Affaire n° :    IT-99-37-PT

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Richard May, Président
M. le Juge Patrick Robinson
M. le Juge O-gon Kwon

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
13 décembre 2001

LE PROCUREUR

C/

SLOBODAN MILOSEVIC

__________________________________________________________________

DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE AUX FINS DE JONCTION

__________________________________________________________________

Le Bureau du Procureur :
Mme Carla Del Ponte

M. Geoffrey Nice
M. Dirk Ryneveld
Mme Hildegaard Uertz-Retzlaff

L’Accusé :
Slobodan Milosevic

Amicus Curiae :
M. Steven Kay
M. Branislav Tapuskovic
M. Michaïl Wladimiroff

 

A. INTRODUCTION

La Chambre de première instance du Tribunal international (le « Tribunal international  ») est saisie d’une requête déposée le 27 novembre 2001 par le Bureau du Procureur (« l’Accusation ») aux fins de jonction des trois actes d’accusation établis à l’encontre de l’accusé Slobodan Milosevic (la « Requête »)1.

Par la Requête, déposée en application de l’article 49 du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement »), l’Accusation demande la jonction des trois actes d’accusation qui, établis contre l’accusé, font état de violations graves du droit international humanitaire au Kosovo2, en Croatie3, et en Bosnie-Herzégovine 4, et qui sont dans la suite respectivement désignés comme les actes d’accusation « Kosovo », « Croatie » et « Bosnie ». Le 10 décembre 2001, les amici curiae ont déposé leur réponse à la Requête ( la « Réponse des amici curiae »)5. La Chambre de première instance a entendu les parties et les amici curiae le 11 décembre 2001 (« l’Audience »).

La Chambre de première instance a rendu sa décision oralement à l’Audience, faisant droit à la Requête dans la mesure où elle a prononcé la jonction des actes d’accusation « Croatie » et « Bosnie », et la rejetant dans la mesure où elle a ordonné que l’acte d’accusation « Kosovo » fasse l’objet d’un procès distinct. La Chambre rend à présent sa décision motivée par écrit.

Dans la présente Décision, la Chambre de première instance passera en revue l’ensemble des arguments invoqués, tant par écrit qu’oralement, par l’Accusation, l’accusé et les amici curiae, à propos de la Requête.

a) Acte d’accusation « Kosovo »

Bien qu’il concerne les événements les plus récents, l’acte d’accusation « Kosovo  » a été le premier à être confirmé. Initialement confirmé le 24 mai 1999, cet acte d’accusation a fait l’objet d’une autorisation de modification, et a été confirmé dans sa version modifiée le 29 juin 2001 (date du transfèrement de l’accusé au Tribunal international). L’Accusation a, par la suite, déposé une nouvelle demande de modification , à laquelle la Chambre de première instance a fait droit le 29 octobre 2001.

L’acte d’accusation « Kosovo » (dans sa deuxième version modifiée) se rapporte à des événements survenus dans la province du Kosovo, en République de Serbie (le « Kosovo »), l’une des républiques constitutives de la République fédérale de Yougoslavie (« RFY »). Ces événements se sont déroulés entre le 1er janvier 1999 et le 20 juin  1999, période au cours de laquelle l’accusé aurait participé, avec les quatre coaccusés et d’autres personnes, à une entreprise criminelle commune, dont l’objectif était l’expulsion d’une partie importante de la population albanaise du Kosovo hors du territoire de cette province, afin de maintenir cette dernière sous contrôle serbe . Dans l’acte d’accusation, il est allégué que cette entreprise a été réalisée par la mise en œuvre d’une campagne de terreur et de violence généralisée, menée par les forces de la RFY et de la Serbie « agissant sur les instructions, avec les encouragements ou avec le soutien » de l’accusé et d’autres6. Le meurtre de centaines de civils, le transfert forcé et l’expulsion de 800 000 Albanais du Kosovo, ainsi que la destruction et le pillage de biens, figurent au nombre des caractéristiques des opérations menées pendant cette campagne. Sur la base de ces allégations, les cinq accusés doivent répondre de cinq chefs d’accusation  : persécutions, expulsion, transfert forcé (crimes contre l’humanité), assassinat en tant que crime contre l’humanité, et meurtre en tant que violation des lois ou coutumes de la guerre. La responsabilité pénale individuelle de chacun des accusés est engagée pour ces crimes en application de l’article 7 1) du Statut du Tribunal international (le « Statut »), et Slobodan Milosevic, en qualité de Président de la RFY et de commandant suprême des Forces armées de la RFY (la « VJ »), est également tenu individuellement pénalement responsable, en tant que supérieur hiérarchique , aux termes de l’article 7 3) du Statut, des actes criminels commis par ses subordonnés membres de la VJ et de la police7.

7. À la conférence de mise en état du 30 octobre 2001, le Procureur a indiqué qu’il comptait appeler à la barre 228 témoins, et produire quelque 500 documents concernant l’acte d’accusation « Kosovo ». Il a précisé qu’il estimait la durée de la présentation de ses moyens à environ 170 jours, et s’est déclaré prêt pour le procès8. À l’Audience, l’Accusation a précisé que si les accusations relatives au Kosovo faisaient l’objet d’un procès séparé, il lui faudrait environ neuf mois pour exposer ses moyens9. Elle a fait part de son intention d’appeler 167 témoins pour apporter un témoignage sur les crimes commis , ce nombre pouvant être ramené à 42 si elle obtenait l’admission des autres témoignages sur la base de l’article 92 bis du Règlement10.

