UN COLLÈGE DE JUGES DE LA CHAMBRE DAPPEL
Composé comme suit :
M. le Juge Rafael Nieto-Navia, Président
M. le Juge Lal Chand Vohrah
M. le Juge Fausto Pocar
Assisté de :
Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier
Décision rendue le :
3 mai 2000
LE PROCUREUR
c/
BLAGOJE SIMIC
MILAN SIMIC
MIROSLAV TADIC
STEVAN TODOROVIC
SIMO ZARIC
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DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE AUX FINS DOBTENIR
LAUTORISATION DINTERJETER APPEL DE LA DÉCISION
RENDUE PAR LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE
LE 7 MARS 2000
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Le Bureau du Procureur :
M. Graham Blewitt
M. Grant Niemann
Les Conseils de la Défense :
M. Slobodan Zecevic, pour Milan Simic
M. Igor Pantelic et M. Novak Lukic, pour Miroslav Tadic
M. Deyan Ranko Brashich, pour Stevan Todorovic
M. Borislav Pisarevic et M. Aleksander Lazarevic, pour Simo Zaric
CE COLLÈGE DE JUGES de la Chambre dappel du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de lex-Yougoslavie depuis 1991 («le Tribunal international»),
VU la Requête aux fins dobtenir lautorisation dinterjeter appel de la décision interlocutoire rendue par la Chambre de première instance le 7 mars 2000 («la Requête»), déposée le 14 mars 2000 par le Bureau du Procureur («lAccusation»),
VU lOrdonnance relative aux requêtes de la Défense aux fins dassistance juridictionnelle pour la communication dinformations, rendue le 7 mars 2000 par la Chambre de première instance III («la Décision contestée»), dans laquelle la Chambre ordonnait, entre autres, que lAccusation communique à la Défense de Stevan Todorovic («la Défense» ; «lAccusé» fait ci-après référence au seul Stevan Todorovic) certaines informations et documents qui sont en sa possession ou sous son contrôle comme le demandaient les deux requêtes déposées par la Défense à cette fin1,
ATTENDU QUE les informations et documents dont il a été ordonné quils soient divulgués à la Défense sont en rapport avec laudience consacrée aux éléments de preuve2 dont la tenue a été demandée par la notification dune requête aux fins dune ordonnance enjoignant au Procureur de ramener immédiatement laccusé Stevan Todorovic dans son pays dasile (Notice of Motion for an Order Directing the Prosecutor to Forthwith Return the Accused Stevan Todorovic to the Country of Refuge), déposée le 21 octobre 1999, et par la Demande de laccusé Stevan Todorovic aux fins dune ordonnance dhabeas corpus, déposée le 15 novembre 1999 (ensemble «les Requêtes de mise en liberté»),
VU lopposition à la demande dautorisation dinterjeter appel de la décision interlocutoire rendue le 7 mars 2000 par la Chambre de première instance (Opposition to Application for Leave to Appeal Against the Trial Chambers Interlocutory Order of March 7, 2000), déposée le 20 mars 2000 par la Défense,
VU la réplique de lAccusation à la réponse de la Défense à la requête aux fins dobtenir lautorisation dinterjeter appel de la décision interlocutoire rendue le 7 mars 2000 par la Chambre de première instance (Prosecution Reply to the Defense response to the Prosecution Application for Leave to Appeal Against the Trial Chambers Interlocutory Decision of 7 March 2000), déposée le 23 mars 2000 («la Réplique de lAccusation»),
VU le supplément à lopposition à la requête aux fins dobtenir lautorisation dinterjeter appel de la décision interlocutoire rendue le 7 mars 2000 par la Chambre de première instance (Further Opposition to Application for Leave to Appeal Against the Trial Chambers Interlocutory Order of March 7, 2000), déposé le 31 mars 2000 («le Supplément à lopposition»),
ATTENDU QUE larticle 6 de la Directive pratique relative à la procédure de dépôt des écritures en appel devant le Tribunal international prévoit quà réception dune réplique déposée par lappelant, lAccusation en loccurrence, la Chambre dappel tranche la demande dautorisation dinterjeter appel sans autre argumentation des parties et que, par conséquent, la Chambre dappel ne tiendra pas compte des conclusions présentées dans le Supplément à lopposition,
