Affaire no : IT-02-54-T
LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Richard May, Président
M. le Juge Patrick Robinson
M. le Juge O-Gon Kwon

Assistée de : M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
25 février 2003

LE PROCUREUR
c/
SLOBODAN MILOSEVIC

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DÉCISION RELATIVE AU DÉPÔT PAR LE PROCUREUR D’UN CORRIGENDUM AU RAPPORT D’EXPERT DE PATRICK BALL

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Le Bureau du Procureur :

M. Geoffrey Nice

L’accusé :

Slobodan Milosevic

Les amici curiae :

M. Steven Kay
M. Branislav Tapuskovic
M. Timothy McCormack

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal international »),

VU les documents intitulés i) Prosecutor’s Submission of Corrigendum to Expert Report of Patrick Ball (Dépôt par le Procureur d’un corrigendum au rapport d’expert de Patrick Ball) (le « Corrigendum »), déposé le 25 novembre 2002 ; ii) the Amici Curiae’s Observations on the Prosecution’s Submission of Corrigendum to Expert Report of Patrick Ball, filed on 25th November 2002 (les Observations des amici curiae sur le Corrigendum au rapport d’expert de Patrick Ball déposé par le Procureur le 25 novembre 2002) (les « Observations »), déposées le 12 décembre 2002 ; et iii) the Prosecution’s Response to Amici Curiae’s Observations on the Prosecution’s Submission of Corrigendum to Expert Report of Patrick Ball, filed on 25th November 2002 (la Réponse de l’Accusation aux Observations des amici curiae sur le Corrigendum au rapport d’expert de Patrick Ball déposé par le Procureur le 25 novembre 2002) (la « Réponse »), déposée le 28 janvier 2003,

ATTENDU qu’en application de l’article 94 bis du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement »), l’Accusation a déposé, le 15 février 2002, la Notification du dépôt du Rapport d’expert de Patrick Ball (le « Rapport »)1 et que Patrick Ball a témoigné devant la Chambre de première instance les 13 et 14 mars 2002,

ATTENDU que i) le Corrigendum contient des éléments d’information supplémentaires au sujet des frappes aériennes de l’OTAN qui ont eu lieu entre début mai et début juin 1999 ; ii) trois rapports d’activité de l’ALK ont été retirés en application de l’article 70 du Règlement ; iii) un certain nombre de graphiques figurant dans le Rapport ont été revus ; iv) les auteurs ont revu leurs calculs en fonction du test chi-deux d’ajustement de Pearson ; et v) le Corrigendum contient de nouveaux éléments, qui confirment la conclusion du Rapport excluant l’hypothèse selon laquelle les frappes de l’OTAN sont peut-être à l’origine des massacres parmi la population de souche albanaise,

ATTENDU que, d’après les Observations, l’accusé et les amici curiae ont contre -interrogé Patrick Ball sur la base du Rapport, qui ne contient pas les nouveaux éléments2,

ATTENDU que, comme indiqué dans les Observations, l’article 21 e) du Statut habilite l’accusé à « interroger ou faire interroger les témoins à charge », tandis qu’en vertu de l’article 20 du Statut, la Chambre de première instance est tenue de veiller à ce que « le procès soit équitable et rapide et à ce que l’instance se déroule conformément aux règles de procédure et de preuve, les droits de l’accusé étant pleinement respectés et la protection des victimes et des témoins dûment assurée  »3,

ATTENDU que, d’après les Observations, puisque l’article 94 bis du Règlement ne prévoit pas expressément la possibilité pour un témoin expert de déposer un corrigendum écrit à son rapport original une fois qu’il a témoigné ; qu’en application de l’article 89 B) du Règlement, la Chambre de première instance doit appliquer les règles d'administration de la preuve « propres à parvenir, dans l'esprit du Statut et des principes généraux du droit, à un règlement équitable de la cause »4, et que, par conséquent, l’admission du Corrigendum en application de l’article 89 du Règlement constituerait une violation du droit de l’accusé à un procès équitable si l’accusé était privé de la possibilité de procéder à un contre-interrogatoire5,

ATTENDU que, d’après les Observations, si la Chambre de première instance admettait le Corrigendum comme élément de preuve, Patrick Ball devrait à nouveau être cité par l’Accusation et l’accusé devrait se voir offrir la possibilité de le contre-interroger sur les questions nouvellement apparues6,

ATTENDU que la Réponse a été déposée en dehors des délais prescrits par l’article 126 bis du Règlement, mais que l’Accusation avait indiqué son intention de déposer une réponse7,

ATTENDU que, d’après la Réponse, bien qu’aucun des rectificatifs figurant dans le Corrigendum ne justifie que l’on consacre du temps à un contre-interrogatoire8, l’Accusation accepte les Observations pour ce qui est des articles 89 et 94 bis9 du Règlement et, par voie de conséquence, demande que le Corrigendum soit admis comme élément de preuve en application de l’article 89 du Règlement et que Patrick Ball ne soit pas à nouveau cité à comparaître10,

ATTENDU que, comme elle l’indique dans sa Réponse, si la Chambre de première instance venait toutefois à estimer que l’accusé devrait être autorisé à poser des questions supplémentaires à Patrick Ball, l’Accusation demanderait que l’accusé pose ses questions par écrit et que Patrick Ball y réponde par écrit11,

ATTENDU qu’aussi bien les amici curiae que l’Accusation sont d’avis que le présent cas ne saurait être examiné à la lumière de l’article 94 bis du Règlement ,

ATTENDU que l’article 94 bis du Règlement emploie le terme « intégralement  » pour parler du rapport de tout témoin expert « cité » et prévoit la possibilité pour la partie adverse de procéder à un contre-interrogatoire du témoin expert ou d’accepter le rapport ; et que ce n’est que dans ce dernier cas que le rapport peut être admis comme élément de preuve par la Chambre sans appeler le témoin à déposer en personne,

EN APPLICATION des articles 54 et 89 du Règlement,

DÉCIDE que le Corrigendum est recevable en application de l’article 89 du Règlement, à condition que Patrick Ball puisse être contre-interrogé sur les questions suivantes :

i) l’origine, l’authenticité et la fiabilité des nouveaux éléments d’information  ;

ii) la raison pour laquelle le test chi-deux d’ajustement de Pearson a été utilisé et les effets précis d’une telle méthode statistique ; et

iii) la base sur laquelle les différents chiffres des tableaux révisés figurant aux pages 3 à 13 du Corrigendum ont été calculés.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

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Richard May
Président de la Chambre de première instance

Fait le 25 février 2003
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]


1 - Pièce à conviction 67.
2 - Observations, par. 11 ii) et iii).
3 - Observations, par. 11 iv) et v).
4 - Observations, par. 11 vi).
5 - Observations, par. 11 ix).
6 - Observations, par. 11 vii) et viii).
7 - Supplement to the Report by the Prosecution Concerning the Time Remaining for the Prosecution Case and Request for Hearing filed on 10 January 2003 ; l’Accusation déclare également avoir reçu de M. Patrick Ball des éléments d’information supplémentaires le 24 janvier, voir la Réponse, par. 3.
8 - Réponse, par. 12 et 15 à 17.
9 - Réponse, par. 4.
10 - Réponse, par. 4 et conclusion.
11 - L’Accusation fait valoir que la crédibilité du témoin a été vérifiée lors du contre-interrogatoire et que « la Chambre de première instance n’a donc rien à gagner à le voir en personne », Réponse, par. 20.