Tribunal Pénal International pour l'ex Yougoslavie

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1 Le mardi 27 janvier 2004

2 [Audience publique]

3 --- L'audience est ouverte à 9 heures 08.

4 [L'accusé est introduit dans le prétoire]

5 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Bonjour. Nous avions prévu, au début

6 de cette audience, d'entendre les arguments sur les deux sujets que j'ai

7 évoqués hier soir. Afin de tirer ces deux pôles au clair, cela ne devrait

8 pas prendre beaucoup de temps.

9 Maître Petrovic, vous allez vous adresser oralement à cette Chambre au

10 sujet du calendrier de la préparation des témoins experts.

11 M. PETROVIC : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. Oui,

12 effectivement. Vous savez que, lors de la Conférence préalable au procès du

13 15 décembre, le Juge de la mise en état a rendu une ordonnance adressée à

14 l'Accusation de communiquer toutes les déclarations des témoins experts

15 dans cette affaire avant le 31 décembre.

16 Puis avant la fin de l'an dernier, l'Accusation a demandé que ce délai soit

17 reporté en invoquant plusieurs raisons.

18 L'Accusation, avec l'entretien qui a eu lieu dans la Cour de M. Fred

19 Harhoff, où il a été question des délais prévus pour le dépôt ou la

20 communication plutôt des déclarations des témoins experts. A l'issu de cet

21 entretien, on a convenu que la déclaration de M. Allcock, qui a déjà

22 témoigné, que cette déclaration soit communiquée dans un délai de trois

23 semaines, alors que les autres rapports des témoins experts soient déposés

24 et communiqués quatre semaines avant le témoignage. C'était un entretien

25 non officiel dont c'est le cas. Voilà c'est le premier point.

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1 Le deuxième point, il ne s'agissait pas de Conférence de mise en état, ni

2 de Conférence consacré à l'Article 94 bis. Deuxième point, le 25 juillet

3 2003, le procès a été prévu pour le 9 octobre 2003. Le début du procès, vu

4 ces circonstances le fait que Mme Somers --

5 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Veuillez, je vous prie, ralentir

6 puisque les interprètes n'arrivent pas à traduire vos propos.

7 M. PETROVIC : [interprétation] Excusez-moi, Monsieur le Président; excusez-

8 moi, les interprètes.

9 Cet entretien a eu lieu dans des circonstances où l'on s'attendait à ce

10 que, dans un délai de six semaines, le procès débute. Mme Somers et son

11 équipe, ainsi que moi-même, étions surpris de ce délai fort court prévu

12 pour le début du procès. Ils ont rencontré des difficultés. Un grand nombre

13 de témoins n'ont pas été communiqués. Les experts n'ont pas été identifiés,

14 la cause n'a pas été préparée dans son intégralité et nous avions également

15 eu des problèmes durant cette phase-là.

16 Vu les circonstances et afin d'atteindre un compromis, nous avons accepté

17 que ces délais soient conformes à la requête, aux exigences qui figuraient

18 dans la requête de l'Accusation et voilà c'était ce que nous avons fait

19 dans cette situation, qui a été très difficile pour Mme Somers. Je suis sûr

20 qu'elle le confirmera. Depuis, quatre mois se sont écoulés et l'Accusation

21 a travaillé dur dans cette affaire, la situation n'est plus la même. Le

22 procès, qui était prévu pour le mois d'octobre, n'a débuté qu'en décembre,

23 donc cela fait une différence de trois mois et tout ceci n'a plus vraiment

24 beaucoup de sens puisque le procès a été reporté à plus tard. Il y avait

25 suffisamment de temps pour faire tout ce qu'il fallait faire en vertu du

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1 règlement.

2 A l'époque, on pensait que le procès allait commencer le 9 octobre, qu'il

3 allait durer de dix à douze semaines et, dans cette situation, il n'y avait

4 pas de sens de fixer un délai pour la fin de l'année avec l'arrestation,

5 notamment, de Vladimir Kovacevic.

6 Nous ne pouvons pas, cependant, agir comme la situation était la même.

7 Le délai du 15 décembre, qui a été fixé par le Juge de la mise en état, est

8 tout à fait réaliste et la Défense pouvait préparer sa cause et son analyse

9 par rapport au rapport d'experts.

10 Nous avons encore fait une concession à l'Accusation. Notre confrère, Nick

11 Kaufman, s'est entretenu avec moi vers le 23 ou le 24 décembre 2003

12 lorsqu'il m'a demandé si nous étions d'accord pour leur accorder un report

13 de délai et nous avons montré une coopération. Nous leur avons dit que, vu

14 la date du début du procès qui était fixé pour le 12 janvier, nous leur

15 avons dit que nous acceptions la date butoir soit le 12 janvier.

16 Deux semaines se sont écoulées depuis cette date. Nous n'avons pas reçu de

17 rapport d'expert et nous n'en avons pas discuté. Voici notre position et,

18 compte tenu de la date d'aujourd'hui, à savoir, le 27 janvier, donc 27

19 jours après la date fixée par le Juge de la mise en état. Nous demandons

20 qu'on n'autorise pas d'autres délais pour la communication de rapport et

21 d'expert. Nous estimons que le délai a expiré et il est nécessaire de

22 fournir à la Défense tout ce qui a rapport avec les témoins experts et les

23 rapports d'expert.

24 Vous savez comment est composé notre équipe de la Défense. Nous avons un

25 enquêteur, un assistant et mon confrère, bien sûr, Me Rodic et moi-même.

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1 Nous n'avons pas de moyens de logistiques, nous n'avons pas de personne que

2 nous pourrions consulter. Nous ne disposons pas de document de références

3 qui permettrait de nous confronter à tout ce qui figure dans les rapports

4 de témoins experts. Tous ceci sont des éléments clés pour la préparation de

5 notre cause et du contre-interrogatoire des témoins experts. Chaque journée

6 compte. Je comprends, tout à fait, les problèmes rencontrés par la partie

7 adversaire, mais nos problèmes, notamment, se lier à la logistique, sont

8 encore plus difficiles. Mme Somers peut s'adresser à des experts puisque

9 son équipe est composée d'experts et ces experts contribuent à l'efficacité

10 de sa cause. Nous n'avons pas d'éléments de ce type et ce qui nous aiderait

11 beaucoup serait qu'on nous fournisse les documents nécessaires à temps.

12 Un autre point que je souhaiterais soulever, il s'agit de la question de

13 traduction des rapports d'expert de nombreuses Chambres de première

14 instance de ce Tribunal. Le rapport d'expert est considéré comme valide à

15 partir du moment où il est rédigé dans sa langue d'origine et dans sa

16 traduction en B/C/S. Pourquoi je vous dis cela puisque les caractéristiques

17 des rapports d'expert doivent se mettre en conformité avec la déclaration

18 du témoin expert ? C'est pour cela qu'il est nécessaire que ce rapport soit

19 traduit dans la langue que l'accusé comprend. Nous estimons que notre

20 client a le droit de se familiariser avec ce texte. Il n'est pas en mesure

21 de le faire dans une autre langue autre que le B/C/S.

22 Je souhaiterais rappeler encore que le dernier rapport de M. Pringle, le

23 témoin qui devait comparaître jeudi et vendredi prochain, ce monsieur -- le

24 rapport de ce monsieur nous a été fourni le 22 décembre. Nous l'avons

25 analysé, nous l'avons examiné, mais le rapport n'a pas été communiqué en

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1 B/C/S que le 16 janvier. Ce n'est qu'à ce moment-là, que l'accusé a eu

2 l'occasion de se familiariser avec ce texte sans que nous puissions

3 interpréter ou analyser ce texte.

4 A l'appui de ce que je viens de dire, vient le fait suivant, dans une

5 majorité d'affaire porté devant ce Tribunal, la communication des rapports

6 d'expert est quelque chose qui est réglée dans la phase préalable au procès

7 dans les -- au tout début de cette étape. Les rapports d'experts sont déjà

8 communiqués, dans des nombreux cas, bien avant le début du procès, ce

9 conformément à l'Article 94 bis, où figure les délais prévus pour toutes

10 requêtes et liées aux rapports de témoins d'expert. Nous, voilà, en plein

11 procès, et nous allons entendre les témoins sur l'utilisation des unités

12 d'artillerie, des armements, et cetera. Tout ce que nous savons là-dessus

13 sont les noms des personnes qui vont comparaître. Alors, imaginez un

14 instant à quel point tout ceci sera compliqué. Depuis La Haye, nous sommes

15 censés trouver des réponses et élaborer notre stratégie. Ce que nous

16 demandons c'est que tous les rapports des témoins experts soient

17 communiqués afin que nous puissions préparer la défense de M. Pavle

18 Strugar, de manière efficace et appropriée.

19 Ensuite, je souhaiterais aborder un autre sujet qui n'est pas directement

20 lié à celui que je viens d'évoquer, mais il peut y avoir un lien quand

21 même. Ce qui nous intéresse, et nous n'avons pas encore eu l'occasion de

22 vous entendre là-dessus, est : quel serait le rythme de cette procédure ?

23 Comment imaginez-vous la présentation des causes ? Est-ce que cela sera en

24 continuité de la part de l'Accusation ? Est-ce qu'il y aura une pause entre

25 les deux ? Quels sont les délais prévus pour le dépôt des écritures, en

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1 vertu de l'Article 98 bis ? Le début de la présentation des arguments de la

2 Défense, enfin, tous ces éléments nous seront très utiles afin que nous

3 puissions préparer et planifier notre cause et nos réponses aux arguments

4 de l'Accusation.

5 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci, Monsieur Petrovic.

6 Madame Somers, c'est à vous.

7 Mme SOMERS : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président. Tout

8 d'abord, j'aimerais que la Chambre soit au courant de quelque chose qui a

9 trait à la réunion, qui a été évoquée par Me Petrovic, qui nous amène aux

10 rapports entre les différentes parties. Le seul type de réunions autorisé

11 est les réunions en rapport avec l'Article 65 ter du règlement. Il n'existe

12 pas de réunion informelle. Une réunion, en vertu de l'Article 65 ter du

13 règlement, a bien lieu le 19 septembre avec Me Petrovic, des représentants

14 du bureau du Procureur et des représentants du Greffe et des juristes de la

15 première équipe dans le cas de la Conférence de mise en état. A l'époque,

16 on a demandé qu'avant que M. Petrovic ne retourne à Belgrade, nous devions

17 nous réunir dans son bureau pour évoquer d'autres questions. Je ne sais pas

18 s'il y a eu un compte rendu qui a été fait, mais je sais que nous nous

19 sommes réunis le 24 septembre à 9 heures. Dans mes notes, je vois que

20 c'était une réunion en vertu de l'Article 65 ter du règlement. J'ai la

21 liste de présence et c'était une réunion des suivis pour évoquer les

22 questions en suspens et, notamment, la question des experts. A l'époque, il

23 a été établi clairement que les délais envisagés n'étaient pas forcément le

24 même que ceux prévus dans le règlement, mais je vois que j'ai -- quand nous

25 avons eu un entretien téléphonique à trois, avec notamment M. Kaufmann. Je

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1 vois que pour, les experts militaires, le délai a été de trois semaines, et

2 pour M. Allcock, deux semaines, mais nous avons décidé ces délais.

3 Par conséquent, suite à cette réunion, nous avons répercuté les données

4 suivantes à nos collaborateurs, à savoir que, lorsque nous nous entretenons

5 avec des juristes, ils parlent au nom des personnes avec qui ils

6 travaillent. C'est la base sur laquelle nous avons toujours travaillé. Si

7 j'ai bien compris, le 15 décembre, au moment de la conférence de mise en

8 état, c'est la première fois que l'on a évoqué, éventuellement, une

9 ordonnance pour la fin de l'année. Cela n'avait jamais été évoqué. Certes,

10 nous ne contestons pas les délais qui sont prévus dans l'article du

11 règlement concerné. Tout simplement, nous essayons de faire valoir que nous

12 nous fondions sur ce que nous avions défini, sur ce que nous avions décidé.

13 En récit, on vise à changer complètement les choses. Ces délais, qui sont

14 des délais très importants, doivent être respectés, à moins qu'on ne décide

15 de les modifier. Ici, on souhaite les modifier. La question est de savoir

16 qui doit-on croire, sur quelles paroles doit-on se fonder. La question de

17 la fin de l'année, je le répète, a été évoquée pour la toute première fois

18 le 15 décembre.

19 En tout état de cause, nous souhaitons que nous revenions à l'accord

20 initial qui a été pris en présence des conseils de la Défense. Me Petrovic

21 a dit, effectivement, la vérité, à savoir que le calendrier de l'audience a

22 été modifiée. Il y a eu, également, des modifications dans la question des

23 experts, étant donné la réduction de quinze chefs d'accusation et la région

24 très élargie de Dubrovnik, à la vieille ville, avec ses caractéristiques

25 propres.

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1 Toutefois, nous avons dû nous débrouiller pour obtenir des témoins très

2 rapidement, plus tôt que les dates initiales qui étaient prévues. Si je ne

3 m'abuse, dans mes entretiens sur la question qui concerne M. Kovacevic, on

4 parlait plutôt du 8 ou du 9 février. Je crois que cette question de la

5 disjonction des instances et autres a eu des répercussions très

6 importantes. Par conséquent, nous avons très peu de temps.

7 Nous ne prenons pas cette question de délais à la légère, mais nous devons

8 travailler dans des conditions raisonnables. La Défense avait un certain

9 nombre de positions, mais nous étions parvenus à un accord et nous espérons

10 que nous pourrons le respecter. Je peux vous dire, à présent, que nous

11 sommes déjà vers la fin de ce processus, mais nous espérons que le

12 résultat, en fin de compte, vous sera utile.

13 En réalité, ma préoccupation a davantage trait au moment où certaines

14 ordonnances seront rendues. Dans une réponse que j'ai présentée, j'ai

15 demandé un délai, j'ai demandé que l'on sursoie à rendre certaines

16 ordonnances. J'ai bien peur, qu'en l'occurrence, étant donné un certain

17 nombre de facteurs qui sont absolument justifiés, je crois que Me Petrovic

18 a tort de présenter la situation comme une situation de lutte entre David

19 et Goliath. Nos ressources ne sont pas illimitées.

20 Je crois que dans la question des experts, le problème est différent. Il

21 est très difficile de trouver des personnes qui peuvent s'exprimer de façon

22 très précise sur les questions. Les personnes ne sont pas forcément

23 motivées pour intervenir et nous sommes toujours très heureux de voir que

24 des experts très qualifiés sont prêts à témoigner. Ces personnes ont leurs

25 propres obligations et leurs propres agendas. Nous comprenons bien que

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1 cette question des délais est cruciale, mais j'insiste, à l'issue de cette

2 réunion, le 24 septembre, la situation était différente.

3 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Mais, qu'en est-il de la situation

4 suite à la conférence de la mise en état, vers la mi-décembre ? Quelle

5 était la situation à ce moment-là ?

6 Mme SOMERS : [interprétation] Je m'en souviens très bien. La Défense a

7 affirmé un certain nombre de choses et j'aimerais attirer l'attention des

8 Juges sur le fait que certaines règles ont changé. Dans le projet de

9 règlement de procédure et de preuve, dans le texte de 2001, la situation

10 était différente. On parlait de rapports. On affirme prétendument que les

11 rapports étaient présentés des années à l'avance, or cela n'a jamais été le

12 cas.

13 Dans l'ancien Article 94 bis du règlement, qui n'a été amendé que tout

14 récemment, on fixait un délai, pour un rapport de témoin expert, qui devait

15 être communiqué le plus rapidement possible et, au plus tard, 21 jours

16 avant la date de déposition. Étant entendu, qu'il incombait à la partie

17 citant le témoin expert de fournir le rapport à l'avance, dans un certain

18 délai. L'article actuel du règlement, demande aux Juges de la mise en état,

19 ou à la Chambre de première instance, de le faire. L'ordonnance du Juge de

20 la mise en état n'a été rendue que le 15 décembre, alors que les juristes

21 du Juge de la mise en état se sont entretenus avec nous le 24 septembre.

22 Tout cela mis à part, si l'on prend la réalité qui nous occupe, en termes

23 de traduction, ce qui a été dit est erroné. En effet, la traduction d'un

24 rapport de témoin expert, n'est pas couverte par l'Article 94 bis du

25 règlement. Me Petrovic affirme qu'il s'agit, là, d'une pratique

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1 institutionnelle. Certes, lorsque c'est possible, on le fait. Mais, si on

2 insiste que l'équipe de la Défense soit composé d'un membre parlant

3 anglais, c'est bien pour une raison. En vertu de l'Article 66 du règlement,

4 on veut que les déclarations soient déposées dans une langue que l'Accusé

5 comprend. Cela n'est pas repris dans l'Article 94 du règlement.

6 Cela étant dit, je crois que la situation est, peut-être, plus simple,

7 parce que les personnes dont les déclarations sont en suspens, viennent de

8 l'ex-Yougoslavie, et j'imagine qu'il sera certainement plus facile de les

9 fournir dans la bonne langue. Quant à la date de dépôt, il s'agit d'une

10 date de dépôt dans l'une des deux langues acceptées par le Tribunal, en

11 l'occurrence le français et l'anglais. C'est la date de dépôt qui compte et

12 c'est à partir de là que l'on commence à calculer.

13 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Mais, vous n'avez pas répondu à la

14 question que j'ai posée. Vous n'avez pas vraiment éclairci les choses. Vous

15 avez insisté sur le fait que vous aviez prévu les choses -- que vous aviez

16 pris un certain nombre de décisions dès le mois de septembre. Les Juges en

17 étaient bien conscients le 15 décembre et le Juge de la mise en état a

18 demandé que toutes les déclarations soient communiquées avant la fin du

19 mois. Maintenant, nous sommes déjà un mois plus tard, et il n'y a pas eu de

20 communication.

