Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 (Jeudi 29 août 2002.)

2 (L'audience est ouverte à 9 heures 3.)

3 (Audience publique.)

4 M. le Président (interprétation): Nous allons entendre le premier témoin.

5 Après sa déposition, nous allons parler des décisions que nous avons

6 prises eu égard aux autres témoins qui figurent sur la liste pour lesquels

7 il fallait qu'une décision soit prise.

8 M. Shin (interprétation): Je vous remercie. Nous citons à la barre M.

9 Beqaj.

10 M. le Président (interprétation): Un instant. (Hors micro.)

11 Monsieur Milosevic, vous vouliez intervenir. De quoi s'agit-il?

12 (Le témoin, M. Beqë Beqaj, est introduit dans le prétoire.)

13 M. Milosevic (interprétation): Une simple remarque brève, Monsieur May.

14 Hier, vers la fin d'audience, votre Greffière m'a remis des documents

15 concernant un témoin protégé K41, (expurgée) . Et

16 puis j'ai vu le nom de cette personne.

17 M. le Président (interprétation): Vous n'êtes censé révéler le nom de

18 personne, d'aucun témoin qui bénéficie de protection.

19 Nous avons d'abord ce témoin. Comprenez-le, nous ne pouvons pas aborder

20 des questions administratives lorsque vous, vous souhaitez les évoquer. Il

21 faut agir dans l'ordre. Nous allons revenir à ce que vous évoquez après

22 avoir entendu ce témoin-ci.

23 M. Milosevic (interprétation): Je voulais simplement évoquer un fait à ce

24 propos. Ce nom que nous avons reçu hier, il a été mentionné dans des

25 médias.

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1 M. le Président (interprétation): Agissons dans l'ordre. Entendons ce

2 témoin et puis vous nous parlerez de ce que vous voulez dire.

3 M. Beqaj (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la

4 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

5 M. le Président (interprétation): Je vous remercie, Monsieur. Veuillez

6 vous asseoir.

7 (Le témoin s'assoit.)

8 (Interrogatoire principal du témoin, M. Beqë Beqaj, par M. Shin.)

9 M. Shin (interprétation): Je demanderai que soit placé sur le

10 rétroprojecteur le nom du témoin.

11 (Intervention de l'huissier.)

12 Merci.

13 Monsieur le Témoin, pourriez-vous donner votre nom complet, nom et prénom.

14 M. Beqaj (interprétation): Je m'appelle Beqaj.

15 Question: Etes-vous né en 1939 dans le village de municipalité de Racaj,

16 municipalité de Gjakovë?

17 Réponse: Oui.

18 Question: Est-il exact de dire que vous êtes marié et que vous avez six

19 filles et deux fils? Vos deux fils sont toujours portés manquants. Vous

20 parlerez des circonstances dans lesquelles ils ont disparu au cours de

21 votre déposition.

22 Réponse: Oui.

23 Question: Monsieur Beqaj, le 15 avril 2000, est-ce que vous avez fourni

24 une déclaration à un représentant du Bureau du Procureur concernant les

25 événements dont vous avez été témoin, les expériences que vous avez

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1 connues au Kosovo en 1998 et en 1999?

2 Réponse: Oui.

3 Question: Le 14 mars de cette année-ci, est-ce que vous avez fourni un

4 corrigendum bref apporté à votre déclaration du 15 avril 2000?

5 Réponse: Oui.

6 Question: Toujours le 14 mars 2002, avez-vous reçu une copie de la

7 déclaration que vous aviez faite auparavant ainsi qu'une copie de cet

8 ajout, aussi bien en langue albanaise qu'en présence d'un représentant du

9 Bureau du Procureur et d'un officier instrumentaire désigné par le Greffe

10 de ce Tribunal?

11 Réponse: Oui.

12 Question: Et est-ce qu'à ce moment-là, vous avez pu confirmer que la copie

13 de cette déclaration préalable et l'addendum étaient exacts, conformes à

14 la vérité?

15 Réponse: Oui.

16 Question: Lundi 26 août, au début de cette semaine, vous avez eu un

17 entretien avec moi et d'autres représentants du Bureau du Procureur. Est-

18 ce que vous vous êtes rendu compte à ce moment-là qu'il fallait apporter

19 quelques corrections à votre déclaration? Veuillez répondre par un simple

20 oui ou par un simple non.

21 Réponse: Oui.

22 Question: En premier lieu, je vous demanderai ceci: dans votre déclaration

23 du 15 avril 2000, vous déclarez -et là je lis la déclaration en anglais;

24 il s'agit de la page 2, deuxième paragraphe de cette déclaration-: "En mai

25 1998, l'armée de la VJ et les forces de la police étaient déployées dans

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1 le village de Racaj et d'autres villages environnants, et ces forces

2 étaient donc déployées".

3 Est-ce que c'est exact? "Ces villages se trouvant dans la vallée de

4 Carragojs". Est-ce que c'est exact ou est-ce qu'il faut apporter une

5 correction? Et si c'est le cas, laquelle?

6 Réponse: Ce n'est pas exact. Le 2 août 1998, les forces serbes ont attaqué

7 les villages qui entourent Smolica ainsi que Junik, et les habitants ont

8 dû quitter ces villages, les abandonner et ils ont pris position après le

9 2 août dans le village de Racaj.

10 Question: Donc vous dites qu'il ne faut pas parler dans ce texte du mois

11 de mai 1998, mais bien du 2 août 1998?

12 Réponse: C'est exact.

13 Question: Toujours dans cette même déclaration, vous dites –et nous sommes

14 toujours en train de parler de 1998, Messieurs les Juges; c'est le sixième

15 paragraphe à la page 2 de la version en anglais-: "Lorsque nous avons

16 repris position, j'ai vu que les Serbes avaient pillé nos biens. Du bétail

17 avait été tué. En septembre 1998, la VJ a patrouillé dans tous les

18 villages de la vallée".

19 Lorsqu'on parle du bétail, Monsieur le Témoin, est-ce que ce bétail a été

20 tué en 1998? Et si ce n'est pas le cas, à quel moment a-t-il été tué?

21 Réponse: Oui, il faut changer le texte ici aussi.

22 Le 23 mars 1999, vers 1 heure, les forces serbes ont attaqué le village,

23 ont tiré au hasard dans les maisons et ont abattu le bétail. Et ça s'est

24 passé le 23 mars 1999, et pas en 1998, comme c'est écrit ici.

25 Question: Je vous remercie.

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1 Et enfin, au moment où vous avez quitté la Serbie pour aller en Albanie,

2 le 28 avril 1999, est-ce que quelque chose vous est arrivé à vous et aux

3 autres qui quittaient le Kosovo avec vous? Je pense ici à des cartes

4 d'identité, à des documents personnels. Si c'est le cas, pourriez-vous en

5 quelques mots nous dire ce qui s'est passé?

6 Réponse: Nous avons dû remettre nos documents personnels, nos passeports

7 dans le village d'Orize. Ils ont voulu obtenir ces papiers à la frontière,

8 au moment où on est partis. Et si l'on avait encore des documents, il

9 fallait les remettre à ce moment-là; si ce n'était pas le cas, il était

10 impossible de le faire.

11 Question: Mais qui exactement, Monsieur le Témoin, a demandé avoir vos

12 documents à la frontière?

13 Réponse: La police.

14 Question: Est-ce que vous, personnellement, vous avez remis ces documents

15 à la police qui se trouvait à la frontière?

16 Réponse: Mais j'avais déjà donné mes papiers à Racaj au moment où ils les

17 avaient exigés.

18 M. Shin (interprétation): Fort bien. Je vous remercie, Monsieur Beqaj.

19 Ces corrections étant apportées, Messieurs les Juges, nous demandons le

20 versement de ces deux déclarations préalables en vertu de l'Article 92bis.

21 M. le Président (interprétation): Oui.

22 (Intervention de la Greffière.)

23 Mme Anoya (interprétation): Il s'agira de la pièce de l'accusation 296.

24 M. Shin (interprétation): Je vais maintenant donner lecture du résumé de

25 la déposition de M. Beqaj.

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1 Messieurs les Juges, le témoin est né dans le village de Racaj,

2 municipalité de Gjakovë où il a vécu, il vivait encore début de l'année

3 1999. Racaj, vous verrez où cet endroit se trouve à la page 9, coordonnées

4 G20 de l'atlas.

5 En 1998, il y a eu des expulsions de villageois au nord-ouest de Gjakovë

6 et il parlera aussi des massacres à Mejë. En août 1998, les forces de

7 police et de l'armée serbe ont été déployées à Racaj mais aussi dans les

8 villages environnants de la vallée de Carragojs. A ce moment-là, plusieurs

9 hommes originaires de Racaj ont été arrêtés et emprisonnés. Toujours à

10 cette même époque, il y a eu des tirs dans la zone de Junik et de Smolica.

11 Ce qui a fait que les gens ont été forcés de prendre la fuite en direction

12 de Racaj. Le témoin a entendu dire par ces personnes venant de Racaj que

13 les forces serbes se rapprochaient, ce qui veut dire que les habitants de

14 Racaj dont la famille du témoin et lui-même ont pris la fuite vers Gjakova

15 où la famille est restée avec les parents pendant cinq semaines avant de

16 revenir au village.

17 Le 14 avril 1999, M. Beqaj décrit comment la VJ et la police sont arrivées

18 à Racaj et ont forcé le témoin et sa famille à quitter la maison. Tout le

19 village de Racaj ainsi que les villages voisins ont été, ont fait l'objet

20 d'expulsions. Les habitants ont été expulsés, ils sont partis dans un

21 convoi de tracteurs. Les maisons du village, dont celle du témoin, ont été

22 incendiées par la police au moment où les villageois prenaient la fuite.

23 Le convoi devait aller en Albanie en passant par Gjakova et Prizren,

24 plutôt que de passer par un poste frontière plus proche.

25 En route, un avion a largué des bombes qui ont touché le convoi de

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1 personnes déplacées dans le village de Bishtazhin au sud de Gjakova. Une

2 délégation venant de Belgrade est arrivée, a pris des photos, a questionné

3 des personnes se trouvant dans le convoi. Le témoin ainsi que 4.000 autres

4 personnes qui fuyaient leur village ont été forcées de passer la nuit dans

5 un champ. Le lendemain, ces personnes étaient renvoyées dans leur village.

6 Puisque la maison du témoin avait été incendiée, le témoin ainsi que les

7 membres de sa famille ont dû se réfugier dans un entrepôt qui se trouvait

8 sur le terrain.

9 Le 27 avril 1999, après la mort de cinq membres du MUP de la zone, la

10 police serbe et les soldats de la VJ ont de nouveau encerclé la vallée,

11 ont attaqué le village de Dobrosh où certains villageois ont été tués. Des

12 civils de Dobrosh ont pris la fuite du village de Racaj. Ces gens ont dit

13 aux habitants que les forces serbes étaient sur le point d'arriver à

14 Racaj. Les villageois de Racaj y compris le témoin et sa famille ont une

15 fois de plus abandonné leur village et sont partis dans un convoi de

16 tracteurs, de carrioles et de voitures. Ce convoi a été stoppé à Mejë, à

17 un poste de contrôle tenu par des membres de la police et des soldats de

18 la VJ. La police semblait avoir la maîtrise de la situation et dirigeait

19 l'opération. C'est ce que M. Beqaj explique.

20 Il ajoute que 24 hommes ont été séparés du reste du convoi et envoyés dans

21 un champ proche où on les a forcés à s'asseoir les mains derrière la

22 nuque. Tous ces 24 hommes étaient des parents de M. Beqaj. Treize d'entre

23 eux étaient des parents proches; il y avait parmi eux ses deux fils et

24 deux frères.

25 Monsieur Beqaj vous dira comment il a vu aussi 20 hommes supplémentaires

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1 qui étaient assis dans le champ, les mains derrière la tête. Il décrit

2 qu'au moment où il s'est retourné pour voir ce que la police faisait à ses

3 parents, un policier lui a donné des coups, l'a insulté, l'a accusé de

4 façon générale de la mort de ces policiers serbes et l'a menacé de

5 représailles.

6 Les personnes qui se trouvaient toujours dans le convoi, dont M. Beqaj,

7 n'avaient pas été autorisées à regarder les hommes se trouvant dans le

8 pré. On lui a dit au témoin de partir avec le convoi. Ces 24 hommes n'ont

9 plus été revus depuis. Au moment où le convoi repartait vers Gjakova, il y

10 avait de part et d'autre de la route les soldats de la VJ. Ce convoi est

11 arrivé près d'une école à proximité de Mejë et les membres du convoi ont

12 été dévalisés, privés de leurs objets de valeur et de leurs documents

13 d'identité par la police.

14 Près de l'école, le témoin a vu un groupe d'hommes qui étaient alignés et

15 puis il a entendu des coups de feu. Plus tard on lui a dit que ces hommes

16 avaient été abattus, tués.

17 Le 28 avril 1999, M. Beqaj et sa famille ont franchi la frontière menant

18 en Albanie. A la frontière, au moment où ils quittaient le Kosovo, la

19 police serbe a exigé une fois de plus ces documents, les documents des

20 personnes se trouvant dans le convoi."

21 C'est ici, le résumé que je voulais faire de la déposition du témoin.

22 M. le Président (interprétation): Je vous remercie.

23 Monsieur Milosevic, vous avez la parole.

24 (Contre-interrogatoire du témoin, M. Beqë Beqaj, par l'accusé, M.

25 Milosevic.)

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1 M. Milosevic (interprétation): Vous dites dans votre déclaration que, le 2

2 août 1998, la police a arrêté 11 hommes originaires du village de Racaj et

3 que certains de ces hommes ont été libérés, alors que d'autres ont été

4 maintenus en détention et emmenés à la prison de Pec. Est-ce exact?

5 M. Beqaj (interprétation): Oui, c'est exact.

6 Question: Votre frère a été aussi arrêté et il a été libéré sept mois plus

7 tard, n'est-ce pas?

8 Réponse: Oui, c'est vrai.

9 Question: Mais quelle a été la raison de cette arrestation?

10 Réponse: Mais vous le savez!

11 Question: Je vous demande de répondre à ma question.

12 Je vous ai demandé pourquoi ces hommes avaient été arrêtés.

13 Réponse: Ils n'avaient rien fait, ils n'étaient coupables de rien. Je ne

14 sais pas pourquoi on les a arrêtés.

15 Question: Bon. Je vais reformuler ma question: est-ce qu'une procédure a

16 été engagée, une procédure pénale a été engagée contre eux?

17 Réponse: Non.

18 Question: Est-ce qu'ils étaient membres de l'UCK?

19 Réponse: En serbe et en albanais, non.

20 Question: Est-ce que ces hommes étaient armés?

21 Réponse: Non. Je ne pense pas, ils n'étaient pas armés.

22 Question: Vous pensez qu'ils n'étaient pas armés. Moi, je vous demande

23 s'ils étaient armés ou pas?

24 Réponse: Il se peut que certains d'entre eux aient eu quelque chose, mais

25 quand vos forces, votre armée sont arrivées, ils ont dit à tout le monde

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1 qu'il fallait rendre les armes et beaucoup de gens avaient remis leurs

2 armes à ce moment-là.

3 Question: D'accord, mais cela c'est au moment où les forces sont arrivées

4 et ont demandé que soient remises les armes. Mais sur ces 11 hommes qui

5 ont été arrêtés, vous avez dit que certains d'entre eux avaient des armes.

6 Combien exactement?

7 Réponse: Ils n'avaient pas d'arme! Mais certains villageois avaient des

8 armes. Et au moment de l'arrivée de l'armée, les soldats ont dit: "Rendez

9 vos armes!" et certains l'ont fait.

10 Question: Monsieur Beqaj, dans votre déclaration préalable, vous dites que

11 chacun avait au moins une arme chez lui, "au moins" vous dites. Combien

12 d'armes aviez-vous dans votre maison?

13 Réponse: On avait remis certaines armes, mais pas toutes.

14 Question: Mais vous, combien d'armes aviez-vous dans votre maison, chez

15 vous?

16 Réponse: Une seule et je l'ai remise!

17 Question: Est-ce que tout le monde n'a livré qu'une arme? Et vous dites

18 que tout le monde n'a pas livré tout ce qu'il avait. Alors, si les gens

19 avaient plus qu'une seule arme, je suppose qu'ils en ont gardé?

20 Réponse: Non, non, ils n'en avaient pas d'autres, ils ont simplement livré

21 une arme chacun.

22 Question: Il y a un instant, vous avez dit qu'ils n'avaient pas vraiment

23 livré toutes les armes, mais qu'ils avaient… C'est bien ce que vous avez

24 dit, non?

25 Réponse: J'ai dit que ceux qui avaient des armes, eh bien, les ont

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1 données.

2 Question: Oui, mais bon. Ils ont donc gardé seulement certaines choses,

3 dites-moi?

4 Réponse: Rien.

5 Question: Excusez-moi, vous avez dit quelque chose?

6 Réponse: Ils n'ont gardé aucune arme, ils ont donné tout ce qu'ils

7 avaient.

8 Question: Bon, bon. Vous dites qu'il y a eu des coups de feu échangés

9 entre l'armée et l'UCK à Junik et Smolica. C'est bien ce qui est écrit

10 dans votre déclaration? Et ce même jour, le 2 août -ceci se trouve au

11 troisième paragraphe de la troisième page, mais elle est indiquée comme

12 étant la page 2-, le 2 août, la police et l'armée de la VJ a eu des

13 échanges de tirs avec l'UCK dans la ville de Djunis ainsi qu'à Smolica qui

14 se trouve dans la municipalité de Djakovica. Dites-moi, puisque les armes

15 avaient été données, de quoi se sont-ils servis pour tirer sur la police

16 et l'armée puisque vous avez dit que tout le monde avaient donné ses

17 armes? Comment se fait-il dès lors que, ce jour-là, il ait pu y avoir des

18 échanges de tirs entre l'armée et l'UCK, si tout le monde avait donné ses

19 armes?

20 Réponse: Moi, je parle de mon village à moi, pas d'autres villages; je ne

21 sais pas ce qui se passait ailleurs.

22 Question: Mais est-ce que vous savez que Smolica et Junik étaient des

23 bastions de l'UCK?

24 Réponse: Oui, je sais.

25 Question: Est-ce que vous savez qu'en plus de cela, à Smolica, c'était un

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1 centre de distribution des armes, des armes qui étaient entrées

2 illégalement par contrebande depuis l'Albanie, vous êtes au courant?

3 Réponse: Nom, cela je ne le savais pas.

4 Question: Est-ce que vous savez qui est Tahir Zemaj?

5 Réponse: Non, je ne sais pas.

6 Question: Mais c'était un commandant à Smolica. Si vous ne le connaissez

7 pas personnellement, est-ce que vous savez que plusieurs centaines de

8 terroristes de l'UCK et de mercenaires étrangers, ceci en juillet 1998,

9 sont entrés illégalement en Yougoslavie depuis l'Albanie et c'est lui qui

10 était à leur tête. Ils étaient plusieurs centaines. C'est un événement

11 dont je suppose que vous êtes informé. Ceci s'est passé en juin 1998. Des

12 terroristes de l'UCK et des mercenaires étrangers: ils étaient plusieurs

13 centaines?

14 Réponse: Je ne suis pas au courant, je ne sais rien à ce propos.

15 Question: Bon, passons à autre chose, si c'est le cas.

16 Voyons ce que vous avez dit vous-même: vous avez passé cinq semaines à

17 Djakovica, chez des parents. C'est cela?

18 Réponse: Oui.

19 Question: Et puis, vous êtes rentré au village; c'est à ce moment-là que

20 vous avez donné vos armes, c'est cela?

21 Réponse: Oui.

22 M. Milosevic (interprétation): Vous avez donc passé cinq semaines chez vos

23 parents à Djakovica. Pendant ce temps, est-ce que vous aviez vos armes sur

24 vous ou est-ce qu'elles étaient cachées dans votre maison?

25 (Les interprètes demandent que le témoin répète sa réponse.)

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1 M. le Président (interprétation): On vous demande de répéter ce que vous

2 avez dit, Monsieur le Témoin.

3 M. Beqaj (interprétation): Ces armes, elles étaient chez moi. Je ne les

4 avais pas pendant ces cinq semaines.

5 M. Milosevic (interprétation): Comment se fait-il dès lors que, comme vous

6 l'avez dit, vous soyez rentrés au village après avoir donné vos armes aux

7 forces serbes? Si vous aviez donné vos armes et puis vous étiez rentrés au

8 village, comment se fait-il que ces armes vous ne les aviez pas sur vous

9 mais qu'elles se trouvaient au village?

10 Réponse: Nous sommes allés à Gjakovë, ensuite ils ont pris contact avec

11 certains qui étaient à Dollashaj et ils ont fait passer le message selon

12 lequel tous ceux qui avaient des armes et qui les donneraient, n'auraient

13 aucune difficulté. Mais finalement ça n'est pas comme cela que ça s'est

14 passé.

15 Question: Bon. Vous, vous aviez donc un fusil automatique et vous affirmez

16 que vous n'étiez pas membre de l'UCK?

17 Réponse: Je n'appartenais pas à l'UCK, c'est une arme que j'avais pour mon

18 usage personnel.

19 Question: Mais qu'est-ce que ça veut dire "usage personnel"? Qu'est-ce que

20 vous aviez à faire avec une arme automatique?

21 Réponse: Eh bien, pour me protéger!

22 Question: Mais pour vous protéger de qui?

23 Réponse: De votre armée!

24 Question: Et depuis combien de temps aviez-vous cette arme?

25 Réponse: Je ne m'en souviens pas vraiment.

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1 Question: Vous ignoriez depuis combien de temps vous aviez cette arme? Et

2 comment vous l'êtes-vous procurée?

3 Réponse: Je me la suis procurée à l'armée.

4 Question: De l'UCK?

5 Réponse: Non, non, je l'ai achetée.

6 Question: Ah! Vous l'avez achetée! Eh bien, soyez clair, s'il vous plaît.

7 Est-ce que vous vous l'êtes procurée ou est-ce que vous l'avez achetée?

8 Réponse: Je l'ai achetée.

9 Question: Combien avez-vous payé pour cette arme?

10 Réponse: Ça, c'est mon affaire!

11 Question: Bon. Ça, c'est une réponse aussi!

12 Est-ce que vous avez personnellement donné votre arme à la police?

13 Réponse: Oui.

14 Question: Vous avez dit qu'il y avait des gens qui avaient au moins un

15 fusil.

16 Pouvez-vous nous dire combien de personnes, combien d'habitants avaient

17 plus d'un fusil ou plus d'une arme, quelle que soit la nature de l'arme en

18 question?

19 Réponse: Je ne sais pas. Il y a plusieurs personnes qui ont donné leurs

20 armes et je ne peux pas vous dire.

