Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le jeudi 5 mai 2011

  2   [Audience de la Règle 98 bis Jugement]

  3   [Audience publique]

  4   [L'accusé est introduit dans le prétoire]

  5   --- L'audience est ouverte à 14 heures 18.

  6   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Greffier, pouvez-vous appeler le

  7   numéro de l'affaire, s'il vous plaît.

  8   M. LE GREFFIER : [interprétation] Merci, Monsieur le Président,

  9   Madame et Messieurs les Juges. Affaire IT-03-67-T, le Procureur contre

 10   Vojislav Seselj.

 11   M. LE JUGE ANTONETTI : Merci, Monsieur le Greffier.

 12   En ce jeudi, 5 mai 2011, je salue toutes les personnes présentes, M.

 13   Marcussen, Mme Biersay, leur collaborateur et collaboratrice. Je salue M.

 14   Seselj ainsi que toutes les personnes qui nous assistent.

 15   Je vais continuer la lecture de mon opinion, et j'en suis au

 16   paragraphe (C), qui est le fait d'ordonner, mode de responsabilité prévu

 17   par l'article 7(1) du Statut.

 18   L'Accusation, aux paragraphes 144 et 145 du mémoire préalable,

 19   soutient que l'accusé, je cite : "a lui-même ordonné les crimes de

 20   persécution, de meurtre, de torture, de traitement cruel et de transfert

 21   forcé à Vukovar, chefs 1, 4, 8, 9 et 11; paragraphes 15 à 18, 20 et 28, 28

 22   à 32 de l'acte d'accusation." En donnant pour consigne, je cite "aucun

 23   Oustachi ne doit quitter Vukovar vivant". Témoin VS-027.

 24   Il a de même, je cite : "ordonner les crimes de persécution,

 25   d'expulsion et transfert forcé à Hrtkovci", chefs 1, 10 et 11, paragraphes

 26   15 à 17, et 31 à 33 de l'acte d'accusation.

 27   Lors de ces meetings avec des collaborateurs et sympathisants en

 28   Vojvodine en 1991 et en 1992, et implicitement dans son discours à Hrtkovci


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  1   le 6 mai 1992. Et enfin, que l'intention de l'accusé d'ordonner les crimes

  2   à Vukovar et à Hrtkovci peut être déduite de la teneur de ses discours et

  3   entretiens et du fait que les crimes ont été effectivement -- ont

  4   effectivement eu lieu par la suite.

  5   L'Accusation s'appuie sur les Témoins VS-015, VS-026, VS-1033. En ce

  6   qui concerne la phrase tenue à Vukovar, citée ci-dessus, elle est contestée

  7   par l'accusé et le seul témoin qui rapporte ces propos n'apparaît pas,

  8   selon moi, suffisamment fiable. De ce fait, il ne peut pas être conclu que

  9   l'accusé doit être tenu responsable au titre de cette forme de

 10   responsabilité découlant de l'article 7(1) du Statut.

 11   Concernant le discours de Hrtkovci, la question se pose de savoir si

 12   les propos tenus lors de ce discours caractérisé par la phrase, je cite,

 13   "J'ai l'intime conviction que vous les Serbes de Hrtkovci et des villages

 14   alentours, vous savez comment préserver votre unité et vivre en harmonie,

 15   que vous vous débarrasserez rapidement des Croates qui restent dans votre

 16   village", constitue un ordre, d'autant que la jurisprudence citée par

 17   l'Accusation, en note de bas de page 488 et 489, et 490 dans les affaires

 18   Kordic, Blaskic, Krstic et Akayesu, suppose que la personne qui donne

 19   l'ordre soit en position d'autorité, et que la situation de l'accusé

 20   l'habilitait à donner des ordres.

 21   L'accusé, à l'époque, n'avait aucune autorité politique ou militaire,

 22   et n'avait pas la capacité de donner des ordres. L'examen du discours, par

 23   ailleurs, tenu à Hrtkovci le 6 mai 1992 confirme amplement ceci, car il

 24   rappelle qu'il y a un régime en place et une opposition avec le Parti

 25   radical serbe, et qu'il souligne dans ce discours, je cite :

 26   "Nous condamnons le régime actuel tant en Serbie que dans cette

 27   Yougoslavie tronquée."

 28   Par ailleurs, il y a une contradiction évidente résultant des modes de


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  1   responsabilité. Il ne peut d'une part lui être reproché de donner des

  2   ordres, et d'autre part d'inciter à commettre, voire à commettre. Ce ne

  3   peut être que l'une ou l'autre des formes de responsabilité. En

  4   conséquence, l'accusé, selon moi, devrait être acquitté de ce mode de

  5   responsabilité fondé sur le fait de donner des ordres.

  6   Bien. Alors maintenant je vais aborder le chapitre (D), Commettre, qui est

  7   la partie la plus importante de mon opinion.

  8   Avant d'aborder la teneur de ce chapitre, à titre liminaire je

  9   voudrais dire ceci : à la page 43 791 de la pièce P00031, l'accusé, en sa

 10   qualité de témoin dans l'affaire Milosevic, a dit ceci en répondant à une

 11   question de M. Nice sur sa déclaration solennelle à propos du Tribunal. Je

 12   cite intégralement ce qu'il a dit :

 13   "J'estime qu'il n'est pas objectif et que ce Tribunal est

 14   particulièrement partial."

 15   Je pourrais, en ce qui me concerne, balayer d'un revers de main ce

 16   type de propos dans l'appréciation des éléments de preuve, et me dire que

 17   tout ceci relève du folklore et attendre tranquillement le délibéré final

 18   pour me pencher sur la question-clé de l'entreprise criminelle commune.

 19   Faisant partie du Tribunal en ma qualité de Juge, je peux estimer que

 20   l'accusé pense que je suis a priori partial et que je ne vais pas entrer

 21   dans le fond du débat qui est l'entreprise criminelle commune du paragraphe

 22   6 de l'acte d'accusation. Eh bien, je vais le faire, en pesant au trébuché

 23   le point de vue de l'Accusation et celui de l'accusé pour aboutir à une

 24   conclusion provisoire à ce stade de la procédure. Il s'agit d'un sujet

 25   extrêmement complexe, que je ne pourrai malheureusement pas aborder sous

 26   tous ses angles, compte tenu de la procédure orale, mais auquel, néanmoins,

 27   je vais y consacrer 20 pages, soit un peu moins du tiers de mon opinion.

 28   Bien. Donc, j'aborde la responsabilité de l'accusé au sein de


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  1   l'entreprise criminelle commune.

  2   Le paragraphe 6 de l'acte d'accusation précise que, je cite :

  3   "Vojislav Seselj a participé à une entreprise criminelle commune, qui

  4   avait pour but de forcer par des crimes, tombant sous le coup des articles

  5   3 et 5 du Statut du Tribunal, la majorité des non-Serbes, notamment des

  6   Musulmans et des Croates, à quitter de façon définitive environ un tiers de

  7   la République de Croatie, de vastes portions du territoire de la République

  8   de Bosnie-Herzégovine, et certaines parties de la Vojvodine en République

  9   de Serbie, afin d'intégrer ces régions dans un nouvel Etat dominé par les

 10   Serbes."

 11   Le paragraphe 8, quant à lui, énumère les participants à cette

 12   entreprise. Je vais les citer, parce que c'est important. Slobodan

 13   Milosevic, le général Veljko Kadijevic, le général Blago Adzic, le colonel

 14   Ratko Mladic, Radmilo Bogdanovic, Jovica Stanisic, Franko Simatovic, alias

 15   Frenki, Radovan Stojicic, alias Badza, Milan Martic, Goran Hadzic, Milan

 16   Babic, Radovan Karadzic, Momcilo Krajisnik, Biljana Plavsic, Zeljko

 17   Raznjatovic, alias Arkan, d'autres personnalités politiques de l'ex-

 18   Yougoslavie de la République de Monténégro et des dirigeants serbes de

 19   Bosnie et de Croatie.

 20   De même, étaient inclus dans cette liste les forces serbes, terme

 21   désignant collectivement les membres de l'armée populaire yougoslave, JNA,

 22   rebaptisée ensuite armée yougoslave, VJ; de la Défense territoriale serbe

 23   en Croatie et en Bosnie-Herzégovine; de l'armée de la Republika Srpska

 24   Krajina, SVK; et de l'armée de la Republika Srpska, VRS; ainsi que des

 25   membres des TO de Serbie, du Monténégro; les forces de police serbe locales

 26   de la République de Serbie; les forces de la police spéciale serbe de la

 27   SAO de la Krajina et de la RSK, appelée communément la police de Martic,

 28   Marticevci; police de la SAO de Krajina ou milice de la SAO de Krajina;


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  1   ainsi que les membres des forces paramilitaires serbes, monténégrines,

  2   serbes de Bosnie et de Croatie et des unités de volontaires, notamment les

  3   Chetniks ou les Seseljevci, c'est-à-dire les hommes de Seselj.

  4   A l'appui de l'entreprise criminelle commune, le Procureur, outre les

  5   éléments de preuve qu'il cite dans ses observations orales, évoque, au

  6   paragraphe 4 et suivants de l'acte d'accusation, la participation de

  7   l'accusé à l'entreprise criminelle commune en distinguant trois grands

  8   volets, que je vais énumérer.

  9   Premièrement, l'accusé aurait usé de son pouvoir d'homme politique

 10   pour assurer la promotion dans les médias de son projet de création par la

 11   violence d'une Grande-Serbie.

 12   Deuxièmement, en qualité du président du Parti radical serbe et de

 13   chef du SCP, Vojislav Seselj aurait supervisé le recrutement,

 14   l'endoctrinement, le financement, la formation, la création, la

 15   coordination, l'approvisionnement, et l'affectation des unités de

 16   volontaires qui ont souvent donné lieu au déplacement forcé des non-Serbes

 17   vivant dans les territoires ciblés.

 18   Troisièmement, l'accusé aurait grandement contribué à la mise en œuvre de

 19   l'entreprise criminelle commune en commettant des crimes de persécution par

 20   des discours appelant à la haine à Vukovar, Zvornik, Hrtkovci, et des

 21   crimes d'expulsion et d'actes inhumains, transfert forcé à Hrtkovci.

 22   A l'appui de l'entreprise criminelle commune alléguée, les documents

 23   suivants sont cités dans le mémoire préalable de l'Accusation : le rapport

 24   Tomic, les pièces P255, P1200, P32, P1176, P34, P35, P1196, P1197, P40,

 25   P1185, P1176, P1196, P1220, P1186, P163, P34, P35, P644, P1003, P59, P513,

 26   P221 et P915.

 27   Je m'excuse de lire tous ces numéros, mais comme j'ai dit que j'entrais

 28   dans le détail de la thèse du Procureur, je me dois de citer tous ces


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  1   documents.

  2   De même, l'Accusation fait référence principalement aux témoins suivants :

  3   VS-14, VS-26, VS-1104, VS-1133, VS-007, VS-10, VS-11, VS-17, VS-27, VS-38,

  4   VS-1008 et VS-1136.

  5   Bien. Voilà donc toute la thèse du Procureur indiquée ci-dessus à partir

  6   des témoins et documents.

  7   Au stade de la procédure 98 bis, il n'est pas nécessaire de s'appesantir en

  8   profondeur sur le droit applicable en l'espèce, car pendant la phase de

  9   présentation des éléments à charge il n'y a pas de témoins ni d'experts, et

 10   encore moins d'amis de la Cour sur les questions juridiques qui ne doivent

 11   être tranchées qu'au moment du jugement final. Toutefois, je me dois de

 12   dresser une toile de fond minimale sur la notion d'entreprise criminelle

 13   commune introduite par le jugement de la Chambre d'appel à la suite de

 14   l'arrêt Tadic.

 15   Sur cette notion, la Chambre d'appel dans l'affaire Tadic, au paragraphe

 16   227 de l'arrêt, concernant les éléments matériels actus reus, a énuméré

 17   ceci, alors je vais le lire pour l'information de tous :

 18   "(i) pluralité des accusés. Etant précisée que ceux-ci ne doivent pas

 19   nécessairement relever d'une structure militaire politique ou

 20   administrative, comme le montre clairement l'affaire du lynchage d'Essen et

 21   l'affaire Kurt Goebell.

 22   Deuxièmement, existence d'un projet, dessein ou objectif commun, qui

 23   consiste à commettre un des crimes visés dans le Statut où on implique la

 24   perpétration. Ce projet, dessein ou objectif, ne doit pas nécessairement

 25   avoir été élaboré ou formulé au préalable. Il peut se concrétiser de

 26   manière inopinée et se déduire du fait que plusieurs individus agissent de

 27   concert en vue de mettre à exécution une entreprise criminelle commune.

 28   Troisièmement, participation de l'accusé au dessein commun impliquant la


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  1   perpétration de l'un des crimes prévus au Statut. Cette participation

  2   n'implique pas nécessairement la consommation d'un des crimes spécifiques

  3   repris dans les dispositions du Statut - meurtre, extermination, torture,

  4   viol, et cetera - mais peut prendre la forme d'une assistance ou d'une

  5   contribution en vue de la réalisation du projet ou objectif commun.

  6   Concernant l'élément moral mens rea, la Chambre a précisé que celui-ci

  7   varie en fonction de la catégorie dont relève le dessein commun en

  8   question. Alors, comme il y a trois catégories, je vais les énumérer :

  9   Pour la forme un, l'élément requis est l'intention de commettre un crime

 10   spécifique, cette intention étant partagée par l'ensemble des co-auteurs.

 11   Pour la forme deux, il faut que l'accusé ait eu personnellement

 12   connaissance du système de mauvais traitement, que cela soit prouvé par

 13   voies de témoignage spécifiques ou déduit des pouvoirs que détenait

 14   l'accusé, et qu'il ait eu l'intention de contribuer à ce système concerté

 15   de mauvais traitement.

 16   Pour la forme trois, dite élargie, l'élément requis est l'intention de

 17   participer et de contribuer à l'activité criminelle ou au dessein criminel

 18   d'un groupe et de contribuer à l'ECC ou, en tout état de cause, à la

 19   consommation d'un crime par le groupe. Par ailleurs, la responsabilité pour

 20   un crime autre que celui envisagé dans le projet commun ne s'applique que

 21   si dans les circonstances de l'espèce, alors (i), il était prévisible qu'un

 22   tel crime était susceptible d'être commis par l'un ou l'autre des membres

 23   du groupe et, (ii), l'accusé a délibérément pris ce risque.

 24   Cette jurisprudence est loin de faire l'unanimité. Il est d'ailleurs

 25   contesté au sein même des Juges de ce Tribunal, comme en témoigne l'opinion

 26   individuelle du Juge Schomburg concernant la responsabilité pénale de Milan

 27   Martic.

 28   Afin d'être synthétique, je dois rappeler que dans le Statut il n'y a


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  1   aucune référence à l'ECC. Qui plus est, le secrétaire général de l'ONU,

  2   dans son rapport présenté le 3 mai 1993 au Conseil de sécurité, indiquait -

  3   - je le cite intégralement :

  4   "La question se pose, toutefois, de savoir si une personne morale,

  5   une association ou une organisation peut être considérée en tant que telle

  6   comme auteur d'un crime, ces membres étant alors pour cette seule région

  7   soumis à la juridiction d'un Tribunal international. Le secrétaire général

  8   pense que ce concept ne devrait pas être retenu en ce qui concerne le

  9   Tribunal international. Les actes criminels énoncés dans le Statut sont

 10   exécutés par des personnes physiques, ces personnes seraient soumises à la

 11   juridiction du Tribunal international, indépendamment de leur appartenance

 12   à des groupes."

 13   Ceci est dans le paragraphe 51 de ce rapport.

 14   J'ajoute, il ne peut y avoir de responsabilité collective, comme

 15   d'ailleurs l'a dit le tribunal Nuremberg. Je cite :

 16   "Ce sont des hommes et non des entités abstraites qui commettent les

 17   crimes dont la répression s'impose comme sanction du droit international."

 18   J'observe par ailleurs en l'état qu'évoquer une responsabilité collective

 19   va à l'encontre de la mission du Tribunal, qui est de favoriser la paix et

 20   la réconciliation sur le territoire de l'ex-Yougoslavie. Pour parfaire ce

 21   tableau provisoire, je dois évoquer une décision récente rendue par la

 22   Chambre préliminaire des Chambres extraordinaires au sein des tribunaux

 23   cambodgiens, qui tout en acceptant l'application de l'ECC de type I et II,

 24   à rejeter l'application de l'ECC de type III, estimant que cette forme

 25   n'avait pas de fondement en droit international coutumier à l'époque des

 26   faits commis.

 27   Il suffit de lire le paragraphe 83 de cette décision. Pour le moment,

 28   au stade de la procédure 98 bis, sans prendre une position définitive quant


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  1   à la théorie de l'ECC, je vais néanmoins l'intégrer afin d'examiner si les

  2   éléments de preuve rapportés permettraient de conclure à l'existence de

  3   l'ECC alléguée.

  4   Pour tenter de caractériser cette entreprise criminelle commune, le

  5   Juge se doit, faute de documents formels établissant l'existence de ce

  6   projet commun, d'aller à la recherche d'indices, et parmi ces indices, je

  7   me dois de citer à titre indicatif ceux qui ont été listés dans un tout

  8   dernier jugement de ce Tribunal dans l'affaire Djordjevic. Voilà les

  9   indices : les indications démographiques; l'utilisation abusive de la force

 10   par les forces serbes en violation des accords d'octobre 1998; les motifs

 11   des crimes; la gestion coordonnée du MUP et des unités VJ; l'emploi

 12   disproportionné de la force dans les actions antiterroristes; le contrôle

 13   systématique des documents d'identité et des plaques d'immatriculation des

 14   véhicules des Albanais du Kosovo; les efforts mis en œuvre pour cacher les

 15   crimes commis à l'encontre des civils albanais du Kosovo.

 16   Comme on le voit, la pêche aux indices peut se révéler infructueuse

 17   dans le cas présent car, à première vue, il y aurait simplement à retenir

 18   comme indices produits les indications démographiques et les motifs des

 19   crimes. Un Juge raisonnable ne pourrait conclure à l'existence d'un projet

 20   réunissant toutes les personnalités citées. En effet, bien que selon

 21   l'Accusation, il devrait être déduit qu'un projet aurait lié toutes ces

 22   personnalités, les éléments de preuve à l'appui des allégations de

 23   l'Accusation ne vont pas formellement en ce sens.

 24   Il est évident que les membres d'une entreprise criminelle commune

 25   doivent avoir entre eux un lien quelconque tiré de réunions de nature

 26   professionnelle, d'entretiens, d'articles communs, de prises de position

 27   commune, d'appartenance à un même parti, d'appartenance à un même

 28   gouvernement. Il serait paradoxal d'affirmer qu'ils en sont membres de


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  1   manière automatique en raison de leurs croyances, de leur appartenance

  2   ethnique, de leur religion, de leur pensée, si un Juge peut analyser la

  3   pensée intime d'un individu. Dès lors, il importe à mon sens d'avoir des

  4   éléments intangibles établissant un lien entre eux. Ceci n'a pas échappé au

  5   bureau du Procureur, puisque celui-ci a borné le champ temporel de cette

  6   ECC du 1er août 1991 jusqu'au mois de septembre 1993. Et il est intéressant

  7   de savoir pourquoi le mois de septembre 1993 a été déterminé.

  8   L'Accusation, au paragraphe 8 de l'acte d'accusation, dit ceci, je

  9   cite :

 10   "L'entreprise criminelle commune mentionnée a vu le jour avant le 1er août

 11   1991 et s'est poursuivie au moins jusqu'en décembre 1995. Vojislav Seselj a

 12   participé à l'entreprise criminelle commune jusqu'en septembre 1993,

 13   lorsqu'il est entré en conflit avec Slobodan Milosevic."

