Affaire n° : IT-02-54-T

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Patrick Robinson, Président
M. le Juge O-Gon Kwon
M. le Juge Iain Bonomy

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Ordonnance rendue le :
2 décembre 2005

LE PROCUREUR

c/

SLOBODAN MILOSEVIC

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ORDONNANCE RELATIVE À LA DEMANDE D’ACCÈS À TOUTES LES PIÈCES CONFIDENTIELLES DE L’AFFAIRE MILOŠEVIC PRÉSENTÉE AU NOM DE DRAGO NIKOLIC

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Le Bureau du Procureur :

Mme Carla Del Ponte
M. Geoffrey Nice

L’Accusé :

Slobodan Milosevic

Les Conseils commis d’office par la Chambre :

M. Steven Kay
Mme Gillian Higgins

Le Conseil de Drago Nikolic :

Mme Jelena Nikolic
M. Stéphane Bourgon

L’Amicus Curiae :

M. Timothy McCormack

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal international »),

VU la demande d’accès à toutes les pièces confidentielles de l’affaire Milosevic (Defence Motion on Behalf of Drago Nikolic Seeking Access to All Confidential Material in the Milosevic Case, la « Demande ») déposée le 17 octobre 2005 en application de l’article 75 G) i) du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal international (le « Règlement ») au nom de Drago Nikolic (le « Requérant ») par son conseil, dans laquelle ce dernier soutient que les conditions requises pour pouvoir consulter des pièces confidentielles déposées dans d’autres affaires sont réunies et demande « l’accès à toutes les pièces confidentielles ( notamment les comptes rendus d’audience, pièces à conviction et écritures) déposées dans l’affaire Milosevic1 »,

ATTENDU que, le Requérant reconnaît dans la Demande, si large soit-elle, que « les événements et les faits allégués dans l’acte d’accusation dressé contre le Requérant sont étroitement liés à certaines des accusations portées contre l’accusé » en l’espèce2, et il ne signale qu’un domaine où les deux affaires se recoupent dans le temps et l’espace :

certaines des accusations portées contre le Requérant et contre Slobodan Milosevic reposent sur les mêmes événements, qui se seraient déroulés entre juillet et novembre  1995 après l’attaque que l’Armée de la Republika Srpska (la « VRS ») aurait lancée contre Srebrenica en juillet 1995, dans la partie orientale de la Bosnie-Herzégovine , et plus précisément dans la région de Srebrenica, Zvornik et Bratunac3  ;

ATTENDU que ni l’Accusation ni la Défense n’ont déposé de réponse à la Demande ,

VU les observations formulées par le Greffe en application de l’article 33  B) du Règlement concernant les demandes d’accès à des pièces confidentielles présentées simultanément dans plusieurs affaires, dont l’affaire Le Procureur c/ Milosevic , le 31 octobre 2005, (Submission of the Registry pursuant to Rule 33(B) of the Rules of Procedure and Evidence Regarding Defence Motions Seeking Access to Confidential Material in Several Cases, les « Observations du Greffe »), observations par lesquelles le Greffe demande, entre autres, que si une Chambre donne partiellement accès aux pièces confidentielles, « les parties qui ont produit les pièces devraient rassembler celles qui doivent être communiquées – sous réserve de ces restrictions – et les remettre au Greffe qui les transmettra à la partie requérante »4 ;

VU la réponse de l’Accusation aux Observations du Greffe, déposée simultanément dans plusieurs affaires, dont l’affaire Le Procureur c/ Milosevic, le 11  novembre 2005 (la « Réponse de l’Accusation au Greffe »), par laquelle l’Accusation « admet que, très souvent, la solution est que le Greffe remette la totalité des pièces sous réserve que les mesures de protection initiales continuent de s’appliquer 5 », mais fait remarquer, à propos des expurgations, qu’« il n’incombe pas forcément aux parties de garantir que le résultat sera conforme à la décision de la Chambre » et que « ScCes documents sont des dossiers conservés officiellement par le Greffe6  »,

