Affaire n° : IT-02-54-T
Composée comme suit :
M. le Juge Richard May, Président
M. le Juge Patrick Robinson
M. le Juge O-Gon Kwon
Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier
Décision rendue le :
1er avril 2003
LE PROCUREUR
C/
SLOBODAN MILOSEVIC
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Le Bureau du Procureur :
Mme Carla Del Ponte
M. Geoffrey Nice
M. Dermot Groome
L’accusé
Slobodan Milosevic
Les Amici Curiae
M. Steven Kay
M. Branislav Tapuskovic
M. Timothy L. H. McCormack
LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal international »),
VU la requête confidentielle aux fins de mesures de protection (Prosecution’s Motion for Protective Measures, la « Requête »)1, datée du 10 juin 2002, par laquelle l’Accusation demande l’octroi de dix mesures de protection en faveur de trois témoins proposés, tous d’anciens membres du personnel d’une organisation humanitaire2, ces mesures de protection constituant une condition sine qua non pour que cette organisation consente à ces témoignages en vertu de l’article 70 B) du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal international (le « Règlement »)3 et incluant notamment la déposition à huis clos desdits témoins et l’emploi de pseudonymes 4,
VU les observations confidentielles des amici curiae relatives à la requête de l’Accusation aux fins de mesures de protection5 (Observations by the Amici Curiae on the Prosecution’s motion for Protective Measures, les « Observations des Amici Curiae »), datées du 27 juin 2002, dans lesquelles il est dit que les informations fournies ne permettent nullement d’établir que les témoins concernés courent un risque (critère pertinent au regard de la jurisprudence du Tribunal en matière de mesures de protection), que la protection d’autres personnes non identifiées n’est pas un motif valable justifiant l’octroi des mesures de protection demandées et, tout particulièrement, que celles-ci constituent une protection générale pour toutes les personnes liées à l’organisation humanitaire, qu’elles témoignent en l’espèce ou non, ce qui porte démesurément atteinte aux droits de l’accusé visés à l’article 21 du Statut du Tribunal international (le « Statut »)6,
VU les différentes écritures confidentielles et les ordonnances portant calendrier rendues par la Chambre de première instance sur la question7,
VU les conclusions formulées par l’Accusation, l’accusé, les amici curiae et les représentants de l’organisation humanitaire à l’audience consacrée à la question qui s’est tenue le 25 février 20038,
ATTENDU que le requérant se prévaut en partie de l’article 70 du Règlement, mais qu’au regard de la Décision de la Chambre d’appel relative à l’article 70 du Règlement, cette disposition est pertinente pour la Requête seulement dans la mesure où l’organisation humanitaire, en tant que source d’informations, ne consentira à la comparution du Témoin en l’espèce que moyennant l’octroi des mesures de protection demandées9,
VU les dispositions pertinentes du Statut, se lisant comme suit :
Article 21
Les droits de l’accusé
[…] 2. Toute personne contre laquelle des accusations sont portées a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement, sous réserve des dispositions de l’article 22 du Statut.
[…]
Article 22
Protection des victimes et des témoinsLe Tribunal international prévoit dans ses règles de procédure et de preuve des mesures de protection des victimes et des témoins. Les mesures de protection comprennent, sans y être limitées, la tenue d’audiences à huis clos et la protection de l’identité des victimes.
VU les dispositions pertinentes du Règlement, se lisant comme suit :
Article 75
Mesures destinées à assurer la protection des victimes et des témoins
A) Un Juge ou une Chambre peut, d’office ou à la demande d’une des parties, de la victime, du témoin intéressé, ou de la Section d’aide aux victimes et aux témoins, ordonner des mesures appropriées pour protéger la vie privée et la sécurité de victimes ou de témoins, à condition toutefois que lesdites mesures ne portent pas atteinte aux droits de l’accusé.
