Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le lundi 7 février 2011

  2   [Audience publique]

  3   [Les accusés sont introduits dans le prétoire]

  4   [L'accusé Pusic est absent]

  5   --- L'audience est ouverte à 14 heures 20.

  6   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Greffier, appelez le numéro de

  7   l'affaire, s'il vous plaît.

  8   M. LE GREFFIER : [interprétation] Bonjour, Messieurs les Juges.

  9   Bonjour à toutes les personnes ici présentes.

 10   Affaire IT-04-74-T, le Procureur contre Prlic et consorts. Merci, Monsieur

 11   le Président.

 12   M. LE JUGE ANTONETTI : Merci, Monsieur le Greffier.

 13   En ce jour qui va être concrétisé par le début du réquisitoire de

 14   l'Accusation, je tiens à saluer toutes les personnes présentes, y compris

 15   des absents; la personne de M. Pusic.

 16   Je profite de cette occasion également pour saluer la venue dans le

 17   prétoire du nouvel avocat de la Défense Petkovic, à savoir Me Zoran

 18   Ivanisevic.

 19   Par ailleurs, je tiens à indiquer, pour une question de calendrier que

 20   mercredi, alors qu'il était prévu que nous siégeons le matin, nous

 21   siégerons l'après-midi, parce que l'affaire Tolimir a demandé ce

 22   changement, pour des raisons internes à la Chambre Tolimir. J'espère que ce

 23   changement ne gênera personne. Et comme il intervient mercredi, je

 24   souhaitais vous en informer dès maintenant.

 25   Par ailleurs, tous ceux qui auront l'occasion d'intervenir dans les

 26   prochaines heures et les prochains jours, je les invite à parler lentement

 27   afin que les interprètes puissent traduire fidèlement leurs propos. Et que

 28   si jamais nous avions des problèmes, le temps serait décompté du temps

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  1   alloué.

  2   Par ailleurs, j'indique que le site TribuNet du Tribunal n'a pas mentionné

  3   la tenue du réquisitoire et des plaidoiries, alors qu'il l'a fait pour le

  4   procès de Charles Taylor. Je pense que ça a dû être un oubli parce qu'ils

  5   ont beaucoup de travail. Ils ont, néanmoins, mentionné la présence de

  6   plusieurs journalistes croates qui vont assister au réquisitoire et aux

  7   plaidoiries.

  8   La Chambre, par ma voix, tient à rappeler que le réquisitoire et les

  9   plaidoiries ne devraient pas être la reprise des arguments développés dans

 10   les mémoires en clôture, et la Chambre appelle les parties à se concentrer

 11   sur les points essentiels du dossier.

 12   Lorsque les plaidoiries de la Défense débuteront, chaque Défense fera

 13   savoir en premier lieu à la Chambre si les accusés envisagent de prendre la

 14   parole durant un maximum de 30 minutes sur les cinq heures allouées à

 15   chaque Défense. La Chambre tient également à indiquer que si un accusé veut

 16   intervenir, il aura, en tout état de cause, la parole en dernier. Par

 17   ailleurs, si les accusés ne souhaitent pas s'exprimer, le temps que nous

 18   avons alloué à chacun des accusés ne peut être rétrocédé à leurs conseils.

 19   La Chambre rappelle, par ailleurs, que le temps alloué à une Défense ne

 20   peut être rétrocédé à une autre Défense.

 21   Enfin, la Chambre se réserve la possibilité de se prononcer sur

 22   d'éventuelles demandes dûment motivées de répliques et dupliques aux

 23   arguments oraux lorsqu'elle aura entendu l'ensemble des plaidoiries

 24   finales.

 25   Voilà. Toutes ces précisions découlent directement des décisions que nous

 26   avons rendues.

 27   Et je vais donner la parole à mon collègue le Juge Trechsel, qui a quelque

 28   chose à ajouter.

 

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  1   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Oui. Tout d'abord, une petite

  2   remarque.

  3   Dans l'intervalle, pendant que notre Président parlait, notre site internet

  4   a annoncé le fait que nous avions effectivement le réquisitoire et les

  5   plaidoiries finales.

  6   Eh puis, je pense qu'il y a une petite erreur au compte rendu d'audience, à

  7   la ligne 19 de la page 2, parce qu'il y a deux questions de temps rétrocédé

  8   : une équipe de la Défense ne peut pas donner son temps à une autre équipe

  9   de la Défense. Mais lorsqu'une équipe de la Défense décide que son accusé,

 10   dans le cadre de la présentation de ses plaidoiries, à ce moment-là, si

 11   l'accusé ne parle pas, l'équipe de la Défense ne perd pas de temps. Je

 12   pense que c'était peut-être un lapsus, ou peut-être une erreur de

 13   l'interprète.

 14   L'INTERPRÈTE : L'interprète s'excuse si tel est bien le cas.

 15   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Tout ayant été dit, je crois que M. Scott va

 16   intervenir puisqu'il a le pupitre devant lui.

 17   Monsieur Scott, vous avez la parole et nous allons vous écouter.

 18   M. KHAN : [interprétation] Excusez-moi, Monsieur le Président.

 19   Avant le début de l'intervention, est-ce que le technicien pourrait bien

 20   nous aider, parce que notre système de "Livenote", donc le compte rendu

 21   d'audience provisoire, ne marche pas sur nos écrans.

 22   M. LE JUGE ANTONETTI : Le technicien va venir, bien, mais ça, ça n'empêche

 23   pas M. Scott d'intervenir parce que le transcript fonctionne, lui.

 24   M. SCOTT : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, bonjour,

 25   Messieurs les Juges, bonjour aux conseils de la Défense et aux accusés. Je

 26   vous remercie de me donner la parole.

 27   Le 23 octobre 1993, Mufida Likic avait 14 ans. Cette jeune Musulmane

 28   habitait Stupni Do. Elle s'est levée vers 7 heures ce matin-là, elle a

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  1   déjeuné avec sa mère, sa tante et sa cousine de deux ans. Après avoir fait

  2   la vaisselle, Mufida est sortie pour aller chercher du bois de chauffage.

  3   Sa mère, elle a emmené la seule vache que la famille a au pré. C'était

  4   apparemment une journée parfaitement normale. Normale comme toutes les

  5   autres journées de leur vie. Peu de temps après, tout ceci a abruptement

  6   pris fin et la vie de Mufida a chaviré à tout jamais. Des coups de feu

  7   retentissent, une grenade explose. Les tirs se multiplient, ils semblent

  8   venir de partout. Elle court pour aller dans la cave avec son père, sa

  9   sœur, sa tante. A ce moment-là déjà, les balles faisaient voler les

 10   fenêtres de la petite cave en éclats. Mufida dit : "Tout a éclaté. Les

 11   balles entraient dans la cave où ils s'étaient jetés au sol pour se

 12   protéger."

 13   Dans l'heure qui s'ensuivit, alors que des balles pleuvaient, d'autres

 14   femmes et d'autres enfants musulmans sont venus se cacher avec eux dans la

 15   cave. Beaucoup d'entre eux sont même arrivés en chemises de nuit. A un

 16   moment donné, il y avait dans cette cave 11 femmes et 11 [comme interprété]

 17   petits enfants musulmans.

 18   Comme ils craignaient l'arrivée des soldats, des assaillants, qu'ils

 19   viennent dans d'autres maisons proches, le groupe de 11 personnes a décidé

 20   de partir en courant pour se cacher dans la cave d'une autre maison, chez

 21   Kemal, où il y avait la femme de Kemal et leur jeune enfant. Il y avait

 22   maintenant dans cette cave 13 femmes et petits enfants.

 23   A un moment donné, Mufida a pu regarder par le soupirail et s'est rendu

 24   compte que sa maison et la grange étaient en feu. Maintenant, les soldats

 25   s'approchaient de la maison de Kemal. Les femmes ont décidé qu'il fallait

 26   partir, prendre une nouvelle fois la fuite.

 27   Dehors, elle a vu, alors qu'elle se rendait chez Kada, qu'une partie de

 28   Stupni Do brûlait. Elle a poursuivi son chemin, mais en chemin, elle a été

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  1   blessée par une balle qui la frappa au flanc gauche. Quand elle est arrivée

  2   dans la cave, chez Kada, elle y a trouvé sa sœur Medina, sa tante Hatidza,

  3   et sa voisine, Nezveta Likic, qui s'y trouvaient déjà.

  4   Il y avait une petite fosse dans la cabine qui ne faisait qu'à peine

  5   un mètre de profondeur. C'est là qu'on gardait les pommes de terre. Et les

  6   quatre femmes musulmanes se sont accroupies dans la fosse, se sont

  7   entassées dedans, et Mufida était tout en dessous. Après un certain temps,

  8   ils ont entendu des voix masculines à l'extérieur, et puis il y a eu deux

  9   explosions dans la cave. Un homme est entré, les a vues, et il a crié à

 10   quelqu'un qui était dehors : "Je viens de trouver trois balija."

 11   Apparemment, il ne s'était pas rendu compte que Mufida, elle était en

 12   dessous des autres. Puis on a entendu le bruit qu'ont fait deux hommes dans

 13   la cave qui nous lançaient des jurons, insultaient tout le monde, et une

 14   rafale de mitraillette a giclé. Mufida a senti le corps de sa sœur

 15   s'affaisser au-dessus d'elle.

 16   Le silence est finalement revenu dans la cave, et voici ce qu'a dit

 17   Mufida :

 18   "J'ai appelé Nevzeta, Hatidza et Medina à voix basse. Aucune n'a

 19   répondu. J'ai répété le nom de ma sœur, et j'ai pris sa main mais elle ne

 20   m'a pas répondu. Je suis sortie de la fosse comme j'ai pu. Nezveta, Hatidza

 21   et Medina étaient toujours accroupies dans la fosse, la tête baissée. J'ai

 22   essayé de secouer le corps de ma sœur, mais elle était morte. Toutes les

 23   trois étaient mortes."

 24   Elle raconte ce qui s'est passé après; elle a essayé, en errant dans

 25   le village, dans les bois environnant, de s'en sortir. Elle a vu que tout

 26   son village était en proie aux flammes. Elle, avec d'autres femmes et

 27   d'autres enfants musulmans finalement réussissent à traverser les bois pour

 28   prendre la route de Dabravine, et c'est là qu'elles ont été trouvées par

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  1   une unité de la FORPRONU deux jours plus tard, le 25 octobre. 

  2   Après avoir cherché partout, Mufida a trouvé sa mère et lui a dit que

  3   Nezveta, Hatidza et Medina étaient mortes. Sa mère s'est évanouie, puis

  4   elle a repris connaissance et elle a pleuré, elle a pleuré pendant

  5   longtemps.

  6   Le témoin BQ -- et je m'empresse de dire qu'il porte un pseudonyme ici,

  7   mais il a surtout déposé en audience publique avec déformation des traits

  8   du visage. C'est un Musulman qui vous a dit, Messieurs les Juges, que le

  9   HVO l'avait gardé en détention environ 58 jours au cours de l'automne 1993

 10   à Dretelj.

 11   Les pièces, vous les voyez à l'écran, P09718, P09719 et P09721 sont

 12   les photos qui vous rappellent à quoi ressemblait le camp de Dretelj. Vous

 13   savez, ces bâtiments, ce sont des hangars où le Témoin BQ et d'autres

 14   Musulmans étaient pris en détention par le HVO. Il nous a dit qu'il y avait

 15   environ 500 ou 600 Musulmans qui avaient été détenus dans ce tunnel. La

 16   plupart venaient de Prozor, mais d'autres venaient de Bosnie centrale où

 17   d'autres parties de l'Herzégovine.

 18   Et vous l'avez entendu, si jamais on leur donnait à manger, "elle

 19   était tellement mauvaise," la nourriture qu'on leur donnait, "que c'était

 20   vraiment mieux de n'avoir rien du tout. Je ne l'aurais jamais donnée à mes

 21   chiens, à mes cochons, ni à mes vaches," a-t-il dit. "Il n'y avait vraiment

 22   presque rien. Un pain de 700 grammes était divisé, était donné à 17

 23   personnes, et la soupe, elle était tellement brûlante qu'il était

 24   impossible de la manger alors qu'on n'avait que dix ou 20 secondes pour la

 25   manger. Je pense que c'était impossible de garder le bol en main pendant

 26   plus de 20 secondes."

 27   Lorsqu'il nous a dit qu'il avait été relâché avec d'autres Musulmans

 28   de Dretelj vers le 28 août 1993, le HVO les a amener dans des bus de

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  1   Capljina à Vrda, et de Vrda ils ont dû partir à pied vers Dreznica.

  2   Beaucoup d'entre eux étaient épuisés, étaient malades, pouvaient à peine

  3   marcher. Certains se sont effondrés sur la route, d'autres ont été blessés

  4   sur cette marche vers Dreznica. Le témoin, il a dit c'était vraiment par

  5   miracle qu'il est arrivé à Dreznica.

  6   Vous voyez certaines des photographies ici montrant des Musulmans

  7   relâchés de Dretelj ce jour-là.

  8   Le Témoin BQ n'a jamais vu un médecin à Dretelj, jamais on ne l'a

  9   soigné. Vous voyez des bandages sur certains des hommes relâchés. C'est

 10   seulement après que ces hommes soient arrivés à Dreznica et qu'ils aient

 11   été soignés par la Croix-Rouge ou la FORPRONU, qu'on a pansé leurs plaies

 12   avec des bandages.

 13   Le Témoin BQ pesait 94 kilos avant sa détention. Quand il a été

 14   relâché, il en pesait 37. Ce n'est pas le genre de régime qu'il aurait

 15   voulu, j'en suis sûr.

 16   Vous vous souviendrez de ce qu'a déclaré le Dr Jovan Rajkov, il était

 17   chirurgien à l'hôpital de guerre de Mostar est en 1993, il vous a dit ce

 18   qu'on faisait dans cet hôpital de fortune, surtout à partir du 9 mai 1993.

 19   Il vous a dit quelles conditions horribles y régnaient et le peu de

 20   produits qu'il y avait pour soigner les blessés et les malades. Vous vous

 21   souviendrez des séquences vidéo qui montrent cet hôpital. Il a fait une

 22   comparaison frappante avec l'hôpital de Mostar ouest :

 23   "Parce que là, il n'était pas assiégé," a-t-il dit, "il n'était pas

 24   sous blocus. Si l'hôpital avait besoin de quelque chose, on pouvait leur

 25   apporter, l'installer, si c'était du matériel."

 26   Il a parlé du traitement réservé à beaucoup de femmes et d'enfants

 27   civils qui avaient été blessés, notamment par balle ou à cause de

 28   pilonnage, et il a indiqué deux nids de tireurs embusqués à Stotina et dans

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  1   le bâtiment de verre. Il a dit que c'était surtout les ambulances qui

  2   étaient visées par les pilonnages, par les tirs embusqués. Il a dit que

  3   beaucoup de membres du personnel hospitalier ont été ainsi tués ou blessés.

  4   Mais comment en est-on arrivé à ces évènements horribles ? Qu'est-ce

  5   qui nous amène ici ? Qu'est-ce qui s'est passé dans ces parties de Bosnie-

  6   Herzégovine que certains appellent l'Herceg-Bosna ? Qu'est-ce qui nous

  7   amène à ce procès dans ce prétoire ?

  8   De l'avis de l'Accusation, au centre même, au cœur même de ce qui

  9   s'est passé, ce qui a abouti à ces événements, ce qui les a causés, c'est

 10   l'entreprise criminelle commune retenue dans l'acte d'accusation, la

 11   volonté de créer une Grande-Croatie, comme le dit l'acte d'accusation,

 12   "afin de soumettre politiquement, militairement, afin de déloger à tout

 13   jamais et de procéder au nettoyage ethnique de tous les Musulmans de

 14   Bosnie, de tous ceux qui n'étaient pas Croates et qui vivaient dans ces

 15   zones du territoire de la République de Bosnie-Herzégovine qu'on affirmait

 16   être la communauté puis la République croate d'Herceg-Bosna, pour qu'elle

 17   rejoigne plus tard la Croatie pour faire une Grande-Croatie, que ce soit à

 18   court terme ou au fil du temps, pour en faire partie à tel titre ou y être

 19   étroitement associée, et, dans ce cadre, pour dessiner une carte politique

 20   et ethnique de ces zones qui seraient dominées par les Croates tant

 21   politiquement que démographiquement."

 22   L'Accusation a fait valoir qu'il y a quatre points essentiels

 23   permanents dans cette entreprise, et si vous les examinez vous pourrez

 24   ainsi, à notre humble avis, mieux analyser les éléments dont vous avez été

 25   saisis.

 26   Tout d'abord, pourquoi tout ceci ? Eh bien, en un mot commençant, la

 27   Grande Banovina de Croatie Herceg-Bosna, c'était la volonté d'établir un

 28   espace croate, déterminé et limité par des frontières, contrôlé par les

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  1   Croates, démographiquement et politiquement, qui ressemblait à la Croatie,

  2   qui en donnait l'impression à tous points de vue. Je pense qu'on ne peut

  3   pas faire plus court pour décrire quelle était l'intention recherchée.

  4   Reprenons chacun de ces éléments, éléments importants, je vous en ai

  5   cité quatre, reprenons-les par le menu.

  6   Tout d'abord, c'était un projet qui partait du haut et qui allait

  7   vers le bas. C'était un projet pyramidal qui était lancé dont le moteur

  8   était une classe, une élite politique et militaire relativement petite, une

  9   classe politique de nationalistes croates qui avaient une vision politique

 10   pour une ethnie particulière. Ici, c'est le récit d'une faction

 11   nationaliste qui a pris le pouvoir, qui s'est emparée du contrôle dans le

 12   HDZ, et qui s'est mis à exécuter la vision qu'avait Franjo Tudjman d'une

 13   Grande-Croatie.

 14   Ces six hommes ne sont pas n'importe quel groupe d'individus qui auraient

 15   été pris dans un tourbillon et qui venaient de la base, non, non. Ce

 16   projet, il a été imaginé, planifié, préparé, décidé, poussé, administré,

 17   exécuté, effectué du haut vers le bas. Et ces hommes, ces hommes qui sont

 18   ici, ont fait partie des architectes, des penseurs, des massons, de ceux

 19   qui ont mis en œuvre ce projet.

 20   Et je pense que M. le Juge Trechsel a tapé dans le mille lorsqu'il

 21   intervient le 2 juin 2009, page de compte rendu d'audience 41 035-36, en

 22   réponse à ce que disait M. Praljak.

 23   Voici ce que dit le Juge Trechsel, alors :

 24   "Monsieur Praljak, je vous présente une hypothèse qui va peut-être

 25   vous sembler provocatrice. Je n'ai pas du tout l'intention de jouer le rôle

 26   d'agent provocateur, mais je pense que je dois vous dire franchement, à

 27   vous écouter cet après-midi, je commence à me demander si cette guerre qui

 28   est présentée comme étant une guerre du "narod", du peuple croate qui

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  1   voulait lutter pour ses droits civiques, en fait, ce n'est pas quelque

  2   chose que voulait le peuple, mais plutôt ce que voulait une couche très

  3   limitée, une classe, une caste d'hommes politiques et d'hommes militaires

  4   très nationalistes d'esprit qui voulaient ceci. Donc, ce n'était pas un

  5   élan du peuple, ça ne venait pas de la base, ce n'était pas un mouvement

  6   démocratique; c'était au contraire, une volonté d'emmener, d'entraîner la

  7   base dans la guerre."

  8   Et c'est tout à fait ça. Tout vient du haut. Tout ce qui s'est passé,

  9   les ultimatums, les instructions, le fait de faire monter les femmes, les

 10   enfants musulmans dans des bus, de les envoyer dans des pays étrangers, de

 11   détruire les mosquées, la communauté, tout ceci s'est décidé par une

 12   poignée d'hommes qui se trouvent au sommet.

 13   Pour confirmer que ce projet d'une Grande-Croatie/Herceg-Bosna et que

 14   les crimes qui ont été commis sont des décisions prises par le haut, eh

 15   bien, il suffit de reprendre ce qu'ont dit les accusés eux-mêmes. M. Prlic

 16   a confirmé quel était ce plan de l'Herceg-Bosna qui a été adopté, proclamé

 17   et soutenu par Zagreb. Je le cite :

 18   "Ils se sont servis de cette occasion pour s'adresser à l'opinion

 19   publique et lui dire que tout était fait, que tous les préparatifs étaient

 20   effectués pour défendre la Bosnie-Herzégovine, ce qui n'était qu'en partie

 21   vrai, en partie juste. Mais entre eux, ils ont créé un autre plan, lequel

 22   fut adopté, proclamé, soutenu par Zagreb, qui était aussi le cœur, le

 23   centre du pouvoir politique. Donc, l'objectif premier de ce plan c'était de

 24   défendre le territoire, mais aussi, peut-être, de le rattacher à la

 25   République de Croatie."

 26   M. Prlic a également confirmé que pendant toute la durée de la guerre

 27   et après la guerre, il n'avait cessé d'exécuter les instructions données

 28   par Tudjman. Il rencontre Tudjman le 20 juin 1998, et il dit ceci, je le

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  1   cite :

  2   "Moi, je ne fais partie d'aucune ligne politique. Moi, je me contente

  3   de mettre en œuvre ce que vous me dites tout le temps."

  4   Et ce à quoi Tudjman répond :

  5   "Oui, c'est vrai que vous êtes le plus intelligent dans cette

  6   structure."

  7   Praljak confirme que lui met en œuvre cette même politique décidée

  8   par le sommet avec Tudjman, Prlic et Stojic. Je le cite :

  9   "Je mettais en œuvre la politique de l'Etat de Croatie.

 10   "Mes politiques étaient parallèles aux politiques de la République de

 11   Croatie et la politique de Franjo Tudjman, Gojko Susak, Bruno Stojic,

 12   Jadranko Prlic, et de tout le reste."

 13   Ce sont les mots que M. Praljak en personne a prononcés.

 14   Et M. Prlic confirme que la guerre croato-musulmane, elle, a été

 15   dirigée par les chefs politiques de l'Herceg-Bosna. Je le cite :

 16   "…la guerre était menée par les dirigeants politiques par l'entremise

 17   de l'état-major principal du HVO, en fait par les organes militaires."

 18   Petkovic a confirmé que les dirigeants civils de l'Herceg-Bosna

 19   contrôlaient le HVO militaire. Je le cite :

 20   "…les objectifs sont établis par la politique, pas par l'armée. C'est

 21   l'armée qui doit appliquer les décisions politiques."

 22   Praljak lui-même confirme aussi ce contrôle politique qu'avaient les

 23   dirigeants politiques sur l'armée du HVO :

 24   "Une décision politique c'était une priorité absolue par rapport à

 25   une décision militaire. On ne peut pas effectuer la création d'un Etat --"

 26   et je le dis bien, "…un Etat à partir de 20 centres différents, ils en font

 27   un seul."

 28   Quelles étaient les personnalités politiques qui contrôlaient les

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  1   militaires ?

  2   On y trouve Petkovic qui confirme que les trois autorités politiques

  3   et civiles les plus élevées pour ce qui est des questions de défense et des

  4   questions militaires de l'Herceg-Bosna, c'était Boban, président de

  5   l'Herceg-Bosna; Prlic, en sa qualité de premier ministre, de président du

  6   gouvernement; et Stojic, en tant que chef du département de la Défense,

  7   lequel fait partie du gouvernement de Prlic. Petkovic a ainsi confirmé que

  8   Stojic était, je le cite, "mon ministre".

  9   Prlic a confirmé que le HVO militaire a commis des crimes. Je le cite

 10   :

 11   "Il est manifeste que des unités militaires du HVO, des membres

 12   d'unités militaires, ont commis des crimes, et que, par conséquent, les

 13   autorités militaires du HVO étaient responsables et devraient répondre de

 14   ces crimes."

 15   L'Herceg-Bosna, c'est décidé par le haut; on a Susak, d'autres hommes

 16   à Zagreb qui décident, Tudjman aussi.

 17   Autre composante importante de tout ce projet, c'est le territoire.

 18   La guerre croato-musulmane, qui découle de ce projet d'une Grande-Croatie,

 19   c'est le territoire qui compte par-dessus tout pour la Croatie et les

 20   Croates qui veulent récupérer la plus grande partie d'un territoire qu'on a

 21   appelé, à une certaine époque, la Banovina croate de 1939. On en reparlera,

 22   mais c'est l'élément, la composante territoriale qui est essentielle.

 23   Et pour reprendre une terminologie que nous avons entendue qui s'est

 24   développée au fil du procès, les Croates, ils voulaient leur espace

 25   souverain qui leur soit propre. Ils voulaient, en fait, du terrain qui soit

 26   entouré de frontières. Il ne suffisait pas d'établir une certaine idée de

 27   la qualité croate ou de la souveraineté, comme ça, dans un espace aérien.

 28   Non, non, il fallait que ce soit concret, réel, du dur. Il fallait que ce

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  1   soit mis sur une carte, il fallait du territoire, un espace entouré de

  2   frontières. Mais ça ne suffisait pas. Il faut aussi l'élément

  3   démographique. L'espace sans cela, ce n'est pas suffisant.

  4   Le fait de mettre des frontières sur une carte ne veut pas dire que

  5   vous allez réaliser l'objectif qui est le vôtre d'avoir un espace souverain

  6   qui vous soit propre, à moins, bien sûr, de pouvoir avoir le contrôle, de

  7   s'emparer en tout cas du contrôle à l'intérieur de ces frontières sur ce

  8   territoire. A supposer que le système de gouvernement soit plus ou moins

  9   démocratique, soit quelque chose où chaque adulte a plus ou moins le droit

 10   de vote comme un autre, il faudrait une majorité. Donc ça veut dire que

 11   votre groupe à vous, il doit être majoritaire.

 12   Et ceux qui voulaient la Banovina de l'Herceg-Bosna, et voulaient

 13   l'entourer de frontières, la délimiter par des cartes, mais si, à

 14   l'intérieur de ces lignes, c'étaient encore les Musulmans dans beaucoup de

 15   parties qui avaient la majorité politiquement et culturellement, on n'était

 16   toujours pas arrivé au but recherché, parce que les Musulmans auraient

 17   toujours pu faire ce qu'ils voulaient faire, et ce n'était pas l'idée, ce

 18   n'est pas ce que recherchait l'Herceg-Bosna.

