Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le mercredi 8 septembre 2004

2 [Audience publique]

3 [L'accusé est introduit dans le prétoire]

4 --- L'audience est ouverte à 9 heures 06.

5 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Nice, vous pouvez

6 poursuivre avec votre contre-interrogatoire.

7 LE TÉMOIN: SMILJA AVRAMOV [Reprise]

8 [Le témoin répond par l'interprète]

9 LE TÉMOIN : [interprétation] Si vous me le permettez, Monsieur Nice, je

10 vous dois une explication depuis hier. J'ai lu ce que vous m'avez remis, en

11 disant que c'était mon article. Je maintiens dans son ensemble la teneur de

12 ce texte, mais, Monsieur Nice, il ne s'agit pas d'un article, il s'agit

13 d'un discours que j'ai prononcé, il y a plutôt longtemps à l'occasion de la

14 promotion du livre dont il s'agit.

15 Encore une fois, je maintiens ce qui est exprimé ici. Ce sont bien mes

16 réflexions. Mais au moment où il y a eu l'enregistrement et la rédaction du

17 texte, il y a peut-être eu quelque -- et le titre ne vient pas de moi,

18 c'est celui qui l'a enregistré, qu'il l'a donné.

19 Permettez-moi juste une question. Ce que je ne comprends pas, j'ai rédigé

20 plusieurs articles au sujet du Tribunal, la seule chose que je ne comprends

21 est de savoir quel est le lien entre ceci et ma déposition dans la cadre de

22 l'affaire de M. Milosevic.

23 Permettez-moi de vous le remettre -- de vous le rendre ? Je ne l'ai pas

24 revu depuis -- depuis le moment où j'ai tenu ce discours, et c'était peut-

25 être 12 ou 15 ans. Je vous en prie, Monsieur.

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1 Contre-interrogatoire par M. Nice : [Suite]

2 M. NICE : [interprétation] Monsieur le Président, je tiens à préciser

3 quelques points qui restent à préciser depuis hier. Tout d'abord, ceci a à

4 voir avec le fait que ce témoin est l'auteur du livre. Mme le Témoin n'a

5 pas rédigé le livre intitulé : "Le Génocide contre les Serbes," mais elle a

6 contribué à ce livre et, d'après ce que j'ai compris, elle a rédigé la

7 partie qui concerne la période allant de 1941 à 1945.

8 Q. Est-ce exact ?

9 R. Je ne vois pas à quel niveau vous faites référence. J'ai beaucoup

10 d'avant-propos que j'ai rédigés au moins une dizaine pour divers livres.

11 Q. Très bien. Continuons.

12 R. Le --

13 Q. Je vous en prie, Madame le Professeur, nous avons un temps limité et,

14 si vos réponses sont longues, soit il faudra que vous restiez plus

15 longtemps ici ou je ne vais pas pouvoir aborder tous les points qui peuvent

16 être utiles à la Chambre.

17 M. NICE : [interprétation] Un autre point, Monsieur le Président : hier, on

18 s'est référé à la grève des mineurs du Kosovo, c'étaient les mines de

19 Trepca, et deux autres questions que j'ai à poser sur des points très

20 généraux.

21 Q. Il est exact, n'est-il pas, Madame le Professeur Avramov, que vous

22 étiez conseillère à la fois de la RSK et la République serbe et vous avez

23 obtenu, en février 1997, une position en tant que membre du conseil, de

24 chargée de l'éducation de la Krajina serbe, en mars 1995.

25 R. Non, Monsieur Nice. Vos données sont très erronées. Je n'ai jamais été

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1 conseillère de qui que ce soit d'ailleurs. J'ai été membre d'un conseil

2 éducatif de la République serbe car c'était l'endroit où il y avait une

3 université où nous enseignions, nous, professeurs de la faculté de droit,

4 la faculté des lettres et de plusieurs autres facultés de Belgrade.

5 Je n'ai jamais été une conseillère de quelque nature que ce soit. J'étais

6 membre du conseil éducatif. Il m'est arrivé de me rendre à Knin, bien

7 entendu, je faisais des conférences à l'université et aussi à Pristina,

8 Monsieur, j'allais faire mes conférences là-bas aussi. J'y ai enseigné.

9 Q. Il me reste une série de points brefs à aborder au sujet de la

10 déposition qui a été faite hier.

11 M. NICE : [interprétation] J'ai la transcription qui commence à partir du

12 numéro 1. Je ne sais pas si vous avez la transcription et j'espère que

13 c'est paginé de la même façon.

14 Q. [aucune interprétation] Vous avez fait référence à --

15 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Avant de poursuivre, Monsieur Nice,

16 est-ce que l'on peut préciser une réponse à votre question, où vous avez

17 demandé au témoin si elle a été sénateur de la République serbe; cela

18 faisait partie de votre question.

19 M. NICE : [interprétation] Oui. Très certainement.

20 Q. Pouvez-vous répondre à cette question posée par le Juge ?

21 R. Non, je n'étais ni député, ni membre. J'étais membre du sénat de la

22 République serbe pendant une période plutôt brève, de la durée de vie de ce

23 sénat qui n'a pas été très longue.

24 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je vous remercie.

25 M. NICE : [interprétation]

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1 Q. Plusieurs points qui ressortent d'hier. Dans la transcription page 11,

2 lorsqu'on parle de la période qui suit l'année 1945, vous avez parlé des

3 Croates qui ont organisé des groupes illégaux qui se sont transformés en

4 organisations terroristes. Professeur Avramov --

5 R. Oui.

6 Q. -- je vous précise simplement que, pour autant que je le sache, ceci

7 est la première fois que vous avez entendu parler de cela. C'est une

8 question très simple. Je vous prie de répondre brièvement. Les groupes

9 terroristes auxquels vous vous référez, est-ce qu'ils se sont transformés,

10 d'une manière quelle qu'elle soit, ou est-ce que qu'ils avaient une

11 relation quelle qu'elle soit avec des organes dont nous parlons

12 aujourd'hui, à savoir, qui nous intéressent dans le cadre du démantèlement

13 de l'ex-Yougoslavie, ou était-ce quelque chose de complètement

14 indépendant ?

15 R. Il y a eu des liens. J'ai écrit là-dessus. Je vais vous remettre mon

16 livre. C'est abordé en détails. Je ne l'ai pas sur moi ici dans mon livre :

17 "Genocide In Yougoslavie in the Light of International Law." Ces groupes

18 étaient organisés, illégaux et, par la suite, ils ont établi des liens avec

19 des groupes dans le pays.

20 Je ne sais pas si vous vous rappellerez cela. Je ne sais pas si vous avez

21 essayé d'explorer cela. Il y a eu un soulèvement en Bosnie et, lorsqu'on a

22 infiltré ces groupes dans le pays, une tentative de soulèvement. C'était en

23 1969 ou 1970. Je n'arrive pas à me rappeler exactement la date.

24 Q. Très bien.

25 R. Ils ont été infiltrés en Bosnie afin d'organiser un soulèvement et afin

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1 d'opérer une jonction avec des groupes qui opéraient à l'intérieur déjà.

2 Q. Pouvez-vous nous donner le nom par lequel étaient connus ces groupes ?

3 R. Ces groupes se sont unis pour constituer le HOP, le mouvement de

4 libération croate et, quant à l'organisation, je vous ai remis une preuve

5 là-dessus. L'organisation s'est constituée en 1965 à Zagreb et, par la

6 suite il y a eu création d'une union de ces différents groupes.

7 Q. Au sujet de Karadjordjevo, vous nous avez dit, d'après le transcript

8 hier, que c'était un mensonge notoire que d'affirmer que lors de cette

9 rencontre Milosevic et Tudjman ont tracé des frontières. Par la suite, vous

10 avez expliqué que votre groupe de travail s'est effectivement penché sur

11 des frontières.

12 Vous avez rédigé beaucoup de choses sur différents points, mais vous

13 n'avez jamais abordé, me semble-t-il, la réunion de Karadjordjevo, dans vos

14 livres du moins.

15 Lorsque vous avez témoigné hier devant cette Chambre, vous nous avez

16 dit que vous ne saviez pas ce qui s'est passé, à ce moment-là, entre les

17 deux présidents, n'est-ce pas ?

18 R. C'est exact que je n'ai pas écrit là-dessus. Dans mon

19 livre : "Guerre post-héroïque de l'Occident contre l'Yougoslavie," je pense

20 que c'est en 1988 qu'il a été publié et il me semble que j'ai consacré deux

21 pages à cela. Je ne suis pas tout à fait sûr.

22 Cela c'est un premier point. Un deuxième point, j'ai souligné que je

23 n'étais pas présente lors de la réunion de Karadjordjevo et que je ne sais

24 pas quelle a été la teneur de leurs entretiens, mais le groupe auquel j'ai

25 fait référence et dont j'ai fait partie dans les travaux desquels j'ai

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1 participés a été constitué sur la base de l'accord qui était passé à

2 Karadjordjevo. J'ai fait partie de ce groupe, c'est ce que j'ai dit. Je

3 n'ai pas parlé de frontières à Karadjordjevo. Si je vous ai parlé de

4 quelque chose, c'est du fait qu'en principe nous évoquions la question des

5 frontières, à savoir si elles allaient suivre le tracé du partage

6 yougoslave, datant de la révolution sur la base des contrats

7 internationaux. J'ai dit que seuls les accords internationaux peuvent

8 servir de base pour des tracés futurs des frontières.

9 Q. Très bien. Passons au point suivant. Page 23, vous avez laissé entendre

10 que l'ordre aux fins d'envoyer des renforts en Slovénie était un ordre

11 émanant de M. Markovic, qui était à ce moment-là premier ministre. Vous

12 savez que ceci n'est pas exact parce que, d'un point de vue

13 constitutionnel, en tant que premier ministre, il n'était pas habilité à le

14 faire.

15 R. Monsieur, Markovic et Mesic constituaient l'autorité suprême, à ce

16 moment-là, en Yougoslavie. D'après notre presse, il apparaît que c'est

17 Markovic qui a pris cette décision. Quant à savoir si la presse l'a relayée

18 exactement ou non, il faudrait vérifier cela auprès de M. Markovic, mais je

19 ne vois pas qui d'autre aurait pu le faire, si ce n'est Markovic et Mesic.

20 C'étaient des organes suprêmes fédéraux.

21 Ceci étant dit, il y a un autre point. Je vous en prie. Le pays s'est

22 trouvé menacé. Est-ce que le pays a le droit de se défendre, bien entendu

23 que si. C'est le droit naturel de chacun des pays. Vous savez --

24 Q. Professeur, le commandant en chef était le commandement Suprême ou le

25 conseil de la Défense suprême, comme cela a été appelé, par la suite. A

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1 l'époque, Mesic devait être le président de cet organe. Jovic en a été

2 membre également; est-ce exact ?

3 R. Oui.

4 Q. Si les éléments de preuve montrent que Jovic a exercé le pouvoir

5 d'envoyer l'armée en Slovénie en l'absence de Mesic, qui ne l'a pas arrêté

6 de le faire, vous ne pouvez pas affirmer que c'est erroné, n'est-ce pas ?

7 R. Je ne sais rien de cela. J'étais loin et je n'avais rien à voir avec

8 ces organes suprêmes de notre pays. Je n'exerçais aucune fonction

9 politique, Monsieur, je ne peux pas vous donner une réponse à cela.

10 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Avant d'avancer, Monsieur Nice, je ne

11 suis pas sûr que le témoin ait répondu correctement à votre question

12 précédente.

13 Professeur, la question précédente a été la suivante : M. Markovic, le

14 premier ministre, avait-il l'autorité de le faire, était-il habilité à

15 envoyer les forces. En tant qu'expert juridique, pouvez-vous me répondre à

16 cette question.

17 LE TÉMOIN : [interprétation] Certainement pas, mais notre presse a publié

18 cette information et, généralement, on était convaincu de cela. Il n'y a

19 jamais eu de démentis. D'après la constitution, vous savez, il y a eu

20 beaucoup d'écarts par rapport à la constitution. En tant que telle, elle a

21 été abandonnée, mise à l'écart, et vous pouvez trouver des dizaines de

22 décisions qui n'étaient pas constitutionnelles et qui ont été prises à ce

23 moment-là. Mais il faudrait examiner cela au cas par cas. Il n'était pas

24 habilité à le faire. Il n'avait pas cette compétence-là, bien entendu,

25 c'est clair.

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1 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci.

2 M. NICE : [interprétation]

3 Q. Vous vous êtes préparée à témoigner à son égard plutôt contre lui.

4 Pouvez-vous nous aider sur un point ? Vous nous avez dit ce que vous avez

5 appris à l'époque grâce aux journaux. Avez-vous également appris que le

6 même M. Markovic s'est rendu à Ljubljana lorsque la JNA allait organiser

7 des raids aériens, afin d'être sur place, pour subir le même sort que les

8 autres s'il y avait des frappes aériennes ? Vous vous rappelez cela ? Est-

9 ce qu'il s'est rendu de son propre chef ?

10 R. Non, je ne m'en souviens pas.

11 Q. [aucune interprétation] Très bien.

12 R. Je ne me souviens absolument pas de ce détail.

13 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Robinson.

14 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, Monsieur Milosevic.

15 L'ACCUSÉ : [interprétation] M. Nice est en train de confondre le témoin car

16 M. Nice sait très bien que j'ai présenté ici un sténogramme de la session

17 élargie de la présidence et des présidents des républiques où l'on voit ce

18 que dit Milan Kucan, le président de l'époque, de la Slovénie qui confirme

19 que Markovic a créé cet incident dans son ensemble en Slovénie, qu'ils ont

20 appelé guerre et qui n'a été en fait qu'un crime contre des soldats et où

21 tout ceci est couché par écrit. Par conséquent, ce qu'il est en train

22 d'avancer maintenant, il essaie de confondre le témoin pour que le témoin

23 se justifie pour des choses qui sont des choses de notoriété publique.

24 Ce qui figure dans le sténogramme d'un entretien, où étaient présents

25 à la fois Kucan, président de la Slovénie, Markovic et moi, qui en ai

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1 parlé. Tout cela figure dans nos documents.

2 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, j'ai pris

3 connaissance de vos commentaires. M. Nice les a entendus également.

4 Ce que je souhaite dire, c'est que vous avez la possibilité,

5 conformément à l'ordonnance que nous avons rendue -- la possibilité de

6 poser des questions. Vous auriez très bien pu présenter ceci dans le cadre

7 des questions supplémentaires du témoin. Vous êtes en mesure de le faire.

8 Monsieur Nice, veuillez poursuivre.

9 M. NICE : [interprétation] Merci.

10 Q. Page 27 du transcript d'hier. Il s'agit là d'un point dont j'ai déjà

11 parlé où le témoin a précisé que l'accusé n'était pas la seule personne qui

12 prenait des décisions.

13 Mais passons à la page 30 du transcript. Madame, vous avec dit aux

14 Juges hier, lorsque vous avez parlé de la réunion de Brioni, qu'il y avait

15 là des représentants de toutes les républiques à l'exception de la Serbie.

16 Vous avez dit que la Serbie n'y a pas été représentée. Mais ce n'était pas

17 exact, n'est-ce pas ? La Serbie a été invitée ?

18 R. Non. La Serbie n'a pas été représentée à cette réunion et, au dernier

19 moment, d'après les notes de la réunion de Brioni -- au dernier moment, ils

20 ont constaté qu'il n'y avait pas là de représentants de la Serbie. M.

21 Jovic, qui représentait la Fédération et qui était là au nom de la

22 Fédération, a dit -- on a

23 dit : "Et bien, il peut, en même temps, représenter la Serbie." C'est cela

24 qui est exact. Dans mon livre, je cite des sources.

25 Q. Non seulement Jovic était bien en mesure de représenter la Serbie lors

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1 de cette réunion, compte tenu de sa position et de ses relations avec

2 l'accusé, mais Kadijevic y était aussi, n'est-ce pas ?

3 R. Mais Kadijevic représentait l'armée et non pas la République serbe --

4 la République de Serbie.

5 Q. Je vous prie de passer à la page 34. Vous avez fait, hier, une

6 observation -- du moins, c'est comme cela qu'elle a été traduite -- au

7 sujet de laquelle je voudrais vous poser quelques questions. Lorsque vous

8 parlez du droit à l'autodétermination et à la sécession, vous avez parlé de

9 quelque chose que vous avez décrit, non pas comme un principe territorial,

10 mais comme un principe subjectif du peuple, en continuant, je cite vos

11 propos : "Par conséquent, les Serbes, en tant que nation constitutive, ils

12 avaient le droit à l'auto," -- et il n'est pas clair quel est le mot qui

13 suit. Est-ce que, d'une certaine manière, vous estimiez que les Serbes

14 constituaient le cœur de la Yougoslavie ?

15 L'INTERPRÈTE : L'interprète de la cabine anglaise précise qu'il s'agissait

16 du corps de la Yougoslavie, c-o-r-p-s.

17 M. NICE : [interprétation] Je remercie les interprètes.

18 LE TÉMOIN : [interprétation] Il y a une différence entre "peuple

19 constitutive" et "constitutionnel". J'ai dit : "Pour ce qui est des peuples

20 constitutifs, le peuple serbe était, sans aucun doute, un peuple

21 constitutif." Non seulement, il l'était, mais il était aussi le fondement

22 de la Yougoslavie car le royaume de Serbie, qui a pris part à la Première

23 guerre mondiale, avait le droit légal

24 -- juridique de débattre du problème de l'avenir pendant les négociations

25 de Versailles. C'est cela que je vous ai dit : "Peuple constitutif." Les

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1 autres parties avaient fait part, précédemment, de l'Empire austro-

2 hongrois.

3 M. NICE : [interprétation]

4 Q. Pour être tout à fait certain de vous suivre, par exemple, à votre

5 avis, le peuple serbe se plaçait sur un pied plus élevé -- ils étaient plus

6 importants que les Albanais kosovar, les Croates ou les Musulmans.

7 R. Non, jamais personne ne l'a dit, et je ne vous l'ai pas dit non plus.

8 Je l'ai peut-être abordé dans un autre sens.

9 Q. La question que je vous pose --

10 R. Je vous en prie.

11 Q. Est-ce que vous estimez que les Serbes, en tant que peuple, compte tenu

12 du contexte historique dans lequel vous les analysez -- vous les observez,

13 ils se situent au-dessus des Albanais kosovar, des Bosniens ou, voire même,

14 des Croates, pour ce qui est de leurs droits, ou sont-ils placés sur un

15 pied d'égalité ?

16 R. Je n'ai jamais dit cela. J'ai toujours estimé que les peuples étaient

17 égaux. Mais je me permets de vous rappeler, Monsieur, qu'en fonction de la

18 résolution de l'assemblée générale -- et je vous citerais précisément cette

19 Résolution 1514 de 1960 -- il est précisé tout à fait clairement que : "Le

20 sécessionnisme -- ou l'aspiration à la sécession ne peut pas se fonder sur

21 l'autodétermination. L'autodétermination ne peut pas constituer une raison

22 au démantèlement d'un pays -- d'un Etat." C'est la Résolution 1514 de 1960.

23 Il est très clair que l'autodétermination ne saurait avoir lieu par la

24 force. On précise, en particulier, que les minorités d'un pays ne peuvent

25 pas invoquer l'autodétermination afin de procéder à une sécession.

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1 Q. Je vais vous répéter une partie de la dernière des questions que je

2 vous ai posée. Je ne cherche pas à vous placer dans une sorte de piège ou

3 donner dans le flou. Je vais parler des différentes autres parties de la

4 Yougoslavie, pour ce qui est des plans. Mais la question est celle de

5 savoir si les Serbes sont sur un pied d'égalité avec les Albanais du

6 Kosovo.

7 R. De nos jours, au Kosovo, ils sont expulsés, ils sont subjugués par la

8 population albanaise, et il y a tentative de génocide à l'égard de ce

9 peuple serbe qui a vécu au Kosovo. C'est une chose que je tiens à vous

10 rappeler.

11 Q. Excusez-moi --

12 R. Non, ils ne sont pas sur un pied d'égalité au Kosovo.

13 Q. Nous allons peut-être en parler plus tard. Mais pour ce qui est des

14 réflexions des intellectuels, et vous comprise, on a laissé entendre que

15 les Albanais du Kosovo avaient moins de droits, de par leur statut, que

16 cela n'est le cas des Serbes.

17 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Nice, je crois que vous

18 n'êtes pas tout à fait équitable vis-à-vis du témoin.

19 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

20 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Le témoin était en train de parler

21 de la situation de fait de nos jours.

22 M. NICE : [interprétation] Ce que je -- je m'excuse si je l'ai induite dans

23 l'erreur.

24 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Allez-y.

25 M. NICE : [interprétation]

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1 Q. Madame Avramov, pour ce qui est des questions de principes, s'agissant

2 maintenant de la période dont nous traitons ici, avez-vous estimé que ces

3 Albanais étaient sur un pied d'égalité avec les Serbes ou avaient-ils un

4 statut inférieur -- des droits inférieurs à ceux des Serbes ? Quelle était

5 votre opinion à l'époque ?

6 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous parlez d'une question de droit.

7 LE TÉMOIN : [interprétation] Vous avez essayé de me placer dans un piège.

8 Vous êtes en train de ne pas la différence entre le statut d'individus et

9 d'un groupe ethnique ou d'une minorité. Maintenant, nous allons parler

10 d'une autonomie. Si nous parlons d'une autonomie, l'autonomie a moins de

11 droits qu'un Etat, pour ce qui est du droit international. Maintenant, pour

12 ce qui est des droits de l'homme et de la position des minorités, non

13 seulement ils étaient sur un pied d'égalité avec les Serbes, mais ils

14 avaient bénéficié du statut le plus élevé qui puisse être conçu en Europe.

15 C'est la première fois, d'abord, qu'ils ont eu une université albanaise.

16 Ils ont eu toutes leurs écoles en langue albanaise. Ils ont absolument tous

17 les droits, et ils ont été placés sur un pied d'égalité total avec les

18 Serbes. S'agissant maintenant de la constitution de 1974, ce sont les

19 Serbes qui ont été placés dans un statut inférieur à celui des Albanais

20 parce que les Albanais pouvaient faire -- placer un veto à l'égard de

21 modifications de la constitution de la Serbie, mais Belgrade ne pouvait pas

22 le faire s'agissant de Pristina.

23 M. NICE : [interprétation]

24 Q. Merci. Nous allons y revenir un peu plus tard.

25 En page 257 [comme interprété] de la transcription, vous nous avez

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1 dit hier, en répondant, notamment, à l'une des questions des Juges, qui

2 s'était appuyée sur une question posée précédemment par M. Kay -- vous avez

3 dit qu'à aucun Croate il n'a manqué un cheveu de la tête en Serbie et

4 qu'ils continuent à y résider.

5 R. Oui, c'est ce que j'ai dit et je le maintiens. C'est une autre chose,

6 maintenant, que de parler d'éventuelles violations de la loi ou de procès

7 conduit -- diligenté à l'encontre de certains individus parce qu'ils ont

8 enfreint la loi, mais c'est un fait parce que j'ai des voisins à moi qui

9 sont des Croates.

10 Q. Professeur Avramov, nous avons entendu ici des témoignages de Témoins

11 C47, C48, au sujet de Subotica, au sujet de Hrtkovci, et là-bas, non

12 seulement il y a eu des déplacements forcés, mais aussi des meurtres. Nous

13 avons entendu parler de Seselj, qui est intervenu en Vojvodina où il a

14 contraint les gens à se déplacer.

15 R. Vous êtes en train de me poser des questions au sujet d'événements où

16 je n'ai pas pris part, où je n'étais pas présente, et je ne puis que vous

17 répondre indirectement au sujet de ce que j'ai ouï-dire, de ce que j'ai pu

18 lire et apprendre par la presse. J'ai ouï-dire au sujet de cette localité

19 d'Hrtkovci, qu'il a eu un échange collectif de maisons au sein de -- le

20 village pour contre des maisons dans des villages de la Krajina, et ces

21 gens y résident de nos jours encore. Ils ont échangé leurs maisons.