Acte d’accusation « Croatie »

8. L’acte d’accusation relatif à la Croatie a été présenté par le Procureur le 27  septembre 2001, et confirmé le 8 octobre 2001. Il se rapporte à des événements qui se sont déroulés en Croatie entre le 1er août 1991 et juin 1992, soit après la déclaration d’indépendance de la Croatie. Dans l’acte d’accusation, il est allégué que, pendant cette période, Slobodan Milosevic a participé, avec d’autres, à une entreprise criminelle commune dont le but était de contraindre la majorité de la population croate et du reste de la population non serbe à évacuer environ un tiers du territoire de la République de Croatie (y compris les territoires de Krajina et de Slavonie), dont il était prévu qu’il ferait partie d’un nouvel Etat dominé par les Serbes11. Il est également allégué que « pour mener à bien cette entreprise criminelle commune , [l’accusé] a agi de concert avec plusieurs autres personnes ou par personnes interposées [dont les noms sont cités] »12, et que sa responsabilité pénale individuelle est engagée en vertu de l’article 7 1) du Statut, pour les crimes recensés dans l’acte d’accusation. Au nombre de ces crimes figurent les persécutions, l’extermination, la détention illégale, l’expulsion, les attaques contre des civils et la destruction sans motif, que lui imputent les 32 chefs d’accusation qui font état d’infractions graves aux Conventions de Genève de 1949, de violations des lois ou coutumes de la guerre et de crimes contre l’humanité .

9. Dans cet acte d’accusation, il est allégué que l’entreprise criminelle commune a été menée à bien par la prise de contrôle de villes et de villages par les forces serbes (comprenant l’Armée populaire yougoslave (« JNA »), la Défense territoriale (« TO »), les forces de police du Ministère de l’intérieur (« MUP ») et les unités paramilitaires), par le meurtre de centaines de Croates, l’emprisonnement de milliers d’autres dans des lieux de détention (où ils ont été torturés, battus et tués), par des agressions sexuelles, par l’utilisation de civils contraints au travail forcé, par l’expulsion de 170 000 civils croates et de civils non serbes, et par la destruction de maisons et d’édifices culturels. Il est allégué qu’en sa qualité de Président de la Serbie et du fait de sa place éminente au sein du Parti socialiste de Serbie (« SPS »), l’accusé contrôlait toutes les facettes de l’appareil d’État serbe, y compris la police et les services chargés de la sûreté de l’État, et exerçait un contrôle effectif ou une influence appréciable sur les autres participants à l’entreprise criminelle. Il est également allégué que l’accusé, agissant seul ou de concert avec ces personnes, a donné des instructions et fourni une assistance en vue de la prise de contrôle des villes et villages et du déplacement forcé de la population croate, et qu’il a, en outre, apporté un soutien aux forces militaires , appuyé la formation de forces spéciales, et exercé un contrôle ou une influence appréciable sur la JNA et sur les médias13.

10. Dans l’acte d’accusation, il est, par ailleurs, allégué que l’accusé était responsable , en tant que supérieur hiérarchique, des actes criminels commis par les unités de la JNA, de la TO, du MUP, de la sûreté de l’État (« DB ») de la République de Serbie, et par les unités de volontaires. Il est indiqué qu’il a exercé un contrôle sur les membres du « Bloc serbe » au sein de la présidence de la République socialiste fédérative de Yougoslavie (« RSFY »), lesquels exerçaient collectivement les pouvoirs dévolus à la présidence et, en particulier, au « commandant en chef » de la JNA, de la TO et des unités de volontaires. Il est également allégué que l’accusé a exercé un contrôle sur a) le KOS, service de contre-espionnage de la JNA, dont les agents en Croatie ont dirigé les actions des dirigeants politiques serbes locaux, et sur b) les agents du MUP et de la DB qui ont dirigé et soutenu les actions des dirigeants serbes de Croatie14.

11. À la conférence de mise en état du 30 octobre 2001, le Procureur a indiqué qu’il comptait appeler à la barre 255 témoins et produire quelque 90 documents concernant l’acte d’accusation « Croatie ». Il a estimé la durée de la présentation de ses moyens de preuve à environ 170 jours, et a déclaré qu’il prévoyait être prêt pour le procès d’ici 4 à 5 mois15. À l’Audience , l’Accusation a fait savoir que si l’acte d’accusation relatif à la Croatie devait faire l’objet d’un procès séparé, il lui faudrait environ dix mois pour exposer ses moyens16. Elle a indiqué, en outre , qu’elle comptait citer 143 témoins pour apporter un témoignage sur les crimes commis, et que le versement au dossier de déclarations supplémentaires serait demandé en vertu de l’article 92 bis du Règlement17.

c) Acte d’accusation « Bosnie »

12. L’acte d’accusation relatif à la Bosnie a été présenté par le Procureur le 12  novembre 2001, et confirmé le 22 novembre 2001. Il se rapporte à des événements qui se sont déroulés en BosnieHerzégovine entre 1992 et 1995. Dans cet acte d’accusation , il est allégué que, pendant cette période, l’accusé a participé à une entreprise criminelle commune dont le but était de forcer les Musulmans de Bosnie et les Croates de Bosnie à quitter de vastes portions du territoire de la République de Bosnie- Herzégovine18. Il est également allégué que cette entreprise a été réalisée par le meurtre généralisé de milliers de personnes , par la détention, le transfert forcé et l’expulsion de milliers d’autres, et par le pillage et la destruction sans motif de leurs biens, ces crimes étant commis par les forces serbes, composées d’unités de la JNA, de la VJ, de l’Armée des Serbes de Bosnie (« VRS »), d’unités locales de la TO et d’unités de la police du Ministère serbe de l’intérieur. Dans l’acte d’accusation, l’accusé est mis en cause dans 29  chefs pour génocide, infractions graves aux Conventions de Genève, crimes contre l’humanité et violations des lois ou coutumes de la guerre, ayant pris la forme de persécutions, meurtre/assassinat, détention illégale, torture, expulsion, destruction sans motif et pillage.

