Affaire n° : IT-01-42-PT

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II

Composée comme suit :
M. le Juge Kevin Parker, Président
M. le Juge Krister Thelin
Mme le Juge Christine Van Den Wyngaert

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
1er avril 2004

LE PROCUREUR

c/

PAVLE STRUGAR

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DÉCISION RELATIVE À L’OPPOSITION DE LA DÉFENSE À L’ADMISSION DE RAPPORTS D'EXPERT PRODUITS PAR L’ACCUSATION EN APPLICATION DE L’ARTICLE 94 BIS DU RÈGLEMENT

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Le Bureau du Procureur :

Mme Susan Somers
M. Philip Weiner
M. David Re

Les Conseils de l’Accusé :

M. Goran Rodic
M. Vladimir Petrovic

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal »),

ATTENDU que, le 3 février 2004, l’Accusation a produit les rapports d’expert du général de brigade Milovan Zorc et du lieutenant-colonel Jozef Poje (le « Rapport d’expert de Poje ») en application de l’article 94 bis du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement »),

ATTENDU que, le 12 février 2004, l’Accusation a produit une nouvelle version du rapport d’expert du général de brigade Milovan Zorc dans laquelle des corrections ont été apportées aux erreurs de traduction figurant dans la première version (le « Rapport d’expert de Zorc »),

VU les réponses de la Défense à la présentation par l’Accusation i) du rapport d’expert du général de brigade Milovan Zorc (la « Réponse relative au rapport d’expert de Zorc ») et ii) du rapport d’expert du lieutenant colonel Jozef Poje (la « Réponse relative au rapport d’expert de Poje »), déposées le 4 mars 2003 (ensemble, les « Réponses de la Défense »),

VU les répliques de l’Accusation aux Réponses de la Défense, déposées le 18 mars 2004,

VU, en premier lieu, les arguments exposés par la Défense dans la Réponse relative au rapport d’expert de Zorc, laquelle :

  1. demande à la Chambre de ne pas admettre le Rapport d’expert de Zorc ;

  2. conteste, en vertu de l’article 94 bis B) iii) du Règlement, l’impartialité du général de brigade Milovan Zorc au motif qu’il a déserté de la JNA en juin 1991 afin d’aider le Gouvernement slovène à combattre cette dernière et, selon la Défense, son parti pris dans le conflit ayant alors opposé la Slovénie à la JNA donne à penser que sa position n’est pas neutre s’agissant du conflit ayant opposé la Croatie à la JNA, qui est à la base du présent acte d’accusation1 ;

  3. affirme que les conclusions du Rapport d’expert de Zorc se fondent sur des documents peu fiables ;

  4. fait valoir que ce Rapport contient de nombreuses erreurs et incohérences et demande à pouvoir procéder au contre-interrogatoire du général de brigade Milovan Zorc,

VU, en second lieu, les arguments exposés par la Défense dans la Réponse relative au rapport d’expert de Poje, laquelle :

  1. demande à la Chambre de ne pas admettre le Rapport d’expert de Poje ;
  2. affirme que le lieutenant-colonel Jozef Poje se contente d’exposer ses compétences sans les mettre en rapport avec les circonstances particulières prévalant à l’époque des événements allégués dans l’acte d’accusation, et soutient par conséquent que le Rapport d’expert de Poje n’est pas pertinent ;
  3. fait valoir que ce Rapport contient des informations et des incohérences de nature à induire en erreur et demande à pouvoir procéder au contre-interrogatoire du lieutenant-colonel Jozef Poje,

ATTENDU, EN OUTRE, que la Défense a demandé la tenue d’une audience consacrée aux questions soulevées tant dans la Réponse relative au rapport d’expert de Zorc que dans celle relative au rapport d’expert de Poje,

VU les arguments exposés par l’Accusation dans sa réplique à la Réponse relative au rapport d’expert de Zorc, laquelle affirme que :

  1. Milovan Zorc a pris sa retraite de la JNA en juin 1991 avec le grade de général de brigade après plus de 30 ans de carrière et qu’il a toutes les qualifications requises pour se prononcer en tant qu’expert sur l’exercice du commandement au sein de la JNA ;
  2. Milovan Zorc n’a pris part à aucune opération militaire menée à Dubrovnik en 1991 et qu’il est suffisamment détaché vis-à-vis de ces événements pour pouvoir donner un avis objectif ;
  3. ledit Rapport est pertinent et qu’il est possible d’en vérifier les sources lors de son témoignage ;

VU les arguments exposés par l’Accusation dans sa réplique à la Réponse relative au rapport d’expert de Poje, laquelle affirme que :

  1. le lieutenant-colonel Poje a les qualifications requises pour témoigner en tant qu’expert puisqu’il a servi comme officier dans la JNA où il s’est spécialisé dans l’artillerie pendant plus de 30 ans ;
  2. le Rapport d’expert de Poje présente un intérêt pour l’examen des questions figurant dans l’acte d’accusation, qu’il est fondé et que toute incohérence peut être abordée lors du contre-interrogatoire ;
  3. le Rapport d’expert de Poje couvre les zones désignées par l’Accusation, lesquelles sont identifiées à l’annexe jointe à la réplique de l’Accusation,