21 Question: Est-ce que vous savez que le fait de posséder des armes

22 automatiques, c'est-à-dire des armes militaires, est-ce que vous savez que

23 cela constituait un crime?

24 Réponse: Je ne sais pas. Mais ils sont venus, ces officiers, et ils ont

25 emmené les armes dans des camions.

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1 M. Milosevic (interprétation): Ils ont récupéré tellement d'armes qu'ils

2 ont eu besoin d'utiliser des camions? Combien d'armes ont été récupérées

3 ce jour-là?

4 M. Beqaj (interprétation): (inaudible)

5 (L'interprète demande que le témoin veuille bien répéter sa réponse.)

6 M. le Président (interprétation): On vous demande de bien vouloir répéter

7 ce que vous venez de dire.

8 M. Beqaj (interprétation): Cette personne m'a dit que c'était interdit

9 d'avoir des armes, mais ils les avaient eux-mêmes dans des camions.

10 M. Milosevic (interprétation): Bien. Vous nous dites qu'entre septembre

11 1998 et mars 1999, c'est-à-dire pendant toute la période de la présence de

12 Mission de la vérification dans cette région, vous dites que, pendant

13 cette période, avec d'autres personnes du village, vous vous êtes cachés

14 dans les bois. Est-ce bien exact?

15 Réponse: Pouvez-vous répéter votre question? Je ne l'ai pas comprise.

16 Question: Vous déclarez -et je lis ici votre déclaration, Monsieur Beqaj-,

17 vous déclarez qu'entre septembre 1998 et mars 1999, c'est-à-dire pendant

18 toute cette période, vous vous êtes caché avec d'autres hommes du village

19 dans les collines. Est-ce bien exact?

20 Réponse: C'est bien exact. L'armée nous a renvoyés dans nos villages, nous

21 a dit que personne ne viendrait nous créer des problèmes, mais les

22 policiers se sont mis à patrouiller la région et ils ont demandé où se

23 trouvaient les hommes jeunes. Lorsqu'ils sont venus, lorsqu'ils venaient

24 arrêter les gens en patrouille, nous avons été contraints de nous enfuir

25 pour nous réfugier dans les collines.

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1 Question: Bien. Pouvez-vous me dire, s'il vous plaît, en compagnie de qui

2 vous vous êtes caché dans ces collines?

3 Réponse: Je ne me cachais pas, mais chaque fois que la police venait, je

4 devais aller me cacher dans les collines parce que sinon, ils arrêtaient

5 les gens qu'ils trouvaient et ils les jetaient en prison.

6 Question: Bien. Ce groupe, combien comptait-il de personnes? Combien

7 étiez-vous ainsi à vous cacher dans les collines?

8 Réponse: Mais ce n'était pas un groupe! Chacun s'est enfui

9 individuellement et s'enfuyait individuellement pour échapper à la police,

10 pour ne pas finir en prison.

11 Question: Donc vous aviez des armes, vous vous cachiez dans les collines,

12 mais pourtant vous n'étiez pas membre de l'UCK. Ce que vous faisiez, c'est

13 que vous vous enfuyiez devant la police pour ne pas être envoyé en prison.

14 Et vous affirmez que vous n'étiez pas membre de l'UCK?

15 Réponse: Je dis que je ne suis pas membre de l'UCK. Et nous avons donné

16 nos armes à vous et pas à l'UCK.

17 Question: Bien. Pendant cette période pendant laquelle vous vous êtes

18 caché dans les collines, c'est-à-dire entre septembre 1998 et mars 1999, y

19 a-t-il eu des tirs échangés par l'UCK, d'une part, et l'armée et la

20 police, d'autre part?

21 Réponse: Non, ça je ne sais pas. Je n'ai aucune information à ce sujet.

22 Question: Fort bien. Vous affirmez que, le 14 avril, vous avez été

23 contraint de quitter votre maison pour vous rendre en Albanie? Est-ce

24 exact?

25 Réponse: C'est exact.

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1 Question: Pourquoi avez-vous été contraint de quitter votre maison pour

2 vous rendre en Albanie?

3 Réponse: Le 14 avril, à 9 heures du matin, les soldats et policiers sont

4 venus dans le cadre d'une opération et nous ont forcés à aller en Albanie.

5 Et ceci aussi rapidement que possible. On a dû sortir de chez nous et

6 partir avec nos chariots, nos voitures, nos tracteurs, tous les moyens de

7 transport que nous avons pu trouver. Alors que nous quittions le village,

8 nous avons pu voir qu'on mettait le feu à nos maisons. C'est votre armée

9 qui nous a forcés à partir.

10 Question: Est-ce que vous êtes en train de nous dire qu'il n'y a pas eu de

11 combat opposant l'UCK, d'une part, et l'armée et la police? Est-ce que

12 vous êtes en train de nous dire que les soldats sont venus tout

13 simplement, sont entrés dans le village et vous ont dit de partir en

14 Albanie? Est-ce que c'est ce que vous affirmez?

15 Réponse: Les policiers, les soldats sont venus, ils nous ont dit de partir

16 immédiatement!

17 Question: Veuillez, s'il vous plaît, Monsieur Beqaj, me dire s'il est

18 exact qu'en fait, vous avez quitté le village pour vous mettre à l'abri du

19 conflit qui était en train de faire rage? Répondez par oui ou non.

20 Réponse: Non, non, on nous a forcés de partir. Il n'y avait absolument

21 aucun combat.

22 Question: Bien. Si bien que vous n'étiez pas en train de vous enfuir pour

23 échapper à la guerre, mais vous êtes partis parce que l'on vous a dit de

24 le faire. Est-ce que vous-même et la colonne à laquelle vous apparteniez a

25 été pilonnée près du village de Bistazin?

Page 9131

1 Réponse: Oui, j'étais là, à Bishtazhin. Il y avait toute une file de

2 tracteurs. Moi, j'étais à l'avant; il y avait, à l'avant, un habitant du

3 village de Racaj. Le tracteur a été touché et 11 personnes ont trouvé la

4 mort, 11 personnes qui se trouvaient sur ce tracteur, mais il y en avait

5 d'autres d'ailleurs sur ce tracteur.

6 Question: Vous nous dites qu'il y en avait d'autres. Combien de personnes

7 ont été tuées, en tout, dans ce bombardement qui a eu lieu à côté du

8 village de Bistazin?

9 Réponse: Environ 75 personnes.

10 Question: Avez-vous vu cela de vos yeux? Avez-vous vu les avions de l'OTAN

11 s'approcher pour bombarder cette colonne? Est-ce que la visibilité était

12 bonne? Est-ce que l'on voyait loin?

13 Réponse: Nous avons vu les avions, mais nous n'avons pas reconnu, là, des

14 avions de l'OTAN, il s'agissait d'avions serbes et ils nous ont bombardés.

15 Ils n'étaient pas très haut dans l'air, ils volaient bas.

16 Question: Bon, bon, d'accord. Inutile de vous lancer dans ce genre

17 d'explications. Nous en avons déjà suffisamment entendu dans ce style.

18 Mais est-il exact que l'armée et la police apportaient des soins, une

19 assistance à tous les blessés et les a conduits à l'hôpital?

20 Réponse: Ce n'est pas vrai!

21 Question: Donc ils n'ont pas transporté les blessés à l'hôpital. Qu'est-il

22 advenu des blessés? Qui s'est occupé d'eux?

23 Réponse: Je l'ignore, j'ignore qui les a transportés. Je n'en sais rien du

24 tout. Moi, tout le temps que je suis resté là, les blessés sont restés là

25 aussi.

Page 9132

1 Question: Vous nous dites pourtant qu'on vous a contraints à passer la

2 nuit à Bistazin, donc vous êtes restés là toute la nuit. Qui vous a

3 obligés à rester à cet endroit pendant la nuit?

4 Réponse: Les policiers sont restés avec nous toute la nuit jusqu'au matin,

5 4 heures du matin. Ensuite, il y en a qui sont venus de Belgrade, ils ont

6 pris des photos de nous. Ils ont interrogé un certain nombre de personnes,

7 etc. etc.

8 Question: Oui, mais il s'agissait d'une enquête au sujet de ce pilonnage

9 et au sujet de l'assassinat d'un grand nombre de personnes par l'OTAN.

10 Est-ce vrai ou pas?

11 Réponse: Ils ont posé des questions, mais vous dire qui ils étaient, cela

12 je ne saurais le faire. Je ne le sais pas.

13 Question: Bon. Mais avez-vous vu, avez-vous remarqué la présence de

14 journalistes étrangers qui filmaient la scène? Et il s'agissait aussi bien

15 de journalistes étrangers que de journalistes du cru. Est-ce que vous avez

16 vu des équipes de télévision, des photographes? Est-ce que vous avez vu

17 tous ces gens qui étaient venus de Belgrade, des représentants des médias

18 nationaux et des médias internationaux? Est-ce que vous avez vu tous ces

19 gens?

20 Réponse: Ils étaient là, ils avaient des caméras vidéo, ils ont posé des

21 questions; Ils étaient serbes. Je ne sais pas qu'il y ait eu quiconque

22 d'autre.

23 Question: Bien. Passons à autre chose. Passons à un autre événement,

24 puisque nous ne disposons pas d'un temps illimité.

25 Vous dites qu'un certain policier, Vojo Pekovic, a été tué. Cela figure au

Page 9133

1 paragraphe 5 de votre déclaration, en page 5.

2 Réponse: C'est exact.

3 Question: Ensuite, vous affirmez que, trois jours plus tard, dans le

4 village de Mejë un autre policier a été tué, un policier prénommé Milutin.

5 Est-ce exact?

6 Réponse: Oui.

7 Question: Qui a tué ces policiers?

8 Réponse: Je ne sais pas.

9 Question: Mais comment avez-vous appris que ces policiers avaient été

10 tués?

11 Réponse: On le savait. Les gens l'ont appris en chemin, un peu par hasard.

12 Question: Est-ce qu'ils vous ont dit que c'étaient vos terroristes de

13 l'UCK qui l'avaient fait en leur tendant une embuscade?

14 Réponse: Quelle sorte de terroristes?

15 Réponse: L'UCK?

16 Réponse: Ce n'est pas vrai.

17 Question: Mais qui aurait pu, à ce moment-là, tuer ces policiers?

18 Réponse: Je ne sais pas.

19 Question: Veuillez, s'il vous plaît, me dire la chose suivante: vous savez

20 qu'à Bistazin, pendant le pilonnage, des dizaines de personnes ont été

21 tuées. Il y a quelques instants encore, vous nous avez dit qu'ils étaient

22 au nombre de 75. Le nombre importe peu, ce n'est pas à ce sujet que je

23 vous interroge. A côté du village de Mejë, une colonne également a été

24 soumise à un bombardement, une colonne d'Albanais. Une fois de plus, le

25 bombardement a été réalisé par l'OTAN. Mejë et Bishtazhin sont des lieux

Page 9134

1 bien connus où un grand nombre d'Albanais ont trouvé la mort suite à une

2 intervention de l'OTAN. Est-ce exact?

3 Réponse: Je ne sais pas si c'était l'OTAN, mais en tout cas, je sais que

4 c'étaient des avions, des avions qui volaient très bas.

5 Question: Des avions à Mejë et à Bistazin, et aussi dans la vallée de ce

6 Carragojs qui continue après Mejë. Dans toute cette région, il y a eu des

7 combats extrêmement violents qui ont opposé, d'une part, l'armée et la

8 police, et, d'autre part, l'UCK. Et ceci a duré pendant plusieurs jours.

9 Est-ce que vous le savez? Est-ce que vous avez connaissance de cela?

10 Réponse: Ce n'est pas vrai. Ce qu'ils appellent la vallée de Carragojs

11 compte 12 villages; tous les villages qui se trouvent à côté de la

12 frontière. Ces villages avaient été vidés par vos soldats et, au bout du

13 compte, ils ont capturé 500 personnes dans le village de Mejë Orize et

14 également à Korenice. Cinq cents personnes sont parties ce jour-là et

15 elles ne sont jamais revenues. Nul ne sait où ces gens sont aujourd'hui.

16 Mais vous, vous le savez.

17 Question: Bien. Savez-vous combien de policiers et de soldats de l'armée

18 yougoslave ont été tués pendant ces combats dans la vallée de Carragojs,

19 que vous venez d'évoquer en nous disant qu'ils y avait là 12 villages?

20 Combien de gens ont été tués dans les combats les opposant à l'UCK?

21 Réponse: L'UCK n'a jamais combattu dans la vallée de Carragojs. L'armée a

22 vidé de leurs habitants tous les villages qui se trouvaient près de la

23 frontière parce que c'étaient des zones qui avaient une importance du

24 point de vue de la sécurité. Ils ont emmené 500 personnes dont on n'a plus

25 jamais retrouvé la trace de ce jour.

Page 9135

1 Question: Inutile de répéter ce que vous avez déjà dit précédemment. Mais

2 comment ces soldats, ces soldats aussi nombreux, comment ces policiers

3 ont-ils trouvé la mort si personne ne leur a tiré dessus?

4 Réponse: Ce n'est pas vrai.

5 Question: Qui a tué ces soldats? Qui a tué ces policiers?

6 Réponse: C'est très difficile pour moi de dire ça, mais c'est faux, c'est

7 faux. Personne n'a été tué, il n'y a pas un seul soldat qui ait été tué,

8 une seule de ces personnes qui aient été tuées dans la vallée de

9 Carragojs. Il n'y a pas eu de combat.

10 M. Milosevic (interprétation): Bon, bon. Nous avons eu des témoins qui

11 nous ont parlé de cela, donc je ne vais pas vous poser de question

12 supplémentaire à ce sujet.

13 Malheureusement, pour ce qui est des vôtres, c'est un Albanais, c'est un

14 officier qui nous a dit cela.

15 M. le Président (interprétation): Il s'agit là d'un commentaire.

16 Avez-vous d'autres questions à poser au témoin?

17 M. Milosevic (interprétation): Oui, j'ai encore un nombre assez important

18 de questions à lui poser: une dizaine, disons.

19 Vous affirmez que l'armée a sélectionné 24 hommes et qu'elle les a mis de

20 côté?

21 M. Beqaj (interprétation): J'ai dit que mes quatre frères ont disparu à ce

22 jour; on ne sait pas ce qu'il est advenu d'eux.

23 Question: Est-ce que vous affirmez qu'ils ont mis 24 hommes à part, qu'ils

24 ont sélectionné 24 hommes?

25 Réponse: Oui, c'est vrai.

Page 9136

1 Question: Et sur cette même page, au paragraphe 3, vous dites que vous

2 n'avez pas vu les soldats braquer leurs armes sur ces hommes?

3 Réponse: Ce n'est pas vrai. Qu'est-ce que vous voulez dire: je n'ai pas vu

4 ça? Moi, j'étais là! J'avais les mains liées derrière le dos.

5 Question: Vous aussi, on vous a attaché?

6 Réponse: Non, on ne m'a pas attaché, mais en tout cas, ils ont mis ces

7 hommes à part et ils les ont obligés à mettre les mains sur la nuque.

8 Question: Ecoutez, je vais vous lire un extrait de votre déclaration, page

9 4 -je cite-: "A gauche de la route, dans la direction de Korenica, j'ai vu

10 10 personnes qui étaient alignées dans le champ. Moi, je me trouvais à une

11 distance d'environ 100 mètres; j'ai pu voir très clairement ce qui se

12 passait. Je n'ai pas vu de soldats braquer leurs armes sur les hommes. Je

13 suis passé devant cet endroit et je me suis dirigé vers Djakovica. Au bout

14 d'un certain temps, j'ai entendu des tirs. Plus tard, alors que nous

15 étions en chemin vers l'Albanie, quelqu'un m'a dit que ces hommes qui

16 avaient été alignés à côté de l'école, avaient été vus alors qu'ils

17 s'effondraient sur le sol." (Fin de citation.

18 Est-ce que c'est là ce que vous savez au sujet de ces hommes? Et donc

19 quelqu'un vous a dit en allant vers l'Albanie qu'on avait vu ces gens

20 alors qu'ils tombaient par terre, et c'est à cause de cela que vous

21 affirmez maintenant que ces hommes ont été exécutés? C'est sur la base de

22 ces informations-là?

23 Réponse: Je vais répéter une fois encore ce que j'ai déjà dit

24 précédemment. J'ai vu…

25 M. Milosevic (interprétation): Mais il est inutile de répéter ce que vous

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1 nous avez déjà dit.

2 M. le Président (interprétation): Expliquez-nous de quoi il retourne.

3 M. Beqaj (interprétation): Cela s'est passé comme ça s'est passé et comme

4 je l'ai dit. J'étais à 100 mètres et j'ai vu ces hommes, ils étaient

5 debout. Et c'est vrai, je n'ai pas vu de fusil automatique.

6 M. Milosevic (interprétation): Mais vous allez plus loin, vous dites: "Je

7 ne peux rien dire de plus précis s'agissant de l'origine des tirs", des

8 tirs que vous avez entendus ultérieurement alors que vous aviez pris la

9 direction de Djakovica. Parce que vous dites, vous, qu'il y avait des tirs

10 qui venaient de partout. Cela signifie donc que cela tirait de tous les

11 côtés et vous n'êtes pas en mesure de dire exactement d'où provenaient les

12 tirs. Si c'est bien ainsi que les choses se présentent, est-ce que vous

13 avez bien compris à ce moment-là qu'il y avait des combats qui étaient en

14 train de se dérouler? Il y avait une sorte de conflit?

15 Réponse: C'étaient les tirs de vos soldats, de vos policiers, parce que

16 nous étions encerclés, tous.

17 Question: Mais écoutez, Monsieur Beqaj, est-ce que vous comprenez bien que

18 ces localités où l'OTAN a tué un très grand nombre d'Albanais… Et vous

19 nous parlez de cela, mais en vous servant de rumeurs, de ouï-dire, etc.

20 Vous essayez de transformer ce qui s'est passé en nous disant qu'il s'agit

21 de crimes qui ont été perpétrés par l'armée et par la police serbes. Est-

22 ce que c'est bien cela?

23 (L'interprète signale qu'il s'agit du plus grand nombre d'Albanais tués.)

24 Mais qui a emmené ces 500 personnes? Et où sont ces gens? Vous pouvez me

25 répondre: où sont ces gens?

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1 M. le Président (interprétation): Monsieur, ce qu'on est en train de vous

2 dire, c'est que vous avez inventé tout cela de toutes pièces. Alors, c'est

3 vrai ou pas?

4 M. Beqaj (interprétation): Est-ce que vous pourriez, s'il vous plaît,

5 répéter votre question?

6 M. le Président (interprétation): L'accusé affirme que vous avez inventé

7 tout cela. Alors, est-ce que c'est vrai ou pas?

8 M. Beqaj (interprétation): Non, je n'ai pas inventé ça. J'étais là,

9 j'étais là sur place. Et je suis en train de vous parler de ce que j'ai

10 vu, de mes yeux vus.

11 M. Milosevic (interprétation): Bien. Donc, Monsieur Beqaj, vous n'avez

12 rien vu de tout ce dont vous parlez. Vous n'avez pas été témoin de ces

13 exécutions. Vous n'avez pas vu ces gens être abattus, n'est-ce pas?

14 Réponse: C'est exact.

15 Question: Comment?

16 Réponse: Je n'ai pas vu.

17 Question: Donc, vous êtes en train de déposer au sujet d'événements que

18 vous n'avez pas vus et vous reconnaissez à l'instant que vous n'avez pas

19 vu tout cela. Alors, s'il vous plaît, veuillez m'expliquer quelque chose

20 qui n'est pas très clair dans votre déclaration et qui se trouve à la fin

21 de votre déclaration. Troisième paragraphe à la fin de la déclaration.

22 Vous êtes en train de parler de l'apparence de ce que vous décrivez comme

23 étant "un groupe paramilitaire serbe". Et à la dernière phrase, vous dites

24 -je cite-: "Ils sont partis. Ils sont partis de cet endroit au moment où

25 une jeep s'est approchée de nous". (Fin de citation.)

Page 9139

1 Alors, qui s'est approché de vous et de quel type de jeep s'agissait-il?

2 Qu'est-ce qui se passait exactement? Est-ce que vous pourriez, s'il vous

3 plaît, nous expliquer ce qu'il en est, parce que ce n'est pas très clair à

4 la lecture de votre déclaration?

5 Réponse: Oui, je vais vous expliquer de quoi il s'agissait.

6 Nous nous dirigeons vers Krusha e Madhe, sur le chemin de l'Albanie. Et il

7 y a deux soldats qui sont venus à notre rencontre. Ils étaient armés, ils

8 avaient des ceintures de grenades. Ils avaient aussi des grenades à la

9 main. Ils nous menaçaient. Ils voulaient nous voler. Ils ont demandé de

10 l'argent. Et puis deux jeeps -je crois que c'étaient des jeeps de la

11 police, mais je n'en suis pas sûr- sont venues; et je pense que ces

12 soldats avaient peur et ils ont pris la fuite.

13 Question: Très bien. Donc vous avez décrit l'événement suivant: des

14 voleurs -et il y en a lors de toutes guerres, personne ne le nie-, des

15 voleurs qui voulaient vous voler ont pris la fuite lors de l'approche

16 d'une jeep de la police. Et maintenant, vous dites qu'il s'agissait de

17 deux jeeps. Donc est-ce que vous avez bien compris que ces voleurs

18 n'avaient rien à voir ni avec l'armée ni avec la police? C'étaient des

19 bandits de grand chemin.

20 Réponse: Ils portaient des vêtements militaires. Je ne sais pas ce qu'ils

21 étaient, mais, de toute façon, ils portaient des vêtements militaires.

22 Question: Ce que les gens portent en temps de guerre, c'est tout à fait

23 autre chose. Mais vous avez dit qu'ils ont pris la fuite devant la police.

24 Je présume qu'il y avait une raison pour cela?

25 Ils essayaient de voler quelqu'un et ils prennent la fuite lorsqu'un

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1 véhicule policier s'approche. C'est ce que vous avez dit. Mais très bien,

2 nous allons passer à autre chose. J'ai encore quelques questions.

3 Dans le village de Mejë, à part le policier serbe, savez-vous que l'UCK a

4 également tué trois Albanais, des citoyens loyaux envers la République de

5 la Serbie? Est-ce que vous êtes au courant de cela?

6 Réponse: Je n'en sais rien.

7 Question: Savez-vous que l'UCK a tué beaucoup d'Albanais qui montraient du

8 respect envers la République de la Serbie, envers l'Etat et qui se

9 comportaient tout à fait normalement, comme des citoyens pacifiques et que

10 l'UCK en a tué beaucoup? Etes-vous au courant?