 19   A quoi sert d'avoir du territoire si on ne le contrôle pas ?

 20   De façon isolée, l'élément démographique ne suffit pas. On a peut-

 21   être un avantage démographique sur une grande partie du territoire sans

 22   avoir pour autant l'espace physique qui soit "à vous." L'Herceg-Bosna

 23   voulait les deux; elle voulait le territoire et elle voulait l'aspect

 24   démographique.

 25   Une fois ces deux éléments, la démographie et le territoire mis sur

 26   la table, je pense que M. Praljak a confirmé à quel point il était

 27   impossible de conjuguer et d'appliquer ces deux éléments.

 28   Je vais parler de la déclaration de M. Praljak, mais d'abord parlons

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  1   de ce que disait Vulliamy, journaliste britannique.

  2   Il a interviewé Boban vers le milieu du mois d'avril 1992 et ici, je

  3   vous rappelle les dires de M. Vulliamy. Voici ce que Boban lui aurait dit :

  4   Boban a dit clairement qu'il ne reconnaissait pas la constitution de

  5   Bosnie-Herzégovine, qu'il ne pouvait pas la reconnaître, pas plus qu'il

  6   n'admettait que Sarajevo en soit la capitale. Pourquoi ? A son avis, c'est

  7   que la constitution garantissait le droit des individus, mais pas d'un

  8   peuple, et quand il parlait de peuple, il parlait de "narod", mot important

  9   parce que ça veut dire peuple en tant que groupe ethnique.

 10   Et puis, il a donné certains détails sur la façon dont il voulait

 11   voir les différents "narod", les différents peuples, serbe, musulman et

 12   croate, divisés à l'intérieur de la Bosnie par un système de cantons, de

 13   provinces. Et comment ? Par exemple, on pourrait avoir un groupe de ces

 14   cantons, de ces provinces qui soit particulièrement croate, spécifiquement

 15   croate. Et c'est comme ça qu'il a dit qu'il y aurait un lien culturel,

 16   spirituel, économique entre l'Herceg-Bosna et la Croatie, et il a dit que

 17   l'Herceg-Bosna, elle avait été séparée de la Croatie par ceux qui la

 18   qualifiaient de "circonstances historiques malheureuses".

 19   La déclaration de Vulliamy à propos de ce que M. Boban avait dit a été

 20   présentée à M. Praljak par M. Stringer. M. Stringer intervient :

 21   "Question : Deux questions à votre intention, Mon Général.

 22   "Tout d'abord, l'avis de M. Boban exprimé à M. Vulliamy." Excusez-moi. J'ai

 23   dit 'avril' tout à l'heure. Je me suis trompé. C'était en août 1992.

 24   "Donc, l'avis de Boban, c'est le reflet, au fond, de ce que pensait le

 25   président Tudjman, qui veut un lien culturel, spirituel, entre l'Herceg-

 26   Bosna, la Croatie, et ces circonstances historiques malheureuses qui ont

 27   entraîné la séparation de la Croatie ?

 28   "N'êtes-vous donc pas d'accord pour dire qu'au fond Boban pense la

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  1   même chose que le président Tudjman sur ce point ?

  2   "Réponse : Ecoutez, je suis mal à l'aise ici. Je ne sais pas. Je ne sais

  3   pas comment répondre à une telle question. Ça, c'était la position affichée

  4   par M. Boban et ce qu'il représente, ce qu'il dit à M. Vulliamy. Moi, je ne

  5   sais pas de quoi ces deux hommes ont parlé. Moi, je ne sais que ce que

  6   raconte M. Vulliamy à propos de l'entretien. Mais partant de ce qui a été

  7   dit, je crois que tout est O.K. Boban parle de cantons et nous avons

  8   toujours eu à l'esprit, nous tous, cette idée de cantons."

  9   Mais Praljak étire son propos, M. Stringer insistant :

 10   "Question : Ce que je vous dis, Monsieur, c'est que ceci veut dire

 11   que vous rejetez l'état unitaire de Bosnie-Herzégovine et que vous

 12   revendiquez un état séparé, un statut séparé basé sur l'autonomie et le

 13   territoire des différents peuples, n'est-ce pas ?

 14   "Réponse : Oui, c'est ça, c'est exactement ce que j'ai préconisé alors et

 15   ce que je préconise encore aujourd'hui. Je maintiens ce que j'ai dit, tout

 16   à fait, inconditionnellement.

 17   "Question : Mon Général, revenons, si vous le voulez bien, à votre

 18   déposition quant à l'objectif que vous aviez d'avoir une zone autonome où

 19   les Croates constitueraient une majorité absolue ou relative. Mais pour

 20   cela, ne faut-il pas avoir une frontière identifiable ?

 21   "Réponse : Oui.

 22   "Question : Mais est-ce que vous êtes d'accord pour dire que cette idée ou

 23   cette région dont vous parlez, ce ne serait pas une entité temporaire à

 24   l'intérieur de la Bosnie-Herzégovine, vous voulez une région autonome

 25   permanente pour le peuple croate de Bosnie-Herzégovine ?

 26   "Réponse : Oui, cette région était censée être permanente."

 27   Quatrième composante, la dernière, c'est la "croatitude" - permettez-

 28   moi ce terme. C'est un territoire. Il faut l'espace avec les frontières. Il

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  1   faut la démographie, certes, mais il faut aussi la "croatitude", donc un

  2   Etat avec un espace, avec des frontières. Mais il faut aussi avec la

  3   Croatie, et toutes ces manifestations, la "croatitude", il faut la devise,

  4   il faut un programme scolaire, la langue, un permis de conduire, une carte

  5   d'identité croates. Il faut tout ceci. Il faut que tout se manifeste comme

  6   étant croate.

  7   Quatrième élément essentiel, à notre humble avis, il y avait bien sûr

  8   le fait que ceci vient du sommet, il y a l'aspect territorial, il y a

  9   l'aspect démographique, il y a cette "croatitude". Et si nous gardons ceci

 10   à l'esprit, je voudrais maintenant, si vous me le permettez, m'étendre

 11   davantage sur certains aspects qu'on retrouve dans les mémoires de Prlic,

 12   Stojic et Praljak quant à toute une série de questions qui ont commencé et

 13   se sont poursuivies de 1990 jusqu'à la fin de l'année 1992, ce qui nous

 14   amènera à examiner l'essentiel de l'acte d'accusation en 1993.

 15   Les idées de Franjo Tudjman sur les frontières de la Croatie telles

 16   qu'elles ont existé en 1990, ainsi que son obsession avec le rétablissement

 17   de la Banovina croate de 1939, étaient bien connues, puisque lui-même les a

 18   exprimées à de nombreuses reprises. Dans son livre de 1980 [comme

 19   interprété], "Nationalisme dans l'Europe contemporaine", Tudjman affirme

 20   que la création de la Bosnie-Herzégovine en tant que république séparée de

 21   la République socialiste fédérative de Yougoslavie rendait, sur le plan

 22   territorial et géographique, la position de la Croatie difficile dans le

 23   sens économique et peu appropriée dans le sens administratif. A en juger

 24   d'après Tudjman, il était tout à fait artificiel de séparer la Bosnie-

 25   Herzégovine de la Croatie puisque la Bosnie-Herzégovine "était

 26   historiquement liée à la Croatie et ensemble, elles constituaient une

 27   entité indivisible sur le plan géographique et économique." Donc, je viens

 28   de citer son livre.

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  1   La solution, à en juger d'après Tudjman et d'autres, était d'ajouter

  2   aux frontières existantes de la Croatie un territoire qui avait été connu

  3   sous le nom de Banovina croate, ou Hrvatska, et c'est une zone large qui

  4   résulte d'un accord de 1939 passé entre le premier ministre yougoslave-

  5   serbe Cvjetkovic, et le dirigeant croate Vlatko Macek, ainsi a été créé un

  6   territoire croate bien plus large qui englobait une partie de la Bosnie-

  7   Herzégovine et quasiment l'ensemble du royaume tri-unitaire de la Croatie,

  8   Slavonie et Dalmatie. Pendant que l'accord n'a pas duré longtemps,

  9   uniquement jusqu'à ce que l'Allemagne et l'Italie occupent la Yougoslavie

 10   en avril 1941, Tudjman et d'autres ont idéalisé les frontières élargies de

 11   la Banovina croate et souhaitaient restaurer la Banovina en annexant des

 12   parties importantes de la Bosnie-Herzégovine.

 13   Josip Manolic, qui était le premier ministre de la Croatie en 1990-

 14   1991, membre du Conseil de sécurité nationale croate en 1993, président de

 15   la Chambre haute du Parlement croate en 1994.

 16   Il a confirmé cela dans sa déposition devant le Tribunal. Donc en

 17   disant que Tudjman était "obsédé par son idée de la création de la

 18   Banovina", et il a décrit la réalisation des frontières de la Banovina en

 19   tant qu'étant l'objectif principal de la politique de Tudjman. L'idée

 20   principale de la politique d'Etat croate, d'après Manolic, était la

 21   répartition de la Bosnie-Herzégovine indépendamment de toutes autres

 22   circonstances. Et je cite : "L'annexation de l'Herzégovine à la Croatie

 23   était véritablement la ligne directrice de la politique d'Etat croate".

 24   Le ministre des Affaires étrangères de Tudjman, Mate Granic, rédige

 25   dans son livre, "Affaires étrangères en coulisse", les idées suivantes :

 26   "L'obsession de Tudjman était de recréer la Banovina croate créée en

 27   1939 d'après laquelle l'Herzégovine et des parties de la Bosnie centrale et

 28   de la Posavina bosnienne devaient être annexées à la Croatie. Le président

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  1   m'a souvent dit que la Banovina était la meilleure solution."

  2   Les idées de Tudjman relativement aux Musulmans, et cela ne nous

  3   étonnera pas, étaient tout à fait cohérentes avec ses positions à l'égard

  4   de la Bosnie. Dans une réunion avec les représentants de l'Herceg-Bosna en

  5   décembre 1993, Tudjman a déclaré que les Croates avaient combattu les

  6   Musulmans pendant trois siècles et que ce sont les Musulmans qui avaient

  7   amené la Croatie au bord du désastre. Tudjman a expliqué que les Croates de

  8   Bosnie préféraient les Serbes orthodoxes, qui étaient des Chrétiens, aux

  9   Musulmans, "parce qu'ils étaient des Chrétiens, après tout. "

 10   L'ambassadeur américain, Peter Galbraith, a rencontré à plusieurs reprises

 11   le président Tudjman et a déposé en disant que Tudjman a souvent cité la

 12   Banovina de 1939. Je cite :

 13   "Le président Tudjman était convaincu que la Bosnie-Herzégovine ne devrait

 14   pas être maintenue en tant qu'Etat souverain et indépendant, et qu'une

 15   partie importante du territoire bosniaque devait devenir territoire de la

 16   République de Croatie." Pas seulement cela, Galbraith nous a dit que

 17   Tudjman s'est souvent exprimé favorablement au sujet des échanges de

 18   population et transfert de population, c'est quelque chose qui a souvent eu

 19   lieu dans l'histoire, ce n'était rien de si inhabituel de déplacer les

 20   populations, d'échanger les populations. Et cela faisait partie intégrante

 21   de sa vision. Donc il a expliqué à Galbraith quels sont les territoires qui

 22   devraient devenir partie intégrante de la Croatie, il a même montré une

 23   carte avec la répartition de la Bosnie en deux avec une ligne qu'allait la

 24   couper en deux au milieu, d'après Galbraith.

 25   Et Mostar, d'après Tudjman, était une ville croate, la capitale du

 26   territoire croate de Bosnie, et pour autant que Tudjman s'y intéressait, eh

 27   bien, les Musulmans ne pouvaient pas aspirer à avoir Mostar en tant que

 28   leur ville.

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  1   Alors, ceux qui allait devenir des dirigeants politiques et militaires de

  2   l'Herceg-Bosna et du HVO en 1991 et 1992 et qui seront à la tête du

  3   nettoyage ethnique et des persécutions contre les Musulmans en 1992/1993

  4   ont partagé les idées de Tudjman sur la Banovina et sur la création du

  5   contrôle politique militaire et démographique croate sur ce territoire

  6   croate. Les rôles joués par les accusés en l'espèce figurent dans le

  7   mémoire en clôture de l'Accusation. Nous y reviendrons plus en détail au

  8   sujet de chacun des co-accusés. Mais nous parlons aussi de ce que M. Boban

  9   a à voir, où il trouve sa place ici.

 10   Alors, tout comme Tudjman, Mate Boban était convaincu que l'Herceg-Bosna

 11   avait été séparée de la Croatie par un malheureux concours de circonstances

 12   historiques et il estimait que Banovina était un modèle pour l'Herceg-Bosna

 13   et un précédent pour son annexion avec la Croatie. Boban s'est présenté aux

 14   élections, donc candidat du HDZ de Bosnie-Herzégovine en novembre 1990 en

 15   Bosnie-Herzégovine, et il a reçu moins de voix que Stjepan Kljuic qui était

 16   un Croate modéré.

 17   Le 18 septembre 1991, il est devenu le vice-président du HDZ de

 18   Bosnie-Herzégovine de son état de sa cellule de Crise. Et ensemble avec

 19   Dario Kordic, Boban était à la tête d'une réunion très importante des

 20   communautés régionales, HDZ, Travnik et d'Herzégovine, le 12 novembre 1991,

 21   où on a demandé "qu'une politique décisive et active soit mise en place qui

 22   permettrait la réalisation de notre rêve éternel, à savoir de rejoindre

 23   l'Etat croate." Il s'agissait de la création d'une Croatie souveraine dans

 24   ses frontières ethniques et historiques qui désormais était devenue

 25   possible. Et donc ce n'est pas par hasard que Boban et Franjo Boras ont

 26   rencontré le dirigeant serbe de Bosnie, Radovan Karadzic, en mai 1992, et

 27   que la position de l'Herceg-Bosna a été clairement située dans le cadre de

 28   la Banovina de 1939.

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  1   Monsieur le Président, j'hésite à continuer, je ne souhaite reprocher quoi

  2   que ce soit à personne, mais je souhaiterais bénéficier de l'attention de

  3   la Chambre.

  4   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur Scott, vous pouvez continuer. Parce que le

  5   transcript fonctionne. Il y a que des problèmes au niveau du Livenote. Mais

  6   ce qui importe c'est de vous écouter et de lire le transcript.

  7   M. SCOTT : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

  8   A en juger d'après un représentant de la MOCE Ray Lane, Boban et ses

  9   associés politiques souhaitaient vivre dans une grande Croatie, et leur

 10   objectif politique était l'unification avec la République de Croatie. Boban

 11   était un nationaliste ardent croate et il ne faisait que peu de cas

 12   d'autres groupes ethniques, mais il était beaucoup plus proche des Serbes

 13   et de leurs visions de la Bosnie qu'il ne l'a été des Musulmans. Le

 14   ministère croate des affaires étrangères, Mate Granic, a décrit Boban

 15   "comme étant un homme borné, qui vouait une présente haine aux Bosniens."

 16   Un Témoin Suad Cupina a déposé que Boban lui a dit en juin 1992 qu'il

 17   n'avait aucune intention de reconnaître la direction de Sarajevo, la

 18   direction de Bosnie-Herzégovine, ou l'Etat de Bosnie-Herzégovine, et que

 19   l'Herceg-Bosna avait l'intention de devenir un Etat pour les Croates.

 20   En janvier 1993, Boban était déjà en train de mettre sur pied une politique

 21   de déplacement de Musulmans vers l'extérieur des zones qui prenaient pour

 22   croate conformément aux propositions de Vance-Owen et d'introduire les

 23   Croates dans les parties qui étaient soi-disant croates. Le 8 mars 1993,

 24   une réunion a eu lieu avec Tudjman, Susak, et d'autres, et Boban a déclaré

 25   que la Bosnie-Herzégovine cesserait d'exister rapidement, et a confirmé que

 26   l'Herceg-Bosna et le HVO constituaient des instruments permettant de créer

 27   une Grande-Croatie. Et Boban déclare :

 28   "Nous avons les cartes en mains. C'est à nous de jouer. Personne ne va nous

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  1   apporter la liberté sur un plateau d'argent, et il n'y a pas de Croatie qui

  2   nous apportera la liberté, parce que nous sommes parties essentielles

  3   substantielles de la Croatie. Vous savez quelle est notre politique, et je

  4   vais réitérer notre politique.

  5   "Tout Croate de Bosnie-Herzégovine a le droit à la Croatie autant que le

  6   président Franjo Tudjman, mais nous devons maintenir et préserver la

  7   Croatie là, c'est notre tâche et vous la connaissez bien."

  8   Le diplomatique britannique David Owen s'est plaint auprès de Tudjman en

  9   juin 1993 que Boban a traité Mostar et Travnik comme si ces villes lui

 10   appartenaient. Boban a tourné en dérision la valeur des cessez-le-feu et

 11   blâmait toujours les Musulmans des violations. Boban a dit que trois

 12   groupes, les Serbes, les Croates, et les Musulmans, ne pouvaient pas vivre

 13   ensemble, et il a dit que :

 14   "Il valait mieux dire la vérité. Qu'ils étaient en guerre, en guerre au

 15   sujet des territoires et des frontières."

 16   Le leader croate Manolic a déposé en disant que la mise en œuvre de la

 17   politique de la Banovina croate, politique conçue par Tudjman, n'avait rien

 18   à voir avec ce dont était au courant le président Tudjman. Dans un

 19   programme télévisé le 24 août 1993, Boban précise sa relation avec Tudjman

 20   de la manière suivante :

 21   "Tudjman est le président des Croates où qu'ils se trouvent, et ainsi

 22   également des Croates de Bosnie-Herzégovine. Le programme politique du HDZ,

 23   dont il est le président, est le programme que moi et mes associés étions

 24   en train de mettre en œuvre de manière systématique sur le territoire de la

 25   Bosnie-Herzégovine. Par conséquent je suis Franjo Tudjman dans la mesure où

 26   je suis le programme du HDZ, dont il est le président, et je le respecte et

 27   j'accepte tous ses raisonnements et ses arguments en tant qu'il est le

 28   président de tous les Croates du monde où qu'ils se trouvent."

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  1   Le 2 septembre 1993, Tudjman a donné l'ordre à Boban de s'occuper des camps

  2   de prisonniers du HVO, qui ternissaient l'image de la Croatie. En novembre

  3   1993, les pressions qui s'exerçaient par la communauté internationale sur

  4   la Croatie dues au comportement de l'Herceg-Bosna ont donné lieu au fait

  5   que Tudjman a finalement relevé de ses fonctions Boban en tant que

  6   président, même s'il a occupé ce poste jusqu'au 11 février 1994. Mais cette

  7   évolution n'a eu aucun impact sur les idées de Boban, il est resté soldat

  8   loyal de Tudjman.

  9   Et Boban a déclaré à un journaliste britannique, fin 1993 :

 10   "Nous deviendrons partie de la République de Croatie. C'est l'objectif,

 11   l'aspiration de tous les Croates de Bosnie-Herzégovine."

 12   Lorsque Boban et Prlic ont rencontré Karadzic et Mladic le 3 février 1994,

 13   Boban a dit aux dirigeants serbes, je cite :

 14   "Nous n'accepterons jamais moins que l'union des trois républiques en

 15   Bosnie-Herzégovine. Le tracé des frontières entre les Serbes et les Croates

 16   est la condition pour la paix dans les Balkans. La tâche la plus importante

 17   est de détruire la légitimité de la Bosnie-Herzégovine."

 18   L'ensemble de ces éléments de preuve correspond tout à fait aux faits jugés

 19   suivants :

 20   Premièrement, le nationalisme de Franjo Tudjman et son aspiration à

 21   annexer une partie de la Bosnie-Herzégovine est quelque chose qui était

 22   clair à Lord David Owen, à qui le président Tudjman a fait part de son

 23   affirmation que 17,5 % du territoire bosnien devrait revenir à la

 24   république où les Croates seraient majoritaires.

 25   Deuxièmement, le président Tudjman aspirait à séparer l'Etat voisin.

 26   Et les aspirations, troisièmement, de Franjo Tudjman à annexer les

 27   régions croates de Bosnie n'ont jamais disparu tout au long du conflit.

 28   Et quatrièmement : "Il ne fait aucun doute que la République de

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  1   Croatie et la HZ HB poursuivaient les mêmes objectifs, à savoir

  2   l'annexation des provinces croates de Bosnie-Herzégovine pour qu'elles

  3   fassent partie de l'Etat croate."

  4   L'Union démocratique croate, le HDZ, a été créée en février 1989 à

  5   Zagreb. C'est Franjo Tudjman qui a prononcé le discours inaugural. Lors des

  6   élections multipartites d'avril 1990 en Croatie, le HDZ a réuni plus de

  7   voix que tout autre parti, et Tudjman est devenu président. Tout au long de

  8   l'année 1990, le HDZ a occupé la première place sur l'échiquier politique

  9   croate. Tudjman est resté président jusqu'à son décès, fin 1999.

 10   Avec la création du HDZ en Croatie, le HDZ s'est consacré à la

 11   création de sa branche en Bosnie-Herzégovine par la suite. A ce sujet, il

 12   est important de voir que c'est le ministre de la Défense croate Susak, né

 13   et élevé à Siroki Brijeg, qui a joué le rôle le plus important dans ce

 14   processus. Le HDZ de Zagreb a choisi un docteur de Sarajevo, Dr Perinovic,

 15   pour qu'il prenne la place du numéro un du HDZ en Bosnie-Herzégovine, mais

 16   il a été relevé de ses fonctions.

 17   Stjepan Kljuic traversait Zagreb pendant le mois de septembre 1990

 18   et, sur demande de Tudjman, il a été question que ce Kljuic se mette à la

 19   tête du parti, et c'est effectivement la décision qui a été adoptée en

 20   septembre 1990.

 21   La Chambre est au courant des élections qui se sont tenues en Bosnie

 22   en 1990; les trois partis ayant pris part aux élections sont le HDZ de

 23   Bosnie-Herzégovine, le SDA, et le Parti démocratique serbe, le SDS.

 24   Le 18 novembre 1990, les premières élections législatives ont eu lieu

 25   en Bosnie-Herzégovine. Sur les 240 sièges du Parlement de Bosnie-

 26   Herzégovine, le SDA en a remporté 86; le SDS, 72; et le HDZ de Bosnie-

 27   Herzégovine, 44. Sur les candidats du HDZ de Bosnie-Herzégovine, c'est

 28   Kljuic qui a remporté le plus de voix, plus que Boban.

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  1   Les trois partis ont occupé les sept fonctions de la présidence de

  2   Bosnie-Herzégovine : Stjepan Kljuic, Croate; Franjo Boras, Croate; Alija

  3   Izetbegovic, Musulman; Fikret Abdic, Musulman; Biljana Plavsic, Serbe;

  4   Nikola Koljevic, Serbe; Ejub Ganic, qui se déclarait "Yougoslave", ce qui

  5   était prévu par la loi de l'époque en Bosnie-Herzégovine.

  6   Et ces partis ont constitué un gouvernement de coalition avec Alija

  7   Izetbegovic à la tête de la présidence, président de la présidence; le

  8   Croate, Jure Pelivan, premier ministre; et le Serbe Momcilo Krajisnik, à la

  9   tête du Parlement.

 10   Ce qui nous amène en mars 1991, et la réunion de Karadjordjevo. Cela

 11   constitue un fait jugé, à savoir que Franjo Tudjman aspirait à répartir la

 12   Bosnie-Herzégovine, et "il en a parlé lors des pourparlers confidentiels

 13   qu'il a eus avec Slobodan Milosevic à Karadjordjevo le 30 mars 1991 sur la

 14   répartition de la Bosnie-Herzégovine." D'autres faits jugés établis sont

 15   comme suit :

 16   "L'idée qui a été nouée par le président Tudjman, à savoir ses

 17   ambitions territoriales en Bosnie-Herzégovine, malgré sa position

 18   officielle par laquelle il affirmait le contraire, sont le renforcement de

 19   ses liens et ses discussions avec Milosevic, montre qu'il avait ses

 20   ambitions territoriales.

 21   "Suite à Karadjordjevo, Franjo Tudjman a estimé qu'il serait très

 22   difficile d'assurer la survie de la Bosnie et que les Croates allaient

 23   prendre la banovina plus Kazin, Kladusa et Bihac.

 24   "Et puis, Franjo Tudjman a également déclaré qu'il n'y aurait plus de

 25   région musulmane au sein de l'ex-Yougoslavie, qu'ils ne constitueraient

 26   'qu'un petit élément dans l'Etat croate'."

 27   Alors, parmi les équipes de la Défense, il y a eu des réactions à ce

 28   sujet, à savoir oui, en effet, la réunion de Karadjordjevo a eu lieu, mais

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  1   qu'a-t-on dit lors de cette réunion. L'ambassadeur Okun, le dirigeant très

  2   haut placé croate Manolic, ainsi que Kljuic, ont tous confirmé de quoi il a

  3   été question à Karadjordjevo.

  4   Je n'irai pas dans le détail de la déposition qui s'est déroulée à

  5   huis clos du Témoin AR, mais je vous renvoie à sa déposition.

  6   Dans son livre "Les origines de la catastrophe", le diplomate

  7   américain Warren Zimmermann, qui a été le dernier ambassadeur américain en

  8   RFY, rapporte ce que Tudjman lui aurait dit de ses réunions avec Milosevic.

  9   "Tudjman a reconnu qu'il avait discuté de ces idées avec Milosevic,

 10   et ils sont d'accord sur le fait que la seule solution est de répartir la

 11   Bosnie entre la Serbie et la Croatie. Généreusement, Tudjman a dit qu'il

 12   n'allait pas insister pour que la répartition se fasse à une manière 50 %

 13   pour les uns, 50 % pour les autres. 'Que Milosevic prenne plus, il les

 14   contrôle de toute manière. Nous prendrons moins que 50 %. Nous laisserons

 15   aux Musulmans une petite région autour de Sarajevo. Peut-être que ça ne

 16   leur plaira pas, mais pour avoir la stabilité dans les Balkans, on ne peut

 17   y arriver que si on modifie les frontières bosniaques, peu importe ce

 18   qu'ils pensent. Il n'y a rien de sacré quant à ces frontières. La Bosnie

 19   n'est pas un Etat ancien, tout comme la Croatie.'"

