Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le mercredi 23 avril 2008

  2   [Audience d'appel]

  3   [Audience publique]

  4   [L'appelant est introduit dans le prétoire]

  5   --- L'audience est ouverte à 9 heures 37.

  6   Mme LE JUGE VAZ : Mesdames et Messieurs, bonjour. L'audience est

  7   ouverte.

  8   Madame la Greffière d'audience, veuillez, je vous prie, appeler

  9   l'affaire qui est inscrite au rôle pour la présente audience.

 10   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Bonjour. Affaire IT-01-42-A, le

 11   Procureur contre Pavle Strugar.

 12   Mme LE JUGE VAZ : Je vous remercie, Madame la Greffière. J'aimerais savoir

 13   si M. Strugar peut entendre et suivre le déroulement des procédures dans

 14   une langue qu'il comprend ?

 15   L'APPELANT : [interprétation] Oui.

 16   Mme LE JUGE VAZ : Je vous remercie. Je demande maintenant aux parties de

 17   bien vouloir s'identifier en commençant par la Défense de M. Strugar.

 18   M. RODIC : [interprétation] Bonjour, Madame la Présidente, Messieurs les

 19   Juges. Au nom de M. Pavle Strugar, devant cette Chambre d'appel,

 20   comparaissent Vladimir Petrovic de Belgrade et Goran Rodic de Podgorica.

 21   Mme LE JUGE VAZ : Je remercie la Défense. Je me tourne à présent vers le

 22   banc du Procureur.

 23   Mme BRADY : [interprétation] Bonjour. Je m'appelle Helen Brady, je

 24   représente l'Accusation avec Michelle Jarvis, Laurel Baig, Xavier Tracol et

 25   notre assistant, Sebastian van Hooydonk. Merci.

 26   Mme LE JUGE VAZ : Je remercie Mme Brady. La Chambre d'appel siège ce jour

 27   pour entendre les arguments des parties relatifs aux appels interjetés par

 28   M. Strugar et par le bureau du Procureur contre le jugement de première

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  1   instance.

  2   Avant de donner la parole aux parties, je vais brièvement résumer les

  3   motifs d'appel pendants devant cette Chambre ainsi que la façon dont nous

  4   allons procéder lors de cette journée d'audience.

  5   Dans son jugement rendu le 31 janvier 2005, la Chambre de première instance

  6   II, composée des Juges Parker, président de  Chambre, Thelin et Van den

  7   Wyngaert, a condamné Pavle Strugar à une peine unique de huit ans

  8   d'emprisonnement sur les chefs d'accusation retenus contre lui. Plus

  9   spécifiquement, le chef 3, d'attaques contre des civils au terme des

 10   articles 3 et 7(3) du Statut, le chef 6 de destruction ou endommagement

 11   délibéré de biens culturels au terme des articles 3(d) et 7(3) du Statut.

 12   Les deux parties ont interjeté appel contre le jugement de première

 13   instance. A la demande des parties, la Chambre d'appel a autorisé le

 14   retrait de ces appels le 20 septembre 2006, puis le procès en appel a été

 15   réouvert le 7 juin 2007.

 16   Dans le cadre de ces premier et troisième motifs d'appel, Strugar fait

 17   valoir que la Chambre de première instance a commis des erreurs de fait.

 18   Premièrement, il affirme que plusieurs constatations du jugement sont

 19   erronées en ce qui concerne les opérations de combat menées par la JNA dans

 20   la région de Dubrovnik en octobre et novembre 1991. Dans cette même branche

 21   d'appel, il soutient que la Chambre de première instance a conclu à tort

 22   que l'élément moral nécessaire pour établir sa responsabilité de supérieur

 23   hiérarchique, en application de l'article 7(3) du Statut, était rempli.

 24   Deuxièmement, M. Strugar allègue que la Chambre de première instance a

 25   versé dans l'erreur en ce qui a trait aux événements des 3 et 5 décembre

 26   1991, concernant sa responsabilité dans la conduite des négociations avec

 27   les ministres croates et la planification de l'attaque contre Srdj.

 28   Troisièmement, Strugar soutient que la Chambre de première instance a

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  1   commis des erreurs relatives aux événements du 6 décembre 1991.

  2   Quatrièmement, Strugar avance que la Chambre de première instance a commis

  3   une erreur concernant son manquement à l'obligation qu'il avait de prévenir

  4   les crimes, en particulier, en ce qui concerne la structure de commandement

  5   du 2e Groupe opérationnel, la capacité matérielle qu'il avait de prévenir

  6   les crimes, les mesures qu'il a prises pour empêcher le bombardement de la

  7   vieille ville ou y mettre fin, et enfin, l'ordre de cessez-le-feu.

  8   Cinquièmement, Strugar relève des erreurs dans les conclusions tirées par

  9   la Chambre de première instance concernant sa capacité matérielle de punir

 10   les crimes, son manquement à l'obligation de prendre des mesures suite aux

 11   événements du 6 décembre 1991, et le fait qu'il avait promu et décoré des

 12   personnes impliquées dans ceci.

 13   Au titre de son deuxième motif d'appel, Strugar soutient, premièrement, que

 14   la Chambre de première instance a conclu à tort que la condition de

 15   l'existence d'un lien de subordination était remplie au vu des faits de la

 16   cause. Dans la deuxième branche de ce moyen d'appel, Strugar avance que la

 17   Chambre de première instance a tiré des conclusions erronées concernant

 18   l'élément moral des crimes suivants : attaques contre des civils et

 19   destruction ou endommagement délibéré de biens culturels, notamment en ce

 20   qui concerne les conclusions sur l'intention directe.

 21   Dans le cadre de son quatrième motif d'appel relatif à la peine, Strugar

 22   prétend que la Chambre de première instance a commis une erreur en

 23   comparant sa condamnation à celle de Miodrag Jokic en n'attachant pas aux

 24   excuses qu'il a présentées l'importance qu'elle mérite et en n'accordant

 25   pas suffisamment de poids à certaines circonstances atténuantes.

 26   Enfin, dans son cinquième et dernier motif d'appel, Strugar soulève des

 27   questions relatives à son aptitude à subir le procès en première instance.

 28   M. Strugar demande donc à la Chambre d'appel de l'acquitter de tous les

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  1   chefs d'accusation retenus contre lui et alternativement, d'ordonner un

  2   nouveau procès ou de réduire substantiellement la peine qui lui a été

  3   infligée.

  4   Il demande également à la Chambre de surseoir aux procédures judiciaire le

  5   concernant en raison du fait qu'il était et est toujours inapte à être

  6   jugé.

  7   Le Procureur demande le rejet de tous les motifs d'appel avancés par

  8   Strugar. Comme je l'ai mentionné plus haut, il a également interjeté appel

  9   du jugement de première instance. Dans son premier motif d'appel, le

 10   Procureur allègue que la Chambre de première instance a commis une erreur

 11   de droit dans son application du critère concernant l'élément moral requis

 12   par l'article 7(3) du Statut, en concluant qu'avant l'attaque contre Srdj,

 13   lancée aux premières heures du 6 décembre 1991, Pavle Strugar ne savait

 14   pas, il n'avait pas de raison de savoir que ses subordonnés s'apprêtaient à

 15   commettre un crime.

 16   A titre subsidiaire, il fait valoir que même si l'interprétation du droit

 17   par la Chambre de première instance est correcte, la Chambre de première

 18   instance a, néanmoins, commis une erreur de fait en estimant qu'il n'avait

 19   pas été établi qu'avant l'attaque contre Srdj, M. Strugar avait des raisons

 20   sérieuses de soupçonner que ses subordonnés étaient sur le point de

 21   commettre un crime.

 22   Pour le deuxième motif d'appel, le Procureur soutient que la Chambre de

 23   première instance a commis une erreur en appliquant le droit relatif au

 24   cumul de déclarations de culpabilité pour les chefs d'accusation 4, à

 25   savoir dévastation non justifiée par les exigences militaires. Cinq, à

 26   savoir attaques illégales contre des biens de caractère civil. Et 6, à

 27   savoir destruction ou endommagement délibéré de biens culturels.

 28   Enfin, pour le troisième et dernier motif relatif à la peine, le Procureur

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  1   soutient que la Chambre de première instance s'est trompée en comparant la

  2   condamnation de M. Strugar à celle de Miodrag Jokic et en estimant que les

  3   excuses présentées par M. Strugar constituaient une circonstance

  4   atténuante.

  5   Le Procureur demande à la Chambre d'appel d'infirmer la conclusion de la

  6   Chambre de première instance selon laquelle M. Strugar n'était pas tenu de

  7   prévenir le bombardement de la vieille ville de Dubrovnik avant le début de

  8   l'attaque contre Srdj et de réviser la peine en conséquence.

  9   Il demande également de prononcer des déclarations de culpabilité

 10   pour les chefs 4 et 5 et de condamner M. Strugar à une peine plus lourde.

 11   Lors de cette audience, les conseils des parties peuvent décider de

 12   présenter leurs motifs et moyens d'appel dans l'ordre qu'ils jugeront le

 13   plus opportun. Je souhaiterais toutefois rappeler que les parties ont été

 14   invitées à développer un certain nombre de points qui leur ont été

 15   communiqués par le mémorandum en date du 20 mars dernier, point que je ne

 16   vais pas reprendre ici.

 17   Je vais à présent rappeler les critères applicables aux erreurs de fait et

 18   de droit allégués en appel.

 19   Les appels formés contre les jugements ne donnent pas lieu à un

 20   procès de novo. Les parties ne peuvent donc se contenter de réitérer des

 21   arguments déjà entendus en première instance. Il ressort de l'article 25 du

 22   Statut que le rôle de la Chambre d'appel se limite à corriger les erreurs

 23   de droit qui invalident une décision et les erreurs de fait qui ont

 24   entraîné un déni de justice.

 25   Par conséquent, la partie qui allègue une erreur sur un point de droit doit

 26   avancer des arguments à l'appui de sa thèse et expliquer en quoi l'erreur

 27   invalide la décision.

 28   En ce qui concerne les erreurs de fait, il est de jurisprudence constante

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  1   que la Chambre d'appel n'infirme pas à la légère les conclusions de fait

  2   dégagées par une Chambre de première instance. La Chambre d'appel

  3   n'interviendra donc que lorsqu'il a été démontré qu'aucun juge des faits

  4   raisonnables n'aurait pu parvenir à la même conclusion ou lorsque celle-ci

  5   est totalement erronée.

  6   En outre, la Chambre d'appel peut d'emblée rejeter, sans avoir à les

  7   examiner sur le fond, les arguments présentés par une partie qui n'ont

  8   aucune chance d'aboutir à l'annulation ou à la réformation de la décision

  9   attaquée.

 10   Les parties appelantes ont, de surcroît, l'obligation de fournir les

 11   références précises des éléments qui viennent étayer leurs arguments en

 12   appel.

 13   Par ailleurs, on ne saurait s'attendre à ce que la Chambre d'appel

 14   examine en détail les conclusions des parties si elles sont obscures,

 15   contradictoires ou vagues, ou si elles sont entachées d'autres vices de

 16   forme flagrants.

 17   Enfin, la Chambre d'appel dispose d'un pouvoir discrétionnaire

 18   inhérent pour déterminer quels sont les arguments qui méritent une réponse

 19   motivée par écrit et rejettera donc sans motivation détaillée les arguments

 20   qui sont manifestement mal fondés.

 21   Cette audience va procéder conformément à l'ordonnance du 29 janvier

 22   2008 portant au calendrier. La Défense commencera à présenter ses arguments

 23   ce matin pendant une heure et demie. Après la pause de 20 minutes, le

 24   Procureur pourra commencer à présenter ses arguments en réponse pendant une

 25   heure. Suite à la pause d'une heure, la Défense disposera de 30 minutes

 26   pour présenter ses arguments en réplique. Ensuite, le Procureur pourra

 27   présenter ses arguments pendant une heure et demie tout en respectant la

 28   pause de 20 minutes au milieu de sa présentation. La Défense disposera

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  1   d'une heure pour présenter ses arguments en réponse. Suite à la dernière

  2   pause de 20 minutes, le Procureur aura 30 minutes pour présenter ses

  3   arguments en réplique.

  4   Enfin, M. Strugar sera invité à prendre la parole, s'il le souhaite,

  5   pour une courte déclaration n'excédant pas 15 minutes.

  6   Il sera extrêmement utile à la Chambre d'appel que les parties

  7   présentent leurs arguments de façon claire, ordonnée et concise. Les Juges

  8   prendront à tout moment la liberté d'interrompre les parties pour leur

  9   demander des précisions ou poser des questions.

 10   Evidemment, les parties peuvent ne pas utiliser tout le temps qui

 11   leur est imparti. S'il n'y a pas de questions relatives à la façon dont va

 12   se dérouler cette audience, j'aimerais maintenant inviter la Défense à

 13   présenter ses arguments en appel.

 14   Très bien. Donc la Défense a la parole. Oui, Monsieur Rodic.

 15   M. RODIC : [interprétation] Merci, Madame la Présidente.

 16   La Défense de Pavle Strugar a interjeté appel contre le jugement de la

 17   Chambre de première instance du 31 janvier 2005. Et dans le cadre de notre

 18   appel, nous avons présenté les motifs qui, selon nous, montrent qu'il y a

 19   des erreurs de droits et des erreurs de faits qui ont été commis par la

 20   Chambre de première instance dans son jugement et qui ont entraîné un déni

 21   de justice.

 22   La Défense reconnaît parfaitement les critères d'examen applicables en

 23   appel contre des jugements de la Chambre de première instance, aussi bien

 24   pour ce qui est des erreurs de droit et des erreurs de fait. Ces critères

 25   de jurisprudence sont bien établis au sein du Tribunal international.

 26   Dans notre mémoire d'appel, nous avons indiqué un certain nombre d'erreurs

 27   qui ont une incidence sur le jugement et qui ont entraîné un déni de

 28   justice.

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  1   La Défense a mis en évidence des erreurs qui, du fait de leur nature et de

  2   leur gravité, nécessitent l'intervention de la Chambre d'appel qui devrait

  3   annuler le jugement de première instance ou modifier certaines des

  4   conclusions de la Chambre de première instance. La Défense a défini

  5   certaines catégories d'erreurs commises selon elle par la Chambre de

  6   première instance.

  7   Il y a donc cinq moyens d'appel qui ont été interjetés avec un

  8   certain nombre de motifs intermédiaires.

  9   Tout ceci est indiqué dans notre mémoire d'appel et je vais profiter

 10   de l'occasion qui m'est donnée pour souligner certaines des erreurs

 11   commises par la Chambre de première instance.

 12   Nous souhaitons insister sur ces erreurs en particulier pour que tout

 13   soit suffisamment précis. De plus, la Défense fera tout ce qui est en son

 14   pouvoir pour éviter de répéter ce qui a déjà été écrit, ce qui a déjà été

 15   dit dans la mesure du possible, et ceci afin que nous puissions avoir une

 16   audience aussi efficace et aussi rapide que possible.

 17   La position de la Défense, c'est qu'il n'y a aucun élément indiquant

 18   que Strugar ait ordonné l'attaque contre Srdj. L'une des erreurs-clés

 19   commises par la Chambre de première instance a été de conclure que Pavle

 20   Strugar avait ordonné l'attaque contre Srdj.

 21   La Chambre de première instance a conclu que Strugar avait donné cet

 22   ordre le 5 décembre 1991. Et cette conclusion, la Chambre l'a tirée partant

 23   des éléments de preuve présentés par le témoin à charge, Colm Doyle. Il y a

 24   une phrase-clé dans la déclaration de ce témoin, je vous la donne : "Et

 25   l'interprète m'a informé du fait que le général avait été très fâché, était

 26   furieux, en raison de ce qui m'a été présenté comme étant le fait de

 27   paramilitaires se trouvant en territoire de Bosnie-Herzégovine,

 28   paramilitaires qui avaient attaqué certains de ses effectifs, effectifs se

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  1   trouvant sous le commandement de Strugar." Je poursuis la citation : "C'est

  2   quelque chose qu'il refusait de tolérer et il a réagit en ouvrant le feu

  3   sur la ville de Dubrovnik."

  4   Page du compte rendu d'audience 1 716.

  5   La Défense souhaite souligner qu'eu égard à la réunion de Doyle avec

  6   Strugar, il y a aussi un autre élément important. Strugar et Doyle se sont

  7   parlés par l'intermédiaire d'un interprète. Objectivement, nous nous devons

  8   de poser la question suivante : est-ce que tout a été interprété

  9   intégralement ? Est-ce que tout a été dit par l'interprète ? Est-ce que

 10   Strugar a vraiment utilisé les termes tels qu'ils ont été relayés à Doyle

 11   par l'interprète ? Lorsque Doyle se souvient de cette conversation, il dit

 12   ne pas se souvenir des mots exactement utilisés par Strugar, en tout cas,

 13   ceux qui ont été relayés par l'interprète. Ce qui veut dire qu'il n'y a pas

 14   eu de communication directe entre ces deux hommes.

 15   Doyle n'a pas pris de notes, il n'a consigné aucun détail de cette réunion

 16   par écrit. Et la Défense souhaite particulièrement souligner ceci : Doyle

 17   ne dit pas un seul mot à propos de Srdj, il ne dit pas un seul mot de

 18   l'attaque menée sur Srdj. Aucun mot n'est prononcé -- apparemment il avait

 19   une petite erreur au compte rendu d'audience. C'est Srdj, S-R-D-J. On voit

 20   "search" en anglais, recherche. Je précise que c'est à la ligne 0320. Srdj,

 21   c'est un toponyme, c'est un lieu, alors qu'en anglais la sténotypiste --

 22   L'INTERPRÈTE : Les interprètes rappellent que c'est un compte rendu

 23   provisoire qui est modifié par la suite.

 24   M. RODIC : [interprétation] Je rappelle que la Défense souligne que Doyle

 25   n'a pas dit un seul mot à propos de Srdj, de l'attaque menée sur Srdj.

 26   Rien n'est dit à propos d'unités de paramilitaires croates non plus.

 27   La Chambre de première instance a entendu les mots suivants : "A ouvert le

 28   feu sur la ville de Dubrovnik." L'interprétation que fait la Chambre de

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  1   première instance est assez aléatoire. Elle tire une déduction partant de

  2   ces mots, déduction que c'est Strugar qui a donné l'ordre d'attaquer Srdj.

  3   De plus, la Chambre de première instance estime que ceci montre sans aucune

  4   équivoque que le général Strugar reconnaît avoir donné un ordre d'attaque

  5   sur Srdj. C'est une phrase que prononce Doyle devant la Chambre de première

  6   instance. Pourtant, c'est là-dessus que se basait la Chambre, et tout ce

  7   qu'une Chambre raisonnable pourrait dire, c'est que Strugar était furieux

  8   du fait qu'il y avait des unités paramilitaires en Bosnie-Herzégovine qui

  9   avaient attaqué les unités de la JNA se trouvant sous le commandement de

 10   Strugar.

 11   Mais on pourrait tirer une autre conclusion, une autre déduction. C'est

 12   qu'en réponse à ces attaques, on a ouvert le feu sur Dubrovnik. Il n'en

 13   demeure pas moins qu'il est impossible de conclure de cela que Strugar

 14   aurait effectivement donné l'ordre d'attaquer Srdj le 5 décembre 1991.

 15   Le témoin Doyle n'a parlé que de la Bosnie. Le témoin Doyle a parlé de

 16   l'attaque menée par des unités paramilitaires dans cette république. Il est

 17   très clair, il dit bien que Strugar n'a jamais dit quelles étaient ces

 18   unités paramilitaires de façon précise. Il n'a même pas prononcé le mot de

 19   "Srdj". Doyle ne sait sans doute même pas où se trouve Srdj.

 20   Ce témoin Doyle ne sait rien d'un ordre éventuellement donné par Strugar,

 21   ordre d'ouvrir le feu. Doyle ne sait rien des éventuels objectifs ciblés

 22   par une attaque éventuelle. Strugar n'a jamais précisé quel ordre a été

 23   donné, pas plus que ne le fait d'ailleurs Doyle. L'impression de Doyle,

 24   c'est que Strugar parle d'ouvrir le feu de façon tout à fait générale. Il

 25   le dit sans aucune équivoque, ce témoin Doyle, lorsqu'il parle à la Chambre

 26   de première instance. Il confirme également qu'en fait il ne se souvient

 27   plus des mots précis prononcés par Strugar.

 28   La déclaration de Doyle abonde en impressions et présomptions. Doyle fait

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  1   des suppositions quant à l'humeur de Strugar, quant à la raison pour

  2   laquelle il a cet état d'esprit, cette humeur. Il fait des suppositions

  3   quant aux lieux où ces unités auraient attaqué. Il fait des suppositions

  4   quant aux types d'ordres que Strugar aurait donnés à propos de Dubrovnik

  5   même.

  6   Cependant, tout ce que Doyle a donné, ce ne sont que des bribes de

  7   souvenirs vagues. C'est de là que part la Chambre de première instance pour

  8   édifier, pour construire tout un système de conclusions erronées,

  9   impossibles. Doyle, par ses dires, ne fournit même pas une base solide qui

 10   aurait permis de tirer les conclusions les plus alambiquées dans le

 11   jugement. Je parle d'une conclusion qu'on a estimée valable pour déclarer

 12   mon client coupable.

 13   La Chambre de première instance, partant de la déposition de Doyle,

 14   conclu qu'il est forcé que c'était Strugar qui a ordonné l'attaque,

 15   puisqu'elle a eu lieu. Nous pensons que cette conclusion tirée par la

 16   Chambre n'est pas étayée par les faits. Le fait qu'il y a eu une attaque ne

 17   dit rien des circonstances de l'attaque menée sur Srdj, pas plus que le

 18   fait qu'elle ait eu lieu ne nous dit quoi que ce soit à propos du rôle

 19   effectivement joué par Pavle Strugar. L'attaque de Dubrovnik, l'attaque de

 20   Srdj, ne constituent pas une seule et même chose. C'est d'ailleurs

 21   impossible que ce soit une seule et même chose.

 22   Une chose reste peu claire. Le sommet de cette colline se trouve à

 23   400 mètres au-dessus du niveau de la mer surplombant Dubrovnik, et là il

 24   n'y a rien, sinon un répétiteur et c'est l'arrêt ultime de ce téléférique

 25   qui part de Dubrovnik. Pourtant, la Chambre a fait l'amalgame entre ce lieu

 26   et la ville de Dubrovnik même. Tout simplement parce que quand Doyle dit

 27   Srdj, la Chambre entend Dubrovnik. Pour elle, c'est la même chose, mais

 28   aucune preuve n'a été apportée pendant le procès qui pourrait laisser

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  1   croire que les mots de Dubrovnik et de Srdj sont synonymes, et que quand on

  2   dit "Srdj," il faut entendre Dubrovnik ou vice-versa. Rien n'a été présenté

  3   dans ce sens.

  4   Si vous examinez les conclusions de la Chambre de première instance,

  5   on croit comprendre que l'objectif de Strugar, c'était de dissimuler

  6   l'intention véritable, réelle qui animait l'attaque qu'il aurait ordonnée,

  7   la prise des installations sur Srdj, et c'est pour cela que Srdj ne lui dit

  8   jamais qu'il attaquait Srdj, une ville en surplomb de la ville, mais plutôt

  9   qu'il a parlé de la ville de Dubrovnik, qui serait la cible de l'objectif.

 10   Ceci, vraiment c'était exagéré. C'était intenable.

 11   En fonction de ce que Strugar n'a pas dit, on tire des conclusions à propos

 12   d'une attaque sur une cible militaire légitime, apparemment une cible dont

 13   Strugar n'aurait pas parlé, et ceci est interprété par la Chambre comme

 14   étant une admission directe faite par Strugar.

 15   La Chambre va jusqu'à conclure que Strugar était nerveux au cours de la

 16   réunion. Apparemment, l'humeur de Strugar ce jour-là aurait permis à la

 17   Chambre d'établir un lien entre sa frustration et l'évolution d'une action

 18   qu'il aurait apparemment ordonnée. Il est ardu de penser, de croire que

 19   Strugar -- on a vraiment du mal à croire que Strugar aurait fait cette

 20   admission qui a été la base de l'interprétation faite par la Chambre, qu'il

 21   aurait fait cette admission à un homme, Doyle, qui est un observateur

 22   militaire qu'il n'avait jamais vu de sa vie.

