Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 (Lundi 16 septembre 2002.)

2 (L'audience est ouverte à 9 heures 40.)

3 (Audience publique.)

4 (Déposition relative à l'Article 71.)

5 (Officier instrumentaire représenté par M. le Président Schomburg.)

6 (M. le Juge Fassi Fihri est absent.)

7 M. le Président (interprétation): Vous constaterez que, comme prévu

8 aujourd'hui, nous n'avons pas une audience habituelle; nous allons

9 recueillir des dépositions en vertu de l'Article 71 du Règlement de

10 procédure et de preuve. Aujourd'hui, je ne fais pas fonction de Président

11 de la Chambre, mais plutôt d'officier instrumentaire en vertu de l'alinéa

12 de l'Article 71.

13 Mais est-ce qu'il est possible d'annoncer l'affaire, Madame la Greffière?

14 Mme Dahuron (interprétation): Il s'agit de l'affaire IT-97-24-T, le

15 Procureur contre Milomir Stakic.

16 M. le Président (interprétation): Je vous remercie. Aux fins du compte

17 rendu d'audience, je vais demander aux parties de se présenter.

18 M. Koumjian (interprétation):: Bonjour, Monsieur le Président. Nicholas

19 Koumjian avec Mme Ruth Karper pour le Bureau du Procureur.

20 M. le Président (interprétation): Merci.

21 M. Lukic (interprétation): La défense, Branko Lukic, John Ostojic, ainsi

22 qu'un assistant, Danilo Cirkovic pour la défense.

23 M. le Président (interprétation): Je vous remercie.

24 Est-ce que nous pouvons sans plus tarder commencer l'audition du témoin

25 d'aujourd'hui?

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1 M. Koumjian (interprétation): Oui, il y aura peut-être un problème

2 technique de cassette vidéo. Une fois qu'on arrivera à cette phase, je

3 verrai ce qu'il en est.

4 M. le Président (interprétation): Soyons prudents: notre témoin n'a pas

5 demandé de mesures de protection, pas de droit de pseudonyme?

6 C'est exact. Nous sommes donc en audience publique et je vais demander à

7 M. l'huissier de faire entrer M. Edward Vulliamy.

8 (Le témoin, M. Edward Vulliamy, est introduit dans le prétoire.)

9 M. le Président (interprétation): Bonjour, Monsieur Vulliamy.

10 M. Vulliamy (interprétation): Bonjour.

11 M. le Président (interprétation): Nous avons l'intention de procéder à

12 votre audition et déposition dans le cadre de l'Article 71. De cette

13 façon, nous pourrons recueillir votre déposition en l'espèce. Dans le

14 cadre de ce procès, le Procureur contre Milomir Stakic, je vais vous

15 demander tout d'abord de prononcer votre déclaration solennelle.

16 M. Vullimay (interprétation): Je déclare solennellement que je vais dire

17 la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

18 M. le Président (interprétation): Merci. Veuillez vous asseoir.

19 Vous avez la parole, Monsieur Koumjian, au nom de l'accusation.

20 (Interrogatoire principal du témoin, M. Edward Vulliamy, par M.

21 Koumjian.)

22 M. Koumjian (interprétation): Je vais demander qu'on déplace le

23 rétroprojecteur tout d'abord.

24 Veuillez décliner votre identité à l'intention de l'officier

25 instrumentaire?

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1 M. Vulliamy (interprétation): Je m'appelle Edward Sebastien Vulliamy et je

2 suis journaliste-reporter

3 Question: Monsieur Vulliamy, je vais parler des Juges. Ne vous en faites

4 pas, il y a un aspect technique à la chose parce que, en raison de

5 l'absence d'un Juge, nous ne pouvons pas normalement parler de "Juges",

6 mais plutôt "d'officiers instrumentaires". Mais peu importe!

7 Pourriez-vous vous dire aux Juges quelle est votre formation de

8 journaliste? Est-ce que vous pourriez parcourir la chronologie de votre

9 carrière, depuis le début de votre carrière jusqu'à aujourd'hui?

10 Réponse. Volontiers. J'ai terminé mes études et puis, j'ai travaillé pour

11 un journal dans l'ouest de l'Angleterre. Et puis, j'ai travaillé pour un

12 programme de journal télévisé à Manchester et tout a commencé au moment où

13 j'ai reçu une promotion et j'ai pu travailler pour un programme qui

14 s'appelait "World in Action". C'est le programme, l'émission la plus

15 importante en matière de nouvelles, d'actualités pour la télévision

16 indépendante, donc pas pour la BBC. J'ai occupé ce poste pendant cinq ans.

17 Je faisais de la recherche, j'étais reporter et ceci m'a permis de me

18 rendre dans de nombreux pays.

19 Je me suis surtout attaché à l'Irlande du Nord et au conflit qui y

20 sévissait. J'ai essayé de montrer toutes les facettes du problème. Il y a

21 les catholiques, les protestants, les républicains, mais… la facette

22 britannique également. Mais j'ai aussi travaillé pour des programmes au

23 Moyen Orient, en Australie, en Pologne -à Gdansk notamment au moment de la

24 rébellion-, aux Etats-Unis et dans toute l'Europe occidentale. Puis, j'ai

25 décidé que je voulais m'adonner à l'écriture. La télévision, c'était bien

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1 mais pas nécessairement pour moi. Et j'ai commencé à travailler pour "The

2 Guardian".

3 Question: Pourriez-vous nous dire au cours de quelle année vous avez

4 terminé vos études de journaliste et vous avez commencé votre carrière? Et

5 à quel moment avez-vous décidé de devenir écrivain?

6 Réponse: Pourquoi?

7 Question: Non, simplement l'année.

8 Réponse: Excusez-moi, 1985. J'ai commencé à travailler pour "Le Guardian"

9 le 1er janvier en 1986, et je travaille toujours au même endroit depuis.

10 Au départ, je travaillais pour les nouvelles britanniques domestiques,

11 nationales: il y avait les actualités mais aussi des émissions générales,

12 les sports et, de temps à autres, j'ai travaillé en Europe occidentale.

13 Quelques années se sont écoulées et, en 1989, dans leur grande sagesse,

14 ils voulaient me promouvoir au rang, au grade, au poste de rédacteur en

15 chef. Je suis devenu rédacteur en chef du magazine de ce journal. Mais,

16 six mois plus tard, voilà ce qui s'est passé: c'est que le mur de Berlin

17 est tombé et je me suis dit que ce poste de rédacteur en chef ne me

18 convenait pas tellement; moi, j'étais un homme de terrain et je me suis

19 envoyé si vous voulez moi-même. Je crois que ça a été un tournant dans ma

20 carrière. C'est à ce moment-là que j'ai dit à ce journal: "Ecoutez, je

21 veux continuer à faire ceci, ce que j'ai fait ailleurs, puisque j'ai fait

22 le reportage de la chute du communisme en Europe orientale".

23 Il y a eu surtout comme événement assaillant la Roumanie; c'était à la

24 période de Noël, la chute de Ceausescu. Le conflit qui sévissait en

25 Roumanie à l'époque me concernait. Et je voulais rester dans ce milieu-là,

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1 rejoindre, en fait, le personnel qui travaillait à l'étranger; ils avaient

2 un poste à pourvoir à Rome. C'est ainsi qu'en 1990 j'ai été envoyé en

3 Italie, et là, j'ai créé un nouveau bureau parce qu'on voulait avoir une

4 couverture plus approfondie de cette partie de l'Europe méridionale. Ce

5 qui est assez bizarre, c'est que je devais -ou c'est ironique, si vous

6 voulez- je devais surtout couvrir l'Europe orientale. A ce moment-là, la

7 Yougoslavie ne faisait pas la une des journaux.

8 J'ai beaucoup travaillé sur les scandales, sur les affaires de corruption

9 qui éclataient à l'époque en Italie mais, au cours de l'été 1991, j'ai été

10 envoyé en Slovénie. J'étais censé voir comment se présentait la situation

11 en Slovénie; les Slovènes essayaient d'obtenir leur indépendance sur la

12 Yougoslavie et ceci m'a conduit en Croatie. Et dès le début de ce qu'on

13 peut appeler… suivant les bords de diverses façons, que ce soit la guerre

14 d'indépendance entre la Croatie et cette Yougoslavie qui se rétrécissait,

15 j'ai couvert de très près tout ce qui s'est passé puisque je me suis

16 trouvé sur toutes les lignes de front de ce pays. A mon insu, un peu

17 contre mon gré, j'étais devenu reporter de guerre.

18 J'ai oublié de dire qu'au début 1991 -et excusez-moi si je fais machine

19 arrière, si je remonte dans le temps- j'ai été envoyé en urgence à Bagdad.

20 Au cours des semaines qui ont immédiatement précédé et suivi la guerre du

21 Golfe, nous avons été expulsés de l'Irak au début de la guerre pour

22 travailler dans le Kurdistan et dans le sud de l'Irak.

23 Si l'on ne compte pas la Roumanie, c'est là que j'ai eu ma première

24 expérience de guerre alors que je travaillais pour le journal. Mais, à ce

25 moment-là, vous savez -revenons en Croatie- ce conflit s'est quelque peu

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1 résolu. En décembre 1991, je suis rentré en Italie mais, peu de temps

2 après, le conflit a éclaté en Bosnie.

3 Peut-être que quelques mots permettront de résumer la situation: ce sont

4 deux ans et demi ou plutôt, deux ans qui se sont écoulés et que j'ai

5 consacrés en Bosnie-Herzégovine où j'ai suivi les événements de très près,

6 de tout près. J'ai été aussi en Italie où j'essayais de vivre mais sans

7 trop y parvenir.

8 Nous sommes à ce moment-là au printemps 1994. Et c'est au fond sur

9 l'insistance de mon journal que j'ai été envoyé au Etats-Unis. Ils se sont

10 dit qu'un petit changement ne me ferait pas de mal. J'ai été nommé chef du

11 bureau pour "The Observer". En fait, c'est un journal américain qui avait

12 été acheté par le "Guardian"; cela devait être le journal du dimanche pour

13 le "Guardian". J'ai occupé ce poste pendant à peu près un an. Mais j'ai

14 moi-même fait la demande de rentrer en Europe avec Londres pour base. Je

15 voulais continuer à suivre cette guerre qui se terminait en Bosnie, à ce

16 moment-là, et mon rédacteur en chef m'a dépêché: je devais écrire tout une

17 série d'articles assez approfondis que j'ai faits, la période commençant

18 avec pratiquement la signature des Accords de Dayton et se terminant par

19 l'été suivant. J'essayais de suivre des aspects de la guerre qui,

20 manifestement ou apparemment, n'avaient pas été suivis pendant que les

21 événements se déroulaient au quotidien. Nous avons appelé cette partie "la

22 guerre secrète".

23 Je suis alors rentré aux Etats-Unis. Là, on m'a donné une deuxième chance

24 de rentrer en Amérique. Je me suis retrouvé à Washington aux mêmes

25 fonctions: chef du bureau pour le bureau américain pour "l'Observer".

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1 Je me permets de rappeler que, lorsque j'étais de retour en Europe, je

2 travaillais pour le "Guardian", mais vous savez qu'il y a une situation

3 assez souple entre ces deux journaux qui font partie du même groupe et qui

4 sont logés dans le même bâtiment. Et c'est ce que je fais depuis lors: je

5 me suis installé à New York en 1999, mais j'ai suivi tous les aspects de

6 la vie sociale, politique, que ce soit des assassinats dans les villes. Je

7 me suis trouvé à Haïti à plusieurs reprises, j'ai été au Nicaragua, au

8 Mexique, en Jamaïque, j'ai suivi la guerre des gangs. Si vous voulez, je

9 peux vous donner une liste plus exhaustive, mais disons que je couvre les

10 Amériques depuis l'apogée.

11 Le paroxysme si l'on peut dire, c'est le matin du 11 septembre, l'année

12 dernière. Ce jour-là, je prenais mon café non loin du Wall Street Center

13 au moment où les tours se sont écroulées. Cela et la guerre d'Afghanistan

14 sont sans doute mes principales préoccupations cette année-ci.

15 Question: Merci.

16 Monsieur Vulliamy, est-il exact de dire que vous avez été parmi l'un des

17 premiers groupes de journalistes étrangers à vous rendre au camp

18 d'Omarska, en 1992?

19 Réponse: Oui, j'étais l'un des premiers groupes à me rendre dans ce camp

20 en question.

21 Question: Pourriez-vous remonter dans le temps et nous dire comment ce

22 voyage a commencé? Qu'est-ce qui a fait que votre rédacteur vous a envoyé

23 là afin d'essayer de pénétrer dans le camp d'Omarska?

24 Réponse: J'avais déjà fait des reportages dans l'ex-Yougoslavie. Depuis

25 l'ex-Yougoslavie, je faisais partie de l'équipe, disons, de journalistes

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1 qui suivaient ce qui était devenu à ce moment-là un conflit qui s'était

2 déplacé en Bosnie-Herzégovine.

3 Le contexte, le voici: le journal pour lequel je travaillais, le

4 "Guardian", publiait une série d'articles et, plus récemment, il y avait

5 eu un article consacré au camp d'Omarska. Le point de départ avait été ce

6 que des déportés ou des réfugiés avaient raconté lorsqu'ils étaient passé

7 de la Bosnie en Croatie, et plus exactement dans la ville de Karlovac. Le

8 jour même où notre article principal avait été publié -non pas par moi-

9 même mais il était de la plume d'un collègue à moi, un certain O'Kane-, le

10 jour même, il y a eu un article qui a été publié dans "News Day", un

11 journal américain, et qui était rédigé par M. Gutman.

12 Il se fait que le jour où Karadzic -le chef des Serbes de Bosnie- se

13 trouvait à Londres, il devait assister à une conférence, me semble-t-il,

14 et il avait figuré parmi les sujets des actualités télévisées d'ITN; c'est

15 la principale source d'informations indépendantes émises par la BBC.

16 Ce qu'il disait revenait à dire ceci: il disait que les reportages étaient

17 faux, étaient montés de toutes pièces, étaient inexacts, et il a lancé un

18 défi, il a dit: "Venez voir vous-mêmes si vous voulez et si vous y tenez."

19 Et c'est pratiquement ce que nous avons fait. Moi, j'y ai participé parce

20 que, dans le programme, je devais de toute façon rentrer en Bosnie et le

21 "Guardian" avait fait une couverture des événements.

22 Nous avons donc monté notre équipe avec ITN et Webster; c'est mon chef,

23 c'est celui qui est responsable de la politique extérieure. Il a eu une

24 conversation avec Karadzic. Karadzic était en route vers l'aéroport, il a

25 discuté en utilisant le téléphone de la voiture. Le rédacteur en chef a

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1 dit que, de toute façon, nos journalistes -dont moi-, nous partions

2 directement, nous étions en route vers l'aéroport et, en fait, nous nous

3 sommes rencontrés à Budapest. Il n'était pas possible, à l'époque, d'avoir

4 un vol direct, il fallait faire tout un trajet en voiture.

5 Question: Je vais vous poser des questions au sujet de Karadzic dans un

6 instant.

7 Réponse: Mais c'est comme cela que nous sommes arrivés à Belgrade. Et nous

8 nous attendions, à notre arrivée, à aller directement à Omarska.

9 Question: Vous êtes arrivé à Belgrade: vous souvenez-vous du jour où cela

10 s'est passé?

11 Réponse: C'était sans doute le 28 ou le 29 juillet.

12 Question. Vous avez dit qu'il y avait aussi des journalistes de la

13 télévision ITN. Pourriez-vous nous donner le nom des journalistes qui vous

14 accompagnaient?

15 Réponse: Permettez-moi de vous donner une explication: ITN est une société

16 d'actualité télévisée qui fournit les informations télévisées pour deux

17 chaînes, la chaîne 2 et la chaîne 4, "channel four". Et, vu la gravité de

18 l'événement, ils ont décidé d'envoyer deux équipes, l'une pour "channel

19 3".

20 Pour "channel 3", c'était Penny Marshall qui était la journaliste; et

21 l'autre pour "channel 4" était Ian Williams.

22 Question: A votre arrivée, avez-vous parlé avec des représentants de

23 l'entité serbe qui s'appelait, à l'époque, "Republika Srpska"?

24 Réponse: Oui, des représentants officiels, des Serbes et des Serbes de

25 Bosnie nous ont rencontrés. Celui qui nous a accueillis du côté des Serbes

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1 de Bosnie, c'était le vice-président Nikola Koljevic, vice-président de la

2 Republika Srpska.

3 Question: Et ce monsieur parlait bien anglais?

4 Réponse: Tout à fait, son anglais était excellent.

5 Question: C'était un professeur de littérature?

6 Réponse: C'est ce que l'on m'a dit. Il était professeur de littérature

7 anglaise.

8 Question: Est-ce que vous, vous parlez des langues étrangères?

9 Réponse: Je parle couramment l'italien et le français

10 Question: Mais vous ne parlez aucune des langues qui se pratiquent en ex-

11 Yougoslavie ,que ce soit le serbe, le bosniaque ou le croate?

12 Réponse: Eh bien, j'ai recueilli, j'ai appris quelques mots de-ci de-là,

13 une espèce de langue "sabir", mais je n'appellerai pas ça une langue.

14 Question: Est-ce que vous avez discuté avec M. Koljevic de votre souhait

15 de vous rendre au camp d'Omarska? Est-ce que vous en avez discuté avec les

16 autorités?

17 Réponse: Oui, il n'y avait pas grand-chose d'autre que j'aurais voulu

18 faire. Le professeur Koljevic a dit que nous allions aller à Omarska, mais

19 qu'il fallait d'abord comprendre que des dispositions avaient été prises

20 pour que nous allions dans d'autres endroits. Et l'on pourrait dire, je

21 suppose, qu'il y a eu, à ce moment-là, plusieurs journées de conversation…

22 assez impatients parce que nous n'étions pas là pour aller ailleurs, nous

23 étions là pour nous rendre à Omarska; c'était cela notre mission précise.

24 Mais avec le professeur Koljevic et les autorités fédérales de

25 Yougoslavie, nous avons compris qu'ils avaient organisé plusieurs visites.

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1 Ils avaient insisté pour que nous nous rendions dans d'autres centres,

2 dans des camps, dans des lieux où, contre notre gré, vu l'absence d'autres

3 possibilités, d'autres plans, nous avons décidé de le faire.

4 Question: Nous ne voulons pas en parler dans le détail, mais êtes-vous

5 allé dans plusieurs lieux de détention dans la République de Serbie? Et

6 est-ce que vous avez dit, dans vos reportages, que les conditions de

7 détention étaient assez correctes?

8 Réponse: Oui, il y a, si vous regardez la carte, un lieu qui s'appelle

9 Loznica, on voit la Bosnie depuis cet endroit. C'était une école qui avait

10 été transformée, les conditions n'étaient pas bonnes, mais elles n'étaient

11 pas mauvaises non plus et l'on se demandait même pourquoi nous nous

12 trouvions à cet endroit. Cela ne valait pas le genre de description qu'on

13 avait et des termes qu'on avait utilisé pour décrire Omarska. On ne peut

14 pas dire que l'endroit ou les conditions aient été mauvaises.

15 Question. Est-il exact de dire que vous aviez reçu des informations de

16 l'autre partie, du gouvernement de Sarajevo, selon lesquelles ces camps

17 présentaient des conditions tout à fait inhumaines? Et est-ce que vous

18 avez décidé qu'il n'y avait rien de ce genre de preuve?

19 Réponse: Moi, je ne l'avais pas vu directement, mais il y avait une liste

20 de lieux où le gouvernement de Sarajevo disait que les conditions étaient

21 très mauvaises. Et si l'endroit dont je vous ai parlé faisait partie de

22 cette liste, il y avait sans doute erreur sur la question.

23 Question: Et de là, qu'avez-vous fait à partir de Belgrade?

24 Réponse: Eh bien, on a un peu traîné à Belgrade pendant plusieurs jours.

25 Le 3 août, il y a eu un hélicoptère de l'armée fédérale qui nous a amenés

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1 à Pale; c'était la capitale improvisée, disons, de la partie de la Bosnie

2 qui était serbe à l'extérieur de Sarajevo.

3 Question: Est-ce que vous avez eu l'occasion, à Pale, d'avoir un entretien

4 avec M. Karadzic en personne?

5 Réponse: Oui, c'est le Dr Karadzic lui-même qui nous a accueillis. Et

6 aussitôt, nous avons été emmenés à son quartier général.

7 Question: Pourriez-vous nous dire en quoi consistait cette conversation,

8 en quelques mots?

9 Réponse: Manifestement, nous insistions pour aller à Omarska. Nous avons

10 dit: "Quand est-ce que l'on y va?". Il m'a dit: "Je vous promets que vous

11 irez à Omarska", et il a rappelé quels étaient ses pouvoirs et le pouvoir

12 qu'il avait d'organiser cette visite. Enfin, il a dit plusieurs choses.

13 Tout d'abord, il a dit qu'il voulait que nous voyions d'autres endroits où

14 étaient détenus les Musulmans avant d'y aller, c'était un endroit tout

15 proche. Il espérait, disait-il, que nous allions faire des efforts pour

16 aller voir des camps, mais de l'autre côté, là où étaient détenus des

17 Serbes. Il nous a conseillés, pour ce qui est des endroits, d'essayer de

18 voir.

19 Et puis il nous a mis en garde, disant qu'il ne pouvait pas garantir notre

20 sécurité pendant notre déplacement à Omarska. Il a dit que les

21 journalistes étaient pris pour cible par les Musulmans. En fait, que ces

22 attaques qu'ils menaient plus tard étaient attribuées aux Serbes et qu'il

23 fallait être conscient de la chose.

24 Question: Est-ce que vous vous êtes rendu dans des camps contrôlés par les

25 Serbes dans la région de Pale avant de partir?

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1 Réponse: Oui. Oui, de nouveau, un peu à mon corps défendant, nous voulions

2 poursuivre notre chemin. Nous avons été emmenés voir un camp, un endroit

3 qui s'appelle Kula.

4 Question: Pourriez-vous en quelques mots nous dire quelles étaient les

5 conditions?

6 Réponse: Assez attristantes. J'en ai conclu ou j'en ai déduit qu'au fond,

7 cet endroit, c'était un centre où des hommes et quelques femmes étaient

8 gardés en vue d'échanges, c'était en fait une monnaie d'échange; ils

9 devaient être échangés contre des personnes qui étaient prisonnières de

10 l'autre côté. Au fond, l'endroit n'était pas mal géré. Bien sûr, ce

11 n'était pas un lieu gai, c'était assez triste. Il y a des gens qui ont

12 parlé de coups qu'ils ont reçus, mais nous n'avons pas vu de preuves de

13 ces sévices. Quant aux conditions, elles n'étaient pas trop mauvaises.

14 Question: Et depuis Pale, où êtes-vous allés?

15 Réponse: Nous avons passé la nuit à Pale et le lendemain -c'était donc le

16 4 août-, nous sommes partis par la route. Le périple a été long

17 inévitablement parce que nous ne voulions pas franchir la ligne de front.

18 C'était vraiment tout un labyrinthe, il y avait toute une imbrication de

19 territoires tenus par les parties diverses. C'était un convoi de véhicules

20 militaires, nous étions dans un véhicule militaire. Nous avons été

21 conduits depuis Pale en passant par le Nord et puis l'Est de la Bosnie

22 jusqu'à Bijeljina; c'est une ville qui porte ce nom. Et puis, nous sommes

23 repartis vers l'Ouest en passant par ce couloir ou corridor. C'est un

24 territoire tenu par les Serbes entre la Croatie et cette zone qui était

25 tenue par le gouvernement Nord.

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1 Nous sommes allés vers Banja Luka en passant par Brcko, une ville très

2 endommagée où les dégâts causés sont vraiment assez perturbants. Il y

3 avait eu des tirs de mortier, des pilonnages, la ville était désertée. Et

4 c'est ainsi que nous sommes arrivés à Banja Luka, qui est la ville la plus

5 importante dans cette zone de la Krajina en Bosnie.

6 Question: A Banja Luka, avez-vous rencontré divers représentants officiels

7 dans le cadre de votre mission qui était d'aller voir Omarska?

8 Réponse: Oui, le lendemain matin. L'accueil a été assez désagréable. Nous

9 avons rencontré celui qu'on appelait le commandant Milutinovic; c'était le

10 représentant des autorités militaires à Banja Luka. Il nous a rencontrés

11 le lendemain matin, c'était donc le 5.

