dit, Monsieur le Juge,

 18   c'est quelqu'un que je ne connaissais pas. Nous n'avons eu que quelques

 19   rencontres à peine, mais je connais le domaine d'activités qui était le

 20   sien. D'après la façon dont je comprends les choses et d'après les

 21   catégories psychologiques que j'ai déjà évoquées, compte tenu de son

 22   éducation antérieure et de ses expériences antérieures, je crois qu'il

 23   serait plus près de la catégorie de leader que de commandant, parce qu'en

 24   sa qualité de commandant -- ce type de catégorie est plus approprié à ceux

 25   qui ont une formation militaire appropriée. Mais son aptitude à communiquer

 26   avec les gens le rend plus proche de cette notion de leader.

 27   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Dans votre rapport, vous dites, je synthétise,

 28   vous dites qu'il y a des sous-groupes croates et musulmans formés de

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  1   manière spontanée qui avaient une composition hétérogène. Vous dites que

  2   ces groupes ou sous-groupes n'avaient pas d'entraînement militaire

  3   spécifique, qu'ils ont été organisés en un minimum de temps. Vous dites

  4   également que ces groupes et sous-groupes étaient composés de volontaires,

  5   la plupart patriotiques, sans orientation ethnocentrique. Vous dites qu'à

  6   côté des civils volontaires, on peut noter la présence de soldats et

  7   officiers ayant quitté la JNA. Et vous rajoutez que dans une situation

  8   caractérisée par l'absence de contrôle institutionnel, des extrémistes du

  9   monde entier se sont joints volontairement à ces petits groupes avec un

 10   nombre non négligeable de criminels. De ce fait, la distribution des rôles

 11   de ce sous-groupe dépendait des circonstances particulières. Et puis après,

 12   vous abordez la théorie de Milgram.

 13   Alors, moi ce que je voudrais savoir, ces groupes de volontaires qui

 14   étaient sur le terrain, qui n'étaient pas formés, qui n'avaient peut-être

 15   pas un commandement à la hauteur, vous semblez dire qu'ils auraient été

 16   également, de par leurs comportements, influencés par des criminels qui

 17   seraient venus de l'étranger ou en dehors du territoire. Est-ce que vous

 18   avez bien voulu mettre cela en évidence dans votre rapport ?

 19   LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Juge, le procédé d'application, je

 20   l'ai utilisé dans un cadre théorique. On pourrait dire que mon intention

 21   fondamentale était de partir d'un cadre théorique proposé et dire qu'en

 22   Bosnie-Herzégovine, il y a eu un contexte suite à l'agression serbe qui a

 23   généré le chaos, parce qu'il faut savoir aussi combien de personnes

 24   expulsées allaient d'une partie du territoire vers l'autre, et d'autre

 25   part, pour les raisons que j'ai déjà mentionnées et que je ne vais pas

 26   répéter, qui ont fait que l'armée s'est constituée de façon telle

 27   qu'expliqué. Dans cette situation, qui est-ce qui serait le leader, c'était

 28   défini par la situation.

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  1   Pour en revenir à l'insurrection à Katrina, et cetera, dans toutes

  2   ces situations, le leader ce sera la personnalité qui correspond le mieux

  3   aux objectifs poursuivis par le groupe. Dans cette situation donnée,

  4   conformément au cadre théorique sociopsychologique, ça pourrait même être

  5   un criminel, ça peut être un commandant militaire, dans certaines

  6   situations, ça peut être un civil ordinaire. Donc il n'y a pas forcément et

  7   à chaque fois que ce soit celui qui a le plus de connaissances militaires,

  8   mais c'est celui qui résout le mieux les problèmes ou les objectifs du

  9   groupe dans la situation donnée quand il n'y a pas d'ordre hiérarchique et

 10   d'appareil organisationnel établis.

 11   Quand la situation est ordonnée sur le plan institutionnel, il y a

 12   d'autres règles en jeu, et la psychologie sociale a d'autres explications à

 13   cet effet. Il y a des comportements qui sont conformes aux normes

 14   psychologiques ou sociales ordinaires, et cela existe dans la théorie.