21 Mme SOMERS : [interprétation] Si le Président fait allusion aux

22 commentaires du juriste de la Chambre.

23 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je fais référence à l'ordonnance du

24 juge, Madame Somers.

25 Mme SOMERS : [interprétation] Oui, mais cette ordonnance doit être

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1 rattachée à tout ce qui s'est passé avant.

2 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Mais pourquoi ? Parce que ce

3 dispositif était en place, après quoi le juge a rendu une ordonnance en

4 fixant une date.

5 Mme SOMERS : [interprétation] Oui, mais nous avons indiqué à la personne

6 quelle était la situation et la modification était impossible, à ce moment-

7 là. Le 15 décembre, on a estimé qu'il fallait que l'affaire commence.

8 Personne ne pensait qu'elle allait commencer avant la fin de l'année.

9 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je n'ai pas de réponse à ma question.

10 Mme SOMERS : [interprétation] Ce que j'essaie de vous dire, c'est que nous

11 devions déposer une requête avec un exposé de motifs et c'est ce que j'ai

12 fait. J'ai essayé de montrer que dans ce non respect, on trouvait des

13 facteurs à l'appui qui étaient raisonnables. Notre calendrier n'était pas

14 le même et nous avons cru comprendre qu'il devait s'agir d'un délai de 30

15 jours. Je crois que c'est le juriste hors classe de la Chambre II qui

16 l'avait indiqué, mais nous avons décidé qu'il fallait interpréter cela

17 comme étant 30 jours avant la date.

18 Lorsque la Chambre, dans son ordonnance du 15, a dit un certain nombre de

19 choses, nous avons été pris de court. A ce moment-là, nous n'avons pas été

20 en mesure, étant donné l'historique de la situation, de nous tenir à ces

21 délais. Si nous pouvions reprendre les choses, alors nous aurions pu nous y

22 prendre à l'avance, mais cela n'a pas été possible. Nous n'avons pas essayé

23 de nous soustraire à cela de façon délibérée. Mais une fois de plus, nous

24 ne pensions pas qu'on allait nous demander de le faire à ce moment-là,

25 étant donné que nous avions interprété cela comme étant un délai de 30

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1 jours. Il y a une grande différence entre les 30 jours, 30 jours avant et

2 un délai précis. D'ailleurs, si les deux questions étaient liées, je ne

3 souhaiterais pas imposer cela à mes collègues.

4 Si à la conférence de mise en état du mois de décembre, quelqu'un a commis

5 une erreur peut-être aurions-nous dit, qu'entendez-vous par 30 jours ? Un

6 délai précis devrait être précis suffisamment à l'avance, et je crois que

7 cela nous permet de tirer un enseignement, à savoir ne pas laisser trop de

8 questions en suspens dans ce type de requête.

9 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Personnellement, je ne vois pas en

10 quoi l'obligation qui incombait à l'Accusation était vague. Je ne vois pas

11 non plus en quoi le fait que, maintenant, l'Accusation ait dépassé d'un

12 mois le délai soit vague, non plus. Pouvez-vous me dire, à présent, ce que

13 vous proposez en terme de délai ?

14 Mme SOMERS : [interprétation] Oui. Les documents sont pratiquement

15 parachevés mais il y a encore des questions de langue. Je pensais citer ces

16 personnes vers la fin du procès. Mais à ce stade, j'ignore quand on peut

17 envisager que le procès prendra fin. Est-ce que ce sera la fin mars, peut-

18 être, auquel cas je demanderai encore une dizaine de jours, au moins, pour

19 faire en sorte que sur le plan rédactionnel tout soit parfait. Par

20 ailleurs, nous devrons, également, nous assurer que nos préoccupations ont

21 trouvé une réponse, notamment sur les questions militaires.

22 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] De combien de rapports s'agit-il ?

23 Mme SOMERS : [interprétation] Deux.

24 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Deux.

25 Mme SOMERS : [interprétation] Nous avons entendu M. Allcock, le deuxième

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1 témoin et le général Pringle pour jeudi et vendredi.

2 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Quant aux deux autres rapports, est-ce

3 qu'ils sont déjà plus avancés ?

4 Mme SOMERS : [interprétation] Ils sont au même point.

5 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Vous souhaitez dix jours

6 supplémentaires ?

7 Mme SOMERS : [interprétation] Oui.

8 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Pouvez-vous faire la chose suivante ?

9 L'intervention de Me Petrovic et la vôtre nous amènent à examiner la

10 question des délais à l'avenir. Est-ce que vous pourriez indiquer à la

11 Chambre comment vous voyez les choses pour la fin de l'exposé des moyens de

12 preuves de l'Accusation ?

13 Mme SOMERS : [interprétation] A l'avenir de ma lecture du compte rendu

14 d'audience et des conférences de mise en état, je me disais que la Défense

15 obtiendrait 60 % du temps à l'Accusation.

16 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Ne vous fiez pas à cela.

17 Mme SOMERS : [interprétation] Bien. Je crois que la date du

18 5 mars avait été avancée par le Juge Orie si je ne m'abuse. Je ne pense pas

19 que cela soit réaliste. Notamment à la question de la santé de l'accusé. Je

20 pense que si nous envisageons la date de la mi-mars ou de la fin mars, nous

21 ne pourrons pas entendre deux témoins par jour et même trois témoins par

22 jour dans certains cas, après les décisions sur les dépositions vidéos et

23 l'Article 92 bis du règlement, j'imagine que les témoins se présenteront en

24 personne dans la plupart des cas.

25 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] J'imagine qu'il y a une différence

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1 entre certains des témoins dont nous nous sommes occupés et certains

2 témoins qui seront appelés à déposer.

3 Mme SOMERS : [aucune interprétation]

4 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Si la Chambre était prête à accorder

5 une marge de manœuvre, c'était pour une raison particulière. Je crois que

6 ceux qui seront appelés à déposer ne seront pas de la même importance.

7 Mme SOMERS : [interprétation] Oui.

8 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] C'est la raison pour laquelle, nous

9 pensons que le contre-interrogatoire de ces témoins-là sera certainement

10 plus court que pour certains des témoins jusqu'ici.

11 Mme SOMERS : [interprétation] Oui, je suis d'accord, Monsieur le Président,

12 la plupart sont des témoins factuels. Mais certains sont des témoins de

13 fait qui sont des anciens membres de l'ECMM. L'ancien accusé déposera

14 également. J'imagine que ces dépositions seront longues, les contre-

15 interrogatoires également, et les documents à l'appui nombreux. Par

16 conséquent, j'imagine que cela nous amènera vers la mi-mars ou vers la fin

17 mars jusqu'à la fin si le contre-interrogatoire reste dans des limites

18 raisonnables.

19 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Est-ce que vous envisagez d'ores et

20 déjà des interruptions dans la présentation de vos éléments de preuve ?

21 Mme SOMERS : [interprétation] Avant que nous en aurons terminé ? Et bien

22 avant je n'ai jamais eu de telles interruptions avant de terminer, mais si

23 le Président, si les juges souhaitent proposés quelque chose --

24 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Ce n'est pas moi qui ai évoqué la

25 question, c'est Me Petrovic. Je me disais que vous en saviez peut-être plus

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1 que moi.

2 Mme SOMERS : [interprétation] Oui, mais nous souffrons tous du rythme qui

3 nous est imposé. Je pense que la situation est difficile pour tous. Mes

4 collègues m'encouragent à répondre que oui. Mais est-ce que j'avais prévu

5 quelque chose dans ce sens, non. Nous pensions simplement aller de l'avant.

6 Par contre ce que nous constatons, c'est que nous devons parfois appeler à

7 nouveau des témoins dont on laisse les témoignages en suspens en plein

8 milieu du contre-interrogatoire. J'imagine que de tels changements

9 interviennent plus souvent que nous le souhaiterions. Aujourd'hui même, on

10 m'a posé la question sur un témoin dont la déposition a été prévue pour

11 cette semaine, qui est sur place, or je ne pense pas que nous en arrivions

12 là, cette semaine.

13 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Surtout compte tenu du temps que nous

14 consacrons à invoquer toutes ces questions ce matin.

15 Mme SOMERS : [interprétation] Oui. Mais il y a d'une part la théorie et

16 d'autre part la réalité. La théorie, c'est d'évoquer ces questions-là comme

17 nous le faisons et une fois, à une occasion nous avons dû consacrer plus de

18 temps que nous l'avions prévu aux questions supplémentaires. Mais je pense

19 que la fin du mois de mars est une date réaliste. Je ne vois pas

20 d'interruptions prévues.

21 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Nous ne souhaitons qu'il y ait des

22 pauses, mais en attendant Me Petrovic, je me suis dit qu'il y a eu, peut-

23 être, des discussions entre vous.

24 Mme SOMERS : [interprétation] Oui. J'aurais bien voulu le faire, mais,

25 malheureusement, nous ne pourrons pas le faire. Nous avons tous les mêmes

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1 désavantages, mais il y a très peu davantage dans tout cela. Je vous

2 demande de corriger ces délais -- de nous accorder des délais

3 supplémentaires car, vu les circonstances en l'espèce, je pense qu'il

4 aurait été plus facile de procéder autrement, mais nous agissons de bonne

5 foi et il y a eu des discussions. Je suis contente qu'il y ait eu des

6 discussions, mais nous essayons d'aller le plus rapidement possible et nous

7 essayons vraiment de procéder le plus rapidement possible et c'est que nous

8 vous affirmons aujourd'hui.

9 A vous le Juge de la Chambre de première instance.

10 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci.

11 [La Chambre de première instance se concerte]

12 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Monsieur Petrovic, y a-t-il des points

13 importants auxquels vous approuvez le besoin de répondre ?

14 M. PETROVIC : [interprétation] J'ai tout simplement voulu dire même si les

15 portions importantes de ce que ma collègue du bureau du Procureur -- je

16 n'ai pas compris -- enfin, j'ai compris ce qu'elle disait, mais je ne

17 comprenais pas vraiment ce qu'elle voulait dire par là et non pas répondu à

18 fond de notre requête. Tout d'abord, il était prévu autour de toutes nos

19 conversations que le procès commence le 9 octobre.

20 C'est le président, qui a pris cette décision, le 25 juillet de l'année

21 dernière, depuis six mois se sont déroulés, et nous n'avons toujours pas

22 reçu ces rapports d'experts. Les Juges de la mise en état prennent les

23 décisions, quant à la communication de ces rapports et, quand ils prennent

24 cette décision, elle n'est pas limitée à une durée de 30 jours -- un délai

25 de 30 jours. Il s'agit là d'un délai officiel qui relève de l'Article 94

Page 1335

1 bis (d), mais cet article est parfaitement clair et la situation, que nous

2 avons aujourd'hui, par rapport à la situation que nous avions au mois

3 d'octobre au mois de décembre, est complètement différente à présent. Nous

4 espérons pouvoir recevoir ces rapports et nous espérions les recevoir avant

5 le 31 décembre -- le 31 janvier, de sorte que nous puissions profiter de

6 ces derniers jours du mois de janvier pour travailler. De toute façon, ce

7 travail ne peut être fait qu'à Belgrade ou Podgorica.

8 Étant donné aujourd'hui que nous sommes le 27 janvier et nous nous

9 demandons quand cela va se produire. Est-ce qu'à nouveau, il va y avoir de

10 nouveaux délais, des délais de cinq, dix, 15 jours ?

11 Il y a aussi quelque chose dont j'ai parlé. Nous avons reçu ce rapport en

12 langue slovène et personne d'entre nous ne parle slovène, mais, au moins,

13 nous aurions pu voir quelles sont les pièces jointes, quelle est la méthode

14 appliquée, de quelle façon on aborde le thème. Nous avons abordé ces sujets

15 à plusieurs reprises nous leur avons dit, nous comprenons, nous comprenons

16 les problèmes qui sont les vôtres. Mais donnez-nous ce rapport même écrit

17 dans la langue qui n'est pas une langue auquel l'accusé comprend -- que

18 nous comprenons ou bien qui n'est pas une langue officielle de ce Tribunal.

19 Mais même cela nous ne l'avons pas reçu. Nous n'avons pas pu obtenir et

20 c'est pour cela nous nous voyons obliger de vous demander une pause de --

21 d'instaurer une pause pour nous préparer pour consulter les experts -- pour

22 nous préparer convenablement pour aborder notre contre-interrogatoire. Je

23 vous dis que c'est une possibilité à laquelle nous réfléchissons par

24 rapport à la situation à laquelle nous sommes en train de faire face. Je

25 n'ai pas autre chose.

Page 1336

1 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci, Maître Petrovic.

2 Nous considérons que toute déclaration future d'experts qui fera partie de

3 la présentation des moyens de preuve du Procureur, si j'ai bien compris, il

4 y en a deux, devraient être communiqués d'ici mardi de la semaine

5 prochaine, à savoir dans l'espace de sept jours et pas dix jours. Si tel

6 n'est qu'un -- n'est pas le cas et bien, nous ne serons pas en mesure

7 d'accepter ces éléments de preuve -- ces rapports.

8 Mme SOMERS : [interprétation] Merci, Monsieur le Président, et je vais

9 passer le message le plus rapidement possible.

10 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Maître Petrovic, si vous recevez ces

11 déclarations aussi bien en anglais et en B/C/S d'ici mardi prochain, est-ce

12 que -- et si cela ne vous est pas suffisant pour vous préparer -- pour

13 préparer votre contre-interrogatoire, la question va se poser, à ce moment-

14 là, si, à ce moment-là, vous voyez que vous n'arrivez pas à faire face à la

15 situation.

16 Mme SOMERS : [interprétation] Je suis désolée, mais je ne suis pas en

17 mesure de vous garantir les disposés de la version en B/C/S pour les deux

18 rapports d'experts. Il est sûr que nous allons pouvoir communiquer ces

19 rapports en langue anglaise, mais en ce qui concerne la traduction, elle

20 dépend de la capacité du CLSS du service de la Traduction du Tribunal, et

21 je ne peux pas vous garantir de fournir la traduction en langue B/C/S.

22 M. PETROVIC : [interprétation] Monsieur le Président, à nouveau, nous nous

23 trouvons dans une situation où votre décision, qui représente une

24 constitution extraordinaire au bureau du Procureur, est mise en question.

25 Nous savons très bien quels sont les affaires du Tribunal et, si on fait

Page 1337

1 preuve de suffisante volonté, nous savons très bien que l'on peut aboutir à

2 des résultats -- on peut obtenir des résultats. Je vous prie de ne pas

3 permettre que votre décision ne soit pas respectée entièrement, telle

4 qu'elle vient d'être prise par vous, les Juges de cette Chambre de première

5 instance.

6 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] J'ai compris et qu'une partie des

7 raisons de ces délais vient du problème de traduction complète. Peut-être

8 que je n'ai pas très bien compris ce que Mme Somers disait. Nous ne pouvons

9 pas ordonner qu'une déclaration soit fournie en langue B/C/S, mais nous

10 pouvons ordonner qu'une déclaration soit soumise, et cela doit être fait

11 d'ici mardi prochain et je m'attends à ce que le Procureur fasse son

12 nécessaire pour vous fournir cette même déclaration traduite en B/C/S en

13 même temps. Si tel n'est pas le cas et si, à cause de cela, il y a des

14 délais supplémentaires, dans ce cas, nous allons prendre certainement en

15 compte ce problème. Si vous êtes obligé de demander des délais

16 supplémentaires, à cause de cela, pour pouvoir vous préparer -- pour

17 répondre à ces déclarations, nous allons y réfléchir, mais nous espérons

18 que ceci va être évité et qu'il serait possible d'obtenir les traductions,

19 qui seront également d'ici mardi prochain.

20 Avec ceci, il se termine ce thème, nous avons épuisé ce thème. Mais, il

21 nous en reste un autre. Il s'agit de la question de la pertinence de

22 l'admissibilité de la recevabilité d'un certain nombre d'éléments

23 concernant l'expert, prévu pour la fin de cette semaine, à savoir, le

24 général Pringle. Je vois que vous avez reçu une réponse écrite, Madame

25 Somers ?

Page 1338

1 Mme SOMERS : [interprétation] Oui, nous l'avons reçue hier.

2 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je pense que vous avez vu que nous

3 venons de la recevoir.

4 Mme SOMERS : [interprétation] Je m'en excuse, je ne sais pas de quelle

5 façon nous faisons cela, de quelle façon sont distribués les documents,

6 mais, dans le futur, je m'efforcerai de vous communiquer immédiatement une

7 copie de courtoisie.

8 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Est-ce qu'il y a quoi que ce soit que

9 vous souhaitiez ajouter à votre requête écrite ?

10 Mme SOMERS : [interprétation] Je pense que la requête parle d'elle-même. Il

11 s'agit d'un point qui va au cœur du problème du commandement et du

12 contrôle, les Articles 7.1 et 7.3 du Statut. Je pense que les Juges de la

13 Chambre vont trouver que ce général britannique est pertinent car c'est

14 très important de voir quels sont ces principes qui s'appliquent à toutes

15 les forces armées modernes.

16 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Il s'agit de principes, mais les

17 principes, qu'il convient d'examiner, ce sont les principes qui régissaient

18 l'armée de l'accusé, pendant l'époque pertinente couverte par l'acte

19 d'accusation, pas des principes généraux, des armées en général. Il s'agit

20 de principes qui gouvernaient la JNA.

21 Mme SOMERS : [interprétation] Oui, justement le général Pringle va en

22 parler car il connaît aussi cette armée particulière. Il connaît, au moins,

23 ces règlements de procédure et je pense que la Défense tout simplement n'a

24 pas correctement qualifié les faits dans sa réponse. De toute façon, il

25 s'agit là d'évaluer le poids à accorder.