 23   Il faut aussi voir à quel moment Strugar aurait reconnu cela. Il

 24   l'aurait reconnu à un moment dont la Chambre dit que c'est un moment où

 25   Strugar savait déjà que la vieille ville avait été ciblée et frappée,

 26   touchée. Ceci, à un moment, d'après la Chambre de première instance, où il

 27   avait déjà été sommé de se présenter à Belgrade par le ministre de la

 28   Défense, le général Kadijevic et par le chef de l'état-major principal de

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  1   la JNA. On lui avait dit d'aller parler de l'évolution autour de Dubrovnik

  2   et la Chambre poursuit et dit qu'à ce moment-là, Strugar devait déjà être

  3   parfaitement au courant du problème et de son ampleur.

  4   Quand on voit l'interprétation de la Chambre de première instance,

  5   apparemment c'est une admission, presque un aveu, qu'aurait fait Strugar à

  6   l'époque dans les circonstances décrites.

  7   Il est remarquable de voir que la Chambre constate qu'à

  8   11 heures 15, le 6 décembre, Strugar aurait ordonné un cessez-le-feu. 

  9   Suite à cet ordre, il y aurait une diminution de l'intensité des tirs sur

 10   Dubrovnik. Par conséquent, compte tenu de ce que je viens de dire, il y a à

 11   peine 45 minutes qui s'écoulent avant la réunion qu'il a avec Doyle et il

 12   ordonne de cessez-le-feu à peine 45 minutes. La Chambre estime que la

 13   réunion qu'il a eue avec Doyle se déroule à midi. Pourtant, la Chambre

 14   croit que nonobstant le fait qu'on avait ordonné un cessez-le-feu, Strugar

 15   voulait se servir et continuer de se servir de la présence de Doyle pour

 16   lui dire qu'il y avait encore en cours une attaque, une attaque qu'il

 17   aurait ordonnée en personne au moment et que cette attaque se poursuivait

 18   alors que se déroulait cette conversation.

 19   Autre chose qui est remarquable, apparemment, Strugar aurait "admis" devant

 20   un officier irlandais qu'il avait donné l'ordre de cette attaque. Pourtant,

 21   la Chambre conclut que Strugar, en fait, était en train de concocter un

 22   plan avec l'amiral Jokic pour dissimuler tout ce qui s'était passé pour

 23   voir comment faire porter le chapeau, imputer la responsabilité au

 24   capitaine Kovacevic.

 25   L'amiral Jokic et Strugar au cours de cet après-midi, le 6 décembre, sont

 26   en route pour aller voir le ministre fédéral Kadijevic, qui est le chef

 27   militaire suprême du pays. L'amiral Jokic lui dit alors que l'attaque de

 28   Srdj, c'était une attaque non motivée, arbitraire, déclenchée par le

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  1   capitaine Kovacevic. Comment serait-il possible de penser que Strugar

  2   aurait reconnu devant un officier de l'armée irlandaise qu'il avait ordonné

  3   une attaque alors qu'il aurait essayé parallèlement de dissimuler la vérité

  4   de cette attaque au ministre fédéral de la Défense de Yougoslavie et au

  5   chef de l'état-major de la JNA ?

  6   La Chambre de première instance tire une conclusion qui n'est pas crédible,

  7   qui n'est pas digne de foi. Strugar ferait une confession à cet officier

  8   irlandais. Il reconnaîtrait qu'il aurait ordonné cette attaque tout en

  9   essayant de dissimuler ce fait même aux échelons suprêmes de la JNA. Est-ce

 10   que c'est vraiment crédible ? Est-ce qu'on peut penser que Strugar va

 11   décider de se livrer, de parler en toute confiance, de se confier au

 12   représentant de l'équipe des observateurs de la Communauté européenne en

 13   Yougoslavie qui était toujours aussi en contact direct avec les officiers

 14   supérieurs de la JNA ? Ceci, beaucoup de témoins sont venus le dire.

 15   Il est certain que --

 16   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Est-ce que vous auriez l'obligeance,

 17   lorsque vous faites référence à quelque chose qu'aurait dit la Chambre de

 18   première instance, est-ce que vous pourriez nous donner une référence

 19   précise ?

 20   M. RODIC : [interprétation] Monsieur le Juge, il s'agit des paragraphes qui

 21   commencent par le paragraphe 164 et se poursuivent jusqu'au paragraphe 169.

 22   Est-ce que cette réponse vous satisfait ?

 23   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Oui.

 24   Mme LE JUGE VAZ : Poursuivez, s'il vous plaît

 25   M. RODIC : [interprétation] La Chambre de première instance n'invoque aucun

 26   autre élément de preuve pas plus qu'elle ne fournit de réponses à toute une

 27   série de questions qui restent dès lors sans réponses. C'est uniquement en

 28   partant de la conclusion selon laquelle Strugar aurait ordonné l'attaque de

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  1   la vieille ville qu'elle se prononce.

  2   Pourquoi est-ce que Strugar devait ordonner cette attaque précisément ce

  3   jour-là, le 5 décembre ? A qui a-t-il donné cet ordre ? Qui a reçu cet

  4   ordre d'attaque ? Comment est-ce que Strugar a transmis cet ordre ? Qu'y

  5   avait-il dans cet ordre d'attaque  qu'aurait donné Strugar ? Quels étaient

  6   les objectifs visés par cette attaque ? A quel moment l'attaque devait-elle

  7   être lancée ? Avec quels moyens, quelles unités ? Se plaçant sur quel axe

  8   d'attaque ? Nous ne savons pas si dans cet ordre qu'aurait donné Strugar

  9   pour attaquer Srdj, conformément à un comportement antérieur, et l'ordre

 10   restant valable de cessez-le-feu et l'interdiction de pilonner la vieille

 11   ville, ordre du 11 novembre 1991, cette fois-ci aussi il a ordonné

 12   l'interdiction de ne pas pilonner, de ne pas bombarder la vieille ville. Ce

 13   sont des questions auxquelles la Chambre de première instance ne répond pas

 14   dans son jugement.

 15   Celle-ci essaie d'étayer ses conclusions, les conclusions qu'elle tire

 16   quant à l'ordre qu'aurait donné Strugar, en affirmant qu'il est logique que

 17   c'était Strugar qui avait donné l'ordre de capturer Srdj parce que ce

 18   serait conforme aux réalités militaires de la JNA, est-il dit.

 19   Tout d'abord, la Chambre n'a aucune preuve concernant les réalités

 20   militaires de la JNA, ce que sont ces réalités. La Chambre se base

 21   uniquement sur des conjectures. Si on prend comme postulat, comme

 22   supposition, qu'il y a effectivement un lien de subordination entre le 9e

 23   VPS et le commandant Jokic et le 2e Groupe opérationnel commandé par

 24   Strugar, si on parle de cette supposition d'un lien de subordination, tout

 25   ce qui est fait par le 9e Secteur naval militaire, VPS, doit être conforme

 26   aux ordres donnés par le 2e Groupe opérationnel.

 27   Si nous acceptons que c'est là la logique qui règne, et que c'est une

 28   logique qui repose dans le fondement même de la JNA, que c'est là ce qu'on

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  1   appelle la réalité militaire de la JNA, et si cette logique était à

  2   accepter sans réserve, de façon automatique comme l'accepte d'ailleurs la

  3   Chambre de première instance, une seule conclusion est possible et c'est

  4   celle-ci : c'est que l'attaque de Srdj avait été ordonnée par le ministre

  5   de la Défense et par l'état-major général de la JNA. Pourquoi ? Parce que

  6   s'il est inconcevable, comme semble l'être l'avis de la Chambre de première

  7   instance, qu'au niveau du corps d'armée une unité peut lancer une action

  8   sans disposer au préalable d'un ordre émanant d'une unité qui est au niveau

  9   de l'armée dont ce corps fait partie, il est aussi inconcevable qu'un

 10   groupe stratégique au niveau de l'armée, à l'échelon de l'armée, va mettre

 11   en œuvre une action sans qu'elle ait au préalable un ordre venant de

 12   l'état-major général de la JNA et du ministre de la Défense en personne.

 13   Qu'avons-nous ici ? Nous avons une action menée par deux groupes d'action

 14   armés qui disposent de moins de 40 hommes, et ces hommes étaient censés

 15   s'emparer d'une colline par une attaque surprise utilisant l'effet de

 16   surprise. La Défense insiste pour dire que les réalités militaires de la

 17   JNA exigent que cette situation précise soit analysée. Il n'y a rien dans

 18   cela d'automatique. Tout ce qu'on peut faire c'est une analyse des rôles

 19   joués par chacun des protagonistes de cette action, des événements du 6

 20   décembre 1991.

 21   De là à conclure que c'est Strugar qui a ordonné quelque chose parce que

 22   c'est logique, ce n'est pas une conclusion au-delà de tout doute

 23   raisonnable. La Défense affirme qu'il n'y a pas un seul juge raisonnable

 24   des faits qui pourrait conclure ce qu'a conclu cette présente Chambre de

 25   première instance à propos de l'ordre d'attaque de Srdj.

 26   Pour établir quelle est la responsabilité du supérieur hiérarchique

 27   éventuel de Strugar pour les actions menées par ses subordonnés, il y a un

 28   élément déterminant qui est de savoir si Strugar a donné l'ordre d'attaque.

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  1   Conclure si Strugar est un des responsables des événements du 6 décembre

  2   1991, cette conclusion, elle, dépend de ce fait-là. Sans ce fait, n'importe

  3   qui serait responsable dans la hiérarchie de toute action menée dans cette

  4   structure militaire.

  5   La Défense conclut que la conclusion selon laquelle c'est Strugar qui a

  6   ordonné l'attaque de Srdj qui aurait été lancée le 6 décembre 1991, que

  7   cette conclusion elle est insoutenable. On ne peut pas non plus penser que

  8   Strugar aurait donné un ordre, cet ordre-là le 5 décembre.

  9   Ceci est d'ailleurs confirmé par une autre conclusion erronée de la Chambre

 10   de première instance, conclusion portant sur des faits importants contenus

 11   dans les déclarations de la déposition de l'amiral Jokic et quand on voit

 12   toute la démarche entreprise par la Chambre de première instance par

 13   rapport à ses dires.

 14   Il y a d'abord beaucoup de contradictions dans la déposition de Jokic qu'on

 15   voit se manifester le plus fréquemment dans le fait qu'à propos d'un

 16   événement, ou plutôt d'un fait, il y en a plusieurs versions. Ainsi, sa

 17   présence à la réunion au poste de commandement avancé du 9e VPS à Kupari le

 18   5 décembre 1991. C'est classique à un bon nombre d'endroits du jugement la

 19   Chambre dit de la déposition de l'amiral Jokic, ceci : "Certains aspects de

 20   la déposition de Jokic peuvent être considérés comme moins que

 21   satisfaisants." De plus : "Il est difficile d'accepter toutes les

 22   affirmations formulées par Jokic quant aux actions qu'il a menées ce matin-

 23   là. De surcroît, la Chambre de première instance ne rejette pas par

 24   principe les explications de Jokic, mais elles ne sont pas dignes de foi."

 25   Autre citation : "Le secrétariat fédéral à la Défense nationale a été

 26   informé brièvement par Jokic des dégâts causés et des actions menées le 6

 27   décembre d'une façon qui ne cadrait pas vraiment avec les faits."

 28   Autre citation : "Les explications fournies par Jokic pour dire pourquoi il

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  1   n'a pas pris de mesures disciplinaires, cette explication n'est pas

  2   persuasive."

  3   Autre citation : "La Chambre a des réserves quant aux sujets discutés

  4   lorsque Jokic a présenté son rapport."

  5   Ce ne sont là que certaines des réserves formulées par la Chambre de

  6   première instance à propos de la déposition de Jokic qui précisent que la

  7   Chambre de première instance n'a pas cru Jokic lorsqu'il a déposé sur des

  8   faits importants.

  9   Mme LE JUGE VAZ : Si vous voulez bien à chaque fois nous donner les

 10   références, ça aiderait la Chambre. Je vous remercie.

 11   M. RODIC : [interprétation] Ces citations se trouvent dans les

 12   paragraphes suivant du jugement : 152, 153, 97, 174 -- 174 et 82.

 13   Mme LE JUGE VAZ : Nous vous remercions. Vous pouvez poursuivre.

 14   M. RODIC : [interprétation] Merci.

 15   Comme je disais, [inaudible] la Chambre de première instance a qualifié une

 16   partie de la déposition de Jokic et indiquant que la Chambre de première

 17   instance n'a pas cru Jokic lorsqu'il a témoigné à propos de certains faits

 18   importants. Néanmoins, il n'y a pas eu un seul cas au cours duquel la

 19   Chambre de première instance a dit que ceci ne correspondait pas à la

 20   vérité et que son témoignage n'était pas véridique et que Jokic avait tout

 21   intérêt, en tant que témoin, à parler de la sorte. La Chambre de première

 22   instance, en fait, a retenu ce cas-là dans certaines affaires.

 23   Par exemple, pour les raisons que je viens d'expliquer, pour ce qui est de

 24   la déposition du général de division Jovanovic, commandant du 3e Bataillon

 25   de la 5e Brigade motorisée du 9e VPS qui dit, de manière emphatique, que le

 26   général Jokic a assisté à la réunion de Kupari le 5 décembre lorsque le

 27   capitaine Kovacevic a soumis sa proposition et indiqué qu'il souhaitait

 28   attaquer Srdj, la Chambre de première instance déclare, et je cite : "La

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  1   Chambre de première instance estime que cette déposition n'est pas

  2   véridique." Paragraphe 98 du jugement.

  3   Aucunes raisons ne sont indiquées pourquoi on a estimé que sa

  4   déposition n'était pas conforme à la vérité. Il est vrai qu'objectivement

  5   ce serait difficile à expliquer étant donné que la Chambre de première

  6   instance a accepté le versement au dossier du rapport écrit que le

  7   lieutenant-colonel Jovanovic a envoyé au commandant supérieur le 6

  8   décembre, encore une fois, faisant état de la présence de Jokic à la

  9   réunion de Kupari le 5 décembre.

 10   Mais au paragraphe 98 -- 88 du jugement, la Chambre de première instance

 11   déclare : "La question est de savoir si Jokic était à la réunion de Kupari

 12   ou non n'est pas un élément-clé bien que ceci soit pertinent, bien que

 13   cette question soit pertinente, elle n'est pas déterminante et n'a pas

 14   d'incidence sur la décision de la Chambre."

 15   Au paragraphe 339 du jugement : "Dans les conclusions de la Chambre de

 16   première instance, les éléments de preuve indiquent ou précisent que la

 17   planification détaillée et la mise en œuvre de cet ordre," de l'attaque

 18   contre Srdj est précisée, "l'accusé s'en est remis au 9e VPS pour ce qui

 19   est de la responsabilité au plan juridique. Des questions sont restées en

 20   suspens eu égard au commandement du 9e VPS. Néanmoins, d'après l'avis de la

 21   Chambre de première instance, de façon active ont participé le chef d'état-

 22   major, le capitaine de vaisseau, le capitaine Zec, ainsi que d'autres

 23   officiers de l'état-major qui ont participé à la planification et la mise

 24   en œuvre de l'ordre les 5 et 6 décembre 1991."

 25   La Défense estime que cette conclusion de la Chambre est erronée lorsque la

 26   Chambre de première instance estime que la présence de Jokic à la réunion

 27   de Kupari le 5 décembre n'est pas déterminante pour la Chambre de première

 28   instance. Comme l'a souligné la Défense lors de l'audience en appel,

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  1   Strugar a nié avoir ordonné l'attaque contre Srdj et la présence de Jokic à

  2   la réunion de Kupari et ceci confirmerait qu'il a participé à la fois à la

  3   planification et à la mise en œuvre de l'attaque contre Srdj.

  4   Lorsque la Chambre de première instance s'étend sur les réalités militaires

  5   ou la situation au plan militaire au sein de la JNA, dans ce contexte-là,

  6   il est important de souligner les conclusions rendues par la Chambre, les

  7   constatations factuelles, à savoir que Jokic était chef d'état-major,

  8   capitaine de Frigate Zec, a participé à la planification de l'attaque

  9   contre Srdj, aux paragraphes 87 et 88. Qu'il a personnellement apporté le

 10   matériel nécessaire à cet acte, au paragraphe 88. Zec était présent pendant

 11   toute la durée de tout ceci, le 6 décembre 1991, au paragraphe 126.

 12   On précise que même lorsque Zec est retournée à Zarkovica après une réunion

 13   de 30 minutes avec Jokic à Saftat [phon], l'attaque contre Srdj n'a pas

 14   cessé pour autant. Lorsque Zec est retourné à Zarkovica, il était à la

 15   recherche d'ingénieurs disposant d'engins explosifs afin de terminer cette

 16   action, pièce D96, à 13 heures 30. Pendant tout ce temps, Jokic n'informe

 17   pas Strugar de ces événements parce qu'il pense, comme il le dit, que ce

 18   dernier a des choses plus importantes à faire.

 19   Tout semble indiquer que l'attaque a été ordonnée et planifiée au sein du

 20   9e VPS sans qu'un seul élément de preuve ne puisse attester de la

 21   participation du général Strugar dans l'ordre donné et la mise à exécution

 22   de cet ordre dans le cadre de cette attaque.

 23   La Chambre de première instance ne tient pas pour crédit non plus la

 24   deuxième version présentée par Jokic concernant l'attaque contre Srdj, à

 25   savoir que la planification et le fait d'avoir ordonné cette action a été

 26   caché délibérément, il n'en a pas été informé, paragraphe 437 du jugement.

 27   La Chambre de première instance donne ces raisons : "Si cela eût été le

 28   cas, la conduite de son chef d'état-major, capitaine de Frigate Zec, aurait

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  1   requis des mesures disciplinaires très strictes parce qu'il y avait une

  2   relation à la fois professionnelle et personnelle, mais aucune action de ce

  3   genre n'a été prise et l'amiral et le capitaine Frigate Zec ont continué à

  4   assumer les mêmes fonctions, ce dernier comme commandant en chef du 9e

  5   VPS."

  6   Il est étrange que Jokic ait été au courant de tout, mais que la Chambre de

  7   première instance, à tort, estime que ceci n'est pas déterminant

  8   lorsqu'elle rend sa décision et que la question de savoir si Jokic était

  9   présent à la réunion de Kupari ou non le 5 décembre 1991, cette question

 10   reste ouverte.

 11   Après l'enquête menée par Jokic sur l'événement du 6 décembre, la seule

 12   conséquence est celle-ci : le lieutenant-colonel Jovanovic a été rapidement

 13   remplacé. Le témoin qui a dit cela a indiqué qu'il a assisté à la réunion

 14   du 6 décembre.

 15   Et pour ce qui est du lieutenant-colonel Jovanovic, la Chambre de première

 16   instance a établi qu'il n'aurait pas pu prendre de mesures contre la

 17   vieille ville, et c'est également ce que sait l'amiral Jokic. Compte tenu

 18   des éléments précités, lorsque l'on sait que l'Accusation a retiré les

 19   chefs d'accusation contre le capitaine de vaisseau Zec en 2003, et que le

 20   capitaine Kovacevic a été déclaré inapte à assister à son procès, le

 21   jugement se fonde sur des conclusions erronées qui indiquent que Strugar a

 22   ordonné l'attaque contre Srdj. Et la Défense estime que c'est impossible de

 23   conclure que Strugar a ordonné l'attaque contre Srdj qui devait être lancée

 24   le 6 décembre 1991 et que Strugar a ordonné cette attaque le 5 décembre

 25   1991.

 26   Le commandement Suprême ainsi que le fait de punir pour les événements du 6

 27   décembre 1991. Un autre sujet que la Défense souhaite aborder dans le

 28   détail est l'attitude du commandement Suprême de la JNA et des

Page 102

  1   protagonistes des événements autour de Dubrovnik le 6 décembre 1991.

  2   La Défense avance que les événements du 6 décembre 1991, ou plutôt que

  3   l'enquête menée à propos de ces événements a été diligentée par le

  4   commandement Suprême de la JNA, et que c'est le commandement Suprême qui a

  5   donné l'ordre à Jokic de mener à bien une enquête, et que l'amiral Jokic,

  6   après avoir reçu les ordres du commandement Suprême, a diligenté une

  7   enquête, et a informé nos commandements des résultats de cette requête.

  8   Toutes les raisons qui ont conduit à cette conclusion ont été

  9   présentées à la Chambre de première instance. Il n'y avait pas d'autres

 10   raisons qui auraient pu permettre de conclure le contraire lors de la

 11   présentation des moyens devant la Chambre de première instance.

 12   L'ordre donné par le commandement Suprême, ainsi que l'enquête menée

 13   par l'amiral Jokic, ont exclu Strugar de ce processus d'enquête et de

 14   punition, ce qui signifie que la capacité matérielle qu'il avait n'a plus

 15   lieu d'être, le fait de punir ces auteurs et sa responsabilité pour avoir

 16   omis de punir ce crime.

 17   Le ministre fédéral de la Défense a donné l'ordre de mener une enquête de

 18   façon urgente et de punir les auteurs. Kadijevic a ordonné à Jokic et

 19   Strugar de venir à Belgrade ce jour-là, le 6 décembre 1991, afin de faire

 20   le rapport.

 21   Kadijevic a donné l'ordre à l'amiral Jokic de mener à bien cette enquête,

 22   ce qui était un choix logique compte tenu du fait que toutes les unités qui

 23   avaient participé aux dits événements étaient placées sous son

 24   commandement. Ceci est admis par la Chambre de première instance également.

 25   Le ministre fédéral Kadijevic a informé cinq ambassadeurs des pays

 26   occidentaux le même jour, le 6 décembre 1991, il a indiqué qu'il avait

 27   donné l'ordre de mener une enquête, et que toute personne qui enfreindrait

 28   cet ordre serait arrêtée et punie. Tout ceci est contenu dans le dossier.

Page 103

  1   Ces faits ne sont pas écartés, déniés par la Chambre de première instance

  2   non plus.

  3   La Chambre de première instance constate que d'après les ordres donnés par

  4   Kadijevic, c'est Jokic qui prend les mesures nécessaires pour mener à bien

  5   l'enquête qui avait été ordonnée. Il demande à ce que des rapports

  6   d'officiers hauts placés sous son commandement lui soient remis. Il

  7   remplace le commandant du 3e Bataillon de la 5e Brigade motorisée, le

  8   lieutenant-colonel Jovanovic. Jokic recueille des déclarations de

  9   commandants de compagnies qui ont participé à l'attaque, précisément ces

 10   personnes ou ces commandants de compagnies qui avaient disposé du matériel

 11   nécessaire qui aurait pu mettre en danger la vieille ville, plus

 12   particulièrement le capitaine Nesic, le commandant de la compagnie des

 13   antichars de Zarkovica, et Jeremic, le commandant de la batterie de 120-

 14   millimètres.

 15   L'amiral Jokic a également demandé au capitaine Kovacevic, qui avec les

 16   capitaines Nesic et Jeremic le 8 décembre 1991, se rendent à l'état-major

 17   du 9e VPS. Le rapport du capitaine Nesic se trouve dans le dossier.

 18   Le commandant du 3e Bataillon de la 5e Brigade motorisée, le colonel

 19   Jovanovic, qui a été remplacé par Jokic le 6 décembre 1991, on lui a

 20   également demandé de faire une déclaration, de se rendre à l'état-major du

 21   9e VPS à propos des événements qui s'étaient déroulés ce jour-là, le 6

 22   décembre 1991.

 23   Le lieutenant-colonel Jovanovic fait cette déclaration le 6 décembre 1991,

 24   et déjà à 14 heures au commandement du 9e VPS, où on lui avait demandé de

 25   venir. C'est la déclaration dans laquelle il déclare que l'amiral Jokic,

 26   effectivement le 5 décembre, se trouvait à la réunion de Kupari, lorsque

 27   l'ordre de l'attaque contre Srdj a été planifié et ordonné.

