Affaire n° : IT-02-54-T

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Patrick Robinson, Président
M. le Juge O-Gon Kwon
M. le Juge Iain Bonomy

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Ordonnance rendue le :
6 juillet 2004

LE PROCUREUR

c/

SLOBODAN MILOSEVIC

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ORDONNANCE RELATIVE À LA CONDUITE ULTÉRIEURE DU PROCÈS

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Le Bureau du Procureur :

Mme Carla Del Ponte
M. Geoffrey Nice
M. Dermot Groome
Mme Hildegard Uertz-Retzlaff

L’Accusé :

Slobodan Milosevic

Les Amici Curiae

M. Steven Kay
M. Timothy L.H. McCormack
Mme Gillian Higgins

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal international »),

Vu l’audience tenue le 5 juillet 2004 et les arguments exposés par les parties et les amici curiae,

VU la requête de l’Accusé aux fins d’obtenir un délai supplémentaire d’au moins un mois avant de commencer la présentation de ses moyens,

VU, ÉGALEMENT le rapport présenté par le Greffier en application de l’ordonnance globale relative à des points traités lors de la conférence préalable à la présentation des moyens à décharge (Report by the Registrar Pursuant to the Trial Chamber’s "Omnibus Order on Matters Dealt With at the Pre-Defence Conference"), déposé à titre confidentiel le 25 juin 2004, indiquant le nombre de jours ouvrables perdus par l’Accusé en raison de son état de santé, ainsi que les occasions durant lesquelles les collaborateurs juridiques de l’Accusé n’ont pu lui rendre visite en raison de ses problèmes de santé,

ATTENDU que la Chambre de première instance a décidé d’accorder à l’Accusé un délai supplémentaire pour la préparation de sa défense à un moment opportun de la procédure, et qu’elle en a informé ce dernier en audience,

VU l’évolution de l’affaire jusqu’à présent, laquelle a été marquée par plusieurs interruptions dues au mauvais état de santé de l’Accusé, d’où une perte de 66 jours d’audience au 25 février 2004, et par les problèmes de santé dont l’Accusé a souffert au cours des trois mois qui lui ont été alloués pour la préparation de sa défense,

VU, en particulier, le dernier rapport médical du Dr Van Dijkman, daté du 2 juillet 2004, indiquant que l’Accusé doit se reposer jusqu’au 9 juillet 2004 au moins et qu’il souffre d’un problème de santé comportant un risque de rechute,

VU les arguments de l’Accusé concernant son inaptitude à comparaître,

VU les Motifs de la Décision relative à la requête de l’Accusation aux fins de désignation d’un conseil, rendus par la Chambre de première instance le 4 avril 2003, exposant les raisons pour lesquelles elle refusait, à ce stade, d’imposer un conseil de la Défense à l’Accusé et formulait les conclusions suivantes :

Cependant, le droit de se défendre soi-même n’est pas absolu. […] [I]l peut y avoir des circonstances où […] l’intérêt de la justice exige qu’un conseil soit désigné. De telles circonstances ne se sont pas encore présentées dans ce procès. Toutefois, comme elle l’a dit précédemment, la Chambre de première instance suivra l’évolution de la situation. […] [I]l fait obligation à la Chambre de première instance de veiller à ce que « le procès soit équitable et rapide », […] celle-ci prend un sens particulier lorsque l’état de santé de l’Accusé est en cause. […] [T]out en veillant à ce que le procès soit équitable et rapide, la Chambre de première instance doit également veiller, comme le prévoit l’article 21 du Statut, à ce que les droits de l’Accusé ne soient pas bafoués1.

VU, ÉGALEMENT la Décision relative à la Requête de l’Accusation aux fins d’une ordonnance portant désignation d’un conseil pour Vojislav Seselj, rendue par la Chambre de première instance II le 9 mai 2003, par laquelle cette dernière s’est déclarée habilitée à commettre d’office - contre le gré de l’intéressé - un conseil d’appoint à un accusé assurant lui-même sa défense et a ordonné qu’un conseil d’appoint soit commis2, ce qui est à présent chose faite,

ATTENDU que les conditions de désignation d’un conseil d’appoint et le rôle de celui-ci ne se limitent pas aux éléments décrits dans la décision susmentionnée,

VU les dispositions de l’article 20 1) du Statut du Tribunal international (le « Statut ») et l’obligation qui en découle pour Chambre de première instance de veiller à ce que le procès soit équitable et rapide,

