Affaires n° IT-02-54-T
IT-03-66-T
LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE
Composée comme suit :
M. le Juge Patrick Robinson, Président
M. le Juge O-Gon Kwon
M. le Juge Iain Bonomy
Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier
Décision rendue le :
1er mars 2005
LE PROCUREUR
c/
SLOBODAN MILOSEVIC
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DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE CONJOINTE DÉPOSÉE PAR LA DÉFENSE DANS L’AFFAIRE LIMAJ, BALA ET MUSLIU AUX FINS DE CONSULTER CERTAINES PIÈCES CONFIDENTIELLES
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Le Bureau du Procureur
Mme Carla Del Ponte
M. Geoffrey Nice
Amicus Curiae
Timothy L. H. McCormack
L’Accusé
Slobodan Milosevic
Les Conseils commis d’office
M. Steven Kay
Mme Gillian Higgins
Les Conseils des Accusés dans l’affaire Limaj et consorts
MM. Michael Mansfield et Karim A.A. Khan pour Fatmir Limaj
MM. Gregory Guy-Smith et Richard Harvey pour Haradin Bala
MM. Michael Topolski et Steven Powles pour Isak Musliu
LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal international »),
VU la requête aux fins de consulter certaines pièces confidentielles déposées dans l’affaire Slobodan Milosevic (la « Requête ») (Defence Motion Requesting Access to Certain Confidential Material in the Case of the Prosecutor v. Slobodan Milosevic on Behalf of the Defence of Fatmir Limaj, Haradin Bala and Isak Musliu), déposée conjointement le 17 décembre 2004 par la Défense de Fatmir Limaj, Haradin Bala et Isak Musliu (la « Défense »),
VU la réponse que le Bureau du Procureur (l’« Accusation ») a déposée le 1er février 2005, en demandant l’autorisation de déposer ladite réponse (la « Réponse de l’Accusation »)1,
ATTENDU que la Défense demande à consulter trois catégories de documents confidentiels déposés dans l’affaire Slobodan Milosevic (l’affaire Milosevic), à savoir 1) les annexes confidentielles 1 et 2 à la demande d’acquittement que les amici curiae ont déposée le 3 mars 2004 en application de l’article 98 bis du Règlement (Amici Curiae Motion for Judgement of Acquittal Pursuant to Rule 98 bis (les « Annexes à la demande d’acquittement ») ; 2) la réponse confidentielle de l’Accusation à cette demande d’acquittement (Response by the Prosecution to the Amici Curiae Motion for Judgement of Acquittal pursuant to Rule 98 bis), dans la mesure où elle se rapporte au volet Kosovo de l’affaire Milosevic (la « Réponse à la demande d’acquittement ») ; 3) les comptes rendus de toutes les dépositions confidentielles et des copies de toutes les pièces à conviction confidentielles se rapportant au Kosovo en 1998 ;
ATTENDU
i) que les Annexes à la demande d’acquittement consistent en extraits de moyens de preuve produits au procès Milosevic, sous forme de comptes rendus et de pièces à conviction ;
ii) que l’Accusation, estimant que la Défense demande à consulter les Annexes à la demande d’acquittement dans un but légitime juridiquement pertinent2, déclare qu’elle ne s’oppose pas à la communication de versions expurgées de toute information se rapportant à des éléments produits à huis clos partiel ou total, ou actuellement sous scellés, et permettant d’identifier des témoins protégés3 ;
iii) que l’Accusation reconnaît que la Défense demande dans un but légitime juridiquement pertinent à prendre connaissance des éléments qui, dans la Réponse à la demande d’acquittement, se rapportent à la question de savoir si le Kosovo était le théâtre d’un conflit armé en 1998, et qu’elle déclare ne pas s’opposer à la communication des passages confidentiels de cette réponse qui concernent le Kosovo (pages 1 à 45 du document)4 ;
iv) que l’Accusation s’oppose à la communication des comptes rendus et des pièces à conviction confidentiels, estimant que la Défense a demandé à les consulter sans justifier d’un but légitime juridiquement pertinent, et qu’accessoirement, leur communication permettrait d’identifier des témoins protégés5,
