Affaire n° : IT-02-54-T

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Patrick Robinson, Président
M. le Juge O-Gon Kwon
M. le Juge Iain Bonomy

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Ordonnance rendue le :
10 septembre 2004

LE PROCUREUR

c/

SLOBODAN MILOSEVIC

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ORDONNANCE RELATIVE À LA DEMANDE DE CERTIFICATION DE L’APPEL ENVISAGÉ CONTRE LA DÉCISION DE LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE RELATIVE À LA COMMISSION D’OFFICE DE CONSEILS

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Le Bureau du Procureur :

Mme Carla Del Ponte
M. Geoffrey Nice
Mme Hildegard Uertz-Retzlaff
M. Dermot Groome

L’Accusé :

Slobodan Milosevic

Les Conseils commis d’office par la Chambre :

M. Steven Kay
Mme Gillian Higgins

L’Amicus Curiae :

M. Timothy L.H. McCormack

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal international »),

Vu la demande de certification présentée en application de l’article 73 B) aux fins d’interjeter appel de l’ordonnance rendue le 2 septembre 2004 par la Chambre de première instance et portant sur la représentation de l’accusé (Request for a Certificate Pursuant to Rule 73 B) to Appeal Against the Trial Chamber Order Concerning the Representation of the Accused Dated 2 September 2004), demande déposée le 8 septembre 2004 (la « Demande »), par laquelle les conseils commis d’office par la Chambre prient celle-ci, en application de l’article 73 B) du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal international (le « Règlement »), de certifier l’appel interlocutoire envisagé contre sa décision, rendue oralement le 2 septembre 2004, de commettre d’office des conseils à la défense de l’accusé, vu qu’elle avait compétence pour ce faire et qu’il y allait de l’intérêt de la justice,

VU la décision orale de la Chambre de première instance au sujet de laquelle le conseil commis d’office par la Chambre demande la certification de l’appel :

Voici la décision relative à la commission de conseils de la Défense. J’aimerais préciser qu’une décision écrite suivra.

Dans les Motifs de la décision relative à la requête de l’Accusation aux fins de désignation d’un conseil, en date du 4 avril 2003, la Chambre de première instance, tout en considérant que l’accusé avait le droit de se défendre lui-même, a estimé, au paragraphe 40, que ce droit n’était pas absolu et déclaré également au paragraphe 40 qu’elle continuerait à suivre l’évolution de la situation. L’état de santé de l’accusé a gravement entravé le cours du procès. Pendant la présentation des moyens à charge, le procès a été interrompu plus d’une douzaine de fois à cause du mauvais état de santé de l’accusé et quelque 66 jours d’audience ont été perdus.

La présentation des moyens à décharge, qui devait commencer le 8 juin, a été reportée à cinq reprises, encore une fois à cause du mauvais état de santé de l’accusé. La Chambre de première instance a chargé le docteur Van Dijkman, qui suit l’accusé depuis quelque temps pour des troubles cardiaques et le professeur Tavernier de Belgique, désigné par le Greffe comme cardiologue n’ayant jamais soigné l’Accusé, d’examiner ce dernier, de considérer toutes les informations pertinentes relatives à son état de santé compte tenu du fait qu’il assure sa défense, et de présenter directement un rapport à la Chambre de première instance au sujet de l’aptitude de l’Accusé à continuer d’assurer sa défense et des incidences que pourrait avoir le maintien du statu quo sur le calendrier des audiences. Les deux médecins ont conclu dans leur rapport que l’accusé souffrait d’une hypertension artérielle fonctionnelle grave et que son état de santé était tel qu’on ne pouvait exclure une poussée hypertensive qui mettrait sa vie en danger. Ils ont également conclu que ces problèmes de santé s’expliquaient en partie par le fait qu’il ne suivait pas le traitement médical qui lui était prescrit.

Les examens de sang qui ont été effectués, ont confirmé cette conclusion. Il ressort clairement des rapports médicaux que l’état de santé de l’accusé n’est pas suffisamment bon pour qu’il assure sa propre défense et que, s’il continue à le faire, de nouveaux reports d’audience seraient à prévoir.