ATTENDU QUE la Requête a été déposée en application de larticle 73 du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal international («le Règlement») qui dispose notamment que les demandes «aux fins dautorisation dinterjeter appel doivent être enregistrées dans les sept jours suivant le dépôt de la décision contestée» et autorise les appels interlocutoires dans les deux cas suivants :
i) si la décision contestée est susceptible dinfliger à la partie souhaitant interjeter appel un préjudice tel quil ne pourrait pas être réparé à lissue du procès, y compris par un éventuel appel postérieur au jugement ; et
ii) si la question en jeu dans lappel envisagé est une question dintérêt général pour le Tribunal ou pour le droit international en général ;
ATTENDU QUE la Requête a été déposée dans les délais impartis,
ATTENDU QUE lAccusation se fonde en particulier sur larticle 73 B) ii) du Règlement et soutient que lappel devrait être autorisé puisque six des questions en jeu dans lappel envisagé sont dun intérêt général, tant pour les procédures devant le Tribunal que pour le droit international en général (chacune de ces questions est mentionnée ci-après par ordre numérique sous lappellation «question»),
ATTENDU QUE, selon lAccusation, la première question est celle de savoir si la Chambre de première instance a abusé de son pouvoir discrétionnaire dans la Décision contestée en permettant à la Défense de soulever une deuxième fois des questions déjà évoquées dans sa Notification de requêtes demandant une audience consacrée aux éléments de preuve relatifs à larrestation, à la détention et au transfert de laccusé Stevan Todorovic ainsi que la prorogation du délai de présentation dune demande de rejet de lacte daccusation, déposée le 11 février 1999 («la Premicre Requete de la Défense») et sur laquelle la Chambre de première instance sest prononcée le 25 mars 1999 («la Décision du 25 mars 1999»)3 et la Chambre dappel, le 13 octobre 1999 («la Décision du 13 octobre 1999»)4,
ATTENDU QUE lAccusation allègue que la Défense a simplement déposé de nouvelles requêtes demandant des mesures similaires à celle refusée par la Décision du 25 mars 1999 et la Décision du 13 octobre 1999, sans présenter de nouveaux faits ni de nouveaux arguments ;
ATTENDU QUE la Décision du 25 mars 1999 rejetait la Première Requête de la Défense qui portait sur une demande daudience consacrée aux éléments de preuve, au motif que les points de fait et de droit présentés dans la Requête étaient insuffisants et, notamment, quelle ne fournissait pas de déclaration quant au déroulement de larrestation de lAccusé, justifiant la tenue dune audience consacrée aux éléments de preuve5 et que la Chambre navait donc pas examiné en détail le fond de la demande, à savoir la question de la légalité de larrestation et de la détention,
ATTENDU QUE la Décision du 13 octobre 1999 concluait sur la base de ces éléments quil nexistait pas de raison de contester cette décision,
ATTENDU QUE, suite à la Décision du 13 octobre 1999, la Défense a déposé les Requêtes de mise en liberté, accompagnées dune déclaration de lAccusé («la Déclaration») concernant la légalité de son arrestation et de sa détention6,
ATTENDU QUE, dans une décision orale du 23 novembre 1999, la Chambre de première instance a conclu que la Déclaration constituait un élément nouveau qui justifiait dordonner la tenue dune audience consacrée aux éléments de preuve relatifs à la légalité de larrestation et de la détention de lAccusé et que cette audience nest pas close puisque la Chambre de première instance doit encore se prononcer définitivement,
ATTENDU, PAR CONSÉQUENT, QUil ne peut sagir ici dune demande de réexamen dune question puisque la Chambre ne la pas encore tranchée,
ATTENDU QUE, selon lAccusation, la deuxième question est de savoir si la Chambre de première instance a abusé de son pouvoir discrétionnaire en faisant droit à la requête dune partie sans avoir au préalable statué sur tous les motifs de lopposition soulevée par la partie adverse,