11 Réponse: Non.

12 Question: Vous dites que vous êtes allé en Albanie le 28 avril. Vous étiez

13 combien dans ce groupe lorsque vous avez franchi la frontière?

14 Réponse: Dans le convoi, il y avait des centaines de personnes. Je ne sais

15 pas exactement combien nous étions, mais c'était un très grand convoi.

16 Question: Et pour franchir la frontière, vous vous êtes servi de quoi?

17 Réponse: J'étais sur une carriole, je l'ai déjà dit. Il y avait aussi des

18 enfants sur le chemin que nous avons pris sur une carriole.

19 Question: Mais, pour la plupart, les gens étaient dans des tracteurs,

20 n'est-ce pas? Ou des camions plutôt que des carrioles?

21 Réponse: Il y en avait qui étaient dans des tracteurs, mais il y en avait

22 aussi qui étaient à pied.

23 Question: Dites-moi, s'il vous plaît, pourquoi vous avez dit que des

24 documents vous ont été pris à la frontière et qu'ils ont été brûlés? Hier,

25 nous avons vu une vidéo où, non pas vers la fin du mois de mai, vers la

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1 fin du mois d'avril, à Pristina, des Albanais obtenaient de nouveaux

2 documents, montaient à bord des bus, des cars, tout à fait normaux.

3 Qui vous a dit de raconter cette histoire comme quoi on vous a pris vos

4 documents et qu'on vous a pris vos affaires? Expliquez-le-nous, s'il vous

5 plaît.

6 Réponse: Il y a la route vers Korenica, dès que vous vous trouvez sur la

7 route asphaltée. Nous avons vu qu'il y avait là une couverture qui se

8 trouvait sur la route et on nous a dit: "Mettez vos affaires, vos

9 documents, votre argent, vos affaires personnelles sur cette couverture."

10 M. le Président (interprétation): Monsieur Milosevic, j'espère qu'il

11 s'agit là de votre dernière question?

12 M. Milosevic (interprétation): Est-ce que vous avez fabriqué cela de

13 toutes pièces, Monsieur Beqaj?

14 M. Beqaj (interprétation): Que voulez-vous dire par "fabriquer tout cela"?

15 Je ne comprends pas votre question! Je n'ai rien inventé. Je parle de

16 choses que j'ai vues moi-même, je n'ai rien inventé.

17 M. Milosevic (interprétation): Est-ce que c'est quelqu'un d'autre qui l'a

18 inventé pour vous et vous a dit de le dire?

19 M. Beqaj (interprétation): Personne ne m'a dit de le faire. C'est une

20 expérience que j'ai vécue moi-même et je ne l'oublierai jamais jusqu'à la

21 fin de mes jours!

22 M. le Président (interprétation): Monsieur Tapuskovic, s'il vous plaît?

23 M. Tapuskovic (interprétation): Je n'ai pas de question pour le témoin,

24 Messieurs les Juges.

25 M. le Président (interprétation): Avez-vous des questions supplémentaires?

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1 (Interrogatoire principal supplémentaire du témoin, M. Beqë Beqaj, par M.

2 Shin.)

3 M. Shin (interprétation): Lorsque vous avez été obligé de quitter votre

4 famille, votre village, le 14 avril 1999, vous avez dit qu'il y avait des

5 maisons qui brûlaient dans le village. A ce moment-là ou par la suite,

6 avez-vous su combien de maisons avaient été brûlées dans votre village, à

7 peu près, s'il vous plaît?

8 M. Beqaj (interprétation): Lorsque nous avons pris la fuite, dès que nous

9 avons quitté le village nous avons vu que les maisons étaient en proie aux

10 flammes. Et lorsque nous sommes revenus, 80% des maisons avaient été

11 brûlées.

12 Question: Lorsque vous, votre famille, les autres villageois, vous êtes

13 revenus à Racaj, est-ce que des autorités quelconques, la police, l'armée,

14 est-ce que l'on vous a proposé, à votre famille, de l'aide?

15 Réponse: Non, pas du tout.

16 Question: Est-ce que quelqu'un de la police serbe est venu pour mener une

17 enquête en ce qui concerne les 80% des maisons qui avaient été brûlées

18 dans le village?

19 Réponse: Non.

20 Question: Dans votre déclaration préalable, vous avez dit que la police

21 vous a demandé vos documents d'identité et que vous les mettiez avec les

22 objets de valeur sur la couverture se trouvant sur l'intersection de la

23 route près de Mejë? En ce qui concerne ceux qui vous ont demandé cela,

24 est-ce qu'ils vous ont expliqué pourquoi vos documents d'identité, objets

25 de valeur, vous deviez les rendre?

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1 Réponse: Ils ont dit: "Donnez-nous vos documents, vous n'en avez plus

2 besoin, vous allez en Albanie." Et ils ont pris notre argent également.

3 Question: Voulez-vous bien nous décrire les uniformes portés par ceux qui

4 vous ont demandé les cartes d'identité et les objets de valeur? Que

5 portaient-ils comme uniforme?

6 Réponse: Ils portaient des uniformes de la police. C'étaient des uniformes

7 de camouflage de la police. C'était la police qui nous a demandé les

8 documents.

9 Question: Quelle était la couleur de ces uniformes?

10 Réponse: Comme les uniformes de la police: des uniformes de camouflage de

11 couleur verte.

12 M. Shin (interprétation): Merci, je n'ai plus de questions.

13 M. le Président (interprétation): Monsieur Beqaj, nous sommes arrivés à la

14 fin de votre témoignage. Merci beaucoup d'être venu au Tribunal

15 international. Vous pouvez quitter la Chambre.

16 M. Beqaj (interprétation): Est-ce que je pourrais poser une question, s'il

17 vous plaît? Il s'agit d'une demande de ma part.

18 M. le Président (interprétation): S'il s'agit d'une question rapide.

19 Normalement, nous ne permettons pas aux témoins de faire des discours,

20 mais vous pouvez poser une question.

21 M. Beqaj (interprétation): Je demande au Tribunal de La Haye et à la

22 communauté internationale de jeter la lumière sur la disparition de ces

23 500 personnes. Nous ne savons pas où elles se trouvent et Milosevic doit

24 le savoir.

25 M. le Président (interprétation): Nous ne pouvons pas prendre en

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1 considération la remarque que vous avez faite au sujet de l'accusé, mais

2 en ce qui concerne ce que vous avez dit sur les 500 personnes disparues,

3 nous en avons bien pris note. Merci. Vous êtes libre de quitter la

4 Chambre.

5 M. Beqaj (interprétation): Merci.

6 (Le témoin, M. Beqë Beqaj, est reconduit hors du prétoire.)

7 (Questions relatives à la procédure.)

8 M. le Président (interprétation): En ce qui concerne les questions

9 d'intendance, Monsieur Ryneveld, il y a des demandes concernant sept

10 témoins, je pense. Il s'agit, dans tous les cas, de l'application de

11 l'Article 92bis. Il y a M. Milaim Cekaj qui va déposer en tant que

12 prisonnier de la prison de Dubrava. Il s'agit du bombardement de l'OTAN et

13 des exécutions alléguées, résumées.

14 Ensuite, nous avons Ismet Haxhiavdija. Il s'agit là des meurtres qui ont

15 eu lieu dans la rue Milos Gilic, à Djakovica. Monsieur Behar Haxhiavdija,

16 là aussi, c'est la même chose.

17 Monsieur Gani Bacaj, encore une fois, il s'agit d'un prisonnier de la

18 prison de Dubrava qui va témoigner de ce qui s'est passé là.

19 Monsieur Izet Krasniqi, qui va nous parler de l'attaque subie par le

20 convoi à Studime e Poshtme.

21 Sofija Imeraj, il s'agit là du massacre présumé dans le quartier Imeraj de

22 Padalishte.

23 Ensuite, M. Mehdi Gerguri, là aussi, il s'agira de l'attaque contre le

24 convoi à Studime e Posthme.

25 Concernant tous ces témoins, tous ces témoins ont déjà déposé, ont déjà

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1 été entendus. Etant donné la nature cumulative de leurs témoignages, il y

2 a là aussi application de l'Article 92bis.

3 M. Ryneveld (interprétation): Non, comme vous l'avez dit, Monsieur le

4 Président, il s'agit de témoignages cumulatifs et c'est ainsi que nous

5 avons l'intention de les traiter.

6 M. le Président (interprétation): Monsieur Milosevic, vous avez entendu ce

7 qui a déjà été dit. Nous envisageons la déposition de ces sept témoins en

8 vertu de l'Article 92bis avec la possibilité de contre-interrogatoire de

9 votre part.

10 Nous savons fort bien quelle est votre objection. C'est comme d'habitude,

11 vous en avez déjà parlé. Vous avez une objection à ce que toute preuve

12 écrite soit admise.

13 Est-ce que vous souhaitez ajouter quelque chose de spécifique en ce qui

14 concerne ces témoins?

15 M. Milosevic (interprétation): Je n'ai rien à ajouter. C'est toujours la

16 même objection, donc je ne vais pas prendre plus de temps là-dessus.

17 M. le Président (interprétation): Très bien. Donc les déclarations sont

18 admises avec possibilité de contre-interrogatoire.

19 Monsieur Milosevic, il y avait quelque chose d'autre que vous vouliez dire

20 tout à l'heure. Je pense qu'il serait préférable, puisqu'il s'agit d'un

21 témoin protégé, que nous passions à huis clos partiel.

22 (Huis clos partiel à 10 heures 14.)

23 (expurgée)

24 (expurgée)

25 (expurgée)

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13 Page 9147 – expurgée – audience à huis clos partiel.

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3 (expurgée)

4 (expurgée)

5 (expurgée)

6 (Audience publique à 10 heures 18.)

7 Nous allons citer le témoin suivant.

8 M. Ryneveld (interprétation): Merci. Dans le contexte de l'application du

9 92bis, je propose d'appeler Milaim Cekaj qui va témoigner sur la prison de

10 Dubrava. En attendant, je me permets de vous rappeler qu'à la page 5 de la

11 place Kosovo, en haut du bloc J12, nous constatons que la prison de

12 Dubrava se trouve à six ou sept kilomètres d'Istok.

13 (Le témoin, Milaim Cekaj, est introduit dans le prétoire.)

14 M. le Président (interprétation): Est-ce que le témoin veut bien prêter

15 serment?

16 M. Cekaj (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la

17 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

18 M. le Président (interprétation): Voulez-vous bien vous asseoir?

19 (Interrogatoire principal du témoin, M. Milaim Cekaj, par M. Ryneveld.)

20 M. Ryneveld (interprétation): Monsieur Cekaj, si je comprends bien, vous

21 êtes Albanais kosovar, un Musulman, vous avez 35 ans, vous êtes de la

22 municipalité de Decani à l'ouest du Kosovo?

23 M. Cekaj (interprétation): Oui.

24 Question: Et vous êtes diplômé en tant qu'ingénieur agricole? Vous êtes

25 marié, vous avez deux fils et une fille, n'est-ce pas?

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1 Réponse: Oui.

2 Question: Vous avez fait votre service militaire dans l'armée yougoslave

3 en 1985/1986 en tant qu'ingénieur?

4 Réponse: Oui en 1985 et 1986.

5 Question: Et vous êtes devenu membre de l'UCK début avril 1988. Vous étiez

6 formateur d'armes, d'utilisation des armes. Et vous étiez responsable

7 d'une compagnie, n'est-ce pas?

8 Réponse: Oui.

9 Question: Monsieur le Témoin, suite à ce qui s'est passé au Kosovo en

10 1999, est-ce que vous avez fait une déclaration devant le représentant du

11 Bureau du Procureur le 17 mai 2000?

12 Réponse: Oui.

13 Question: Par la suite, est-ce que vous avez pu relire la déclaration en

14 albanais? Et devant un officier instrumentaire du Tribunal, vous avez pu

15 confirmer que le contenu de votre déclaration était, d'après ce que vous

16 saviez, vous pensiez que tout était tout à fait véridique?

17 Réponse: Oui.

18 Question: Et c'était le 26 août de cette année 2002 que cela a été fait?

19 Réponse: Oui.

20 Question: Messieurs les Juges, je souhaite vous lire rapidement le résumé

21 et ensuite poser quelques questions au témoin et montrer la photo

22 aérienne, en tant que pièce.

23 D'après ce que j'ai vu dans la déclaration, le témoin a été arrêté le 28

24 octobre 1998 par la police serbe et par un officier militaire et ensuite a

25 été emmené au poste de police de Peja.

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1 Au poste de police, le témoin a subi un interrogatoire deux jours avec

2 jusqu'à huit membres de la police d'Etat. Il a été passé à tabac. Il a été

3 obligé de signer un document de 15 pages en serbe, une soi-disant

4 confession. Il a ensuite été détenu à la prison de Peja derrière le

5 commissariat jusqu'au 19 février 1999, et ceci dans des conditions

6 épouvantables.

7 Les 2 et 3 novembre 1998, le témoin a été emmené au Tribunal de Peja où il

8 a subi un interrogatoire de la part du juge d'instruction Milomir Lazovic.

9 Le 19 février 1999, le témoin, ainsi que 50 à 60 autres prisonniers, a été

10 transféré de la prison de Peja à la prison de Dubrava. Le témoin s'est

11 retrouvé dans le bloc de cellule 48, à l'étage supérieur du bloc C2. Si

12 vous vous rappelez la pièce 289, il s'agit de ce que nous avons appelé "le

13 bloc d'isolement".

14 Dans sa déclaration, il donne le nom de ses compagnons de cellule. Et il a

15 dit que, quotidiennement, les prisonniers étaient battus par des gardes,

16 les prisonniers n'avaient pas la possibilité de sortir. Ils étaient

17 enfermés pendant 24 heures par jour.

18 Le 19 mai 1999, l'OTAN a bombardé la prison de Dubrava. Le témoin a dit

19 que la première bombe a frappé le bâtiment C1. En 1998, ce bâtiment C1

20 avait été utilisé comme entrepôt de munitions et d'armes pour les forces

21 serbes. En ce qui concerne les autres parties de la prison, il s'agissait,

22 pendant la période de mars à septembre 1998, du quartier général

23 logistique. Pendant cette période, les prisonniers avaient été transférés

24 à d'autres prisons.

25 La prison de Dubrava a été rouverte en tant que prison pour les

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1 prisonniers albanais au début de décembre 1998. Vous vous rappelez ce qu'a

2 dit l'autre témoin parlant de Dubrava qui avait été transféré à cette

3 prison le 5 décembre. Des armes antiaériennes se trouvant en dehors de la

4 prison, en dehors du mur d'enceinte ont tiré sur des avions de l'OTAN

5 quotidiennement.

6 Le 19 mai, une bombe a frappé le bloc dans lequel se trouvait le témoin et

7 a tué trois prisonniers. Il donne le nom d'un des tués comme Topalli.

8 Ensuite, il décrit l'attaque suivante qui a duré plus longtemps, le 21

9 mai, qui a frappé plusieurs bâtiments. Entre autres, le bâtiment des

10 administrations, les cuisines, le théâtre et d'autres. Une bombe qui a

11 raté le théâtre, a tué 18 ou 19 prisonniers. Le témoin donne le nom de

12 deux des tués dans sa déclaration préalable. Et lors de l'enquête, il a

13 dit qu'au total 23 prisonniers ont été tués par le bombardement de l'OTAN

14 qui a eu lieu sur ces deux journées.

15 Tôt le matin le 22 mai 1999, on a demandé aux prisonniers de se mettre en

16 rang près du mirador, et ceci, à la demande des gardes, sous le prétexte

17 qu'ils allaient être transférés à la prison de Nis en Serbie. Dans sa

18 déclaration, il dit que des gardes portaient des armes ressemblant à des

19 bazookas qui sont connus sous le nom de "Zolja". Ils avaient aussi des

20 armes automatiques, des mortiers, des grenades et d'autres.

21 Le témoin a été blessé par des fragments de grenades. Pendant une pause

22 dans les rafales, le témoin en a profité pour retourner à sa cellule. Il y

23 avait des snipers qui ont continué à tirer sur les prisonniers et à en

24 tuer encore d'autres.

25 Plus tard, l'après-midi, le témoin a vu huit soldats portant des uniformes

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1 de couleur verte, camouflage, qui sont entrés dans la prison et qui ont

2 tué des prisonniers. Il cite le nom de deux de ces prisonniers qui ont été

3 tués.

4 Le 23 mai, vers 5 heures du matin, le témoin qui s'occupait des blessés a

5 vu des hommes à l'intérieur de la prison qui portaient des uniformes de

6 couleur vert olive, avec écrit au dos "Milicija", et d'autres qui

7 portaient des uniformes bleus, d'autres des uniformes de camouflage verts

8 et portant aussi des insignes avec des têtes de loup blanc avec "Vukovi"

9 écrit dessus. Ces hommes ont jeté des grenades dans des égouts et dans

10 d'autres bâtiments où se trouvaient des prisonniers qui se cachaient. Les

11 prisonniers ont été obligés à se rendre et, ensuite, ils ont été emmenés

12 dans la salle de gymnastique. Le témoin a aidé les blessés à se rendre

13 dans la salle de gymnastique. Ensuite, il s'est caché dans un bloc de

14 cellule. Une heure plus tard, il a vu des prisonniers qui circulaient

15 librement.

16 Sur le terrain de sport, l'endroit où il y avait eu le massacre la veille,

17 le témoin a vu plus de 150 cadavres. Il a reconnu trois de ces cadavres;

18 et il donne les noms.

19 Le 24 mai, il a été transféré avec d'autres, y compris les blessés, à la

20 prison de Lipjan.

21 Le 10 juin, le témoin a été transféré à la prison de Lipjan à la prison de

22 Pozharevc. Et là, il a été accusé d'organiser des actes de terrorisme, sur

23 la base de la confession qui avait été signée sous contrainte à Peja.

24 Et au Tribunal de Leskovac, le 13 décembre, il a été condamné à une peine

25 de 18 mois.

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1 Le témoin donne le nom et une description de cinq gardes de la prison,

2 ainsi que du directeur de la prison de Dubrava et du commandant des

3 gardes. Et nous avons une photo aérienne de la prison de Dubrava qu'il a

4 signée.

5 Je vous demande, Madame l'Huissière, de mettre sur le rétroprojecteur la

6 photo aérienne, la pièce 289.

7 Madame la Greffière, j'ai oublié de vous demander une cote pour ce paquet

8 qui d'ailleurs n'a pas encore été distribué?

9 M. Ryneveld (interprétation): Je vais le faire en l'espace d'une minute,

10 si vous me le permettez, vu l'heure qu'il est, Monsieur le Président.

11 (Distribution des documents.)

12 Mme Anoya (interprétation): Ce sera la pièce de l'accusation 297.

13 M. Ryneveld (interprétation): Je vous remercie, Madame.

14 Monsieur Cekaj, nous sommes en train d'examiner la photo qui se trouve sur

15 le rétroprojecteur. Pourriez-vous, à l'aide du pointeur, nous dire

16 rapidement tout d'abord ceci: où était le bloc dans lequel vous avez été

17 détenu, placé lorsque vous êtes arrivé à la prison?

18 M. Cekaj (interprétation): C'était le bloc C2. Moi, je me trouvais dans

19 cette cellule 43, là où se trouve plus exactement la cellule 47, celle où

20 il y a une fenêtre.

21 Question: Est-ce qu'on voit cette salle de gymnastique ou de sport? Ou, si

22 ce n'est pas le cas, où se trouve-t-elle par rapport à d'autres bâtiments

23 de la photo?

24 Réponse: On ne voit pas le mirador sur cette photo, il est en face du

25 terrain de sport. Mais c'est à peu près ici que ce mirador se trouvait.

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1 Vous voyez ici le mur d'enceinte extérieur. Et les deux murs latéraux se

2 retrouvent ici, là où il y a un angle. Et c'est là que se trouvait le

3 mirador.

4 Question: On a demandé aux hommes de se mettre en rang, de s'aligner. Où

5 est-ce qu'ils se sont alignés?

6 Réponse: Ici. Je vous ai dit que le mirador se trouvait de ce côté-ci.

7 Très tôt le matin…

8 Question: Aux fins du compte rendu d'audience, je précise que vous

9 indiquez une zone qui se trouve à l'extérieur de l'écran, en dehors de

10 l'écran, mais qui est dans le coin inférieur droit de la photographie.

11 Est-ce exact?

12 Réponse: On ne le voit pas ici. Un instant, s'il vous plaît.

13 Ils nous ont donné l'ordre, tout d'abord, de nous aligner en rangs de

14 quatre. Un certain temps s'est écoulé. Et cet homme nous a dit en serbe:

15 "Mettez-vous en rangs". Ces rangs allaient d'ici à ici, ce que j'indique

16 ici. Donc c'est face au mirador.

17 Question: Ce mirador n'apparaît pas sur la photo. Mais ces rangs, est-ce

18 qu'ils étaient face au mirador?

19 Réponse: Oui, parce que c'était cela l'ordre qui nous avait été donné.

20 Question: Encore une question peut-être: et les tirs, d'où venaient-ils?

21 Pourriez-vous nous l'indiquer sur la photo?

22 Réponse: Oui. D'abord, les tirs sont provenus de l'extérieur du mur

23 d'enceinte, parce que, en toute probabilité, ils se sont servis d'une

24 grenade à main et de lance-roquettes manuels. Et puis, il y a eu des tirs

25 depuis le mirador, où des gens avaient des Zolja, mais aussi des

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1 mitraillettes d'un calibre de 8 mm; on les appelle aussi "Ibica" (phon.).

2 Ils se tenaient debout dans le mirador et tiraient à l'aide de ces armes.

3 Question: Pourriez-vous montrer, s'il vous plaît, montrer aux Juges

4 l'endroit d'où provenaient les tirs? Et ceci en rapport avec l'endroit où

5 se trouvaient les prisonniers?

6 Réponse: Les prisonniers, ils étaient placés en rang de cette façon-ci.

7 Les tirs venaient du mirador et de derrière le mur. J'insiste là-dessus

8 parce que c'est très important. Le mur avait été endommagé, il y avait une

9 brèche d'environ 20 centimètres de large et cette brèche se trouvait à une

10 hauteur de 70 centimètres au-dessus du sol. Et pendant qu'on nous faisait

11 mettre en rangs, moi, j'ai vu des hommes qui étaient de l'autre côté du

12 mur; je les ai vus par cette brèche. On voyait le canon d'armes semi-

13 automatiques et de mitraillettes par cette brèche.

14 M. Ryneveld (interprétation): Je vous remercie. Je n'ai pas d'autres

15 questions à poser pour le moment.

16 Je vous remercie, Messieurs les Juges.

17 M. le Président (interprétation): Nous allons faire une pause.

18 Monsieur le Témoin, rappelez-vous: vous n'êtes autorisé à parler à

19 personne de votre déposition tant qu'elle n'est pas terminée, et ceci

20 comprend les représentants du Bureau du Procureur.