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1 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Maître Petrovic, est-ce que vous

2 voulez ajouter quelque chose ?

3 M. PETROVIC : [interprétation] Tout d'abord, au fond, il s'agit de la

4 personnalité du témoin expert. Vous allez prendre votre décision par

5 rapport à cela. En ce qui concerne ce premier point soulevé, à savoir, la

6 question de pertinence, je pense qu'il convient absolument en parler.

7 Pourquoi ? Parce que le principe, et les normes, telles qu'exposées,

8 n'existaient tout simplement pas dans la JNA, à l'époque pertinente pour

9 l'acte d'accusation. Les concepts de l'armée britannique, qui est exposés

10 dans son rapport d'expert et les concepts de la JNA, sont deux concepts

11 complètement différents. Il s'agit de deux armées, qui découlent de deux

12 systèmes politiques et sociaux complètement différents. D'une part, vous

13 avez une armée de recrues, une armée qui vient d'un système communiste, et

14 d'un autre côté, vous avez l'armée professionnelle britannique, du système

15 britannique. Monsieur Pringle s'appuie sur deux documents -- pas plus que

16 deux documents dans son analyse d'expert. Je pense que c'est le Bureau du

17 Procureur qui lui a fourni ces deux documents et c'est sur la base de ces

18 deux documents qu'il essaie de tirer des conclusions assez étirées

19 concernant les similarités éventuelles entre la JNA et l'armée britannique.

20 Il s'agit de deux côtés d'une même médaille, de face et pile, du revers de

21 la médaille. Ce sont deux choses différentes. Il n'y a rien de commun entre

22 ces deux organisations.

23 Il vous appartient de prendre la décision, si vous le souhaitez, entendre

24 cette déposition. Nous, nous considérons qu'il est absolument impossible de

25 trouver des ressemblances entre l'armée britannique et l'armée yougoslave,

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1 mais, si le Procureur considère qu'il s'agit là d'un élément essentiel pour

2 sa présentation de moyens de preuve, nous pouvons l'entendre,

3 effectivement. Mais nous considérons que cela représente une grande perte

4 de temps et, si vous faites droit à notre requête, je pense que par là,

5 nous allons vraiment gagner beaucoup de temps et beaucoup de ressources du

6 Tribunal.

7 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci, Me Petrovic.

8 Nous venons, en effet, de recevoir votre réponse écrite et nous allons

9 réfléchir à ce sujet avant de prendre notre décision.

10 Madame Somers.

11 Mme SOMERS : [interprétation] Avec la permission des Juges de la Chambre,

12 le Procureur va présenter son prochain témoin. Il va être interrogé par M.

13 Weiner et il s'agit de M. Ivo Grbic.

14 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Quelle est son nom de famille, s'il

15 vous plaît, pouviez-vous l'épeler ?

16 Mme SOMERS : [interprétation] G-r-b-i-c.

17 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Mais il n'est pas sur la liste des

18 témoins.

19 Mme SOMERS : [interprétation] Pourriez-vous me permettre de quitter le

20 prétoire pour quelques instants et je vais revenir.

21 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Très bien, très bien, allez-y, Madame

22 Somers. Vous nous laissez entre les mains de Me Weiner.

23 Mme SOMERS : [interprétation] Oui, je pense que vous êtes entre les bonnes

24 mains. Je souhaitais aussi vous présenter un autre membre de notre équipe,

25 Mme Prashanthi Mahindaratne, qui est aussi membre du bureau du Procureur.

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1 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Très bien. Merci.

2 Monsieur Weiner.

3 Pourriez-vous, s'il vous plaît, faire entrer le témoin ?

4 [La Chambre de première instance et le Greffier se concertent]

5 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Nous sommes informés qu'il y a une

6 difficulté temporaire de faire entrer le témoin dans le prétoire. Ce qu'on

7 propose c'est de prendre notre pause matinale, d'une demie heure,

8 maintenant, plus de bonne heure, pour donner l'opportunité au témoin d'être

9 prêt de retourner.

10 --- L'audience est suspendue à 10 heures 07.

11 --- L'audience est reprise à 10 heures 44.

12 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] M. Grbic, je vous prie de donner

13 lecture de la déclaration solennelle.

14 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirais la

15 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

16 LE TÉMOIN: IVO GRBIC [Assermenté]

17 [Le témoin répond par l'interprète]

18 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Le témoin est à vous, Monsieur Weiner.

19 M. WEINER : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

20 Interrogatoire principal par M. Weiner :

21 Q. [interprétation] Je vous prie de déclarer votre identité.

22 R. Je m'appelle Ivo Grbic.

23 Q. Où habitez-vous ?

24 R. J'habite à Dubrovnik actuellement.

25 Q. Pouvez-vous nous donner la date de votre naissance ? Quel âge avez-

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1 vous ?

2 R. Je suis né le 25 octobre 1931.

3 Q. Vous avez 72 ans, n'est-ce pas ?

4 R. Oui, j'ai 72 ans.

5 Q. Pouvez-vous nous donner des détails concernant votre parcours

6 professionnel ?

7 R. Je suis peintre et je suis à la retraite.

8 Q. Vous êtes artiste peintre ?

9 R. Oui.

10 Q. Votre profession de peintre, l'avez-vous enseigné également ?

11 R. Oui, pas maintenant, mais pendant une autre période, j'ai enseigné à

12 l'école des arts appliqués à Zagreb.

13 Q. Vos œuvres ont été exposés en Europe, Asie et l'Amérique latine ?

14 R. Oui.

15 Q. Où habitez-vous à Dubrovnik ? Où précisément, dans la vieille ville de

16 Dubrovnik ? Quelle est votre adresse ?

17 R. Au centre même de la vieille ville, et mon adresse est Od

18 Puca 16.

19 Q. Quand avez-vous emménagé à cette adresse 16 Od Puca ?

20 R. Lorsque j'ai divorcé à Zagreb, j'ai rejoint le domicile de mes parents

21 à Dubrovnik.

22 Q. Quand était-ce ? Quelle année ?

23 R. Je suis revenu à Dubrovnik en 1983.

24 Q. Combien de temps vos parents ont-il habité à cette adresse ?

25 R. Ils y habitaient depuis 1970.

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1 Q. Pouvez-vous me décrire cette maison qui se situe à l'adresse 16, rue Od

2 Puca ?

3 R. C'est un hôtel particulier, qui a été construit après le tremblement de

4 terre dévastateur de 1667. Il s'agit d'un palais baroque, qui a toutes les

5 caractéristiques de ce style. Ce qui était spécifique c'était les trois

6 balcons qui avaient des ornements floraux uniques à Dubrovnik.

7 Q. Où habitiez-vous dans ce palais, où précisément ?

8 R. Au deuxième étage, et nous avions également accès au comble.

9 Q. Vous pensez au "comble" ?

10 R. Les combles n'étaient pas habités, mais il y avait des installations

11 sanitaires et une vieille cuisine baroque.

12 Q. Bien. Y avait-il d'autres locataires dans ce palais ?

13 R. Oui. Une autre famille, la mère s'appelait Goja. Elle s'est mariée avec

14 un certain M. Lucic et il n'y a que ces deux personnes-là qui y habitent,

15 donc la famille Lucic.

16 Q. A présent, au mois d'octobre, 1er octobre 1991, habitiez-vous à ce même

17 endroit à cette date ?

18 R. Oui.

19 Q. Quelque chose s'est-il passé à 7 heures du matin du

20 1er octobre 191 ?

21 R. Oui. Quelque chose de très important s'est produite. Deux avions ont

22 tiré sur le relais de télévision qui se trouvait sur la colline Srdj.

23 Q. Qu'est-il arrivé à ce relais de télévision ?

24 R. Il ne fonctionnait plus par la suite; il était endommagé. Après quelque

25 chose d'inédit s'est produite, nous n'avions plus d'eau, ni d'électricité.

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1 Q. Saviez-vous s'il y a eu, à cette époque-là -- à cette période-là, une

2 sorte de blocus ?

3 R. Bien sûr, nous étions bloqués et surtout du côté de la mer.

4 Q. Pendant ce blocus, vous n'aviez pas d'eau, d'électricité ?

5 Comment vous débrouillez-vous pour obtenir -- pour avoir un peu d'eau ?

6 R. Nous avions des réservoirs d'eau et le plus gros se trouvait aux

7 monastères franciscain et dominicain. Certains particuliers avaient un

8 réservoir dans leurs maisons et ils nous distribuons entre nous cette eau

9 avec parcimonie.

10 Q. Y avait-il d'autres moyens que vous recouriez, vous-même, ainsi que

11 d'autres familles pour obtenir de l'eau ? Avez-vous des puits ?

12 R. Vers le 1er novembre, la pluie est tombée et nous récoltions cette eau

13 de pluie. Par exemple, ce que j'ai fait, j'ai pris une bouteille en

14 plastique et je l'ai reliée avec une sorte de tuyau à la maison après

15 l'avoir placé en dessous de la gouttière, donc c'est comme cela que nous

16 récoltions l'eau.

17 Q. Passons maintenant au mois d'octobre 1991. Est-ce que, pendant ce mois-

18 là la vieille ville a fait l'objet d'attaques ?

19 R. Oui.

20 Q. A quelle période précisément de ce mois-là ?

21 R. Vers la fin du mois d'octobre à partir du 23, 24 octobre, la ville a

22 été pilonnée.

23 Q. Je vous prie de dire aux Juges de cette Chambre ce que vous avez fait

24 lorsque le pilonnage s'est produit ?

25 R. Je me trouvais derrière dans le lieu où j'habitais, je me promenais

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1 avec ma sœur dans cette rue, la rue Od Puca. Au bout de la rue, à l'ouest,

2 il y avait un magasin de chaussures. Ma sœur a regardé des chaussures, qui

3 se trouvaient dans la vitrine, comme le font d'habitude les femmes, et moi

4 j'étais à côté.

5 Q. Quelque chose s'est passée ?

6 R. C'est vraiment quelque chose que personne n'attendait. Du côté sud,

7 derrière nous, nous avons entendu une forte explosion. Des morceaux de

8 tuiles, d'éclats d'obus et de pierres sont tombés sur tout ce bloc de

9 maisons.

10 Q. Qu'avez-vous fait ?

11 R. Nous sommes rentrés en courant à la maison, c'est une distance de 70

12 mètres environ. Quand ma sœur est entrée dans la maison, quant à moi j'ai

13 vu tout près de la maison de la rue Djordjiceva, j'ai vu un objet qui

14 représentait en fait une partie d'un obus. Je l'ai pris et il était encore

15 chaud. A mes yeux, c'était une sorte de souvenir.

16 Q. Vous êtes rentré chez vous.

17 R. Je me suis rendu lentement. Personne n'avait envisagé que quelque chose

18 de terrible allait se produire, par la suite.

19 Q. Qu'avez-vous fait à la maison ?

20 R. Je me suis dirigé vers la fenêtre qui se situe à l'ouest de notre

21 appartement et là, j'ai vu que le toit du musée Rupe avait été percé. On

22 pouvait très bien le voir depuis notre fenêtre. Celui-ci se situe au sud

23 par rapport à notre maison.

24 Q. Alors vous êtes resté près cette fenêtre, chez vous.

25 R. J'y suis resté pendant un certain temps. J'étais très surpris de voir

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1 que quelqu'un ait bu bombarder les villes qui figuraient sur la liste de

2 l'UNESCO.

3 Q. Est-ce que quelque chose s'est produite pendant que vous étiez près de

4 cette fenêtre ?

5 R. Ensuite, je me suis dirigé vers l'est, vers la fenêtre qui se trouve à

6 l'est. J'ai entendu un son très particulier comme le battement des ailes

7 d'un oiseau. Je me suis jeté par terre. Par la suite, j'ai entendu une

8 autre explosion.

9 Q. Vous êtes retourné près de la fenêtre pour ce qui se passait ?

10 R. J'ai vu la fumée du même côté de la rue, de la rue Od Puca à une 20

11 mètres de la fenêtre. Ensuite, lorsque nous sommes descendus dans la rue,

12 nous avons remarqué que c'était la maison de M. Pecar qui avait été

13 touchée.

14 Q. Pouvez-vous décrire les dégâts sur la maison de Pecar ?

15 R. Il y avait des fenêtres en haut de la maison, sous le toit, c'est là

16 que se situait leur cuisine. L'obus est tombé là et a tout détruit.

17 Heureusement, les membres de cette famille n'étaient pas dans la cuisine.

18 Ils étaient en bas dans l'appartement, il n'y a pas eu des victimes.

19 Q. Quelle est la distance qui sépare la maison de Pecar de la vôtre ?

20 R. Je pense qu'entre les deux, il n'y a même pas 20 mètres, 19, 20 mètres

21 environ. Elles sont tout près l'une de l'autre.

22 Q. Les dégâts sur la maison de Pecar et ce que vous avez pu constater sur

23 le musée de Rupe existaient-ils avant le pilonnage ?

24 R. C'étaient les premiers obus qui sont tombés au centre de la vieille

25 ville de Dubrovnik.

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1 Q. A un moment donné, vous êtes-vous promené dans la vieille ville ?

2 R. Les citoyens de la ville et nous-mêmes, nous nous sommes promenés, nous

3 étions fort étonnés et nous avons voulu voir s'il y a eu d'autres dégâts.

4 Nous sommes arrivés au milieu de la rue Boskovica, cette rue qui porte le

5 nom d'un des plus grand scientifique de l'histoire de l'humanité, Rudjer

6 Boskovic. Un obus a atterri dans cette rue-là aussi.

7 Q. Cet obus a-t-il entraîné des dégâts ? Avez-vous pu le remarquer ?

8 R. Oui, les dégâts étaient énormes des deux côtés de la rue. A à droite se

9 trouvait, à l'époque, ce qui est jusqu'à ce jour, la synagogue la plus

10 ancienne d'Europe. C'est la troisième vu son année de sa construction.

11 Q. Quels sont les dégâts que vous avez pu constater ?

12 R. Toutes les vitres étaient brisées -- les fenêtres, l'obus n'est pas

13 sélectif. L'obus détruit tout ce qui se trouve sur son passage.

14 Q. Avez-vous pu observer des dégâts sur d'autres maisons ?

15 R. Ce que je veux énumérer s'est produit au courant du mois d'octobre,

16 c'est ce que j'ai vu de mes yeux vus. C'est ce que j'ai vécu.

17 Q. Je comprends. Au mois d'octobre, avez-vous pu voir d'autres bâtiments

18 qui auraient subi des dégâts à proximité de la synagogue ?

19 R. Oui. Lorsque l'obus tombe, il provoque des dégâts sur les immeubles

20 voisins. C'était le cas en l'occurrence mais comme je ne connais pas le

21 propriétaire de ces maisons, je ne saurais dire leurs noms.

22 Q. Bien. Avez-vous pu constater d'autres dégâts causés par le pilonnage au

23 courant du mois d'octobre ?

24 R. Je ne me souviens pas.

25 Q. Les bateaux, les véhicules, des objets mobiles ont-ils été endommagés ?

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1 R. Ah, oui.

2 Q. [aucune interprétation]

3 R. Je pensais que vous n'aviez à l'esprit que les immeubles, les maisons.

4 Bien sûr, au nord, derrière les remparts de la ville, se trouve un plateau,

5 une sorte de parking. J'ai vu la fumée qui s'élevait au-dessus de cet

6 endroit. Pourquoi ? Puisque beaucoup de véhicules, beaucoup de voitures ont

7 été touchées et brûlées.

8 Q. Vous venez de dire que cet endroit se trouve à l'extérieur des

9 remparts, c'est dans la vieille ville ?

10 R. Non, non. Au nord, à l'extérieur de la vieille ville.

11 Q. A quelle distance se trouve ce parking par rapport aux remparts ?

12 R. C'est immédiatement à côté des remparts. C'est là que nous jouions du

13 foot et après, ils ont construit un parking à cet endroit-là.

14 Q. Monsieur, à cette date, lorsque vous vous promeniez avec votre sœur ou

15 à une autre date, avez-vous pu remarqué la présence de pièces d'artillerie

16 dans le centre de la vieille ville ?

17 R. [aucune interprétation]

18 Q. Avez-vous, jamais, vu de soldats croates en octobre 1991, à l'intérieur

19 de la vieille ville ?

20 R. Non.

21 Q. Avez-vous, jamais, vu des soldats tirer depuis des positions qui se

22 trouvaient sur les remparts ?

23 R. Non.

24 Q. Ou, jamais, vu quelqu'un tirer depuis la vieille ville ?

25 R. Non. Non, c'est impossible.

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1 Q. Je vais vous poser la question suivante. Vous avez évoqué les pièces

2 d'artillerie et les mortiers. Y connaissez-vous quelque chose ?

3 R. Un peu.

4 Q. Avez-vous fait votre service militaire dans la JNA ?

5 R. Oui.

6 Q. Quand ?

7 R. En 1958, après avoir terminé mes études universitaires. De 1958

8 jusqu'en 1959, cela a duré un an.

9 Q. Quelle était votre unité, au sein de la JNA ?

10 R. J'étais artilleur. J'y ai passé trois mois, à Cuprija.

11 Q. Après cette période de formation, votre service militaire, de 1958 à

12 1959, avez-vous suivi d'autres formations ou instructions dans la JNA ?

13 R. Non, plus jamais.

14 Q. Je vous remercie. A présent, au mois de novembre 1991, habitiez-vous

15 toujours, à l'époque, dans la rue Od Puca ?

16 R. Oui.

17 Q. Pouvez-vous dire aux Juges de cette Chambre si la vieille ville a fait

18 l'objet des attaques de pilonnage en novembre 1991 ?

