LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE
Composée comme suit :
M. le Juge Patrick Robinson, Président
M. le Juge David Hunt
M. le Juge Mohamed Bennouna
Assistée de :
Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier
Décision rendue le :
29 mai 2000
LE PROCUREUR
c/
Blagoje SIMIC
Milan SIMIC
Miroslav TADIC
Stevan TODOROVIC
Simo ZARIC
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DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE DÉPOSÉE PAR MILAN SIMIC
AUX FINS DE MISE EN LIBERTÉ PROVISOIRE
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Le Bureau du Procureur :
M. Grant Niemann
Mme Nancy Paterson
Mme Suzanne Hayden
Le Conseil de la Défense :
M. Slobodan Zecevic, pour Milan Simic
MM. Igor Pantelic et Novak Lukic, pour Miroslav Tadic
M. Deyan Ranko Brashich, pour Stevan Todorovic
MM. Borislav Pisarevic et Aleksander Lazarevic, pour Simo Zaric
LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de lex-Yougoslavie depuis 1991 (le «Tribunal international»),
VU la «Requête portant demande de mise en liberté provisoire de Milan Simic», déposée le 16 décembre 1999 au nom de laccusé Milan Simic (l«accusé»), (la «Requete») sollicitant la mise en liberté provisoire de laccusé pour des raisons humanitaires liées à son état de santé, selon les termes et conditions établies dans ladite Requête,
VU la «Réponse de lAccusation à la Requête portant demande de mise en liberté provisoire de Milan Simic», déposée par le Bureau du Procureur (l«Accusation») le 22 décembre 1999, (la «Réponse»),
VU la«Réplique à la Réponse du Procureur à la Requête portant demande de mise en liberté provisoire de Milan Simic» déposée par laccusé le 10 janvier 2000 (la «Réplique»),
VU l«Ordonnance portant calendrier» délivrée le 19 avril 2000 par la Chambre de première instance,
VU les «Remarques supplémentaires de lAccusation relatives à la Requête portant demande de mise en liberté provisoire de Milan Simic» (les «Remarques supplémentaires de lAccusation»), déposée le 26 avril 2000 par lAccusation,
VU l«Ordonnance relative à la Requête portant demande de mise en liberté provisoire de Milan Simic» délivrée le 16 mai 2000 par la Chambre de première instance, par laquelle elle exigeait certaines garanties de la part de la Republika Srpska et des engagements de la part de laccusé, avant quelle ne statue sur la Requête,
VU les conclusions de la Défense concernant lOrdonnance du 16 mai 2000 relative à la Requête portant demande de mise en liberté provisoire de Milan Simic, déposée le 25 mai 2000 par laccusé,
VU les arguments avancés par laccusé dans sa Requête et sa Réplique, entre autres que
i) |
Il sest volontairement mis à la disposition du Tribunal international, |
ii) |
Le 17 février 1998, lors de la comparution initiale de laccusé, lAccusation a déclaré navoir aucune objection à ce que le Tribunal international lui accorde la liberté provisoire, |
iii) |
Le 26 mars 1998, laccusé a bénéficié dune mise en liberté provisoire, du fait quil satisfaisait aux exigences de larticle 65 B) du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal international (le «Règlement») et notamment à la nécessité de démontrer lexistence de circonstances exceptionnelles liées à son état de santé, |
iv) |
Au cours de son élargissement, laccusé a été autorisé par deux fois, par Ordonnance du Tribunal international, à quitter son domicile de Bosanski amac pour recevoir des soins médicaux, et les termes des Ordonnances ont été respectées, |
v) |
Il a respecté une Ordonnance délivrée par le Tribunal de céans, lui enjoignant de comparaître entre le 2 et le 4 septembre 1998 au siège dudit Tribunal, |
vi) |
il a respecté lOrdonnance délivrée le 10 mai 19991 par la Chambre de première instance, lui enjoignant de se placer sous la garde du Quartier pénitentiaire des Nations Unies (le «Quartier pénitentiaire») au plus tard deux semaines avant louverture de son procès, qui était initialement fixée au 22 juin 1999, |
vii) |
laccusé est arrivé au Quartier pénitentiaire le 7 juin 1999 et y est détenu depuis lors, sans quaucune date douverture de procès nait été fixée2, |
viii) |
à larticle 65 B) du Règlement, la suppression du critère de «circonstances exceptionnelles» marque un changement important sur le plan du droit régissant la mise en liberté provisoire, changement qui est cependant négligeable si lon considère les circonstances particulières de la Requête de laccusé, |
ix) |