12 Question: A Banja Luka, est-ce que vous avez vu le Pr Koljevic?

13 Réponse: En fait, il a fait irruption un peu partout. Je l'ai vu à Pale,

14 il y était lorsque nous y sommes arrivés. Il s'est trouvé à Bijeljina

15 lorsque nous y sommes arrivés. Il a déjeuné avec nous et je pense qu'il

16 était aussi à Banja Luka. Je ne me souviens pas avoir eu avec lui une

17 longue conversation avec lui à Banja Luka mais il était là, et c'est là

18 qu'il a pris congé de nous.

19 Question: De Banja Luka jusqu'au 5 août?

20 Réponse: Il s'y est trouvé le soir mais pas le lendemain matin, pas

21 lorsque nous avons rencontré Milutinovic.

22 Question: Le matin suivant était le 5 août. Pouvez-vous nous dire où vous

23 vous êtes rendu à ce moment-là?

24 Réponse: Oui. Nous sommes allés avec le commandant Milutinovic depuis

25 Banja Luka vers l'Ouest, vers Prijedor. Et ce que je me rappelle le mieux

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1 de notre voyage, c'est que nous sommes passés par les extrémités, le bord

2 sud d'une ville qui, je le sais maintenant, était la ville de Kozarac où

3 les dégâts étaient très importants: presque toutes les maisons avaient été

4 incendiées ou brûlées ou avaient reçu des obus. Il y en avait une ou deux

5 qui restaient debout, intactes, et les occupants s'occupaient encore de

6 leur jardin ou de leur petit verger. Et le commandant Milutinovic nous a

7 dit que ces habitants qui restaient là étaient des membres de la

8 population serbe locale. Il nous a donné un chiffre de quelque 40.000

9 Musulmans qui, selon lui, avaient décidé de quitter la zone et il nous a

10 donné l'historique de ce qui s'était passé dans la région.

11 Mais c'est donc par là que nous sommes passés en voiture. Nous sommes

12 ensuite arrivés à Prijedor qui est un peu plus loin.

13 Question: Je suppose que le commandant Milutinovic était votre escorte

14 officielle à ce moment-là?

15 Réponse: Oui, c'était le cas.

16 Question: Est-ce que vous aviez, lorsque vous étiez dans des véhicules

17 militaires, des escortes militaires ou de la police?

18 Réponse: A un moment donné, nous étions partis de Pale vers Banja Luka

19 dans une sorte de camionnette militaire et, à un moment donné, un véhicule

20 de l'ITN nous a rattrapés -qu'ils avaient envoyé depuis Belgrade-, et je

21 ne me souviens plus très bien à quel moment ce véhicule est arrivé. Mais

22 nous, nous voyagions dans la voiture, je crois, du commandant Milutinovic.

23 Question: Lorsque vous êtes arrivés à Prijedor, où vous êtes-vous d'abord

24 rendus?

25 Réponse: Nous sommes arrivés dans la ville et nous sommes allés

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1 directement au centre civique.

2 Question: Est-ce qu'on vous a dit qui vous alliez rencontrer? Est-ce que

3 vous vous souvenez si le commandant Milutinovic vous avait dit dans quel

4 but vous alliez au centre civique de la ville?

5 Réponse: Je ne me souviens pas de ce qu'il nous a dit mais je me souviens

6 de ce que nous lui avons dit: nous lui avons dit que nous voulions

7 rencontrer les personnes qui pourraient nous donner les autorisations pour

8 se rendre à Omarska. A ce moment-là, nous étions de plus en plus

9 impatients et il était clair qu'on nous retardait de plus en plus et nous

10 insistions beaucoup. Nous avions été constamment retardés.

11 Nous lui avons dit que nous espérions que les personnes que nous verrions

12 dans le bureau en question pourraient exécuter la garantie que nous avait

13 donnée le Dr Karadzic.

14 Question: Lorsque vous êtes entrés dans cet immeuble, que s'est-il passé?

15 Réponse: Quand nous sommes entrés, nous avons été accueillis au rez-de-

16 chaussée par un homme qui s'est présenté comme le chef de la police; son

17 nom était Simo Drjlaca. On nous a ensuite fait monter à l'étage où il y

18 avait une sorte de salle de conférence. On nous a présenté un groupe de

19 personnes, d'hommes qui, nous a-t-on dit, s'appelait le "comité de crise".

20 M. Koumjian (interprétation): Est-ce que vous vous rappelez… Certainement

21 vous avez vu des vidéos depuis lors, mais vous rappelez-vous qui étaient

22 les personnes qui étaient présentes autour de cette table qui étaient les

23 autorités de Prijedor?

24 M. Vulliamy (interprétation): Oui, effectivement. C'était le maire, le

25 fonctionnaire principal, Milomir Stakic, son adjoint Milan Kovacevic; un

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1 homme qui, nous a t-on fait croire, était le chef militaire de la région,

2 du secteur; le colonel Vladimir Arsic, M. Drjlaca qui était déjà avec

3 nous. Et à partir de ce moment-là, à partir du moment où nous sommes

4 arrivés en haut de l'escalier, il y avait une dame, Mme Nada Balaban. Il y

5 avait d'autres personnes qui étaient dans la pièce -mais qu'on ne nous a

6 pas présentées nommément- qui allaient et venaient dans la pièce.

7 M. le Président (interprétation): Je voudrais juste interrompre une

8 seconde. Vous avez mentionné -pour le compte rendu, c'est à la page 14,

9 ligne 17- un comité de crise. D'après vos souvenirs, êtes-vous bien sûr

10 qu'on les appelait effectivement "comité de crise" ou est-ce que ça aurait

11 pu être "cellule de crise" ou "assemblée municipale"? Quelque chose

12 d'autre dans ce genre?

13 M. Koumjian (interprétation): "Cellule de crise" peut-être. "Assemblée

14 municipale", cela me surprendrait. "Cellule de crise" sans doute. Mais

15 "assemblée municipale", non, je ne crois pas.

16 M. le Président (interprétation): Encore une fois, "comité de crise" par

17 rapport à "cellule de crise"… quelle était l'idée d'après vos souvenirs?

18 M. Vulliamy (interprétation): Si c'était "cellule de crise", je dois me

19 corriger mais ça ne me surprendrait pas. Mais ça n'était pas "assemblée

20 municipale".

21 M. Koumjian (interprétation): Est-ce que, à ce stade, on pourrait préciser

22 la question: aviez-vous recourt à des interprètes?

23 M. Vulliamy (interprétation): Oui.

24 Question: Et qui interprétait pour vous avec les autorités de Prijedor?

25 Réponse: Cela variait, mais nous avions un homme qui avait été engagé par

Page 7915

1 ITN en tant que traducteur et qui était Mme Balaban qui était interprète

2 pour nous.

3 Question: Sans donner de nom, est-ce qu'il était habituel ou non comme

4 politique d'utiliser un interprète local de cette zone plutôt que de faire

5 venir quelqu'un de Sarajevo, par exemple?

6 Réponse: Excusez-moi, je n'ai pas compris.

7 Question: Est-il exact que votre pratique, lorsque vous alliez dans des

8 zones de guerre de l'ex-Yougoslavie, vous utilisiez des interprètes locaux

9 du secteur dans lequel vous travailliez à l'époque plutôt que de faire

10 venir un interprète de l'autre côté, à travers les lignes de l'autre coté?

11 Réponse: Eh bien, cette personne qui avait été engagée par ITN n'était pas

12 un local du secteur, il était de Belgrade. Certainement, il n'aurait rien

13 voulu avoir à faire avec l'autre partie parce que ça aurait été très peu

14 sûr, je crois, pour eux; cela aurait été dangereux.

15 Question: Est-ce que ITN, d'après vos souvenirs, aurait enregistré votre

16 réunion avec les membres de ce que vous avez appelé "le comité de crise"?

17 Réponse: Oui. Je doute qu'ils aient pu filmer l'ensemble mais ils en

18 auront certainement filmé une partie. Je l'ai vu.

19 Question: Aviez-vous le pouvoir de dire au cameraman à quel moment

20 allumer, éteindre son appareil? Est-ce que vous avez fait quoique ce soit

21 du point de vue de la direction ou de la production?

22 Réponse: Absolument pas. Nous étions là ensemble, parce qu'à Londres nous

23 avions suivi le déroulement des événements. Mais je n'avais absolument

24 aucune part dans leur travail journalistique, absolument aucune part.

25 Question: Vous étiez simplement un journaliste de la presse écrite?

Page 7916

1 Réponse: Oui, un simple journaliste de la presse écrite.

2 Question: Pourriez-vous nous dire combien d'équipes de cameramen il y

3 avait pour enregistrer ces évènements?

4 Réponse: J'aurais dû le dire plus tôt. Il y avait deux équipes de ITN. Il

5 y avait encore une équipe pour filmer qui nous avait rejoints à Pale. Ils

6 nous ont été présentés la veille au soir, c'est-à-dire la nuit du 3 août;

7 ils étaient de la télévision serbe bosnienne. Ils étaient en train de

8 faire un film sur notre visite, ils étaient là aussi.

9 Question: Vous rappelez-vous au bout de dix ans quelles étaient les

10 premières personnes qui vous ont parlé en ce qui concerne les autorités de

11 Prijedor?

12 Réponse: Il y a eu quelques remarques brèves d'introduction faites par

13 chacun d'entre eux, mais certainement par M. Kovacevic et M. Stakic.

14 Une fois que la discussion proprement dite a commencé, les premières

15 personnes avec qui nous avons parlé de façon assez longue, c'était le

16 colonel Arsic.

17 Question: Qu'est-ce que le colonel Arsic a dit, d'après vos souvenirs, en

18 ce qui concernait votre projet de visiter Omarska?

19 Réponse: Je me souviens très bien de ce qu'il a dit. Le colonel Arsic a

20 recommandé que nous visitions un autre endroit appelé Manjaca, et il nous

21 a dit qu'on pouvait s'y rendre presque immédiatement si on voulait le

22 faire. Il nous a dit que Manjaca était sous son commandement, sous son

23 autorité, que nous avions sa permission de nous y rendre et nous avons

24 dit… J'ai moi-même dit, ainsi que les personnes d'ITN par l'interprète,

25 nous avons dit: "Nous ne voulons pas aller à Manjaca, nous voulons aller à

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1 Omarska. C'est pour cela que nous sommes venus, et c'est ce que le Dr

2 Karadzic a dit que nous pourrions faire".

3 Ceci a duré un certain temps pendant lequel plus il insistait, ainsi que

4 les autres -il disait que ce serait une bonne idée que nous allions à

5 Manjaca-, nous nous sommes rendu compte qu'Omarska était l'endroit où il

6 fallait aller.

7 Je devrais peut-être ajouter qu'il y avait d'autres motifs. Manjaca avait

8 déjà reçu une visite de la Croix-Rouge internationale et était censée déjà

9 avoir des conditions assez mauvaises. Ils avaient été perturbés par ce

10 qu'ils avaient vu sur place. Il y avait une raison journalistique de ne

11 pas y aller et puis, excusez-moi, il y avait une autre raison tout à fait

12 journalistique de le faire; c'est qu'il y avait déjà eu des photos de

13 Manjaca qui avaient été publiées dans les journaux et j'avais donc des

14 raisons de penser que l'opposition -si on peut l'appeler ainsi-, M.

15 Gutman, était sur le point de s'y rendre lui-même. Nous avions le

16 sentiment qu'Omarska était bien l'endroit où il fallait aller.

17 Question: Qui est la personne qui a essentiellement parlé pendant cette

18 réunion?

19 Réponse: Ca a été essentiellement M. Kovacevic.

20 Question: Je voudrais demander si les séquences vidéo sont prêtes et si

21 l'on pourrait faire maintenant passer les séquences vidéo qui ont été

22 préparées?

23 C'est sur la liste des pièces au titre de l'Article 65. Excusez-moi, la

24 cote est le S157.

25 Nous allons donc faire passer cette séquence qui dure six à sept minutes.

Page 7918

1 Nous avons une transcription de la bande sonore. Nous allons donc la faire

2 défiler avec la bande sonore. Revenons en arrière jusqu'à ce que la

3 transcription ait été distribuée.

4 Pendant qu'on fait cela, Monsieur Vulliamy -cette vidéo dure environ sept

5 minutes-, combien de temps a duré votre réunion?

6 Réponse: Une à deux heures, environ une heure et demie.

7 M. Koumjian (interprétation): Ceci est un petit morceau de la réunion en

8 question.

9 M. le Président (interprétation): J'ai un problème. Nous sommes en

10 audience publique, nous avons des visiteurs qui sont dans le public. Là

11 encore leur droit est de suivre la procédure et de suivre l'audience. Je

12 voudrais savoir des parties ce qu'elles en pensent. Est-ce que je pourrais

13 entendre les observations que les parties auraient à faire en ce qui

14 concerne ce qui pourrait être considéré comme une dérogation au principe

15 du droit du public?

16 M. Koumjian (interprétation): Je ne suis pas sûr qu'on ait demandé cela.

17 M. le Président (interprétation): Oui, mais le droit d'avoir une audience

18 publique implique certainement que ceux qui se trouvent, dans le public,

19 puissent suivre et puissent voir la vidéo. Nous avons des visiteurs dans

20 le public qui ne sont pas en mesure de suivre ce qui est présenté.

21 M. Koumjian (interprétation): Je ne sais pas ce que nous avons fait dans

22 le passé.

23 M. le Président (interprétation): La dernière fois que nous avons eu des

24 visiteurs, ils avaient renoncé à voir la séquence vidéo. Y a-t-il des

25 observations du côté de la défense?

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1 M. Ostojic (interprétation): Nous suivrons le Tribunal dans ce qu'il

2 décide.

3 M. le Président (interprétation): Est-ce que je peux comprendre qu'aux

4 fins actuelles la défense n'a pas d'objection que ce ne soit pas transmis

5 au public et que, sur cette base, il n'y aura pas à ce sujet d'objection

6 ni de recours?

7 M. Ostojic (interprétation): C'est bien cela, Monsieur le Président.

8 M. le Président (interprétation): Bien. Alors je peux voir également que

9 les visiteurs ne soulèvent pas d'objection à ce que l'on présente cette

10 séquence sans qu'ils puissent la voir. On peut commencer à présenter la

11 vidéo en question.

12 (Diffusion et traduction de la vidéo.)

13 "-Q: Vous avez eu une expérience négative avec la presse internationale?

14 -R: L'objet de ceci… je voudrais que vous montriez ceci de façon

15 objective. Il y a deux choses sur lesquelles je ne suis pas d'accord avec

16 votre visite ici, puis… (inaudible.)

17 Premièrement, l'expérience négative avec la presse. Deuxièmement parce que

18 vos vies sont en danger parce que vous êtes dans une zone de guerre".

19 M. le Président (interprétation): Pourrait-on arrêter la vidéo un instant?

20 Monsieur Vulliamy, pourriez-vous avoir la bonté, s'il vous plaît, de

21 décrire selon vos souvenirs la personne qui est assise à cet endroit-là?

22 M. Vulliamy (interprétation): A notre gauche se trouve le maire, Milomir

23 Stakic. La personne qui parlait avec un tee-shirt est son n°2, son adjoint

24 Milan Kovacevic et, à côté de lui se trouve le colonel Arsic. Et tout au

25 bout, à côté de la dame, se trouve le chef de la police, Simo Drljaca et

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1 Mme Balaban qui est dans une robe rose.

2 M. le Président (interprétation): On ne voit pas cela très clairement, en

3 tout cas sur mon écran. Le Dr Stakic portait-il des vêtements civils ou

4 une sorte d'uniforme?

5 M. Vulliamy (interprétation): Je ne vais pas me baser sur mes souvenirs,

6 mais il me semble, à ce que je vois, que c'était un uniforme militaire.

7 Mais je dois dire que je ne me souviens pas.

8 M. le Président (interprétation): Veuillez poursuivre, Monsieur Koumjian.

9 M. Koumjian (interprétation): Pourrait-on continuer, s'il vous plaît, à

10 présenter la vidéo?

11 (Diffusion et traduction de la vidéo.)

12 "-Interprète: Si vous avez le temps de voir un film ici, ce que nous

13 sommes prêts à vous montrer, vous comprendrez mieux la situation ici.

14 Maintenant, nous pouvons vous parler de ce qui vous intéresse.

15 -Une journaliste femme. Bien, alors d'abord ceci:

16 -Interprète: Pour commencer, nous savons très bien ce que sont des camps

17 de concentration.

18 -R: Et nous le savons mieux que le peuple anglais.

19 -Interprète: Parce que, en Grande Bretagne, ils ont entendu parler de

20 camps de concentration mais il n'y ont pas cru jusqu'en 1943 ou 1945. Mais

21 nous, nous savons que des camps de concentration ont existé et que de

22 nombreuses personnes sont passées par ces camps dès la Deuxième Guerre

23 mondiale. Et vous verrez que là, il n'existe aucun camp de concentration,

24 ici. Et il n'y a pas trente seulement… (inaudible).

25 Il n'y a pas de camps de concentration, ce ne sont que des camps de

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1 transit, aucun camp. Aucun camp que vous allez voir. Il est heureux que

2 vous veniez pour voir la situation telle qu'elle se présente ici, ainsi

3 que d'autres personnes de la presse, des médias, une autre équipe…

4 -Une voix d'homme en BCS: Mada Zalim.

5 -Interprète: Même maintenant nous avons des affrontements ici et là. Il

6 voudrait vous demander si vous avez été dans d'autres camps de l'autre

7 côté, là où des Serbes sont détenus?

8 -Dame journaliste: Personnellement pas.

9 -Interprète: Je voulais simplement dire qu'ils sont heureux, ces

10 personnes, que (inaudible)... "

11 (Fin de la diffusion vidéo.)

12 M. Koumjian (interprétation): Je vous remercie.

13 Monsieur le Témoin, est-ce que vous aviez à vous occuper de la production

14 ou de la mise en forme de cette vidéo? Est-ce que vous avez eu quoi que ce

15 soit à faire en ce qui concerne la transcription que vous n'avez pas et

16 que les parties ont de ce passage?

17 M. Vulliamy (interprétation): Non, pas du tout.

18 Question: Je note, Monsieur le Président, que la personne qui a été

19 identifiée par le témoin, M. Kovacevic, comme étant président. Et la voix

20 qu'on a entendue à la fin était le Dr Stakic bien que la transcription

21 indique "voix d'homme". Et nous demanderons qu'une correction puisse être

22 apportée au compte rendu officiel. Ceci n'est qu'une traduction

23 provisoire.

24 Dans le bref passage que nous avons vu dans ce film, est-ce que ce film

25 vous a en fait été montré?

Page 7922

1 Réponse: Pendant la réunion, oui, ils nous ont effectivement montré un

2 film vidéo.

3 Question: De quoi s'agissait-il, qu'y avait-il sur cette vidéo?

4 Réponse: C'était une vidéo qui, selon eux, était liée à leur version des

5 événements selon lesquels il y avait eu ce qu'ils appelaient une "Jihad"

6 ou un soulèvement de Musulmans dans la région. Je ne me souviens pas de

7 grand-chose à ce sujet. Je commençais à être très agacé au moment où ils

8 l'ont présenté, mais je me souviens alors qu'on voyait des personnes qui

9 cherchaient un exemplaire du Coran dans une maison. Et puis, je me

10 souviens qu'il y avait un coup de feu tiré par des soldats qui avaient

11 ouvert une sorte de mitrailleuse. On voyait une bande de balles de

12 mitrailleuse et différentes armes qui étaient découvertes, un très grand

13 nombre d'images de soldats, leurs soldats, des soldats serbes de Bosnie,

14 mais je ne me rappelle pas grand-chose à ce sujet, je crains.

15 Question: Vous avez dit -j'ai peut-être manqué quelque chose-, vous avez

16 dit que le colonel Arsic vous encourageait à aller à Manjaca. Comment est-

17 ce que cette question a finalement été réglée?

18 Réponse: Je dirai qu'elle n'a pas été réglée, elle a été réglée par le

19 fait que nous avons refusé d'aller à Manjaca. Nous avons dit que ce n'est

20 pas là que nous voulions aller, nous avons dit que nous voulions aller à

21 Omarska et que c'étaient les personnes à qui il fallait nous parlions.

22 Question: Il a fait un geste vers votre droite: est-ce que c'est le

23 colonel Arsic qui l'a fait? Est-ce que c'était un geste ou quelque chose

24 qui expliquait quelque chose à ce sujet?

25 Réponse: Il a fait un geste, je ne me rappelle pas ce qu'il a dit, mais il

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1 a fait un geste vers M. Kovacevic et M. Stakic.

2 Question: Est-ce que vous avez un souvenir quelconque de ce que M. Milomir

3 Stakic aurait dit au cours de cette réunion.

4 Réponse: Il a donné un historique des événements qui s'étaient déroulés

5 dans le secteur du passé immédiat. Il a parlé de la découverte d'armes

6 dans la ville de Kozarac. Il a précisé que 3.500 fusils avaient été

7 trouvés ou armes à feu avaient été trouvées. Il a dit que les Musulmans

8 avaient élevé des barricades dans la région, sur les routes, et il nous a

9 donné une description de quels types de détenus se trouvaient dans ce

10 qu'ils avaient appelé les "centres de transit".

11 Et, pour résumer, j'ai pris des notes là-dessus mais je ne les ai pas avec

12 moi maintenant. Mais enfin, en résumé, Manjaca, c'étaient ceux qui avaient

13 été arrêtés ou faits prisonniers dans la milice musulmane; et Omarska et

14 Trnopolje, c'étaient des civils qui voulaient partir et s'efforcer de s'en

15 aller.

16 Question: Vous avez pris des notes en sténo à ce moment-là?

17 Réponse: Oui.

18 M. Koumjian (interprétation): Nous en avons copie. Eventuellement, si vous

19 en avez besoin pendant votre déposition, veuillez nous le faire savoir.

20 M. Vulliamy (interprétation): Et de même pour le Tribunal, je serais tout

21 à fait en mesure de vous en donner lecture.

22 M. le Président (interprétation): Peut-on les distribuer aux parties et

23 aux Juges?

24 M. Koumjian (interprétation): Eh bien, il y a un problème technique qui se

25 pose en ce sens que les copies que nous avons sont une pièce sous scellés.

Page 7924

1 Le témoin, apparemment, avait besoin de vérifier un point à ce sujet. Je

2 crois que le témoin n'a pas d'objection à ce sujet.

3 M. Vulliamy (interprétation): Du meilleur de mon souvenir, il n'y a pas de

4 matériel qui soit sous scellés ou qui ne devrait pas être diffusé au grand

5 public sur ces pages. Cela m'importe peu: si vous désirez que ces noms

6 soient divulgués, il n'y a absolument aucun problème. Je n'ai aucun

7 problème avec le fait que l'on dévoile ces noms et que l'on communique ces

8 notes au compte rendu. Je n'y vois donc aucune objection.

9 Question: Le Juge May a demandé à ce que ces documents soient gardés sous

10 scellés. C'était une ordonnance du Juge May qui a été faite le 18 janvier

11 2001. Je me suis rendu compte, au cours du week-end, qu'il n'y a

12 absolument aucune objection à ce que ces noms soient divulgués au grand

13 public. Donc je demanderai à M. l'huissier de bien vouloir communiquer ces

14 documents et de les distribuer aux parties ainsi qu'au Greffe.

15 J'aimerais également avertir la Cour que je crois que l'on n'arrivera

16 peut-être pas à lire tout ce qui est écrit car il s'agit de notes en

17 sténo.

18 Réponse: Eh bien, j'ai une page écrite en sténo. Il y a également quelque

19 chose qui ne semble pas être tout à fait pertinent.

20 M. Koumjian (interprétation): Qu'en est-il des autres pages? Vous pouvez

21 donner toutes les pages de ce document au témoin. Il essaiera de chercher

22 ces notes qui ont été écrites en 1992.

23 Je crois avoir trouvé les pages, Monsieur le Juge.

24 M. Vulliamy (interprétation): Voilà, ce sont ces pages-là.

25 (Le témoin remet les pages à l'huissier.)

Page 7925

1 M. le Président (interprétation): S'agissant de ces notes, elles avaient

2 été gardées sous scellés. Maintenant, il s'agit de documents qui ne sont

3 plus sous scellés. C'est un document qui, maintenant, est ouvert au

4 public?

5 M. Koumjian (interprétation): Oui, Monsieur le Président. C'est à moi

6 également de le dire, mais je veux indiquer à la Chambre qu'il s'agit de

7 copies ou plutôt… oui?