ATTENDU QUE lAccusation affirme expressément que la Chambre de première instance aurait dû examiner le premier et le troisième arguments soulevés dans sa réponse à la Première Requête de la Défense7, que cette requête a été déposée hors délais et que, même si la Chambre de première instance concluait en faveur de lAccusé au fond et jugeait donc que son arrestation était illégale et irrégulière, elle devrait être rejetée sans audience consacrée aux éléments de preuve puisque les faits allégués par lAccusé ne lui donnaient pas légalement droit aux mesures demandées,
ATTENDU QUE la Décision du 25 mars 1999 et celle du 13 octobre 1999 se sont toutes deux prononcées sur la Première Requête de la Défense et quil reste encore à la Chambre de première instance à statuer définitivement sur la question de la légalité de larrestation et de la détention de lAccusé posée dans les Requêtes de mise en liberté,
ATTENDU QUil revient à la Chambre de première instance dexaminer au fond les Requêtes de mise en liberté, de sassurer des faits considérés avant détudier le droit applicable et que cette question na pas à être tranchée par la Chambre dappel à ce stade,
ATTENDU QUE lAccusation avance que la troisième question est de savoir si la Chambre de première instance a abusé de son pouvoir discrétionnaire en choisissant une ligne daction occasionnant un retard important dans la procédure,
ATTENDU QUE, comme la Chambre de première instance a décidé de la tenue dune audience consacrée aux éléments de preuve relatifs aux Requêtes de mise en liberté8, elle est également investie du pouvoir dordonner la production et la divulgation de toute information ou document quelle juge pertinents et nécessaires à une telle audience,
ATTENDU QUE le calendrier prévu par la Chambre de première instance dans la Décision contestée pour la communication de ces informations et documents est raisonnable puisquelle en facilite la divulgation et la communication complètes, dans la mesure jugée nécessaire, avant de clore laudience consacrée aux éléments de preuve portant sur les Requêtes de mise en liberté et que, de ce fait, elle vise à éviter tout retard superflu,
ATTENDU QUE, selon lAccusation, la quatrième question est de savoir si la Chambre de première instance a abusé de son pouvoir discrétionnaire en ouvrant une enquête sur la conduite dun État souverain alors que les circonstances de lespèce ne semblent pas le rendre nécessaire ou le justifier,
ATTENDU QUE, selon lAccusation, on peut sattendre à ce que les États soient moins disposés à aider volontairement le Tribunal si celui-ci demande quils lui communiquent les détails des opérations mises en oeuvre pour arrêter des accusés,
ATTENDU QUE la Décision contestée se limite notamment à ordonner à lAccusation de divulguer les pièces qui se trouvent en sa possession ou sous son contrôle et quelle nordonne aucune recherche sur le terrain,
ATTENDU, EN OUTRE, QUE la Chambre de première instance est habilitée à examiner des questions de droit pour autant quelles aient trait à laffaire dont elle connaît, en loccurrence la légalité de larrestation de lAccusé et que, si elle lestime nécessaire, la Chambre de première instance a le pouvoir de prendre des mesures pour veiller à ce que toute information ou document visé par la communication demeure confidentiel,
ATTENDU QUE, selon lAccusation, la cinquième question est de savoir si la Chambre de première instance peut ordonner à lAccusation de communiquer des informations hors du cadre prévu par les articles 66 et 68 du Règlement et, si tel est le cas, si elle a abusé de son pouvoir discrétionnaire dordonner une communication supplémentaire alors quelle na pas été demandée par la Défense et quelle nest pas lobjet des arguments présentés par les parties,
ATTENDU, EN OUTRE, QUE, dans la Décision contestée, lAccusation allègue que la Chambre de première instance fonde sur larticle 54 du Règlement lordonnance de communication dans la Décision contestée, alors que la Défense na fait aucune demande en ce sens puisque sa requête se fondait sur larticle 66 B) du Règlement et que la Chambre de première instance nétait donc aucunement habilitée à examiner la question de savoir si la communication demandée relevait ou non de larticle 54 du Règlement,