la Chambre de première instance connaît létat de santé de laccusé, lequel a intégré à sa Requête les rapports médicaux correspondants, |
x) |
le Quartier pénitentiaire ne répond pas de manière satisfaisante aux besoins médicaux de laccusé, |
xi) |
il ny a pas de risque que laccusé ne comparaisse pas au procès, |
xii) |
sil est élargi, il ne constituera aucun danger pour les victimes, témoins ou autres personnes3, |
xiii) |
il est disposé à respecter les conditions imposées par la Chambre de première instance sagissant de sa mise en liberté provisoire, |
VU les arguments avancés par lAccusation dans sa Réponse et ses Remarques supplémentaires, entre autres que
i) |
il ny a pas lieu de prendre en considération la modification apportée à larticle 65 B), qui a pour effet de supprimer le critère selon lequel laccusé doit présenter des «circonstances exceptionnelles» en vue de son élargissement, du fait que cette modification est en contradiction avec le Statut du Tribunal international (le «Statut»), |
ii) |
larticle 65 B) du Règlement fait état de trois critères à remplir : le pays hôte doit être entendu, la Chambre doit avoir la certitude que laccusé comparaîtra et, sil est libéré, quil ne mettra pas en danger une victime, un témoin ou toute autre personne, |
iii) |
laccusé na pas apporté la preuve que le pays hôte acceptera son retour sur le territoire néerlandais, sil était libéré, |
iv) |
la Republika Srpska nayant manifestement pas coopéré avec le Tribunal international à ce jour, rien ne permet de suggérer que les autorités de la Republika Srpska décideront darrêter laccusé pour le remettre à la garde du Tribunal international sil devait ne pas se représenter, et de ce fait on ne peut se fier aux garanties quelle a fournies, |
v) |
le comportement de laccusé durant sa mise en liberté antérieure avant le procès était de nature à menacer lintégrité de lespèce, et le fait quil ait été déclaré innocent doutrage au Tribunal ne signifie pas quil na pas effectivement commis les infractions alléguées, |
vi) |
laccusé a reçu communication dun nombre important de déclarations faites par des témoins à charge, ce qui augmente ses chances de localiser lesdits témoins et tenter dinfluencer la teneur de leur témoignage, |
vii) |
la mise en liberté provisoire de laccusé pourrait avoir un «effet négatif» sur la coopération des témoins potentiels de la région, |
viii) |
sagissant de la durée de la détention préventive, la Chambre de première instance devrait se fonder sur les normes énoncées par la Cour européenne des droits de lhomme, lesquelles autorisent une détention préventive de longue durée, |
ix) |
le Tribunal international manque de moyens dexécution, de sorte que la mise en liberté provisoire présente des risques, |
x) |
le Quartier pénitentiaire répond aux besoins médicaux de laccusé, |
VU la demande de lAccusation, déposée en application de larticle 65 E) du Règlement, visant à ce que la Chambre sursoie à lexécution de sa décision de libérer laccusé,
VU en outre la Déclaration dYves Roy, enquêteur auprès du Bureau du Procureur, jointe à la Réponse de lAccusation, dans laquelle il explique que la mise en liberté provisoire de laccusé pourrait avoir un effet néfaste sur les victimes et témoins en lespèce,
OUÏ le pays hôte tel que requis à larticle 65 B) du Règlement,
VU tous les arguments des parties à lespèce, ainsi que les pièces jointes présentées par lAccusation et la Défense,
ATTENDU que, malgré le fait que larticle 65 B) du Règlement ait été modifié de sorte quun accusé nest désormais plus tenu dapporter la preuve de circonstances exceptionnelles en vue de son élargissement, cette modification na pas deffet sur les autres conditions énoncées dans cet article,
ATTENDU que la Chambre de première instance considère comme infondé largument de lAccusation selon lequel il ny a pas lieu de tenir compte de la modification apportée à larticle 65 B) du Règlement (le retrait du critère des circonstances exceptionnelles), du fait que cette modification est en contradiction avec le Statut, et juge plutôt que ladite modification rejoint pleinement le Statut et les normes internationales reconnues quant aux droits de laccusé que le Tribunal de céans est tenu de respecter4,
ATTENDU que la décision relative à une demande délargissement doit être prise à la lumière des circonstances particulières de chaque espèce, et que pour y faire droit la Chambre doit avoir la certitude que laccusé «comparaîtra et, sil est libéré, ne mettra pas en danger une victime, un témoin ou toute autre personne»,
