Affaire n° : IT-02-54-T
LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE
Composée comme suit :
M. le Juge Richard May, Président
M. le Juge Patrick Robinson
M. le Juge O-Gon Kwon
Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier
Décision rendue le :
30 octobre 2003
LE PROCUREUR
c/
SLOBODAN MILOSEVIC
_______________________________________________
DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE DE L’ACCUSATION
CONCERNANT UN TÉMOIN PRÉSENTÉE EN APPLICATION DE L’ARTICLE
70 B) DU RÈGLEMENT
_______________________________________________
Le Bureau du Procureur :
Mme Carla Del Ponte
M. Geoffrey Nice
M. Dermot Groome
L’Accusé :
Slobodan Milosevic
Les Amici Curiae :
M. Steven Kay
M. Branislav Tapuskovic
M. Timothy L.H. McCormack
LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE du Tribunal international chargé
de poursuivre les personnes présumées responsables de violations
graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie
depuis 1991 (le « Tribunal international »),
VU la requête de l’Accusation concernant un témoin
présentée en application de l’article 70 B) du
Règlement (Prosecution Application for a Witness Pursuant to Rule 70 (B)),
la « Requête », déposée à titre confidentiel
et partiellement ex parte le 10 octobre 2003, par laquelle
l’Accusation demande :
- l’autorisation de citer le général Wesley Clark (le
« témoin ») en l’ajoutant à sa liste de témoins,
compte tenu que des « motifs convaincants » ont été
présentés,
- qu’en application de la Décision de la Chambre d’appel
relative à l’article 70 du Règlement, le témoin
et l’ensemble de sa déposition soient considérés
comme s’il s’agissait d’informations protégées
par les paragraphes C) et D) de l’article 70 du Règlement,
- que les paragraphes 61, 62, 63, 65, 66, 67 et 85 du résumé
joint en annexe A ex parte à la Requête soient présentés
à huis clos, au motif que, selon la source des informations, en l’occurrence
le Gouvernement des États-Unis d’Amérique (le « Gouvernement
américain »), il s’agirait d’informations sensibles
mettant en jeu les intérêts nationaux légitimes de ce
gouvernement,
- que le témoin ou les représentants du Gouvernement américain
puissent exiger que le témoignage soit entendu à huis clos s’il
s’avère nécessaire de protéger la confidentialité
d’informations sensibles,
- que, pour que les mesures de protection sollicitées soient effectives,
la diffusion du témoignage en question soit reportée de 48 heures
(au lieu de 30 minutes habituellement) afin de permettre au Gouvernement
américain d’examiner le compte rendu, et que l’ensemble
du témoignage soit provisoirement entendu à huis clos en empêchant
le public d’y assister, de manière à protéger la
confidentialité de toute information initialement communiquée
en audience publique, qui nécessiterait par la suite de n’être
divulguée qu’à huis clos,
- que le témoignage à charge se limite au contenu du résumé
joint en annexe A ex parte à la Requête,
- que le contre-interrogatoire se limite aux questions abordées lors
de l’interrogatoire principal, sauf dans la mesure où l’accusé
ou les amici curiae demandent à étendre le champ de l’interrogatoire
avec l’accord préalable du Gouvernement américain, et
- que deux représentants du Gouvernement américain soient autorisés
à assister à l’audience pendant la déposition du
témoin,
VU la réponse des amici curiae à la requête
de l’Accusation concernant un témoin présentée en
application de l’article 70 B) du Règlement le 10 octobre 2003
(Amici Curiae Reply to Prosecution Application for a Witness Pursuant to
Rule 70 (B) Dated 10 October 2003), la « Réponse »,
déposée le 16 octobre 2003, dans laquelle les amici
curiae font valoir :
- que l’Accusation n’a pas présenté de « motifs
convaincants » pour ajouter le témoin à sa liste,
- que, bien qu’ils n’aient pas pris connaissance du résumé
du témoin (lequel a été joint à la Requête
à titre ex parte), ils proposent que le témoignage ne
soit entendu à huis clos que pour ce qui est des informations vraiment
confidentielles et que l’effet des questions posées par l’accusé
serait injustement limité si l’audience se tenait à huis
clos, et
- que les mesures proposées par l’Accusation pour protéger
la confidentialité des informations en question peuvent porter indûment
atteinte au bon déroulement du procès et que les intérêts
du Gouvernement américain pourraient être dûment préservés
au fur et à mesure du déroulement de l’audience si ce
dernier se faisait représenter pendant la déposition du témoin
par des personnes aptes à prendre des décision à ce sujet,
ATTENDU que la Chambre de première instance a indiqué,
dans une décision suivant le dépôt par l’Accusation
de ses pièces préalables au procès concernant les parties
consacrées à la Croatie et à la Bosnie, que les pièces
à charge communiquées par la suite ne seraient admises que sur
présentation de motifs convaincants1,
ATTENDU que la Chambre de première instance admet que l’explication
avancée dans la Requête l’a convaincue que des motifs convaincants
avaient été présentés, dans la mesure où
les conditions auxquelles la source a autorisé le témoin à
déposer n’ont été convenues qu’à la
date de la Requête et dans la mesure où son témoignage peut
se révéler important,
ATTENDU que la Chambre d’appel a déclaré :
- que lorsqu’il peut être établi que des informations ont
été fournies à l’Accusation à titre confidentiel
en vertu de l’article 70 du Règlement, ces informations
bénéficient alors de la protection prévue aux paragraphes C)
et D) dudit article2,
- que lorsqu’une personne en possession de renseignements importants
est mise à la disposition du Procureur à titre confidentiel,
c’est non seulement son identité et la teneur générale
de ses renseignements, mais aussi la substance des informations communiquées
par la personne (souvent brièvement présentée, comme
en l’espèce, dans une déclaration de témoin) qui
constituent les « informations » protégées par l’article 703.