13. Il est allégué que l’accusé est tenu individuellement pénalement responsable de ces crimes, aux termes de l’article 7 1) du Statut, qu’il dominait la vie politique en Serbie et en RSFY/RFY, et qu’il contrôlait toutes les facettes de l’appareil d’État19. Ainsi, il aurait exercé un contrôle effectif sur les autres participants à l’entreprise criminelle, y compris sur les unités de la JNA, de la VJ et de la VRS, ainsi que sur les dirigeants politiques de la Republika Sprska (« RS »), et il aurait fourni un soutien et donné des instructions aux forces spéciales du MUP de la RS, ainsi qu’aux forces paramilitaires qui ont pris part à l’entreprise criminelle commune20.

14. Aux termes de l’article 7 3) du Statut, l’accusé aurait été également responsable , en tant que supérieur hiérarchique, de la participation des membres de la JNA, de la VJ et du MUP serbe, aux crimes recensés dans l’acte d’accusation, en raison des pouvoirs qui étaient les siens en tant que membre du Conseil suprême de défense et du contrôle qu’il exerçait sur la présidence de la RSFY et sur les agents du MUP21.

15. À l’Audience, l’Accusation a indiqué que si l’acte d’accusation « Bosnie » devait faire l’objet d’un procès séparé, la présentation de ses moyens durerait environ 13 mois22. Elle a fait part de son intention de citer environ 300 témoins pour apporter un témoignage sur les crimes commis, tout en précisant que les déclarations de 200 de ces témoins pourraient être versées au dossier en application de l’article 92 bis du Règlement23.

B. ARGUMENTS DES PARTIES

a) l’Accusation

16. Dans sa Requête, l’Accusation soutient que la Chambre de première instance devrait donner une acception large au terme « opération » figurant à l’article 49 du Règlement 24. Elle fait valoir que de nombreux actes d'accusation soumis tant au Tribunal international qu’au Tribunal international pour le Rwanda (« TPIR ») mettent en cause des accusés (et en particulier ceux ayant joué un rôle de premier plan) pour des crimes constitués d’une série d’actes ou d’omissions étalés dans le temps et dans l’espace. Elle soutient, en outre, qu’en l’espèce, « l’opération », au sens de dessein, stratégie ou plan commun, qui fait le lien entre les trois actes d’accusation est le plan de Milosevic dont l’objectif était de créer une « Grande Serbie », englobant le Kosovo et les régions de Croatie et de Bosnie-Herzégovine ayant une importante population serbe. Cet objectif devait être réalisé en contraignant, par des actes criminels sanctionnés par le Statut, les non-Serbes à évacuer de larges portions du territoire de l’ex-Yougoslavie25. Dans sa Requête, l’Accusation affirme que « ?l’gobjectif de l’entreprise criminelle commune décrite dans ces actes d’accusation, et les méthodes utilisées pour l’atteindre sont véritablement identiques »26. Même si certains des participants à l’entreprise criminelle ont pu changer, la plupart d’entre eux ont continué à y prendre part tout au long de la période couverte par les trois actes d’accusation.

L’Accusation soutient notamment qu’entre la fin des années 1980 et octobre 2000, l’accusé a dominé la vie politique en RFY, d’abord en tant que Président du SPS et Président de la Serbie, puis en tant que Président de la RFY. À ces postes, l’accusé a exercé un contrôle effectif sur l’appareil d’État et sur les institutions militaires , et a poursuivi des politiques qui ont entraîné les crimes énumérés dans chacun des actes d’accusation. La VJ et le Ministère serbe de l’intérieur figurent au nombre des institutions qui ont joué un rôle crucial durant les conflits en Croatie, en BosnieHerzégovine, et au Kosovo. Pendant toute la durée de ces conflits, période couverte par les trois actes d’accusation, l’accusé contrôlait les mécanismes de financement occulte de ces institutions ; par ailleurs, le contrôle qu’il exerçait sur les institutions clés et sur leurs représentants a évolué durant les trois conflits . En conséquence, avance l’Accusation, compte tenu du caractère continu et de la nature évolutive du comportement criminel de l’accusé, il serait impossible d’apprécier à sa juste valeur sa participation aux actes criminels recensés dans l’un quelconque des actes d’accusation sans prendre en compte son rôle dans les crimes visés par les deux autres actes d’accusation27.

L’Accusation reconnaît que « plusieurs années » séparent les événements visés par l’acte d’accusation « Kosovo » de ceux rapportés dans les autres actes d’accusation  ; mais, elle soutient qu’ils sont indissociables des événements qui se sont déroulés dans les deux autres régions de l’ex-Yougoslavie. En effet, lors de la campagne du Kosovo, l’accusé a repris les méthodes employées dans les deux autres régions , et il est essentiel de connaître l’histoire du Kosovo pour comprendre les événements qui se sont déroulés en Croatie et en Bosnie-Herzégovine. Partant, l’Accusation est d’avis qu’une seule Chambre de première instance devrait appréhender toutes les questions globalement28. Par ailleurs , l’Accusation fait remarquer qu’elle devrait rapporter la preuve du rôle joué par l’accusé dans les campagnes de nettoyage ethnique en Croatie et en Bosnie-Herzégovine pour démontrer que les actes de violence commis pendant la campagne du Kosovo étaient prévisibles29.

En conséquence, l’Accusation soutient que « les crimes reprochés à l’accusé constituent une " même opération " au sens de l’article 49 »30.