VU l’article 94 bis du Règlement qui dispose aux paragraphes pertinents :

[…]

B) Dans les trente jours suivant la communication du rapport du témoin expert, ou dans tout autre délai fixé par la Chambre de première instance ou le juge de la mise en état, la partie adverse fait savoir à la Chambre de première instance :

i) si elle accepte le rapport du témoin expert ;

ii) si elle souhaite procéder à un contre-interrogatoire du témoin expert ; et

iii) si elle conteste la qualité d’expert du témoin ou la pertinence du rapport, en tout ou en partie, auquel cas elle indique quelles sont les parties du rapport contestées.

C) Si la partie adverse fait savoir qu'elle accepte le rapport du témoin expert, ce rapport peut être admis comme élément de preuve par la Chambre de première instance sans que le témoin soit appelé à déposer en personne.

ATTENDU que l’article 94 bis ne prévoit pas de plein droit la tenue d’une audience,

ATTENDU que, au vu des documents présentés par écrit, la Chambre s’estime suffisamment informée des questions soulevées par la Défense dans ses Réponses et qu’il n’est donc nul besoin de tenir audience,

ATTENDU que, dans la mesure où l’article 94 bis du Règlement ne définit pas ce qu’est un témoin expert, la Chambre de première instance adopte la définition suivante issue de la jurisprudence du Tribunal :

[U]ne personne qui, grâce à ses connaissances, ses aptitudes ou une formation spécialisée, peut aider le juge du fait à comprendre ou à se prononcer sur une question litigieuse2.

ATTENDU que, de par ses connaissances spécialisées de l’exercice du commandement dans la JNA, le général de brigade Milovan Zorc répond de façon satisfaisante à cette définition d’expert et a les qualifications requises pour témoigner au sujet des questions traitées dans son Rapport,

ATTENDU que la question du prétendu parti pris du général de brigade Milovan Zorc et des erreurs et incohérences qui figureraient dans son Rapport sont des points pouvant être abordés, comme il se doit, lors du contre-interrogatoire de ce témoin,

ATTENDU, également, que, de par ses connaissances spécialisées de l’utilisation des pièces d’artillerie et des armes dans l’ex-JNA, le lieutenant-colonel Jozef Poje répond de façon satisfaisante à la définition d’expert susvisée et a les qualifications requises pour témoigner au sujet des questions traitées dans son Rapport,

ATTENDU, en outre, que les questions abordées dans le Rapport d’expert de Poje présentent un intérêt pour l’examen du type et de la nature des armes utilisées pendant la campagne qui aurait été menée par la JNA contre Dubrovnik en octobre, novembre et décembre 1991,

ATTENDU que la question des erreurs et incohérences qui figureraient dans le Rapport d’expert de Poje sera abordée, comme il se doit, lors du contre-interrogatoire du témoin,

ATTENDU que l’article 89 C) du Règlement expose les critères d’admissibilité des éléments de preuve, s’agissant notamment des rapports d’expert soumis en application de l’article 94 bis, et permet à la Chambre de recevoir « tout élément de preuve pertinent qu’elle estime avoir valeur probante3 »,

ATTENDU que rien n’indique dans le Rapport d’expert de Zorc ni dans celui de Poje que ceux-ci ne sont pas fiables, ce qui, dans le cas contraire, les priverait de la valeur probante visée à l’article 89 C) du Règlement,

PAR CES MOTIFS,

EN APPLICATION des articles 89 et 94 bis du Règlement,

DÉCIDE ce qui suit :

  1. Les Rapports d’expert de Zorc et de Poje présentés par l’Accusation sont admis,

  2. Le général de brigade Milovan Zorc et le lieutenant-colonel Jozef Poje seront cités à comparaître afin d’être soumis à un contre-interrogatoire.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 1er avril 2004
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre de première instance
__________
Kevin Parker

[Sceau du Tribunal]


1. La Défense affirme en effet que : « Zorc ayant un intérêt personnel dans l’appréciation juridique et historique des conflits auxquels a pris part la JNA en 1991, il n’a pas compétence pour se prononcer en tant que témoin expert qui risque vraisemblablement de faire preuve de partialité ». Réponse relative au rapport d’expert de Zorc, par. 7.
2. Le Procureur c/ Stanislav Galic, affaire n° IT-98-29-T, Décision relative aux témoins experts Ewa Tabeau et Richard Philipps, 3 juillet 2002, p. 3.
3. Le Procureur c/ Radoslav Brdjanin, affaire n° IT-99-36-T, Décision relative à la présentation par l’Accusation de la déclaration du témoin expert Ewan Brown, 3 juin 2003.