- que la Chambre de première instance a le pouvoir d’apprécier
si des informations ont été fournies au titre de l’article 70 B)
du Règlement, même si « un tel examen doit être par
nature très limité4 »,
- que la Chambre de première instance peut toujours, par mesure de
précaution, « exclure tout élément de preuve dont
la valeur est nettement inférieure à l’exigence d’un
procès équitable », en application de l’article 70 G)
du Règlement5, et
- que la Chambre de première instance a le pouvoir discrétionnaire
d’autoriser la présence dans le prétoire de représentants
de la source d’informations au cours du témoignage concerné6,
ATTENDU que la Chambre de première instance admet que, compte
tenu de ce qu’a avancé l’Accusation, le témoin et
sa future déposition ont été proposés « à
titre confidentiel » en application de l’article 70 du Règlement,
ATTENDU que, conformément à la pratique antérieure
de la Chambre de première instance, il convient d’autoriser la
présence à l’audience de deux représentants du Gouvernement
américain pendant la déposition du témoin,
VU les dispositions des articles 75 et 79 du Règlement,
ATTENDU que le Gouvernement américain a posé des conditions
à la communication des « informations », tel qu’il a
été exposé dans la Requête de l’Accusation
et rappelé ci-dessus,
ATTENDU qu’en vertu de l’article 70 G) du Règlement,
les paragraphes C) et D) dudit article n’empiètent en rien
sur le pouvoir de la Chambre de première instance aux termes de l’article 89
D) d’exclure tout élément de preuve dont la valeur probante
est nettement inférieure à l’exigence d’un procès
équitable,
PAR CES MOTIFS,
EN APPLICATION des articles 70, 75, 79 et 54 du Règlement
de procédure et de preuve,
FAIT DROIT À LA REQUÊTE et ORDONNE ce qui suit :
- le général Wesley Clark (le « témoin ») peut
être ajouté à la liste des témoins à charge,
- la déposition du témoin sera traitée comme des informations
relevant des paragraphes C) et D) de l’article 70 du Règlement
et bénéficiant de la protection prévue par ces mêmes
dispositions,
- deux représentants du Gouvernement américain pourront assister
à l’audience pendant la déposition du témoin,
- la déposition du témoin sera rendue publique sous réserve
des mesures de protection exposées ci-après,
- les passages du témoignage figurant aux paragraphes 61, 62,
63, 65, 66, 67 et 85 du résumé joint en annexe A ex
parte à la Requête pourront être présentés
à huis clos afin de protéger les intérêts nationaux
américains et la Chambre pourra être saisie de toute demande
analogue concernant de nouveaux éléments,
- le public n’assistera pas à la déposition du témoin,
- la diffusion du témoignage sera reportée de 48 heures
pour permettre au Gouvernement américain d’en examiner le compte
rendu et d’indiquer le cas échéant les passages du témoignage
entendu en audience publique qui devraient être supprimés afin
de protéger les intérêts américains, et sera de
nouveau reportée le temps nécessaire pour permettre à
la Chambre de première instance d’examiner les passages dont
la suppression est demandée et d’indiquer ceux qui devraient
être supprimés et pour procéder, le cas échéant,
aux suppressions décidées sur l’enregistrement du témoignage
avant qu’il ne soit rendu public,
- l’interrogatoire principal et le contre-interrogatoire du témoin
se limiteront au contenu du résumé joint en annexe A ex
parte à la Requête,
- l’accusé ou les amici curiae pourront demander à
étendre le champ de l’interrogatoire avec l’accord préalable
du Gouvernement américain (obtenu directement auprès de ce dernier
ou par l’intermédiaire du Bureau du Procureur), une fois que
le résumé de l’interrogatoire principal leur sera communiqué,
et
- l’Accusation communiquera sans délai le résumé
figurant à l’annexe A ex parte.
Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.
Le Président de la Chambre de première instance
__________
Richard May
Le 30 octobre 2003
La Haye (Pays-Bas)
[Sceau du Tribunal]
1. « Décision relative à la
requête de l’Accusation aux fins d’obtenir l’accord de
la Chambre de première instance relatif à la modification du calendrier
des dépôts », 18 avril 2002, p. 3.
2. Le Procureur c/ Milosevic, « Décision relative à
l’interprétation et à l’application de l’article 70
du Règlement », IT-02-54-AR108 bis & AR73.3, 23 octobre 2002
(la « Décision Milosevic rendue par la Chambre d’appel »),
par. 20.
3. Ibid, par. 23.
4. Ibid, par. 29. La Chambre d’appel indique qu’il s’agit
d’un critère objectif et ajoute : « Les Chambres peuvent
former leur conviction simplement en examinant les informations elles-mêmes,
en acceptant la thèse du Procureur ou en demandant confirmation à
l’organe ayant fourni les informations, ou encore, lorsque lesdites informations
se présentent sous la forme d’un document, celui-ci peut, par exemple,
présenter des signes indiquant qu’il a bel et bien été
communiqué à titre confidentiel. » La Chambre de première
instance doit inviter la source ayant fourni les informations à s’expliquer
de vive voix ou par écrit conformément à cette condition
(par. 31).
5. Ibid, par. 26.
6. Ibid, par. 33.