22 Certains ont souhaité récupérer leur maison en Dalmatie et à Hrtkovci des

23 maisons qui étaient bien plus grandes. Enfin ce sont des choses que j'ai

24 apprises par la presse. Je vous demanderais de ne pas me poser de questions

25 au sujet de chose où je n'ai pas pris part. Je suis ici témoin pour ce qui

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1 est des agissements de M. Milosevic et, maintenant, ce qui s'est passé à

2 Hrtkovci n'a rien avoir du tout avec M. Milosevic.

3 Q. Professeur Avramov, vous vous êtes portée volontaire pour répondre, en

4 affirmant que personne n'a perdu un cheveu de sa tête. Je vous laisse

5 entendre de ma part que Hrtkovci est un cas extrêmement bien connu.

6 R. Oui. C'est ce qu'on dit.

7 Q. Je ne voudrais pas surcharger la Chambre avec trop de documents, mais

8 il y a eu des rapports en provenance de la province autonome de Vojvodina

9 datant de 2003 parlant de nettoyage ethnique survenu là-bas dans cette

10 période. Est-ce que vous seriez d'accord avec cette assertion ?

11 R. Non, pas du tout. Vous avez une opinion qui est la vôtre, moi, j'en ai

12 une autre. Vous avez des documents qui sont des documents à vous. J'ai mes

13 documents à moi parce que j'ai fait des recherches. J'ai rédigé trois

14 livres à ce sujet. Il est certain que vous pouvez faire venir d'autres

15 témoins venant de la même localité et des gens qui étaient placés dans des

16 situations différentes, et ils ont probablement des sentiments qui varient

17 vis-à-vis de telle ou de telle autre question.

18 Q. J'en arrive à mon avant-dernier sujet qui découle de votre témoignage

19 d'hier. S'agissant de la page 75 de la transcription et de la page 87 par

20 la suite, il a été question de l'autonomie de la Vojvodina. Vous avez à ce

21 sujet expliqué qu'il y avait une minorité et, en page 88, vous avez

22 expliqué que la finalité des amendements proposés à la constitution de

23 Serbie visait à priver les provinces du droit de veto qui leur permettait

24 d'influer sur la politique de la Serbie.

25 C'est la raison pour laquelle l'autonomie de la Vojvodina a été

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1 réduite ou éliminée au côté de celle du Kosovo, raison pour laquelle -- la

2 raison en a été de faire en sorte que la Serbie n'est pas à demander un

3 consensus au sujet de ces changements constitutionnels planifiés.

4 R. Le consensus c'est une question, Monsieur, et le veto en est une autre.

5 Q. Le Kosovo avait une majorité de Serbes.

6 R. Ils l'ont eu, en effet.

7 Q. Cette réduction -- cette élimination de certains droits devaient servir

8 aux fins de l'accusé afin de lui permettre d'étendre son contrôle --

9 l'étendue de son contrôle.

10 R. Non, vous ne pouvez pas personnaliser une situation difficile dans

11 laquelle c'était trouvé un Etat. L'Etat ayant le droit à l'autodéfense, le

12 droit de se défendre de se sauvegarder avec l'intention de tout ramener à

13 une personnalité, l'Etat s'était trouvé dans un danger existentiel. Tous

14 les traités des droits de l'homme, toutes les conventions internationales

15 parlent du droit exceptionnel -- des droits exceptionnels de l'Etat lorsque

16 ceux-ci sont menacés par des périls extérieurs, et ainsi de suite. Pourquoi

17 la Serbie, n'aurait-elle pas eu le droit de recouvrir à des mesures

18 d'exception dans des circonstances aussi exceptionnelles. Certes, il a eu.

19 Maintenant, M. Milosevic, ou le gouvernement en place, à mon avis, de la

20 part de la participation que j'aie eue, l'étude de ces questions, je sais

21 qu'il a toujours demandé un appui du côté du parlement. Je n'ai pas assisté

22 aux sessions du parlement et du gouvernement. Je ne peux pas en parler de

23 façon fondée, mais je suppose qu'il a demandé aussi l'appui de son

24 gouvernement.

25 Maintenant, une autre question à laquelle j'aimerais mettre l'emphase,

Page 32522

1 c'est ceci --

2 Q. Je ne suis pas sûr --

3 A. -- M. Milosevic --

4 Q. -- de la justification d'entamer des questions -- l'étude

5 de questions ou l'approche de questions suivant un choix qui serait le

6 vôtre.

7 M. NICE : [interprétation] Monsieur le Juge, en page 91 --

8 LE TÉMOIN : [interprétation] J'ai répondu à votre question.

9 M. NICE : [interprétation] -- en page 91, on a parlé de quelques 200 pays

10 et j'ai parlé de groupes identifiables au nombre de 5 000 plutôt que de

11 mentionner le chiffre de 2 000 tel que mentionné hier.

12 Q. Mais allons de l'avant suivant la chronologie, Professeur. En

13 votre qualité d'intellectuel, intellectuel qui a procédé à

14 des recherches concernant le conflit dont nous parlons, vous devez savoir

15 que les Unités paramilitaires ont un effet particulier sur toute société,

16 un effet de déstabilisation, parce que cela enfreint le monopole de la

17 violence qui est exercé par l'armée et la police de façon usuelle, n'est-ce

18 pas ?

19 R. Oui.

20 Q. Pouvez-vous nous expliquer et je vous demande d'en rester à l'année

21 1991 et début 1992, période dont vous avez parlé en nous indiquant que vous

22 en aviez une connaissance rapprochée ? Pouvez-vous nous expliquer comment

23 il se faisait qu'un homme appelé Dragan était le premier impliqué dans la

24 préparation d'opérations paramilitaires en avril 1991 ? Avez-vous appris

25 quelque chose au sujet de ce Dragan ?

Page 32523

1 R. Non. Je n'ai jamais rencontré cet homme. J'ai lu dans la presse des

2 articles à son sujet. Je ne l'ai pas connu, et je n'ai pas eu de contact

3 avec lui.

4 Q. Passons à un mois plus tard, vous avez été en contact rapproché dans un

5 certain degré avec l'accusé. Pouvez-vous nous dire quelle était la finalité

6 qui était -- ou l'objectif poursuivi par l'accusé lorsqu'il l'a mis en

7 place ces Unités de Bérets rouges en mai 1991 ?

8 R. Je ne suis pas certaine --

9 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur le Président.

10 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, Monsieur Milosevic.

11 L'ACCUSÉ : [interprétation] Il est en train d'induire dans l'erreur le

12 témoin. L'unité spéciale, appelée les Bérets rouges, a été créée dans les

13 services de Sécurité en 1996 par le ministère de l'Inférieur de Serbie, et

14 je crois que l'enregistrement vidéo, date de 1997, cela a été fait en 1996,

15 de quoi parle-t-on quand on mentionne l'année 1991. Il est en train

16 d'essayer de placer le témoin dans la confusion. Il n'a pas le droit de

17 mentionner dans ses questions des renseignements qui sont erronés. Le

18 témoin ne sait pas quoi répondre, et le témoin ne serait comprendre sa

19 question concernant le fait de savoir si les Serbes sont un peuple

20 constitutif parce que tout à chacun vous dira que les Serbes, les Croates,

21 les Macédoniens, les Monténégrins et autres sont des peuples constitutifs

22 de cette Yougoslavie, cela a été vrai pour tous les peuples. Les Musulmans,

23 à partir de 1970, ont obtenu ce statut de peuple constitutif également.

24 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur

25 Milosevic. Ce que vous venez de dire est pertinent et, avec notre

Page 32524

1 autorisation, vous auriez pu poser la question au cours des questions

2 complémentaires que vous avez le droit de poser au témoin.

3 Monsieur Nice.

4 M. NICE : [interprétation] En effet.

5 [La Chambre de première instance se concerte]

6 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Robinson.

7 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Nice, juste une question de

8 fait, quand est-ce que les Bérets routes ont-ils été mis en place ?

9 M. NICE : [interprétation] Suivant le témoignage -- d'après le témoignage

10 de Frenki Simatovic, il s'agissait du 4 mai 1991; ce serait la date de sa

11 création.

12 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Les questions afférentes à ce sujet

13 peuvent être posées par le conseil commis par la Chambre.

14 M. NICE : [interprétation]

15 Q. Suite à l'intervention de l'accusé et à l'intervention des Juges, je

16 suis certain, Professeur, que les Juges décideront, par la suite de leur

17 concertation, devront décider de la nature des unités que M. Simatovic,

18 comme il l'a dit lui-même, a mis en place en date du 4 mai 1991.

19 En votre qualité d'intellectuelle, vous pourriez nous aider. Je vous

20 demande de nous aider à comprendre ce qui suit : Y avait-il quelque

21 fondement que ce soit et quelque fondement légitime que ce soit pour ce qui

22 est de la prise de mesures de déstabilisation à cette phase du conflit par

23 l'accusé ?

24 R. Je ne peux pas vous répondre de façon précise parce que je n'ai pas été

25 impliquée dans ce segment de la politique intérieure. Mes connaissances,

Page 32525

1 mes expertises, les sujets thématiques dont j'ai été chargé d'assurer la

2 couverture, relevaient des relations internationales, des relations

3 politiques internationales. En ma qualité d'individu, en ma qualité de

4 juriste qui a certainement des connaissances à ce sujet, étant donné que

5 j'ai étudié d'autres domaines, notamment. Peut-être aurez-vous des témoins

6 qui seront plus compétents de vous en parler. Ce que je peux vous dire, en

7 vertu de droit international, l'Etat a le droit de déployer un maximum de

8 mesures pour protéger son intégrité en cas où celle-ci serait menacée. Ce

9 droit découle du droit à l'autodéfense. C'est cela.

10 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Professeur -- professeur, je

11 m'adresse à vous.

12 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, je vois. Allez-y.

13 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Est-ce que vous êtes en train de

14 nous dire que ce droit -- ce droit à l'autodéfense a servi de fondement

15 pour la création de cette unité des Bérets rouges ?

16 LE TÉMOIN : [interprétation] Dans de telles circonstances, cela peut

17 l'être. Les Américains ont les marines qui sont des unités spéciales qu'ils

18 affectent même à des ambassades, ce qui est quelque peu absurde, mais ils

19 estiment, eux, que cela est justifié dans des situations où le terrorisme

20 est devenu un phénomène global et que cela fait partie intégrante de leur

21 droit à l'autodéfense. Pour ce qui est maintenant du droit international

22 classique, la chose ne serait être admise.

23 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci.

24 M. NICE : [interprétation]

25 Q. Je vais enchaîner sur ce que vous nous avez dit il y a deux minutes.

Page 32526

1 S'agissant de la période dont nous sommes en train de parler ici. La Serbie

2 avait-elle été un intervenant internationalement reconnue ou était-ce la

3 Yougoslavie ?

4 R. La Yougoslavie en tout état de cause.

5 Q. Merci. Au sein de la Yougoslavie, la Serbie avait-elle été menacée par

6 ses voisins ? La Croatie avait-elle menacé d'envahir la Serbie ? Est-ce que

7 la Slovénie avait menacé d'envahir la Serbie ?

8 R. Non. Seul le facteur international reconnu internationalement devait

9 constater qu'il y avait insurrection qui s'est muée en guerre civile, puis

10 en guerre internationale. Cela a été conduit contre un intervenant

11 international non reconnu, qui était la Yougoslavie.

12 Q. La Serbie, en sa qualité de partie constitutive de cette Yougoslavie

13 légalement reconnue, n'avait pas le droit d'agir dans ce qu'il est convenu

14 d'appeler l'autodéfense, n'est-ce pas ?

15 R. Elle avait le droit de le faire étant donné qu'une partie de la

16 Yougoslavie avait fait sécession contrairement au droit international. La

17 Serbie n'a pas été reconnue, mais les Nations Unies n'ont pas reconnu la

18 sécession de Chypre, non plus. 22 mouvements sécessionnistes ont été

19 enregistrés par les Nations Unies, et les Nations Unies ont adopté une

20 attitude négative à leur égard. Cela est confirmé, par exemple, dans le cas

21 de Biafra, où les forces internationales sont venues pour empêcher la

22 sécession. Je ne vais pas parler maintenant de Chypre, qui n'a été reconnue

23 que par la Turquie et par aucun autre pays.

24 On sait quel est le problème de la sécession reconnue dans le cas de

25 la Yougoslavie. Cela été contraire à la loi, cela a été illégal et cela

Page 32527

1 fera à long terme, l'objet d'examen pour ce qui est du respect du droit

2 public international.

3 Q. Je ne suis pas sûr si c'est la bonne réponse à la question que j'ai

4 posée.

5 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je peux vous dire que ce n'est pas une

6 réponse à la question que vous avez posée.

7 M. NICE : Je n'ai pas beaucoup de temps, Monsieur le Juge. Je ne sais pas

8 si j'ai bien traduit. Cécile

9 LE TÉMOIN : [interprétation] Vous n'avez peut-être pas compris ce que j'ai

10 dit. Dans une situation où c'est une partie de la Yougoslavie souveraine a

11 fait sécession de façon illégale et entrepris des opérations armées contre

12 l'Etat de Yougoslavie, la Serbie, en sa qualité de co-partie constituée de

13 la Yougoslavie, en tant que partie réduite de ce pays avait, certes, le

14 droit de se défendre.

15 M. NICE : [interprétation]

16 Q. Le problème à ce sujet, c'est que le mois de mai 1991, précède la

17 sécession, Professeur Avramov.

18 Passons maintenant au mois de septembre 1991. Vous avez entendu parler de

19 Vocin en Slavonie occidentale. J'essaie de vous poser des questions de

20 fait, parce que vous avez déclaré à l'intention des Juges que pas un cheveu

21 des non-Serbes n'est tombé en Serbie.

22 Vous avez avancé des affirmations de cette nature. Vous avez

23 certainement entendu parler d'un groupe paramilitaire conduit par un

24 dénommé Bokan en Slavonie occidentale. Avez-vous eu connaissance des

25 activités paramilitaires de cet intéressé ?

Page 32528

1 R. Je ne connais pas cet homme. Je n'ai pas eu de contacts et je ne peux

2 pas vous parler de lui.

3 Pour ce qui est des volontaires, il est certain que lorsque l'armée s'était

4 retirée vers les casernes, lorsque la population serbe s'est retrouvée

5 abandonnée par ses ex-voisins, ses ex-frères, tels qu'on se désignait entre

6 Serbes et Croates à l'époque, cette population s'est trouvée isolée et

7 attaquée. Il y a eu un sentiment de révolte en Serbie. Je sais pertinemment

8 que bon nombre de gens s'étaient portés volontaires. Certains volontaires

9 s'étaient présentés à l'armée et déplacés dans les rangs de l'armée quoique

10 l'armée n'ait pas envoyé ces gens-là là-bas. Je sais que des volontaires,

11 des unités de volontaires se sont créées à l'extérieur de la Serbie pour

12 aider cette population serbe. J'ai certaines connaissances de principes au

13 sujet de l'existence d'unités de ce genre, mais je ne sais pas vous parler

14 de personnalités, telles que vous les mentionnez.

15 Q. Avant que de passer au plan Carrington, j'aurais une question analogue

16 à vous poser au sujet des Tigres d'Arkan et des hommes à Seselj ainsi qu'au

17 sujet des activités qu'ils ont déployées à Knin, Borovo Selo, dont on a

18 parlé à cette Chambre, ceci au tout début du conflit. Avez-vous entendu

19 parler de ces choses, Madame ?

20 R. Voyez-vous, je ne puis vous parler qu'indirectement de ces choses-là.

21 Je crois que ces questions posées à mon intention ne sont pas appropriées

22 parce que je n'y ai pas participé en qualité de témoin et encore moins de

23 témoin oculaire. Je ne suis pas à même de vous en parler.

24 Q. Fort bien. Nous en arrivons au plan Carrington. Jusqu'à ce moment,

25 certains événements étaient déjà devenus notoirement connus du fait d'être

Page 32529

1 présentés par la presse et la télévision. Vous devez certainement avoir eu

2 connaissance au moment où vous avez participé aux négociations à La Haye,

3 de ce qui avait commencé à se passer à Dubrovnik ainsi qu'au sujet de ce

4 qui commençait à se passer à Vukovar. Dubrovnik, une ville tout à fait

5 croate avec une majorité --

6 R. Non, pas tout à fait, mais en majorité.

7 Q. Vukovar, où non seulement les Serbes n'avaient pas la majorité, mais il

8 était loin de l'avoir cette majorité. Depuis la perspective qui était la

9 vôtre en 1991 --

10 R. Je voudrais vous corriger.

11 Q. Allez-y, corrigez-moi. Y avait-il une majorité de Serbes à Vukovar ?

12 R. A un moment donné, la population était à 50/50.

13 Q. A quel moment ?

14 R. A l'époque de l'ex-Yougoslavie.

15 Q. Oui, mais nous parlons des années 90, Madame. Qui avait la majorité ?

16 R. Les Croates étaient légèrement majoritaires.

17 Q. Vous nous avez parlé hier des intérêts des localités où les Serbes

18 étaient majoritaires. Vous nous avez dit que ce qui avait été fait, avait

19 été fait en raison d'une appréhension, celle de voir se répéter les

20 événements de la Seconde guerre mondiale et le génocide perpétré à

21 l'encontre des Serbes.

22 R. En effet.

23 Q. Pouvez-vous nous apporter une explication, une justification des

24 attaques, des attaques notoirement connues, qui ont commencé avant la

25 rédaction du plan de Carrington à l'encontre de Dubrovnik ou de Vukovar ?

Page 32530

1 R. A l'époque, nous avions proposé à Carrington et, bien entendu, à la

2 Communauté européenne, des tas de documents concernant les conflits armés

3 survenus sur le territoire de la Yougoslavie. Dans ces documents-là, nous

4 avons parlé des attaques lancées par l'une et par l'autre des parties en

5 présence. Il a certainement été question de Dubrovnik. Je sais une chose :

6 nous avons affirmé, à l'époque, partant des rapports qui nous ont été

7 communiqués, que le centre de Dubrovnik n'avait pas été attaqué, que l'on

8 n'avait pas détruit le centre de la vieille ville, mais que les combats

9 avaient lieu dans le banlieue, dans les environs. Ces environs portent une

10 appellation particulière.

11 Q. Excusez-moi, Madame, aidez-moi. Vous connaissez ce territoire. Vous

12 avez probablement été souvent à Dubrovnik --

13 R. Oui, bien sûr, que j'y suis allée.

14 Q. Peut-être les Juges le savent-ils, peut-être tout le monde, ici,

15 connaîtrait la topographie de Dubrovnik. Etes-vous, en réalité, en train de

16 nous dire que nous devrions prendre au sérieux l'assertion aux termes de

17 laquelle les gens étaient en train de se battre à Dubrovnik dans ce petit

18 bout de littoral, contre des forces qui avaient encerclé Dubrovnik, ou est-

19 ce que vous acceptez l'assertion aux termes de laquelle Dubrovnik a été

20 attaquée purement et simplement ?

21 R. Peut-être. D'après les informations qui nous étaient parvenues, les

22 combats avaient lieu autour de Dubrovnik et non pas dans la vieille ville

23 même. Nous avions présenté des éléments de preuve et des documents à ce

24 sujet, disant que quoique Dubrovnik ait été une ville démilitarisée, des

25 troupes croates étaient entrées dans Dubrovnik. C'est ce que nous avons

Page 32531

1 avancé comme éléments de preuve. Cela n'exclu toutefois pas la

2 possibilité --

3 Q. Pourquoi ? Peut-être cela a-t-il, en effet, été une ville

4 démilitarisée, mais les Serbes n'avaient absolument aucun droit à l'égard

5 de Dubrovnik. Pourquoi s'occupaient-ils de lui ? Nous essayons de constater

6 devant cette Chambre. Y a-t-il une justification quelconque s'agissant de

7 l'attaque contre Dubrovnik, puisque vous avez aidé l'accusé à l'occasion

8 des négociations conduites à l'époque ?

9 R. Il ne s'agissait pas, Monsieur, de Dubrovnik, il s'agissait de l'Etat

10 de Yougoslavie. Dubrovnik faisait partie intégrante de cette Yougoslavie,

11 non pas de la Serbie.

12 M. NICE : [interprétation] Messieurs les Juges, nous allons passer à

13 présent au plan Carrington. Nous disposons d'un nombre assez important de

14 documents qui pouvaient nous aider. Cela provient des conférences tenues à

15 La Haye. Il y a les restrictions de confidentialité qui ont été levées

16 récemment. Ceci est un témoin qui à même de parler des documents en

17 question. Je propose d'en parler et de les aborder un par un. Je crois que

18 cela constitue des pièces intéressantes pour la Chambre, et j'espère que

19 cela ne prendra pas de temps.

20 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Ne perdez pas de vue le fait que le

21 témoin doit voyager.

22 M. NICE : [interprétation] Je ne le perds pas de vue. Pour ce qui est des

23 documents de la commission Badinter, je crois que cela a déjà été versé au

24 dossier, parce que la Chambre a déjà demandé cette documentation et l'a

25 obtenue.

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1 J'entends m'occuper de ces documents dans l'ordre chronologique.

2 Q. Commençons --

3 R. Voyez-vous, je ne puis pas lire tous ces documents en cet instant même

4 car le volume de ces documents est très important.

5 Q. Ce n'est pas ce que je vous demande. Ce sont des documents qui ont des

6 sources tout à fait claires, donc leur provenance ne peut être contestée.

7 Je vous demanderais de voir la date qui figure sur le document que j'aborde

8 en premier. Il date du 5 septembre. Je vous demanderais également de voir

9 quels sont les expéditeurs de ce document. Il est question de Milan Babic.

10 R. Le 9 septembre ? La date est bien celle du 9 septembre ?

11 Q. Ce document vient de --

12 R. Excusez-moi. Oui, je vois maintenant. Oui, le document a été reçu en

13 date du 9. De quelle page êtes-vous en train de parler ?

14 Q. Page 1, paragraphe 1. Ce document provient de Milan Babic. Vous voyez

15 que lorsque le gouvernement de Krajina l'a reçu, il a examiné la

16 déclaration au sujet de la Yougoslavie, qui a été adoptée par une réunion

17 interministérielle au niveau politique européen à Bruxelles. Il est

18 question de cessez-le-feu, de mémorandum sur la mission de vérification. A

19 cet égard, le gouvernement de la Région autonome serbe de Krajina est

20 présenté dans ses points principaux.

21 Je vous demanderais d'aller deux pages plus loin, page 3 du document. La

22 page 3, nous y trouvons, au paragraphe 3, les éléments suivants, je cite :

23 "Les problèmes discutés dans la déclaration devraient résoudre les

24 problèmes éventuels que posera la future constitution au peuple serbe, et

25 plus précisément, au peuple serbe de Krajina qui, par référendum, a décidé

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1 de vivre aux côtés des autres Serbes sur le territoire de la Yougoslavie.

2 Ceci est un nouveau problème de voir que de telles décisions sont niées par

3 l'agression armée des autorités croates néo-fascistes."

4 Une, deux, trois, quatre, cinq pages plus loin, nous en arrivons à la

5 conclusion et à la signature de Milan Babic. Au point 3 de cette page --

6 non, excusez-moi, au paragraphe 2, nous voyons la conclusion au sujet du

7 rapport sur le référendum de la Krajina, au sujet de la question de

8 l'opportunité de se joindre à la Serbie et de rester au sein de la

9 Yougoslavie. Le programme gouvernemental de la province autonome serbe de

10 Krajina et les solutions éventuelles aux problèmes qui se posent se

11 trouvent au paragraphe 3.