 14   L'Accusation reconnaît donc qu'il y a la nécessité d'avoir ce lien. Car

 15   manifestement, après le conflit avec Slobodan Milosevic, il n'y avait plus

 16   de projet commun. De manière incohérente, dans l'acte d'accusation de

 17   Radovan Karadzic, qui est de notoriété publique, le champ temporel va

 18   jusqu'en décembre 1995 et mentionne Vojislav Seselj comme appartenant à

 19   cette entreprise criminelle commune sans discontinuité.

 20   L'Accusation a explicité sa position dans sa requête du 17 mai 2010,

 21   aux fins d'admission d'éléments de preuve présentés directement. Pour

 22   l'Accusation, les pièces étaient pertinentes car elles concernent l'ECC,

 23   l'intention de l'accusé et sa contribution à l'ECC. Cependant, l'Accusation

 24   a développé longuement son point de vue en disant qu'avec la montée du

 25   nationalisme serbe pendant le démembrement de l'ex-Yougoslavie, l'accusé

 26   est devenu l'allié de Slobodan Milosevic et d'autres dirigeants serbes, et

 27   ensemble ils ont poursuivi l'objectif d'unir tous les Serbes au sein d'un

 28   même Etat, que l'accusé appelait la Grande-Serbie. Cette création


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  1   entraînant le transfert forcé de la population non-serbe et la commission

  2   contre elle d'autres crimes.

  3   Et dans cette requête, le Procureur cite les pièces suivantes :

  4   P1321, P1167, P1169, P1170, P1263, P1264, P1175, P1301, P1206, P1388 et

  5   P1364.

  6   Pour l'Accusation, l'accusé a adopté l'idéologie prônée par le club

  7   culturel serbe et le Mouvement chetnik-serbe, P1170 et P1172. L'accusé

  8   Seselj s'est vu décerner le titre de vojvoda, P1170, P1322, P1180.

  9   Selon l'Accusation, la naissance de l'entreprise criminelle commune

 10   remonte à février 1991. En 1990, l'accusé avait fondé le SCP et il avait

 11   cherché à enregistrer le SCP, sans y réussir. P1264. Il a alors fondé le

 12   SRS en février 1991, qui était reconnu comme parti politique. P1265.

 13   Selon l'Accusation, l'accusé a admis que son parti voyait dans la

 14   lutte pour la défense des intérêts nationaux serbes un terrain d'entrée

 15   pour la coopération avec le SPS de Slobodan Milosevic et avec le SDS, bien

 16   que l'Accusation cite la phrase suivante :

 17   "Nous sommes en désaccord pour tout le reste, mais nous devons

 18   coopérer pour défendre l'identité serbe. Nous livrons une lutte commune et

 19   rien ne doit nous diviser sur cette question." P1204.

 20   A l'appui de cette argumentation, l'Accusation invoque notamment les

 21   documents P1282, P1187, P1233, P1312, P1243, P1251, P1252 et P1327.

 22   De tous ces éléments de preuve, le Procureur avait demandé

 23   l'admission du témoignage de l'accusé dans l'affaire Milosevic. Il s'agit

 24   du document P31 qui, selon lui, caractérise l'ECC. Ce document fait plus de

 25   1 600 pages, et je l'ai scruté à la loupe mot par mot. L'examen du

 26   transcript, allant des pages 42 678 à 44 370, permet de constater que

 27   l'accusé Seselj ne connaissait pas certains membres de l'entreprise;

 28   Simatovic par exemple, et j'y reviendrai, ou n'avait eu que des contacts


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  1   épisodiques avec d'autres; Babic par exemple, et concernant Milosevic,

  2   n'avait fait sa connaissance qu'en avril 1992, soit comme on le voit, bien

  3   après le début de l'ECC alléguée.

  4   Certes, les affirmations de Seselj faites sous la foi du serment peuvent

  5   être fausses ou ne restituer que de façon parcellaire la vérité. Toutefois,

  6   l'Accusation n'a pas, lors de son contre-interrogatoire, mis à néant ces

  7   affirmations. Et en l'état, les propos tenus en la matière par le témoin

  8   Seselj sous serment dans l'affaire Milosevic peuvent être retenus par un

  9   Juge raisonnable comme particulièrement pertinents, voire probants.

 10   Je vais citer quelques exemples. Page 43 932, l'accusé ici présent disait,

 11   alors qu'il était assis à cette place comme témoin, je cite :

 12   "J'insiste sur le fait que Franko Simatovic est quelqu'un que je n'ai

 13   jamais rencontré de ma vie."

 14   Concernant plus particulièrement Slobodan Milosevic, sur les liens avec

 15   lui, il a dit, page 43 943, je cite :

 16   "En mai 1992, j'ai commencé à avoir des réunions avec Milosevic de manière

 17   plus régulière."

 18   A la page 44 333, il dit ceci :

 19   "Il était impossible de concevoir un lien quelconque entre nous, parce que

 20   jusqu'en avril 1992, nous ne nous connaissions pas du tout."

 21   Page 44 100. Voilà ce que le témoin disait, je cite :

 22   "Vous voulez que je vous explique quelles ont été les relations entre M.

 23   Milosevic et M. Hadzic, Hadzic étant le célèbre fugitif. Et c'est depuis

 24   1991 que je suis en conflit avec M. Hadzic, je n'ai fait que des

 25   déclarations négatives à son adresse."

 26   Le Juge Bonomy va intervenir et va poser la question suivante, je cite :

 27   "Est-ce que vous n'avez pas dit qu'il n'est pas question que M. Hadzic ait

 28   été impliqué à une ECC quelle qu'elle soit avec l'accusé ?" L'accusé étant


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  1   Slobodan Milosevic.

  2   Réponse de Vojislav Seselj :

  3   "J'ai dit qu'il est impossible qu'il ait pris part avec moi dans quoi que

  4   ce soit, puisqu'il y a eu un conflit permanent entre nous deux."

  5   L'Accusation, faute d'éléments pertinents concernant chacun des membres

  6   cités dans la liste de l'entreprise criminelle commune, ne prouve pas que

  7   ces personnes avaient un lien au sens de la jurisprudence de la Chambre

  8   d'appel, tel qu'énoncé précédemment, ou qu'ils partageaient ensemble la

  9   même intention. Ainsi, il aurait fallu qu'il y ait des éléments de preuve

 10   qui établissent que les membres de l'entreprise criminelle commune avaient

 11   la même intention que l'accusé de procéder à l'expulsion des non-Serbes,

 12   notamment que les Musulmans et les Croates quittent de façon définitive

 13   environ un tiers de la République de Croatie, de vastes portions de la

 14   République de Bosnie-Herzégovine, et certaines parties de la Vojvodine afin

 15   d'intégrer ces régions dans un nouvel Etat dominé par les Serbes.

 16   Je vais approfondir mon analyse. Ainsi, le but final de l'ECC serait,

 17   selon l'Accusation, d'intégrer ces régions dans un nouvel Etat dominé par

 18   les Serbes. Partant de là, se pose la question pour un Juge raisonnable des

 19   contours de la Grande-Serbie, tels que mentionné au paragraphe 9 de l'acte

 20   d'accusation.

 21   Celui-ci dispose que l'accusé a, je cite : "propagé une politique

 22   visant à réunir tous les territoires serbes dans un Etat serbe homogène."

 23   Il a défini la ligne Karlobag-Ogulin-Karlovac-Vitrovica comme frontière

 24   occidentale de ce nouvel Etat serbe qu'il appelait la Grande-Serbie et qui

 25   englobait la Serbie, le Monténégro, la Macédoine, et de vastes portions de

 26   la Croatie et de la Bosnie-Herzégovine.

 27   Le mémoire préalable dit ceci : Vojislav Seselj a largement contribué à

 28   l'ECC en jouant le rôle de principal propagandiste de la création par la


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  1   violence d'une Grande-Serbie, Etat unifié dominé par les Serbes. Au milieu

  2   des années 1990, Vojislav Seselj n'a eu de cesse d'appeler à la création

  3   d'un Etat serbe correspondant aux frontières actuelles des Républiques de

  4   Serbie, de Monténégro, et une grande partie de la Croatie, de la Macédoine

  5   et de la Bosnie-Herzégovine.

  6   A l'appui de cette argumentation, l'Accusation cite les pièces P1321,

  7   P1170, P1169, P150, P1171, P1172, P1173 et P39.

  8   Il convient de relever que les discours, écrits ou interviews, de l'accusé

  9   se sont étalés dans le temps, et l'Accusation faisant elle-même la

 10   distinction dans son mémoire préalable entre plusieurs types de discours,

 11   les discours tenus au milieu des années 1990. P1321, P1170, P1169, P150,

 12   P1171, P1072, P1073, P39.

 13   Il convient de noter qu'il est fait état d'une demande d'unification

 14   en une seule étatique de tous les territoires serbes.

 15   Les discours tenus fin 90 qui se seraient radicalisés, P1174, P1175

 16   et P37. Il convient de noter qu'il y a une revendication pour que les

 17   territoires serbes et peuple de Serbie ne soient pas séparés de la mère

 18   patrie. De même, et ça me paraît important, il est précisé qu'à l'intérieur

 19   de cet Etat serbe, les Serbes orthodoxes, musulmans, catholiques et

 20   protestants vivraient unis, force de constater qu'il n'y a pas trace de

 21   considération ethnique.

 22   Le caractère radical allégué ne me semble pas suffisant pour avoir

 23   des conséquences directes ou indirectes sur les crimes commis.

 24   Pendant la période visée par l'acte d'accusation, l'accusé a profité

 25   de la situation et l'a exacerbée pour réaliser la création d'un Etat serbe

 26   par la force. P1264, P1338, P56, P255, P256, P644, P179, P34, P62 et P56.

 27   Le concept même de l'entreprise criminelle commune avec les

 28   différents protagonistes a été contesté, me semble-t-il, dans le cadre de


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  1   la décision rendue le 10 novembre 2005 par la Chambre III suite à la

  2   requête de l'Accusation aux fins de jonction des affaires Milan Martic,

  3   Jovica Stanisic et Franko Simatovic et Vojislav Seselj. A l'époque,

  4   l'Accusation voulait joindre ces trois dossiers. Il est intéressant de se

  5   pencher sur les raisons et les motifs.

  6   L'Accusation, dans sa requête du 1er juin 2005, avait, au paragraphe

  7   23 de ses écritures, allégué l'objectif de l'entreprise criminelle commune

  8   dans les trois actes d'accusation.

  9   La Chambre III, présidée par le Juge Robinson avec les Juges Agius et

 10   Liu, elle rejeta la requête en jonction, en indiquant aux paragraphes 20 et

 11   21 de leur décision, je vais citer :

 12   "L'entreprise commune criminelle alléguée n'était pas identique dans chacun

 13   des actes d'accusation, tout en notant qu'il y a un partiel chevauchement

 14   entre les chefs, les formes de responsabilité, le champ temporel et les

 15   lieux des crimes."

 16   A titre purement accessoire, je note au passage que l'entreprise

 17   criminelle commune alléguée dans l'affaire Mrkic, Radic et Sljivancanin

 18   avait été mentionnée comme suit au paragraphe 569 du jugement, qui est

 19   maintenant d'une notoriété publique et accessible à tous. Je cite :

 20   "Il est allégué dans l'acte d'accusation que les trois accusés, de concert

 21   avec d'autres personnes, dont Miroljub Vujovic, Stanko Vujanovic, ont

 22   participé à une entreprise criminelle commune ayant pour but de persécuter

 23   les Croates et autres non-Serbes présents à l'hôpital de Vukovar. Il est

 24   aussi allégué que les crimes visés dans l'acte d'accusation s'inscrivaient

 25   dans le cadre de l'objectif assigné à l'entreprise criminelle commune et

 26   que chaque accusé possédait l'état d'esprit nécessaire pour commettre

 27   chacun de ces crimes."

 28   Que va dire la Chambre ? La Chambre, au paragraphe 608, dit ceci :


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  1   "Les faits, tels que la Chambre les a jugés établis par les éléments

  2   de preuve, ne font pas apparaître, contrairement à ce qu'avance

  3   l'Accusation, une entreprise criminelle commune à laquelle aurait participé

  4   l'un ou l'autre des trois accusés." Et elle ajoute "ainsi que d'autres."

  5   Ce jugement, qui a autorité de la chose jugée, n'a pas à faire, de

  6   mon point de vue, l'objet d'un constat judiciaire. Mais, dès lors, si à

  7   Vukovar il n'y a pas eu une entreprise criminelle commune avec les membres

  8   du Parti radical serbe, comment, dans le cas présent, il y aurait une telle

  9   entreprise ?

 10   Partant de là, il convient d'approfondir encore l'analyse. Et avant

 11   d'analyser plus avant les conditions posées par l'arrêt Tadic, il faut

 12   examiner si un projet commun existait bien entre l'accusé et les autres

 13   membres de l'ECC. En un mot, le projet d'ECC, tel que défini au paragraphe

 14   6 de l'acte d'accusation, que je vais à nouveau citer parce que c'est

 15   important : 

 16   "Visant à forcer la majorité des non-Serbes à quitter de façon

 17   définitive environ un tiers du territoire de la République de Croatie, des

 18   vastes portions du territoire de la République de Bosnie, et certaines

 19   parties de la Vojvodine en République de Serbie afin d'intégrer ces régions

 20   dans un nouvel Etat dominé par les Serbes."

 21   On comprend que le but ultime c'est le nouvel Etat dominé par les

 22   Serbes.

 23   Est-ce bien le projet animant tous les participants, ou n'y avait-il

 24   pas en fait deux projets : la création d'une Grande-Serbie, celle

 25   revendiquée par l'accusé Seselj, et un second projet, qui serait le

 26   maintien d'une Yougoslavie tronquée à l'intérieur des frontières

 27   antérieures de la Yougoslavie fédérale, qui serait le projet, lui, de

 28   Milosevic ? Cette question appelle un approfondissement.


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  1   Le moyen d'atteindre ce but final, était-il le départ des non-Serbes

  2   de la Croatie, des portions de la République de Bosnie-Herzégovine ou de la

  3   Vojvodine, ou, ce départ est-il motivé pour d'autres raisons qui n'ont rien

  4   à voir avec la création d'un Etat ?

  5   C'est donc à travers ces questions fondamentales que les éléments de

  6   preuve de l'Accusation doivent être analysés.

  7   En premier lieu, il est évident qu'il y a deux conceptions à la base

  8   de l'action politique de Milosevic et de Seselj. La conclusion évidente est

  9   qu'il n'y a pas exactement le même projet, et de ce fait, la forme de

 10   responsabilité découlant de l'ECC ne peut s'appliquer.

 11   Sur la seconde question concernant le départ définitif des non-

 12   Serbes, force est de constater que même si les Serbes -- que -- non, je

 13   reprends, que même si les Croates de la région de Krajina quittèrent les

 14   régions concernées, il n'en demeure pas moins que depuis le 15 janvier

 15   1992, la République de Croatie a été internationalement reconnue à

 16   l'intérieur de ses frontières résultant de la Yougoslavie fédérale.

 17   De même, concernant la République de Bosnie-Herzégovine, il ne

 18   pouvait y avoir création d'un nouvel Etat à compter d'avril 1992, d'autant

 19   que la conférence de Genève et le plan Vance-Owen reconnaissaient

 20   l'existence de territoires à dominance serbe en République de Bosnie-

 21   Herzégovine, ce qui constitue l'actuel Republika Srpska.

 22   Enfin, concernant la Vojvodine, dont il faut noter qu'elle appartient à la

 23   Serbie, il n'y a pas nécessité d'expulsion quelconque pour l'intégrer à un

 24   nouvel Etat serbe puisqu'elle en faisait déjà partie.

 25   En intégrant les discours de l'accusé tenus à l'encontre des Croates,

 26   et principalement dans une moindre mesure à l'encontre des Musulmans, il

 27   apparaît en première analyse que le départ des Croates peut être une mesure

 28   de répression ou de représailles suite à l'expulsion des Serbes de Croatie.


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  1   Et le départ des Musulmans apparaît être contesté même par l'accusé, qui

  2   estime qu'ils sont des Serbes musulmans.

  3   Alors, cette question a été longuement abordée par l'Accusation et

  4   par M. Nice lors de l'audition de l'accusé dans l'affaire Milosevic. Sur le

  5   concept de la Grande-Serbie, l'accusé Seselj, répondant à une question de

  6   Slobodan Milosevic, a dit ceci, je cite :

  7   "C'est un concept idéologique qui date de très longtemps. Il a fait

  8   son apparition dans le public en 1683, du temps de l'échec des Turques aux

  9   Portes de Vienne. Je me fonde sur le concept datant du 17e siècle."

 10   Dans bon nombre de procès diligentés devant le Tribunal de La Haye, et j'ai

 11   pratiquement lu tous les jugements rendus, il a été question d'un grand

 12   nombre de témoins qui ont parlé de la Grande-Serbie, qui n'ont aucune idée

 13   de ce que cela veut dire. Et dans bon nombre de jugements, on prend cela

 14   pour un fait.

 15   "Or, en ma qualité de grand nationaliste vivant et idéologue en chef

 16   du nationalisme serbe, je peux vous donner une explication originale de ce

 17   concept. Cela serait utile pour ce procès-ci et pour les autres procès

 18   également." - il devait penser à son procès actuel - "parce que s'agissant

 19   de toutes les personnes qui soient englobées par l'entreprise criminelle

 20   commune, aucune d'entre elles, ni à part moi-même, n'a jamais parlé de la

 21   Grande-Serbie et a été loin de s'employer en faveur d'une Grande-Serbie.

 22   Mon engagement en faveur de la Grande-Serbie, qui date de plus de 30 ans,

 23   est mis à profit ici pour qu'on le reproche à d'autres personnes qui n'ont

 24   rien à voir avec ceci. Je suis prêt à mourir pour l'idée de la Grande-

 25   Serbie."

 26   Transcript page 43 214. Et il va ajouter à la page 43 216, je cite :

 27   "Le concept de la Grande-Serbie sous-entend un Etat serbe unifié dont

 28   feraient partie toutes les terres serbes où les Serbes sont une population


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  1   majoritaire. Toutefois, ceci est contraire aux tentatives du Vatican, de

  2   l'Autriche, et autres qui visent à réduire le peuple serbe à ces

  3   ressortissants ou à cette population de religion orthodoxe. Mais dans

  4   l'être serbe, il y a des Serbes orthodoxes, des Serbes catholiques et des

  5   Serbes musulmans."

  6   Toutefois, cela est différent des persécutions pour des raisons

  7   religieuses, puisque l'accusé, à la page 43 222, dit :

  8   "Le concept de la Grande-Serbie ne saurait être identifiée avec

  9   quelque pratique que ce soit de persécution vis-à-vis de la population

 10   musulmane ou catholique, parce que dans tous les documents liés au

 11   programme du Mouvement chetnik-serbe, du Mouvement épris de liberté serbe

 12   et du Parti radical serbe, nous convions tous ces Serbes orthodoxes,

 13   catholiques, musulmans, protestants et serbes athées également à s'entendre

 14   et à s'unir. Il ne peut être établi de lien entre le concept de la Grande-

 15   Serbie et le concept qu'on avance de purification ethnique. C'est ce que je

 16   veux vous dire, mais vous m'interromprez constamment, et c'est la raison

 17   pour laquelle nous insistons sur la nécessité d'englober par notre parti

 18   les Catholiques, les Musulmans, et de les faire venir à des hauts postes au

 19   sein du parti."

 20   Le descriptif de son action établit que des rebelles serbes étaient

 21   en lutte contre des Croates, et qu'apparemment, je dis bien apparemment,

 22   l'action menée n'était pas a priori fondée sur une épuration ethnique mais

 23   simplement sur la prise de contrôle d'une région autonome, qui semble être

 24   l'objectif recherché.