Concernant les questions relevant du pouvoir d’appréciation de la Chambre, l’Accusation avance les arguments suivants :

a) La jonction des actes d’accusation assurerait un meilleur respect du droit de l’accusé à un procès rapide et équitable, car il aurait ainsi la possibilité d’analyser toute l’histoire au cours d’un même procès où les éléments de preuve seraient davantage susceptibles d’être « de première main » ; en outre, il n’aurait pas à comparaître au procès dans une affaire, tout en s’occupant d’une autre instance. Par ailleurs , s’il était déclaré coupable, l’accusé se verrait infliger une peine globale unique par une seule Chambre de première instance, et non plusieurs peines correspondant à des actes d’accusation différents.

b) Un procès unique serait le moyen le plus économique de juger l’accusé. De fait , on aurait alors un seul procès devant une seule Chambre de première instance au lieu de trois procès devant trois Chambres de première instance différentes. Dans le cas d’un procès unique, l’Accusation pourrait plus facilement réduire sensiblement le nombre de ses témoins (estimé à l’heure actuelle à environ 600), et mieux s’acquitter de la communication des moyens de preuve, et des éléments de nature à disculper l’accusé.

c) La protection des témoins serait mieux assurée s’ils n’avaient pas à venir déposer à plusieurs reprises. Plus de vingt témoins seraient concernés en l’espèce.

d) Un procès unique permettrait de garantir la cohérence des déclarations de culpabilité et des peines.

e) Le cas des coaccusés visés dans l’acte d’accusation « Kosovo » pourrait être disjoint si les trois actes d’accusation dressés à l’encontre de l’accusé étaient joints.

21. À l’Audience, l’Accusation a signalé qu’elle utilisait l’expression « Grande Serbie » pour plus de commodité, et que le plan d’ensemble attribué à l’accusé visait à la création d’un État serbe centralisé, englobant les zones peuplées de Serbes , l’idée étant de conserver ou de conquérir tous les territoires qui entreraient dans le cadre de ce plan31.

22. Elle a soutenu qu’il ne serait pas souhaitable que soient jugés en premier les faits reprochés dans l’acte d’accusation « Kosovo », et ce pour plusieurs raisons  : chronologiquement, les événements du Kosovo sont les plus récents ; l’intérêt des victimes et des témoins commande que ceux qui ont souffert des événements les plus anciens n’aient pas à attendre qu’une affaire plus récente soit jugée d’abord  ; on peut considérer que les actes d’accusation « Croatie » et « Bosnie » concernent des faits plus graves et plus importants, et qu’en conséquence, ces affaires devraient être jugées sans attendre, et, enfin, l’acte d’accusation « Kosovo » traite d’une question distincte, nommément la question des bombardements de l’OTAN, dont l’examen risque de prendre beaucoup de temps32.

23. L’Accusation avance également qu’il ne serait pas souhaitable de statuer en premier sur les accusations relatives au Kosovo, car c’est d’abord au Kosovo que l’accusé a assis son pouvoir, et que les crimes qui ont fini par s’y produire «  étaient annoncés » et ont tout simplement été « retardés »33. L’Accusation estime que c’est la politique de l’accusé qui a amené les personnes qui étaient sous son contrôle et influence à commettre de graves crimes. Partant , elle soutient que les éléments de preuve se rapportant aux événements les plus anciens valent pour les plus récents, car ils montrent ce à quoi on pouvait s’attendre dans le cas où les politiques de l’accusé seraient mises en œuvre34.

b) l’Accusé

24. À l’Audience, l’accusé a fait valoir qu’aucun argument n’avait été exposé en faveur de la jonction. Il a déclaré qu’une jonction ne serait pas une mesure judicieuse et qu’elle ne saurait se justifier35. L’accusé a également demandé instamment à la Chambre de première instance de ne pas permettre que le procès relatif au Kosovo soit retardé pour « défendre l’intérêt de la politique actuelle »36.

c) Les Amici curiae

25. Dans leur réponse écrite à la Requête, les amici curiae estiment de leur côté que les trois actes d’accusation peuvent être traités séparément, comme cela a été le cas jusqu’alors37. Ils soutiennent que la Requête devrait être rejetée si la Chambre de première instance estime que l’accusé ne bénéficiera pas d’un procès équitable s’il y a jonction des actes d’accusation , ou si la jonction devait empêcher la Chambre de s’acquitter comme il se doit de ses propres fonctions38. Ils font observer que la Chambre de première instance devra tenir compte de « l’ampleur considérable que prendrait un procès unique et se demander si la Chambre de première instance est en mesure de connaître de manière adéquate de toutes les charges contenues dans les trois actes d’accusation »39.

26. Par ailleurs, à l’Audience, les amici curiae ont souligné qu’il conviendrait d’établir un lien entre chacun des chefs des trois actes d’accusation avant de faire droit à la demande de jonction40. Ils ont fait valoir qu’à leur avis, il existe des « points communs » entre les chefs des trois actes d’accusation, mais qu’en se fondant sur le projet de « Grande Serbie  » prêté à l’accusé, l’Accusation n’est pas parvenue à justifier sa demande41.

C. LE DROIT

27. C’est l’article 49 du Règlement qui régit la question, ici posée, de savoir si les actes d’accusation devraient être joints. Il dispose :

Jonction de chefs d’accusation

Plusieurs infractions peuvent faire l’objet d’un seul et même acte d’accusation si les actes incriminés ont été commis à l’occasion de la même opération et par le même accusé.

28. La première question à laquelle la Chambre de première instance doit répondre pour trancher cette Requête est celle de savoir si « les actes incriminés ont été commis à l’occasion de la même opération ». Aux fins du Règlement, le terme « opération  » désigne

un certain nombre d'actions ou d'omissions survenant à l'occasion d'un seul événement ou de plusieurs, en un seul endroit ou en plusieurs, et faisant partie d'un plan , d'une stratégie ou d'un dessein commun42.