8 M. le Président (interprétation): Je crois qu'il s'agit du droit de

9 l'accusé. Et si l'accusé n'y voit aucune objection, nous pouvons divulguer

10 ces documents en tant que documents ouverts.

11 M. Koumjian (interprétation): Justement, tous les accusés ont le droit de

12 consulter leurs documents.

13 M. Vulliamy (interprétation): Oui, justement, il y a trois pages de notes

14 en sténo que j'ai reçues entre les mains. Je vois qu'il y a trois pages de

15 notes pertinentes, alors que l'on m'a remis une vingtaine de pages.

16 M. Koumjian (interprétation): Et vous n'avez révisé que les pages qui ont

17 été écrites en 1992?

18 M. Vulliamy (interprétation): Je crois que l'on m'a demandé de lire le

19 compte rendu d'audience, les pages que j'ai écrites en 1992, les notes en

20 sténo concernant les commentaires de M. Stakic, et j'ai fait sortir ces

21 trois pages-là des liasses de documents.

22 Mais je vois maintenant qu'il y a plus de pages que cela qui circulent

23 dans la Chambre; donc il y a d'autres feuilles maintenant qui circulent

24 dans cette Chambre, outre les trois pages que j'ai sorties de la liasse.

25 M. le Président (interprétation): Bien. Donc, outre les trois pages que

Page 7926

1 vous venez de mentionner, il y a également d'autres matériels, d'autres

2 pages plutôt qui sont toujours sous le coup du jugement ou de l'ordonnance

3 émise par le Juge May, n'est-ce pas? Si je vous ai bien compris, qui sont

4 protégées?

5 M. Koumjian (interprétation): Le témoin a demandé… le témoin ne sait pas

6 de quelles pages il s'agit, également quelles sont les pages que la

7 défense est en train de consulter, car il n'a acquiescé seulement aux

8 trois pages qu'il a revues il y a quelques instants.

9 M. le Président (interprétation): Je vais demander à ce que l'on remette

10 ces notes au témoin.

11 M. Koumjian (interprétation): Est-ce que l'on pourrait demander à M.

12 Vulliamy d'identifier les trois pages desquelles nous parlons

13 présentement, de les indiquer à l'huissier? De cette façon, nous saurons

14 de quelles pages il s'agit précisément.

15 M. Vulliamy (interprétation): Oui, je vais procéder de la sorte.

16 M. le Président (interprétation): Bien. Pourrait-on maintenant présenter

17 des exemplaires à la défense ainsi qu'aux Juges? Je souhaiterais que l'on

18 fasse… ou qu'on présente les exemplaires de ces trois pages ou que l'on

19 fasse des photocopies.

20 M. Koumjian (interprétation): Monsieur, est-ce que nous pourrions, je vous

21 prie Monsieur le Témoin, prendre vos trois pages car mon assistante a du

22 mal à identifier les pages?

23 M. Ostojic (interprétation): Monsieur le Juge, nous avons une objection à

24 formuler quant à la façon dont le Bureau du Procureur interroge ce témoin.

25 Le témoin a fait des notes en 1992 et 1997; il a gardé ses notes dans une

Page 7927

1 affaire précédente où ce témoin témoignait.

2 Le Juge May, étant donné qu'il a fait une ordonnance et a gardé ces

3 documents de façon confidentielle ou sous scellés, il a permis que, dans

4 d'autres affaires, la défense puisse consulter tous les documents dans

5 l'ensemble de ces notes qu'a rédigées M. Vulliamy. Je crois qu'il s'agit

6 d'un hybride de ces deux et il nous a permis d'analyser.

7 Je crois qu'il n'est pas nécessaire d'attendre la veille de notre contre-

8 interrogatoire pour que le Bureau du Procureur nous communique ces

9 documents. Je ne sais pas si ces documents nous ont été donnés de façon

10 erronée, mais ces documents auraient dû nous être communiqués le plus tôt

11 possible puisque le Juge May a déjà ordonné que ces documents… ou a fait

12 une ordonnance ou a dit que ces documents étaient pertinents.

13 M. le Président (interprétation): Bien sûr, le but de cet exercice est

14 simplement de pouvoir savoir quelles sont les trois pages qui sont

15 maintenant du domaine public et ne sont plus sous scellés, alors que les

16 autres pages qui font partie du document vous seront communiquées sans

17 aucun doute. Et il est certain que les Juges qui ont très hâte de voir ces

18 documents les consulteront également, mais simplement pour le fait de cet

19 exercice, pour pouvoir identifier quelles sont les trois pages qui sont

20 sous scellés et qui sont publiques. C'est la raison pour laquelle nous

21 avons procédé de cette façon.

22 Nous allons donc attribuer des cotes différentes. Il s'agira des cotes

23 provisoires de pièces. Lorsque nous serons prêts à entamer cette procédure

24 pour verser ce document au dossier, puisque les versements des documents

25 seront faits lorsque la Chambre siégera dans son ensemble...

Page 7928

1 M. Koumjian (interprétation): Je fais objection pour que les notes en

2 sténo soient versées en tant que documents "pièces à conviction" et à ce

3 qu'on les cote comme pièces à conviction.

4 M. le Président (interprétation): Bien. J'ai déjà accepté un projet de

5 traduction. Je m'attends à ce que, plus tard, à une étape ultérieure, nous

6 recevions une traduction complète de ce que nous avons vu de cet extrait

7 vidéo, que nous avons pu visionner. Sans aucun doute, cet extrait vidéo au

8 cours de l'audition a déjà été admis au dossier, a déjà été versé comme

9 pièce qui a été cotée S157. C'est la raison pour laquelle il ne faut pas

10 oublier cela. C'est la raison pour laquelle en réalité, aujourd'hui, nous

11 commençons avec une nouvelle série de cotes, de numéros. Et s'agissant du

12 transcript, de l'extrait de la cassette vidéo, il portera la cote D1 -de

13 façon provisoire S157-1. Ensuite, nous donnerons la cote provisoire aux

14 trois pages suivantes qui sont maintenant un document public versé au

15 dossier et coté de façon provisoire avec la cote D2 et (S).

16 Madame la Greffière, puis-je obtenir la cote suivante disponible dans le

17 cadre de cette audition?

18 Mme Dahuron (interprétation): Il s'agit de la cote S328, Monsieur le

19 Président.

20 M. le Président (interprétation): Très bien. Il s'agira donc du document

21 D-2 (S328). Et la décision quant à l'admissibilité de ce document en tant

22 qu'élément de preuve, en tant qu'élément versé au dossier de cette

23 affaire, sera rendue par les Juges incessamment.

24 Est-ce qu'il y a d'autres commentaires?

25 M. Koumjian (interprétation): Je crois que si l'on attribue une cote et

Page 7929

1 que l'on procède à la traduction du document, comme il s'agit d'un

2 document hybride et qu'il s'agit également du document en notes

3 sténographiques, je crois que cela représentera un problème car il faut

4 traduire ce document en trois langues.

5 M. le Président (interprétation): Pour ces fins, je vous demanderai de

6 bien vouloir avoir la gentillesse, pour des raisons d'examen, pour des

7 raisons d'admissibilité, de nous donner l'original des trois pages. Vous

8 devez certainement comprendre qu'il serait peut-être problématique

9 d'obtenir l'interprétation de vos notes en sténo. Pourrais-je vous

10 demander, pour la fin de l'audition, pourriez-vous nous lire l'ensemble de

11 ces trois pages de notes que vous avez devant vous? Et je vous en serais

12 bien gré.

13 M. Vulliamy (interprétation): Oui, certainement, Monsieur le Président.

14 M. Koumjian (interprétation): Vous pouvez commencer la lecture.

15 M. Vulliamy (interprétation): Quelle est la question?

16 M. Koumjian (interprétation): La question était de savoir si vous avez

17 pris les propos dits par M. le docteur Stakic en notes, au cours de cette

18 réunion?

19 M. Vulliamy (interprétation): Oui, cela commence avec les mots "Pres

20 Stakic."

21 M. le Président (interprétation): Je ne suis pas d'accord avec cette façon

22 de procéder.

23 Si nous admettons le document dans son ensemble au dossier simplement pour

24 pouvoir avoir une idée générale de la conversation, je vous demanderais de

25 lire tout ce qui figure sur ce document et non pas seulement un passage.

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1 M. Vulliamy (interprétation): Certainement.

2 (Lecture du document.)

3 "Chef de police commandant, colonel Arsic milite comme région Vladimir

4 Manjaca. Tee-shirt, Pres la commune Milomir Stakic, Kovacevic, vice pres.

5 Exec. de commune. Kovacevic. Même si nous avions obtenu une exp. négative

6 avec la presse internationale, les expériences négatives avec la presse,

7 les papiers que je veux consulter ne sont pas des documents de propagande,

8 je ne suis pas d'accord avec la négative exp. de la presse et

9 deuxièmement, parce qu'il est possible de risquer…, vous allez risquer

10 votre vie car vous vous trouvez dans une zone belligérante de guerre.

11 Je propose que, puisque vous savez ce qu'est un camp de concentration,

12 nous savons, mais les anglais, étant donné que les Britanniques…, puisque

13 les Britanniques ont entendu parler de camps de concentration mais qu'ils

14 n'y ont pas cru jusqu'en 1943/1945, mais nous savons ce que les camps de

15 concentration veulent dire. Et la plupart d'entre nous sont passés par les

16 camps de concentration dans la Deuxième Guerre mondiale.

17 Vous allez voir qu'il n'y a pas de camps de concentration. Ici, il y a des

18 camps de transit seulement. C'est ce que vous allez voir de vos propres

19 yeux.

20 Pres. Stakic: Je suis heureux que vous soyez venus nous rendre visite pour

21 voir de vos propres yeux la situation qui prévaut, mais je suis désolé car

22 la presse internationale ou les publications internationales n'ont pas été

23 distribuées dans la zone en question depuis deux ou trois mois, et il y a

24 plus de combats depuis. Il y a trois ans, le gouvernement était moitié

25 musulman moitié serbe, j'étais le négociateur pour deux côtés, le côté

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1 serbe et le côté musulman. J'ai essayé de faire en sorte de convaincre les

2 deux parties de vivre en paix ensemble. Qu'avons-nous aujourd'hui devant

3 nous? Je crois que nous avons des problèmes avec les extrémistes musulmans

4 et non pas avec la population musulmane. Nous avons demandé aux Musulmans

5 de ne pas quitter cette région mais de rester avec nous et de vivre

6 ensemble, avec nous. Les Serbes ne commettent absolument aucun génocide à

7 l'endroit d'autres personnes".

8 Je tourne la page.

9 "Nous ne pouvons pas faire en sorte faire une nation, il est très

10 difficile que l'on existe en tant que pays; il y a toujours l'autre côté

11 qui nous attaque avec des armes, les extrémistes croates et musulmans,

12 nous avons doc. Kozarski. Il y avait 3.500 hommes armés, nous connaissons

13 leurs noms et nous avons une liste d'armes dont ils disposent. Nous avons

14 deux cassettes et nous savons de quelle façon les Musulmans se sont

15 préparés pour cette guerre. Même nous, nous avons essayé, c'était très

16 difficile pour nous de ne pas nous préparer, de ne pas procéder à la

17 guerre.

18 Ils ont commencé à tuer les Serbes dans la zone, ils ont érigé des

19 barricades au début du mois de mai sur la route principale et les routes

20 secondaires. Les Bérets verts et les bandeaux pour la tête verte(sic);

21 c'était ce qu'on appelait les SDA. Et les Serbes savaient très bien ce que

22 cela représentait en Deuxième Guerre mondiale. Ils ont commencé à se

23 protéger, à protéger leurs maisons dans cette région. Nous nous sommes

24 défendus.

25 Au début, cela n'a pas marché de l'autre côté. Et dans la documentation,

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1 tout ce que nous avons vu, ce que nous avons pu voir dans les papiers,

2 dans les documents, nous savions très bien ce qui aurait pu nous arriver.

3 Il n'y a pas de camp de concentration, seulement des camps de transit que

4 nous avons construits pour pouvoir placer des réfugiés dans les camps,

5 pour les protéger, et certains viennent par eux-mêmes. Les réfugiés qui

6 veulent quitter cette zone, certains d'entre eux veulent revenir ou

7 retourner en Bosnie, le pays d'Izetbegovic. Et, pour la plupart d'entre

8 eux, il leur est possible d'y aller, nous assurons pour qu'ils puissent y

9 aller. Mais, pour la plupart des Musulmans, ils ne veulent pas aller vivre

10 dans ce pays-là. Ils veulent simplement aller en Croatie, en Autriche ou

11 en Allemagne.

12 Maintenant, nous sommes en train de négocier avec la Forpronu et la Croix

13 int. pour essayer de faire en sorte que ces personnes obtiennent tous

14 leurs documents. Nous essayons de leur faire obtenir des documents pour

15 pouvoir quitter le pays, aller à l'étranger.

16 Manjaca: Tous ceux qui ont été capturés par les armes ont été placés dans

17 des prisons d'armée militaire, au début "Om-Trn". Pour ce qui est des

18 autres, ils sont traités en tant que…,on leur réserve le traitement de

19 réfugiés civils. Les soldats sont en prison et on procédera à une enquête,

20 ils seront jugés alors que les autres iront dans un camp de transit,

21 Omarska et Turn-transit. A Trnpolje, transit, environ deux mille. De trois

22 à quatre mille personnes veulent quitter, ils attendent pour quitter cette

23 zone alors que l'autre parti est le parti musulman. Nous essayons

24 d'arrêter Kovacevic Milan, en marge, avec des lignes indiquant soit cette

25 ligne-ci ou la ligne suivante: nous essayons d'arrêter certaines personnes

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1 mais l'autre parti dit qu'il ne désire pas, il ne le veut. J'ai demandé à

2 Izetbegovic de faire procéder à des échanges de Serbes, ils ont demandé à

3 ce qu'on leur donne une certaine quantité de farine, de munitions et

4 d'armes. Il ne veut pas les gens, ce ne sont pas nos prisons, des bébés

5 qui se trouvent le long de la rivière Una, des croix avec leurs yeux qui

6 ressortent de l'orbite. Il n'y a pas de prison, ce ne sont pas nos

7 prisons. Ils ont séparé les femmes et les enfants et, pour ce qui est des

8 hommes, nous allons mener une enquête sur eux. Certains depuis les

9 maisons, il y a toujours des groupes qui sont en train de se battre.

10 Certains groupes ne veulent pas se rendre.

11 Hier, nous avons vu un Musulman tuer un soldat. Hier, un homme appartenant

12 au parti du SDA est venu au camp pour qu'on le recueille, pour qu'on aille

13 le chercher. Tuer un serbe. Soldat Hambarine, Mollah ont des armes

14 partout. Depuis Hambarine sur la liste: mosquées qui servent à ses fins.

15 Trois mois commencent, je suis né en 1941, je suis né à Jazenovac, vidéo

16 de propagande, prisonniers. Ils étaient en train de se préparer pour la

17 guerre, les Musulmans ont fait une provision de fournitures, de

18 médicaments et transport".

19 (Fin de la lecture.)

20 M. le Président (interprétation): Merci bien, Madame la Greffière; pour

21 les fins de ce recueil de déposition. Ce document qui porte la cote D peut

22 être trouvé au compte rendu d'audience d'aujourd'hui allant de la page 30

23 ligne 16, jusqu'à la page 33 ligne 5. Il est l'heure maintenant de la

24 pause, nous reprendrons nos travaux à 11 heures 30, merci.

25 (La séance, suspendue à 11 heures 05, est reprise à 11 heures 36.)

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1 Aux fins du dossier, je pense qu'il serait utile de ne pas prendre comme

2 cote, pour ce qui est des pièces provisoires, la lettre "D" mais bien "DP"

3 pour ce qui est des pièces présentées par voie de déposition.

4 Poursuivez, Monsieur Koumjian.

5 M. Koumjian (interprétation): Vous avez eu des discussions avec les

6 autorités dans le bâtiment municipal. Est-ce qu'une décision a finalement

7 été prise en présence, pour ce qui était de l'autorisation à donner pour

8 votre visite à Omarska?

9 M. Vulliamy (interprétation): (Hors micro.)

10 La conversation s'est poursuivie pendant un certain temps, il y a eu une

11 discussion notamment à propos de cartes et c'est devenu assez animé, un

12 peu hostile. Un certain temps s'est écoulé. On nous a dit alors de quitter

13 la pièce, de quitter le bâtiment et d'attendre à l'extérieur, à proximité

14 des véhicules pendant que ces personnes réglaient des questions et

15 statuaient sur notre requête.

16 Question: Vous avez attendu combien de temps à l'extérieur?

17 Réponse: A peu près vingt minutes.

18 Question: Et au cours de cette vingtaine de minutes, est-ce que vous avez

19 constaté quoi que ce soit de remarquable devant ce bâtiment de la mairie?

20 Réponse: Oui, J'aurais peut-être dû le dire auparavant. Nous avions déjà

21 remarqué qu'il y avait toute une longue queue formée par des femmes qui

22 attendaient de l'autre côté du centre civique, de l'autre côté de la

23 route. Apparemment, le bâtiment devant lequel elles attendaient était le

24 bâtiment de police, le poste de police. Elles étaient en train d'attendre

25 sur le trottoir lorsque nous avons reçu pour instructions de sortir; on

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1 nous dit qu'il était logique d'aller parler à ces femmes plutôt que

2 d'attendre simplement près des voitures.

3 Question: Vous attendiez cette décision, vous avez discuté avec ces

4 femmes. Que vous ont-elles dit?

5 Réponse: En proie à la détresse, ces femmes sans pratiquement aucune

6 exception ont dit qu'elles étaient venues au poste de police à la

7 recherche d'informations à propos de leurs hommes, des hommes de leur

8 famille qui avaient été emmenés ou avaient disparu d'une façon ou d'une

9 autre. Ces femmes cherchaient à obtenir des informations concernant leur

10 mari, leurs fils, et là on a entendu mentionner souvent le nom d'Omarska

11 au cours de ces conversations. Moi-même j'ai eu quelques interviews. Et

12 c'était vrai aussi de l'équipe de télévision en question.

13 Question: On m'a demandé de faire des pauses entre les questions et les

14 réponses, c'est la raison pour laquelle j'attends un instant.

15 Avez-vous pu établir l'origine ethnique de ces femmes?

16 Réponse: C'était des musulmanes.

17 Question: On a parlé de cette demande d'aller à Omarska. Est-ce que vous

18 avez mentionné d'autres camps aux autorités?

19 Réponse: L'équipe d'ITN tenait aussi à aller à un autre endroit qui

20 s'appelle Trnopolje; ça avait été mentionné dans un article du "Guardian".

21 Moi, je tenais à voir cet endroit aussi mais j'ai parlé davantage

22 d'Omarska que Trnopolje.

23 Question: Une vingtaine de minutes se sont écoulées, que s'est-il passé à

24 ce moment-là?

25 Réponse: Monsieur Drjlaca et un groupe d'hommes en uniforme sont sortis du

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1 centre civique, ils nous ont dit que nous allions après tous aller à

2 Omarska. Il y avait un collègue, un homme que je connaissais auparavant,

3 il était d'un journal rival, il avait rejoint le convoi. Ils lui ont

4 demandé s'il faisait partie du groupe de M. Karadzic, il a répondu par la

5 négative. J'avoue qu'en tant que journaliste j'en étais assez satisfait;

6 on l'a éjecté du convoi et nous nous sommes mis en route.

7 Question: Une petite précision, vous parlez de ce collègue, est-ce que

8 c'était M. Juda? Et est-ce que ce monsieur était arrivé ce jour-là même

9 pendant que vous, vous attendiez à l'extérieur du bâtiment de la mairie?

10 Est-ce que c'est à ce moment-là qu'il avait cherché à rejoindre votre

11 groupe?

12 Réponse: Excusez-moi, les éléments ou facteurs professionnels… Il était

13 avec un journaliste français, ils sont arrivés dans une voiture. Nous,

14 nous avions consacré des heures entières à préparer ceci et j'étais assez

15 écœuré de le voir arriver comme ça de Zagreb, en se disant: "Oh, c'est pas

16 mal Omarska, on va rejoindre votre convoi." Cependant, il n'a pas été

17 autorisé à le faire parce qu'il ne faisait pas partie de ce que ces

18 hommes, ces autres hommes avaient appelé le groupe de M. Karadzic. Il

19 s'appelait Tim Juda, il travaillait pour le "Times".

20 Question: Qui a dit à M. Juda qu'il n'était pas autorisé à faire partie du

21 groupe?

22 Réponse: C'est le commandant Militunovic qui l'a dit. Mais, en fait, ce

23 sont des conversations qu'ont eues d'autres personnes qui faisaient partie

24 du groupe de M. Drjlaca.

25 J'aurais dû préciser que M. le commandant Milutinovic était sorti du même

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1 bâtiment en même temps que M. Drjlaca à la fin de ce temps d'attente.

2 Question: Est-ce que vous êtes parti pour Omarska avec M. Drjlaca et le

3 commandant Milutinovic?

4 Réponse: Oui.

5 Question: Au cours de ce trajet qui vous a mené à Omarska, est-ce que vous

6 avez remarqué quelque chose en route?

7 Réponse: Nous n'étions pas dans le même véhicule que M. Drljaca. J'étais

8 avec le commandant Milutinovic. Oui, bien sûr que j'ai remarqué des

9 choses, notamment les maisons qui avaient été incendiées le long de la

10 route. Et des choses qui étaient préoccupantes à mes yeux. C'est que nous

11 avons vu un panneau indiquant une route secondaire depuis la route

12 principale qui portait le nom d'Omarska et puis, nous sommes partis sur

13 une route non goudronnée, non balisée. Il y avait toute une série de

14 routes ou de chemins de moindre importance et les maisons qui s'y

15 trouvaient étaient soit incendiées, soit pilonnées, désertées. Si ce

16 n'était pas le cas, les maisons arboraient non pas des drapeaux mais enfin

17 des draps, des morceaux de tissus qui étaient accrochés à des fenêtres ou

18 à des arbres. Nous en avons discuté.

19 Question: Vous dites avoir dépassé un panneau indiquant le camp d'Omarska.

20 Entre ce moment-là et le moment où vous êtes arrivé au camp, est-ce qu'il

21 s'est passé quelque chose qui vous a retardé?

22 Réponse: Oui, nous poursuivions notre route par ces routes plus petites.

23 Il y a eu une rafale de tirs depuis les bois. Et les balles nous sont

24 passées par-dessus nos têtes, on nous a dit de nous baisser. Il y avait

25 des personnes en uniformes paramilitaires bleus; ils sont sortis d'un

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1 blindé transporteur de troupes bleu. Ils ont riposté depuis un fossé et il

2 y a eu, je ne dirais pas que c'était une bataille ni un combat mais des

3 échanges de tirs -assez bruyants d'ailleurs. Et nous avons appris que

4 c'étaient les Musulmans extrémistes, les Moudjahidin dissimulés dans les

5 bois qui attaquaient notre convoi.

6 J'étais à ce moment-là de très mauvaise humeur; je tenais absolument à

7 arriver au camp et je n'étais pas du tout convaincu de la présence de ces

8 soi-disant Moudjahidin dans la zone. Certains membres de notre groupe

9 étaient tout à fait alarmés. Mais moi, j'étais assez impatient. J'ai dit

10 quelque chose au commandant Milutinovic. Je lui ai dit: "C'est absurde.

11 Poursuivons notre route". J'ai dit: "Continuons!". Et cet échange de tirs,

12 cet accrochage s'est interrompu. Nous avons poursuivi notre route.

13 Question: Nous sommes à ce moment-là en 1992, n'est-ce pas?

14 Réponse: Oui.

15 Question: Est-ce que vous avez eu l'occasion de voir des théâtres de

16 combats en Bosnie? Est-ce que vous aviez été soumis à des tirs auparavant?

17 Réponse: Oui, j'avais eu l'occasion de voir davantage que des échanges de

18 tirs. En Croatie, cela avait duré plusieurs mois et j'avais été à Sarajavo

19 auparavant. Et l'on ne peut pas dire qu'il y a eu des batailles à ce

20 moment-là. Mais en tout cas, en Croatie, j'avais eu l'occasion d'assister

21 -et ailleurs-, d'assister à des batailles et aussi pour ce qui est de la

22 bande de Gaza.