 25   Je vais approfondir cet aspect.

 26   Selon un acte d'accusation, un cessez-le-feu était intervenu entre la

 27   JNA et la Croatie. La JNA s'est retirée, laissant le matériel militaire, et

 28   ainsi s'est créée la République de Krajina serbe, RSK. Le groupe d'Arkan a


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  1   installé sa base dans un ancien camp militaire de la JNA à Erdut en

  2   Croatie. Alors il est intéressant de lire cet acte d'accusation parce qu'il

  3   est dit ceci, et ça vient du bureau du Procureur, qui, par définition, est

  4   censé être unique : 

  5   "L'acte d'accusation dit que la situation en Bosnie-Herzégovine a

  6   dégénéré en conflit ouvert, et les Tigres d'Arkan ont été déployés dans

  7   différentes communautés comportant une forte population non-serbe.

  8   Bijeljina et Zvornik figuraient au nombre de ces villes."

  9   Il est important de constater que c'est la situation qui a dégénéré

 10   en conflit ouvert, et qu'il n'y a aucune référence à un procès précis d'un

 11   des belligérants d'entamer une quelconque épuration ethnique.

 12   Dans le même acte d'accusation, il est indiqué pour une municipalité non

 13   comprise dans le nôtre, acte d'accusation, Sanski Most, entre 1992 et

 14   septembre 1995, qu'une grande partie de la population musulmane et croate

 15   avait fui alors que la population restée sur place a été soumise à un

 16   régime draconien.

 17   Cette référence par le bureau du Procureur à la fuite de la population

 18   musulmane et croate ne permet pas de savoir exactement, faute de preuve, si

 19   la population avait fui par peur des combats ou pour une autre raison, ce

 20   qui me permet de faire le lien avec la note de bas de page 429 du mémoire

 21   préalable de l'Accusation ici. Les notes de bas de page, c'est toujours

 22   important, et il faut les examiner. Voilà ce que cette note de bas de page

 23   dit, je cite :

 24   "Durant cette période, une unité de la police spéciale de Sremska Mitrovica

 25   a été détachée à Hrtkovci pour empêcher que les non-Serbes soient expulsés,

 26   attaqués ou harcelés."

 27   Cette phrase, qui relate un événement, le fait qu'on envoie la police,

 28   témoigne amplement du fait qu'il n'y avait pas à l'époque une collusion


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  1   entre Vojislav Seselj et des membres d'une entreprise criminelle commune,

  2   car l'autorité qui détenait le pouvoir, loin de collaborer en vue de la

  3   réalisation du plan commun, y faisait obstacle en envoyant la police. Ceci

  4   pourrait tendre à prouver que la campagne discriminatoire de l'accusé - et

  5   j'aurai l'occasion d'y revenir - n'était menée que par lui-même, aidé en

  6   cela par certains de ses volontaires, comme tend à l'indiquer certains

  7   témoins, sans pour autant dire que les persécutions entraient dans

  8   l'objectif commun de l'entreprise commune visant à forcer les non-Serbes à

  9   quitter cette municipalité. Ceci va être examiné plus avant dans le

 10   chapitre "Crimes commis matériellement par l'accusé : Persécution,

 11   expulsion et transfert forcé".

 12   En définitive, pour la bonne compréhension de l'entreprise criminelle

 13   commune, l'élément de preuve essentiel, selon moi, à examiner est la pièce

 14   P31, qui est constituée donc des transcripts du témoignage de l'accusé

 15   Seselj dans l'affaire le Procureur contre Slobodan Milosevic. Quand on

 16   examine les 1 692 pages, l'examen attentif des pages du transcript permet

 17   de constater qu'il y a eu un débat contradictoire sur l'entreprise

 18   criminelle commune alléguée entre le Procureur, M. Nice; le témoin sous

 19   serment, Vojislav Seselj; l'accusé, Slobodan Milosevic; et les Juges eux-

 20   mêmes, les Juges de la Chambre.

 21   Cet élément de preuve, la pièce P31, est autrement plus importante

 22   que les dires de certains témoins qui étaient soit des victimes, soit des

 23   personnalités très éloignées du pouvoir politique, soit des témoins experts

 24   de l'Accusation.

 25   Selon l'Accusation, par la voix de M. Nice, page 43 248, Seselj et

 26   Milosevic auraient partagé le but commun d'établir une Grande-Serbie et

 27   d'en expulser la majorité de la population non-serbe.

 28   La thèse de l'Accusation repose sur le postulat selon lequel le


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  1   mouvement de la Grande-Serbie fondé durant la Seconde Guerre mondiale

  2   serait l'ancêtre commun animant le but poursuivi par le Parti radical serbe

  3   de Seselj et le SPS de Milosevic. Page 44 240.

  4   L'Accusation soutient que les fondements théoriques des deux partis

  5   ont certains points distincts l'un de l'autre, mais les deux projets se

  6   rapprochent dans leur réalisation. Pages 43 255, 43 260, 43 262, 43 263.

  7   L'Accusation soutient que le régime de Milosevic aurait donné à

  8   l'accusé un accès privilégié aux médias pour lui permettre de répandre son

  9   message de haine, ainsi que de l'instrumentaliser dans son propre intérêt.

 10   Pages 44 052 et 44 053. Cette vision de l'Accusation a été contestée tant

 11   par Seselj que par Milosevic.

 12   Le concept de Grande-Serbie, je l'ai dit tout à l'heure, remonte à

 13   très longtemps, s'étant forgé suite aux invasions successives des Balkans

 14   par les empires ottoman, autrichien et russe. Il semblerait - j'emploie le

 15   conditionnel - que les termes "Grande-Serbie" soient apparus pour la

 16   première fois dans un mémorandum adressé à l'empereur de Russie en 1803,

 17   ensuite, il aurait été repris à plusieurs occasions par des figures

 18   intellectuelles serbes et des organisations politiques, et il sera

 19   réactualisé par Vasa Cubrilovic et Dragan Vasic avant d'être interdit sous

 20   le régime communiste.

 21   L'idée de Grande-Serbie semble s'opposer à la Fédération de

 22   Yougoslavie, en ceci qu'elle repose avant tout sur l'idée d'un état serbe

 23   unifié. La Grande-Serbie se doit être un état centraliste et unitariste

 24   qui, tout en reconnaissant un haut degré de droits aux minorités ethniques,

 25   supprimerait l'existence des provinces autonomes. Page 43 322.

 26   La Grande-Serbie englobe toutes les terres serbes, c'est-à-dire où

 27   les Serbes sont majoritaires. Selon l'accusé, le peuple serbe n'est pas

 28   défini par la religion mais par la langue qu'il parle, le stokavien. Page


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  1   43 113. J'emploie le conditionnel. Il existerait trois dialectes en l'ex-

  2   Yougoslavie : le stokavien, le chakavien et le kajkavien.

  3   Alors, sur ces questions des dialectes, il y a des dizaines

  4   d'articles sur la question. Je ne les cite pas. Je pourrais les citer, mais

  5   on y passerait beaucoup de temps.

  6   Selon l'accusé, toutes les personnes parlant stokavien sont des

  7   Serbes, indépendamment de leur religion. Page 43 217. Selon lui, sur

  8   l'ensemble des terres serbes, tous les Serbes parlent la même langue, le

  9   serbe, qui découle du stokavien. Page 43 219. Ainsi, selon l'accusé, les

 10   Croates et Bosniaques seraient en réalité des Serbes, catholiques et

 11   musulmans, et la réalisation de la Grande-Serbie consisterait à convaincre

 12   les Croates et Musulmans qu'ils font partie du peuple serbe. Page 43 220.

 13   Les terres serbes ne correspondent pas tout à fait à la Yougoslavie,

 14   page 43 219. Le stokavien est parlé dans toute la Serbie, la Bosnie-

 15   Herzégovine, le Monténégro, et une large partie de la Croatie. C'est ce

 16   territoire qui constitue l'assise territoriale de la Grande-Serbie telle

 17   que conçue par Vojislav Seselj. Ainsi, la Grande-Serbie correspond à ce que

 18   l'accusé rebaptise la Serbo-slavie, c'est-à-dire une Yougoslavie à laquelle

 19   serait retranchée la Slovénie et la partie kajkavienne de la Croatie. Page

 20   43 837. La ligne Karlobag-Vitrovica-Ogulin-Karlovac correspond à la

 21   frontière occidentale de la Grande-Serbie telle qu'imaginée par l'accusé.

 22   Cette ligne constitue la limite des terres serbes à l'ouest desquelles se

 23   trouvent les trois provinces de Zagreb, Krizevci et Varazdin, qui forment

 24   la Croatie kajkavienne, berceau de la véritable ethnie croate. Cette ligne

 25   n'est pas une frontière, en tant que telle. C'est une ligne qui semble

 26   correspondre à une approche historique et linguistique de la région. Page

 27   43 437.

 28   La question sous-jacente au témoignage de l'accusé dans l'affaire


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  1   Milosevic porte en conséquence sur la signification du but commun de l'ECC

  2   alléguée. L'existence d'un but commun se limite-t-il à la démonstration par

  3   l'Accusation que les membres allégués à l'ECC ont partagé la volonté

  4   d'avoir un Etat serbe regroupant tous les Serbes ? Ou, au contraire, le but

  5   commun doit-il être précis, par exemple, comprendre une convergence de vue

  6   quant au modèle étatique prôné et à l'idéologie politique qui le sous-tend

  7   ? L'Accusation convient que l'objectif selon lequel tous les Serbes

  8   devraient vivre dans un seul et même Etat diffère du concept historique et

  9   philosophique de Grande-Serbie.

 10   Alors, c'est l'Accusation qui le dit dans l'affaire Milosevic.

 11   L'Accusation ajoute que l'accusé Milosevic ne s'est jamais servi des

 12   termes Grande-Serbie en tant que tels, il n'y a même jamais été associé.

 13   Milosevic aurait uniquement permis, de par sa position, à des personnes qui

 14   défendaient ce concept, telles que Seselj, de s'exprimer et de s'employer à

 15   sa faveur. Ces propos sont en page 43 224 à 43 226. Toutefois, pour

 16   l'Accusation, le fait que l'objectif de l'accusé Milosevic était de

 17   permettre à tous les Serbes de vivre dans un même Etat permet de dire que

 18   l'objectif de l'accusé peut être qualifié de facto de Grande-Serbie. Alors,

 19   l'accusé en question, c'est Milosevic.

 20   Alors, à cet égard, l'Accusation, M. Nice, mais M. Nice ou M.

 21   Marcussen, c'est pareil, l'Accusation ajoute, je cite :

 22   "Les faits pratiques, les effets concrets de ce que recherchait

 23   l'accusé sont les mêmes pour ce qui est de la portée géographique similaire

 24   à l'effet qu'aurait la mise en œuvre d'un plan d'une Grande-Serbie du genre

 25   que préconisait le témoin." Page 43 246.

 26   En effet, pour elle, ce qui est déterminant, c'est, je cite :

 27   "L'affirmation, le souhait exprimé d'avoir tous les Serbes dans un

 28   Etat, c'est de facto, cela coïncide avec l'étendue géographique de ce qu'on


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  1   obtiendrait par ceux qui épousent la cause de la Grande-Serbie." Page 43

  2   249.

  3   L'Accusation soutient, en outre, qu'une fois qu'il n'était plus

  4   possible de maintenir la Yougoslavie en tant qu'Etat fédéral, il fallait

  5   mettre en œuvre un autre plan, qui s'est appliqué, effectivement. C'est à

  6   ce stade que l'idée d'une Grande-Serbie est devenue dans notre esprit, à

  7   son avis, une réalité. 43 259. Cette vision a été contrebattue tant par

  8   Milosevic que par Seselj.

  9   Dans son approche, l'Accusation, représentée par M. Nice, identifie

 10   le fait que tous les Serbes vivent dans l'espace d'un seul et même Etat, la

 11   Yougoslavie. Il identifie cela à la Grande-Serbie. C'est une constatation

 12   d'un fait qui existe depuis que la Yougoslavie existe. C'est un fait qui

 13   découle de la réalité. Je cite : "un fait palpable matériel." Page 43 240.

 14   Aux dires de Slobodan Milosevic, une telle conception du but commun

 15   rentre en contradiction avec le fait que la Yougoslavie regroupait toute la

 16   population serbe dans un seul et même Etat et que cet Etat jouissait d'une

 17   pleine capacité juridique sur la scène internationale. Il note à cet égard

 18   que :

 19   "Tous les Serbes dans un même Etat, ce n'est pas du tout un slogan,

 20   mais une réalité qui dure depuis plus de 70 ans, depuis la création de la

 21   Yougoslavie jusqu'en 1991. Si M. Nice accuse quelqu'un d'avoir voulu

 22   sauvegarder un Etat qui a été un Etat souverain et reconnu

 23   internationalement, l'un des fondateurs des Nations Unies après la Deuxième

 24   Guerre mondiale, je suppose qu'il y a une liste immense de personnes qu'il

 25   faudrait accuser." Ces propos sont à la page 43 264.

 26   A l'appui de ceci, il est intéressant de noter que le Témoin Seselj

 27   ajoutait :

 28   "Le Parti radical serbe a dressé une carte géographique de la Grande-


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  1   Serbie. Cette carte géographique que nous avons publiée. Je ne sais combien

  2   de fois en couverture ou en page de garde, à la fin de notre revue de la

  3   Grande-Serbie, on voit que la frontière occidentale se trouve sur la ligne

  4   Karlobag-Ogulin-Vitrovica. Cette carte de la Grande-Serbie n'englobe pas

  5   seulement les territoires où la population orthodoxe serbe est

  6   majoritaire." Page 43 274, 43 275.

  7   Il précise ensuite :

  8   "Jamais personne n'a exprimé des positions afférentes à des

  9   aspirations territoriales de la Serbie. Les Serbes au sein de l'unité

 10   fédérale croate de l'époque ont laissé entendre aux Croates de façon claire

 11   : Si vous voulez faire sécession vis-à-vis de la Yougoslavie, nous ne

 12   voulons pas, nous voulons rester en Yougoslavie. La chose a été dite de

 13   façon tout à fait claire avant le début de chacune des guerres, nous ne

 14   voulions pas quitter la Yougoslavie. C'est vous qui le voulez." Page 43

 15   275.

 16   "Ce que les Serbes orthodoxes voulaient c'était la sauvegarde de la

 17   Yougoslavie, et non pas une Serbie agrandie. La plupart des Serbes ne

 18   voulaient pas d'une Grande-Serbie. C'est seulement le Parti radical serbe

 19   qui le voulait."

 20   Partant de là, l'ex-Yougoslavie, selon Milosevic, est un Etat englobant

 21   tous les Serbes. Et l'éclatement de cet Etat a posé la question de la

 22   reconstitution politique du peuple serbe. Ainsi, au regard de la position

 23   de l'Accusation dans l'affaire Milosevic, des positions prises par les

 24   accusés Milosevic et Seselj, la question relative à l'existence ou non d'un

 25   but commun ou d'un but criminel commun pourrait se poser ainsi : ce but

 26   criminel doit-il être défini par son objectif ultime, la réunion de tous

 27   les Serbes dans un Etat commun, ou doit-il se définir par le plan en vue de

 28   mettre en place tel ou tel modèle étatique fondé sur telle ou telle


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  1   idéologie politique ?

  2   Dans le premier cas, il est possible de dire qu'il existait des

  3   divergences idéologiques entre Seselj et Milosevic, mais qu'il est

  4   possible, à première vue, qu'il y ait eu un but commun les unissant avec

  5   d'autres dont le résultat recherché emportait soit création d'un état serbe

  6   soit le maintien d'une structure étatique englobant tous les Serbes.

  7   Cependant, cette conception se heurte à des obstacles majeurs.

  8   Alors, je vais terminer, parce que c'est fondamental, et il reste que

  9   quelques minutes.

 10   Cependant, cette conception se heurte à des obstacles majeurs, à

 11   savoir qu'elle ne rend pas compte de la préexistence de la Yougoslavie et,

 12   par conséquent, rentre en contradiction avec le fait que tous les Serbes

 13   étaient de fait inclus dans l'Etat yougoslave dont Milosevic cherchait à

 14   préserver l'existence. Cette conception emporterait également comme

 15   conséquence de placer dans la même entreprise des individus n'ayant

 16   entretenu que des contacts assez sporadiques car poursuivant un objectif

 17   ultime avec parfois des conflits d'intérêts entre eux.

 18   Dans le second cas, il apparaît que les buts poursuivis par Seselj et

 19   Milosevic sont différents. Pour Milosevic, il s'agissait de préserver une

 20   forme étatique fédérale préexistante, laquelle aurait permis aux Serbes de

 21   rester dans un même Etat. En revanche, pour Seselj, il s'agissait au

 22   contraire de mettre en place un Etat unitaire et centralisé regroupant des

 23   terres historiquement serbes et dans lequel les habitants parleraient tous

 24   la même langue, le Stokavien.

 25   Compte tenu de tous ces paramètres, un Juge raisonnable ne pourrait

 26   conclure au-delà de tout doute raisonnable que l'accusé Seselj avait le

 27   même objectif que les autres membres de l'entreprise criminelle commune,

 28   car les finalités étaient tout autre. Je ne peux donc conclure que l'accusé


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  1   a participé à une entreprise criminelle commune qui avait pour but de

  2   forcer, par des crimes, les non-Serbes à quitter de manière définitive un

  3   tiers de la Croatie, de vastes portions de la République de Bosnie-

  4   Herzégovine, et certaines parties de la Vojvodine afin d'intégrer ces

  5   régions dans un nouvel Etat dominé par les Serbes.

  6   Après la pause, j'aborderai le volet des persécutions. Nous faisons

  7   une pause de 20 minutes.

  8   --- L'audience est suspendue à 15 heures 49.

  9   --- L'audience est reprise à 16 heures 22.

 10   M. LE JUGE ANTONETTI : L'audience est reprise.

 11   Je vais donc lire le chapitre consacré aux persécutions. Et je dois

 12   dire d'ores et déjà qu'il n'y a pas de divergence avec les autres Juges,

 13   puisque nous sommes de plein accord sur la question.

 14   L'article 5 du Statut intitulé "Crimes contre l'humanité" précise la

 15   compétence du Tribunal en cas de conflit de caractère international ou

 16   interne et dirigé contre une population civile :  assassinat;

 17   extermination; réduction à l'esclavage; expulsion; emprisonnement; torture;

 18   viol; persécution pour des raisons politiques, raciales et religieuses; et

 19   enfin, autres actes inhumains.

 20   Selon moi, les rédacteurs de l'article 5 du Statut ont, en matière de

 21   crimes contre l'humanité, dressé une échelle de gravité, l'assassinat étant

 22   le crime le plus élevé et les actes inhumains étant en bas de l'échelle, et

 23   juste avant ceci interviennent les persécutions. Pourquoi y a-t-il cette

 24   échelle ? Sans conteste, les cas A et B visent l'élimination physique d'une

 25   population civile. Les autres cas allant de C à I visent des actes sur une

 26   population civile, mais qui ne vont pas jusqu'à la mort.

 27   Quoi qu'il en soit, chacune de ces infractions peut être sanctionnée

 28   par une peine maximale. Il n'y a donc pas au sein de cette classification à


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  1   faire de distinction en raison d'une gravité potentielle. Dès lors, je

  2   considère que des persécutions pour des raisons politiques, raciales et

  3   religieuses sont aussi graves qu'un assassinat, une extermination, ou une

  4   réduction à l'esclavage.

  5   S'il est vrai qu'il y a un débat entre les Juges de ce Tribunal ou au

  6   niveau de la doctrine sur le point de savoir si les persécutions sont aussi

  7   graves qu'un assassinat, car, bien entendu, une population civile peut être

  8   persécutée pour des actes tels que des discriminations à l'embauche sans

  9   pour autant que cette personne ne court ce risque physique. Cependant, des

 10   persécutions par le biais de discours, de paroles et d'écrits peuvent être

 11   le détonateur, voire le combustible de crimes de sang.

 12   Alors (A), les persécutions. Quel est le droit applicable ? Ça a été

 13   déjà développé dans la décision lue hier, mais je vais approfondir certains

 14   points.