 28   Sur les ordres de Kadijevic, l'amiral Jokic informe l'état-major de la JNA,

Page 104

  1   à savoir le service des opérations de la JNA, de ce qui était arrivé le 6

  2   décembre 1991, les mesures qu'il a prises, et les mesures qu'il avait

  3   l'intention de prendre. L'amiral Jokic, sur les ordres de Kadijevic a mis

  4   en place une commission composée d'officiers de haut rang du 9e VPS, qu'il

  5   a envoyés à Dubrovnik pour essayer d'établir l'ampleur des dégâts.

  6   Le 9 décembre 1991, Jokic envoie un rapport au commandement Suprême. Dans

  7   ce rapport, Jokic informe l'amiral Brovet, le vice-ministre fédéral de la

  8   Défense, ce qui suit : Le 9e VPS a établi une commission afin d'établir

  9   l'ampleur des dégâts infligés à la vieille ville. La commission a visité la

 10   vieille ville de Dubrovnik le 8 décembre 1991.

 11   De surcroît, la commission a établi que bon nombre de bâtiments cités dans

 12   ce rapport ont été endommagés. De surcroît, que les dégâts qui ont été

 13   enregistrés ne sont pas de très grande ampleur. De plus loin, ils ne

 14   peuvent pas établir l'origine des dégâts. Ils ne peuvent pas non plus

 15   établir qui sont les auteurs de ces dégâts qui ont été infligés à la

 16   vieille ville de Dubrovnik.

 17   Avec ce rapport, l'amiral Jokic remet à Brovet ou à Kadijevic une cassette

 18   vidéo que lorsque la commission a filmé les dégâts dans la vieille ville le

 19   6 décembre 1991. Bon nombre d'autres éléments évoquent les mesures et les

 20   actions prises par l'amiral Jokic. 

 21   L'élément-clé ici, c'est ceci : Veljko Kadijevic, secrétaire fédéral chargé

 22   de la Défense nationale, a donné l'ordre à Jokic de mener à bien une

 23   enquête sur les événements du 6 décembre 1991. La Défense estime que ce

 24   fait est d'une importance capitale, et permet d'évaluer le rôle de Strugar

 25   dans cette requête et dans le rôle qu'il a joué eu égard au fait de punir

 26   les auteurs. Il n'y a pas un seul élément de preuve qui indique que Strugar

 27   aurait donné un ordre indiquant qu'il devait faire partie de cette

 28   commission d'enquête. Il n'y a pas une seule raison qui permet de croire

Page 105

  1   que Strugar pensait qu'il devait participer à cette enquête, rien ne semble

  2   indiquer qu'il devait participer à cette enquête.

  3   En présence de Strugar, l'homme qui incarne le commandement Suprême de la

  4   JNA donne l'ordre à l'amiral Jokic d'ouvrir une enquête et de préparer un

  5   rapport contenant les résultats. L'ordre du commandement Suprême est donné

  6   à l'amiral Jokic pour qu'il mène à bien une enquête. Ceci aboli toute

  7   possibilité pour Strugar. Il ne veut pas mener sa propre enquête en

  8   parallèle, et les enquêtes sont menées à bien sur ordre donné par les

  9   instances supérieures de la JNA, et l'incidence de l'ordre donné par le

 10   commandement Suprême, ordre donné à Jokic afin d'ouvrir une enquête, ceci

 11   empêche toute autre personne d'ouvrir une enquête.

 12   L'unicité du commandement au sein de la JNA ne permet pas à deux tâches

 13   similaires d'être confiées à deux unités ou commandements différents. Ceci

 14   est confirmé par le comportement de l'amiral Jokic, qui remet tous ces

 15   rapports dans le cadre de cette enquête au commandement Suprême. Il n'a pas

 16   remis ces rapports sur ces enquêtes à Strugar.

 17   La Chambre de première instance constate quelque chose qu'aucun juge

 18   de fait raisonnable pourrait constater, à savoir que l'ordre de Kadijevic

 19   ne veut rien dire pour Strugar et qu'il doit mener sa propre enquête quel

 20   que soit l'ordre très clair et très explicite donné par les échelons

 21   supérieurs du commandement de la JNA. En réalité, la Chambre de première

 22   instance pense même que Strugar aurait dû s'opposer à l'ordre de Kadijevic

 23   et mener une enquête en parallèle, sa propre enquête.

 24   Ce type de position adoptée par la Chambre de première instance est

 25   en contradiction avec les postulats mêmes sur lesquels se repose toute

 26   organisation militaire. L'ordre au sein d'une armée, surtout un ordre donné

 27   par un commandement Suprême, ne peut pas faire l'objet de refus ou de

 28   discussion et de débat. Le seul ordre qui pourrait être refusé est un ordre

Page 106

  1   qui demanderait à ce qu'un crime soit commis et ceci en fait, l'ordre de

  2   Kadijevic n'a pas cette teneur-là, l'ordre qui avait été donné à Strugar.

  3   L'élément-clé qui a conduit la Chambre de première instance à estimer

  4   que Strugar n'a pas ouvert une enquête, c'est le prétendu aveu de Colm

  5   Doyle qu'il avait attaqué Srdj qui, encore une fois, clos la boucle de

  6   toutes ces constations illogiques, impossibles et déraisonnables auxquelles

  7   est parvenue la Chambre de première instance. La Défense avance qu'aucun

  8   juge de fait raisonnable n'aurait pu conclure que Strugar avait la capacité

  9   matérielle de mener à bien une enquête et de punir les atteintes aux

 10   événements du 6 décembre 1991, surtout compte tenu des raisons évoquées, à

 11   savoir le rôle joué par le commandement Suprême de la JNA.

 12   La Chambre d'appel nous a demandé par écrit de préciser le statut des

 13   civils Mato -- le 6 décembre 1991, à savoir les civils qui avaient été

 14   blessés au sein de la vieille ville à cette date-là. La Défense va

 15   présenter son point de vue sur cette question.

 16   Les conclusions de la Chambre de première instance sont également

 17   erronées eu égard au statut d'un civil Mato Valjalo le 6 décembre 1991,

 18   lorsqu'il a été prétendument blessé dans la vieille ville parce que ceci

 19   n'est pas approprié à la lumière des éléments de preuve présentés.

 20   Pour ce qui est d'Ivo Vlasica, la polémique sur le type de blessures

 21   qu'il a eues, on y a mis un terme lorsqu'on a retiré l'erreur numéro 43,

 22   paragraphe 61 d'un mémoire en appel de la Défense. Pardonnez-moi, j'ai fait

 23   une erreur, il s'agit du numéro 53.

 24   La Défense ne récuse que le statut de Mato Valjalo. Dans sa

 25   déposition, il déclare que le 6 décembre 1991 au matin, il rentrait chez

 26   lui après sa permanence à l'état-major. Les éléments ont été admis par la

 27   Chambre de première instance et elle dit que Mato Valjalo était assigné à

 28   l'état-major pour y travailler et pendant l'attaque contre Dubrovnik, il

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  1   conduisait en voiture les membres de l'état-major dans différents endroits

  2   et missions en temps de guerre. A savoir à partir du 15 septembre 1991,

  3   Mato Valjalo était mobilisé ou engagé au plan militaire. Cela signifie que

  4   Mato Valjalo était prétendument blessé alors qu'il rentrait de sa

  5   permanence liée directement à l'effort de guerre et travaillait pour une

  6   des parties belligérantes. Ce fait ne lui accorde pas ce statut de civil.

  7   Tout ceci est confirmé par la décision rendue par le secrétariat chargé de

  8   la santé, du bien-être social, du travail, des vétérans de guerre et des

  9   invalides de guerre, l'administration chargée des vétérans de guerre et des

 10   invalides de guerre, qui reconnaît à Mato Valjalo qu'il a le statut

 11   d'invalide de guerre.

 12   Cette décision a été rendue dans une procédure judiciaire par les

 13   organes de l'Etat qui avaient compétence en la matière. La Défense rappelle

 14   que dans le journal officiel de la République de Croatie, où l'on publie

 15   les textes de loi dans ce journal Narodne Novine, le numéro est le numéro

 16   33/92 et daté du 12 juin 1992. Dans ce journal officiel, la Loi sur la

 17   protection des invalides de guerre, militaires ou civils, ce texte a été

 18   publié. D'après ce texte de loi, des différentes catégories de personnes

 19   qui ont droit à une protection : il y a également les invalides de guerre

 20   militaires, les invalides militaires en temps de paix et les invalides

 21   civils en temps de guerre.

 22   Les invalides civils en temps de guerre, d'après l'article 8,

 23   paragraphe 1, point 2 de cette loi, sont les personnes qui ont été blessées

 24   et qui ont une invalidité jusqu'à 20 % à cause de blessures en rapport avec

 25   des incidents de guerre, explosion de bombes, de munitions, balles perdues,

 26   et cetera.

 27   Il est manifeste que Mato Valjalo n'appartient pas à cette catégorie,

 28   la catégorie de civils invalides de guerre. Il n'avait pas le statut de

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  1   civil quand il a été blessé.

  2   Nous essayons de suivre la logique de cette loi, parce qu'il a été

  3   reconnu comme invalide de guerre militaire. Je souhaite maintenant aborder

  4   la question de la peine et insister sur certaines erreurs commises par la

  5   Chambre de première instance dans le cas du général Strugar.

  6   Pour fixer la peine, la Chambre de première instance n'a pas tenu

  7   compte d'un certain nombre de faits ou ne leur a pas suffisamment accordé

  8   d'importance alors que cela aurait dû être le cas au moment de la

  9   détermination de la peine. La Chambre de première instance a eu tort de ne

 10   pas tenir compte des remords sincères et des regrets sincères exprimés par

 11   M. Strugar. Le rôle qui est imputé à l'accusé dans l'attaque contre Srdj ne

 12   peut pas être utilisé pour rejeter la sincérité de ses remords.

 13   La Chambre de première instance a répété plusieurs fois que la

 14   vieille ville n'avait pas fait l'objet de l'attaque ordonnée par Strugar.

 15   La Défense estime que la Chambre de première instance n'a pas suffisamment

 16   tenu compte des sincères remords exprimés par M. Strugar envers les

 17   habitants de Dubrovnik.

 18   La Chambre de première instance a tenu compte des éléments suivants

 19   au titre des circonstances atténuantes : la personnalité de M. Strugar, sa

 20   situation familiale, sa situation personnelle et le fait qu'il se soit

 21   rendu au Tribunal.

 22   Nous pensons que la Chambre de première instance n'en a pas

 23   suffisamment tenu compte. Il aurait fallu que des circonstances atténuantes

 24   soient appliquées à cette peine de huit ans, que les circonstances

 25   atténuantes, il en soit véritablement tenu compte.

 26   D'autre part, la Chambre de première instance a également versé dans

 27   l'erreur puisqu'elle n'a pas tenu compte au titre des circonstances

 28   atténuantes particulières de l'état de santé extrêmement préoccupant de

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  1   Pavle Strugar. Or, c'est un élément qu'il convient de prendre en compte au

  2   titre des circonstances atténuantes particulières.

  3   En plus de ses troubles de mémoire, de dépression, de la démence vasculaire

  4   dont il souffre, ce qui a été d'ailleurs mentionné dans le jugement de

  5   première instance, Strugar souffre d'une insuffisance rénale constante,

  6   d'arthrose au niveau de la hanche et ainsi que d'un ulcère. Il a également

  7   des troubles au niveau de la colonne vertébrale. Au moment où la peine a

  8   été prononcée, des éléments de preuve avaient déjà été fournis à ce sujet.

  9   Les experts médicaux de la Défense et de l'Accusation ont prononcé un

 10   diagnostic sur l'état de santé de M. Strugar et son état de santé n'a cessé

 11   de se détériorer. Au dossier, on peut constater qu'en avril 2006, à

 12   Podgorica, M. Strugar a fait l'objet d'une opération. On lui a implanté une

 13   hanche artificielle en plastique. A partir du rapport de l'institut de

 14   neurologie KC de Serbie d'avril 2006, il est manifeste que Strugar a vu son

 15   état se détériorer, je parle de ses capacités de perception et de

 16   réflexion. Il est également dans l'impossibilité de reconnaître les

 17   phonèmes.

 18   Il a également du mal à se souvenir des mots et on constate, d'autre part,

 19   qu'il y a une détérioration de son état par rapport à d'autres tests qui

 20   avaient été réalisés précédemment.

 21   Un urologue a également en 2006 procédé à un examen de notre client au

 22   sujet de tous les problèmes qui sont les siens au niveau de sa prostate, au

 23   niveau de ses reins. Les conclusions de cette époque, tous les résultats de

 24   ses examens ont été déposés dans une écriture confidentielle de la Défense

 25   en date du 11 septembre 2006. L'institut chargé de la traumatologie et de

 26   l'orthopédie de Serbie KC a également produit un rapport en date du 8 mai

 27   2007.

 28   Il a été recommandé que Pavle Strugar bénéficie d'une opération au niveau

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  1   de ses deux genoux ainsi qu'au niveau de sa hanche gauche. Il s'agissait de

  2   lui implanter une nouvelle hanche. Des modifications dégénératives très

  3   graves se sont manifestées au niveau de son cou, dans sa colonne

  4   vertébrale. Au niveau C-5 et C-6, on constate qu'il n'y a plus aucun

  5   espacement entre ses vertèbres. Et au niveau C-6 et autres, c'est également

  6   le cas, il souffre d'ankylose également, très grave.

  7   D'autre part, nous avons également les radios de sa colonne vertébrale qui

  8   montrent qu'il souffre d'une dégénérescence de la totalité de ses

  9   vertèbres. Au niveau de la vertèbre L5, on constate des troubles de

 10   discarthosie [phon]. Ceci ressort d'un rapport déposé par la Défense le 10

 11   mai 2007.

 12   Il est également utile de mentionner le rapport, la synthèse de l'état de

 13   santé de M. Strugar qui a été produite par le Dr Falke au quartier

 14   pénitentiaire des Nations Unies en date du 21 janvier 2008. Ce rapport

 15   confirme l'état de M. Strugar tel qu'il avait été constaté par d'autres

 16   intervenants. Sur la base de ces éléments, la Défense fait valoir que

 17   l'état de santé de notre client doit être pris en compte au titre d'une

 18   circonstance atténuante exceptionnelle, il convient d'accorder le poids

 19   correspondant à cette circonstance atténuante.

 20   La Défense estime que l'état de santé de M. Strugar constitue une situation

 21   exceptionnelle vu la position adoptée par la Chambre d'appel. La Chambre de

 22   première instance a versé dans l'erreur lorsqu'elle n'a pas tenu compte,

 23   entre autres, des circonstances atténuantes, de l'âge de M. Strugar.

 24   Dans deux mois et demi, M. Strugar va fêter son 75e anniversaire. Comme

 25   cela est indiqué dans la peine prononcée contre Mme Plavcic, il est

 26   indéniable que l'affaiblissement physique qui peut résulter du

 27   vieillissement entraîne souvent des difficultés supplémentaires pour le

 28   détenu qui purge sa peine. Il est plus difficile pour une personne âgée que

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  1   pour une personne jeune d'être en prison. Il est également incontestable

  2   que lorsqu'une personne âgée sort de prison, elle ne peut pas vraiment

  3   espérer vivre correctement ensuite.

  4   Dans le cas de M. Strugar, son affaiblissement est manifeste étant donné

  5   tous les troubles qui ont été diagnostiqués. Etant donné l'âge qui est le

  6   sien, étant donné son état de santé extrêmement préoccupant, et étant donné

  7   la peine qui a été prononcée contre lui, on peut dire objectivement qu'il

  8   ne peut nullement espérer mener une vie correcte après sa remise en

  9   liberté, si on peut envisager même qu'il soit remis en liberté de son

 10   vivant.

 11   Mme LE JUGE VAZ : -- s'il vous plaît, Monsieur --

 12   M. RODIC : [interprétation] Il y a un élément donc qui est constitué par

 13   son âge --

 14   Mme LE JUGE VAZ : Vous en avez encore pour longtemps parce que nous allons

 15   devoir suspendre l'audience dans deux minutes.

 16   M. RODIC : [interprétation] Madame la Présidente, je m'apprête à en finir

 17   dans les deux ou trois minutes qui viennent, si vous me permettez de le

 18   faire.

 19   Mme LE JUGE VAZ : Bien.

 20   M. RODIC : [interprétation] Il y a d'abord la question de l'âge de Strugar

 21   et puis l'évolution des troubles dont il est atteint, et les experts

 22   médicaux se sont prononcés à ce sujet. Tout séjour prolongé en prison

 23   serait équivalent pour lui de douleurs, d'humiliation, de souffrance. Il

 24   faut savoir qu'il a également une épouse à laquelle il est extrêmement

 25   attaché, il y a plus de 50 ans qu'ils sont mariés. Cette femme également

 26   est atteinte de diverses maladies. Il y a plusieurs années déjà qu'elle n'a

 27   pas été en mesure de lui rendre visite. Pour toutes ces raisons, la Défense

 28   estime que le cas de notre client est un cas exceptionnel et que des

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  1   facteurs tels que son âge et son état de santé doivent être considérés

  2   comme des circonstances atténuantes importantes.

  3   La Défense estime que la Chambre de première instance n'a pas prononcé une

  4   peine adéquate contre M. Strugar du fait qu'elle n'a pas tenu compte d'un

  5   certain nombre de circonstances atténuantes ou qu'elle ne leur a pas

  6   accordé le poids qui convenait.

  7   La Défense estime que si l'on tenait véritablement compte de la

  8   totalité des faits de l'espèce et des circonstances atténuantes, la peine

  9   imposée aurait été nettement inférieure, ç'aurait été une peine beaucoup

 10   plus douce.

 11   La Défense estime que la Chambre d'appel devrait revoir et diminuer

 12   fortement la peine prononcée contre M. Strugar dans le cadre de cette

 13   procédure d'appel.

 14   Nous demandons également à la Chambre d'appel de tenir compte de

 15   toutes les erreurs de fait et de droit commises par la Chambre de première

 16   instance et qui ont été développés dans notre mémoire. Nous demandons

 17   l'acquittement de M. Strugar au titre de tous les chefs d'accusation dont

 18   il a été reconnu coupable le 31 janvier 2005 au titre de l'article 7(1) et

 19   de l'article 7(3) du Statut du Tribunal. La Défense demande un nouveau

 20   procès pour M. Strugar ou à titre subsidiaire une diminution très

 21   importante de sa peine.

 22   Bon, excusez-moi. J'ai parlé de l'article 7(3) du Statut du Tribunal et pas

 23   de l'article 7(1). Merci beaucoup.

 24   Mme LE JUGE VAZ : Nous remercions M. Rodic. Nous allons à présent observer

 25   une pause de 20 minutes. Nous reprendrons donc à 11 heures 35. Je vous

 26   remercie.

 27   --- L'audience est suspendue à 11 heures 15.

 28   --- L'audience est reprise à 11 heures 40.

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  1   Mme LE JUGE VAZ : L'audience est reprise.

  2   Vous avez une question, Monsieur le Juge Meron.

  3   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Oui, merci Madame la Présidente. J'ai

  4   une question à poser au conseil de la Défense. J'ai écouté vos arguments

  5   avec beaucoup d'intérêt lorsque vous nous avez expliqué que l'état-major

  6   général avait ordonné à l'amiral Jokic de mener une enquête sur l'ensemble

  7   des événements qui ont eu lieu aux dates concernées. Vous avez fait valoir

  8   qu'étant donné que cet ordre avait été donné à l'amiral Jokic, vu les

  9   principes généraux qui s'appliquent au sein de l'armée, vu les règles en

 10   matière de discipline, le général Strugar n'avait plus à ce moment-là

 11   l'obligation de mener à bien sa propre enquête.

 12   Est-ce que vous pourriez développer cette question et dire aux Juges

 13   de la Chambre pourquoi le général Strugar aurait dû mener à bien sa propre

 14   enquête après l'enquête menée par l'amiral Jokic ? Pourquoi aurait-il dû

 15   mener à bien une enquête supplémentaire ?

 16   Pourriez-vous nous apporter des précisions sur ce point ?

 17   Merci, Madame la Présidente.

 18   Mme LE JUGE VAZ : Monsieur Rodic.

 19   M. RODIC : [interprétation] J'entends bien votre question. Ma réponse sera

 20   la suivante. Comme je l'ai déjà dit, un des principes directeurs qui

 21   s'applique dans toutes les armées, en tout cas dans la JNA, parce que c'est

 22   la JNA qui nous intéresse ici, au sein de la JNA vous avez la Loi sur la

 23   défense, toute la législation qui s'applique aux règles de service repose

 24   sur le principe sous-jacent du commandement unique de la subordination.

 25   Le niveau supérieur en l'espèce, c'était le général Kadijevic, commandant

 26   Suprême et ministre de la Défense. Lorsque cet échelon suprême, supérieur,

 27   donne un ordre direct à un officier sur ce qu'il convient qu'il fasse, donc

 28   comme l'ordre donné en l'espèce à l'amiral Jokic afin qu'il mène une

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  1   enquête, le général Kadijevic, par la même, a choisi le général Jokic.

  2   Pourquoi ? Parce que ce sont ses unités qui ont participé à ces événements,

  3   parce que la zone en question figure dans la zone de responsabilité des

  4   unités de Jokic. Il l'a choisi comme étant le plus compétent et le plus

  5   fiable pour mener à bien cette enquête.

  6   Le commandant du 2e Groupe opérationnel se trouve à Trebinje, à

  7   plusieurs dizaines de kilomètres de là. Il commande plusieurs corps

  8   d'armée.

  9   Le général Jokic, aux termes de ce même principe de commandement et

 10   de l'unicité du commandement, a agi comme il l'a fait conformément aux

 11   ordres qui lui avaient été donnés. Il a mené à bien une enquête. Il a

 12   établi trois rapports, qu'il a envoyés directement au général Kadijevic qui

 13   lui avait envoyé l'ordre en question, alors qu'il n'en a même pas informé

 14   le général Strugar, que ce soit en lui envoyant un exemplaire du rapport ou

 15   en lui envoyant un rapport de combat indiquant qu'il avait pris telle ou

 16   telle mesure et qu'il en avait fait rapport au commandant suprême, le

 17   général Kadijevic.

 18   En conséquence, le général Strugar était complètement aux marges dans cette

 19   enquête. On l'a mis en touche suite à l'ordre du général Kadijevic, et il

 20   n'a pas eu connaissance de quelque manière que ce soit des conclusions de

 21   l'enquête. Seul le général Kadijevic, ministre et commandant suprême, était

 22   à même d'apporter quelque changement que ce soit dans ce contexte. Il

 23   pouvait ordonner une nouvelle enquête s'il n'était pas satisfait ou s'il

 24   voulait obtenir des informations supplémentaires.

 25   En conséquence, le général Strugar ne pouvait pas intervenir sans avoir

 26   reçu d'ordres exprès, sans avoir reçu l'autorisation de le faire, parce

 27   qu'il était présent lorsque le général Kadijevic a donné ces ordres au

 28   général Jokic.

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  1   Toute enquête ultérieure aurait nécessité également des ordres venant des

  2   échelons supérieurs, en l'espèce, du général Kadijevic, qui est celui qui

  3   avait donné l'ordre de mener à bien la première enquête. Voilà quelle est

  4   la réalité militaire, quelles sont les règles militaires s'appliquant au

  5   sein de la JNA et qui s'appliquent dans ce cas. Nous avons fourni des

  6   arguments supplémentaires plus détaillés dans notre mémoire d'appel en nous

  7   appuyant sur les éléments du dossier et sur la jurisprudence du Tribunal

  8   relatif à la réalité de la vie militaire et à la pratique militaire, aux

  9   règles, aux règlements qui s'appliquent dans l'armée.

 10   Je souhaiterais également revenir sur un élément que j'ai mentionné

 11   précédemment. Le ministre Kadijevic était en contact avec les représentants

 12   les plus chevronnés, les plus importants des pays occidentaux, par

 13   l'intermédiaire de leurs ambassadeurs, les informaient à partir des

 14   informations qu'il a reçues de Jokic. Il l'a informé du fait qu'on lui

 15   avait demandé de mener à bien une enquête, et ceci, nous en avons parlé

 16   dans notre mémoire.