19 R. Je sais que les 10, 11 et 12, soit lundi, mardi, mercredi, plutôt

20 dimanche, lundi, mardi, le pilonnage était ininterrompu. Nous ne pouvions

21 pas sortir de la maison. Mardi, c'était particulièrement difficile. Ma sœur

22 était au bord de la crise de nerfs. Je lui ai dit de mettre du coton dans

23 ses oreilles, pour ne plus entendre les sifflements. Pendant dix heures,

24 sans interruption, la ville a été pilonnée.

25 Q. Est-ce que vous avez pu observer les dégâts provoqués par ce

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1 pilonnage ?

2 R. Nous avons pu le constater qu'une fois le pilonnage a terminé.

3 Mercredi, une certaine accalmie s'est installée.

4 Q. Lorsque vous êtes sorti de chez vous, avez-vous pu observer les

5 dégâts ?

6 R. A l'époque, j'habitais avec ma mère qui avait 88 ans et c'est avec ma

7 sœur que je sortais. Nous nous sommes rendus à Pile, la partie occidentale

8 de la ville. Arrivés sur ce plateau, nous avons pu voir les dégâts

9 provoqués en bas de la forteresse Bokar, qui fait partie des remparts.

10 Q. Le fort Bokar se trouve dans la partie occidentale de la vieille

11 ville ?

12 R. Oui, c'est le lieu le plus à l'ouest des remparts de la vieille ville.

13 Q. Avez-vous remarqué d'autres dégâts, suite à ce pilonnage ?

14 R. Nous avons pu observer des dégâts sur les pierres qui constituent le

15 fonds dominant de la forteresse Lovrinac.

16 Q. Dans la vieille ville, avez-vous observé des dommages sur des objets

17 mobiles, tels que les camions, les vaisseaux, les véhicules, les bateaux ?

18 R. Pendant le blocus, aucun bateau ne pouvait quitter le port. Il n'y

19 avait pas de camions en ville.

20 Q. Ces véhicules ont-ils subi des dommages, les véhicules, les

21 bateaux, suite aux conséquences du pilonnage qui a eu lieu au mois de

22 novembre ?

23 R. Les bateaux, petits et grands et privés, ont été fort endommagés, ceux

24 qui se trouvaient dans le port de la vieille ville.

25 Q. Monsieur, il y a-t-il eu des coups tirés par des tireurs embusqués dans

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1 la vieille ville pendant le mois de novembre ? Pouvez-vous le dire à la

2 Chambre ?

3 R. Oui, malheureusement, il y en a eu. J'ai été le témoin de tels tirs

4 isolés de la part de soldats que nous avons eu la possibilité d'observer au

5 sommet des rochers qui se trouvent entre le sommet de Srdj et Zarkovica.

6 Nous avons pu observer ces silhouettes sombres qui se détachaient de ces

7 roches blanches.

8 Q. Pouvez-vous nous parler de ces incidents, de tirs isolés dans la

9 vieille ville ? Ou de tirs de fusil ?

10 R. Une fois de plus, je parcourais la ville avec ma sœur, parce que,

11 psychologiquement, c'était difficile de rester à la maison, sans

12 électricité, sans eau.

13 Alors, nous avions l'habitude de nous promener. Au moment où nous sommes

14 arrivés dans la rue Kneza Damjana à Jude, qui se trouve dans la partie est

15 de la ville. C'est la rue qui va jusqu'à l'aquarium qui existe aujourd'hui.

16 Du côté gauche, vers le nord, se trouve le rempart élevé, et du côté droit

17 se trouve le palais épiscopal qui est lui-même élevé. A un moment donné,

18 nous avons entendu siffler une balle qui a touché le palais et qui a

19 ricoché pour arriver par terre près de là où nous nous trouvions. J'ai pu

20 retrouver un petit bout de balle brillante dans le canal, se trouvant au

21 bord du rempart. Nous avons ensuite poursuivi notre chemin vers la

22 cathédrale, c'est-à-dire, vers l'ouest, et là, devant le presbytère se

23 trouvait un échafaudage. A ce moment-là, nous avons entendu le bruit de la

24 balle qui touchait l'échafaudage métallique et, à ce moment-là, j'ai dit à

25 ma sœur : qu'est-ce que nous venons chercher ici ? Est-ce que nous voulons

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1 mourir ? Et nous sommes vite rentrés chez nous. C'est là que nous avions

2 terminé notre promenade.

3 Q. Monsieur, connaissez-vous quiconque qui ait été tué par des tirs de

4 tireurs isolés novembre 1991 dans la vieille ville ?

5 R. M. Tonci Kalcic, dont l'appartement a également été détruit par un

6 incendie et dont son appartement se trouve à une dizaine de mètres du mien

7 à peine, il était mon voisin. Par la suite, il m'a dit qu'il avait été

8 touché par une balle au mollet quand il est sorti sur le quai, que nous

9 appelons Porporela, qui se trouve sur la dernière partie qui se trouve

10 avant le port de la ville.

11 Q. Est-ce que cela se trouve dans le périmètre de la vieille ville ?

12 R. Cela fait partie de la vieille ville, mais il est allé se promener tout

13 au bord et il était exposé à la vue des tireurs, qui se trouvaient en haut

14 sur les rochers.

15 Q. Est-ce qu'à votre connaissance quelqu'un d'autre a été touché par un

16 tel tir de tireurs isolés ou est-ce que vous avez assisté à de tels tirs ?

17 R. Lors d'une telle promenade, parce que nous étions inquiets, nous nous

18 sommes retrouvés en groupe de cinq. Nous nous trouvions vers l'aquarium.

19 Sous le rempart, on trouve une petite porte qui permet d'accéder au port de

20 la ville et nous étions en train d'indiquer du doigt les silhouettes entre

21 le sommet de Srdj et Zarkovica en hauteur.

22 A ce moment-là, un de nous a dit : ah, il venait d'être touché par une

23 balle dans la paume de la main.

24 Q. Quand vous parlez de silhouettes, de quelles silhouettes s'agissait-

25 il ?

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1 R. De silhouettes humaines -- de figures humaines.

2 Q. Cet homme a été blessé d'une balle dans la paume de la main et que

3 s'est-il passé ? Est-ce qu'il a reçu une balle ?

4 R. Oui. J'imagine que oui. A une telle distance, cela ne pouvait pas être

5 un poignard ou un couteau.

6 Q. Est-ce que cette personne se trouvait dans la vieille ville au moment

7 où elle a été touchée à la paume de la main ?

8 R. Je vous l'ai dit, nous nous trouvions devant la porte dans les

9 remparts, au niveau de l'aquarium, où se trouve l'entrée du port de la

10 ville.

11 Q. Après cet incident de tirs isolés, est-ce que vous-même et votre sœur

12 avez continué à parcourir la vieille ville et à vous promener dans la

13 vieille ville au mois de novembre ?

14 R. Cette fois-là, ma sœur n'était pas présente. La première fois, lors du

15 premier incident que j'ai décrit, j'étais avec ma sœur, mais là, j'étais

16 avec d'autres personnes. C'était à une autre occasion, un autre jour.

17 Q. Mais est-ce qu'après cet incident, vous-même et votre sœur avez

18 continué à vous promener dans la vieille ville après ce troisième incident

19 de tirs ?

20 R. Oui.

21 Q. Vous avez dit que vous aviez coutume de vous promener pour diminuer

22 votre stress. Quel était votre état d'esprit, compte tenu du fait que vous

23 étiez privés d'eau et d'électricité ? Comment le ressentiez-vous et comment

24 les autres le ressentaient-ils ?

25 R. Nous avions l'impression d'être prisonniers. C'était difficile.

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1 Q. Au mois de novembre alors que vous parcouriez la vieille ville, avez-

2 vous jamais vu des soldats croates dans la vieille ville ?

3 R. Non.

4 Q. Avez-vous jamais vu des mortiers, des pièces d'artillerie, des

5 mitrailleuses dans la vieille ville ?

6 R. Non.

7 Q. Avez-vous jamais vu des tranchées ou des bunkers, pouvant accueillir

8 des troupes, dans la vieille ville ?

9 R. C'était impossible. Il aurait été impossible de creuser un quelconque

10 bunker dans la ville parce que toute la ville est construite de la pierre.

11 Q. Avez-vous jamais vu des soldats qui tiraient de la vieille au mois de

12 novembre 1991?

13 R. Jamais.

14 Q. Passons au mois de décembre, est-ce que vous viviez toujours dans la

15 vieille ville de Dubrovnik au mois de décembre 1991 ?

16 R. Oui.

17 Q. Dans cette même maison de la rue Od Puca ?

18 R. Oui, c'est exact au 16 de la rue Od Puca.

19 Q. Monsieur, j'aimerais que nous passions au 6 décembre 1991. Pourriez-

20 vous nous dire où vous vous trouviez au tout début de la matinée vers 5

21 heures 30 ?

22 R. Ma mère était dans sa chambre. Elle était endormie au deuxième étage de

23 cette maison. Quant à ma sœur et à moi-même, nous partagions la même

24 chambre parce que ma sœur préférait quitter sa chambre parce qu'elle avait

25 peur.

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1 Q. Est-ce qu'après 5 heures 30 du matin, quelque chose s'est produite ?

2 R. Oui, malheureusement, un événement assez terrible est arrivé qui, par

3 la suite, s'est avéré être tragique.

4 Q. Pourriez-vous dire aux Juges ce qui s'est passé ?

5 R. Vers 5 heures 50, nous étions couchés dans notre lit et nous avons

6 entendu des détonations assez lointaines, qui étaient de plus en plus

7 fortes, et nous en avons déduits qu'elles se rapprochaient. Mais nous nous

8 sommes dits que c'était peut-être comme ce que nous avions entendu au mois

9 de novembre, et pourtant ces détonations se sont poursuivies.

10 Q. Alors, qu'avez-vous fait ?

11 R. Les détonations devenaient de plus en plus fortes, sur quoi j'ai dit à

12 ma sœur, là cela devient sérieux, on se lève. J'ai enfilé par-dessus mon

13 pyjama, une robe de Chambre, et j'ai couru dans la chambre de ma mère pour

14 lui dire de se lever. J'ai vue que ma mère n'était pas dans sa chambre. Je

15 suis allé dans un petit abri - enfin nous l'avions appelé abri, mais

16 c'était, en fait, une remise qui se trouvait entre la chambre de ma mère et

17 la cuisine, un garde manger. Nous avions tapissé ce réduit de couvertures,

18 de matelas, de mousse pour pouvoir éventuellement y trouver refuge de façon

19 plus confortable.

20 Q. Par conséquent, vous avez utilisé cette pièce comme une sorte d'abri

21 dans votre maison ?

22 R. Oui, parce que cette pièce se trouvait à côté d'un mur porteur, un mur

23 épais, qui nous séparait de la maison de notre voisin.

24 Q. Est-ce que cette pièce se trouvait à l'intérieur de la maison ?

25 R. Oui, dans la maison, au deuxième étage, et au dessus de nous, se

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1 trouvait un plancher épais d'une ancienne cuisine de Dubrovnik, qui était

2 composé de calages épais.

3 Q. Qui se trouvait dans cet abri que vous aviez aménagé ?

4 R. Ma sœur est arrivée, elle venait de s'habiller rapidement.

5 Q. Où se trouvait votre mère ?

6 R. Je l'ai trouvé dans cet abri et je me suis demandé comment elle avait

7 pu y arriver avant nous, alors que nous étions nettement plus jeune. Son

8 instinct apparemment lui avait indiqué qu'il existait un danger.

9 Q. Est-ce que vous êtes restés dans cet abri ?

10 R. Oui, nous y sommes restés jusqu'au moment où nous avons entendu que les

11 bruits d'explosion devenaient de plus en plus forts.

12 Q. Qu'avez-vous fait ?

13 R. Comme je l'ai dit, j'étais inquiet et je voulais absolument aller voir

14 ce qui se passait aux alentours.

15 Q. Quand vous dites que vous êtes sorti, que vous avez quitté la maison,

16 est-ce que vous êtes resté dans la maison ?

17 R. Non, je suis resté dans la maison.

18 Q. Alors, où êtes-vous allé pour voir ce qui se passait ?

19 R. Je suis allé voir ce qui se passait du côté ouest et j'ai regardé à

20 travers la fenêtre de la cuisine. D'ailleurs de cette fenêtre, on voit

21 parfaitement la croix au sommet du mont Srdj. C'est dans le champ de vison.

22 Q. Qu'avez-vous vu ?

23 R. J'ai vu des explosions, des obus qui tombaient sans cesse et une

24 épaisse fumée.

25 Q. Qu'avez-vous fait ?

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1 R. Le vent soufflait très fort. C'était un vent d'est ce jour-là et j'ai

2 attendu que le vent déplace cette fumée vers l'ouest et, à ce moment-là,

3 j'ai vu que la croix avait disparue -- notre croix avait disparue. Il ne

4 restait que le pilonne vertical, les parties horizontales étaient tombées.

5 Q. Qu'avez-vous fait ?

6 R. A ce moment-là, j'ai vite fermé la fenêtre et j'ai crié à ma sœur et à

7 ma mère, qui avaient trouvé refuge là-bas : notre croix a disparu, c'est un

8 mauvais signe, c'est un mauvais présage.

9 Q. Est-ce que vous avez regardé une deuxième fois par la fenêtre ?

10 R. Oui, je suis retourné à cette fenêtre, qui était munie de persiennes,

11 je les ai entrouvertes et j'ai vu, très près de là, dans la même direction

12 de Srdj, qu'un obus était tombé et là j'ai vite refermé la fenêtre. J'ai

13 couru pour retrouver ma mère et ma sœur et je leur ai dit : maintenant,

14 cela sera notre tour.

15 Q. Quand vous avez vu l'obus, qui a explosé à une distance de 80 mètres

16 environ, dans quelle partie de la ville cet obus a-t-il explosé ? Quels

17 étaient les bâtiments dans cette zone ?

18 R. Je pense que c'était probablement tout près du palais du festival, le

19 festival d'été de Dubrovnik, et, d'ailleurs, par la suite, on a constaté

20 que ce bâtiment avait brûlé.

21 Q. Bien. Alors, vous revenez vers l'abri, vous retrouvez votre mère et

22 votre sœur. Que se passe-t-il à ce moment-là ? Pouvez-vous l'indiquer aux

23 Juges ?

24 R. A ce moment-là, un obus a explosé au-dessus de notre tête et ce que je

25 venais de dire, c'est de confirmer, à savoir que c'était notre tour.

Page 1359

1 Q. Lors que vous avez -- lorsque vous dites : "Il a explosé au-dessus de

2 notre tête." Vous voulez dire que l'obus avait touché votre maison ? Qu'il

3 avait explosé au-dessus de votre tête ?

4 R. Oui, c'est exact. C'était exactement dans les combles et c'était

5 exactement à 7 heures 10.

6 Q. Qu'est-ce qui s'est passé après cela ?

7 R. Quelques minutes après cela, un autre obus est tombé sur notre maison,

8 mais du côté ouest, près de la cheminée, au-dessus de la maison de nos

9 voisins.

10 Q. Est-ce que vous avez pu constater quoi que ce soit après cette

11 explosion ? Qu'est-ce qui vous a fait comprendre qu'un obus était tombé sur

12 votre maison?

13 R. On le sent, on sent que l'obus vient de tomber au-dessus de sa tête. A

14 ce moment-là, j'ai dit : "C'est bien, nous n'avons pas été touchés, pourvu

15 que ce ne soit pas un obus incendiaire."

16 Q. Lorsque vous avez dit que cet obus avait touché la partie au-dessus de

17 votre tête, il y a-t-il eu des éclats quelconques, des débris qui sont

18 tombés, au moment où cet obus est tombé ?

19 R. C'est essentiellement des parties de la toiture qui a souffert, donc

20 les poutres et les tuiles. Peut-être que cela va vous intéresser, mais moi

21 j'ai dit : "Ah, pourvu que ce ne soit pas un obus incendiaire" et ma sœur

22 m'a dit : "Mais tais-toi, oiseau de mauvais augure." Nous n'avons pas dû

23 attendre longtemps, parce qu'à 7 heures 20, nous avons entendu une

24 explosion et nous avons vu une lueur complètement différente, une sorte de

25 lueur bleutée, très forte. Pourquoi ? Parce que, dans les vieilles maisons

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1 de Dubrovnik, pas une seule fenêtre, pas une seule porte n'était

2 parfaitement calibrée, donc, sous la porte ou sur les côtés, on pouvait

3 voir cette lueur. On pouvait le sentir.

4 Q. Que s'est-il passé après l'explosion de cet obus ? Vous avez vu une

5 lumière bleutée, qu'avez-vous vu d'autre ? Qu'avez-vous remarqué d'autre ?

6 R. A cet instant, nous nous sommes recroquevillés au minimum et nous avons

7 essayé de faire le moins de bruit possible. Nous avons attendu. Nous nous

8 demandions si au-dessus de notre tête, donc un peu plus au sud que les

9 premiers obus, nous attendions de voir si quelque chose allait bouger, si

10 nous allions sentir quelque chose.

11 Q. Qu'avez-vous entendu ?

12 R. Nous n'avons pas dû attendre longtemps. Nous avons senti qu'au-dessus

13 de notre tête, des objets tombaient. Nous avons entendu des objets qui

14 étaient en train de rouler. Nous avons, également, entendu des

15 crépitements, des bruits d'objets qui se cassaient. Nous avons compris que

16 quelque chose était en train de se passer au-dessus de notre tête. Ma

17 patience était à bout, et j'ai dit : "Les femmes, vous restez ici, moi je

18 monte voir." Quand je suis arrivé en haut des escaliers, d'abord j'ai dû

19 traverser la cuisine, le couloir, la salle de séjour et gravir dix marches

20 pour arriver jusqu'aux combles.

