Affaire n° : IT-01-42-T

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II

Composée comme suit :
M. le Juge Kevin Parker, Président
M. le Juge Krister Thelin
Mme le Juge Christine Van Den Wyngaert

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
17 juin 2004

LE PROCUREUR

c/

PAVLE STRUGAR

_________________________________

DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE DE LA DÉFENSE AUX FINS DE CERTIFICATION

_________________________________

Le Bureau du Procureur :

Mme Susan Somers
M. Philip Weiner

Les Conseils de l’Accusé :

M. Goran Rodic
M. Vladimir Petrovic

 

1. La présente décision de la Chambre de première instance II (« la Chambre ») porte sur la requête de la Défense du 2 juin 2004 (« la Requête de la Défense ») aux fins de certification de l’appel qu’elle souhaite interjeter contre la Décision relative à la requête de la Défense aux fins d’abandon des poursuites rendue par la Chambre le 26 mai 2004, par laquelle l’Accusé avait été déclaré apte à être jugé. La Requête de la Défense a été déposée dans les délais prescrits1.

2. Les décisions relatives aux requêtes, hormis celles relatives aux exceptions préjudicielles, ce qui n’est pas le cas de la Décision du 26 mai 2004, « ne [peuvent] pas faire l’objet d’un appel interlocutoire, à l’exclusion des cas où la Chambre de première instance a certifié l’appel ». L’article 73 du Règlement régit l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Chambre s’agissant de la certification des appels interlocutoires. L’article 73 B) du Règlement exclut toute certification à moins que les conditions nécessaires ne soient remplies ; toutefois, le cas échéant, il appartient néanmoins à la Chambre de première instance de se prononcer sur la demande de certification. En vertu de l’article 73 B) du Règlement, la Chambre de première instance peut certifier l’appel, « après avoir vérifié que la décision touche une question susceptible de compromettre sensiblement l’équité et la rapidité du procès, ou son issue, et que son règlement immédiat par la Chambre d’appel pourrait concrètement faire progresser la procédure ».

3. La Défense fait valoir que la décision relative à l’aptitude de l’Accusé à être jugé remplit les conditions posées par l’article 73 B) du Règlement. Selon la Défense, cette décision compromet l’équité du procès, ainsi que son issue et sa rapidité2. Les parties ayant convenu que les poursuites devraient être abandonnées si l’Accusé était déclaré inapte à être jugé, la Défense avance que la question pourrait se révéler déterminante pour l’issue du procès3. Elle soutient par ailleurs que la décision rendue porte atteinte aux droits conférés à l’Accusé en vertu du Statut du Tribunal, ce qui soulève un certain nombre de questions quant à l’équité du procès4. Selon elle, en outre, la question de l’aptitude de l’Accusé à être jugé se pose pour la première fois devant ce Tribunal et n’est abordée explicitement ni dans son Statut ni dans son Règlement. Or, il s’agit d’une question d’intérêt général pour le droit pénal international5. Les autres questions soulevées dans la Requête de la Défense s’inscrivent davantage dans le cadre de conclusions au fond.

4. L’Accusation avance que la Décision rendue par la Chambre le 26 mai 2004 peut satisfaire à la norme posée par l’article 73 B) du Règlement, dans la mesure où la question de l’aptitude de l’accusé à être jugé est fondamentale pour l’équité du procès6. Toutefois, l’Accusation fait valoir que la Défense, tout en arguant de manière très générale que la Décision est entachée d’erreurs de fait et de droit, ainsi que d’erreurs dans la norme juridique appliquée, ne précise pas les erreurs en question ni ce qu’elle estime constituer la norme juridique appropriée7. Selon l’Accusation, en l’absence de précisions concernant lesdites erreurs, la Chambre n’est pas en mesure de déterminer sur quelle base elle pourrait certifier l’appel8. De surcroît, l’Accusation estime que la Défense ne saurait soulever en appel des questions qui n’ont jamais été soulevées devant la Chambre, notamment la question de savoir s’il appartient à l’Accusé de prouver son inaptitude à être jugé9.

5. La question de l’aptitude de l’Accusé à être jugé revêt une importance considérable en ce sens qu’elle a une incidence fondamentale sur l’équité du procès. Il est donc manifeste que la Décision contestée remplit les deux premières conditions posées par l’article 73 B) du Règlement, à savoir qu’elle « touche une question susceptible de compromettre sensiblement l’équité S…C du procès ». Elle peut également compromettre sensiblement l’ « issue » du procès, mais il conviendrait pour en juger d’examiner le bien-fondé des arguments présentés par la Défense.