ATTENDU les parties ne peuvent se permettre d’aller à la pêche aux informations, et qu’elles ne peuvent obtenir l’autorisation de consulter des pièces confidentielles déposées dans une autre affaire que si elles ont identifié ces pièces ou en ont donné la nature générale, et si elles ont justifié d’un but légitime juridiquement pertinent pour ce faire6,
ATTENDU que la pertinence des pièces demandées par une partie peut être établie s’il est démontré qu’il existe entre l’affaire du requérant et celle dans laquelle les pièces ont été présentées un lien, c’est-à-dire s’il y a des recoupements sur le plan géographique, temporel ou autre et qu’il est probable que les pièces demandées aideront grandement le requérant à défendre sa cause, ou qu’il existe du moins de bonnes chances qu’il en soit ainsi7,
ATTENDU que la Défense a exposé la nature générale des pièces demandées et qu’elle a justifié d’un intérêt légitime juridiquement pertinent pour demander à prendre connaissance des parties de ces pièces se rapportant à l’existence d’un conflit armé au Kosovo entre début janvier et août 1998,
ATTENDU, toutefois, que la Défense n’a pas justifié d’un intérêt légitime juridiquement pertinent pour ce qui est des pièces se rapportant à des points autres que l’existence d’un conflit armé au Kosovo entre début janvier et août 1998,
ATTENDU, en outre, qu’en ce qui concerne les pièces confidentielles pour lesquelles l’existence d’un intérêt légitime juridiquement pertinent a été démontré et qui ne sont actuellement pas accessibles au public, il revient à l’Accusation, et non aux Conseils commis d’office qui les ont (en qualité d’amici curiae) incluses dans une annexe confidentielle déposée dans l’affaire Milosevic, de les expurger pour qu’elles puissent être communiquées à la Défense ; la protection accordée l’a en effet été à la demande de l’Accusation, ou du moins pour des témoins ou des pièces à conviction à charge, et lorsque l’Accusation doit communiquer ces pièces à la Défense en application du Règlement, elle est tenue de veiller à ce qu’elles soient correctement expurgées pour protéger les intérêts des personnes concernées,
EN APPLICATION des articles 54, 75 et 127 du Règlement de procédure et de preuve,
DÉCIDE :
i) la demande d’autorisation de déposer une réponse présentée par l’Accusation est accueillie ;
ii) le Greffier donnera copie à la Défense de la Réponse à la demande d’acquittement, dans la mesure où celle-ci a trait au volet Kosovo de l’affaire Milosevic (pages 1 à 45 uniquement) ;
iii) la Défense pourra prendre connaissance des comptes rendus de dépositions confidentiels et des pièces à conviction confidentielles concernant l’existence d’un conflit armé au Kosovo entre début janvier et août 1998, après que l’Accusation aura supprimé les parties permettant d’identifier des témoins protégés, ce qu’elle doit faire dans les 30 jours. Cela vaut pour toute référence contenue dans les Annexes à la demande d’acquittement ;
iv) les mesures de protection déjà ordonnées pour des pièces à communiquer à la Défense resteront en vigueur, et la Défense ne devra communiquer au public aucun document confidentiel ou non public de l’affaire Milosevic qui lui sera transmis. Pour les besoins de la présente décision, le « public » s’entend de toute personne, État, organisation, entité, usager, association et groupe, à l’exclusion des juges du Tribunal international, du personnel du Greffe, du Procureur et de ses représentants, ainsi que des Accusés et de leur équipe de défense. Le « public » comprend également, sans s’y limiter, les parents, amis et relations des Accusés, les accusés et leurs conseils dans d’autres affaires portées ou actions engagées devant le Tribunal international, ainsi que les médias et les journalistes.
Fait en français et en anglais, la version en anglais faisant foi.
Le Président de la Chambre de première instance
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Patrick Robinson
Fait le 1er mars 2005
La Haye (Pays-Bas)
[Sceau du Tribunal]