ATTENDU que dans sa version actuelle, l’acte d’accusation établi contre le Requérant et ses coaccusés (« l’acte d’accusation Popovic et consorts »7), lui impute les crimes suivants en raison des actes et des omissions dont il s’est rendu coupable durant l’attaque de la VRS contre Srebrenica et les exécutions de Musulmans de Bosnie qui ont suivi : génocide ; entente en vue de commettre un génocide  ; extermination, assassinat, transfert forcé et expulsion/déportation, constitutifs de crimes contre l’humanité ; persécutions ayant pris la forme de meurtres, traitements cruels et inhumains, terrorisation de la population civile, destruction de biens personnels et transfert forcé, un crime contre l’humanité ; et meurtre, une violation des lois ou coutumes de la guerre8,

ATTENDU que, dans l’acte d’accusation modifié établi à l’encontre de Slobodan Milosevic à propos de la Bosnie (« l’acte d’accusation Milosevic pour la Bosnie »), l’accusé se voit reprocher des crimes sanctionnés par le Statut pour, entre autres, persécutions, extermination, meurtres, homicides intentionnels, transfert forcé ou expulsion de Musulmans à ou de Srebrenica, ou dans les environs, en juillet  1995 : génocide ou complicité de génocide ; infractions graves aux Conventions de Genève ; violations des lois ou coutumes de la guerre ; et crimes contre l’humanité9,

ATTENDU que, dans l’acte d’accusation Milosevic pour la Bosnie, il est allégué que Slobodan Milosevic a, de concert avec d’autres personnes parmi lesquelles le général Ratko Mladic, chef de l’état-major principal de la VRS, participé à une entreprise criminelle commune10,

ATTENDU que, dans l’ancien acte d’accusation Nikolic, il était aussi allégué que le Requérant avait participé avec le général Ratko Mladic à une entreprise criminelle commune, mais qui était différente de celle dont fait état l’actuel acte d’accusation Popovic et consorts11, et que si les participants aux deux entreprises criminelles communes ne sont pas les mêmes dans les deux actes d’accusation12, il est allégué dans l’actuel acte d’accusation Popovic et consorts que le général Mladic avait partie liée avec l’Entente nouée en vue de commettre un génocide visée par le chef 213, et qu’il a ordonné certains des crimes à l’origine des accusations portées dans l’acte d’accusation 14,

ATTENDU qu’une partie a toujours le droit de demander à consulter des documents de toute origine susceptible de l’aider à préparer son dossier pour autant qu’elle les identifie, qu’elle en précise la nature générale, ou qu’elle justifie pour ce faire d’un but légitime juridiquement pertinent, et ATTENDU que, la partie requérante peut obtenir communication de pièces confidentielles déposées dans une autre affaire, si elle peut établir que celles-ci sont susceptibles de l’aider grandement dans la présentation de ses moyens15,

ATTENDU que la pertinence des pièces demandées peut être établie en rapportant la preuve de l’existence d’un lien entre l’affaire de la partie requérante et celle dans le cadre de laquelle ces pièces ont été présentées16, et donc, qu’il peut être fait droit à la demande d’accès si la partie requérante montre qu’il existe entre les affaires des « recoupements géographiques, temporels et matériels »17,

ATTENDU que, vu la grande similarité des faits qui ont valu au Requérant et à Slobodan Milosevic d’être poursuivis, faits qui se sont produits à Srebrenica et alentour entre juillet et novembre 1995, il apparaît clairement que les deux affaires se recoupent dans le temps et l’espace,

ATTENDU cependant que la partie requérante n’a pas justifié d’un but légitime juridiquement pertinent pour consulter toutes les pièces confidentielles déposées en l’espèce sans aucune restriction d’ordre géographique ou temporelle,