12 En bref, ce document soumis par la Krajina et par Milan Babic, démontre

13 l'existence d'une façon de pensée qui est tout à fait conforme à celle de

14 l'accusé présent ici aujourd'hui, n'est-ce pas ?

15 R. Votre question est devenue finalement une question suggestive. Ce que

16 je m'apprête à dire ne fera que corroborer ce que j'ai déjà dit. La

17 population de Krajina était très déterminée dans son souhait de demeurer au

18 sein de la Yougoslavie, car les régions concernées étaient des régions dans

19 lesquelles les Serbes habitaient depuis des siècles. Cette région n'est

20 jamais tombée sous la souveraineté de la Croatie car il existait en

21 Yougoslavie un statut qui était la décentralisation, comme vous le savez

22 fort bien.

23 Deuxièmement, cette idée est à la base même de la décision que nous lisons

24 ici, et du référendum qui a été organisé ensuite, à savoir, l'idée que

25 cette population souhaitait demeurer au sein de la Yougoslavie.

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1 Comme je l'ai déjà dit, hier -- je vous demanderais de m'autoriser à

2 répondre et à terminer.

3 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Professeur, je pense que vous

4 avez bien répondu et entièrement à cette question.

5 M. NICE : [interprétation] Ce document devrait devenir la pièce à

6 conviction --

7 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Quelle sera la cote ?

8 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] La cote sera 774.

9 M. NICE : [interprétation] Merci beaucoup.

10 Q. Prochaine pièce à conviction, il s'agit d'une allocution prononcée

11 durant une conférence par Franjo Tudjman. Je ne propose ce document qu'au

12 titre de document censé contrebalancer ce qui suit, à savoir, une

13 allocution de l'accusé. C'est un document qui est proposé à titre de

14 rappel. Il s'agit d'une allocution prononcée par Franjo Tudjman durant une

15 conférence. Si nous regardons les premiers paragraphes, nous nous souvenons

16 mieux de la façon dont les choses ont évolué. Vous voyez qu'il parle d'une

17 guerre sale et non déclarée. Il évoque le nombre des victimes croates, le

18 nombre des réfugiés, et affirme que des monuments culturels ont été

19 bombardés.

20 Je ne parle pas de la véracité ou non de ces propos, mais, en tout cas,

21 dans cette allocution, il se place du côté de la Croatie, n'est-ce pas ?

22 R. Il ne s'agissait pas d'une guerre non déclarée contre la République de

23 la Croatie, il s'agissait d'un soulèvement. C'était une guerre contre la

24 Yougoslavie, la Yougoslavie étant la seule entité reconnue sur le plan

25 international. La différence de qualification importe ici.

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1 M. NICE : [interprétation] Numéro de la pièce, s'il vous plaît.

2 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Pièce à conviction 775.

3 M. NICE : [interprétation] Ensuite, nous avons la déclaration de l'accusé,

4 faite le 7 septembre. Je demanderais que le texte soit distribué. Deux ou

5 trois courts passages nous intéressent ici.

6 Q. Il propose un diagnostic. Si nous regardons en page 1, premier

7 paragraphe, nous voyons --

8 R. Oui, je me souviens de cela.

9 Q. -- il parle de la crise qui résulte d'une politique sécessionniste

10 unilatérale. A la fin du premier paragraphe, il parle d'effusion de sang.

11 Ensuite, nous passons en page 2 --

12 R. Oui.

13 Q. -- paragraphe 2, de la page 2, où nous voyons clairement que les

14 Serbes, de la Région autonome serbe de Krajina et de la province autonome

15 serbe de Slavonie, Baranja et Srem occidental, sont mentionnés, et l'accusé

16 est considéré comme un acteur dans la procédure qui est entamée. Il dit que

17 ces régions sont indispensables. Il veut qu'elles participent à la

18 conférence.

19 Deux pages plus loin, page 5, en haut de la page, nous voyons certains

20 éléments du programme évoqué par lui. Le premier paragraphe nouveau sur la

21 page 5 se lit comme suit, je cite : "Les frontières doivent être modifiées

22 --"

23 R. Oui.

24 Q. "-- uniquement en cas de sécession par rapport à la Yougoslavie. Ceci

25 ne s'applique pas aux nations et aux républiques qui restent au sein de la

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1 Yougoslavie."

2 Au bas de la page, nous voyons les mots qui suivent, je cite : "Je saisis

3 l'occasion qui m'est donnée pour vous informer que, durant une réunion

4 récemment tenue à Belgrade, au plus haut niveau de représentation de la

5 Bosnie-Herzégovine, de la Serbie et du Monténégro, une initiative a été

6 lancée sur la base de la solution pacifique et démocratique évoquée ci-

7 dessus, dans le respect des principes importants pour résoudre la crise

8 yougoslave et adopter une nouvelle constitution yougoslave qui mettra sur

9 un pied d'égalité toutes les républiques, toutes les nations et tous les

10 citoyens."

11 Ceci revient à dire ce qui suit : il dit, dans cette dernière page que les

12 frontières doivent être modifiées au cas où il y aurait sécession par

13 rapport à la Yougoslavie, mais que ceci ne s'applique pas aux nations et

14 républiques qui demeurent au sein de la Yougoslavie. Est-ce qu'à vos yeux,

15 ceci est une norme unique et compréhensible ?

16 R. Très compréhensible, en effet. Comme je vous l'ai déjà dit, il existe

17 des traités internationaux qui définissent les frontières, et les

18 sécessionnistes doivent faire accepter leur frontière dans le cadre d'une

19 conférence internationale et pas par des actes et documents unilatéraux.

20 Toutefois, ceci est une question de principe, et c'est, je suppose, la base

21 des divergences qui existent entre vous et moi à ce sujet. Vous traitez le

22 territoire yougoslave --l'Etat yougoslave comme une terra neulius, comme

23 une terre n'appartenant à personne. Autrement dit, toute personne qui

24 arrive en premier sur ce territoire s'en saisit, et ce territoire devient

25 sien. Non, Monsieur, les choses ne se passent pas ainsi. Il s'agissait d'un

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1 Etat souverain dont les frontières internationales étaient reconnues et

2 garanties par les grandes puissances, par la déclaration de Paris, et

3 cetera, et cetera. Lorsque nous employons des qualifications juridiques,

4 nous pouvons partir et prendre comme base l'existence de l'Etat yougoslave

5 et pas les idées de Tudjman au sujet d'un éventuel Etat indépendant.

6 Q. Nous comprenons bien votre position. Nous voyons, en bas de cette page,

7 le passage que j'ai évoqué, où il est de l'initiative de Belgrade, qui

8 était censée maintenir l'ensemble au sein de l'Etat yougoslave sur la base

9 de ce qui existait précédemment, n'est-ce

10 pas ? Il parle bien ici de l'initiative de Belgrade.

11 R. Bien sûr.

12 Q. Ensuite --

13 R. Non, non, non. Ce n'était pas à la base de tout. Ce dont nous parlons,

14 c'est du désir de la population. Or, les désirs de la population n'ont pas

15 grand-chose à voir avec les droits de ceux qui lancent un mouvement

16 sécessionniste.

17 M. NICE : [interprétation] Cote de la pièce, je vous prie.

18 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] La pièce suivante sera la pièce 776.

19 M. NICE : [interprétation]

20 Q. La pièce à conviction suivante est présentée pour que les documents

21 soient complets et que la Chambre dispose bien de tous les renseignements

22 nécessaires. Nous n'examinerons qu'un extrait de ce document. Ce document

23 est un rapport officiel. Vous ne l'avez pas encore eu sous les yeux sans

24 doute. En tout cas, c'est un rapport officiel qui émane d'une conférence

25 officielle également.

Page 32538

1 Rendez-vous au paragraphe 2, je vous prie. Nous voyons que la Serbie et le

2 Monténégro, deux républiques, soulignent, toutes deux, que la situation

3 actuelle est due à des actes de sécession unilatéraux de la part d'un

4 certain nombre de républiques. De leur point de vue, la conférence doit

5 décider -- doit se prononcer sur le droit à l'autodétermination et le droit

6 à la sécession de l'ensemble de ces populations. Le vœu est exprimé qu'une

7 nouvelle Yougoslavie soit créée, avec égalité complète entre les nations et

8 les républiques, et contrôle exercé par la Fédération sur l'économie, le

9 niveau de vie, la politique étrangère et la défense nationale. Les deux

10 républiques s'opposent à une solution dans l'unité. Elles estiment qu'il

11 faut égalité surtout, que des sacrifices ont été consentis, et qu'il est

12 impossible de choisir ici ou là les zones où la coopération s'exercera et

13 celles où, étant moins avantageuse, elle ne s'exercera pas.

14 Ceci est un compte rendu objectif au sujet d'une conférence officielle et

15 des vues exprimées par la Serbie et le Monténégro durant cette conférence,

16 n'est-ce pas ? Est-ce que le procès-verbal rend bien compte des points de

17 vue des Serbes et des Monténégrins ?

18 R. Je ne pense pas que ce soit le cas; en tout cas, c'est mon impression

19 personnelle. Pour autant que je m'en souvienne, nous sommes beaucoup

20 intervenus durant les débats. Il y a une chose qui est inconcevable, à

21 savoir que des notes -- que les minutes de la conférence n'aient pas été

22 prises pendant cette conférence. Ceci est sans précédent. Une conférence

23 aussi importante que celle-ci qui ne dispose pas de minutes en bonne et due

24 forme et de minutes vérifiées, ceci est inconcevable. J'ai d'ailleurs

25 soulevé le problème. M. Milosevic se souviendra que je l'ai fait en ma --

Page 32539

1 qualité -- à titre professionnel. Que pensez-vous d'une conférence qui ne

2 donne pas lieu à la rédaction de minutes -- d'un procès-verbal en bonne et

3 due forme ?

4 M. NICE : [interprétation] Dans une telle situation, chacun peut avoir son

5 propre rapport et se faire son propre avis, présenter ses propres opinions

6 à la date en question du 18 octobre, et cetera.

7 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Pièce à conviction 777.

8 M. NICE : [interprétation]

9 Q. Nous passons maintenant à un autre rapport du 18 octobre, qui en vient

10 au cœur du problème.

11 M. NICE : [interprétation] Nous améliorerons au fil du temps le système de

12 présentation de nos pièces. En tout cas, je fais ce que je peux pour

13 l'instant, et il s'agit du document numéro ERN0414605, en haut de la page à

14 droite -- excusez-moi de ne pas avoir cité ces numéros jusqu'à présent.

15 Q. En page 2 de ce rapport du 18 octobre, il est question dans ce document

16 d'une séance plénière et au milieu de la page, Lord Carrington invite les

17 parties à se prononcer au sujet du chapitre 1 de l'accord de solution

18 générale, qui a été diffusée rapidement, et des résultats des réunions

19 interministérielles du 4 octobre, où les ministres, ainsi que M. Milosevic

20 et Tudjman, participaient.

21 Le président Milosevic a exprimé officiellement ses réserves au sujet du

22 chapitre 1 du texte en question depuis la tribune puisque le document

23 partait de l'idée de base qu'un Etat reconnu internationalement devait être

24 aboli. Une telle chose ne peut résulter que d'une procédure juridique, est-

25 il dit, le droit à l'autodétermination des peuples est opposé aux droits

Page 32540

1 invoqués par les unités fédérales. Ensuite, il est question de dispositions

2 à prendre dans l'avenir entre les différentes composantes yougoslaves pour

3 que les populations concernées puissent participer à un référendum.

4 Nous passons, ensuite, après avoir fait observé que la position de Lord

5 Carrington est décrite plus en détails au bas du paragraphe. Nous trouvons,

6 ensuite, le paragraphe où on voit les positions de M. Milosevic, selon

7 lesquelles l'intérêt collectif, l'intérêt commun, doit partir du bas et non

8 être imposé depuis le sommet, c'est-à-dire, depuis le niveau fédéral qui

9 n'est plus crédible.

10 Page suivante, encore une fois, résumé de la deuxième intervention de M.

11 Milosevic, qui modifie sa proposition, en disant que les Serbes de Croatie

12 ont été victimes d'attaques violentes et par conséquent que leurs droits

13 doivent être garantis sur le plan international.

14 Paragraphe 2.5, on y trouve un certain nombre de points intéressants et un

15 fondement valable d'une solution destinée aux zones peuplées par les Serbes

16 en Croatie qui doivent être démilitarisées, les populations de ces régions

17 doivent se déterminer sur leur propre destin.

18 Est-ce que cela vous semble raisonnable, s'agissant des événements de

19 l'époque, Professeur Avramov ?

20 R. Non. Voyez-vous le problème est le suivant : lors Carrington et

21 l'ensemble de l'équipe qui présidaient la conférence ont soumis une

22 proposition qui était sans précédent dans l'histoire du droit

23 international, à savoir, l'autodestruction d'un Etat sur la base d'un

24 consensus de ses dirigeants au plus haut niveau. Ceci est sans précédent de

25 voir -- de prévoir la destruction d'un Etat dans ces conditions. Le

Page 32541

1 président Milosevic a proposé la tenue d'un référendum, destiné à vérifier

2 quel était le sentiment de la population et le désir de celle-ci. Ceci est

3 à la base de la divergence entre les deux positions.

4 L'autodestruction s'est produite en Union soviétique, par exemple, où trois

5 hommes d'Etat ont proclamé que l'Etat n'existait plus. Nous pensions --

6 nous membres de la délégation -- et j'étais d'accord avec la position de M.

7 Milosevic, que les problèmes de l'Etat yougoslave c'est que cet Etat devait

8 être protégé. C'était un Etat créé par les vainqueurs de la Deuxième guerre

9 mondiale. Il ne faut pas oublier les traités relatifs aux frontières, qui

10 sont des traités multilatéraux qui ne règlent d'ailleurs pas que le

11 problème des frontières. L'Etat de puissance victorieuse est évoqué

12 également dans ces traités, donc la base qui a présidé à la création de ces

13 frontières est beaucoup plus large.

14 Q. Ceci peut être une façon de développer votre position, mais je me

15 contentais de vous demander --

16 R. Ceci n'était pas que ma position, mais notre position.

17 Q. L'impasse se développe en raison de la position avancée par l'accusé et

18 c'est la raison pour laquelle le plan Carrington n'a jamais été appliqué,

19 n'est-ce pas ?

20 R. En effet, en effet.

21 Q. Oui. La solution d'une confédération a été proposée, confédération où

22 dans le cadre de laquelle l'Yougoslavie aurait pu rester intégrée et qui

23 bénéficiait de l'accord de la Serbie et du Monténégro.

24 R. Ce n'était pas une solution de confédération. Lisez bien le document

25 original de Carrington, qui dit ce qui suit, je cite : "Les Etats

Page 32542

1 indépendants, au sein des frontières existantes, des unités fédérales

2 peuvent soumettre une demande de reconnaissance à la Communauté européenne,

3 et à l'issue -- une fois cette reconnaissance obtenue, des négociations

4 peuvent commencer afin de déterminer quel sera le type exact de relation

5 qui sera établi."

6 Nous ne pouvions pas accepter cela. Mais vous personnalisez les débats ici.

7 Vous réduisez tout à Milosevic. Milosevic était soutenu par le parlement

8 sur cette question.

9 Q. Nous viendrons plus en détails à tout cela dans quelques minutes, mais

10 ce qui est en débat ici, c'est la position des autres éléments constitutifs

11 de l'ex-Yougoslavie qui étaient prêts à accepter une forme de

12 confédération, suite à la commission Badinter et à ses recommandations, et

13 je pense que Carrington était prêt à accorder une autonomie extraordinaire

14 et des droits spéciaux aux régions où les Serbes constituaient la majorité

15 de la population en Croatie, et seul la Serbie et le Monténégro se sont

16 opposées à ce que ce résultat soit mis en œuvre à cette solution en

17 d'autres termes.

18 R. Non. Je vous en prie. Ce sujet n'est pas un sujet sur lequel des

19 individus peuvent se déterminer à eux seuls. Je parle des personnes qui se

20 trouvaient à La Haye, à ce moment-là. Cette décision devait être vérifié

21 par le biais d'un processus de vérification internationale, après quoi un

22 référendum devait être organisé sur place, et cetera.

23 Q. Mes collègues me rappellent que la Serbie a été la seule à s'opposer,

24 en fait, à cette solution, mais j'ai fait un lapsus, de façon tout à fait

25 délibéré, car j'aimerais que nous discutions à présent de la suite des

Page 32543

1 événements.

2 Cette proposition initiale a-t-elle bien été acceptée par tout le monde à

3 l'exception de la Serbie ? Parce que M. Bulatovic du Monténégro a bien

4 donné son accord à cette solution, n'est-ce pas ?

5 R. Voyez-vous, tout à coup nous nous trouvions confronter à quelque chose.

6 Nous étions choqués par le document Carrington. Nous n'étions pas prêts car

7 la procédure nécessaire n'avait pas été mise en œuvre --

8 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous interromps parce que la

9 question était très simple. Il est possible d'y répondre par oui ou par

10 non. M. Bulatovic du Monténégro a-t-il dit oui, ou a-t-il dit non, à ce

11 plan ?

12 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, il a dit oui, dans une situation très

13 confuse qu'il ne comprenait pas pleinement, à ce moment-là.

14 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Veuillez procéder, Monsieur Nice.

15 M. NICE : [interprétation]

16 Q. Il n'a pas dit oui dans une situation particulièrement confuse, n'est-

17 ce pas ? Il a dit oui parce qu'il avait obtenu de l'Italie des assurances

18 que le Monténégro obtiendrait des avantages substantiels. Il a dit oui en

19 comprenant bien la nature des propositions qui étaient faites et il a dit

20 oui au nom de la totalité du Monténégro. Après quoi, il a repris l'avion

21 pour Podgorica, n'est-ce pas ?

22 R. Monsieur, ceci est votre interprétation personnelle. Ma position est

23 exactement à l'opposé de la vôtre, à savoir que M. Bulatovic est sans doute

24 la personne la mieux placée pour décrire sa position personnelle sur le

25 sujet.

Page 32544

1 Q. Il figure sur la liste des témoins. On lui a envoyé un courrier à ce

2 sujet. Mais êtes-vous d'accord avec sa position selon laquelle le moment

3 était venu d'adopter la solution proposée et que cette solution la mieux à

4 même de régler les problèmes de l'ex-Yougoslavie ? Est-ce que vous êtes

5 d'accord avec cela ?

6 R. Le moment était venu, en effet, mais la solution la plus adaptée

7 n'était pas celle qui a été proposée. Le moment était absolument le bon

8 moment, tout à fait, nous avons d'ailleurs insisté sur ce point également.

9 Q. Soyons clair sur ce sujet, Professeur Avramov. La Serbie, a-t-elle été

10 la seule à ne pas donner son accord à ce plan ? Si la Serbie avait donné

11 son accord à ce plan, à cette date, à la date du 18 octobre, si des mesures

12 avaient commencé à être prises pour créer une espèce de confédération

13 accordant des droits particuliers aux Serbes de Croatie, si une évolution

14 avait démarré à partir de là, toutes ces personnes qui sont mortes depuis

15 le 18 octobre 1991, ces milliers de victimes, tous ceux qui ont été

16 expulsés de chez eux dans la même période, n'auraient pas souffert comme

17 ils l'ont fait, n'est-ce pas ?

18 R. Monsieur, je répète que le document Carrington était une chose, et que

19 les relations entre ces entités devraient être réglées ensuite pro furuto.

20 Il fallait que la solution émerge d'un débat global qui tiendrait compte

21 des desiderata des populations.

22 Q. Restons-en au moment de la conférence. L'attaque sur Vukovar avait déjà

23 commencé, mais le massacre n'avait pas encore eu lieu, donc toutes ces

24 personnes ne seraient pas mortes, elles auraient survécu. Bien sûr, des

25 années plus tard, il n'y aurait pas eu tous les morts de Srebrenica et

Page 32545

1 Bijeljina et de Brcko, n'est-ce pas ? Toutes ces victimes auraient survécu,

2 n'est-ce pas, Professeur Avramov, si la décision avait été prise de se

3 diriger vers une solution confédérale à laquelle, d'ailleurs, toutes les

4 parties, hormis la Serbie avait donné leur accord, n'est-ce pas ?

5 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Nice.

6 LE TÉMOIN : [interprétation] Ce sont vos --

7 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Ne répondez pas à cette question

8 pour le moment, Madame le Témoin.

9 Monsieur Nice, ce que vous venez de dire implique de prendre en

10 compte un certain nombre d'éléments qui ne sont que des hypothèses.

11 M. NICE : [interprétation] Peut-être s'agit-il d'hypothèse, mais la paix

12 aurait pu être rétablie grâce à cette conférence à l'époque, et il n'y

13 aurait pas eu éclatement de la violence pour d'autres raisons, et des

14 personnes qui sont mortes auraient été sauvées. C'est tout.

15 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Tout ceci ne nous aide pas, Monsieur

16 Nice. S'agissant de déterminer la responsabilité criminelle, or c'est bien

17 la question qui nous intéresse ici.

18 M. NICE : [interprétation] Je n'accepterai pas entièrement pour le moment

19 que nous nous penchions sur une responsabilité d'une autre nature.

20 J'aimerais que nous en revenions à la question cruciale, à savoir, celle

21 de la responsabilité criminelle évoquée dans les dernières questions.

22 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, vous avez

23 demandé la parole.

24 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je pense que vous devriez intervenir lorsque

25 des abus comme celui auquel M. Nice vient de se livrer, surviennent. Ce

Page 32546

1 n'est d'ailleurs pas la première fois que

2 M. Nice agit de cette façon. Il parle d'une hypothèse, ensuite, pose une

3 question qui l'appuie sur cette hypothèse, hypothèse selon laquelle je

4 serais coupable parce que je n'ai pas été d'accord pour que la Yougoslavie

5 soit supprimée en tant qu'entité internationale, en tant qu'Etat reconnu

6 sur le plan international et ce, par un coup de plume, et non sous l'effet

7 de l'action violente des sécessionnistes qui ont accepté de marcher sur les

8 cadavres de leurs co-citoyens jusqu'à ce jour-là, pour créer des états

9 ethniquement purs. Je pense que la chose est tout à fait claire désormais.

10 M. Nice s'appuie sur un point de départ qui serait censé être connu du

11 témoin.

12 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Veuillez poursuivre avec votre

13 question suivante, Monsieur Nice.

14 M. NICE : [interprétation]

15 Q. Voyez-vous, Madame Avramov -- Professeur Avramov, ce que vient de dire

16 le Juge Bonomy -- et nous parlons ici, vous et moi, d'une conférence. Je

17 vous demande de vous exprimer, sur la base de votre expérience

18 intellectuelle et de la connaissance très précise que vous avez des Balkans

19 ainsi que des personnalités qui sont intervenues dans les Balkans. Chacun

20 savait que la violence criminelle était une possibilité dans cette région,

21 la pire qui soit, bien sûr, au cas où il n'y aurait pas eu de règlement,

22 n'est-ce pas ?

23 R. Oui. Tout à fait. C'est la raison pour laquelle j'étais contre la

24 guerre, contre le retrait de l'armée dans ces casernes, parce que ceci

25 entraînait automatiquement la nécessité de légaliser les forces

Page 32547

1 paramilitaires et les républiques sécessionnistes.

2 Q. Vous vous êtes expliquée sur ce point hier. Nous avons déjà parlé des

3 fondements de tout cela. Nous verrons s'ils sont justifiés ou pas plus

4 tard, s'agissant du recours à la force de la part de la Serbie qui

5 craignait une répétition du génocide de la Seconde guerre mondiale. C'est

6 le seul fondement que vous avez --

7 R. Pas la Serbie, mais le peuple serbe organisé de façon indépendante dans

8 les zones où ils habitaient.

