Affaire n° : IT-96-23/2-PT

LA FORMATION DE RENVOI

Composée comme suit :
M. le Juge Alphons Orie, Président
M. le Juge O-Gon Kwon
M. le Juge Kevin Parker

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
15 avril 2005

LE PROCUREUR

c/

GOJKO JANKOVIC

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DÉCISION DEMANDANT UN COMPLÉMENT D’INFORMATION DANS LE CADRE DE LA REQUÊTE PRÉSENTÉE PAR LE PROCUREUR EN APPLICATION DE L’ARTICLE 11 BIS DU RÈGLEMENT

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Le Bureau du Procureur :

Mme Carla Del Ponte

Les autorités de Bosnie-Herzégovine :

aux bons soins de l’Ambassade de Bosnie-Herzégovine à La Haye (Pays-Bas)

Les Conseils de l’Accusé :

M. Aleksandar Lazarevic
M. Tomislav Visnjic

 

LA FORMATION DE RENVOI du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal »),

Vu i) la requête présentée en application de l’article 11 bis du Règlement (Motion by the Prosecutor Under Rule 11bis(A)), déposée le 29 novembre 2004, dans laquelle le Procureur du Tribunal (le « Procureur ») demande au Président du Tribunal (le « Président ») de désigner une Chambre de première instance aux fins d’examiner une demande de renvoi de l’affaire Gojko Jankovic (l’« Accusé »), alors en fuite, aux autorités de Bosnie-Herzégovine ; et ii) la requęte (assortie de ses Annexes I, II et III et de ses Annexes confidentielles IVet V) présentée à titre partiellement confidentiel en application de l’article 11 bis (Motion by the Prosecutor Under Rule 11bis(A) with Annexes I, II and III and Confidential Annexes IV and V), déposée le 29 novembre 2004, dans laquelle le Procureur soutient que l’affaire en question remplit les conditions posées par l’article 11 bis du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal (le « Règlement ») et que, dès lors, il convient de la renvoyer aux autorités de Bosnie-Herzégovine (la « Requête »),

VU l’Ordonnance fixant la composition d’une Chambre de première instance chargée de déterminer si un acte d’accusation doit être renvoyé devant une autre juridiction en application de l’article 11 bis du Règlement, ordonnance déposée le 1er décembre 2004, par laquelle le Président a chargé la présente Formation de renvoi de déterminer si l’affaire en question doit être déférée aux autorités de Bosnie-Herzégovine en application de l’article 11 bis du Règlement,

ATTENDU que l’Accusé a été transféré au Tribunal le 14 mars 2005 et qu’un conseil lui a été commis d’office à titre permanent le 14 avril 2005,

ATTENDU que la Défense n’a pas encore déposé de réponse à la Requête,

ATTENDU que les crimes reprochés dans l’acte d’accusation établi contre l’Accusé (l’« Acte d’accusation ») auraient été commis en Bosnie-Herzégovine entre avril 1992 et février 1993, et que le renvoi demandé par le Procureur s’inscrit dans le cadre de l’article 11 bis A) i) du Règlement,

ATTENDU qu’en application de l’article 11 bis B) du Règlement, « La Chambre de première instance peut ordonner ce renvoi S…C après avoir donné la possibilité au Procureur, et le cas échéant à l’accusé, d’être entendu, et après s’être assurée que l’accusé bénéficiera d’un procès équitable et qu’il ne sera pas condamné à la peine capitale ni exécuté »,

ATTENDU que l’article 11 bis C) du Règlement dispose que « [l]orsqu’elle examine s’il convient de renvoyer l’affaire selon les termes du paragraphe A), [la Chambre de première instance] tient compte en conformité avec la résolution 1534 (2004) du Conseil de sécurité [adoptée le 26 mars 2004] de la gravité des crimes reprochés et de la position hiérarchique de l’accusé »,

ATTENDU que la résolution 1534 (2004) du Conseil de sécurité envisage « le renvoi devant les juridictions nationales compétentes des affaires impliquant des accusés de rang intermédiaire et subalterne »,

ATTENDU que la résolution 1503 (2003) du Conseil de sécurité invite le TPIY à concentrer son action « sur la poursuite et le jugement des principaux dirigeants portant la plus lourde responsabilité des crimes commis sur le territoire de l’ex-Yougoslavie en déférant devant les juridictions nationales compétentes [ …] les accusés qui n’encourent pas une responsabilité aussi lourde »,