 15   La question du discours de la haine, au regard du crime de

 16   persécution, crime contre l'humanité, a été posée au Tribunal pénal pour

 17   l'ex-Yougoslavie dans l'affaire Kordic et Cerkez, et au TPIR dans l'affaire

 18   Nahimana et autres. Dans l'affaire Kordic et Cerkez, la Chambre avait

 19   conclu au paragraphe 209 du jugement, je cite :

 20   "L'acte d'accusation dressé contre Kordic est le premier dans

 21   l'histoire du Tribunal international à présenter l'incitation à la haine

 22   pour des motifs politiques ou autres comme un crime contre l'humanité."

 23   La Chambre avait constaté, toutefois, que :

 24   "Cet acte, tel qu'il est allégué dans l'acte d'accusation, ne

 25   constitue pas en soi une persécution en tant que crime contre l'humanité,

 26   car selon elle, il n'est nulle part mentionné en tant que crime dans le

 27   Statut du Tribunal international, mais surtout il n'atteint pas le même

 28   degré de gravité que les autres actes visés à l'article 5."


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  1   Elle avait ajouté, par ailleurs, que :

  2   "Le droit international coutumier ne considère pas cet acte comme un

  3   crime, et que ce serait violer le principe de la légalité que de condamner

  4   l'accusé pour un tel acte sous le chef de persécution."

  5   L'analyse juridique suivie par la Chambre a été renvoyée en note de

  6   bas de page 272 en évoquant l'affaire Streicher, disant que le Tribunal

  7   militaire international avait condamné l'accusé pour persécution "parce

  8   qu'il poussa le peuple allemand à se livrer à des actions hostiles." Le

  9   Tribunal militaire international a conclu que les actes de l'accusé, la

 10   publication d'un journal antisémite virulent, "poussaient au meurtre et à

 11   l'extermination." Alors, affaire Streicher, jugement du TMI, paragraphes

 12   321 à 324.

 13   De la même manière, dans le jugement Akayesu, paragraphes 672 à 675,

 14   le TPIR a condamné l'accusé pour incitation directe et publique à commettre

 15   le génocide, acte prohibé par l'article 23(C) du Statut du TPIR.

 16   Dans l'affaire Nahimana, la Chambre d'appel avait rappelé au

 17   paragraphe 979 de l'arrêt du 28 novembre 2007, que les écritures des

 18   parties, et notamment celles de l'ami de la Cour, faisaient ressortir le

 19   fait que l'interprétation de l'affaire Streicher, donnée par la Chambre de

 20   première instance, était erronée, car :

 21   "Streicher n'a pas été déclaré coupable de persécution pour des

 22   écrits antisémites bien antérieurs à l'extermination des Juifs dans les

 23   années 40, mais pour avoir poussé au meurtre et à l'extermination à

 24   l'époque même où, dans l'est, les Juifs étaient massacrés dans les

 25   conditions les plus horribles."

 26   Et elle a indiqué :

 27   "Que cette interprétation de l'affaire Streicher est confirmée par le

 28   fait que le Tribunal militaire international a acquitté Streicher aux


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  1   motifs que ses discours haineux n'avaient pas pour but d'inciter les

  2   Allemands à commettre des atrocités sur les peuples conquis."

  3   La Chambre d'appel a, pour sa part, considéré que :

  4   "Le crime de persécution consiste en un acte ou une omission qui

  5   introduit une discrimination de fait et qui dénie ou bafoue un droit

  6   fondamental reconnu par le droit international coutumier ou conventionnel,

  7   l'actus reus ou l'élément matériel du crime, et a été commis délibérément

  8   avec l'intention de discriminer pour un motif prohibé, notamment pour des

  9   raisons raciales, religieuses, ou politiques, le mens rea ou élément moral

 10   du crime."

 11   Donc, c'est au paragraphe 985 de l'arrêt Nahimana.

 12   Elle ajoute :

 13   "Cependant, ce n'est pas tout acte de discrimination qui constituera

 14   le crime de persécution. Les actes sous-jacents de persécution constitutive

 15   de crimes contre l'humanité, qu'ils soient considérés isolement ou

 16   conjointement avec d'autres actes, doivent présenter le même degré de

 17   gravité que les crimes énumérés à l'article 3 du Statut."

 18    En outre, elle rappelle que :

 19   "Il n'est pas nécessaire que ces actes sous-jacents constituent eux-

 20   mêmes des crimes en droit international."

 21   Aux paragraphes 986 et 987, la Chambre d'appel va pousser plus loin

 22   son analyse, fixant ainsi de manière claire la jurisprudence, en disant

 23   qu'elle considère - alors je vais dire lentement, parce que c'est la

 24   jurisprudence - que :

 25   "Un discours de haine visant une population pour des motifs

 26   d'ethnicité ou pour tout autre motif discriminatoire viole le droit au

 27   respect de la dignité humaine," confère Déclaration universelle des droits

 28   de l'homme, "des membres de ce groupe, harcèlement, humiliation, abus


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  1   psychologique, et constitue une discrimination de fait. En outre, la

  2   Chambre d'appel est d'avis qu'un discours qui appelle à la violence contre

  3   une population pour des motifs d'ethnicité ou pour tout autre motif

  4   discriminatoire porte atteinte au droit à la sécurité des membres du groupe

  5   visé et constitue ainsi une discrimination de fait," confère article 3 de

  6   la Déclaration universelle des droits de l'homme, "cependant, la Chambre

  7   d'appel n'est pas convaincue que le discours haineux à lui seul puisse

  8   constituer une violation des droits à la vie, à la liberté, et à

  9   l'intégrité physique. En effet, il faut l'intervention d'autres agents pour

 10   que de telles violations se concrétisent. Un discours ne tue pas

 11   directement les membres d'un groupe, pas plus qu'il ne les emprisonne ou

 12   les blesse physiquement."

 13   Enfin, concernant la question de savoir si l'atteinte aux droits

 14   fondamentaux, droit au respect de la dignité humaine, droit à la sécurité

 15   est aussi grave que dans le cas des autres crimes contre l'humanité énoncés

 16   à l'article 3 du Statut. La Chambre d'appel est d'avis qu'il n'est pas

 17   nécessaire de décider en l'espèce si en eux-mêmes, de simples discours

 18   haineux, n'incitant pas à la violence contre les membres d'un groupe

 19   ethnique sont d'une gravité équivalente aux autres crimes contre

 20   l'humanité. Selon elle, je cite :

 21   "Il n'est pas nécessaire que chaque acte sous-jacent de persécution soit de

 22   gravité équivalente aux autres crimes contre l'humanité. Les actes sous-

 23   jacents de persécution peuvent être considérés ensemble. L'effet cumulatif

 24   de tous les actes sous-jacents doit être d'une gravité équivalente aux

 25   autres crimes contre l'humanité. Par ailleurs, le contexte dans lequel ces

 26   actes sous-jacents s'inscrivent est particulièrement important pour en

 27   apprécier la gravité."

 28   Alors, quelle est la conclusion à mon niveau ? En ce qui me concerne, je


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  1   souscris à l'analyse de la Chambre d'appel, qui invite les Juges, au moment

  2   de se déterminer sur l'existence d'une persécution à examiner l'affaire de

  3   manière complète en portant leur intention sur les actes sous-jacents, dont

  4   le cumul aboutirait à une gravité certaine qui permettrait à un Juge

  5   raisonnable de conclure à l'existence d'une persécution. De mon point de

  6   vue, ceci ne peut se faire qu'au moment du délibéré final. Et je ne me

  7   livrerai pas à ce stade à un examen de chaque acte sous-jacent, ni à une

  8   évaluation globale du point de vue cumulatif telle qu'indiqué par la

  9   Chambre d'appel. Je me contenterai à ce stade de ne retenir, comme le

 10   souligne la Chambre d'appel, que l'intention de discriminer pour un motif

 11   prohibé.

 12   Partant de là, je vais maintenant passer au tamis de mon examen les

 13   éléments de preuve de l'Accusation pour déterminer l'intention

 14   discriminatoire. Et pour ce faire, je vais le faire par année. Et je vais

 15   retenir toutes les interviews, déclarations de M. Seselj, années 90, 91,

 16   92, 93, et j'en aurai deux non datées. Et cette technique va me permettre

 17   de mettre en exergue une trame générale.

 18   Alors, un certain nombre de ces éléments ont déjà été cités dans la

 19   décision majoritaire, mais ce qui est intéressant c'est de les intégrer

 20   dans le champ temporel. Ainsi, j'ai pu remonter au 25 juin 1990, où lors

 21   d'un interview avec un journaliste de "Vecernji List", M. Seselj dit que

 22   les Croates haïssent les Serbes et qu'ils ont des ambitions

 23   mégalomaniaques. Il ajoute que la haine naît uniquement dans les nations

 24   nouvellement formées. P1169.

 25   Quelques mois plus tard, lors d'un interview à TV studio B, 1er

 26   novembre 1990, l'accusé se déclare génétiquement et ethniquement serbe.

 27   Pièce P1172.

 28   Un mois plus tard, au cours d'un interview avec un journaliste qui


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  1   s'appelle Miroslav Peranovic, dans un hebdomadaire bosniaque le 1er

  2   décembre 1990, il déclare que le mouvement oustachi, donc il introduit le

  3   terme "Oustachi", est un mouvement typiquement fasciste et responsable de

  4   la commission d'un génocide perpétré contre le peuple serbe. La Croatie

  5   serait en outre, selon lui, un Etat totalitaire. P1173. Et il prône, en

  6   outre, l'abolition des universités en langue siptar.

  7   Quelques jours après, interview à TV Belgrade, 6 décembre 1990, il

  8   dit à quelques rares exceptions, les Croates sont tous des criminels et ils

  9   devraient être punis par la perte de centaines de leurs territoires. P32.

 10   Et il utilise le terme "Oustachi" à plusieurs reprises.

 11   Nous passons à l'année 91, et à l'assemblée nationale, il intervient

 12   le 23 février 1991 - P1255 - et il dit : "Nous sommes préparés à un bain de

 13   sang."

 14   Lors d'un intervention à la télévision "TV Politika", 5 avril 1991,

 15   M. Seselj dit que les Croates tentent d'utiliser les Musulmans pour les

 16   monter contre les Serbes. Il affirme que la création d'un Etat serbe unifié

 17   permettra au peuple serbe d'avoir 1,5 millions d'ennemis en moins. Il

 18   déclare, en outre, que les Serbes commettent une de leurs plus grosses

 19   erreurs en pensant que les Croates sont leurs égaux.

 20   Le 1er mai 1991, dans un interview accordé à TV Novi Sad, l'accusé

 21   explique que la revanche des Serbes contre les Croates implique le meurtre

 22   de civils croates et qu'il ne peut l'empêcher. De la même manière, les

 23   Serbes ne peuvent, à son sens, en assumer la responsabilité dans la mesure

 24   où, selon lui, cette revanche est justifiée. P1177.

 25   Il y a un extrait vidéo, P1003. Alors, j'avais eu la tentation de

 26   passer des extraits, mais je n'ai pas le temps. Le 6 mai 1991, voilà ce

 27   qu'il dit :

 28   "A nos ennemis qui, une nouvelle fois, mettent le couteau oustachi sous la


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  1   gorge serbe, nous disons que nous allons venger les victimes actuelles,

  2   mais également régler les comptes du passé."

  3   Lors d'un interview à TV Novi Sad cinq jours après, 11 mai, l'accusé

  4   ironise sur le fait que lorsqu'un Chetnik vise un Croate en pleine tête,

  5   les fusils Thompson sont tellement efficaces que les yeux sortent de leurs

  6   orbites. P1254.

  7   Au magazine "ON", le 24 mai 1991, il déclare :

  8   "Comment peut-on négocier avec les Oustachi ? Ne voyez-vous pas

  9   qu'aujourd'hui c'est tout le peuple croate qui est oustachi, à quelques

 10   rares exceptions près ?" P34.

 11   "Vous savez, les représailles rendent la vengeance aveugle. Il y a

 12   aurai des victimes innocentes. Mais comment faire autrement ? Que les

 13   Croates réfléchissent avant d'agir. S'ils deviennent des citoyens loyaux de

 14   la Serbie, ils jouiront de tous leurs droits et de toutes les libertés des

 15   citoyens. Dans le cas contraire, il faudra qu'ils fassent leurs bagages."

 16   Le 1er juin 1991, TV Novi Sad, il dit ceci -- il semble se vanter

 17   "d'avoir fait couler du sang oustachi en Slavonie." P1180.

 18   Dans le cadre de la campagne électorale le 4 juin 1991, dans le

 19   magazine "Horvats Ustacha Phantasmagorias", il dit :

 20   "Si les Croates vous utilisent de nouveau, la vengeance des Serbes sera

 21   terrible, et vous finirez au-delà de l'Anatolie." P35. "Les Croates

 22   s'arment. Le nouveau chef oustachi Tudjman dispose aujourd'hui de 80 000

 23   commandos oustachi armés jusqu'aux dents. Nous avons dit aux Croates : 'Si

 24   jamais vous vous livrez à un nouveau génocide contre le peuple serbe, nous

 25   ne nous contenterons pas de venger chaque victime, nous en profiterons pour

 26   régler nos comptes au nom de toutes les victimes des deux guerres

 27   mondiales.'" Comme on le voit, le règlement de comptes, c'est déjà à deux

 28   reprises qu'il est évoqué.


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  1   Lors d'un interview télévisé, Novi Sad, 25 juillet 1991, il affirme

  2   qu'il est dans la nature croate d'être lâche et d'envoyer des mercenaires

  3   combattre à la place de ses forces armées pour défendre ses intérêts. Il

  4   ajoute que les Croates sont génétiquement effrayés et les accuse d'être un

  5   peuple criminel. Donc ceci est la pièce P181.

  6   Lors d'un interview avec un journaliste de "Duga", bimensuel serbe, le 13

  7   septembre 1991, l'accusé propose une démarcation frontalière. P182. Il

  8   déclare en outre que : "Les Croates sont génétiquement des couards," comme

  9   il l'a également dit à la pièce P34.

 10   Alors, je vais demander à M. l'Huissier de faire apparaître la P34 et

 11   la P1182, et de le mettre sous l'ELMO, sinon je vais -- je vais demander à

 12   M. le Greffier de mettre ça sous l'ELMO. Voilà.

 13   Alors, vous voyez, j'ai mis la P34 et la P1182 dans la version

 14   anglaise et j'ai mis dans la langue de M. Seselj les propos tenus. Je

 15   continue.

 16   A l'assemblée nationale de la République de Serbie le 26 septembre

 17   1991, il préconise l'établissement d'un gouvernement yougoslave temporaire

 18   capable de former, si nécessaire, une junte militaire de sorte que le monde

 19   soit effrayé par de tels changements.

 20   A la même assemblée parlementaire le 27 septembre 1991, il exhorte

 21   l'assemblée nationale à s'opposer à toute mesure conduisant à ce que les

 22   Serbes vivent avec les Croates et les Slovènes. P1258.

 23   Alors, je vais faire apparaître également un document qui me semble

 24   particulièrement pertinent. C'est un interview accordé à un journaliste de

 25   "Ratne Novine" le 24 novembre 1991. Et l'accusé déclare que les Slovènes

 26   sont des voleurs, qui ont toujours déçu les Serbes lorsque les deux peuples

 27   cohabitaient. Voilà. Voilà le texte en anglais et -- et dans la langue.

 28   Nous passons à l'année 1992. C'est un interview accordé à "TV Studio


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  1   B" le 8 avril 1992. L'accusé déclare n'avoir jamais rencontré de sa vie un

  2   bon Croate, et affirme que les Croates sont les pires ennemis des Serbes.

  3   P1195.

  4   Le 21 avril 1992, un interview accordé à un journaliste du quotidien

  5   serbe "Unity". L'accusé appelle les radios d'Etat à licencier leurs

  6   employés macédoniens, bulgares et croates parce qu'ils s'opposeraient à la

  7   défense des intérêts du peuple serbe. P1197.

  8   Quelques mois après, le 12 juin 1992, il y a un interview à "TV

  9   Politika". Il déclare qu'il n'y a aucun bon Croate ni à Imotski ni dans

 10   l'ensemble de l'Herzégovine occidentale. P1201.

 11   Alors, je passe à l'année 1993, et je me fonde sur une conférence de

 12   presse que nous retrouvons dans un des ouvrages de M. Seselj intitulé "Le

 13   chef d'état-major général sur les genoux". Et il affirme que le Parti

 14   radical serbe dispose de 16 roquettes de type CC-22, et menace de les

 15   lancer sur la population civile italienne si l'Italie venait à intervenir

 16   en territoire serbe. P1219. Je ne sais pas ce que l'Italie venait faire,

 17   mais ça a été dit là.

 18   Lors d'un interview accordé à un journaliste de l'hebdomadaire

 19   "Nîmes" une semaine après, le 21 mai 1993, il dit que les plus grands

 20   ennemis des Musulmans sont les Croates, et on peut penser que là il y a

 21   attisation de la haine.

 22   Alors, en faisant cette étude de tous ces documents, je n'ai retrouvé que

 23   deux dont je n'ai pas de date, mais je vais citer les pièces : P1264,

 24   P1338, P255, P256, P60 --

 25   Oui ?

 26   L'ACCUSÉ : [interprétation] Objection. Je suis contraint d'intervenir.

 27   Monsieur le Président, vous avez dit -- vous avez cité ma déclaration

 28   consistant à dire que les Croates seraient les plus grands ennemis des


Page 16967

  1   Musulmans. C'est la façon dont on m'a traduit la chose en serbe, et cela

  2   peut effectivement correspondre aux propos que j'ai tenus. Mais dans la

  3   traduction anglaise, il est indiqué ici : Il dit que les Musulmans sont les

  4   pires ennemis des Croates. Donc, que les Musulmans seraient les pires

  5   ennemis des Croates. Mais là, ce n'est qu'un exemple de ce qui ne cesse de

  6   se produire. Moi j'ai procédé à la vérification de tous les comptes rendus

  7   en anglais, en français, et j'ai énuméré près de 4 000 erreurs de ce type-

  8   ci.

  9   M. LE JUGE ANTONETTI : Alors --

 10   Mme LE JUGE LATTANZI : Est-ce que je peux dire une chose ?

 11   M. LE JUGE ANTONETTI : Oui, alors --

 12   Mme LE JUGE LATTANZI : Je me félicite, avec vous qui connaissez très bien

 13   l'anglais et le français et qui refusez complètement d'avoir des documents

 14   en anglais ou en français. Merci. Je suis très contente.

 15   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. En tout cas, merci de vous en être rendu

 16   compte. Moi-même, je n'ai pas regardé, parce que je lis mon document et je

 17   vous regarde, et parfois je me --

 18   L'ACCUSÉ : [interprétation] Non, je n'y renoncerai jamais. Et, Madame

 19   Lattanzi, je peux me débrouiller également en italien. J'ai appris le latin

 20   et je l'ai, à vrai dire, un peu rafraîchi grâce à l'italien.

 21   M. LE JUGE ANTONETTI : Alors, la correction a été faite au transcript. Et,

 22   effectivement, il faut que ça soit exact, d'autant que je sais que M.

 23   Seselj vérifie tout. Et je ne dois pas commettre d'erreur, et je m'efforce

 24   à ne pas en commettre. Ça peut venir du fait que je lis trop vite aussi. Je

 25   m'en excuse.

 26   Alors, il aurait dit dans ces documents non datés, aucun crime ne restera

 27   impuni, et puis une phrase qui mérite d'être examinée, je cite :

 28   "Des hordes d'Oustachi déferlent sur nos villages, se ruent sur nos femmes


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  1   et nos enfants et tentent de terminer le génocide entrepris contre le

  2   peuple serbe." P62.

