Affaire n° : IT-02-54-T

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Patrick Robinson, Président
M. le Juge Richard May
M. le Juge O-Gon Kwon

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
27 mai 2004

LE PROCUREUR

c/

SLOBODAN MILOSEVIC

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ORDONNANCE ADRESSÉE À L’ACCUSÉ AU SUJET DE MESURES DE PROTECTION POUR DES TÉMOINS À DÉCHARGE

____________________________________

Le Bureau du Procureur

Mme Carla Del Ponte
M. Geoffrey Nice
M. Dermot Groome
Mme Hildegard Uertz-Retzlaff

L’Accusé

Slobodan Milosevic

Les Amici Curiae

M. Steven Kay
M. Timothy L.H. McCormack

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal international »),

Vu la liste confidentielle de témoins (Confidential List of Witnesses) déposée par l’Accusé le 13 avril 2004, dans laquelle celui-ci présente, en application de l’article 65 ter du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal international (le « Règlement »), des informations concernant les 1 631 témoins qu’il souhaite citer à décharge, y compris le « nom ou le pseudonyme de chacun1 »,

ATTENDU que seuls quelques témoins sont nommément désignés, la plupart l’étant uniquement par un pseudonyme, et qu’une note figurant au début de la liste indique que « la plupart des témoins n’ont pas encore confirmé s’ils souhaitaient ou non bénéficier de mesures de protection, ni indiqué, le cas échéant, quel type de mesures » ils avaient l’intention de demander,

ATTENDU que si le Règlement et la jurisprudence du Tribunal international obligent l’Accusation à communiquer l’identité d’un témoin et d’autres informations avant l’ouverture du procès2 et, dans des circonstances exceptionnelles, à une date plus rapprochée de la déposition du témoin3, il n’existe guère, mis à part une décision rendue par la Chambre de première instance dans l’affaire Delalic4, de dispositions régissant la conduite de la Défense en la matière,

ATTENDU

  1. que l’obligation principale de la Chambre de première instance est de s’assurer que le procès est « équitable et rapide5 »,
  2. qu’il est dans l’intérêt de la justice et du bon déroulement du procès que la Chambre de première instance ordonne à l’Accusé de révéler, dans un délai raisonnable, l’identité des témoins qu’il compte citer à comparaître, afin que l’Accusation, et, si nécessaire, les amici curiae, puissent préparer leur contre-interrogatoire de ces témoins, et que
  3. le régime de communication exposé ci-dessous ne porte aucunement atteinte aux droits de l’Accusé,

ATTENDU que les témoins que l’Accusé a l’intention de citer à comparaître ont le droit de demander des mesures de protection et que la Chambre de première instance examinera toute demande en ce sens conformément à la jurisprudence qu’elle a établie en l’espèce :

[P]our que [des] mesures de protection … soient accordées, le requérant doit démontrer que, si le public venait à apprendre que le témoin en question a déposé, la sécurité de ce dernier ou de sa famille serait réellement menacée. En outre, il ne suffit pas d’établir que le témoin est inquiet, de manière générale, pour sa sécurité. Il convient que les craintes du témoin soient étayées pour des raisons précises et que la Chambre de première instance soit convaincue qu’elles sont, d’un point de vue objectif, justifiées6.

ATTENDU, cependant, que l’application de telles mesures ne devrait pas empêcher que le nom des témoins que l’Accusé compte citer à comparaître soit communiqué sans délai à la Chambre de première instance, à l’Accusation et aux amici curiae, mais non au public, sous réserve d’une demande aux fins de retarder la communication à l’Accusation et aux amici curiae de l’identité des témoins pour lesquels l’existence de circonstances exceptionnelles peut être démontrée7,

ATTENDU que, quoi qu’il en soit, il n’existe aucune raison justifiant que l’identité de tous les témoins figurant sur la liste de l’Accusé ne soit pas immédiatement communiquée à la Chambre de première instance,

PAR CES MOTIFS,

EN APPLICATION des articles 20 et 21 du Statut et des articles 54 et 75 du Règlement,

ORDONNE ce qui suit :

  1. L’Accusé transmettra à la Chambre de première instance, sous 14 jours, l’identité de tous les témoins figurant sur la liste déposée en application de l’article 65 ter G) du Règlement ;
  2. L’Accusé communiquera à l’Accusation et aux amici curiae, sous 14 jours, l’identité de tous les témoins figurant sur la liste déposée en application de l’article 65 ter G) du Règlement, à l’exception de ceux pour lesquels l’Accusé a indiqué qu’il demanderait la mesure de protection extraordinaire consistant à reporter la communication ;
  3. Les demandes aux fins de retarder la communication concernant certains témoins seront effectuées dans les sept jours du commencement de la présentation du dossier à décharge ; et
  4. Les demandes concernant l’octroi de mesures de protection à l’audience en application des articles 75 ou 79 du Règlement seront effectuées, au plus tard, 14 jours avant la comparution du témoin.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 27 mai 2004
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre de première instance
_____________
Patrick Robinson

[Sceau du Tribunal]


1. Article 65 ter G) i) a) du Règlement (non souligné dans l’original).
2. Voir l’article 66 du Règlement et pour un examen de la manière dont l’Accusation doit répondre à des demandes aux fins de la non-communication d’informations et aux fins de mesures de protection, voir par exemple, Le Procureur c/ Milosevic, Décision relative à la requête de l’Accusation aux fins de mesures de protection en faveur de certains témoins, 30 juillet 2002.
3. Voir, par exemple Le Procureur c/ Milosevic, Première décision relative à la requête de l’Accusation aux fins de mesures de protection en faveur de témoins détenant des informations sensibles, 3 mai 2002.
4. Le Procureur c/ Delalic et consorts, Décision relative à la requête de l’Accusation aux fins de communication à l’avance de l’identité des témoins à décharge, 4 février 1998.
5. Article 20 1) du Statut.
6. Supra, note de bas de page 2, par. 11.
7. Dans sa décision concernant des témoins détenant des informations sensibles mentionnée à la note de bas de page 3, la Chambre de première instance a indiqué que c’est le caractère extrême du danger et des risques auxquels s’exposeraient les témoins et/ou leurs familles si l’on venait à apprendre qu’ils témoignent en l’espèce, qui ferait de leur situation un cas exceptionnel justifiant les mesures extraordinaires visant à retarder la communication.