21 Nous allons faire une pause de 20 minutes.

22 (L'audience, suspendue à 10 heures 34, est reprise à 11 heures 3.)

23 M. le Président (interprétation): Oui, Monsieur Milosevic, vous avez la

24 parole.

25 (Contre-interrogatoire du témoin, M. Milaim Cekaj, par l'accusé, M.

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1 Milosevic.)

2 M. Milosevic (interprétation): Vous êtes diplômé de la faculté d'agronomie

3 de Pristina, c'est bien cela?

4 Vous avez suivi des cours à la faculté de Pristina proprement dite?

5 M. Cekaj (interprétation): Oui.

6 Question: En tant qu'Albanais, est-ce que vous avez rencontré des

7 problèmes, quels qu'ils soient, pendant vos études et aussi après vos

8 études, lorsque vous êtes sorti diplômé en 1995?

9 Réponse: Bien sûr que moi aussi, j'ai eu des problèmes. Comme à toutes les

10 autres facultés de l'université de Pristina, la faculté d'agronomie a subi

11 le même sort suite à l'instauration de votre régime et à l'occupation par

12 celui-ci des locaux de l'université. Ce qui a touché aussi bien les

13 étudiants que le corps professoral. Ceux-ci ont été expulsés. J'ai terminé

14 une partie de mes études à l'université qui comportait les deux parties et

15 j'ai terminé mes études dans des locaux qui n'étaient pas destinés à être

16 des salles de classe. Je les ai terminées en albanais.

17 Question: Mais comment avez-vous pu étudier, si vous dites que les

18 étudiants albanais ont été expulsés de l'université?

19 Réponse: Ils ont été expulsés des locaux de l'université grâce à votre

20 régime, après 1990. C'est cela que j'ai voulu dire.

21 Question: Et après, jusqu'en 1995, où est-ce que vous avez étudié? Où

22 avez-vous commencé vos études?

23 Réponse: Après avoir été expulsé des locaux-même de la faculté

24 d'agronomie, je ne sais pas si ceci a de l'importance, mais j'ai passé un

25 certain temps en Allemagne avec mes parents. Mais par la suite, j'ai pu

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1 reprendre mes études sous une forme ou une autre, mais c'était grâce aux

2 efforts des Albanais, pas grâce à votre régime à l'époque. Et puis les

3 cours ont recommencé à être donnés et j'ai terminé ma quatrième année.

4 Question: Est-ce que vous savez que la faculté d'agronomie, comme les

5 autres facultés de l'université de Pristina d'ailleurs, n'a jamais cessé

6 de fonctionner? Que les cours ont été dispensés de façon tout à fait

7 normale pendant toute la durée?

8 Réponse: Je sais. Mais j'ai eu une fois l'honneur d'aller dans cette

9 faculté dont vous dites qu'elle n'a pas cessé de fonctionner et j'ai été

10 arrêté par la police. Des policiers m'ont menacé, m'ont maltraité alors

11 que j'essayais simplement d'obtenir un certificat montrant les notes que

12 j'avais reçues pour les cours que j'avais terminés. Il n'y avait plus de

13 place pour les Albanais à cet endroit.

14 M. Milosevic (interprétation): Je vous en prie. Vous n'allez pas nous dire

15 maintenant qu'il y avait des policiers dans la faculté qui triaient des

16 gens à l'entrée ou à la sortie. Vous savez que ce n'était pas vrai?

17 M. Cekaj (interprétation): Je sais bien qu'ils n'étaient pas seulement

18 dans notre faculté, mais partout ailleurs et, à titre d'illustration, je

19 peux vous dire par exemple qu'à la faculté de médecine, le doyen à

20 l'époque -vous le savez pertinemment, vous devriez le savoir si vous ne le

21 savez pas- ce doyen a été éjecté, expulsé de son propre bureau.

22 M. le Président (interprétation): Je pense que nous avons suffisamment

23 entendu parler à propos de l'éducation, de la formation.

24 Passez à un autre sujet.

25 M. Milosevic (interprétation): Fort bien, Monsieur May.

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1 Il est important pour voir quelle est la crédibilité de ces témoins, ce

2 qu'il en est de ces contre-vérités qui sont nombreuses dans sa

3 déclaration.

4 Vous avez dit qu'à partir de 1998, vous étiez membre de l'UCK. Il y a un

5 instant, au cours de l'interrogatoire principal, à moins bien sûr qu'il

6 n'y ait eu une erreur dans le compte-rendu d'audience, vous avez dit être

7 devenu membres de l'UCK un peu plus tôt.

8 A quel moment précis avez-vous rejoint l'UCK? Si je me souviens bien,

9 c'était dit en 1996, en 1997, alors que, dans votre déclaration préalable,

10 c'était la date de 1998 qui est mentionnée. Quelle est la bonne date?

11 M. Cekaj (interprétation): Avant de répondre à cette question qui concerne

12 l'UCK, je tiens à dire ceci: je n'ai pas dit de mensonge. Maintenant, je

13 vais vous répondre. Les données de l'époque montrent que je dis bien la

14 vérité. Je vais demander à la Chambre de ne pas m'interrompre par des

15 insultes, sinon je vais répondre du tac au tac.

16 M. le Président (interprétation): Je sais que le fait de déposer est une

17 situation très éprouvante qui peut bouleverser quelqu'un. L'accusé est

18 sous contrôle, il sait quel genre de questions il peut poser, le genre de

19 questions qui ne lui est pas possible, permis de poser. Mais il a le droit

20 de le faire parce que c'est lui qui fait l'objet d'un procès et il doit

21 avoir le droit de mettre à l'épreuve les dires du témoin. Il revient à la

22 Chambre de voir si une question est pertinente ou pas.

23 Et plutôt que de jouer au plus fin avec l'accusé, je pense que vous

24 devriez vous souvenir que vous déposez ici devant un Tribunal.

25 Essayez de répondre du mieux que vous pouvez aux questions. Si ce n'est

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1 pas possible de le faire, dites simplement: "je ne peux pas répondre à

2 cette question", vous pourrez nous expliquer pourquoi. Nous verrons quelle

3 est la marche à suivre. Mais ne soyez pas vexé par les allégations portées

4 par l'accusé. Il a le droit de le faire. C'est à nous qu'il revient de

5 voir si elles ont un fondement quelconque ou pas. Je pense que nous

6 pourrons avancer plus rapidement si vous vous concentrez sur les questions

7 qui vous sont posées, et si vous essayez de répondre de façon brève.

8 Ceci vaut également pour vous, Monsieur Milosevic. Ne polémiquez pas avec

9 le témoin, c'est une perte de temps!

10 M. Ryneveld (interprétation): Je pense que le témoin réagissait à ce qui

11 avait été dit, à savoir qu'il y avait des contre-vérités dans sa

12 déclaration. C'est ce qui avait provoqué cet éclat de sa part.

13 M. le Président (interprétation): Je comprends bien.

14 M. Cekaj (interprétation): C'est simplement que je comprends, Messieurs

15 les Juges, je me rends compte de ce que vous dites. Je répondrai à toutes

16 les questions mais en ce qui concerne la seconde ou la première qui

17 portait sur l'UCK, je dirai ceci: c'est vrai que j'étais dans l'UCK à

18 partir d'avril 1998. D'autres dates ont été mentionnées par l'accusé; je

19 n'ai jamais dit oralement ou par écrit que j'étais dans l'UCK en 1996 ou

20 1997, il doit y avoir une erreur.

21 M. Milosevic (interprétation): Bon. Je vous ai demandé depuis quand vous

22 étiez membre de l'UCK; vous avez répondu depuis 1998. Ceci me suffit.

23 Vous étiez commandant d'unité, instructeur en matière de maniement d'armes

24 pour un district qui comportait 13 villages. Est-ce bien cela?

25 Réponse: J'ai servi dans mon propre village, le village d'Ismiq. Je ne

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1 sais pas d'où vous tenez ces 13 villages, mais il est exact de dire

2 qu'Ismiq est une communauté locale se composant de 13 villages et tous les

3 jeunes hommes de ces villages ont suivi cette instruction que j'ai

4 mentionnée, qui a été faite dans mon village.

5 Les autres éléments d'informations sont repris dans ma déclaration

6 préalable.

7 Question: Et vous étiez le commandant de quelle unité?

8 Réponse: J'étais commandant de compagnie de mon village. Il y avait trois

9 compagnies -les compagnies 1, 2 et 3- qui étaient organisées dans mon

10 village. Moi, j'étais le commandant de la 1re Compagnie. Auparavant, comme

11 je le dis dans ma déclaration préalable, j'ai contribué à l'instruction de

12 ces jeunes hommes. Je les ai formés au maniement des armes; vous savez ce

13 que l'on fait dans le cadre d'une instruction: entraînement physique,

14 exercices techniques. Il y a d'autres éléments techniques relatifs aux

15 armes notamment.

16 Question: Dites-moi, cette unité dont vous étiez le commandant, elle

17 comptait combien d'hommes? Vous la qualifiez de compagnie: quels étaient

18 les effectifs de cette compagnie?

19 Réponse: Eh bien, pendant l'instruction, il y avait plus de 145 hommes qui

20 étaient formés.

21 Question: Bien. De quelles armes disposait cette unité?

22 Réponse: De toutes les armes conventionnelles que l'on utilise dans une

23 compagnie, ils en disposaient.

24 Question: Et qu'est-ce qu'on retrouve dans ces armes conventionnelles

25 utilisées dans une compagnie? Expliquez-vous.

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1 Réponse: Volontiers. Nous avions des armes antichars, des mortiers

2 manuels. On avait des mitraillettes calibre 12.7 et 8mm, et des armes

3 ordinaires d'infanterie.

4 Question: Et est-ce que vous pensez que chaque soldat devait avoir un

5 fusil automatique, dans le cadre de ces armes ordinaires dans d'infanterie

6 qu'une compagnie doit avoir?

7 Réponse: Eh bien, tout d'abord, au départ nous n'avons pas eu ce type

8 d'arme, mais plus tard, la situation s'est améliorée.

9 Question: A partir du mois d'avril -c'est ce qui est dit dans votre

10 déclaration, "avril 98", vous avez occupé ce poste. Vous avez participé à

11 combien d'attaques dirigées contre l'armée, contre la police, contre les

12 citoyens? Je parle de vous et de votre unité, je parle de l'automne et de

13 l'été 1998. Quelles ont été ces attaques?

14 Réponse: Je ne parlerai pas d'attaque, je parlerai d'action de défensive

15 parce que nous ne sommes pas allés jusqu'à Crmjan ou Pozharevc en Serbie.

16 On s'est contentés de défendre notre propre territoire, nos propres

17 foyers, nos propres positions.

18 M. Milosevic (interprétation): Dites-moi, à quels conflits -si vous voulez

19 que l'on les appelle comme cela- avez-vous participé avec votre unité

20 contre la police et contre l'armée?

21 M. Cekaj (interprétation): Eh bien, si vous voulez avoir ces

22 renseignements, il faut les demander aux salles d'opération de vos unités.

23 Nous, nous nous sommes défendus.

24 M. le Président (interprétation): A combien d'opérations ou d'actions de

25 défense avez-vous participé, Monsieur le Témoin?

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1 M. Cekaj (interprétation): Cela dépend. En effet, on avait une espèce de

2 programme et, en fonction du programme qui m'était donné, quand j'étais de

3 service ou lorsqu'il y avait un danger sérieux, on me rappelait. Même si

4 j'étais en permission, je participais à ces actions parce que c'étaient

5 des permissions que je méritais. Mais je ne pourrais pas vous donner le

6 décompte précis des opérations auxquelles j'ai participé.

7 M. Milosevic (interprétation): Est-ce que vous avez participé à beaucoup

8 de batailles, de combats?

9 M. Cekaj (interprétation): Oui.

10 Question: Combien de Serbes avez-vous tués, vous, personnellement?

11 Réponse: Je n'ai pas tué de Serbes. Je me suis contenté de participer aux

12 combats et, dans une guerre, on ne sait jamais. Si vous me demandez

13 combien d'hommes j'ai tués, pour moi, j'entends par là des "exécutions",

14 mais je n'ai exécuté personne.

15 Question: Combien d'Albanais, combien de Serbes, combien d'autres hommes

16 avez-vous tués?

17 Réponse: Je suis venu ici pour dire la vérité sous serment. Et je répète

18 la vérité: la vérité, c'est que l'UCK -et je le dis en toute âme et

19 conscience-, je peux dire que l'UCK a été une des armées les plus propres,

20 elle n'a jamais tué de civils, qu'ils soient albanais ou serbes. Il y a

21 des preuves pour le prouver.

22 Dès le début du mois de juillet, j'étais en route vers certains villages.

23 J'ai vu des cochons dans une cour. J'ai demandé à mon chauffeur comment il

24 se faisait qu'un village musulman ait des cochons. Il m'a répondu: "C'est

25 la maison des Trasko". Je ne connais pas le nom de famille de cet homme

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1 mais je sais qu'il était le commandant du poste de police de Decani. Sa

2 maison était parfaitement intacte, aucune structure n'avait été

3 endommagée. Sa porte était ouverte comme elle l'aurait été dans des

4 circonstances normales.

5 M. Milosevic (interprétation): Essayez de répondre à ma question. Je vous

6 demandais ceci: combien de personnes avez-vous tuées au cours de l'été et

7 de l'automne 1998? Combien d'hommes avez-vous tués avec votre unité?

8 M. le Président (interprétation): Le témoin dit qu'il n'avait pas tué de

9 civils.

10 M. Milosevic (interprétation): Combien de soldats, de policiers avez-vous

11 tués?

12 Réponse: Je ne sais pas, difficile de le dire.

13 Question: Mais c'est cela le problème. Est-ce la raison pour laquelle vous

14 avez été arrêté par la police et transféré à la prison préventive de

15 Dubrava?

16 Réponse: J'ai d'abord été arrêté et j'ai été détenu pendant quatre mois à

17 Peja. J'ai passé à peu près 84 jours dans le mitard. Les conditions

18 étaient vraiment épouvantables, c'était dans la cellule n°13. Et puis,

19 j'ai passé un mois dans la cellule n°3 à Peja et, le 11 février, j'ai été

20 transféré à la prison de Dubrava.

21 Question: Au cours de l'enquête, de l'instruction, et puis au cours du

22 procès qui s'est déroulé plus tard à Leskovac, vous n'avez pas admis les

23 choses que vous admettez ici, devant nous, aujourd'hui. Vous venez de nous

24 le dire vous-même, vous étiez le commandant de cette unité, et vous avez

25 participé à ces attaques et activités terroristes dirigées contre la

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1 police, contre l'armée, contre les autorités locales. Vous avez été

2 condamné pour les actes pour lesquels il était possible d'apporter des

3 preuves. C'est bien cela, n'est-ce pas?

4 Réponse: Vous parlez de l'instruction mais vous savez pertinemment parce

5 que vous-même, vous êtes un avocat, vous savez à quoi consiste la période

6 d'instruction. Quant à Milomir Lazovic, le juge d'instruction, je me suis

7 défendu en gardant le silence. Quant au verdict qui a été donné à

8 Leskovac, les gardes -vous pouvez trouver leurs noms- et l'avocat, je ne

9 sais pas comment on peut qualifier cette procédure de procès, dès lors que

10 j'avais à gauche et à droite des gardes qui ne cessaient de me menacer et

11 avaient dit qu'ils allaient m'égorger et m'arracher les yeux si je ne

12 passais pas aux aveux. On ne peut pas… Sans même parler du Procureur...

13 M. Milosevic (interprétation): Vous-même, vous avez dit que vous aviez

14 participé à des actions armées contre l'armée, la police, que vous aviez

15 été condamné à une peine d'un an et demi. Vous ne savez même pas combien

16 d'hommes vous avez tué, et vous dites que vous avez été victime d'une

17 injustice, c'est bien cela?

18 M. Cekaj (interprétation): Je vais prendre une analogie très simple, entre

19 vous et moi, quant à la façon dont nous avons été traités tous les deux…

20 M. le Président (interprétation): Arrêtez, Monsieur Milosevic! Le témoin a

21 déjà abordé cette question, inutile de poursuivre et de polémiquer avec

22 lui. Nous savons ce qu'il s'est passé, nous avons le récit qu'il nous a

23 fait de son procès. Poursuivez.

24 M. Milosevic (interprétation): Etes-vous au courant des actes

25 répréhensibles qui ont mené à votre condamnation d'un an et demi? Est-ce

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1 que vous savez qu'à propos de ces actes, vous pouvez subir une peine

2 allant jusqu'à 15 ans de prison?

3 M. Cekaj (interprétation): Ce n'est pas vrai, je suis désolé. Mais vous

4 qui êtes un homme de loi, vous devriez le savoir: l'Article 115,

5 notamment, ainsi que l'Article 125, prévoient jusqu'à 15 ans de prison. Et

6 l'Article 125 et 133 prévoient jusqu'à 20 ans de prison. Mais là, si vous

7 exagérez, vous savez ce que cela veut dire.

8 M. Milosevic (interprétation): A votre avis, avez-vous reçu une peine

9 légère pour les actes que vous avez commis.

10 M. le Président (interprétation): Mais bien sûr qu'il va penser que c'est

11 une injustice. C'est tout à fait sans intérêt, ici. Ce qui compte, c'est

12 ce qui s'est passé; les sentiments qu'il a à ce propos, malheureusement,

13 n'ont aucun intérêt ici, dans ce procès, ni non plus dans ce contre-

14 interrogatoire.

15 M. Milosevic (interprétation): Mais de quels sentiments parlez-vous,

16 Monsieur May? De quels sentiments est-il question? Depuis la fin des

17 vacances, vous citez à la barre des terroristes, des criminels. C'est une

18 honte pour la justice occidentale!

19 M. le Président (interprétation): Ne posez plus de question à ce propos.

20 Avez-vous d'autres questions?

21 Arrêtez, Monsieur le Témoin.

22 Poursuivons.

23 Contre-interrogatoire du témoin, s'il vous plaît!

24 M. Milosevic (interprétation): Vous avez déclaré avoir été battu et que,

25 quatre jours plus tard, vous vous êtes retrouvé devant un juge. Si vous

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1 aviez vraiment subi des sévices, il devait en rester des traces visibles,

2 ne croyez-vous pas?

3 Par conséquent, pourquoi avoir monté ceci de toutes pièces; quatre jours

4 plus tard, vos lésions devaient être visibles dans le prétoire?

5 M. Cekaj (interprétation): Mais vous devriez contacter le directeur de la

6 prison de Peja qui lui a constaté mon état de santé. Et quant au fait de

7 savoir s'il devait y avoir des traces visibles de mon état devant le juge

8 d'instruction, il y avait une telle confusion qu'on ne savait plus qui

9 était le juge, qui étaient les gardes, qui étaient les gardes du corps!

10 C'était le chaos le plus complet. La procédure était tout à fait

11 chaotique.

12 Quant à savoir si j'ai fait l'objet d'une peine légère, je peux vous dire

13 que ma peine était plutôt lourde. Et j'ai dû payer beaucoup d'argent en

14 devise forte.

15 Question: Vous avez dû verser une somme d'argent. On dit ici que vous avez

16 demandé la présence de votre avocat, un Albanais, du nom de Adem Gorani et

17 vous expliquez que c'est la raison du report de l'audience et que, le

18 lendemain, il était présent. Dans votre dossier, vous ne semblez élever

19 aucune objection, pas plus que votre avocat, quant aux coups que vous y

20 auriez reçus. Vous savez que ça aussi c'est un acte répréhensible. Alors,

21 comment expliquez-vous le fait qu'aujourd'hui, vous affirmez avoir été la

22 victime de coups alors que vous aviez un avocat qui sans doute n'aurait

23 pas hésité à évoquer cet argument si vous, vous ne l'aviez pas fait?

24 Réponse: Il y a eu beaucoup d'appels à l'époque. Et outre cela, mis à part

25 les autorités que vous qualifiez de "légales" -et vous étiez à la tête de

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1 celles-ci- il y avait d'autres filières qui extorquaient de l'argent et se

2 livraient à de sales activités.

3 Le chef du Tribunal de Peja se livrait à de telles activités, ainsi que

4 son homme de paille que ce soit à Leskovac, à Kraljevo à Nis, vous le

5 savez parfaitement bien. Vous savez comment les choses se passaient à

6 l'époque. Cela s'est passé à Pozharevc aussi.

7 Question: Je sais parfaitement qu'un prisonnier ne peut pas être battu en

8 prison. Je le sais parfaitement. Votre avocat, celui que vous avez amené

9 au Tribunal, vous-même, il a dû sans doute présenté des écritures, des

10 arguments écrits devant ce Tribunal. Mais je reviens à vos dires et je

11 cite le verdict que vous mentionnez.

12 Réponse: Non, non, il était possible d'être battu en prison et même plus

13 que ça, d'y être tué, puisque plus de 150 prisonniers ont été battus,

14 frappés! Il n'y a pas eu que ces passages à tabac, il y a eu des meurtres.

15 M. Milosevic (interprétation): Ça, c'est ce que vous dites. Ce n'est pas

16 ce que moi, je dis. Moi, je dis la vérité, la vérité telle qu'elle est!

17 M. le Président (interprétation): Une question à la fois, s'il vous plaît.

18 Sérions les problèmes.

19 M. Milosevic (interprétation): Vous parlez d'une grosse somme d'argent.

20 Vous avez été condamné -j'ai sous les yeux votre condamnation-, vous avez

21 été condamné à 18 mois de prison et ceci incluait le temps de préventive.

22 Et pour ce qui est des dépenses encourues par la Chambre, vous devriez

23 payer 1.000 dinars ou l'équivalent de 30 marks allemands; je veux que ceci

24 soit compris par le public. Et il y avait aussi une somme de 5.000 dinars,

25 somme forfaitaire, ce qui représente environ 120 marks. Tout ceci devait

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1 être payé dans un délai de deux semaines. Vous parlez de ces sommes

2 astronomiques que vous avez dû payer dans le cadre de cette condamnation.

3 Il y a aussi le jugement de la Cour suprême qui a débouté l'appel

4 interjeté par le procureur qui visait à une augmentation de l'appel et qui

5 a débouté aussi l'appel de votre défense et qui voulait une diminution de

6 la peine. Est-ce que ce n'est vrai?

7 M. Cekaj (interprétation): Non, ce n'est pas vrai.

8 M. le Président (interprétation): Vous voulez dire quelque chose, Monsieur

9 Cekaj? Allez-y.

10 M. Cekaj (interprétation): Est-ce que je peux parler avec lui?

11 M. le Président (interprétation): Non, non. Vous déposez ici, ne l'oubliez

12 pas, vous ne polémiquez pas avec l'accusé. Il vous a laissé entendre qu'il

13 y avait des amendes, des astreintes. Il vous a donné des chiffres, il a

14 précisé la nature de la condamnation.