B) Une Chambre peut tenir une audience à huis clos pour déterminer s’il y a lieu d’ordonner :
i) des mesures de nature à empêcher la divulgation au public ou aux médias de l’identité d’une victime ou d’un témoin, d’une personne qui leur est apparentée ou associée ou du lieu où ils se trouvent, telles que :
a) la suppression, dans les dossiers du Tribunal, du nom de l’intéressé et des indications permettant de l’identifier,
b) l’interdiction de l’accès du public à toute pièce identifiant la victime,
c) lors des témoignages, l’utilisation de moyens techniques permettant l’altération de l’image ou de la voix ou l’usage d’un circuit de télévision fermé, et
d) l’emploi d’un pseudonyme ;ii) la tenue d’audiences à huis clos conformément à l’article 79 ci-après ;
iii) les mesures appropriées en vue de faciliter le témoignage d’une victime ou d’un témoin vulnérable, par exemple au moyen d’un circuit de télévision fermé unidirectionnel.
[…]
Article 79
Audiences à huis closA) La Chambre de première instance peut ordonner que la presse et le public soient exclus de la salle pendant tout ou partie de l’audience :
i) pour des raisons d’ordre public ou de bonnes mœurs ;
ii) pour assurer la sécurité et la protection d’une victime ou d’un témoin ou pour éviter la divulgation de son identité en conformité à l’article 75 ci-dessus ; ou
iii) en considération de l’intérêt de la justice.
B) La Chambre de première instance rend publiques les raisons de sa décision.
ATTENDU que, soucieuse de préserver le droit de l’accusé à bénéficier d’un procès public et équitable, tel qu’explicitement prévu à l’article 21 du Statut, la Chambre de première instance a usé de la plus grande circonspection pour accorder le témoignage à huis clos, et qu’en conséquence, elle n’a octroyé cette mesure que dans des circonstances bien précises, notamment lorsque la comparution exposait le témoin ou sa famille à des risques extrêmes10,
ATTENDU que l’Accusation présente cette requête pour que l’organisation humanitaire (en tant que source d’informations au sens de l’article 70 du Règlement) autorise le Témoin à déposer en l’espèce11, et non en raison d’un refus de déposer en audience publique de la part du Témoin lui-même, ni de craintes concernant la sécurité personnelle de ce dernier12,
ATTENDU que ni l’Accusation, ni l’organisation humanitaire n’ont laissé entendre que la mesure demandée constituait une quelconque forme de privilège exonérant les membres de cette organisation de l’obligation de témoigner, mais que la Requête est motivée par les problèmes liés à la sécurité du personnel actuel et futur de ladite organisation qui pourraient se poser si le mandat de celle-ci venait à être perçu comme mis en péril par la divulgation du fait que l’un de ses anciens employés a témoigné en l’espèce sur des informations obtenues pendant l’exercice de ses fonctions 13,
ATTENDU que si l’article 75 du Règlement prévoit d’étendre les mesures de protection aux « personne[s] qui […] [sont] apparentée[s] ou associé[s] Sà la victime ou au témoinC », pareille association et le risque encouru doivent concerner le témoin d’assez près pour qu’on puisse lui octroyer des mesures de protection, particulièrement la mesure extraordinaire qu’est le témoignage à huis clos,
ATTENDU que la Chambre reconnaît que le travail de l’organisation humanitaire et la protection de son personnel actuel et à venir représentent des intérêts importants qui méritent d’être pris en considération, et qu’elle convient que le personnel de ladite organisation a été la cible d’attaques et d’intimidations tant en Bosnie qu’ailleurs14, mais qu’en l’occurrence, les intérêts que l’on cherche à protéger ne concernent pas le Témoin d’assez près et ne l’emportent pas sur le droit de l’accusé à un procès public et équitable15,
ATTENDU, étant donné le point de vue de l’Accusation et de l’organisation humanitaire selon lequel seul le témoignage à huis clos permettrait de protéger les intérêts de l’organisation16, que la Chambre de première instance n’a pas besoin de débattre plus avant de l’octroi d’autres mesures de protection,
EN APPLICATION des articles 54, 75 et 79 du Règlement
REJETTE LA REQUÊTE
Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.
Le Président de la Chambre de Première instance
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M. le Juge Richard May
Le 1er avril 2003
La Haye (Pays-Bas)
[Sceau du Tribunal]