29. À ce jour, ni la portée de l’article 49 du Règlement ni la définition du terme « opération » n’ont fait l’objet d’une décision de la Chambre d’appel ou d’une des Chambres de première instance du Tribunal. On peut cependant trouver quelques indications dans une opinion individuelle jointe par le Juge Shahabuddeen à l’Arrêt motivant l’ordonnance rendue le 29 mai 1998 par la Chambre d’appel : « La jonction d’infractions est, bien entendu, possible, dans certaines limites. Les nouvelles accusations doivent être assez largement en rapport avec les faits à l’origine de la première accusation 43. » Il faisait observer que le critère de rapport est prévu dans l’article 49 du Règlement dont la formulation « [...] reconnaît [...] tout à la fois l’avantage qu’il y aurait, pour chacune des parties , à juger ensemble plusieurs infractions, et l’injustice dont l’accusé pourrait être victime s’il avait à répondre simultanément d’accusations sans rapport les unes avec les autres44. » Le Juge Shahabuddeen déclarait également que l’article 49 du Règlement semble inspiré du critère de « même opération » qu’emploie le système fédéral des États-Unis d’Amérique , et en application duquel on a pu dire que « des infractions [...] doivent être jointes lorsqu’elles sont étroitement liées en ce sens qu’elles constituent les éléments interdépendants d’une entreprise criminelle particulière45.  » Il concluait que « [...] la question est [...] de savoir si tous les chefs d’accusations , ancien et nouveaux, représentent les éléments interdépendants d’une entreprise criminelle particulière. [...] Il n’est pas nécessaire que tous les faits soient identiques. Il suffit que les nouvelles accusations ne puissent être portées indépendamment des faits qui sont à l’origine de la première46 [Non souligné dans l’original]. »

30. Il est à noter que dans des décisions rendues par la Chambre d’appel du TPIR , en particulier sur des questions ayant trait à la jonction d’accusés, les Juges McDonald et Vohrah, tenant le même discours dans deux opinions individuelles présentées conjointement, faisaient également remarquer que l’article 49 semble tiré du critère de « même opération », qui existe dans le système juridique fédéral des États-Unis d’Amérique47. Ils poursuivaient en affirmant que la jurisprudence du Tribunal autorisait les procès conjoints et déclaraient que « lorsque c’est possible, l’intérêt public et le souci de l’économie judiciaire requièrent que des infractions conjointes soient jugées ensemble 48 [Non souligné dans l’original]  ».

31. Des chambres de première instance du TPIR ont examiné le sens à donner à l’expression « même opération ». Dans un cas, la Chambre de première instance a jugé que le Procureur donnait une définition trop vague ou imprécise de cette expression et faisait observer , de manière quelque peu énigmatique, qu’à son avis « la Défense a raison de penser que ce serait une généralisation excessive que de déduire de la seule “élimination de Tutsi dans la préfecture de Kibuye en 1994” l’existence d’une même entreprise criminelle49 ».

32. Dans l’affaire Bagosora, la Chambre de première instance a examiné la pratique suivie dans les systèmes de common law et de droit romano-germanique en matière de jonction et montré que, dans ces derniers, la jonction peut être autorisée s’il y a «connexité» entre les crimes reprochés aux accusés50  ; en d’autres termes, pour que la jonction soit permise, les crimes reprochés doivent avoir un rapport entre eux.

33. Les systèmes de common law attachent également de l’importance au rapport ou « lien » entre les crimes. Ainsi, aux États-Unis d’Amérique, l’article 8 a) du Federal Rules of Criminal Procedure, le règlement fédéral de procédure pénale , dispose :

Deux infractions ou plus peuvent être reprochées dans le cadre du même acte d’accusation [...] si lesdites infractions [...] sont de même nature ou de nature semblable ou si elles ont été commises au cours de la même action ou de la même opération ou de deux ou plusieurs actions ou opérations liées les unes aux autres ou faisant partie d’un plan ou d’un dessein commun [Non souligné dans l’original, traduction non officielle].

34. Par ailleurs, l’article 14 des Federal Rules of Criminal Procedure dispose que s’il s’avère que la jonction des infractions nuit à l’accusé, le tribunal peut ordonner la disjonction des procès ou prendre toute autre mesure nécessaire que commande l’équité.

35. De même, en Angleterre, les accusations relatives à plusieurs infractions peuvent être jointes dans un même acte d’accusation si elles se fondent sur les mêmes faits ou si elles forment ou font partie d’une série d’infractions de nature identique ou similaire51. Dans l’affaire R. v. Kray52, la Chambre d’appel a estimé qu’il doit exister un lien suffisant entre les infractions visées, et que l’existence de ce lien est clairement établie si les moyens de preuve relatifs à l’une des infractions sont également admissibles pour juger de l’autre infraction . Cependant, la règle ne se limite pas à de tels cas : dans l’affaire Ludlow 53, la Chambre des Lords a considéré que la similarité impliquant l’existence d’un lien permet, quelles que soient les circonstances de l’affaire, de considérer les infractions comme une série.

36. Par conséquent, la Chambre de première instance estime que ce critère consiste par essence à déterminer si l’on est en présence d’une série d’actes qui constituent ensemble une même opération, à savoir une partie d’un dessein, d’une stratégie ou d’un plan commun. Toutefois, dans la version en anglais, la mention d’une « series  » et l’emploi de l’expression « committed together » (Rule 49 of the Rules : « if the series of acts committed together form the same transaction »  Article 49 du Règlement : « si les actes incriminés ont été commis à l’occasion de la même opération ») montrent que les actes doivent être liés comme l’exigent les systèmes de la common law ou de droit romano-germanique. On ne saurait joindre des actes sans rapport entre eux au motif qu’ils s’inscrivent dans un même plan. Comme l’a expliqué le Juge Shahabuddeen, le plan doit être tel que les chefs d’accusations représentent les éléments interdépendants d’une entreprise criminelle particulière54. En l’absence d’une telle série d’actes et d’un tel plan, toute demande de jonction doit être rejetée . Lorsque ni le lieu ni les dates ne correspondent, il est plus difficile, mais non impossible, de conclure que les chefs d’accusation représentent des éléments interdépendants d’une entreprise criminelle particulière.