ATTENDU que laccusé a été acquitté des allégations de subornation de témoin et que les conclusions de lAccusation napportent aucun élément tangible quant au fait que laccusé a exercé ou a lintention dexercer des pressions sur une victime ou un témoin, sil est libéré,
VU létat de santé de laccusé,
ATTENDU que la Chambre de première instance est convaincue que laccusé, sil est libéré, comparaîtra et en outre quil ne constituera pas un danger pour les victimes, témoins ou toutes autres personnes,
ATTENDU que laccusé sest mis par deux fois à la disposition du Tribunal international de son plein gré, quil sest déjà représenté, quil a déjà été élargi par le Tribunal international et quil a alors observé toutes les Ordonnances afférentes à son élargissement,
ATTENDU que laccusé a fourni les garanties et engagements exigés par la Chambre dans son Ordonnance du 16 mai 2000,
EN APPLICATION DE larticle 65 du Règlement,
FAIT DROIT à la Requête et ORDONNE la mise en liberté provisoire de Milan Simic sous réserve des conditions suivantes :
1. laccusé sera emmené à laéroport de Schipol, Pays-Bas, par les autorités néerlandaises,
2. à laéroport de Schipol, laccusé sera mis en liberté provisoire et placé sous la garde du représentant désigné de Bosnie-Herzégovine, Trivun Jovicic, lequel accompagnera laccusé jusquen Bosnie-Herzégovine,
3. à son retour, laccusé sera accompagné par le même représentant désigné de Bosnie-Herzégovine (ou par tout autre représentant désigné que la Chambre de première instance pourrait accepter par ordonnance), lequel confiera laccusé à la garde des autorités néerlandaises à laéroport de Schipol à une date et une heure que la Chambre fixera ultérieurement, après quoi les autorités néerlandaises ramèneront laccusé au Quartier pénitentiaire,
4. pendant la durée de son élargissement, laccusé sera tenu par les obligations exposées ci-après et les autorités de la Republika Srpska, dont la police locale de Bosanski Samac, veilleront à leur respect :
(a) demeurer dans les limites de la municipalité de Bosanski Samac,
(b) remettre son passeport à lÉquipe internationale de police (EIP) à Orasje ou à lantenne du Bureau du Procureur à Sarajevo,
(c) se présenter une fois par jour au poste de police local, lequel tiendra à jour un registre et présentera régulièrement un rapport écrit confirmant sa présence quotidienne,
(d) accepter que lEIP contrôle sa présence auprès du poste de police local et quelle procède parfois à des visites non annoncées,
(e) sengager à ne pas entrer en rapport avec lun ou lautre de ses coaccusés en lespèce,
(f) sengager à ne pas contacter et à ne pas suborner toute personne susceptible de témoigner au procès,
(g) sengager à ne pas discuter de laffaire dans laquelle il est impliqué avec toute personne autre que son conseil,
(h) prendre en charge tous les frais relatifs à son voyage aller retour entre laéroport de Schipol et Bosanski Samac,
(i) observer strictement toute ordonnance de la Chambre de première instance qui modifierait les conditions de sa mise en liberté provisoire ou y mettrait fin,
REJETTE, EN OUTRE, la requête du Procureur demandant à la Chambre de surseoir à lexécution de sa décision de libérer laccusé, en vertu de larticle 65 E) du Règlement5, au motif que, la demande dautorisation dinterjeter appel ayant été rejetée par la Chambre dappel dans dautres affaires6, la présente Chambre ne voit aucune raison de statuer de la sorte, et ORDONNE la libération de laccusé dès que les dispositions nécessaires à cet égard pourront être prises,
ENJOINT au Greffier de consulter le Ministère de la justice des Pays-Bas en ce qui concerne les mesures pratiques à prendre pour la mise en liberté de laccusé, et
INVITE les autorités de tous les États par lesquels il transitera :
(i) à placer laccusé sous surveillance tout le temps quil passera en transit à laéroport,
(ii) à arrêter et à détenir laccusé avant son retour au Quartier pénitentiaire des Nations Unies si ce dernier essaie de prendre la fuite,
et ORDONNE, EN OUTRE, la détention immédiate de laccusé en cas de manquement à lune quelconque des obligations prévues pour sa mise en liberté provisoire.
Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.
(signature)
M. le Juge David Anthony Hunt
Fait le 29 mai 2000
La Haye (Pays-Bas)
[Sceau du Tribunal]