15 Avez-vous quelque chose à dire à ce propos?

16 M. Cekaj (interprétation): Mais bien sûr. J'ai parlé de dollars, de marks,

17 moi, je n'ai pas parlé de dinars. Je ne sais pas comment cela a été

18 traduit, c'est sans doute à cause de vos interprètes. Mais moi, j'ai dû

19 d'abord payer 10.000 dollars et puis 15.000 marks plus tard, en Serbie.

20 M. le Président (interprétation): A qui avez-vous dû payer ces sommes?

21 M. Cekaj (interprétation): Aux acolytes et aux hommes de paille de ce

22 Tribunal.

23 M. Milosevic (interprétation): Il est manifeste que le témoin ne dit pas

24 la vérité. Dans ces conditions, je souhaiterais verser au dossier, ce

25 jugement. Je souhaiterais demander son versement au dossier, parce qu'ici

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1 on lit très précisément la peine à laquelle il a été condamné ainsi qu'à

2 l'amende qui a été prononcée à son encontre.

3 M. le Président (interprétation): Monsieur Milosevic, il est possible

4 effectivement de verser au dossier ce jugement, sous réserve, bien entendu

5 en temps utile, d'objections présentées par le Bureau du Procureur, s'il

6 en a.

7 Je vous engage à poursuivre puisqu'il vous reste un quart d'heure. Si vous

8 contestez ce que dit le témoin au sujet des exécutions de Dubrava, il

9 convient de le faire maintenant, si vous souhaitez parler de ce qu'il

10 s'est passé à cet endroit, et du bombardement qui a eu lieu. Il vous reste

11 un quart d'heure pour le faire.

12 M. Milosevic (interprétation): J'espère que j'aurais un peu plus de temps

13 que cela, Monsieur May, parce que la partie adverse ne l'a pas interrogé

14 pendant les cinq minutes prévues, mais a pris beaucoup plus de temps.

15 J'espère que moi non plus, on ne va pas limiter le temps qui est le mien.

16 M. le Président (interprétation): Non, vous disposerez du temps qui vous

17 est habituellement imparti. Ce qui vous mènera jusqu'à 11 heures 45.

18 M. Milosevic (interprétation): Bon!

19 Mme Atanasio (interprétation): J'ai besoin d'une précision parce que j'ai

20 là deux documents qui sont tous les deux en BCS. Est-ce qu'il faut donner

21 des cotes différentes.

22 M. le Président (interprétation): Eh bien, donnez donc la même cote.

23 Mme Anoya (interprétation): Il s'agira des pièces D33A et B.

24 M. Milosevic (interprétation): Vous dites que des canons antiaériens ont

25 tiré sur les avions de l'OTAN. Ici, je reprends votre déclaration et vous

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1 dites que ces canons se trouvaient à un ou deux kilomètres de la prison.

2 Vous dites que -je cite- "une ou deux fois, j'ai vu la fumée qui résultait

3 des tirs des avions".

4 Donc, si ces avions se trouvaient à deux kilomètres de la prison, quel

5 était le rapport avec la prison?

6 M. Cekaj (interprétation): Je ne sais pas.

7 Bon, un ou deux kilomètres, ce n'est pas très clair. Mais en tout cas,

8 j'ai dit dans ma déclaration que l'on avait employé de l'artillerie

9 antiaérienne, et ceci à partir des positions occupées par vos forces en

10 dehors de la prison, et que cela s'est fait de manière constante dès le

11 premier jour des bombardements de l'OTAN jusqu'aux fameuses journées des

12 19, 20, 21, et 23.

13 Je n'ai pas parlé de cette distance de deux kilomètres mais j'ai dit, en

14 parlant de la première photographie, que mes fenêtres donnaient sur le

15 mur, à gauche dans le bâtiment C2.

16 Question: Essayez de répondre brièvement à mes questions. Je suis en train

17 de reprendre exactement ce que vous avez dit dans votre déclaration, je ne

18 suis pas en train de me lancer dans des supputations.

19 Je vous demande ce qu'avait à faire une unité antiaérienne si elle se

20 trouvait à deux kilomètres de la prison. Quel était le rapport entre cette

21 unité et la prison si elles étaient séparées par cette distance?

22 Réponse: C'était essentiel parce qu'ils ne disposaient pas de suffisamment

23 d'espace; il fallait bien qu'ils trouvent de quoi mettre en place leurs

24 opérations. Ils ne pouvaient pas rester tout à côté de la prison. Ils

25 avaient besoin d'espace.

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1 Question: Vous étiez dans le bâtiment C2?

2 Réponse: Oui.

3 Question: Ici, on peut lire que les bombes ont touché le rez-de-chaussée.

4 Vous, vous étiez au premier étage du bâtiment C2?

5 Réponse: Oui, au milieu du bâtiment C2.

6 Question: Il y a une bombe qui a traversé tout le bâtiment et qui est

7 arrivée jusqu'au rez-de-chaussée et vous nous dites que trois hommes ont

8 trouvé la mort à cette occasion. Est-ce exact?

9 Réponse: Oui, c'est tout à fait cela, parce que cette bombe est tombée au

10 milieu du bâtiment, à côté de la salle des gardes. C'était une salle de

11 repos où il y avait une télévision et ils s'y trouvaient environ 20

12 prisonniers dont beaucoup ont été blessés et tués. La bombe est tombée à

13 gauche aussi dans le couloir. Heureusement, finalement! Une autre bombe.

14 Et ces bombes ont complètement détruit le plafond. Il s'agissait d'un

15 bâtiment en béton.

16 Question: Je comprends bien, mais essayons d'être aussi rapides que

17 possible.

18 Ensuite, on vous a permis d'aller jusqu'au bâtiment de l'école, de rester

19 dans les couloirs. On vous a permis de vous déplacer librement à

20 l'intérieur de l'enceinte de la prison. On n'a pas exigé que vous soyez

21 enfermés dans vos cellules?

22 M. Cekaj (interprétation): Un détail?

23 M. le Président (interprétation): Allez-y.

24 M. Cekaj (interprétation): Oui, un détail essentiel que vous passez sous

25 silence à dessein, sans nul doute.

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1 Nous avons cassé, ouvert par certaines des portes par la force. Cela nous

2 a pris une vingtaine de minutes ou plutôt une quarantaine de minutes,

3 voire une heure. Nous sommes allés dans la cour et nous avons vu Miloljub

4 Vidic avec son équipe et on nous a donné l'ordre de nous asseoir à

5 l'extérieur, en face du bâtiment C1.

6 Question: A chaque question que je vous pose, vous me donnez des réponses

7 interminables. Donc je ne peux vous poser que très peu de questions.

8 Ici, vous nous dites -je reprends votre déclaration- que, vers le 21 mai,

9 tous les bâtiments ont été touchés. Il y avait une roquette ou une bombe

10 qui visait le théâtre et qui a manqué sa cible. Et puis, il y a un endroit

11 où 18 ou 19 prisonniers ont trouvé la mort. Vous nous expliquez où cela se

12 trouve.

13 Sur ces 18 ou 19 prisonniers qui ont été tués à sept mètres de vous, voilà

14 ce que vous nous dites. Mais vous dites également que les bombes ont

15 touché également tous les bâtiments de la prison. Cependant vous n'avez

16 pas pu voir de vos yeux combien de personnes avaient été tuées dans les

17 bâtiments qui se trouvent à l'intérieur de l'enceinte de la prison. C'est

18 vrai ou ce n'est pas vrai?

19 Réponse: Ecoutez…

20 M. Milosevic (interprétation): Mais ce que je dis, c'est vrai ou ce n'est

21 pas vrai?

22 M. Cekaj (interprétation): Il faut que j'explique.

23 M. le Président (interprétation): Un instant… Laissez le témoin répondre.

24 M. Milosevic (interprétation): Ce n'est pas ce que vous avez écrit là?

25 M. Cekaj (interprétation): Mais, Monsieur le Président, il est en train de

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1 passer sous silence exprès un élément très important.

2 C'est à dire qu'au moment où Dragan Milunovic est venu quand on a quitté

3 le bâtiment C2, il est venu et il nous a menacés. Il nous a dit: "Vous

4 demandez une République et vous allez être tués".

5 M. le Président (interprétation): Laissez le témoin finir.

6 M. Milosevic (interprétation): Tout ceci n'a absolument rien à voir avec

7 la question que j'ai posée au témoin.

8 M. Cekaj (interprétation): Cela peut paraître incroyable, mais cette

9 roquette était à 7 ou 8 mètres; c'était la distance qui me séparait du

10 cratère. Il y en a un qui a…Naim Kurmehaj a eu la tête arrachée. Il y a

11 également Ismet Berbati qui a été tué et le Dr Bahri Kryeziu de Gjakova

12 également est concerné par cet incident. Et le fameux Naim était tout à

13 côté de moi. Cela, c'est là vérité.

14 Question: Vous nous dites que tous les bâtiments ont été touchés par les

15 bombes. Vous parlez de ce qu'il s'est passé à coté de l'endroit où vous

16 vous teniez. Vous dites que 19 personnes sont mortes. Mais de l'endroit où

17 vous vous trouviez, vous ne pouviez pas dire combien de personnes avaient

18 été tuées dans le bâtiment. Vous savez que l'assistant du directeur de la

19 prison a été tué, vous savez que des employés de la prison, des gardiens

20 ont été blessés, mais vous ne pouvez pas savoir combien d'autres

21 prisonniers ont été tués ou blessés. Vous ne pouvez pas le savoir.

22 Réponse: On a pu le savoir parce qu'on nous a demandé combien de

23 prisonniers ont été tués. Miki nous a posé cette question et des

24 prisonniers sont sortis pour récupérer les corps. Nous avons récupéré ces

25 corps, nous les avons couverts de couvertures. Nous les avons comptés.

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1 Autre chose absolument essentielle: c'est que nous avons essayé de

2 répertorier chacun de ces corps. Tout cela, ce sont vos acolytes qui l'ont

3 accompli. Je ne parle pas de soldats, je parle de complices, d'acolytes.

4 Et nous avons essayé de tenir le compte des personnes ainsi tuées.

5 Président, il y a beaucoup de gens qui sont morts dans ces conditions dont

6 on ignore où ils reposent encore.

7 M. le Président (interprétation): Monsieur Milosevic, je vous donne un

8 quart d'heure de plus.

9 M. Milosevic (interprétation): Oui mais, Monsieur May, on permet au témoin

10 de raconter n'importe quoi. S'il vous plaît, essayez de l'empêcher de dire

11 tout ce qui lui passe par la tête.

12 M. le Président (interprétation): Non, Monsieur Milosevic, continuez!

13 M. Milosevic (interprétation): Bon, dans votre déclaration, on peut dire

14 la chose suivante: le bombardement des bâtiments a duré pendant deux ou

15 trois heures; les avions se relayaient pour tirer des roquettes, pour

16 bombarder la prison. Quand ils terminaient, ils s'en allaient, ils étaient

17 remplacés par d'autres appareils.

18 Nous sommes restés dans le bâtiment n°C2 jusqu'à la nuit et ensuite, nous

19 sommes allés jusqu'au terrain de sports où il y avait d'autres prisonniers

20 qui s'étaient rassemblés. Certains prisonniers avaient été touchés par des

21 éclats de bombe qui étaient passés par-dessus le mur, etc., etc.

22 Question: Comment dire, comment cerner l'essentiel de votre déposition?

23 Essayez de répondre à ma question: combien de policiers, d'après vous, ont

24 participé à ces tirs alors que vous vous trouviez à cet endroit, dans cet

25 endroit qui était à ciel ouvert, dans l'enceinte de la prison et où on

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1 vous a donné l'ordre de vous aligner? Donnez-moi simplement le nombre

2 d'hommes concernés sans me donner des explications supplémentaires.

3 Réponse: Je dirai une vingtaine de personnes, sachant que, le 23 mai,

4 lorsqu'ils nous ont rassemblés, la même personne que l'on a reconnue à sa

5 voix, sauf qu'elle portait un passe-montagne, était là. Et moi, j'ai eu

6 l'honneur, si on peut dire, l'honneur un petit peu douteux de me retrouver

7 à simplement quelques mètres de lui. Je dois dire que le 23, ils étaient

8 une vingtaine, ils étaient une trentaine. Mais pour ce qui de la journée

9 dont vous parlez, je ne peux pas vous donner de chiffre exact parce qu'ils

10 étaient pour certains dans les miradors et je n'ai pas eu la possibilité

11 d'en faire le décompte exact. Mais le 23, je dirais qu'ils étaient une

12 vingtaine, une trentaine habillés d'uniformes divers et variés.

13 Question: Bon. Moi, je vous demande quelle est votre réponse à ce sujet,

14 vous me dites 20 ou 30. Ici cependant, vous écrivez qu'on a tiré sur vous

15 avec des bazookas, avec des armes automatiques. On a tiré sur vous depuis

16 l'extérieur et des projectiles qui émanaient d'obus de mortier vous ont

17 touchés ainsi que des grenades. Vous dites avoir reconnu le son produit

18 par ces armes. Vous dites qu'on vous a tiré dessus au moyen d'armes

19 automatiques, des obus de mortier, dont des éléments vous ont touchés par-

20 dessus le mur, etc. Et vous dites qu'auparavant, on vous a alignés et

21 qu'on a voulu vous tuer. Est-ce exact?

22 Réponse: Vous mélangez tout exprès. Parce qu'ils n'ont pas tiré avec des

23 bazookas depuis l'extérieur. On ne voit pas le mot de "bazooka" dans la

24 déclaration. C'est simplement pour expliquer. On parle de "Zolja"; ça

25 ressemble à des bazookas. C'est pour expliquer de quoi il s'agit. Donc ils

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1 étaient derrière le mur, ils ont jeté les grenades par-dessus le mur pour

2 nous atteindre. Ils ont également tiré à travers, par le trou qui était

3 dans le mur avec des armes automatiques et divers autres types d'armes.

4 Et…

5 Question: Bon, bon. Essayons de faire la lumière sur cette histoire que

6 vous êtes en train de nous raconter.

7 Réponse: Non.

8 M. Milosevic (interprétation): Vous êtes en train de nous raconter un

9 conte inventé de toutes pièces!

10 M. Cekaj (interprétation): C'est pas vrai.

11 M. le Président (interprétation): Ce genre d'échange n'a absolument aucun

12 intérêt et ne nous fait absolument pas avancer.

13 Monsieur le Témoin, vous êtes ici pour déposer et non pas pour ergoter

14 avec l'accusé. Vous êtes ici pour répondre aux questions de la Chambre.

15 Allez-y, Monsieur Milosevic.

16 M. Milosevic (interprétation): Vous nous parlez de l'événement suivant

17 qui, d'après vous, a eu lieu: on vous a alignés et ils ont procédé à une

18 exécution. C'est ce que vous dites. Ils vous ont alignés, ils vous ont

19 exécutés et, ensuite, vous avez pris la fuite dans diverses directions.

20 Mais vous n'êtes pas tous parvenus, vous n'êtes pas parvenus à vous enfuir

21 complètement puisque vous êtes restés dans l'enceinte de la prison et

22 ensuite ils vous ont récupérés. Et à ce moment-là, ils ne vous ont pas

23 exécutés. Non. Ils vous ont fait monter dans des bus, dans des camions et

24 ils ont emmené ce groupe de quelque 800 personnes dont vous faisiez partie

25 ailleurs, dans d'autres prisons?

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1 M. Cekaj (interprétation): Quand ils nous ont alignés, quand ils nous ont

2 exécutés, je suis désolé... C'est une exécution, il n'y a pas d'autre mot

3 pour décrire cela.

4 Maintenant, pour savoir comment, quand, pourquoi, etc., c'est vous qui

5 détenez la clef de ces questions. Vous le savez mieux que nous!

6 M. Milosevic (interprétation): D'accord, mais est-ce que vous pouvez

7 m'expliquer la chose suivante: pourquoi faire cela? Même si quelqu'un a eu

8 cette idée, cette idée de vous aligner, de vous exécuter, à quoi ça rime

9 ensuite de transférer 800 prisonniers qui restent dans d'autres prisons,

10 d'emmener les blessés à l'hôpital, de donner aux gens à manger, des

11 cigarettes, etc., après avoir essayé de les exécuter? Pourquoi? A quoi ça

12 rime tout ça?

13 M. le Président (interprétation): Ce n'est pas au témoin qu'il convient de

14 poser ces questions mais à ceux qui sont responsables de cela.

15 Vous pouvez poser la question de la manière suivante: Monsieur le Témoin,

16 est-ce que, pour vous, ce qui se passait obéissait à une logique

17 quelconque? Est-ce que vous avez compris ce qui se passait?

18 M. Cekaj (interprétation): Il n'y a aucune logique là-dedans. C'est

19 simplement des gens qui sont malades mentaux, guidés par une haine

20 nationaliste, c'est tout.

21 M. le Président (interprétation): Poursuivez.

22 M. Milosevic (interprétation): Mais on ne peut pas donner d'explication

23 parce que c'est complètement inexplicable! C'est tout, Monsieur May!

24 Monsieur Cekaj, il est clair nous avons d'ailleurs vu hier un film réalisé

25 par la BBC, où on voit les conséquences désastreuses du bombardement de la

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1 prison. Et d'ailleurs même, pendant que ce film a été réalisé, il y a eu

2 des bombardements.

3 A ce sujet, j'ai une question concrète: on a extrait quelques 94 corps des

4 débris, des déblais. Et ce que vous essayez de faire, c'est d'essayer

5 d'exonérer l'OTAN, de diminuer l'importance des bombardements de l'OTAN et

6 des conséquences de ces bombardements sur des civils?

7 Réponse: Je ne vois pas bien votre question. Cependant, même si cette

8 question est un petit peu vague et difficile à comprendre, je vais quand

9 même y répondre. Suite aux bombardements de l'OTAN, 23 personnes ont

10 trouvé la mort. Les autres sont mortes parce qu'il y a eu des exécutions

11 et suite à des assassinats impitoyables qui ont lieu dans cette situation

12 catastrophique. Voilà ma réponse. Si ça ne vous plaît pas, tant pis!

13 Question: Mais vous savez qu'on a extrait simplement 30 corps des gravats,

14 des gens qui ont été tués suite à un effet de souffle, et sans porter

15 aucune trace de blessure sur leur corps; leurs poumons ont tout simplement

16 explosés?

17 Réponse: Et où les a-t-on trouvés?

18 M. Milosevic (interprétation): Vous le savez, oui ou non? Répondez

19 simplement à ma question.

20 M. Cekaj (interprétation): Où est-ce qu'on a extrait ces 30 corps? Et

21 quelles étaient leurs blessures? Moi, je sais qu'il y avait simplement

22 deux personnes concernées par ce genre de blessures. J'en en ai vu une qui

23 avait été pendue. Et c'est là que l'on en vient à la question, à une

24 question tout à fait logique: on peut se demander est-ce que tout cela est

25 acceptable?

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1 M. le Président (interprétation): Cessez de vous lancer dans des

2 polémiques avec le témoin. Monsieur Milosevic, avez-vous d'autres

3 questions?

4 M. Milosevic (interprétation): Vous avez été en prison. Vous savez qu'une

5 équipe, accompagnée d'un juge d'instruction du Tribunal de Pec, a réalisé

6 une enquête sur les lieux. Cette enquête a été interrompue, mais qu'elle a

7 eu lieu sur plusieurs jours. Qu'on a récupéré tous les corps disponibles,

8 qu'on a réalisé des photographies, qu'on a établi les documents

9 nécessaires, et qu'on a pris note des conséquences des bombardements de

10 l'OTAN, des bombardements qui se sont poursuivis sans relâche pendant

11 toutes ces journées. Etes-vous au courant de cela?

12 M. Cekaj (interprétation): Bon. La question logique qui se pose, à ce

13 moment-là, c'est de savoir où sont les noms des corps identifiés.

14 M. le Président (interprétation): Soit vous savez, soit vous ne savez pas

15 ce que l'on vous demande. Si vous ne savez pas, répondez simplement de

16 cette manière.

17 M. Cekaj (interprétation): Mais je sais! Je sais. Un groupe d'experts est

18 venu, enfin c'est ce qu'on a pensé. C'étaient des experts militaires, dont

19 certains portaient des uniformes. Mais ils sont simplement venus se faire

20 une idée des dégâts provoqués par les bombardements de l'OTAN. Et ils se

21 sont intéressés uniquement aux dégâts matériels, personne ne s'est

22 intéressé aux victimes humaines. Ceci s'est passé en mai, le 19 mai,

23 disons trois ou quatre heures après les événements.

24 M. Milosevic (interprétation): Est-ce que vous savez que non seulement il

25 y avait une équipe qui avait été envoyé par le Tribunal de district de Pec

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1 qui a mené une enquête, mais qu'il y avait également là des journalistes,

2 aussi bien étrangers que de l'endroit, des journalistes qui ont pris des

3 photos des blessés, des morts; et qu'il existe un grand nombre de preuves

4 au sujet des événements qui ont eu lieu dans la prison?

5 Réponse: Il y a des éléments de preuve qui ont été manipulés. Il y avait

6 là des journalistes de Belgrade et une équipe de télévision. Il y avait

7 aussi un journaliste grec. Enfin, des gens qui étaient là, parce que vous

8 vouliez bien qu'ils y soient. Et ils ont présenté, manipulé les événements

9 pour que ça vous convienne.

10 Question: Savez-vous combien de prisonniers de la prison de Dubrava ont

11 été évacués, ceci afin de les préserver des bombardements ultérieurs? On

12 vous a évacués vers d'autres prisons. Savez-vous combien d'entre vous ont

13 ainsi été évacués vers d'autres lieux de détention?

14 Réponse: Je n'ai pas compté le nombre de prisonniers qui restaient. En

15 tout cas, on parle ici de sept ou huit bus, ainsi que de camions. Moi, je

16 le sais parce que j'étais dans le premier bus; j'étais au troisième ou au

17 quatrième rang dans le bus.

18 M. Milosevic (interprétation): Bon. Hier, un témoin nous a dit qu'il y

19 avait 8 bus et 4 camions. Veuillez, s'il vous plaît, nous dire la chose

20 suivante: est-ce que vous savez qu'il y a environ 700 ou 800 prisonniers

21 qui ont été évacués vers d'autres prisons?

22 M. Cekaj (interprétation): J'ai dit que j'étais dans un bus donc, j'étais

23 dans le premier bus, et j'étais au troisième ou au quatrième rang. Ils

24 nous ont pris nos vêtements, ils nous ont pris nos documents d'identité,

25 ils ont gardé pratiquement tout ce que nous avions sur nous. Seuls

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1 certains d'entre nous, par pure chance, ont réussi à conserver certains

2 biens personnels et précieux.