37. À cet égard, il convient de ne pas oublier que, pour trancher la question de la jonction, la Chambre de première instance est tenue de se fonder sur les faits exposés dans les actes d’accusation. La Chambre de première instance du TPIR saisie de l’affaire Bagosora déclarait ainsi : «Au présent stade de la procédure , seules existent des allégations, lesquelles devront être prouvées au procès. Ce n’est pas à ce stade que l’on peut faire la preuve des allégations. Il ne peut y avoir deux procès consécutifs, l’un au stade de la jonction et l’autre durant le procès proprement dit55

38. Mais cela n’épuise pas la question. En effet, en exerçant son pouvoir d’appréciation dans le cadre de l’article 49 du Règlement, la Chambre de première instance doit tenir compte du fait que cet article, comme tous les autres, doit être interprété à la lumière du Statut pris dans son ensemble. Dans le cas de l’article 49 du Règlement , il convient en particulier de tenir compte du fait que l’accusé a droit en vertu de l’article 21 2) du Statut, à ce que sa cause soit entendue équitablement. Par conséquent, si la Chambre de première instance conclut que la jonction des actes d’accusations porterait atteinte au droit de l’accusé à ce que sa cause soit entendue équitablement, elle n'autorisera pas la jonction. Le droit de l’accusé à ce que sa cause soit entendue équitablement étant donc clairement l’un des éléments à prendre en compte dans l’application de l’article 49, la Chambre ne peut retenir une acception large de celui-ci, comme le propose l’Accusation56.

39. Toutefois, l’intérêt de l’accusé n’est pas seul en cause. La jonction ne saurait être autorisée lorsqu’elle n’est pas dans l’intérêt de la justice, lequel recouvre , dans le procès de toute personne accusée de violations graves du droit international humanitaire, non seulement l’intérêt de l’accusé, mais aussi de celui de l’Accusation et de la communauté internationale. Il est significatif que l’article 82 B) du Règlement , qui traite de la disjonction d’instances, en fasse expressément mention. Bien qu’il ne soit pas explicitement fait état de l’intérêt de la justice à l’article  49 du Règlement, la Chambre ne doute pas que ce soit là un élément dont il convient de tenir compte.

40. La Chambre de première instance, dans l’exercice du pouvoir d’appréciation que lui confère l’article 49 du Règlement, peut à juste titre tenir compte d’autres éléments, dont l’économie judiciaire, par exemple, éviter de présenter deux fois les mêmes preuves et ménager les témoins.

D. EXAMEN

41. Il convient premièrement de déterminer si les trois actes d’accusation font partie d’une série d’actes commis ensemble qui constitueraient une même opération , autrement dit, participeraient d’un dessein, d’une stratégie ou d’un plan commun .

42. Selon l’Accusation, tel est bien le cas, puisqu’ils s’inscrivent dans le cadre du projet de « Grande Serbie ». Effectivement, chacun des actes d’accusation indique que l’accusé a participé à une entreprise criminelle commune, qui avait pour objectif de chasser les non-Serbes d’une certaine région, et qui était mise en œuvre par des moyens similaires. Cependant, l’analyse des actes d’accusation montre qu’ils traitent des événements comme suit :

Croatie : août 1991 - juin 1992

Bosnie : mars 1992 - décembre 1995

Kosovo : janvier - juin 1999

Plus de trois ans se sont donc écoulés entre les derniers événements de Bosnie et le début de ceux du Kosovo.

43. Par ailleurs, à la différence du conflit au Kosovo, les conflits en Croatie et en Bosnie-Herzégovine ont eut pour cadre non la RFY, mais des États voisins et doivent être resitués dans le cadre des conflits nés de la désintégration de l’ex -Yougoslavie, lesquels ont pris fin avec les Accords de paix de Dayton de décembre 1995. Dans ces deux cas, il est précisé que l’accusé a agi « indirectement », de concert avec ou par l’entremise d’autres personnes participant à l’entreprise criminelle commune ou en usant du contrôle et de l’influence appréciables qu’il avait sur celles - ci, à savoir sur les dirigeants des Serbes de Bosnie et la VRS, notamment en Bosnie -Herzégovine, et sur les groupes de volontaires et les groupes paramilitaires, notamment en Croatie.

44. Quant au conflit au Kosovo, il s’est produit dans une province de la RFY, bien après la conclusion des accords de paix. À quoi il faut ajouter que, dans cette affaire, il est reproché à l’accusé, qui contrôlait de jure et de facto la VJ en tant que commandant suprême, d’avoir agit «directement».

45. La Chambre de première instance fait remarquer que l’acte d’accusation « Kosovo  » ne mentionne pas le plan de création d’une « Grande Serbie » et que ce plan n’est mentionné dans les actes d’accusation « Bosnie » et « Croatie » qu’à propos d’autres personnes. La Chambre de première instance considère que ce lien est trop vague pour révéler l’existence du « dessein, de la stratégie ou du plan communs » indispensable pour que l’on puisse considérer qu’ils constituent la « même opération » au sens de l’article 49 du Règlement. Comme il a été dit plus haut57, l’acte d’accusation « Kosovo » se distingue des autres tant par l’époque et le lieux des faits que par le mode d’action prêté à l’accusé. Par conséquent, la Chambre de première instance juge que les faits exposés dans les trois actes d’accusation ne constituent pas une même opération au sens de l’article 49 du Règlement.

46. En revanche, les actes d’accusation « Croatie » et « Bosnie » font apparaître un lien étroit, à la fois dans le temps, du fait du type de conflit visé et de la nature de la responsabilité qui pèse sur l’accusé. Par conséquent, la Chambre conclut que, s’agissant de ces deux actes d’accusation, les critères requis pour une jonction en application de l’article 49 sont remplis. Les deux actes d’accusation font état d’une série d’actes qui, pris ensemble, constituaient une même opération, à savoir , un plan visant à s’emparer de régions où vivait une importante population serbe dans deux États voisins. Les mêmes moyens ont été employés dans les deux cas pour parvenir à ce but et l’accusé a joué le même rôle dans les deux cas. Les deux conflits sont suffisamment proches dans le temps et suffisamment semblables par les méthodes employées pour que l’on considère qu’ils constituent des parties interdépendantes d’une entreprise particulière.