 15   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Monsieur le Professeur, si je comprends

 16   bien ce que vous dites, parce qu'on est dans un domaine très compliqué,

 17   très délicat, dans lequel rentre des notions dont parfois nous ne sommes

 18   pas au courant, vous semblez dire que dans un système où l'institution est

 19   défaillante, il y a donc des groupes qui se constituent, groupes de

 20   volontaires, et ces groupes vont être dirigés soit par un commandant

 21   militaire, soit par un leader. Mais vous expliquez que quand il n'y a pas

 22   le système institutionnel, à ce moment-là, ce leader, s'il est criminel ou

 23   s'il a des motivations personnelles ou autres, il peut, à ce moment-là,

 24   induire le groupe dans une direction qui pourrait ne pas être la bonne.

 25   Est-ce que c'est votre pensée ?

 26   LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Président, c'est tout à fait

 27   exact. Si c'est un tel individu qui s'impose comme leader, et il y a eu de

 28   tels cas dans la guerre, aussi bien en Croatie qu'en Bosnie-Herzégovine,

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  1   donc si les leaders sont des criminels, dans ce cas-là, leur activité

  2   fondamentale n'est pas de nature militaire, le fait de mener la guerre.

  3   Conduire la guerre, pour eux, c'est une activité annexe, de nature

  4   sporadique, parce que leur objectif fondamental c'est le pillage, leur

  5   intérêt personnel, le vol. Et il y a eu de tels groupes. Nous savons, par

  6   ailleurs, que la Serbie avait même organisé de tels groupes. Le groupe

  7   d'Arkan et le groupe du capitaine Dragan, par exemple, sont connus, des

  8   personnes qui avaient un casier judiciaire dans de nombreux Etats tiers. Et

  9   il est tout à fait connu que ces hommes-là ont perpétré les pires crimes,

 10   aussi bien en Croatie qu'en Bosnie-Herzégovine, tout comme il est connu

 11   qu'ils en retiraient un profit, car ils ne s'attendaient pas à être punis

 12   pour les pillages et autres activités criminelles auxquelles ils s'étaient

 13   livrés.

 14   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Je vous remercie pour cette réponse.

 15   Dans votre rapport, c'est à la page 87 du rapport, vous évoquez la

 16   résolution du Conseil de sécurité du mois de septembre 1991 qui, d'après

 17   vous, aura un fort impact psychosociologique pour les Croates et les

 18   Musulmans. Vous dites que la montée en puissance de la menace et

 19   l'accélération du mouvement d'homogénéisation, dans un contexte chaotique

 20   dû à la désintégration de la Yougoslavie, cette résolution va ouvrir la

 21   voie au crime organisé international, et vous allez dire que ça conduit,

 22   par la même occasion, à la création de groupes criminels qui seront des

 23   facteurs importants de la guerre. Est-ce bien ce que vous voulez dire dans

 24   votre rapport, que la résolution du Conseil de sécurité en réalité aurait

 25   ouvert la voie à la création de groupes criminels ?

 26   LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

 27   cela ne m'a même pas traversé l'esprit que de dire que cette résolution

 28   aurait exercé une influence directe sur cela. J'ai parlé de l'influence

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  1   indirecte de cette résolution, et cela est un rapproché de ce que j'ai dit

  2   précédemment; à savoir que s'il n'y a pas d'armes alors que l'on est en

  3   présence d'une agression - alors juste une petite digression, on ne peut

  4   pas parler d'effondrement de la Yougoslavie parce qu'à ce moment-là les

  5   élections ont déjà été tenues - donc l'agression était dirigée contre des

  6   Etats déjà indépendants, la Bosnie-Herzégovine et la Croatie. Et la seule

  7   façon de s'opposer à cette agression était de se procurer des armes, parce

  8   que les armes avaient été emportées hors de Croatie et de Bosnie-

  9   Herzégovine. La JNA avait désarmé aussi bien la Croatie que la Bosnie-

 10   Herzégovine, donc il était logique que cela ait ouvert la voie à tous ceux

 11   qui étaient en mesure de se procurer ou de fournir des armes alors

 12   qu'existait cette résolution des Nations Unies. Qui, dans ces conditions,

 13   pouvait se procurer des armes ? C'était des groupes criminels, et ces

 14   groupes, tant en Croatie qu'en Bosnie-Herzégovine, qui rejoignaient ces

 15   organismes, ces groupes de crime organisé. Il n'y avait pas d'autre façon à

 16   l'échelon des Etats de se procurer des armes. Et bien entendu que dans les

 17   premiers temps, ces groupes-là, dans les premiers temps seulement, pas

 18   ultérieurement, ont été des acteurs particulièrement importants de la

 19   guerre.