9 Q. En dépit du fait que vous saviez cela, la partie serbe, par le biais de

10 l'accusé, a exercé des pressions sur M. Bulatovic pour qu'il change d'avis

11 et se joigne au rejet de la proposition de Carrington, ce qui a été la

12 cause des morts ultérieurs parce que la Serbie et le Monténégro étaient

13 seuls contre tout le monde. Il a subi des pressions pour changer d'avis,

14 n'est-ce pas ?

15 A. Est-ce que vous me posez la question ?

16 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Professeur, je vous interromps. Si

17 vous n'êtes pas prête à répondre à la question immédiatement, nous pouvons

18 passer à la question suivante.

19 LE TÉMOIN : [interprétation] M. Bulatovic vous répondra mieux que moi.

20 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Nice, l'heure de la pause

21 est arrivée. Vingt minutes de pause.

22 --- L'audience est suspendue à 10 heures 30.

23 --- L'audience est reprise à 10 heures 53.

24 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, Monsieur Kay.

25 M. KAY : [interprétation] Avant de reprendre, Monsieur le Président,

Page 32548

1 j'aimerais savoir quel sera le calendrier eu égard à ce témoin. Nous savons

2 que Mme Avramov doit prendre un avion. Il faudrait prévoir une marge

3 suffisante pour des questions supplémentaires. Je demanderais

4 l'autorisation de la Chambre pour que M. Milosevic puisse poser des

5 questions supplémentaires à ce témoin, plutôt que d'utiliser ce temps moi-

6 même. Quant à savoir s'il souhaite exercer ce droit ou non, s'il le

7 souhaitera, peu importe, je peux moi-même poser des questions

8 supplémentaires s'il y renonce. Mais j'aimerais savoir si on peut prévoir

9 cela pour aujourd'hui, dans le planning. J'aimerais être sûr qu'il y a

10 suffisamment de temps.

11 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Permettez-moi de poser la question à

12 Mme le Professeur.

13 Hier, vous nous avez dit que vous aviez un avion à prendre aujourd'hui, et

14 que c'était dans les environs de 2 heures de l'après-midi, que vous deviez

15 partir à 11 heures 30.

16 LE TÉMOIN : [interprétation] Je pense, d'après ce qu'on m'a dit, que je

17 peux rester jusqu'à midi, midi quinze, s'il n'y a pas trop de problèmes de

18 circulation vers Amsterdam.

19 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, 12 heures 15. Monsieur Nice,

20 vous avez besoin de combien de temps encore ?

21 M. NICE : [interprétation] Une demi-heure certainement.

22 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Une demi-heure.

23 M. NICE : [interprétation] J'aurais besoin de plus que cela, mais --

24 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Vous auriez ainsi utiliser plus de temps

25 que la Défense.

Page 32549

1 M. NICE : [interprétation] Nous avons un problème. Nous ne connaissions pas

2 en détail ce que le témoin allait dire pendant sa déposition. Nous savons

3 quels sont les autres témoins qui vont venir, et nous voulions présenter

4 tous les documents utiles à ce document, deux documents de plus sur la

5 conférence de La Haye, quatre cartes --

6 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Kay, pour les questions

7 supplémentaires ?

8 M. KAY: Je peux prendre certainement 15 minutes, mais je me préoccupe

9 surtout de la position de M. Milosevic.

10 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, si vous

11 souhaitez poser des questions supplémentaires, nous sommes disposés à vous

12 accorder ce droit. Il vous faudrait combien de temps ?

13 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Robinson, lorsque vous appelez ma

14 Défense, est-ce qu'il n'est pas de toute évidence, je n'ai absolument pas

15 l'intention de participer à des questions supplémentaires quelles qu'elles

16 soient. J'exige --

17 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, Je vous

18 remercie.

19 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Kay, vous allez poser des

20 questions supplémentaires pendant à peu près 15 à 20 minutes pour rester

21 dans le cadre du temps qui nous est imparti.

22 M. KAY : [interprétation] Merci.

23 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Nice, veuillez poursuivre.

24 M. NICE : [interprétation] L'avant-dernier document qui porte sur la

25 conférence de La Haye, peut-on, s'il vous plaît, présenter ce document au

Page 32550

1 témoin ?

2 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous n'avons pas attribué une cote

3 au dernier document.

4 M. NICE : [interprétation] Excusez-moi.

5 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Ce sera la pièce à conviction 778.

6 M. NICE : [interprétation] Je vous remercie.

7 Q. Madame le Professeur Avramov, c'est une pièce qui porte la date du 25

8 octobre. Elle se situe après le rejet du document. Nous voyons en page de

9 couverture que Lord Carrington propose ses propos liminaires et qu'il

10 condamne les attaques de la JNA sur Vukovar et sur Dubrovnik. Il fait part

11 de ses regrets du fait que le général Kadijevic n'est pas présent.

12 Nous allons passer en page 2. Il s'agit là le seul paragraphe qui est un

13 peu long. Je vais examiner cela. Cela commence en haut de la page où il est

14 dit : "Impossible de communiquer ce qui a été appelé les propositions de

15 Kostic." Le paragraphe suivant : "En tant que remarque générale, en

16 introduction du chapitre du projet du président, le président Milosevic a

17 déclaré qu'il y avait une petite divergence dans le nouveau document." La

18 phrase suivante, je cite : "Une discrimination qui n'est pas correcte a

19 continué eu égard au droit de l'autodétermination des peuples. Toute

20 décision devrait se fondée sur la continuité de l'Etat yougoslave pour ceux

21 qui souhaitent, sur le principe de la légitimité et de la légalité. Le

22 président Milosevic a mis en question l'approche générale de la conférence

23 pour ce qui est de la question du statut spécial. Un statut spécial devrait

24 être accordé uniquement aux deux Krajina en Croatie, et il n'y a pas lieu

25 d'élargir ce statut aux autres régions.

Page 32551

1 R. Oui.

2 Q. A leur retour, la constitution de 1974 était inacceptable pour ce qui

3 est de la Vojvodina, inacceptable. C'était une immixtion dans les affaires

4 intérieures. Le président Milosevic a conclu que le document du président :

5 "Ouvrait la voie à une nouvelle instabilité."

6 Au paragraphe suivant : "Le président Bulatovic du Monténégro a déclaré

7 que, même si le texte était amélioré, y compris pour ce qui est de la

8 démilitarisation du statut spécial," et cetera.

9 Il est dit ici que le seul groupe ethnique national, qui devrait bénéficier

10 d'un statut spécial, c'était les Serbes, n'est-ce pas ?

11 R. J'ai pris des notes, par exemple, des notes personnelles. C'est peut-

12 être ce qui est dit ici, que c'est la position de ceux qui ont rédigé ces

13 papiers. C'est leur erreur parce qu'ils n'ont pas correctement pris note.

14 Q. Madame le Professeur Avramov, vous étiez présente. La conférence a

15 échoué --

16 R. Oui.

17 Q. -- Il a été donné des avantages considérables pour la minorité serbe

18 dans les Krajina. L'accusé en a enregistré ses propos, comme s'il disait

19 qu'il ne devrait pas y avoir d'extension de ce principe à d'autres groupes.

20 Quelle a été sa position ? Vous étiez présente.

21 R. Je n'arrive pas à me rappeler et à replacer dans le contexte exact,

22 cette deuxième partie de la phrase, à savoir que d'autres groupes ne

23 devraient pas bénéficiés de cela. La question portait sur le statut des

24 Serbes en Croatie pour autant que je m'en souvienne. C'est là-dessus que

25 nous avons insisté. Je n'arrive pas vraiment à me rappeler qu'il a été

Page 32552

1 question d'autres groupes. De quels autres groupes ?

2 Q. Permettez-moi de préciser ce que je vous ai déjà posé. Je vous ai posé

3 des questions au sujet de l'égalité des peuples et des groupes, de ce que

4 vous en pensiez à l'époque. Est-il vrai, Professeur Avramov, que si

5 l'accusé avait accepté les propositions de Lord Carrington, qui étaient

6 favorables aux Serbes en Croatie, que ceci aurait signifier qu'il allait

7 avoir à accorder des droits analogues aux, par exemple, des Albanais

8 kosovars au Kosovo, et que c'était quelque chose qu'il ne pouvait pas se

9 permettre de faire ?

10 R. Les Albanais du Kosovo avaient un statut dans des droits maximaux par

11 rapport aux normes européennes reconnues aux minorités. Pour ce qui est de

12 l'égalité, Monsieur, jamais dans nos prises de position, jamais on n'a

13 remis en cause l'égalité. En tant que délégation et, en particulier, pour

14 ce qui est de M. Milosevic, qui était à la tête de cette délégation, jamais

15 n'a-t-il contesté l'égalité ?

16 Ceci étant dit, c'est une autre chose de parler des solutions

17 institutionnelles, autonomie ou autre chose. Ce que M. Milosevic ne voulait

18 pas accepter, est --

19 [aucune interprétation]

20 Q. [aucune interprétation]

21 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Le numéro pour cela ?

22 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Ce sera le document 779.

23 M. NICE : [interprétation] Je présente encore une fois mes excuses aux

24 interprètes. Le document, que nous allons aborder à présent, commence par

25 R0414911.

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1 Q. C'est un document qui porte la date du 4 novembre. Il intervient après

2 le rejet par l'accusé. C'est une version modifiée --une version corrigée du

3 document qui précise les principes généraux de ce qui était, à ce moment-

4 là, une proposition. Deux pages, s'il vous plaît, que je souhaite examiner.

5 La première page : les dispositions pour une convention, paragraphe 1, en

6 se fondant sur : "Les républiques souveraines et indépendantes, qui

7 seraient sujet de droit international pour ceux qui le souhaitent; une

8 association libre de républiques qui serait sujet de droit international

9 tel qu'il est prévu dans cette convention; un Etat commun des républiques

10 placées sur un pied d'égalité pour celles qui souhaitent rester au sein

11 d'un même Etat; des dispositions seront prises et des mécanismes de

12 surveillance pour la protection des droits de l'homme; à l'implication de

13 l'Europe lorsque c'est nécessaire et utile, et dans le cadre d'un accord

14 général, la reconnaissance de l'indépendance au sein des frontières

15 existantes à moins qu'un accord n'en précise autrement."

16 Si vous passez, s'il vous plaît, plus loin, un statut spécial, sous

17 paragraphe C. Vous l'avez page 4.

18 "Qui plus est, dans les zones où la population appartient à un groupe

19 national ou ethnique qui constitue la majorité, ces personnes bénéficieront

20 d'un statut spécial d'autonomie. Ce statut garantira : le droit de

21 présenter ou de porter des emblèmes nationaux; un système de l'éducation

22 qui respectera les valeurs et les besoins du groupe; un organe législatif

23 et structures administratives, y compris une police régionale et des

24 tribunaux responsables qui auront la compétence territoriale et où il y

25 aura une surveillance internationale."

Page 32554

1 A ce niveau-là, je pense que vous serez d'accord, pour moi de dire

2 que c'est assez généreux pour ce qui est des Serbes dans la Krajina, mais

3 j'affirme et j'attends votre réaction. J'affirme que ce traité a été rejeté

4 parce que l'accusé -- et je suppose que vous le savez -- ne pouvait pas

5 accepter la même chose pour le Kosovo.

6 R. Je connais très bien ce document. C'est un document sur lequel nous

7 avons travaillé après l'avoir reçu, et nous avons apporté toute une série

8 d'observations. Tout d'abord, c'était une observation de principe. Qu'est-

9 ce que cela veut dire : "Treaty Provisions for the Convention, d'un point

10 de vue du droit international" ? C'est une contradiction ipso facto dans le

11 titre.

12 Un deuxième point, avant de passer à : "New relation," et cetera, des

13 républiques souveraines et indépendantes, "sovereign and independent" --

14 s'il vous plaît, avant de passer à cela, il faut bien déterminer quel est

15 leur statut juridique. Sur la base de quoi sont-elles devenues

16 indépendantes ? Quel est leur statut juridique ? C'est sur la base d'une

17 sécession opérée par la force. Je vous en prie, il faut bien constater ce

18 qui est la cause et ce qui est la conséquence, on ne peut pas sauter aux

19 questions qui viennent par la suite, à savoir, ce qui se passera à

20 l'intérieur de ce cadre. C'était là notre position de principe. Il

21 convient, tout d'abord, de déterminer quelle est la légitimité juridique,

22 leur statut juridique. Lord Carrington ou des médiateurs ne peuvent pas

23 créer de nouveaux Etats, et notre objectif était de faire en sorte que cela

24 se passe selon un référendum.

25 Q. Il me faut passer à un autre point, compte tenu du temps qui vous

Page 32555

1 reste. Je pense que j'ai présenté notre position là-dessus. Je passe à un

2 point qui concerne ceci également.

3 M. NICE : [interprétation] Hier, je me suis référé à des journaux. J'ai des

4 copies des originaux qui, je l'espère, nous saurons apporter.

5 Q. Professeur Avramov, je vous ai dit que j'estimais que la raison pour

6 laquelle le plan Carrington a été rejeté était qu'il y avait une espèce de

7 souhait sous-jacent de privilégier les intérêts des Serbes, de placer tous

8 les Serbes au sein d'un seul et même Etat et que ces intérêts étaient plus

9 importants que le reste, et que c'était cela la source du problème. Je

10 voudrais, à présent, avoir un exemplaire d'une copie d'Epoque, le journal

11 du SPS, et l'édition pour le 22 octobre.

12 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] C'est le dernier document, numéro

13 780.

14 M. NICE : [interprétation] Excusez-moi, j'oublie toujours cela.

15 Q. Nous avons la traduction pour cette portion du journal. Pour gagner du

16 temps, je vais simplement examiner la carte que nous allons pouvoir voir à

17 l'écran, et la légende pour cette carte, en page 2, s'intitule :

18 "Possibilité souhaitable de démarcation territoriale entre la troisième

19 Yougoslavie et la Croatie." Par la suite, dans les zones ombragées, on voit

20 les zones serbes de Krajina, point 1; numéro 2, Slavonie occidentale; au

21 point 3, les régions serbes de Slavonie; 4, Herzégovine occidentale; 5,

22 Samac, dans la Posavina; 6, la République de Dubrovnik; 7, une ligne sur la

23 gauche "frontière optimale occidentale des comptés serbes".

24 Cette carte, a-t-elle reflété l'objectif -- ou l'aspiration sous-jacente du

25 SPS de l'époque ? N'est-ce pas la raison pour laquelle le plan Carrington a

Page 32556

1 été rejeté, le plan qui devait conserver toutes les parties de la

2 Yougoslavie ?

3 R. Monsieur, vous ne pouvez pas contester que certains théoriciens, y

4 compris moi, par exemple, pour ma part, avaient des positions différentes

5 que celles qui étaient les positions officielles. Il y a une liberté de la

6 pensée scientifique sur laquelle on ne peut pas se fonder pour alléguer

7 quoi que soit contre l'accusé ou pour s'en servir d'une preuve quelle

8 qu'elle soit.

9 Monsieur, des revues scientifiques étaient publiées à Belgrade, et vous ne

10 pouvez pas contester cela. Je n'ai pas pu me pencher sur l'ensemble de ces

11 revues scientifiques, de ces publications. Je dois dire que ceci je ne l'ai

12 pas vu à l'époque, mais c'est très inexact. Enfin, c'était à peu près ce

13 qui a été proposé en 1915 à la Serbie pour qu'elle renonce à la

14 Yougoslavie, et qu'elle reste royaume de Serbie par le pacte de Londres, à

15 Londres. C'était ce qui a été proposé par les alliés à la Serbie. C'était à

16 peu près sur ces bases-là. Je peux en parler parce que je sais exactement

17 quel était le tracé de la ligne, enfin, mais là, sur le champ, vous ne

18 pouvez pas vous appuyer sur ceci comme sur un document qui est

19 juridiquement pertinent, valable.

20 Q. Je vous remercie d'avoir évoqué l'accord de 1915. Vous l'avez mentionné

21 hier cet accord de Londres qui se situe en milieu de la guerre.

22 R. Oui.

23 Q. Nous avons une conversation interceptée du 29 octobre de 1991. Cela se

24 situe en même temps que ces négociations. Il s'agit d'une conversation

25 entre l'accusé Karadzic où il discute la possibilité de redonner vie à

Page 32557

1 l'Etat yougoslave en se fondant sur l'accord de Londres. Vous venez de dire

2 que cela correspond exactement à cette ligne.

3 Je voudrais maintenant examiner une autre carte.

4 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je m'excuse de vous interrompre. Si je

5 puis donner un numéro de pièce.

6 M. NICE : [interprétation] Je m'excuse.

7 M. KAY : [interprétation] Est-ce qu'il est nécessaire que cela devienne une

8 pièce à conviction si la pièce n'est pas acceptée par le témoin et cela n'a

9 pas beaucoup pertinence dans le cas de sa déposition ?

10 M. NICE : [interprétation] J'estime que ceci n'est pas d'une importance

11 secondaire. Ce qui est important, c'est de voir la relation avec le SPS,

12 cette relation ressort clairement du document. Quoi qu'il en soit, le

13 témoin l'a reconnu hier. Si le témoin reconnaît que cette carte correspond

14 à une carte bien antérieure, qui est l'une des choses que je souhaitais

15 mettre en avant et qu'il y a une continuité dans la planification, c'est

16 extrêmement important pour reconnaître l'état d'esprit de l'accusé.

17 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] C'est un fondement pour recevoir la

18 carte.

19 M. KAY : [interprétation] Je voudrais simplement répondre sur ce point

20 parce que s'il y a d'autres moyens de prouver cela, il conviendrait de se

21 servir d'autres moyens. C'est un article qui a été rédigé par quelqu'un

22 d'autre, le témoin a clairement dit qu'elle ne l'a pas vu à l'époque et n'a

23 jamais eu le temps d'examiner le document, l'article. Il n'y a pas de

24 preuve qu'elle ne se soit jamais interrogée sur la production de ce

25 document. Il vaudrait mieux de procéder d'une meilleure façon.

Page 32558

1 [La Chambre de première instance se concerte]

2 LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur, est-ce que je peux --

3 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] La Chambre est en train de conférer

4 --

5 LE TÉMOIN : [interprétation] Excusez-moi.

6 [La Chambre de première instance se concerte]

7 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Nice, la Chambre a conféré.

8 Nous avons décidé de ne pas admettre ceci en tant qu'une pièce à

9 conviction.

10 M. NICE : [interprétation] Je reviendrai à cela à un autre moment. J'aurais

11 peut-être pu l'examiner davantage avec ce témoin, mais tant pis --

12 Q. Vous avez expliqué que ce plan a été présenté lors de la conférence de

13 Londres en 1915, c'était un plan pour une Serbie bien plus grande. Moljevic

14 a rédigé un article très connu au sujet de cela en 1941; est-ce exact ?

15 R. Oui.

16 Q. Il y a une carte qui s'associe à cela ?

17 R. Je ne connaissais pas M. Moljevic. Si je le connais, c'est uniquement

18 grâce à d'autres publications ou ouvrages. Je ne peux pas vous parler de M.

19 Moljevic. Mais ma question qui s'adressait à vous serait la suivante, avez-

20 vous inséré dans vos documents de preuve la carte qui a été produite par M.

21 Tudjman lors de la réunion annuelle du HDZ et qui prévoyait une Croatie

22 étendue jusqu'à Zemun ?

23 Q. Je voudrais simplement que l'on examine, à présent, cette carte que

24 nous avons ici. Reconnaissez-vous que c'est la carte qui correspond à la

25 proposition de Moljevic de 1941, et acceptez-vous le fait que cette carte

Page 32559

1 comporte des similitudes avec la carte de l'accord de Londres de 1915 ?

2 R. N'exercez pas de pression sur moi pour que je procède à des

3 comparaisons sur le champ. Il faudrait quand même que je les compare. Il

4 faudrait que je réfléchisse, et il faudrait aussi que j'examine mes cartes

5 que j'ai en ma possession, les originaux de Londres, et les cartes de 1941.

6 J'ai toutes les cartes de la Croatie à commencer en 1941, puis toutes les

7 propositions jusqu'en 1949. Toutes ces cartes, je les ai à Belgrade.

8 Q. Si vous examinez cette carte-ci, répondez-moi simplement par un oui ou

9 par un non. Vous savez que Moljevic a publié ces propositions en 1941, même

10 si vous ne connaissiez pas l'homme, lui-même ?

11 R. Je ne le sais pas.

12 Q. Avez-vous déjà eu l'occasion de voir sa carte ?

13 R. Non.

14 Q. Très bien. Sans s'appuyer sur la carte, je voudrais que vous confirmiez

15 quelque chose, vous avez déjà examiné une carte antérieure, et vous avez

16 confirmé qu'elle reflétait le plan de 1915. J'avance : indépendamment du

17 génocide qui a été perpétré pendant la Seconde guerre mondiale, ce qui ne

18 s'est pas terminé, je dois dire, au moment où Moljevic était en train de

19 rédiger ceci -- je parle du génocide à l'encontre des Serbes -- il y avait

20 déjà une idée, une vision de longue date de tous les Serbes vivant au sein

21 d'un seul et même Etat, avec le tracé des frontières qui correspond aux

22 cartes que nous examinons, même si ces cartes ne sont pas des pièces à

23 conviction. Est-ce que vous acceptez qu'il s'agisse là de quelque chose qui

24 datait depuis longtemps d'une possibilité d'un Etat serbe élargi ?

25 R. Monsieur, je me fonde toujours de mon travail scientifique sur des

Page 32560

1 documents officiels. Je peux vous parler de la conférence de Londres, je

2 peux vous parler des propositions avancées à Londres, mais je ne peux pas

3 vous parler des propositions avancées par différents partis politiques, par

4 les conflits entre ces parties, que ce soit entre les deux guerres ou par

5 la suite. Ce sont des sociologues qui se sont penchés là-dessus ou des

6 personnes qui s'intéressent aux relations entre les différents partis

7 politiques. Ce qui m'intéresse, ce sont des positions officielles des Etats

8 et des documents officiels.

9 Q. Pour finir, en raison des impératifs de temps, je voudrais vous

10 demander la chose suivante : Vous avez continué à négocier au nom de

11 l'accusé et au nom de la Serbie dans le courant de 1992. Vous avez eu des

12 contacts directs avec l'accusé ainsi qu'avec Karadzic pour pouvoir

13 négocier, n'est-ce pas ?

14 R. Oui.

15 Q. Je dois vous avancer une affirmation comme suit : ce slogan de tous les

16 Serbes dans un seul et même Etat, indépendamment des intérêts des autres, a

17 conduit au rejet du plan Carrington et à la continuation des conflits.

18 Accepteriez-vous de dire que ce concept de tous les Serbes vivant dans un

19 seul et même Etat a eu cet effet ?

20 R. Non, absolument, non.

21 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Robinson.

22 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, Monsieur Milosevic.

23 L'ACCUSÉ : [interprétation] M. Nice, est en train de déformer complètement

24 dans la question qu'il pose ce dont il s'agit en réalité. Cet emploi en

25 faveur de la Yougoslavie et explication au terme de laquelle la Yougoslavie

Page 32561

1 était une très bonne solution pour tous les Slaves du sud et que c'est très

2 certainement pour les Serbes parce qu'en vivant en Yougoslavie, les Serbes

3 vivent tous dans un même Etat, en Serbie aussi bien que dans les autres

4 républiques. Mais il en allait de même des Musulmans. Tous les Croates

5 vivaient dans un seul et même Etat. Cela avait été la solution. La

6 Yougoslavie avait constitué la bonne solution et il s'agissait de la

7 Yougoslavie et non pas d'un concept de Grande Serbie qui sert ici de

8 fantôme ou de spectre qui flotte au-dessus de ce prétoire constamment.