6. Toutefois, avant de faire droit à la demande de certification en application de l’article 73 B) du Règlement, la Chambre doit également vérifier que « SleC règlement immédiat Sde la questionC par la Chambre d’appel pourrait concrètement faire progresser la procédure ». Cette condition supplémentaire illustre le fait que l’article 73  B) du Règlement s’applique uniquement aux appels interlocutoires, à savoir aux appels interjetés en cours de procédure et avant que le jugement définitif ne soit rendu. Il ne s’agit donc pas pour la Chambre de déterminer si l’Accusé peut, dans l’absolu, soulever cette question en appel. En cas de condamnation à l’issue du procès, l’Accusé a le droit d’interjeter appel et de soulever éventuellement la question de son aptitude à être jugé. Dans le cas présent, il s’agit plutôt de déterminer si l’Accusé devrait interjeter appel à ce stade de la procédure. Là se situe le cœur du problème s’agissant de la présente espèce.

7. Comme l’a fait remarquer la Chambre dans la Décision contestée, l’objet de la Requête dont il est ici question, à savoir la question de l’aptitude de l’Accusé à être jugé, n’a pas été mentionné au moment de la mise en accusation de ce dernier. Si cette question avait été dûment soulevée avant le début de la présentation des moyens de preuve, la Défense aurait davantage été en mesure, à ce stade peu avancé de la procédure, de démontrer que « SleC règlement immédiat Sde la questionC par la Chambre d’appel pourrait concrètement faire progresser la procédure ». Or, la question n’a été soulevée en bonne et due forme qu’au moment où le procès était largement entamé. La Défense demande à présent la certification d’un appel interlocutoire à un stade avancé du procès. Le 18 mai 2004, après cinq mois d’audiences, l’Accusation a conclu la présentation de ses moyens. Sous réserve de la décision qui sera rendue par la Chambre au sujet d’une requête soumise en application de l’article 98  bis du Règlement, il est prévu que la présentation des moyens à décharge débute le 28 juin 2004 et dure un mois tout au plus. Par conséquent, sauf imprévu, la Chambre s’attend à ce que le procès soit terminé dans des délais assez brefs. 

8. En revanche, si la Chambre devait à ce stade certifier un appel interlocutoire contre la décision par laquelle l’Accusé a été déclaré apte à être jugé, il est probable que la procédure s’en trouverait considérablement retardée. Se poserait alors inévitablement la question de savoir si le procès devrait être suspendu en attendant que l’appel soit tranché. Dans de telles circonstances, il est difficile de voir en quoi le règlement immédiat de la question par la Chambre d’appel pourrait concrètement faire progresser la procédure. De plus, tout en étant profondément consciente que la Décision contestée porte sur des points juridiques importants sur lesquels le Tribunal ne s’était jamais prononcé auparavant, la Chambre n’est pas en mesure de déterminer, au vu du libellé très général de la Requête de la Défense, si cette Décision est éventuellement viciée en raison d’une omission ou d’une erreur. On peut également se demander si l’Accusé n’aurait pas autant - voire davantage - intérêt à ce que son procès s’achève rapidement, compte tenu notamment de son état de santé. En cas de condamnation, la question du bien-fondé de la décision par laquelle il a été déclaré apte à être jugé pourra alors être invoquée en appel suivant la procédure habituelle et au moment opportun. Ceci permettrait de créer des conditions plus favorables à un examen complet et attentif des points juridiques importants ainsi soulevés. Si la Chambre d’appel devait conclure que l’Accusé aurait dû être déclaré inapte à être jugé, toute condamnation prononcée à l’encontre de ce dernier serait alors annulée.

9. Pour les raisons susmentionnées et compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, la Chambre n’est pas d’avis que le règlement immédiat de la question par la Chambre d’appel pourrait concrètement faire progresser la procédure, cette condition étant requise par l’article 73 B) du Règlement pour que la Chambre fasse droit à la Requête de la Défense. La Chambre ne saurait être convaincue, en tout état de cause, qu’un examen mettant dûment en balance les considérations pertinentes justifierait qu’elle se prononce, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, en faveur de la Requête de la Défense à ce stade de la procédure. La Requête est donc rejetée.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 17 juin 2004
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre de première instance
__________
Kevin Parker

[Sceau du Tribunal]


1 - L’article 73 C) du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement ») dispose que les demandes de certification « doivent être enregistrées dans les sept jours suivant le dépôt de la décision contestée ».
2 - Requête de la Défense, par. 4.
3 - Requête de la Défense, par. 10 et 12.
4 - Requête de la Défense, par. 5.
5 - Requête de la Défense, par. 14.
6 - Réponse de l’Accusation, par. 4.
7 - Réponse de l’Accusation, par. 5 et 6.
8 - Réponse de l’Accusation, par. 9.
9 - Réponse de l’Accusation, par. 6, 7 et 8.