LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Patrick Robinson, Président
M. le Juge David Hunt
M. le Juge Mohamed Bennouna

Assistée de :
Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier

Décision rendue le :
7 juin 2000

LE PROCUREUR

c/

BLAGOJE SIMIC
MILAN SIMIC
MIROSLAV TADIC
STEVAN TODOROVIC
SIMO ZARIC

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DÉCISION PORTANT REJET DE LA REQUÊTE AUX FINS D’ASSISTANCE EN VUE D’OBTENIR DES DOCUMENTS ET DES TÉMOINS DU COMITÉ INTERNATIONAL DE LA CROIX-ROUGE

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Le Bureau du Procureur :

M. Grant Niemann
Mme Nancy Peterson
Mme Suzanne Hayden

Le Conseil de la Défense :

M. Slobodan Zecevic, pour Milan Simic
M. Igor Pantelic et M. Novak Lukic, pour Miroslav Tadic
M. Deyan Ranko Braschich, pour Stevan Todorovic
M. Borislav Pisarevic et M. Aleksander Lazarevic, pour Simo Zaric

Le Conseil du Comité international de la Croix-Rouge :

M. Christopher Greenwood, Q.C.
M. Gabor Rona

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 («Tribunal international»),*

VU la «Requête pour ordonnance aux fins d’assistance en vue d’obtenir des documents et des témoins du Comité international de la Croix-Rouge» déposée par le Conseil de Stevan Todorovic (la «Défense») le 23 septembre 1999 («Requête de Todorovic aux fins d’obtenir une ordonnance à l’intention du CICR»), demandant l’assistance judiciaire pour obtenir certaines informations du Comité international de la Croix-Rouge («CICR»),

VU la réponse du Bureau du Procureur («Accusation») déposée le 4 octobre 1999, dans laquelle celui-ci déclare que «[ s] ous réserve que l’Accusé puisse fonder cette requête d’une manière conforme à la jurisprudence du Tribunal, l’Accusation ne prend pas position sur la question»,

VU que, par Ordonnance du 18 novembre 1999, la Chambre de première instance a autorisé le CICR à comparaître en qualité d’amicus curiae et a déclaré qu’un nouveau calendrier de dépôt serait fixé s’agissant de la Requête de Todorovic aux fins d’obtenir une ordonnance à l’intention du CICR après la communication à l’accusé Stevan Todorovic des documents déposés dans le cadre de la «Décision relative à la Requête de l’Accusation en application de l’article 73 du Règlement concernant la déposition d’un témoin», délivrée par la Chambre de première instance le 29 juillet 1999 et rendue publique par Ordonnance du 1er octobre 1999(«Décision sur le CICR»),

VU les «Conclusions supplémentaires relatives à la requête aux fins d’une Ordonnance adressée au CICR» déposées par la Défense le 3 mai 2000 («Conclusions supplémentaires») après communication desdits documents,

VU l’argument soulevé par la Défense dans ses Conclusions supplémentaires1, selon lequel elle «s’oppose à l’immunité totale du CICR vis-à-vis des juridictions nationales et autres tribunaux» et qu’il est «illogique que des États, même les États belligérants, puissent être enjoints de fournir des éléments de preuve au Tribunal alors que le CICR ne peut pas l’être»,

VU également l’autre argument de la Défense selon lequel «[ l]e CICR a renoncé à toute immunité en mettant ces rapports à la disposition du pays hôte»,

ATTENDU que dans la Décision sur le CICR la Chambre de première instance a déclaré que la question soulevée n’est pas celle de savoir si le Tribunal international est compétent à l’égard du CICR ou s’il peut contraindre ce dernier à fournir des informations mais plutôt, selon la Chambre, si le CICR a un intérêt de confidentialité pertinent et réel tel, que le témoignage d’un ancien employé qui a connu des informations au cours de l’exercice de ses fonctions, ne devrait pas être admis2,

ATTENDU que la Décision sur le CICR reflète la conclusion de la majorité de la Chambre de première instance selon laquelle les Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels3 confèrent au CICR le droit d’insister sur la non-divulgation d’informations relatives aux activités du CICR dont bénéficie un employé de ce dernier lors de procédures judiciaires4 et que, en outre, le droit international coutumier confère au CICR un privilège de non-divulgation de certaines informations définies dans la Décision sur le CICR5,