23 Question: Est-ce qu'il y a eu des choses que vous avez observées qui vous

24 auraient fait croire, à cause des hommes qui sortaient de ce blindé

25 transporteur de troupes, qui tiraient d'un fossé, qui vous a fait croire

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1 que tout ceci avait été mis en scène?

2 Réponse: Oui. Cela ne m'a pas convaincu car il y avait en fait toutes ces

3 balles qui sifflaient au-dessus de nos têtes et qui venaient du même

4 endroit. Ce n'était pas logique car, s'il y a vraiment un combat, il y a

5 des balles qui vont dans tous les sens. Et moi, je n'étais pas convaincu

6 de tout cela; les balles passaient au-dessus de nous, et quand on voit la

7 façon dont ces hommes, portant des lunettes fumées, qui sont sortis de

8 leur blindé… c'était un peu trop bien organisé, trop bien huilé; cela ne

9 me semblait pas correct. Moi, je me suis dit à ce moment-là -et je suis

10 toujours de cet avis- qu'ils essayaient en fait de nous intimider.

11 Question: Vous avez dit pouvoir poursuivre votre route. Vous avez dit que

12 les tirs s'étaient interrompus. Vous êtes arrivé au camp?

13 Réponse: Oui.

14 Question: A votre arrivée au camp, par où êtes-vous arrivé et quelle a été

15 votre première impression?

16 Réponse: Nous sommes arrivés par ce qui me semblait être un portail à

17 l'arrière. Je m'explique: il n'y avait pas de guérite, rien de ce genre.

18 Nous sommes entrés. Il y avait plusieurs bâtiments autour de nous en

19 briques rouges et, juste en face de nous, devant nous, un hangar ou un

20 entrepôt de grande taille, couleur rouille, et nous avons franchi le

21 portail.

22 Question: Pour aller où?

23 Réponse: D'abord, on nous a rassemblés dans une cour bétonnée ou asphaltée

24 devant ce grand hangar. Je ne sais plus ce qui s'y est dit; je ne me

25 souviens plus de ce qui a été dit à cause de ce que j'ai vu. Je crois que

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1 c'était quelque chose d'assez inoubliable. Il s'agissait d'un groupe

2 d'hommes, ils étaient peut être trente. Ces hommes sortaient par une

3 porte, ils arrivaient à l'extérieur au soleil, ils venaient d'être sortis,

4 on les plaçait en files, sous des ordres, et on les forçait à courir, à

5 traverser la cour en file indienne à la course.

6 Et je me souviens avoir vu en haut à gauche, à l'étage supérieur d'un

7 bâtiment, une espèce de tour en verre. S'y trouvait un homme qui les

8 surveillait, armé d'une mitraillette. Il les regardait franchir cette cour

9 à la course.

10 Certains de ces hommes semblaient en assez bonne condition. D'autres par

11 contre ne l'étaient pas du tout; ils ressemblaient plutôt à des

12 squelettes. Certains d'entre eux avaient le crâne rasé, ils étaient très

13 maigres, très émaciés, on les voyait même de loin.

14 Question: Que s'est-il passé à ce moment-là?

15 Réponse: On les a forcés à franchir cette cour, ils sont entrés dans un

16 bâtiment qui se trouvait à notre gauche. On nous a dit de les suivre et il

17 nous a été dit qu'il s'agissait, là, de la cantine. On a vu ces hommes en

18 files, alignés, pour prendre le repas de midi. Ils étaient dans un état de

19 décrépitude. On leur a remis un bol de soupe qui ressemblait plutôt à de

20 l'eau et un bout de pain, une moitié de pain ou un bout de pain entier.

21 Ils se sont dispersés dans la salle, ils ont commencé à manger la soupe et

22 la façon dont ils mangeaient montrait qu'ils étaient affamés; ils se sont

23 rués sur ce breuvage. Et moi, j'ai l'impression qu'il y avait longtemps

24 qu'ils avaient mangé, ces hommes.

25 On nous a dit que nous pouvions leur parler, les interviewer, mais le

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1 cadre ne s'y prêtait pas vraiment. Je n'avais pas l'impression qu'il était

2 possible de poser des questions à ces hommes; les gardes déambulaient en

3 affichant de façon très ostensible leurs armes et les hommes avaient l'air

4 terrifié.

5 Question: Avez-vous vu des signes manifestes de blessures ou de lésions

6 externes, d'ecchymoses ou de blessures diverses parmi les personnes?

7 Réponse: Je n'ai pas vu ce genre de chose. Ils couraient pour traverser la

8 cour mais, à un moment donné, j'ai vu un homme qui avait quelque chose à

9 la figure, au visage. J'ai demandé par le biais de l'interprète ce qu'il

10 s'était passé et cet homme a dit qu'il était tombé. Et cela résume bien le

11 type de conversation. Nous avons eu…

12 Permettez-moi de dire ceci: c'est plutôt ce que ces hommes ne disaient pas

13 qui parlait et qui disait le plus clairement ce qu'ils voulaient dire. Il

14 suffit de voir le regard de quelqu'un qui ne peut pas parler pour

15 comprendre ce qu'il dit. Et je peux vous dire que c'était vrai pour ce qui

16 est de cet homme-là en particulier. Ils avaient les yeux brûlants, c'était

17 tout à fait impressionnant.

18 Question: Vous dites que cet homme vous a dit "être tombé". Est-ce que

19 vous avez revu cet homme?

20 Réponse: Oui.

21 Question: Quand?

22 Réponse: Dans des circonstances assez bizarres, assez étonnantes. C'était

23 au cours de l'été 1995. Je surplombais la ville de Donje Vakuf dans le

24 centre de la Bosnie. A ce moment-là, on voyait l'armée de Bosnie qui

25 avançait; nous avons vu des soldats qui tiraient depuis une tranchée, nous

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1 allions vers une hutte et j'ai vu cet homme. Il m'a dit: "Vous étiez à

2 Omarska?", j'ai répondu par l'affirmative. Il m'a demandé si je me

3 souvenais de lui, et je lui ai dit: "Franchement pas." Non pas qu'il avait

4 pris du poids mais il avait un peu récupéré de son poids. Et il m'a

5 demandé si je me souvenais de cet homme qui avait dit être tombé. "C'était

6 moi -m'a-t-il dit-, je n'étais pas tombé". Cette blessure lui avait été

7 infligée et c'était un moment assez extraordinaire pour moi.

8 Question: Est-ce que l'on vous a présenté le commandant du camp au cours

9 de cette visite?

10 Réponse: Oui, excusez-moi si je ne l'ai pas déjà dit. Lorsque nous sommes

11 entrés dans la cour, avant d'entrer dans la cantine, on nous a présenté le

12 commandant, un certain Mejakic.

13 Question: Combien de groupes avez-vous pu voir entrer dans la cantine pour

14 manger?

15 Réponse: En fait, vous aviez une minute pour manger votre soupe; chaque

16 groupe avait une minute, et puis on les rassemblait de nouveau. Et j'ai

17 constaté que ces hommes gardaient le bout de pain qu'ils avaient pour le

18 manger plus tard. Je suppose que nous avons vu deux groupes, si ce n'est

19 pas trois, je veux dire dans leur ensemble; il y a eu ce premier groupe,

20 puis il y a eu une relève et encore une relève, un changement, cela fait

21 trois groupes, mais je ne me souviens plus tout à fait exactement.

22 Question: Est-ce que vous avez demandé l'autorisation de voir l'autre

23 partie du camp, mis à part cette zone des cuisines et cette partie

24 extérieure?

25 Réponse: Bien sûr, parce que nous voulions entrer dans le hangar. C'était

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1 en effet de là que les hommes étaient sortis; nous voulions voir ces

2 endroits où ils dormaient, les dortoirs, c'est peut-être pour cela que

3 nous avons passé moins de temps que nous aurions dû dans la cantine. On

4 voulait sortir de là pour aller voir les conditions ou l'endroit d'où ces

5 hommes étaient venus pour manger dans cette cantine et pour expliquer

6 l'état dans lequel ils se trouvaient. Car il y avait d'autres bâtiments,

7 on les voyait parfaitement ces autres bâtiments à proximité de cette cour.

8 On voulait entrer dans le camp parce que, d'après ce que le Dr Karadzic

9 avait dit, d'après les garanties que nous avions reçues à Prijedor, on

10 nous avait dit que ça allait être une inspection assez circonstanciée des

11 lieux si nous allions à Omarska.

12 Question: Est-ce que vous avez été autorisé à voir la zone, l'endroit où

13 les prisonniers étaient gardés, où ils dormaient pendant cette visite à

14 Omarska?

15 Réponse: Non. On nous a emmenés à l'étage. Excusez-moi si je qualifie

16 cette entrevue ou ce "briefing" de la façon suivante, mais je dirais que

17 c'était un "briefing" assez inutile. On a entendu de nouveau des rafales

18 de tirs dans les bois, ils nous ont dit que c'étaient de nouveau les

19 Moudjahidin, mais moi, je n'ai pas fait attention à ces propos. L'équipe

20 de la télévision serbe de Bosnie était tout à fait excitée, mais nous pas.

21 On nous a parlé de ces différentes catégories de prisonniers. Nous, nous

22 tenions à poursuivre notre visite du camp, mais ce "briefing",

23 malheureusement, a duré un certain temps.

24 Question: Vous avez demandé à voir le reste du camp, cette demande a été

25 repoussée; qu'est-ce que vous avez fait à ce moment-là?

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1 Réponse: Nous avons dit que nous voulions interviewer davantage de

2 détenus. Il y avait, bien sûr, cette première impression visuelle à la

3 cantine… cet homme qui a dit: "Je ne veux pas dire de mensonge, mais je ne

4 peux pas dire la vérité." C'est ce qu'il nous avait dit lorsqu'il était

5 sorti de la file, je n'oublierai jamais. Et, à un moment donné, nous

6 étions dans le corridor, dans le couloir, et nous avons cherché à trouver

7 des… Ils ont commencé à nous donner des personnes que nous pourrions

8 interroger. Nous, nous avons refusé parce que nous voulions choisir les

9 gens nous-mêmes.

10 Question: Est-ce qu'une personne, qu'ils voulaient vous présenter pour que

11 vous l'interviewiez, a t-elle été présentée elle-même, par son nom?

12 Réponse: Il y avait un représentant officiel du parti SDA local, c'était

13 le parti au pouvoir à Sarajevo et, apparemment, c'était cette personne-là

14 qu'ils voulaient que nous interviewions.

15 Excusez-moi si je suis un peu franc, mais le climat était devenu assez

16 hostile à ce moment-là déjà. Ils nous proposaient des gens que nous

17 pouvions interviewer mais moi, j'ai trouvé que c'était quelque chose

18 d'assez inutile; si c'étaient eux qui nous soumettaient des personnes,

19 cela ne servait pas à grand chose, nous voulions vraiment en arriver au

20 vif du sujet.

21 M. Koumjian (interprétation): Est-ce qu'ils vous ont alors emmenés au camp

22 de Trnopolje?

23 M. Vulliamy (interprétation): De façon indirecte, nous sommes sortis dans

24 la cour, nous avons passé un bon bout de temps à poursuivre nos

25 discussions, il nous a été dit clairement qu'il ne serait pas possible

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1 d'entrer dans le hangar. A un moment donné, mes collègues de l'ITN et moi-

2 même nous nous sommes approchés de Mejakic et de Drjlaca. On nous a barré

3 la route avec des armes et nous nous sommes dit qu'à ce moment-là nous

4 allions les suivre car cela commençait à tourner mal. Nous voulions

5 rester.

6 Puis, ils nous ont dit: "Non, non, on va à Trnopolje parce que si vous

7 voulez aller dans le hangar, vous allez prendre du retard dans votre

8 programme."

9 Finalement, après un échange assez musclé, nous avons accepté de

10 poursuivre notre chemin.

11 M. le Président (interprétation): Excusez-moi, vous dites "ils" au

12 pluriel. Est-ce que vous pourriez être un peu plus précis? Pour autant que

13 vous vous en souveniez, quelle a été la personne qui est intervenue à ce

14 moment-là?

15 M. Vulliamy (interprétation): Tout à fait, Monsieur le Juge.

16 Lorsque nous étions dans la cour, au moment où nous discutions, au moment

17 où nous essayions d'avancer physiquement pour nous frayer un passage vers

18 le hangar, c'est le chef de la police Simo Drjlaca et le commandant du

19 camp M. Mejakic qui étaient présents. Les conversations avaient été

20 traduites dans certains cas par l'homme qui était avec l'ITN, qui était de

21 Belgrade, mais surtout par Mme Balaban. Le commandant Milutinovic était là

22 aussi, mais c'est surtout M. Drjlaca qui nous empêchait d'avancer.

23 M. le Président (interprétation): Merci d'avoir apporté cette précision.

24 Poursuivez, Monsieur Koumjian.

25 M. Koumjian (interprétation): Vous êtes parti en voiture pour le camp de

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1 Trnopolje. Quelles impressions ce camp vous a-t-il fait à votre arrivée?

2 M. Vulliamy (interprétation): Nous étions dans une camionnette, nous

3 étions en route. Sur la gauche, sur la route, c'était une vision assez

4 étonnante que nous avons pu voir. Nous avons dit au chauffeur de

5 s'arrêter, il a d'abord refusé puis il s'est exécuté; nous sommes

6 descendus de la camionnette. Il y avait un bout de terrain et nous avons

7 vu une clôture en barbelé, et derrière la clôture un groupe important

8 d'hommes se trouvant dans divers état de décrépitude. Ceux qui étaient le

9 plus mal en point étaient vraiment mal en point, c'étaient des squelettes

10 pratiquement. Cela ne vous surprendra pas si je vous dis que nous,

11 l'équipe de l'ITN et moi-même, nous avons traversé ce bout de terrain pour

12 arriver à la clôture. Nous voulions nous présenter à ces hommes, dire qui

13 nous étions à ce groupe de prisonniers. Je crois que nous étions, les uns

14 et les autres, étonnés de nous voir.

15 Question: Vous avez parlé à certains de ces hommes qui étaient derrière

16 cette clôture. Est-ce qu'ils vous ont dit à quel moment ils étaient

17 arrivés au camp et d'où ils venaient?

18 Réponse: La plupart d'entre eux étaient arrivés à Trnopolje ce jour-là

19 même. Certains venaient d'Omarska, d'autres dans un endroit dont je

20 n'avais pas entendu parler jusqu'alors, ils venaient de Keraterm. Ils

21 étaient arrivés ce jour-là de ces deux endroits.

22 Nous nous sommes mis à leur poser des questions concernant les conditions

23 dans lesquelles ils avaient été détenus dans ces premiers endroits et puis

24 là où ils étaient maintenant

25 Question: Est-ce qu'ils étaient réticents? Est-ce qu'ils hésitaient à

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1 parler des conditions dans lesquelles ils étaient détenus à Keraterm?

2 Réponse: Oui, certains ne voulaient pas en parler vu le nombre de gardes

3 armés qu'il y avait partout, qui écoutaient ce que nous disions. Il était

4 plus facile de parler à ces hommes quand les caméras n'étaient pas

5 braquées sur eux, le traducteur de l'ITN se déplaçait un peu. Moi, j'ai pu

6 trouver un prisonnier qui parlait anglais. Il y avait un homme qui

7 répondait au nom d'Alic, il a parlé de quelque chose qu'il a qualifiée de

8 massacre.

9 Plus tard je l'ai rencontré, il a donné un autre chiffre, à ce moment-là

10 il m'a dit que 200 personnes avaient été tuées en une seule nuit dans ce

11 lieu de Keraterm. Il a dit qu'il avait été chargé de faire partie d'une

12 équipe qui allait évacuer les corps mais qu'il s'était effondré, qu'il

13 avait été dans l'impossibilité de le faire, qu'il avait été remplacé par

14 un autre prisonnier. C'était pour moi quelque chose de bouleversant. Un

15 peu comme à Omarska ils ont parlé avec leurs yeux.

16 C'est difficile de vous décrire ceci, mais vous savez, non, je ne peux pas

17 en parler maintenant, mais je peux dire qu'après Omarska je m'étais

18 habitué à l'idée d'avoir ces gardes tout autour de nous, qu'il fallait

19 jouer de l'intuition, qu'il fallait jouer à l'expression pour correspondre

20 et communiquer avec ces personnes. Et puis nous avons pu nous déplacer un

21 peu plus librement.

22 Question: Les massacres dont on vous a parlé au camp de Keraterm, ce qui

23 s'est passé au camp de Keraterm, est-ce que quelqu'un a identifié

24 l'endroit au camp de Keraterm où ce massacre aurait eu lieu?

25 Réponse: Ils ont dit qu'il y avait l'un des hangars, que c'était un des

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1 hangars du camp. Je sais maintenant que c'était le hangar numéro trois,

2 mais je n'avais pas pu le savoir à l'époque. J'ai simplement dit qu'il

3 s'agissait d'un hangar, mais j'en sais davantage maintenant qu'à l'époque.

4 On ne m'avait pas donné les détails précis sur l'endroit où cela se

5 trouvait à l'époque, d'après mes souvenirs.

6 Question: Peut être que nous pourrions maintenant présenter une séquence

7 vidéo qui a été prise par une des équipes de ITN et qui dure environ 27

8 minutes? Et avant que nous la fassions passer, Monsieur Vulliamy, avez-

9 vous eu un rôle à jouer dans le choix de ce qui a été filmé et dans la

10 façon dont le film a été édité ou non ?

11 Réponse: Non, je m'occupais d'opérations tout à fait distinctes, je

12 m'occupais uniquement d'écrire; je suis un journaliste de la presse

13 écrite.

14 M. Koumjian (interprétation): Avant que nous ne commencions, nous avons

15 également une transcription de la bande sonore de cette vidéo qui porte le

16 n°40664. Elle figure sur la liste des pièces au titre de l'Article 65 du

17 Règlement. Elle va prendre le n°804. Nous voudrions demander que la vidéo

18 dans son ensemble -et la transcription de la bande sonore- puisse être

19 versée au dossier une fois qu'elle aura été présentée.

20 M. le Président (interprétation): Aux fins de l'audience d'aujourd'hui, je

21 voudrais qu'on mette comme cote le DP3, et pour la transcription de la

22 bande sonore DP3-1.

23 M. Koumjian (interprétation): Je ne voudrais pas dire qu'il s'agit du film

24 tout entier car ce n'est pas le cas, nous avons dû faire des choix.

25 (Diffusion et traduction de la cassette vidéo.)

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1 "Nous aimerions vraiment le voir.

2 -Garde: A Manjaca? Ou voudriez-vous…?

3 -Q: Pourquoi? Pourquoi pas?

4 -Une voix d'homme: Ca, c'est quand il est établi que la personne est

5 coupable ou pas coupable. S'il n'est pas coupable il va à Trnoplje, s'il

6 est coupable il va à Manjaca".

7 (Fin de la diffusion vidéo.)

8 M. Koumjian (interprétation): Monsieur le Témoin, pourriez-vous identifier

9 les deux personnes qui se trouvent en uniforme, que nous avons vues?

10 M. Vulliamy (interprétation) A gauche, il y a le commandant Milutinovic

11 et, à droite, le chef de la police Simo Drjlaca.

12 Question: Et la personne que l'on voit en chemise sur l'écran, en avant

13 sur l'écran, qui fait un geste, est-ce que c'est l'interprète auquel vous

14 aviez recours?

15 Réponse: Oui, c'était l'interprète engagé par ITN.

16 M. Koumjian (interprétation): Je vous remercie. Nous pouvons continuer.

17 (Poursuite de la diffusion vidéo.)

18 Nous ne pouvons pas voir… je ne pense pas que nous ayons commencé au début

19 de la séquence vidéo...

20 Peut-être qu'elle n'a pas été rembobinée jusqu'au bout. Pourrait-on

21 rembobiner entièrement la vidéo, s'il vous plaît?

22 M. le Président (interprétation): Je crois que nous pouvons le voir sur le

23 compte rendu.

24 M. Koumjian (interprétation): Excusez-moi.

25 M. le Président (interprétation): Oui, c'est exact.

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1 M. Koumjian (interprétation): Je vous remercie. On peut poursuivre, s'il

2 vous plaît. C'est de ma faute.

3 M. le Président (interprétation): Nous pouvons donc poursuivre et voir la

4 suite de la vidéo à partir du point où nous étions arrêtés.

5 (Diffusion et traduction de la cassette vidéo.)

6 (Au début, voix de fond inaudibles.)

7 "-Penny Marshall: Oui, nous voudrions vraiment le voir.

8 -Garde: Où à Manjaca? Qu'est-ce que vous voudriez voir?

9 -Reporter: Pourquoi, pourquoi pas?

10 -Garde: Eh bien, s'il est établi qu'il n'est pas coupable, il va à

11 Trnopolje et s'il est coupable il va à Manjaca.

12 -Interprète: Pourquoi ne pouvons-nous pas? Il parle de la Croix-Rouge.

13 Vous avez dit "là haut", mais ils n'ont rien pu voir, la Croix-Rouge n'a

14 rien pu voir et maintenant, on nous empêche de monter. Nous n'avons rien

15 vu. Nous avons simplement vu un réfectoire et 80 prisonniers.

16 -Reporter: Mais nous avons eu une promesse du Dr Karadzic. Et maintenant,

17 on nous dit autre chose.

18 -Interprète: Il dit que nous avons vu seulement une salle où environ 80

19 personnes étaient en train de manger. C'est tout."

20 (Fin de la diffusion vidéo.)

21 M. le Président (interprétation): Pourriez-vous arrêter la vidéo à

22 l'instant?

23 Est-ce que vous vous rappelez le nom de la première personne qui est en

24 uniforme?

25 M. Vulliamy (interprétation): Oui, Monsieur le Président. Je crois que

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1 c'est le commandant du camp qui portait le nom de Mejakic, d'après mes

2 souvenirs.

3 M. le Président (interprétation): On peut poursuivre.

4 (Reprise de la diffusion vidéo avec traduction.)

5 "-Reporter: Nous n'aurons aucun autre choix que de dire dans nos articles

6 que nous n'avons pas pu voir. Nous attendons encore. Nous ne pouvons pas

7 nous faire une idée exacte de ce camp tant que nous n'aurons pas vu où ils

8 vivent, dans quels locaux ils vivent."

9 -Q: Nous n'avons rien vu ici, nous n'avions rien vu. Ce sont des

10 combattants?

11 -R: Des combattants.

12 -Q: Où allez-vous aller? Où voulez-vous aller?

13 -R: A Trnopolje? Pourquoi?

14 -Interprète: J'essaye de faire de mon mieux. Le Dr Karadzic nous a promis.

15 Pourquoi est-ce que vous ne tenez pas parole? Il nous a promis autre chose

16 et il a dit: 'Vous pouvez faire ceci et ceci mais pas cela'.

17 Ils disent que ce que vous avez vu ici, ce sera tout. Donc il vous a dit

18 de ne pas nous donner accès?

19 J'essaye de faire de mon mieux. Un instant…

20 Je suis désolé, je voudrais faire de mon mieux.

21 -Voix d'homme: l'accès à ce camp...

22 Nous avons eu seulement cinq minutes ici. Oui, mais on aura un emploi du

23 temps pour vous ici.

24 Il y a des garanties, nous avons pu rester seulement cinq minutes là-

25 dedans.

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1 -Voix d'homme: Dans cet immeuble…

2 -Interprète: J'en suis désolé.

3 On nous demande de quitter ce camp après n'avoir vu que le réfectoire, on

4 nous a dit que la promesse du Dr Karadzic, bien que faite à nous, n'a pas

5 d'autorité ici, est sans importance ici."

6 (Fin de la diffusion de la vidéo.)

7 M. Koumjian (interprétation): Tout ce que nous avons vu jusqu'à

8 maintenant, c'était bien dans le camp d'Omarska?

9 M. Vulliamy (interprétation): Oui.

10 Question: Quand on en viendra au camp de Trnopolje, pourriez-vous

11 identifier certains éléments?

12 Réponse: Bien sûr.

13 (Poursuite de la diffusion Vidéo.)

14 Question: Nous pouvons arrêter la vidéo ici.

15 Monsieur le Témoin, est-ce que ceci est le camp de Trnopolje?

16 Réponse: Oui, c'est le camp de Trnopolje.

17 Question: On peut poursuivre.

18 (Poursuite de la diffusion vidéo.)

19 "-Q: Comment sont les conditions ici pour vous? Quelle est la situation?

20 -R: Je ne crois pas que je sois autorisé à parler.