21 Q. Qu'avez-vous vu ?

22 R. Qu'est-ce que j'ai vu ? Dans l'encadrement de la porte, et même à

23 travers la porte, j'ai vu des flammes jaunes.

24 Q. Qu'avez-vous fait ?

25 R. J'ai vu que c'était la pièce, là-bas, qui probablement était en feu.

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1 Mais, fort de mon expérience d'évènements précédents, notamment de

2 l'incendie de mon appartement à Zagreb, je n'ai pas ouvert la porte, parce

3 que, sinon, l'air qui entre ne fait qu'activer le feu.

4 Q. Pouvez-vous dire aux Juges ce que vous avez fait ?

5 R. Je suis allé dans la salle de bain, parce que nous avions aménagé une

6 nouvelle salle de bain, car, comme on peut le savoir, avant, il n'y avait

7 pas de salles de bain. La baignoire était pleine d'eau, d'eau de pluie du

8 mois de novembre. J'ai pris un seau et j'ai versé cette eau sur ces flammes

9 qui sortaient. Au début, j'étais très content, je pensais que j'avais

10 réussi,

11 Quand je suis allé chercher un deuxième seau d'eau, j'ai vu que les flammes

12 étaient encore plus fortes. J'ai vidé sept seaux d'eau de cette manière,

13 mais je n'ai pas réussi à éteindre les flammes.

14 Q. Qu'avez-vous fait ensuite ?

15 R. Je suis redescendu vers la salle de séjour, j'ai donc descendu ces dix

16 marches, parce que là, nous avions également, une réserve d'eau, nous

17 avions deux seaux d'eau en réserve. J'ai remonté ces deux seaux d'eau et au

18 sommet de l'escalier, je n'ai pas été déçu. J'ai vu que les flammes avaient

19 brûlé déjà un tiers de la porte. Cette porte n'avait pas été détruite en

20 ligne droite, mais ça faisait une sorte de zigzag. On aurait dit des dents

21 diaboliques. Je dirais que cette scène était à la fois terrifiante et

22 fascinante.

23 Q. Il y avait-il de la fumée ?

24 R. Et bien, vous savez ce qu'on dit chez nous; là où il y a de la fumée,

25 il y a du feu. Le vice-versa aussi s'applique. J'ai toujours cette scène

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1 terrifiante dans ma tête, peut-être que je vais en faire un tableau, un

2 jour.

3 Q. Qu'avez-vous fait ?

4 R. J'ai à nouveau versé deux seaux d'eau sur la porte, mais sans aucun

5 succès, car le feu ne faisait que s'accroître. J'ai perdu mon souffle, à

6 cause de la fumée.

7 Q. Que s'est-il passé ? Vous êtes redescendu ?

8 R. Oui, en courant, dans cette petite pièce, là où étaient ma sœur et ma

9 mère. Je leur ai dit : "Ecoutez, il faut que l'on quitte la maison."

10 Q. Est-ce que vous avez réussi à faire sortir qui que ce soit de la

11 maison ?

12 R. Tout d'abord, je leur ai dit que chacun doit regagner sa chambre pour

13 prendre deux couvertures. C'était un ordre. Il fallait qu'elles m'obéissent

14 et il fallait aussi prendre quelques affaires de première nécessité.

15 Ensuite, ma mère qui n'était pas très grande, et bien, je l'ai prise sous

16 les bras et j'ai marché le plus rapidement possible. J'ai dû descendre 40

17 escaliers à peu près pour regagner le rez-de-chaussée.

18 Q. Vous l'avez emmenée où ?

19 R. Tout d'abord, par une toute petite fenêtre, j'ai crié pour que nos

20 voisines m'entendent : Madame Jasna, pouvez-vous accueillir ma mère ? J'ai

21 ouvert la porte de ma maison et il a fallu que j'aille tout droit, ensuite

22 à droite, ensuite à gauche pour me rendre de la première maison à côté de

23 la mienne qui appartenait à la famille Obad.

24 Q. Après avoir laissé votre mère chez la famille Obad, est-ce que vous

25 avez regagné votre maison ?

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1 R. J'ai couru comme un fou et j'ai claqué la porte derrière moi et là j'ai

2 retrouvé ma sœur. Un obus était tombé à l'ouest de la porte de sorte que

3 les éclats d'obus ne pouvaient pas nous toucher, mais vous savez, c'était

4 une question de secondes.

5 Q. Attendez. Vous regagnez votre maison, et c'est là, qu'un obus tombe.

6 R. Non. Vous savez, je n'avais pas eu le temps de fermer à clé la porte,

7 et donc je l'ai claquée. C'est là que je me suis approché de ma sœur et

8 après, on a constaté qu'un obus incendiaire a explosé juste à l'ouest de la

9 porte mais on l'a pu voir que plus tard.

10 Q. Votre sœur où est-elle allée ?

11 R. Ma sœur m'attendait car j'ai emmené ma mère dans la maison de la

12 voisine, ensuite, je suis revenu pour retrouver ma sœur au rez-de-chaussée.

13 En dépit des deux couvertures que je lui avais ordonnées de prendre, elle

14 avait pris aussi son trench-coat et un sac.

15 Q. Qu'y avait-il dans ce sac ?

16 R. Je lui ai justement demandé : "Mais qu'est-ce que tu as dans ce sac ?"

17 Elle m'a dit : "Des documents, des pièces d'identité." Je lui ai dit : "

18 Mais moi, je n'ai rien. Moi, j'ai emmené ma mère et je n'ai rien, je n'ai

19 rien sur moi." Donc, je suis monté dans la chambre en courant, 40 marches à

20 nouveau fallait-il franchir pour y aller.

21 Q. Est-ce que vous avez réussi à vous emparer de vos documents?

22 R. Tout d'abord, j'ai regardé par le trou de la serrure pour voir s'il y

23 avait des flammes dans la chambre. Ensuite, j'ai ouvert la port en vitesse

24 et là, je me suis dit : "Mais où est-ce que j'ai mis mon acte de naissance,

25 mes diplômes ? Est-ce que c'est dans le premier tiroir ou bien dans le

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1 quatrième tiroir ?" En réalité, c'était dans le troisième tiroir que j'ai

2 ouvert tout à fait par hasard, et j'ai mis tous ces dossiers dans mon sac

3 et en plus j'ai eu le temps d'aller dans la pièce à côté, la pièce où

4 dormait ma mère. Dans une armoire, il y avait un petit sac à elle, un petit

5 sac à main et c'est là que j'ai gardé mon argent.

6 Q. Très bien. Ensuite vous redescendez, n'est-ce pas ?

7 R. Oui. Oui. Je redescends en courant et à nouveau je retrouve ma sœur, et

8 elle me dit : "Et mes chaussures ?" Elle a ajouté : "La bombonne de gaz

9 toute neuve, elle va faire exploser toute la maison."

10 Q. Donc à nouveau, vous remontez pour trouver la bombonne de gaz et les

11 chaussures.

12 R. Oui. Je me suis dit : "Ivo, tu dois le faire." J'ai pris sur moi, je me

13 suis dit : "Oui, il faut que tu ailles chercher les chaussures de ta sœur

14 et la bombonne de gaz. Je les ai pris et j'ai pris aussi une pompe à

15 incendie qui marche avec de la poudre. J'ai tout descendu au rez-de-

16 chaussée. Au moment où je suis arrivé au rez-de-chaussée, j'ai entendu la

17 marche supérieure s'écroulée.

18 En l'espace de 10 secondes, j'aurais pu y rester, mais voilà le bon Dieu

19 m'a gardé.

20 Q. Vous et votre sœur, avez-vous réussi à quitter votre maison et vous

21 rendre chez les Obad, vous aussi ?

22 R. Ma sœur devait sortir à ce moment-là. Je lui ai dit : "Écoutes, il faut

23 que tu mettes les deux couvertures sur ta tête." Pourquoi ? Parce qu'il y

24 avait des morceaux brûlants, des poutres, des morceaux de tuiles qui

25 tombaient. J'ai peint tout cela dans un tableau, mais je ne suis pas sûr

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1 s'il s'agit des photographies ou des tableaux qui ont été faits par la

2 suite. Elle est tombé et je lui ai dit : "Lèves-toi, lèves-toi."

3 Ensuite, elle s'est rendue chez les Obad.

4 Q. Est-ce que vous, vous avez trouvé quelque chose pour vous couvrir avant

5 de partir ?

6 R. Vous savez, il s'agit d'un récipient qui sert à y mettre de l'eau et il

7 est fabriqué en cuivre et nous l'appelons romanicija [phon] à Dubrovnik

8 pour nous, c'est un souvenir, c'est une antiquité.

9 Q. Est-ce que vous avez utilisé ces récipients en cuivre pour vous

10 protéger la tête, tel un casque ?

11 R. Tout d'abord, ce récipient était en haut de l'armoire dans la pièce où

12 j'étais au rez-de-chaussée. C'est là que j'avais placé des fleurs séchées.

13 Et là, j'y ai pensé, je me suis dit, je vais enlever les fleurs et je vais

14 mettre cela sur ma tête et, effectivement, cela rentrait tout juste.

15 Ensuite, je me suis enveloppé dans deux autres couvertures. On peut le voir

16 sur le tableau.

17 Ensuite, je me suis dit : "Mon Dieu, décide si je dois compter jusqu'à 4,

18 15, ou 19 avant de quitter ma maison", car les obus pleuvaient tout autour

19 de moi.

20 A un moment donné, j'ai pris ma décision et je me suis rendu dans la maison

21 de la famille des Obad.

22 Q. Et bien très rapidement, pourquoi êtes-vous allé dans la maison de la

23 famille des Obad ? Est-ce que vous avez fait quoi que ce soit pour arrêter

24 l'incendie ?

25 R. Pourquoi j'y suis allé ? Parce qu'au rez-de-chaussée, il y a un vieux

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1 puits, une citerne qui existe depuis le temps de la République de

2 Dubrovnik, un puits d'eau. Avant ces événements il nous est arrivé d'aller

3 chercher de l'eau là-bas. Tout le monde y allait pour amener des

4 bouteilles, des récipients pour prendre de l'eau.

5 Q. Très bien. Très rapidement, qu'est-ce que vous avez fait pour essayer

6 d'éteindre l'incendie depuis la maison Obad ?

7 R. Aujourd'hui, quand j'y pense, cela ressemblait à un jeu de fous. Nous

8 remplissions les bouteilles d'un litre ou deux litres d'eau et, ensuite, on

9 les lançait sur mon appartement, avec l'espoir fou que ceci pourrait être

10 réduit par un effet quelconque -- ceci pourrait avoir un effet quelconque.

11 Q. Est-ce que cela a fait quoi que ce soit ? Est-ce que cela a aidé ?

12 R. Non. Rien du tout. Mais il fallait faire quelque chose pour essayer --

13 pour tenter au moins de sauver ma maison.

14 Q. Est-ce que vous avez réussi à sauver quelques unes de vos peintures, de

15 vos tableaux ?

16 R. Oui. Mais je n'avais plus le courage. Comme je vous l'ai dit, au rez-

17 de-chaussée, il y avait ma galerie d'arts, je ne l'aurais plus jamais.

18 Q. Est-ce que vous avez pu sauver quelques unes de vos peintures, de vos

19 tableaux ?

20 R. C'est M. Obad qui m'a dit : écoutes, il faut que l'on fasse quelque

21 chose. Il faut qu'on aille chercher ces tableaux, on va les prendre au rez-

22 de-chaussée de ta maison, on va les emmener, les apporter chez moi.

23 Q. Qu'avez-vous fait ?

24 R. Il y avait deux autres jeunes hommes qui étaient là et ils s'appellent

25 tous et ils portent tous, le même prénom Toni, Tonci et Anto, c'est un

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1 hasard incroyable.

2 Q. Ces hommes étaient-ils en mesure de sauver quelques uns de vos

3 tableaux ?

4 R. Oui. Ils ont transporté une vingtaine de tableaux de ma maison jusqu'à

5 la maison de M. Obad.

6 Q. Est-ce que vous êtes resté dans la maison d'Obad -- de la famille Obad

7 pendant quelque temps ?

8 R. Nous y avons dormi, nous y avons mangé.

9 Q. Est-ce qu'à un moment donné, vous quittez la maison de la famille Obad

10 au cours de la journée ?

11 R. Oui, en effet. A nouveau, j'ai remis ce récipient en cuivre sur ma

12 tête, je me suis enveloppé dans deux couvertures, je suis sorti pour aller

13 voir ce qui se passe dehors, pour voir quelles sont les séquelles de ces

14 horribles bombardements. J'ai pris mon appareil photo et j'ai fait une

15 photo de la façade. J'ai vu la flamme sortir par la fenêtre, cela brûlait à

16 l'intérieur de la maison. Il s'agissait de la façade sud de la maison,

17 c'était la chambre, la fenêtre de la chambre de ma sœur.

18 Q. Vous avez pris cette photo. Est-ce que vous avez fait cette photo vous-

19 même ?

20 R. Oui, oui. J'ai fait cette photo et, ensuite, j'ai vu un monsieur

21 s'approcher rapidement de moi. Je ne connaissais pas ce monsieur-là et je

22 lui ai dit : faites-moi une faveur, s'il vous plaît, et j'ai fait ce signe

23 de paix avec ma main, et il m'a pris en photo. Cette photo a fait le tour

24 du monde. C'est comme un bras d'honneur.

25 Q. Est-ce que quoi que soit d'autre s'est passé au moment où cette

Page 1368

1 deuxième photo a été prise ?

2 R. Oui, à ce moment-là, au moment où cette deuxième photo a été prise - et

3 on peut le voir à l'arrière plan de la photo - un obus a explosé devant

4 l'église orthodoxe, à peu près à 70 mètres. Car sur la première photo, on

5 voit bien qu'il y n'ait pas de fumée et, sur la deuxième photo, on peut

6 voir la fumée dans l'arrière plan de la photo au niveau de la terre.

7 Q. Est-ce que vous êtes allé où que ce soit après l'explosion de cet

8 obus ?

9 R. Nous nous sommes jetés dans la rue à la droite. Nous étions à peu près

10 à 80 centimètres du mur, donc nous nous y sommes jetés pour éviter d'être

11 touchés par des éclats. Ce monsieur appelait le nom d'une dame, qui

12 répondait au nom de Kati, car il habitait chez elle, et il disait : Kati,

13 Kati, ouvres la porte, s'il te plaît.

14 Q. Nous allons être assez concis. Comment cela s'est-il passé par la

15 suite ? Est-ce que vous êtes allé dans la maison de Mme Kati ? Est-ce que

16 vous y êtes resté ?

17 R. Nous y sommes rentrés tous les deux et, dans les rues Roco [phon], et

18 cetera, et des obus tombaient juste après que nous sommes entrés dans sa

19 maison.

20 Q. Est-ce que les pompiers sont arrivés au cours de cette journée-là ?

21 R. Cette photo je l'ai prise à 15 heures 20 le la pile et les pompiers

22 sont arrivés à 16 heures 20.

23 Q. Très bien. Je vous demanderais d'examiner cette photo. Est-ce vous sur

24 la photo, Monsieur.

25 R. Oui.

Page 1369

1 Q. Est-ce le récipient que vous utilisiez en guise de casque ?

2 R. Oui.

3 Q. La maison, que l'on voit à l'arrière plan, à la gauche de l'endroit où

4 vous êtes, c'est votre maison ?

5 R. Oui.

6 Q. Vous avez dit que cette photo a été prise entre 15 heures 30 de

7 l'après-midi le 6 décembre ?

8 R. Oui, à 15 heures 20.

9 Q. Le bâtiment, qui se trouve à gauche, l'on voit la flamme. C'est quelle

10 pièce, si vous le savez, puisque on voit les flammes sortir de l'une des

11 fenêtres ?

12 R. Oui, je vois bien. Comme je l'ai dit, c'était là la chambre de ma sœur,

13 et cette flamme sortait de l'intérieur, toute la pièce a pris feu, la

14 fenêtre était fermée, comme vous pouvez le voir.

15 Q. Monsieur, je vous remercie.

16 M. WEINER : [interprétation] Nous souhaitons verser au dossier cette photo.

17 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] La photo est versée au dossier.

18 M. LE GREFFIER : [interprétation] Cette pièce porte la cote P34.

19 M. WEINER : [interprétation] Je peux continuer -- je vous remercie.

20 Q. Monsieur, le 6 décembre 1991 -- Monsieur, pouvez-vous être bref lorsque

21 vous allez donner cette réponse ? Avez-vous, à un moment quelconque, vu des

22 militaires croates à l'intérieur de la vieille ville ?

23 R. Non.

24 Q. Avez-vous vu des tirs sortant de la vieille ville de Dubrovnik, des

25 mortiers, de pièces d'artillerie tirés?

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1 R. Non, dans la vieille ville, non.

2 Q. Le lendemain, le 7 décembre, avez-vous visité votre appartement --

3 votre maison ?

4 R. Nous sommes tous sortis dans la rue puisque, le 7 décembre un cessez-

5 le-feu a été signé. Les obus ne tombaient plus.

6 Q. Etes-vous rentré chez vous ou êtes-vous allé visiter votre appartement

7 ce jour-là ?

8 R. Ma maison avait brûlé complètement. Je n'avais plus quoi visiter, mais,

9 en revanche, j'ai -- je suis retourné en ville.

10 Q. Y a-t-il eu d'autres maisons qui ont brûlé complètement, outre la

11 vôtre ?

12 R. C'est bien connu : six maisons complètement brûlées, alors que trois

13 maisons ont brûlé dans leur partie supérieure.

14 Q. Très bien. Nous allons parler de votre maison. Je vais vous montrer la

15 photo qui porte le numéro ERN 03491268.