3 M. le Président (interprétation): Le témoin nous dit ignorer le nombre de

4 prisonniers ainsi évacués.

5 M. Milosevic (interprétation): Bon, bon, d'accord, Monsieur May.

6 Mais expliquez-nous comment il se fait que vous ayez encore eu à votre

7 disposition des papiers d'identité, alors que vous étiez en prison. Alors,

8 que tout le monde sait que lorsque quelqu'un va en prison on leur prend

9 tous leurs documents d'identité. Il y a un certain nombre de choses qu'on

10 n'a pas le droit de garder en prison: les lacets, les ceinturons, etc.

11 Alors vous, comment se fait-il qu'on vous ait permis de conserver ces

12 papiers d'identité?

13 M. Cekaj (interprétation): Eh bien, il s'agissait de documents relatifs à

14 notre détention, à notre emprisonnement. Mais c'était l'anarchie, le chaos

15 le plus total qui régnait à l'époque. Si bien qu'il était toujours

16 possible d'arriver à se procurer des lacets, à se procurer une ceinture.

17 Il y en avait qui avaient encore des chaussures de sport, des blousons de

18 cuir, etc.

19 M. Milosevic (interprétation): Veuillez, s'il vous plaît, m'expliquer la

20 chose suivante. Il y a quelques instants, vous nous dites qu'on vous a

21 contraints à laisser vos papiers d'identité. Et maintenant, vous dites que

22 vous ne conserviez que des documents concernant votre arrestation et votre

23 détention. Or, ici, on lit que vous avez dû remettre aux personnes

24 concernées vos papiers d'identité. Il n'était pas possible qu'en prison

25 vous ayez encore conservé vos papiers d'identité!

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1 M. Cekaj (interprétation): Je n'ai pas dit que nous disposions de nos

2 papiers d'identité. Vous pourrez demander, vous pourrez poser la question

3 au troisième étage du bâtiment du service de la sécurité publique.

4 M. le Président (interprétation): Monsieur Milosevic, il vous reste encore

5 une question.

6 M. Milosevic (interprétation): Bien, Monsieur May.

7 Est-ce que vous connaissez Xhemajli Sadik, un témoin qui était en prison

8 avec vous. Hier, il nous a dit que vous aviez tous convenu entre vous de

9 la nécessité de détruire vos papiers, afin que personne ne vous passe à

10 tabac à la prison de Nis. Voilà l'explication qu'il nous a donnée. Or

11 vous, vous dites une chose différente: vous dites qu'on vous a pris vos

12 papiers. Mais tout ceci, il y a ça, et puis, en plus, il y a le fait que,

13 de toute façon, normalement, vous n'auriez jamais dû avoir de papiers

14 d'identité. Alors, où est la vérité? Est-ce qu'il y a une parcelle de

15 vérité dans tout cela?

16 M. le Président (interprétation): Un instant.

17 Quelle est votre explication?

18 M. Cekaj (interprétation): Ce nom de Sadik Xhemajli ne me dit absolument

19 rien. Je ne connais pas cette personne. Je n'en ai jamais entendu parler

20 précédemment.

21 M. le Président (interprétation): Des questions de la part des amis de la

22 Chambre?

23 (Questions de l'amicus curiae, M. Kay, au témoin, M. Milaim Cekaj.)

24 M. Kay (interprétation): Je vais vous poser un certain nombre de questions

25 au sujet de votre séjour en prison, Monsieur le Témoin.

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1 Premièrement, est-il exact que vous aviez des draps blancs pendant votre

2 séjour en prison?

3 M. Cekaj (interprétation): Pendant ces 18 mois de ma peine, ces 18 mois de

4 souffrance, eh bien, pendant 16 de ces 18 mois, je n'ai pas eu de drap

5 blanc. Je n'ai même pas eu d'oreiller. Je n'avais même pas d'oreiller. Ces

6 informations pourront vous être confirmées par le Comité de la Croix-

7 Rouge. Quelqu'un est venu nous voir, à un moment donné, et a essayé

8 d'améliorer un peu la situation, donc en nous fournissant un certain

9 nombre de choses dont nous ne disposions pas précédemment. Mais j'ai été

10 libéré peu après, en avril 2000.

11 Question: Je me réfère à la page 7 de la version en anglais, au milieu de

12 la page, quatrième paragraphe.

13 Est-il exact, Monsieur le Témoin, que vous vous êtes servi de draps blancs

14 afin de composer le mot de "SOS", afin que l'on puisse ainsi vous voir

15 depuis les airs?

16 Réponse: Dans le bâtiment C2, il n'y avait pas de drap, il n'y avait pas

17 d'oreiller. Ces draps, dont vous nous parlez, nous les avons pris dans le

18 bâtiment de l'hôpital, dans le dispensaire de la prison, et nous nous en

19 sommes servis pour former ces mots.

20 Autre chose importante: il y avait quatre ou cinq, ou six camions qui

21 étaient remplis de matelas neufs qui avaient été volés à Divolli (phon.).

22 C'est une société de Peja qui portait le nom de cette entreprise. On les

23 avait volés.

24 Question: Et est-ce que vous avez utilisé ces draps blancs afin d'écrire

25 ce mot de "SOS" pour empêcher les pilotes des avions de l'OTAN de

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1 continuer leurs bombardements de la prison?

2 Réponse: Avant, on avait écrit le mot "Help", "Au secours", entre les

3 bâtiments C1 et C2 parce que les gardes qui se trouvaient sur les miradors

4 n'étaient pas en mesure de voir ces terrains qui séparaient les bâtiments

5 C1 et C2. Nous étions parfaitement conscients du risque que nous courions,

6 parce que si les gardes s'étaient rendu compte de ce que nous faisions,

7 nous ne serions plus de ce monde. Donc nous avons fait en sorte

8 d'installer ces inscriptions là où les gardes ne pouvaient pas nous voir.

9 Quand ils ont trouvé cela, ils l'ont tout simplement détruit, mais ils ne

10 savaient pas qui avait écrit ce mot.

11 Question: Mais est-ce que vous avez envoyé des signaux "Au secours", "SOS"

12 parce que vous espériez que les pilotes de l'OTAN allaient voir ces

13 signaux et arrêter leurs bombardements?

14 Réponse: Oui, c'était le 21 mai. C'était le jour critique du bombardement.

15 Le 22, il y a eu l'alignement et l'exécution.

16 M. Kay (interprétation): Je n'ai plus de question.

17 M. Ryneveld (interprétation): Messieurs les Juges, j'allais poser des

18 questions à propos de certains noms d'individus dont le témoin se

19 souvient, mais je crois que tout se trouve dans la déclaration. Je vais

20 donc m'en tenir là.

21 M. le Président (interprétation): Monsieur Cekaj, nous sommes arrivés à la

22 fin de votre témoignage.

23 Merci d'être venu au Tribunal international pour faire ce témoignage. Vous

24 pouvez disposer.

25 M. Cekaj (interprétation): Merci beaucoup, c'était un plaisir pour moi de

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1 faire une contribution.

2 (Le témoin, M. Milaim Cekaj, est reconduit hors du prétoire.)

3 M. le Président (interprétation): Monsieur Saxon?

4 M. Saxon (interprétation): Nous citons à la barre M. Ismet Haxhiavdija.

5 En attendant, Monsieur le Président, je voulais traiter quelques questions

6 rapidement. J'ai préparé un résumé rapide de la déclaration préalable du

7 témoin que j'aimerais donner à la Chambre, à l'accusé et l'amicus curiae.

8 Il s'agit d'une personne âgée qui souffre de diabète, c'est pourquoi il a

9 des problèmes de vue, surtout pour lire des documents. Il se pourrait

10 qu'il ne puisse pas lire la déclaration solennelle. Il se pourrait que

11 nous soyons obligés de demander à l'huissier ou quelqu'un d'autre de la

12 lire pour lui.

13 Il y a autre chose: le nom de M. Haxhiavdija n'est pas facile à épeler. Je

14 l'ai noté sur papier. Je vais demander à ce que cela soit mis sur le

15 rétroprojecteur pour faciliter l'écriture de son nom.

16 Messieurs les Juges, ce témoignage porte sur la page 10 de l'atlas du

17 Kosovo et sur la ville de Gjakovë.

18 M. le Président (interprétation): Monsieur Saxon, vous pouvez lire la

19 déclaration au témoin et cela sera traduit. C'est ce que nous avons fait

20 par le passé.

21 M. Saxon (interprétation): Oui, c'est ce que je vais faire.

22 (Le témoin, M. Ismet Haxhiavdija, est introduit dans le prétoire.)

23 M. le Président (interprétation): Monsieur, voulez-vous bien vous lever,

24 s'il vous plaît.

25 La déclaration solennelle vous sera lue et je vous demande de bien vouloir

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1 la répéter.

2 M. Saxon (interprétation): Bonjour, Monsieur Haxhiavdija. Voulez-vous bien

3 répéter après moi?

4 "Je déclare solennellement que je dirai la vérité, toute la vérité et rien

5 que la vérité."

6 M. Haxhiavdija (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la

7 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

8 M. le Président (interprétation): Merci. Voulez-vous bien vous asseoir.

9 (Interrogatoire principal du témoin, M. Ismet Haxhiavdija, par M. Saxon.)

10 M. Saxon (interprétation): Est-ce que vous vous appelez M. Ismet

11 Haxhiavdija?

12 M. Haxhiavdija (interprétation): Oui.

13 Question: Monsieur, êtes-vous né le 10 décembre 1933?

14 Réponse: Oui.

15 Question: Etes-vous né dans la ville de Gjakovë au Kosovo?

16 Réponse: Oui.

17 Question: Monsieur, le 9 mai 2001, avez-vous fait une déclaration écrite

18 au représentant du Bureau du Procureur concernant les événements que vous

19 avez vus et vécus au Kosovo en 1999?

20 Réponse: Oui, c'est exact.

21 Question: Au mois de janvier de cette année 2002, dans le pays où vous

22 habitez actuellement, avez-vous eu la possibilité de revoir un exemplaire

23 de cette déclaration que vous aviez faite en 2001 en la présence d'un

24 représentant du Bureau du Procureur et d'un témoin?

25 Réponse: Oui.

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1 Question: A l'époque, est-ce que vous avez confirmé que l'exemplaire que

2 vous avez vu était une représentation authentique de la déclaration que

3 vous avez faite au mois de mai 2001?

4 M. Haxhiavdija (interprétation): Oui.

5 M. Saxon (interprétation): Messieurs les Juges, je souhaite que ces

6 documents soient versés au dossier, conformément à l'Article 92bis, et je

7 me suis permis également de faire faire un exemplaire de cette déclaration

8 en gros caractères, à l'attention du témoin. J'aimerais que cela soit

9 placé devant lui, en cas de besoin.

10 Mme Anoya (interprétation) Il s'agit de la pièce à conviction de

11 l'accusation 298.

12 M. Saxon (interprétation): Messieurs les Juges, M. Ismet Haxhiavdija est

13 un Albanais du Kosovo, musulman. Il avait 65 ans lors des événements qui

14 ont eu lieu dans l'Acte d'accusation. Pendant une longue période, il a

15 enseigné la langue et la littérature albanaise au Kosovo. Il a quatre

16 fils.

17 Monsieur Haxhiavdija décrit comment les forces serbes ont commencé à tuer

18 les habitants albanais du Kosovo de Gjakovë. Ils ont commencé à brûler les

19 maisons une fois que les bombardements de l'OTAN avaient démarré, au mois

20 de mars 1999.

21 Le matin du 2 avril 1999, le fils de M. Haxhiavdija, Behar, est venu chez

22 lui. Behar a dit à son père: "Père, ma vie est à sa fin.". Behar a

23 expliqué que sa femme et ses cinq enfants avaient été tués la veille, la

24 nuit précédente.

25 Behar et Haxhiavdija et d'autres survivants sont partis pour l'Albanie ce

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1 même jour. Monsieur Haxhiavdija a décidé de rester à Gjakovë.

2 Le lendemain, M. Haxhiavdija est allé chez la famille Vejsa afin d'essayer

3 de récupérer les corps de sa belle-fille et de ses cinq petits-enfants. Il

4 n'a pas pu ou il a décidé de ne pas entrer dans la maison étant donné

5 qu'on lui a dit, on l'a averti en disant que cela pourrait être dangereux.

6 Il y avait la police et des soldats serbes qui se trouvaient dans cette

7 zone.

8 Il est allé au bureau de la police, responsable de l'enterrement. Monsieur

9 Haxhiavdija connaissait le responsable et ce responsable a envoyé des

10 employés roms chez la famille Vejsa afin de récupérer les corps qui s'y

11 trouvaient.

12 Lorsque M. Haxhiavdija est retourné chez les Vejsa, il a vu le corps brûlé

13 de Hysen Gashi. Ensuite, on lui a dit qu'il y avait beaucoup de corps qui

14 se trouvaient à l'intérieur de la maison. Au total, 20 corps ont été

15 trouvés dans les décombres, dont 19 étaient des femmes et des enfants. La

16 victime la plus jeune n'avait que 2 ans.

17 Monsieur Haxhiavdija est resté à Gjakova avec sa femme. Pendant la plupart

18 du temps, ils habitaient chez un voisin, car ils avaient peur de rester

19 seuls chez eux.

20 A plusieurs reprises pendant le mois de mai 1999, M. Haxhiavdija a vu des

21 policiers serbes qui faisaient irruption dans les différentes maisons et

22 qui volaient les biens de personnes qui avaient quitté Gjakova.

23 M. le Président (interprétation): Nous allons suspendre l'audience

24 maintenant avant de procéder au contre-interrogatoire.

25 Monsieur Haxhiavdija, nous allons suspendre l'audience pendant 20 minutes.

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1 Voulez-vous revenir après la pause pour terminer votre témoignage?

2 M. Haxhiavdija (interprétation): Oui.

3 M. le Président (interprétation): Et n'oubliez pas, pendant la pause, de

4 n'en parler à personne, y compris aux représentants du Bureau du

5 Procureur.

6 (L'audience, suspendue à 12 heures 15, est reprise à 12 heures 35.)

7 M. le Président (interprétation): Oui, Monsieur Ryneveld?

8 M. Ryneveld (interprétation): Messieurs les Juges, je voulais traiter une

9 question administrative si possible.

10 Je demande la permission à la Chambre de modifier l'ordre des témoins

11 prévus pour demain pour la raison suivante: je serai disponible demain

12 pour l'interrogatoire de certains témoins pour qui j'ai déjà effectué les

13 vérifications.

14 Les témoins sont là pour demain, je suis présent moi-même demain, mais

15 j'ai d'autres engagements dès lundi prochain et je ne serai plus présent

16 lors du témoignage de certains de ces témoins.

17 A la fin de ce témoin n°8… Nous avons déjà traité le 9 et en ce qui

18 concerne le témoin n°10, M. Pnishi, il pourrait peut-être commencer ce

19 matin. Je demanderai à ce que, vendredi matin, lorsqu'il terminera son

20 témoignage, que nous ne traitions pas ce témoin 11, mais que nous passions

21 tout de suite au 12 et au 14 directement, Bacaj et Imeraj.

22 Je souhaiterais être présent moi-même puisque j'ai effectué la

23 vérification. Ensuite, on pourrait revenir à l'ordre prévu: 11, 13, etc.

24 Je voulais formuler cette demande dès maintenant pour éviter que l'on nous

25 dise que nous traitons la question à la dernière minute.

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1 (Contre-interrogatoire de M. Ismet Haxhiavdija par M. Milosevic, suite.)

2 M. le Président (interprétation): Oui, Monsieur Milosevic.

3 M. Milosevic (interprétation): Monsieur Haxhiavdija, dans votre

4 déclaration, vous dites que les Albanais au Kosovo, pendant une longue

5 période, pendant plusieurs années, ont subi des représailles.

6 Au début, vous avez dit que vous n'aviez même pas le droit de chanter vos

7 propres chansons. Je présume que vous parlez des chansons albanaises,

8 n'est-ce pas?

9 M. Haxhiavdija (interprétation): Oui.

10 Question: Où est-ce que vous n'avez pas eu le droit de chanter ces

11 chansons?

12 Réponse: Nous ne pouvions le faire nulle part, que ce soit dans les écoles

13 ou dans la rue.

14 Question: Vous faites référence à quelle période, lorsque vous alléguez

15 que vous n'aviez pas le droit de chanter ces chansons albanaises?

16 Réponse: A partir du temps de Rankovic jusqu'à ce que vous arriviez vous-

17 même au pouvoir à l'exception de la période de 1974; à ce moment-là, on

18 disait que le Kosovo bénéficiait d'une certaine autonomie.

19 Question: Qui a interdit ces chansons?

20 Réponse: Votre régime. Votre régime.

21 Question: Pendant la période dont vous parlez, j'étais moi-même encore au

22 lycée.

23 Réponse: J'ai dit: depuis Rankovic. Et lorsque vous êtes arrivé au

24 pouvoir, vous avez aggravé la situation, même par rapport à celle qui

25 régnait au temps de Rankovic.

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1 Question: Très bien.

2 Savez-vous, Monsieur Ismet Haxhiavdija, que pendant toute cette période

3 dont vous parlez, il y avait une liberté de diffusion à la radio, à la

4 télévision, des émissions en albanais, de la musique, des chansons, tout

5 cela en albanais? Est-ce que, tout cela, vous le savez?

6 Réponse: Il y avait un petit nombre de chansons, et certains airs, disons

7 ceux qui n'avaient rien à voir avec la politique ou avec le sentiment

8 national, c'étaient des chansons en général favorables à la Yougoslavie.

9 Ce n'étaient pas seulement les chansons qui étaient concernées mais

10 l'enseignement. Il y avait des milliers d'écrivains albanais, et on a pu

11 enseigner l'œuvre de quatre ou cinq d'entre eux. Et cela n'avait rien à

12 voir avec le sentiment national. Tout ce qui était considéré comme

13 national, on n'avait pas le droit de l'enseigner.

14 M. Milosevic (interprétation): Vous dites que vous aviez enseigné la

15 langue et la littérature albanaise, je n'ai pas de raison d'en douter,

16 mais est-ce que vous pensez vraiment qu'il y avait des milliers

17 d'écrivains albanais?

18 M. le Président (interprétation): Je ne pense pas qu'une telle question

19 soit utile. Je pense que c'était une expression qu'il a utilisée, tout

20 simplement.

21 M. Milosevic (interprétation): D'accord. Donc, une tournure de phrase!

22 Est-ce vrai qu'au Kosovo et à Metohija, il y avait des cassettes, des

23 disques, des CD avec de la musique albanaise, de la musique nationale;

24 tout ceci était disponible en vente libre, il était possible d'entendre ce

25 genre de musique, dans des restaurants, partout, sans aucune limitation

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1 pendant toute cette période jusqu'à la guerre. Etes-vous au courant de

2 cela? Est-ce vrai?

3 Réponse: Je ne passe pas mon temps dans des cafés, mais je dirais que

4 toutes ces chansons, les danses, et tous ces disques… disons que tout ce

5 qui était permis, autorisé avait été considéré comme acceptable de la part

6 de votre censure. S'il y avait d'autres chansons qui exprimaient certains

7 sentiments, ceux qui les chantaient se retrouvaient en prison.

8 Question: Très bien, Monsieur Haxhiavdija. C'est bien que tout le monde

9 entende ce que vous dites.

10 Dites-moi une chose: en tant que professeur de langue et de littérature,

11 vous avez pris votre retraite en 1991. Où est-ce que vous travailliez

12 avant?

13 Réponse: J'ai travaillé dans une école élémentaire à Brekoc qui s'appelait

14 Jeflju Marku (phon.).

15 Question: Et à partir de 1991, lorsque vous êtes parti à la retraite, qui

16 a payé votre retraite?

17 Réponse: Eh bien, cela venait de mes cotisations que j'avais payées

18 pendant une période de 30 ans.

19 Question: Bien sûr, tout salarié paie un pourcentage de son revenu, en

20 tant que cotisation au régime de sécurité sociale. Donc vous avez reçu

21 votre retraite du fonds national?

22 Réponse: Oui, mais j'avais cotisé moi-même à ce fond.

23 Question: Très bien. Comme tous les autres citoyens de la Yougoslavie, si

24 l'on travaille, on cotise au fonds de retraite. Mais passons à autre

25 chose.

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1 Vous avez dit qu'à partir de 1981, la situation à Kosmet s'est aggravée,

2 est-ce vrai?

3 Réponse: Oui, oui, mais même plus tôt que cela.

4 Question: D'accord, vous avez parlé de 1981, moment auquel la situation

5 s'est aggravée, après les manifestations en faveur d'une République du

6 Kosovo, n'est-ce pas?

7 Réponse: Les étudiants ont pris connaissance des injustices perpétrées par

8 le système yougoslave, par votre système. Ils se sentaient obligés de

9 manifester, de demander de la liberté et de l'indépendance en tant que

10 citoyens et en tant qu'Albanais.

11 Question: Très bien. A la deuxième page de votre déclaration, au septième

12 paragraphe, vous dites que le nombre de policiers à Djakovica a augmenté

13 et que les policiers arrivaient là de différentes parties de la

14 Yougoslavie. Est-ce vrai?

15 Réponse: Oui, c'est vrai. Lorsque les mesures d'urgence ont été prises au

16 Kosovo contre les Albanais qui n'avaient pas d'armes, qui ne bénéficiaient

17 d'aucune protection de qui que ce soit, d'aucun pays.

18 Question: Vous dites que les policiers venaient de partout dans le pays,

19 pas seulement de la Serbie, et vous dites que le gouvernement prenait

20 certaines mesures.

21 Est-ce que vous vous rappelez de quoi il s'agit en ce qui concerne ces

22 mesures en 1981? Et d'ailleurs, vous dites que les policiers venaient de

23 la Slovénie, du Monténégro, etc. Les mesures ont été introduites par le

24 Président de la République après les manifestations et après que les

25 différentes demandes ont été formulées en faveur de la mise en place d'une

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1 République du Kosovo. Est-ce vrai?

2 Réponse: Oui, c'est vrai. Et le responsable, le président du conseil

3 exécutif de la Yougoslavie, comme on l'appelait à l'époque, était un

4 représentant de la Bosnie. Malheureusement, je ne me rappelle plus son

5 nom, je l'ai su, mais je ne m'en souviens plus. Lorsqu'on vieillit, on a

6 tendance à oublier certaines choses.