ATTENDU par conséquent que pour déterminer si une affaire devrait être renvoyée aux autorités d’un État, il convient de répondre à deux questions : 1) celle de savoir si la gravité des crimes reprochés et la position hiérarchique de l’accusé autorisent le renvoi parce que l’affaire met en cause des accusés de rang intermédiaire ou subalterne, et 2) celle de savoir si l’État en question est l’entité nationale compétente et si son système juridique répond aux exigences de l’article 11 bis B) du Règlement,

ATTENDU que l’Acte d’accusation impute à l’Accusé des actes de torture et des viols (crimes contre l’humanité et violations des lois ou coutumes de la guerre) qui auraient eu lieu à Buk Bijela, au lycée de Foca, à la salle des sports Partizan et ailleurs à Foca et dans les villages alentour,

ATTENDU que l’Acte d’accusation met en cause la responsabilité pénale individuelle de l’Accusé sur la base de l’article 7 1) du Statut du Tribunal (le « Statut ») pour tous les actes de torture et les viols commis à Foča et dans les villages alentour ; et que ledit Acte d’accusation met en cause également, ou à défaut, la responsabilité pénale individuelle de l’Accusé en tant que supérieur hiérarchique sur la base de l’article 7 3) du Statut pour les actes de torture et les viols commis à Buk Bijela,

ATTENDU que, bien que la Requête traite de la gravité des infractions alléguées et de la position hiérarchique de l’Accusé en l’espèce, il serait bon que les Parties et les autorités de Bosnie-Herzégovine présentent à la Formation de renvoi des conclusions détaillées sur ces points, et notamment sur la question de savoir si la « position hiérarchique » visée à l’article 11 bis C) du Règlement renvoie au rôle joué par l’Accusé dans la perpétration des infractions qui lui sont reprochées ou à la place qu’il occupait dans la hiérarchie civile ou militaire ou bien à l’un et l’autre ; et s’il convient d’accorder un poids particulier à certaines considérations touchant à la gravité des infractions reprochées et à la position hiérarchique de l’Accusé,

ATTENDU que la Formation de renvoi souhaite également que les autorités de Bosnie-Herzégovine et les Parties lui soumettent leurs conclusions sur la conformité du système juridique de Bosnie-Herzégovine aux dispositions de l’article 11 bis B) du Règlement,

PAR CES MOTIFS,

EN APPLICATION des articles 11 bis et 54 du Règlement,

I. DONNE INSTRUCTION aux Parties et INVITE les autorités de Bosnie-Herzégovine à déposer leurs conclusions, le 6 mai 2005 au plus tard, sur les points suivants, et en particulier sur le poids qu’il convient d’accorder à chacun d’eux :

1. La gravité des faits incriminés dans l’Acte d’accusation autorise-t-elle le renvoi de l’affaire aux autorités de Bosnie-Herzégovine en application de l’article 11 bis du Règlement ?

2. La position hiérarchique de l’Accusé permet-elle le renvoi de l’affaire devant la Chambre de la Cour d’État de Bosnie-Herzégovine spécialisée dans les crimes de guerre en application de l’article 11 bis du Règlement ? En particulier, l’article 11 bis C) vise-t-il le rôle joué par l’Accusé dans la perpétration des infractions qui lui sont reprochées ou la place qu’il occupait dans la hiérarchie civile ou militaire ou bien à l’un et à l’autre ?

II. S’agissant de la conformité du système juridique de Bosnie-Herzégovine avec l’article 11 bis B), INVITE les autorités de Bosnie-Herzégovine à fournir des documents, si possible en anglais, en sus de ceux qu’elle a présentés le 25 février 2005 et le 23 mars 2005 dans l’affaire IT-02-65-PT, Le Procureur c/ Zeljko Mejakic et consorts, laquelle, selon la Formation de renvoi, présente un intérêt en l’espèce.

INVITE PAR AILLEURS les autorités de Bosnie-Herzégovine à déposer devant le Tribunal, le 6 mai 2005 au plus tard, de nouvelles conclusions écrites sur les points suivants ou, s’il y a lieu, de renvoyer à leurs précédentes conclusions écrites ou orales :

1. Par quels moyens les tribunaux de Bosnie-Herzégovine pourraient-ils appliquer le droit international conventionnel ou coutumier dans le cadre de procédures internes ?