9 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous interromps, Monsieur

10 Milosevic. La Chambre est en train de prendre en considération la question

11 de vos interventions parce que ces interventions devraient se passer par le

12 biais de l'avocat qui vous est commis par la Chambre. Nous avons été assez

13 souple jusque-là.

14 Je vous demande de ne pas m'interrompre. Vous avez l'opportunité de

15 nous demander de poser des questions au témoin. J'ai déjà indiqué que nous

16 étions disposés à répondre favorablement à une requête de cette nature. Si

17 vous demandez de poser des questions complémentaires, c'est à ce moment-là

18 que vous pouvez soulever des questions. Autrement, toutes les autres

19 questions ou commentaires devraient passer par le biais du conseil qui vous

20 est commis par la Chambre.

21 Monsieur Nice, continuez.

22 M. NICE : [interprétation] J'ai ici quatre ou cinq --

23 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Robinson.

24 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je ne vais pas vous entendre sur

25 cette question.

Page 32562

1 Monsieur Nice.

2 M. NICE : [interprétation] J'ai ici cinq extraits très brefs d'émissions de

3 télévision, d'une émission appelée : "Vie et mort de l'ex-Yougoslavie."

4 J'ai des transcriptions ici, ces transcriptions ne sont pas traduites de

5 façon exacte. Peut-être allons-nous entendre ceci de façon exacte ?

6 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Nice, nous sommes en train

7 de vérifier les notes à la transcription parce qu'il me semble que la

8 Chambre a déjà refusé d'admettre au dossier ce --

9 M. NICE : [interprétation] Vous avez refusé de verser au dossier la

10 totalité de cette émission : "La mort de la Yougoslavie," mais des extraits

11 au sujet de ces émissions ont déjà été versées au dossier.

12 Je crois que tout ceci parle de l'accusé. Ce sont des extraits vidéo

13 de ses allocutions, de ses interventions, et je crois qu'on voit un passage

14 avec une rencontre du commandement Suprême dans un sous-sol. Il faisait

15 froid. Ils portent tous des manteaux, et ils ont tous été d'accord

16 d'attribuer des pouvoirs spéciaux, et ils ont voté. Il y a eu après un vote

17 contre l'attribution de ces pouvoirs spéciaux. Vous vous en souvenez.

18 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Kay.

19 M. KAY : [interprétation] C'est exact. La totalité du film ait fait l'objet

20 d'une objection, et il y a des extraits qui ont fait l'objet de questions

21 particulières. Peut-être serait-il bon d'entendre les questions et de voir

22 les extraits vidéo par la suite, afin de savoir ce de quoi il s'agit au

23 juste ?

24 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] En effet.

25 [La Chambre de première instance se concerte]

Page 32563

1 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Nice, posez d'abord vos

2 questions.

3 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Ce que j'entends c'est de présenter

4 au témoin une assertion, disant que l'accusé et les gens qui ont travaillé

5 avec lui avaient l'intention, si nécessaire -- moyennent combat de réaliser

6 une Serbie agrandie, où résideraient tous les Serbes. C'est ce que

7 j'affirme, et les deux extraits, que j'ai l'intention de présenter, doivent

8 illustrer cette allégation. Peut-être serait-il plus économique pour ce qui

9 est de la gestion du temps de voir d'abord les extraits ?

10 Q. Qu'entendez-vous dire -- que comprenez-vous par cette assertion au

11 terme de laquelle l'accusé avait souhaité une Serbie agrandie et qu'il

12 était disposé à se battre pour le réaliser ?

13 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, mais laissez le témoin d'abord

14 à répondre à cette question.

15 LE TÉMOIN : [interprétation] Il vous faudra reprendre la question, et je

16 m'en excuse.

17 M. NICE : [interprétation]

18 Q. Très certainement.

19 L'accusé était disposé à se battre pour aboutir à une Serbie élargie

20 où dans laquelle les Serbes vivraient tous.

21 R. Tout à fait le contraire. Non pas une Serbie élargie, mais la

22 sauvegarde la Yougoslavie, donc un maximum de la Yougoslavie, et non pas

23 une Serbie agrandie. Cela avait été sa position.

24 M. NICE : [interprétation] Penchez-nous sur ces deux extraits.

25 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Bien. Cela est pertinent pour la

Page 32564

1 question qui vient d'être posée.

2 [Diffusion de cassette vidéo]

3 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix] "Milosevic indépendamment du fait que de nos

4 jours les ennemis de la Serbie, hors de la Serbie, s'associent à ceux qui

5 se trouvent à l'intérieur, nous leur faisons savoir que nous ne sommes pas

6 peureux. Nous n'avons pas peur de nous battre."

7 [Fin de la diffusion de cassette vidéo]

8 M. NICE : [interprétation] Deuxième extrait, s'il vous plaît.

9 [Diffusion de cassette vidéo]

10 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix] "Nous mettrons un terme à la contre

11 révolution au Kosovo et nous procéderons à des changements à des

12 modifications dans le système politique qui permettront à la Serbie

13 d'exercer ses attributs de république sur la totalité de son propre

14 territoire."

15 [Fin de la diffusion de cassette vidéo]

16 M. NICE : [interprétation] Il y a un texte à l'écran qui décrit comme vous

17 l'avez remarqué, Monsieur le Juge, la traduction sur l'écran est quelque

18 peu différente de ce que nous avons obtenu dans nos écouteurs de la part de

19 nos interprètes.

20 Q. Mais ces deux exemples parlent des discours de l'accusé. Nous sommes au

21 courant d'un autre discours très célèbre à Gazimestan. Il était disposé à

22 aller à la bataille --

23 R. Oui, j'ai entendu cela.

24 Q. Il y avait ce sentiment au terme de lequel la Serbie a été disposée à

25 reconquérir l'autorité sur ses territoires et il l'a dit d'une voix forte

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1 et haute.

2 R. Monsieur, un combat peut-être conduit sur un plan psychologique et

3 informatif, politique, et il n'y a pas que le plan militaire. Le plan

4 militaire est le dernier des plans. J'ai compris et il se trouve que j'ai

5 été présente à Gazimestan lorsqu'il y a eu cette célébration du 600e

6 anniversaire de la bataille de Kosovo. Monsieur avait parlé de la Serbie

7 non pas d'une Serbie élargie. Il a parlé de la nécessité de rétablir

8 l'autorité sur le territoire entier. Etant donné qu'au Kosovo il y a eu

9 cela, et là, et il y a eu de temps en temps des rébellions et les Serbes au

10 Kosovo n'étaient pas une minorité nationale comme vous êtes en train de le

11 présenter ici. Ils étaient partie intégrante de la population majoritaire.

12 La minorité nationale là-bas c'était les Albanais.

13 Q. Vous vous êtes éloignée du sujet. Ma question suivante découle des

14 extraits vidéo que nous avons vus, le discours de Gazimestan, dont les

15 Juges de la Chambre sont déjà au courant, mais la question est la suivante

16 : quoi que cet accusé ici présent, d'après ce que nous avons pu découvrir,

17 n'a pas -- ne s'est pas permis de dire et de parler de "Grande Serbie" mais

18 tout ce qu'il a fait, et tout ce qu'il a dit, a été une adoption des

19 sentiments nationalistes pour générer de l'enthousiasme en sa faveur,

20 n'est-ce pas ?

21 R. Non, ce n'est pas ainsi que je l'ai compris. J'ai été présente-là bas.

22 J'ai pu sentir le sentiment de la population, il y avait là-bas les

23 représentants de toutes les orientations politiques, il n'y avait pas que

24 des socialistes et ainsi de suite. Pour la population serbe -- pour le

25 peuple serbe, le Kosovo constitue un événement spécifique dans l'histoire.

Page 32566

1 Cela revêt une connotation affective également.

2 Q. Vous n'êtes pas d'accord avec ce que je viens de dire ?

3 R. Non.

4 Q. La deuxième suggestion -- ou la deuxième affirmation que je voudrais

5 faire c'est celle de dire qu'il s'était servi d'une propagande qui avait

6 pris la forme de rassemblement de masse de gens pour exciter pour inciter

7 les gens en n'affirmant que ces gens devaient être suivis et qu'il fallait

8 qu'on obéisse. Il avait voulu

9 -- il s'était servi de masse pour générer cette espèce de sentiment en sa

10 faveur.

11 R. L'utilisation des masses est une chose assez courante dans les

12 politiques et dans différents partis et dans différents Etats, et je ne

13 vois pas en quoi M. Milosevic constituerait une exception dans tout ceci.

14 Q. Je voudrais que nous nous penchions sur les extraits 3 et 4

15 et parler de vos réponses. Milosevic --

16 [Diffusion de cassette vidéo]

17 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix] "Cela signifie que les membres du

18 comité de la province et de la présidence seront relevés de leurs fonctions

19 partant de quoi -- au sujet desquelles il a été fait état d'une déclaration

20 de défense -- défiance publique.

21 [Fin de la diffusion de cassette vidéo]

22 M. NICE : [interprétation]

23 Q. Vous souvenez-vous de cet exemple, Madame Avramov ?

24 R. Je pense que oui. Ce que je vous répondrais, c'est que

25 M. Milosevic s'est trompé de ne pas avoir -- a fait une erreur de ne pas

Page 32567

1 l'avoir réalisé parce que les généraux albanais, qui étaient des généraux

2 au sein de la JNA, n'auraient jamais tourné le dos à la Yougoslavie et ne

3 se seraient pas trouvés dans les organisations terroristes des Siptars au

4 sein du Kosovo.

5 Q. Il s'est servi des masses pour aboutir à ce qu'il avait -- s'était

6 assigné comme objectif au comité central.

7 R. Je n'étais pas présent au comité central. Je n'étais pas membre du

8 parti. Je ne peux pas vous dire que cela se passait au comité central.

9 Q. Pour finir, dernier extrait vidéo.

10 [Diffusion de cassette vidéo]

11 L'INTERPRÈTE [voix sur voix]

12 Le narrateur : "La masse a attendu, toute la journée, Milosevic, pour

13 que celui-ci leur dise que Kosovo serait à eux une fois de plus."

14 M. Milosevic : "Il n'y a pas de prix. Il n'y a pas de puissance qui

15 saurait entamer la conviction de la direction serbe et du peuple serbe pour

16 ce qui est de la juste cause qui est la leur."

17 [Fin de la diffusion de cassette vidéo]

18 M. NICE : [interprétation]

19 Q. Merci.

20 R. Monsieur, entre 1970 et 1980, c'est du Kosovo qu'on a chassé quelques

21 200 000 Serbes. Il se trouve, par hasard, que c'est un chiffre dont je suis

22 tout à fait certaine. La population albanaise a été augmentée de 34 % entre

23 1970 et 1980. Ce sont des renseignements statistiques qui émanent de

24 l'institut fédéral des statistiques.

25 Q. Deux autres questions, toujours à la lumière du temps imparti. D'abord,

Page 32568

1 une question de fait : vous nous avez déjà parlé du caractère de vos

2 conseils et de votre participation au processus politique, notamment au

3 niveau international. Mais vous n'avez jamais été présente aux réunions du

4 conseil chargé de l'harmonisation, conseil suprême de la Défense et autres

5 organes de ce genre.

6 R. Non, jamais.

7 Q. Quand vous nous dites, comme vous nous l'avez déjà dit, que l'accusé

8 avait exercé un contrôle limité à l'égard de Babic ou à l'égard de la JNA,

9 vous ne l'affirmez pas partant d'une expérience personnelle découlant de

10 votre présence aux réunions avec les généraux de la JNA, parce que vous

11 n'avez pas cette expérience.

12 R. Je ne me prononce qu'en fonction des documents officiels qui sont en ma

13 possession.

14 Q. Cela a été ma première question. La deuxième question est la suivante :

15 l'accusé ici présent a fait figure de leader dans des circonstances que

16 nous sommes en train d'explorer ou d'étudier, concernant la fin des années

17 80. Ce que je veux dire c'est ce qui suit : partant de là, et par la suite,

18 il s'est servi -- il a utilisé, en guise d'instrument, les émotions

19 d'autrui pour maintenir le contrôle sur un maximum de territoires,

20 indépendamment des intérêts légitimes des autres qui résidaient sur ces

21 territoires. Est-ce que cela correspond à la réalité, Madame ?

22 R. C'est votre interprétation. Mais pour ce qui est des émotions

23 ressenties par la population serbe et pour ce qui est des circonstances

24 dans lesquelles cela s'est passé, vous ne pouvez pas le comprendre. Je peux

25 vous parler, moi, de mes sentiments et de mon affectif. Je n'ai jamais eu

Page 32569

1 la possibilité, je n'ai jamais réfléchi à la chose de savoir -- d'être

2 serbe. Cela était tout à fait dénué de pertinence jusque-là. Mais, à partir

3 du moment où les Serbes ont été massacrés, chassés, expulsés de leur terre,

4 lorsqu'ils ont crié à l'aide, j'ai dit, excusez-moi, je fais partie de ce

5 peuple. J'ai l'obligation d'aider ce peuple. Ce sont là des émotions qui

6 sont les miennes. Vous ne pouvez pas le comprendre. --

7 Q. Merci.

8 R. -- et je vous comprends cela.

9 M. JE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui. Monsieur Kay.

10 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Mais avant cela, Monsieur Nice, le

11 discours de l'accusé à Gazimestan, avez-vous le texte complet de ce

12 discours ?

13 M. NICE : [interprétation] Je pense que nous devons l'avoir. Je vais

14 rechercher la chose. Cela ne figure pas sur les extraits que nous avons

15 présentés --

16 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Non, je parle de la pièce à conviction.

17 M. NICE : [interprétation] -- Gazimestan, on le retrouvera.

18 M. KAY : [interprétation] Merci.

19 Nouvel interrogatoire par M. Kay :

20 Q. Professeur Avramov, l'on vous a posé des questions au sujet d'une

21 période précédant la sécession précédant le 25 juin 1991, et concernant les

22 événements survenus en territoire yougoslave à l'époque. Il a été question

23 d'un homme appelé Dragan, il a été question de paramilitaires, et ainsi de

24 suite. Vous avez répondu, en disant que l'Etat faisait face à des

25 difficultés de nature existentielle. Avant la sécession du 25 juin 1991,

Page 32570

1 quelles avaient été les difficultés auxquelles faisait face cet Etat de

2 Yougoslavie ?

3 R. Cette constatation que j'ai faite tout à l'heure a été présentée, de

4 façon bien plus véhémente, et je tiens à dire que je n'ai pas été présente,

5 mais que cela a fait l'objet d'un communiqué officiel, un communiqué de

6 presse. Je vous dirais exactement que cela a été fait, le 21 mars 1991, ou

7 à peu près vers cette date-là, date à laquelle l'état-major à constaté que

8 le pays se trouvait déjà en état de guerre civile, que le terreur

9 d'individus, que les armements amenés d'Autriche et de Hongrie, ainsi que

10 par des filières tout à fait autres, nécessitaient la proclamation d'un

11 état d'urgence dans le pays parce que le pays se trouvait à la veille d'une

12 guerre civile. Cela a été la constatation du Grand état-major. En ma

13 qualité de citoyen, tout comme les autres citoyens, nous savions

14 parfaitement bien qu'il y avait eu des actes de terrorisme individuels

15 perpétrés à l'encontre de la population serbe depuis le début des années 90

16 déjà.

17 Q. Vous vous êtes également servie d'une phrase aux termes de laquelle

18 l'Etat devait faire face à une rébellion. Cela a suivi un discours du

19 président Tudjman.

20 R. Oui.

21 Q. Pouvez-vous placer cela dans le contexte. Qu'entendiez-vous par

22 "rébellion" ?

23 R. M. Tudjman a tenu un discours à Trogir. Je peux vous donner le texte

24 entier de ce discours. Je ne l'ai pas ici, et j'ai supposé que vous deviez

25 forcément l'avoir. Il a convié la population croate à se soulever. Ce que

Page 32571

1 vous qualifiez ici de droit à l'autodétermination, ce n'est pas un droit à

2 l'autodétermination, c'est une rébellion contre l'Etat. Tudjman, dans son

3 discours, avec une masse énorme de gens présents -- peut-être ces gens

4 étaient-ils plus nombreux que la masse de gens à Gazimestan, mais on ne le

5 mentionne pas. Il s'adressait à la population serbe -- au peuple serbe, aux

6 amis des Croates -- il s'adressait à la population croate, au peuple croate

7 et aux amis du peuple croates, et les Musulmans qui étaient liés à eux par

8 des liens historiques pour les inciter tous à la rébellion.

9 Q. Dans ce contexte que vous venez de nous décrire, et ceci avant la

10 sécession de juin 1991, vous avez fait état du droit de la Serbie à

11 l'autodétermination et des menaces, qui avaient posés à l'encontre de la

12 Serbie, Serbie qui avait été l'une des républiques constituantes de cette

13 République socialiste fédérative de la Yougoslavie, qu'avez-vous voulu dire

14 par là ? De quoi et contre quoi, la Serbie, devait-elle se défendre ?

15 R. Elle devait se défendre à l'égard de cette rébellion. Les régions où

16 des conflits étaient survenus ou des opérations armées étaient survenues,

17 sont des régions qui allaient de la Slovénie en passant par la Croatie en

18 direction de la Bosnie pour finir au Kosovo. A l'époque, sur ce territoire

19 tout entier, il y a eu déjà des préparatifs et organisation de préparatifs,

20 dont a parlé l'état-major. Vous avez Alija Izetbegovic, dans ses articles,

21 qui en a parlés, et Tudjman en a parlés également. On avait d'abord

22 envisagé de faire commencer les choses au Kosovo pour que cela se propage

23 vers le nord. Par un concours de circonstances, je ne sais pas qui a changé

24 de stratégie, à vous de le constater et de le comprendre, la conception

25 était celle maintenant de partir du nord pour se propager vers le sud.

Page 32572

1 C'est ce qui s'est passé.

2 Cela a constitué un acte de guerre, d'opérations de guerre, qui étaient

3 déployées contre l'Etat de Yougoslavie.

4 Q. Je voudrais que nous nous tournions vers des pièces à conviction qui

5 vous ont été montrées. Je propose de parler d'abord du numéro 776. Pièce

6 776, s'il vous plaît. Je me réfère, notamment, à la page 5. Il s'agit ici

7 d'une déclaration du président Milosevic faite à la conférence sur la

8 Yougoslavie.

9 R. Pouvez-vous me donner un moment pour que je voie cela. Je ne suis pas

10 tout à fait au courant du texte entier. Quelle page avez-vous dit, 7 ?

11 Q. Non, page 5.

12 R. Page 5, bien.

13 Q. Le contexte est le suivant : La Haye, 7 septembre 1991, début des

14 négociations de paix conduites par Carrington. Au deuxième paragraphe, il

15 est dit : "Les frontières ne doivent être modifiées qu'en cas de sécession

16 à l'égard de la Yougoslavie. Cela ne s'applique pas aux nations et aux

17 républiques qui resteraient à faire partie de la Yougoslavie."

18 On vous a présenté une assertion aux termes de laquelle la stratégie du

19 président Milosevic était celle de la Serbie et non pas celle de la

20 Yougoslavie; est-ce le cas ?

21 R. Non. Ce n'est pas du tout exact. M. Milosevic était obsédé. Je ne sais

22 pas comment m'exprimer autrement, je ne trouve pas de termes plus adéquats.

23 Il était préoccupé par la nécessité de sauvegarder la Yougoslavie, comment

24 assurer la subsistance d'un Etat à l'encontre duquel s'était dressé tout à

25 coup la Slovénie, la Croatie. Il y a eu propagation de ce mouvement. On

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1 peut le voir dans tous les discours qu'il a tenus par la suite.

2 Q. La stratégie, c'était en grande mesure fondée sur une notion qui était

3 celle de la Yougoslavie. Etait-ce un Etat serbe que celui de la Yougoslavie

4 ou l'Etat de tous les peuples slaves ?

5 R. La Yougoslavie était l'Etat des Slaves du sud conformément à l'idée

6 qu'on s'en était faite à l'occasion des négociations de paix et du traité

7 de paix à Versailles. Cette notion des Slaves du sud qu'on entendait, à

8 l'époque, les Serbes, les Croates et les Slovènes.

9 Du temps de la Yougoslavie de Tito, il y a été produit des nations

10 nouvelles. Les Etats-Unis d'Amérique ont protesté officiellement contre

11 cela. J'ai cité cela dans mon livre, et je me suis référée au document des

12 Etats-Unis d'Amérique. En 1946, ils avaient déjà protesté pour dire que les

13 Macédoniens n'étaient pas une nation, que c'était une création

14 artificielle. Par la suite, lorsque les Musulmans ont été proclamés nation,

15 l'Amérique a également protesté.

16 Par conséquent, dans cette Yougoslavie socialiste, il y a eu

17 augmentation du nombre de peuples ou de nations constitutives tel que cela

18 a été désigné dans le texte de la constitution. Si vous prenez compte du

19 fait que les Musulmans sont en réalité des Slaves islamisés, cette notion

20 de Slaves du sud peut être couverte par la Yougoslavie. Maintenant, si l'on

21 considère que les Musulmans ne sont pas d'origine yougoslave, chose

22 difficilement prouvable sur le plan historique, on pourra dire que cette

23 notion de Slaves du sud ne saurait englober à part entière le territoire de

24 la Yougoslavie.

25 Q. Je voudrais que vous vous référiez à présent à la deuxième phrase qui

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1 figure dans ce paragraphe où l'on dit que : "Cela ne s'applique pas aux

2 nations et républiques qui resteraient à faire partie de la Yougoslavie."

3 En d'autres termes, le concept est le suivant : les frontières des Etats

4 faisant sécession à l'égard de la Yougoslavie devraient être altérées.

5 R. C'était une question en suspens; c'était notre position. Il s'agissait

6 de les déterminer à l'occasion d'une conférence internationale et non pas

7 par un acte unilatéral. C'est là la position substantielle. Prenez la

8 position prise par la Cour suprême du Canada à l'égard du Québec, je peux

9 même vous citer d'autres auteurs qui ont été du même avis.

10 Q. Est-ce qu'un élément que vous avez mentionné à l'occasion de votre

11 témoignage hier a revêtu une importance assez grande, à savoir,

12 l'appartenance ethnique des gens qui étaient dans les Etats ? Est-ce que

13 ceux qui restaient en Yougoslavie avaient cru comprendre que la Croatie

14 avait souhaité créer un Etat ethniquement pur ?

15 R. Cela a été un élément constant. Vous avez une réunion du conseil

16 suprême de la Défense auquel avait été présent Franjo Tudjman ainsi que les

17 autres généraux, cela s'est tenu le 12 et le

18 19 septembre 1993. Il a été décidé de procéder à un nettoyage, une

19 purification ethnique de la Croatie. Il y a un document officiel à ce

20 sujet, et vous l'avez en votre possession.

21 En outre, regardez celui-ci. C'est un journal qui est publié de nos jours

22 encore en Croatie. Regardez son titre, son intitulé ou plutôt la phrase qui

23 est reproduite en haut. Hrvatski Vjesnik, on

24 dit : "Serbes, soyez maudits où que vous soyez." C'est une revue qui est

25 publiée de nos jours encore en Croatie; c'est un quotidien.

Page 32575

1 Q. Pouvez-vous nous donner la date de ce journal, je vous prie.

2 R. Je vais le faire. 10 avril 1994. Je peux vous le laisser si vous le

3 souhaitez.

4 Q. Merci. Je souhaite à présent, parce que nous n'avons pas beaucoup de

5 temps, aller de l'avant et nous pencher sur la pièce à conviction 779. Il

6 s'agit de notes prises en date du 25 octobre 1991 à l'occasion de la

7 conférence conduite par Carrington. Je vous réfère aux paragraphes 2 et 3,

8 page 4 de ce document.