ATTENDU QUE larticle 54 du Règlement dispose entre autres que, doffice, un juge ou une chambre de première instance «peut délivrer les ordonnances ?...g nécessaires aux fins de lenquête, de la préparation ou de la conduite du procès»,
ATTENDU QUE larticle 66 B) du Règlement ne concerne pas les pièces demandées par lAccusé, pas plus que son procès mais la question de la compétence du Tribunal à le juger,
ATTENDU QUen application de larticle 54 du Règlement, la Chambre de première instance dispose clairement du pouvoir de délivrer des ordonnances doffice et que, sagissant des pièces dont la Défense a demandé la communication, il ny a rien dimpropre à ce quelle ait fait usage de ce pouvoir, puisquelle jugeait nécessaire dans lintérêt de la justice de le faire aux fins de laudience consacrée aux éléments de preuve relatifs aux Requêtes de mise en liberté,
ATTENDU QUE, selon lAccusation, la sixième question est de savoir si la Chambre de première instance a abusé de son pouvoir discrétionnaire en prenant une décision interlocutoire fondée sur des conclusions que ne justifient ni le dossier ni les éléments de preuve en lespèce,
ATTENDU QUE la Décision contestée semble avoir été fondée sur le témoignage de lAccusé que la Chambre de première instance a jugé suffisant pour établir «la présomption que les éléments de preuve faisant lobjet de la demande se trouvent en possession ou sous le contrôle de lAccusation, [identifier] expressément et précisément le but légitime juridiquement pertinent quelle poursuit en demandant laccès, et ?démontrerg à la satisfaction de la Chambre de première instance que la production des pièces demandées est de nature à contribuer matériellement à la présentation de la cause sagissant des Demandes de mise en liberté9»,
ATTENDU QUE la Chambre de première instance a simplement conclu que la Défense avait établi des présomptions suffisantes pour justifier la délivrance dune ordonnance de communication de certaines informations et documents et quelle est de toute évidence investie du pouvoir de le faire,
PAR CES MOTIFS,
CONCLUT que la Requête nest pas parvenue à établir que les questions soulevées sont dune importance si générale, tant pour les actions engagées devant le Tribunal quen droit international en général, quil convienne de faire droit à cette demande dautorisation dinterjeter appel,
REJETTE, PAR CONSÉQUENT, la Demande dans son ensemble.
Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.
Le Président du Collège
(signé)
Juge Rafael Nieto-Navia
Fait le 3 mai 2000
La Haye (Pays-Bas)
[Sceau du Tribunal]
1. Notification de
la requête aux fins d'assistance judiciaire, déposée ex parte le
24 novembre 1999 et Requête de laccusé Stevan Todorovic déposée en
vertu de larticle 73 du Règlement, enjoignant à lAccusation dautoriser
la consultation de pièces en application des dispositions de larticle 66 B),
déposée confidentiellement le 6 décembre 1999.
2. La Chambre de première instance a oralement autorisé la tenue de
cette audience le 23 novembre 1999.
3. La décision orale a été prononcée le 4 mars 1999 et les
motivations ont été rendues par écrit dans la Decision Stating Reasons for Trial
Chambers Order of 4 March 1999 on Defence Motion for Evidentiary Hearing on the
Arrest of the Accused Todorovic du 25 mars 1999.
4. Décision relative à lappel interjeté par Stevan Todorovic
contre la décision orale du 4 mars 1999 et la décision écrite du 25 mars 1999 de la
Chambre de première instance III, rendue le 13 octobre 1999.
5. Décision du 25 mars, p. 3.
6. La Déclaration, Stevan Todorovics Statement in Support of
Motion, était jointe à la première des Requêtes de mise en liberté, la Notice
of Motion for an Order Directing the Prosecutor to Forthwith Return the Accused Stevan
Todorovic to the Country of Refuge, déposée le 21 octobre 1999.
7. Prosecutors Response to the "Notice of Motion for
Evidentiary Hearing on Arrest, Detention and Removal of Defendant Stevan Todorovic and for
Extension of Time to Move to Dismiss Indictment Filed by Stevan Todorovic on 10
February 1999, déposée le 22 février 1999.
8. Cf. supra, note 2.
9. Décision contestée, p. 3 [Note de bas de page omise].