ATTENDU également que la Chambre de première instance a examiné l’application du principe de la res judicata à propos de la Décision sur le CICR et de ses effets sur les parties de l’espèce qui n’étaient pas parties à l’affaire qui a conduit à cette Décision, dans sa «Décision relative 1) à la requête de Stevan Todorovic aux fins de réexaminer la décision du 27 juillet 1999, 2) à la requête du CICR aux fins de réexaminer l’ordonnance portant calendrier du 18 novembre 1999 et 3) aux conditions d’accès aux pièces» qu’elle a rendue le 28 février 2000 et dans laquelle elle a fait observer que «rien n’empêche donc Todorovic de présenter ses arguments à l’appui de sa [ requête aux fins d’obtenir une ordonnance à l’intention du CICR] et de tenter de persuader la Chambre de première instance que lesdites conclusions [ de la Décision sur le CICR] sont erronées ou inadaptées aux circonstances [ de la requête de Todorovic aux fins d’obtenir une ordonnance à l’intention du CICR] »6,

ATTENDU que la Défense n’est pas parvenue à convaincre la Chambre de première instance soit que ses conclusions dans la Décision sur le CICR sont erronées soit que les documents que la Défense demande sont inadaptés aux circonstances parce qu’ils sont très différents par nature de ceux considérés dans la Décision sur le CICR,

ATTENDU également que la Chambre de première instance n’est pas convaincue que le CICR a renoncé à son privilège de non-divulgation en mettant des copies de ses rapports à la disposition du pays hôte, cela faisant partie de la mission fondamentale du CICR de protéger et d’aider les victimes de conflits armés comme le prévoient les Conventions de Genève et les Protocoles additionnels7,

PAR CES MOTIFS,

EN APPLICATION de l’article 54 du Règlement,

REJETTE la Requête de Todorovic aux fins d’obtenir une ordonnance à l’intention du CICR.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

 

Le Président de la Chambre
(signé)
M. le Juge Patrick Robinson

M. le Juge Hunt joint une opinion séparée à la présente Décision.

Fait le 7 juin 2000
La Haye (Pays Bas)

[Sceau du Tribunal]


* Note du Service de traduction. Des erreurs matérielles ou de fond ont été relevées par le traducteur dans le texte originel. Dans toute la mesure du possible, elles ont été signalées au service compétent ou à l’auteur du texte. Pour des raisons juridiques, les erreurs n’ont pas été corrigées mais elles ont pu avoir fait l’objet d’un corrigendum.

1. Conclusions supplémentaires de la Défense relatives à la requête aux fins d’une ordonnance adressée au CICR, affaire n°  IT-95-9-PT, 3 mai 2000, p. 3 et 4.
2. Décision relative à la requête de l’Accusation en application de l’article 73 du Règlement concernant la déposition d’un témoin, affaire n°  IT-95-9-PT, Chambre de première instance III, 27 juillet 1999, («Décision sur le CICR»), par. 38.
3. Ière Convention de Genève de 1949 pour l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne ; IIème Convention de Genève de 1949 pour l’amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer ; IIIème Convention de Genève de 1949 relative au traitement des prisonniers de guerre ; IVème Convention de Genève de 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre ; Ier Protocole de Genève de 1977 aux Conventions de Genève du 12 août 1949 et relatif à la protection des victimes de conflits armés internationaux ; IIème Protocole de Genève de 1977 aux Conventions de Genève du 12 août 1949 et relatif à la protection des victimes de conflits armés non internationaux.
4. Décision sur le CICR, note 2 supra, par. 73.
5. Ibid., par. 74.
6. Décision relative 1) à la requête de Stevan Todorovic aux fins de réexaminer la décision du 27 juillet 1999, 2) à la requête du CICR aux fins de réexaminer l’ordonnance portant calendrier du 18 novembre 1999 et 3) aux conditions d’accès aux pièces, affaire n°  IT-95-9-PT, Chambre de première instance III, 28 février 2000, par. 11.
7. Cf. p. ex., Décision sur le CICR, par. 47.