  3   Dans le rapport Oberschall, tout le monde se souvient que l'Accusation a

  4   fait venir M. Oberschall en qualité de témoin de l'Accusation afin qu'il

  5   témoigne sur la propagande nationaliste de l'accusé au cours des années

  6   1990 à 1994. L'expert, aux pages 18, 22 et 24 de son rapport, évoque

  7   notamment les persécutions, et aux pages 29 et suivantes, analyse les

  8   discours sur les expulsions des populations.

  9   Alors, il convient, dans un souci d'équité, de rappeler que par une

 10   décision du 30 novembre 2007, la Chambre a rejeté la qualité d'expert de ce

 11   témoin, mais a néanmoins admis pour des raisons pratiques son rapport par

 12   une décision ultérieure du 24 janvier 2008, étant précisé que la Chambre

 13   tiendra compte du rejet de la qualité d'expert pour apprécier la valeur

 14   probante de cet élément de preuve, P5.

 15   Lors du témoignage de cet expert, des vidéos ont été projetées, et

 16   certaines sont particulièrement pertinentes concernant les persécutions.

 17   C'est ainsi que la vidéo P14 - si on avait du temps, on la passerait, mais

 18   on n'a pas le temps - c'est un discours de l'accusé à Jagodnjak en avril

 19   91. L'accusé évoque les propos -- il évoque le général Tudjman et les

 20   nouvelles autorités oustachi, qui, selon lui, ont encore une fois placé un

 21   couteau sous la gorge du peuple serbe, et qu'ils essaient de provoquer un

 22   nouveau génocide. Et il ajoute "chaque vie serbe sera vengée."

 23   Lors d'un discours le 13 mai 93, dans le cadre d'une visite des

 24   dirigeants du Parti radical serbe à Banja Luka, P18, il dit :

 25   "La prochaine fois qu'ils vont frapper, il faut les," alors entre

 26   parenthèses, les Musulmans et les Croates, "il faut les abattre pour qu'ils

 27   ne se relèvent plus, plus jamais nous frapper."

 28   Alors, je vais maintenant examiner plus particulièrement les discours tenus


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  1   à Hrtkovci. Alors, le paragraphe 125 du mémoire préalable prend en compte

  2   les propos tenus par les Témoins VS-026 et VS-1133. Et pour l'Accusation,

  3   ces témoins diraient la vérité. Alors, je mets un bémol en disant ceci.

  4   Toutefois, je me dois de constater que le Témoin VS-026 affirme, en

  5   contradiction totale avec la teneur du discours, que l'accusé Seselj avait

  6   déclaré qu'"il arracherait les yeux des non-Serbes, des Croates et des

  7   Hongrois de Subotica avec des cuillères et des fourchettes rouillées." Ceci

  8   n'est pas dans le discours.

  9   Le même témoin a dit que l'accusé "a rencontré des dirigeants du

 10   Parti radical serbe et du SUP", et qu'à cette occasion il aurait appelé à

 11   l'expulsion et au meurtre des non-Serbes.

 12   Le Témoin VS-026, qui n'a pas témoigné pour des raisons médicales,

 13   tout le monde le sait, a certes témoigné dans l'affaire Milosevic, mais est

 14   revenu ultérieurement sur ses déclarations, voulant, malgré son état de

 15   santé précaire, être témoin de la Défense, et ce, par maintes déclarations

 16   renouvelées en ce sens. Alors, en conséquence, en l'état, il n'est pas

 17   possible pour un Juge raisonnable de donner un crédit quelconque si les

 18   dires de ce témoin ne sont pas corroborés par un témoin, celui-ci étant non

 19   discutable.

 20   Les allégations via le Témoin VS-1033, selon lesquelles l'accusé

 21   Seselj aurait dit, je cite :

 22   "Il fallait épurer les mariages mixtes entre Serbes et Croates et que

 23   les enfants de ces unions devraient être tués", et qu'il aurait cité les

 24   noms des personnalités non-serbes qui devaient quitter Hrtkovci, ne sont

 25   absolument pas confirmées par le discours en possession de la Chambre.

 26   Au paragraphe 127 du mémoire préalable, l'Accusation soutient que l'accusé

 27   a prononcé un discours le 6 mai à Hrtkovci, et qu'avant ce discours, de la

 28   musique a été diffusée, et que deux heures avant son arrivée, "des


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  1   volontaires du Parti radical serbe sont arrivés en autocar, vêtus

  2   d'uniformes noirs et armés de fusils." Lors des discours que j'ai lus mot à

  3   mot, peut-être une dizaine de fois pour ne pas faire d'erreur, un

  4   intervenant avait cité des noms de Serbes -- de -- de non-Serbes qui

  5   avaient quitté Hrtkovci, et contrairement aux dires de l'Accusation, ce

  6   n'est pas l'accusé qui avait cité ces personnes. Il suffit de regarder les

  7   documents que le Procureur a en sa possession, ainsi que la Chambre.

  8   Selon l'Accusation, à la suite du discours, certains Croates ont décidé de

  9   quitter Hrtkovci, il s'appuie sur VS-1136, et selon le Témoin VS-1134, une

 10   campagne générale de harcèlement et d'intimidation a été dirigée contre les

 11   non-Serbes, et en particulier les Croates de Hrtkovci. Ceux-ci faisaient

 12   l'objet de menaces téléphoniques ou directes. Il est vrai que l'accusé a

 13   dit qu'aucun crime ne restera impuni et qu'il y aura des responsables. Ces

 14   propos, bien que prononcés dans une situation de tension, ne sont la

 15   reproduction des propos tenus aujourd'hui dans des Etats démocratiques en

 16   cas d'attaques terroristes, par exemple.

 17   En l'état des éléments de preuve produits, l'examen de l'acte

 18   d'accusation du mémoire préalable, des pièces admises et des déclarations

 19   de témoins, me permet de caractériser des propos, des interviews et des

 20   déclarations de l'accusé allant dans le sens de discours susceptibles

 21   d'être qualifiés de discours de la haine contenant un motif

 22   discriminatoire.

 23   Voici pour les persécutions. Concernant les expulsions et transfert forcé.

 24   Le droit applicable.

 25   L'expulsion et le transfert forcé de civils non-serbes, notamment croates

 26   et musulmans, fondent trois des chefs d'accusation mentionnés dans l'acte

 27   d'accusation. D'une part, l'Accusation inclut ces crimes dans le chef de

 28   persécution, chef 1. D'autre part, l'Accusation les qualifie également


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  1   d'expulsion constituant un crime contre l'humanité, chef 10; et d'acte

  2   inhumain constituant un crime contre l'humanité, transfert forcé, chef 11.

  3   L'Accusation soutient aux paragraphes 31 à 33 de l'acte d'accusation

  4   que l'accusé a planifié, incité à commettre ou commis, ou de tout autre

  5   manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter les crimes

  6   d'expulsion et de transfert forcé de civils non-serbes, notamment croates

  7   et musulmans, entre le 1er août 91 et le mois de mai 92 dans les SAO de

  8   Croatie et de RSK, entre le 1er mars 92 et fin septembre 93 en Bosnie-

  9   Herzégovine, et entre mai et août 92 dans certaines régions de Vojvodine.

 10   La jurisprudence de ce Tribunal opère une distinction entre l'expulsion,

 11   également appelée déportation, sanctionnée par l'article 5(D) du Statut et

 12   le transfert forcé réprimé par l'article 5(i) du Statut sous la

 13   qualification "autres actes inhumains".

 14   Pour ceux que ça intéresse, cette distinction a été établie par le jugement

 15   Krstic du 2 août 2001, dans lequel la Chambre de première instance a

 16   déclaré au paragraphe 521 que, je cite :

 17   "L'expulsion," encore appelée déportation, "et le transfert forcé

 18   impliquent l'un et l'autre l'évacuation illégale d'individus hors de leur

 19   territoire de résidences contre leur volonté; ces deux termes ne sont

 20   cependant pas synonymes en droit international coutumier. Le premier

 21   suppose, en effet, le transfert hors du territoire national, alors que dans

 22   le second cas, celui-ci s'opère à l'intérieur des frontières d'un Etat."

 23   Cette distinction n'enlève toutefois rien à la condamnation unanime

 24   de telles pratiques en droit international humanitaire. En outre, la

 25   jurisprudence a évolué concernant l'appréhension du caractère

 26   transfrontalier du transfert. Ainsi, la Chambre de première instance dans

 27   l'affaire Stakic a estimé que la déportation exigeait le franchissement de

 28   frontières, mais que ces dernières pouvaient être de nature variée. La


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  1   Chambre d'appel dans cette même affaire a rappelé dans son arrêt du 22 mars

  2   2006, que le droit international coutumier reconnaît implicitement que les

  3   victimes doivent être expulsées dans un autre pays par-delà des frontières

  4   officiellement reconnues et que le déplacement hors d'un territoire occupé

  5   suffit pour qu'il y ait déportation. Elle en a déduit que "dans certaines

  6   circonstances, un déplacement par-delà des frontières de facto peut

  7   constituer une déportation."

  8   Selon une jurisprudence constante du Tribunal, l'élément matériel de

  9   l'expulsion est constitué par le fait de déplacer de force des personnes en

 10   les expulsant, ou par d'autres moyens de coercition, de la région où elles

 11   se trouvent légalement, au-delà des frontières officielles d'un Etat ou,

 12   dans certains cas, des frontières de facto sans motif admis en droit

 13   international. Toutefois, concernant l'élément moral et la nécessité de

 14   prouver l'intention des accusés de chasser leurs victimes à jamais, la

 15   jurisprudence du Tribunal demeure plus incertaine.

 16   Sur le caractère forcé du transfert ou de l'expulsion, il convient de

 17   rappeler que la jurisprudence du Tribunal ne le limite pas à l'emploi de la

 18   force physique, mais peut également viser la menace de recours à la force

 19   ou à la coercition, qu'elle se manifeste sous forme de violence, de

 20   contrainte, de détention, de pression psychologique ou d'abus de pouvoir,

 21   ou qu'elle résulte simplement du climat coercitif.

 22   C'est au vu des circonstances propres à chaque espèce qu'il faut

 23   déterminer si les personnes transférées -- si la personne a eu

 24   véritablement le choix.

 25   Alors, sur la licéité du transfert ou de l'expulsion, les conventions

 26   de Genève autorisent les déplacements forcés dans certains cas précis.

 27   Ainsi, l'article 19 de la Troisième convention de Genève relative au

 28   traitement des prisonniers de guerre autorise l'évacuation des prisonniers


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  1   de guerre d'une zone de combat vers des camps où ils seront hors de danger.

  2   L'article 49 de la Quatrième convention de Genève relative à la protection

  3   des personnes civiles en temps de guerre permet l'évacuation totale ou

  4   partielle d'une région occupée, je cite : "si la sécurité de la population

  5   ou d'impérieuses raisons militaires l'exigent." Etant précisé que la

  6   population devra être ramenée dans ses foyers aussitôt que les hostilités

  7   dans ce secteur auront pris fin. Et enfin, l'article 17 du Protocole

  8   additionnel II reconnaît que le déplacement de population civile peut être

  9   ordonné pour des raisons ayant trait au conflit. En outre, le consentement

 10   des personnes déplacées peut justifier leur déplacement et le rendre légal.

 11   Etant précisé que celui-ci doit être donné volontairement et dans

 12   l'exercice de son libre arbitre.

 13   Au paragraphe 17(i) de l'acte d'accusation, l'accusé Seselj est

 14   accusé de persécutions, sanctionné par l'article 5(h) du Statut pour

 15   l'expulsion ou le transfert forcé de dizaines de milliers de civils non-

 16   serbes, notamment croates et musulmans, plus particulièrement à Zvornik,

 17   dans la région de Sarajevo, à Mostar, Nevesinje, et dans certaines parties

 18   de la Vojvodine.

 19   A plusieurs reprises, les Chambres de première instance ont reconnu

 20   que les déplacements forcés de population constituaient des persécutions.

 21   Etant précisé que c'est le caractère forcé du déplacement qui entraîne la

 22   responsabilité de celui qui le commet et non pas la destination vers

 23   laquelle ces habitants sont envoyés. Cet élément s'apprécie au regard des

 24   mêmes critères que pour les crimes de transfert forcé et d'expulsion

 25   sanctionnés au titre des articles 5(d) et 5(i) du Statut.

 26   Pour que les actes d'expulsion ou de transfert forcé puissent être

 27   considérés comme des actes sous-jacents au crime de persécution, ils

 28   doivent séparément ou cumulativement être commis avec une intention


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  1   discriminatoire et constituer un crime de persécution de même gravité que

  2   les autres crimes visés à l'article 5 du Statut. Ceci étant dit, je ne vais

  3   pas à ce stade trancher définitivement la question de savoir si je dois

  4   développer la question de l'expulsion ou du transfert forcé comme un acte

  5   sous-jacent aux persécutions qui font l'objet du chef 1, puisque j'ai

  6   conclu plus haut à l'existence au vu des éléments de preuve produits du

  7   chef 1.

  8   Une question essentielle qui se pose est celle de savoir s'il y a la

  9   possibilité par une autorité publique de procéder à des déplacements de

 10   population. Le Protocole additionnel II aux conventions de Genève de 1949,

 11   relatif à la protection des victimes et des conflits armés non

 12   internationaux du 8 juin 1977 précise en son article 17, je cite parce que

 13   c'est important :

 14   "Le déplacement de la population civile ne pourra pas être ordonné

 15   pour des raisons ayant trait au conflit, sauf dans le cas où la sécurité

 16   des personnes civiles ou des raisons militaires impératives l'exigent. Si

 17   un tel déplacement doit être effectué, toutes les mesures possibles seront

 18   prises pour que la population civile soit accueillie dans des conditions

 19   satisfaisantes de logement, de salubrité, d'hygiène, de sécurité et

 20   d'alimentation.

 21   "Les personnes civiles ne pourront pas être forcées de quitter leur

 22   propre territoire pour des raisons ayant trait au conflit."

 23   Le commentaire du CICR en l'espèce dit que les déplacements forcés de

 24   la population civile soient interdits sous réserve de deux circonstances

 25   exceptionnelles : la sécurité de la population civile, les raisons

 26   militaires impérieuses. Il m'apparaît que ces raisons doivent être

 27   appréciées au cas par cas et qu'en tout état de cause elles doivent être

 28   impérieuses. En examinant les discours que l'on va voir tout à l'heure, je


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  1   n'ai pas trouvé dans les propos de l'accusé ce type de circonstances.

  2   Alors, je vais maintenant examiner les éléments de preuve relatifs au

  3   transfert et aux expulsions. Et je vais faire comme tout à l'heure, je vais

  4   les examiner année par année afin d'avoir, là aussi, une trame générale.

  5   En 1990, l'accusé donne un interview à l'hebdomadaire serbe  "Pogledi" le

  6   15 avril 90, et l'accusé appelle à déplacer toute la population albanaise

  7   vivant à 50 kilomètres de la frontière albanaise dans d'autres endroits de

  8   la Yougoslavie, et rappelle que la minorité ethnique albanaise, soutenue

  9   par l'Occident, menace l'ethnie serbe majoritaire. P1168.

 10   L'année suivante, en 1991, le 11 mai 91, dans un interview à la chaîne de

 11   télévision TV Novi Sad, il déclare que les Albanais doivent être expulsés

 12   de Serbie. P1254.

 13   Plusieurs mois après, lors d'un interview accordé à un journaliste de

 14   "Ratne Novine" le 24 novembre 91, l'accusé se prononce en faveur d'un

 15   échange de populations, proposant ainsi que les Serbes de Zagreb aillent à

 16   Zupanja, et que les Croates de Zupanja aillent à Zagreb, ceci, car selon

 17   lui, les Croates et les Serbes ne peuvent cohabiter au sein d'un même Etat.

 18   J'insiste, il a été dit, les Serbes et les Croates ne peuvent cohabiter au

 19   sein d'un même Etat. P1186.

 20   L'année suivante, lors d'un interview à un journaliste de Radio Novi Sad 16

 21   janvier 1992, l'accusé appelle à un échange entre Serbes et Croates qui

 22   devraient être, à son sens, réalisé le plus tôt possible. P1190.

 23   Le 5 avril, interview à un journaliste de "Politika", il plaide en faveur

 24   d'un échange de populations entre Serbes et Croates. P1298.

 25   Lors d'un interview accordé à un journaliste du quotidien serbe "Unity", je

 26   l'ai déjà évoqué, le 21 avril 92, il exhorte les 500 000 immigrants

 27   albanais de retourner en Albanie. P1197.

 28   Lors de questions posées dans le cadre d'une conférence de presse tenue par


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  1   le Parti radical serbe le 28 mai 92, l'accusé déclare que les Croates

  2   déloyaux devraient être exclus de Croatie et que les réfugiés serbes

  3   devraient s'installer à leur place dans leurs demeures. P1199.

  4   Le 12 juin 1992, "TV Politika," il déclare qu'un échange de populations va

  5   être réalisé entre les Serbes et les Croates. P1201.

  6   Lors d'un interview accordé à un journaliste de "Globus" 7 août 92, il

  7   explique que lorsque le Parti radical serbe sera au pouvoir, il procédera à

  8   un échange de populations entre Serbes et Croates. P1203.

  9   Dans le cadre d'une discussion avec l'agence de presse "Tanjug" 7 décembre

 10   92, il appelle à l'expulsion des 360 000 immigrants albanais et de leurs

 11   descendants qui sont entrés au Kosovo-Metohija, ou, plus largement,

 12   Yougoslavie, depuis le 6 avril 1941. P1208.

 13   Nous passons à l'année 93. Je m'excuse d'accélérer auprès des interprètes,

 14   mais comme ils sont excellents, ils arrivent à suivre.

 15   Lors d'un interview radiophonique pour Radio Banja Luka, 20 mars 93, il

 16   déclare que le Parti radical serbe a œuvré pour loger des réfugiés serbes

 17   dans les appartements ayant été désertés. Il affirme qu'une campagne

 18   devrait être menée pour qu'il soit procédé à un échange de populations

 19   entre les Serbes, les Musulmans et les Croates qui ne peuvent plus, selon

 20   lui, cohabiter sur le même territoire. P1215.

 21   Avec Radio Belgrade, 22 mars 93, il explique que Dobrica Cosic, président

 22   de la République fédérale de Yougoslavie, a appelé à la réalisation d'un

 23   échange de populations entre les Serbes et les Croates, et que le Parti

 24   radical serbe s'est engagé dans cette entreprise. P1216.

 25   Lors d'un interview dont on n'a pas la source, mais c'est dans un de ces

 26   ouvrages, P1218. Le 7 mai 93, il déclare qu'un échange spontané de

 27   populations a eu lieu à Zvornik au cours duquel des Serbes ont pris la

 28   place des anciens habitants musulmans.


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  1   Le 4 novembre 93, à Radio "Ponos", il appelle à un échange de populations.

  2   P1231.

  3   Le 6 décembre 93, à un journaliste de l'agence "Tanjug", il admet avoir

  4   prononcé des discours de propagande visant à ce que la population quitte la

  5   Serbie.

  6   Le document P574 du 20 septembre émanant de la République de Serbie

  7   indique qu'au recensement de 2002, il y avait 56 546 civils qui vivaient

  8   dans la province autonome de la Vojvodine; alors qu'au recensement de 1991,

  9   ils étaient 74 808. Et qu'il y avait donc 18 262 civils de moins, soit 24 %

 10   en moins. Ce document indique que ce chiffre résulte de la politique de

 11   persécution de la population civile qui peut être consécutive de crime de

 12   guerre.

 13   Ce document peut être de nature à conforter les allégations de

 14   l'Accusation sur la politique de persécution ayant conduit au transfert et

 15   à l'expulsion des non-Serbes.

 16   L'Accusation indique au paragraphe 11 de son mémoire, que les

 17   discours de l'accusé se sont fait véhéments envers les Croates de Serbie.