16 Reconnaissez-vous, s'il vous plaît, cette maison ?

17 R. Oui.

18 Q. Qu'est-ce qu'elle représente, cette photographie ?

19 R. C'est la façade est de ma maison. Ici, on voit le balcon, côté est,

20 c'est la façade est de la maison. Il y a deux balcons. Là, il s'agit de la

21 façade nord-est. Un obus est tombé sous le balcon dans la rue et la force

22 de l'explosion a détruit la construction du balcon, la partie en pierre.

23 Q. Monsieur, pourriez-vous, s'il vous plaît, placer la photo sur cette

24 machine qui est placée à votre droite ? Un moment. Monsieur, pourriez-vous,

25 s'il vous plaît, nous montrer où est cette

Page 1371

1 -- le sol du balcon ou la partie qui a été détruite ? Pourriez-vous nous

2 montrer cela ?

3 R. Le sol du balcon était là et, justement, la clôture en fer, cela a plié

4 sur le sol du balcon. Ensuite, le balcon rejoignait le mur porteur de la

5 maison et tout ce que vous voyez qui manque ici représente justement

6 l'ancien balcon de la maison.

7 M. WEINER : [interprétation] Peut-on que le compte rendu d'audience

8 réfléchisse que le témoin vient de montrer un grand trou, au niveau de la

9 façade qui correspondait avant au balcon de la maison, au balcon fait en

10 pierre.

11 Q. A présent, Monsieur, je vous prie d'examiner la photo suivante. Il

12 s'agit de la photo 03491269. Monsieur, pouvez-vous nous dire ce que cela

13 représente ?

14 R. C'est la façade ouest de la maison. Là, sur la droite, on voit le mur

15 porteur de la maison qui traverse la maison. Il est au milieu de la maison

16 car vous avez le même mur porteur à l'est, car la maison faisait -- les

17 dimensions de la maison étaient à peu près 10 mètres sur 13 mètres.

18 Q. Monsieur, cette portion, que l'on voit à l'intérieur, cette ligne

19 horizontale, est-ce que cela correspond au plancher ? Qu'est-ce que

20 c'était ?

21 R. Oui, c'était le plancher des combles, là où se trouvait l'ancienne

22 cuisine.

23 Q. Y avait-il un autre plancher qui était là auparavant ?

24 R. Oui, là c'est le plancher du deuxième étage. C'est là que nous

25 habitions.

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1 Q. Les deux planchers se sont écroulés. Est-ce que tout cela s'est passé

2 le 6 décembre ?

3 R. Oui. En un jour, la maison a été entièrement détruite et a entièrement

4 brûlé. Il y a les quatre murs qui sont restés et rien d'autre. Là, nous

5 pouvons le voir. On voit les murs de l'ouest, les murs de la façade nord et

6 nous voyons le mur porteur qui se trouve au milieu de la maison et qui

7 partage la maison en deux parties identiques.

8 Q. C'était en 1991 ?

9 R. Oui, le 6 décembre.

10 Q. Monsieur, à présent, je vous prie de bien vouloir examiner la photo

11 suivante qui comporte le numéro ERN 03491270.

12 Pouvez-vous me dire ce qu'on voit sur cette photo ?

13 R. On voit la porte d'entrée du palais.

14 Q. Lorsque vous dites "palais", vous entendez par là votre maison dans la

15 rue Od Puca -- 16 Od Puca ?

16 R. Oui, c'est exact.

17 Q. Est-ce que nous voyons là la seule partie de cette porte qui est restée

18 intacte ?

19 R. Oui. J'ai conservé, à ce jour, cette partie de la porte.

20 Q. Que peut-on voir derrière le seuil de cette porte ?

21 R. Comme vous pouvez le remarquer, on distingue un cercle. C'était une

22 fresque que j'avais faite d'une danse folklorique de la région de

23 Dubrovnik, une danse que l'on appelle Pascocic [phon]. Autour de cela, à

24 l'intérieur, sur les murs, étaient accrochés les tableaux, qu'avaient

25 emportés les trois messieurs évoqués tout à l'heure.

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1 Là, on voit une petite plaque blanche, une céramique. J'y avais inscrit

2 Kamber, étant le nom de famille de ma sœur.

3 Q. Bien. Je vous prie, à présent, de regarder la dernière photo, 03491271.

4 Pouvez-vous nous dire ce qui figure sur cette photographie?

5 R. C'est moi l'auteur de cette photographie, trois mois plus tard. Nous

6 voyons là le mur à l'ouest de la maison. La photo a été prise de

7 l'intérieur.

8 Q. Que représente ces objets de forme carrée ou plutôt en forme de la

9 lettre "U" ?

10 R. Là, on voit le toit et cela c'est la fenêtre qui se situait en haut de

11 l'escalier. On verrait là, à gauche, une ligne en zigzag, où se situe

12 l'escalier en bois et c'est par là que je montais à l'étage au-dessus.

13 C'est de cet endroit précisément que j'ai vu la porte brûlée. Quant à cette

14 fenêtre, c'était la fenêtre de la salle de bain. Nous avions fait

15 construire une salle de bain derrière. Là, se situait la baignoire, et

16 c'est de là que j'ai pris l'eau, les sept sceaux que j'ai mentionné tout à

17 l'heure, en essayant d'éteindre le feu.

18 M. WEINER : [interprétation] Monsieur le Président, je souhaiterais, aux

19 fins de compte rendu d'audience, qu'on indique qu'il y a deux carrés -- de

20 forme carrée sur cette photo. A gauche, et en dessous, le témoin a indiqué

21 l'escalier, alors que le carré de droit était celui derrière lequel se

22 trouvait la salle de bain, où il avait récolté l'eau.

23 Q. Ces quatre photos représentaient-elles fidèlement l'aspect de votre

24 maison, telle qu'elle était après le pilonnage, le 7 décembre 1991 ?

25 R. Oui. Ces photos démontrent le caractère sauvage des attaques et c'est

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1 l'aspect de la maison qu'elle a conservé jusqu'en fin 1996, lorsque la

2 reconstruction a commencé.

3 M. WEINER : [interprétation] Je souhaiterais que ces quatre photos soient

4 versées au dossier.

5 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Ces quatre photos seront versées au

6 dossier.

7 M. LE GREFFIER : [interprétation] La photo portant le numéro ERN 03491268

8 portera la cote P35. La photo numéro ERN 03491269 sera la pièce P36. La

9 photo portant le numéro ERN 03491270, P37, alors que la photo portant le

10 numéro ERN 03491271 sera désormais la pièce P38.

11 M. WEINER : [interprétation]

12 Q. Maintenant, Monsieur --

13 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je me demande si ce serait peut-être

14 le temps pour faire une pause. Est-ce que vous avez presque terminé ?

15 M. WEINER : [interprétation] Je m'approche de la fin de mon interrogatoire,

16 et je pense que nous pourrions faire, à présent, une brève pause.

17 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Monsieur Grbic, nous allons faire une

18 pause de 20 minutes.

19 --- L'audience est suspendue à 12 heures 21.

20 --- L'audience est reprise à 12 heures 47.

21 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Monsieur Weiner.

22 M. WEINER : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

23 Q. Bonjour à vous, Monsieur Grbic. Nous venons de voir les photos montrant

24 bien les dégâts sur votre maison. Je souhaiterais évoquer un point avec

25 vous. Vous avez dit que le palais du festival était touché et le quartier

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1 au-dessus. Après, vous avez remarqué que cette partie était endommagée et

2 détruite. C'est bien le palais du festival ?

3 R. Ce palais se trouve dans la rue Od Zigurate et, à droite, il y a un

4 autre palais, une maison plus grande, qui a été complètement détruite. A

5 gauche, se trouve le palais du festival et le deuxième étage, ainsi que les

6 combles où étaient les archives ont brûlé. Les gens ont réussi à sauver

7 quelques meubles du premier étage. C'est ce qu'on peut voir sur

8 l'enregistrement vidéo.

9 Q. Dans la rue Od Puca 16, où vous habitiez, savez-vous ce qui s'est

10 produit au numéro 11 de la même rue ?

11 R. Dans cette même rue, trois autres hôtels particuliers ont brûlé. La

12 maison la plus proche est le Palais Maineri, où les Kraljcevic, les

13 Krasovac et les Kalcic habitaient. C'était au sud-est. Cela a complètement

14 brûlé. A côté de l'Église Saint-Joseph, il y avait un immeuble datant de la

15 Renaissance, c'était la plus ancienne des maisons. Elle a complètement

16 brûlé. Ensuite, nous avons une maison de trois étages, tout a brûlé.

17 Ensuite à l'est, juste en face de l'école primaire, un hôtel particulier,

18 un hôtel de la Renaissance, a brûlé complètement. Dans la rue Stradun, à

19 côté du palais du festival, à l'autre bout de la rue, près de l'église des

20 Petits frères des pauvres, un immeuble aussi a brûlé. Les grands murs sont

21 restés.

22 Q. Au numéro 11 de la rue Od Puca, une des maisons se situant à cette

23 adresse a brûlé complètement ?

24 R. Oui.

25 Q. Outre les dommages à votre maison, avez-vous perdu vos collections de

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1 tableaux ?

2 R. J'ai dit que j'étais artiste peintre. J'ai enseigné à l'École des arts

3 appliqués à Zagreb, pendant vingt ans. En sus de cela, j'étais artiste dans

4 le domaine des arts appliqués. Je peignais la céramique, de la peinture.

5 J'ai fait des affiches, tout [imperceptible]. Cette année-là, le 25

6 octobre, j'ai fêté mon soixantième anniversaire. Si quelqu'un ne réussit

7 pas à faire tout ce que son talent lui permet jusqu'à cet âge, jusqu'à

8 l'âge de 60 ans, il est clair qu'il n'ira pas après avoir fêté cet

9 anniversaire.

10 Je possédais une bibliothèque, deux mille ouvrages. Ce n'était pas des

11 livres de lettres, mais d'autres ouvrages spécialisés, sur les arts,

12 l'histoire de l'art, de théâtre, de tout ce qui relevait du domaine du

13 visuel.

14 Je collectionnais, également, de beaux objets. J'avais une maquette d'un

15 modèle d'un ancien bateau de la région de Dubrovnik. J'avais une collection

16 de tenues folkloriques de la région de Dubrovnik, de Mljet, de Konavle, de

17 la côte. Je possédais également des instruments anciens.

18 Q. Vous avez perdu combien de tableaux ?

19 R. Environ 170, 175. Je ne me souviens bien avec précision, mais il y en

20 avait beaucoup. C'étaient des tableaux qui se trouvaient dans mon

21 appartement. Également des scènes graphiques ont brûlé. J'avais trois

22 grandes armoires et c'est là que je conservais le format B-1.

23 Q. Bien. Il faut clarifier un peu. Vous avez dit, tout à l'heure, vous

24 avez énuméré tous les palais qui ont brûlé. Est-ce que toutes ces maisons

25 ont brûlé suite au pilonnage ?

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1 R. Oui, toutes ces maisons ont brûlé le 6 décembre 1991, suite au

2 pilonnage.

3 Q. Après, le pilonnage et la destruction de votre maison, votre sœur est-

4 elle, jamais, retournée à cette adresse, au 16 Od Puca pour y habiter ?

5 R. Elle n'est revenue qu'après la restauration, la reconstruction de la

6 maison. Mais avant que la reconstruction soit terminée, elle est décédée,

7 malheureusement.

8 Q. Votre mère, est-elle, jamais, retournée dans cette maison où elle avait

9 habité depuis 1970, à Od Puca 16 ?

10 R. Elle est décédée en 1992 et elle est décédée dans une maison de

11 retraités. Elle avait beaucoup souffert. Elle est décédée en août 1992.

12 Q. Vous avez réintégré votre maison il y a quelques années. Où avez-vous

13 passé les dix années précédentes ?

14 R. La plupart des personnes déplacées avaient été dans divers hôtels. Moi,

15 j'ai changé cinq fois d'hôtel. Ce n'était pas des hôtels de luxe. Il n'y

16 avait pas d'eau et il n'y avait pas d'électricité, mais, lorsque cela a été

17 rétabli, nous avons pu, par exemple, nous laver une fois par semaine. La

18 nourriture n'était pas de bonne qualité.

19 Tout d'abord j'ai été logé à l'hôtel Lapad; ensuite à l'hôtel Impérial, le

20 Palace dans le quartier de Lapad, Plakir et Vis-2.

21 Q. Je vous remercie, Monsieur. Je n'ai plus d'autres questions à poser à

22 ce témoin.

23 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Monsieur Petrovic.

24 M. PETROVIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

25 Contre-interrogatoire par M. Petrovic :

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1 Q. [interprétation] Monsieur Grbic, bonjour, je m'appelle Vladimir

2 Petrovic, avocat de Belgrade. Je représente la Défense du général Strugar.

3 Je vais vous poser quelques questions à propos des événements au sujet

4 desquels vous avez déposé, aujourd'hui, devant cette Chambre.

5 D'abord, pouvez-vous nous dire si à un moment donné quelconque, vous avez

6 fait une déclaration devant les enquêteurs du bureau du Procureur de ce

7 Tribunal ?

8 R. Oui.

9 Q. Quand et dans quelles conditions ?

10 R. En septembre 2000.

11 Q. Je vous prie de marquer une pause entre les questions et les réponses

12 puisque nous parlons des langues qui se ressemblent et nous nous comprenons

13 afin que tout soit bien traduit.

14 Pouvez-vous nous dire où cet entretien a-t-il eu lieu ? Soyez bref.

15 R. C'était à Lapad à l'hôtel Kompas. Je me suis entretenu avec M. Muhamed

16 Arshad, je pense que c'est son nom.

17 Q. Vous aviez, à l'époque, répondu à ses questions ?

18 R. Oui, j'ai répondu à ses questions.

19 Q. Vous avez relaté les événements qui se sont produits en octobre,

20 novembre et décembre 1991 au meilleur de vos souvenirs ?

21 R. Oui.

22 Q. Vous avez lu le texte qu'il a écrit par la suite ?

23 R. Le texte a été écrit en anglais. Je ne parle pas anglais.

24 L'interprète m'a juste donné lecture de ce texte.

25 Q. Le texte, qui vous a été lu à haute voix, reflétait-il ce que vous avez

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1 relaté à l'enquêteur Arshad ?

2 R. En gros oui.

3 Q. En gros, vous dites. Vous avez indiqué certaines imprécisions qui se

4 sont glissées dans cette déclaration ?

5 R. Je n'ai pu constater ces imprécisions que lorsque j'ai vu cette

6 déclaration par écrit.

7 Q. Mais si je vous ai bien compris en l'an 2000, on vous a lu cette

8 déclaration écrite ?

9 R. Oui.

10 Q. Et vous n'avez pas fait de remarques.

11 R. Il était difficile d'apporter des corrections vu que c'était lu

12 oralement. Il s'agit d'un discours continu et l'on ne peut se concentrer

13 que lorsqu'on a un texte écrit devant soi.

14 Q. On vous a bien lu ce texte ?

15 R. Oui, mais on ne m'a pas fourni la version écrite. D'après ce que je

16 sais, cela ne fait pas partie de la pratique du Tribunal que de fournir la

17 déclaration écrite. Ce n'est que maintenant que j'ai pu voir certaines

18 imprécisions et certaines erreurs à l'écrit. Je ne pouvais pas, vraiment,

19 rectifier ces erreurs puisque la personne parle et ne peut pas vraiment se

20 rendre compte de ces imprécisions. Vous le savez aussi bien que moi, une

21 virgule peut modifier le sens du discours. Et cela, on ne peut s'en rendre

22 compte que lorsqu'on a un texte écrit.

23 Q. Vous avez apposé votre signature sur cette déclaration même si vous

24 aviez vu qu'il y avait certaines erreurs ?

25 R. Mais, je ne l'ai pas vue ?

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1 Q. Vous l'avez entendue ?

2 R. Cela a été lu à toute vitesse et je n'ai pas pu me rendre compte des

3 imprécisions.

4 Q. A la fin, vous a-t-on donné lecture du texte qui est adressé à tout

5 témoin et selon ce texte vous fournissiez une déclaration au mieux de votre

6 souvenir et que cette déclaration, également, peut être utilisée dans la

7 procédure du TPIY. Ceci veut bien dire que la déclaration peut avoir des

8 conséquences très importantes ?

9 R. C'est pour cela que l'enquête a eu lieu, c'était l'objectif de

10 l'enquête. J'imaginais qu'une copie me serait fournie. Mon avocat aurait pu

11 le demander. Les autres victimes de Dubrovnik non plus, on ne nous a jamais

12 donné ces déclarations.

13 Q. Quand avez-vous vu cette déclaration écrite ?

14 R. Ici, pour la première fois, je l'ai vue écrite.

15 Q. Pouvez-vous nous décrire un peu comment cela s'est passé ? Y a-t-il eu

16 plusieurs personnes qui faisaient des déclarations ? Comment vous a-t-on

17 invité ? Quelles étaient les circonstances techniques de cela ?

18 R. C'étaient des déclarations individuelles, étaient présent seulement

19 l'enquêteur, l'interprète et moi-même.

20 Q. Qui vous a invité à venir à l'hôtel Kompas ? Je n'habitais pas à

21 l'hôtel Kompas, j'étais logé à Vis-2 où M. Arshad s'est entretenu avec

22 d'autres personnes déplacées. Il m'a laissé un message, selon lequel, il

23 m'attendrait dans cet hôtel-là qui se trouvait à 500 mètres environ de

24 l'hôtel où j'étais logé.

25 Q. Vous avez demandé à M. Arshad de vous donner cette déclaration mais il

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1 ne vous l'a pas donnée ?