21 -Q: Combien de temps avez-vous été ici?

22 -R: (Inaudible.)

23 -Q: D'où venez-vous? Vous avez été emmené de chez vous? De la même ville,

24 des abords de cette ville, des villages? Pourquoi ont-ils dit qu'ils vous

25 emmenaient ici?

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1 -R: Ils n'ont pas dit.

2 -Q: Pourquoi pensez-vous que vous êtes ici?

3 Est-ce que les conditions sont difficiles pour vous ici?

4 -R: Oui.

5 -Q: Combien d'entre vous sont là?

6 -R: Je ne suis pas sûr, je ne suis pas tout à fait sûr de cela. Je suis

7 arrivé ici seulement aujourd'hui. J'étais dans un autre camp pendant 50

8 jours.

9 -Q: Où sont vos familles? Où sont les femmes et les enfants?

10 -R: Nous ne savons pas. Je pense qu'elles sont à la maison, mais je ne

11 suis pas sûr.

12 -Q: De Prijedor, des villages voisins?

13 Les Serbes disent que vous étiez des combattants, que vous combattiez dans

14 les forces musulmanes. Est-ce que c'est exact?

15 -R: Je n'ai jamais été combattant.

16 -Q: Pouvez-vous nous dire les conditions dans lesquelles vous êtes détenu

17 ici?

18 -R: Est-ce que vous pouvez me comprendre, est-ce que vous comprenez ce que

19 je vous dis?

20 Avant cela, à un moment donné, j'étais dans un autre camp. Et ici, je ne

21 sais pas, je viens d'arriver, je suis arrivé ici aujourd'hui.

22 -Q: Est-ce que les personnes qui sont ici subissent des sévices ou sont

23 battus?

24 -R: Ici? Non. Ici, non, ici.

25 -Q: Et à d'autres endroits?

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1 -R: Je préférerais ne pas en parler, je ne suis pas sûr.

2 -Q: Nous sommes de la télévision britannique. Donc c'est la première fois

3 que nous sommes en mesure de… nous avons entendu parler de votre

4 situation, (inaudible) c'est la première fois que nous avons été en mesure

5 de venir et de vous filmer ici.

6 (Brouhaha de voix inaudibles. Conversation entre prisonniers.)

7 (Dialogues sans interprétation.)

8 -Q: Et quelles sont les conditions ici?

9 -R: Nous sommes comme… je ne sais pas comment dire...

10 -Q: (en russe) Combien de fois mangez-vous par jour? Combien de fois avez-

11 vous la possibilité de manger par jour?

12 -R: Je ne comprends pas. Oui, une fois. Et ils apportent également de la

13 nourriture de chez nous. Je ne veux pas... Je ne veux pas…

14 -Q: (en russe) Vous mangez tôt, n'est-ce pas? Et où est-ce que vous

15 dormez?

16 -R: Les premiers 60 jours, nous avons eu un endroit pour dormir; nous

17 avons eu de l'eau, nous pouvions nous laver.

18 -Q: (en russe) Quand était-ce que les conditions étaient bonnes? Il nous a

19 fallu très longtemps pour vous trouver ici. Nous voudrions savoir dans

20 quelles conditions vous êtes détenus et comment les choses se passent pour

21 vous ici.

22 -R: Eh bien, j'ai été pendant deux mois à un autre endroit, et maintenant

23 on nous a mis ici et on nous dit que nous allons pouvoir rentrer chez nous

24 bientôt.

25 -Q: Mais alors, comment étaient les choses dans l'autre endroit? Pouvez-

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1 vous nous dire quelque chose concernant les conditions dans lesquelles

2 vous avez été traités, le traitement des personnes qui étaient avec vous?

3 -R: C'était très difficile.

4 -Q: Nous avons entendu dire que des personnes étaient battues, que des

5 personnes disparaissaient; est-ce que ceci s'est produit?

6 -R: Je ne peux pas dire grand chose à ce sujet. Vous voyez, les gens ont

7 faim, les gens avaient faim.

8 -Q: Est-ce que c'était difficile?

9 -R: C'était une période difficile, bien sûr.

10 -Q: Et vous, vous êtes juste arrivé ici aujourd'hui?

11 -R: Oui, nous sommes arrivés ici.

12 -Q: Est-ce que les conditions sont meilleures ici?

13 -R: Ils disent que cela va être bien meilleur. Les gens qui sont ici sont

14 censés rentrer chez eux.

15 -Q: Vous êtes ici à ciel ouvert dans le soleil?

16 -R: Oui, mais que pouvons-nous faire?

17 -Q: Est-ce que vous savez où se trouve votre famille?

18 -R: Je sais que ma femme, elle est à Istra, et pour les autres personnes,

19 je ne sais pas?

20 -Q: Donc vous savez où est votre femme, vous savez qu'elle est en

21 sécurité, donc on peut espérer que vous pourrez la rejoindre bientôt?

22 -R: Oui.

23 -Q: Je l'espère, parce que c'est la première fois que nous… (Voix de

24 fond.)

25 Quelles sont les conditions dans lesquelles vous avez vécu ici?

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1 -R: Des conditions très mauvaises.

2 (Brouhaha de voix inaudibles.)

3 -Q: Comment sont les conditions dans lesquelles vous avez vécu?

4 -R: Des conditions très mauvaises, nous n'avons pas de nourriture ni

5 d'eau.

6 -Q: Aujourd'hui? Aujourd'hui.

7 -Deuxième prisonnier: Oui, nous sommes arrivés ici aujourd'hui.

8 -Q: D'où veniez-vous?

9 -R: De Prijedor, de Keraterm.

10 -Q: Qu'est-ce que qu'ils vous donnent à manger et à boire?

11 -R: Rien. Ici du thé et l'après-midi, du pain.

12 -Deuxième prisonnier: De la soupe.

13 -Q: Est-ce qu'il y a quelqu'un qui parle anglais ici?

14 -Deuxième prisonnier: Oui, je parle un peu.

15 -Q: Quelles ont été les conditions ici? Depuis combien de temps êtes-vous

16 détenu?

17 -Deuxième prisonnier: Nous venons d'arriver. Nous sommes juste arrivés

18 maintenant.

19 -Q: D'un autre camp?

20 -Deuxième prisonnier: D'un autre camp et nous ne savons pas quelles sont

21 les conditions ici. Nous acceptons un tout petit peu plus, c'est un peu

22 mieux.

23 -Q: Comment était-ce avant cela?

24 -Deuxième prisonnier: Ah! C'était terrible!

25 Nous avions juste deux morceaux de pain et de la soupe par jour.

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1 -Q: La raison pour laquelle nous sommes ici, nous avons entendu des choses

2 terribles concernant des gens qui...

3 -Deuxième prisonnier: Oui, vous avez entendu, cela est juste, mais tout

4 cela est très compliqué, vous ne pouvez pas le traduire; c'est le pouvoir,

5 je crois que c'est le pouvoir de faire des arrestations, d'arrêter les

6 gens, mais...

7 -Troisième prisonnier: Ils ne nous donnent donc rien à manger.

8 -Q: Est-ce que l'on vous a dit combien de temps vous resterez ici?

9 -Deuxième prisonnier: Ils pensent peut-être les vingt prochains jours;

10 davantage de personnes ont été ici pendant plus longtemps, certaines

11 personnes repartent très vite. Je ne sais pas.

12 -Q: Donc vous pensez que vous pourrez être relâché plus rapidement? Nous

13 espérons que, quand ceci aura été vu en Europe, cela vous aidera et cela

14 voudra dire que vous pourrez être relâché plus rapidement.

15 -Deuxième prisonnier: Je l'espère, oui.

16 -Q: En tout état de cause...

17 (Voix de fond)."

18 (Fin de la diffusion vidéo.)

19 M. Koumjian (interprétation): Merci. Je vous remercie.

20 Monsieur Vulliamy, est-il exact, après avoir vu ces images, qu'il y avait

21 certains prisonniers dans des endroits où il y avait des clôtures et

22 d'autres qui se trouvaient à l'extérieur?

23 M. Vulliamy (interprétation): Ceux qui ont dit qu'ils venaient d'arriver

24 le jour même, et que nous avons vus en premier, se trouvaient dans une

25 partie du camp différente de celle où se trouvaient des gens plus

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1 éparpillés que nous avons vus dans ce film. Oui, si c'est cela que vous

2 demandez.

3 Question: Est-ce que vous avez parlé à certaines de ces personnes qui se

4 trouvaient en dehors de la partie clôturée?

5 Réponse: Oui, ils se trouvaient dans la partie du camp qui n'avait pas de

6 clôture. Oui, je suis allé dans cette partie du camp avec un jeune homme

7 qui parlait anglais -assez bon comme anglais- et qui m'a montré, au cours

8 du délai qui m'a été donné et une partie du temps que j'ai passée avec

9 l'équipe de télévision ITN -qui visitait ce qu'ils appelaient en fait "les

10 installations médicales"-, une partie d'installations qui ne sont pas dans

11 l'extrait du film que nous avons montré.

12 Question: Oui, pas sur le film qu'on vient de montrer.

13 Réponse: Oui.

14 Question: Il y avait des caméras qui étaient là lorsque vous êtes entré

15 dans le centre médical et lorsque vous avez rencontré le médecin Idriz

16 Merdzanic?

17 Réponse: Oui, l'équipe de film était là lorsque je suis allé voir le

18 docteur.

19 Question: Les personnes auxquelles vous avez parlé qui se trouvaient en

20 dehors de la partie clôturée, est-ce qu'elles ont indiqué pourquoi elles

21 étaient venues et pourquoi elles se trouvaient dans ce camp?

22 Réponse: J'ai eu toute une série de raisons qui m'ont été données. Chaque

23 personne à qui j'avais parlé avait sa propre histoire. Certains avaient

24 été emmenés de chez eux, soit parce que des soldats étaient arrivés et les

25 avaient emmenés, soit parce que leur maison ou leur village avait été

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1 attaqué, notamment Kozarac mais également d'autres. Et on les avait

2 emmenés jusque là en colonnes, en marche, à pied, encadrés par des gardes.

3 D'autres étaient venus de leur propre gré en s'enfuyant de leur village ou

4 de leur ville, lorsque leur maison avait été incendiée ou avait reçu des

5 obus ou qu'on avait tiré dessus; et alors, ils étaient venus chercher ce

6 qu'ils croyaient être une protection, la protection des grands nombres. Et

7 je me suis dit: "S'ils se sont enfuis pour venir ici, d'où fuyaient-ils"?

8 Il y avait une confusion qui régnait dans cette partie-là pour toutes

9 sortes de raisons.

10 Question: Est-ce que vous avez observé quelles étaient les conditions

11 sanitaires qui prévalaient au camp?

12 Réponse: Oui, certainement. C'étaient de très mauvaises conditions. Il y

13 avait des toilettes ouvertes, en fait c'étaient des trous simplement

14 ouverts. Il faisait très chaud également. Dans ce trou, il y avait des

15 excréments. Il n'y avait pas d'eau courante ou peu. Il s'agissait en fait

16 d'une ancienne école, un ancien complexe hôtelier. C'était un peu étrange

17 car il y avait un rassemblement d'écoles qui se trouvait à l'intérieur de

18 cette enceinte.

19 Donc je me suis dirigé à l'intérieur. J'ai voulu voir quelques dortoirs.

20 Certaines personnes dormaient à l'intérieur, d'autres à l'extérieur. Mais

21 pour ce qui est de l'impression que j'ai eue de tout cela, c'est qu'il

22 était tout à fait clair qu'Omarska était l'endroit qui était resté gravé

23 dans mon esprit comme étant un endroit dont les conditions étaient très

24 mauvaises, mais pas aussi terribles que celles-ci et je crois que je

25 savais cela à l'époque.

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1 Question: Quand les prisonniers vous ont dit qu'ils étaient arrivés ce

2 jour-là de Keraterm, qui se trouvaient derrière la clôture, vous l'avez

3 appris d'eux?

4 Réponse: Oui, certainement. Il était tout à fait clair… de ce qui disaient

5 les prisonniers, ils étaient plutôt contents d'être là, car, en

6 comparaison avec l'endroit où ils se trouvaient auparavant, c'était mieux.

7 En fait, non pas qu'ils étaient contents, mais ils étaient un peu soulagés

8 de se trouver à cet endroit-là car l'endroit où ils se trouvaient

9 précédemment était pire.

10 Question: Dans la vidéo que nous avons vue, nous avons vu un homme qui

11 portait un tee-shirt blanc. Vous nous avez dit un peu plus tôt que vous

12 vous souvenez beaucoup du contexte "non-dit". Est-ce que vous vous

13 souvenez de ce qu'a dit cet homme? On lui a posé la question de savoir

14 s'il y avait eu des passages à tabac au camp.

15 A la page 9 du transcript, M. Williams lui a demandé: "Est-ce qu'il y a

16 des gens que l'on passe à tabac ici?", et il a répondu: "Non, pas ici.

17 Non, non, pas ici, pas ici".

18 Et ensuite, on lui a demandé, à savoir: "Et qu'en est-il pour les autres

19 endroits?", et il a dit: "Je préfère ne pas en parler". Est-ce que c'est

20 le genre de réponse qui vous a donné l'impression que les témoins avaient

21 un peu peur de parler, ne disaient pas tout à fait ce qu'ils voulaient

22 dire?

23 Réponse: Oui, justement. Ce n'est pas moi qui ai posé ces questions à cet

24 homme, mais je pourrai dire, en règle générale, que pour ce qui est de la

25 cantine d'Omarska, c'est moi qui menais les interviews; et je peux vous

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1 dire que c'était beaucoup plus difficile de regarder cet homme en

2 question. C'était un silence bien éloquent que l'on pouvait observer à cet

3 endroit-là. De toute façon, les gens ne parlaient pas, avaient peur de

4 parler.

5 Question: Il y a un groupe qui s'était formé derrière la clôture de fil

6 barbelé, les gens voulaient… tendaient la main, ils voulaient quelque

7 chose. Est-ce que vous savez de quoi il s'agissait?

8 Réponse: Non, je ne le sais pas, mais je crois que c'était certainement…

9 je peux croire qu'il s'agissait probablement de nourriture, de quelques

10 bouts de pain ou d'eau.

11 Question: Est-ce que vous avez vu si on a donné de la nourriture aux gens

12 pendant que vous étiez là?

13 Réponse: Oui.

14 Question: Quelle était leur réaction?

15 Réponse: Eh bien, ils n'étaient pas violents, ils n'essayaient pas de se

16 battre pour obtenir leur bout de pain, mais il était certain qu'ils se

17 précipitaient pour obtenir ce qu'on leur tendait de l'autre côté de la

18 clôture. Il est vrai que cela se passait, pour la plupart du temps,

19 lorsque les caméras étaient braquées sur eux.

20 Question: Et, en d'autres mots, quand ces choses arrivaient, c'était

21 lorsque les caméras étaient braquées sur eux?

22 Réponse: Oui.

23 Question: C'était vers le 5 août 1992, est-ce exact?

24 Réponse: Oui. Et lorsque nous sommes arrivés à Trnopolje, c'était en

25 après-midi

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1 Question: Où êtes-vous allés après Trnopolje?

2 Réponse: A Belgrade.

3 Question: Est-ce que vous avez été en mesure d'écrire votre histoire et de

4 l'envoyer quelque part?

5 Réponse: Oui. Nous sommes arrivés à Belgrade, tard ce soir-là ou tôt ce

6 matin-là en question, et j'ai écrit un texte, un article; je l'ai envoyé

7 le 6 août, le lendemain.

8 Question: Est-ce que vous savez si ITN ou le "channel 4" a diffusé les

9 cassettes ou la vidéo de la visite que vous avez rendue au camp le 5 et le

10 6?

11 Réponse: Ce que je sais, c'est qu'ils sont allés à Budapest pour procéder

12 au montage; ils ont envoyé le matériel en question qui a été diffusé sur

13 les chaînes en Grande-Bretagne, le soir du 6.

14 Question: Et votre article a été publié le 7?

15 Réponse: Oui, le matin du 7 août, effectivement.

16 Question: Est-ce que vous avez pu voir s'il y avait eu une réaction de la

17 presse internationale concernant votre visite à Omarska et Trnopolje, et

18 suite à votre article?

19 Réponse: Oui, certainement. Le 7 août était une journée bien particulière.

20 J'étais… On m'a contacté. En fait, des stations radio partout dans le

21 monde ont essayé de me contacter. Et si vous me pardonnez l'expression,

22 tout le monde était presque dingue. C'était dingue! Je donnais des

23 interviews à la télévision de Belgrade, au studio de Belgrade. Il y avait

24 une réaction très forte bien sûr que j'avais enclenchée… qui s'était

25 enclenchée par cet article. A l'époque, les gens ne voulaient pas parler

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1 de camp de concentration car ils ne voulaient pas se servir du terme… ou

2 je n'ai pas voulu me servir de ce terme-là à cause des connotations. Mais

3 j'ai fait des recherches depuis et j'ai su qu'il était tout à fait

4 approprié d'utiliser ce terme; il peut être également associé à certains

5 camps qui se trouvaient en Afrique. Et ainsi de suite. Donc il y avait une

6 très grande réaction, effectivement.

7 Question: Lorsqu'on vous a demandé d'aller au camp, est-ce que les

8 organisations internationales ont essayé de savoir s'il était possible de

9 retourner là-bas?

10 Réponse: Oui, tout à fait. On a demandé les copyrights, les droits

11 d'auteurs à NBC et autres canaux américains. Et ils voulaient, en fait…

12 NBC, la chaîne américaine NBC voulait que j'aille faire une couverture

13 pour eux, que j'aille sur les lieux et que je fasse un suivi, si vous

14 voulez, de l'état. Je dois dire que la situation à Belgrade était assez

15 particulière: au lendemain de cette histoire, les médias s'étaient rués

16 sur Belgrade -je l'appelais "le cirque des médias"- et tout le monde est

17 descendu à Trnopolje. Et NBC a offert beaucoup d'argent, m'a offert

18 beaucoup d'argent pour aller tourner pour eux et aller faire des entrevues

19 pour eux.

20 Question: Est-ce que vous avez accepté de le faire?

21 Réponse: Non, je n'ai pas accepté de retourner au camp et de travailler

22 pour eux. Je ne sais pas si j'ai eu raison ou non de réagir de la sorte,

23 mais il y a eu une conférence de presse tenue à Belgrade, donnée par le

24 vice-Président Nikola Koljevic qui… Je ne me souviens pas… je crois qu'il

25 y avait une liste mais, de toute façon, l'essence de la conférence de

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1 presse disait que "nous invitons le monde entier d'aller visiter les camps

2 car nous savons qu'il y a également des Serbes détenus dans les camps, et

3 nous demandons à la presse internationale de se rendre dans ces camps-là".

4 Maintenant, j'avais été en Croatie pendant la guerre, j'ai vu d'horribles

5 choses qui avaient été perpétrées des deux factions, des deux parties

6 belligérantes. Et je dois dire, pour des raisons professionnelles -car

7 j'en avais également parlé à mes supérieurs-, et l'on m'a dit: "Bon,

8 essayons également de garder le dessus de la situation -nous étions déjà

9 allés à Trnopolje, le cirque se dirigeait là- essayons donc de nous

10 maintenir à ce que nous avions fait".

11 Etant donné que j'avais été en Croatie et que j'avais eu une certaine

12 expérience de la guerre en Croatie et que j'avais vu qu'il y avait des

13 victimes des deux parties, je croyais que la meilleure des choses était

14 d'aller de l'autre côté, de passer de l'autre côté. Ce que j'ai fait, en

15 passant par la Hongrie.

16 Question: Effectivement. Est-ce que vous avez visité des camps dans

17 lesquels les Croates se trouvaient dans une zone de Bosnie-Herzégovine

18 contrôlée par les forces croates qui détenaient des Serbes? Est-ce que

19 vous avez publié un article concernant les conditions dans lesquelles les

20 prisonniers étaient détenus dans ces camps-là?

21 Réponse: Oui, effectivement, on a voulu beaucoup… je crois que c'était

22 très difficile, moins que du côté serbe, mais c'était difficile de nous

23 rendre à cet endroit. Avec un collègue de "the asssociated press" nous

24 avons pu, en fait, pénétrer à l'intérieur en disant: "Eh bien, écoutez, je

25 suis la personne qui avait été de votre côté." Les Serbes m'ont permis

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1 d'entrer dans les camps où vos gens sont détenus, car il y avait également

2 des Croates détenus à Omarska ainsi que des Musulmans. Mais je leur ai dit

3 donc: "Pourquoi ne me permettez-vous pas d'entrer?" Il était très

4 difficile, bien sûr, mais on a réussi néanmoins de pénétrer à l'intérieur

5 d'un camp, camp le Dretelj qui était mené par les militia croates appelées

6 le "HOS", et c'étaient des Serbes qui étaient détenus.

7 Plus tard, je suis revenu lorsque les Croates détenaient des Musulmans,

8 plusieurs années plus tard. Je sais maintenant que nous n'avons pas vu

9 l'ensemble du camp, mais c'est ce que je sais maintenant. Mais j'en avais

10 vu assez pour pouvoir dire que les conditions étaient très mauvaises et

11 très éprouvantes, effrayantes pour les prisonniers. Mais, contrairement à

12 ce que les Croates disaient, il y avait également des femmes qui étaient

13 détenues dans un entrepôt qui se trouvait sur les lieux, et j'ai écrit un

14 article là-dessus.

15 Mais vous savez, il faut faire la part des choses. Les conditions étaient

16 très mauvaises, elles étaient pires que les camps que nous avions vus

17 autour de Belgrade. Mais comparativement à Omarska et Trnopolje, ce

18 n'était pas pire.

19 Question: Concernant ce camp en Croatie, qui était contrôlé par les

20 Croates plutôt, vous dites que des femmes étaient également détenues à cet

21 endroit-là?

22 Réponse: Je vois que l'on vient de voir à l'écran, ici, que l'on pouvait

23 comparer les conditions avec Omarska et Trnopolje. Je voulais dire en

24 réalité que l'on ne pouvait pas comparer les conditions qui prévalaient

25 avec Omarska et Trnopolje. Les conditions qui prévalaient dans ces camps-

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1 là, on ne pouvait pas les comparer.

2 Question: Bien. Lorsque, donc, vous vous êtes rendu sur ces lieux, lorsque

3 vous êtes allé au camp d'Omarska par exemple, est-ce que vous avez vu que

4 des femmes qui y avaient été détenues?

5 Réponse: A Omarska, eh bien, il y avait des femmes qui travaillaient dans

6 la cantine. En fait, c'étaient des femmes qui faisaient la cuisine, elles

7 étaient dans la cuisines, c'étaient des membres de la cuisine, mais je

8 n'ai pas vu de femmes en train de manger. Je n'avais pas vu de femmes

9 détenues, mais je sais maintenant que la situation était différente. Je le

10 sais maintenant, mais à l'époque je ne le savais pas. Maintenant, je sais

11 qu'il y avait eu des femmes détenues dans cette prison-là.

12 Question: Lorsque vous avez écrit votre article et que vous l'avez envoyé

13 à la presse internationale ou "international press", ITN, est-il exact

14 que, suite à la publication de votre article et à la diffusion de la

15 cassette vidéo de votre tournage du camp d'Omarska et Trnopolje, la presse

16 internationale s'est ruée vers Belgrade?

17 Réponse: Oui, tout à fait.

18 Question: Et les gens se sont dirigés vers Prijedor de Belgrade?

19 Réponse: Oui, tout à fait.

20 M. Koumjian (interprétation): Bien. Maintenant, juste avant que l'on

21 termine, je souhaiterais que l'on passe des extraits de la diffusion,

22 télédiffusion qu'a fait ITN ce jour-là et qui a fait en sorte que cette

23 réaction soit aussi importante.

24 Est-ce que l'on pourrait passer la cassette, je vous prie?

25 (Intervention de l'huissier.)

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1 Je demanderai à ce que l'on fasse passer la première partie qui ne dure

2 que de 7 à 8 minutes.

3 M. le Président (interprétation): Très bien. J'imagine que nous avons déjà

4 attribué une cote ou il y a déjà un numéro ERN qui y est déjà attribué?

5 M. Koumjian (interprétation): Oui, il s'agit du numéro ERN0401 ou, en

6 d'autres mots, c'est la pièce 825, qui porte la cote 825 en vertu de

7 l'Article 65ter. Et nous n'avons pas encore visionné cette cassette. Donc

8 elle porte la cote ERNV00-0401.