9 R. Quelle page ?

10 Q. Page 4, tout en haut. Le sceau apposé porte une référence 643. Il

11 s'agit du paragraphe 2.3.

12 R. Oui.

13 Q. L'avez-vous retrouvé ? On dit : "Le président Milosevic, Serbie."

14 R. Oui.

15 Q. Il a été posé des questions au sujet du pilonnage de Dubrovnik, au

16 sujet d'ambitions ou de prétentions, d'aspirations territoriales de

17 l'accusé et de Dubrovnik. Dans ce document, il est dit : "Le président

18 Milosevic a déclaré que le général Kadijevic et le vice-président Kostic

19 ont été sollicités pour dire s'il était vrai que la JNA était en train de

20 pilonner la ville de Dubrovnik. Ils ont dit que cela n'était pas vrai.

21 Quelle que la situation ait été, lui, Milosevic, ne pouvait accepter qu'il

22 soit procéder à des pilonnages de Dubrovnik, chose qui ne saurait être

23 justifiée."

24 Partant des contacts que vous avez eus avec l'accusé, savez-vous nous dire

25 si à quelque moment que ce soit, il a fait partie de sa stratégie telle

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1 qu'il entendait, le recours à la force, pour ce qui était d'aboutir à la

2 réalisation d'aspirations territoriales au détriment des parties autres

3 pour ce qui est des négociations relatives à l'avenir de la Yougoslavie ?

4 R. Non, non. J'affirme catégoriquement que le président Milosevic n'a

5 jamais adopté cette attitude. Il a insisté sur les solutions pacifiques,

6 qu'il était stupéfait parfois. Parce que je dois dire que des opérations

7 armées avaient été conduites sans contrôle aucun. Cela avait échappé non

8 seulement au contrôle des supérieurs hiérarchiques, mais cela avait échappé

9 au contrôle local. Il y a eu des conflits de caractère anarchique où l'on

10 ne savait souvent pas qui tirait sur qui. Cela a été un moment où la

11 discipline a complètement fait défaut et où le contrôle à l'égard des

12 forces de la puissance armée a tout simplement disparu pour une certaine

13 période, pour quelques instants. Il y a eu, à ce moment-là, une ambiance de

14 panique, de souhait où l'on cherchait à placer tout cela sous contrôle. La

15 chose était difficile­ Il y a eu des actes de vengeance individuelle. Il y

16 a eu des groupes de mercenaires qui étaient venus.

17 Je me souviens, notamment, de déclarations de certains mercenaires

18 qui étaient arrivées de Grande-Bretagne, qui ont été amenées à Belgrade et

19 qui ont été restituées à l'ambassade de

20 Grande-Bretagne pour prouver qu'il y avait des mercenaires d'emmenés dans

21 ce pays.

22 Le président Milosevic n'a jamais eu des intentions de ce type,

23 d'intention de prendre par la force. Mais qu'entend-on par conquête ou

24 prendre par la force ? Il ne s'agissait pas de conquérir la Yougoslavie; il

25 s'agissait de la défendre. Nous avions un territoire qui était sous la

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1 souveraineté de quelqu'un. Ce n'était pas une terra nullius. Par

2 conséquent, ils sont arrachés par la force des territoires de la

3 Yougoslavie; j'entends les sécessionnistes. Ils étaient en train de briser

4 un Etat qui était membre des Nations Unies.

5 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci beaucoup, Professeur.

6 M. KAY : [interprétation]

7 Q. Il vous a été dit que la faute, la responsabilité de l'échec du plan

8 Carrington incombait à la Serbie et au président Milosevic. J'aimerais

9 revenir sur ce sujet en deux étapes.

10 Première étape et première question, y a-t-il eu acceptation d'une

11 confédération par tous les Etats, ou y avait-il des divergences au sujet

12 des dispositions en matière de commerce, de monnaie, de défense ? Autrement

13 dit, le plan Carrington était-il un plan global qui avait été accepté par

14 toutes les parties ?

15 R. Non. D'ailleurs, vous venez d'employer le mot confédération. Je pense

16 qu'il faudrait que vous citiez la phrase initiale, création d'états

17 souverains et indépendants. Quant à savoir ce qu'il allait advenir par la

18 suite, s'il s'agirait d'une confédération ou d'une union sous telle ou

19 telle forme, cela pouvait faire l'objet de négociations ou de pourparlers

20 éventuels par la suite. Là, nous en sommes aux hypothèses quant à ce qui

21 pourrait advenir, alors que lors de la conférence, dans la réalité, M.

22 Tudjman et M. Kucan ont dit littéralement : "Ceci est hors de question.

23 Nous ne discuterons et ne négocierons que d'états indépendants et de rien

24 d'autres." Dans ce cadre le document Carrington leur a plu d'abord, parce

25 qu'après tout, il leur donnait la possibilité de dire "Désolés, mais nous

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1 refusons de négocier, de poursuivre les négociations avec vous, même de

2 négocier tout court." Voilà ce qui est en cause.

3 Le document Carrington était un acte totalement contraire à toute légalité

4 du point de vue du droit international, également du point de vue de la

5 déclaration de Brioni. C'était une tromperie, une supercherie.

6 Q. Il vous a été dit que les dispositions contenues dans ce document ont

7 été rejetées, et que la Serbie a été la seule à les rejeter. Vous avez

8 l'expérience, puisque vous avez participé à maintes conférences et

9 négociations. Vous avez pu assister à la façon dont les choses s'y

10 déroulaient pendant deux ans. En tant que négociatrice --

11 R. Pas deux ans; 40 ans.

12 Q. Donc, encore davantage. S'agissant de la stratégie employée dans les

13 négociations, connaissez-vous les techniques utilisées, lorsque les

14 négociations sont menées entre plusieurs parties et que vous attendez à ce

15 qu'une partie soit isolée, qu'elle porte le blâme du rejet de la

16 proposition, même si d'autres ont rejeté également cette proposition ? Est-

17 ce que ce genre de chose fait partie d'une stratégie existante ?

18 M. NICE : [interprétation] Monsieur le Président, je ne vais pas rentrer

19 dans des points techniques. Je pense qu'il y a eu pas mal de questions

20 suggestives durant les questions supplémentaires, et qu'ici, en fait, nous

21 passons les bornes. La coupe est pleine.

22 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Que le témoin réponde à la question,

23 si elle le peut.

24 M. KAY : [interprétation]

25 Q. Il s'agissait du rejet des dispositions proposées et de ceux qui

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1 finissaient par être isolés vis-à-vis de la communauté internationale, en

2 raison du rejet de ces propositions. Est-ce que ceci, ce genre de chose,

3 entre dans la pensée et la stratégie de personnes telle que vous ?

4 R. Ma réponse consistera à décrire une situation très désagréable dans

5 laquelle je me suis trouvée, dans laquelle je me trouve encore aujourd'hui.

6 En tant que professeur, j'ai enseigné une matière qui incluait

7 l'apprentissage des négociations, le processus des négociations. Les

8 techniques utilisées dans les négociations, tout cela du point de vue du

9 droit, de la morale, de l'éthique, et cetera. Je parlais à mes étudiants de

10 l'histoire et des normes du droit international. Tout ce qui s'est passé au

11 cours de la période qui a suivi la Guerre froide est arrivé en

12 contradiction avec les enseignements que je prodiguais à mes étudiants.

13 Quelque chose de pathologique est survenu. Les règles les plus élémentaires

14 ont été détournées. C'est la remarque que j'ai faite à la conférence

15 lorsque je me suis exprimée au sujet de la période postérieure à la Guerre

16 froide. Il n'existe plus aucune règle, plus aucune norme. Il n'y a plus de

17 morale, non plus. Les gens oeuvrent les uns contre les autres dans leur

18 dos. Ensuite, des décisions sont rendues. On ne sait pas très bien où, et

19 les gens sont mis face au fait accompli. C'est quelque chose que, dans ma

20 carrière de plus de 40 ans et pendant tout le temps où j'ai travaillé en

21 tant que professeur, me paraissait inconcevable.

22 M. KAY : [interprétation] Je n'ai pas d'autres questions.

23 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci, Maître Kay.

24 Monsieur Milosevic, je saisis l'occasion pour vous dire une nouvelle fois

25 que la Chambre est disposée à exercer son pouvoir discrétionnaire, le

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1 pouvoir qui lui vient d'une ordonnance pour vous autoriser à poser des

2 questions supplémentaires, même si vous ne l'avez pas encore fait sur

3 certaines questions particulières, mais pas de discours. En dehors de tout

4 discours, est-ce que vous souhaitez exercer ce droit que nous vous

5 accordons ? Souhaitez-vous poser quelques questions très précises au

6 témoin ? Je tiens à être clair quant au fait que la Chambre vous invite à

7 le faire, mais sans discours.

8 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Robinson, si j'avais mené

9 l'interrogatoire principal, j'aurais soulevé un grand nombre de questions

10 que votre conseil commis, bien sûr, n'a pas été en mesure de soulever.

11 C'est la raison pour laquelle je dis que cet interrogatoire principal n'a

12 rien à voir avec une quelconque défense dans la présente affaire. La

13 possibilité ne m'a pas effleuré --

14 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, c'est exactement

15 la raison pour laquelle la Chambre a rédigé son ordonnance comme elle l'a

16 faite. Au terme de l'interrogatoire principal, la Chambre aurait pu vous

17 autoriser. D'ailleurs, elle vous a proposé la possibilité de poser des

18 questions précises dont le but était précisément celui-ci. Si vous avez le

19 sentiment qu'un aspect particulier de l'interrogatoire principal n'a pas

20 fait toute la lumière sur un problème particulier, ou qu'en abordant le

21 problème, elle n'en a pas suffisamment fait état pour, que vous aimeriez

22 poser des questions supplémentaires, la Chambre est tout à fait prête à

23 vous autoriser à la faire.

24 Je tiens à dire clairement qu'à toutes les étapes, la Chambre vous donne la

25 possibilité de participer à la présente affaire. C'est à vous qu'il

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1 appartient de décider si vous souhaitez vous saisir de cette occasion. Je

2 tiens à dire, en tout cas, que la Chambre, et c'est très clair, vous invite

3 à participer.

4 Quelle est votre position ? Souhaitez-vous poser à présent des questions ?

5 Mais pas de nouveaux discours.

6 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Robinson, je vous en prie. Pour que

7 les choses soient claires à vos yeux, j'exige que me soit rendu mon droit à

8 me défendre moi-même. Vous me l'avez retiré. C'est une violation de toutes

9 les normes de droit international même dans le cadre des positions qui sont

10 les vôtres.

11 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous avons déjà entendu cela. Nous

12 ne reviendrons pas là-dessus.

13 Il me reste à vous remercier, Madame le Professeur, d'être venue à La

14 Haye pour témoigner. Vous êtes arrivée au terme de votre déposition. Vous

15 pouvez maintenant vous retirer.

16 [Le témoin se retire]

17 M. NICE : [interprétation] Pour répondre à la question de M. le Juge Kwon,

18 le texte du discours de Gazimestan, dans un article de presse, est

19 disponible en tant que pièce à conviction 446, intercalaire 30.

20 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci, Monsieur Nice. Les documents

21 qui n'ont pas été admis doivent être restitués. Pause pendant 20 minutes.

22 --- L'audience est suspendue à 12 heures 06.

23 --- L'audience est reprise à 12 heures 29.

24 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, Monsieur Nice.

25 M. NICE : [interprétation] Je demande que le témoin reste hors du prétoire

Page 32582

1 quelques instants encore. Ce témoin, qui va comparaître est M. George

2 Jantras, et un témoin, sur deux ou trois, à propos duquel des exceptions

3 préjudicielles ont été déposées. Je crois qu'en réponse à notre dernière

4 requête, nous avons dit que nous voulions procéder avec prudence, d'autant

5 qu'il faut tenir compte de l'époque à laquelle la requête avait été

6 préparée. A ce moment-là, l'accusé assurait sa propre défense, donc, il

7 faut assurer une certaine marge de manœuvre pour la conduite de ce procès.

8 Si cette marge de manœuvre lui est accordée, il faudra que ce soit encore

9 davantage le cas lorsqu'il a un conseil ou des conseils commis d'office.

10 C'est une remarque de forme, mais si nous pensons que le témoin n'est

11 pas en mesure d'aider la Chambre, nous aimerions vous en parler à vous,

12 Messieurs les Juges, pour ne pas perdre de temps. Nous avons davantage de

13 possibilités pour faire des recherches sur les témoins prévus, témoins

14 potentiels, davantage que ce n'est le cas pour la Chambre. Nous avons -- en

15 résumé, en application du 65 ter de ce témoin, nous avons nous-même

16 effectué des recherches, et pour les motifs énoncés dans plus de détails

17 dans notre requête du 31 août, pour le moment, rien ne prouve que ce témoin

18 soit en mesure de vous aider.

19 Messieurs les Juges, nous avons demandé d'autres détails pour ce qui

20 est d'une deuxième phase, qui demanderait l'interdiction de comparaître.

21 Nous comprenons parfaitement les circonstances, Maître Kay n'est pas à même

22 de répondre à une question qui a aussi peu de priorité que celle-ci, mais

23 nous aimerions savoir, par avance, s'il a des éléments qui semblent

24 pertinents. Si ce n'est pas la cas, la Chambre va peut-être décider que le

25 témoin n'est pas en mesure de vous aider, vous, Messieurs les Juges.

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1 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Kay.

2 M. KAY : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. Ce témoin, James

3 Jantras, était le second prévu de la liste des témoins prévus cette semaine

4 et déposée par l'accusé, liste de l'annexe numéro 5. J'ai eu l'occasion de

5 rencontrer M. Jantras hier soir. J'ai passé un certain temps avec lui pour

6 discuter de sa comparution et des pièces qui seront présentées par le

7 truchement de sa déposition.

8 J'ai examiné le résumé 65 ter déposé au nom de l'accusé. Je ne sais pas qui

9 a préparé ce résumé, ce n'est pas moi. Ce résumé concernant ce témoin donne

10 très peu de détails sur sa carrière et sur la façon dont il s'intégrerait

11 dans le contexte de ce procès. Il a été conseillé pour ce qui est

12 d'institut s'occupant d'affaires internationales, il y a aussi des

13 événements de Bosnie, le contexte politique de la Bosnie, des connaissances

14 personnelles qu'il aurait des parties au conflit.

15 La nature de sa déposition est d'une portée beaucoup plus grande, et elle

16 tient compte d'événements qui se sont produits au Kosovo. L'Accusation a dû

17 le comprendre à l'examen des éléments de preuve fournis à l'avance et qui

18 venaient des collaborateurs de l'accusé.

19 Aujourd'hui, l'accusé est avocat, il exerce cette profession, et il a été

20 conseillé en matière de politiques étrangères au sénat américain. Le

21 témoin, de par la recherche qu'il a effectuée, connaît la réaction des

22 Américains aux événements concernant la dissolution de la Yougoslavie dès

23 le mois de mars 1991. Le témoin a été chargé de faire des recherches sur la

24 question et de prodiguer des conseils. Par la suite, il a participé

25 davantage à ce qui se passait en septembre 1992. Il a été chargé

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1 d'effectuer de nouvelles recherches sur la question, plus exactement sur

2 les événements qui ont suivi la reconnaissance de la Bosnie en avril 1992.

3 En faisant ces recherches, il a découvert qu'il y avait une implication des

4 Iraniens en tant que forces intervenantes dans le conflit en Bosnie, qu'il

5 y avait aussi intervention de Moudjahiddines.

6 Ce sont des allégations qui ont été souvent formulées par M. Milosevic au

7 cours de ce procès et qui cadre parfaitement avec la présentation des

8 moyens de défense présentés par M. Milosevic.

9 Vu les éléments découverts au cours de ces recherches, la question a

10 pris de l'importance lorsque le témoin, ainsi que d'autres personnes, ont

11 été chargées de participer à un comité chargé : "D'enquêter sur le rôle

12 joué par les Etats-Unis dans le transfert d'armes de l'Iran vers la Croatie

13 et la Bosnie. Il s'agissait d'un comité appelé, 'Feu vert iranien'." Ce

14 rapport a été rédigé en 1996 et a passé en revue une question qui a causé

15 beaucoup d'embarras dans les milieux politiques américains. Ceci a, en

16 effet, révélé que l'administration américaine, qui était celle de Clinton à

17 l'époque, avait permis de fermer les yeux et de donner le feu vert pour que

18 l'Iran établisse une base armée en Bosnie.

19 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Qui a demandé ce rapport ?

20 M. KAY : [interprétation] Le comité chargé des relations internationales de

21 la maison des représentants aux Etats-Unis. C'est un document public. C'est

22 un document qui parvient sans aucune intervention de l'accusé, c'est un

23 document tout à fait indépendant. Ceci fait partie de documents présentés

24 par des instances différentes, notamment, "Human Rights Watch", qui ont

25 travaillé de façon indépendante des parties et dont la Chambre a reconnu la

Page 32585

1 valeur probante.

2 Cependant, si l'on voit les charges retenus par l'accusé dans l'acte

3 d'accusation, on parle du conflit en Bosnie, du droit à la légitime défense

4 du peuple serbe, du droit qu'a l'Etat de maîtriser une catastrophe, un

5 désastre humanitaire auquel l'Etat faisait face, puisqu'il y avait

6 expulsion d'habitants serbes, surtout de la Bosnie, mais aussi de la

7 Croatie, et même si ce témoin s'adressait surtout à la Bosnie.

8 Il y a des allégations formulées au cours du contre-interrogatoire qui ont

9 été prouvées dans la mesure où ce rapport le prouve. Il a été prouvé que

10 ces allégations étaient exactes en ce qui concerne une implication

11 étrangère au conflit de Bosnie et l'origine de ces interventions.

12 La question de l'implication des Etats-Unis, c'est une question cruciale vu

13 l'attitude des Etats-Unis à l'égard du président Milosevic et de la Serbie.

14 A bien des égards, c'est là que le témoin puise ses éléments pour sa

15 déposition. Il pourra vous parler de l'attitude des sénateurs, entre

16 autres, de la façon dont ceux-ci percevaient les protagonistes des

17 événements qui se produisaient en Yougoslavie et qui entraînaient la

18 dissolution de la Yougoslavie. Il sait où se trouvaient les sympathies des

19 uns et des autres, et il sait qu'il y avait, disons, des préjugés à

20 l'encontre du président Milosevic et de la Serbie.

21 Si on prend ce contexte, on peut voir la deuxième phase de la déposition du

22 témoin qui parlerait du Kosovo où il continue d'avoir des fonctions. Il

23 dira qu'une décision avait été prise, décision qui consistait à envahir ou

24 à bombarder la Serbie, à attaquer, pour ainsi dire, la Serbie, et avoir

25 recours à l'agression contre l'Etat de Serbie avant qu'il n'y ait

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1 existence, comme c'est allégué dans l'acte d'accusation, d'une entreprise

2 criminelle commune constituée au mois d'octobre 1998.

3 Ce témoin représentait plusieurs éléments de preuve. Il y a, notamment, le

4 premier document dont je viens de parler, qui est le rapport définitif de

5 ce comité -- ce "Select Committee", dont il a été un des co-auteurs. Il y a

6 aussi d'autres documents qui viennent du comité républicain au Sénat,

7 chargé de la Politique étrangère. Nous sommes toujours au moment de

8 l'administration Clinton et de la politique qu'elle menait à l'égard du

9 Kosovo et de l'UCK. Il y a des questions concernant la force des effectifs

10 de l'UCK, sa base de soutien et son origine.

11 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Kay, je pense que nous en

12 savons suffisamment pour être convaincus que le témoin peut présenter des

13 éléments pertinents en l'espèce.

14 M. KAY : [interprétation] Oui.

15 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] La question de la pertinence, bien

16 sûr, elle sera réglée dans l'exercice normal des fonctions de la Chambre,

17 c'est-à-dire, en temps voulu.

18 M. KAY : [interprétation] Oui, c'est bien cela que j'avais compris,

19 Monsieur le Président. Le témoin en est conscient, j'en ai d'ailleurs

20 discuté avec lui. Je lui ai parlé de la nécessité pour la Chambre

21 d'entendre des éléments pertinents et d'être tout à fait prêt à apporter sa

22 contribution.

23 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Pour ce qui est d'information plus

24 détaillée s'agissant des écritures déposées en application du 65 ter, aux

25 yeux de la Chambre, il n'est pas nécessaire maintenant de changer la

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1 décision prise à cet égard, à savoir que l'accusé n'a pas besoin de

2 présenter des résumés plus détaillés, plus détaillés que ceux qui font

3 l'objet des écritures en application du 65 ter. Il n'en demeure pas moins

4 que la Chambre se réserve le droit de donner d'autres ordonnances pour

5 adapter la procédure à tout moment.

6 M. KAY : [interprétation] Oui.

7 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous pouvez appeler ce témoin.

8 M. KAY : [interprétation] J'appelle à la barre M. James Jatras.

9 [Le témoin est introduit dans le prétoire]

10 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vais demander au témoin de

11 prononcer la déclaration solennelle.

12 LE TÉMOIN: JAMES JATRAS [Assermenté]

13 [Le témoin répond par l'interprète]

14 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai

15 la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

16 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Veuillez vous asseoir, Monsieur.

17 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.

18 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Kay, vous avez la parole.

19 M. KAY : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

20 Interrogatoire principal par M. Kay :

21 Q. [interprétation] Vous vous appelez bien James George Jatras ?

22 R. Oui, c'est exact, Jatras.

23 Q. Vous êtes citoyen américain, Monsieur Jatras ?

24 R. Oui.

25 Q. Nous allons parler anglais, manifestement.

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1 R. Oui.

2 Q. Vous êtes avocat; c'est bien cela ?

3 R. Oui.

4 Q. Vous avez terminé vos études il y a quelques années, mais c'est

5 récemment que vous avez repris vos activités d'avocat.

6 R. Ce n'est pas que j'ai vraiment repris des activités; c'est la première

7 fois que j'exerce des activités d'avocat.

8 Q. On me demande de ralentir un peu.

9 Parlons, si vous le voulez bien, de votre carrière, de votre parcours

10 professionnel dans les services publics. Commençons, si vous le voulez

11 bien, par vos activités auprès du sénat américain.

12 R. Oui. J'étais analyste spécialisé au sénat dans le comité républicain de

13 la politique à partir de 1985 jusqu'en 2002, à peu près 17 ans. Avant cela,

14 j'étais fonctionnaire auprès des services chargés de la Politique étrangère

15 des Etats-Unis de 1979 à 1985.

16 Q. Vous êtes un spécialiste de l'Europe orientale ?

17 R. Pas vraiment. Mes fonctions au sein du comité chargé de cette Politique

18 étrangère, c'était la préparation de rapports, d'analyses et de prévisions

19 à l'intention des sénateurs et du personnel de mon parti, du Parti

20 républicain. Puisque la majorité était républicaine au sénat, il y a une

21 structure qui est d'ailleurs analogue pour le Parti démocrate.

22 Je travaillais surtout en politique étrangère, mais en fonction des

23 priorités du moment, au sénat, l'axe de travail changeait. Décembre 1985,

24 j'ai travaillé dans ce comité chargé de la Politique. Je me suis surtout

25 intéressé à l'Amérique centrale. J'ai fait beaucoup de travail sur ce qui

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1 se passait en Afrique du Sud, de la notion des sanctions, ce genre de

2 chose. Plus tard, avec l'effondrement du communisme, dans les pays du pacte

3 de Varsovie et de l'Union soviétique, je me suis intéressé à cette région-

4 là, en particulier. Il devenait apparent que la Yougoslavie se trouvait à

5 un endroit où cette décommunisation relativement pacifique de l'Europe

6 orientale n'allait pas être si pacifique. Je me suis dit qu'il était

7 nécessaire d'avoir des renseignements sur la question.