 20   Et puis, Zimmermann qui dit :

 21   "En écoutant Tudjman, je me suis rendu compte qu'il fallait que

 22   j'oublie la courtoisie diplomatique. De notre point de vue, Izetbegovic

 23   n'était ni un fondamentaliste radical ni une menace face à qui que ce soit.

 24   Les Etats-Unis allaient s'opposer à ces divisions de la Bosnie. 'Personne

 25   parmi ceux qui le voulaient ne pouvait bénéficier de notre soutien. Il y

 26   aura une guerre en Bosnie si vous essayez de la diviser'.

 27   Est-ce que vous pensez que les Musulmans ne vont pas réagir ? Mais

 28   vous ne pouvez pas négliger les droits de la population bosniaque. Ce que

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  1   vous proposez, en fait, ne prend pas en compte les droits d'une très grande

  2   partie de la population bosniaque."

  3   Alors, qu'en est-il "du problème de la Bosnie ?" C'est la

  4   terminologie employée par Tudjman lui-même. Une réunion très importante du

  5   Conseil suprême de l'Etat croate se tient le 8 juin 1991, et Tudjman

  6   confirme, encore une fois, la teneur de ses débats avec Milosevic. Il

  7   affirme qu'il pense que les "frontières impossibles de la Croatie sont

  8   largement dues aux frontières historiques de la Bosnie." Il explique

  9   comment il veut résoudre ce qu'il appelle le problème de la Bosnie :

 10   "…comme vous le savez, au départ les Serbes ont affirmé que s'il

 11   allait y avoir une alliance confédérale, ils n'allaient pas accepter les

 12   frontières actuelles … parce qu'il y a des Serbes qui vivent à l'extérieur

 13   de la Serbie, la Bosnie et la Croatie…

 14   "Donc c'est une réalité que nous devons prendre en compte. Egalement,

 15   Messieurs, si nous choisissons l'indépendance pour la Croatie, que ce soit

 16   au sein d'une alliance, soit une indépendance totale, les frontières de la

 17   Croatie, comme elles se présentent aujourd'hui, sont absurdes, impossibles,

 18   qu'il s'agisse du commerce ou de l'administration, et encore plus

 19   s'agissant de la protection de ces frontières.

 20   "Donc, de notre point de vue, il y a un problème, il y a une

 21   nécessité de résoudre ce problème parce que la création de la Bosnie, enfin

 22   les frontières de la Bosnie, suite à la Seconde Guerre mondiale sont

 23   historiquement absurdes. C'est une résurrection d'une création coloniale

 24   qui date de la période du XVe au XVIIIe siècles."

 25   Alors Tudjman informe ceux qui sont présents, et là encore nous

 26   parlons du Conseil suprême de l'Etat Croate, qu'il va y avoir des

 27   pourparlers "sur le problème de la Bosnie, à savoir le problème du tracé

 28   des frontières et des frontières de la république de Croatie."

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  1   Et Tudjman est tout à fait clair là-dessus, à savoir "résoudre le

  2   problème de la Croatie et se doter de frontières réalistes et nécessaires

  3   pour une Croatie souveraine". Donc, ce sont ces préoccupations principales.

  4   "La solution du problème de la Bosnie", d'après Tudjman, "réside dans la

  5   répartition de la Bosnie-Herzégovine, et si nous y parvenons" dit Tudjman,

  6   "alors nous pouvons chercher là une base pour une alliance de république

  7   souveraine et des états. Je pense que nous pouvons y arriver puisque c'est

  8   également dans les intérêts de la Croatie et de la Serbie pendant que la

  9   composante musulmane n'a pas d'autres issues, si ce n'est que d'accepter

 10   cette solution, même si cette solution ne sera pas facile. Mais au fond,

 11   c'est de cela qu'il s'agit".

 12   Donc, toute une série de réunions se tiennent au milieu de l'année de 1991,

 13   nous n'allons pas reprendre tout cela en détail. Mais les événements de

 14   preuve démontrent tout à fait clairement que toute une série de réunions se

 15   tiennent en Bosnie-Herzégovine auxquelles participent Boban, Kordic, Boras,

 16   en fait leurs acolytes, et les deux communautés qui sont créées, qui sont

 17   les plus importantes, en espèce sont la communauté régionale de Travnik et

 18   la communauté régionale de l'Herzégovine, avec Kordic et Boban

 19   respectivement à leur tête. Et ces communautés se rapprochent de

 20   l'unification et de la création de l'Herceg-Bosna tout au long de l'année

 21   1991.

 22   Et pendant cette période se creuse le fossé entre Boban et Kordic

 23   d'un côté, et Kljuic d'autre part avec les plus modérés. Donc, le dialogue

 24   est en cours, mais peut-être ne peut-on pas vraiment parler de "dialogue"

 25   puisqu'il y a des différends et des discussions tout au long de l'année

 26   1991 sur la ligne à adopter pour le HDZ de Bosnie-herzégovine et ces

 27   factions se disputent le contrôle du HDZ.

 28   En ce sens, ce qui serait intéressant de relever c'est que pendant ce

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  1   temps-là, les Serbes font au fond la même chose. Donc pendant que ces

  2   événements avaient lieu, les Serbes et le dirigeant bosno-serbe du parti

  3   politique serbe du SDS, au printemps 1991, établissaient eux aussi des

  4   différentes communautés ou groupes de municipalités parfaitement illégales.

  5   Tout d'abord, la communauté des municipalités de la Krajina-Bosnie établie

  6   en avril 1991, ainsi que la communauté des municipalités de l'Herzégovine

  7   ancienne et de la Herzégovine orientale, et la communauté des municipalités

  8   Romanija, qui ont été créés en mai.

  9   L'assemblée de la BiH a pris immédiatement des mesures pour s'opposer

 10   à ces structures en déclarant, dès avril 1991, qu'il fallait que tous les

 11   efforts pour organiser les entités nationales, les associations et

 12   municipalités doivent immédiatement s'arrêter. Cela dit, les actions et les

 13   agissements se sont poursuivis. Ces projets se sont poursuivis et ont

 14   évolué en quelque chose appelé les districts autonomes serbes, les SAO. Et

 15   c'est intéressant ce que M. Jurcevic, un de nos témoin à déclaré : "il est

 16   évident que le concept national des SAO et des organisations serbes étaient

 17   un prérequis pour arriver à une partie intégrante de l'agréation armée,

 18   l'occupation de la BiH". Il a donc déclaré qu'il s'agissait d'un prérequis

 19   permettant à arriver à une agression armée et une occupation de la BiH.

 20   Ce qui est intéressant, c'est que nous avons un expert croate qui

 21   étudiait ce que faisaient les Serbes, mais pour lui, il était extrêmement

 22   clair à l'époque qu'il s'agissait d'entités parfaitement illégales et que

 23   tous ces instruments étaient utilisés pour arriver à réaliser la Grande-

 24   Serbie. Or, quand on voit ce qu'a fait la Croatie avec l'Herceg-Bosna, là

 25   pour lui c'était différent, pour lui ce n'était pas une Grande-Croatie,

 26   c'est différent. Alors, ça fonctionne pour les Serbes, mais pour lui ça ne

 27   fonctionnait absolument pas pour les Croates. En tout cas en ce qui

 28   concerne donc ce Dr Jurcevic.

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  1   Mais le 1er novembre 1991, le tribunal constitutionnel de la BiH a déclaré

  2   que les entités serbes étaient illégales et les a donc annulées; plus

  3   particulièrement, étant donné que l'association avait essayé d'obtenir les

  4   pleins pouvoirs en ce qui concerne la défense et le domaine militaire, y

  5   compris "l'autoprotection sociale". Le tribunal a déclaré que c'était à la

  6   république de s'occuper de ce type de chose, et a aussi déclaré que la

  7   procédure utilisée était incorrecte du point de vue de la procédure et que

  8   les décisions avaient été prises en application d'une "procédure d'urgence,

  9   souvent sans ordre du jour annoncé et sans présence des conseillers soit

 10   d'appartenance ethnique croate ou musulmane". Quelle surprise, n'est-ce pas

 11   ?

 12   Mais remarquez la date à laquelle la décision a été prise, 1er

 13   novembre 1991. Le tribunal constitutionnel de la BiH déclare que les

 14   entités serbes sont illégales et donc les annule.

 15   Dix-huit jours plus tard, 18 novembre 1991, on a la déclaration de la

 16   souveraineté de l'Herceg-Bosna, après que le tribunal constitutionnel de

 17   BiH ait déclaré que ces entités soient illégales.

 18   En gardant à l'esprit ce que faisaient les Serbes, voyons un peu ce que

 19   faisaient les Herceg-Bosna, Boban, Kordic et les autres.

 20   Et dont il convient maintenant de se pencher sur la réunion du 12

 21   novembre 1991, réunion à Grude avec des représentants des communautés

 22   régionales d'Herzegovine et de Travnik. Et voici les conclusions qui ont

 23   été atteintes ce jour-là :

 24   "La communauté régionale d'Herzégovine et la communauté régionale de

 25   Travnik maintiennent leurs conclusions, c'est-à-dire que le peuple croate

 26   de ces régions continue à soutenir les décisions acceptées de façon unanime

 27   ainsi que les conclusions acceptées et adoptées au cours des consultations

 28   avec le président Franjo Tudjman les 13 et 20 juin 1991 à Zagreb. Suite aux

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  1   conclusions prisent lors de ces réunions", donc ce sont des réunions des 13

  2   et 20 juin 1991,  "et sur la base de ces deux réunions, les deux

  3   communautés régionales ont déclaré de façon unanime que le peuple croate de

  4   Bosnie-Herzégovine doit une bonne fois pour toutes mettre en œuvre une

  5   politique active et déterminée qui permettra d'aboutir à la réalisation

  6   d'un rêve qui date des siècles, c'est-à-dire un état croate conjoint.

  7   "Et afin de réaliser rapidement ce but historique, ces deux

  8   communautés régionales demandent que l'on entame des activités en vue de

  9   rédiger et de publier les documents politiques et juridiques (c'est-à-dire

 10   la proclamation d'une Banovina croate en Bosnie-Herzégovine, un référendum

 11   sur l'accession à la république de Croatie et cetera) ce qui serait la

 12   première étape permettant d'arriver à une conclusion finale du problème et

 13   à la création d'une Croatie souveraine, dont ses frontières ethniques et

 14   historiques y sont maintenant possibles."

 15   Six jours plus tard, le 18 novembre 1991 à Grude, Kordic, Bozo Rajic, et

 16   d'autres ont proclamé l'existence de la Communauté croate d'Herceg-Bosna en

 17   déclarant à l'article 1, et je cite :

 18   "Cette entité sera établie en tant qu'intégrité territoriale

 19   économique et politique".

 20   En ce qui concerne l'article 3, Mostar qui est une ville à majorité

 21   musulmane dans une municipalité à prédominance musulmane, donc Mostar

 22   deviendrait le siège de la Communauté croate. Pour ce qui est de l'article

 23   2, il déclare que le HZ HB sera composé de 30 municipalités suivantes dont

 24   uniquement 12 ont en effet une population à majorité croate.

 25   Vous aurez sous les yeux la liste de ces 30 municipalités ainsi que

 26   leur composition ethnique, et ce, d'après les chiffres du recensement de

 27   1991. Donc, sur les 30 municipalités que vous avez à l'écran, il n'y en a

 28   que 12, donc moins de la moitié, qui disposent d'une majorité croate; je ne

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  1   parle pas ici de dominance, mais je parle d'une majorité absolue, plus de

  2   50 %.

  3   Lorsqu'on parcourt les cartes, on voit bien, et ce n'est pas surprenant

  4   d'ailleurs, que les frontières de l'Herceg-Bosna et celles de la Communauté

  5   croate de la Posavina Bosanska, au nord-est de la BiH, correspondent

  6   parfaitement aux frontières de la banovina de 1939, avec l'ajout de

  7   quelques régions comme Vares, Kakanj et Jajce, dont aucune n'a de

  8   population à majorité croate.

  9   Nous avons vu ces cartes dès le début, vous vous rappelez peut-être

 10   de nos propos liminaires en avril 2006. On a vu ces cartes. La première

 11   carte montre la Communauté croate d'Herceg-Bosna et tous les Croates de

 12   Bosanska Posavina. La deuxième carte montre bien la superposition de la

 13   banovina de 1939 par rapport aux municipalités de Bosnie-Herzégovine.

 14   Ensuite, carte suivante, on voit la superposition de la banovina avec la

 15   Communauté croate. En rouge, vous avez les frontières de la banovina. Et on

 16   voit d'ailleurs que l'Herceg-Bosna revendiquait quelques régions qui

 17   étaient en dehors de la banovina historique. Ensuite, carte numéro 9,

 18   composition ethnique en se basant sur le recensement de 1991, et on voit

 19   bien la composition ethnique des municipalités revendiquées par l'Herceg-

 20   Bosna.

 21   L'Accusation considère qu'on n'a pas besoin d'être vraiment un chirurgien

 22   du cerveau, si je puis dire, pour bien comprendre quelle est la composition

 23   ethnique de ces régions, et que l'on voit qu'il y a un conflit en cours,

 24   qu'il ne peut y avoir qu'un conflit. On en revient aux quatre principes, ou

 25   au moins deux d'entre eux : le territoire et la démographie. Si le

 26   territoire dans la région bleue est votre territoire, vous avez un problème

 27   important en ce qui concerne le contrôle démographique. Vous venez juste de

 28   revendiquer des territoires où, en fait, vous n'êtes absolument pas en

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  1   majorité.

  2   Et comme nous montre un grand nombre d'éléments de preuve, y compris

  3   les éléments de preuve apportés par Kljuic, l'expert constitutionnel de

  4   Slavonie Ribicic, Donia et Tomljanovich, la mise en place de l'Herceg-Bosna

  5   est la création, en fait, d'un Etat autoproclamé bosno-croate en BiH,

  6   l'introduction d'une administration paraétatique, une communauté

  7   mononationale avec des entités mononationales qui sont émergées d'un seul

  8   parti, le HDZ BiH, ou très exactement d'ailleurs, une faction de ce parti

  9   du HDZ. Il n'y a jamais eu de référendum, il n'y a jamais eu d'élection

 10   libre et démocratique, ni des Croates ni de la part des Musulmans ou

 11   d'autres non-Croates en Bosnie-Herzégovine, au cours de laquelle la

 12   majorité d'un groupe ethnique aurait émis son soutien ou son approbation de

 13   la création de cette entité d'Herceg-Bosna.

 14   En fait, il s'agit d'une petite faction du HDZ en BiH, comme Boban, Kordic

 15   et d'autres, qui ont déclaré l'existence de cette entité. Ce n'est pas du

 16   tout au niveau populaire -- même pas les Croates, et certainement pas les

 17   Musulmans, bien sûr. Il n'y a eu aucune élection ouverte, aucune élection

 18   démocratique. Ce n'est pas le peuple qui a élu qui que ce soit au

 19   gouvernement du HVO de M. Prlic.

 20   La Bosnie-Herzégovine faisait encore partie de façon légale de la

 21   Yougoslavie, et toutes ses entités, y compris la présidence, le

 22   gouvernement et le parlement, fonctionnaient. Mais c'est important, parce

 23   que pendant des années, on vous a dit, Oui, il fallait bien qu'on crée

 24   l'Herceg-Bosna, puisque de toute façon, la Bosnie ne fonctionnait plus. Or,

 25   en novembre 1991, il n'y avait toujours pas de guerre. Bon, il y avait des

 26   escarmouches, certes, ce qui est dommage, mais il n'y avait absolument pas

 27   de guerre de grande envergure en Bosnie à l'époque. Donc pas de conflit

 28   armé. Les entreprises fonctionnaient, les impôts étaient collectés, les

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  1   écoles fonctionnaient, les trains arrivaient à l'heure, et le courrier

  2   était distribué. Donc on ne peut pas dire que le pouvoir ne fonctionnait

  3   pas à l'époque en Bosnie lorsque l'Herceg-Bosna était en train de déclarer

  4   son existence.

  5   Peu après l'annonce de l'existence de l'Herceg-Bosna, le gouvernement

  6   et le tribunal constitutionnel de BiH l'ont condamnée. Une opinion rendue

  7   par le ministre de la justice et de l'administration de la BiH le 20

  8   novembre 1991, donc deux jours après, a déclaré que toutes les actions que

  9   comptait prendre l'Herceg-Bosna étaient "illégales et illégitimes,

 10   contraires à la constitution et contraires aux intérêts de la Bosnie-

 11   Herzégovine et des ses citoyens."

 12   Lors d'un rapport du 23 novembre 1991 à propos des travaux du tribunal

 13   constitutionnel, il a été dit que la création de communautés séparées

 14   d'autres entités s'était poursuivie depuis le précédent rapport du tribunal

 15   le 6 novembre 1991, et que le tribunal, fin novembre, ne répondait plus

 16   "qu'aux violations les plus brutales à l'encontre de la constitutionnalité

 17   et de la légalité." Et :

 18   "La formation de la Communauté croate d'Herceg-Bosna et d'une

 19   communauté similaire à Brcko représentait des agissements

 20   anticonstitutionnels et une tentative illégale pour modifier l'ordre

 21   constitutionnel."

 22   Nous savons tous qu'il s'agit d'un fait déjà jugé en l'espèce, le fait que

 23   la HZ HB a été fondé avec l'intention de faire sécession de Bosnie-

 24   Herzégovine en vue de se réunir à la Croatie.

 25   Monsieur le Président, je vais maintenant passer à autre chose. Mais je

 26   regarde la pendule, peut-être serait bon de faire la pause.

 27   M. LE JUGE ANTONETTI : Très bien. C'est l'heure de faire la pause. Nous

 28   allons faire notre pause traditionnelle de 20 minutes.

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  1   --- L'audience est suspendue à 15 heures 39.

  2   --- L'audience est reprise à 16 heures 02.

  3   M. LE JUGE ANTONETTI : L'audience est reprise.

  4   Monsieur Scott, vous avez la parole.

  5   M. SCOTT : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.

  6   Quelques semaines après la déclaration de l'existence de l'Herceg-Bosna le

  7   18 novembre 1991, il y a une réunion extrêmement importante qui a eu lieu à

  8   Zagreb le 27 décembre 1991. Si je devais parler à quelqu'un d'un document

  9   important à lire, si vous ne pouviez en lire que 12 à peu près, il faudrait

 10   vraiment lire celui-ci, car c'est lors de cette réunion du 27 décembre

 11   1991, dirigée par Tudjman, que les deux factions du HDZ et de la BiH sont

 12   arrivées à Zagreb pour présenter leurs arguments. D'un côté, on a la

 13   faction Boban-Kordic-Boras, et de l'autre, la faction Kljuic-Doko-Markesic.

 14   Donc ils sont devant leur maître et ils argumentent pour savoir dans quelle

 15   direction il convient d'aller.

 16   Tudjman est là avec ses conseillers principaux et avec les dirigeants

 17   de la branche bosnienne de son parti. Kljuic est là aussi, et Jerko Doko,

 18   qui à l'époque, je crois, était déjà ministre de la Défense de la Bosnie

 19   alors qu'il était Croate, et Markesic, Boban, Kordic et d'autres. Kljuic a

 20   continué à essayer d'obtenir une Bosnie-Herzégovine unifiée, unique et

 21   souveraine. Boban, en revanche, voulait la création d'une banovina et une

 22   Herceg-Bosna souveraine.

 23   Quatre jours avant, les partisans de la ligne dure du parti s'étaient

 24   rendus à Tomislavgrad et avaient déclaré extrêmement clairement au point 2

 25   de leur PV quelle était leur position, qui est la position qu'ils

 26   reprennent devant Tudjman, et ils parlent toujours de la même chose, et il

 27   convient vraiment de s'en souvenir. Boban et les autres déclarent qu'ils

 28   parlent pour tous les Croates de Bosnie-Herzégovine, mais ils n'ont aucun

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  1   mandat pour ce faire. Ils déclarent qu'ils ont "confirmé la volonté de tous

  2   les Croates d'Herceg-Bosna telle qu'elle a été exprimée le 18 novembre

  3   1991…"

  4   Or, comme je vous l'ai dit juste avant la pause, il n'y a pas eu

  5   d'élection, il n'y a pas eu de voix exprimée. C'est une faction du parti,

  6   puisque M. Kljuic, dans les élections de 1990, le modéré, lui, avait obtenu

  7   plus de voix que Boban. Donc c'est la prise de ce parti par une seule

  8   faction sans élection, mais en fait, par la force.

  9   Et contrairement à cette position, en revanche, le groupe de Boban

 10   continue à lire le PV de la réunion de Tomislavgrad et déclare donc que

 11   c'est cette déclaration, la déclaration de l'Herceg-Bosna, qui sert de

 12   "base juridique permettant à ces territoires de rejoindre la République de

 13   Croatie." Or, Kljuic, lui, continue à essayer d'obtenir une Bosnie-

 14   Herzégovine unique, souveraine et unifiée. Kljuic déclarait, entre autres,

 15   que le problème de la banovina et le problème de l'Herceg-Bosna c'est

 16   qu'une grande portion de la population croate en Bosnie est exclue de ces

 17   unités. Kljuic fait remarquer d'ailleurs qu'il n'y a que 14 des

 18   municipalités revendiquées par l'Herceg-Bosna qui ont une véritable

 19   majorité croate. Enfin, Kljuic se trompait peut-être un peu dans ses

 20   chiffres, mais il était assez proche.

 21   A la fin de la réunion, il était clair quelle était la position de

 22   Tudjman quant à la direction du parti, et il était évident que la faction

 23   de Boban était maintenant aux manettes. Tudjman a réprimandé ouvertement

 24   Kljuic pour avoir soutenu l'existence qu'une Bosnie souveraine, je cite :

 25   "La Bosnie-Herzégovine ne devrait pas être prise comme une entité sacrée

 26   qui doit être préservée à tout prix. Nous devons nous souvenir que c'est

 27   une entité qui a un pouvoir de nuisance important. Du fait de la création

 28   de la Bosnie-Herzégovine, la Croatie s'est retrouvée dans une situation

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  1   impossible en ce qui concerne son territoire."

  2   En effet, comme a dit Tudjman, c'est l'existence de la Bosnie qui

  3   était contre les intérêts mêmes de la Croatie.

  4   "La survie de la Bosnie-Herzégovine en tant qu'Etat indépendant et

  5   souverain, même si elle est possible, est de toute façon contraire aux

  6   intérêts de l'Etat croate, rend impossible la création d'un territoire

  7   normal pour l'Etat croate et crée des conditions permettant la disparition

  8   de ce qu'il reste des Croates en Bosnie-Herzégovine aujourd'hui."

  9   Il faut se souvenir de ces mots-là : "l'existence continue, la survie

 10   de la Bosnie-Herzégovine est contraire aux intérêts croates."

 11   Et Tudjman a poursuivi, d'ailleurs :

 12   "Toute l'histoire a toujours montré que la Bosnie-Herzégovine n'est pas une

 13   solution pour le peuple croate. Nous avons dit que, pour des raisons

 14   tactiques, nous étions en faveur d'une Bosnie souveraine, tant qu'elle

 15   existait, mais il n'existe plus de Bosnie souveraine car les Serbes l'ont

 16   démantelée et sont partis."

 17   Mais ce n'était pas tout à fait vrai à l'époque, je tiens à le dire. Autre

 18   chose :

 19   "J'ai l'impression que tout comme nous avons profité de ce moment

 20   historique pour créer une Croatie indépendante et reconnue

 21   internationalement, je considère qu'il est maintenant temps de saisir

 22   l'occasion pour réunir tous les Croates au sein des frontières les plus

 23   larges possible…"

 24   Tudjman a bien déclaré que le démantèlement total de la Bosnie était le but

 25   ultime, en déclarant même que : La cantonisation avec une Bosnie qui

 26   perdurerait ne serait pas une solution. La solution pour nous, c'est la

 27   démarcation. Il nous faut des frontières."

 28   Donc, lors de cette réunion, Tudjman parlait de frontières entre la Croatie

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  1   et la Serbie qui seraient dessinées en BiH, et les "démarcations" désirées

  2   par la Croatie étant les frontières de la Banovina, et je cite :

  3   "Nous avons eu suffisamment d'expérience avec la Deuxième Guerre mondiale

  4   et cette nouvelle guerre, nous savons que sans démarcation entre la Croatie

  5   et la Serbie, il ne peut pas y avoir de solution politique. On ne peut pas

  6   envisager qu'il n'y ait plus de guerre à l'avenir. L'Etat de Croatie ne

  7   peut pas survivre en tant que tel, mais un Etat croate, même avec les

  8   frontières de la banovina, en revanche, pourrait très bien survivre,

  9   surtout si ces frontières sont améliorées."

 10   Là, on voit bien que Tudjman va très loin. Il dit, Bon, il faut avoir la

 11   banovina, mais on pourrait peut-être avoir encore plus que la banovina. Et

 12   Tudjman était parfaitement convaincu que la Croatie, lors du démantèlement

 13   de la Bosnie, pourrait obtenir non seulement la banovina, c'est-à-dire

 14   principalement les municipalités revendiquées en Herceg-Bosna, mais aussi

 15   des municipalités qui étaient principalement musulmanes dans le coin nord-

 16   ouest de la Bosnie, y compris Bihac.

 17   En fin de compte, il y aurait un démantèlement avec les Serbes, et

 18   les Musulmans de Bosnie, eux, n'auraient plus qu'un "miniétat" autour de

 19   Sarajevo.

 20   En référence à une conversation qu'il avait précédemment eue avec

 21   Milosevic, Tudjman a déclaré lors de la réunion :

 22   "Pourquoi ne pas accepter cette offre de démarcation, puisqu'elle est dans

 23   l'intérêt du peuple croate, les Croates ici dans cette république ainsi que

 24   les Croates qui se trouvent en Bosnie-Herzégovine, parce que je ne vois

 25   aucune raison -- aucune bonne raison pour m'y opposer."

 26   Mais Tudjman, Boban et les autres savaient très bien qu'en modifiant les

 27   frontières sur la carte, on n'arriverait qu'à une partie de la solution.