ATTENDU que l’intérêt de l’Accusé et, de façon plus générale, celui de la justice commandent que ce procès s’achève dans des délais déraisonnables,

ATTENDU, EN OUTRE qu’il appartient à la Chambre de première instance d’envisager des mesures efficaces pour la poursuite du procès, celles-ci devant être compatibles avec l’état de santé de l’Accusé et garantir une présentation équitable et appropriée de sa défense,

ATTENDU, EN OUTRE qu’il est à présent nécessaire de reconsidérer complètement la conduite ultérieure du procès,

VU l’argument avancé par M. Kay, en sa qualité d’amicus curiae, selon lequel, compte tenu de la détérioration récente de l’état de santé de l’Accusé, le moment est peut-être venu d’examiner la question de son aptitude à être jugé,

VU l’argument avancé en réponse par l’Accusation, selon lequel rien ne justifie que l’on examine la question de l’aptitude de l’Accusé à être jugé, mais que le moment est venu d’imposer à l’Accusé un conseil chargé de l’assister en partie dans la présentation de ses moyens,

ATTENDU que si rien ne prouve que l’Accusé n’est pas, en tout état de cause, apte à être jugé, certains indices portent à croire en revanche que son état de santé est tel qu’il n’est peut-être pas apte à continuer d’assurer sa défense et que, s’il continuait de le faire, cela pourrait nuire à l’équité et à la rapidité du procès,

ATTENDU que dans les systèmes de droit romano-germanique, et notamment en Serbie-et-Monténégro, la pratique courante est d’exiger qu’un conseil soit commis à la défense de l’accusé dans les cas d’infractions graves3, l’accusé et son conseil ayant le droit d’être entendus,

VU le refus persistant de l’Accusé de donner des instructions à un conseil,

ATTENDU qu’il est peut-être nécessaire de commettre d’office un conseil à l’Accusé et/ou de prendre d’autres mesures afin de veiller à ce que le procès soit équitable et rapide,

ATTENDU que l’importance de la démarche justifie que l’Accusé soit examiné de nouveau par un autre cardiologue spécialisé indépendant,

ATTENDU, EN OUTRE qu’il est opportun que la Chambre de première instance prenne immédiatement des mesures afin de pouvoir, si d’autres perturbations importantes dans le déroulement du procès le nécessitent, envisager de commettre d’office un conseil chargé d’assister l’Accusé dans la préparation et la présentation de ses moyens ou, exceptionnellement, de le représenter,

PAR CES MOTIFS,

EN APPLICATION des articles 20 et 21 du Statut et de l’article 54 du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal international,

ORDONNE CE QUI SUIT :

1) Le procès est suspendu jusqu’au mercredi 14 juillet 2004, date à laquelle il reprendra, si l’état de santé de l’Accusé le permet.

2) Le procès sera de nouveau suspendu du mercredi 21 juillet 2004 au mardi 31 août 2004, ce qui donnera à l’Accusé le temps supplémentaire qui lui est nécessaire pour préparer la présentation de ses moyens.

3) Le Greffier informera la Chambre de première instance de l’identité du conseil qui pourrait être commis en l’espèce, si la Chambre de première instance devait rendre une décision en ce sens,

4) Le Greffier désignera un cardiologue n’ayant jamais soigné l’Accusé et lui donnera pour instruction d’examiner ce dernier, de considérer toutes les informations pertinentes relatives à son état de santé compte tenu du fait qu’il assure sa défense, et de présenter directement un rapport à la Chambre de première instance au sujet de l’aptitude de l’Accusé à continuer d’assurer sa défense et des incidences que pourrait avoir cette situation sur le calendrier des audiences que cette situation, si elle se prolongeait.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 6 juillet 2004
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre de première instance
____________
Patrick Robinson

[Sceau du Tribunal]


1. Le Procureur c/ Milosevic, Motifs de la Décision relative à la requête de l’Accusation aux fins de désignation d’un conseil, 4 avril 2003, par. 40 et 41.
2. Le Procureur c/ Seselj, Décision relative à la requête de l’Accusation aux fins d’une ordonnance portant désignation d’un conseil pour Vojislav Seselj, 9 mai 2003.
3. Ibidem, voir exemples cités aux paragraphes 16 et 17. S’agissant du droit applicable en Serbie-et-Monténégro, référence est faite au code de procédure pénale de la République fédérale de Yougoslavie