8 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous avez dit que vous êtes du Parti

9 républicain ?

10 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

11 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Vous êtes un républicain ?

12 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

13 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci.

14 M. KAY : [interprétation]

15 Q. En tant qu'analyste, que faisiez-vous exactement ? Comment vous

16 acquittiez-vous de vos fonctions de consultant ou de conseiller ?

17 R. Je pouvais consulter des documents classés secrets. En général,

18 j'essayais de ne pas m'appuyer sur ce genre de document surtout parce que

19 leur utilité est limitée. Il est impossible d'y faire référence. On ne peut

20 pas divulguer des renseignements secrets au sein du sénat. Vous n'allez pas

21 voir au sénat des rapports secrets qui sont repris dans la législation.

22 Vu la nature des débats qu'il y a dans un parlement, il était beaucoup plus

23 utile de m'appuyer sur des documents du domaine public que de me servir de

24 ce genre de document.

25 C'est pour cela que s'agissant de la Yougoslavie, comme pour d'autres

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1 questions, j'essayais de glaner les renseignements disponibles dans les

2 médias, dans les milieux universitaires, pour préparer des descriptifs, des

3 éléments de modification législative, ce genre de chose. Si on pouvait

4 prévoir que quelque chose allait devenir un acte législatif, je m'en

5 servais pour essayer de permettre aux sénateurs d'anticiper les événements.

6 Q. Soyons clairs. La déposition que vous faites aujourd'hui ne concerne

7 pas des documents classés secrets ?

8 R. Pas du tout.

9 Q. Vu vos fonctions, vous donniez des conseils à des sénateurs ou un

10 sénateur, en particulier ?

11 R. J'ai surtout et uniquement travaillé sous la tutelle du président de ce

12 comité chargé de la Politique. C'était Bill Armstrong du Colorado quand

13 j'ai commencé, puis c'était Don Nickles de l'Oklahoma, et Larry Craig du

14 Idaho. J'ai travaillé pour le président de ce comité, mais ceux qui se

15 servaient de mon travail, c'étaient tous les sénateurs républicains et

16 leurs personnels, même si tout le monde pouvait consulter ces rapports. Les

17 démocrates l'ont fait d'ailleurs.

18 Q. Vu vos fonctions, est-ce qu'elles vous permettaient de savoir quelle

19 était la politique menée par l'administration américaine d'alors ?

20 R. C'est certain. Je dirais que c'est là que réside la valeur probante de

21 mes dires. J'ai préparé cinq rapports sur la Yougoslavie. Je pense qu'ils

22 sont pertinents ici, dans le cadre de ma déposition. On peut dire que c'est

23 un instantané pris, à ce moment-là, un document de ce qui était connu ou de

24 ce qui pouvait être connu dans le milieu où je travaillais, éléments qui

25 pouvaient se répercuter dans un document officiel parce que le Congrès,

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1 c'est un des organes du gouvernement. Cela ne venait pas ici des services

2 de l'exécutif, mais des services de l'appareil législatif.

3 Q. Nous allons maintenant parler d'un élément dont nous allons demander le

4 versement. C'est le rapport définitif de ce comité qui enquêtait sur le

5 rôle joué par les Etats-Unis dans le transfert d'armes en provenance de

6 l'Iran vers la Croatie et la Bosnie. On a appelé ce comité le sous-comité

7 du Feu vert iranien.

8 R. Oui. Vous avez cette copie ?

9 Q. Oui.

10 R. J'ai aussi une copie du rapport du sénat. Vous l'avez ?

11 Q. Non, mais ce que j'avais à lire m'a suffi.

12 R. Le rapport donné au sénat est beaucoup plus court.

13 Q. Si vous voulez y faire référence, faites-le. Je ne sais pas si ceci

14 deviendra un élément de preuve. Nous verrons.

15 R. D'accord.

16 Q. Ce qui m'intéresse, c'est la teneur essentielle de ce que vous aviez.

17 Je pense que c'est cela qui va être à la base même de votre déposition.

18 R. Je crois que vous avez raison.

19 Q. Ce genre de rapport, vous avez participé à son élaboration.

20 R. Non, Celui-là pas. Cela a été présenté par le comité de la chambre des

21 représentants. Du côté du sénat, je pourrais vous dire que le sénat -- au

22 sénat, c'est un comité permanent du sénat qui l'a préparé, même si j'ai eu

23 des communications épisodiques avec les gens qui ont préparé ce rapport.

24 Q. Vous aurez retenu ce que je vous ai dit au départ, Messieurs les Juges,

25 mais vous comprendrez aussi qu'il n'est pas possible vraiment de digérer

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1 toutes les informations que j'ai reçues puisque j'ai appris que j'allais

2 interroger ce témoin il y a peu.

3 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je comprends.

4 M. KAY : [interprétation]

5 Q. Vous avez participé à l'élaboration d'un rapport du sénat ?

6 R. Oui.

7 Q. Comment intervenez-vous ? Quel est le rôle que vous jouez ? Vous avez

8 dit que vous pouviez donner des conseils aux sénateurs républicains qui

9 s'intéressent à la politique étrangère. Parlons de votre participation plus

10 officielle à la rédaction d'un rapport au sénat. Comment est-ce que ceci

11 s'est fait ?

12 R. Les rapports de ce sous-comité chargé de la politique sont des rapports

13 officiels. Ce n'est pas simplement un rapport fait par un comité. Quand on

14 parle d'un rapport du sénat, ce sont des analyses faites par les dirigeants

15 au sénat. C'est un type de rapport différent. De façon générale, cette

16 initiative que je fais, que j'entreprends en tant que professionnel, je

17 devais me demander quels étaient les sujets que le sénat devra aborder.

18 Soyons plus précis, en janvier 1997, j'ai fait un rapport, ce qu'on a

19 appelé ce rapport du feu vert sur le transfert d'armes de l'Iran au moment

20 de l'administration Clinton. Ce rapport a été surtout fondé sur les deux

21 rapports préparés par la chambre des représentants et le sénat en 1996. Je

22 me suis dit que ce genre d'information était utile, et serait intéressant

23 pour les sénateurs républicains.

24 Q. Nous parlons ici d'informations qui sont toutes du domaine

25 public?

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1 R. Tout à fait.

2 Q. C'est bien là l'intention, c'est un peu le sens de votre rôle

3 dans l'élaboration de ces rapports ?

4 R. Oui. Je crois que c'est aussi pertinent dans ces débats ici parce

5 que ceci montre ce que tout le monde savait à Washington, pour autant qu'on

6 veuille le savoir, bien sûr.

7 Q. Merci. Parlons du mois de mars 1991. Serait-il exact de dire qu'à ce

8 moment-là, la dissolution de la Yougoslavie dans la région des Balkans est

9 un sujet qui est arrivé sur votre bureau ?

10 R. C'est exact. Excusez-moi, les interprètes me demandent si vous parlez

11 du mois de juin ou de mars.

12 Q. Mars.

13 R. J'essaie de ralentir le débit. Enfin, d'habitude je parle assez vite.

14 Avant le mois juin 1991, je ne sais pas si cette période commence en

15 mars ou en avril, mais à cette époque-là, il apparaissait manifeste qu'un

16 malheur allait se produire en Yougoslavie, que cela devait déboucher sur

17 une forme ou autre de violence, et qu'il serait utile pour les sénateurs et

18 leurs personnels de savoir des éléments sur ce pays, sur cette région.

19 Il faut comprendre une chose. La plupart des fonctionnaires, la

20 plupart des sénateurs ne connaissaient pas la Yougoslavie, ne savaient pas

21 que c'était un Etat pluriethnique composé de plusieurs républiques, avec

22 plusieurs langues, ce genre de chose. Si les sénateurs apprennent qu'une

23 guerre a éclaté entre les Serbes et les Croates ou les Serbes et les

24 Albanais, ils auraient, au départ, très peu d'informations sur la nature,

25 sur l'identité des protagonistes. Moi, je me suis dit qu'il était

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1 préférable de préparer un document pour expliquer la Yougoslavie où elle se

2 trouve, quelle est sa population, quelles sont les langues parlées, où --

3 est-ce que j'ai fait quelque chose, -- j'ai bougé un bouton, non, comment

4 la Yougoslavie était organisée politiquement, quelle était son organisation

5 politique. Il y avait une crise constitutionnelle avec le roulement des

6 présidents. C'est quelque chose qui serait un mystère parfaitement complet

7 pour les sénateurs ou les membres de la chambre des représentants de

8 l'époque.

9 J'ai cherché pour voir si j'avais une copie de ce rapport, mais c'est avant

10 l'Internet. J'ai eu du mal à le retrouver. Je n'y suis pas parvenu. Je

11 voulais être le plus équitable, le plus neutre possible à l'égard des

12 populations constitutives de la Yougoslavie et de leurs griefs historiques

13 et contemporains. On peut le dire, par exemple, voir comment on comprenait

14 les Serbes à partir de sources croates, serbes ou albanaises. On m'a dit

15 que ce n'était pas la bonne façon de présenter le rapport. On m'a dit qu'il

16 fallait faire un élément communiste contre démocratie. Si les Serbes

17 étaient communistes, la Croatie était démocrate, que ce n'était pas un

18 conflit ethnique, mais que c'était ce genre de chose qui, d'ailleurs, a

19 dénaturé la perception qu'on a eue de la Yougoslavie. Les prétentions

20 légitimes que les Serbes auraient pu voir, en tant que population

21 constitutive, ont été considérées comme étant dénuées de légitimité par

22 rapport à ces années qui ont été écoulées, par rapport à la façon dont

23 avait été dissoute la Yougoslavie et par rapport au droit qu'avaient les

24 Serbes dans ce processus.

25 J'ai réécrit ce rapport pour qu'il corresponde à ce qu'on me demandait.

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1 J'avais même demandé que ce rapport ne soit pas publié, parce que je

2 trouvais qu'il ne traduisait pas fidèlement ce qui se passait là-bas. Ce

3 fut un échec, en tout cas, j'ai parvenu à ce qu'on retire mon nom -- nom

4 des auteurs de ce rapport.

5 Q. Pendant tout ce procès, nous l'avons appris, les Etat Unis ont joué un

6 rôle qui a fait l'objet de beaucoup de discussions. Vous dites qu'on

7 percevait que c'était une lutte, un combat entre le communiste et la

8 démocratie.

9 R. Oui.

10 Q. Nous le savons, M. Milosevic a été élu président de la république.

11 R. Je pense que l'opinion qui prévalait surtout au sénat, c'était que les

12 élections qui s'étaient tenues en Croatie et en Slovénie, étaient des

13 élections justes, démocratiques, que ceci traduisait bien de façon

14 démocratique l'opinion publique de ces pays, mais que ce n'était pas vrai

15 pour la Serbie. Donc, les élections de Croatie et de Slovénie étaient

16 valables, mais elles ne l'étaient pas en Serbie.

17 Q. D'où venait cette attitude ? Si vous n'êtes pas en mesure de dire,

18 dites-le ?

19 R. Je dirais que cela vient de deux choses. Là, je ne me souviens pas

20 malheureusement des détails; on me demande de ralentir.

21 Je pense qu'il y avait deux origines. Je n'ai plus les documents, il m'est

22 difficile de me remémorer. Il y a peut-être ce qu'on dit les observateurs

23 politiques à propos des élections qui se sont tenues à l'époque. L'autre

24 origine, l'autre source, je ne vais pas me lancer dans beaucoup de détails,

25 mais il y avait un groupe de pression très pro-Croate, qui a eu son

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1 influence sur les questions qui ont fait l'objet de débats publics à

2 l'époque.

3 Q. Quant à la Serbie, est-ce qu'elle avait elle aussi un lobby qui aurait

4 été visible pour le moins dans la mesure où vous êtes au courant de cela ?

5 R. Non, pas pour autant que j'ai pu le voir, et dans une large mesure, ils

6 ne l'ont toujours pas.

7 Q. Pour ce qui est d'autres attitudes aussi dans la Serbie, comment est-ce

8 que cela était perçu, est-ce qu'elle a été perçue d'une manière un peu

9 négative ?

10 R. L'une des choses que j'ai émis dans mon premier rapport sur la crise

11 yougoslave qui était éminente, c'était une argumentation plutôt détaillée

12 dans un article de Washington Post, où, encore une fois, j'ai cité à la

13 fois les Serbes et les Croates. J'ai présenté les positions des uns et des

14 autres. L'un des sujets de cet article du côté croate, la position croate

15 était : "Nous sommes des catholiques. Nous appartenons au monde occidental.

16 Nous utilisons des caractères latins. Nous appartenons à l'Europe centrale.

17 Ce n'est pas comme les gens de l'est."

18 Je me rappelle des discussions avec d'autres membres du sénat à l'époque.

19 Il y avait une perception qui était assez claire. Ils avaient l'impression

20 que les Croates étaient des gens comme eux, qui constituaient une partie

21 intégrante de l'Europe centrale. Il y avait des gens de l'autre côté qui

22 n'étaient pas comme nous. Je me rappelle à l'époque qu'un employé m'a dit,

23 dans le bureau d'un sénateur démocrate, par exemple, au sujet de

24 l'élargissement de l'OTAN, cela s'est passé un peu plus tard dans les

25 années 1990, que c'étaient des gens qui ressemblaient, enfin, à ceux des

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1 pays comme la Hongrie, la République tchèque, et que toute l'Europe allait

2 se réunifier. Je lui ai dit, je ne sais pas, la Roumanie, la Bulgarie

3 aussi. Il semblait choqué à cette idée à l'époque. Il m'a dit : si c'est le

4 cas, pourquoi pas la Tunisie ? Je voyais qu'on n'avait pas les mêmes

5 affinités, qu'on n'avait pas la perception, on ne percevait ces gens comme

6 nous. Ils n'étaient pas comme nous aux Etats-Unis.

7 Q. En 1991, c'était le moment où M. Bush père était président ?

8 R. Oui.

9 Q. Vous nous avez parlé de votre premier rapport qui a présenté un certain

10 nombre de questions. Vous n'avez pas été satisfait de la manière dont il a

11 été reçu.

12 R. Oui, je ne l'ai pas été. J'ai plutôt, dans mon rapport, fourni des

13 explications. Peut-être j'ai anticipé sur ce qui allait ou ce allait

14 probablement se produire plus tard.

15 J'ai décrit les circonstances. A l'époque, je n'avais pas vraiment

16 l'impression que je pouvais produire un rapport substantiel. Je me suis

17 contenté dans une large mesure, à ce moment-là, tout simplement à fournir

18 des références techniques concernant la législation qui était -- ou plutôt

19 face à l'administration qui était à l'époque en place, et je ne suis pas

20 étendu dans des analyses plus approfondies.

21 Q. Janvier 1992.

22 R. Oui.

23 Q. Il y a eu un changement à Washington.

24 R. Oui, en janvier 1993. C'est Clinton qui a remporté les élections en

25 novembre 1992.

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1 Q. Oui.

2 R. Oui.

3 Q. La reconnaissance de la Bosnie en avril 1992.

4 R. Hm-hm.

5 Q. Des événements allaient changer la situation qui prévalait dans l'ex-

6 Yougoslavie. Ce qui s'est passé -- à partir de quel moment avez-vous joué

7 un rôle plus substantiel ?

8 R. Le rapport plus substantiel que j'ai fourni. Cela peut sembler un peu

9 étrange puisque nous sautons ici une période de cinq ans, et c'était en

10 janvier 1997. En fait, si j'ai pu produire un rapport à ce moment-là, en

11 fait, il y a eu plusieurs raisons à cela. D'une part, il y avait un feu

12 vert de mon propre côté, pour ainsi dire. C'était le rapport qui a été

13 rédigé par la chambre basse et aussi par le sénat. Il y a eu deux rapports

14 sur le Feu vert iranien. J'ai considéré, qu'à partir de ce moment-là, je

15 pouvais examiner un certain nombre de questions, des questions -- par

16 exemple, des questions qui se sont passées en Bosnie et des choses qui ont

17 été communiquées par des sources fiables, sur ce qui s'était passé en

18 Bosnie et sur la coopération de l'administration Clinton, ou, du moins, sur

19 le fait que l'on a passé sous silence des activités extrémistes dans les

20 Balkans.

21 Ces informations sont devenues accessibles dans les sources du

22 domaine public dès le mois de septembre 1992. C'est ce que je dis dans mon

23 rapport de 1997. Il y a eu un rapport iranien, un rapport sur le

24 terrorisme. C'était peut-être le premier document de ce genre que j'ai vu,

25 mais il y a eu bien d'autres articles et de rapports dans les années qui

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1 ont suivi, 1992, 1993, 1994, et cetera, qui examinaient les différentes

2 influences de ce type qui se sont exercées en Bosnie afin d'appuyer

3 Sarajevo -- ou plutôt le gouvernement d'Izetbegovic.

4 Q. Est-ce que je peux vous interrompre une seconde.

5 R. Oui.

6 Q. Pour que je sois tout à fait au clair là-dessus, pourriez-vous nous

7 donner le titre de ce rapport que vous avez produit ?

8 R. Oui.

9 Q. Je voudrais tout simplement avoir les références précises pour le

10 compte rendu d'audience.

11 R. Le titre est le suivant : "Des transferts iraniens, approuvés par

12 Clinton, ont permis -- ont aidé à ce que la Bosnie se transforme dans une

13 base islamique militaire," et ce rapport a été publié le 16 janvier 1997.

14 Q. Je l'ai et, à partir de maintenant, vous saurez à quoi je me réfère.

15 R. Oui.

16 Q. Nous allons demander son admission au dossier de l'espèce.

17 R. Très bien.

18 Q. C'est la période de septembre 1992 qui va m'intéresser.

19 R. Oui.

20 Q. Les premières dates -- la première date que vous avez mentionnée dans

21 ce rapport, vous citez les sources sur lesquelles vous vous basez et vous

22 permettez aux gens donc d'apprécier eux-mêmes les informations.

23 R. Oui, certainement. Pendant cette période-là, je dirais que mon activité

24 était limitée au minimum. Tout ce que je faisais c'était de réunir des

25 éléments d'information, de rassembler des documents, et ce sont les

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1 documents qui seront référenciés dans le rapport du janvier 1997. J'ai

2 l'impression que le rapport parle de lui-même. Je maintiens ce qui est dit

3 dans ce rapport ainsi que les sources qui y sont citées, sur lesquelles on

4 s'appuie et, pour ce qui est de la teneur du document, il y a très peu de

5 choses que je souhaiterais ajouter.

6 Je dois dire que je n'ai pas de connaissance de première main que les

7 influences et les activités qui sont décrites dans ce rapport se sont

8 réellement produites, puisque je n'étais pas présent. Je n'ai pas été

9 impliqué dans les inspections des armes iraniennes qui auraient été

10 acheminées par la Croatie en Bosnie. Je n'étais pas impliqué dans la

11 fourniture des aides humanitaires, dans l'activité des organisations

12 prétendument humanitaires. C'est quelque chose qui a été décrit comme ayant

13 été un paravent tout simplement pour fournir des armes aux combattants en

14 Bosnie. Cependant, ce que je peux dire, de première main, c'est que ces

15 allégations venaient de sources très sérieuses et décrivaient qu'elles

16 méritaient l'attention pendant ces années-là. Apparemment, cette attention

17 ne leur pas été accordée. Il m'a semblé utile de rédiger ce rapport en

18 réunissant tous ces éléments d'information.

19 Je tiens à ajouter également que les rapports feu vert, qui ont été émis

20 par la chambre basse et le sénat, qu'ils concernent la filière iranienne,

21 donc les armes iraniennes qui sont fournies à la Bosnie, ainsi que le rôle

22 qui a été joué par l'administration Clinton, lorsque cette administration

23 donne des signaux au gouvernement croate signifiant que cette filière peut

24 se mettre en place, il peut continuer son activité. Ces rapports ne se sont

25 pas penchés sur ce qui me semblait être l'autre moitié, du moins aussi

Page 32601

1 significative, ce qui est cité dans mon analyse et qui concerne un réseau

2 parallèle qui était financé largement par les Saoudiens, où les Saoudiens

3 rassemblaient les fonds et recrutaient pour des activités eu égard aux

4 Djihad. Nous nous référons à cela aujourd'hui en parlant d'al-Qaeda. A

5 l'époque, on ne l'appelait pas ainsi.

6 Je pense, maintenant -- aujourd'hui, avec le recul, que c'était très

7 significatif. La commission officielle, qui a travaillé dans mon pays et

8 qui a examiné les événements du 11 septembre, a récemment rendu son rapport

9 final. Là, il y a beaucoup de références à la Bosnie et au Kosovo. Ils

10 disent que le Kosovo et la Bosnie, c'est là qu'on a fait un travail de base

11 pour jeter les fondements pour un réseau terroriste mondial. Cela veut dire

12 un réseau islamiste extrémiste, qui s'est organisé autour d'Osama bin

13 Laden, qui a débuté en Afghanistan, bien entendu, avec l'appui américain,

14 qui, peut-on dire se justifiait compte tenu de la guerre de l'époque. Donc,

15 la Bosnie et le Kosovo ont été des endroits où ces différents petits

16 éléments de base se sont mis en place et cela allait devenir plus présent

17 sur la scène internationale de manière beaucoup plus importante.

18 Q. Est-ce que je peux vous interrompre ?

19 R. Oui. Hm-hm.

20 Q. Je voudrais simplement me pencher sur cela dans le contexte des

21 sanctions de l'Iran -- imposées à l'Iran par les Etats-Unis. Il y avait une

22 politique mise en place par les Etats-Unis dont l'objectif était de limiter

23 l'influence de l'Iran. Est-ce qu'on pourrait le présenter ainsi ?

24 R. C'est exact, et je dirais que cela comporte deux volets. D'une part, il

25 y a, je pense, un facteur qui a généré -- qui a incité à ce qu'on rédige

Page 32602

1 ces rapports, donc du sénat et de la chambre basse, à savoir, c'était une

2 sensibilité toute particulière américaine à l'égard de l'Iran. Vous verrez

3 qu'il y a énormément -- que ce rapport est extrêmement touffu,

4 particulièrement parce que nous avons des préoccupations qui concernent

5 l'Iran, des préoccupations juridiques américaines au sujet de l'opération

6 clandestine qui a été menée. Le congrès aurait dû être informé. Cela

7 implique toute une série de choses.

8 Ce qui ne fait pas objet de ces rapports et ce qui ressort très

9 clairement dans mon analyse, dans mon analyse de janvier 1997, c'est que

10 l'administration Clinton a préféré l'autre réseau qui était en train

11 d'opérer en Bosnie. Il y a un article de Washington Post que j'ai cité du 2

12 février 1996. Le titre est : "Des armes financées par les Saoudiens qui se

13 montent à une opération de 300 000 000 de dollars avec une coopération

14 occulte par les Etats-Unis. Un officiel saoudien, qui n'est pas nommé, est

15 en train de dire que l'administration coopère avec eux, du moins, parce

16 qu'à l'époque, en se fondant sur ces rapports, on estimait que c'était une

17 influence plus saine sur le gouvernement de Sarajevo que les connexions

18 iraniennes qui ont été, sans beaucoup d'enthousiasme, facilitées,

19 encouragées en avril 1994. Mais ce n'est pas ce que nous préférerions. Ce

20 que nous aurions préféré, c'est que nos bons amis, les Saoudiens, ainsi que

21 les éléments qui étaient proches d'eux, exercent l'influence principale en

22 Bosnie.

23 Q. Oui.

24 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Kay, si possible, je

25 voudrais qu'on se rapproche des événements qui nous intéressent ici au

Page 32603

1 premier chef.

2 M. KAY : [interprétation] C'était mon intention, Monsieur le Président. Je

3 voulais tout simplement préciser le contexte.

4 Q. En septembre 1992, d'après ce que vous avez dit, vous avez commencé à

5 recueillir davantage d'informations; est-ce exact ?