La Chambre doit se prononcer sur la question de savoir si le droit de l’accusé à se défendre lui-même, inscrit à l’article 21 du Statut, est ou non absolu et, dans la négative, si, compte tenu des circonstances de l’espèce, il y a lieu de le restreindre en commettant d’office un conseil à la défense de l’accusé.

La Chambre est convaincue, au vu du Statut du Tribunal et de sa jurisprudence, ainsi que sur du droit interne de nombreux pays, que le droit d’un accusé à assurer sa propre défense n’est pas absolu et que, compte tenu des circonstances de l’espèce, elle a compétence pour commettre un conseil à sa défense, et qu’il y va de l’intérêt de la justice. Il en sera donc ainsi.

Le devoir fondamental de la Chambre de première instance est de veiller à ce que le procès soit équitable et rapide. La Chambre est préoccupée par le fait qu’il résulte des rapports médicaux que le procès risque fort de se prolonger outre mesure ou, pire, de ne pouvoir être mené à son terme si l’accusé continue d’assurer lui-même sa défense sans l’aide d’un conseil. Par ailleurs, la Chambre est convaincue que, si un conseil est commis à la défense de l’accusé, des mesures pourront être prises pour assurer un procès à la fois équitable et rapide.

Ayant décidé de commettre un conseil à la défense de l’accusé, la Chambre aura le devoir de veiller à ce que le rôle joué par le conseil commis d’office soit tel que le procès soit rapide et que le droit fondamental de l’accusé à un procès équitable soit préservé.

Telle est la décision de la Chambre. Comme je l’ai déjà précisé une décision écrite avec un exposé complet des motifs suivra sous peu.

VU la Décision rendue le 3 septembre 2004 par le Greffier adjoint, commettant M. Steven Kay d’office conseil principal de l’accusé, et Mme Gillian Higgins, coconseil,

VU les conclusions des conseils commis d’office par la Chambre, exposées dans la Demande, lesquelles reprennent celles exposées oralement par l’accusé et par eux-mêmes, tant à l’écrit qu’à l’oral, alors qu’ils étaient encore amici curiae, et affirmant que les conditions posées par l’article 73 B) sont remplies,

ATTENDU que l’article 73 B) exige que deux conditions soient remplies pour que la Chambre de première instance puisse certifier un appel interlocutoire : 1) qu’il s’agisse d’une question susceptible de compromettre sensiblement l’équité et la rapidité du procès, ou son issue, et 2) que son règlement immédiat par la Chambre d’appel puisse concrètement faire progresser la procédure(1),

ATTENDU que la Chambre de première instance reconnaît que les conseils ont raison, comme ils l’avancent, de demander à la Chambre de première instance de certifier leur appel en application de l’article 73 B) et attendu que lorsque la décision a été rendue, l’accusé s’y est opposé et a exprimé le souhait d’interjeter appel de celle-ci,

ATTENDU que la Chambre de première instance est convaincue que les conditions cumulatives posées par l’article 73 B) sont remplies puisque la décision de la Chambre de commettre d’office un conseil modifie fondamentalement la conduite du procès et que, partant, il vaudrait mieux que la Chambre d’appel statue à ce stade en non pas à l’issue du procès,

EN APPLICATION de l’article 73 B) du Règlement,

FAIT DROIT À LA DEMANDE DE CERTIFICATION DE L’APPEL.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 10 septembre 2004
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre de première instance
_____________
Patrick Robinson

[Sceau du Tribunal]


1. Voir Le Procureur c/ Brdjanin et Talic, Décision relative à la requête de Radoslav Brdjanin aux fins de déliver la certification visée à l’article 73 B) du Règlement pour la décision confidentielle rendue par la Chambre en vertu de l’article 70 du Règlement, 23 mai 2002, dans laquelle il est dit que ces deux conditions se cumulent et constituent une exception au principe qui veut que les requêtes soient insusceptibles d’appel interlocutoire. La Chambre a déjà adopté ce raisonnement en l’espèce.