 18   P35, P892, P43. Il a indiqué qu'une fois que des milliers de fonctionnaires

 19   fédéraux auraient été expulsés, il y aura des milliers de logements

 20   disponibles à Belgrade. Ce discours fait une référence explicite au départ

 21   des fonctionnaires des structures fédérales de la Yougoslavie. L'accusé

 22   fait également allusion à l'échange de populations, parlant des Serbes

 23   expulsés de Zagreb. Il s'agit, selon lui, de mesures de rétorsion

 24   classiques en droit international. En disant : Nous ne tuerons pas, bien

 25   entendu, mais nous ferons simplement monter dans des camions et dans des

 26   trains en direction de Zagreb. P892.

 27   Dans le document P43, il reconnaît qu'il expulsera les Croates pour

 28   plusieurs raisons : tout d'abord, les Croates sont infidèles à la Serbie,


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  1   ils déstabilisent la situation intérieure, ils se sont révélés des

  2   collaborateurs directs des Oustacha, et, enfin, parce qu'ils doivent faire

  3   l'objet de mesures de représailles en réponse à l'expulsion de 160 000

  4   Serbes par Tudjman.

  5   Sur la question posée qui est au cœur du problème. Voilà ce qu'on lui pose

  6   : Vous avez été notamment critiqué pour avoir déclaré qu'il fallait

  7   expulser tous les Croates de Serbie, et il n'est d'ailleurs pas dans la

  8   tradition du Parti radical de tenir de tels propos. On lui pose la

  9   question. L'accusé ne répond pas sur le fond, se contentant de dire que le

 10   Parti radical s'attaque au problème à la racine. Celui qui interviewe se

 11   rend compte qu'il n'arrive pas aux réponses, et il lui demande alors :

 12   "Comptez-vous retirer vos propos sur les Croates" ? Il répond alors :

 13   "Jamais."

 14   Est-ce que cette réponse est directement liée aux expulsions ou aux

 15   arguments des Croates qui ont expulsé les Serbes ? Sur ce plan-là, de mon

 16   point de vue, je n'ai pas de certitude absolue, mais un doute.

 17   Lors du témoignage de Mme Tabeau, il y a eu à l'appui de son rapport sur

 18   l'immigration des Croates et autres populations non-serbes du village de

 19   Hrtkovci en 1992, une liste de Croates ayant quitté la localité de

 20   Hrtkovci. P565. Ce document mentionne comme destination d'arrivée Croatie

 21   ou un inconnu -- ou inconnue, j'en ai parlé la dernière fois. La migration

 22   de la population de Hrtkovci a, selon elle, été confirmée par les

 23   informations recueillies auprès du Bureau d'enregistrement des personnes

 24   déplacées et des réfugiés mis en place par les autorités croates. Ces

 25   derniers avaient pour but de recenser les arrivants et d'évaluer leur

 26   situation pour savoir s'ils avaient aux droits -- s'ils avaient droit au

 27   statut des personnes déplacées et réfugiées, et, le cas échéant, leur

 28   attribuer un numéro d'enregistrement. Transcript 10 839, 10 842.


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  1   Je rappelle pour mémoire que le Témoin VS-061 a indiqué que des certificats

  2   de baptême étaient remis aux Croates qui quittaient Hrtkovci pour qu'ils

  3   passent la frontière croate. Pages 9 930, 31, 37 et 54.

  4   Un Juge raisonnable, donc, peut tirer la conclusion que parmi les 722 noms

  5   répertoriés, il y a en réalité 233 dont la destination est inconnue, et

  6   qu'il convient donc de les retirer de la liste. C'est ce que j'ai dit hier.

  7   En définitive, un Juge raisonnable qui déciderait de déclarer l'accusé

  8   coupable du crime d'expulsion et de transfert forcé commis à Hrtkovci entre

  9   92 et 93 ne pourrait retenir à son encontre que l'expulsion ou le transfert

 10   de 489 des individus figurant à l'annexe 11 de l'acte d'accusation, et dont

 11   la destination est connue. Je renvoie au tableau que nous avons vu hier, à

 12   l'annexe 11.

 13   Au vu des éléments de preuve, un Juge raisonnable pourrait conclure que

 14   l'accusé a commis des crimes d'expulsion et de transfert forcé, définis aux

 15   chefs d'accusation 10 et 11 de l'acte d'accusation.

 16   Alors j'ai quasiment terminé, par le chapitre E, aider et encourager.

 17   Concernant la forme de responsabilité liée à l'aide et à l'encouragement,

 18   l'Accusation, aux paragraphes 149, 150, 151 et 152, 153 du mémoire

 19   préalable, s'appuie sur une jurisprudence abondante, notes de bas de page

 20   507 à 513, Aleksovski, Krnojelac, Kunarac, Blaskic, Furundzija, Tadic,

 21   Celebici et Vasiljevic, pour affirmer que le fait d'aider et d'encourager

 22   consistait à apporter une aide, un encouragement ou un soutien moral à la

 23   personne qui commet un crime. La jurisprudence stipule que les agissements

 24   d'un accusé doivent avoir un effet important sur la perpétration. L'aide et

 25   l'encouragement peuvent être antérieurs, concomitants ou postérieurs au

 26   crime. La présence de l'accusé peut constituer une forme d'aide et

 27   d'encouragement si elle a eu un effet sur l'auteur du crime. L'élément

 28   moral doit avoir deux aspects : l'accusé doit avoir conscience que le crime


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  1   sera probablement commis; l'accusé doit savoir que ses actes contribueront

  2   à la perpétration du crime par l'auteur principal. Et pour l'Accusation,

  3   paragraphe 153, l'élément moral est attesté par ses propres déclarations,

  4   P644, le caractère incendiaire de ses discours, ses visites répétées sur

  5   les champs de bataille, l'envoi ininterrompu de volontaires sur le front.

  6   Témoin VS-017, ses ordres adressés aux volontaires et aux autres forces

  7   serbes, Témoins 007, 026, 027, et l'omission de prendre des sanctions

  8   contre les volontaires pour la commission des crimes. Témoins 007, 026,

  9   034.

 10   Il apparaît ainsi que l'aide et l'encouragement résulte des propos de

 11   l'accusé, de sa présence préalable sur les lieux des combats et l'envoi des

 12   volontaires. L'acte d'accusation vise trois régions : Bosnie-Herzégovine,

 13   Croatie, Serbie. Il convient de restituer les crimes dans ces régions, en

 14   perspective avec, me semble-t-il, deux dates fort : la déclaration

 15   d'indépendance de la Croatie et celle de la Bosnie. Ces deux dates sont

 16   particulièrement importantes, car elles ont eu pour effet le retrait de la

 17   JNA et son remplacement par les forces locales ou des groupes armés issus

 18   d'entités régionales. La question s'est alors posée du contrôle de la

 19   Serbie sur les troupes présentes sur le terrain. Le contrôle de la Serbie

 20   sur les forces serbes, au sens de la jurisprudence du Tribunal, doit être

 21   un contrôle global, de nature -- de contrôle des opérations militaires et

 22   pas uniquement de nature financier.

 23   Au paragraphe 137 de l'arrêt Tadic, voilà ce qu'a dit la Chambre

 24   d'appel :

 25   "Le degré de contrôle requis en droit international peut être

 26   considéré comme avéré lorsqu'un Etat joue un rôle dans l'organisation, la

 27   coordination ou la planification des actions militaires du groupe

 28   militaire. En plus, de le financer, l'entraîner et l'équiper ou lui


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  1   apporter son soutien opérationnel."

  2   Il reste dix minutes avant la pause.

  3   L'INTERPRÈTE : Note de la cabine française : Serait-il possible de ralentir

  4   un petit peu, Monsieur le Président. Merci.

  5   M. LE JUGE ANTONETTI : Oui.

  6   Mme LE JUGE LATTANZI : -- 4 heures et 25.

  7   M. LE JUGE ANTONETTI : Vous voulez arrêtez quand ?

  8   Mme LE JUGE LATTANZI : On a encore 20 minutes, non ?

  9   M. LE JUGE ANTONETTI : Mme Lattanzi dit qu'on a encore 20 minutes. Je la

 10   remercie.

 11   Sur la notion de contrôle, la Cour internationale de justice, dans l'arrêt,

 12   Application de la convention pour la prévention et la répression du crime

 13   de génocide Bosnie-Herzégovine contre Serbie-et-Monténégro, arrêt de

 14   notoriété mondiale, en date du 26 février 2007, a conclu que la Serbie

 15   n'exerçait pas de contrôle sur les soldats de la VRS du fait que la VRS ne

 16   constituait pas un organe de jure de la République fédérale de Yougoslavie

 17   au sens où il ne possédait pas, en vertu du droit interne de cet Etat, le

 18   statut d'organe de celui-ci. En effet, aux paragraphes 392 et suivants, la

 19   Cour dit ceci. Alors, je vais le dire lentement parce que c'est important :

 20   "Selon la jurisprudence de la Cour, une personne, un groupe de

 21   personnes, ou une entité quelconque peut être assimilé aux fins de la mise

 22   en œuvre de la responsabilité internationale à un organe de l'Etat même si

 23   une telle qualification ne résulte pas du droit interne lorsque cette

 24   personne, ce groupe, ou cette entité agit en fait sous," je cite, "la

 25   totale dépendance de l'Etat dont il n'est en somme qu'un simple

 26   instrument."

 27   Alors, le paragraphe suivant est fondamental : 

 28   "A la date pertinente, c'est-à-dire en juillet 95, ni la Republika Srpska


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  1   ni la VRS ne pouvaient être gardées comme de simples instruments d'action

  2   de la République fédérale yougoslave dépourvue de réelle autonomie. Certes,

  3   au cours des années précédentes, les liens politiques, militaires et

  4   logistiques entre les autorités fédérales de Belgrade et celles de Pale

  5   entre l'armée yougoslave et la VRS avaient été puissants et étroits, et ces

  6   liens étaient sans nul doute demeurés forts. Mais ils n'étaient pas tels,

  7   en tout cas à la période considérée, que les structures politiques et

  8   militaires des Serbes de Bosnie dussent être -- dussent-elles être

  9   assimilées à des organes de la République fédérale."

 10   Les Juges de la Cour internationale de Justice pour aboutir à cette

 11   conclusion, ô combien importante, ont eu accès aux jugements et aux

 12   documents du Tribunal. Dès lors, je pose la question. Si la Serbie n'exerce

 13   pas un contrôle sur les soldats de la VRS, en quoi un opposant politique

 14   comme Vojislav Seselj peut-il exercer un   contrôle ? L'accusé se voit donc

 15   reprocher d'avoir aidé et encouragé à la commission de tous les crimes,

 16   chefs 11 à 14, en y contribuant de manière individuelle et en connaissance

 17   de cause. Cette forme de responsabilité très large doit être examinée au

 18   niveau des chefs d'accusation eux-mêmes. Il convient d'établir, pour le

 19   moins, entre les crimes commis et l'accusé, une forme de lien à partir de

 20   son comportement et de ses discours. En premier lieu, il n'y a aucun

 21   élément de preuve concernant le chef 4, meurtre; les chefs 8 et 9, torture

 22   et traitement cruel; chefs 12 à 14, destruction sans motif et pillage. Dans

 23   son comportement et ses discours, l'Accusation n'établit pas au-delà de

 24   tout doute raisonnable qu'il a aidé et encouragé ceux qui ont commis des

 25   meurtres, tortures, destructions ou pillages. Au contraire, la pièce P644 -

 26   et j'invite M. Marcussen à la lire à tête reposée - qui est une pièce

 27   essentielle des éléments de preuve de l'Accusation, révèle une condamnation

 28   de ces chefs par l'accusé lui-même en mars 1995. Voilà ce qu'il a dit :


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  1   "Il y a eu des incidents. Nous étions très sévères sur le front. Nous

  2   avons immédiatement renvoyé ces gens.

  3   "Ces policiers et les hommes d'Arkan ont commencé à mettre la ville à

  4   sac. Un pillage de grande envergure.

  5   "A la moitié de l'opération, s'est terminée Zvornik, ils ont commencé

  6   à se livrer à des pillages. Ils ont même pillé les Serbes.

  7   "C'est le commandant Arkan qui a organisé ce nettoyage de Musulmans."

  8   Il emploie le mot "nettoyage".

  9   "Ces Musulmans ont été tués et le régime ne veut rien divulguer à ce

 10   sujet. Ceux qui les ont battus venaient de Belgrade." Pour Bijeljina, il

 11   dit :

 12   "Arkan était sous le contrôle de Karadzic ou celui de l'armée serbe, et

 13   ensuite sous les ordres de Blagovic. On l'a empêché d'avoir un quelconque

 14   rôle parce que c'est lui qui avait commis les pillages à Bijeljina. Il

 15   avait 15 hommes là-bas.

 16   "La situation sur place était difficile car il y avait beaucoup de

 17   crimes."

 18   Et je cite une dernière phrase qui -- qui est capitale. Voilà ce qu'il dit

 19   :

 20   "Le nettoyage ethnique --"

 21   Oui ?

 22   L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur le Président, je suis de nouveau

 23   contraint d'intervenir, je ne le fais pas volontiers. Je souhaiterais que

 24   vous apportiez ici une précision, parce que je crois qu'entre la traduction

 25   entre les versions en serbe et en anglais, il y a une différence, et qu'on

 26   a traduit en disant contre. En fait, ma déclaration consistait à dire

 27   qu'Arkan n'était ni sous le contrôle de la VRS, ni plus tard sous le

 28   contrôle de la JNA, ni sous le contrôle de Karadzic. Or, ce qui a été


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  1   traduit a consisté à dire qu'il a été sous leur contrôle. Alors, je n'ai

  2   pas entendu ce que vous avez dit en français, mais je souhaiterais que vous

  3   puissiez peut-être répéter cette phrase. Le sens de mes paroles, c'est

  4   qu'Arkan était hors du contrôle de ces personnes, pour autant que je m'en

  5   souvienne.

  6   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Alors, il conviendra de regarder de manière

  7   approfondie le document P644. Mais voilà ce que je relève, sous réserve

  8   d'une erreur de traduction éventuelle, mais je relève en français, vous

  9   auriez dit ceci : "Arkan était sous le contrôle de Karadzic ou celui de

 10   l'armée serbe, et ensuite sous les ordres de Blagovic." Alors, il y a peut-

 11   être une erreur, mais voilà ce que je lis. Alors, la dernière phrase, qui

 12   est la plus importante, voilà ce que vous auriez dit, là aussi sous réserve

 13   d'erreurs, et cetera. Mais voilà ce qu'il y a -- je cite également la

 14   référence du document, c'est une vidéo, 02.45.59. Voilà ce que vous avez

 15   dit :

 16   "Le nettoyage ethnique n'était pas organisé, mais il y a eu, bien

 17   évidemment, ici et là, certains événements où une forme de nettoyage

 18   ethnique a eu lieu." Voilà donc les propos.

 19   En revanche, les chefs 1, 10 et 11 peuvent entrer dans le champ de la

 20   responsabilité de l'accusé en ce qui concerne l'aide et l'encouragement par

 21   le caractère incendiaire de ses discours. En conséquence, l'accusé devrait

 22   être acquitté de l'aide et de l'encouragement pour les chefs 4, 8, 9, 12 à

 23   14 et pourrait être -- pourrait être - toujours le conditionnel - déclaré

 24   coupable en l'état des éléments de preuve produits par l'Accusation pour

 25   les chefs 1, 10 et 11, sous bénéfice, le cas échéant, d'éléments de preuve

 26   contraires apportés par l'accusé lors de la présentation des éléments à

 27   décharge.

 28   Alors, j'avais un chapitre qui est les chefs d'accusation, concernant


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  1   les chefs 1, 4, 8, 9, 10, 11, 12, 13 et 14, et j'avais l'intention - mais

  2   compte tenu du temps, je vais abréger - je rappelais tous les chefs en les

  3   détaillant. Par exemple chef 1, persécution, je disais, population civile

  4   non-serbe du territoire de la SAO SBSO, et cetera. Je me suis fondé sur le

  5   mémoire préalable pour lister tout ceci. Alors, je vais passer, parce que

  6   ce n'est pas fondamental. Et ce qui est maintenant fondamental, je vais

  7   demander à M. l'Huissier, et j'aurai terminé, de mettre sur l'écran ma

  8   conclusion pour savoir en quoi je vous acquitte et en quoi je pourrais, le

  9   cas échéant, au vu des éléments de preuve, en tant que Juge raisonnable,

 10   au-delà de tout doute raisonnable vous déclarer coupable en application de

 11   l'article 98 bis. Alors, voilà l'annexe 13. Compte tenu de l'ensemble des

 12   éléments, vous seriez acquitté au titre de la planification, des chefs 1,

 13   4, 8, 9, 10, 11, 12, 13 et 14. Au titre de l'incitation, des chefs 4, 8, 9,

 14   12, 13 et 14. Au titre des ordres que vous auriez donnés, des chefs 1, 4,

 15   8, 9, 10, 11, 12, 13 et 14.

 16   Au titre de la commission, je vous acquitterais. Puisque je n'ai pas

 17   retenu l'entreprise criminelle des formes 1, 2 et 3. Au titre de l'aide et

 18   l'encouragement, vous seriez acquitté des chefs 4, 8, 9, 12, 13 et 14, donc

 19   je pourrais conclure à l'acquittement.

 20   Je vais maintenant montrer l'annexe 14, qui est le tableau synthétique de

 21   ce que je retiens à partir des éléments de preuve du Procureur. Or, bien

 22   entendu, de tout ce que vous pourriez dire dans le cas de la présentation

 23   de vos éléments à décharge, voire dans le cas d'une plaidoirie, mais à

 24   partir de tous les éléments, j'indique concernant l'incitation, je pourrais

 25   vous déclarer coupable du chef 1, persécution; des chefs 10 et 11,

 26   expulsion et transfert forcé. Au titre de la commission matérielle, je

 27   pourrais vous déclarer coupable des chefs 1, 10 et 11, au titre de

 28   l'expulsion et transfert forcé. Et au titre de l'aide et l'encouragement,


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  1   je pourrais également retenir les chefs 1, persécution; 10 et 11, expulsion

  2   et transfert forcé.

  3   Je me dois de dire au final, comme vous le voyez sur l'écran, pour le

  4   moment, j'ai retenu les formes incitation à commettre - c'est des formes de

  5   responsabilité - commettre, aider et encourager à partir des éléments de

  6   preuve, mais qu'au moment du jugement, il ne conviendra de ne retenir

  7   qu'une forme de responsabilité car, soit l'accusé a commis, soit il a

  8   incité à commettre, soit il a aidé et encouragé. Ça ne peut, de mon point

  9   de vue, être que l'un et l'autre. On ne peut pas être en même temps auteur,

 10   complice, incitateur.

 11   Voilà donc la conclusion de mon opinion. Et pour être très clair, parce que

 12   tout ceci est fort compliqué sur le plan technique, je suis en parfait

 13   accord avec la Chambre concernant les persécutions par incitation,

 14   commission ou aide et encouragement. En revanche, je suis en total

 15   désaccord avec le fait que la Chambre -- et je suis également en accord

 16   avec les transferts et expulsions. Donc je suis en total accord avec elle,

 17   avec la majorité, pour les 1, 10 et 11, et la majorité a estimé qu'elle

 18   devait prendre également tous les autres chefs d'accusation. Et voilà. Et

 19   donc, là-dessus il y a un léger désaccord. Ce qui fait que, comme mes

 20   collègues, je suis donc en faveur de la poursuite du procès, et par mon

 21   opinion partiellement dissidente, je suis donc au rejet de votre requête,

 22   mais pour d'autres motifs et d'autres raisons que celles de mes collègues.

 23   Alors, nous allons faire une pause. On est obligés de faire une pause de 60

 24   minutes; ce sont des impératifs techniques --

 25    Mme LE JUGE LATTANZI : Comment ça 60 minutes ?

 26   M. LE JUGE ANTONETTI : Oui, c'est ce que M. le Greffier m'a dit. Trente

 27   minutes. Trente minutes, excusez-moi. Donc on reprend dans 30 minutes,

 28   voilà, et dans 30 minutes, j'indiquerai à M. Seselj quelle va être la


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  1   suite.