 20   M. LE JUGE ANTONETTI : Dans votre rapport, sous le thème "La responsabilité

 21   de la communauté internationale," moi, envoyé en tant que juge indépendant,

 22   j'aborde tous les sujets, sans exclusive aucune. Vous dites ceci : vous

 23   dites que cette résolution de septembre 1991 a fait qu'en Croatie et en

 24   Bosnie-Herzégovine il y a eu un sentiment d'abandon, et la communauté

 25   internationale, ayant pris publiquement fait et cause pour Milosevic. Donc

 26   vous dites que le Croate ou le Bosniaque a ressenti l'intervention de la

 27   communauté internationale comme un soutien à Slobodan Milosevic, donc un

 28   soutien en faveur des Serbes, et un abandon des Croates et des Musulmans.

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  1   C'est bien ce que vous dites dans votre rapport ?

  2   LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Président, c'est exact. Je n'ai

  3   pas dit que la communauté internationale l'ait fait "ouvertement," mais

  4   c'est la façon dont les Bosniens, les Musulmans et les Croates en Bosnie-

  5   Herzégovine, mais également les citoyens croates en Croatie, ont interprété

  6   la chose et l'ont comprise. C'est là encore une influence indirecte par

  7   laquelle il y a eu homogénéisation accélérée, parce qu'ils ressentaient, à

  8   ce moment, une menace encore plus puissante émanant de la Serbie. Il y

  9   avait une menace tout à fait explicite et ouverte de la part de la Serbie,

 10   mais s'étant retrouvés ainsi sans armes, de façon indirecte, ils ont

 11   ressenti de façon encore plus intense cette menace, et c'est pourquoi il y

 12   a eu homogénéisation accélérée, éventuellement sur des bases ethniques, ce

 13   qui présentait certains avantages du point de vue défensif, mais avait

 14   également des aspects négatifs, ce qui a exercé une influence

 15   ultérieurement aussi sur l'ensemble du contexte avec ces affrontements

 16   entre les Croates et les Musulmans. C'est l'explication psychologique. Je

 17   n'entre pas dans le point de vue militaire.

 18   M. LE JUGE ANTONETTI : -- pour essayer de bien vous comprendre.

 19   L'embargo sur les armes qui avait été décrété par la communauté

 20   internationale suite aux résolutions du Conseil de sécurité, avait-il pour

 21   effet de laisser les Serbes en possession de leurs armes, donc en état de

 22   supériorité militaire, et les Croates et les Musulmans étaient en quelque

 23   sorte victimes de l'embargo puisque eux n'avaient pas d'armes ? Est-ce que

 24   c'est ça qu'il faut lire dans votre rapport ?

 25   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, on peut faire cette lecture. Dans ce

 26   contexte, les Bosniens, les Musulmans et les Croates étaient des victimes.

 27   M. LE JUGE ANTONETTI : Dans votre pays, en Croatie, est-ce qu'il y a eu des

 28   ouvrages, des articles, des recherches qui ont été menés sur ce thème, sur

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  1   le thème de la perception de ces événements par le citoyen croate ou le

  2   citoyen bosniaque ? Il y a eu des études, des sondages d'opinions, ou bien

  3   c'est un sujet non exploré à ce jour ?