47. L’Accusation avance qu’en termes d’économie judiciaire il reviendrait moins cher d’organiser un seul procès. Dans sa Requête, l’Accusation indique qu’environ 600 témoins seraient cités à un tel procès58, lequel durerait environ 3 ans59. Toutefois , à l’Audience, elle a déclaré qu’il fallait prévoir entre 380 et 395 témoins, dont l’audition durerait environ 300 jours d’audience en tout60. L’Accusation a ajouté qu’un certain nombre de ces témoignages pourraient être apportés dans les conditions prévues à l’article 92 bis du Règlement61. La Chambre de première instance fait observer que cela représente une réduction sensible du nombre des témoins prévus par l’Accusation. Même ainsi, elle estime qu’un tel procès serait beaucoup trop long. À ce sujet, elle rappelle que dans l’affaire Kordic, il a fallu 240 jours d’audience répartis sur 20 mois pour entendre 241 témoins62. Par conséquent, il serait plus facile pour la Chambre de première instance de conduire deux procès distincts.

48. En outre, l’Accusation déclarait dans sa Requête qu’une vingtaine de témoins devraient déposer plusieurs fois si les procès étaient menés séparément. À l’audience, elle a indiqué que ce nombre pourrait augmenter. Le Procureur a admis que ces témoins n’étaient pas des victimes63. Aux yeux de la Chambre de première instance, cette vingtaine de témoins qui devraient répéter leur témoignages en cas de procès séparés représentent peu de choses comparée au nombre total de témoins.

49. Durant l’audience, l’Accusation a déclaré qu’elle serait prête d’ici l’été pour un procès conjoint organisé sur la base des trois actes d’accusation, bien qu’elle préfère qu’il débute à l’automne64. La Chambre de première instance estime qu’il s’agit là d’une estimation très optimiste , étant donné que l’Accusation n’a pas encore communiqué toutes les pièces qu’elle devait pour l’acte d’accusation « Kosovo »65, et que les deux autres actes d’accusation viennent juste d’être confirmés. La Chambre de première instance pense qu’il serait plus commode d’organiser deux procès sur la base des trois actes d’accusation.

50. L’Accusation a également fait valoir que le procès de l’accusé serait plus équitable et plus rapide en cas de jonction d’instances. La Chambre de première instance estime pourtant qu’il serait plus difficile et plus préjudiciable pour l’accusé de devoir se défendre des accusations contenues dans les trois actes d’accusation en même temps, notamment pour ce qui est de l’acte d’accusation du Kosovo et de ses circonstances différentes. La Chambre de première instance, composée comme elle l’est de juges professionnels, ne devrait pas se laisser influencer dans un procès par une preuve préjudiciable présentée dans un autre. Toutefois, si ce risque existe, la preuve doit être exclue.

51. Une Chambre de première instance unique saisie des deux affaires peut maintenir une certaine cohérence entre les jugements et les peines, bien qu’un réexamen soit possible sur ce point. En tout état de cause, cela n’empêche pas de juger l’accusé séparément pour ces actes d’accusation.

52. Par conséquent, la Chambre de première instance fera partiellement droit à la Requête en joignant les actes d’accusation « Croatie » et « Bosnie ». En revanche , l’acte d’accusation « Kosovo » fera l’objet d’un procès distinct. Cette affaire sera jugée la première. Elle est en état, contrairement aux autres. Si les procès ont lieu dans cet ordre, c’est parce que l'Accusation a présenté l’acte d’accusation relatif au Kosovo il y a deux ans, et ceux concernant la Croatie et la Bosnie à l’automne seulement, soit respectivement 9 ans et 6 ans après les faits.

E. DISPOSITIF

53. La Chambre de première instance

ORDONNE que les actes d’accusation relatifs à la Croatie et à la Bosnie soient joints et qu’ils reçoivent un numéro d’affaire commun,

ORDONNE que l’Accusation dépose, dans les 28 jours, un acte d’accusation conjoint,

DÉCIDE que l’acte d’accusation relatif au Kosovo fera l’objet d’un procès distinct qui s’ouvrira le 12 février 2002, et

DÉCIDE que le procès portant sur les événements de la Croatie et de la Bosnie s’engagera immédiatement après devant cette même chambre.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le Président de la Chambre de première instance
(signé)
Richard May

Fait le 13 décembre 2001
La Haye (Pays-Bas)