2. Toute autre question que les autorités de Bosnie-Herzégovine jugent importante en l’espèce et qui n’a pas encore été traitée dans ses conclusions écrites ou aux audiences des 3 et 4 mars 2005.

ORDONNE au Procureur de déposer de nouvelles conclusions sur les points suivants le 6 mai 2005 au plus tard :

1. Par quels moyens les tribunaux de Bosnie-Herzégovine pourraient-ils appliquer le droit international conventionnel ou coutumier dans le cadre de procédures internes ?

2. Toute autre question que les autorités de Bosnie-Herzégovine jugent importante en l’espèce et qui n’a pas encore été traitée dans ses conclusions écrites ou aux audiences des 3 et 4 mars 2005.

ORDONNE à la Défense de présenter ses conclusions écrites sur les points suivants le 6 mai 2005 au plus tard :

1. Est-ce le Code pénal en vigueur en avril 1992 ou le Code pénal actuel qui énonce les règles de droit matériel applicables en l’espèce ?

2. Par quels moyens les tribunaux de Bosnie-Herzégovine pourraient-ils appliquer le droit international conventionnel ou coutumier dans le cadre de procédures internes ?

3. De quelles mesures de protection devraient-ils avoir besoin pour les témoins (à décharge) dans l’éventualité d’un procès en Bosnie-Herzégovine ?

4. Le niveau d’entraide intraétatique ou, si besoin est, interétatique, est-il suffisant en matière pénale pour garantir un procès équitable, en particulier pour ce qui touche aux convocations de témoins et au recueil de leurs déclarations ?

5. L’acceptation sans enquête préalable en Bosnie-Herzégovine des actes d’accusation du TPIY pourrait-elle donner lieu à une mise en cause de la régularité de la procédure ? L’instance peut-elle reprendre au stade où elle en était au TPIY ou est-il encore besoin de mesures d’information préalable ?

6. Les Conseils qui représentent actuellement l’Accusé pourront-ils continuer à le représenter si l’affaire est renvoyée en Bosnie-Herzégovine ?

7. L’envoi par le Procureur d’observateurs en application de l’article 11 bis du Règlement serait-il considéré par la Défense comme une mesure suffisante pour garantir l’équité du procès devant la Cour d’État de Bosnie-Herzégovine ?

8. Toute autre question pertinente.

ORDONNE aux Parties de se préparer à présenter oralement des conclusions sur la demande de renvoi présentée par le Procureur et INVITE les autorités de Bosnie-Herzégovine à préciser si elles souhaitent présenter oralement de nouvelles conclusions sur la Requête du Procureur.

DEMANDE au Greffier du Tribunal (le « Greffier ») de transmettre immédiatement la présenter ordonnance aux autorités de Bosnie-Herzégovine.

DEMANDE au Greffier de donner à l’Accusé copie des documents suivants dans l’affaire n° IT-02-65-PT, Le Procureur c/ Zeljko Mejakic : i) Décision demandant un complément d’informations dans le cadre de la requête aux fins de renvoi présentée par le Procureur en application de l’article 11 bis du Règlement, rendue le 9 février 2005 par la Chambre spécialement désignée ; ii) réponse des autorités de Bosnie-Herzégovine aux questions posées par la Chambre spécialement désignée dans sa Décision demandant un complément d’informations dans le cadre de la demande de renvoi présentée par le Procureur en application de l’article 11 bis du Règlement (Response by the Government of Bosnia and Herzegovina (BiH) to Questions Posed by the Specially Appointed Chamber in its Decision for Further Information in the Context of the Prosecutor’s Request under Rule 11bis), rendue le 22 février 2005 ; iii) nouvelles conclusions de l’Accusation en date du 21 février 2005 de l’ordonnance rendue par la Chambre le 9 février 2005 (Prosecution’s Further Submissions pursuant to Chamber’s Order of 9 February 2005 dated 21 February 2005) ; iv) compte rendu des audiences publiques des 3 et 4 mars 2005 ; et v) réponse du 22 mars 2005 des autorités de Bosnie-Herzégovine à la demande de nouvelles conclusions écrites formulée par la Formation de renvoi dans les affaires Mejakic et Stankovic (Response by the Government of Bosnia and Herzegovina to the Request for Further Written Submissions by the Referral Bench in the Mejakic and Stankovic cases dated 22 March 2005).

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 15 avril 2005
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Formation de renvoi
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Alphons Orie

[Sceau du Tribunal]