  4   LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Président, Messieurs les Juges, ce

  5   sujet a fait l'objet de recherches. Il y a de nombreuses publications

  6   scientifiques et autres à cet égard, et l'on poursuit des recherches

  7   intenses. Tous les sujets n'ont pas été couverts, mais un grand nombre de

  8   sujets dans le cadre des sciences sociales a déjà fait l'objet de

  9   recherches. Et je pense avant tout à la Croatie. La situation pour ce qui

 10   est de la couverture de ces sujets par la communauté scientifique

 11   bosniaque, la situation n'est pas particulièrement pire en Bosnie-

 12   Herzégovine, mais il y a eu moins de recherches de conduites. Le problème

 13   c'est plutôt qu'il n'y a toujours pas de travail qui ferait une synthèse et

 14   qui donnerait une vue d'ensemble. Les travaux prennent toujours un point de

 15   vue qui est ethniquement déterminé.

 16   M. LE JUGE ANTONETTI : -- réponses que vous avez données à mes questions.

 17   Il nous reste dix minutes, et je me tourne maintenant vers la Défense, qui

 18   a une heure pour le contre-interrogatoire. Peut-être quelqu'un pourrait

 19   commencer, et puis on terminerait demain, à moins que vous préfériez

 20   commencer demain.

 21   Alors, je vais commencer par D1.

 22   Mme TOMANOVIC : [interprétation] La Défense du Dr Prlic n'a pas de

 23   questions pour ce témoin. Merci.

 24   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Pour D2, Maître Khan.

 25   M. KHAN : [interprétation] Bonsoir, Monsieur le Président, Messieurs les

 26   Juges. Nous n'avons pas de contre-interrogatoire prévu pour ce témoin.

 27   Merci.

 28   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Maître Alaburic, pour D3.

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  1   Mme ALABURIC : [interprétation] Monsieur le Président, la Défense du

  2   général Petkovic n'a pas de questions non plus pour ce témoin. Merci.

  3   M. LE JUGE ANTONETTI : Pour Monsieur Coric, D4.

  4   Mme TOMASEGOVIC TOMIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Pas

  5   de questions.

  6   M. LE JUGE ANTONETTI : D5.

  7   M. IBRISIMOVIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Pas de

  8   questions non plus.

  9   M. LE JUGE ANTONETTI : Oui, Maître Kovacic.

 10   M. KOVACIC : [interprétation] Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

 11   compte tenu du fait qu'il ne nous est pas permis de communiquer avec le

 12   témoin alors qu'un événement très déplaisant s'est produit aujourd'hui --

 13   LE TÉMOIN : [interprétation] Tout va bien.

 14   M. KOVACIC : [interprétation] Vous avez donc été mis au courant. Je voulais

 15   simplement demander à pouvoir transmettre au témoin un message que nous

 16   avons reçu de l'Unité des Victimes et Témoins. Merci.

 17   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Monsieur Scott, vous ferez le contre-

 18   interrogatoire demain ?

 19   M. SCOTT : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. Vu l'heure qu'il

 20   est, je pense qu'il est plus utile de commencer demain.

 21   M. LE JUGE ANTONETTI : Très bien.

 22   Bien. Alors, Monsieur le Témoin, je vous rappelle les consignes, pas

 23   de communication avec quiconque puisque vous êtes maintenant témoin de la

 24   justice. Demain, M. Scott entamera donc le contre-interrogatoire. Comme

 25   vous le savez, nous sommes d'audience demain après-midi, donc nous nous

 26   retrouverons, Monsieur le Professeur, demain à 14 heures 15.

 27   Vous entendez ou pas ?

 28   LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Président, je ne vous ai pas

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  1   entendu.

  2   M. LE JUGE ANTONETTI : Je vous disais -- vous m'entendez ou pas ?

  3   LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous entends à présent.

  4   M. LE JUGE ANTONETTI : Je vous disais, Monsieur le Professeur, que demain,

  5   le contre-interrogatoire de M. le Procureur commencera à 14 heures 15 parce

  6   que nous sommes d'audience demain après-midi, et que d'ici là, vous n'avez

  7   pas à avoir de contact avec la Défense du général Praljak et avec les

  8   autres Défenses.

  9   Vous avez bien compris ?

 10   LE TÉMOIN : [interprétation] Je comprends, Monsieur le Président.

 11   M. LE JUGE ANTONETTI : Sur ce, donc, l'audience de ce jour est terminée, et

 12   je vous dis à demain.

 13   --- L'audience est levée à 18 heures 51 et reprendra le mardi 6 octobre

 14   2009, à 14 heures 15.

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