Affaire n° : IT-01-42-PT

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I

Composée comme suit :
M. le Juge Alphons Orie, Président
M. le Juge Amin El Mahdi
M. le Juge Joaquín Martín Canivell

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
12 décembre 2003

LE PROCUREUR

c/

PAVLE STRUGAR

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DÉCISION RELATIVE À L’OPPOSITION DE LA DÉFENSE À L’ADMISSION D’UN RAPPORT D’EXPERT EN APPLICATIONDE L’ARTICLE 94bis DU RÈGLEMENT

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Le Bureau du Procureur :

Mme Susan Somers
M. Philip Weiner

Les Conseils des Accusés :

M. Goran Rodic
M. Vladimir Petrovic

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal »),

VU la présentation par l’Accusation, le 23 octobre 2003, du rapport d’expert de John Allcock (le « Rapport d’expert ») (Prosecution’s submission of an expert report pursuant to Rule 94 bis of the Rules of Procedure and Evidence), en application de l’article 94 bis du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement »),

VU la réponse de la Défense à la présentation par l’Accusation du Rapport d’expert (Defence Response to the Prosecution’s submission of the Expert Report), déposée le 21 novembre 2003 (la « Réponse »), et où la Défense :

  1. a demandé à la Chambre de ne pas verser le Rapport d’expert au dossier ;
  2. a contesté, en application de l’article 94 bis B) iii) du Règlement, la qualité d’expert de M. Allcock au motif qu’en tant que sociologue, il n’était pas qualifié pour donner un avis d’expert sur le patrimoine historique et architectural de Dubrovnik ;
  3. a fait valoir que le Rapport d’expert, erroné à mains égards s’agissant des limites de la ville, de l’histoire des Balkans et du contexte du conflit armé en ex-Yougoslavie, n’était pas fiable et qu’il n’était donc d’aucune utilité à la Chambre,
  4. a demandé, à défaut, à la Chambre de première instance d’ordonner que le témoin soit cité à comparaître pour un contre-interrogatoire ;

VU la réplique de l’Accusation à la Réponse de la Défense (Prosecution’s Reply to the Defence Response) datée du 28 novembre 2003 (la « Réplique »), à laquelle l’Accusation a joint des pièces témoignant de l’expérience professionnelle et des publications de M. Allcock, et dans laquelle elle a fait valoir que les objections de la Défense étaient infondées puisque, d’après la définition donnée par la jurisprudence du Tribunal, M. Allcock était clairement un expert, qui s’était principalement intéressé depuis 1968 à la sociologie de l’ex-Yougoslavie et de ses États successeurs, et que M. Allcock avait déjà témoigné comme expert dans l’affaire Le Procureur c/ Kordic et Čerkez (IT-95-14/2-T) portée devant le Tribunal,

ATTENDU AUSSI que la Défense a demandé la tenue d’une audience consacrée à la question en vue de présenter des arguments supplémentaires ainsi que des éléments de preuve,

ATTENDU que l’article 94 bis du Règlement ne prévoit pas de droit la tenue d’une audience,

ATTENDU que la Chambre de première instance estime que les documents présentés par écrit l’ont suffisamment informée des questions soulevées par la Défense dans sa Réponse, et que la tenue d’une audience n’est donc pas nécessaire,

ATTENDU que, dans la mesure où l’article 94 bis du Règlement ne définit pas ce qu’est un témoin expert, la Chambre de première instance adopte la définition suivante, issue de la jurisprudence du Tribunal :

[...] une personne qui, grâce à ses connaissances, ses aptitudes ou une formation spécialisée, peut aider le juge du fait à comprendre ou à se prononcer sur une question litigieuse,

ATTENDU que, de par ses connaissances spécialisées au sujet des aspects politiques, économiques et sociologiques de l’ex-Yougoslavie et de ses États successeurs, ainsi qu’il est précisé dans les pièces jointes à la Réplique de l’Accusation, John Allcock répond à la définition de l’expert susmentionnée et a les qualifications requises pour témoigner au sujet des questions traitées dans le Rapport d’expert, à savoir l’importance historique et contemporaine de la vieille ville de Dubrovnik,

ATTENDU que l’article 89 C) du Règlement expose les critères d’admissibilité des éléments de preuve, notamment des rapports d’expert soumis en application de l’article 94 bis, et permet à la Chambre de recevoir « tout élément de preuve pertinent qu’elle estime avoir valeur probante »1,

ATTENDU que rien n’indique dans le Rapport d’expert que celui-ci n’est pas fiable, ce qui, dans le cas contraire, le priverait de la valeur probante visée à l’article 89 C) du Règlement,

ATTENDU que la Défense aura tout le loisir de poser des questions au sujet de l’un quelconque des points soulevés dans sa Réponse lorsqu’elle procédera au contre-interrogatoire de M. Allcock,

EN APPLICATION des articles 89 et 94 bis du Règlement,

DÉCIDE ce qui suit :

  1. le Rapport d’expert de M. Allcock présenté par l’Accusation est admis,
  2. M. Allcock sera cité à comparaître pour un contre-interrogatoire.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 12 décembre 2003
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de Chambre de première instance I
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Alphons Orie

[Sceau du Tribunal]


1. Le Procureur c/ Stanislav Galic, affaire n° IT-98-29-T, Décision relative aux témoins experts Ewa Tabeau et Richard Philipps, 3 juillet 2002, p. 2.