 28   Pour arriver à une véritable Grande-Croatie, il fallait avoir la

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  1   démographie avec soi. Il fallait donc procéder à des mouvements de

  2   population. Et en tout cas en coulisse, Boban a été extrêmement clair, je

  3   cite : "Les municipalités fondatrices du HZ HB ont une population qui,

  4   d'après le recensement, est à 55 % croate, 27 % musulmane, et 9 % serbe, le

  5   reste étant non défini. Mais étant donné que les municipalités en Bosnie-

  6   Herzégovine ont été créées, tout comme en Croatie, en mélangeant des

  7   populations serbes et musulmanes sur le territoire de Croatie, ou vice-

  8   versa, en nettoyant les zones frontières, donc les zones frontières de

  9   l'Herceg-Bosna, on en arriverait à une population croate en Herceg-Bosna

 10   qui représenterait 65 % de la population." Et pour valider cela, Boban fait

 11   remarquer qu'en comparaison, même les Serbes, finalement, ne représentent

 12   que 63 % de la population en Serbie.

 13   Kljuic avait déjà bien déclaré à Tudjman qu'il ne serait jamais d'accord

 14   avec cette Grande-Croatie; donc, de ce fait, Kljuic s'est vu exclu du jeu.

 15   Kljuic a dit :

 16   "Je n'étais pas d'accord avec cette politique, et même avant cela,

 17   lorsqu'on a parlé en conversation privée chez le président, et ce n'était

 18   pas enregistré, je lui ai dit : 'Monsieur le Président, vous ne pouvez pas

 19   m'impliquer là-dedans. Mais il y a le petit Boban qui piaffe, et moi,

 20   j'étais prêt à donner ma démission.'"

 21   Et dès le 27 novembre 1991 :

 22   "Il est évident que la République de Croatie et le HZ HB

 23   recherchaient les mêmes buts; c'est-à-dire l'incorporation des provinces

 24   croates de Bosnie-Herzégovine dans un même Etat croate unique."

 25   Il y a deux caractéristiques importantes à ce programme, ce programme

 26   Grande-Croatie Banovina. Tout d'abord, ce que nous avons appelé la

 27   politique du double jeu, comme nous l'avons appelé lors de ce procès. En

 28   fait, c'est dire une chose et faire autre chose. C'est ça, cette politique

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  1   de double jeu.

  2   Tudjman, Boban et les autres savaient très bien qu'ils ne pouvaient

  3   pas ouvertement promouvoir la destruction de la Bosnie. Ce n'était pas

  4   extrêmement populaire et ce n'était pas très acceptable non plus, et

  5   diplomatiquement, ça ne faisait pas.

  6   Lors de la réunion du 27 décembre, Tudjman a dit :

  7   "Vu les circonstances, Messieurs, et du point de vue des Croates, la

  8   démarcation des frontières va bien… Ce n'est pas la première fois que nous

  9   en avons parlé ainsi, même entre nous dans ce cercle."

 10   "Entre nous."

 11   "Mais pour des raisons tactiques, nous n'avons pas soulevé cette

 12   possibilité publiquement, parce qu'on ne voulait pas être ceux qui en

 13   allaient en parler en premier, parler des frontières."

 14   Et quelques années plus tard, lors d'une interview de suspect,

 15   Jadranko Prlic a confirmé ce double jeu dans sa déclaration qui est admise

 16   au dossier. Il est déjà au compte rendu, mais je vais vous le relire. Il y

 17   avait un plan qui avait été proposé au public et présenté au public, mais

 18   il y avait un autre plan qu'ils s'étaient fait entre eux. Et au milieu du

 19   paragraphe :

 20   "Néanmoins, entre eux, ils avaient créé un autre plan…"

 21   Donc, ça, c'est vraiment joué un double jeu.

 22   Autre chose maintenant qui est essentielle, le fait que l'histoire, en

 23   fait, a donné l'avantage aux Croates en ce qui concerne la perception du

 24   peuple croate et la négociation. Tudjman, Boban, et les autres savaient

 25   très bien qu'ils pouvaient compter sur Milosevic et sur les Serbes, qu'ils

 26   seraient toujours, au moins publiquement, ceux qui passeraient pour les

 27   plus extrémistes, et ce serait eux qui endosseraient la responsabilité.

 28   Enfin, on pourrait même dire en langue parlée qui prendraient les coups

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  1   pour la division de la Bosnie. Donc Tudjman, Boban et les autres n'avaient

  2   même pas besoin de promouvoir ouvertement la division. Ils leur

  3   suffisaient, comme disaient d'ailleurs les économistes ou les chercheurs en

  4   science politique, ils pouvaient tout simplement profiter des agissements

  5   des Serbes. Souvent, les Serbes disaient : De toute façon, la Bosnie est

  6   déjà divisée, ou, Une Bosnie souveraine n'existe plus, ou, De toute façon

  7   la division est inévitable. Ils pouvaient donc se cacher derrière

  8   Milosevic. Et d'ailleurs, Tudjman l'a confirmé lors de cette réunion du 27

  9   décembre :

 10   "La survie, la souveraineté de la Bosnie dans les circonstances

 11   actuelles, est telle qu'il ne faut pas que nous en parlions, il ne faut

 12   absolument en parler ouvertement."

 13   Je vais le répéter parce que je n'ai pas de diapo :

 14   "La survie de la Bosnie dans les circonstances actuelles et du point

 15   de vue des Croates est telle que nous n'avons pas besoin d'en parler, de la

 16   promouvoir, il ne faut pas en parler ouvertement."

 17   Ceci nous amène à un moment de notre réquisitoire - j'allais presque dire

 18   propos liminaire - à ce moment, nous allons vous proposer la diffusion

 19   d'une vidéo, la pièce P07437, à propos de la Grande-Croatie. Elle fait 40

 20   minutes. Nous allons l'examiner, nous allons diffuser le tout, et je pense

 21   que vous verrez, Messieurs les Juges, que c'est là une façon utile d'avoir

 22   un aperçu général de la question, de cette problématique.

 23   [Diffusion de la cassette vidéo]

 24   L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]

 25   "Le journaliste : Aujourd'hui dans le programme 'Dispatches', 'Dépêches',

 26   l'histoire laissée dans l'ombre des projecteurs de la guerre en Bosnie,

 27   comment le gouvernement croate a réussi à se découper un morceau de la

 28   Bosnie, comme il l'avait toujours voulu, et comment il s'en est sorti sans

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  1   problème. Aujourd'hui, les Croates rencontrent leurs anciens alliés

  2   musulmans à Vienne pour des négociations de paix, et ce programme va vous

  3   montrer comment il y avait un protocole secret qui a trahi ces mêmes

  4   Musulmans. Comment les Croates ont crié un pays flambant neuf en Bosnie

  5   rien que pour eux, et comment l'Ouest, l'Occident, a préféré ne pas voir la

  6   naissance d'une Grande-Croatie.

  7   Capljina, c'est une ville d'Herceg-Bosna, un nouveau pays que peu

  8   connaisse, mais c'est un pays qui est résolu à inscrire son nom sur la

  9   carte de l'Europe. L'Herceg-Bosna c'est un mini-Etat que les Croates se

 10   sont découpés dans ce qui était autrefois la Bosnie, et aujourd'hui, le

 11   maire de Capljina, Pero Markovic, attend tranquillement le meilleur des

 12   mondes.

 13   L'intervenant : Oui, effectivement, tous ceux qui veulent la démocratie

 14   doivent vivre comme les autres, comme en Europe. Par conséquent, il nous

 15   faut œuvrer. Il faut reconstruire ce qui a été détruit. Il nous faut

 16   retourner à l'école, il nous faut nous préparer pour vivre comme en Europe.

 17   C'est là qu'on a sa place.

 18   Le journaliste : Mais avant que l'Herceg-Bosna ne puisse prendre sa place

 19   en Europe, il y a encore beaucoup de pain sur planche dans beaucoup de

 20   villes. Pas seulement pour réparer les dégâts provoqués par l'attaque serbe

 21   il y a 18 mois, mais aussi pour effacer les traces d'une deuxième bataille

 22   plus effrayante.

 23   Capljina semble revenir à la normale, mais il suffit de gratter un peu pour

 24   voir que tout a changé. Un habitant sur quatre de la ville est parti, et

 25   sans le vouloir, pas de son plein gré.

 26   Il y a six mois, Capljina avait été bouclée par la milice. Rue après rue,

 27   pâté de maisons après pâté de maisons, un quart de la population de la

 28   ville a dû monter dans des bus et a été emmenée. C'étaient tous des

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  1   Musulmans. C'était la dernière étape d'une campagne de persécution, qui a

  2   commencé avec le pillage, la destruction de cafés et de commerces

  3   musulmans.

  4   L'Herceg-Bosna n'est pas le fruit du hasard. C'est la création de cet

  5   Etat qui est l'aboutissement d'un plan de longue date.

  6   Aujourd'hui, tous les joueurs de l'équipe de football de Capljina

  7   sont Croates, et ils jouent sous le drapeau croate, l'échiquier croate. Et

  8   on sait bien comment les Serbes se sont pris leur part du gâteau en Bosnie,

  9   mais les Croates ont fait pareil, mais leur stratégie a été ignorée,

 10   négligée.

 11   L'Herceg-Bosna doit sa vie, son existence à un seul homme, le

 12   président de la Croatie, Franjo Tudjman. Pour lui, la création d'un Etat

 13   croate en terre bosniaque, c'était son obsession personnelle, qui l'a

 14   poussée à enfoncer le dernier clou du cercueil de la Bosnie. Tudjman a

 15   construit, édifié cet Etat sur les camps de concentration, le nettoyage

 16   ethnique, la torture, la famine, tout ceci exécuté par son homme de main,

 17   Mate Boban.

 18   L'intervenant : La Bosnie-Herzégovine fera partie de l'Etat croate,

 19   et l'Etat croate sera son propre maître.

 20   Le journaliste : Les Croates ont toujours été le plus petit groupe en

 21   Bosnie, à peine un cinquième de la population, mais ils dominaient ce

 22   paysage aride de l'Herzégovine et pour eux, la capitale de la Croatie,

 23   Zagreb, était plus importante que Sarajevo. Et ce terrain rugueux a été, en

 24   fait, le berceau des Oustachi fascistes de la Deuxième Guerre mondiale.

 25   Aujourd'hui encore, les Herzégovins constituent une souche particulièrement

 26   virulente du nationalisme croate.

 27   C'est une philosophie de l'intolérance où règne le préjugé, ils

 28   haïssent l'Etat en tant qu'institution, ils haïssent tout, tout ce qu'ils

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  1   veulent, et ce qu'ils veulent uniquement, c'est l'espace et le territoire.

  2   Après la Deuxième Guerre mondiale, la pauvreté a poussé des dizaines

  3   de milliers d'Herzégovins à quitter cette terre aride, et ils sont partis à

  4   l'étranger, y ont créé des communautés, et ceci n'a fait que renforcer leur

  5   nationalisme. Ils rêvaient de revenir dans quelque chose qui allait être la

  6   Croatie. C'était un rêve partagé par Tudjman. Il a toujours cru que la

  7   Croatie avait le droit d'une cité en Bosnie.

  8   L'intervenant : C'est une entité qui est née à cause de l'invasion

  9   des Ottomans en Europe. Mais jusqu'alors, la Bosnie faisait partie de

 10   l'Etat de Croatie, il y avait un royaume de Croatie, qui était catholique

 11   et qui avait des liens avec la Croatie.

 12   Le journaliste : L'obsession de Tudjman avec la Croatie et ses

 13   prétentions remonte à loin. En 1991, il rencontre son ennemi juré, Slobodan

 14   Milosevic, pour des entretiens secrets. Alors que la Serbie menace

 15   d'envahir la Croatie, Tudjman est, malgré tout, tout à fait heureux de

 16   rencontrer son ennemi pour parler d'un intérêt commun, comment se découper

 17   la Bosnie-Herzégovine. Deux témoins oculaires de cette réunion de

 18   Karadjordjevo révèlent les intentions véritables que ces deux hommes

 19   avaient.

 20   L'intervenant : La vérité qu'il y a à propos de ces réunions, c'est

 21   que dans les médias, on n'a jamais parlé complètement de tout ça. C'étaient

 22   des entretiens secrets, on a donné l'impression dans les médias que

 23   c'étaient des entretiens entre la Croatie et la Serbie à propos des

 24   problèmes qu'avaient ces deux pays, rien de plus. Mais de plus, toutes les

 25   rumeurs étaient officiellement démenties. Lorsqu'il y a eu des rumeurs

 26   disant qu'on parlait de la Bosnie, non, non, on a dit non. Il y a eu un

 27   démenti officiel.

 28   Il y avait plusieurs cartes sur la table, et l'idée, c'était une idée

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  1   qui se rapprochait assez de ce qu'on disait à propos de la Bosnie-

  2   Herzégovine. C'était soit de la division de la Bosnie-Herzégovine en dix ou

  3   15 unités, ou en trois Etats semi-indépendants.

  4   Le journaliste : Est-ce qu'il y avait des Musulmans à la réunion ?

  5   L'intervenant : Pas du tout. Pas du tout, aucun. Il n'y avait pas un

  6   seul représentant de la Bosnie-Herzégovine qui a participé aux entretiens

  7   de Karadjordjevo, ni après. C'étaient des entretiens bilatéraux qui

  8   réunissaient les représentants serbes et croates, mais jamais il n'y a eu

  9   un seul représentant des Musulmans de Bosnie.

 10   Le journaliste : Tudjman était arrivé au pouvoir en surfant sur la vague

 11   nationaliste, mais beaucoup de ses conseillers s'opposaient à ses ambitions

 12   en Bosnie. Mais Tudjman, c'est un autocrate qui n'écoute les gens que quand

 13   ceux-ci sont d'accord avec lui.

 14   Il trouve un soutien inconditionnel partout ailleurs. Les Herzégovins

 15   immigrés ont alimenté la caisse de la campagne électorale de Tudjman. Ils

 16   sont certains qu'il va encourager et promouvoir leurs ambitions

 17   nationalistes, pas seulement en Croatie, mais aussi en Bosnie. Et le

 18   premier à en être convaincu, c'est Gojko Susak.

 19   A peine quatre ans plus tôt, il était propriétaire d'une pizzeria à

 20   Toronto. Maintenant, il est ministre de la Défense en Croatie.

 21   Le président avait son propre avis sur la Bosnie-Herzégovine bien avant

 22   qu'on se rencontre. Il était très clair. Et c'est lors du tout premier

 23   discours public qu'il a fait aux Etats-Unis et au Canada que c'est devenu

 24   clair. C'est là que je l'ai rencontré. Ce qu'il pense de la Bosnie-

 25   Herzégovine en matière de politique, c'est très clair, et son avis coïncide

 26   assez bien avec le mien à bien des égards pour ce qui est de la Bosnie-

 27   Herzégovine.

 28   Il y a un double jeu entre les deux. Au niveau personnel, M. Susak, c'est,

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  1   comment dire, l'esclave de Tudjman. Il accepte la moindre décision rendue

  2   par M. Tudjman, ce qui veut dire qu'il est absent. Sa personnalité, elle

  3   est non existante sur le plan personnel. Mais au niveau politique, M.

  4   Tudjman, parfois, ou même aujourd'hui, exprime bien souvent la politique et

  5   la philosophie politique de M. Susak.

  6   Le journaliste : Mais pour les Croates de Sarajevo comme du reste de la

  7   Bosnie, les ambitions de Tudjman sont dangereuses. Les Herzégovins, il n'y

  8   en avait que 200 000, mais ils avaient toujours vécu en communauté soudée,

  9   les 600 000 autres Croates, ils sont éparpillés dans des communautés mixtes

 10   dans la Bosnie. Difficile de les démêler des autres. Et ces Croates ont

 11   déjà leur propre chef à Sarajevo.

 12   Intervenant : Oui. J'ai gagné les élections lors du seul rassemblement

 13   légal des Croates, et ce fut une décision unanime. J'ai reçu un mandat de

 14   deux ans. Après ça, j'ai parlé souvent au président Tudjman et je lui ai

 15   dit sans arrêt : 'C'est vous, le président de tous les Croates, mais moi,

 16   je suis le président des Croates de Bosnie-Herzégovine.'

 17   Le Journaliste : A l'insu de Kljuic, le président de tous les Croates

 18   posait déjà les jalons sur la voie de la division de la Bosnie. Il fait sa

 19   première visite présidentielle aux Croates de Sarajevo, et Tudjman soutient

 20   en secret un petit groupe d'extrémistes herzégovins qui trament l'idée d'un

 21   Etat croate séparé en Bosnie. Mais il ne révèle rien de ses véritables

 22   intentions à son public.

 23   Franjo Tudjman : De par le passé, ces trois dernières années, j'ai parcouru

 24   le monde, et cette réunion que j'ai aussi avec vous, c'est la plus

 25   émouvante, cela, c'est certain.

 26   Le journaliste : 'Dispatches', le programme, a obtenu un protocole secret

 27   signé qui est produit par ce groupe en novembre 1991. Il confirme les

 28   décisions prises avec Tudjman à Zagreb. Il dit que le peuple croate en

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  1   Bosnie-Herzégovine doit jouer un rôle actif, décisif, déterminant, qui est

  2   censé enfin réaliser ce rêve vieux de siècles entiers, l'idée d'un Etat

  3   croate commun, et on va montrer à l'Europe et au monde quelles sont les

  4   régions de la Bosnie-Herzégovine qui sont croates, où se trouve notre

  5   avenir.

  6   Ce document dévoile le véritable point d'abord. Il y a déclaration

  7   d'une province croate en Bosnie. Ensuite, les dirigeants croates qui

  8   soutiennent l'idée d'une Bosnie unie doivent être délogés de leur poste, et

  9   dans les deux mois qui ont suivi la réunion, avec l'appui de Tudjman, les

 10   séparatistes ont forcé Kljuic à la démission. Et c'est Mate Boban,

 11   l'Herzégovin dont le titre de gloire, c'est d'avoir été en prison pour du

 12   marché noir, qui en devient le chef. Le plan est en route. Boban déplace le

 13   réseau d'influence dans cette usine, dans sa ville natale de Grude. En

 14   fait, cette ville se résume à deux grand-rues. Il n'y a même pas de place.

 15   Ce n'est pas Sarajevo la sophistiquée. Etape suivante, elle est simple :

 16   Boban établit une armée croate séparée en Bosnie. Elle s'appelle le HVO.

 17   En mars 1992, les Croates votent avec les Musulmans en faveur de

 18   l'indépendance. Les Serbes se soulèvent, et la guerre éclate.

 19   Alors que les Serbes se fraient un chemin dévastateur en Bosnie, la Croatie

 20   intervient pour aider l'état aux abois. Tudjman signe une alliance

 21   militaire avec le président Izetbegovic pour combattre les Serbes. Tudjman

 22   sait que le gouvernement de Bosnie, qui est surtout musulman, n'a pas le

 23   choix, il doit s'appuyer sur la Croatie. Et ce qui arrange bien Tudjman.

 24   Tudjman : Au départ, les Musulmans n'étaient pas prêts à combattre

 25   l'agression serbe, mais ils ont fini par accepter de signer un accord pour

 26   lutter avec nous contre l'agression serbe.

 27   Intervenant : Il pensait que les Musulmans allaient rejoindre la Croatie,

 28   je veux dire que c'était là l'arrière-pensée qu'il avait, c'était son

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  1   intention politique réelle.

  2   Le journaliste : Les Croates et les Musulmans luttent ensemble contre les

  3   Serbes. Beaucoup de Musulmans rejoignent le HVO qui est mieux préparé que

  4   les forces du gouvernement de Bosnie.

  5   Intervenant : J'ai rejoint le HVO. J'ai même été chef de section. Quelque

  6   part je m'attendais à ce que cette alliance tienne.

  7   Le journaliste : Mais une fois que l'alliance a enrayé l'avancée serbe,

  8   Boban passe à l'étape suivante de son schéma directeur. Il déclare que le

  9   gouvernement de Bosnie est dissous. Il annonce que le HVO s'est emparé de

 10   tout abandonné par les Serbes. Ici, on voit très bien qu'une tension qui se

 11   glisse dans l'alliance.

 12   Intervenant : Eh bien, superficiellement ils étaient toujours partenaires,

 13   c'était une coalition qui les avait menés à l'indépendance par le

 14   référendum. Donc, de prime abord, oui, mais il n'a pas fallu longtemps pour

 15   se rendre compte que ce n'était pas véritablement une coalition.

 16   Mate Boban : Et puis, nous avons défendu 35 % de la Bosnie-Herzégovine sans

 17   l'aide des Musulmans, et nous nous sommes défendus de l'agression de la

 18   Yougoslavie et des Serbes. Dans ces zones, étant donné qu'il n'y avait plus

 19   de pouvoir public, la Bosnie-Herzégovine a disparue, et nous nous avons

 20   établi comme gouvernement temporaire le Conseil de la Défense croate pour

 21   protéger les civils, leurs biens, pour que les écoles fonctionnent, pour

 22   que les hôpitaux fonctionnent, et tout ceci a été fait afin de nous

 23   défendre.

 24   Le journaliste : Mais, l'allié supposé du HVO ne le voit pas comme ça, ne

 25   voit pas cette prise de pouvoir comme simplement temporaire. Ivan

 26   Negovetic, c'est un Croate qui n'est pas dans le HVO, mais dans l'armée du

 27   gouvernement, l'ABiH. Le HVO prend le pouvoir, s'empare des postes de

 28   police, s'empare des mairies, nomme ses propres fonctionnaires, ses propres

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  1   responsables et efface tout ce qui est symbole de l'Etat de Bosnie-

  2   Herzégovine, notre drapeau par exemple, entre autres symboles, tout ce qui

  3   fait l'Etat de Bosnie-Herzégovine et en fait proclame un nouvel état.

  4   Le journaliste : Pour resserrer son étau sur la Bosnie-Herzégovine, le HVO

  5   doit affaiblir son allié. Nous avons obtenu des documents officiels qui

  6   montrent que le HVO impose des restrictions à l'ABiH. Dans bien des

  7   régions, alors qu'on est censé avoir un contrôle mixte, le HVO

  8   réquisitionne tout ce qui est industrie, électricité, transport. Tous les

  9   contingents d'armes destinés à la BH doivent franchir des postes de

 10   contrôle en Croatie et en Herzégovine. Et la plupart des armes finissent

 11   dans les mains du HVO. Ne serait-ce qu'à Grude 37 camions remplis d'armes

 12   destinés à la défense de Sarajevo sont arrêtés et pillés.

 13   L'intervenant : Nous avons laissé faire, nous avons même toléré le fait que

 14   eux, ceux qui revendent les armes alors qu'ils nous les ont prises, alors

 15   qu'on avait déjà payé pour ces armes, c'était nous qui les avons payées.

 16   Mais, nous ne voulions pas ouvrir un nouveau front. Nous avons essayé

 17   d'éviter un nouveau conflit. Mais les artères d'approvisionnement

 18   logistique avaient été tout à fait coupées, et on n'a même pas reçu 15 %.

 19   Le journaliste : Dans certaines régions, les forces bosniennes sont

 20   désarmées et chassées par les Croates. Dans d'autres régions, ils ripostent

 21   et repoussent le HVO.

 22   L'agression serbe n'est plus qu'un lointain souvenir, alors que les Croates

 23   et les Musulmans essaient de grappiller le plus de territoire possible. Ils

 24   se combattent avec toute l'amertume et la férocité qui naît de la trahison.

 25   La Bosnie est morte.

 26   L'intervenant : La crise en Bosnie, de ce fait, doit se voir sous un

 27   éclairage tout à fait nouvelle, ce n'est plus une agression fasciste contre

 28   un état indépendant, mais maintenant c'est une guerre civile. Dans la

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  1   guerre, tout le monde s'oppose à tout le monde.

  2   L'intervenant : Alors que les Musulmans et les Croates étaient encore

  3   ensemble, il était encore possible de parler de la Bosnie. Mais quand on a

  4   commencé à se déchirer lorsque ce conflit a éclaté, l'idée d'une Bosnie

  5   unifiée a aussi changé, elle a dû changer, l'idée a été détruite avec

  6   l'attaque que menaient les Croates sur les Musulmans.

  7   Le journaliste : Tudjman et Boban réécrivaient l'histoire. Ils prévoyaient

  8   de s'emparer de la Bosnie, mais l'armée de Bosnie les en a empêchés.

  9   Maintenant, la ligne officielle croate accuse les Musulmans d'avoir détruit

 10   l'alliance.

 11   L'intervenant : On dit que c'est nous les coupables alors que nous avions

 12   de bonnes intentions, nous avons aidé les Musulmans qui étaient victimes de

 13   l'agression serbe, nous leurs avons rendu leur dignité, ils ont pu grâce à

 14   nous rester en vie et nous leur avons donné des armes. Et maintenant, avec

 15   ces armes-là, ils tuent les Croates.

 16   L'intervenant : Ils étaient incapables, ce sont les extrémistes qui ont eu

 17   la main haute, ils devenaient plus forts de jour en jour. Les Musulmans ont

 18   décidé de mener une longue guerre contre les Croates au lieu de chercher

 19   une solution politique. Ils ont choisi une longue guerre.

 20   Le journaliste : Alors que l'alliance s'effritait, les négociateurs

 21   occidentaux n'ont pas réagi face aux ambitions territoriales des Croates de

 22   Bosnie. Les Croates ont veillé à se présenter comme étant la partie

 23   raisonnable dans ce conflit.

 24   L'intervenant : Mais c'était le groupe le plus faible alors que

 25   politiquement, c'était sans doute le plus malin, bien plus malin

 26   politiquement, c'est eux qui décidaient de qui envoyer comme négociateurs;

 27   c'était eux la partie raisonnable. C'était en leur intérêt, c'était malin

 28   comme stratégie.

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  1   Le journaliste : Cette stratégie va commencer à payer, à donner des fruits.

  2   Maintenant, les négociateurs se préparent à donner le feu vert à la Croatie

  3   pour un démantèlement final de la Bosnie.

  4   Décembre 1992, Genève. Pendant que le plan Vance-Owen est en train d'être

  5   élaboré, les Croates en même temps serrent l'étau dans leur mini-état, tel

  6   que prévu, en Herceg-Bosna. Par ce plan, la Bosnie se trouvait divisée en

  7   dix cantons, mais il semblerait que ce plan ne prend pas en compte les

  8   ambitions territoriales de Boban.