  2   --- L'audience est suspendue à 17 heures 52.

  3   --- L'audience est reprise à 18 heures 25.

  4   M. LE JUGE ANTONETTI : L'audience est reprise.

  5   Alors, j'ai trois petites corrections de nature technique à faire, parce

  6   qu'en lisant très vite, et cetera, il y a eu quelques erreurs. Alors, je

  7   voudrais que soit modifié au transcript page 43, ligne 23, au lieu de 1033,

  8   c'est Témoin VS-1133.

  9   Deuxième correction de nature technique : à la page 44, ligne 16, au lieu

 10   de VS-1136, c'est VS-1036.

 11   Troisième correction : le Juge Harhoff a appelé mon attention sur une

 12   citation que j'avais faite d'une note de bas de page, 429. J'avais indiqué

 13   que durant cette période une unité de la police spéciale de Sremska

 14   Mitrovica était détachée à Hrtkovci pour empêcher que les non-Serbes soient

 15   expulsés, attaqués ou harcelés, et j'en avais conclu que ça établissait le

 16   fait qu'il ne pouvait pas y avoir collusion, parce que le pouvoir avait

 17   envoyé des forces de police. Le Juge Harhoff m'a fait remarquer qu'il était

 18   indiqué également dans ce paragraphe, et je le cite pour que ça soit

 19   complet : "Or cette unité n'a pas protégé le village et a même parfois aidé

 20   les meneurs du SCP à expulser des Croates." Je n'ai pas volontairement

 21   retenu cette deuxième partie, car ce qui m'intéressait c'était d'établir

 22   que le pouvoir avait envoyé une unité et que si cette unité avait pactisé

 23   avec ceux qui étaient dans cette localité, moi ce qui m'importait, c'était

 24   que le pouvoir avait envoyé quelqu'un. Et j'avais à l'idée ce que l'on voit

 25   aujourd'hui en Libye, par exemple, ou en Syrie. Il y a des unités qui sont

 26   envoyées par le pouvoir et, sur place, elles pactisent avec les insurgés.

 27   Mais ce qui compte, c'est de savoir que le pouvoir a envoyé une

 28   unité. Et donc, c'est ça que je voulais mettre en évidence. Maintenant,


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  1   qu'ils aient pactisé ou qu'ils aient mené -- qu'ils ont fait le contraire

  2   de la mission, ça, c'est un autre problème. Voilà.

  3   Ceci étant dit, Monsieur Seselj, la Chambre a donc décidé de

  4   poursuivre le procès, et, en application de l'article 65 ter (G), je vais

  5   vous lire ce que vous devez faire maintenant, car la balle est dans votre

  6   camp.

  7   A l'issue de la présentation des moyens à charge et avant la

  8   présentation des moyens à décharge, le Juge de la mise en état ordonne à la

  9   Défense de déposer. Alors, vous devez nous donner une liste des témoins que

 10   vous entendez citer, en précisant le nom ou le pseudonyme de chacun; un

 11   résumé des faits sur lequel chaque témoin déposera; les points de l'acte

 12   d'accusation sur lesquels chaque témoin sera entendu; le nombre total de

 13   témoins et le nombre de témoins qui déposeront sur chaque chef

 14   d'accusation; si le témoin déposera en personne, ou en application de

 15   l'article 92 bis, ou de l'article 92 quater, voire même dans la procédure

 16   92 ter; la durée prévisible de chaque déposition, et ça c'est très

 17   important pour fixer le temps; et la liste des pièces à conviction que vous

 18   entendez présenter.

 19   Et pour cela, la Chambre, qui s'est réunie à de nombreuses reprises,

 20   a décidé de vous accorder, à compter d'aujourd'hui, six semaines, ce qui

 21   fait que nous devrions avoir cette liste pour le 17 juin.

 22   Comme vous le savez, le Procureur fera certainement des observations

 23   suite à cela pour le cas où il y aura une liste, et la Chambre rendra une

 24   décision compte tenu de tous les délais, et cetera, pour le cas où - c'est

 25   toujours une hypothèse - à ce moment-là, il est fort possible que nous

 26   puissions commencer l'audition de vos témoins qu'après les vacances.

 27   Puisque 17 juin, les 15 jours, la décision de la Chambre, on est déjà en

 28   juillet, donc ça sera qu'à la reprise après les vacations judiciaires, et


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  1   je dis ça au minimum. Donc voilà.

  2   Monsieur Seselj, qu'avez-vous à dire ?

  3   L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur le Président, je ne peux pas soumettre

  4   tous ces éléments écrits, toutes ces listes, tous les éléments qui me sont

  5   demandés si certaines conditions ne sont pas remplies au préalable,

  6   conditions qui relèvent de mes droits fondamentaux. Premièrement, il faudra

  7   régulariser le statut de Zoran Krasic, mon conseiller juridique, depuis le

  8   premier jour de mon séjour ici, à qui la Chambre de première instance a

  9   réduit un certain nombre de droits statutaires dans la décision que vous

 10   avez rendue au sujet de l'audition de témoins protégés ou d'audition

 11   d'éléments confidentiels impliquant que dans ces cas-là il ne pouvait pas

 12   être présent dans le prétoire. Si Zoran Krasic ne devient pas sur décision

 13   de la Chambre égal à tous les autres participants présents ici, je ne

 14   présenterai pas de défense.

 15   Deuxième point, le Greffe a entamé une procédure disciplinaire contre mon

 16   conseiller juridique, Boris Aleksic. Il a présenté une requête à la Chambre

 17   des avocats qui a été créée ici à La Haye, bien qu'il ne soit pas conseil

 18   de la Défense, et cet avocat n'est pas membre de cette Chambre d'avocats,

 19   mais une commission a été créée là-bas qui est dirigée par Edina Residovic,

 20   un avocat bien connu ici depuis l'affaire engagée contre Izetbegovic. Et en

 21   1984, elle a représenté l'Accusation dans un procès qui était engagé à mon

 22   encontre. Elle a décidé d'être présidente de cette commission

 23   disciplinaire.

 24   Et si ces chicaneries qui concernent Boris Aleksic, mon conseiller

 25   juridique -- je ne présenterai pas de défense.

 26   Par ailleurs, la question du financement de ma défense n'est pas réglée.

 27   Vous avez rendu une décision, que la Chambre d'appel a confirmée, car le

 28   Greffe avait porté plainte. Moi je n'ai pas porté plainte, mais en tout cas


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  1   il a été décidé par vous de ne payer que 50 % des frais engagés par mes

  2   conseillers juridiques au maximum, dès lors que l'accusé est indigent. Mais

  3   vous n'avez rien décidé quant au remboursement rétroactif pour les huit

  4   années qui se sont écoulées. Ils ont beaucoup travaillé à mes côtés. Ils

  5   ont rédigé un nombre énorme de documents, plusieurs milliers, il existe

  6   donc des preuves du travail accompli par eux et de l'engagement préalable

  7   de toutes ces personnes. Si ces frais ne sont pas remboursés à ces

  8   personnes, je ne présenterai pas de défense.

  9   Comment est-ce que ces frais peuvent être acquittés ? Depuis le premier

 10   jour, le jour où j'ai présenté une requête en vue de financement de ma

 11   défense, j'ai demandé à savoir quel était le coût de l'Accusation dans le

 12   cadre de mon procès. Je n'ai jamais reçu de réponse à mes questions. J'ai

 13   demandé quelle était la somme accordée par les Nations Unies pour le

 14   financement de la défense de tous les autres accusés qui sont jugés ici. Je

 15   n'ai jamais reçu réponse à ces questions. On m'a dit que les réponses

 16   pouvaient être trouvées sur internet, mais pour le moment, je n'ai pas

 17   encore accès à internet, pas plus d'ailleurs qu'aucun autre prisonnier du

 18   centre pénitentiaire des Nations Unies. Nous n'avons pas le droit de nous

 19   connecter à internet.

 20   Par ailleurs, il y a une dizaine d'années, le Greffe a établi trois

 21   catégories d'accusés, catégories 1, 2, et 3. On m'a toujours placé dans la

 22   catégorie 3, et lorsque, sur la base de votre décision, le moment est venu

 23   de payer ce qu'il fallait payer, on a commencé à m'interroger, on m'a

 24   adressé une lettre pour me demander dans quelle catégorie je souhaiterais

 25   être placé, pensant sans doute que je demanderais à être placé dans la

 26   catégorie 2 afin d'échapper à votre sentence. Or, je suis acquitté depuis

 27   le premier jour ici puisque votre sentence ne m'intéresse en aucun cas. Je

 28   participe physiquement simplement à ce procès. Je souhaite défendre mon


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  1   honneur personnel, mais également l'honneur de plusieurs milliers de

  2   membres des volontaires du Parti radical serbe et démontrer que tout ce qui

  3   est engagé contre moi n'est que mensonge. Et jusqu'à présent, j'y suis

  4   parvenu.

  5   Même si tous les membres de la Chambre de première instance pensent

  6   le contraire, avec, bien sûr, quelques différences individuelles entre les

  7   uns et les autres, mais globalement vous avez une opinion identique sur un

  8   certain nombre de points, et je ne perds pas cela de vue. D'après cette

  9   décision rendue il y a une dizaine d'années eu égard au placement de ma

 10   personne dans la troisième catégorie, 380 000 euros sont payés pour la

 11   défense à l'accusé qui ne dispose pas de moyens financiers lui permettant

 12   de payer lui-même sa défense, et ce, pendant 18 mois. Et cette période de

 13   18 mois peut être étendue pour atteindre 24 mois au maximum. Or, la phase

 14   préalable à mon procès a duré quatre ans et huit mois. Donc cette somme

 15   doit être doublée, ce qui fait 660 000 euros. Dans la troisième catégorie,

 16   la défense de tout accusé depuis le début du procès coûte 40 000 euros par

 17   mois. Sur ces 40 000 euros, 20 000 correspondent au paiement du défenseur

 18   principal, et le reste est réparti entre les différents membres de l'équipe

 19   de Défense. Vous pouvez calculer le nombre de mois qui est en cause ici.

 20   Dans la phase préalable au procès, la somme est de 760 000 euros au

 21   total. Si on enlève la moitié, c'est parce que je me défends moi-même, et

 22   le reste, la deuxième moitié, correspond au paiement dû aux membres de ma

 23   Défense, ce qui fait 80 000 euros pour chacun. Or, le procès a commencé

 24   depuis quatre ans, et si on compte 20 000 euros par année, cela fait - est-

 25   ce que j'ai raison dans mes calculs ? Oui, j'ai toujours raison - cela fait

 26   960 000 euros au total.

 27   Alors, si on consacre la moitié de cette somme au fait que je me

 28   défends moi-même et qu'on répartit entre la période préalable au procès et


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  1   la période du procès déjà engagé, en tout cas, les membres de mon équipe de

  2   Défense devraient toucher environ 1 300 000 euros. Si je ne touche pas

  3   cette somme, je ne présenterai pas de défense. Je ne veux pas que les

  4   membres de mon équipe de Défense soient humiliés d'une façon ou d'une autre

  5   ou qu'ils soient discriminés, selon le terme en vogue ici. Puisque j'aime

  6   tellement discriminer toutes sortes de personnes, eh bien, j'affirme ici

  7   que je n'aime pas discriminer les membres de ma défense et mes conseillers

  8   juridiques. Chaque discriminateur a le droit de choisir les personnes qu'il

  9   veut discriminer.

 10   Et tout cela, je l'indique, ce sont des conditions sine qua non. On

 11   m'a informé qu'en 2005 l'Accusation a soumis une requête en vue d'engager

 12   des poursuites pour outrage au Tribunal à mon encontre. Monsieur Antonetti,

 13   vous faisiez partie de cette Chambre de première instance, qui a rejeté

 14   cette requête. Mais dans une phrase, quelqu'un qui sert la Chambre de

 15   première instance, ou même le Juge Agius en personne, voire un de ses

 16   conseillers juridiques, m'a informé que cette requête avait été déposée et

 17   serait rejetée. J'ai insisté pour que cette requête me soit fournie et que

 18   je reçoive également la décision rendue suite à cette requête. Cela

 19   m'importe beaucoup, et à moins que vous ne me remettiez ce texte, je ne

 20   présenterai pas de défense.

 21   Récemment, le bureau du Procureur a ajouté un certain nombre de

 22   classeurs contenant des documents, et quelques jours plus tard le bureau du

 23   Procureur a envoyé sa cavalerie pour me reprendre les documents qui

 24   m'avaient été adressés. J'ai été emmené dans le bureau du gardien puis

 25   escorté par les gardes jusqu'à ma cellule pour assister à la réquisition de

 26   ces documents. Il y avait un représentant officiel du bureau du Procureur

 27   qui a identifié les documents, et ces documents m'ont été saisis dans les

 28   classeurs qui se trouvaient dans ma cellule, après quoi le Greffe les a


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  1   placés sous pli scellé ici.

  2   Je dois recevoir ces documents. A moins que je ne les reçoive, je ne

  3   présenterai pas de défense.

  4   Vous savez, Monsieur le Président, qu'il y a eu beaucoup de problèmes

  5   autour de la traduction des documents. J'ai exigé que deux ouvrages dont je

  6   suis l'auteur, qui concernent l'idéologie du nationalisme serbe et

  7   l'entreprise criminelle du catholicisme romain pour créer une nation

  8   artificielle croate, j'exige que ces deux livres soient traduits. Vous avez

  9   d'abord donné un délai pour la traduction de ces livres. Vous avez demandé

 10   qu'ils soient traduits en français, puis vous m'avez demandé de trouver des

 11   traducteurs. J'ai trouvé une agence de traduction, et le Greffe a ensuite

 12   refusé les services de cette agence de traduction. Le délai a ensuite été

 13   repoussé et le dernier délai établi par la Chambre de première instance

 14   courait jusqu'à la fin de la présentation des moyens de l'Accusation.

 15   Au jour d'aujourd'hui, je n'ai toujours pas reçu la traduction de ces

 16   deux ouvrages en anglais. Je ne peux pas mettre en place mon système de

 17   défense en l'absence de ces deux ouvrages, et la plupart des membres de la

 18   Chambre de première instance insistent, à juste titre aujourd'hui, sur le

 19   fait qu'il y a eu instigation en laissant de côté les autres modes de

 20   commission de crimes, ce qui, à mon avis, représente une violation de

 21   l'esprit de l'article 98 bis du Règlement, puisqu'ils étaient censés donner

 22   leur opinion sur tous les modes de commission, et s'il y a consensus, il

 23   faudrait au moins que certains modes de commission soient abandonnés de

 24   façon à servir les nécessités de l'économie judiciaire. Puisque tout ceci

 25   n'a pas été fait, je dois me défendre moi-même contre l'ensemble de l'acte

 26   d'accusation, qui demeure intact, y compris en ce qui concerne la prise en

 27   compte de l'entreprise criminelle commune, de la perpétration de crimes, du

 28   fait d'avoir aidé et encouragé, et incité et tout le reste.


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  1   Donc, en l'absence de ces deux ouvrages, je ne peux pas contester les

  2   bases même des charges retenues contre moi, à savoir les discours de haine,

  3   ce qu'il est convenu d'appeler le discours de haine que vous êtes tous

  4   prêts à admettre en tant que crime même s'il y a eu des bases de la

  5   jurisprudence internationale qui auraient permis de ne pas le faire. Vous

  6   invoquez l'affaire Streicher, vous laissez tomber toutes les autres

  7   affaires, mais il ne me sera pas difficile de traiter de toutes ces

  8   questions, en particulier en raison du fait que vous avez tendance à

  9   invoquer la jurisprudence du Tribunal du Rwanda tout en laissant de côté le

 10   fait que les crimes dont s'occupe ce Tribunal ont été commis un an après la

 11   période visée à l'acte d'accusation dressé à mon encontre. En effet, 1993,

 12   c'est la fin de la période prise en compte dans l'acte d'accusation à mon

 13   encontre, alors que le génocide et les persécutions du Rwanda ont été

 14   commis en 1994. Par conséquent, il ne vous sert à rien d'invoquer la

 15   jurisprudence de ce Tribunal.

 16   Quelle que soit votre décision, pour ma part, je me suis contenté de

 17   citer tous les obstacles qui s'opposent à la poursuite du procès à mon

 18   encontre. Si vous n'êtes pas prêts à lever tous ces obstacles, eh bien, les

 19   choses seront simples. Vous pourrez me donner rendez-vous et rendre la

 20   sentence à mon encontre. J'ai encore le droit à quatre heures pour mon

 21   propos liminaire, auquel je ne renoncerai pas, quelles que soient les

 22   solutions ou non-solutions du point de vue du financement et autres, je

 23   tiens aux quatre heures pour présenter mon propos liminaire. Et si vous

 24   vous ne remplissez pas les conditions que je viens de citer, nous passerons

 25   directement au réquisitoire. Et si les choses continuent comme elles ont

 26   commencé, nous arriverons au début du mécanisme international pour régler

 27   les questions résiduelles, ce qui, pour moi, est un concept qui est encore

 28   plus comique que le concept de tribunal ad hoc.


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  1   Si les conditions citées par moi, qui sont tout à fait fondées et

  2   absolument basées sur le droit, si ces conditions ne sont pas remplies --

  3   elles s'appuient sur le Statut. C'est le Statut qui me garantit le

  4   financement de ma défense. Eh bien, dans ces conditions, il me faudra au

  5   moins deux ans pour préparer ma défense. Pourquoi ? Le Procureur a eu

  6   besoin de quatre ans et huit mois. Alors, allez. Je pense que nous pouvons

  7   d'ores et déjà nous mettre tous d'accord sur le fait que je suis au moins

  8   deux fois plus intelligent et compétent que l'ensemble du bureau du

  9   Procureur. Donc, je n'ai pas besoin de quatre ans et huit mois, mais j'ai

 10   besoin de deux ans.

 11   Par ailleurs, j'ai besoin de 120 heures d'interrogatoire principal,

 12   ce qui équivaut au temps consacré aux interrogatoires principaux par le

 13   bureau du Procureur, sans parler du fait que des tonnes et des tonnes de

 14   documents ont été versés au dossier en l'absence d'intervention de témoins

 15   et en l'absence même de lecture de ces documents dans le prétoire, ce qui

 16   est irrégulier. Et j'ai l'intention de citer à la barre 100 témoins.

 17   Mme LE JUGE LATTANZI : Je n'ai pas compris bien. Est-ce que vous pourriez

 18   me clarifier, s'il vous plaît. Donc, si par hasard, ces conditions que vous

 19   avez évoquées ne sont pas satisfaites, vous voulez passer -- vous demandez

 20   de passer directement au jugement final, donc à vos plaidoiries, aux

 21   plaidoiries de l'Accusation et tout ça, ou vous demandez les deux ans pour

 22   préparer votre défense ? C'est cela que je n'ai pas compris. Il me semble

 23   un peu contradictoire les deux choses que vous dites, est-ce que vous

 24   pourriez me clarifier cet aspect ? Qu'est-ce que vous demandez exactement

 25   si ces conditions que vous posez ne sont pas satisfaites ? De passer à la

 26   procédure pour le jugement final ou de vous accorder les deux ans ? Merci

 27   de me clarifier.

 28   L'ACCUSÉ : [interprétation] Madame Lattanzi, probablement y a-t-il eu une


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  1   traduction qui n'était pas tout à fait précise ou complète. J'ai dit que si

  2   vous remplissez toutes ces conditions qui sont fondées en droit, eh bien,

  3   dans ce cas-là, c'est ce dont j'ai besoin, c'est ce que je demande. Alors,

  4   quant à savoir ce que vous allez approuver de ces deux ans, de ces 120

  5   heures et des 100 témoins, nous le verrons. Dans ce cas-là, j'entre dans le

  6   cadre du Règlement de procédure et de preuve. Je demande, et c'est vous qui

  7   disposerez. Je pourrais me plaindre suite d'une décision dont je ne serais

  8   éventuellement pas satisfait. Ceci dit, les cinq éléments que j'ai énumérés

  9   représentent des obstacles qui compromettent directement mon statut ici et

 10   ma possibilité de me défendre. Je dois savoir pourquoi l'Accusation a

 11   demandé que l'on tienne ce procès pendant cinq ou six ans contre moi. Cela

 12   me rend si curieux que j'en perds le sommeil. Je dois savoir quels sont ces

 13   classeurs de documents que la cavalerie des Nations Unies m'a arrachés il y

 14   a quelque temps.