 17   Merci, et j'espère que j'ai suffisamment bien répondu à votre question ?

 18   Mme LE JUGE VAZ : M. le Juge Guney voudrait poser une question.

 19   M. LE JUGE GUNEY : Maître Rodic, j'ai suivi avec intérêt vos argumentations

 20   concernant la peine ainsi que les circonstances atténuantes. A la lumière

 21   de cette argumentation, est-ce qu'on peut conclure que la --  

 22   [interprétation] -- que la capacité minimum --

 23   [en français] -- pendant l'imposition de la peine, ainsi que la

 24   détermination des circonstances atténuantes ? Merci.

 25   M. RODIC : [interprétation] Il est exact que dans le jugement de

 26   première instance il est indiqué que l'une des circonstances atténuantes,

 27   c'est l'état de santé du général Strugar, les troubles de mémoire, la

 28   dépression et la démence vasculaire; c'est ce qui figure dans le jugement

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  1   de première instance. Cependant, la position de la Défense est la suivante.

  2   Nous estimons que, même si au moment de déterminer la peine la Chambre de

  3   première instance savait que Strugar est atteint d'autres maladies qui

  4   globalement, avec les troubles qui ont été mentionnés par la Chambre dans

  5   son jugement, donc constituent globalement un état de santé extrêmement

  6   mauvais, un état de santé qui se détériore, la Défense estime que la

  7   Chambre de première instance n'a pas accordé suffisamment de poids à tous

  8   les éléments de preuve relatifs à la santé de l'accusé dont elle avait été

  9   saisie, et c'est la raison pour laquelle la Chambre de première instance

 10   n'a pas accordé suffisamment de poids aux circonstances atténuantes qui

 11   émanent de l'état de santé du général Strugar.

 12   Nous vous avons désormais fourni des informations supplémentaires qui

 13   émanent de rapports qui remontent à 2005, lorsqu'il a été opéré à la

 14   hanche, lorsqu'on lui a planté une prothèse de la hanche. Nous avons fourni

 15   des éléments supplémentaires portant sur la détérioration de son état de

 16   santé depuis 2005 et qui ont été établis grâce à des examens médicaux

 17   supplémentaires. La détérioration de son état de santé correspond aux

 18   dépositions des experts médicaux de la Défense et de l'Accusation qui nous

 19   avaient expliqué qu'étant donné son état de santé général, on allait voir

 20   cet état de santé se détériorer encore.

 21   Mais tout ceci figure dans notre mémoire.

 22   M. LE JUGE GUNEY : [hors micro]

 23   Mme LE JUGE VAZ : Nous vous remercions. Je voudrais vous poser deux

 24   questions.

 25   Tout d'abord, pouvez-vous nous dire, étant donné que vous n'avez pas

 26   vraiment développé ce point sur l'aptitude de Strugar à être jugé, si vous

 27   n'avez plus l'intention de soutenir ce point ou si simplement vous n'avez

 28   pas voulu développer sur la question, et nous préciser également s'il était

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  1   possible au général Strugar de réclamer les rapports faits par l'amiral

  2   Jokic à la demande du général Kadijevic, s'il lui était donc possible de

  3   réclamer ces rapports pour éventuellement prendre certaines dispositions ?

  4   M. RODIC : [interprétation] Madame la Présidente, pour répondre à votre

  5   première question qui porte sur la capacité du général Strugar à être jugé,

  6   c'est un point que nous avons abordé en détail dans notre mémoire d'appel

  7   lorsque nous avons exposé nos moyens d'appel, l'appel interjeté contre le

  8   jugement de première instance. Nous n'avons rien à ajouter à ce qui figure

  9   dans nos écritures.

 10   Par souci de rapidité et pour suivre les instructions de la Chambre

 11   d'appel, aujourd'hui ce que nous avons choisi de faire c'est d'insister sur

 12   d'autres points-clés qui découlent de toutes les autres erreurs qui sont

 13   identifiées dans notre mémoire.

 14   Pour répondre à votre deuxième question, si j'ai bien compris, vous m'avez

 15   demandé si le général Strugar avait pu demander le rapport de l'amiral

 16   Jokic suite aux ordres du général Kadijevic.

 17   Est-ce que j'ai bien compris ? Est-ce que c'est bien ce que vous

 18   m'avez demandé ?

 19   Mme LE JUGE VAZ : -- l'avait fait. J'ai dit s'il lui était possible, compte

 20   tenu des règles qui sont en application dans,  justement, l'armée.

 21   M. RODIC : [interprétation] Madame la Présidente, vu les règles qui

 22   s'appliquent dans la JNA, vu les règlements qui sont en vigueur, sans même

 23   parler de la situation du général Strugar et du général Jokic, je peux vous

 24   dire quelle est la situation dans l'armée populaire yougoslave.

 25   Un supérieur, un commandant, ordonne à un commandant qui est situé à un

 26   échelon inférieur, au niveau d'un bataillon ou un chef de compagnie qui se

 27   trouve à deux échelons en dessous du sien, il lui ordonne donc de mener à

 28   bien une mission donnée, de préparer un rapport suite à cette mission. Le

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  1   commandant du bataillon, qui lui se trouve à l'échelon supérieur au

  2   commandant de compagnie, mais qui se trouve à un échelon inférieur au

  3   commandant de la brigade ou au commandant du corps d'armée, qui lui a

  4   désigné la mission à accomplir, ce commandant intermédiaire n'a nullement

  5   le droit d'intervenir. Il n'a pas le droit de demander à celui qui a reçu

  6   l'ordre de mener une enquête ou de préparer un rapport. Il n'a pas le droit

  7   d'intervenir dans la mise en œuvre de l'ordre. Conformément à la

  8   réglementation militaire, il n'a pas le droit de le faire parce que ça

  9   constituerait une violation du principe de l'unicité du commandement.

 10   Ceci est particulièrement important, parce que dans le cas d'espèce nous

 11   avons affaire au commandant militaire suprême, qui est supérieur à tous les

 12   généraux qui sont placés sous ses ordres. Donc quand il donne un ordre à

 13   qui que ce soit à un échelon inférieur, quel que soit le niveau précis de

 14   cet échelon, quand il dit à cette personne qu'elle doit communiquer

 15   directement avec lui, sans dire expressément qu'il s'agit aussi d'informer

 16   d'autres unités, d'autres personnes, personne d'autre n'a le droit de

 17   s'impliquer dans ces communications ni dans l'exécution de l'ordre.

 18   Mme LE JUGE VAZ : Je vous remercie, Monsieur Rodic.

 19   Le Juge Meron voudrait vous poser une question.

 20   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Merci, Madame la Présidente. Je ne suis

 21   pas tout à fait satisfait de la réponse que vous venez de faire à Mme la

 22   Présidente. La question n'était pas de savoir si le général Strugar pouvait

 23   s'impliquer dans cette affaire. La question était de savoir - enfin si j'ai

 24   bien compris - la question était de savoir si, une fois l'enquête aboutie,

 25   une fois le rapport établi, le général Strugar, nous le savons, il était au

 26   courant de cette enquête. Vous nous avez dit que l'ordre d'enquêter, cet

 27   ordre il a été donné à l'amiral Jokic alors que le général Strugar était

 28   lui-même présent.

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  1   Etant donné qu'il était quand même intéressé par ces questions, est-

  2   ce qu'il ne pouvait pas demander à l'état-major général de lui fournir un

  3   exemplaire de ce rapport ?

  4   M. RODIC : [interprétation] Monsieur le Juge, lorsque vous avez une

  5   situation où un ordre est donné à l'amiral Jokic, ordre de mener une

  6   enquête, je présente la situation de façon générale. Le général Kadijevic

  7   appelle le général Strugar. Il lui dit de venir en compagnie de l'amiral

  8   Jokic, de venir le voir à Belgrade pour lui faire rapport. Le principe

  9   général de l'armée c'est que le supérieur immédiat d'une personne qui est

 10   appelée pour faire rapport, ici l'amiral Jokic, et vous avez ici Strugar

 11   qui est commandant du 2e Groupe opérationnel, son supérieur immédiat, le

 12   principe c'est que Jokic va avec son supérieur immédiat pour faire rapport

 13   au chef supérieur à eux deux.

 14   Ce qui veut dire que, lorsque Kadijevic appelle Jokic, il applique la

 15   réglementation militaire qui régit l'obligation de faire rapport. Ce qui

 16   veut dire que Strugar est présent lorsque son officier subordonné est là,

 17   lorsque le général Kadijevic donne un ordre directement à son subordonné à

 18   lui, donc à l'amiral Jokic, et il fait de lui l'homme qui a la

 19   responsabilité de la communication pour ce qui est cet ordre.

 20   Le général Kadijevic, en sa qualité de commandant suprême, aurait pu,

 21   c'est certain, s'il l'avait estimé nécessaire vu les circonstances, il

 22   aurait pu donner un ordre supplémentaire, lequel par exemple, dites à

 23   Strugar votre supérieur immédiat ce que vous allez mettre dans votre

 24   rapport que vous allez m'envoyer, en partie ou autrement. Kadijevic ne l'a

 25   pas fait, lui qui était le commandant suprême. Il a pris les rênes de tout,

 26   que ce soit pour la communication avec Jokic aussi. Donc pour répondre à

 27   votre première question s'agissant de la communication avec le général

 28   Strugar, le général Strugar n'a aucune possibilité quand on pense à ce

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  1   principe d'unicité du commandement dans la JNA. Il ne peut pas intervenir.

  2   Il ne peut pas demander au général Jokic à avoir copie du rapport, envoyez-

  3   moi un exemplaire du rapport. Il ne peut pas lui dire ça. Il ne peut pas

  4   non plus demander à Kadijevic de voir ce qu'a dit Jokic dans son rapport.

  5   Dans ces deux cas de figure, vu l'unicité du commandement dans la JNA, ceci

  6   aurait pu lui être reproché. On aurait pu lui demander pourquoi il ne

  7   respectait pas l'ordre donné, un ordre qui ne le concernait pas et qu'il

  8   n'avait pas droit de s'immiscer dans l'exécution de cet ordre.

  9   Kadijevic, qui était le commandant suprême, s'il l'avait jugé

 10   nécessaire, quelles qu'en soient les modalités, sous forme d'assistance ou

 11   autrement, il aurait pu faire intervenir les deux hommes. Il aurait pu

 12   charger ces deux hommes d'exécuter cet ordre. Il aurait même pu envoyer une

 13   équipe indépendante d'officiers, qui n'avait rien à voir avec ces deux

 14   hommes, venant du secrétariat. Il aurait pu donner l'ordre à cette équipe-

 15   là d'exécuter cette enquête.

 16   Je répondrais donc que Strugar, vu les circonstances de l'espèce dans

 17   ce cas de figure, n'aurait pas pu demander à Kadijevic ni à Jokic quels

 18   étaient les résultats de l'enquête menée.

 19   Mme LE JUGE VAZ : Nous vous remercions, Monsieur Rodic. Je pense qu'il n'y

 20   a pas d'autres questions. Je vais donc à présent donner la parole au

 21   Procureur pour sa réponse.

 22   Vous avez une heure.

 23   Mme BAIG : [interprétation] Bonjour, Madame la Présidente, bonjour,

 24   Messieurs les Juges.

 25   Les conclusions tirées par la Chambre de première instance étaient

 26   raisonnables. La Défense n'a pas réussi à prouver que la Chambre aurait

 27   commis une erreur irrémédiable. Je vais surtout parler de deux points dans

 28   le premier motif interjeté par l'Accusation. Tout d'abord, je vais vous

Page 122

  1   montrer que les conclusions de la Chambre qui disaient que l'accusé avait

  2   ordonné l'attaque de Srdj ont été étayées par les moyens de preuve

  3   présentés.

  4   Ensuite, je vais répondre à votre question qui concernait le statut des

  5   victimes.

  6   M. Tracol, mon collègue, vous parlera des motifs 2 et 3 de l'appel

  7   interjeté par la Défense. Quant à Mme Brady, elle vous parlera du quatrième

  8   moyen.

  9   La Chambre de première instance a eu raison de conclure que  Strugar avait

 10   ordonné l'attaque de Srdj. Avant de réagir aux détails présentés ce matin

 11   par la Défense, détails qui se concentrent sur des éléments de preuve

 12   précis, j'aimerais aborder brièvement les constatations nombreuses qui sont

 13   à la base de la conclusion juridique tirée par la Chambre, à savoir que

 14   c'est Strugar qui a ordonné l'attaque. Ces faits, on peut les regrouper

 15   dans trois rubriques : avant, pendant et après l'attaque.

 16   Qu'est-ce qui se passait avant l'attaque, c'est quelque chose qu'il est

 17   important de savoir, car ceci dresse le contexte dans lequel s'inscrit

 18   l'ordre donné par Strugar. Les réalités militaires, la situation

 19   diplomatique ainsi que la planification, autant de choses qui démontrent

 20   que l'ordre d'attaquer Srdj, il prend son origine aux niveaux les plus

 21   suprêmes de la JNA, chez le commandant du 2e Groupe opérationnel, à savoir

 22   le général Strugar.

 23   Les réalités militaires sont importantes, car la JNA fonctionne sur le

 24   principe du commandement unifié et unique. Ici, ce ne sont pas des

 25   conjectures. La Chambre de première instance s'est basée sur de nombreux

 26   éléments de preuve, rappelez-vous les paragraphes 393 à 405 du jugement de

 27   première instance. Ce commandement unifié et unique, c'est une structure

 28   pyramidale qui part d'un échelon suprême où des ordres sont donnés et

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  1   ordres qui vont filtrer, qui vont être transmis aux échelons inférieurs de

  2   la voie hiérarchique. Cette structure étaie la conclusion qui disait que

  3   l'ordre d'attaque a pris son départ chez Strugar en sa qualité de

  4   commandant du 2e Groupe opérationnel.

  5   Le contexte diplomatique est aussi très significatif, car il montre lui

  6   aussi qu'il y a une autorisation à haut niveau donnée pour que cette

  7   attaque ait lieu. Le 23 novembre 1991, les autorités yougoslaves et croates

  8   les plus élevées ont signé l'accord de Genève qui exigeait un cessez-le-feu

  9   sans conditions et le retrait des forces de la JNA de Dubrovnik. Le 5

 10   décembre, l'amiral Jokic, le subordonné de Strugar, rencontre des ministres

 11   croates pour essayer de régler les détails du cessez-le-feu qui devait

 12   commencer le 6 décembre 1991 à midi.

 13   Dans ce contexte, alors que le cessez-le-feu est sur le point d'entrer en

 14   vigueur, nous avons des officiers supérieurs du 9e VPS, dont Zec, le chef

 15   d'état-major de Jokic, ainsi que le capitaine Kovacevic, qui commandait le

 16   3e Bataillon de la 470e Brigade motorisée, se rencontrent en fin d'après-

 17   midi le 5 décembre à Kupari. Ils mettent au point un plan de bataille

 18   coordonné visant à s'emparer du mont Srdj avant l'entrée en vigueur du

 19   cessez-le-feu. Ce même soir, le capitaine Kovacevic va rendre visite au QG

 20   du général Strugar. Bien plus tard, Kovacevic rencontre ses commandants

 21   subordonnés pour les informer qu'il y aura attaque, pour transmettre cette

 22   information en descendant les échelons de la hiérarchie. Il leur dit que

 23   cette attaque a été approuvée, je cite : "Par le commandement supérieur."

 24   La Chambre de première instance a conclu que cet ordre, personne d'autre

 25   que le commandant du 2e Groupe opérationnel n'aurait pu le donner vu la

 26   structure du commandement de la JNA, et surtout à la lumière du fait qu'il

 27   y avait des négociations qui avaient lieu et qu'un cessez-le-feu était sur

 28   le point d'entrer en vigueur.

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  1   Je vous rappelle, par exemple, les paragraphes 89 et 167 du jugement.

  2   Parlons maintenant des événements qui se sont déroulés pendant l'attaque

  3   même. Ces faits prouvent que le général Strugar a ordonné l'attaque. Aux

  4   premières heures du matin, le 6 décembre 1991, des forces terrestres du

  5   bataillon du capitaine Kovacevic entament leur attaque sur Srdj. Ils

  6   reçoivent des tirs défensifs croates des environs de Dubrovnik. Au lieu de

  7   cibler les positions militaires croates qui menaçaient l'attaque menée sur

  8   Srdj, l'artillerie de la JNA tire sur la vieille ville de Dubrovnik où il

  9   n'y avait pas d'objectifs ni de cibles militaires.

 10   La Chambre de première instance conclut, paragraphe 345, que ces tirs

 11   étaient délibérés, aveugles et massifs et se sont échelonnés sur une longue

 12   période de temps.

 13   La vieille ville a en effet été attaquée pendant dix heures et demie ce

 14   jour-là, le 6 décembre 1991. Elle a tué des civils, elle en a blessés et

 15   elle a endommagé des bâtiments qui constituent un élément important du

 16   patrimoine architectural de la ville.

 17   Ce n'est pas là quelque chose de surprenant, l'attaque de Dubrovnik a

 18   aussitôt déclenché l'attention des médias dans le monde. A 7 heures du

 19   matin, Strugar reçoit un coup de fil du secrétaire fédéral de la défense

 20   nationale, le général Kadijevic, qui lui a déjà reçu des protestations

 21   émises par la MOCE. Kadijevic était furieux vu la façon dont avaient évolué

 22   les événements. Il a exigé que Strugar et Jokic aillent à Belgrade ce jour-

 23   là encore, pour lui rendre compte de l'attaque, pour faire rapport.

 24   De l'avis de la Chambre de première instance, que vous allez trouver

 25   au paragraphe 427, la poursuite de l'attaque pendant la journée du 6

 26   décembre était, je cite : "Une preuve révélatrice et convaincante" de

 27   l'état véritable des ordres donnés par l'accusé. La Chambre a notamment

 28   constaté que Strugar n'avait pas donné d'ordres visant à enrayer l'attaque,

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  1   à l'arrêter. S'il n'avait pas été responsable de l'ordre initial, la

  2   Chambre aurait pu s'attendre à ce qu'il exige qu'une attaque illégale

  3   s'arrête, et surtout après que cette attaque, comme le dit la Chambre de

  4   première instance, ait "échappé à tout contrôle." S'il n'avait pas été

  5   responsable du premier ordre donné, il aurait donné l'ordre, à ce moment-

  6   là, d'y mettre fin à cette attaque.

  7   Au contraire, la Chambre a constaté qu'entre midi et midi et demi, ce

  8   jour-là, le général Strugar a rencontré un observateur de la MOCE, Colm

  9   Doyle, à qui il avoue ou reconnaît qu'il a, je cite :  "tiré sur la ville

 10   de Dubrovnik." Ceci avant qu'il n'aille à Belgrade, avant qu'il n'y ait

 11   cette apparence d'enquête. Ceci alors qu'on est dans le feu de l'action,

 12   Strugar dit à un observateur de la MOCE qu'il a tiré sur la ville de

 13   Dubrovnik.

 14   Les résultats consécutifs à l'attaque confirment encore plus les

 15   conclusions de la Chambre de première instance qui dit que c'est Strugar

 16   qui a ordonné cette attaque. S'il n'avait pas donné cet ordre, on pourrait

 17   s'attendre ici aussi à ce qu'il prenne des mesures vigoureuses pour punir

 18   ses subordonnés indisciplinés qui ont entamé cette action illégale qui

 19   n'avait pas été autorisée et qui ont créé des problèmes pour lui envers ses

 20   supérieurs de Belgrade.

 21   Au contraire, les faits montrent que Strugar a approuvé cette action

 22   militaire. Un exemple, Strugar a invité Kovacevic à proposer que des

 23   soldats qui s'étaient distingués fassent l'objet d'une récompense, d'une

 24   distinction pour leur participation à l'attaque du 6 décembre 1991. Il n'a

 25   rien fait pour empêcher cette promotion extraordinaire dont a bénéficié

 26   Kovacevic [comme interprété].

 27   En résumé, la Chambre de première instance a bien examiné l'ensemble des

 28   événements pour conclure que c'était lui qui avait donné l'ordre d'attaquer

Page 126

  1   Srdj.

  2   Maintenant, j'aimerais revenir à deux des griefs présentés ce matin

  3   concernant l'ordre d'attaquer. D'abord, voyons ce qu'aurait reconnu

  4   Strugar, ce qu'il a reconnu. La Chambre constate au paragraphe 164 que

  5   Strugar avait reconnu en parlant à l'observateur Doyle qu'il avait donné

  6   l'ordre d'attaquer Srdj. La Chambre a accueilli l'élément de preuve

  7   présenté par Doyle qui a dit que lorsqu'il a rencontré Strugar, vers midi,

  8   le 6 décembre, Strugar lui avait expliqué qu'il avait répondu aux

  9   provocations croates en Bosnie-Herzégovine en, je cite : "Tirant sur la

 10   ville de Dubrovnik."

 11   C'est vrai, comme le dit la Défense, c'est vrai que Strugar n'utilise

 12   pas le mot de Srdj. Mais que veulent dire les mots qu'il utilise ? Ça veut

 13   dire que Strugar a ordonné une attaque de la ville de Dubrovnik. Cependant,

 14   la Chambre de première instance était en droit d'inscrire la déclaration de

 15   Doyle dans le contexte des autres éléments de preuve et d'adopter une

 16   interprétation qui était plus favorable à l'accusé. Pourquoi dis-je plus

 17   favorable ? Parce que Srdj c'était en fait un objectif militaire légitime.

 18   Et là donc c'est une interprétation plus favorable qu'une interprétation

 19   qui dirait que c'est la ville même de Dubrovnik qui a été attaquée.

 20   C'était là la bonne démarche à prendre. Quoi qu'il en soit, la

 21   Chambre a reconnu au paragraphe 343 que s'il y avait attaque de Srdj, ceci

 22   allait forcément provoquer des tirs des défenseurs croates et qu'un échange

 23   de tirs d'artillerie, impliquant la ville de Dubrovnik, faisait partie

 24   intégrante de l'attaque de Srdj. C'était là une interprétation raisonnable

 25   à laquelle s'est livrée la Chambre et la Défense n'a pas prouvé qu'il y

 26   aurait eu de la part de la Chambre de première instance une erreur.

 27   Car cette dernière a tenu compte de l'interprétation évoquée ce matin

 28   par la Défense. La Chambre a tenu compte de tous ces griefs et

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  1   l'interprétation qu'elle a retenue était favorable à l'accusé à cet égard.

  2   Lorsqu'elle a accepté les dires de Doyle à propos de cette rencontre,

  3   la Chambre a rejeté ce qu'avait dit le témoin à décharge Svicevic. La

  4   Chambre ne l'a tout simplement pas cru, mais elle a expliqué pourquoi elle

  5   ne l'a pas cru.

  6   La Chambre a conclu qu'il avait essayé de donner une nouvelle

  7   interprétation de ses notes en déformant cet ordre et que c'était là un

  8   mensonge flagrant. La Défense n'a pas prouvé que cette conclusion n'était

  9   pas raisonnable.

 10   J'aborde maintenant mon deuxième point. La Chambre a conclu que

 11   c'était Strugar qui avait ordonné l'attaque. Cette conclusion n'était pas

 12   fonction de savoir si son subordonné, Jokic, avait assisté à la réunion de

 13   planification. Il y a eu cette réunion à Kupari dans la soirée du 5

 14   décembre. Des officiers supérieurs du 9e VPS y planifient l'attaque de

 15   Srdj. Le témoin à décharge Jovanovic était présent à cette réunion, il est

 16   venu dire que Jokic était présent à cette réunion. On a rappelé Jokic en

 17   réfutation et celui-ci a nié cette allégation.

 18   La Chambre a exprimé certaines réserves en ce qui concerne le

 19   témoignage de Jokic parce qu'il avait un intérêt personnel à dire que Jokic

 20   était présent à cette réunion et parce que ce qu'il a dit de cette réunion

 21   ne correspondait pas à la réalité militaire de la situation.

 22   En fin de compte, la Chambre de première instance, au paragraphe 88,

 23   a estimé que la présence de Jokic à cette réunion n'était pas déterminante

 24   pour ce qui est de la décision et que cette question restait "en suspens."