9 M. le Président (interprétation): Très bien.

10 Donc, pour la journée d'aujourd'hui, pour la procédure, nous attribuerons

11 la cote DP4 à cette bande vidéo.

12 M. Koumjian (interprétation): Peut-on faire passer cette cassette?

13 Qu'avez-vous vu d'autres dans les camps?

14 M. Vulliamy (interprétation): Eh bien, je pense que nous pouvons dire

15 c'est que nous en avons vu assez. Nous savons maintenant que nous avons

16 quitté avec… en sachant très bien que quelque chose de très grave s'était

17 déroulé sur les lieux. Nous sommes allés aux deux camps. L'armée serbe

18 nous a escortés, nous avons été évités par eux au premier centre de

19 détention.

20 M. Koumjian (interprétation): Je crois que nous pourrions peut-être

21 terminer le visionnage de cette cassette après le déjeuner, car je n'étais

22 pas sûr si l'on avait commencé du début. Non, vous pouvez donc poursuivre.

23 M. Vukovic (interprétation): Ils nous ont permis l'accès. C'est là où les

24 hommes musulmans sont emmenés, sont interrogés et ceux qui ont été trouvés

25 coupables d'avoir participé à des combats restent dans ce camp-là. Ceux

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1 qui ne sont pas coupables sont envoyés dans des camps de réfugiés. Mais

2 nous avons vu des hommes émaciés très minces qui sont terrifiés. Et

3 seulement 80 des 400 hommes nous les avons vus, nous n'avons pas eu la

4 possibilité de voir les autres détenus et les autres prisonniers. Nous ne

5 pouvions pas voir ce qu'ils faisaient, où ils mangeaient, où ils vivaient,

6 mais nous étions escortés par des hommes armés.

7 Au deuxième camp, certaines personnes de ce deuxième camp étaient venues

8 là d'autres centres de détention et là, nous avons entendu des allégations

9 très sérieuses concernant des passages à tabac, des massacres ainsi que

10 des viols. Nous n'avons pas pu vérifier le tout. Nous étions escortés par

11 des gens que l'on accusait de perpétrer ce genre de choses et nous

12 n'avions pas pu vérifier le tout, mais nous avons pu néanmoins prendre

13 quelques photos pour prouver que des passages à tabac avaient lieu. Nous

14 avons également pu remarquer sur les visages de ces gens qu'ils étaient

15 terrifiés, ils étaient terrorisés. Et nous avions de nouveau pu conclure

16 qu'il est absolument essentiel que l'on permette à la Croix-Rouge de

17 pénétrer à l'intérieur.

18 Voici les prisonniers musulmans d'Omarska en tous petits groupes sous

19 l'œil des soldats armés serbes; ils sont dans la cantine pour prendre leur

20 unique repas de leur journée. Pour la plupart d'entre eux, ils sont là

21 depuis deux mois.

22 Ils disent qu'ils ne savent pas les raisons pour lesquelles ils sont

23 détenus, qu'ils ont été tirés, qu'on les a fait sortir depuis leur demeure

24 et emmenés ici. Ils ont bien peur de parler de la façon dont ils sont

25 traités. Ils ne peuvent pas parler des conditions non plus qui prévalent

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1 au camp, conditions que l'on ne peut pas voir, qui sont cachées des yeux

2 du monde car les Serbes ne permettent pas aux membres des Nations Unies ni

3 à la Croix-Rouge internationale de venir. Il s'agit d'un ancien complexe

4 minier qui se trouve à l'extérieur de Ljubija, en Bosnie du nord.

5 M. le Président (interprétation): On vient de m'informer qu'il n'y a pas

6 d'interprétation en BCS? Est-ce que c'est exact?

7 Docteur Stakic, est-ce que vous pouvez suivre la vidéo dans une langue que

8 vous comprenez?

9 M. Ostojic (interprétation): Oui, Monsieur le Juge, c'est tout à fait

10 exact. Il n'y a pas d'interprétation en BCS.

11 M. le Président (interprétation): Donc il n'y a pas d'interprétation?

12 M. Koumjian (interprétation): Non. Eh bien, justement, il n'y a pas de

13 transcript disponible pour ce passage. Je pourrais faire des recherches

14 car je sais que nous avons cet extrait dans plusieurs endroits, mais je ne

15 sais pas si je vais pouvoir retrouver le transcript.

16 M. le Président (interprétation): Quelle est la durée de l'extrait?

17 M. Koumjian (interprétation): La durée est de 7 à 8 minutes.

18 M. le Président (interprétation): Eh bien, à ce moment-là, je demanderai à

19 ce que l'on fasse passer cette vidéo et que l'on visionne en partie assez

20 courte. Et je demanderai aux interprètes d'avoir la gentillesse de faire

21 de leur mieux pour pouvoir faire l'interprétation afin que le Dr Stakic

22 puisse suivre.

23 Le recueil de déposition est reporté à cet après-midi et nous reprendrons

24 nos travaux à 14 heures 30.

25 Merci.

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1 (L'audience, suspendue à 13 heures, est reprise à 14 heures 35.)

2 Est-ce que le problème a été résolu en ce qui concerne la version en BCS?

3 M. Koumjian (interprétation): Grâce à l'aide précieuse des sténotypistes,

4 nous avons une transcription que notre sténotypiste a réalisé, du passage

5 à partir du point où l'on s'était arrêté. Je pense que ceci pourra aider

6 les interprètes qui pourront ainsi assurer la traduction de cette

7 séquence.

8 Voulez-vous une copie non pas de la transcription comme avait dit

9 l'interprète, mais du compte rendu d'audience?

10 M. le Président (interprétation): C'est important, en effet. Il est

11 important que le Dr Stakic dispose d'une copie.

12 M. Koumjian (interprétation): C'est en anglais, mais les interprètes

13 pourront mieux faire leur travail s'ils sont aidés par le texte.

14 M. le Président (interprétation): Je tiens à remercier tous ceux qui nous

15 ont aidé à obtenir ce document.

16 Commençons. Et puis faites-moi signe si vous ne pouvez pas suivre parce

17 que le débit est trop rapide, j'arrêterai sur-le-champ. Mais je pense que

18 nous pouvons commencer la diffusion de la séquence vidéo.

19 M. Koumjian (interprétation): Nous avons la cassette à l'endroit où nous

20 nous étions arrêtés, pas depuis le début.

21 M. le Président (interprétation): C'est donc là l'élément de preuve qui

22 sera à la disposition de la Chambre désormais.

23 Commençons avec la bande-son si possible.

24 (Diffusion et traduction de la bande-son.)

25 "C'est important que les Nations Unies et la Croix-Rouge puissent avoir

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1 accès à ces camps en Bosnie le plus vite possible. Nous avons beaucoup

2 d'angoisse et d'appréhension quant à ce qu'il se passe et nous pensons

3 qu'il se passe des choses horribles. Nous sommes allés dans deux camps,

4 l'un était un centre de détention. Nous avons été accueillis par l'armée

5 serbe qui nous a protégés et nous avait invités.

6 Dans le premier centre de détention, nous avons reçu un accès très limité.

7 Et c'est là que l'on amène les hommes musulmans pour les interroger; ceux

8 qui sont constatés coupables sont quelques fois emmenés dans des camps de

9 guerre".

10 (Interruption de la diffusion.)

11 M. Koumjian (interprétation): J'ai demandé qu'il y ait une interruption

12 pour que les interprètes puissent rattraper le temps perdu.

13 (Reprise de la diffusion et de la traduction vidéo.)

14 "Nous avons vu des hommes très âgés, émaciés, ayant trop peur pour nous

15 parler. Mais je pense que sur 140 prisonniers nous n'avons pu en voir que

16 80; nous n'avons pas pu voir les autres ni voir où ils étaient, comment

17 ils vivaient. Nous avons été escortés sous la menace des armes.

18 Dans le deuxième camp, il y avait des gens qui venaient de ce centre de

19 détention et d'autres camps. Et puis, là, il y a eu des allégations très

20 graves qui ont été formulées: sévices, sévices sexuelles, viols et même

21 des tirs. Impossible de les vérifier, nous n'avons pas pu vérifier leur

22 exactitude car nous étions escortés par ceux qui sont accusés de ces

23 crimes. Nous avons pu faire sortir quelques photos qui montrent qu'il y a

24 des sévices qui sont perpétrés et nous avons vu suffisamment de terreur

25 sur les visages de ces gens pour dire de façon très certaine qu'il faut

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1 que ceci soit tiré au clair une bonne fois pour toutes et qu'il faut

2 laisser entrer la Croix-Rouge.

3 Ce sont ici les prisonniers musulmans d'Omarska. Par petits groupes, et

4 lourdement surveillés par des Serbes, ils sont amenés à la cantine pour y

5 prendre le seul repas qu'ils auront ce jour-là. Comme tous les jours. La

6 plupart d'entre eux sont ici depuis deux mois. Ils disent ne pas savoir

7 pourquoi, mais ils ont été emmenés de chez eux.

8 Ils avaient trop peur pour parler de la façon dont ils étaient traités et

9 des conditions de leur détention. Ce sont des conditions qui ont été

10 cachées des yeux du monde car les Serbes n'ont pas autorisé les Nations

11 Unies ni la Croix-Rouge internationale à pénétrer dans ces lieux.

12 Leur prison, c'est une vieille mine désaffectée aux abords de Banja Luka

13 dans le nord de la Bosnie, où, dans un bureau qui se trouve au-dessus de

14 la cantine, le commandant du camp et la porte-parole des autorités locales

15 serbes nous ont dit qu'ils avaient 2.000 ennemis, des personnes qui sont

16 qualifiées d'interner, personnes qui sont interrogées et dont on soupçonne

17 que ce sont des combattants musulmans.

18 -La porte-parole: Ce n'est pas un camp, c'est un centre, un centre de

19 transit. Omarska et Trnopolje, ce sont des centres pas des camps.

20 -Journaliste: Les prisonniers sont amenés de la cantine vers le centre

21 industriel, le centre de ce complexe minier. Là aussi la surveillance des

22 gardes est très lourde. Nous avons demandé à avoir l'autorisation de

23 regarder à l'intérieur. Mais, en dépit des promesses d'ouverture et de

24 franchise de M. le Dr Karadzic, dirigeant des Serbes de Bosnie, c'est tout

25 ce que nous nous avons pu voir.

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1 -Porte-parole: Pourquoi est-ce que vous ne répondez pas aux promesses

2 faites par le Dr Karadzic?

3 -Journaliste: Il nous a promis quelque chose d'autre".

4 (Interruption de la diffusion vidéo.)

5 M. Koumjian (interprétation): La dernière séquence vidéo que nous avons

6 vue, c'était en fait les prises de vue avant montage. Ici, vous avez

7 maintenant après montage et vous avez vu diverses images avant et après

8 montage.

9 M. le Président (interprétation): Merci.

10 (Suite de la diffusion vidéo.)

11 "-Q: Maintenant, on nous force à quitter ce camp alors qu'on n'a rien vu

12 d'autre que la cantine. On nous a dit que les promesses que le Dr Karadzic

13 nous avait faites n'avaient pas de poids ici. Alors que nous partions, des

14 soldats nous ont dit que ce n'était pas l'armée qui contrôlait le camp.

15 D'après eux, ce sont les autorités locales et la milice, la police qui

16 administre ce camp. Nous avions demandé à être emmenés dans un autre

17 endroit à Trnopolje, autre camp de la région où il y a plusieurs centaines

18 de prisonniers d'Omarska qui ont été transférés ce jour-là, où il y a des

19 allégations d'atrocités.

20 Les conditions ici sont déplorables: chaleur torride, des centaines

21 d'hommes sont forcés à dormir et à manger à l'extérieur, dans un champ,

22 derrière des barbelés. Tout ce qu'ils ont pour maigre ration, c'est un

23 petit bout de pain et un bol de soupe chaque jour.

24 Là aussi les hommes nous ont dit avoir été emmenés; des villages entiers

25 ont été vidés de leurs hommes et ces hommes ont peur.

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1 -Q: Pourriez-vous me parler des conditions de votre détention ou est-ce

2 que c'est difficile?

3 -Prisonnier: Je ne suis pas sûr que j'ai le droit d'en parler. Est-ce que

4 vous me comprenez?

5 -Q: Est-ce que des gens ici sont passés à tabac?

6 -Prisonnier: Ici non, ici non, pas ici. Mais je préfère ne pas en parler.

7 -Q: Pourriez-vous nous parler des conditions de votre détention et du

8 traitement qui est réservé aux gens qui sont avec vous?

9 -Prisonnier: Les temps sont difficiles. Qu'est-ce qu'on peut dire d'autre?

10 -Q: Nous avons entendu des gens dire que les gens avaient été passés à

11 tabac, avaient disparu.

12 -Prisonnier: Je ne peux pas dire grand-chose. On vient juste d'arriver.

13 -Q: D'un autre camp?

14 -Prisonnier: Oui, d'un autre camp, et nous ne savons pas quelles sont les

15 conditions qu'il y a ici. Nous pensons que c'est un peu mieux ici.

16 -Q: C'était comment avant?

17 -Prisonnier: C'était terrible.

18 -Q: Un des prisonniers nous a dit de repasser plusieurs jours plus tard

19 pour voir s'il n'a pas été puni pour nous avoir parlé. Et loin des

20 caméras, il y a eu des allégations formulées de passages à tabac

21 routiniers, d'exécutions. Plusieurs prisonniers nous ont dit qu'il y a eu

22 des meurtres par représailles. Un exemple notamment qui a été invoqué,

23 c'est celui de 150 prisonniers qui ont été tués suite à la mort de dix

24 soldats serbes dans un village musulman; nous avons entendu dire que des

25 gens avaient été battus à mort et l'on nous a demandé de sortir à l'insu

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1 des gardes un film du camp. Ces images montrent des blessures graves,

2 apparemment suite aux sévices subis.

3 Dans le centre médical de fortune, il y a eu des cas de malnutrition, de

4 diarrhée. Les docteurs locaux ont dit qu'il y avait une pénurie chronique

5 de médicaments et il y avait, parmi ces médecins, un médecin musulman.

6 Nous lui avons demandé s'il y a eu des cas de passages à tabac.

7 -R: Nombreux. Il y avait, parmi les maladies, les cas de galle.

8 -Q: D'un côté du camp, il y a des réfugiés qui sont ici car ils n'ont

9 nulle part où aller car leur maison a été détruite. On leur a dit qu'ils

10 pourraient partir dès qu'il y aurait un foyer qui pourrait leur être

11 garanti en dehors de la Bosnie contrôlée par les Serbes.

12 A Banja Luka, les épouses des prisonniers font la queue depuis des jours

13 entiers pour essayer de pêcher les nouvelles qu'elles peuvent à propos de

14 leur mari et pour les enregistrer comme réfugiés car, eux non plus, n'ont

15 nulle part où aller. Sur les routes qui mènent à Banja Luka, les villages

16 musulmans sont vides, désertés, les maisons détruites. Et s'il y a peut-

17 être une liberté pour ces gens qui se trouvent dans ces centres de

18 détention, il est peu probable que ce soit dans cette Bosnie contrôlée par

19 les Serbes".

20 (Fin de la diffusion vidéo.)

21 M. Koumjian (interprétation): Je demande que cet élément soit versé au

22 dossier.

23 M. le Président (interprétation): J'ai essayé de suivre en BCS pour voir

24 ce qu'il en était.

25 Lorsque nous avons vu cette queue de personnes, cela se passait dans

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1 quelle ville? Est-ce que vous vous en souvenez, Monsieur le Témoin?

2 M. Vulliamy (interprétation): Eh bien, si je me souviens bien, c'était à

3 Prijedor et pas à Banja Luka. Je crois qu'il y a eu une erreur au niveau

4 du commentaire.

5 M. le Président (interprétation): Est-ce que ceci correspondrait à ce que

6 vous avez décrit précédemment, lorsque vous avez parlé de personnes qui

7 faisaient la queue devant le poste de police?

8 M. Vulliamy (interprétation): Si j'ai bien reconnu ces images,

9 effectivement, c'était cette queue qu'il y avait devant le poste de

10 police.

11 M. le Président (interprétation): Je vous remercie. Poursuivez, Monsieur

12 Koumjian.

13 M. Koumjian (interprétation): Monsieur Vulliamy, il y a donc eu diffusion

14 de ce programme. Vous avez dit que vous étiez à Belgrade. Avez-vous eu

15 l'occasion de parler à M. Koljevic à la suite de la diffusion de ce

16 reportage fait de votre visite à Omarska et Trnopolje?

17 M. Vulliamy (interprétation): Oui, nous avons pris le thé à l'anglaise

18 ensemble à l'hôtel Hayatt.

19 Question: Est-ce que M. Koljevic a fait des remarques concernant les

20 visites que vous avez effectuées dans les camps?

21 Réponse: Oui. Il a fait une plaisanterie assez complexe ou assez dure à

22 mes dépens et aux dépens des médias, du monde dans le fond. Il a dit en

23 guise de boutade: "Alors, vous les avez trouvés? Eh bien, cela va vous

24 donner du matériel… Cela vous a pris beaucoup de temps, n'est-ce pas?" Et

25 il a condamné le fait que les médias se concentraient sur le siège de la

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1 capitale qu'est Sarajevo. Et il a parlé de cette ville, cette vieille et

2 adorable ville pluriethnique qui a une université, où il y avait un siège.

3 Il a dit: "Oui, c'est nous les Barbares qui avons fait le siège". Et puis

4 il a continué sa boutade en disant évidemment, qu'à Prijedor, il n'y avait

5 pas de jeux olympiques d'hiver qui se déroulaient et que personne ne

6 passait ses vacances à Trnopolje. Nous avons ri pour des raisons diverses;

7 je me suis dit qu'il n'avait pas tout à fait tort.

8 Question: Et est-ce qu'il a parlé de Venise?

9 Réponse: Oui, il a dit que tout ceci se passe en fait sur le seuil de

10 cette ville de Venise, à quelques kilomètres à peine de la ville.

11 Question: Vous avez parlé de camps qu'il faudrait visiter, où se

12 trouvaient détenus des Serbes dans un territoire contrôlé par le HOS, le

13 HOS notamment, la milice croate. Est-ce que, pour vous, c'était là une

14 menace qui était formulée?

15 Réponse: Eh bien, j'ai fait l'objet de menaces proférées par le commandant

16 du camp. Et notamment, je pense aussi une des unités du HOS dans ce camp

17 proche de la ville de Capljina.

18 Nous insistions pour savoir ce qu'il en était de la présence des femmes

19 dans le camp. On nous avait fait passer à toute vitesse, et il m'a dit:

20 "Si vous êtes un journaliste, vous êtes un peu comme un espion: moins on

21 en sait plus longtemps on vit". Il m'a dit: "Ne parlez pas des femmes". Je

22 n'ai pas pensé que ma vie était en danger, on s'habitue à ce type de

23 menace, mais c'était une menace quand même assez menaçante. Je rentrais à

24 Zagreb et je tenais un peu à savoir où j'étais parce que, effectivement,

25 j'avais parlé des femmes.

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1 Question: Est-ce que vous avez parlé de ces femmes dans un article? Est-ce

2 que vous avez mentionné nommément cet officier croate qui vous avait

3 menacé?

4 Réponse: Oui, je suis sûr que j'ai publié, mais je ne me souviens pas du

5 nom.

6 Question: Est-ce que c'était M. Krstic, Miro Krstic, commandant Miro

7 Krstic?

8 Réponse: Maintenant que vous le dites, cela me rappelle que c'est bien son

9 nom.

10 Question: Est-ce que c'était dangereux de suivre les événements en Bosnie

11 pour un journaliste?

12 Réponse: Oui, je pense qu'il n'était pas à l'abri du danger; 42

13 journalistes ont été tués, c'étaient surtout des membres de la presse

14 locale, des agences locales, mais il y en a d'autres qui ne venaient pas

15 de la région. Et moi-même, personnellement, j'ai aidé à récupérer le corps

16 d'un cameraman de la BBC, un Croate en Bosnie centrale. Nous sommes allés

17 chercher son corps avec une unité de l'armée croate; il avait été tué par

18 un obus de char serbe alors qu'il était au volant d'un véhicule qui

19 portait clairement l'indication "presse".

20 Question: Vous avez effectué ces visites. Il y a eu publication de votre

21 article consacré aux civils serbes qui étaient détenus dans des camps

22 contrôlés par des HOS. Est-ce que vous êtes rentré à Prijedor le 17 août

23 1992?

24 Réponse: Oui. Et j'avais une raison bien précise pour ce faire.

25 Question: A l'occasion de cette visite, est-ce que tout d'abord vous avez

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1 obtenu l'autorisation officielle de la Republika Srpska?

2 Réponse: Non.

3 Question: Quel est le contexte, qu'est-ce qui vous a poussé à retourner

4 dans la municipalité de Prijedor le 17 août?

5 Réponse: Oui. Je revenais du camp du HOS. Je suis rentré à Zagreb, et, dès

6 mon arrivée, j'ai dû relater une décision prise par le gouvernement croate

7 qui était de fermer ses frontières parce qu'il y avait maintenant un flux,

8 un afflux de réfugiés, de déportés qui traversaient la frontière, surtout

9 à Karlovac -j'ai déjà parlé de cette ville-, mais ils passaient la

10 frontière ailleurs aussi. La Croatie, à ce moment-là, était devenue une

11 jeune nation, mais, au fond, elle était remplie de réfugiés, de déportés.

12 Et je me souviens avoir dit que le gouvernement avait déclaré qu'ils

13 avaient maintenant 6.000 personnes de Bosnie dans le pays et que le pays

14 était plein. C'est pour cela que les frontières ont été fermées.

15 Des collègues et moi, nous en parlions à Zagreb. Je ne sais plus

16 exactement qui a tenu ces propos, mais ceci revenait à dire que: "Voilà la

17 porte de devant est fermée, mais ils ne vont pas cesser de déporter des

18 gens. Donc autant savoir où ces gens vont et quelle est la porte de

19 derrière, par où ils vont passer".

20 Et nous nous sommes rendu compte assez… conscients de cela qu'il nous

21 fallait d'abord nous nettoyer ethniquement, nous-mêmes, et savoir de

22 l'intérieur pour apprendre de l'intérieur où ces gens étaient déportés. Et

23 comment y parvenir? En passant de la Croatie, dans une zone de la Croatie

24 qui était contrôlée par les Serbes et dans la partie serbe de Bosnie,

25 qu'on appelait à l'époque la "République serbe de Bosnie-Herzégovine",

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1 pour aller plus précisément à Prijedor.

2 Question: Avec qui avez-vous voyagé et par quel moyen?

3 Réponse: Nous avons loué une voiture. Andrej Gustincic(?), un collègue à

4 moi de l'agence Reuters. Il est yougoslave.

5 Question: Et puisqu'il parlait la langue, vous n'avez pas eu besoin

6 d'interprète? Vous n'étiez que vous deux?

7 Réponse: Effectivement. Plus tard, Maud Beelman de l'"Associated Press",

8 l'agence AP, nous a rejoint plus tard. Mais, en toute franchise, j'avais

9 travaillé avec Andrej Gustincic(?)beaucoup par le passé en Croatie. Il

10 n'avait pas de permis de conduire. Donc moi je conduisais et lui

11 traduisait, c'était notre arrangement.

12 Question: Il n'y avait donc pas d'interprète?

13 Réponse: Non.

14 Question: Où êtes-vous allés précisément dans la zone de Prijedor?

15 Réponse: Nous sommes allés à Prijedor même, nous sommes passés rapidement

16 par le centre civique; je ne me rappelle plus pourquoi, peut-être pour un

17 briefing de la police. Et puis, nous avons pris la route en direction de

18 Banja Luka. Et on est passé devant Omarska qu'on a reconnu et là, nous

19 avons vu quelque chose qui était peut-être intéressant pour nous,

20 journalistes dans l'exercice de notre profession, mais sinon, sur le plan

21 humain, c'était assez déprimant.

22 C'était un long convoi surtout composé de voitures, il y avait dans ce

23 convoi quelques bus, quelques camions, et ces véhicules étaient arrêtés.

24 C'était un long convoi qui était arrêté le long de la route.

25 Question: Avez-vous parlé à des gens qui faisaient parti de ce convoi pour

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1 savoir d'où ils venaient et où ils allaient?