7 Question: Permettez-moi de vous rappeler. C'était un Musulman de la

8 Bosnie, il s'appelait, Raif Dizdarevic et il était Président à l'époque?

9 Est-ce que vous vous en souvenez maintenant?

10 Réponse: Oui, je m'en souviens maintenant: Raif Dizdarevic, c'est cela. Il

11 était président du conseil exécutif de la Yougoslavie.

12 Question: Passons maintenant à la partie principale de votre déclaration.

13 Mais tout d'abord, je vous demande de bien vouloir répondre à cette

14 question: comment se fait-il que, dans votre déclaration, vous n'avez fait

15 aucune mention des événements qui avaient un rapport avec les nombreuses

16 activités terroristes perpétrées par l'UCK dans la région de Djakovica?

17 Réponse: Si vous me posez une question, je vous réponds. Je ne comprends

18 pas bien ce que vous essayez de me faire dire. Qu'est-ce que vous voulez

19 dire par là?

20 Question: Je vais être plus spécifique.

21 Savez-vous qu'en 1988 et pendant les trois premiers mois de 1999, dans

22 votre municipalité, c'est-à-dire dans la municipalité de Djakovica, l'UCK

23 a tué 18 civils albanais, 8 policiers et 16 soldats de l'armée yougoslave?

24 Réponse: Je ne sais pas, je ne suis au courant d'aucun cas de meurtre de

25 la part de l'UCK dans cette situation de guerre. J'ai du mal à imaginer

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1 que ce soit possible. Je ne sais pas. Peut-être que c'était un des

2 Albanais qui a trahi son pays, qui est passé de l'autre côté. Peut-être

3 que là, cela aurait pu être possible. C'est possible, parce que l'UCK est

4 l'armée du peuple qui a été mise en place pour défendre la population

5 contre les massacres, les crimes et l'oppression venant de votre armée, de

6 votre police et de vos paramilitaires, en suivant vos ordres, les ordres

7 de la Yougoslavie.

8 Question: Très bien, Monsieur Haxhiavdija.

9 Estimez-vous que les ennemis de la population albanaise sont les Albanais

10 qui étaient à l'emploi de l'Etat? Je cite les policiers, les salariés,

11 ceux qui travaillent pour la poste, dans les forêts, ceux qui travaillent

12 pour des entreprises d'Etat. Vous-mêmes, vous avez travaillé pour l'Etat

13 jusqu'en 1991, jusqu'à votre retraite.

14 Donc qu'est-ce que vous voulez dire exactement?

15 Réponse: Tous ceux qui ont été influencés par vos politiques et membres du

16 SPS, des traîtres, ceux qui ont travaillé pour vos services, mais il y

17 avait aussi des Albanais honnêtes, qui travaillaient pour gagner leur vie,

18 c'était différent.

19 Je vais vous donner un exemple: il y avait 33 enseignants à l'école de

20 Prekaz dont deux des Serbes, nés et élevés au Kosovo, et qui connaissaient

21 la langue albanaise tout aussi bien que nous. Mais nous étions obligés de

22 nous exprimer en serbe avec eux pour leur faire plaisir, si vous voulez,

23 même si la majorité de ceux présents à ces réunions étaient des Albanais.

24 Et la même chose, enfin c'était la même chose partout. Dès qu'il y avait

25 des Albanais. Les Albanais, très souvent, étaient obligés de parler serbe,

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1 même si les Serbes, la minorité serbe parlaient bien albanais puisqu'ils

2 avaient été élevés là. Leurs familles y habitaient.

3 Question: Très bien, Monsieur Haxhiavdija.

4 Vous avez enseigné dans une école élémentaire. Je pars du principe que

5 vous avez enseigné en albanais, n'est-ce pas? Jusqu'à votre retraite?

6 Réponse: Oui, oui, je suis Albanais.

7 M. Milosevic (interprétation): Je ne nie pas que vous soyez Albanais et je

8 ne nie pas le fait que vous ayez le droit d'enseigner les enfants en

9 albanais. C'est leur droit constitutionnel. Je voulais tout simplement que

10 ce soit clair: normalement, vous vous êtes exprimé en albanais lorsque

11 vous avez fait vos cours et personne ne vous a empêché de le faire, n'est-

12 ce pas?

13 M. Haxhiavdija (interprétation): Oui, c'est vrai. Personne ne m'en a

14 empêché parce que je faisais partie de ceux qui avaient joué un rôle lors

15 de la Deuxième Guerre mondiale et nous avions travaillé, fait le

16 nécessaire pour ne pas être des esclaves, même dans le régime de Rankovic.

17 M. le Président (interprétation): Je pense que cela suffit. Nous avons

18 assez traité cette question. Nous sommes en train de nous lancer dans un

19 argument, une polémique politique, qui n'est aucunement utile.

20 M. Milosevic (interprétation): D'accord, Monsieur May.

21 Passons à la guerre: vous avez dit que les avions de l'OTAN ont bombardé

22 pendant la nuit et vous avez dit pendant toute la nuit. Donc où ont eu

23 lieu ces bombardements et qu'est-ce qu'ils ont bombardé d'après ce que

24 vous savez, Monsieur Haxhiavdija?

25 Réponse: Ils ont bombardé l'armée yougoslave et la police yougoslave.

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1 Question: Très bien. Voulez-vous bien répondre à la question suivante:

2 qu'est-ce qui vous permet de dire que les Serbes, la première nuit du

3 bombardement, ont tué un père et son fils s'appelant Zreka ou Hema?

4 Réponse: Zherka.

5 Question: Excusez-moi, je l'ai mal prononcé. D'ailleurs que ce n'est peut-

6 être pas correctement écrit dans ce document. Avez-vous vu qui a tué ces

7 hommes?

8 Réponse: D'après ce qu'ont dit d'autres membres de leur famille et leurs

9 voisins, ils ont été tués par l'armée et la police et par des

10 paramilitaires, tous ces gens-là travaillent ensemble. C'était aussi le Dr

11 Rahimi et le fils Xhamil Dula et le fils de Sami Isufi. Tous ces gens-là

12 ont été tués aussi.

13 Même maintenant, nous ne savons pas où se trouve le corps de ce dernier,

14 ce qu'il est devenu. Nous ne savons pas si son corps a été pris par la

15 police, nous ne savons où il se trouve.

16 Question: Qui vous a dit que c'étaient les Serbes qui les avaient tués?

17 Réponse: D'autres gens ont vu cela; les membres de la famille, les voisins

18 l'ont vu. Il y a des documents qui existent là-dessus.

19 M. Milosevic (interprétation): Donc c'étaient des membres de leur famille

20 qui vous ont dit qu'ils avaient été tués par des Serbes. Eh bien, Monsieur

21 Haxhiavdija, dites-moi, s'il vous plaît, si Cabrat un des quartiers de la

22 ville avait été pris par l'UCK et qu'au début du mois d'avril, à partir de

23 ce quartier, depuis ce quartier, les gens ont été évacués. Ces mêmes gens

24 ont cherché refuge à l'usine qui fabriquait des moteurs électriques. Il

25 s'agissait principalement d'Albanais, principalement de vielles personnes,

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1 des femmes, des enfants, à peu près 700 au total.

2 M. le Président (interprétation): Là, il y a deux questions. Voulez-vous

3 bien traiter ces deux questions. Je répète la première question: est-ce

4 qu'une partie, un quartier de la ville, a été pris, est tombé entre les

5 mains de l'UCK au début du mois d'avril?

6 M. Haxhiavdija (interprétation): Je ne suis pas un homme politique. Je ne

7 sais pas. Quant à ce que dit M. Milosevic, ce n'est pas vrai: ils ne sont

8 pas réfugiés dans cette usine où ils fabriquaient des moteurs électriques.

9 M. le Président (interprétation): S'il vous plaît, Monsieur le Témoin, il

10 ne s'agit pas d'une question politique, cette question est assez directe,

11 concrète et factuelle. Est-ce que l'UCK a investi une partie de la ville

12 ou pas?

13 M. Haxhiavdija (interprétation): Ce n'est pas vrai. L'UCK se trouvait à ce

14 Qabrat, nulle part ailleurs, du moins c'est ce que je crois savoir. Mais

15 je le répète: moi, je ne m'intéresse pas à la politique, du moins pas

16 beaucoup. Moi, je suis un homme intéressé par sa famille, son travail.

17 M. le Président (interprétation): Ce n'est pas une question politique, on

18 vous demande ce que vous savez personnellement s'agissant des événements.

19 On vous a posé une autre question. La suivante: est-ce qu'il y a des gens

20 qui ont été évacués de certains quartiers?

21 Je crois que vous étiez en train de répondre à cette question quand je

22 vous ai interrompu. Est-ce qu'il y a des Albanais qui ont été évacués de

23 certains quartiers, des civils, des femmes, des enfants?

24 M. Haxhiavdija (interprétation): Personne n'est parti de la ville de son

25 plein gré, c'est sous la contrainte, forcés par les forces yougoslaves

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1 qu'ils l'ont fait et, en particulier, par la police, l'armée serbe, par

2 les paramilitaires. Les gens ont été forcés, contraints de quitter leur

3 foyer, de partir en Albanie. Mes voisins, tous mes voisins, tous les gens

4 du quartier ont dû partir en exil, parce que le danger était présent. A

5 tout moment, ils risquaient d'être tués, torturés, massacrés. Il y avait

6 des voleurs partout!

7 M. Milosevic (interprétation): Monsieur Haxhiavdija, il y a un instant,

8 vous avez déclaré qu'à Cabrat, il y avait la présence de l'UCK.

9 Est-il exact de dire que des civils albanais, 700 à peu près, pour la

10 plupart des femmes et des enfants, ont été évacués de Cabrat. Non pas

11 parce qu'ils étaient menacés par la police et l'armée serbe comme vous

12 l'avez dit, mais plutôt parce que ce quartier de la ville avait été

13 investi par l'UCK, n'est-ce pas?

14 Réponse: Non, la vérité, c'est que des forces militaires, la police, mais

15 aussi les paramilitaires serbes ont non seulement contraint la population

16 à partir, mais aussi massacré bon nombre de nos jeunes d'une façon qui

17 leur est bien familière et dans laquelle ils excellent. Car l'UCK n'a

18 jamais éjecté les gens de chez eux puisque l'UCK venait de ces foyers, de

19 ces maisons.

20 Question: Ces gens ont pris la fuite pour éviter les combats, Monsieur

21 Haxhiavdija. Ces gens n'ont pas été expulsés de Cabrat par des forces de

22 police. Quelquefois, vous avez dit vous-même qu'il y avait dans ces

23 quartiers la présence de l'UCK. C'est bien cela, n'est-ce pas?

24 Réponse: L'UCK se trouvait uniquement dans le pré de Qabrat. Les gens qui

25 sont partis ont dû quitter leur demeure à Cabrat, à Buzh dans d'autres

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1 quartiers de Gjakova. Des gens ont pénétré dans ces maisons uniquement

2 pour y commettre des exactions aux fins que poursuivaient l'armée, la

3 police serbe, les paramilitaires.

4 Question: Ne perdons pas de temps. Répondez de façon précise à ma

5 question.

6 On parle de Cabrat… Enfin, vous connaissez mieux la prononciation que moi.

7 Est-il exact de dire que des membres de l'UCK sont partis de Cabrat pour

8 déclencher une offensive sur le centre de la ville et sur le poste de

9 police? Ils avaient l'intention de s'emparer de la totalité de la ville?

10 Etes-vous au courant de cela?

11 Réponse: Ce n'est pas vrai! La vérité, c'est que le 7 mai 1999, l'armée,

12 la police, les paramilitaires ont attaqué Qabrat, ils ont massacré ces

13 jeunes hommes qui n'avaient pas d'armes.

14 Question: Bon. Etes-vous au courant du fait que, pendant toute une semaine

15 au début du mois d'avril, il y a eu des combats acharnés entre la police

16 et une brigade de l'UCK et que la police a subi beaucoup de pertes à

17 l'époque. Etes-vous au courant de cela?

18 Savez-vous également qu'à la même époque, la police avait subi des pertes?

19 Réponse: Il n'y a jamais eu de combat dans la même ville même de Gjakova,

20 mais dans les collines au sud-ouest, au nord-ouest, je ne sais pas. C'est

21 possible que ce soit le cas. Moi, je suis un homme âgé, je n'étais pas

22 présent. Si j'avais été jeune, sans doute que j'aurais été là moi aussi;

23 j'aurais endossé l'uniforme et j'aurais été avec l'UCK.

24 M. Milosevic (interprétation): Est-il exact de dire que, pendant toute la

25 durée de ces combats dont vous avez parlé, vous également, sauf que vous

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1 avez dit que ces combats se sont déroulés autour de la ville plutôt qu'à

2 l'intérieur de celle-ci, êtes-vous au courant du fait que, pendant cette

3 période, il y a eu des bombardements incessants de l'OTAN tout à fait

4 "indiscriminés" sur Djakovica et sur des maisons de particuliers qui n'ont

5 pas été épargnées?

6 M. le Président (interprétation): Oui, Monsieur Saxon?

7 M. Saxon (interprétation): Ce qui me préoccupe, c'est que ces questions

8 semblent déformer ce qu'avait déjà dit ce témoin. Le témoin a dit en effet

9 qu'il n'était pas au courant de qu'il se passait à l'extérieur de la

10 ville.

11 M. le Président (interprétation): Oui, c'est vrai.

12 Vous avez la possibilité de poser une question sur les bombardements, mais

13 ne semez pas la confusion dans la déposition du témoin. Ne mélangez pas

14 les sujets.

15 M. Milosevic (interprétation): Monsieur Haxhiavdija, avez-vous dit qu'il y

16 avait des combats dans les collines et non pas au centre de la ville? Vous

17 ai-je bien compris?

18 M. Haxhiavdija (interprétation): Il n'y a pas eu de combat dans le centre

19 de la ville; les bombardements de l'OTAN étaient dirigés sur les casernes

20 et sur le poste de police qui étaient au sud. Rien ne s'est passé au nord.

21 Question: Monsieur Haxhiavdija, vous déclarez qu'il n'y a pas eu de combat

22 dans la ville même.

23 Les combats qui ont opposé la police et la l'UCK, où se déroulaient-ils?

24 Dans les collines plutôt que dans le centre de la ville? C'est cela ce que

25 vous voulez nous dire?

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1 Réponse: Ce n'est pas l'UCK qui attaquait votre armée ou votre police,

2 c'est vous qui avez attaqué Qabrat. C'est vous qui avez attaqué l'UCK à

3 Qabrat.

4 Question: Bon, laissons de côté la question de savoir qui a attaqué

5 l'autre. Les combats, où étaient-ils? Sans parler de celui qui aurait

6 déclenché ces combats, où se passaient ces combats? Dans quelle partie?

7 Réponse: Autour de Qabrat à l'ouest de la ville.

8 M. Milosevic (interprétation): Pendant que les combats se poursuivaient

9 dans cette partie-là dont vous dites, vous, que c'est là qu'ils se

10 passaient, est-il exact de dire que, pendant ces combats, l'OTAN a

11 bombardé Djakovica? Et que même des maisons de particuliers de Djakovica

12 n'ont pas été épargnées?

13 Vous savez, ce sont les Albanais qui composent de façon majoritaire la

14 population de Djakovica, c'est bien cela?

15 M. le Président (interprétation): Le témoin a déjà parlé des

16 bombardements. Il a dit que l'OTAN avait bombardé la caserne et le poste

17 de police au sud de la ville. Si vous laissez entendre que ce n'est pas

18 vrai, dites-le, mais faites-le clairement; de cette façon, le témoin

19 pourra vous répondre.

20 M. Milosevic (interprétation): Monsieur le Témoin, affirmez-vous ici que

21 pas une seule bombe de l'OTAN n'est tombée sur une maison de particulier,

22 ou sur d'autres bâtiments ou installations de Djakovica? Est-ce bien ce

23 que vous affirmez?

24 M. Haxhiavdija (interprétation): C'est exact puisqu'ils n'ont attaqué que

25 la caserne. La preuve en est que l'église catholique, elle était juste à

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1 côté de la cour de la caserne, et il n'y a même pas une vitre qui a été

2 brisée. Une bombe a été larguée et il n'y a pas de maison privées qui ont

3 été touchées. Cela vaut aussi pour le poste de police qui est sur la route

4 de Prizren et il n'y a qu'une route entre le poste de police et les

5 maisons de particuliers. Ces maisons n'ont pas du tout été choquées sinon

6 qu'il y a eu un certain tremblement du fait des vibrations provoquées par

7 la bombe, mais il n'y a pas eu de bombardement de l'OTAN dans la ville

8 même.

9 Par contre, ce sont les pilonnages des forces serbes qui ont touché ces

10 villes et vous, Président de la Serbie, vous avez envoyé toutes sortes de

11 criminels, dénués de tout sentiment.

12 M. le Président (interprétation): Monsieur le Témoin, nous comprenons les

13 sentiments que vous avez, mais essayez de vous borner à répondre aux

14 questions qui vous sont posées et aux faits.

15 M. Milosevic (interprétation): Monsieur Haxhiavdija, est-ce qu'il y avait

16 parmi les membres de votre famille, des membres de l'UCK? Si c'est le cas,

17 ont-ils participé aux combats dont vous avez parlé.

18 M. Haxhiavdija (interprétation): J'ai une grande famille, mais pas un seul

19 de ses membres n'étaient dans l'UCK. Ma famille a toujours eu pour

20 tradition de s'occuper de ses propres affaires, de ne pas s'occuper des

21 autres et nous avons toujours rempli notre devoir que nous avions envers

22 l'Etat.

23 Question: Bien, vous dites que votre fils Behar a essayé de vous

24 convaincre de partir en Albanie, de convaincre vous tous de partir.

25 Et mis à part vous et Mendoh, l'autre fils que vous avez, tout le a

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1 accepté.

2 Est-ce que cela veut dire que vous avez décidé de partir en Albanie parce

3 que votre famille n'était pas en sécurité? Est-ce que c'était aussi à

4 cause des combats qu'il y avait en ville, à cause des bombardements?

5 Réponse: Mon fils a suggéré que je parte. Mon troisième fils, Mendoh, n'a

6 pas accompagné mes deux fils plus âgés parce que sur la route et à la

7 frontière, c'est vous qui avez tué nos jeunes hommes. Vous leur avez

8 infligé les sévices. L'idée, c'était qu'une partie de notre famille reste

9 en vie. Ce fils n'est pas parti tout de suite mais, deux jours plus tard,

10 il est parti.

11 Il m'a dit: "Ils sont en train de tuer les jeunes, je crois qu'il faut

12 qu'il y en ait un qui reste en vie pour que la famille subsiste, survive."

13 M. Milosevic (interprétation): Je vous ai parlé du moment où ils

14 essayaient de vous convaincre de partir en Albanie. S'ils le proposaient,

15 est-ce que c'est parce qu'il n'y avait pas suffisamment de sécurité à

16 Djakovica. Il y avait des combats, il y avait ces bombardements et est-ce

17 qu'ils pensaient qu'il fallait que vous deviez vous en préserver?

18 Réponse: Ils ont tué ma belle-fille, trois enfants. Treize enfants ont été

19 tués à la maison de Vejsa, six femmes, dont une femme de 80 ans. Vous avez

20 tué les gens, vous avez brûlé 20 membres de notre famille, vous avez tué

21 une jeune femme qui était une handicapée mentale: alors, comment pourrait-

22 on échapper à cela? On aurait été n'importe où pour se sauver, pour

23 échapper aux crimes, aux massacres, aux tortures, aux pillages commis par

24 l'armée, par la police, par les paramilitaires.

25 Question: D'accord, Monsieur le Témoin. Limitons-nous aux questions que je

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1 vous pose. Nous n'allons pas perdre de temps, parce que ces massacres, ces

2 tortures, vous le savez bien, ont été le fait de l'UCK dans une très large

3 mesure.

4 Mais revenons à vos affirmations. D'après la description que vous avez

5 faite de la maison de Vejsa, on la trouve à la page 3, au premier

6 paragraphe, ainsi qu'au quatrième, on dit qu'il y avait à l'intérieur

7 beaucoup de décombres, de gravats. Vous n'avez pas vu les cadavres qui se

8 trouvaient sous ces décombres.

9 Est-ce que tout ceci nous indique que la maison de Vejsa avait été touchée

10 par une bombe? Vous l'avez dit vous-même, vous avez dit que le corps

11 d'Hysen Gashi était noirci à cause du feu, de l'incendie. Ce que vous avez

12 vu et décrit, est-ce que ceci n'est pas significatif du fait que la maison

13 avait été touchée par une bombe?

14 Réponse: Non. La maison de Gashi se composait de deux pièces et d'un

15 couloir. Si vous sortez de la maison, ces pièces se trouvent sur la

16 droite. Ces victimes, nos enfants, elles ont été sorties du sous-sol,

17 déplacées de 15 à 17 mètres vers les pièces où ces gens vivaient. C'est là

18 seulement que vous les avez massacrées, que vous les avez brûlées.

19 Vous avez incendié la maison; le toit de la maison, il était en tuiles.

20 Mais il y avait aussi de la terre qui servait de couche d'isolation contre

21 la chaleur et, le premier jour, je n'ai pas pu faire la distinction, la

22 différence à cause de tout cela. Les employés de l'organisation de Qabrat

23 nous ont dit qu'il y avait eu un crime dans cette pièce. Moi, je suis

24 rentré chez moi et ces travailleurs m'ont appelé, ils m'ont demandé

25 d'aller Qabrat. Ils m'ont fait savoir que dans cette maison où se

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1 trouvaient les corps, il y avait effectivement des corps, mais on avait

2 peur d'y aller dans cette maison, ont-ils dit. Ils ont dit: "Nous avons

3 peur que vous, puisque vous avez déjà, puisque vous avez une maladie

4 cardiaque, que vous ayez un infarctus".

5 Et donc ces corps existaient bien, ils étaient là. Le lendemain, je suis

6 allé pour enterrer ces corps. Mon fils m'a dit: "C'est une honte de voir

7 vos enfants dans cet état". Il y avait 13 enfants, dont l'enfant de mon

8 voisin; il avait 18 mois. Imaginez la situation. C'était mon petit-fils!

9 Qu'est-ce qu'on peut avoir comme sentiment! Qu'est-ce qu'il faut avoir

10 comme sentiment quand on commet un tel crime contre des enfants, contre

11 des personnes âgées, contre des jeunes qui n'ont jamais rien fait de mal.

12 Ils n'avaient même pas de couteau pour peler une pomme!

13 Vos forces, vous les avez mobilisées depuis longtemps. C'est votre

14 intention fasciste qui a voulu tout cela.

15 M. le Président (interprétation): Est-ce que vous voulez poser d'autres

16 questions à ce témoin Monsieur Milosevic, vu l'état dans lequel se trouve

17 le témoin?

18 M. Milosevic (interprétation): Oui, oui, j'ai des questions que je veux

19 lui poser.