 25   C'était une conclusion raisonnable. La Défense voudrait que Jokic

 26   soit à cette réunion parce qu'elle veut faire valoir que Jokic avait

 27   participé à la planification et à l'exécution d'attaque, de façon à montrer

 28   que Strugar, lui, n'était pas impliqué. Cependant, la conclusion de la

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  1   Défense ne découle pas de la prémisse posée. Si on dit que Jokic était à

  2   cette réunion, ça ne montre pas nécessairement qu'il n'y a pas eu

  3   d'implication de Strugar. Ça ne montre pas que ce n'est pas Strugar qui a

  4   donné l'ordre.

  5   La Chambre de première instance s'intéresse aux conséquences de la

  6   participation de Jokic, paragraphe 98 du jugement. C'est là que la Chambre

  7   réfléchit au témoignage de Johic [phon] et rejette l'argument voulant que

  8   le plan était "concocté et exécuté par le 9e VPS dont l'amiral Jokic, sans

  9   que l'accusé soit au courant et ceci étant contraire aux ordres donnés par

 10   l'accusé."

 11   La Chambre de première instance au paragraphe 88 note que la démarche

 12   qu'elle a retenue a des conséquences sur la crédibilité accordée à Jokic.

 13   Bien que l'Accusation ait fait valoir partant du témoignage de Jokic qu'il

 14   n'était pas présent à cette réunion, la  Chambre conclut que cette question

 15   n'est pas réglée et cette conclusion même montre que la Chambre n'a pas

 16   accueilli le témoignage de Jokic en la matière. Tout au long du jugement,

 17   la Chambre de première instance évalue le témoignage de Jokic avec beaucoup

 18   de prudence. Elle savait qu'il y avait une procédure intentée en parallèle

 19   contre Jokic. La Chambre examine le témoignage de Jokic partant des

 20   déclarations qu'il a faites auparavant. Elle accepte son témoignage sur

 21   certains points et elle le rejette sur certains points.

 22   A certains endroits, la Chambre a cherché à voir s'il était possible

 23   de voir une corroboration indépendante de ce que disait Jokic des

 24   événements. La Chambre a conclu que la présence de Jokic à cette réunion

 25   était quelque chose qui restait sans réponse véritable. C'était une

 26   conclusion raisonnable et une conclusion qui montre bien que la Chambre est

 27   prudente quand elle examine la fiabilité, la crédibilité du témoignage de

 28   Jokic.

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  1   La Défense n'a pas montré que les conclusions de la Chambre de

  2   première instance à propos de la réunion de Kupari auraient été

  3   déraisonnables. En fin de compte, les éléments de preuve prouvent que

  4   Strugar a donné l'ordre d'attaquer Srdj, que Jokic ait été présent à la

  5   réunion ou pas.

  6   Permettez-moi de corriger le compte rendu d'audience et il semblerait

  7   que ce soit Jokic qui ait été inscrit alors que c'est Strugar qui a donné

  8   l'ordre d'attaquer Srdj.

  9   En l'absence d'un ordre écrit, qui aurait peut-être été la réponse

 10   idéale à certaines des questions posées par la Défense ce matin, l'absence

 11   de cet ordre écrit n'est rien de surprenant, d'autant que nous avons ici un

 12   contexte diplomatique des plus délicats, le fait que la communauté

 13   internationale s'intéresse beaucoup et de très près à l'attaque et compte

 14   tenu aussi de l'enquête menée par la suite par la JNA.

 15   Aux paragraphes 6 et 7, nous avons ce que dit la Chambre, qui dit que

 16   certains documents n'ont pas pu être trouvés. On dit aussi que certains de

 17   ces documents ont été falsifiés, ont été forcés. Vu ces circonstances,

 18   l'absence d'un document écrit ne devrait pas pousser la Chambre d'appel à

 19   modifier la décision.

 20   La Chambre de première instance a constaté, après avoir vu les

 21   documents qui se confirmaient les uns les autres, elle a conclu que c'était

 22   le général Strugar qui avait ordonné aux forces se trouvant sous son

 23   commandement d'attaquer Srdj. Strugar l'a dit lui-même à Doyle. Les

 24   circonstances diplomatiques, les réalités militaires, la chronologie des

 25   événements, la durée de l'attaque, ainsi que le fait que Strugar a approuvé

 26   les actions menées par les participants, ceci prouve de façon logique et

 27   raisonnable que cette attaque a été entreprise suite aux ordres donnés par

 28   Strugar.

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  1   La Défense s'est concentrée sur cet ordre comme si en l'absence d'un

  2   tel ordre on pourrait décider que Strugar doit être acquitté. Mais ce n'est

  3   pas vrai. La condamnation de Strugar resterait d'application même s'il

  4   n'avait pas donné l'ordre du 5 décembre.

  5   Si ce n'est pas Strugar qui a donné l'ordre d'attaquer, à 7 heures du

  6   matin lorsque, après le coup de fil de Kadijevic, il a appris que des

  7   forces se trouvant sous son commandement à lui entreprenaient une attaque

  8   non autorisée sur Dubrovnik, se lançaient dans des combats non autorisés,

  9   il aurait eu encore plus de raisons d'être inquiet, alarmé devant la

 10   possibilité que des crimes allaient être commis, inquiet devant le risque

 11   réel et raisonnable que des crimes étaient sur le point d'être commis.

 12   J'aimerais maintenant aborder la deuxième question que vous avez

 13   posée en ce qui concerne la qualité ou le statut des victimes.

 14   Mato Valjalo et Ivo Vlasica étaient tous deux des civils. La Défense

 15   n'a pas contesté la qualité de Vlasica en appel.

 16   S'agissant de Mato Valjalo, nous avons répondu de façon détaillée aux

 17   arguments présentés par la Défense sur la qualité de cette personne dans

 18   notre mémoire en réponse, arguments aussi évoqués en première instance. Aux

 19   paragraphes 166 jusqu'à 172 du mémoire de clôture, l'Accusation a expliqué

 20   que ce n'était pas un membre des forces armées. Il était chauffeur pour la

 21   cellule de Crise de Dubrovnik, et c'est à cause de ce travail qu'il a reçu

 22   sa retraite.

 23   Ce sont des éléments qui ont été entendus par la Chambre de première

 24   instance, qui a conclu que cet homme était un civil qui n'avait pas de part

 25   active aux hostilités. Ce même homme a aussi été considéré comme étant une

 26   victime dans l'affaire Jokic, et la Chambre de première instance Jokic a

 27   tiré la même conclusion, conclusion qui a été confirmée en appel. Il y

 28   avait une deuxième partie à votre question. Vous demandiez si un combattant

Page 132

  1   peut constituer une cible militaire légale en vertu du droit international

  2   humanitaire. C'est un peu plus compliqué ici par le fait que, même si

  3   l'Accusation a dit qu'il y avait conflit armé international, et dans son

  4   mémoire en clôture a dit que la Croatie était devenu un Etat lorsque arrive

  5   le 6 décembre 1991, la Chambre n'a pas tiré de conclusion déterminante en

  6   la matière.

  7   Si on considérait que le conflit armé était international, un

  8   combattant était manifestement une cible militaire légale. Mais lorsqu'on a

  9   un conflit armé qui n'est pas international, l'étiquette de combattant veut

 10   dire qu'on a le droit de participer à un conflit armé, qu'on peut avoir

 11   aussi le statut de prisonnier de guerre, mais cette qualité ne s'applique

 12   pas de façon spécifique. Bien sûr, la logique veut qu'on fasse une

 13   distinction entre des membres des forces armées et d'autres groupes armés

 14   organisés d'une part. Ce sont des personnes qui, effectivement, exécutent

 15   des hostilités au nom des partis à un conflit. Il est important de faire

 16   une distinction entre ce groupe-là et le groupe des civils qui ne prennent

 17   pas part activement.

 18   En vertu du Protocole additionnel de l'article 13, un combattant qui

 19   participe à un conflit armé, notamment international, à ce moment-là, on

 20   reprend la définition de l'article commun 3, à ce moment-là, il perd son

 21   statut.

 22   La participation directe ou active à des hostilités exige un lien de

 23   causalité direct entre l'activité et le mal militaire qu'on fait à

 24   l'ennemi. Dans les mots utilisés par le CICR, lorsqu'on prend part de façon

 25   active à une hostilité, cela veut dire qu'on est engagé dans la guerre, ce

 26   qui signifie que ceci a pour but de causer du tort en toute probabilité à

 27   du personnel ou à des équipements des forces armées. Les civils sont

 28   souvent utilisés ou font partie de l'effort de guerre, mais ceci ne

Page 133

  1   signifie pas pour autant qu'un civil devient une cible militaire légitime.

  2   Dans ce cas, la cellule de Crise ne faisait pas partie des forces

  3   armées, et quand bien même c'eut été le cas, Mato Valjavo n'était pas un

  4   membre de la cellule de Crise et, dans sa position d'auxiliaire, puisqu'il

  5   était chauffeur, il ne répond pas aux critères et n'a pas pris directement

  6   part aux hostilités. La façon dont on a caractérisé sa retraite dans le

  7   cadre de la législation nationale ne permet pas de déterminer son statut à

  8   la lumière des critères requis par le droit international humanitaire.

  9   Simplement pour répondre à votre argument, si on indique qu'une des

 10   victimes était un membre d'un groupe organisé ou de forces armées qui

 11   étaient à l'origine des hostilités, à ce moment-là on répondrait par oui en

 12   disant qu'il s'agit à ce moment-là d'une cible militaire légitime. Mais

 13   s'il s'agit d'un civil qui participait directement aux hostilités, à ce

 14   moment-là, encore une fois il pourrait être pris pour cible de façon

 15   légitime pendant la durée de sa participation. En tant que cible légitime,

 16   on estimerait que ce ne serait pas une victime d'une attaque illégale

 17   contre une victime tel que cela est précisé au chef 3 de l'acte

 18   d'accusation.

 19   La Chambre de première instance a estimé à juste titre que ces deux

 20   victimes étaient des civils qui ne prenaient pas une part active aux

 21   hostilités. Ces conclusions étaient raisonnables et devraient être

 22   confirmées.

 23   Merci, Madame, Messieurs les Juges. J'en ai terminé avec mes

 24   arguments. Bien sûr, si vous avez des questions à poser, je suis tout à

 25   fait disposée à y répondre.

 26   Mme LE JUGE VAZ : Apparemment, il n'y a pas de questions. Nous vous

 27   remercions, Madame Baig. C'est M. Tracol qui va prendre la suite ? Oui.

 28   Soumissions par M. Tracol :

Page 134

  1   M. TRACOL : [interprétation] Oui, Madame la Présidente. 

  2   [en français] Je vais maintenant répondre aux second et troisième motifs

  3   d'appel de la Défense en commençant par notre réponse au troisième motif

  4   d'appel de la Défense.

  5   Etant donné que la Défense n'a pas présenté d'argument ce matin

  6   relatif au premier élément de la responsabilité du supérieur hiérarchique,

  7   donc relatif au lien de subordination, je n'ajouterai rien à ce que nous

  8   avons déjà répondu dans notre mémoire en réponse.

  9   Je serai également très bref relativement au second élément de la

 10   responsabilité du supérieur hiérarchique, à savoir l'élément moral. Je

 11   relèverai simplement ceci : Strugar avait des raisons de savoir que ses

 12   subordonnés commettaient des crimes et était informé de l'attaque à partir

 13   de l'appel téléphonique du général Kadijevic le 6 décembre à 7 heures du

 14   matin. Il s'agit là de la conclusion de la Chambre de première instance au

 15   paragraphe 418 du jugement. Cette conclusion est bien fondée à la lumière

 16   du contexte global et des circonstances de ce dossier. En effet, les forces

 17   armées de Strugar avaient déjà bombardé la ville aux mois d'octobre et de

 18   novembre 1991. Le deuxième élément-clé est bien entendu le témoignage de

 19   Jokic qui est relatif à l'appel téléphonique de Strugar le 6 décembre à

 20   7 heures du matin.

 21   Je me contenterai de relever ces deux éléments, étant donné que la Défense

 22   n'a pas présenté d'arguments ce matin sur l'élément moral du supérieur

 23   hiérarchique.

 24   S'agissant maintenant du troisième élément de la responsabilité de

 25   supérieur hiérarchique. Strugar n'a pas pris les mesures nécessaires et

 26   raisonnables pour empêcher les crimes et pour punir les auteurs. Tout

 27   d'abord, Strugar est pénalement responsable de ne pas avoir empêché les

 28   crimes. Et là encore, je relève que la Défense est restée silencieuse sur

Page 135

  1   cet élément de la responsabilité de supérieur hiérarchique ce matin. Je

  2   relèverai donc simplement la chose suivante, qui est que les conclusions de

  3   la Chambre de première instance aux paragraphes 420 à 434 du jugement,

  4   selon lesquelles Strugar n'a pris aucune mesure efficace à partir de 7

  5   heures du matin, sont parfaitement raisonnables, et la Défense n'a démontré

  6   aucune erreur de la Chambre de première instance dans son analyse.

  7   Je me contenterai de relever trois points. Le premier étant que les actions

  8   de Strugar ont toutes été inefficaces. Le second point est que Strugar n'a

  9   pas donné d'ordre d'arrêter l'attaque de Srdj. Le troisième point est que

 10   le cessez-le-feu a également été inefficace. J'en resterai là sur le fait

 11   que Strugar n'a pas empêché la commission des crimes, étant donné que la

 12   Défense n'a pas présenté d'arguments ce matin à ce sujet. Mais Strugar n'a

 13   pas non plus puni les auteurs des crimes.

 14   La Chambre de première instance a conclu à juste titre, au paragraphe 446

 15   du jugement, que Strugar n'a pas puni les auteurs. Il n'a pas fait

 16   diligenter d'enquêtes sur le comportement de ses subordonnés responsables

 17   du bombardement de la vieille ville. Il n'a pris aucune mesure

 18   disciplinaire à leur encontre à la suite des événements du 6 décembre 1991.

 19   Madame la Présidente, Messieurs les Juges, la Chambre de première instance

 20   a fourni des motifs approfondis et détaillés fondant sa conclusion au

 21   paragraphe 436 du jugement, selon laquelle Jokic a mené un simulacre

 22   d'enquête dont l'objectif ne consistait pas à établir la vérité ou à punir

 23   les auteurs, et ce, avec le consentement tacite de Strugar. Strugar ne fait

 24   même pas valoir, et démontre encore moins, qu'aucun juge des faits

 25   raisonnable n'aurait pu rendre les conclusions contenues dans le jugement.

 26   La Chambre de première instance a également conclu à juste titre, au

 27   paragraphe 439 du jugement, que Strugar, et je cite : "…ne serait-ce qu'en

 28   donnant son consentement tacite, a participé à l'arrangement par lequel

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  1   l'amiral Jokic a ouvert un simulacre d'enquête et pris un simulacre de

  2   mesures disciplinaires avant de soumettre au premier secrétariat un rapport

  3   qui dégageait la responsabilité de la JNA pour les dommages subis par la

  4   vieille ville." Strugar n'était pas, ou ne pensait pas être, dans

  5   l'impossibilité d'agir, ou n'avait pas reçu l'ordre de ne pas intervenir

  6   dans les événements du 6 décembre.

  7   Le fait que le général Kadijevic a délégué l'obligation d'établir le

  8   rapport à Jokic ne signifie pas que Strugar aurait dû abjurer sa propre

  9   obligation de punir ses subordonnés. Un supérieur hiérarchique doit

 10   s'assurer qu'une enquête sur les crimes est correctement menée.

 11   Madame la Présidente, Messieurs les Juges, contrairement à ce que Me Rodic

 12   a prétendu, Strugar n'a pas été marginalisé ni mis sur la touche. La

 13   Défense se contente de répéter les arguments relatifs à l'exclusion de

 14   Strugar par le général Kadijevic qu'elle a déjà exprimés lors du procès.

 15   Les Juges de première instance ont examiné ces arguments de la Défense au

 16   paragraphe 438 du jugement, et les Juges de première instance ont rejeté

 17   ces arguments de la Défense aux paragraphes 439 puis 442 du jugement.

 18   Madame la Présidente, Messieurs les Juges, il est simplement inconcevable

 19   qu'un supérieur hiérarchique serait relevé de son obligation de punir sur

 20   le simple fondement d'ordre supérieur. Si la commission de crimes est

 21   couverte au niveau supérieur, l'argument de la Défense signifie qu'un

 22   supérieur hiérarchique n'aurait aucune obligation d'intervenir. En

 23   l'espèce, Strugar avait l'obligation de se tenir informé à deux niveaux

 24   inférieurs dans la hiérarchie, et ce, en vertu de la doctrine de la JNA.

 25   Zorc, qui était l'expert de l'Accusation, a présenté un rapport à ce sujet;

 26   il s'agit de la pièce P 204. Il a également témoigné à ce sujet lors du

 27   procès, et je renvoie la Chambre aux comptes rendus d'audience aux pages

 28   6 595, 6 596, 6 692 et 6 693. De plus, comme M. le Juge Meron l'a relevé,

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  1   Strugar était intéressé par cette enquête et par ses résultats.

  2   Madame la Présidente, Messieurs les Juges, les conclusions de la Chambre de

  3   première instance sont également bien fondées compte tenu des événements

  4   ultérieurs. Plutôt que de punir Kovacevic, Strugar ne s'est pas opposé à la

  5   promotion de Kovacevic, bien qu'il avait la compétence de le faire, comme

  6   les Juges de première instance l'ont justement relevé au paragraphe 441 du

  7   jugement. Le commandement de la 472e Brigade motorisée a proposé la

  8   promotion extraordinaire de Kovacevic à capitaine de première classe avec

  9   effet rétroactif au 11 novembre, après le bombardement de la vieille ville

 10   au mois de novembre 1991. Kovacevic a été promu le 14 décembre, à savoir

 11   seulement huit jours après le 6 décembre, date du bombardement de la

 12   vieille ville. Il est clair que Strugar a décidé de ne pas utiliser les

 13   outils qui étaient à sa disposition pour s'opposer à la promotion de

 14   Kovacevic. Strugar a ainsi purement et simplement abrogé son obligation de

 15   punir les auteurs.

 16   La promotion de Kovacevic n'est pas la seule preuve du manquement de

 17   Strugar à son obligation de punir les auteurs. Mais cette promotion

 18   démontre deux points : le premier est que la promotion de Kovacevic fournit

 19   une preuve circonstancielle qui montre et qui confirme indirectement que

 20   Strugar n'a pas donné l'ordre de cesser l'attaque contre Srdj le 6 décembre

 21   à 7 heures du matin.

 22   Madame la Présidente, Messieurs les Juges, si Kovacevic n'avait pas

 23   respecté son ordre, alors Strugar aurait pris des mesures disciplinaires à

 24   son encontre plutôt que de ne pas s'opposer à sa promotion.

 25   Le second point est que la promotion de Kovacevic est tellement

 26   stupéfiante qu'elle démontre encore plus que Strugar a avalisé et approuvé

 27   l'attaque contre Srdj.

 28   Enfin, la Chambre de première instance a spécifiquement conclu, au

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  1   paragraphe 441 du jugement, que la visite du général Panic, chef d'état-

  2   major adjoint de la JNA au 3e Bataillon de la 472e Brigade motorisée, a eu

  3   lieu.

  4   La Chambre de première instance n'a pas eu besoin de résoudre la

  5   question de la date de cette visite dans la mesure où l'importance de la

  6   visite réside dans le fait qu'au moment de cette visite Strugar a invité

  7   Kovacevic, et je cite le paragraphe 441 du jugement : "A désigner les

  8   militaires qui s'étaient distingués lors des événements du 6 décembre."

  9   La Chambre de première instance a raisonnablement accepté le

 10   témoignage de Jokic sur ce point.

 11   Madame la Présidente, Messieurs les Juges, cela conclut mon

 12   réquisitoire en réponse au troisième motif d'appel de la Défense. Je peux

 13   maintenant brièvement examiner le second motif d'appel de la Défense, mais

 14   je me propose de simplement répondre à la première question qui a été posée

 15   aux parties, si cela convient à la Chambre.

 16   Mme LE JUGE VAZ : Oui, très bien, vous pouvez poursuivre. Tout à

 17   l'heure, le Juge Shahabuddeen va vous poser une question. Veuillez

 18   poursuivre maintenant.

 19   M. TRACOL : Madame la Présidente, Messieurs les Juges, la Chambre de

 20   première instance a conclu à juste titre au paragraphe 283 in fine du jugement

 21   que je cite la question de savoir si un critère moins strict que celui de

 22   l'intention directe pourrait suffire ne se pose pas en l'espèce.

 23   Mais pour répondre à votre question, la position de l'Accusation est que le

 24   critère relatif à l'élément moral des attaques à l'encontre des biens à

 25   caractère civil devrait être identique à celui des attaques contre les

 26   civils sur lequel la Chambre d'appel s'est déjà prononcée au paragraphe 140

 27   de l'arrêt Galic et de la destruction ou de l'endommagement délibéré de

 28   biens culturels.

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  1   Selon l'Accusation, le critère de l'intention indirecte suffit pour les

  2   attaques contre les biens à caractère civil. Cela signifie concrètement que

  3   l'accusé doit être conscient de la réelle probabilité que des dommages

  4   illégaux seraient causés aux biens à caractère civil.

  5   Cela conclut ma réponse à la première question de la Chambre d'appel aux

  6   parties. Je me tiens à la disposition de la Chambre pour toute question.

  7   M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : [interprétation] Monsieur Tracol, ce qui

  8   m'intéresse, ce sont les points qui ont été soulevés par vos collègues

  9   ainsi que par le conseil de la Défense sur les enquêtes qui auraient été

 10   ordonnées au niveau des échelons supérieurs de la JNA et qui opéraient, qui

 11   agissaient sur le principe de l'unité du commandement et qui ont

 12   neutralisé, en quelque sorte, toute obligation qui aurait dévolu à un

 13   commandant pour prévenir et empêcher ses subordonnés.

 14   Est-ce que j'ai bien compris votre réponse à cette question, l'obligation

 15   d'un commandant d'empêcher ou de punir, ceci peut être écarté lorsque cette

 16   disposition est prise à un niveau supérieur et en tenant compte du principe

 17   de l'unicité du commandement, mais pas, d'après vous, lorsque l'action

 18   menée au niveau supérieur, lorsque cette action a toujours été communiquée

 19   au commandement supérieur et qu'il s'agissait en fait d'un simulacre, et

 20   donc cela n'était pas vrai. C'est cela, votre position ?

 21   M. TRACOL : Monsieur le Juge, la position de l'Accusation est que le

 22   commandant d'une armée a toujours, à condition, bien entendu, que les

 23   autres éléments de la responsabilité du supérieur hiérarchique soient réunis,

 24   l'obligation de punir s'il a connaissance de la commission de crimes. Le

 25   fait qu'une enquête soit confiée par un supérieur hiérarchique à un

 26   subordonné du commandant en question ne retire pas l'obligation de punir au

 27   supérieur hiérarchique qui est concerné. Voilà le principe.

 28   Cela étant, il convient, bien entendu, de l'appliquer aux faits de

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  1   l'espèce. Et l'autre élément qui joue un rôle dans ce dossier, selon nous,

  2   est le principe de l'unicité et l'obligation de la part des supérieurs

  3   hiérarchiques de se tenir informés à deux niveaux hiérarchiques inférieurs,

  4   le corollaire est bien entendu l'obligation pour les subordonnés d'informer

  5   leurs supérieurs hiérarchiques à deux niveaux supérieurs. Ces deux éléments

  6   confirment que Strugar avait l'obligation de punir ses subordonnés.

  7   Bien entendu, si on regarde également les faits de l'espèce, l'élément

  8   moral de la responsabilité du supérieur hiérarchique était bien présent

  9   puisque Strugar avait connaissance, à partir du 6 décembre à 7 heures du

 10   matin, de la commission des crimes. C'est cette connaissance qui l'amenait

 11   à s'assurer que ses subordonnés soient punis pour les crimes qui ont été

 12   commis.