2 Réponse: Oui, nous nous sommes infiltrés, enfin nous nous sommes glissés

3 dans ce convoi. Nous avons placé notre voiture dans la file et, bien sûr,

4 nous avons commencé à parler aux gens. Ces gens venaient d'une ville qui

5 s'appelle Sanski Most, ville qui est au sud de Prijedor.

6 Ces personnes avaient été rassemblées ce matin-là. Manifestement, selon

7 leurs dires, des violences extrêmes avaient été perpétrées contre leurs

8 maisons. On leur avait dit de se rassembler, de quitter la ville en

9 formant ce convoi. Mais tout du moins, au départ, lorsqu'on leur a parlé,

10 ces gens ne savaient pas où ils allaient.

11 Question: Est-ce qu'il y avait des membres de la police ou de l'armée qui

12 escortaient ce convoi?

13 Réponse: Oui, il y avait des gardes armés. D'après ce que j'ai pu en

14 juger, c'étaient surtout des membres des unités de la police civile. Ils

15 ne portaient pas l'uniforme de camouflage vert mais ils étaient en

16 uniforme bleu.

17 Question: Est-ce que c'était une tenue de camouflage ou est-ce que c'était

18 la chemise bleue de la police?

19 Réponse: Si je me souviens bien c'était une chemise, plus exactement une

20 chemise de la police bleu clair. Certains avaient des espèces d'anorak

21 bleu foncé ou des vestes matelassées.

22 Question: Pourriez-vous relater le périple que vous avez fait avec ce

23 groupe? Nous essaierons de ne pas vous interrompre. Est-ce que vous aviez

24 comme impression de faire parti d'un de ces convois qui quittait la

25 Krajina pour aller vers Travnik?

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1 Réponse: Vous parlez de Travnik. Effectivement, plus tard, au cours de la

2 journée, certains se sont dit que nous allions peut-être en direction de

3 Travnik. Moi, je n'avais jamais entendu parler de cet endroit. La

4 confusion n'a cessé d'augmenter -la terreur aussi- au fil de la route. Ils

5 s'étaient arrêtés le long de la route, c'est là qu'on les avait trouvés et

6 c'était là que nous avons appris plus tard un des nombreux arrêts qui

7 avaient été effectués sur la force.

8 Nous avons traversé Banja Luka, puis nous avons quitté la route principale

9 à un carrefour. La route a commencé à monter. Le relief devenant plus

10 accidenté, plus vallonné, il y a eu plusieurs arrêts. Je me souviens qu'il

11 y a une voiture qui tombait en panne. Je n'oublierai jamais la terreur qui

12 s'est inscrite sur ces traits lorsqu'il s'est dit qu'il n'allait peut-être

13 plus bénéficier de la protection numérique que formait le groupe dans un

14 lieu, sur un terrain qui était de plus en plus plus hostile.

15 Ils se sont hâtés d'attacher une corde à sa voiture pour qu'il puisse être

16 tiré par la voiture qui le précédait. C'était la voiture qui était juste

17 devant nous. Nous avons traversé Skender Vakuf, moi j'ai été arrêté. Un

18 soldat devait avoir pas mal bu, il a commencé à me parler. J'avais assez

19 peur parce que je ne voulais pas trahir mon origine d'étranger; j'ai fait

20 semblant d'être sourd-muet, j'ai fait des gestes. "Il vient d'Australie,

21 il y a erreur". Et cet homme m'a tordu le poignet, a ouvert la porte et a

22 fermé la portière d'un cou-de-pied. Voilà le type de climat qui régnait.

23 On a vu pas mal de choses que je trouve intéressantes parce qu'on ne voit

24 pas souvent la position de l'artillerie serbe. On voyait les canons

25 dressés au sommet des collines, c'était intéressant. Ce n'est peut-être

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1 pas important ici pour cette procédure, mais c'était intéressant de voir

2 combien de matériels il y avait. Il y avait beaucoup de pièces, de

3 munitions et il y avait des gens qui faisaient le salut serbe lorsque nous

4 passions, qui criaient des injures, qui crachaient sur nous. Puis, nous

5 sommes arrivés à Vitovlje.

6 Je me souviens qu'il y a des gens qui ont traversé un champ en courant.

7 Les gardes villageois qui se sont mis à crier quelque chose qui m'était

8 traduit par Andrej comme signifiant "abattez-les!". Apparemment, le terme

9 utilisé s'applique plutôt à des animaux qu'à des personnes, c'est ce que

10 m'a dit Andrej. La nuit a commencé à tomber, nous nous sommes arrêtés sur

11 le bord de la route une fois de plus. Nous étions à un endroit qui avait

12 l'air d'une coopérative agricole, en tout cas un endroit où l'on élève des

13 poulets.

14 L'un d'entre nous, une dame, s'est demandé si cela allait être notre

15 ultime destination. Est-ce qu'il fallait dire maintenant l'indicible? Est-

16 ce que c'était un camp? Est-ce qu'ils allaient nous tuer? On ne le savait

17 pas, on ne savait pas du tout ce qui passait, où on allait.

18 Parce qu'une fois sortis de Vitovlje, on passait par des montagnes et on

19 entendait dans les buissons, le long de la route, à la tombée de la nuit,

20 le bruit des canons qui tiraient par dessus le convoi. Il y avait eu un

21 avant-dernier arrêt et, à ce moment-là, nous avons fait le décompte des

22 véhicules du convoi. Il y avait 58 voitures et peut-être 8 bus et camions

23 avec, en tout, 1.600 personnes.

24 Ils ont parcouru le convoi. Apparemment, ils ont dépouillé les gens de ce

25 qu'ils avaient, ils n'ont rien pris de ce qui nous appartenait. Nous nous

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1 sommes dit qu'à ce moment-là il était peut-être souhaitable que nous

2 expliquions que nous faisions partie de la presse.

3 Ils ont pris notre essence mais ils ont continué à parcourir le convoi. A

4 ce moment-là, le nombre des tirs avaient augmenté. Je ne crois pas qu'on

5 tirait sur nous mais je pense que ceci s'inscrivait dans les échanges de

6 tirs qui se déroulaient là où nous allions, à savoir sur la ligne de

7 front. C'était un endroit appelé "Smet". Les gens qui nous avaient

8 escortés jusque là… la police était rentrée à Prijedor. Maintenant, nous

9 étions entre les mains d'autres personnes. Il y avait parmi ces personnes

10 des irréguliers, des gens qui portaient un uniforme de paramilitaire.

11 Au fond, ils ont forcé des gens à descendre des voitures, ils avaient

12 leurs armes à bout portant, ils ont pris toutes les voitures. Certains

13 occupants des voitures ont eu les voitures dépouillées de tout ce qu'il y

14 avait, on a fouillé les coffres des voitures et puis les voitures ont été

15 emmenées. Nous n'avons pas été emmenés. Nous avons réussi à parler aux

16 gens qui se trouvaient au point de contrôle. Andrej et moi, nous avons pu

17 parler légèrement de l'équipe de football de Belgrade; nous tenions

18 absolument à nous faire bien accepter par les gens qui tenaient ce point

19 de contrôle.

20 Et puis, je sais que nous avons fait quelque chose qu'on n'aurait pas dû

21 faire, qu'on ne doit jamais faire en temps de guerre, c'est-à-dire

22 franchir les lignes de front; c'est la première chose à éviter, mais c'est

23 ce que nous avons fait. Le convoi est reparti à pied alors que la nuit

24 était tombée -nous mis à part-, ainsi que quelques voitures qui, je ne

25 sais pas pourquoi, ont pu rester.

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1 Nous sommes arrivés à un ensemble rocheux, c'est à la ligne de démarcation

2 entre les deux territoires: d'un côté, il y avait vraiment une falaise

3 abrupte et de l'autre côté on voyait bien qu'il y avait des mines qui

4 avaient été posées.

5 Nous avons abandonné nos voitures à cet endroit et nous avons escaladé ces

6 rochers. Nous étions 1.600 à le faire dans la nuit avec, parmi nous, des

7 enfants, des personnes très âgées; notamment, il y avait un handicapé dans

8 sa chaise roulante, on a dû le sortir. Il y avait des petits nounours, ce

9 genre de chose.

10 Une fois que nous avons pu franchir ces rochers, nous étions pratiquement

11 sur le terrain des combats. Je sais, maintenant, qu'en contre-bas, il y

12 avait Kocice(phon), un village qui était pilonné et il y avait du sang sur

13 la route. Il ne venait pas de couler mais il n'y avait pas longtemps qu'il

14 avait coulé. On entendait le bruit de mortier.

15 Moi, j'ai marché, j'ai trébuché sur un corps, une partie de corps qui se

16 trouvait gisante sur la route. Il y avait eu des combats très violents

17 manifestement dans la région. Nous avons poursuivi notre chemin. Nous

18 étions encadrés et nous avons dû former un rang; c'était un homme qui

19 avait beaucoup d'initiative qui nous a poussés à le faire. Ceci nous

20 permettait de minimiser les risques car, si nous avions été touchés, nous

21 aurions été plusieurs à être blessés.

22 Nous avons poursuivi notre route pendant près de 14 heures. Il y avait un

23 homme -je ne l'oublierai jamais- qui était en pantoufles et j'ai appris

24 par la suite qu'il a trouvé la mort.

25 Les conflits étant violents dans la vallée, on nous a dit de partir vers

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1 la montagne par une petite piste. Maintenant je sais qu'il s'agissait du

2 Mont Vlasic, je ne le savais pas à l'époque. Sur l'autre versant, nous

3 avons rencontré les premiers membres de l'armée de Bosnie-Herzégovine,

4 l'armée du gouvernement de Bosnie, à Turbet. Et un jeune homme nous a dit:

5 "Bienvenue à Travnik, vous pouvez maintenant monter dans des camions."

6 Je n'oublierai jamais cette femme qui a touché cet homme, qui l'a touché

7 au bras parce qu'elle ne croyait pas qu'il était en chair et en os. Et

8 puis nous sommes arrivés à Travnik et cela avait été une longue journée

9 très éprouvante.

10 Question: A la suite de ce voyage, est-ce que vous avez essayé d'obtenir

11 une autorisation pendant que la guerre sévissait encore pour pouvoir

12 rentrer en Republika Srpska?

13 Réponse: Oui, j'ai fait plusieurs demandes, de cinq à dix.

14 Question: Avez-vous été finalement autorisé à rentrer en Republika Srpska?

15 Réponse: A certaines reprises j'ai pu parvenir jusqu'à Pale depuis

16 Sarajevo. Mais c'est la femme qui était responsable de l'accréditation de

17 la presse, c'était en fait la fille du Dr Karadzic, Karadzic Sonja qui m'a

18 refusé cet accès. Je n'ai pas été autorisé à retourner sur les lieux.

19 Question: Voulez-vous que l'on revienne un instant à la vidéo où nous

20 avons vu des femmes qui faisaient la queue, où vous avez indiqué que

21 c'était à Prijedor, à l'extérieur du bâtiment municipal; est-ce exact?

22 Réponse: Si ce n'était pas le cas, c'était très analogue à ce que nous

23 avons vu à Prijedor. Je ne pense pas que c'était à Banja Luka.

24 M. Koumjian (interprétation): Est-ce que cette file de femmes était

25 visible de l'entrée du devant de l'immeuble de l'assemblée municipale?

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1 M. Vulliamy (interprétation): Oui c'était juste en face.

2 M. le Président (interprétation): Serait-il possible que le service

3 compétent nous fournisse d'ici demain une image qui nous permettrait

4 d'identifier les bâtiments alentours?

5 M. Koumjian (interprétation): Je vais demander cela ou je vais essayer de

6 le trouver dans une vidéo qui montre davantage les bâtiments alentours.

7 Je voudrais maintenant que l'on progresse. Vous avez dit tout à l'heure

8 que vous avez été ensuite nommé à Washington et que vous êtes revenu tout

9 à fait à la fin de la guerre, en 1995, avec comme mission d'écrire une

10 série d'articles de rétrospectives concernant ce qui s'était passé et qui

11 n'avait pas encore été raconté concernant la guerre. Est-ce exact?

12 M. Vulliamy (interprétation): Oui, je pense que c'était aux alentours de

13 février 1994. J'avais reçu pour instructions très nettes de mon journal de

14 quitter la Bosnie. Puis ma rédaction a pensé que j'avais fait ce travail

15 pendant trop longtemps. J'ai voulu essayer de résister, mais ils m'ont

16 fait partir. Je suis rentré en Amérique et on m'a demandé d'y retourner,

17 mais, finalement, le chef du bureau aux Etats-Unis à qui je l'ai demandé,

18 à qui j'ai demandé d'être transféré dans les Balkans… c'est donc à ma

19 demande que j'y suis retourné.

20 J'étais basé à Londres et j'ai couvert la couverture de la conclusion de

21 la guerre; je suppose depuis le début de l'été 1995, la chute de Srbrenica

22 et le bombardement de l'Otan qui a mis fin à la guerre. Et puis, je me

23 suis donc retrouvé avec mon rédacteur en chef, le rédacteur en chef

24 étranger qui est maintenant un nouveau rédacteur en chef, qui a étudié la

25 question avec moi pour voir ce que c'était exactement que ce conflit. Nous

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1 n'avons pas pensé que l'ensemble était vraiment… Il m'a demandé de

2 procéder à une recherche et d'écrire une longue série d'articles dans

3 lesquels nous allions, en quelque sorte, essayer de retracer ce que

4 j'avais vu, essayer de voir quelles étaient les différentes étapes de la

5 guerre, et des tentatives diplomatiques pour essayer d'éclairer le cadre

6 général de ce qui s'était passé de semaine en semaine pendant des années.

7 Question: En février 1996, vous êtes retourné à Prijedor?

8 Réponse: Oui.

9 Question: A l'époque vous avez essayé d'interviewer ou vous avez

10 interviewé certaines personnes?

11 Réponse: Oui, je voulais retourner à Omarska. Et je voulais retrouver et

12 interviewer les personnes que nous avions vues une première fois.

13 Question: Avez-vous essayé d'aller à Omarska en février 1996? Et ceci,

14 c'est simplement pour nous le rappeler, c'était après Dayton, n'est-ce

15 pas?

16 Réponse: Oui, c'est tout à fait après la fin de la guerre. La guerre a

17 pris fin par les accords de Dayton. Effectivement, avec un collègue je me

18 suis rendu à Omarska, à l'ancien camp qui était redevenu une exploitation

19 minière. J'ai eu l'occasion finalement de bien regarder le site et les

20 environs. Il y avait là trois gardes à l'entrée, cette fois devant

21 l'entrée. Ils ne nous ont pas autorisé à entrer, mais nous leur avons

22 parlé et ils nous ont dit qu'il n'y avait pas eu de camp là et que tout

23 cela c'étaient des mensonges. Et nous avons parlé des photos, ils ont dit

24 que c'étaient des montages.

25 Question: Est-ce que vous leur avez demandé leur nom?

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1 Réponse: Oui, ils ont refusé de donner leur nom en se référant à ce

2 Tribunal-ci, en disant qu'un homme du nom de Tadic avait été arrêté et

3 emmené ici. Et cela, j'étais au courant puisque j'avais été interviewé à

4 son sujet par le Tribunal. Non pas à son sujet, mais au sujet des camps.

5 Et ils ont dit: "Non, non, pas de nom s'il vous plaît. Nous avons eu une

6 conversation intéressante mais nous ne voulons pas donner de noms. On ne

7 peut jamais savoir ce qui se passera; on a emmené Tadic à La Haye". Et ils

8 nous ont dit qu'ils le connaissaient, qu'il avait un café et ainsi de

9 suite. C'était dans ce genre-là.

10 Question: Parmi les personnes que vous avez interviewées en février 1996,

11 avez-vous interviewé Milan Kovacevic?

12 Réponse: Oui.

13 Question: Pouvez-vous nous dire à quel endroit et comment vous avez repris

14 contact avec le Dr Kovacevic et où vous l'avez interviewé?

15 Réponse: Nous l'avons interviewé sur son lieu de travail qui était

16 l'hôpital de Prijedor et nous avons découvert qu'il en était le directeur.

17 Et si vous voulez m'excuser de l'expliquer maintenant, mais, à Banja Luka,

18 la nuit qui a suivi notre visite à Omarska, c'est-à-dire lorsque nous nous

19 sommes efforcés de parler à M. Drljaca sans succès, un traducteur parlant

20 serbe, à l'interprète serbe, qui travaillait avec un autre collègue, il se

21 trouve qu'on s'est retrouvés dans un restaurant. Nous parlions de ce que

22 nous espérions pouvoir faire, et c'est cette personne qui savait où le Dr

23 Kovacevic se trouvait.

24 Question: Lorsque vous dites "nous", y avait-il d'autres journalistes avec

25 vous à ce moment-là, dans ce voyage? Qui était-ce?

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1 Réponse: Son nom était Georges Cohen. Il travaillait pour le "New York

2 Times".

3 Question: Est-ce qu'il y avait un interprète indépendamment de vous-même

4 et M. Cohen?

5 Réponse: Oui, nous souhaitions qu'il nous accompagne parce que cette

6 personne était particulièrement expérimentée et au courant. Il y avait une

7 personne qui ne pouvait pas venir avec nous et elle avait recommandé

8 quelqu'un qu'elle considérait comme tout à fait compétent et cette

9 personne était à Bijeljina; on l'a appelée et elle est venue nous

10 rejoindre.

11 Question: Vers quelle heure de la journée était-ce? Est-ce que vous avez

12 interviewé le docteur?

13 Réponse: C'était à 9 heures du matin.

14 Question: Où cela?

15 Réponse: Dans son bureau.

16 Question: Pourriez-vous nous dire ce que vous vous rappelez sans consulter

17 vos notes, ce que vous vous rappelez six ans plus tard concernant cette

18 conversation? Ensuite, plus tard, nous pourrons revenir sur vos notes.

19 Réponse: Je me rappelle que j'étais assez tourmenté par l'ensemble. Il a

20 apporté une bouteille d'eau-de-vie qu'il a sortie d'un placard; il en a bu

21 une certaine quantité et, pour résumer les choses, ce qu'il nous disait

22 était un mélange de remords, une attitude en quelque sorte obsédée...

23 Comment pourrais-je dire? Avec, de temps en temps, des éclats d'amertume

24 sur ce qui s'était passé.

25 M. Koumjian (interprétation): Pensez-vous qu'il vaudrait mieux pour vous

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1 de lire les notes manuscrites que vous avez prises en sténo pour essayer

2 d'avoir, autant que possible, les détails de cette conversation?

3 M. Vulliamy (interprétation): Ceci, bien entendu, je suis à la disposition

4 des membres de la Chambre, si la Chambre le souhaite.

5 M. le Président (interprétation): Nous savons tous que les dépositions de

6 témoins, dans la plupart des cas, sont les pires éléments de preuve, et

7 donc, sur la base de notes personnelles, sans aucun doute, il peut y avoir

8 une valeur probante supplémentaire. Mais je pense donc qu'il serait bon

9 que ces notes soient distribuées aux parties. Et pour autant que je

10 comprenne les choses, les pages restantes sont sous scellés pour des

11 raisons particulières. Puis-je demander pourquoi?

12 M. Koumjian (interprétation): Ce sont des notes personnelles. Je voudrais

13 d'abord demander au témoin, je voudrais poser des questions concernant une

14 conversation avec le Dr Stakic. J'aimerais qu'il puisse les relire et voir

15 si ces notes que j'ai là contiennent une relation de ses interviews avec

16 le Dr Kovacevic et le Dr Stakic. Je voudrais lui demander s'il y a

17 d'autres éléments qu'il ne voudrait pas voir dévoiler au public, et qu'il

18 veuille bien nous le dire.

19 M. le Président (interprétation): Procédons ainsi. Que l'huissier, s'il

20 vous plaît, remette au témoin un exemplaire. Ensuite, nous irons de

21 l'avant pour voir si cela peut être remis à toutes les autres personnes

22 intéressées.

23 (Intervention de l'huissier.)

24 M. Koumjian (interprétation): Est-ce que vous avez fini?

25 M. Vulliamy (interprétation): Oui.

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1 M. Koumjian (interprétation): Bon. Vous savez maintenant si ceci peut

2 être, si vous avez un problème à ce que ceci soit dévoilé au public, à la

3 défense, à l'accusé?

4 M. Vulliamy (interprétation): Aucun problème.

5 M. le Président (interprétation): Je vous remercie. Donc on peut

6 distribuer ces exemplaires des notes à la défense et aux Juges.

7 (Intervention de l'huissier.)

8 M. Koumjian (interprétation): Pendant qu'on distribue le texte, j'aimerais

9 poser quelques questions.

10 Est-ce que c'est votre pratique habituelle de prendre des notes au cours

11 d'une interview et d'émettre la question, ou est-ce que ce n'est pas

12 quelque chose que vous écrivez normalement?

13 M. Vulliamy (interprétation): Normalement pas.

14 Question: Etait-ce votre pratique, lorsque vous suiviez les questions de

15 guerre en ex-Yougoslavie, de prendre un magnétophone sur le terrain ou

16 est-ce que vous aviez du matériel d'enregistrement?

17 Réponse: Non. J'en avais un mais il m'a été volé à un barrage.

18 M. Koumjian (interprétation): Je crois que nous sommes tous prêts….

19 M. le Président (interprétation): Non, malheureusement pas.

20 Savez-vous si vous pouvez poursuivre?

21 M. Koumjian (interprétation): Je crois que nous pouvons reprendre,

22 Monsieur le Président, n'est-ce pas?

23 M. le Président (interprétation): Nous pouvons poursuivre.

24 Je pense que ce dont il faut prendre soin, c'est que nous ayons tous les

25 documents dans le même ordre et donc, je crois qu'il est nécessaire de

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1 paginer ces documents, de leur donner un numéro.

2 Madame la Greffière, vous me corrigez si je me trompe, c'est DP5? DP5,

3 c'est bien cela. Et ensuite, page par page de 1, 2 et pages suivantes.

4 Vous pouvez poursuivre, Monsieur Koumjian.

5 M. Koumjian (interprétation): Maintenant, nous traitons de la conversation

6 avec M. Kovacevic en 1996.

7 Pouvez-vous donner lecture de vos notes de cette interview?

8 M. Vulliamy (interprétation): Excusez-moi, je ne suis pas prêt car je n'ai

9 moi-même pas d'exemplaire.

10 Question: Ca, c'est une bonne raison. Combien de temps pensez-vous que

11 cette conversation a duré?

12 Réponse: Je ne sais pas, entre une heure et deux heures.

13 M. Koumjian (interprétation): Est-ce que vous pourriez, s'il vous plait,

14 lire les notes que vous avez prises concernant votre entretien avec le Dr

15 Kovacevic?

16 M. le Président (interprétation): Excusez-moi d'interrompre encore une

17 fois, mais si vous pouviez, s'il vous plaît, mettre sur le

18 rétroprojecteur, page par page, le feuillet que vous lisez? Ceci nous

19 permettra de donner un numéro à la page de façon à ce que nous ayons la

20 même pagination pour tous au même moment.

21 Est-ce que l'huissier pourrait veiller à ce que le rétroprojecteur soit en

22 marche?

23 M. Vulliamy (interprétation): Est-ce que vous voulez que je me retourne

24 dans ce sens-là?

25 M. le Président (interprétation): C'est juste pour voir à quelle page vous

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1 vous référez.

2 Donc ceci serait DP5-1 et ensuite, nous procéderons page par page de cette

3 manière. Il n'est pas nécessaire que vous vous tourniez. Simplement,

4 chaque fois que vous commencez une page, qu'on la mette, s'il vous plait,

5 sur le rétroprojecteur.

6 M. Vulliamy (interprétation): (Le témoin lit ses notes.)

7 Kovacevic… si Livo et Mlad faisaient cela ou ont fait cela, est-ce que ces

8 personnes, "K", "raisins" (phon), les Britanniques étaient ici pour un

9 mois après cela.

10 L'officier tchèque alors quelque chose, tous deux, ils ont leur propre

11 système mèd. pour aller à Travnik où ils ont leur base médicale à Stolac.

12 Comment pouvez-vous accepter que quelqu'un vous brise et comment pouvez-

13 vous accepter sa présence ici?

14 Hôpital financé par la communauté européenne. Je ne veux pas parler de

15 politique, ce n'est pas acceptable que quelqu'un de sérieux soit

16 susceptible ou puisse vous toucher en ce qui concerne notre peuple, ce

17 n'est pas acceptable. Ce sont des histoires pour les enfants. Les enfants

18 ne réagissent pas bien à cela. C'est différent que quelqu'un offre la

19 paix, nous verrons de quel type de paix il s'agit. Je crois qu'elle

20 durera, et une paix complète. Je parlerai de médecine, je ne veux pas

21 parler de politique. Je le ferai mais pas officiellement.