  9   L'intervenant : C'était bien connu qu'ils essayaient de mettre en œuvre

 10   leur propre plan bien avant la publication du plan Vance-Owen; nous étions

 11   bien conscients de cela. La question de l'Herceg-Bosna était un problème

 12   constant entre le président Izetbegovic et le président Tudjman, donc il

 13   n'y avait plus aucune surprise. Nous étions pleinement au courant de leur

 14   projet.

 15   Le journaliste : Même à ce moment-là, les Croates considèrent que le plan

 16   de paix Vance-Owen leur donnait l'aval pour qu'ils réalisent leur projet.

 17   Deux cantons avaient la majorité croate et le troisième était à moitié

 18   musulman. Boban voulait ce canton pour lui-même. Il a insisté en disant que

 19   les Croates se trouvaient gratifiés par le plan Vance-Owen avec plus d'un

 20   quart de la Bosnie.

 21   Mate Boban : C'est dommage que l'Europe, les Etats-Unis, les Nations

 22   Unies ne nous comprennent pas.

 23   Le journaliste : Le plan Vance-Owen prévoyait pour la ville mixte de

 24   Mostar qu'elle revienne un canton croate. Les Croates avaient inspiré à

 25   Mostar en tant que leur capitale depuis longtemps. Le plan de paix a été

 26   utilisé par les Croates en tant que feu vert pour qu'ils s'emparent du

 27   contrôle. Mais le plan Vance-Owen les oblige, chacun des cantons, à

 28   protéger les minorités ethniques.

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  1   L'intervenant : Les Croates d'Herzégovine ce se sont dits : Voilà, la

  2   répartition est terminée. Nous avons reçu notre entité étatique et nous

  3   sommes libres de faire ce que nous voulons; rebaptiser des rues, appeler

  4   l'université, université croate. Finalement, Mostar est devenue notre

  5   capitale de notre nouvel Etat. Ils se sont dits que c'était fait, et bien

  6   sûr ils avaient tort.

  7   Le journaliste : Le 9 mai 1993. Les Croates lancent une attaque

  8   généralisée sur Mostar. Les forces bosniennes offrent une résistance.

  9   Est-ce que vous avez toujours estimé que Mostar était une capitale de

 10   l'Herceg-Bosnie ?

 11   L'intervenant : Oui.

 12   Le journaliste : Même si la majorité était musulmane ?

 13   L'intervenant : Non. Aucun peuple n'a la majorité à Mostar. Avant la

 14   guerre, les Musulmans et les Croates étaient représentés de la même façon.

 15   Il y avait le même nombre des uns que des autres. La différence n'était que

 16   de quelque centaine de personnes.

 17   Le journaliste : Mais vous estimiez que c'était la capitale de la partie

 18   croate de Bosnie-Herzégovine ?

 19   L'intervenant : Oui.

 20   Le journaliste : Mais qu'est-ce qui vous permettait de penser cela ?

 21   L'intervenant : Car cette république doit avoir une capitale, doit avoir un

 22   centre, une université, elle doit se doter d'autre chose qui font qu'une

 23   république est une république au niveau de civilisation, le théâtre,

 24   l'orchestre symphonique, et cetera.

 25   Le journaliste : Mais cette capitale civilisée ne comprend pas les

 26   Musulmans. Tous les Musulmans qui vivent du coté ouest sont rassemblés,

 27   sont forcés de traverser vers le côté est dévasté. Et le siège brutal est

 28   mis en place. Les civils deviennent l'arme de la guerre.

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  1   L'intervenant : Je vivais du côté ouest. Nous avions un trois pièces

  2   magnifique, entièrement meublé. Moi et mon époux, nous avions travaillé

  3   pendant 25 ans. Nous étions dotés de tout. On a été chassés. On a été

  4   utilisés comme boucliers humains. On nous a rien donné quand on nous a

  5   chassés.

  6   Le journaliste : J'ai vu un film où de nuit les troupes du HVO

  7   chassent les gens du Mostar ouest vers le Mostar est.

  8   L'INTERPRÈTE : Inaudible.

  9   Le journaliste : Pendant quatre mois, le HVO a bloqué tous les

 10   convois d'aide vers Mostar est, placés sous le contrôle musulman. La

 11   bataille est toujours livrée pour la capitale de l'Herzégovine, et Boban

 12   continue à affamer les civils dans cette partie de la ville.

 13   L'intervenant : Le matin, on commence par chercher du bois de

 14   chauffage. On va chercher dans les ruines, et si jamais on a la chance de

 15   trouver quoi que se soit, parce que souvent ça a été déjà pris par

 16   d'autres. Ensuite, il faut se procurer de l'eau, trouver de l'eau. On se

 17   débrouille comme on peut, si on peut faire quelque chose à manger, et si on

 18   a quoi que ce soit à cuisiner, on le fait. Je ne sais pas comment dire,

 19   c'est dur. Et puis s'il y a des bombardements, on vérifie si nos proches

 20   sont en vie. Tous les matins on se rencontre pour voir qui est toujours là,

 21   qui est blessé, qui est mort, qui n'est pas plus là. Si on peut trouver

 22   quelque chose à manger une fois par jour, éventuellement deux fois par

 23   jour, mais c'est rare.

 24   Le journaliste : De l'autre côté de la rivière, dans la partie croate de

 25   Mostar, il n'y a pas de pénurie de vivres.

 26   L'intervenant : Mostar n'a pas de rive ouest et rive est. Mostar est

 27   une ville unifiée. Je ne reconnais pas cette division. C'est une ligne de

 28   front provisoire, mais je suis un habitant de Mostar, je suis un natif de

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  1   Mostar, et je ne souhaite pas diviser cette ville.

  2   Le journaliste : D'autres personnes originaires de Mostar essaient de

  3   nettoyer, déblayer, et en fait d'effacer toutes traces de l'existence de

  4   leurs voisins. Nous avons trouvés quelques photographies dans les cendres.

  5   L'intervenant : J'ai trouvé les albums de photographies de ma

  6   voisine, et tout ce que j'ai trouvé j'ai mis dans des sacs de 50 kilos. Si

  7   jamais elle pouvait revenir, je les lui donnerais. Vous pouvez le voir.

  8   L'intervenant : Si ces gens revenaient on leur donnerait cela. Pour

  9   la plupart, ce sont des gens de l'autre côté, qui sont allés de l'autre

 10   côté de la rivière, ou bien ils sont partis à l'étranger.

 11   Le journaliste : Les Croates avancent dans cette situation de guerre.

 12   Ils empruntent les chemins qui avaient déjà été tracés par les Serbes de

 13   Bosnie. Dans la région de Mostar, les Musulmans aptes à combattre, dont de

 14   nombreux avaient été dans les rangs du HVO, sont rassemblés dans des camps

 15   tels Dretelj.

 16   L'intervenant : C'est l'enfer. Un Croate pouvait tuer un Musulman

 17   sans devoir en rendre compte. On a détruit, tué des gens systématiquement.

 18   Il n'y avait ni nourriture, ni eau, ni aucune condition hygiénique de

 19   satisfaite. On a torturé les gens tous les jours. Il y a eu énormément de

 20   morts.

 21   Le journaliste : Sur une île pas loin de la côte croate, des

 22   Musulmans, des victimes du camp de Dretelj, toujours placés sous la

 23   surveillance des policiers croates.

 24   L'intervenant : Pour vous, il est maintenant important de vous rendre

 25   en lieu sûr, parce qu'on vous a prolongé votre statut de réfugié uniquement

 26   d'un mois.

 27   Le journaliste : Le gouvernement de l'Herceg-Bosna a relâché ces

 28   hommes sous une condition seulement, à savoir que les Nations Unies les

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  1   envoient dans une pays tiers. Ils ont quitté la Bosnie pour toujours.

  2   L'intervenant : La Croatie ne pouvait redresser son blason qu'en nous

  3   laissant partir, mais comme vous voyez, on ne nous a pas laissés retrouver

  4   nos foyers. On nous a uniquement accordé un séjour temporaire en Croatie

  5   avant de nous envoyer dans des pays tiers.

  6   Le journaliste : Pendant la guerre contre l'armée de Bosnie, l'armée

  7   régulière de Croatie continue de s'infiltrer en Bosnie pour apporter son

  8   soutien au HVO. Nous avons une photographie du juin dernier d'un Croate sur

  9   la ligne de front à Mostar.

 10   L'intervenant : Avant le conflit, le HVO n'avait pas un seul char.

 11   Maintenant, ils ont des dizaines de chars, et c'est donc de toute évidence

 12   cette aide est arrivée soit de Croatie soit par le truchement de la

 13   Croatie. Nous avons des conversations enregistrées, donc grâce à nos

 14   écoutes, des conversations d'où il ressort tout à fait clairement, grâce à

 15   l'accent de ces militaires, que ce sont des militaires de l'armée croate.

 16   L'intervenant : Nous aussi, nous avons des preuves que vos chars

 17   britanniques se trouvent près de Pakistan.

 18   "En ce moment-ci, des éléments importants de l'armée de Croatie se

 19   trouvent en Bosnie-Herzégovine, c'est une présence très considérable, et je

 20   pense que c'est un problème qu'il faudrait traité et de manière un peu plus

 21   déterminée. Au printemps 1992, on a traité ce problème lorsqu'il se posait

 22   pour les Serbes. On a réagi de manière très ferme. Mais depuis six mois, ce

 23   problème s'aggrave et on n'en tient pas compte.

 24   Le journaliste : Les ambitions du président Tudjman en Bosnie n'ont

 25   pas été prises en compte, au point qu'à Zagreb, la capitale croate, la

 26   situation est comme toujours. Le soutien croate accordé aux crimes est

 27   passé impuni. Lors d'une réunion avec la Communauté européenne de juillet,

 28   les ministres européens ont refusé de voter les sanctions contre la

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  1   Croatie.

  2   Lord Owen : Oui, c'était ça la position adoptée par la Communauté

  3   européenne sous l'influence de l'Allemagne et d'autres amis de la Croatie,

  4   par exemple, l'Autriche, la Hongrie, les Etats-Unis. Donc, l'impression

  5   générale était qu'il valait mieux critiquer le président Tudjman et parler

  6   à lui que de voter des sanctions contre la Croatie.

  7   L'intervenant : Nous avons besoin d'une approche appropriée de la

  8   communauté internationale face aux Balkans. Jusqu'à présent, nous avons eu

  9   affaire à des hommes politiques étrangers, étranges qui, de manière

 10   générale, étaient des perdants, disons, dans leur propre pays, tels Lord

 11   Owen, Lord Carrington, Lord tel ou tel, et l'on les a dépêchés dans ces

 12   contrées qui sont les nôtres pour se livrer à des jeux politiques dénués de

 13   toute responsabilité.

 14   Le journaliste : Celui qui est sorti victorieux de ces jeux politiques,

 15   c'est Tudjman. En juillet, il n'a même plus fait semblant d'accorder un

 16   soutien à l'idée de la Bosnie unitaire, car il a publiquement demandé que

 17   l'on répartisse la Bosnie-Herzégovine. Tudjman a vécu jusqu'au bout son

 18   obsession. Ensuite, il a souhaité annexer cette partie-là de la Bosnie avec

 19   la Croatie.

 20   L'intervenant : L'objectif des Croates en Bosnie-Herzégovine - car il faut

 21   savoir qu'il n'y a pas de Croates en Herzégovine, par opposition aux

 22   Croates de Bosnie - les Croates d'Herzégovine font partie de l'état croate

 23   unie.

 24   Franjo Tudjman : Il faut savoir aussi quel est le rôle joué par la

 25   géopolitique dans le destin des peuples ou des civilisations. Les

 26   frontières de la Croatie ne sont pas uniquement les frontières d'un Etat.

 27   Malheureusement, ce sont aussi des lignes de partage entre les

 28   civilisations entières.

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  1   Le journaliste : En Herceg-Bosna, dans des villes telles que Capljina, un

  2   nouvel Etat commence à prendre corps. Plusieurs usines se sont mises en

  3   marche. On y a lancé la production. Les enfants s'habituent à un nouveau

  4   programme, le même qui est mis en place en Croatie.

  5   Mais si l'on sort de Capljina, on verra un convoi qui attend de

  6   sortir les réfugiés. Ces gens paient les aspirations territoriales de

  7   Tudjman et de Boban. Ce sont des gens qui sont arrivés des territoires qui

  8   sortent de l'Herceg-Bosna, où le HVO perd de plus en plus de territoire.

  9   Les Croates de Bosnie centrale, maintenant il nous reste que dans quelques

 10   poches, quelques villes assiégées qui tombent les unes après les autres. La

 11   dernière de ces villes est Vares, quittée par 20 000 personnes. La seule

 12   chose que Boban puisse leur offrir, c'est de les replacer, réinstaller dans

 13   les parties désertes de l'Herceg-Bosna.

 14   Le journaliste : A Sarajevo, l'avenir des Croates est incertain. Trente

 15   mille Croates vivent ici. C'est toujours, à ce jour, la plus grande ville

 16   croate d'Herceg-Bosna. Les autorités croates, cependant, sont parties.

 17   L'église est restée la seule pour les protéger.

 18   Le dirigeant spirituel de tous les Croates de Bosnie, l'archevêque

 19   Vinko Puljic, refuse de quitter sa cathédrale.

 20   Vinko Puljic : Depuis le 27 décembre 1992, les instances de pouvoir

 21   légales n'existent plus à Sarajevo, et à partir de ce jour-là, la situation

 22   est plutôt incertaine.

 23   Le journaliste : Ivan Tomislav est un Croate, habitant de Sarajevo.

 24   Il se sent trahi par Mate Boban et par ses Herzégovins de Grude.

 25   L'intervenant : Car ce que font les hommes politiques de Grude, c'est

 26   simplement d'exécuter le diktat venu de Zagreb, et cette politique ne prend

 27   pas en compte les intérêts de tous les Croates de l'ensemble de Bosnie-

 28   Herzégovine.

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  1   L'intervenant : Ce sont des solutions politiques au sujet desquelles on ne

  2   m'a pas demandé mon avis et je ne les ai pas soutenus. L'Herceg-Bosna ne

  3   constitue pas une solution pour l'ensemble des Croates, pour l'ensemble des

  4   Catholiques de Bosnie-Herzégovine. Donc, je ne peux pas accorder mon

  5   soutien à une solution unilatérale sur le plan politique si cette solution

  6   ne protège pas l'ensemble de mes fidèles. Je souhaite que toute solution

  7   politique qui sera adoptée protège les droits de tous.

  8   Le journaliste : Les Croates de Sarajevo trouvent inacceptable l'appel de

  9   Boban leur demandant de rejoindre les Croates d'Herceg-Bosna.

 10   L'intervenant : Je remercie M. Boban de sa proposition, mais je ne pourrais

 11   pas vivre à Mostar, ni à Grude, ni je ne sais trop où, puisque je me plais

 12   ici. Même s'il y a des bombardements, même si la vie est difficile, on

 13   survivra.

 14   L'intervenant : C'est une tragédie, et cette tragédie peut être attribuée à

 15   M. Tudjman, car il a commis beaucoup d'erreurs. Il a pris beaucoup de

 16   décisions erronées, et tout simplement, compte tenu de sa mentalité, je

 17   dirais que c'est simplement la mentalité d'un loser.

 18   L'intervenant : Les Croates d'Herzégovine de l'ouest ne sont absolument pas

 19   menacés, mais ils vont sacrifier à cause d'eux tous les autres Croates de

 20   Bosnie.

 21   Le journaliste : Les Croates de Bosnie n'ont plus beaucoup de choix. Pour

 22   la majorité, c'est soit l'Herceg-Bosna soit rien. Le président Tudjman

 23   s'est accaparé de sa partie de la Bosnie pour remplir son obsession

 24   personnelle. Il s'en est tiré sans représailles internationales, mais au

 25   prix de la trahison de la Bosnie et du sacrifice de son propre peuple."

 26   [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]

 27   M. SCOTT : [interprétation] Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je

 28   me suis arrêté à la fin du mois de décembre 1991, avant l'interruption, le

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  1   27 décembre 1991, une réunion. Et je souhaite juste revenir à quelques

  2   points de la vidéo.

  3   L'Accusation estime qu'un des documents sur la feuille de route

  4   constitue le PV de la réunion du 12 novembre 1991. Il s'agit de la pièce

  5   P0071. J'y ai déjà fait référence. Nous estimons que l'accord de

  6   partenariat, le soi-disant accord de partenariat entre la Bosnie et la

  7   Croatie est le fameux accord d'amitié de juillet 1992. J'espère que cela

  8   vous sera utile.

  9   Excusez-moi de ma voix.

 10   Beaucoup d'événements se produisent pendant la première moitié de

 11   1992 : la réunion de Livno, qui est importante; le référendum, on en a

 12   parlé déjà à plusieurs reprises; ensuite, des réunions supplémentaires, des

 13   échanges auxquels participe le président Tudjman et d'autres;

 14   l'indépendance est déclarée par la Bosnie-Herzégovine, qui devient un

 15   nouvel Etat; les forces armées de Bosnie-Herzégovine sont mises sur pied.

 16   Pendant cette période, en Herceg-Bosna on crée le HVO, sa branche

 17   militaire en avril 1992, et en même temps on déclare les forces armées de

 18   Bosnie-Herzégovine illégales et constituant un ennemi. Petkovic, Praljak,

 19   et d'autres sont d'active à ce moment-là, ils s'empressent de créer l'Etat

 20   de l'Herceg-Bosna et sa branche militaire, le HVO.

 21   Je vais rapidement passer à la deuxième moitié de l'année 1992, en

 22   commençant à peu près par le mois de juillet, et cela, non pas pour

 23   minimiser l'importance de certains des éléments que je viens d'évoquer,

 24   mais simplement pour pouvoir procéder au plus important. Vous trouverez des

 25   éléments dans notre mémoire en clôture, plutôt, et d'autres arguments qui

 26   pourraient vous aider.

 27   Avant de parler du mois de juillet, parlons de ce que nous avons

 28   appelé la "croatisation".

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  1   En avril 1992, et à partir de ce moment-là, l'Herceg-Bosna affirme sa

  2   souveraineté politique, territoriale et ethnique, se sépare du gouvernement

  3   de Bosnie-Herzégovine, déclare les forces armées de Bosnie-Herzégovine

  4   illégales et met sur pied son propre gouvernement, le gouvernement du HVO.

  5   En même temps, c'est de manière délibérée que les dirigeants du HVO mettent

  6   sur pied le programme de persécution, donc une croatisation, une

  7   discrimination contre les Musulmans et d'autres non-Croates. Ils s'emparent

  8   de 30 municipalités lors d'une réunion qui ne se compose que de Croates,

  9   alors que seules 12 de ces municipalités ont une majorité croate, sans

 10   qu'il y ait eu de vote, sans qu'il y ait d'approbation ou d'accord de la

 11   part des Musulmans en soi. Cela constitue déjà un acte de persécution et de

 12   discrimination.

 13   Fondamentalement, quasiment tous les noms des gouvernements et des

 14   instances militaires comportent l'adjectif croate : Communauté croate

 15   d'Herceg-Bosna, le Conseil de Défense croate, université croate, bureau de

 16   poste croate, et cetera. Tout cela permet de voir qu'il ne s'agit que d'un

 17   territoire qui revient à un seul groupe ethnique.

 18   L'Accusation fait valoir que le fait de s'emparer du pouvoir a

 19   commencé au printemps 1992 de la part de l'Herceg-Bosna, que cela constitue

 20   partie du chef de persécution, tel que rapporté à l'acte d'accusation. Tous

 21   les efforts ont été faits avec cet objectif en vue. Certains pourraient

 22   parler d'une forme plus douce, plus molle de persécution.

 23   Mais tous les efforts ont été faits pour que quasiment tout en

 24   Herceg-Bosna, à commencer par les symboles de l'Etat et les insignes, le

 25   langage, les programmes scolaires, la devise, les noms de localités;

 26   Prozor, par exemple, a été rebaptisé Rama, et Gornji Vakuf a été rebaptisé

 27   Skopje. Donc tout va dans ce sens. Bref, l'Herceg-Bosna devait ressembler

 28   en tous points à la Croatie. Rappelez-vous des quatre points que j'ai

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  1   évoqués précédemment : un projet allant du haut vers le bas, le territoire,

  2   la démographie et la "croatitude".

  3   Un côté particulièrement noir de cette croatisation est l'utilisation

  4   officielle ou encouragement à l'utilisation des noms oustacha, des symboles

  5   de la Seconde Guerre mondiale, Ante Pavelic, Jure Francetic, Rafael Boban.

  6   Par exemple, une rue de Mostar qui portrait le nom d'un poète, Aleksa

  7   Santic, a été rebaptisée en honneur d'un dirigeant oustachi, Mile Budak.

  8   Une autre rue a porté les noms de deux dirigeants de l'Etat indépendant de

  9   Croatie oustachi, Vokic et Lorkovic. Donc c'était, d'une manière très

 10   évidente, agressif vis-à-vis des non-Croates.

 11   Une brigade HVO, et vous avez vu la prestation de serment de cette

 12   brigade -- donc le nom de cette unité était Jure Francetic, c'était un

 13   criminel de guerre de la Seconde Guerre mondiale. Nous reviendrons à la

 14   question du climat de commandement. Mais la question qui se pose est de

 15   savoir quel genre de message est envoyé à partir du moment où vous nommez

 16   des unités militaires d'après des criminels oustachi notoires.

 17   Un autre point important s'agissant de la croatisation : l'Herceg-

 18   Bosna, d'après la Défense, n'était qu'une création temporaire. Elle était

 19   là pour se substituer au vide créé par la désertion des autorités de

 20   Bosnie-Herzégovine. Mais si cela était vrai, ceux qui nous sont présentés

 21   comme étant temporaires et provisoires, mais pourquoi n'ont-ils pas

 22   continué d'utiliser le drapeau de Bosnie-Herzégovine, des insignes de

 23   Bosnie-Herzégovine, les noms qui existaient déjà ? Pourquoi n'ont-ils pas

 24   utilisé une terminologie neutre sur le plan ethnique ? Pourquoi est-ce que

 25   tout est devenu croate ? Pourquoi ils ne cessent de parler du territoire

 26   croate ? Alors, si c'était uniquement temporaire et provisoire, alors d'où

 27   vient cette croatisation ? Pourquoi n'a-t-on pas adopté une approche

 28   pluriethnique ou plus neutre sur le plan ethnique, quelque chose qui ne

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  1   serait pas persécutoire à l'égard des Musulmans.

  2   En 1995, Jadranko Prlic est fier d'annoncer à Tudjman, et je le cite

  3   :

  4   "Monsieur le Président, les gens naissent et meurent dans la

  5   République croate d'Herceg-Bosna. C'est leurs certificats de naissance et

  6   de décès, c'est le drapeau dans lequel ils sont ensevelis. C'est quelque

  7   chose qui imprègne leur être tout entier. C'est la raison pour laquelle les

  8   gens sont affectivement et profondément liés à cela."

  9   Comme je viens de le dire, parlons maintenant du mois de juillet.

 10   Nous arrivons à des moments importants en l'espèce. Les autorités de

 11   Bosnie-Herzégovine sont entièrement rejetées par le HVO, à ce moment-là

 12   appelées illégales, et je cite : "considérées comme l'ennemi." Ce modèle de

 13   comportement, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, c'est exactement

 14   ce que vous allez voir encore et encore, pas seulement en 1992, mais en

 15   janvier 1993, avril 1993, et tout au long de l'année 1993. A partir du

 16   moment où la direction du HVO a mis sur pied une politique spécifique, à

 17   savoir lorsqu'elle a cherché à consolider son pouvoir, elle a toujours agi

 18   de cette manière-là lorsqu'elle s'est emparée de pouvoir ou de territoire,

 19   même si d'autres parties pertinentes n'étaient pas d'accord, n'avaient pas

 20   consenti à cette action ou s'y étaient opposées. Le HVO allait de l'avant.

 21   Il s'est emparé du pouvoir ou du territoire en agissant prématurément,

 22   pourrait-on dire, même lorsqu'il n'y avait pas de fondement valable pour

 23   faire cela.

 24   La participation à très haut niveau de personnalités, telles que Milivoj

 25   Petkovic et Bruno Stojic, fin juin, début juillet 1992. Là, Petkovic

 26   confirme entièrement le programme généralisé et systématique du HVO afin de

 27   s'emparer du pouvoir dans les "municipalités croates" sur le "territoire

 28   croate", et je citais là, dans son rapport présenté lors du rassemblement

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  1   de l'Herceg-Bosna le 26 juin 1992. Donc c'est avec beaucoup de fierté que

  2   Petkovic fait part de son succès et décrit son programme dans lequel il

  3   parle de quatre tâches majeures :

  4   "Par le truchement des activités offensives dans l'ensemble de

  5   l'Herzégovine du sud-est, le HVO, aidé de manière considérable par la HV, a

  6   remporté des succès…

  7   "Aujourd'hui, nous avons placé sous contrôle quasiment la totalité du

  8   territoire des municipalités croates (Neum, Ravno, Stolac, Capljina,

  9   Ljubuski, Citluk, Siroki Brijeg et Mostar).

 10   "Certes, il y a encore une partie du territoire, surtout Mostar et

 11   Stolac, qui ne sont pas placés sous le contrôle des forces du HVO.

 12   "Par conséquent, il nous reste quatre tâches principales à accomplir

 13   :

 14   "1. Placer sous le contrôle ce qui reste des municipalités croates;

 15   "2. Sécuriser et fortifier la ligne atteinte;

 16   "3. Réorganiser les forces HVO telles qu'elles existent aujourd'hui;

 17   "4. Commencer à mettre en place le pouvoir croate dans l'ensemble de

 18   ces municipalités."

 19   Indépendamment de la cadence à laquelle ils ont réalisé le programme de

 20   l'Herceg-Bosna, au début du mois de juillet 1992, Tudjman et ses cohortes

 21   d'Herceg-Bosna rencontrent deux problèmes majeurs. Premièrement, la

 22   République de Croatie subit des pressions internationales de plus en plus

 23   grandes parce qu'elle participe directement et à cause de son ingérence sur

 24   le territoire de l'Etat souverain membre des Nations Unies qui est la

 25   Bosnie-Herzégovine, et deuxièmement, la résistance et l'opposition des

 26   autorités de Bosnie-Herzégovine, des Musulmans, se font plus fortes.