 13   Mme LE JUGE VAZ : Le Juge Meron a une question pour M. Tracol.

 14   Oui, Monsieur le Juge.

 15   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Le conseil de la Défense a fait valoir

 16   que le général Strugar a été sorti du groupe ou de cette boucle, à savoir

 17   qu'il y avait des ordres supérieurs qui avaient été donnés à l'amiral Jokic

 18   pour mener une enquête. Il a également fait valoir qu'à aucun moment le

 19   général Strugar n'a reçu des copies ou exemplaires de ces rapports.

 20   D'après ce que j'ai compris, d'après les règles de discipline militaire, il

 21   n'était pas en mesure de demander à recevoir ces exemplaires ou bien

 22   d'intervenir d'une manière ou d'une autre.

 23   Alors comment le général Strugar aurait-il pu prendre des mesures pour

 24   mener une enquête et punir s'il n'était pas au courant de la teneur de ces

 25   rapports, des rapports de l'amiral Jokic ?

 26   Je pense que les questions de l'enquête et de la punition ont été gérées

 27   différemment et émanaient d'ordres donnés d'une autorité suprême militaire.

 28   Donc qu'est-ce qu'il aurait dû faire dans ce cas ? Et je suis tout à fait

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  1   au courant de la teneur du paragraphe 445 du jugement rendu par la Chambre

  2   de première instance.

  3   M. TRACOL : Les réponses ont déjà été présentées lors du procès. Ces

  4   arguments ne sont en rien nouveaux. La Chambre de première instance les a

  5   examinés et les a rejetés. Et j'attire votre attention non pas sur le

  6   paragraphe 445 du jugement, mais sur la conclusion de la Chambre de

  7   première instance au paragraphe 443 du jugement qui est la suivante : Dans

  8   la chaîne de commandement normale de la JNA, une communication de l'amiral

  9   Jokic au général Kadijevic passait par le commandant du 2e GO. Monsieur le

 10   Juge, le commandant du 2e GO était Strugar en l'espèce.

 11   Pour compléter ma réponse, il est simplement inconcevable compte tenu de la

 12   doctrine militaire de la JNA et de la règle d'informer ses supérieurs

 13   hiérarchiques à deux niveaux hiérarchiques supérieurs, que Strugar n'ait pas

 14   été informé du contenu du rapport de l'amiral Jokic.

 15   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Comment comprenez-vous le paragraphe

 16   445 du jugement alors, Monsieur Tracol ? Est-ce que le général Strugar

 17   avait compris quels étaient les ordres qui avaient été donnés à l'amiral

 18   Jokic et avait l'intention de l'écarter ? Le général dit qu'il n'aurait

 19   jamais dû essayer d'entreprendre ou, en tout cas, n'aurait jamais dû ouvrir

 20   une enquête ou prendre des mesures disciplinaires. Est-ce que vous pourriez

 21   m'en dire un petit peu davantage car je suis un petit peu mal à l'aise avec

 22   cette idée-là.

 23   M. TRACOL : Monsieur le Juge, même si la mission qui a été confiée par le

 24   général Kadijevic à l'amiral Jokic est simplement de couvrir les événements

 25   qui ont eu lieu, le contenu de cette mission ne permet aucunement au

 26   général Strugar de se dégager de sa propre obligation de punir ses

 27   subordonnés. Tous les éléments de la responsabilité du supérieur

 28   hiérarchique sont réunis dans ce dossier.

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  1   Le général Strugar avait donc une obligation de punir ses subordonnés pour

  2   les crimes qui ont été commis et le fait qu'une enquête ait été diligentée

  3   à un niveau hiérarchique supérieur par le général Kadijevic à l'un de ses

  4   subordonnés, à savoir l'amiral Jokic, ne permet pas au général Strugar de

  5   se dégager de sa propre obligation.

  6   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Est-ce que quelqu'un a été puni compte

  7   tenu des premiers rapports qui ont été rédigés ?

  8   M. TRACOL : Non, Monsieur le Juge. Aucun subordonné du général Jokic n'a

  9   été puni suite à l'enquête, le simulacre d’enquête plutôt, qui a été mené

 10   par l'amiral Jokic. Cela, en soi, est assez parlant pour montrer que

 11   l'obligation de punir n'a pas été respectée.

 12   Seul Jovanovic a été puni, mais il s'agissait simplement d'une punition

 13   temporaire et en rien de cela ne peut qualifier comme satisfaisant de

 14   l'obligation de punir du général Strugar.

 15   Mme LE JUGE VAZ : Nous vous remercions, Monsieur Tracol.

 16   Pour la suite de votre présentation.

 17   M. TRACOL : Madame la Présidente, je passe la parole à ma collègue Me Helen

 18   Brady, à propos du quatrième motif d'appel de la Défense.

 19   Mme LE JUGE VAZ : Madame Brady, vous avez besoin de combien de temps pour

 20   votre présentation ?

 21   Mme BRADY : [interprétation] Madame, Messieurs les Juges, je vais être très

 22   brève en réponse au quatrième motif d'appel de la Défense portant sur la

 23   peine. Deux ou trois minutes au maximum à ce stade de la procédure.

 24   Mme LE JUGE VAZ : Nous vous remercions.

 25   Mme BRADY : [interprétation] Merci. Selon nous, la peine prononcée, la

 26   peine de huit ans, n'est pas excessive contrairement à ce que nous dit la

 27   Défense, et comme nous allons le faire valoir dans notre propre appel

 28   contre la peine prononcée, c'est bien le contraire qui est exact. La peine

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  1   prononcée est une peine qui est totalement inadaptée.

  2   Et la raison pour laquelle je suis en mesure d'être aussi rapide que

  3   je vais l'être pour répondre aux arguments de la Défense au sujet de la

  4   peine, c'est que la plupart des questions qui ont été soulevées par la

  5   Défense à ce sujet correspondent aux questions que nous-mêmes nous abordons

  6   au sujet de la peine. Il s'agit en l'occurrence de la comparaison de M.

  7   Strugar avec le cas Jokic et il s'agit également des soi-disant excuses

  8   formulées par Strugar au moment des faits et au moment du procès.

  9   Etant donné qu'il y a regroupement entre ces arguments, je n'ai pas

 10   l'intention d'y répondre directement. J'en parlerai cet après-midi au

 11   moment où je développerai notre propre argumentation expliquant pourquoi

 12   selon nous la peine prononcée est insuffisante.

 13   Cependant, le conseil de la Défense a également évoqué d'autres

 14   points, d'autres points qui ne figurent pas dans notre dossier d'appel. Il

 15   fait valoir notamment que la Chambre de première instance n'a pas accordé

 16   suffisamment de poids à certains facteurs. Il mentionne la situation

 17   personnelle, la situation de famille de l'accusé, sa personnalité, le fait

 18   qu'il se soit rendu au Tribunal, il parle de son âge, de son état de santé.

 19   Et ce matin, au cours de son intervention, le conseil de la Défense a

 20   insisté sur ces deux points, celui de l'âge et de l'état de santé.

 21   Pour répondre, nous nous appuyons sur notre mémoire en réponse. La

 22   Chambre de première instance a bel et bien pris en compte ces facteurs. Me

 23   Rodic l'a mentionné ce matin, la Chambre de première instance disposait

 24   d'éléments de preuve relatifs à tous les troubles cognitifs ou physiques

 25   dont souffre M. Strugar. Ceci a été mentionné dans le mémoire en clôture de

 26   la Défense en première instance qui est mentionné au paragraphe 467 du

 27   jugement de première instance.

 28   Non seulement la Chambre de première instance disposait de ces

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  1   éléments, mais la Chambre a précisé qu'elle accordait un certain poids à

  2   ces éléments. Je me permettrais de vous renvoyer, je recherche mon

  3   exemplaire en anglais du jugement, donc je vous renvoie au paragraphe 469

  4   de ce jugement de première instance, 469, où la Chambre de première

  5   instance dit : "L'accusé a 71 ans et est en mauvaise santé. En effet, il

  6   souffre de démence vasculaire et de dépression et il a des pertes de

  7   mémoire."

  8   Je pense que ceci nous ramène à la question posée ce matin par M. le

  9   Juge Guney, en réalité, oui, la Chambre de première instance a tenu compte

 10   de certains cas, de certains éléments bien particuliers, de certains

 11   aspects de son état de santé, mais cela ne signifie pas pour autant que la

 12   Chambre de première instance n'ait tenu aucun compte des autres éléments,

 13   des autres manifestations plus physiques de l'état de santé de M. Strugar.

 14   En bref, la Défense n'a pas établi que la Chambre de première instance

 15   n'avait pas tenu compte suffisamment de ces facteurs. J'en ai terminé de

 16   mon intervention au sujet de la peine à ce stade de notre procédure. Et je

 17   vais intervenir de nouveau à ce sujet cet après-midi lorsque je parlerai de

 18   notre appel. Et à ce moment-là, j'interviendrai également sur ce que nous a

 19   dit le conseil de la Défense au sujet de l'état de santé actuelle de M.

 20   Strugar, de la détérioration de cet état de santé depuis le procès. Et je

 21   vais intervenir sur la manière dont vous devriez tenir compte de ces

 22   éléments si vous décidez d'appliquer une nouvelle peine à M. Strugar, de

 23   modifier sa peine.

 24   Voilà. J'en ai terminé de la réponse de l'Accusation à la Défense.

 25   Mme LE JUGE VAZ : Nous vous remercions. Nous allons à présent observer la

 26   pause d'une heure. Nous reprendrons à 14 heures. Merci à tous.

 27   --- L'audience est suspendue à 13 heures 05.

 28   --- L'audience est reprise à 14 heures 04.

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  1   Mme LE JUGE VAZ : L'audience est reprise. Bon après-midi à tous.

  2   A présent, nous allons entendre la réplique de la Défense. Vous avez

  3   une demi-heure.

  4   La Défense a la parole.

  5   M. RODIC : [interprétation] Je vous remercie, Madame la Présidente.

  6   Dans la réponse de l'Accusation à l'appel de la Défense, l'Accusation

  7   maintient avec force que c'est Strugar qui a ordonné l'attaque contre Srdj.

  8   Cette théorie est étayée par les arguments suivants : l'Accusation nous dit

  9   que la Chambre de première instance s'est prononcée sur la base d'éléments

 10   de preuve indiquant que le 23 novembre, à Genève, Kadijevic négociait au

 11   sujet d'un cessez-le-feu; le 5 décembre, Jokic a négocié avec les Croates.

 12   Ce soir-là, Kovacevic serait allé au commandement de Strugar.

 13   En réponse à ces arguments, la Défense peut dire ce qui suit : il s'agit là

 14   d'allégations de portée générale qui sont faites par l'Accusation, en

 15   particulier lorsque l'Accusation nous dit que les conclusions de la Chambre

 16   de première instance sont étayées par les éléments de preuve. La Défense,

 17   quant à elle, a fourni des raisons très détaillées, basées sur les éléments

 18   de preuve qui nous montrent, qui affirment que Strugar a ordonné l'attaque

 19   contre Srdj est dénié de tout fondement. Je ne vais pas répéter ce que nous

 20   avons dit dans nos écritures. Le bureau du Procureur a évoqué les

 21   négociations, mais elle montre exactement le contraire de ce que

 22   l'Accusation veut montrer. Strugar n'a pas ordonné l'attaque contre Srdj le

 23   3 décembre à Belgrade lors d'une réunion avec les dirigeants les plus

 24   importants de l'armée du pays. Il a été mis au courant de l'avancée des

 25   négociations de Genève. En tant qu'officier professionnel et responsable

 26   qui n'a jamais désobéi aux ordres de ses subordonnés, il a respecté l'ordre

 27   qu'il a reçu, il a respecté les instructions qui lui ont été données.

 28   Le 3 décembre, Strugar a assisté à une réunion à Belgrade et il a été

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  1   informé de ces éléments. Jokic tout au long des mois d'octobre, novembre et

  2   décembre a été le négociateur en chef au sein de l'armée de la JNA et il a

  3   été informé qu'il devait procéder à des négociations et signer un cessez-

  4   le-feu conformément à l'accord de Genève du 23 novembre 1991. Cependant,

  5   comme l'a avancé la Défense et comme nous l'avons montré de manière

  6   détaillée, le temps commençait à manquer pour lui et c'est la raison pour

  7   laquelle tout au long du mois de novembre, dans ses rapports de combat au

  8   3e Bataillon, qui était censé prendre Srdj, or, ça n'a pas été le cas.

  9   C'est la raison pour laquelle il est important de s'appuyer sur les

 10   arguments qui sont présentés par la Défense dans son mémoire d'appel. Il

 11   est important d'établir si Jokic était présent à Kupari le 5 décembre. Il

 12   est important de déterminer s'il a participé à la planification et à

 13   l'ordre donné de mener à bien cette attaque. Il ne faut pas que cette

 14   question reste sans réponse. C'est une question substantielle, d'une

 15   importance substantielle pour toute conclusion qui serait rendue en

 16   l'espèce.

 17   L'Accusation nous dit que le 5 décembre Kovacevic était à Trebinje.

 18   Au paragraphe 340 du jugement, la Chambre de première instance a parlé d'un

 19   soi-disant accord. Strugar aurait participé, Kovacevic serait allé à

 20   Trebinje, mais la Chambre de première instance a rejeté cet élément, parce

 21   que rien ne le sous-tend et ne permet de le corroborer. Tout ceci repose et

 22   découle de la déposition de Jokic aux pages 3 891 et 3 892 du compte rendu

 23   d'audience, c'est ce que Jokic explique. Il explique que la brigade

 24   d'origine, la 472e, de laquelle relevait le capitaine Kovacevic, était

 25   cantonnée à Trebinje, son commandement se trouvait à Trebinje et ceci aussi

 26   bien pendant la guerre qu'avant la guerre. Il ajoutait qu'il allait

 27   fréquemment à Trebinje, ceci pour rester en contact avec sa brigade

 28   d'origine. On ne peut donc pas se servir de cet élément pour faire des

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  1   insinuations au sujet des contacts avec Strugar au sujet de l'attaque du 5

  2   décembre.

  3   Comme je l'ai déjà indiqué, ceci est ressorti de la déposition de

  4   Jokic. Mais Jokic a également ajouté que ce sont deux officiers qu'il n'a

  5   pas nommés et qui en ont informé des officiers qui avaient précédemment

  6   travaillé au sein du groupe opérationnel. Kovacevic lui-même en 2001 en a

  7   parlé juste avant de prendre le chemin de La Haye. Ceci en dit long sur la

  8   crédibilité de sa déposition. Et en quoi cela peut lui importer de toute

  9   manière, il essaie d'éloigner de lui-même tout soupçon de sa participation

 10   à des agissements illicites.

 11   Enfin, je voudrais vous rappeler que dans ses arguments,

 12   l'Accusation, lorsqu'elle a analysé les éléments du dossier, et je parle là

 13   du réquisitoire et du mémoire en clôture en première instance, l'Accusation

 14   n'a pas adopté la théorie selon laquelle Strugar aurait ordonné l'attaque

 15   contre Srdj ou que ceci reposait sur l'aveu qu'il aurait fait à Doyle au

 16   sujet de l'attaque contre Dubrovnik.

 17   L'Accusation essaie d'étayer cette théorie dans sa réponse en

 18   s'appuyant sur la promotion obtenue par le capitaine Kovacevic. On fait le

 19   lien entre lui-même et le général Strugar. On essaie de nous faire croire

 20   que c'est la raison pour laquelle il a ordonné l'attaque contre Srdj, parce

 21   qu'il voulait essayer de couvrir Kovacevic et ses agissements alors qu'il

 22   savait en octobre et novembre 1991 que Kovacevic avait participé à des

 23   incidents qui avaient entraîné le pilonnage de la vieille ville. On nous

 24   affirme que Strugar n'a pas empêché Kovacevic de bénéficier d'une

 25   promotion.

 26   Dans notre mémoire d'appel, nous abordons de manière détaillée

 27   l'ensemble de ces faits. Nous renvoyons également à des éléments du

 28   dossier, à des faits qui confirment au-delà de tout doute raisonnable que

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  1   le 3e Bataillon de la 472e Brigade, sous le commandement de Kovacevic, en

  2   octobre, n'a participé à aucune activité de combat au moment du pilonnage

  3   de la vieille ville.

  4   De plus, si l'on se penche sur les ordres de combat qui ont été émis

  5   entre le 9 et le 13 novembre 1991 par l'amiral Jokic, on constate que le 3e

  6   Bataillon de la 472e Brigade et Kovacevic s'étaient vu confier la mission

  7   suivante : on leur avait confié un axe et ils devaient utiliser leurs

  8   unités d'infanterie pour s'emparer de cet axe. Mais si on examine ces

  9   ordres en particulier, on constate qu'il n'y a pas eu d'intervention de

 10   l'artillerie du 3e Bataillon, mais que leur mission était tout à fait

 11   précise et limitée dans le temps et géographiquement. Il s'agissait pour

 12   eux de fournir un appui à d'autres unités d'artillerie du 9e Secteur naval

 13   de Jokic.

 14   Je le répète, il s'agissait d'ordres de combat délivrés entre le 9 et

 15   le 13 novembre. Il s'agissait de prendre la hauteur de Srdj.

 16   Il faut également se souvenir des propos de l'amiral Jokic lorsqu'il

 17   a déposé au sujet de l'enquête qu'il aurait menée en novembre au sujet de

 18   ceux qui avaient participé au pilonnage de Srdj. Il a affirmé qu'à l'époque

 19   il avait établi que c'était peut-être le capitaine Kovacevic et ensuite il

 20   en a informé le 2e Groupe opérationnel, il a demandé à ce que Kovacevic

 21   soit mis à pied. Cependant, il existe des éléments qui infirment ces

 22   affirmations sans oublier tout ce dont a parlé à ce sujet la Défense. Il

 23   s'agit, par exemple, de la pièce D100. On voit que le capitaine de frégate

 24   Zec, qui est le chef de l'état-major du 9e Secteur naval, le 26 novembre

 25   1991, le capitaine Zec fait une proposition au sujet des membres du 3e

 26   Bataillon de la 472e Brigade. Il s'agit de les encourager et, pour ce

 27   faire, beaucoup d'entre eux ont été proposés pour bénéficier de

 28   décorations, de promotions, et cetera. C'est une proposition qu'il soumet

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  1   au chef du 9e Secteur naval.

  2   Voilà une pièce à conviction qui infirme indéniablement tout ce qui a

  3   été affirmé par Jokic au sujet d'une enquête qu'il aurait soi-disant menée

  4   en novembre 1991. Ceci nous montre que personne dans un autre groupe

  5   opérationnel n'aurait pu être informé des actions entreprises soi-disant

  6   par Kovacevic.

  7   En ce qui concerne la procédure de promotion qui est en vigueur dans

  8   l'armée et vu la réalité qui était celle de la JNA à l'époque, il y a

  9   quelque chose qu'il convient de mettre en exergue. Aucune enquête n'a été

 10   menée, aucune insinuation n'a été faite au sujet de Kovacevic s'agissant du

 11   pilonnage de la vieille ville à l'époque. On a donc proposé qu'il bénéficie

 12   d'une promotion, ça c'était au mois de novembre. Etant donné la procédure

 13   en vigueur au sein de la JNA, il faut savoir qu'il y a toute une procédure

 14   qu'il faut suivre et le commandant suprême de la JNA, Kadijevic, a signé,

 15   le 14 décembre, la promotion de Kovacevic qui devait porter la date du 14

 16   novembre. Donc une date antérieure parce que c'était à ce moment-là qu'il

 17   avait fait preuve de sa valeur. Et la promotion devait prendre effet au 11

 18   novembre parce qu'il s'était distingué au cours de l'action menée à Srdj

 19   après avoir obéi aux ordres de Jokic.

 20   Autre élément important, le 14 décembre, au moment où il a bénéficié de

 21   cette promotion exceptionnellement rapide, au moment où cette promotion a

 22   été signée, Kadijevic avait déjà reçu des rapports qui lui avaient été

 23   communiqués par Jokic conformément à son propre ordre, ordre donné aux fins

 24   de mener une enquête au sujet du pilonnage de la vieille ville, le 6

 25   décembre.

 26   Qu'est-ce qu'elle est la signification de tout ceci ? A ce moment-là,

 27   Kadijevic a reçu le rapport de Jokic au sujet de l'enquête sur le 6

 28   décembre, qu'est-ce qui s'est passé exactement. Donc voilà des rapports qui

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  1   ont été envoyés par Jokic à Kadijevic. Jokic, au moyen de ces rapports,

  2   indique que Kovacevic a lancé l'attaque de son plein gré, de son propre

  3   chef, parce qu'il avait enregistré des pertes extrêmement lourdes à cause

  4   des tirs ennemis qui venaient de Srdj et il était donc pris sous les feux.

  5   Si je reviens maintenant à ce qu'affirme le bureau du Procureur au sujet de

  6   l'ordre de Kadijevic adressé à Jokic pour que celui-ci mène une enquête, et

  7   quand on nous dit que ceci n'aurait nullement empêché à Strugar de mener sa

  8   propre enquête pour punir ses subordonnés, à ce sujet, nous souhaitons dire

  9   la chose suivante : dans sa réponse, le bureau du Procureur n'avance aucun

 10   argument à l'appui de sa thèse si bien que, selon la Défense, ces

 11   allégations sont de simples allégations de portée générale. Ceci d'autant

 12   plus que nous savons que dans le premier rapport, et là on est en train de

 13   parler des informations dont disposait Kadijevic ou qui que ce soit d'autre

 14   ayant pu lire ce rapport, dans ce premier rapport, Jokic fait semblant,

 15   tout simplement, de prendre des mesures. Dès le 7 décembre, il envoie un

 16   rapport à Kadijevic où il dit que l'attaque a été menée par Kovacevic de

 17   son propre chef parce qu'il était pris sous le feu de l'ennemi. Il

 18   s'agissait d'une situation insupportable pour lui et il a été obligé de

 19   prendre des mesures. 

 20   Le 7 décembre, il envoie un rapport à Kadijevic, qui est le

 21   commandant Suprême, et dans ce rapport il lui dit qu'il a remplacé le

 22   capitaine Jovanovic, qui était le commandant du 3e Bataillon de la 5e

 23   Brigade. La Chambre de première instance a conclu que cet homme n'aurait pu

 24   participer au pilonnage de la vieille ville le 6 décembre.

 25   Dans la réponse de l'Accusation au sujet du manque de diligence dont a fait

 26   preuve Strugar pour mettre un terme à l'attaque après l'appel téléphonique

 27   qu'il a reçu le matin du 6 décembre, appel du général Kadijevic,

 28   l'Accusation fait là une insertion qui ne correspond pas à la réalité

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  1   militaire. Strugar a appelé Jokic, lui a ordonné de mettre un terme à

  2   l'attaque. D'autre part, il a donné son accord aux mesures dont Jokic l'a

  3   informé, il lui a dit qu'il envoyait quelqu'un qui venait de l'état-major,

  4   un colonel de l'état-major, il l'envoyait à Zarkovica pour mettre un terme

  5   à l'attaque, et cetera, et cetera. 

  6   Si bien que Strugar, en tant que supérieur, a pris des mesures

  7   raisonnables et suffisantes dès qu'il a été informé de la situation, et

  8   ceci, afin d'empêcher l'attaque et d'y mettre un terme. Il est intervenu

  9   auprès de ses officiers subordonnés, un commandant de corps, un chef de

 10   corps qui a le grade de général, il l'informe des ordres, il est d'accord

 11   avec les mesures que va prendre son subordonné et cela suffit. Donc Strugar

 12   à toutes raisons de croire ce que lui affirme son subordonné, cet officier

 13   qui lui est subordonné.

 14   Une fois encore, il faut que je revienne en arrière et que j'évoque la

 15   réunion de Kupari avec Jokic, le 5 décembre. Pourquoi ? Parce que cette

 16   réunion a été mentionnée à de nombreuses reprises. Il convient que j'attire

 17   l'attention de la Chambre d'appel sur le fait que le lieutenant-colonel

 18   Jovanovic n'avait aucun intérêt personnel ou autre à établir la présence ou

 19   l'absence de Jokic à cette réunion de Kupari qui a eu lieu le 5 décembre.