22 Lorsque vous n'avez pas de chance, lorsqu'un certain serpent vous pique,

23 vous avez peur même d'un lézard; un lézard est un lézard, mais un serpent

24 est un serpent. Ce qui me préoccupe c'est l'avenir, 45.000 Musul, Krajina,

25 Krupa, Petrovac, Kljuc quand ils veulent vaincre pour les Serbes, les gens

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1 sont comme des oiseaux volant d'arbre en arbre, mais l'organisation,

2 quelque chose reviendra.

3 C'est une définition qui doit échanger, quiconque doit s'échapper de son

4 logis, de chez lui, c'est une défaite. Les Allemands ont été déménagés

5 trois fois, c'est comme quelque chose une fois. Mais je ne peux pas… ceux

6 qui n'ont pas besoin de médicaments pour six mois. Il y a ceux qui

7 viennent ici pour se faire soigner. Les conditions sont mauvaises:

8 pneumonie… nombreux sont ceux qui sont morts et qui mourront pendant le

9 voyage, problèmes psychologiques, tragédies. Lorsque 25.000 sont en

10 déplacement, si vous voyez cela d'un hélicoptère, c'est une tragédie.

11 C'était une chose tragique, une chose inutile, un moment de folie. Bien

12 que le pire, il est dit, l'Occident dit que c'étaient les Serbes.

13 Maintenant, ils sont en relation avec Milosevic et maintenant ils disent

14 que c'est un homme de paix. Ce n'est pas de lui qu'ils dépendent quelque

15 chose avec, sur lesquels il a une influence ou non. On ne peut pas être un

16 agresseur dans mon pays. Je ne peux pas être un agresseur dans mon propre

17 pays, ni à l'égard de mon voisin lorsque je suis un catholique et un

18 orthodoxe. Comment cela s'est passé, ce n'est pas à moi de le dire.

19 C'était une guerre civile, mais fondamentalement c'était une guerre de

20 religion.

21 Quelque chose s'est passé au XIIIe ou au XIVe siècle lorsque les Chrétiens

22 sont allés combattre les Musulmans, fondamentalement c'étaient des

23 problèmes économiques, mais se sont échappés de cette manière-ci. Les

24 Musulmans étaient … par L'Iran, l'Irak. Déclaration du Vatican: les Serbes

25 pour les Croates. Les Serbes sont soutenus par les Russes, faiblement.

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1 L'Angleterre et les Etats-Unis, ils ont eu leur intervention, les Russes,

2 les Serbes ont perdu leurs forces au cours de la guerre. Ils ont tout

3 perdu, leurs forces mais essentiellement, les Serbes. Maisons détruites,

4 c'était une folie. Aujourd'hui, il y a la paix. C'est une façon de penser,

5 mais pendant les combats, les gens avaient perdu tout contrôle.

6 Avant la guerre, on pensait que c'était comme maintenant. Je sais que rien

7 ne peut sortir de bon d'une guerre. Ce sont seulement les Etats-Unis qui

8 ont obtenu quelque chose d'une guerre parce qu'ils sont intervenus dans la

9 deuxième partie de la guerre. Cela, c'était au commencement. Au

10 commencement, les gens avaient perdu tout contrôle. Les gens ne se

11 comportent pas normalement. Les gens qui voient une télévision étrangère

12 pensent qu'il n'y a pas de différence entre la Krajina maintenant et le

13 commencement de la guerre. Dans la marge, il y a quelque chose qui dit

14 inflexion et un autre mot que je n’arrive pas à lire. Assurément, c'était

15 une erreur. Nous savons très bien ce qu'Auschwitz et Dachau ont été. Nous

16 savons très bien comment cela se passait à l'époque. Ceci n'était pas la

17 même chose que Dachau, mais c'était une erreur. Mais c'était prévu d'avoir

18 un camp, pas un camp de concentration, mais un camp pour des gens. Le

19 Président Karadzic, le Président a voulu évacuer Omarska, il est

20 intervenu. Que pensez-vous que ce soit, qu'une famille soit mise dans un

21 camp où ils peuvent survivre, et…, plutôt de les laisser dans leur maison

22 où ils pourraient survivre certainement. Tel était le plan. Ce qui s'est

23 passé par la suite était différent".

24 Excusez-moi, Monsieur le Juge, une nouvelle page, on peut y lire

25 "Kovacevic".

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1 M. le Président (interprétation): Bien. Alors, il s’agit du document DP-3.

2 (Le témoin poursuit.)

3 M.Vulliamy (interprétation): Cela a été planifié pour être un centre de

4 réception, mais c’est devenu autre chose, c'est devenu autre chose parce

5 que… un autre mot que je n'arrive pas à lire, quelque chose, je ne peux

6 pas expliquer cette perte de contrôle, même les historiens ne pourront pas

7 le comprendre dans les 50 ans qui suivront. Je peux appeler cela "folie

8 collective" mais il y a un fait qui dit que les Britanniques ne savaient

9 pas qu'il y avait des camps de concentration jusqu'en 1942. Donc, ils

10 n'étaient pas intéressés à cela. Les Britanniques n'avaient pas

11 connaissance de cela. Plus de 600.000 personnes avaient trouvé la mort à

12 Jasenovac.

13 (Le témoin poursuit la lecture.)

14 J’ai été emmené à Jasenovac en tant que petit enfant. Ma tante m'a emmené.

15 M. le Président (interprétation): Est-ce qu’on lit 3.000 ou 3.600

16 personnes? Je n'arrive pas à lire.

17 M.Vulliamy (interprétions): Plus de 600.000 personnes.

18 M. le Président (interprétation): Merci.

19 M.Vulliamy (interprétation): (Le témoin poursuit la lecture.)

20 Ma tante m’a emmené à Jasenovac, elle m'a ramené de Jasenovac à la maison,

21 elle m'a sauvé la vie. Ma tante était une personne qui bougeait d'un

22 endroit à l'autre.

23 Plusieurs ont suivi ou sont tombés. Cela, la paix sera bien difficile. Je

24 ne me souviens pas de tout parce que j'étais un petit enfant, mais ma

25 tante vit présentement à Prijedor ou plutôt à Rijeka, elle vit à Rijeka en

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1 Croatie. Elle ne fait confiance à personne. Dans la Deuxième Guerre

2 Mondiale, les Musulmans de Kozarac sont entrés dans les villages serbes et

3 ont brûlé, incendié tout sur leur chemin. Les Serbes se sont enfuis vers

4 la montagne de Kozara, et ma mère savait et ma tante savait que c'étaient

5 des Musulmans et des Oustachis, et ils ont essayé de tuer nos gens à

6 Kozara. Il y avait peu d’officiers allemands, de 50 à 60, pas plus. Pour

7 ce qui est du reste, ils étaient composés de Musulmans et de Croates. Ma

8 mère se trouvait dans les montagnes. Elle se cachait dans les montagnes et

9 elle se rappelle de tout. Là, l'Histoire a été faite de cette façon.

10 L'Histoire a été diluée par les autorités, le communisme, mais les

11 mémoires ne l'ont pas été. Donc, sous le communisme, l'Histoire était

12 diluée mais les mémoires ne l'ont pas été. On ne peut pas comparer la

13 situation ici à la situation en Europe.

14 Ici, on est dans les Balkans, vous voyez l'Histoire n'est pas la même

15 chose en Europe, quelque chose où l'histoire arrête à la rivière Una, à

16 l’est d'ici, nous, …, ici nous sommes en Krajina, nous sommes sur la

17 frontière. Il y a des circonstances extraordinaires; il est impossible de

18 faire un accord, jamais entre les civilisations. Il s'agit d'une erreur

19 fondamentale américaine. Economiquement parlant, cette région est 100 ans

20 derrière l’Europe".

21 M. le Président (interprétation): Page suivante.

22 M.Vulliamy (interprétation): (Le témoin poursuit la lecture.)

23 Peut-être les Allemands et les Français ont-ils vu que ce n'était pas

24 possible. Nous, c'est peut-être mieux de mener des pourparlers pendant 50

25 ans, que de nous battre pendant une année. Les Allemands et les Français

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1 ont-il vu que ce n'était pas possible? C'est peut-être mieux de mener des

2 pourparlers pendant 50 ans que de nous battre pendant une année. Les

3 Français, les Anglais ont appris grâce à l'Histoire, ont tiré des leçons

4 de l'Histoire".

5 Je suis spécialisé en histoire allemande. J'ai suivi ma spécialisation en

6 Allemagne et quand quelque chose de français devait être mené en

7 Allemagne, le médecin allemand l'a bien traité.

8 Excusez-moi, si vous me permettez, Monsieur le Juge, je vais reprendre la

9 ligne. J'ai vu quelque chose. Lorsque mon père devait subir une opération

10 en Allemagne, le médecin allemand l'a bien traité. Ils ont dit que son

11 français… ils ont pratiqué le français en Allemagne. Il y a des raisons

12 économiques pour coopérer. Si quelque chose survenait, la France ou mon

13 père… -je n'arrive pas à lire si c'est "père" ou "France"- est en danger à

14 cause de l'Allemagne, mais cela ne veut pas dire cela car ici les gens ne

15 sont pas bien éduqués; la culture n'existe pas, les gens sont pauvres. Ce

16 sont les raisons pour lesquelles cela est survenu ici mais le médecin… Je

17 crois que c'est à la science de découvrir ce qui s'est passé ici. Si l'on

18 voit les problèmes du conflit ajouté c'est la raison pour laquelle les

19 Français et les Allemands arrivent à se parler 30 ans après la guerre.

20 Cette situation pourrait être comparée à Luther qui combattait contre les

21 Catholiques. C'est bien planifié si l'on regarde le tout depuis New York.

22 Mais, sur les lieux, lorsque quelque chose brûle et tombe sur la tête des

23 gens, il s'agit du domaine de psychiatre. Il est important d'amener ces

24 gens chez le psychiatre mais il n'y a pas assez de temps.

25 Peut-être quelqu'un viendra-t-il -un scientifique- et mènera une enquête

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1 pour savoir ce qui s'est passé? Et quelqu'un d'autre pourra écrire une

2 autre dissertation et dire… pourra dire ce qu'il a dit, que ce qu'il a dit

3 n'est pas la vérité. Si quelqu'un a dit: "Je ne suis pas un membre de

4 cette folie collective, je n'ai pas fait partie de la folie collective",

5 je dirai que cela n'est pas vrai. Mais je ne voudrais pas croire à quel

6 point. Il est vrai que j'étais un membre du gouvernement municipal pendant

7 un an. Nous ne pouvons pas être les mêmes dans tout, même dans cela.

8 Si Tadic tue quelqu'un et si vous n'avez tué personne, ce n'est pas la

9 même chose. Nous vivons dans ce que j'appelle une "responsabilité

10 collective" depuis 50 ans. Voilà l'erreur communiste. Si quelque chose

11 devait advenir dans cet hôpital, j'en suis le responsable; et si les

12 choses ne vont pas bien dans l'hôpital, je suis le coupable. On m'a appris

13 que tous les Allemands étaient des meurtriers, mais quand je suis allé en

14 Allemagne, j'ai vu que ce n'était pas la vérité. Chaque homme a un bon

15 côté et un mauvais côté. Ce qui compte c'est où il se trouve.

16 (Le témoin poursuit la lecture.)

17 Je voudrais maintenant aller à la page suivante.

18 M. le Président (interprétation): Il s'agit de P5-5.

19 Excusez-moi, vous avez parlé du nom de Kovacevic de nouveau sur cette

20 page. Est-ce que ce n'est qu'une seule conversation que vous avez eue avec

21 lui?

22 M. Vulliamy (interprétation): Oui, c'est cela. Ce sont des notes prises au

23 cours de la même conversation. La copie n'est pas très lisible ici,

24 malheureusement.

25 (Poursuite de la lecture.)

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1 Ces institutions, à l'hôpital de "H"…, malheureusement… Je n'arrive pas à

2 lire ceci… (illisible)…, ils ont dû montrer qu'ils sont sérieux. C'est

3 plus des jeux politiques qu'un travail sérieux. Il est l'homme,

4 l'intermédiaire entre Clinton et Milosevic. Tito était… (illisible)… et

5 était un chef d'Etat. La Bosnie a été établie suivant le même principe que

6 l'empire austro-hongrois. L'alliance musulmano-croate… Maintenant,

7 regardez ce qui s'est passé à Mostar, les Croates vont tout prendre. Ils

8 savent de quelle façon s'emparer de tout. Les Musulmans réussiront à

9 garder une petite partie.

10 La Bosnie n'était pas un Etat. La Bosnie existait au sein de la

11 Yougoslavie. C'était une petite Yougoslavie miniature au sein d'une grande

12 Yougoslavie.

13 Les politiciens sont fous. Ils disent… malheureusement, je n'arrive pas à

14 lire le reste. Ils disent que (l'interprète ne comprend pas.)…nous ne

15 pouvons pas vivre ensemble, nous ne pouvons pas vivre ensemble. Il est

16 important de vivre comme voisins. Il est nécessaire de savoir qui est qui.

17 Vous êtes frères, vous vous déplacez, vous vivez là, vous avez des fermes,

18 des familles, il n'est pas possible de vivre dans la même maison.

19 Ils vont boire du café ensemble, deux cafés ensemble et ils vont se fâcher

20 au troisième café. Les fêtes ont démontré qu'il était nécessaire de

21 détruire la Bosnie.

22 Vous ne pouvez pas…empreinte digitale car il n'est pas possible là de

23 trouver deux empreintes digitales qui sont pareilles, mais les cerveaux

24 sont encore plus différents que les doigts. Comment savoir? Bien sûr, je

25 pense à mes amis croates et musulmans. Je pense à eux et je me demande à

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1 quel point ils souffrent comme moi. Où sont-ils, que font-ils?

2 Mais quelque chose: le directeur avait un ami, le vice-président de la

3 ville au sein du gouvernement de la ville. C'était un homme bien correct,

4 très gentil. Je ne me suis jamais fâché avec lui. Je n'ai pas entendu le

5 président. Il est un ingénieur électricien. Il avait une très bonne vie à

6 Londres. Mais ce n'est pas la même chose pour lui de vivre là-bas. Ce

7 n'est pas un problème avec quelqu'un, c'est ce que quelqu'un est.

8 Quelque chose: est-ce que c'est possible d'être si différent, à quel

9 point… je n'arrive pas à lire le dernier mot.

10 (Changement de page.)

11 Et au-dessus de la page suivante, nous pouvons lire "Simo Drljaca". Je ne

12 sais pas pourquoi puisqu'il s'agit de la même conversation qui se

13 poursuit, celle que j'ai eue avec le Dr Kovacevic. Nous avons peut-être…le

14 nom de Simo Drljaca a-t-il peut-être été évoqué? Mais nous n'avions pas eu

15 une rencontre, ni une réunion avec Simo Drljaca.

16 M. le Président (interprétation): Il s'agit du document DP5-6.

17 M. Vulliamy (interprétation): (Le témoin reprend la lecture.)

18 Il a une moralité médicale dans cet hôpital. Les Musulmans, les Croates et

19 les Serbes sont tous traités de la même façon ici. Je ne savais pas ce qui

20 leur était arrivé après que l'on leur ait donné des soins dans cet

21 hôpital. Nous sommes très professionnels ici. Si j'avais à lire

22 l'Histoire, si j'avais à écrire l'Histoire, si je devais écrire

23 l'Histoire, j'écrirais la vérité.

24 Oui, même sur Omarska et sur ce qui s'est passé là. Je crois qu'une fois

25 que la vérité a été mise au clair pour les enfants en Inde… Gandhi a écrit

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1 un livre sur l'Histoire… sans profondeur. Ils ont vu 90%… 90% ont lu ce

2 livre. C'est la raison pour laquelle je crois que tout le monde ne peut

3 pas écrire l'Histoire. Ce n'est possible que d'écrire sur les événements

4 historiques 50 ans après les événements, une fois que les événements se

5 soient déroulés.

6 Mais il y a un lien direct qui existe entre ce qui se passait avec les

7 Musulmans dans (illisible), et les Musulmans étaient des soldats en

8 Croatie… le NDH.

9 Lorsque les crimes de guerre, maintenant c'est l'inverse. Voilà une

10 mémoire historique. Ce n'est ni conscient, ni… cela ne fait pas partie du

11 subconscient non plus. Ce n'est ni du domaine du conscient ni du domaine

12 de l'inconscient. Et vous, vous pouvez trouver des Serbes qui ont vu que

13 quelque chose est arrivé à leur père et que leur père ont tué le grand

14 père et que l'autre grand-père a tué l'autre grand-père. Et cela arrivera

15 peut-être dans 50 ans.

16 Le Président Clinton a fait un plan de paix, mais il ne comprend pas la

17 réalité. Tant mieux pour lui, mais les choses sont bien étranges ici. Il y

18 a un lien, mais le lien est très mince, qui existe entre Jasenovac et

19 Omarska.

20 Vous pouvez appeler Omarska un camp de concentration, un camp de

21 rassemblement. A Auschwitz comme vous voulez, mais quelque chose à

22 Omarska, quelqu'un qui était quelque chose a emmené un Musulman tuer

23 quelqu'un, que ce soit dix ou cent personnes. Cela ne fait rien. Cela n'a

24 pas d'importance pour dire plus de cent, mais à Jasenovac c'était une

25 usine de la mort.

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1 A Omarska est ce camp de rassemblement, mais ce n'était pas une usine de

2 la mort comme l'était Jasenovac; voilà la différence principale.

3 Il y a des faits que les Russes n'ont pas fait quelque chose. Je sais

4 qu'un enfant a trouvé la mort à Omarska. Seulement un enfant a trouvé la

5 mort a Omarska. Ils peuvent écrire ce qu'ils veulent. Je sais avec

6 pertinence ce qu'il s'est passé là-bas. L'enfant n'a pas été tué dans

7 cette maison de Trnopolje, quelqu'un a tiré en direction de quelque chose

8 et la balle est passée par la tête.

9 M. le Président (interprétation): Je propose que l'on continue et que l'on

10 reprenne lorsque les pages commenceront avec "Stakic".

11 M. Koumjian (interprétation): Très bien.

12 M. le Président (interprétation): Il s'agirait de la pièce DP5-7.

13 M. Vulliamy (interprétation): (Le témoin poursuit la lecture.)

14 "Pages suivantes: Kovacevic. J'ai informé directement pour que le père

15 puisse enterrer l'enfant qui avait de six à sept ans tué. Il n'a pas

16 trouvé la mort, il n'est pas mort spontanément. C'était le nombre qui a

17 été tué. Non pas qui a trouvé la mort ou qui est mort de mort naturelle.

18 Vous allez devoir parler au médecin. Je ne le sais pas.

19 C'était un tunnel dans lequel par lequel soufflait le vent ici et là. Dans

20 cette partie là du monde ou bien les politiciens Karadzic, Izetbegovic,

21 vous pouvez demander aux gens qui se trouvent sur place. Si vous aviez

22 cent Serbes, cent Croates et cent Musulmans morts, c'est comme si

23 "Sunflower" (phon), il est impossible de dire, primitif nous ne savions

24 pas comment parler, seulement nous battre.

25 En 1915, c'était la faute du roi, il voulait nager dans les grands lacs de

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1 Slovénie, et voilà la première erreur. Je voudrais avoir un passeport

2 étranger. Je suis comme un animal ici dans une cage. Je ne peux pas me

3 rendre en Serbie, je ne peux pas aller en Croatie, un passeport bosnien,

4 c'est la même merde. Si vous avez un passeport bosnien, vous pouvez aller

5 dans la partie serbe et croate.

6 Je hais la vie politique parce que j'ai vu beaucoup de mauvaises choses,

7 beaucoup de choses laides, c'était mon propre secret, mon propre problème.

8 Les choses ne se sont pas déroulées de la façon dont je les avais

9 planifiées, s'il faut faire quelque chose en tuant les gens, eh bien, en

10 parlant de cela, je me sens mieux, je respire, je peux me détendre, car

11 j'arrive à parler maintenant de mes problèmes professionnels. Mes cheveux

12 sont gris et je ne dors plus si bien.

13 Clinton et Eltsine sont …"

14 M. le Président (interprétation): Il s'agira de la page DP5-8.

15 M. Vulliamy (interprétation): (Le témoin poursuit la lecture.)

16 Je veux un travail à Paris (illisible) Autriche peu importe où. Mais si

17 j'arrive en Autriche avec quelque chose de Bosnie, on va dire: "Ah, vous

18 venez de la même ville que Dusko Tadic?" Ou encore… (illisible)…. Je suis

19 arrivé à Paris avec cette opinion, mais ce n'est pas une opinion que j'ai

20 emmenée avec moi. Mais parce que d'autres pensent que … (illisible)...

21 Nécessaire où les rejoindre.

22 Au début de la guerre, je voulais que ceci devienne une terre serbe sans

23 Musulmans effectivement. On ne peut pas vivre ensemble. Mais on peut vivre

24 l'un à côté de l'autre, lorsque… (illisible)… Séparation… Ce sont deux

25 frères. A ce moment-là, ce sont de bons voisins. (illisible)

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1 … Saura qui sont les Musulmans. Moi, je les appelle des Turcs. J'ai

2 travaillé avec eux. Je leur vendais des vaches. Et des Musulmans et les

3 Serbes, il n'y avait pas de mariage entre eux. Si une Serbe épouse un

4 Musulman, elle perd tout contact avec sa famille.

5 Tout d'un coup, Tito a dit: "Nous sommes frères". Peut-être avait-il les

6 meilleures intentions du monde? Mais nous, comment pourrions-nous être

7 frères alors que les Turcs sont les occupants de nos terres depuis plus de

8 500 ans. On ne peut pas être frères parce que, dans toute l'Histoire, les

9 Turcs ont tué les Serbes.

10 Si la nation musulmane avait été établie, elle aurait été une nation

11 artificielle en 1994.

12 En 1974, quand cela a été fait par Tito, aux Etats-Unis… nous sommes des

13 gens célestes. Les Serbes savent mourir. Pour qu'il y ait résolution, il

14 faut du temps. Nous avons connu une révolution, pas une évolution. Nous

15 disons… (illisible)… combat, ou tuons le roi. (illisible).

16 Les Musulmans ont sauvé les Serbes et l'inverse. Même merde. Nous avons

17 pris autant que… Il n'y a rien de pire que la mort politique.

18 Le père de Milomir Milac(phon) était un exploitant agricole; il faisait du

19 commerce avec les Musulmans mais, même pendant tout ce temps, il les

20 traitait de Turcs.

21 En fait, ces Musulmans sont d'ici, ce ne sont pas des Turcs".

22 (Fin de lecture.)

23 M. le Président (interprétation): Je crois que se termine ainsi votre

24 lecture.

25 Je tiens à vous remercier des efforts que vous avez déployés pour

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1 déchiffrer ces écrits. Vous n'avez rien à ajouter en ce qui concerne ce

2 recueil de dépositions?

3 M. Koumjian (interprétation): Effectivement, Monsieur le Président, mais

4 je m'inquiète un petit peu de ce qui va se passer jeudi.

5 Nous avons prévu l'audition de M. Brown. Je peux en parler demain. Vous

6 aviez demandé… Je pense que nous pouvons citer un autre témoin au cas où

7 M. le Juge Fassi Fihri soit de retour pour l'audition de M. Brown.

8 M. le Président (interprétation): Vous verrez que nous avons le programme

9 de cette semaine et que la journée de demain sera consacrée au témoin que

10 nous avons devant nous.

11 Mercredi, nous devrions avoir le Témoin B, cette déposition-là se

12 prolongeant peut-être jeudi.

13 Il faut prendre des dispositions au cas où un témoin sauterait pour qu'un

14 autre témoin puisse intervenir à sa place et le Bureau du Procureur doit

15 prendre toutes les dispositions nécessaires en matière de temps notamment.

16 Puisque nous parlons de temps, parlons de la journée de demain. Il faudra

17 prévoir peut-être toute la journée jusqu'à 16 heures notamment pour le

18 contre-interrogatoire.

19 La conférence de mise en état pourra suivre presque aussitôt après.

20 Nous allons lever l'audience. L'audience reprendra demain matin.

21 Je vous remercie. L'audience est suspendue.

22 (L'audience est suspendue à 16 heures 10.)

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