 27   Le 15 mai 1992, la Croatie est déjà condamnée pour ses agissements en

 28   Bosnie-Herzégovine. La Résolution 752 du Conseil de sécurité des Nations

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  1   Unies condamne "toute forme d'ingérence venue de l'extérieur de Bosnie-

  2   Herzégovine, y compris par des éléments de l'armée croate," et exige que

  3   ces éléments, "qui se trouvent aujourd'hui en Bosnie-Herzégovine," je cite,

  4   " soient soit retirés, soit placés sous l'autorité du gouvernement de

  5   Bosnie-Herzégovine, ou soient démantelés et désarmés." Cette même

  6   résolution exige que toute force non régulière de Bosnie-Herzégovine soit

  7   démantelée et désarmée, y compris le HVO étant décrite comme une force

  8   paramilitaire qui a toujours refusé de se placer sous le contrôle de la

  9   Bosnie-Herzégovine.

 10   Le secrétaire général a fait rapport au Conseil de sécurité deux

 11   semaines plus tard, le 30 mai 1992, et je cite :

 12   "En ce qui concerne le retrait des éléments de l'armée croate qui se

 13   trouvent maintenant en Bosnie-Herzégovine, les informations dont on dispose

 14   à New York à l'heure actuelle suggèrent que ce retrait n'a pas eu lieu."

 15   Ce rapport a été suivi par une nouvelle résolution du Conseil de sécurité,

 16   la 757, le 30 mai 1992 :

 17   "…regrettant que les exigences contenues dans la Résolution 752 n'aient pas

 18   été satisfaites, y compris les demandes selon lesquelles les voisins de la

 19   Bosnie-Herzégovine prennent toute action rapide afin de mettre un terme à

 20   toute ingérence, et respectent l'intégrité territoriale de la Bosnie-

 21   Herzégovine."

 22   Dans ce contexte, et pour illustrer à nouveau cette politique de double

 23   jeu, les dirigeants croates affirment qu'ils reconnaissent et qu'ils

 24   soutiennent le gouvernement de la BiH et ses efforts pour établir des

 25   forces armées uniques sous les auspices et sous le commandement de la

 26   présidence de la BiH. Remarquez le gouvernement de la BiH, dont les forces

 27   armées et les commandants ont été appelés par les Herceg-Bosniens illégaux

 28   et invalides. Donc, d'un côté, on dit, On est tout à fait d'accord avec

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  1   vous, on va essayer de mettre sur pied des forces conjointes, nous sommes

  2   avec vous. Et en même temps, nos clients d'Herceg-Bosna disent, Non, ceci

  3   ne vous regarde pas, ne restez pas en Herceg-Bosna, vos ordres sont

  4   invalides, nous n'y obéirons pas. Donc c'est vraiment une politique à

  5   double jeu. On le voit d'ailleurs dans une déclaration conjointe de Tudjman

  6   et Izetbegovic du 12 juin 1992.

  7   C'est le point numéro 3. Il est écrit :

  8   "La République de Croatie soutient les efforts de la Bosnie-Herzégovine

  9   pour maintenir son indépendance et pour résister à l'agression et, dans ce

 10   but, est prête à offrir son aide et continuera à offrir son aide. La

 11   République de Croatie soutient aussi les efforts du gouvernement légal et

 12   de la présidence de Bosnie-Herzégovine en vue de consolider la défense de

 13   la république en unifiant toute forme et toute branche au sein des forces

 14   armées initiées de Bosnie-Herzégovine sous le commandement supérieur de la

 15   présidence de Bosnie-Herzégovine."

 16   Bien sûr, si l'Herceg-Bosna et le HVO étaient, en fait, une partie légitime

 17   de la BiH, ou s'ils avaient voulu l'être en tout cas, ils auraient très

 18   bien pu le faire. Ils se trouvaient sous le commandement du gouvernement

 19   dans le cadre d'un commandement unifié. Il est évidement qu'ils n'avaient

 20   aucune envie d'agir de la sorte.

 21   Tudjman, Boban, et les autres ont sans doute espéré que cette

 22   déclaration conjointe, signée par Izetbegovic et Tudjman le 12 juin 1992,

 23   allait répondre ou au moins allait calmer un petit peu les Musulmans qui

 24   étaient extrêmement violemment opposés à l'Herceg-Bosna. Cela se voit

 25   d'ailleurs dans le programme pour les activités de la présidence de BiH

 26   dans le cadre de l'état de guerre publié par la présidence de la Bosnie-

 27   Herzégovine le 26 juin 1992.

 28   Je vais essayer de gagner du temps en paraphrasant les choses. C'est

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  1   encore une déclaration où les autorités de la BiH ont rejeté l'Etat

  2   autoproclamé d'Herceg-Bosna ainsi que ses institutions parallèles. Et il

  3   est écrit que la plateforme a déclaré que la Bosnie-Herzégovine

  4   "n'accepterait jamais aucune négociation qui a pour fondement

  5   l'établissement de territoires ethniquement purs ou une division régionale

  6   de la Bosnie-Herzégovine sur une base uniquement ethnique."

  7   Malgré cette opposition ouverte, Tudjman et les autres étaient déterminés à

  8   faire avancer leur Herceg-Bosna. Le 5 juillet 1992, Tudjman, Susak et

  9   l'extrémiste croate Vice Vukojevic, et d'autres, ont rencontré Boban et

 10   d'autres dirigeants bosno-croates, y compris Milenko Brkic.

 11   En ce qui concerne ce M. Brkic, vous savez qu'après la dispute importante

 12   entre Boban et le président du parti de la BiH HDZ, Stjepan Kljuic, Kljuic

 13   a presque donné sa démission. Enfin, il était un peu difficile. Il ne

 14   voulait pas vraiment démissionner officiellement, mais il s'est retiré. Et

 15   donc, en tant que président intérimaire du parti, on a nommé ce dénommé

 16   Milenko Brkic. Et vous verrez d'ailleurs que malheureusement, ce M. Brkic a

 17   eu le même sort que M. Kljuic, parce qu'il était beaucoup trop modéré pour

 18   la faction Boban, Boras et autres.

 19   Donc, dans une réunion qui rappelait tout à fait la réunion du 27

 20   décembre 1991, où il y avait eu le bras de fer entre Boban et Kljuic, Brkic

 21   et d'autres, à la consternation d'ailleurs de Tudjman et de Boban, ont

 22   soulevé des questions importantes à propos de l'Herceg-Bosna en déclarant

 23   qu'il n'était pas normal que le HVO veuille prendre un pouvoir qui revenait

 24   de droit aux autorités de la BiH et que les Musulmans n'allaient pas

 25   accepter tout cela, surtout là où ils se trouvaient en majorité. Je cite M.

 26   Brkic, et c'est dans un compte rendu présidentiel :

 27   "Un grand nombre de personnes nous demandent si les travaux du parti du HDZ

 28   BiH ont été suspendus provisoirement ou pas. On se demande s'il faut avoir

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  1   une convention de parti, par exemple. Mais qu'est-ce que l'Herceg-Bosna ?

  2   Quel type d'associations représente-t-elle ? Il faut aussi clarifier la

  3   Posavina et la Bosnie centrale, savoir ce qu'il en est. Quelle est la

  4   relation avec l'Etat en tant que tel ? Quel est ce HVO ? Est-ce que c'est

  5   une armée ou est-ce que c'est une structure civile ? Quel est le mandat de

  6   ce HVO ? Rien n'est clair jusqu'à présent. Le HVO a suspendu l'autorité

  7   civile normale et même le parti HDZ.

  8   Tout a été fait en dépit du bon sens. Il faudrait savoir exactement à qui

  9   obéir à l'avenir, qui a le droit de remplacer des gens, quels sont les

 10   organes qui détiennent leur autorité d'élection légale, et cetera, et

 11   cetera.

 12   Et leurs relations avec les Musulmans s'enveniment. Le parti du HDZ a

 13   adopté des conclusions et a rendu hommage au HVO pour ce qu'il a fait

 14   jusqu'à présent, surtout en ce qui concerne les territoires libres, mais le

 15   HDZ n'est absolument pas d'accord avec la suspension des pouvoirs civils."

 16   Lorsqu'on lit ces mots, il s'agit quand même du président du HDZ --

 17   le président par intérim du HDZ, un Croate, qui dit tout cela, qui dit,

 18   Mais qu'est-ce que l'Herceg-Bosna ? Qu'est-ce que le HVO ? Qu'est-ce qui se

 19   passe ?

 20   Et Brkic poursuit en disant que les gens de Zagreb font ingérence, et

 21   il déclare : "Je ne pense pas qu'il ait de très bonnes intentions. M.

 22   Maric, de Grude, a expliqué un grand nombre de choses qu'il fait en disant

 23   qu'il est en contact avec M. Tudjman et que M. Tudjman soutient cette

 24   position," et cetera, et cetera.

 25   Donc Boban a tout simplement écarté les déclarations de Brkic, bien

 26   que, sur papier au moins, ce soit Brkic qui soit le chef de son parti. Et

 27   voici ce que dit Boban :

 28   "Si j'avais su que c'était ces personnes-là qui allaient participer à la

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  1   réunion et qu'on allait parler de tout ça, eh bien, je ne serais pas venu

  2   parce que j'ai d'autres choses bien plus importantes à faire."

  3   Et comme je vous l'ai dit précédemment, l'un des documents qu'il convient

  4   absolument de lire, c'est le PV de la réunion du 27 décembre. Vous devriez

  5   aussi lire le PV de la réunion avec Brkic et d'autres du 5 juillet 1992. Je

  6   crois que c'est la pièce P00312. C'est un document qui parle de lui-même,

  7   qui est frappant et révélateur.

  8   Réaction de Boban : on voit bien qu'il est furieux. Ça se lit dans ces

  9   pages. Il dit :

 10   "Si je savais qu'on allait parler de tout ça, je ne serais même pas venu."

 11   Donc il est absolument évident que la politique qui est -- ça, c'est

 12   Tudjman qui, tout d'un coup, fait jouer tout son poids politique. Dans la

 13   même réunion, il arrive et il dit :

 14   "Il est clair que ce que l'on fait à l'heure actuelle ne satisfait personne

 15   en Bosnie-Herzégovine. Les dirigeants du HDZ doivent rester cohérents et

 16   doivent toujours avoir la même politique.

 17   "C'est à vous de savoir s'il convient d'avoir une convention du HDZ

 18   ou pas.

 19   "Mais le grand problème c'est la cantonisation et les relations

 20   envers les Musulmans, et le rôle des autorités et du HVO… pour établir un

 21   gouvernement. Et il faut se souvenir de ce que recommande M. Izetbegovic

 22   parce que ces paroles ne sont pas en accord avec ses actes." Et il continue

 23   : "Il ne faut pas que nous perdions notre identité croate. Nous avons nos

 24   territoires qui étaient des territoires croates depuis des siècles, surtout

 25   là où les Croates ont été en majorité depuis des années."

 26   Tudjman était tout à fait d'accord pour déclarer ouvertement que le HVO

 27   avait bel et bien établi, je cite, "un nouveau gouvernement," rejetant de

 28   façon expresse une Bosnie-Herzégovine multiethnique et souveraine, que

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  1   voulaient des Croates modérés comme Kljuic ou Jerko Doko, qui était à

  2   l'époque le ministre de la Défense de la BiH.

  3   Le HVO doit être félicité -- là c'est Tudjman qui parle :

  4   "Le HVO doit être félicité pour avoir mis en place un nouveau

  5   gouvernement et de nouvelles relations. Le système de pouvoir créé par

  6   Kljuic et Doko ne nous vas pas, car pour nous, l'autorité, le pouvoir est

  7   au sein du HDZ…

  8   "Nous devons organiser des pouvoirs civils et militaires dans le

  9   cadre de la Communauté d'Herceg-Bosna."

 10   Brkic déclare -- alors, il revient là vers Tudjman et il dit :

 11   "Mais il y a quand même une incohérence totale à votre position. On

 12   ne peut pas d'un côté dire qu'on reconnaît la souveraineté et

 13   l'indépendance de la BiH, mais pas reconnaître son gouvernement et son

 14   pouvoir."

 15   Et Brkic déclare, et je cite :

 16   "Si vous reconnaissez la BiH, il est logique de reconnaître son

 17   gouvernement. Quant à savoir si le gouvernement peut fonctionner et s'il

 18   fonctionne, ça, c'est autre chose. Mais si c'est une déclaration, que se

 19   passe-t-il dans les faits ? Le gouvernement doit très certainement avoir

 20   une idée de ce qu'il doit faire pour résoudre ces problèmes."

 21   Tout comme Boban, l'extrémiste croate Vukojevic a eu du mal à avaler

 22   ces propos :

 23   "Il est certain qu'il y a des divisions au sein du HDZ en ce qui

 24   concerne la Bosnie. Des divisions existent, c'est sûr, et l'une d'elles

 25   c'est l'option de Sarajevo de Jure Pelivan, et je ne suis pas du tout

 26   d'accord avec cette option."

 27   A l'époque, quand même, Pelivan était le premier ministre croate de

 28   Bosnie-Herzégovine, mais son option est rejetée comme celle de Brkic.

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  1   Susak se plaint que l'Herceg-Bosna n'est pas allée assez loin et dit

  2   :

  3   "Jusqu'à présent, on a réussi à encercler les territoires," on a donc

  4   réussi à dessiner le territoire sur la carte, "mais nous n'avons pas réussi

  5   encore à mettre sur pied les organes de pouvoir."

  6   Donc, comme ce qu'il est arrivé à Kljuic, il est évident qu'en ce qui

  7   concerne Brkic et son pouvoir au sein du HDZ, ses jours sont comptés. Et

  8   d'ailleurs, à l'automne 1992, Brkic sera remplacé par Boban. Et je vais en

  9   parler, d'ailleurs.

 10   Quelques jours plus tard, le 21 juillet 1992, suite aux protestations des

 11   Nations Unies en mai à propos de l'ingérence croate en Bosnie-Herzégovine,

 12   Tudjman rencontre Izetbegovic et d'autres lors d'une réunion très

 13   importante à Zagreb.

 14   Il s'agit de la pièce P00339, et je vais l'ajouter à ma liste courte

 15   de comptes rendus qu'il convient absolument de lire.

 16   Il y a Tudjman, Izetbegovic, Jure Pelivan et Brkic qui sont, si je

 17   puis dire, en train de se lancer dans leur bras de fer, en train de

 18   discuter pour savoir qu'elle est la direction à emprunter en ce qui

 19   concerne la Bosnie. Je vous conseille vraiment de le lire dans son

 20   intégralité.

 21   Je pense qu'il va bientôt falloir faire la pause, mais souvenez-vous

 22   qu'à l'époque il y a déjà deux résolutions du Conseil de sécurité des

 23   Nations Unies qui condamnent l'ingérence croate en Bosnie. Tudjman a un

 24   petit problème quand même, parce que soit il doit quitter la Bosnie, et il

 25   n'a pas du tout envie de le faire visiblement, ou alors il doit obtenir une

 26   légitimité quelconque pour expliquer sa présence sur place. Ce qui va nous

 27   amener à la réunion appelée réunion d'amitié avec Izetbegovic le 21 juillet

 28   1992.

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  1   Je pense que nous pouvons maintenant faire la pause.

  2   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Nous allons faire la dernière pause de 20

  3   minutes.

  4   --- L'audience est suspendue à 17 heures 28.

  5   --- L'audience est reprise à 17 heures 50.

  6   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. L'audience est reprise.

  7   Monsieur Scott, la Chambre vous invite à ne pas oublier de nous indiquer

  8   les numéros des documents que vous citez. Bon, je ne pense pas que vous en

  9   ayez oublié un, mais on ne sait jamais, donc ayez bien en tête à chaque

 10   fois les références du document. Merci.

 11   M. SCOTT : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.

 12   Je vais m'efforcer de le faire, et peut-être serai-je audacieux.

 13   Sachez que si j'en ai oublié, j'aiderai vos juristes par la suite. Je suis

 14   tout à fait prêt à cela, bien sûr. Mais je vais essayer de n'en oublier

 15   aucun.

 16   Donc, je veux juste m'adresser à Mme Winner pour savoir exactement où

 17   nous devons reprendre.

 18   Donc, nous parlions du 21 juillet 1992 et de cet accord d'amitié lors de la

 19   réunion, et j'ai dit avant la pause que l'un des problèmes de Tudjman,

 20   c'était le Conseil de sécurité des Nations Unies qui se plaignait de

 21   l'ingérence croate en Bosnie, et le compte rendu de la réunion montre bien

 22   clair que Tudjman avait trois grands buts dans le cadre de cette réunion :

 23   tout d'abord, d'obtenir l'accord d'Izetbegovic en ce qui concerne la

 24   présence de l'armée croate en BiH, ce qui résolvait ainsi le problème de

 25   Tudjman avec le Conseil de sécurité des Nations Unies; deuxièmement, faire

 26   accepter à Izetbegovic le fait que le HVO ferait partie des forces armées

 27   de la BiH; et troisièmement, obtenir l'approbation d'Izetbegovic en ce qui

 28   concerne la légitimité de l'Herceg-Bosna.

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  1   A la fin de la réunion, il y a eu un accord écrit, soi-disant l'accord

  2   d'amitié, qui montre que Tudjman a au moins réussi un de ses trois buts,

  3   puisqu'il a obtenu l'acceptation qualifiée des militaires du HVO, mais sur

  4   la même condition que celle donnée par la présidence de la BiH, c'est-à-

  5   dire si vous devenez vraiment l'un d'entre nous, si vous acceptez notre

  6   commandement unifié, dans ce cas-là, veuillez rejoindre nos rangs, nous

  7   vous attendons. En ce qui concerne les autres buts, Tudjman n'a pas réussi.

  8   Certes, l'accord d'amitié, pièce P00339, comprenait des libellés à propos

  9   de la coopération militaire contre les Serbes des deux côtés de la

 10   frontière Croatie-BiH. Il n'y a aucun mot dans l'accord qui permet au HV

 11   d'opérer en BiH. Cela peut justifier la Croatie, mais il est évident que

 12   Tudjman n'a pas obtenu les libellés dont il voulait. D'ailleurs, il l'a

 13   confirmé par la suite.

 14   Je ne sais pas si nous aurons le temps ou non, mais lorsque l'on lit

 15   tous les comptes rendus présidentiels à la fin de l'été 1992 et à l'automne

 16   92, on voit que Tudjman ne fait que répéter : On ne l'a pas eu, on ne l'a

 17   pas eu. On est allés là, on a eu la réunion en juillet, mais on n'a pas

 18   obtenu l'accord qu'on voulait. Il le répète sans cesse dans ces comptes

 19   rendus.

 20   En ce qui concerne l'Herceg-Bosna, la réponse d'Izetbegovic à toutes

 21   les questions posées par Tudjman lui suppliant d'accepter l'Herceg-Bosna,

 22   Izetbegovic a toujours répondu par non.

 23   Maintenant, passons au HVO en tant que force militaire. Il est

 24   évident qu'Izetbegovic a rejeté l'Herceg-Bosna, mais il l'a bien dit, et ça

 25   se voit dans les comptes rendus d'ailleurs, qu'il serait tout à fait

 26   acceptable et même peut-être utile que le HVO militaire devienne une partie

 27   intégrée des forces armées de l'Etat de la BiH sous commandement unifié de

 28   la présidence de la BiH.

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  1   La Chambre se souviendra peut-être d'un témoin croate, M. Zuzul, qui

  2   est venu lors de la présentation des moyens de la Défense Prlic, et qui a

  3   dit : "Nous avons pesé nos mots toute la journée; pas uniquement les

  4   paragraphes, mais nous avons pesé les mots. Ce document était préparé. Cet

  5   accord d'amitié était préparé de façon extrêmement sérieuse."

  6   Mais Tudjman et le HVO n'ont pas réussi à obtenir ce qu'ils

  7   voulaient, étant donné qu'aucun de ces "mots, pourtant, bien pesés" n'ont

  8   jamais indiqué que le HVO serait subordonné à la présidence de la BiH en

  9   tant que commandement Suprême ou à un commandement de l'ABiH.

 10   Section 6 de l'accord, il est écrit, et je cite :

 11   "Le composant armé du Conseil de la Défense croate, c'est-à-dire le

 12   HVO militaire, fait partie intégrante des forces armées de la République de

 13   Bosnie-Herzégovine. Le Conseil de la Défense croate aura des représentants

 14   au sein du commandement conjoint des forces armées de Bosnie-Herzégovine."

 15   Donc, on voit que ces mots-ci sont pesés, mais on ne parle pas ici du

 16   HVO en tant qu'armée séparée et égale, on ne parle pas du fait qu'il soit

 17   représenté de façon équitable dans un système de commandement, et on ne dit

 18   pas, d'ailleurs, qu'il contrôle le commandement des forces armées de la

 19   BiH, donc le HVO continue à exister sans pied d'égalité et sans

 20   commandement unique. Il n'y a aucune base pour ceci dans l'accord d'amitié

 21   signé par Izetbegovic et Tudjman.

 22   En ce qui concerne l'Herceg-Bosna, Izetbegovic était extrêmement

 23   clair : il a rejeté de le reconnaître. Il déclare :

 24   "Nous ne sommes pas d'accord avec ce point. Je pense que l'accord ne

 25   devrait pas interférer avec les questions internes en Bosnie. Tout le reste

 26   est une question interne en Bosnie-Herzégovine et doit se traiter à ce

 27   niveau-là. Il serait scandaleux quand même si quelqu'un disait que l'ordre

 28   constitutionnel se fait depuis Zagreb."

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  1   Tudjman a essayé de passer en force, mais Izetbegovic a toujours

  2   refusé, à part pour reconnaître "l'égalité pleine et entière des trois

  3   peuples constitutifs : les Musulmans, les Croates et les Serbes."

  4   Izetbegovic a déclaré à Tudjman, et je cite :

  5   "C'est évident une tonne de discordes entre nous. On ne peut pas être

  6   d'accord, parce que cela implique des choses qui pourraient très bien

  7   provoquer la sécession demain."

  8   Donc, le président en exercice bosno-croate du HDZ-BiH,  Miljenko 

  9   Brkic, dont nous avons déjà parlé, et M. Pelivan aussi - puisque je vous ai

 10   dit qu'on allait en parler - eux aussi étaient à la même réunion. Donc, le

 11   président en exercice bosno-croate du HDZ de la BiH, Brkic, et le premier

 12   ministre bosno-croate de BiH, Jure Pelivan, étaient d'accord avec

 13   Izetbegovic lors de cette réunion, considéraient que de parler de la

 14   légitimité de l'Herceg-Bosna n'était pas du tout la même chose que

 15   d'accepter le HVO militaire comme étant une partie des forces armées de la

 16   BiH, du moment qu'elle était subordonnée à un commandement unifié conjoint.

 17   Ensuite, Brkic et Pelivan ont continué pour dire que les actions de

 18   l'Herceg-Bosna, lors de la prise de pouvoir, allaient provoquer très

 19   certainement "un conflit important avec les Musulmans." Et Brkic a dit à

 20   Tudjman :

 21   "M. le Président, si le HVO est une structure militaire, les

 22   Musulmans et les Croates sont unis, mais si le HVO apparaît comme une

 23   structure civile, là les Musulmans ne vont pas l'accepter au centre de la

 24   Bosnie-Herzégovine."

 25   Et Pelivan était d'accord en disant que les libellés proposés par

 26   Tudjman essayaient de légaliser, de légitimer l'Herceg-Bosna "ne passerait

 27   jamais auprès du gouvernement de Bosnie-Herzégovine."

 28   Pelivan continue en disant :

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  1   "Ecoutez, on parle de l'Herceg-Bosna ici, une communauté qui est une

  2   organisation politique. Or, ce gouvernement n'a jamais été établi où que ce

  3   soit. Ceci ne sera certainement pas accepté par l'autre côté, et les Serbes

  4   maintenant vont se mettre à demander leur propre gouvernement.

  5   "Donc, les Serbes, eux aussi, vont demander à avoir leur propre

  6   gouvernement."

  7   Et nous savons d'ailleurs que c'était déjà le cas à l'époque.

  8   Ayant répété, ayant dit qu'il est impossible d'accepter l'Herceg-

  9   Bosna, Izetbegovic et la délégation de Bosnie-Herzégovine, du fait des

 10   actions très agressives de l'Herceg-Bosna au cours des mois précédents,

 11   étaient néanmoins devant un fait accompli, et ce n'était certainement pas

 12   par hasard. L'Herceg-Bosna avait bel et bien déclaré son existence, avait

 13   établi son gouvernement séparé, avait mis en place ses forces armées

 14   séparées et avait pris le pouvoir dans toutes les municipalités l'une après

 15   l'autre. Donc, c'était un fait accompli.

 16   Tout ce qu'Izetbegovic pouvait sortir de cet accord d'amitié c'était

 17   l'engagement de Tudjman selon lequel les structures d'Herceg-Bosna, les

 18   structures civiles du HVO, et je cite ici Tudjman, "se conformeraient le

 19   plus rapidement possible avec le système constitutionnel et juridique en

 20   vigueur en République de Bosnie-Herzégovine." Alors, qu'est-ce qu'il

 21   pouvait dire d'autre, en fait ? Il signe un agrément, il dit : [inaudible]

 22   un fait accompli, mais nous nous engageons à respecter votre système

 23   constitutionnel le plus rapidement possible, je cite, "le plus rapidement

 24   possible."

 25   Et maintenant, le suivi de cette réunion sur l'accord amical est

 26   important parce qu'on voit bien, en fait, que les autorités de la BiH, eux,

 27   ils sont de bonne foi. Ils essaient de mettre en œuvre cet accord d'amitié.

 28   Mais on voit que les dirigeants de l'Herceg-Bosna n'en veulent pas. 

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  1   Puisque moins de trois semaines après le fameux accord d'amitié signé le 21

  2   juin 1992, la présidence de la BiH a modifié la Loi sur les forces armées

  3   de Bosnie-Herzégovine dans ce qui d'après l'Accusation est un effort tout à

  4   fait rapide, raisonnable et de bonne foi pour réaliser cet accord. Elle a

  5   affirmé que le HVO faisait en effet partie des forces armées de la BiH,

  6   dans la mesure où elle serait de façon réelle subordonnée à une unité de

  7   commandement, et, en tant que tel, le HVO était donc une partie subordonnée

  8   des forces armées de la BiH.