 20   L'amiral Jokic lui-même, lorsqu'il a déposé devant la Chambre de première

 21   instance, a déclaré qu'il avait lui-même dirigé cette réunion de Kupari ce

 22   5 décembre 1991.

 23   De plus, au cours de sa déposition, Jokic a déclaré qu'il avait

 24   informé ses supérieurs au sujet des négociations au téléphone, négociations

 25   avec la partie adverse. Et il a également informé les officiers de son

 26   état-major de l'existence de ce cessez-le-feu qui avait été conclu.

 27   Ce qui signifie que Jokic lui-même, au cours de sa déposition,

 28   reconnaît qu'il se trouvait à Kupari, que c'est lui qui a mené les

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  1   négociations. Il a assisté à la réunion, et si l'on fait le rapprochement

  2   avec la déposition de Jovanovic et ses rapports qui datent de 1991, on ne

  3   peut pas laisser en suspens la question de la présence de Jokic à Kupari.

  4   Pour répondre aux arguments de l'Accusation au sujet du statut de

  5   Mato Valjalo, je vais me répéter, il avait certaines fonctions au sein de

  6   la cellule de Crise de Dubrovnik, et ces fonctions peuvent également être

  7   analysées à la lumière de la loi sur la défense de la République de

  8   Croatie, parce qu'en temps de guerre une cellule de Crise a une fonction

  9   militaire, elle a pour mission de participer à la défense du pays; ceci est

 10   prévu par la législation nationale. A l'époque donc, Valjalo était

 11   mobilisé, c'était un conscrit. Et conformément à la mobilisation, il s'est

 12   vu affecter à un certain nombre de fonctions au sein de la cellule de

 13   Crise. Ce sont ses fonctions qu'il exécutait. Il est indéniable qu'après

 14   qu'il a été blessé ceci a été reconnu par les autorités compétentes en

 15   Croatie, puisqu'elles ont établi qu'il avait le statut d'invalide militaire

 16   de guerre, et nous avons déjà montré qu'il existe une autre catégorie, la

 17   catégorie de l'invalide de guerre civile. C'est un statut qui est accordé à

 18   des civils blessés pendant la guerre.

 19   S'agissant maintenant de la réponse faite par l'Accusation à un appel

 20   interjeté par la Défense et à ce qui porte plus particulièrement sur la

 21   peine, l'Accusation n'a tout simplement pas répondu aux arguments avancés

 22   par la Défense, à savoir que dans le jugement de la Chambre de première

 23   instance deux maladies seulement de notre client sont mentionnées. La

 24   Défense affirme qu'à l'époque la Chambre de première instance disposait de

 25   rapports qui faisaient état d'autres troubles, de cinq ou six problèmes de

 26   santé qui, pris globalement, nous dressent un tableau beaucoup plus grave

 27   de l'état de santé de l'accusé que celui qui n'a été reconnu par la Chambre

 28   de première instance; perte de mémoire, démence vasculaire ou dépression.

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  1   Alors, il y a d'autres éléments qui n'ont pas été pris en compte par la

  2   Chambre de première instance, d'autres affections qui n'ont pas été prises

  3   en compte. Au cours de la même période, la Défense a constamment informé la

  4   Chambre de première instance de la détérioration de l'état de santé de

  5   notre client, et ceci apparaît clairement dans certains rapports médicaux

  6   fournis sur ce point. Et de la même façon, nous avons informé la Chambre

  7   d'appel de la détérioration de l'état de santé de M. Strugar après le

  8   jugement de 2005.

  9   Selon nous, tout ceci constitue une circonstance atténuante

 10   particulière à laquelle il convient d'accorder le poids qui convient au

 11   moment de déterminer la peine.

 12   Et justement, c'est --

 13   Mme LE JUGE VAZ : -- il vous reste quatre minutes.

 14   M. RODIC : [interprétation] J'en aurai terminé dans 30 secondes,

 15   Madame la Présidente.

 16   Permettez-moi de rappeler, en matière de la fixation de la peine et de

 17   l'attitude désormais adoptée par le bureau du Procureur, ceci. En 2006,

 18   l'Accusation a retiré son propre appel, précisément pour des raisons

 19   humanitaires, comme le disait le mémoire. En raison de l'âge de M. Strugar

 20   et de son état de santé déplorable, ceci avait été retiré. Je vous

 21   remercie.

 22   Mme LE JUGE VAZ : M. le Juge Shahabuddeen voudrait poser une question.

 23   M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : [interprétation] Maître Rodic, je vais parler en

 24   mon nom personnel. En fin de procédure, je me demande si j'ai compris les

 25   lignes directrices des arguments qui nous sont soumis, et j'avoue qu'ici

 26   votre argument me plaît. Voici comment je le comprends, cet argumentaire.

 27   Effectivement, un commandant a une responsabilité, il a la responsabilité

 28   d'imposer des mesures disciplinaires à un subordonné. Cependant, en raison

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  1   de l'unicité du commandement, en raison de ce principe, c'est une

  2   responsabilité qui est, pour ainsi dire, neutralisée ou supplantée par

  3   toute autre action idoine prise à un niveau supérieur de la voie

  4   hiérarchique. Mais est-ce qu'il y a peut-être une exception si le

  5   commandant est conscient du fait que la mesure apparemment décidée à un

  6   échelon supérieur de la voie hiérarchique est en fait une imposture ou un

  7   semblant de mesure ? Est-ce que ça veut dire qu'il n'y a pas neutralisation

  8   ? 

  9   Ce que je voulais susciter comme réflexion chez vous se situe à une

 10   phrase que l'on trouve au paragraphe 439 du jugement. Je vous la lis :

 11   "Les éléments de preuve ont convaincu la Chambre que l'accusé était, ne

 12   serait-ce qu'en donnant son consentement tacite, un participant à

 13   l'arrangement par lequel l'amiral Jokic a ouvert un simulacre d'enquête et

 14   pris un simulacre de mesure disciplinaire."

 15   Pour ce qui est de cette partie des moyens présentés, tout pivote autour de

 16   la véracité de cette déclaration : est-ce que l'enquête décidée à un

 17   échelon supérieur était un simulacre d'enquête ? Est-ce que l'accusé le

 18   savait que c'était un simulacre ? Et si cela était, est-ce que ceci

 19   neutraliserait sa responsabilité de discipliner un subordonné ?

 20   M. RODIC : [interprétation] Madame la Présidente, Messieurs les Juges, pour

 21   ce qui est du paragraphe 439 du jugement auquel va m'avez renvoyé, on voit

 22   qu'il s'agit d'une constatation de la Chambre de première instance.

 23   Cependant, de l'avis de la Défense, ce qui est essentiel c'est que lorsque

 24   la Chambre dit que partant des éléments de preuve, elle est convaincue que

 25   l'accusé, ne serait-ce qu'à cause d'un consentement tacite, avait participé

 26   à l'arrangement par lequel l'amiral Jokic avait ouvert un simulacre

 27   d'enquête et pris ainsi un simulacre de mesure disciplinaire avant de

 28   soumettre ceci au 1er secrétariat pour essayer de se débarrasser de la

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  1   responsabilité pour avoir endommager la vieille ville, tout ceci se repose

  2   en fait sur des conjonctures, même si on parle ici d'"éléments de preuve."

  3   Mais une chose est intéressante : dans la note de bas de page, on ne

  4   trouve rien qui vienne corroborer cette constatation de la Chambre.

  5   De surcroît, une question se pose. Nous comprenons cet article :

  6   Kadijevic donne l'ordre à Jokic de mener une enquête, de lui rapporter les

  7   résultats sans l'intervention de personne. Au contre-interrogatoire, on a

  8   posé cette question aussi à l'amiral Jokic. On lui a posé la question que

  9   je vous soumettrai à l'instant sous forme d'hypothèse. On lui a demandé

 10   s'il avait envoyé copie des rapports de son enquête à Strugar. Il a répondu

 11   que non. Il a dit que tout avait été envoyé directement à Belgrade. Il n'y

 12   a aucun élément de preuve qui montrerait qu'une fois tous les rapports

 13   reçus, une fois tous les enregistrements vidéo des dégâts occasionnés à la

 14   vieille ville reçus - je parle des dégâts occasionnés le 6 décembre - rien

 15   ne montre que Kadijevic aurait communiqué la moindre information à Strugar

 16   s'agissant de savoir qui était responsable de l'attaque, qui avait tiré sur

 17   la vieille ville, quels étaient les dégâts provoqués, quelle était

 18   l'ampleur des dégâts, quelles étaient les mesures proposées au secrétaire

 19   fédéral. Ni Jokic ni Kadijevic n'ont partagé ces informations avec Strugar.

 20   Si quelque part, de façon indirecte, Strugar avait été informé, il se

 21   peut qu'à ce moment-là cela aurait pu constituer un motif, une raison le

 22   poussant à informer le secrétaire fédéral, une raison de plus à soulever la

 23   question, à poser des questions éventuellement à propos des résultats de

 24   l'enquête, mais Strugar n'a reçu aucune information.

 25   Mme LE JUGE VAZ : [hors micro]

 26   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci, Madame la Présidente. Je voulais

 27   poser exactement la même question que celle posée par mon éminent collègue,

 28   M. le Juge Shahabuddeen. Mais une question de suivi. Donc vous êtes

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  1   d'accord sur le principe en droit, lorsqu'un supérieur hiérarchique ordonne

  2   une enquête et si c'est un simulacre d'enquête, à ce moment-là, est-ce que

  3   le commandant n'a pas l'obligation encore et malgré tout de punir en droit.

  4   M. RODIC : [interprétation] Monsieur le Juge, est-ce que vous pourriez être

  5   un peu plus précis ? Je ne veux pas mal vous comprendre. Quand vous parlez

  6   de commandant, vous parlez de quel commandant dans cet exemple ? Est-ce que

  7   vous parler de la relation Kadijevic-Jokic ou Strugar-Jokic ?

  8   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Supposons que M. Strugar avait

  9   connaissance du fait que le général Kadijevic avait donné l'ordre à Jokic

 10   de mener une enquête suite aux crimes, mais s'il savait que cette enquête

 11   était un simulacre d'enquête, est-ce que Strugar n'avait pas encore cette

 12   obligation ? Est-ce que cette obligation ne se maintenait pas ? Si je vous

 13   pose la question, c'est sans doute parce que je crois avoir compris que

 14   vous êtes d'accord avec l'idée que l'ordre de commettre un crime peut faire

 15   l'objet d'une désobéissance. S'il y a un ordre qui permet qu'un crime soit

 16   commis et il reste impuni, on est d'accord pour dire qu'on peut désobéir à

 17   un tel ordre, n'est-ce pas ?

 18   M. RODIC : [interprétation] Monsieur le Juge, je comprends la logique qui

 19   sous-tend votre question, mais il m'est impossible de marquer mon accord à

 20   cause précisément de la réalité de la doctrine militaire de la JNA, à cause

 21   de la façon dont fonctionnait cette armée, dont elle a fonctionné pendant

 22   50 ou 60 ans dans le passé.

 23   Difficile de supposer que lorsque Strugar et Jokic viennent faire

 24   rapport, lorsque Strugar entend puisqu'il est là, que Kadijevic, comme l'a

 25   écrit Jokic, était furieux, qu'il donne l'ordre à Jokic de mener une

 26   enquête, exige que ce soit fait, que ces mesures soient prises, comment

 27   pourrait-il croire qu'il s'agit d'un simulacre d'ordre donné par le chef

 28   suprême, donné à un officier supérieur, en occurrence l'amiral Jokic ? Est-

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  1   ce qu'il va dire, c'est un simulacre d'ordre, on prétend qu'il faut faire

  2   une enquête, mais ce n'est pas vrai ? Non. Comment le général pourrait-il

  3   penser qu'ici on essaie de dissimuler un crime ?

  4   Etant donné que cette enquête n'était pas de la compétence de

  5   Strugar, si le général Strugar devait une fois de plus avoir une

  6   responsabilité de Jokic et de son enquête, c'est seulement à ce moment-là

  7   qu'on pourrait dire que Strugar endosse une responsabilité pour les

  8   rapports envoyés par Jokic. Est-ce qu'il a effectivement été suffisamment

  9   consciencieux, est-ce qu'il a vérifié les faits contenus dans ces rapports,

 10   est-ce qu'il a vérifié ces rapports ? Oui, ces questions pourraient lui

 11   être posées.

 12   Je vous réponds donc qu'il n'est responsable que si le commandant

 13   suprême lui avait restitué cette autorité, l'autorité d'exécuter cette

 14   tâche.

 15   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Je vous remercie.

 16   M. RODIC : [interprétation] Excusez-moi. Quelques mots, si vous me le

 17   permettez, à la réponse que j'ai déjà donnée. Ceci est contraire à ce qu'a

 18   dit l'Accusation.

 19   Mais voyons la logique de toutes ces questions. Des obus tombent sur

 20   la vieille ville le 6 décembre, des obus tirés par des soldats qui tiennent

 21   des pièces d'artillerie. En fonction de leur composition, ils ont comme

 22   chefs des chefs de section qui ont pour chefs des chefs de compagnie, puis

 23   eux ont des chefs de bataillon, puis il y a le commandant du 9e Secteur

 24   naval, puis il y a le chef du 2e GO, et au-dessus de tous ces hommes, il y

 25   a le général Kadijevic.

 26   Si vous suivez cette voie hiérarchique, où s'arrête la

 27   responsabilité, qui a la responsabilité de prendre des mesures pour

 28   empêcher et punir, compte tenu des faits précis ici, lorsque le chef

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  1   suprême confie directement à un officier supérieur la charge de mener une

  2   enquête et de lui en faire rapport.

  3   Je vous remercie.

  4   Mme LE JUGE VAZ : Monsieur le Juge Meron, s'il vous plaît.

  5   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Merci, Madame la Présidente.

  6   Nous procédons à l'examen d'une question déjà posée par les Juges

  7   Shahabuddeen et Kwon. Ces questions sont, bien sûr, importantes au regard

  8   des explications que va nous donner l'Accusation.

  9   Le Juge Shahabuddeen, en particulier, a fait référence à l'idée que toute

 10   cette entreprise d'enquête était un simulacre. Le Juge Kwon a posé une

 11   question de suivi et j'aurais voulu avoir des arguments supplémentaires en

 12   parlant de la qualité de cet arrangement qu'on qualifie de simulacre. C'est

 13   important, on ne peut pas simplement faire des suppositions, on voudrait

 14   avoir quelque chose de plus solide. Mais avant de vous redonner la parole,

 15   je voudrais, pour moi-même, résumer la situation telle que je la vois.

 16   On bombardait Dubrovnik, c'était le fait d'une unité appelée le 9e VPS.

 17   Jokic commandait cette unité. C'est Jokic qui a été chargé de mener une

 18   enquête et d'en faire rapport. Il a fait une chose notamment, qui est loin

 19   d'être légère, il a effectivement destitué le colonel Jovanovic de son

 20   commandement temporaire.

 21   Jokic fait rapport à Kadijevic. La question se pose ici de savoir qui

 22   était le commandant, qui en droit, légalement, avait l'obligation de mener

 23   une enquête et de punir, et ainsi de suite.Le commandant supérieur direct,

 24   c'était Jokic. Ce n'était pas Strugar parce que lui, il était éloigné.

 25   Strugar, c'était le commandant d'un commandant. J'aimerais qu'on m'explique

 26   pourquoi Strugar se voit toujours endosser la responsabilité classique d'un

 27   commandant puisque l'unité était commandée par Jokic et que Jokic était

 28   aussi l'homme qui devait enquêter et punir, c'était lui qui avait cette

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  1   autorité.

  2   Paragraphe 444. Le jugement nous dit que : "Les éléments de preuve

  3   établissent que l'accusé, à tous les moments pertinents, avait l'autorité,

  4   le pouvoir de jure et les moyens d'intervenir lui-même pour ouvrir une

  5   enquête ou prendre des mesures disciplinaires ou autres à l'encontre des

  6   officiers du 9e VPS."

  7   Ici, il n'y a pas de note de bas de page. J'aimerais savoir quels

  8   sont les éléments de preuve sur lesquels s'appuie cette déclaration de la

  9   Chambre. Je vous remercie.

 10   M. RODIC : [interprétation] Le 2e Groupe opérationnel qui avait à sa tête

 11   le général Strugar, c'était une unité militaire temporaire qui avait été

 12   établie de façon ponctuelle, ad hoc, composée de plusieurs unités de

 13   plusieurs corps. Le 9e Secteur militaire naval, lui il était exclu de la

 14   région militaire qui était appelée la Région navale militaire, toute la

 15   marine. Le corps de l'amiral Jokic était en dehors, exclu de ces

 16   structures.

 17   Ce corps était placé sous le commandement du 2e Groupe opérationnel,

 18   ce fait demeure. Il y avait aussi le Corps d'Uzice ainsi que d'autres

 19   formations qui ont été modifiées dans l'intervalle.

 20   Cette phrase que vous avez lue, phrase du paragraphe 444, elle représente

 21   ce qui serait le déroulement normal des choses, un état de choses qui est

 22   conforme à la réglementation militaire, à savoir qu'au sein du 2e GO au

 23   niveau de l'armée, vous avez le 9e VPS commandé par l'amiral Jovic; vous

 24   avez aussi une brigade commandée par quelqu'un d'autre; et vous avez encore

 25   un autre corps d'armée qui a son propre chef. Là aussi, c'est un officier

 26   supérieur qui dirige ce corps d'armée.

 27   Ce sont les commandants subordonnés à Strugar. Ils lui font régulièrement

 28   rapport de ce qui se passe dans leurs unités respectives. Ils proposent des

Page 162

  1   solutions pour les problèmes se présentant sur le terrain dans leurs zones

  2   de responsabilité, sur le plan militaire et sur le plan territorial. On

  3   discute de ces propositions à l'état-major du 2e GO, propositions qui sont

  4   soit acceptées, soit rejetées, modifiées. Après quoi, certains ordres sont

  5   adoptés et transmis aux commandements subordonnés du corps d'armée dont le

  6   9e VPS et l'amiral Jokic.

  7   Sous cet angle, lorsque la Chambre dit que l'accusé avait le pouvoir de

  8   jure d'agir ou de commander ses subordonnés pour ouvrir une enquête ou

  9   prendre des mesures disciplinaires ou autres à l'encontre des officiers du

 10   9e VPS, celle-ci postule qu'il y a déjà une procédure d'enquête

 11   disciplinaire que peut ordonner le général Strugar à l'égard de ses

 12   subordonnés. Mais qu'avons-nous ici, nous avons ici une situation

 13   exceptionnelle, ce n'est pas une situation ordinaire, habituelle.

 14   Partant de lois, de réglementations, ici vous avez une situation

 15   exceptionnelle puisque vous avez le ministre suprême de l'armée qui donne

 16   un ordre à deux, voire trois échelons plus bas lorsqu'il demande

 17   directement à Jokic de faire quelque chose, parce que ce ministre suprême

 18   sait que Strugar commande une formation temporaire constituée de façon ad

 19   hoc pour un but précis, bien particulier, celui qui était de l'ex-

 20   Yougoslavie, vous avez ce secteur naval, a l'autorité et avait l'autorité

 21   de Dubrovnik depuis 50 ans déjà. Jokic a été pendant dix ans commandant de

 22   ce secteur naval. Il connaissait parfaitement la région. Il connaissait

 23   chaque pouce du terrain. Il était donc logique, comme le dit la Chambre de

 24   première instance, que Kadijevic donne l'ordre à Jokic de mener l'enquête

 25   puisque Jokic c'est l'homme qui est à même de le faire de la façon la plus

 26   rapide, efficace et optimale. Nous avons donc affaire à une situation

 27   exceptionnelle.

 28   Permettez-moi d'ajouter quelque chose. Excusez-moi, Madame la

Page 163

  1   Présidente.

  2   Mme LE JUGE VAZ : Brièvement, s'il vous plaît, parce que nous avons

  3   largement dépassé le temps imparti.

  4   M. RODIC : [interprétation] Oui, je termine. La question de M. le Juge

  5   était de savoir qui était l'officier qui avait le pouvoir de punir ? Jokic,

  6   d'après cet ordre, pouvait le faire. Kadijevic, en fonction de ces

  7   rapports, pouvait donner des instructions à Jokic sur les mesures à prendre

  8   et Kadijevic aurait pu le faire seul vu les rapports qu'il avait reçus.

  9   Mme LE JUGE VAZ : Nous allons à présent donner la parole au Procureur pour

 10   la présentation de son appel. Apparemment, nous devrions observer une pause

 11   d'ici 15 heures 45.

 12   Vous -- enfin, de toute manière, vous avez en principe 45 minutes. Si

 13   vous pouvez terminer plus tôt, ça nous permettrait peut-être de rattraper

 14   le retard prévu sur le calendrier.

 15   Il vous faut à peu près combien de temps, Madame Brady ?

 16   Mme BRADY : [interprétation] Madame la Présidente, pour ce qui est de la

 17   totalité de l'appel que nous interjetons, il nous faudrait une heure et dix

 18   minutes. Nous avons d'après l'ordonnance portant calendrier une heure et

 19   demie. Nous n'en aurons pas besoin à notre avis, mais je vais bien sûr

 20   étoffer notre propos et répondre plus amplement aux questions posées ce

 21   matin et cet après-midi, notamment les questions posées par les Juges Meron

 22   et Shahabuddeen. Je pense que nous pourrons terminer tout ceci en l'espace

 23   d'une heure 10, une heure 15.

 24   Mme LE JUGE VAZ : Peut-être que n'avons pas très bien compris. En fait,

 25   nous devons observer une pause. Vous avez droit à une heure et demie, mais

 26   il y a une pause entre les deux. C'est pour cette raison que je vous pose

 27   la question. Peut-être que --

 28   Mme BRADY : [interprétation] Oui, excusez-moi. Merci, Madame la

Page 164

  1   Présidente.

  2   Voici ce que j'ai l'intention de faire. Je vais d'abord apporter

  3   quelques précisions sur les questions auxquelles M. Tracol a répondu ce

  4   matin, aussi faire quelques commentaires sur les questions posées par MM.

  5   les Juges, notamment M. le Juge Meron cet après-midi.

  6   Après quoi nous passerons au premier motif d'appel. Je pense que tout

  7   ceci peut se faire en 45 minutes, après quoi je parlerai de l'appel sur la

  8   peine dans le temps qui nous reste et ça ne devrait pas prendre plus de 20

  9   minutes.

 10   Je vous le disais, Madame et Messieurs les Juges, je voulais apporter

 11   quelques précisions sur certaines des questions abordées ce matin par M.

 12   Tracol, questions qui ont resurgi lorsque M. le Juge Shahabuddeen a posé

 13   cette question cet après-midi à la Défense.

 14   Je ne vais pas re-citer votre question, plutôt la paraphraser, si

 15   vous me le permettez, Monsieur le Juge Shahabuddeen. 

 16   La question était celle-ci : si l'ordre venant de Kadijevic, d'un échelon

 17   supérieur, était un ordre qui cherchait à dissimuler les événements qui

 18   s'étaient véritablement produits ce jour-là, qu'on qualifie ceci de

 19   simulacre ou que ce soit un ordre destiné à présenter un certain versant de

 20   ces événements, la question était de savoir si ceci va pousser des

 21   subordonnés dans la voie hiérarchique qui aussi, eux-mêmes, avaient

 22   l'obligation d'enquêter, est-ce que ceci les exonère, les dispense de leurs

 23   responsabilités ?

 24   Nous disons clairement non. Ceci ne va pas les dispenser de leurs

 25   responsabilités. Le Juge Shahabuddeen a cité le paragraphe 439 du jugement.

 26   Outre celui-ci, je me permettrai de vous mentionner le paragraphe 442.

 27   La Chambre répète qu'elle n'est pas convaincue que le général Strugar

 28   était exclu, et elle dit ceci, fin de paragraphe 442 : "La Chambre estime,

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  1   au contraire, qu'il était à tout le moins disposé à accepter une situation

  2   dans laquelle il ne serait pas directement impliqué, confiant de fait à son

  3   subordonné immédiat le soin d'ouvrir une enquête et de prendre des mesures

  4   et les décisions d'ordre disciplinaire, le subordonné immédiat étant

  5   l'amiral Jokic." Ceci est maintenant encore important : "L'accusé savait

  6   que le rôle de l'amiral était d'aplanir au mieux les difficultés liées aux

  7   événements du 6 décembre 1991, de le faire au mieux auprès des Croates et

  8   de la MOCE et permettait à la JNA de prétendre qu'elle avait pris les

  9   mesures nécessaires."