1. Requête de l’Accusation aux fins de jonction, déposée le 27 novembre 2001 et Corrigendum de l’Accusation à la Requête aux fins de jonction déposée le 27 novembre 2001, déposé le 10 décembre 2001 (la « Requête »).
2. Le Procureur c/ Slobodan Milosevic et consorts, affaire nº IT-99-37-PT.
3. Le Procureur c/ Slobodan Milosevic, affaire nº IT-01-50-PT.
4. Le Procureur c/ Slobodan Milosevic, affaire nº IT-01-51-PT.
5. Réponse des amici curiae à la requête de l’Accusation aux fins de jonction de chefs d’accusation, déposée le 10 décembre 2001 (la « Réponse des amici curiae »).
6. Acte d’accusation « Kosovo », par. 54.
7. Ibid., par. 19 à 28.
8. Conférence de mise en état, 30 octobre 2001, affaire nº IT-99-37-PT, compte rendu d'audience, version en anglais (« CR »), p. 125 et 126, 128.
9. Audience, 11 décembre 2001 (« l’Audience »), CR, p. 66.
10. Ibid., CR, p. 67 et 68.
11. Acte d’accusation « Croatie », par. 6.
12. Ibid., par. 9.
13. Ibid., par. 25 et 26.
14. Ibid., par. 29 à 33.
15. Conférence de mise en état, 30 octobre 2001, affaire nº IT-01-50-PT, CR, p. 45 à 47.
16. Audience, p. 66.
17. Ibid., p. 67.
18. Acte d’accusation « Bosnie », par. 6 et 9.
19. Ibid., par. 5 et 23.
20. Ibid., par. 24 et 25.
21. Ibid., par. 27 à 31.
22. Audience, CR, p. 66.
23. Ibid., p. 68.
24. Requête, par. 12.
25. Ibid., par. 13.
26. Ibid., par. 15.
27. Ibid., par. 27.
28. Ibid., par. 16.
29. Ibid., par. 30.
30. Ibid., par. 31.
31. Audience, CR, p. 43 et 53.
32. Ibid., CR, p. 58 et 59.
33. Ibid., CR, p. 44 et 45.
34. Ibid., CR, p. 57.
35. Ibid., CR, p. 107.
36. Ibid.
37. Réponse des amici curiae, par. 10.
38. Ibid., par. 6.
39. Ibid., par. 10.
40. Ibid., par. 8 et Audience, CR, p. 83 et 84.
41. Audience, p. 87.
42. Article 2 du Règlement.
43. Le Procureur c/ Kovacevic, affaire n° IT-97-24-AR73, Arrêt motivant l’ordonnance rendue le 29 mai 1998 par la Chambre d’appel, 2 juillet 1998, Opinion individuelle de M. le Juge Shahabuddeen, p. 2. L’Opinion individuelle du Juge Shahabuddeen a été retenue par la Chambre de première instance dans une Décision relative aux requêtes de Momir Talic aux fins de la disjonction dans l’affaire Brdjanin & Talic, où elle était qualifiée d’application de l’article 49 du Règlement (c’était en fait une application de l’article 50 du Règlement). Le Procureur c/ Brdjanin & Talic, affaire n° IT-99-36-PT, Décision relative aux requêtes de Momir Talic aux fins de la disjonction d’instance et aux fins d’autorisation de dépôt d’une réplique, 9 mars 2000, par. 20.
44. Le Procureur c/ Kovacevic, affaire n° IT-97-24-AR73, Arrêt motivant l’ordonnance rendue le 29 mai 1998 par la Chambre d’appel, 2 juillet 1998, Opinion individuelle de M. le Juge Shahabuddeen, p. 2 et 3.
45. Ibid., p. 3. Le Juge Shahabuddeen citait Wayne R. LaFave and Jerold H. Israel, Criminal Procedure, 2e éd. p. 762.
46. Idem.
47. Le Procureur c/ Kanyabashi, affaire n° ICTR-96-15-A, Arrêt relatif à la requête de la Défense déposée aux fins d’appel interlocutoire sur la compétence de la Chambre de première instance I, 3 juin 1999, Joint and Separate Opinion of Judge McDonald and Judge Vohrah, par. 32 et le Procureur c/ Nsengiyumva, affaire n° ICTR-96-12-A, Arrêt d’appel relatif à la décision orale de la Chambre de première instance II rendue le 28 septembre 1998, 3 juin 1999, Joint and Separate Opinion of Judge McDonald and Judge Vohrah, par. 31.
48. Le Procureur c/ Nsengiyumva, affaire n° ICTR-96-12-A, Arrêt d’appel relatif à la décision orale de la Chambre de première instance II rendue le 28 septembre 1998, 3 juin 1999, Joint and Separate Opinion of Judge McDonald and Judge Vohrah, par. 31.
49. Le Procureur c/ Kayishema (affaire n° ICTR-95-1-T), Ntakirutimana (affaires n° ICTR 96-10-T et ICTR-96-17-T) et Ruzindana (affaires n° ICTR-95-1-T et ICTR-96-10-T), Décision faisant suite à la requête du procureur aux fins de disjonction d’instances et de modification de l’acte d’accusation, 27 mars 1997, p. 3.
50. Le Procureur c/ Bagosora, affaire n° ICTR-96-7 ; le Procureur c/ Kabiligi & Ntabakuze, affaires n° ICTR-97-34 et ICTR-97-30 ; le Procureur c/ Nsengiyumva, affaire n° ICTR-96-12, Decision on the Prosecutor’s Motion for Joinder, 29 juin 2000, par. 105 à 107.
51. Indictment rules 1971, r. 9.
52. R. v. Kray and Others, 53 Cr App. R. 569.
53. Ludlow v. Metropolitan Police Commr [1971] A.C. 29.
54. Voir supra, par. 29. Le Procureur c/ Kovacevic, affaire n° IT-97-24-AR73, Arrêt motivant l’ordonnance rendue le 29 mai 1998 par la Chambre d’appel, 2 juillet 1998, Opinion individuelle de M. le Juge Shahabuddeen, p. 2-3.
55. Le Procureur c/ Bagosora, affaire n° ICTR-96-7 ; le Procureur c/ Kabiligi & Ntabakuze, affaires n° ICTR-97-34 et ICTR-97-30 ; le Procureur c/ Nsengiyumva, affaire n° ICTR-96-12, Decision on the Prosecutor’s Motion for Joinder, 29 juin 2000, par. 120 et 121.
56. Requête, par. 12, et Audience, CR, p. 84.
57. Voir supra, par. 42 à 44.
58. Requête, par. 41.
59. Conférence de mise en état, 30 octobre 2001, IT-99-37-PT, CR, p. 136.
60. Audience, CR, p. 64 à 66.
61. Audience, CR, p.67.
62. Le Procureur c/ Kordic et Cerkez, affaire n° IT-95-14/2-T, Jugement, 26 février 2001, par. 3.
63. Audience, p. 74 à 76.
64. Ibid., CR, p. 72 et 73.
65. Ibid., CR, p. 68 et 69.