  9   Le décret adopté le 6 août 1992 modifiait l'article 2 de la Loi portant sur

 10   les forces armées, pour qu'il déclare maintenant, et je cite :

 11   "L'armée de la République (que nous appellerons ci-dessous : l'armée)

 12   constitue les forces armées de la république.

 13   "Des unités du Conseil de la Défense croate constitue une partie intégrante

 14   de l'armée, ainsi que les autres formations armées," et voici ce qui est

 15   important ici," qui se sont mises sous commandement unifié de l'armée."

 16   Donc, le libellé employé ici correspond parfaitement avec le libellé de la

 17   section 6 de l'accord d'amitié, mais avec tout le concept de forces armées

 18   unifiées sous commandement unifié.

 19   Mais dans cet accord, il est écrit que le HVO aurait ses représentants au

 20   sein du commandement conjoint des forces armées de Bosnie-Herzégovine. Mais

 21   donc on ne dit pas que le HVO sera séparé mais égal, absolument pas, qu'il

 22   serait plus ou moins lié aux forces armées de BiH, mais aussi sur un

 23   commandement différent, avec Boban en tant que commandant suprême. On ne

 24   peut pas avoir deux commandements Suprêmes. D'un côté, le président de la

 25   BiH, avec Izetbegovic, et puis, d'un autre côté aussi Mate Boban. Et je

 26   tiens à dire aux Juges de la Chambre qu'il y avait déjà des Bosno-Croates

 27   au sein de la BiH. Par exemple, Stjepan Siber, qui était Croate, était le

 28   numéro deux des forces armées de l'ABiH, alors qu'il s'agissait d'un

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  1   Croate.

  2   La position de la présidence de la BiH, qui n'est pas du tout fourbe, ce

  3   que voudrait, en revanche, faire croire la Défense, est parfaitement

  4   cohérent avec ce concept d'une seule force armée sous un seul commandement,

  5   tel que cela se reflète dans l'ordre du 8 mai 1992 du général Roso. Il est

  6   écrit, et je cite : "Il n'y a que le HVO qui est légal. Si vous voulez

  7   rejoindre nos rangs il faut que vous soyez subordonnés. Vous devez avoir

  8   nos insignes." Et on voit cela dans cet ordre de M. Roso du 8 mai 1992. Et

  9   là, c'est en mai 1992 qu'il dit :

 10   "1. Les seules unités militaires légitimes sur le territoire du HZ HB sont

 11   les unités du HVO;

 12   "2. Toutes les autres unités militaires sur le territoire mentionnées ci-

 13   dessus doivent rejoindre un seul système de défense et doivent reconnaître

 14   l'état-major principal du HVO comme leur commandement Suprême;

 15   "3. Chaque membre des unités militaires mentionnées ci-dessus doit arborer

 16   l'insigne du HVO (avec un insigne sur le couvre-chef et un badge du HVO sur

 17   l'épaule gauche)."

 18   Messieurs les Juges, comment se fait-il que ces dirigeants politiques et

 19   militaires qui se sont autoproclamés de cet Etat autoproclamé d'Herceg-

 20   Bosna voulaient insister que les forces armées sur leur territoire devaient

 21   rejoindre "un seul système unifié de défense" et devaient "reconnaître

 22   l'état-major principal du HVO comme étant leur commandement Suprême" et, je

 23   cite à nouveau, "devaient arborer l'insigne du HVO," alors que

 24   simultanément, ils déclaraient que la présidence légitime de cet Etat

 25   membre reconnu par les Nations Unies ne pouvait demander que de faire

 26   partie des forces armées légitimes qui opéraient sur le territoire

 27   souverain et qui auraient soi-disant reconnu la présence de l'ABiH comme

 28   "commandement Suprême". Ce qui vaut pour l'un vaut l'autre, quand même.

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  1   Donc, dans leur témoignage sous serment, l'accusé Petkovic et le

  2   commandant du HVO Filipovic ont déclaré que le commandant suprême du HVO

  3   était le président de l'Herceg-Bosna, Mate Boban. En confirmant tous les

  4   aspects de l'organigramme du HVO qu'il avait préparé pour l'affaire

  5   Blaskic, Petkovic a répété qu'en ce qui concerne la case du commandant

  6   suprême, il s'agissait de Mate Boban. Il l'a répété, et je cite :

  7   "Oui, c'est M. Mate Boban. Cette case qui est libellée 'commandant

  8   suprême'."

  9   Petkovic a témoigné pour dire que Boban était le commandant suprême du HVO

 10   à partir du moment où il est arrivé en Bosnie-Herzégovine en avril 1992, et

 11   ce, jusqu'en février 1994, lorsque Boban a quitté son poste.

 12   D'ailleurs, on a posé la même question à Filipovic, et il répond :

 13   "Le décret sur les forces armées stipulait que le commandant en chef était

 14   à la tête de l'armée.

 15   "Question : Etes-vous d'accord ?

 16   "Réponse : Oui, si vous voulez dire que le commandant suprême était Boban."

 17   Dans une armée, on ne peut pas avoir deux maîtres. Et deux armées ne

 18   peuvent pas avoir deux commandants suprêmes en même temps. C'est

 19   impossible.

 20   Et d'ailleurs, Filipovic en personne le concède manifestement, que ce soit

 21   lorsqu'il est témoin dans le procès Kordic ou ici. Il disait qu'il y a

 22   trois armées en Bosnie-Herzégovine, chacune servant "l'intérêt de son

 23   camp". Filipovic l'a affirmé et a repris à son compte ce qu'il avait dit

 24   dans le procès Kordic :

 25   "Nous avions trois armées en Bosnie-Herzégovine : la VRS, qui s'était

 26   séparée, qui avait pris les armes pour en venir à ses fins; il y avait les

 27   Musulmans, qui portaient le fez vert, qui avaient son propre drapeau, ses

 28   insignes; et puis nous avions la composante croate ou le parti croate qui

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  1   représentait les intérêts des Croates.

  2   "Et si on parle maintenant d'une défense conjointe des Croates et des

  3   Bosniens, des Musulmans, oui, c'était en même temps, mais ce n'était pas la

  4   même chose.

  5   "A l'époque, il était impossible d'avoir une seule et même armée. Ça

  6   restait purement théorique comme concept."

  7   Je vous demanderais, Messieurs les Juges, puisque vous allez examiner

  8   ces questions, il y a une différence entre le fait d'être des alliés ou

  9   d'être une seule et même armée. Il arrive qu'en temps de guerre, dans le

 10   HVO ou dans l'ABiH, ils ont combattu côte à côte. On en a parlé pendant des

 11   ans. Mais être des alliés ne vous rend pas pour autant membre d'une seule

 12   et même armée. Le HVO et l'ABiH, dans ces zones et pendant la période

 13   couverte par l'acte d'accusation, n'ont jamais été une seule et même armée.

 14   Les actes de Petkovic trois jours seulement après le décret du 6 août le

 15   montrent clairement. Qu'en est-il en réalité ? Parce qu'il y a eu, certes,

 16   l'adoption par la présidence de ce décret du 6 août, et pourtant, l'Herceg-

 17   Bosna continue de poursuivre sa longue marche en direction d'un espace

 18   croate séparé et contrôlé par les Croates, excluant ou tentant d'exclure

 19   toutes les autres forces armées.

 20   Le 10 août 1992, Petkovic donne l'ordre à la police militaire de l'Herceg-

 21   Bosna et à la police civile, je cite :

 22   "Utiliser toutes les forces de police militaires et civiles du HVO pour

 23   empêcher toute unité militaire autre que celles du HVO de pénétrer dans

 24   notre zone de responsabilité.

 25   "Personne n'est bienvenu. Il n'y a que nous qui serons acceptés.

 26   C'est ça qu'il faut en conclure. Vous êtes censés informer cet état-major

 27   s'il y a présence de la moindre unité qui ne soit pas une unité du HVO."

 28   Pour faire simple, le HVO n'avait pas du tout l'intention de se

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  1   subordonner au commandement de la présidence de Bosnie-Herzégovine, que ce

  2   soit en été, en automne 1992 ou en 1993, en tout cas pas véritablement

  3   sincèrement.

  4   Mais il y a d'autres conséquences à cette réunion de l'amitié de nouvelles

  5   structures politiques. Rappelez-vous le libellé utilisé, on disait qu'il

  6   fallait mettre les structures de l'Herceg-Bosna, dans les meilleurs délais,

  7   en conformité avec le système constitutionnel et juridique de la République

  8   de Bosnie-Herzégovine.

  9   Je pense que pendant cette situation de guerre, on parle, au niveau de la

 10   présidence, d'une nouvelle organisation basée sur l'idée et la réalité de

 11   districts. Ça commence en août 1992, où est ordonnée l'organisation de la

 12   Bosnie-Herzégovine en sept districts, et plus tard, dix. Ceux d'Herceg-

 13   Bosna qui n'en voulaient pas, pas plus qu'ils ne voulaient que les

 14   autorités ne mettent le pied en Herceg-Bosna, sont contre, bien sûr.

 15   Stojic fait un rapport quelques semaines plus tard à peine, lors

 16   d'une réunion à la présidence de la HZ HB. Il dit avoir rencontré des

 17   ministres de Bosnie-Herzégovine la veille, et les ministres de Bosnie-

 18   Herzégovine avaient offert de coopérer pour combattre ensemble les Serbes,

 19   mais ils avaient rejeté l'idée de l'unité ethnique ou de cantons. Et Stojic

 20   dit dans le procès-verbal :

 21   "A l'issue de la réunion, la conclusion qu'il faut tirer, c'est qu'un

 22   accord avec les Musulmans est impossible."

 23   Voici ce que dit Stojic le 14 août 1992.

 24   En fait, l'organisation de tous les districts proposés par la Bosnie --

 25   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Excusez-moi, de vous interrompre,

 26   mais qui citait -- quelle est la cote ?

 27   M. SCOTT : [interprétation] P00391.

 28   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Merci.

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  1   M. SCOTT : [interprétation] En fait, l'organisation de tous ces districts

  2   proposés par la Bosnie-Herzégovine s'est poursuivie au cours de l'automne

  3   1992 et après, à l'exception des districts de Mostar et Livno qui, eux,

  4   étaient bien sûr en territoire de la soi-disant Herceg-Bosna ou du soi-

  5   disant territoire de l'Herceg-Bosna.

  6   Et là j'avance dans le temps, le temps d'un instant, lorsque les autorité

  7   de la Bosnie-Herzégovine ont encore essayé d'établir les districts de

  8   Mostar et de Livno au cours du premier trimestre 1994 [comme interprété],

  9   Prlic et les dirigeants de l'Herceg-Bosna s'y sont opposés avec véhémence

 10   parce que c'était contraire à l'idée de la Grande-Croatie de la Banovina,

 11   tout comme les autorités ou ceux d'Herceg-Bosna n'avaient pas l'intention

 12   sincère de faire en sorte que le HVO militaire fasse partie des forces

 13   armées de l'état contrôlées par la présidence de Bosnie-Herzégovine. Ils

 14   n'avaient pas du tout non plus l'intention de démonter l'Herceg-Bosna et de

 15   la placer en conformité avec les autorités légales de Bosnie-Herzégovine

 16   reconnues par la communauté internationale, ce n'était pas du tout

 17   l'intention. Les éléments de preuve le montrent, qu'en fait, Boban, Prlic

 18   et les autres d'Herceg-Bosna, ont essayé de faire au plus vite pour aller

 19   dans le sens inverse, pas pour essayer d'assouplir leur position par

 20   rapport aux Musulmans et aux autorités. Au contraire, ils ne veulent pas

 21   repenser leur position ils veulent accélérer la cadence pour réaliser leurs

 22   objectifs.

 23   Arrive le mois de juillet 1992, les dirigeants de l'Herceg-Bosna

 24   savaient qu'ils devaient faire face et qu'ils allaient encore faire face à

 25   une opposition turbulente. Une concurrence ennuyeuse, non seulement de la

 26   présidence de Bosnie-Herzégovine et des Musulmans mais aussi de la part de

 27   beaucoup de Croates modérés, notamment des éléments modérés du parti HDZ de

 28   Bosnie-Herzégovine et de deux organisations croates appelées le Parti

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  1   croate des droits et le HOSV, les forces de défenses croates. Boban,

  2   Praljak, et les autres savaient qu'ils seraient difficile d'avancer tant

  3   que ces autres factions, c'est autres forces n'étaient pas réduites au

  4   silence ou mises à l'écart.

  5   Parlant du parti-- on a parlé de Kljuic, dans le fond, il a disparu de la

  6   circulation et maintenant nous savions qu'il y a maintenant une grosse

  7   altercation avec Brkic, autre modéré, et entre Brkic et Tudjman.

  8   Alors que des gens comme Boban, Boras et Kordic parlaient souvent du HDZ de

  9   Bosnie-Herzégovine comme si c'était leur parti à eux, vers le milieu de

 10   l'année 1992, la section du HDZ en Bosnie s'était avérée n'être pas un

 11   vecteur parfaitement fiable de ceux de l'Herceg-Bosna pour réaliser leurs

 12   objectifs, en tout cas tant que la ligne dure n'avait pas assis son

 13   contrôle sur le parti au cours de l'automne 1992.

 14   Les dirigeant de parti, des gens comme Kljuic, Brkic, et les autres,

 15   donnaient du fil à retordre à Boban et à ses compatriotes de l'Herceg-Bosna

 16   à un tel point que les dirigeants de l'Herceg-Bosna et du HVO ont, en

 17   grande partie, abandonné le parti lorsque arrive la fin du printemps 1992,

 18   ou disons-le autrement, n'étaient pas d'accord pour qu'ils soient là.

 19   Brkic, président en exercice, avait dit à Tudjman que dans le fond, on se

 20   demandait si le travail du parti était suspendu et qu'il fallait un congrès

 21   du parti.

 22   Mais Tudjman n'était pas du tout favorable à cette idée d'un congrès du HDZ

 23   de Bosnie-Herzégovine à l'époque, et à notre avis, précisément pour cette

 24   raison-là parce qu'organiser un congrès du HDZ en Bosnie-Herzégovine alors

 25   que s'y trouve encore Kljuic, Brkic, et autres modérés dans des positions

 26   de ce parti serait dangereux.

 27   Zdenko Cosic, fonctionnaire du parti, le dit à une réunion qu'il a avec

 28   Tudjman le 17 septembre 1992. Tudjman a dit qu'il avait des réserves face à

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  1   l'idée d'un congrès que proposait Brkic, je le cite, "il n'est pas très

  2   souhaitable d'organiser un congrès de parti à l'heure qu'il est." Il s'agit

  3   de la pièce P0498.

  4   L'accusé Petkovic et le témoin de la Défense Filipovic ont confirmé que

  5   vers le milieu de l'année 1992, le HDZ de Bosnie-Herzégovine n'était plus

  6   actif, n'était plus un facteur de poids pendant la guerre. Petkovic le dit

  7   lorsqu'il témoigne : "…le HDZ avait gelé ses activités. Je ne pense pas

  8   qu'il s'était défait, qu'il s'était démantelé, mais il avait simplement

  9   arrêté, gelé ses activités.

 10   "Ce qui veut dire qu'il n'y a pas eu de réunion du parti à quelque niveau

 11   que ce soit. Donc, au cours de la guerre, il a tout simplement cessé de

 12   fonctionner.

 13   "Il n'y avait pas réunion, il ne faisait rien, le parti ne se réunissait

 14   pas et ne prenait pas de décisions."

 15   Un instant de réflexion, bien sûr je relève certains points au fur et à

 16   mesure, et peut-être que nous y reviendrons de façon plus précise demain.

 17   Il y a plusieurs équipe de la Défense qui ont, de temps à autres, affirmé

 18   ceci : Mais où était ces autres postes de pouvoir alternatifs ? Prlic

 19   n'était pas responsable, disent-ils, parce que c'était le parti qui avait

 20   le pouvoir, c'étaient les municipalités qui avaient le pouvoir. Nous allons

 21   revenir sur ces points pour vous expliquer pourquoi ce n'est pas vrai. Mais

 22   voici un de ces points parce qu'on va peut-être montrer du doigt, mais vous

 23   savez dans le fond, c'était le parti HDZ de Bosnie-Herzégovine qui avait le

 24   pouvoir. Non, non -- allons, allons, le parti ne fonctionnait même pas

 25   pendant cette période. Petkovic et Filipovic, un accusé, un temoin à

 26   décharge le confirme, ils faisaient rien, ce n'était pas vraiment une base

 27   de pouvoir dans le parti.

 28   Le commandant du HVO Filipovic le dit, je lui soumets la question dans le

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  1   procès Kordic.

  2   "Question : Vous avez dit dans ce procès que le parti politique qui

  3   s'appelait HDZ de Bosnie-Herzégovine, donc en Bosnie du HDZ, que ce parti

  4   politique, à partir de juin 1992, n'était pas actif, en tout cas qu'il

  5   avait au fond cesser d'exister. Est-ce que vous maintenez ce que vous avez

  6   alors déclaré ?

  7   "Réponse : Dans le domaine où j'étais, il a été dit qu'il avait gelé ses

  8   activités, le parti.

  9   "Question : Très bien. Et ailleurs, lorsque vous avez déposé dans le procès

 10   Kordic, je vous cite : 'Au cours de l'été 1992, le parti a officiellement

 11   cesser de fonctionner'. Donc c'est en rapport avec ce que vous avez dit ?

 12   "Réponse : Oui oui. Disons, qu'on a gelé les actions, on a plus rien fait,

 13   oui, j'insiste, on va même plus loin."

 14   Voici ce qu'il dit ici. Là je crois qu'on a peut-être sauté quelque chose.

 15   Excusez-moi, Messieurs les Juges, petit problème. C'est toujours de ma

 16   faute, c'est vrai.

 17   Petkovic dit ceci :

 18   "Lorsque vous avez déposé dans le procès Kordic, page 26 804 et 805…

 19   "Question : Certains des observateurs internationaux ont dit que les

 20   attaques de l'armées du HVO étaient soumis à un contrôle politique

 21   omniprésent exercé par le HDZ. Est-ce que c'est vrai, est-ce que le parti

 22   contrôlait, avait de ce fait contrôle ?

 23   Milivoj Petkovic, sous serment dit :

 24   "Messieurs les Juges, ce n'est pas vrai. Enfin c'est une autre paire de

 25   manche lorsqu'on a notre commandant suprême mais qui sait, est-ce que c'est

 26   Boban, non, ce n'est pas Izetbegovic."

 27   C'était le numéro du HDZ dans le parti, mais ce n'était pas nécessairement

 28   vrai, en tout cas, de jure, à cette époque là, petit commentaire de ma

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  1   part.Je reprends ce que disait Petkovic.

  2   "Mais je ne vois pas que le HDZ aurait pu faire fonctionner l'armée, comme

  3   parti, qu'il aurait pu imposer sa volonté sur les militaires. A ma

  4   connaissance, je pense que les activités du parti, elles ont été gelées,

  5   suspendues pendant un certain temps.

  6   "Question : C'est bien ce que vous avez dit à l'instant ?

  7   "Réponse : Oui c'est exact."

  8   Le HDZ ne fonctionnait pas, il était inactif, il était en suspension. Il

  9   n'y avait pas d'autre base de pouvoir ailleurs. Rien à quoi on peut, au

 10   côté de la Défense, attribuer la responsabilité de ce qui s'est passé.

 11   Mais il fallait aussi éliminer cette organisation qu'on appelait cette

 12   force de Défense croate, HOS. Et l'opposition bosno-croate ou la rivalité

 13   que pouvait avec l'Herceg-Bosna, c'était quelque chose qui n'était pas

 14   limité à certaines sections, ou certaines ailes du parti lui-même du HDZ.

 15   Il y avait d'autres partis politiques comme le Parti croate des droits et

 16   son aile militaire, le HOS, qui avait quand même des membres qui les

 17   soutiennent en Bosnie-Herzégovine.

 18   Sur le plan idéologique, le HOS n'est pas du tout pareil à l'Herceg-Bosna,

 19   et c'est très important cette différence parce que le HOS voulait une seule

 20   Bosnie-Herzégovine que se partageraient les Croates et les Musulmans,

 21   plutôt que d'avoir une séparation entre Serbes et Croates, que soutenaient

 22   Tudjman et ceux de l'Herceg-Bosna. Le HOS et son dirigeant, Blaz Kraljevic,

 23   reconnaissaient les autorités de la Bosnie-Herzégovine à Sarajevo plutôt

 24   que l'Herceg-Bosna à Grude et à Mostar, et reconnaissait Izetbegovic, et

 25   pas Boban, comme chef suprême.

 26   Ici, nous avons un témoin à décharge, Jurcevic, qui dit que Kraljevic, je

 27   le cite :

 28   "Soutenait la coopération entre les Croates et les Musulmans de Bosnie.

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  1   Début août 1992, le gouvernement de Sarajevo a nommé le général Kraljevic,

  2   qui est devenu ainsi membre de l'état-major principal de l'ABiH."

  3   Est-ce qu'Izetbegovic était prêt à placer à un niveau élevé de commandement

  4   un Croate, est-ce qu'il est prêt à le faire ? Est-ce que les Croates sont

  5   prêts à se subordonner à son autorité à lui ? Oui. Kraljevic le prouve.

  6   Pour toutes ces raisons, le HOS avait la popularité des Musulmans et des

  7   Croates dans beaucoup de municipalités, comme à Zenica, où il y avait plus

  8   de Musulmans que de Croates, car il y avait plus de Musulmans que de

  9   Croates dans le HOS. C'était un concurrent de taille pour le HVO, et celui-

 10   ci pouvait craindre qu'en fait, le HOS devienne la force dominante comme à

 11   Capljina ou Ljubuski.

 12   Il est facile de voir que dans ces circonstances, le HOS, qui était une

 13   organisation croate capable sur le plan militaire, qui était plutôt

 14   favorable aux autorités de Bosnie-Herzégovine à Sarajevo plutôt qu'à

 15   l'Herceg-Bosna, était considéré comme une menace pour Boban, Praljak et les

 16   autres. C'est pour cela que le 9 août 1992, Blaz Kraljevic et huit autres

 17   membres du HOS sont tombés dans une embuscade et ont trouvé la mort près de

 18   Mostar, à Krusevo.

 19   Je reprends ce que disait le témoin à décharge Jurcevic, et il a dit

 20   que cette partie-ci de son rapport était parfaitement exacte. Je le cite :

 21   "En raison des nombreuses différences qu'il y avait entre certains éléments

 22   du HVO et le HOS, Kraljevic a vite été tué au cours d'une embuscade près de

 23   Mostar.

 24   "A ce moment-là, il y a eu entre le HOS et le HVO un conflit armé

 25   généralisé qui a pu être évité grâce à un accord signé le 23 août 1993 par

 26   Mate Boban et le chef de l'état-major principal du HOS, Ante Prkacin.

 27   "Après cela, le HOS a été tout à fait démantelé et les groupes ou des

 28   individus qui en faisaient partie ont été mutés dans le HVO ou l'armée de

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  1   la BiH."

  2   Après l'assassinat de Kraljevic, le HVO a rapidement pris le contrôle de

  3   beaucoup d'unités du HOS. Ivica Primorac, qui était l'adjoint de Kraljevic,

  4   avant sa défection, lorsqu'il est passé au HVO, et avant l'assassinat de

  5   Kraljevic, il avait rencontré plusieurs fois Mate Sarlija, alias Daidza. Il

  6   avait aussi rencontré Praljak et il avait parlé à Boban. Et ce fameux

  7   Primorac allait devenir le chef adjoint de l'état-major principal du HVO

  8   chargé des unités professionnelles, poste qu'il allait occuper jusqu'en

  9   août 1993. Donc, il avait été chef adjoint du HOS. Il y a un accord qui est

 10   conclu avec le HVO et la récompense à la clé, c'est un poste de

 11   responsabilité dans le HVO.

 12   Comme l'a confirmé Jurcevic, peu après la défection de Primorac, qui est

 13   passé du HOS au HVO, et l'assassinat de Kraljevic, une grande partie du HOS

 14   a été subordonnée au HVO grâce à un accord signé par Boban.

 15   Praljak l'a confirmé à Franjo Tudjman. Il a dit que lui, Praljak, je le

 16   cite, "avait personnellement participé, avec Prkacin, à la 'destruction du

 17   HOS'".

 18   Il y a eu une rencontre dans le bureau de Tudjman le 26 septembre

 19   1992. Le président croate est indigné de voir Prkacin s'appeler un

 20   "général" de l'armée croate, et il essaie de le punir. Praljak intervient

 21   en son nom :

 22   "Monsieur le président, je vous en prie, j'aimerais vous dire que ce

 23   n'est pas si simple que ça.

 24   "Franchement, nous avons utilisé M. Prkacin. Moi personnellement et

 25   avec d'autres, nous avons travaillé à la destruction du HOS avec lui, là-

 26   bas. Il a fait du bon travail là-bas."

 27   Effectivement, il a fait du bon boulot pour Praljak et le HOS est

 28   détruit; mission accomplie.

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  1   Lorsque arrive le milieu de l'année 1992, les constantes du nettoyage

  2   ethnique étaient déjà bien connues et on en avait beaucoup parlé.

  3   Dans son rapport du 27 octobre 1992, le rapporteur spécial Mazowiecki

  4   le dit.

  5   "Ce rapporteur spécial partage l'avis qu'ont beaucoup, beaucoup

  6   d'observateurs, l'objectif principal du conflit militaire qui sévit en

  7   Bosnie-Herzégovine, c'est l'établissement d'une région ethniquement

  8   homogène. Le nettoyage ethnique ne semble pas être la conséquence de la

  9   guerre, mais plutôt son objectif, objectif qui, dans une large mesure, a

 10   déjà été réalisé par des meurtres, des exactions, des passages à tabac, le

 11   viol, la destruction de biens, de maisons, et de menaces."

 12   Les caractéristiques et les constantes du conflit sont bien connues

 13   dans ce rapport. Là, vous avez entendu Nicholas Miller, qui est le témoin

 14   expert de l'Accusation et qui répond à la question suivante. C'est la pièce

 15   P10239. Il répond à plusieurs questions qui lui ont été posées :

 16   "Question : Quelles sont les caractéristiques, les constantes de la

 17   guerre ou des guerres en ex-Yougoslavie qui ont fait l'objet de beaucoup de

 18   rapports, reçus beaucoup de publicité, arrivés le milieu ou la fin de

 19   l'année 1992 ?"