ATTENDU que la Chambre d’appel Simic a jugé que « du fait de leur plus grande confidentialité, les pièces soumises ex parte contiennent par nature des informations qui n’ont pas été communiquées inter partes, et ce uniquement pour des raisons touchant à la sécurité d’un État, plus largement à l’intérêt public ou au droit d’une personne ou d’une institution au respect de la confidentialité  » et que, comme le requérant dans l’affaire Simic, le Requérant en l’espèce « ne peut justifier d’un but légitime juridiquement pertinent à propos des pièces ex parte18 »,

ATTENDU qu’il est possible que certaines des pièces, dont il est demandé communication, contiennent des informations permettant d’identifier des témoins protégés, et que le Requérant s’est engagé à « respecter toutes les mesures de protection ordonnées dans l’affaire Milosevic19  », ainsi que « toute mesure de protection supplémentaire que la Chambre de première instance jugera nécessaire d’ordonner pour garantir la protection de témoins dans l’affaire Milosevic20 »,

ATTENDU qu’en application de l’article 75 F) i) du Règlement, les mesures de protection dont peut bénéficier un témoin dans le cadre de l’affaire Milosevic continueront de s’appliquer dans l’affaire Popovic et consorts, à moins qu’elles ne soient modifiées par la présente ordonnance,

EN APPLICATION des articles 54 et 75 du Règlement,

FAIT DROIT À LA DEMANDE EN PARTIE ET DÉCIDE QUE :

1. En concertation avec l’Accusation et les Conseils commis d’office, le Greffe classera les pièces confidentielles inter partes en trois catégories :

a) toutes les pièces confidentielles jointes à l’acte d’accusation pour la Bosnie qui concernent les accusations portées aux chefs 1 à 7 et 16 à 18 à propos de Srebrenica pour la période comprise entre juillet et novembre 1995 ;

b) tous les comptes rendus des audiences tenues à huis clos et à huis clos partiel qui concernent les accusations portées aux chefs 1 à 7 et 16 à 18 à propos de Srebrenica pour la période comprise entre juillet et novembre 1995 ;

c) toutes les pièces à conviction confidentielles et sous scellés qui concernent les accusations portées aux chefs 1 à 7 et 16 à 18 à propos de Srebrenica pour

d) la période comprise entre juillet et novembre 1995 ; et

e) toutes les écritures confidentielles qui concernent les accusations portées aux chefs 1 à 7 et 16 à 18 à propos de Srebrenica pour la période comprise entre juillet et novembre 1995 ;

2. l’Accusation déterminera si l’une quelconque de ces pièces confidentielles entre dans le cadre de l’article 70 et, dans l’affirmative, et elle devra obtenir avant toute communication le consentement de la source qui la lui a fournie ;

3. sous réserve du consentement des sources qui ont fourni les pièces relevant de l’article  70, le Requérant et son conseil auront accès à ces trois catégories de pièces confidentielles déposées inter partes,

4. le Requérant et son conseil ne divulgueront aucune pièce confidentielle ou non accessible au public déposée dans l’affaire Milosevic qui leur aura été communiquée sauf nécessité absolue et directe pour la préparation et la présentation de la défense , et

5. la Demande est rejetée pour le surplus.

Aux fins de la présente ordonnance, le terme « public » s’entend de toute personne , État, organisation, entité, usager, association et groupe, à l’exclusion des juges du Tribunal international, des membres du Greffe et du Bureau du Procureur, du Requérant et de son équipe de la défense. Le terme « public » comprend également , sans s’y limiter, les membres de la famille, les amis et les relations du Requérant , les accusés et les conseils dans d’autres affaires portées ou actions engagées devant le Tribunal international, les médias et les journalistes.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le Président de la Chambre de première instance
________________
Patrick Robinson

Le 2 décembre 2005
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]