2 R. Il m'a dit que ce n'était pas la coutume du Tribunal.

3 Q. Merci. J'aimerais maintenant passer à un autre sujet que vous évoquez

4 dans votre déclaration. Si possible, je vous demanderais de répondre de

5 façon la plus brève possible pour que le contre-interrogatoire ne dure pas

6 trop longtemps, mais bien sûr lorsque ce n'est pas possible vous pouvez

7 vous étendre davantage.

8 Dans votre déclaration et je parle, là, de la première page de cette

9 déclaration écrite. Au dernier paragraphe, vous dites que : "L'histoire de

10 cette région, à partir du 19e siècle, montre que les Serbes souhaitaient

11 imposer une domination aux autres groupes ethniques."

12 Qu'entendez-vous par là ? Dans quel sens faut-il envisager cette

13 affirmation ? Pourquoi était-il important de le dire dans cette

14 déclaration ?

15 R. Parce que l'histoire nous apprend énormément et nous permet de tirer un

16 certain nombre de conclusions. Nous savons qu'on apprend dans les écoles

17 serbes que la littérature de Dubrovnik, à l'époque de la renaissance,

18 c'était une littérature serbe, or ce n'est pas le cas. Vous voyez qu'une

19 telle affirmation montre une volonté de domination.

20 Q. Vous parlez du 19e siècle.

21 R. Oui.

22 Q. Quel est le sens d'évoquer les inspirations des Serbes au 19e siècle

23 pour des événements qui ont eu lieu à la fin du 20e siècle ?

24 R. Parce que leur position était la même avant également. Simplement ce

25 que j'essaie de dire, c'est que ces inspirations ont élicité, de façon

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1 interrompue, et, d'ailleurs, aujourd'hui même, elles existent.

2 Q. Comment s'illustraient, selon vous, ces inspirations, cette volonté, à

3 l'époque, dont vous parlez ?

4 R. Au 19e siècle ?

5 Q. Au 19e et au 20e siècles.

6 R. Au 19e siècle, la population de Dubrovnik se composait essentiellement

7 de catholiques et --

8 M. WEINER : [interprétation] Objection.

9 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Monsieur Weiner.

10 M. WEINER : [interprétation] Monsieur le Président, dans la déclaration il

11 y a une, deux, trois, peut-être quatre occasions au paragraphe, qui parle

12 de l'histoire de la zone de Dubrovnik du 19e siècle au 20e siècle, à la fin

13 de la Deuxième guerre mondiale, et à la situation récente. Je n'ai parlé de

14 cela à aucun moment dans l'interrogatoire principal parce qu'un historien

15 est venu déposer. Cette personne même, s'il s'agit d'un artiste, n'est pas

16 un historien. Par conséquent, je considère que ces questions ne sont pas

17 pertinentes dans le cadre de cette procédure.

18 M. PETROVIC : [interprétation] Monsieur le Président, j'aurais deux

19 remarques. Je serais très bref. Tout d'abord pour mes questions portant sur

20 ce sujet et deuxièmement, à la lecture de la déclaration de ce témoin, il

21 faut rechercher, selon lui, les causes du conflit de 1991, dans une

22 situation héritée de l'histoire. Je serais extrêmement bref là-dessus, mais

23 nous parlons bien d'un conflit armé et le témoin affirme que qu'il s'agit

24 des causes qui permettent d'expliquer ce conflit. Je ne vais pas consacrer

25 énormément de temps à ce sujet, mais je crois tout de même qu'il vaut la

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1 peine d'y consacrer du temps car cela est évoqué de façon indirecte, mais

2 également plus directe dans les arguments de l'Accusation. Par ailleurs,

3 j'aimerais aborder ce sujet, très brièvement.

4 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Vous êtes bien conscient, Maître

5 Petrovic, du fait que, même si ces affirmations figurent dans une

6 déclaration écrite, elles n'ont pas été évoquées pendant la déposition

7 orale de ce témoin. L'Accusation n'a pas posé de questions là-dessus et les

8 juges n'ont pas entendu ce témoin parler de ses questions historiques. Je

9 vois mal à première vue quels seraient les aspects pertinents en l'espèce,

10 sauf si vous m'indiquez dans quelles mesures cela est directement pertinent

11 pour l'exposé de vos moyens de preuve.

12 M. PETROVIC : [interprétation] Si vous permettez de poser deux questions

13 peut-être que nous verrons très rapidement la pertinence, mais si vous

14 estimez qu'il faut procéder autrement, alors je penserais à autre chose

15 pour ne pas perdre de temps.

16 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Allez-y.

17 M. PETROVIC : [interprétation] Très bien. Merci, Monsieur le Président.

18 Q. Qu'entendez-vous par une phrase qu'on trouve dans votre déclaration

19 écrite, à savoir que : "Des poètes nationalistes serbes ont envahi

20 Dubrovnik" ?

21 R. C'est erroné. Disons qu'il faut modifier les choses.

22 Q. Que devrait-on lire alors ?

23 R. On devrait lire plutôt que certains poètes de Dubrovnik, les frères

24 Pucic et Nikola Ban, qui étaient pro-serbe, ont composé des vers que l'on

25 pouvait entendre y compris en 1991. D'ailleurs, c'est très visible sur la

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1 vidéo, vous voyez ce musicien qui chante cette chanson sur Dubrovnik serbe,

2 et c'est Nikola Ban [phon], qui déjà chantait ces vers au 19e siècle.

3 Q. Vous dites plus loin que : sur la propriété de la famille Gundulic, on

4 a construit une église orthodoxe et qu'une activité politique serbe s'y

5 déroulait." Quel est le problème avec une telle église orthodoxe ? Quel est

6 le problème dans une ville cosmopolite qu'il y est un poète serbe ?

7 R. J'ai dit un poète pro-serbe.

8 Q. Alors, que s'est-il passé ?

9 R. Au 19e siècle, les villages de Dubrovnik se sont appauvris et les

10 marchands de l'arrière pays sont arrivés et ont racheté les maisons aux

11 nobles de Dubrovnik et on a, à ce moment-là, pu observer ces tendances, et

12 l'église a été construite que dans la deuxième moitié du 19e siècle au

13 centre de la ville.

14 Q. Mais est-ce qu'une église serbe à Dubrovnik vous gêne ?

15 R. Non. Elle ne me gêne pas. D'ailleurs, aucune religion ne me gêne, mais

16 la façon dont cela a été fait, le fait, de placer cette église au cœur même

17 de la ville au point central, montre qu'il y a une volonté d'usure passion,

18 je dirais.

19 Q. Cela porte atteinte à l'image de la ville.

20 R. Non. Elle n'a pas été réalisée dans le style des vieilles

21 constructions.

22 Q. J'ai encore une dernière question sur ce thème. Qui dirige Dubrovnik au

23 moment où cette église a été construite ? Est-ce que c'est un régime

24 serbe ? Est-ce que c'est le gouvernement yougoslave ?

25 R. J'ai dit que les nobles de Dubrovnik se sont appauvries.

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1 Q. De quels pays s'agissaient-ils à l'époque ? Soyons très concis.

2 R. L'Autriche-Hongrie.

3 Q. Dans votre déclaration, on trouve également des passages très

4 intéressants sur des événements plus récents. Vous dites : "Après la mort

5 de Tito, les facteurs ethniques ont commencé à prendre le dessus, et les

6 Serbes en sont venus à contrôler toutes les positions clés dans les

7 territoires non-serbes." Qu'entendez-vous par là ?

8 R. C'est la vérité.

9 Q. Qu'est-ce que cela veut dire ?

10 R. Cela veut dire que la plupart des officiers de commandement dans

11 l'armée yougoslave étaient serbes. Ce n'est un secret pour personne et

12 c'est d'ailleurs visible de cette dernière guerre de l'attaque contre

13 Dubrovnik, des chants que l'on chantait, et cetera.

14 Q. Je ne vous ai pas posé des questions dans ce sens. Répondez à mes

15 questions dans la mesure la plus claires du possible, et si vous n'êtes pas

16 en mesure de le faire, dites-moi : je ne sais pas, je ne peux pas vous

17 répondre, ou autre chose dans ce sens.

18 Vous affirmez, je cite, que toutes les positions importantes de l'armée et

19 autre se trouvaient entre les mains des Serbes ou de leurs sympathisants.

20 M. WEINER : [interprétation] J'ai une objection, Monsieur le Président.

21 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui.

22 M. WEINER : [interprétation] Une fois de plus, nous entrons sur un terrain,

23 qui n'a pas été couvert dans l'interrogatoire principal. Je sais bien qu'au

24 cours du contre-interrogatoire on peut aborder es questions qui n'ont pas

25 été abordées par l'interrogatoire principal.

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1 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Mais c'est au juge de trancher en tout

2 état de cause sur cette question-là, on pose des questions au témoin comme

3 s'il était un expert en question historique. Or, nous n'avons pas posé des

4 questions sur ces sujets parce que le témoin n'est pas historien. Si vous

5 souhaitez dresser un constat judiciaire, très bien, si vous reprenez

6 d'autres décisions, notamment, la décision Talic sur les changements de la

7 JNA, qui est devenu une armée serbe, c'est une autre question. Mais ces

8 renseignements-là ont été obtenus auprès de personnes qualifiées auprès

9 d'expert en la matière. Or, ce témoin n'est pas un expert dans ce domaine.

10 Par conséquent, ces questions ne sont pas pertinentes premièrement.

11 Deuxièmement, même si les juges souhaitent entendre de tels éléments,

12 l'opinion de ce témoin sur les causes de la guerre ou autres sujets liés ne

13 sont pas -- ces questions, visant à établir l'opinion du témoin, ne sont

14 pas recevables.

15 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci, Monsieur Weiner.

16 Maintenant, Maître Petrovic.

17 M. PETROVIC : [interprétation] Bien entendu, Monsieur le Président, les

18 juges ne vont pas fonder leurs points de vue sur ces questions de ce qu'ils

19 vont entendre de ce témoin, mais nous demandons à ce témoin de s'exprimer

20 sur la façon plus générale d'envisager les événements. Nous souhaitons voir

21 quelle est sa position, voir s'il a des préjugés, s'il y a des souvenirs

22 partiels, et c'est ce que j'essaie de montrer ici. Bien sûr, ce qui

23 m'intéresse, c'est pourquoi, dans la déclaration de ce témoin, de façon

24 véhémente, on affirme qu'il y avait un problème important à Dubrovnik avec

25 les Serbes et c'est ce que je souhaite établir. Je souhaite savoir

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1 pourquoi, pour ce témoin, tout ce qui concerne de l'un ou de près les

2 Serbes dérangent, car c'est visible à l'écriture de sa déclaration. Je

3 souhaitais uniquement établir cela parce que c'est important pour la façon

4 dont il voit tout ce qui s'est passé par la suite. Je ne souhaite pas

5 établir des faits historiques sur la base que M. Grbic, ici, va nous dire.

6 Je souhaitais très brièvement évoquer ces questions uniquement, dans la

7 mesure où cela me semble nécessaire pour la déposition de ce témoin et non

8 pas pour vous permettre d'appréhender toute la dimension historique des

9 événements qui nous occupent.

10 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Maître Petrovic, vous êtes bien

11 conscient du fait qu'une fois de plus, si j'ai bien compris, vous vous

12 concentrez sur des faits qui n'ont pas été évoqués en réponse à

13 l'interrogatoire principal. Vous faites référence à des faits qui ne font

14 pas partie des éléments de preuve dans le cadre de ce procès. Il s'agit de

15 questions qui, apparemment, vous préoccupent, mais, à la lumière de ce que

16 nous avons entendu de M. Grbic, je dirais que nous avons entendu une

17 description très factuelle des pertes et des dégâts enregistrés dans la

18 vieille ville de Dubrovnik. C'est ce que nous avons appris de ce témoin

19 dans le cadre de sa déposition. Il serait inhabituel que vous essayez

20 d'élargir le cadre de sa déposition pendant le contre-interrogatoire, à

21 moins que vous n'ayez une très bonne raison de le faire ou quelqu'un

22 pourrait vous y autorisez.

23 Après avoir entendu votre intervention, je crois pouvoir en conclure que

24 vous estimez que le contre-interrogatoire portera sur la crédibilité du

25 témoin et, par conséquent, certains aspects de sa déposition.

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1 M. PETROVIC : [interprétation] Oui, précisément, c'est ce que vous venez de

2 dire. En effet, nous sommes confrontés au problème suivant : si vous me

3 permettez de consacrer quelques minutes à l'éclaircissement de cette

4 question, nous avons ici devant nous un témoin qui a assisté à un certain

5 nombre d'événements qui sont cruciaux pour l'Accusation et pour l'acte

6 d'accusation. Mais, en réalité, le témoin a déposé dans le cadre de

7 l'interrogatoire principal, mais Me Weiner n'a pas évoqué des points qui

8 sont cruciaux pour notre cause. Or, des points essentiels pour nous se

9 trouvent dans la déclaration écrite du témoin, mais, dans le cadre des

10 questions, on n'a absolument pas parlé à part de cette question historique

11 que je viens d'évoquer, j'en conviens, mais tout le reste qui n'a pas été

12 évoqué est essentiel pour nous.

13 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Maître Petrovic. Si vous me permettez,

14 j'aimerais vous inviter à nous dire quels sont les aspects importants pour

15 la cause de la Défense que vous souhaitez évoqués avec M. Grbic.

16 M. PETROVIC : [interprétation] Monsieur le Président, je vais essayer.

17 Malheureusement, je constate que nous sommes en train de parler de cela

18 devant le témoin et cela aura peut-être des répercussions sur ce que M.

19 Grbic sera amené à dire par la suite, mais je poursuis.

20 Premièrement, la genèse et les causes du conflit armé et des parties

21 prenantes à ce conflit, non pas sur un plan historique, mais des parties

22 impliquées d'une façon ou d'une autre dans un conflit armé.

23 Deuxièmement, la façon dont les dégâts ont été occasionnés et que cela a

24 été créé, la façon dont le conflit armé est envisagé de façon unilatérale.

25 Il n'existe qu'une partie des événements qui ont été observés uniquement

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1 d'un côté, alors que, dans la déclaration du témoin, on parle de l'autre

2 côté. Même si le témoin le dit, dans sa déclaration écrite, que le

3 Procureur ne lui a absolument pas demandé, à aucun moment, ce qui se

4 passait sur le mont Srdj, il a simplement parlé de silhouettes sur le mont

5 Srdj et du fait que la vieille ville a été bombardée. Mais quels sont les

6 éléments clés de tous ces événements ? On n'en a pas parlé peut-être que le

7 témoin le sait, peut-être qu'il n'en a pas parlé, mais il est de mon devoir

8 de lui poser des questions là-dessus.

9 Voilà pourquoi j'affirme que M. Weiner, dans son interrogatoire principal,

10 a laissé de côté un certain nombre d'aspects. Peut-être que nous pouvons

11 comprendre les raisons de ses omissions, mais je ne peux pas passer cela

12 sous silence.

13 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Permettez-moi de vous dire, Maître

14 Petrovic, que, personnellement, je comprends assez bien pourquoi M. Weiner

15 n'a pas posé des questions là-dessus. Pourquoi ? C'est parce qu'il essaie

16 de circonscrire l'exposé des moyens de preuve de l'Accusation. Il ne le

17 fait pas, de façon évidente, pour moi, pour laisser de côté des éléments

18 qui seraient favorables à vos moyens de preuve. C'est ce que j'ai cru

19 percevoir. C'est uniquement que M. Weiner essaie de mieux cibler ces

20 questions pour exclure les questions moins pertinentes. S'il n'a pas évoqué

21 des éléments, qui pourtant vous paraissent essentiels pour vous -- pour vos

22 exposés de vos arguments, vous êtes libre d'intervenir dans ce sens et

23 poser des questions. Mais, pour l'instant, je n'ai pas parfaitement compris

24 ce qui vous préoccupait, à part la question que vous souhaitiez évoquer de

25 la question des dégâts avec M. Grbic. Pour moi, vous pouvez parfaitement le

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1 faire, mais ce que je comprends mal par contre, c'est dans quelle mesure

2 les questions historiques, dont vous avez brièvement parlé, étaient

3 pertinentes, et le fait de remonter un siècle en arrière ou peut-être même

4 plus.

5 M. PETROVIC : [interprétation] Monsieur le Président, la déclaration

6 préalable et la position du témoin nous montrent qu'un côté des choses et

7 ce que j'essaie de démontrer, c'est précisément cet caractéristique-là,

8 c'est quant il s'agit de l'histoire, oui, effectivement. Je n'ai peut-être

9 pas besoin d'en parler, mais je vais vous expliquer pour quelle raison je

10 ferais cela. Mais, si vous considérez que ceci n'est pas nécessaire, je

11 vais éviter ce genre de question.

12 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Maître Petrovic, si j'ai dit cela, il

13 m'a dit tout simplement parce que je n'ai pas compris dans quelle mesure

14 ceci est pertinent. Vous ne nous l'avez pas démontré la pertinence de ces

15 questions. Mais je suis plus que content avec la proposition que vous

16 faites et, si vous souhaitez que ce soit la crédibilité du témoin, vous

17 pouvez poser aussi des questions qui sont pertinentes à ce sujet.

18 Monsieur Weiner.

19 M. WEINER : [interprétation] Mais je voulais tout simplement dire que ce

20 qui s'est passé n'est pas -- n'a rien à voir avec ce que le témoin a à

21 dire. La raison historique est ce que le témoin a vécu. On ne peut pas dire

22 que c'est la même chose; jus in bello n'est pas jus ad bellum; ils ne

23 correspondent pas forcément.

24 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Très bien, nous avons terminé ce

25 sujet, et j'espère que vous avez compris comment on souhaitait que vous

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1 procédiez.

2 M. WEINER : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

3 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Monsieur Petrovic, à présent, je vous

4 demande de poursuivre votre contre-interrogatoire et de laisser à côté

5 toutes ces questions d'histoire, qui n'ont pas beaucoup de pertinence

6 directe, et de commencer à parler de poser d'autres questions.