 20   Question suivante :

 21   Question : "Le précédent qu'a constitué la guerre en Croatie et les

 22   premiers mois de la guerre en Bosnie, est-ce que la violence ethnique

 23   dirigée contre des civils sous forme d'assassinats, d'expulsions et de

 24   viols, est-ce que c'est probable ?"

 25   Réponse de Miller :

 26   "Les nombres de civils qui sont victimes d'actes de persécution,

 27   d'attaques, de transferts forcés, c'était quelque chose de notoire, de bien

 28   connu en Croatie et en Bosnie-Herzégovine en 1991 et 1992."

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  1   "La tentative de subjuguer des populations, de prendre des territoires,

  2   allait forcément entraîner de la violence sur les civils, des meurtres, des

  3   destructions à grande échelle, des expulsions forcées et d'autres actes

  4   répréhensibles."

  5   Et il ajoute que :

  6   "De tels actes se sont déjà manifestés au cours du conflit qui a sévi en

  7   Croatie et en Bosnie-Herzégovine fin 1992 et après."

  8   Miller dit que les guerres balkaniques des années 1990 -- qu'au cours de

  9   ces guerres, je le cite, "les civils sont devenus le centre de l'attention

 10   des parties belligérantes, qui n'essayaient pas simplement de vaincre un

 11   ennemi, mais essayaient de débarrasser un territoire de l'un ou l'autre

 12   groupe ethnique, en partie ou en tout."

 13   De cette façon, je le recite, "l'ethnicité, c'était le carburant qui a

 14   alimenté ce conflit, et la conquête territoriale, le nettoyage, c'était

 15   l'objectif poursuivi."

 16   La violence armée à grande échelle, ce n'était pas par hasard ethnique.

 17   C'était, je le cite, "en fait, ici même au cœur du conflit se trouvait la

 18   question de l'ethnicité."

 19   Certains types de comportements, de pratiques, ont vite connu beaucoup de

 20   publicité, étaient bien connus, étaient prévisible :

 21   "Un thème régulier, un fil rouge. C'était connu internationalement et au

 22   plan local, c'était qu'on avait des villages, des villes qui étaient

 23   barricadés."

 24   Je ne sais pas est-ce qu'on peut -- quand on dit "villes

 25   barricadées", on peut parler de siège. En 1991, pendant l'été et l'automne

 26   1992, les caractéristiques les plus saillantes d'un conflit basé sur

 27   l'ethnicité, les pratiques, les constantes de comportement dans de tels

 28   conflits ont de plus en plus fait l'objet de rapports, de publicité, ont

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  1   bien été reconnus et compris. Attaques de civils, transferts de populations

  2   forcés, détentions à grande échelle était devenus des composantes bien

  3   connues de ce qu'on appelait déjà le nettoyage ethnique.

  4   Vers le milieu de l'année 1992, il y avait de plus en plus de

  5   résolutions des Nations Unies, de rapports, d'autres communications

  6   onusiennes qui décrivaient avec la plus grande inquiétude l'évolution, les

  7   caractéristiques des conflits en Yougoslavie. Autre dénominateur commun de

  8   ce que disaient les médias, c'était "le traitement barbare réservé aux

  9   détenus". Et on disait aussi que les réfugiés, les personnes déplacées

 10   étaient devenues des pions, et que dans la "réinstallation des réfugiés,

 11   c'était un outil, un moyen de nettoyage ethnique."

 12   Comme le disait Mazowiecki dans son rapport du 28 août :

 13   "La détention de civils, on s'en sert manifestement comme étant une façon

 14   de faire pression sur ces civils pour qu'ils quittent le territoire. Bien

 15   sûr, dans bien des cas, après avoir accepté de partir, ils sont obligés de

 16   signer les documents par lesquels ils renoncent à tous leurs droits de

 17   propriété, où ils indiquent qu'ils sont prêts à donner leurs propriétés au

 18   gouvernement local."

 19   Autant de phénomènes qui étaient bien connus, qui ont fait l'objet de

 20   beaucoup de rapports et d'articles, qu'on connaissait et qui étaient

 21   reconnus publiquement à la fin de l'année 1991. De cette façon, je cite :

 22   "Les dirigeants politiques et militaires, les différentes factions des

 23   groupes musulmans, croates et serbes et les organisations avaient toute

 24   raison de croire que ce qu'allaient apporter la poursuite et l'expansion

 25   des conflits. L'objectif de la séparation territoriale de la Bosnie basée

 26   en grande partie sur l'ethnicité avait été affichée, elle était prévisible

 27   et elle était pratiquement prise pour acquise par les dirigeants politiques

 28   et militaires serbes et croates au début de l'année 1992. Dans ce contexte,

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  1   et vu la présence des médias en Herzégovine occidentale, les dirigeants

  2   militaires et politiques croates de Croatie et de Bosnie ont commencé à se

  3   préparer à une guerre qu'ils pensaient inévitable et souhaitable."

  4   C'est une citation de la pièce 10239, page 11.

  5   Miller le dit dans ce rapport, je le cite :

  6   "Pour dire simplement, la guerre en Bosnie, elle s'est enclenchée de

  7   façon prévisible suivant un scénario de constantes et de pratiques déjà

  8   écrit en Croatie, mais ici avec plus d'intensité."

  9   Et d'ailleurs, on n'est même pas encore en 1993. On n'est qu'au

 10   milieu de l'année 1992. Le nettoyage ethnique en Herzégovine même faisait

 11   déjà l'objet de beaucoup de publicité. Un journaliste de Vreme dit, en août

 12   1992, ceci : En juillet 1992, les représentants de la Croix-Rouge sont

 13   allés dans des camps et prisons à Mostar, Ljubuski, Capljina, et au cours

 14   de l'année, depuis le début du conflit, je le cite, "des violations du

 15   droit humanitaire et des droits de l'homme ont été commises par toutes les

 16   parties au conflit, et c'est devenu monnaie courante, surtout en ce qui

 17   concerne la population civile."

 18   En août 1992, l'existence de camps du HVO à Ljubuski et à Capljina,

 19   c'était connu en Occident, le fait que le reporter spécial, M. Mazowiecki,

 20   vers le milieu de l'année 1992, faisait déjà rapport sur l'existence et le

 21   fonctionnement de quatre camps de détention sur le territoire bosno-croate,

 22   Livno, Mostar, Orasje et Rascani. C'est révélateur.

 23   Miller dit ceci :

 24   "Les médias croates ont beaucoup parlé de tout l'éventail des événements,

 25   de toute cette panoplie. La presse serbe et la presse internationale aussi.

 26   Toute personne modérément informée qui vivait et travaillait en ex-

 27   Yougoslavie devait forcément être au courant de cette évolution des

 28   événements, de ces articles, et les caractéristiques étaient courantes et

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  1   connues."

  2   Un exemple : M. Tudjman lui-même, dans une réunion qu'il a avec des

  3   dirigeants de l'Herceg-Bosna, notamment Prlic, le 17 septembre 1992, le dit

  4   expressément. Il dit : "Ce barbarisme qui est en train de se voir à l'œuvre

  5   en Bosnie-Herzégovine, qui inclut une extermination mutuelle et

  6   réciproque."

  7   Manifestement, les actes des parties belligérantes pendant ce milieu de

  8   l'année 1992 indiquent clairement que si on tuait des civils, si on les

  9   forçait à partir, s'il y avait destruction à grande échelle, ça allait

 10   forcément entraîner le fait qu'un groupe allait être assujetti à l'autre.

 11   Et Warren Zimmermann l'avait déjà dit, il avait averti Franjo Tudjman

 12   de ce qui allait se passer à cause de cette politique : 

 13   "La guerre, elle va régner en Bosnie si vous essayez de diviser la

 14   Bosnie. Vous ne pensez pas que les Musulmans vont réagir ? Ce que vous

 15   proposez défie et ignore les droits qu'a une grande partie de la population

 16   de Bosnie."

 17   Tout était clair -- en tout cas, plusieurs choses étaient claires

 18   vers la fin du mois de juillet 1992, à l'exception de tel ou tel obus qui

 19   tombait ou d'un incident local. Les combats entre les Serbes et les Croates

 20   dans la zone de Mostar s'étaient terminés. Une Chambre l'a établi. "La

 21   plupart des Serbes avaient quitté Mostar ou en avaient été chassés." Prlic

 22   le confirme quelques semaines plus tard dans une réunion avec Tudjman le 17

 23   septembre 1992, où il dit :

 24   "Nous ne sommes pas entrés dans un seul village serbe. Nous n'en

 25   voulons pas, d'ailleurs."

 26   Le vrai conflit, que ce soit en Herzégovine ou dans beaucoup de

 27   parties de la Bosnie centrale, maintenant, il oppose les Croates et les

 28   Musulmans, comme la Chambre l'a déterminé en acceptant des faits déjà jugés

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  1   -- en faisant des constats judiciaires. Et c'est devenu de plus en plus

  2   clair, les autorités de Bosnie-Herzégovine et les Musulmans, de façon

  3   générale, à quelques exceptions près, n'acceptaient pas l'Herceg-Bosna, s'y

  4   opposaient de plus en plus.

  5   Et il y a un appel à la coopération à la mi-juillet 1992, les

  6   dirigeants musulmans de Mostar et des environs, avec Smajkic,

  7   Hadziosmanovic, Rajic et Miro Mahmutcehajic protestent contre la nature

  8   monoethnique de l'administration. Il y a des avertissements disant qu'il

  9   n'y a pas d'accord. Ils exhortent à ce qu'il y ait un même statut pour les

 10   combattants musulmans et croates, qu'il y ait un commandement conjoint

 11   pluriethnique et que la police civile et militaire soit organisée sur une

 12   base proportionnelle, conformément au statut des forces armées de la

 13   République de Bosnie-Herzégovine. Les dirigeants musulmans demandent que

 14   soient reconnus le bosniaque comme le croate en tant que langues

 15   officielles et que les symboles de la République de Bosnie-Herzégovine

 16   soient introduits. C'est aussi simple que ça. On demande de réintroduire ce

 17   qui est la symbolique même d'un Etat reconnu.

 18   On demande que les deux groupes ethniques établissent ensemble un

 19   programme universitaire et qu'en fait, le personnel universitaire soit

 20   aussi sur une base d'égalité. On demande à ce que ce qui était la propriété

 21   de la JNA soit maintenant répartie. Mais tout ça est resté lettre morte. Le

 22   HVO était sourd à ces demandes, et ceci n'a fait qu'accroître les tensions

 23   qui allaient déboucher sur un conflit ouvert.

 24   Il y a eu des protestations similaires, des demandes similaires dans

 25   une pétition faite par les Musulmans d'Herzégovine le 8 août 1992. Ils

 26   voulaient un Etat unique et indivisible et ne reconnaissaient "aucune

 27   création d'Etat parallèle". Cette pétition demandait que le drapeau et les

 28   armoiries de la Bosnie-Herzégovine soient utilisés, ainsi qu'il y ait

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  1   égalité parfaite entre les langues croate et serbe. Beaucoup de ces choses

  2   ont été redites, mais avec encore plus d'urgence dans une lettre au

  3   président de la HZ HB par le président du comité régional du SDA. C'est

  4   envoyé donc à Boban, à Prlic, président du gouvernement, Pazin [phon],

  5   c'est envoyé au président du HDZ de la République de Bosnie-Herzégovine et

  6   au président du gouvernement du HVO de Mostar, Ibrahim Topic [phon]. Ils

  7   ont répété des revendications pour qu'il y ait des insignes communs,

  8   l'égalité dans l'armée et l'utilisation du drapeau de la Bosnie-

  9   Herzégovine, mais en plus, on demande liberté de circulation pour tous les

 10   citoyens et même traitement au niveau des postes douaniers.

 11   C'était clair. C'était bien connu. Tudjman et les dirigeants

 12   politiques et militaires de l'Herceg-Bosna, ils savaient qu'Izetbegovic,

 13   les autorités de Bosnie-Herzégovine et les Musulmans en général

 14   n'accepteraient pas l'Herceg-Bosna, n'étaient pas d'accord pour avaliser ce

 15   qui avait été l'accord. Donc vous avez Petkovic, Prlic, Praljak et d'autres

 16   qui, à ce moment-là, reconnaissent que les relations avec les Musulmans

 17   sont mauvaises, qu'il n'y a pas d'accord avec les Musulmans, qu'un conflit

 18   ouvert, déclaré, était prévisible et même inévitable, et qu'avec la

 19   politique de Tudjman et le para-Etat que constituait l'Herceg-Bosna, on

 20   allait droit au mur avec l'opposition musulmane.

 21   L'accusé Petkovic fait un briefing important à la présidence de la HZ

 22   HB le 3 juillet 1992, avant ces réunions importantes des 5 et 21 juillet

 23   avec Tudjman. C'est Petkovic qui parle. Il dit : "Les relations avec les

 24   Musulmans," et quand il parle d'eux, il parle des groupes ethniques

 25   minoritaires dans ces régions. Ce n'est pas vrai, parce que les Musulmans

 26   n'étaient pas minoritaires à Stolac, à Jablanica ou à Konjic, mais lui,

 27   c'est comme ça qu'il les appelle. Il n'en demeure pas moins que Petkovic

 28   dit que "les rapports avec les Musulmans sont mauvais, médiocres."

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  1   Le président Brkic en exercice du HDZ en Bosnie-Herzégovine avait dit

  2   à Tudjman le 5 juillet qu'il y avait beaucoup de laisser-aller, "que les

  3   relations avec les Musulmans devenaient de plus en plus compliquées".

  4   Et il y avait eu cet accord de liberté le 21 juillet, où Izetbegovic

  5   rejetait carrément et clairement l'Herceg-Bosna.

  6   "Mais écoutez, n'essayez pas de nous vendre cette histoire, on

  7   n'accepte pas l'Herceg-Bosna, parce que si on emprunte cette voie, elle va

  8   mener à la guerre." Hélas, il parle des constantes, des pratiques, du

  9   nettoyage ethnique, et dit : Voilà, c'est ce qui se passe, et ce conflit en

 10   présente toutes les caractéristiques. Ici, vous allez droit à la guerre.

 11   Les Musulmans ne sont pas d'accord, ils n'acceptent pas l'Herceg-Bosna. Si

 12   vous insistez, c'est là qu'on va.

 13   Je vous l'ai déjà dit, Stojic avait déjà dit à la présidence de la HZ

 14   HB, après avoir rencontré les autorités le 14 août, il avait dit qu'un

 15   accord avec les Musulmans était impossible.

 16   Autre réunion à Zagreb le 29 août 1992. Tudjman est là,  Izetbegovic, et

 17   deux faits fondamentaux sont une fois de plus très clairs. Premier fait,

 18   c'est Tudjman qui tire les ficelles du côté croate, avec Boban qui,

 19   parfois, le rejoint, mais il s'en remet toujours à Tudjman. Deuxième fait,

 20   il n'y a toujours pas d'accord politique entre les Croates et les Musulmans

 21   en ce qui concerne l'Herceg-Bosna. Mais Tudjman et Boban insistent quand

 22   même pour avoir un espace croate séparé. Ils disent :

 23   "Nous voulons avoir cet espace là-bas avec une autorité relative,

 24   l'autorité du peuple croate."

 25   C'est la pièce 00414.

 26   Tudjman essaie une fois de plus d'acheter l'acceptation d'Izetbegovic en le

 27   conditionnant à une participation du HVO à un commandement conjoint à

 28   Sarajevo. On revient à la même chose. Ecoutez, oui, on veut faire partie de

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  1   la même armée. C'est la même grande famille des forces armées. Mais ce

  2   n'était pas vrai. Et ça, c'est prouvé parce que Tudjman dit : Si vous

  3   acceptez l'Herceg-Bosna, le HVO va vous rejoindre. C'est ça la question

  4   préalable qu'il pose. Si vous acceptez l'Herceg-Bosna, oui, d'accord, on

  5   fera avec.

  6   Tudjman affirme, je le cite :

  7   "Un accord sur le commandement conjoint doit être obtenu. Cependant, un tel

  8   accord n'est pas possible sans qu'il y ait eu au préalable un accord entre

  9   les Musulmans et les Croates de Bosnie."

 10   Là encore, c'est une solution politique générale qui est évoquée. Là

 11   encore, nous avons la pièce P00414.

 12   Donc Tudjman est tout à fait clair, à savoir le HVO prendra part à un

 13   commandement conjoint avec les forces armées de l'Etat de Bosnie uniquement

 14   si vous nous donnez la Herceg-Bosna au préalable.

 15   Là encore, nous avons un conflit tout à fait clair, une contradiction

 16   entre une Bosnie pluriethnique, de citoyens placés sous un pied d'égalité,

 17   un modèle de régions ethniques séparées avec une souveraineté et un

 18   contrôle qui lui reviennent.

 19   Le 11 septembre 1992, une réunion se tient avec Tudjman pour discuter

 20   de la situation militaire en Bosnie. Praljak dit à Tudjman et à Susak, je

 21   cite :

 22   "La guerre avec les Musulmans peut être anticipée, donc il n'y a pas

 23   d'accord avec les Musulmans. Le conflit est inévitable."

 24   Et Praljak rend compte à son chef Tudjman et lui dit : On peut

 25   s'attendre à une guerre avec les Musulmans.

 26   Susak répond tout simplement :

 27   "Nous étions au courant de cette situation depuis plus d'une semaine,

 28   et nous avons fait des préparatifs. Nous avons pris les mesures qui

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  1   s'imposaient. Donc, Monsieur Praljak, nous vous devançons, nous savons

  2   qu'une guerre va éclater avec les Musulmans et nous avons déjà entamé des

  3   préparatifs."

  4   Pièce P00466, page 51.

  5   Quelques jours plus tard, le 17 septembre 1992, Tudjman rencontre

  6   d'autres conseillers haut placés et d'autres dirigeants de l'Herceg-Bosna -

  7   - enfin, du HVO, y compris Boban et Prlic, et il comprend tout à fait

  8   qu'aucun accord n'a été passé avec Izetbegovic et que sa politique d'envoi

  9   de forces croates en Bosnie est quelque chose qui est révélé maintenant à

 10   tout le monde.

 11   Donc il s'agit de la pièce P00498, pages 69 à 72.

 12   Tudjman, je le cite :

 13   "Ici, nous sommes au bureau de Tudjman à Zagreb, nous avons eu de

 14   longs débats où Izetbegovic a souligné que le HVO pouvait être reconnu en

 15   tant que puissance militaire, mais non pas politique. Et lorsque nous avons

 16   signé un accord ici, Izetbegovic ne souhaitait pas d'accord militaire. Et

 17   je vais vous demander une chose : montrez-moi un citoyen croate qui

 18   souhaite faire la guerre, guerre illégale en Bosnie-Herzégovine.

 19   Comment est-ce que nous pouvons juger un soldat croate qui refuse d'y

 20   aller, puisque nous sommes en train de dire que seuls les volontaires y

 21   vont ? Donc nous sommes dans une situation très délicate s'agissant, d'une

 22   part, de nos propres citoyens et nos propres militaires, et d'autre part,

 23   par rapport au monde extérieur. Donc il n'a pas voulu signer cet accord.

 24   Pourquoi ? Demandez-le-lui."

 25   Donc, ça, c'est Tudjman à la mi-septembre. Pas d'accord. Aucune

 26   couverture. Nous sommes en train de mener une guerre illégale en Bosnie.

 27   Pourquoi ne signe-t-il pas cet accord ? Je ne le sais pas.

 28   Tudjman lui-même, dans le débat tout à fait express portant sur

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  1   l'accord d'amitié le 26 septembre 1992, dans une réunion du conseil Suprême

  2   croate, reconnaît encore une fois qu'il n'y a pas d'accord politique et il

  3   regrette que les Musulmans ne soient pas prêts d'accepter les structures

  4   parallèles. Et là, il se réfère à des négociations antérieures :

  5   "Lorsque nous avons signé cet accord," donc c'était en juillet 1992,

  6   "nous avons proposé une clause militaire qui a été rejetée par Izetbegovic.

  7   "Et j'ai dit puisque nous avons déjà parlé de cela, puisque nous ne

  8   voulons pas nous limiter uniquement à la coopération militaire, pour autant

  9   que les intérêts de la Croatie sont concernés, nous ne devrions pas nous

 10   concentrer sur une guerre à long terme, mais sur une solution politique.

 11   "Et nous avons fait un projet à ce moment-là qu'il a signé, mais

 12   uniquement pour qu'il puisse s'approvisionner en passant par notre

 13   territoire."

 14   Apparemment, Tudjman se sent libre de parler tout à fait librement

 15   lorsqu'il est parmi les siens et - que dit-il - même dans ces zones, les

 16   zones croates où le HVO exerce le contrôle. Donc il dit à quel point il est

 17   ennuyé que le gouvernement de Bosnie-Herzégovine veuille exercer sa

 18   souveraineté.

 19   Pièce 00524, page 6.

 20   Le ministre de la Défense croate est sur la même ligne. Il   dit :

 21   Monsieur le Président, nous n'allons pas accepter cet exercice de la

 22   souveraineté sur le territoire de l'Herceg-Bosna.

 23   Et Tudjman conclut en disant :

 24   "Nous allons dire ouvertement à Izetbegovic lorsqu'il sera venu ici

 25   ce que nous avions dit au début. Il n'est pas question d'un gouvernement

 26   militaire et civil exercé par eux dans les zones qui revenaient

 27   antérieurement à la banovina croate."

 28   Et Praljak a reconnu entièrement face à Ratko Mladic, le 5 octobre

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  1   1992, impliquant Prlic et Stojic, que les Croates n'avaient pas passé

  2   d'accord avec Izetbegovic : L'accord entre Tudjman et Alija ne comporte

  3   rien du tout. Les Croates n'ont pas d'accord avec Izetbegovic. C'est un

  4   accord vide de sens.

  5   Revenons maintenant au 21 septembre 1993. Tudjman confirme - c'est un

  6   an plus tard - qu'il n'a passé aucun accord véritable avec Izetbegovic. Il

  7   dit :

  8   "Nous avons essayé de signer. Comme vous le savez, j'ai signé un

  9   accord avec les Musulmans à l'été. L'année dernière, nous avons proposé un

 10   accord militaire à Izetbegovic qui permettrait que l'on fasse participer

 11   légalement l'armée. Il ne l'a pas accepté. Puisque nous n'avions pas

 12   d'accord militaire, nous nous sommes trouvés dans une situation délicate

 13   avec nos militaires croates. Nous étions en guerre et nous ne pouvons pas

 14   dire que nous sommes en guerre et toutefois, nous les envoyions là-bas. Les

 15   gens ne l'accepteraient pas et donc, ils ont déserté."

 16   Bref, en juillet-août 1992, Tudjman, Susak et le HVO de l'Herceg-

 17   Bosna, représenté par ses dirigeants politiques et militaires, y compris

 18   les accusés, savaient ou devaient ou devaient savoir quelle était la nature

 19   ou les circonstances des conflits qu'ils vivaient ainsi que le fait qu'il y

 20   a eu des actes de violence interethnique commis sur le territoire de l'ex-

 21   Yougoslavie. Ils connaissaient les constantes des attaques sur les villes

 22   et les villages, des expulsions massives, les destructions généralisées, le

 23   mauvais traitement des prisonniers, et cetera. Je cite ce qu'a dit Miller :

 24   "Toute personne ayant un minimum d'information, vivant et travaillant dans

 25   l'ex-Yougoslavie, était obligée de savoir quelle était l'évolution de la

 26   situation, connaissait ces informations, les caractéristiques, les

 27   pratiques du conflit mené dans les Balkans."

 28   Donc, au milieu de l'année 1992, il était tout à fait clair qu'on tuait des

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  1   civils, qu'on les expulsait, qu'on détruisait de manière généralisée les

  2   biens. Qui plus est, Tudjman, Susak et les dirigeants politiques et

  3   militaires du HVO, y compris les accusés, savaient qu'Izetbegovic, les

  4   autorités de l'Etat de Bosnie-Herzégovine et la grande majorité des

  5   Musulmans n'acceptaient pas l'Herceg-Bosna et, qui plus est, montraient de

  6   plus en plus leur hostilité à la Herceg-Bosna. Tudjman et d'autres savaient

  7   qu'ils n'avaient pas passé d'accord politique avec les Musulmans. Tudjman

  8   et les accusés devaient faire face à un tournant. J'aimerais m'en tenir à

  9   cela pour aujourd'hui. Nous estimons que c'est un tournant dans la suite

 10   des événements.

 11   En août-septembre 1992, avant Prozor, qui aura lieu en octobre, Tudjman et

 12   les autres savaient qu'ils n'avaient pas d'accord avec les Musulmans. Donc,

 13   ils se sont trouvés confrontés à une décision à prendre. L'Herceg-Bosna et

 14   la Banovina n'allaient pas pouvoir voir le jour par des moyens pacifiques.

 15   Les autorités de Bosnie-Herzégovine et les Musulmans n'allaient pas céder,

 16   n'allaient pas accepter la politique croate. Tout simplement, ils ne

 17   marcheraient pas avec. Tudjman et les accusés pouvaient soit assouplir

 18   leurs positions, ou même revenir sur leurs projets, ou ils pouvaient passer

 19   au cran supérieur en sachant que s'ils le faisaient, et bien, il y a allait

 20   y avoir des conséquences terribles de leurs actions, compte tenu des crimes

 21   ethniques, des destructions et des déplacements qui s'étaient déjà

 22   produits, malheureusement. Donc, Tudjman et les accusés auraient pu soit

 23   revenir sur leur projet et dire : Tant pis, soit aller au-delà de ce qu'ils

 24   avaient atteint à ce stade. Malheureusement, pour des dizaines de milliers

 25   de Musulmans et de Croates qui en seront touchés d'une manière ou d'une

 26   autre en perdant leurs fils et leurs filles, leurs pères et leurs mères,

 27   leurs sœurs et leurs frères, et tout ce qu'ils avaient, Tudjman et les

 28   accusés ont choisi cette deuxième option. Des événements tragiques ont

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  1   entraîné les parties dans une guerre en 1993.

  2   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Comme vous le savez, nous continuerons demain

  3   matin à 9 heures. D'ici-là, je souhaite à tout le monde une bonne fin de

  4   soirée.

  5   --- L'audience est levée à 18 heures 58 et reprendra le mardi 8 février

  6   2011, à 9 heures 00.

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