1 - Demande, par. 15 ii).
2 - Ibidem, par. 4 (non souligné dans l’original).
3 - Ibid., par. 12.
4 - Observations du Greffe, par. 12.
5 - Réponse de l’Accusation au Greffe, par. 2.
6 - Ibidem, par. 6.
7 - Le Procureur c/ Popovic, Beara, Nikolic, Borovcanin, Tolimir, Miletic, Gvero, Pandurevic et Trbic, affaire n° IT-05-88-PT (« l’affaire Popovic et consorts »), acte d’accusation modifié consolidé, 28 juin 2005 (« l’actuel acte d’accusation Popovic et consorts »), Voir Ordonnance relative à l’acte d’accusation modifié consolidé, 31 octobre 2005 (par laquelle la Chambre a autorisé l’Accusation à modifier les actes d’accusation dressés contre les accusés dans cette nouvelle affaire unique, et dit que l’acte d’accusation modifié consolidé déposé le 28 juin 2005 serait l’acte d’accusation utilisé dans l’affaire mettant en cause les neuf coaccusés). Cet acte d’accusation remplace donc celui qui était utilisé contre l’accusé avant que la jonction d’instances ne soit accordée. Voir Le Procureur c/ Nikolic, affaire n° IT-02-63-T, acte d’accusation, 6 septembre 2002 (« l’ancien acte d’accusation Nikolic »).
8 - Voir en général actuel acte d’accusation Popovic et consorts, supra note 7.
9 - Voir Le Procureur c/ Milosevic, affaire n° IT-02-54-T, acte d’accusation modifié (Bosnie), 22 novembre 2002 (« l’acte d’accusation Milosevic pour la Bosnie »), par. 32, 33, 35, 36 et 40 (chefs 1 à 7, et 16 à 18). Voir aussi ibid., Annexe A, p. 25.
10 - Acte d’accusation Milosevic pour la Bosnie, supra note 9, par. 7.
11 - Voir ancien acte d’accusation Nikolic, supra note 7, par. 20.
12 - Comparer l’acte d’accusation Milosevic pour la Bosnie, supra note 9, par. 7, avec l’actuel acte d’accusation Popovic et consorts, supra note 7, par. 36 et 49 (qui limite le nombre des participants à l’Entreprise criminelle commune, à l’Entente et à l’Opération alléguées dans l’acte d’accusation aux neuf coaccusés).
13 - Actuel acte d’accusation Popovic et consorts, supra note 7, par. 34.
14 - Voir, par ex., ibid., par. 27 et 32.
15 - Le Procureur c/ Blaskic, affaire n° IT-95-14-A, Décision relative à la requête des appelants Dario Kordic et Mario Cerkez aux fins de consultation de mémoires d’appel, d’écritures et de comptes rendus d’audience confidentiels postérieurs à l’appel déposés dans l’affaire Le Procureur c/ Blaskic, 16 mai 2002, par. 14.
16 - Ibidem, par. 15.
17 - Voir Le Procureur c/ Kordic et Cerkez, affaire n° IT-95-14/2-A, Décision relative à la requête de Hadzihasanovic, Alagic et Kubura aux fins d’accès à des pièces jointes, des comptes rendus d’audience et des pièces à conviction confidentiels de l’affaire Le Procureur c/ Kordic et Cerkez, 23 janvier 2003, p. 4.
18 - Le Procureur c/ Simic, affaire n° IT-95-9-A, Décision relative à la requête de la Défense de Franko Simatovic aux fins d’avoir accès à des comptes rendus d’audience, pièces à conviction, requêtes et éléments de preuve documentaires déposés dans l’affaire Simic et consorts, 13 avril 2005, p. 4. Voir aussi Réponse de l’Accusation au Greffe, par. 3 (« L’Accusation ne pense pas que la Défense devrait se voir accorder l’accès à des pièces ex parte dans d’autres affaires et elle ne voit aucune raison de principe de modifier le régime des communications précédentes »).
19 - Demande, par. 9.
20 - Ibidem, par. 10.