Affaires n° IT-02-54-T
IT-03-69-PT

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Patrick Robinson, Président
M. le Juge O-Gon Kwon
M. le Juge Iain Bonomy

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
11 mars 2005

LE PROCUREUR

c/

SLOBODAN MILOSEVIC

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DECISION RELATIVE A LA REQUETE DEPOSEE PAR LA DEFENSE DE JOVICA STANISIC AUX FINS DE MODIFICATION DES MESURES DE PROTECTION EN APPLICATION DE L’ARTICLE 75  G) i) DU REGLEMENT

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Le Bureau du Procureur :

Mme Carla Del Ponte
M. Geoffrey Nice
M. Dermot Groome
M. David Re

Les Conseils de la Défense de Jovica Stanisic  :

M. Geert-Jan Alexander Knoops
M. Wayne Jordash

Le Conseil de la Défense de Franko Simatovic :

M. Zoran Jovanovic

L’Accusé :

Slobodan Milosevic

Les Conseils commis d’office par la Chambre :

M. Steven Kay
Mme Gillian Higgins

Amicus Curiae :

M. Timothy McCormack

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal International  »),

VU la requête aux fins de modification des mesures de protection en application de l’article 75 G) i) du Règlement concernant des comptes rendus de témoignages et des pièces à conviction confidentiels dans l’affaire Milosevic (Request for Variance of Protective Measures Pursuant to Rule 75 G) i) with Respect to Confidential Testimony and Exhibits in the Milosevic Case), déposée par la Défense de Jovica Stanisic (la « Défense de Stanisic ») le 9 février 2005 (la « Requête »),

ATTENDU que la Requête demande spécifiquement « la modification des mesures de protection s’appliquant aux témoignages et pièces à conviction produites dans l’affaire Milosevic de façon à permettre à la Défense de Stanisic d’avoir accès auxdites pièces, parmi lesquelles figurent les déclarations du général Vasiljevic recueillies à huis clos, qui ont trait aux accusations portées contre lui et son coaccusé, soit d’un point de vue temporel, géographique ou en termes de structure et d’organisation de la présumée entreprise criminelle commune et de la présumée Vojna Linija, ou aux communications entre Milosevic et Stanisic ou la DB [Sûreté de l’État] »1,

VU la réponse de l’Accusation à la Requête du 9 février 2005 (Prosecution Response to Defence ‘Request for Variance of Protective Measures Pursuant to Rule  75 G) i) with Respect to Confidential Testimony and Exhibits in the Milosevic Case’ ), déposée le 23 février 2005 (la « Réponse »), dans laquelle l’Accusation indique qu’elle ne voit aucune objection à ce que la Défense de Stanisic ait accès aux comptes rendus des témoignages recueillis à huis clos du général Vasiljevic ou de l’un des 67 témoins entendus dans l’affaire Stanisic, comptes rendus qui avaient déjà été déposés dans l’affaire Milosevic, à condition que cet accès soit conforme aux mesures de protection2, mais qu’elle s’oppose à la Requête, dans la mesure où celle-ci demande un accès sans restriction aux comptes rendus des audiences à huis clos total et partiel dans l’affaire Milosevic3,

ATTENDU que dans sa Réponse, l’Accusation propose que « la Défense de Stanisic [puisse] examiner les comptes rendus des témoignages publics entendus dans l’affaire Milosevic et présenter des demandes spécifiques lorsqu’elle pense que certaines informations figurant dans les comptes rendus des audiences à huis clos sont susceptibles de lui être utiles »4,

VU également le tableau joint à l’annexe 1 de la Requête, dans lequel la Défense de Stanisic identifie, sur la base de ses déductions suite aux points abordés par le général Vasiljevic lors de sa déposition en audience publique, des informations spécifiques présentées en audience à huis clos qui, de l’avis de la Défense de Stanisic, pourraient lui être utiles5,

ATTENDU que l’Accusation demande au Greffe que le tableau joint à l’annexe  1 de la Requête6 figure désormais au dossier en tant que document confidentiel,

ATTENDU que le tableau joint à l’annexe 1 de la Requête ne contient aucune information confidentielle,

ATTENDU que, dans sa Réponse, l’Accusation fait savoir que, si la Chambre de première instance accorde à la Défense de Stanisic l’accès à des documents confidentiels, elle s’opposera à la communication de ces documents sous leur forme non expurgée 7,

ATTENDU que l’accès à des pièces confidentielles provenant d’autres affaires est accordé si la partie requérante est parvenue à démontrer que lesdites pièces sont susceptibles de l’aider à soutenir sa cause8,

ATTENDU que la pertinence des pièces demandées par une partie peut être déterminée en établissant l’existence d’un lien entre l’affaire de la partie requérante et les affaires dans le cadre desquelles ces pièces ont été présentées, c’est-à-dire les affaires nées d’événements qui auraient eu lieu dans la même région et à la même époque9,