 15   Et le statut de tous mes conseillers juridiques doit être régularisé,

 16   ainsi que celui de mon commis à l'affaire. J'ai reçu la visite de mes deux

 17   conseillers juridiques et de mon commis à l'affaire, Nemanja Sarovic. Les

 18   frais de voyage de mes conseillers juridiques ont été réglés, mais pas ceux

 19   du commis à l'affaire. Mais alors n'est-il pas sur un pied d'égalité avec

 20   les autres ? Que dois-je faire ? Je ne permettrai pas que l'on m'humilie.

 21   Il est vrai que j'ai peut-être largement humilié le Greffe jusqu'à présent,

 22   mais je ne permettrai pas que l'on m'humilie en retour.

 23   Donc ce sont là les demandes qui sont les miennes, si elles ne sont

 24   pas satisfaites alors qu'elles sont parfaitement justifiées, ce que je vous

 25   demande, c'est de fixer la date des propos liminaires où j'exposerai les

 26   moyens à décharge. Et c'est quelque chose que vous pouvez faire avant la

 27   fin du mois de mai. Je ne renoncerai pas à ces quatre heures de temps dans

 28   le prétoire. Ne le faites pas la semaine prochaine parce que là je me


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  1   retrouverais pris entre deux feux. Je demande simplement qu'on fixe cette

  2   date et qu'ensuite on passe aux plaidoiries et réquisitoires. Mais si je ne

  3   présente pas de défense, je ne présenterai pas non plus de plaidoirie, et

  4   je vous ferai économiser du temps. Si cela vous convient, tant mieux. Quant

  5   à savoir si vous serez en mesure dans ce cas-là de vous faire une opinion,

  6   c'est un problème qui se pose à vous, mais je sais que l'ensemble de

  7   l'opinion juridique mondiale considérera mes exigences comme tout à fait

  8   fondées. Aucun juriste ne peut remettre en question ce que je viens

  9   d'énumérer. Mais c'est à vous de voir.

 10   M. LE JUGE ANTONETTI : Vous avez exposé un ensemble de demandes. Bien

 11   entendu, la Chambre va se réunir, et on va délibérer sur les questions.

 12   Donc je ne peux pas, en l'état, vous répondre. Mais il y a des choses

 13   ultrasimples sur lesquelles je peux vous donner quelques indications. Vous

 14   avez semble-t-il contesté tout à l'heure la décision de la Chambre sur le

 15   plan juridique. Vous avez le droit le plus absolu en la matière, et vous

 16   avez la possibilité de faire appel de la décision de la Chambre. Ça, c'est

 17   le droit qui vous est accordé, et peut-être que la Chambre d'appel

 18   désavouera la Chambre. On ne sait pas. Deuxièmement, vous avez évoqué deux

 19   --

 20   L'ACCUSÉ : [interprétation] Permettez-moi de vous répondre tout de suite.

 21   Je ne me pourvoirai en appel, parce que, comme vous le savez bien, les

 22   Chambres d'appel ont toujours été bien pires que vous-mêmes. Donc ça n'a

 23   aucun sens que je me pourvois en appel. Alors, bien entendu, je me

 24   pourvoirai en appel contre le jugement en première instance, mais pas pour

 25   ce qui concerne votre décision préliminaire.

 26   M. LE JUGE ANTONETTI : Très bien. Vous m'avez cité comme il y a plusieurs

 27   années, j'étais dans la mise en état de votre affaire, c'est vrai, tout à

 28   fait. Je me souviens qu'il y a eu une décision de la Chambre parce que


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  1   l'Accusation avait par mégarde envoyé des documents que vous n'auriez pas

  2   dû avoir. Alors, je ne sais pas comment travaille l'Accusation, mais

  3   c'était étonnant, et elle a voulu récupérer les documents que vous ne

  4   deviez pas avoir. Et dans ces conditions, il y a -- la Chambre avait décidé

  5   de les récupérer en allant avec un représentant du bureau du Procureur et

  6   du Greffe récupérer les documents. Il se trouve que maintenant vous nous

  7   dites : Il y a des documents qui ont été pris et je veux qu'on ne les

  8   retourne. Alors, moi je ne sais pas lesquels. Bon, on va voir cela.

  9   Alors, en plus, vous m'avez dit qu'il y avait eu une procédure pour

 10   outrage, je crois. Alors là, je n'ai aucun souvenir de cela. Et vous me

 11   donnez l'impression qu'il n'y a pas eu de décision ou il y a eu une

 12   décision que vous n'avez pas eue. Bon, je vais faire les recherches. Mais

 13   je ne vois pas pourquoi on vous aurait caché quoi que ce soit.

 14   Sur le financement --

 15   Oui ?

 16   L'ACCUSÉ : [interprétation] Est-ce que je peux vous proposer une

 17   explication. La décision a été rendue, mais tant la requête que la décision

 18   ont été rendues ex parte, et moi je n'ai reçu qu'une phrase à titre

 19   d'information me disant qu'il y avait eu une requête et qu'une décision

 20   avait été rendue rejetant la requête de l'Accusation. On ne m'a jamais

 21   informé de quoi il s'agissait.

 22   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Alors, je comprends mieux. Il y aurait eu une

 23   requête ex parte de l'Accusation et il y a eu un rejet. Et vous ne saviez

 24   pas. Voilà. Donc, si je comprends bien, vous saisissez la Chambre de la

 25   question. Alors, je vais voir ça avec mes collègues. Je ne vois pas

 26   pourquoi on vous cacherait quoi que ce soit maintenant.

 27   Très bien. Sur le financement. Vous savez que la Chambre a fait énormément,

 28   énormément. Moi-même, je me suis engagé, je vous l'ai dit, contre la


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  1   volonté de mes collègues. J'ai saisi l'administration de votre pays pour

  2   connaître la situation fiscale de vous-même. L'administration a répondu

  3   qu'ils avaient donné tous les renseignements au Greffe. Bon, à partir de

  4   là, la Chambre a engagé la procédure. On a rendu une décision. Le Greffe

  5   n'a pas été content, il a fait appel, et la Chambre d'appel, à la majorité,

  6   car il y a eu deux Juges dissidents, nous a donné raison, ce qui fait qu'il

  7   a été décidé que vous aviez un financement à 50 %. Maintenant, vous nous

  8   dites : Moi je veux X centaines de milliers d'euros. Vous nous avez fait le

  9   décompte. On va en délibérer entre nous. Monsieur Seselj, moi -- on va

 10   délibérer, on va voir votre demande, et cetera. Mais moi, à titre

 11   personnel, je n'ai jamais joué au chat et à la souris avec vous. J'ai

 12   toujours été transparent le plus -- de la façon la plus totale. Ma

 13   conviction profonde, Monsieur Seselj, cette histoire de financement est un

 14   faux problème. C'est un faux problème, car pour moi, vous avez la capacité

 15   intellectuelle de vous défendre tout seul. Qui mieux que vous connaît

 16   l'affaire ? Vous avez une connaissance encyclopédique de tous les

 17   événements. Vous savez tout. Vous êtes même capable sur un transcript --

 18   une erreur de traduction, de dire il y a erreur. Alors, à partir de là --

 19   bien sûr, vous pouvez être aidé, mais moi, je pense, croyez mon expérience,

 20   vous avez la capacité. Donc, pour moi, c'est un véritable faux problème.

 21   Mais juridiquement, vous avez le droit. C'est le Statut qui vous le donne.

 22   Et pour tout vous dire, Monsieur Seselj, quand j'étais dans la Chambre

 23   numéro II - et je regarde l'heure - vous aviez fait une requête. J'avais

 24   commencé à préparer une opinion en disant que vous aviez droit au

 25   financement et que vos collaborateurs pouvaient être remboursés avec des

 26   états justificatifs de toutes les dépenses. Et aujourd'hui, je suis

 27   toujours dans le même état de pensée. Et puis, au moment où la décision

 28   allait être rendue, la Chambre a été changée et, du coup, j'ai pas pu faire


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  1   valoir ce point de vue.

  2   Voilà. Voilà la réalité. Donc j'ai toujours été particulièrement sensible à

  3   ce financement, mais dans le fond de moi, je pense que c'est un faux

  4   problème. Mais on va y répondre par une décision, puisque vous nous

  5   saisissez, et on va voir. Parce que le procès dépend entièrement de vous

  6   maintenant. Vous le savez mieux que quiconque. Comme l'a dit le Juge

  7   Lattanzi, elle voulait savoir si vous avez l'intention de préparer une

  8   défense ou pas, la question des deux ans, et autre. Si vous voulez aller

  9   très vite, vous pouvez très bien dire : Je fais ma déclaration, les quatre

 10   heures; le Procureur fait son réquisitoire; ma plaidoirie. Et c'est fini.

 11   Et nous rendrons notre jugement. Voilà. Ça, vous avez cette possibilité,

 12   comme vous avez la possibilité de demander du temps pour vous préparer,

 13   comme le fait M. Karadzic, et puis ça peut durer des années encore. Et je

 14   dois dire quand je vous entends dire qu'il vous faudra 100 témoins, vous

 15   voulez 120 heures, et cetera, ça pose toute une série de problèmes.

 16   Alors, si je comprends bien - il faut que vous me répondiez que j'ai

 17   bien compris - tant que tous les problèmes que vous avez soulevés ne sont

 18   pas résolus, vous ne donnerez pas la liste 65 ter (G); c'est bien cela ?

 19   L'ACCUSÉ : [interprétation] En effet. Ce n'est pas du fait de mon

 20   intelligence. J'en suis tout à fait conscient. Mais ce n'est pas là une

 21   raison possible pour moi de renoncer à présenter des moyens à décharge. Le

 22   fait de ne pas les présenter ne peut être justifié que par les cinq

 23   obstacles que j'ai énumérés : la régularisation du statut de mes

 24   conseillers juridiques, le paiement, les documents relatifs à l'outrage de

 25   2005, le retrait des documents de 2005, et la traduction de mes deux

 26   ouvrages, "L'idéologie du nationaliste serbe" et "L'entreprise criminelle

 27   commune de l'Eglise catholique romaine visant à," et cetera, puisque --

 28   alors, il s'agissait d'une traduction vers l'anglais, puisque c'était la


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  1   position du Greffe. C'était là les cinq conditions que j'ai énumérées

  2   auxquelles je ne renoncerai pas. Tout est fondé en droit.

  3   Ceci est fondé dans les principes généraux du droit ainsi que dans le

  4   Statut du Tribunal. Je dois connaître les documents qui m'ont été enlevés,

  5   et je dois savoir pourquoi. Le fait que l'Accusation ait commis une erreur

  6   ne m'intéresse pas. Je dois savoir de quoi il s'agit. Peut-être cela a-t-il

  7   une valeur pour moi. Je dois également savoir pourquoi à l'époque

  8   l'Accusation a soumis une requête en outrage au Tribunal et pourquoi elle a

  9   été rejetée. Cela aussi, je dois le savoir.

 10   Donc je ne présenterai pas de défense si tous ces droits statutaires qui

 11   sont les miens ne sont réalisés, parce que cela ôte tout sens à l'exposé

 12   d'une défense par moi.

 13   Quelle que ce soit l'intelligence dont on dispose, par ailleurs, il

 14   faut bénéficier de conseillers et d'aide à l'extérieur qui vont procéder à

 15   des entretiens avec les témoins, procéder aux entretiens préliminaires,

 16   recueillir les déclarations, fournir leur aide lors du récolement des

 17   témoins. Savez-vous tous les préparatifs auxquels l'Accusation a procédé

 18   pour ses propres témoins ? Ils les font venir plusieurs jours avant leur

 19   déposition et leur font apprendre par cœur, comme à des perroquets, leur

 20   déposition, et ensuite ils viennent nous la livrer dans le prétoire. Alors,

 21   pourquoi moi renoncerais-je ici à cette façon de procéder et à ce droit.

 22   Mes témoins vous chanteront comme une chanson bien apprise par cœur tout ce

 23   qu'ils auront préparé. Mais le Procureur sera incapable de les prendre en

 24   flagrant délit de mensonge comme moi j'ai été capable de le faire avec

 25   chacun des témoins de l'Accusation.

 26   M. LE JUGE ANTONETTI : J'avais oublié une petite correction à faire au

 27   transcript. Hier, vous avez dit qu'il y avait un témoin qui avait été

 28   protégé, Milorad Vojnovic. J'ai le transcript sous les yeux, le jour où il


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  1   a comparu, il a comparu n'étant absolument pas protégé. Il n'a jamais fait

  2   l'objet de mesures de protection. Alors, il y a peut-être eu confusion,

  3   mais il n'a jamais été protégé. J'ai la page du transcript.

  4   Monsieur le Procureur, avez-vous quelque chose à dire ? Parce que, vous

  5   avez vu, les interprètes ont travaillé merveilleusement. Ils arrivaient

  6   même à traduire à la même vitesse que moi -- que je parlais. Donc je les

  7   remercie du fond du cœur. C'est grâce à eux qu'on a pu terminer dans les

  8   temps, grâce à leur vitesse d'interprétation.

  9   Alors, Monsieur Marcussen, vous allez être aussi rapide qu'eux, qu'avez-

 10   vous à me dire ?

 11   M. MARCUSSEN : [interprétation] A 7 heures 01, je n'ai plus beaucoup de

 12   temps de parler, Monsieur le Président, me semble-t-il.

 13   Madame et Messieurs les Juges, il se peut que l'Accusation vous soumette

 14   des éléments suite à ce qu'a soulevé l'accusé. Cependant, au fond, que

 15   demande l'accusé ? Il vous demande de revenir sur plusieurs de vos

 16   décisions. Pourtant, il n'a rien fait pour présenter des éléments vous

 17   permettant ou exigeant de vous que vous réexaminiez. A mon avis, il doit

 18   déposer par écrit le droit sur lequel il s'appuie pour faire ses

 19   revendications, et nous pourrons y répondre.

 20   Pour ce qui est de la décision en application de l'article 65 ter (G), il

 21   peut demander la certification, déposer appel. Je pense qu'est-ce qu'il a

 22   dit revient à une contestation de votre ordonnance. Il menace de ne pas

 23   présenter d'éléments à décharge. C'est à lui de prendre cette décision.

 24   Une dernière chose, d'après le paragraphe (G), la Défense a l'obligation de

 25   communiquer les pièces qu'elle entend présenter à l'Accusation, et,

 26   effectivement, nous devrions les recevoir.

 27   Merci.

 28   M. LE JUGE ANTONETTI : Effectivement, vous avez tout à fait raison.


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  1   Bien. Voilà. Monsieur Seselj, vous voulez reprendre la parole, et on

  2   termine après ?

  3   L'ACCUSÉ : [interprétation] En effet. Monsieur le Président, je ne formule

  4   aucune menace. Je ne fais que lutter pour mes propres droits. Et les cinq

  5   exigences que j'ai formulées représentent mes droits fondamentaux. Je ne

  6   profère aucune menace. Cependant, si ces cinq demandes ou exigences ne sont

  7   pas remplies, je les mentionnerai dans ma plaidoirie. Je ne me pencherai

  8   pas sur le fond, mais j'évoquerai l'ensemble de mes droits qui ont été

  9   bafoués depuis ma venue à La Haye. Quant à la déclaration préliminaire de

 10   la Défense, je peux d'ores et déjà vous dire qu'elle portera avant tout sur

 11   votre décision rendue hier et votre opinion partiellement dissidente. Ce

 12   sera là le sujet principal auquel je consacrerai les quatre heures dont je

 13   disposerai. Je vous admire de pouvoir parler aussi lentement que vous

 14   l'avez fait, parce que je ne peux jamais me livrer à cet exercice.

 15   Alors, une fois que j'en aurai fini avec ces quatre heures à titre

 16   préliminaire, à moins que vous ne m'empêchiez de présenter mes moyens à

 17   décharge, vous pouvez d'ores et déjà fixé au calendrier la date des

 18   plaidoiries et réquisitoires, et je suppose que l'Accusation tient déjà

 19   prêt son mémoire en clôture. Mais il y a dans l'opinion publique cette

 20   hypothèse que l'on mentionne de plus en plus souvent, à savoir que le

 21   Tribunal de La Haye aurait reçu pour mission de me retenir ici le plus

 22   longtemps possible, jusqu'à la tenue d'encore une série d'élections en

 23   Serbie, et peut-être que c'est cela qui va se réaliser.

 24   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur Seselj, je peux vous dire que personne ne

 25   m'a dit de vous retenir. Personne. Et mes collègues, certainement, ils

 26   peuvent intervenir. Mais moi -- d'ailleurs, personne n'oserait se frotter à

 27   moi sur ce terrain. Vous avez dû vous rendre compte que je suis totalement

 28   indépendant de quiconque. Et donc, je sais qu'il y a la période des


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  1   élections chez vous, c'est un grand débat national que vous avez chez vous,

  2   mais moi je ne peux pas prendre en compte cela. Et si vous êtes là, vous

  3   l'avez vu, notre décision ne vous a pas acquitté, et voilà. Et personne

  4   nous a dit : Gardez M. Seselj. Ça, de ma part, vous le savez très bien.

  5   Monsieur Marcussen.

  6   M. MARCUSSEN : [interprétation] En quelques mots à peine, Monsieur le

  7   Président. Je pense que l'accusé devrait être prévenu. Il se trompe peut-

  8   être. Il croit qu'il peut déjà faire un propos liminaire sans pour autant

  9   présenter d'éléments de preuve. Manifestement, il faudra qu'il y ait une

 10   déclaration liminaire s'il y a présentation de moyens à décharge qui va

 11   présenter la cause de la Défense. Si l'accusé refuse de déposer des

 12   éléments en application du 65 ter (G), il faudra passer directement aux

 13   plaidoiries et réquisitoires.

 14   L'ACCUSÉ : [interprétation] C'est tout simplement faux. J'ai droit à la

 15   déclaration préliminaire de la Défense. Rien ne m'oblige à présenter le

 16   moindre moyen de preuve à décharge. Je ne suis pas soumis à cette

 17   obligation. Alors, peut-être que je n'ai aucun élément de preuve, mais j'ai

 18   droit à cette déclaration préliminaire. Mais si vous en avez la patience,

 19   Madame et Messieurs les Juges, penchez-vous encore sur cette question. En

 20   théorie, j'ai le droit de soumettre une déclaration préliminaire de la

 21   Défense et de me citer moi-même à comparaître comme seul témoin de la

 22   Défense et de me livrer à un contre-interrogatoire. Cela aussi est un de

 23   mes droits.

 24   Mais l'Accusation en ignore tout. Je ne suis pas en train d'éventer

 25   quelque chose. Personne ne peut me dénier mon droit à ce propos

 26   préliminaire de la Défense. Quant à cette déclaration préliminaire, eh

 27   bien, je compte également y mentionner les moyens à décharge que j'avais

 28   l'intention de présenter et les raisons pour lesquelles je renoncerai à les


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  1   présenter, si cela peut convenir au Procureur.

  2   M. LE JUGE ANTONETTI : Vous, vous avez soulevé des problèmes juridiques et

  3   la Chambre, évidemment, est là pour y répondre. Je remercie tout le monde,

  4   et principalement les interprètes, Monsieur l'Officier de sécurité

  5   également, Monsieur le Greffier, Mesdames et Messieurs les Huissiers, et

  6   nous nous retrouverons dès que nous pourrons. A bientôt.

  7   --- L'audience de la Règle 98 bis Jugement est levée à 19 heures 08, sine

  8   die.

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