7 M. PETROVIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

8 Q. Monsieur le Témoin, dans votre déclaration, vous dites qu'à partir de

9 l'année 1991, vous commencez à sentir des tensions et vous ne savez pas ce

10 que l'avenir vous réserve. Vous comprenez qu'il y a quelque chose qui ne

11 tourne pas rond dans tout cela.

12 A quel moment, commencez-vous à ressentir tout cela à Dubrovnik ?

13 R. Nous avons commencé à ressentir cela au moment où on nous bloque la

14 route dans la Krajina avec des troncs d'arbre. On a appelé cela la

15 révolution des troncs d'arbre et on a compris que les Serbes en Croatie

16 bloquent les axes routiers.

17 Q. Pourquoi ils ont fait cela ?

18 R. Car, lors de leur référendum, ils ont déclaré qu'une partie de la

19 Croatie était devenue la Krajina serbe. On ne parle même pas des événements

20 de Vukovar et nous à Dubrovnik, on était tous au courant de cela.

21 Q. Pourriez-vous nous dire à quel moment vous avez appris qu'il y avait

22 quelque chose qui se passait dans la région de Konavle ?

23 R. Avec l'arrivée des premiers réfugiés.

24 Q. A quel moment à peu près ?

25 R. Au début du mois d'octobre en 1991.

Page 1393

1 Q. Dans votre déclaration datée du mois de septembre 1991, la JNA a

2 commencé certaines opérations à Konavle ?

3 R. Oui, les blocus maritimes a débuté de sorte que nous les personnes qui

4 nous --

5 Q. Attendez, attendez, est-il exact qu'au mois de septembre 1991, la JNA

6 commence ce que vous appelez les opérations de Konavle et Primorje ?

7 R. Non, je n'ai pas parlé de Primorje et de Konavle, mais j'ai parlé du

8 blocus maritime. On voyait les bateaux à l'horizon et nous ne pouvions pas

9 quitter la ville.

10 Q. Je vais vous lire ce qui est écrit ici dans la déclaration en anglais,

11 B/C/S, au niveau du quatrième paragraphe, de la première page : "Au mois de

12 septembre 1991, nous avons appris que la JNA a commencé son opération à

13 Konavle et à Primorje, les régions qui se trouvent au sud et au nord-est de

14 Dubrovnik."

15 R. Nous avons établi avec certitude que cela s'est produit au début du

16 mois d'octobre.

17 Q. Savez-vous s'il y avait des militaires, enfin des membres de l'armée

18 croate à Konavle ?

19 R. Non.

20 Q. Savez-vous si un conflit a eu lieu à Konavle, au mois de septembre ou

21 au mois d'octobre 1991 ?

22 R. Vous savez, cela se trouve assez loin par rapport à la ville même de

23 Dubrovnik et nous ne pouvions être informés que par le biais des médias. Je

24 n'ai pas appris cela.

25 Q. Mais est-ce que cela a attiré votre attention ? Est-ce que vous vouliez

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1 savoir pour quelle raison ces réfugiés venaient ? Ce qui se passait là-

2 bas ?

3 R. Malheureusement, les hôtels en étaient pleins.

4 Q. Essayez de vous concentrer sur la question que je vais vous poser ?

5 Est-ce que vous vous êtes posé la question ? Est-ce que vous vouliez savoir

6 quelle était la raison de l'arrivée de tous ces gens ?

7 R. Parce que leurs maisons étaient brûlées. Le village entier était brûlé

8 à Konavle.

9 Q. Je vais vous poser la question autrement, peut-être que cela va être

10 plus simple. Est-ce qu'il y avait deux parties au conflit et qui se

11 tiraient dessus là-bas ? Où est-ce qu'il n'y en avait pas ou est-ce que

12 vous n'êtes pas au courant ?

13 R. Je ne sais pas, je ne sais pas.

14 Q. Vous avez parlé de Lokrum. Pourriez-vous dire, aux Juges de la Chambre,

15 à quelle distance se trouve Lokrum par rapport à la vieille ville de

16 Dubrovnik ?

17 R. Dans la partie la plus proche des murailles de la ville, la distance

18 qui les sépare est de 700 mètres.

19 Q. On vous a dit que quelqu'un vous a arrêté au moment où vous dirigiez

20 vers Lokrum, qui vous a arrêté ?

21 R. La protection civile.

22 Q. Quand cela ?

23 R. C'était à la fin du mois de septembre.

24 Q. Pourquoi vous ont-ils arrêtés ?

25 R. Ils nous ont dit de revenir sur nos pas car il y avait un blocus

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1 maritime.

2 Q. Dites-nous où se trouvait exactement ces membres de la protection

3 civile ?

4 R. Dans le port de Potok, à Lokrum.

5 Q. Vous êtes arrivé à Lokrum avec un petit bateau et, en arrivant à

6 Lokrum, il vous demande de rebrousser le chemin ?

7 R. Oui, immédiatement.

8 Q. Mais comment avez-vous réussi à traverser la mer et arriver à Lokrum

9 depuis la ville s'il y avait ce blocus ?

10 R. Car personne dans le port nous a dit qu'il y avait le blocus et qu'on

11 ne pouvait pas y aller. On l'a appris qu'au moment de notre arrivée à

12 Lokrum.

13 Q. Est-ce que cela veut dire que le port lui-même n'était pas bloqué ?

14 R. Les bateaux de la marine étaient à l'horizon, au large.

15 Q. Personne ne vous empêchait de quitter le port pour entrer dans le port

16 de Lokrum ?

17 R. Pas à ce moment-là, puisque je vous ai dit que ces bateaux étaient

18 loin, mais on nous a dit qu'aucun bateau n'avait le droit de quitter le

19 port ?

20 Q. Pourtant vous l'avez fait.

21 R. Oui, mais nous avons dû revenir.

22 Q. Y avait-il une raison pour laquelle on ne vous a pas laissé aborder

23 l'île à Lokrum ?

24 R. Mais, oui, car nous devions réellement revenir prendre un autre bateau,

25 prendre un bateau pour revenir. Si nous n'étions pas revenus immédiatement,

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1 on aurait été pratiquement prisonnier de la ville de Lokrum.

2 Q. Cela veut dire que c'est la protection civile qui vous a empêchés

3 d'aborder ?

4 R. Oui.

5 Q. Cette protection civile appartenait à qui ?

6 R. La protection civile c'était les membres de la commune locale, des

7 civils, des habitants de la ville.

8 Q. Est-ce que vous avez vu des armes ?

9 R. Non.

10 Q. Comment savez-vous qu'ils faisaient partie de la protection civile ?

11 R. Ils étaient tous vêtus de vêtements civils tout comme moi.

12 Q. Est-ce que cela veut dire que chaque personne vêtue de vêtements civils

13 était membre de la protection civile ?

14 R. Oui, de quelque sorte, on était tous membres de la protection civile,

15 tous les habitants de la ville essayaient de protéger leur ville contre qui

16 que ce soit.

17 Q. Bien. Ils n'avaient pas d'armes, ils n'avaient pas d'uniformes, aucun

18 insigne particulier, qui les différencierait de vous. Pourquoi leur avez-

19 vous obéis ?

20 R. Car nous connaissions ces gens-là.

21 Q. Vous saviez qui étaient les membres de la protection civile à

22 Dubrovnik ?

23 R. Oui.

24 Q. Vous connaissiez assez les policiers de Dubrovnik?

25 R. Parmi les gens à Lokrum, il n'y avait pas de policiers. Il n'y en avait

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1 pas un seul.

2 Q. Je vous prie de bien vouloir répondre à la question d'une façon

3 précise. Connaissiez-vous tous les policiers de Dubrovnik ?

4 R. Personnellement, non.

5 Q. Est-ce que vous avez entendu dire, peut-être, qu'il y avait des

6 positions tenues par l'armée croate à Lokrum?

7 R. Non.

8 Q. Est-ce que vous saviez que vous n'aviez pas le droit de vous rendre

9 sur Lokrum justement parce qu'il y avait des installations militaires là-

10 bas ?

11 R. Je vous ai donné la raison qu'on nous a donnée à nous. On nous a dit

12 qu'il y avait des bateaux au large et que le blocus avait été déclaré et

13 que, pour cette raison-là, que nous devions revenir.

14 [Le Conseil de l'Accusation se concertent]

15 Q. Puisqu'il s'agissait des civils, si vous insistiez, par exemple, pour

16 rester à Lokrum, est-ce qu'ils vous auraient empêchés ?

17 R. Nous n'avions aucune raison d'entrer en conflit avec eux. Nous avons

18 obéi.

19 Q. Est-ce qu'ils étaient en mesure de le faire, de vous empêcher d'y

20 rester ?

21 R. Vous savez, nous sommes un peuple paisible. Nous n'avions pas besoin de

22 provoquer des conflits. Nous avons pris la situation telle qu'elle était.

23 Nous avons bien remarqué ces bateaux et nous sommes revenus dans la ville.

24 Q. A quel moment les défendeurs croates ont-ils pris le mont de Srdj ?

25 R. Je ne le sais pas.

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1 Q. Est-ce qu'ils étaient sur le mont de Srdj, le 1er octobre ?

2 R. Je ne le sais pas.

3 Q. Etaient-ils sur le mont de Srdj, le 15 octobre ?

4 R. Je ne sais pas.

5 Q. Savez-vous quel était leur nombre ?

6 R. Non, je ne le sais pas.

7 Q. Pourquoi alors, dans votre déclaration, vous dites : "Les défenseurs

8 croates qui étaient, pour autant que je le sache, au nombre de neuf, ont

9 continué à défendre Dubrovnik depuis le mont de Srdj" ?

10 R. Je l'ai appris plus tard, après toutes ces atrocités.

11 Q. Est-ce que vous ne comprenez pas mes questions, ou bien, est-ce que je

12 ne suis pas suffisamment précis ? Je vous demande ce que vous savez au jour

13 d'aujourd'hui, pour que vous le disiez aux Juges de la Chambre. Je vous

14 avais demandé combien y avait-il de défenseurs de la ville à Srdj ? Et vous

15 dites que vous ne le savez pas.

16 R. Vous m'avez demandé combien ils étaient en octobre et en novembre. Je

17 vous ai dit que je ne le savais pas. Ce que j'ai dit dans ma déclaration

18 préalable, c'est quelque chose que j'ai appris plus tard. Nous l'avons,

19 tous, appris plus tard. C'était après la guerre, après toutes ces

20 atrocités.

21 Q. Aujourd'hui, qu'est-ce que vous pouvez nous dire ? Ils étaient au

22 nombre de combien, sur le mont de Srdj ?

23 R. A l'époque, je ne le savais pas du tout.

24 Q. Vous ne me comprenez pas, ou quoi ?

25 R. Excusez-moi.

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1 Q. Qu'est-ce que vous savez au jour d'aujourd'hui ? Il y avait combien de

2 combattants croates en train de défendre la ville sur le mont de Srdj, au

3 mois d'octobre et au mois de novembre 1991 ?

4 R. J'ai entendu dire qu'ils étaient au nombre de neuf.

5 Q. Qu'est-ce que vous avez entendu dire au sujet de ces neuf combattants ?

6 R. Je ne les connaissais pas.

7 Q. Je ne vous ai pas demandé si vous les connaissiez. Je vous ai demandé

8 ce que vous saviez à leur sujet. Si vous avez entendu quoi que ce soit, à

9 leur sujet ?

10 R. J'ai entendu dire qu'ils étaient très courageux et très braves.

11 Q. Qu'est-ce que vous avez entendu dire précisément au sujet de leur

12 courage ?

13 R. Qu'ils n'étaient pas nombreux et qu'on avait l'impression qu'ils

14 étaient bien plus nombreux que cela.

15 Q. Est-ce que vous avez entendu dire par quels moyens ils ont réussi à

16 créer l'impression qu'ils étaient plus nombreux que cela ?

17 R. Ils ont empêché que cette position extrêmement importante, que cette

18 côte extrêmement importante, soit prise. A savoir, les sommets mêmes du

19 mont de Srdj.

20 Q. Je vous ai demandé si vous saviez comment se sont-ils débrouillés pour

21 qu'on ait l'impression qu'ils sont plus nombreux que cela ?

22 R. Seuls les ennemis doivent le savoir.

23 Q. Je vais reposer ma question. Est-ce que vous avez entendu dire comment

24 se fait-il qu'on avait l'impression qu'ils étaient plus nombreux qu'ils ne

25 l'étaient en réalité ?

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1 R. Je ne le sais pas.

2 Q. Est-ce que vous avez entendu des histoires concernant leur courage ?

3 R. On en parle au jour d'aujourd'hui encore, mais de façon générale.

4 Q. Mais qu'est-ce qu'on en dit, aujourd'hui?

5 R. Que c'était un courage tout à fait louable, qu'ils ont du mérite

6 d'avoir été courageux comme cela.

7 Q. Mais, pourquoi dans votre déclaration vous dites comme suit : "Les

8 volontaires leur apportaient de la nourriture depuis la ville. Ils

9 ramenaient les blessés dans la ville et ils racontaient les récits de leur

10 courage et -- ". Est-ce que cela veut dire qu'à l'époque vous n'aviez rien

11 entendu ?

12 R. Mais, évidemment, j'ai entendu dire qu'ils avaient descendu les

13 blessés, alors qu'il s'agit d'une pente très rude. Je pense que c'est

14 quelque chose qui mérite des louanges.

15 Q. Je vous demande quelles sont ces histoires que vous avez entendues

16 concernant leur courage ?

17 R. Les forces serbes n'ont pas réussi à prendre le mont de Srdj.

18 Q. Savez-vous quelles étaient les armes dont ils disposaient ?

19 R. Non, je ne le sais pas.

20 Q. Est-ce que vous savez s'ils étaient armés du tout ?

21 R. Non, je ne le sais pas.

22 Q. Est-il possible qu'ils étaient tout simplement courageux, mais pas

23 armés du tout ?

24 R. Je ne sais pas. Je suis un civil. Moi, je ne faisais partie d'aucune

25 formation militaire.

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1 Q. Depuis votre fenêtre, pouviez-vous voir ces combattants croates sur le

2 mont de Srdj ?

3 R. Non.

4 Q. Depuis votre fenêtre, pouviez-vous voir la forteresse impériale de

5 Srdj ?

6 R. Oui.

7 Q. Est-ce que vous avez vu qui que ce soit dans cette forteresse impériale

8 sur le mont de Srdj ?

9 R. Non.

10 Q. Est-ce que vous auriez pu remarquer qui que ce soit agir avec des

11 armes, depuis cette forteresse ? Donc, tirer depuis cette forteresse, au

12 mois de novembre et au mois de décembre ?

13 R. Non.

14 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Maître Petrovic, je me demande où vous

15 en êtes, à présent. Est-ce que vous êtes en train de terminer votre contre-

16 interrogatoire ?

17 M. PETROVIC : [interprétation] Malheureusement non.

18 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Dans ce cas-là, nous allons lever la

19 séance pour la journée.

20 M. PETROVIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

21 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je suis désolé, Monsieur Grbic, vous

22 allez devoir revenir demain pour terminer votre contre-interrogatoire. Les

23 Juges de la Chambre souhaitent dire aux conseils que nous avons pu

24 réfléchir et lire la requête concernant le témoin le général Pringle. Les

25 Juges de la Chambre considèrent qu'il s'agit, là, d'un témoin pertinent et

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1 que sa déposition devrait être entendue. Il est vrai que la Défense a

2 avancé beaucoup d'arguments qui tiennent la route, mais ils vont avoir un

3 effet concernant le poids à accorder à cette déposition, plutôt que quant à

4 la recevabilité de cette déposition.

5 Mme SOMERS : [interprétation] Avant de lever la séance, je voudrais vous

6 demander deux minutes pour quelques questions de procédure à l'intendance,

7 mais je pense que le Témoin n'a pas besoin d'être présent pour cela.

8 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Très bien. Monsieur Grbic, nous vous

9 remercions pour aujourd'hui et nous nous attendons à vous voir demain, ici

10 dans ce prétoire.

11 [Le témoin se retire]

12 Mme SOMERS : [interprétation] Est-ce que nous pouvons passer à huit clos

13 partiel ou est-ce que nous restons en audience publique ?

14 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je ne vois pas pourquoi il faudrait

15 passer à huis clos partiel.

16 Mme SOMERS : [interprétation] Uniquement parce que je souhaite évoquer

17 quelques préoccupations. Plutôt que de m'avancer trop, j'aimerais dire aux

18 juges que cet après-midi, on parlera du nombre des témoins qui viennent et

19 qui ensuite doivent repartir chez eux pour différentes raisons. Il s'agit

20 d'une préoccupation.

21 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je crois que nous allons rester en

22 audience publique.

23 Mme SOMERS : [interprétation] Je n'ai pas, encore, eu la possibilité de

24 contacter directement le directeur de l'unité qui devait témoigner, mais si

25 j'ai bien compris, le nombre de personnes que nous devons citer, pour nous

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1 en tenir au délai proposé, fera que certaines de ces personnes devront

2 rester plus de trois jours. Parfois, on prévoit un calendrier et ensuite la

3 réalité est différente. Par le biais du Juriste, si vous me le permettez,

4 j'aimerais pouvoir informer les juges de ce qui se dira à cette réunion,

5 mais j'imagine que cette préoccupation risque de se reproduire à l'avenir.

6 Je vous en tiendrai informer.

7 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Nous attendons davantage de nouvelles

8 de votre part, Madame Somers.

9 Mme SOMERS : [aucune interprétation]

10 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] L'audience est suspendue.

11 --- L'audience est levée à 13 heures 49 et reprendra le mercredi 28 janvier

12 2004, à 9 heures 00.

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