20 Monsieur Haxhiavdija….

21 M. le Président (interprétation): Vous n'avez plus beaucoup de temps pour

22 le faire. Essayez d'en terminer le plus rapidement possible.

23 M. Milosevic (interprétation): La guerre est un crime en soi. Le plus

24 souvent, ce sont les innocents qui perdent la vie pendant une guerre.

25 Savez-vous qui est à l'origine de cette guerre, Monsieur Haxhiavdija?

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1 Maintenant, vous êtes en colère parce que les membres de votre famille ont

2 perdu la vie; tout le monde serait dans le même état que vous. Mais cette

3 guerre comment a-t-elle pu se produire?

4 Réponse: C'est vous qui êtes à l'origine de cette guerre. C'est votre

5 régime qui en est la cause. Et c'est vous, en tant que son Président, vous

6 êtes le Président de la Serbie, vous avez envoyé des criminels, les plus

7 ignobles d'entre eux. Vous les avez envoyés chez nous pour commettre des

8 crimes contre des enfants sous les yeux même de leur mère.

9 Question: Vous parlez de la maison de Vejsa. Est-ce qu'elle était à

10 Cabrat?

11 Réponse: Non.

12 Question: C'est bien ce que je pensais. Il y a donc eu des combats. Ces

13 gens étaient dans la maison de Vejsa pour y trouver refuge et pour éviter

14 les combats?

15 Réponse: Oui.

16 Question: Est-ce que vous pourriez accepter l'idée suivante: là où il y a

17 des combats, c'est une partie ou une autre -vous ne savez pas dire

18 laquelle- qui aurait pu provoquer ce conflit qui a causé la mort des

19 membres de votre famille? Vous n'étiez pas là pour le voir. Ce n'est pas

20 nécessairement les Serbes qui l'ont provoqué ce conflit. Vous n'étiez pas

21 là pour le voir?

22 Réponse: Il n'y avait pas de conflit. Il y avait mon fils à cet endroit

23 avec quatre membres de sa famille. Ces crimes ont été commis contre cette

24 famille, d'autres familles. Il n'y avait pas de conflit à cet endroit. Et

25 la jeune belle-fille, elle avait des voisins monténégrins, serbes. Elle

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1 est allée les voir et ils ont dit que des crimes avaient été commis contre

2 eux. Et ces voisins ont promis de les protéger, mais, manifestement, ils

3 ont aussi participé à ces crimes contre la famille de Vejsa.

4 M. le Président (interprétation): Ce sera votre dernière question, vu le

5 temps qui vous est imparti.

6 M. Milosevic (interprétation): Fort bien. Si c'est ma dernière question,

7 je dois laisser de côté bon nombre des questions que je voulais poser.

8 Voici ma dernière question, Monsieur Haxhiavdija. Il découle de la

9 totalité de votre déclaration préalable et de votre déposition ici à

10 l'audience que vous, personnellement, vous, Ismet Haxhiavdija, vous n'avez

11 été le témoin oculaire d'aucun massacre qui aurait été commis par les

12 forces serbes. Si vous témoignez à propos de ces massacres, c'est sur la

13 base de récits qui vous ont été faits par autrui, donc c'est de l'ouï-

14 dire, n'est-ce pas?

15 Réponse: Non, ce n'est pas vrai. J'ai vu mon fils; sa femme a été tuée,

16 des enfants… ses enfants à lui, des amis. Treize enfants! Le plus jeune

17 avait à peine 18 mois. Il y avait une femme de 80 ans qui a été tuée.

18 Hysen Gashi, je l'ai vu comment il s'est effondré; il s'est affaissé dans

19 une pièce adjacente à ce bâtiment, dans cette pièce où il y a eu ce

20 massacre. Il y avait 20 membres de six familles.

21 M. le Président (interprétation): Est-ce que les amici ont des questions à

22 poser?

23 M. Tapuskovic (interprétation): Non, Monsieur le Président.

24 M. le Président (interprétation): Y a-t-il…

25 M. Haxhiavdija (interprétation): Si vous me permettez, je voudrais dire

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1 deux mots?

2 M. le Président (interprétation): Oui, mais soyez bref.

3 M. Haxhiavdija (interprétation): Merci. Je tiens à remercier le Tribunal

4 de La Haye de m'avoir invité à comparaître. Vu mon état de santé, je

5 n'aurais pas dû venir, mais je tenais à venir déposer à ce Tribunal, pour

6 parler au Tribunal et à l'opinion publique des crimes qui ont été commis

7 par la police et l'armée serbes, par les paramilitaires, contre des gens

8 de tous âges: des enfants, de jeunes enfants, des personnes âgées qui

9 n'avaient même pas un couteau pour peler une pomme.

10 Et j'aimerais demander à l'accusé, s'il a le moindre sentiment.

11 M. le Président (interprétation): Je crois qu'il faut en terminer.

12 Monsieur Saxon, avez-vous des questions supplémentaires?

13 (Interrogatoire principal supplémentaire du témoin, M. Ismet Haxhiavdija,

14 par M. Saxon.)

15 M. Saxon (interprétation): Oui, quelques-unes. Deux plus exactement.

16 Monsieur le Témoin, l'accusé a laissé entendre que la maison de Vejsa

17 avait peut-être été touchée par une bombe de l'OTAN. Je vous demande ceci,

18 tout d'abord.

19 Vous, vous résidiez dans une maison à Gjakova; quelle était la distance

20 qui la séparait à peu près de la maison de Vejsa?

21 M. Haxhiavdija (interprétation): Un kilomètre à peu près.

22 Question: Dans la soirée du 1er et du 2 avril, des bombes sont tombées,

23 des bombes de l'OTAN sont tombées dans la zone de Gjakova. Est-ce que

24 votre maison en a ressenti l'impact?

25 Réponse: Les bombes sont tombées sur la caserne, au sud, et la maison en a

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1 été ébranlée. Mais, au moment où ma famille et ma belle-famille ont été

2 assassinées, il n'y a pas eu de vibration. Lorsque le poste de police qui

3 était à deux kilomètres de là a été bombardé, ma maison ainsi que celle de

4 Vejsa n'ont pas eu de dégâts.

5 Question: A votre connaissance, y a-t-il eu des bombes des avions de

6 l'OTAN qui sont tombées sur Gjakovë, les 1er et 2 avril 1999?

7 Réponse: Non, il n'y a pas eu du tout de bombardement.

8 Question: Monsieur Milosevic a laissé entendre que des membres de votre

9 famille avaient peut-être trouvé la mort du fait des combats qui se

10 déroulaient dans la maison ou autour, au moment où ces personnes ont

11 cherché refuge dans la maison. Lorsque vous êtes allé pour récupérer les

12 corps de votre famille, à votre connaissance, est-ce que les corps de

13 membres de l'UCK ont été trouvés dans cette propriété?

14 Réponse: Non! C'est tout à fait inimaginable. L'UCK, elle, était autour de

15 Qabrat, mais elle n'aurait pu prendre position à aucun un endroit. La

16 maison, elle a été incendiée, le toit s'est effondré, le plafond s'est

17 effondré et a recouvert tout ce qui était à l'intérieur, les corps de 20

18 personnes. Ces corps étaient là et dans la pièce adjacente de Hysen Gashi.

19 Question: Monsieur, le quartier de Qabrat se trouve à quelle distance à

20 peu près de la propriété de Vejsa?

21 Réponse: 500 mètres à peu près, je dirai, ou 600, 700. A peu près 500

22 mètres. En tout cas, moins d'un kilomètre puisque cette maison de Vejsa

23 est près de la gare routière, et le quartier de Qabrat est plutôt du côté

24 ouest de la ville.

25 M. Saxon (interprétation): Je n'ai plus de questions.

Page 9211

1 M. le Président (interprétation): Monsieur Haxhiavdija, je vous remercie

2 d'être venu déposer devant nous. Votre déposition est terminée. Vous

3 pouvez maintenant disposer.

4 M. Haxhiavdija (en anglais): Je vous remercie.

5 (Le témoin, M. Ismet Haxhiavdija, est reconduit hors du prétoire.)

6 M. le Président (interprétation): Oui?

7 M. Shin (interprétation): Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

8 l'accusation appelle à la barre M. Martin Pnishi.

9 Pendant que nous attendons l'arrivée du témoin, je souhaiterais vous

10 préciser que nous allons maintenant parler d'événements qui ont eu lieu

11 dans un village situé dans la municipalité de Gjakova, dans le village de

12 Mejë. Vous trouverez ceci dans l'atlas du Kosovo, à la page 9, cordonnées

13 H21.

14 (Le témoin, M. Martin Pnishi, est introduit dans le prétoire.)

15 (Interrogatoire principal du témoin, M. Martin Pnishi, par M. Shin.)

16 M. le Président (interprétation): Je vais maintenant demander au témoin de

17 prononcer la déclaration solennelle.

18 M. Pnishi (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la

19 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

20 M. le Président (interprétation): Veuillez vous asseoir, s'il vous plaît.

21 M. Shin (interprétation): Monsieur le Témoin, veuillez donner vos noms et

22 prénoms à la Chambre.

23 M. Pnishi (interprétation): Oui. Je m'appelle Martin Pnishi.

24 Question: Monsieur le Témoin, êtes-vous né le 9 mars 1944 dans le village

25 de Ramoc, municipalité de Djakovica?

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1 Réponse: Oui.

2 Question: Est-ce que, au début de 1999, vous résidiez au village de Mejë

3 qui se trouve également dans la municipalité de Gjakova?

4 Réponse: Oui.

5 Question: Monsieur le Témoin, le 4 avril 2000, avez-vous fait une

6 déclaration à un représentant du Bureau du Procureur au sujet des

7 événements dont vous avez été témoin et que vous avez vécus au Kosovo en

8 1999?

9 Réponse: Oui.

10 Question: Et le 14 mars 2002, avez-vous fait une brève déclaration

11 supplémentaire à la déclaration que vous aviez faite le 4 avril 2000?

12 Réponse: Oui.

13 Question: Je précise que cette déclaration précédente, vous l'aviez faite

14 le 4 avril 2000.

15 Réponse: Oui.

16 Question: Monsieur le Témoin, le 14 mars 2002, est-ce que l'on vous a

17 remis un exemplaire de la déclaration que vous aviez faite auparavant,

18 ainsi qu'un exemplaire de la déclaration supplémentaire? Vous a-t-on remis

19 ces deux documents en langue albanaise en présence d'un représentant du

20 Bureau du Procureur et d'un officier instrumentaire du désigné par le

21 Greffe du Tribunal?

22 Réponse: Oui.

23 Question: A ce moment-là, avez-vous été en mesure de confirmer que la

24 copie de la déclaration et de la déclaration supplémentaire était

25 véridique, pour autant que vous pouviez le dire?

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1 Réponse: Oui.

2 Question: Monsieur le Témoin, le mardi 27 août de cette semaine, et ce

3 matin, dans les entretiens que vous avez eus avec moi-même et d'autres

4 représentants du Bureau du Procureur, avez-vous pris conscience de la

5 nécessité d'apporter un certain nombre de corrections aux déclarations que

6 vous aviez faites précédemment?

7 Réponse: Oui.

8 Question: En premier lieu, dans votre déclaration faite le 4 avril 2002,

9 vous dites -et ceci figure au premier paragraphe de la déclaration-, vous

10 dites qu'en 1999, vous étiez paysan. Mais pouvez-vous nous dire, entre

11 1969 et 1983, quelle profession vous exerciez?

12 Réponse: En fait, j'étais agent de la circulation.

13 Question: Et où habitiez-vous quand vous exerciez cette profession?

14 Réponse: Oui, Eh bien, à Orahovac, dans la municipalité d'Orahovac.

15 Question: Merci. Monsieur le Témoin, dans cette déclaration du 4 avril

16 2000, vous parlez de deux officiers de police qui se sont approchés de

17 votre maison. Et -ici, je me réfère à la page 3, deuxième paragraphe de la

18 version en anglais- vous dites: "Ils portaient des cagoules ainsi que des

19 uniformes de camouflage verts."

20 Est-ce que ceci est bien conforme à la vérité? Et si ce n'est pas le cas,

21 pouvez-vous apporter des corrections nécessaires?

22 Réponse: C'est exact. Non, non, en fait, ce n'est pas vrai, parce que les

23 uniformes étaient bleus.

24 Question: Dans cette même déclaration, ici, je me réfère à la page 4 de la

25 version en anglais, dernier paragraphe qui figure sur la page...

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1 Monsieur le Témoin, donc ici, vous dites: "Le 27 avril, un mardi, les

2 corps ont été ramassés le dimanche suivant, le 2 mai." Est-ce bien exact?

3 Réponse: En fait, ce n'était pas un dimanche mais un samedi.

4 Question: En fait, il faudrait apporter la correction suivante: il s'agit

5 du samedi 2 mai et non pas le dimanche 2 mai.

6 Réponse: Oui, c'était un samedi.

7 Question: Maintenant, passons à la déclaration que vous avez faite le 14

8 mars 2000. Vous dites que Hamdi Alitaj vous a dit -et je vous cite-: "Il a

9 dit que, dimanche, ils avaient chargé 412 corps à bord de tracteurs et de

10 camions."

11 Monsieur le Témoin, est-ce que ceci est bien exact? Si ce n'est pas le

12 cas, pouvez-vous nous dire quelles corrections il convient d'apporter à ce

13 texte?

14 Réponse: Non, il a dit que 412 personnes qui avaient été abattues, ont été

15 placées à bord de camions. J'ai vu le camion qui est allé à Korenica. On

16 l'a chargé, rempli et, ensuite, il est revenu au village de Meja. On l'a

17 de nouveau chargé. Ensuite, il est passé devant chez moi. Il y a un

18 tracteur et un camion qui sont passés devant chez moi.

19 Question: Monsieur le Témoin, pouvez-vous simplement nous indiquer si le

20 jour indiqué est bien conforme à la réalité: était-ce un dimanche ou un

21 autre jour?

22 Réponse: C'était un samedi.

23 Question: Toujours dans votre déclaration du 14 mars de l'an 2002, vous

24 dites: "Cinq jours après que les camions ont été chargés de cadavres,

25 Hamdi Alitaj est venu chez moi soi-disant pour me demander de lui prêter

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1 une faux. Mais, en fait, je pense qu'en fait, ce sont les Serbes qui

2 l'avaient envoyé chez moi pour savoir si j'étais encore à la maison ou

3 pas".

4 Est-ce que la période évoquée dans cette phrase est exacte? Et si ce n'est

5 pas le cas, pouvez-vous nous dire quand il est venu chez vous?

6 Réponse: Hamdi est venu le lendemain. Je lui ai parlé des meurtres. Cela

7 s'est passé le lendemain. Le samedi.

8 Question: Merci Monsieur le Témoin. Enfin, Monsieur Pnishi, dans cette

9 déclaration du 4 avril 2000, vous parlez d'un commandant de la police,

10 Dragutin, page 5 de la déclaration; vous dites qu'il était commandant de

11 police à Ponoshetc. Dans votre déclaration supplémentaire, que vous avez

12 faite le 14 mars de cette année, vous donnez son nom de famille. Vous

13 dites qu'il s'appelle Stanojevic. Est-ce que vous connaissiez cet homme,

14 quand vous étiez policier? Répondez par oui ou par non.

15 Réponse: Oui.

16 Question: Quand vous avez exercé vos fonctions de policier, l'avez-vous vu

17 souvent? Pouvez-vous nous l'expliquer brièvement?

18 Réponse: Je l'ai vu des milliers de fois. Je ne sais pas. Enfin, très

19 souvent.

20 Question: Merci, Monsieur le Témoin.

21 Nous souhaitons, une fois que ces corrections ont été adoptées, demander

22 le versement au dossier de sa déclaration en vertu de l'Article 92bis.

23 Je vais maintenant donner lecture d'un résumé de la déposition du témoin.

24 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, le témoin a 55 ans. C'est un

25 Albanais du Kosovo qui vient du village de Meja où, 1989, il était

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1 agriculteur. Il est catholique et il vit avec trois fils, et une fille.

2 C'était du moins le cas en 1999.

3 Le témoin explique qu'en 1998, on a vu des chars de la VJ se déployer au

4 sujet de la montagne de Qabrat, au-dessus de Meja. Il y avait également

5 des policiers. Les forces serbes ont occupé complètement la zone.

6 Le 22 avril 1999, dans le village de Meja, cinq officiers du MUP ont été

7 tués. L'un d'entre eux était Milutin Prascevic. Suite à cet incident, un

8 grand nombre de voisins du témoin sont venus chez lui pour s'y réfugier.

9 Le 22 avril 1999, il y avait à Mejë des habitants du village environnant

10 qui étaient venus s'y réfugier. Il y avait un grand nombre d'habitants de

11 Morina et ailleurs qui s'étaient réfugiés dans la maison du frère du

12 témoin qui a, ensuite, essuyé des tirs ce même jour du 22 avril 1999.

13 Le 23 avril 1999, le témoin et sa famille ont quitté sa maison de Mejë et

14 sont allés se réfugier dans le village de Jahoc.

15 Au matin du 27 avril, le témoin et sa femme sont entrés chez eux, à Mejë,

16 afin de nourrir leur bétail. Leur fils Mark les accompagnait également.

17 Vers 7 heures du matin, le témoin a vu des soldats de la VJ et des

18 policiers. Il dit que ceux-ci se sont mis à tirer. Le témoin est ensuite

19 allé au deuxième étage de sa maison. De là, il a vu de nombreux policiers,

20 de nombreux soldats qui avaient encerclé la zone dans sa totalité.

21 Vers 7 heures 30, ce même matin, le témoin vu deux soldats et deux

22 policiers arriver chez lui. Ils étaient accompagnés d'un dénommé Kole

23 Duzhmani qui venait du village de Korenica. Les policiers, quand ils sont

24 venus chez le témoin, lui ont dit de partir en compagnie de sa famille.

25 Ils lui ont dit de quitter sa maison parce que cette maison allait bientôt

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1 être incendiée.

2 Le témoin en conséquence, a fait les préparatifs nécessaires pour partir.

3 Il a placé sa femme invalide dans une brouette. Pendant tout ce temps, les

4 soldats ont harcelé M. Pnishi, ils lui ont asséné des coups et ont essayé

5 de le jeter dans un puits qui se trouvait dans sa maison.

6 Le témoin explique que ces deux soldats parlaient russe et il pense qu'il

7 s'agissait de Russes. Peu de temps après, le témoin a entendu un message

8 adressé à l'un des Russes en serbe lui demandant s'ils avaient avec eux un

9 certain "Kole", en lui disant qu'il fallait le tuer. Cette communication

10 s'est faite en serbe.

11 Le témoin pense que les soldats ont fait la confusion entre ce nom et le

12 nom de M. Kole Duzhmani. Les soldats ont raccompagné cet homme vers la

13 maison du frère du témoin. Peu de temps après, le témoin a entendu des

14 tirs et l'homme a été tué.

15 Les deux soldats ont mis le feu à la maison de ce Pnishi. Pendant cette

16 période-là, la belle-sœur du témoin, qui était arrivée avec son jeune

17 fils, a été victime de mauvais traitements. Elle a été menacée.

18 De sa maison, vers 9 heures 30 le matin, le témoin a vu que les Serbes

19 avaient mis en place un point de contrôle à environ 200 mètres de sa

20 maison. Le point de contrôle était tenu par des soldats de la VJ, des

21 policiers, ainsi que des éléments paramilitaires qui avaient des véhicules

22 blindés.

23 Le témoin a également vu à ce moment-là un grand nombre de personnes qui

24 se dirigeaient vers Mejë, qui venaient apparemment des villages

25 environnants.

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1 Au point de contrôle, le témoin a vu que l'on a forcé les gens à descendre

2 des tracteurs, à sortir de leurs voitures et on les a forcés à s'étendre

3 face contre terre, les mains placées derrière la nuque. On a pris à ces

4 personnes leurs papiers d'identité.

5 Le témoin a également vu que certains hommes ont été emmenés vers le

6 groupe scolaire avoisinant et qu'on les a enfermés à l'intérieur à clef.

7 Le témoin a reconnu le commandant de police de Ponoshetc, Dragutin

8 Stanojevic, il l'a vu au point de contrôle; il a constaté qu'il procédait

9 à la séparation des hommes et des femmes.

10 Peu de temps après, le témoin est parti avec sa famille à la maison de son

11 parrain Jahoc. Et du troisième étage de cette maison, le témoin a vu, vers

12 11 heures 45, des policiers qui accompagnaient sept jeunes hommes vers le

13 pont de Ura e Traves à Jahoc.

14 Ces sept jeunes hommes que le témoin a vus ont ensuite été alignés,

15 ensuite été abattus par un policier muni d'une mitraillette qui se tenait

16 au centre du pont.

17 Peu de temps après, pensant que son fils se trouvait parmi ces hommes

18 tués, M. Pnishi s'est rendu sur place et a vérifié l'identité des corps,

19 mais n'a reconnu personne au nombre de ces corps.

20 Le samedi, le 1er mai, M. Pnishi a vu que les corps qui se trouvaient sur

21 le pont étaient récupérés et rassemblés par des Tziganes dans un tracteur.

22 Le témoin a vu un camion ce matin-là qui se dirigeait vers Mejë et qui est

23 revenu deux heures plus tard vers le cimetière de Gjakova.

24 Le témoin a reconnu les noms de certains des Tziganes, et notamment de

25 Hamdi Alitaj qui était là avec ses trois fils.

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1 Le lendemain, Hamdi Alitaj est venu chez le témoin et, dans la

2 conversation, il lui a dit que lui et d'autres hommes avaient chargé 412

3 corps à bord de tracteurs, la veille, le 1er mai.

4 Dix-neuf jours après le 27 avril, le témoin a vu le corps de Kole Duzhmani

5 dans la cuisine de la maison de son frère, dans le village de Mejë.

6 En juin 1999, après être rentré au Kosovo, le témoin est allé sur place

7 dans la colline près du village de Mejë; il a vu des signes qui

8 indiquaient que 60 cadavres avaient été incinérés à cet endroit.

9 Il a également vu des traces laissées par un bulldozer à cet endroit.

10 J'en ai terminé de la lecture du résumé de la déclaration du témoin.

11 Ceci fait partie du document 92bis.

12 Mme Anoya (interprétation): Ce document porte la cote P299.

13 M. le Président (interprétation): Nous allons en terminer ici.

14 Monsieur Pnishi, je vous demande de revenir nous rejoindre demain à 9

15 heures et de ne parler à personne de votre déposition dans l'intervalle.

16 M. Pnishi (interprétation): Bien entendu.

17 M. le Président (interprétation): 9 heures demain matin.

18 (L'audience est levée à 13 heures 50.)

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