6 R. Oui.

7 Q. Ce processus de recueillement d'informations s'est poursuivi jusqu'au

8 moment où vous avez pondu ce rapport le 16 janvier 1997 ?

9 R. Sur ce thème précis, oui.

10 M. KAY : [interprétation] Je souhaiterais à présent distribuer des

11 exemplaires de ce rapport. Ce document porte la cote DPBU -- ou K26, je

12 pense que c'est cela.

13 M. NICE : [interprétation] Avant que l'on présente le document --

14 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, Monsieur Nice.

15 M. NICE : [interprétation] Je n'arrive pas à voir les fondements, ni la

16 valeur de ce document. Ce témoin est, d'une certaine façon, un expert et il

17 a préparé -- il a rédigé un rapport d'expert, mais il ne semble pas

18 intervenir ici en tant qu'expert.

19 Un deuxième point est que, d'une certaine façon, je ne comprends pas

20 très bien dans quelle mesure il a été engagé sur la rédaction de ce rapport

21 qui se fonde sur des sources généralement accessibles, donc sur domaine

22 public.

23 Peut-être que je me trompe parce qu'il avait à sa disposition toutes

24 sortes d'informations, mais je ne pense pas que nous ayons jamais, en

25 l'espèce, accepté ce type de rapport. Tout au contraire, la Chambre a

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1 régulièrement rejeté des documents qui constituaient des compilations de

2 travaux réalisés par d'autres personnes. Par exemple, c'était -- pour ce

3 qui est de l'affaire Racak, c'est cela qui s'est produit.

4 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Ce témoin n'est pas en train de

5 produire un résumé des événements.

6 M. NICE : [interprétation] Très bien. Dans ce cas-là, je ne vois pas très

7 bien à quoi cela sert, sa déposition, avec tous mes respects, parce qu'il a

8 parlé de ce qu'il a perçu comme ayant été des tendances ou des approches

9 dans ce comité pour lequel il a travaillé. Je ne comprends pas en quoi est-

10 ce que cela est pertinent, et maintenant, il cherche à présenter un rapport

11 qui se fonde sur des informations accessibles à tout le monde.

12 Je ne souhaite pas exclure des éléments d'information ou des preuves qui

13 pouvaient être valables ou intéressantes, mais j'ai bien l'impression que

14 ce document n'est pas -- j'ai bien l'impression que, si ce document est

15 d'une importance substantielle et s'il faut s'y pencher, cela prendra un

16 peu de temps.

17 L'un de mes collègues attire mon attention sur le fait que le témoin a dit

18 lui-même qu'il n'avait pas de connaissances de première main sur les choses

19 au sujet desquelles il s'exprime. Me trompe-je, mais je ne comprends pas

20 quelle est la valeur probante de cela.

21 Pendant que je suis encore en train de parler, quelques petits points que

22 je souhaite aborder, trois points. J'ai remarqué précédemment que le témoin

23 a dit qu'il s'est appuyé sur des documents publics, pour des raisons qu'il

24 a citées et, bien entendu, s'il y a des informations sur lesquelles il

25 s'est fondées et qui sont protégées de quelque manière que ce soit, cela

Page 32605

1 peut poser problème.

2 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Mais le témoin a déjà dit que ces

3 informations n'étaient pas frappées du secret.

4 M. NICE : [interprétation] Oui, effectivement, mais il n'a pas tout à fait

5 dit cela. Le deuxième point qu'il a fait est qu'il a reçu l'instruction de

6 la part d'un individu afin de préparer un premier rapport qu'il a évoqué,

7 et il faudrait -- il serait tout à fait utile -- si le témoin continue à

8 déposer, il serait utile d'avoir le nom de ce témoin.

9 Le troisième point, c'est quelque chose à quoi je reviendrai plus tard.

10 Cela concerne la valeur probante.

11 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Kay.

12 M. KAY : [interprétation] Il s'agit de documents publics. C'est exactement

13 le même type de fondement que celui sur lequel s'est appuyé l'Accusation

14 dans ses éléments de preuve. Comme, par exemple, les documents émanant des

15 groupes, tels "Human Rights Watch", les agences des Nations Unies, des

16 instances publiques. La Chambre a toujours fait une distinction entre ce

17 qui est plutôt dans le domaine public et ce qui est un organe indépendant -

18 - une partie indépendante qui présente des documents. Dans la mesure où

19 ceci est pertinent, on peut le verser au dossier, on peut le présenter et

20 on peut comprendre pour quelles raisons certaines personnes ont pris telle

21 ou telle décision à un moment donné, et ce qui a entraîné des conséquences

22 par la suite. Il s'agit des éléments de preuve qui concernent la fourniture

23 des armes depuis l'Iran, d'autres pays islamiques, et c'est très

24 précisément pertinent en l'espèce.

25 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] C'est un document public.

Page 32606

1 M. KAY : [interprétation] Oui.

2 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Qui est dans le domaine public.

3 N'importe qui peut le consulter.

4 M. KAY : [interprétation] Oui.

5 [La Chambre de première instance se concerte]

6 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui. Le document peut être présenté

7 au témoin.

8 M. KAY : [interprétation] Je vous remercie. Nous avons ici les exemplaires

9 pour la Chambre. Je remercie le Greffe de l'aide qu'il nous a apportée dans

10 la préparation de ce document. Le premier document que nous examinerons

11 sera le numéro 2, d'après notre sommaire parce qu'au numéro 1, nous avons

12 un volume plus grand, et il nous faudra vous le remettre séparément. Je

13 demanderais qu'on le communique aussi.

14 Comme je viens de le dire, nous allons tout d'abord explorer le document

15 qui figure au point 2. Il ne s'agit pas là de la version officielle du

16 rapport de la chambre basse américaine.

17 Q. Pour replacer ce document dans le contexte, il s'agit d'un texte que

18 vous avez rédigé le 16 janvier 1997, que l'on peut consulter sur Internet,

19 n'est-ce pas ?

20 R. Oui, c'est exact. On peut le consulter sur plusieurs sites Internet.

21 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Mais pour quelle raison dit-on, en page

22 de couverture, qu'il s'agit d'un document confidentiel ?

23 M. KAY : [interprétation] Je n'arrive pas à voir le mot "confidentiel",

24 Monsieur le Juge.

25 LE TÉMOIN : [interprétation] C'est en page de couverture, en page de garde.

Page 32607

1 M. KAY : [interprétation] Non. Cela a à voir avec la divulgation des pièces

2 à conviction par avance.

3 M. LE JUGE KWON : [interprétation] D'accord.

4 M. KAY : [interprétation] Cela fait partie du travail interne du Greffe. Ce

5 sont ces annotations et n'est pas pertinent pour ce qui est, maintenant, de

6 la présentation de ce document.

7 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui. Je vous en prie, veuillez

8 poursuivre.

9 M. KAY : [interprétation] Si c'est par avance que l'on communique les

10 documents, il n'y a pas lieu de les sortir d'ici -- de les mettre à la

11 disposition du public, puisque cela fait -- il ne constitue pas partie du

12 procès.

13 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Est-ce que vous souhaiterez le

14 verser au dossier ?

15 M. KAY : [interprétation] Je vais tout d'abord l'examiner -- le parcourir

16 et, par la suite, s'il n'y a pas d'objection, effectivement, nous avons le

17 faire.

18 Q. Premièrement, nous avons le titre : "Les transferts d'armes iraniennes,

19 approuvées par Clinton, aident à transformer la Bosnie en une base

20 islamique militante." Est-ce que c'est une question qui se pose suite à des

21 articles qui ont été publiés par la presse, eu égard à ce qui a été appelé

22 "politique du feu vert" de l'administration Clinton, pour ce qui est de la

23 fourniture d'armes à l'attention de la Bosnie depuis les rangs pendant la

24 durée du conflit bosnien ?

25 R. Partiellement et, d'une certaine façon, indirectement. Comme je l'ai

Page 32608

1 déjà dit, la cause ou ce qui m'a incité à aborder cette question à procéder

2 à une analyse sur ce point, c'étaient les rapports de la chambre des

3 représentants et du sénat, des rapports dont on a parlé. Ces rapports-là

4 ont eu lieu suite à des rapports qui ont été publiés par la presse. Je ne

5 pense pas que la chambre des représentants ou le sénat aurait prouvé le

6 besoin de mener une enquête s'il n'y avait pas eu, au préalable, un débat

7 public.

8 Q. La raison pour laquelle cela est devenu une question qui a suscité une

9 exploration, une enquête, c'est aussi parce qu'à l'époque, il y avait des

10 forces américaines en Bosnie --

11 R. Oui.

12 Q. -- qui faisait partie de la force de la stabilisation, et ils se

13 protégeaient des groupes armés des différents partis.

14 R. Il y avait quelques préoccupations au sujet de la présence terroriste

15 en Bosnie, possible en Bosnie, en tant que résultat de cette stratégie et

16 l'effet que cela pourrait avoir sur la sécurité des forces américaines sur

17 place.

18 Q. Dans son introduction, dans le sommaire du document, il est question de

19 20 000 soldats américains qui vont se rendre en Bosnie, en tant que soldats

20 de l'IFOR et aussi de leur présence au sein de la force de stabilisation.

21 Il est question, ici, de post-Dayton de la situation politique et

22 économique après Dayton en Bosnie, n'est-ce pas ?

23 R. Oui, et le déploiement des forces américaines sur le terrain. Le

24 président Clinton a cherché à assurer le congrès que cette présence

25 n'allait pas se prolonger au-delà d'une année.

Page 32609

1 Q. Par la suite, il y a un titre : "Connexion iranienne," et j'ai dit

2 pourquoi, d'un point de vue politique à l'époque, c'était important en

3 Amérique -- aux Etats-Unis. Par la suite, il est question des questions

4 clés, de trois points clés qui doivent être examinés de ce qui a été appelé

5 : "Le Feu vert de Clinton aux fournitures iraniennes."

6 Nous pouvons passer en page 3, premier paragraphe, il y est

7 dit : "Avril 1994, le président Clinton a donné au gouvernement croate ce

8 qui a été décrit par des comités du congrès comme, étant le feu vert pour

9 des fournitures d'armes de l'Iran et d'autres pays musulmans au

10 gouvernement qui est dirigé par des Musulmans en Bosnie." Cette politique a

11 été approuvée par Antony Lake ainsi que par l'ambassadeur américain en

12 Croatie, Peter Galbraith. La CIA et le département d'Etat, ainsi que le

13 département de la Défense, n'en avaient pas été informés jusqu'à la

14 décision ne soit prise."

15 Pour ce qui est de cette fourniture d'armes, est-ce qu'on a pu savoir

16 à quel moment cela a commencé ? Comment et pendant combien cela s'est

17 déroulé ?

18 R. Je n'en ai pas de connaissance directe. La seule chose que je sais,

19 c'est ce que j'ai pu rassembler comme partie intégrante, c'est un rapport

20 plus approfondi à l'intention des gens que je devais informer. Oui, là,

21 c'est le cas, à en juger d'après ces rapports qui, je pense, peuvent être

22 interprétés comme ayant été confirmés officiellement par la chambre des

23 Représentants et le Sénat ou plutôt les rapports qu'ils ont produits.

24 Q. Est-ce qu'on connaissait quelle a été l'envergure de ces fournitures

25 d'armes iraniennes à la Bosnie ?

Page 32610

1 R. Je ne sais pas dans quelle mesure on était au courant de cela. Je pense

2 qu'il serait très intéressant de savoir quelle a été l'implication

3 américaine, quel a été le degré d'implication américaine dans ces

4 fournitures, l'implication directe à ce processus. L'un des deux rapports

5 se réfère aux représentants officiels sur le terrain en Croatie qui

6 devaient examiner les armes iraniennes qui étaient envoyées. C'est un degré

7 quand même très important de contact, compte tenu des relations entre

8 Washington et Téhéran.

9 Q. Alors que s'est-il passé par la suite ?

10 R. Je ne voudrais pas aller au-delà de mes attributions, d'abord, parce

11 que je crains de faire une erreur et, ensuite, parce que je crains d'aller

12 au-delà de ce qui fait partie des éléments que je connais personnellement.

13 Je ne connais pas tous les détails de la façon dont l'opération s'est

14 déroulée. Je ne sais pas tout des armes qui ont été utilisées, du nombre de

15 ces armes, je n'ai pas tous ces détails. Ce que je connais,

16 personnellement, c'est quelque chose qui aurait pu intéresser les gens, il

17 y a quelques années avant la parution de ce rapport, et qui était

18 préoccupant, à l'époque où la chambre et le sénat ont publié leurs rapports

19 sur la question. La chambre et le sénat avaient porté leur attention sur

20 une partie du problème, à savoir, la connexion iranienne, mais ne s'étaient

21 pas occupés d'une question plus vaste qui n'était pas uniquement la façon

22 dont l'Arabie Saoudite soutenait le réseau par le biais d'institutions tels

23 que des organismes d'aide au Tiers-Monde, et il faut également s'occuper

24 des deux points que vous voyez noir sur blanc en page 3.

25 Là, encore, j'ai quelques connaissances personnelles sur ce sujet car

Page 32611

1 j'ai pu lire ce document qui faisait partie des documents ouverts au

2 public, et il n'y a aucune raison pour que quelqu'un d'autre à Washington,

3 qui s'occupait des Balkans, n'ait pas également été informé de la présence

4 de ces moyens en Bosnie, ou pour être plus précis, il n'y a aucune raison

5 pour que des rapports crédibles, évoquant la présence de tels moyens en

6 Bosnie, ne conduisent pas quiconque au moins à conclure que ceux qui

7 faisaient la politique étaient au courant de la présence de ces moyens à

8 cet endroit sans s'en inquiéter outre mesure comme certains rapports

9 l'indiquent et ce, en coopérant même, d'une certaine façon, avec

10 l'introduction, avec l'arrivée de ces moyens en Bosnie.

11 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Kay, j'aimerais simplement

12 vous rappeler que nous interromprons notre audience aujourd'hui, à l'heure

13 normale, c'est-à-dire, à 13 heures 45.

14 M. KAY : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

15 Q. Le deuxième point que vous avez évoqué portait sur les autres intérêts

16 à l'extérieur de l'Iran dont vous aviez connaissance, à savoir, ce réseau

17 militant islamique que l'on peut décrire sous un terme général, en

18 employant un terme général, n'est-ce pas ?

19 R. Oui. C'est ainsi que je le décrirais. Je parlerais également de

20 l'attitude de l'époque comme étant une attitude de mépris flagrant pour les

21 conséquences qu'aurait l'arrivée de tels moyens en Bosnie. En tout cas,

22 c'est la façon dont je voyais les choses et j'ai jugé utile de le consigner

23 par écrit dans mon rapport au sénat.

24 Q. Nous lisons à ce niveau du texte les mots suivants,

25 je cite : "En même temps que des armes, les gardes révolutionnaires

Page 32612

1 iraniens et les agents des services de Renseignement sont arrivés en Bosnie

2 en grand nombre au côté de milliers de Moudjahiddines venus du monde

3 musulman dans son ensemble."

4 Un peu plus loin, vous parlez : "Des efforts d'autres pays musulmans

5 et d'autres organisations musulmanes en rapport avec les organisations

6 humanitaires pour s'organiser à l'intérieur de ce réseau islamique

7 militant." Mais qui avait-il d'autre en Bosnie qui ne venait pas d'Iran ?

8 Que faisaient ces autres éléments ?

9 R. Je ne suis pas sûr d'avoir bien compris l'objet de votre question.

10 Q. Qui d'autre a participé à l'appui au conflit du côté des Musulmans en

11 Bosnie ?

12 R. Je veux dire --

13 M. NICE : [interprétation] Monsieur le Président.

14 Je n'aime pas du tout soulever d'objection, et je sais que le travail

15 de Me Kay est très difficile, je le dis pour être juste à l'égard du

16 témoin. Sa tâche est difficile, compte tenu de la situation de l'accusé et

17 du fait que celui-ci se défendait jusqu'à présent lui-même. Il fait preuve

18 de la plus grande prudence. Il est tout à fait concevable qu'il soit

19 autorisé à poser une question au témoin au sujet de l'identité de ceux qui

20 soutenaient le conflit, mais le témoin est ici pour rappeler des sources

21 ouvertes au public, celles qu'il a eues à sa disposition. Il a dit à

22 plusieurs reprises que ses sources l'avaient amené à certaines conclusions,

23 à savoir que certaines choses ne s'étaient tout simplement pas produites.

24 Human Rights Watch est cité à titre d'exemple. C'est une organisation qui

25 n'a pas grand-chose à voir avec tout cela. C'est une organisation qui est

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1 citée parmi d'autres auteurs de sources de ce genre qui traite de la

2 responsabilité globale et des méthodes qui ont permis de mettre à jour ces

3 responsabilités globales. Mais, en fait, tout cela ressemble beaucoup à la

4 lecture d'un article de presse ou d'un article documentaire plus fouillé

5 qui permettrait de penser que les Iraniens ont participé à ceci ou que

6 l'administration Clinton a participé à cela, mais je ne vois pas en quoi

7 cela peut de quelque façon que ce soit, nous aider ici, ou même constituer

8 un élément de preuve admissible.

9 Je vous présente mes excuses pour l'objection que je soulève, mais il m'est

10 apparu qu'en dehors des excuses et des regrets qui sont les miens, la

11 question valait tout de même la peine d'être posée.

12 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Kay.

13 M. KAY : [interprétation] Peut-être est-ce une erreur de mon fait dans la

14 façon dont j'ai formulé ma question.

15 Q. Quels autres éléments de preuve avez-vous constatés ou quelles autres

16 sources avez-vous trouvées à l'appui de vos dires ?

17 R. Encore une fois, les éléments de preuve dont je disposais --

18 Q. Oui ?

19 R. -- je répondrais à l'objection qui vient d'être soulevée. Je crois que

20 je ne témoigne pas ici au sujet de tous les détails de ce réseau mondial du

21 Djihad islamique, si nous pouvons lui donner cette dénomination en Bosnie.

22 Je ne suis pas, non plus, ici pour témoigner au sujet des armes venues

23 d'Iran. Je suis ici pour témoigner de ce qui s'est passé à l'époque à

24 Washington ou, en tout cas, de ce que l'on savait à Washington et de la

25 façon dont cela pouvait influer sur l'attitude de Washington à l'égard de

Page 32614

1 la Bosnie.

2 La raison de tout cela, c'est que tout cela est pertinent puisque dans

3 l'acte d'accusation il est suggéré, en tout cas, que l'accusé a participé à

4 une entreprise criminelle commune, et il me semble que cela permet de se

5 pencher sur les autres puissances qui sont présumées avoir collaboré, avoir

6 coopéré avec l'offensive menée contre le gouvernement de ce pays. Je pense

7 que tout cela ressort des éléments de preuve directe que je fournis, à

8 savoir, l'attitude de Washington à l'époque au sujet de toutes ces

9 allégations qui ont un effet direct sur la présente affaire.

10 Je ne témoigne pas, ici, des livraisons d'armes iraniennes, une fois

11 que le feu vert d'avril 1994 a été donné, bien que je sache que la chose

12 est confirmée officiellement dans ces rapports. Mais il y a quelque chose

13 qui n'a pas été confirmé officiellement, qui se trouve dans ces mêmes

14 rapports, à savoir, l'existence de ce vaste réseau également impliqué en

15 Bosnie.

16 Est-ce un mensonge complet ? Est-ce que ce que disent ces rapports

17 est inexact ? Je ne suis pas en situation de le dire. Je dirais simplement

18 que sur la base des circonstances, s'agissant de confirmer ce qui figure

19 dans ces rapports, des confirmations viennent du côté iranien, et qu'il

20 conviendrait au moins de leur accorder un certain crédit sans les rejeter

21 d'emblée, et que, bien entendu, les éléments connus à l'époque ont une

22 importance vis-à-vis des charges qui pèsent sur M. Milosevic, et leur

23 pertinence dans le cadre des présents débats.

24 Encore une fois, je ne conteste pas la position du Procureur, je suis

25 entièrement d'accord avec cette position. Je n'ai pas de connaissances de

Page 32615

1 première main au sujet des événements en Bosnie directement liés à ce

2 réseau. Mais j'ai des connaissances directes de la façon dont ces rapports

3 ont été traités à Washington à l'époque.

4 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Kay, compte tenu de cela,

5 accepteriez-vous de reformuler votre question.

6 M. KAY : [interprétation] Je pense que le témoin a fait ce que j'entendais

7 faire moi-même, à savoir, dresser le contexte et faire preuve de la plus

8 grande clarté. Je le remercie et je suis sûr que la Chambre tiendra compte

9 de cette déposition dans les conditions dans lesquelles le témoin peut la

10 fournir.

11 Q. Monsieur le Témoin, à Washington savait-on à l'époque, puisque c'est

12 l'expression que vous venez d'utiliser ou plutôt à quelle époque Washington

13 a-t-elle eu connaissance de ces rapports, si vous préférez, concernant un

14 commerce d'armes à partir de l'Iran à destination de la Bosnie ?

15 R. Comme je l'ai déjà dit, j'ai appris cela en septembre 1992 grâce à un

16 rapport du sous-comité de la Chambre au sujet du terrorisme. Par la suite,

17 d'autres rapports, y compris des rapports de presse, ont vu le jour et je

18 pense qu'au moins à partir de l'automne 1992, Washington devait être au

19 courant des présomptions sérieuses quant à l'existence de telles activités.

20 Encore une fois, on peut penser que Washington était au courant en raison

21 de sa participation à une coopération globale, qui nécessitait qu'il soit

22 au courant, n'est-ce pas ? J'ai étudié les documents relatifs à ces

23 questions qui permettent de penser qu'une telle coopération a effectivement

24 eu lieu.

25 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] J'aimerais qu'un point soit clair,

Page 32616

1 Monsieur Jatras. Est-ce que cela signifie que cette situation existait sous

2 l'administration républicaine ?

3 LE TÉMOIN : [interprétation] Elle a commencé sous l'administration

4 républicaine et s'est intensifiée sous l'administration démocrate, si l'on

5 parle de l'hypothèse que ces rapports sont exacts.

6 M. KAY : [interprétation]

7 Q. Je vais essayer de traiter d'un autre passage de votre déposition avant

8 de suspendre à 13 heures 45, après quoi, nous reviendrons sur les documents

9 qui sont très volumineux dans lesquels vous trouvez la base de votre

10 rapport final sur les transferts d'armes iraniens. Comme vous nous l'avez

11 dit, les documents, dont vous avez disposés, ne traitaient pas uniquement

12 de l'Iran et traitaient de questions plus vastes qui intéressaient la

13 chambre des représentants des Etats-Unis.

14 R. C'est exact. Quant au réseau mondial, c'est un point important, et vous

15 remarquerez en page 3, le troisième paragraphe qui traite du caractère

16 radical du régime islamique de Sarajevo.

17 Q. Oui.

18 R. Il y avait également dans les rapports des raisons de s'inquiéter du

19 fait que le régime d'Izetbegovic avait une influence qui remontait déjà à

20 plusieurs années, à l'époque où il a été emprisonné pour sa déclaration

21 islamiste. Là encore, ceci allait dans le sens contraire de l'insistance de

22 Washington à l'époque qui consistait à dire que nous soutenions un

23 gouvernement totalement multiethnique et très tolérant.

24 Q. Passons en page 200, paragraphe 4, des conclusions --

25 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Kay, je pense qu'il va

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1 falloir suspendre. Nous reprendrons demain à 9 heures.

2 M. KAY : [interprétation] Très bien, Monsieur le Président.

3 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Jatras, nous reviendrons

4 dans cette salle à 9 heures demain matin.

5 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.

6 --- L'audience est levée à 13 heures 45 et reprendra le jeudi 9 septembre

7 2004, à 9 heures 00.

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