ATTENDU que « [l]a Chambre peut faire droit à une demande d’accès à des pièces confidentielles dès lors qu’elle est convaincue que la partie requérante est parvenue à démontrer que lesdites pièces sont susceptibles de l’aider à soutenir sa cause  » et qu’« [i]l suffit que la partie requérante démontre que l’accès à ces pièces est susceptible de l’aider matériellement à présenter son appel ou, tout au moins, qu’il existe de bonnes chances pour qu’il le fasse »10,

ATTENDU que les faits reprochés dans l’affaire Stanisic sont géographiquement et temporellement liés à ceux reprochés dans l’affaire Milosevic et qu’il existe de bonnes chances pour que les pièces dont l’accès est demandé par la Défense de Stanisic l’aide considérablement à présenter son appel,

ATTENDU qu’une partie a toujours le droit de chercher à obtenir des documents provenant de n’importe quelle source afin de l’aider à préparer son dossier si les documents recherchés ont été identifiés, ou leur nature générale décrite, et si un but légitime juridiquement pertinent justifiant l’obtention de cet accès a été établi11,

ATTENDU que la Chambre de première instance a déjà ordonné en l’espèce des mesures de protection relatives aux témoignages à huis clos partiel et total et aux pièces confidentielles après avoir été convaincue que de tels mesures ne portaient pas préjudice aux droits de l’Accusé,

ATTENDU que la Défense de Stanisic a fait part à la Chambre de première instance de son intention de se conformer à toutes les mesures de protection ordonnées s’agissant des pièces demandées12,

ATTENDU que la Chambre de première instance reste saisie de la première affaire, au sens de l’article 75 G) i) du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement  »),

VU la Décision relative à la requête de la Défense déposée par le conseil de Franko Simatovic (IT-03-69-PT) aux fins d’avoir accès à des comptes rendus d’audience et à des documents, rendue par la Chambre de première instance le 20 octobre 2003,

EN APPLICATION des articles 54 et 75 du Règlement,

REJETTE la demande de l’Accusation visant à ce que le tableau joint à l’annexe  1 de la Requête soit enregistré au dossier par le Greffe en tant que document confidentiel,

Et ORDONNE ce qui suit :

1) la Défense de Stanisic pourra consulter les témoignages et pièces à conviction non accessibles au public concernant les accusations portées contre Jovica Stanisic ou son coaccusé, Franko Simatovic, dans les volets du procès de l’affaire Milosevic consacrés à la Bosnie-Herzégovine et à la Croatie, une fois que :

i) l’Accusation aura eu la possibilité raisonnable d’obtenir le consentement des témoins qui ont déposé en bénéficiant d’une mesure de confidentialité dans l’affaire Milosevic pour que leur témoignage soit divulgué à la Défense de Stanisic sous une forme non expurgée ; et

ii) si les témoins ne donnent pas leur consentement, l’Accusation aura expurgé les passages des témoignages et des pièces à conviction susceptibles de révéler l’identité de toute personne protégée, ou les passages portant sur une période autre que celle comprise entre le 1er avril 1991 et le 31 décembre 1995.

2) L’Accusation décidera, dans un délai raisonnable, si l’une quelconque des pièces confidentielles relève de l’article 70 du Règlement et, avant de la divulguer, elle contactera la personne ou l’entité l’ayant fournie afin d’obtenir son consentement.

3) La Défense de Stanisic ne divulguera au public aucune pièce confidentielle ou non accessible au public provenant de l’affaire Milosevic, qui lui aura été communiquée.

Aux fins de la présente Décision, par « public », on entend toutes les personnes physiques, gouvernements, organisations, entités, clients, associations et groupes, autres que les Juges du Tribunal international, le personnel du Greffe, le Procureur et ses représentants, ainsi que l’accusé et son équipe de la défense. Le « public  » comprend également, sans s’y limiter, la famille, les amis et les relations des accusés, les accusés et les conseils de la Défense dans d’autres affaires ou actions devant le Tribunal international, les médias et les journalistes.

 

Fait en français et en anglais, la version en anglais faisant foi.

Le Président de la Chambre de première instance
____________
Patrick Robinson

Fait le 11 mars 2005
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]


1 - Requête, par. 19.
2 - Réponse, par. 5 et 6.
3 - Réponse, par. 9.
4 - Réponse, par. 13 b).
5 - Requête, Annexe 1.
6 - Réponse, annexe confidentielle.
7 - Réponse, par. 16.
8 - Le Procureur c/ Blaskic, affaire n° IT-95-14-A, Décision relative à la requête des appelants Dario Kordic et Mario Cerkez aux fins de consultation de mémoires d'appel, d’écritures et de comptes rendus d’audience confidentiels postérieurs à l’appel déposés dans l’affaire Le Procureur c/ Blaskic, 16 mai 2002, par. 14.
9 - Ibid, par. 15.
10 - Ibid.
11 - Ibid, par. 14.
12 - Requête, par. 17.