 10   Pour le dire autrement, je renvois à d'autres parties du jugement le

 11   paragraphe 435. Au fond, la JNA essayait de limiter les dégâts, pour le

 12   dire simplement. Strugar savait que c'était un effort destiné à limiter les

 13   dégâts, à faire un exercice de relations publiques, de communication,

 14   dirait-on aujourd'hui.

 15   Mme LE JUGE VAZ : Oui, vous avez un problème, Monsieur Rodic ?

 16   M. RODIC : [interprétation] Madame la Présidente, permettez-moi de dire une

 17   chose. Je ne sais pas si c'est à cause de ce que semble dire l'Accusation

 18   maintenant, mais est-ce qu'on est en train d'entendre un nouveau motif

 19   d'appel et de réplique ? Parce que je pense que maintenant l'Accusation

 20   réplique à notre réponse. Je ne sais pas quelle est la procédure que la

 21   Chambre suit. Je me disais qu'il n'y aurait pas de réplique à notre

 22   réplique, parce maintenant est-ce que moi, j'aurai l'opportunité de réagir,

 23   de rebondir sur ce que dit maintenant l'Accusation ?

 24   [La Chambre d'appel se concerte]

 25   Mme LE JUGE VAZ : Monsieur Rodic, nous, les Juges se sont consultés. Des

 26   questions ont été posées par les Juges eux-mêmes. Par conséquent, il est

 27   normal que Mme Brady puisse y répondre. Ce que nous allons lui demander,

 28   c'est d'être brève, de répondre très rapidement aux questions des Juges et

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  1   d'aborder donc l'appel du Procureur. Par la suite, si vous avez quelque

  2   chose à ajouter, mais il faudra vraiment être très, très bref parce que

  3   nous avons déjà passé beaucoup de temps sur ces questions.

  4   Madame Brady, s'il vous plaît.

  5   Mme BRADY : [interprétation] Merci, Madame la Présidente. Je vais

  6   m'efforcer de n'aborder que les questions qui ont été déjà évoquées.

  7   Comme je l'ai dit, en réponse à la question posée par M. le Juge

  8   Shahabuddeen, pour l'essentiel si la proposition était acceptée, on

  9   admettait qu'une fois qu'un ordre émanait des échelons supérieurs, si

 10   c'était un simulacre et si c'était censé cacher quelque chose, à ce moment-

 11   là les autres n'auraient pas de responsabilité, ne seraient pas tenus pour

 12   responsables. Si cela vient du haut vers le bas, à ce moment-là les gens

 13   seraient exonérés et n'auraient pas le devoir de mener une enquête et

 14   prendre les mesures nécessaires. Bien sûr, ceci n'est pas acceptable.

 15   Je souhaite également vous signaler la déposition de l'amiral Jokic

 16   qui, en rentrant de Belgrade après la réunion qu'il a eue avec Kadijevic,

 17   alors qu'il rentrait, il parle à Strugar sur le chemin du retour, à la page

 18   du compte rendu du 29 mars 2004, pages numéro

 19   4 086 à 4 087. Voici ce qu'a dit Jokic à propos de cette conversation qu'il

 20   a eue avec Strugar sur le chemin du retour de Belgrade. Et je cite à partir

 21   du compte rendu. Jokic a dit : "On a admis que la version officielle des

 22   événements du 6 décembre, qui a été préparée au commandement du 2e Groupe

 23   opérationnel sur la base d'information fournie par le capitaine Kovacevic,

 24   remise par ses officiers, que cette version officielle des événements

 25   devait être envoyée à Belgrade à l'état-major général et que je devais m'en

 26   tenir à cette version-là, version qui a été diffusée lors d'une conférence

 27   de presse le lendemain."

 28   Donc Strugar savait fort bien ce que signifiait l'enquête.

Page 167

  1   Pour répondre brièvement à la question posée par M. le Juge Meron de savoir

  2   si le général Strugar aurait pu demander à voir le rapport préparé par

  3   Jokic, même s'il avait compris la situation et que Kadijevic avait donné un

  4   ordre directement à Jokic, qu'est-ce qui l'aurait empêché en réalité de

  5   demander à voir le rapport ? Notre réponse à cette question consiste à

  6   dire, oui. Bien sûr, il aurait pu obtenir le rapport. En réalité, ce serait

  7   inconcevable, si on tient compte de la doctrine militaire régulière, que ce

  8   ne soit pas le cas, surtout dans le système de commandement de la JNA où il

  9   y a en fait ces deux échelons supérieurs et ces deux échelons inférieurs

 10   qui a été évoqué par l'expert, qui insiste sur le fait que le commandement

 11   doit être informé deux niveaux au-dessus et deux niveaux en dessous, qu'il

 12   s'agit là d'une obligation.

 13   J'insiste également sur un autre élément. A un moment donné, en tant que

 14   commandant, il aurait certainement découvert quels étaient les résultats de

 15   ce rapport pour pouvoir prendre les mesures nécessaires et raisonnables,

 16   pour la bonne et simple raison que ceci portait directement sur les hommes

 17   placés sous son commandement.

 18   M. le Juge Meron était également soucieux suite aux questions posées ce

 19   matin sur la conclusion au paragraphe 445 du jugement. Cette constatation,

 20   si je peux la résumer pour l'essentiel, consiste en ceci : quand bien même

 21   Strugar avait compris à ce moment-là qu'il était en dehors de la boucle, la

 22   Chambre de première instance estime néanmoins qu'il aurait dû faire quelque

 23   chose. M. le Juge Meron était soucieux à ce sujet parce qu'à premier abord

 24   on a l'impression que ceci va trop loin, si on demande à M. Strugar de

 25   défier son supérieur, le commandant suprême, le général Kadijevic, et son

 26   ordre. Mais il faut garder quelque chose à l'esprit, et c'est ceci. Il faut

 27   revenir sans cesse sur le but de cet exercice, encore une fois, revenir au

 28   paragraphe 444. Le but était de présenter une certaine version qui se

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  1   conviendrait aux Croates, à la MOCE, les moniteurs internationaux, et faire

  2   comme si le JNA avait pris les mesures. Encore une fois, c'est un exercice

  3   en relation publique.

  4   La Chambre de première instance, dans ce paragraphe, indique

  5   également que Strugar aurait pu démissionner, mais il ne l'a pas fait. Pour

  6   finir, comme mon confrère M. Tracol a insisté, personne n'a été puni,

  7   personne n'a été puni par le fait que M. Jovanovic a été mis à pied pendant

  8   une journée, de façon temporaire, puisqu'il était commandant du bataillon

  9   de la 5e Brigade, et de toute façon, ses unités n'ont pas participé au

 10   pilonnage ce jour-là.

 11   Donc pour finir, la seule personne qui a été reconnue par l'équipe

 12   des enquêteurs, Kovacevic, c'est la personne qui a été reconnue comme ayant

 13   participé directement, n'a absolument pas été puni, au contraire, a été

 14   promu. Je crois que ceci est très évocateur pour ce qui est du consentement

 15   tacite de la part du général Strugar.

 16   Ma dernière question. Je souhaite répondre à la question de M. le

 17   Juge Meron sur le paragraphe 444, et en particulier les préoccupations que

 18   vous avez sur la conclusion de savoir si à tout moment l'accusé avait la

 19   capacité matérielle ou l'autorité au plan juridique de prendre les mesures

 20   nécessaires, de mener une enquête ou de prendre les mesures nécessaires

 21   disciplinaires contre les hommes qui avaient participé directement à cela.

 22   Vous avez à juste titre indiqué qu'il n'y a pas de notes en bas de

 23   page pour cette conclusion-là. Quoi qu'il en soit, les conclusions ont déjà

 24   été établies par la Chambre de première instance aux paragraphes 412 à 413

 25   du jugement. Si je puis vous demander de vous reporter à ces paragraphes,

 26   s'il vous plaît.

 27   Au paragraphe 412, la Chambre de première instance a estimé que : "En

 28   tant que commandant du 2e Groupe opérationnel, l'accusé pouvait également

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  1   procéder au remplacement d'un commandant subordonné pendant les opérations

  2   de combat en recommandant au secrétariat fédéral à la Défense nationale une

  3   recommandation motivée pour qu'il relève l'officier de ses fonctions."

  4   Là, on fait référence à la note en bas de page 1195 à la pièce P204,

  5   ainsi qu'à la déposition de l'amiral Jokic à la page 3 906 du compte rendu

  6   d'audience. Le général Jokic a dit, à la page 3 906, à propos de cette

  7   question-ci précisément, de savoir si Strugar aurait eu l'autorité, le

  8   pouvoir de prendre les mesures nécessaires et la capacité matérielle.

  9   "D'après la loi, le commandant du groupe opérationnel avait le rang de

 10   commandant d'armée. Il aurait pu limoger ou remplacer un subordonné,

 11   n'importe qui. Voilà le genre d'autorité dont il jouissait. Il avait le

 12   droit de remplacer toute personne qui se trouvait dans une position de

 13   subordonné."

 14   Madame, Messieurs les Juges, nous avons répondu de façon complémentaire aux

 15   questions posées par les Juges. Je vais maintenant donner la parole à ma

 16   consoeur, Mme Jarvis, qui va aborder la question du premier motif d'appel

 17   de l'Accusation. Merci.

 18   Mme JARVIS : [interprétation] Madame, Messieurs les Juges, le premier motif

 19   d'appel de l'Accusation peut être résumé en des termes simples. La Chambre

 20   de première instance a constaté que l'obligation du général Strugar

 21   d'empêcher le pilonnage de la vieille ville de Dubrovnik a été déclenchée à

 22   7 heures du matin à la date du 6 décembre. A ce moment-là, on lui avait

 23   téléphoné, et c'est le général Kadijevic à Belgrade qui l'avait téléphoné.

 24   Il avait été mis en garde contre ce pilonnage qui avait déjà commencé.

 25   La Chambre de première instance a également constaté que même avant ce

 26   moment-là, compte tenu des circonstances qui prévalaient à l'époque, le

 27   général Strugar avait également été mis en garde par rapport aux risques de

 28   l'éventualité du pilonnage qui pouvait se dérouler. Mais la Chambre de

Page 170

  1   première instance a constaté qu'il n'avait pas d'obligation au plan

  2   juridique de faire quelque chose ou quoi que ce soit à ce moment-là.

  3   Nous avançons que ceci est erroné et que ceci est antithétique à la notion

  4   de responsabilité de commandant qui sous-tend celle de la responsabilité

  5   d'un supérieur hiérarchique, et enlève tout sens à la responsabilité d'un

  6   supérieur hiérarchique d'empêcher et de punir les crimes.

  7   Mon exposé est divisé en quatre parties. Je vais d'abord vous dire pourquoi

  8   ce motif d'appel est important, pourquoi est-il si important de reconnaître

  9   que l'obligation de Strugar d'empêcher ces crimes a précédé le moment où il

 10   a reçu cet appel téléphonique de Kadijevic.

 11   Dans la deuxième partie, je vais exposer plus en détail le contexte factuel

 12   qui a donné naissance à cette question dans cette affaire. Dans ma

 13   troisième partie, je vais expliquer en quoi consiste l'erreur de la Chambre

 14   de première instance et pourquoi la Chambre de première instance s'est

 15   trompée lorsqu'elle a décrété que le critère de mens rea, conformément à

 16   l'article 7(3), ne se fonde pas sur la preuve d'un risque évident et réel

 17   de crimes à venir.

 18   Dans le quatrième point, je vais expliquer quelle aurait dû être l'issue si

 19   le critère juridique correct avait été appliqué.

 20   Je vais maintenant parler du premier motif d'appel. Pourquoi est-il si

 21   important pour la Chambre d'appel de confirmer que Strugar avait pour

 22   obligation en tant que commandant d'empêcher le pilonnage avant la

 23   conversation téléphonique du général Kadijevic et, dans le cadre de l'acte

 24   d'accusation dans cette affaire, en fait, porte sur le 6 décembre 1991 à

 25   minuit. 

 26   Ceci est important parce que c'est la différence qui existe entre,

 27   d'une part, le fait que l'on demande ou exige de Strugar qu'il empêche ce

 28   risque, il y a un risque éventuel, et le pilonnage aurait pu ne pas

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  1   commencer, et en même temps, lui demander d'intervenir une fois qu'il avait

  2   été averti que des dégâts avaient été causés, que des vies étaient en

  3   danger et que des dégâts avaient été provoqués.

  4   N'oublions pas ce qui est en jeu. Eu égard à la vieille ville de

  5   Dubrovnik, comme la Chambre de première instance a clairement indiqué au

  6   paragraphe 285, le 6 décembre 1991, était un endroit unique et

  7   irremplaçable, non pas parce que c'était un site protégé par le patrimoine

  8   mondial et par l'UNESCO, mais parce que c'était une ville qui avait une

  9   population de quelque 7 000 à 8 000 personnes.

 10   Lorsque l'artillerie de la JNA a tiré sur la vieille ville le 6

 11   décembre, deux personnes ont été tuées et deux ont été grièvement blessées.

 12   Si Strugar était intervenu plus tôt pour contrôler la situation bien

 13   évidemment risquée, qui évoluait au sein de ces unités à Dubrovnik, ces

 14   victimes auraient pu être épargnées.

 15   Une des victimes était Tonci Skocko, un jeune homme d'environ 19 ans

 16   qui a été tué dès le début de l'attaque, vers 8 heures du matin. Le témoin

 17   Nikola Jovic a raconté aux Juges de la Chambre de première instance le

 18   moment où Tonci a été touché par des éclats d'obus, son père Mato a risqué

 19   sa vie, est sorti de la ville pour aller chercher sa voiture et pour

 20   emmener son fils à l'hôpital.

 21   A ce moment-là, il a dit : "Au moment où Mato est revenu, il a

 22   conduit sa voiture. Il a traversé Skalina, les rues, en réalité les

 23   escaliers, les marches, et ses pneus étaient à plat. En réalité, il

 24   conduisait sur les jantes de ses pneus."

 25   Jovic a poursuivi en disant : "Vous pouvez imaginer une personne qui

 26   a vu ceci arriver à son propre fils. Vous pouvez vous imaginer quelle a pu

 27   être sa réaction. Le comportement de son père, qui est quelque chose qui

 28   est très difficile à décrire, c'est le comportement d'un père qui porte

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  1   dans ses bras son fils en train de mourir." Pages du compte rendu

  2   d'audience 2 944 à 2 945.

  3   De même, si Strugar était intervenu pour empêcher le pilonnage et que

  4   celui-ci évolue, les dégâts provoqués sur les bâtiments de la vieille ville

  5   le 6 décembre auraient pu être évités. Le représentant de la MOCE, Per

  6   Hvalkof, a décrit la vieille ville après le pilonnage du 6 décembre comme

  7   ressemblant, au paragraphe 316 du jugement, à un "local de poubelle touché

  8   par un missile." 

  9   Cette description est confirmée de manière visuelle dans le film sur

 10   la vieille ville qui a été filmé après l'attaque du 6 décembre. Il s'agit

 11   de la pièce P66. Le compteur indique 32 minutes, 15 à 28 secondes; on voit

 12   la vieille ville de Dubrovnik. Et 34 minutes 51 secondes à 37 minutes, et

 13   ceci a été cité à la note en bas de page 971 du jugement en bas de page.

 14   [Diffusion de la cassette vidéo]

 15   Mme JARVIS : [interprétation] Le témoin Fietelaars, l'ancien ambassadeur à

 16   la Yougoslavie, a décrit cette situation comme ceci : "Les dégâts provoqués

 17   dans cette vieille ville, en fait, étaient un problème non seulement qui

 18   revenait à la Croatie, mais à l'ensemble du monde. Le fait que l'UNESCO a

 19   décrété que Dubrovnik était une ville importante puisqu'il s'agissait du

 20   patrimoine culturel humain est quelque chose qui a joué un rôle

 21   prépondérant pendant quelque 1 000 ans dans l'histoire européenne et ne

 22   devrait pas être touchée ainsi et détruite." Ceci se trouve à la page du

 23   compte rendu d'audience 4 315.

 24   La Chambre de première instance, dans son jugement portant

 25   condamnation à Jokic au paragraphe 52, a insisté sur ce point et indiqué

 26   qu'une fois le dégât est fait à de tels bâtiments, ceux-ci ne peuvent

 27   jamais être réparés et revenir à leur état d'origine.

 28   Le premier motif d'appel de l'Accusation n'évoque pas simplement le

Page 173

  1   fait qu'il faille étendre l'obligation de Strugar et que ceci porte sur une

  2   période de sept heures. Il s'agit de dire que l'obligation juridique de

  3   Strugar, en tant que commandant responsable, a commencé dès le début, il

  4   devait s'assurer que la vieille ville ne soit pas pilonnée. Ceci n'aurait

  5   jamais dû commencer puisqu'il s'agit ici d'un héritage de l'humanité

  6   irremplaçable qui a été perdu.

  7   Ce qui m'amène à la deuxième partie de mes arguments.

  8   Même avant l'appel téléphonique de Kadijevic à Strugar le 6 novembre

  9   1991, Strugar avait été averti du fait que la situation était risquée, il

 10   pouvait y avoir une escalade au point où la vieille ville pouvait être

 11   pilonnée. Il faut tenir compte de la situation à laquelle était confronté

 12   Strugar à la veille de l'attaque contre Srdj.

 13   Strugar était le commandant des unités de la JNA qui avaient

 14   participé à des campagnes militaires dans une région géographique bien

 15   déterminée à Dubrovnik depuis le mois d'octobre 1991 et il savait que,

 16   pendant les opérations de combat au mois d'octobre, ses forces avaient

 17   pilonné la vieille ville de Dubrovnik. Ce pilonnage a provoqué des dégâts

 18   au niveau de plusieurs bâtiments. Strugar savait que ses forces avaient,

 19   une nouvelle fois, pilonné la vieille ville pendant les opérations de

 20   combat entre le 10 et 13 novembre. La Chambre de première instance, en

 21   particulier, a admis les éléments de preuve, à savoir que le 12 novembre,

 22   le pilonnage de la vieille ville avait été délibéré et nourri.

 23   Strugar savait que le pilonnage du mois d'octobre et novembre contre

 24   la vieille ville n'était pas dû à un comportement isolé et non

 25   caractéristique de ses unités. Il s'agit simplement qu'il y avait un manque

 26   de discipline qui prévalait à ce moment-là. Les éléments de preuve ont

 27   révélé qu'il y avait des problèmes d'ordre général au sein des unités de

 28   Strugar et qu'il y avait l'utilisation non autorisée d'armes à feu, le

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  1   refus d'obéir aux ordres, les gens se livraient à des pillages, à des

  2   incendies volontaires criminelles et se livraient à la boisson.

  3   Strugar savait qu'aux mois d'octobre et novembre le pilonnage pouvait

  4   avoir lieu au cours des attaques lorsque la JNA tentait de prendre le

  5   territoire dans les alentours de Dubrovnik, y compris à partir de novembre,

  6   la ville de Srdj. 

  7   Il savait que les ordres qui existaient interdisaient l'attaque

  8   contre les biens culturels et la vieille ville, que ceci s'était avéré

  9   inefficace au mois d'octobre et novembre. Strugar savait qu'il n'avait pris

 10   aucune mesure pour punir les auteurs des pilonnages précédents.

 11   Comme la Chambre de première instance l'a dit au paragraphe 415, et ceci

 12   devrait figurer sur vos écrans, Madame, Messieurs les Juges : "Aucun

 13   exemple de mesures disciplinaires ou autres conséquences n'ont pu être

 14   démontrées et ces mesures n'ont pas été prises contre les personnes qui ont

 15   enfreint les ordres qui  existaient, le droit international, à d'autres

 16   reprises."

 17   Strugar savait que le 3e Bataillon de la 472e Brigade motorisée avait

 18   été impliqué au mois de novembre dans le pilonnage et qu'il avait donné

 19   l'ordre encore une fois de combat le 6 décembre encore sous le même

 20   commandant, Kovacevic, surnommé Rambo. Il savait que son bataillon était

 21   encore équipé de pièces d'artillerie importantes le 6 décembre comme cela

 22   avait été le cas au mois de novembre. Strugar savait également que l'ordre

 23   d'attaquer Srdj signifiait que ses forces allaient peut-être devoir

 24   pilonner des positions croates aux alentours de Dubrovnik et que ce plan

 25   qui consistait à attaquer Srdj pouvait signifier qu'on allait utiliser des

 26   pièces d'artillerie très importantes pour tirer sur la vielle ville.

 27   La Chambre de première instance a admis tous ces facteurs, et plus

 28   précisément a constaté au paragraphe 417 du jugement que compte tenu de

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  1   tous ces facteurs, même avant de recevoir l'appel téléphonique de

  2   Kadijevic, Strugar savait - ceci va apparaître sur vos écrans : "…qu'il y

  3   avait une véritable perspective ou éventualité que dans le feu de

  4   l'attaque, l'artillerie placée sous son commandement pouvait tout à fait

  5   commettre encore une fois les délits de ce type pour lesquels ils sont

  6   tenus pour responsable. 

  7   Il s'agissait d'un risque qui n'était pas du tout éloigné ou vague."

  8   Au paragraphe 420, la Chambre de première instance a pleinement admis que

  9   ce risque, ceci se trouve sur vos écrans : "Suffisamment réel et les

 10   conséquences étaient telles si des mesures disciplinaires n'étaient pas

 11   prises, qu'un commandant prudent aurait pu juger utile d'expliciter que

 12   l'ordre d'attaquer Srdj en tout état de cause n'autorisait pas l'artillerie

 13   d'appui à bombarder pour le moins la vieille ville."

 14   Mais la Chambre a constaté qu'un supérieur hiérarchique comme Strugar, qui

 15   avait été averti d'un tel risque qui était réel et évident à propos de

 16   crimes à venir, n'était pas obligé au point légal d'intervenir. Nous

 17   estimons que ceci n'est pas le cas, que ceci est erroné et que Strugar

 18   savait qu'un tel risque existait et qu'il avait l'obligation au point de

 19   vue juridique de contrôler la situation et d'empêcher les crimes.

 20   J'en viens maintenant au troisième motif d'appel. La constatation erronée à

 21   propos du critère mens rea conformément à l'article 7(3) n'a pas été rempli

 22   au regard des éléments de preuve et d'un risque évident et réel eu égard à

 23   des crimes futurs.

 24   La Chambre de première instance indique clairement dans son jugement

 25   pourquoi elle estime qu'en matière de droit il y a un véritable risque et

 26   que ceci est insuffisant pour amorcer l'obligation d'un supérieur pour

 27   empêcher les crimes. Mais les indications sont fortes dans le jugement, la

 28   Chambre apporte une conception de cette obligation du supérieur d'empêcher

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  1   les crimes, et ceci est limité dans certaines situations, lorsque les

  2   crimes ont déjà commencé à être commis ou lorsqu'un plan a été préparé par

  3   les subordonnés de commettre des crimes qui auraient pu être découverts par

  4   un supérieur s'il avait mené une enquête comme il se doit.

  5   Au paragraphe 416 et je cite, vous devez avoir ceci sur vos écrans : "Il

  6   faut au moins mener une enquête et entre autres prendre les mesures

  7   nécessaires pour déterminer si véritablement des délits sont sur le point

  8   d'être commis ou à ce stade ont été commis ou sont en train d'être commis." 

  9   Si on analyse la responsabilité du supérieur hiérarchique à travers

 10   cet objectif, nous retrouvons la même chose au paragraphe 417 de la Chambre

 11   de première instance où l'on indique : "Ceci n'a pas été démontré dans

 12   cette affaire, par exemple, l'accusé disposait d'informations, à savoir

 13   qu'avant l'attaque ses forces avaient planifié ou avaient l'intention de

 14   pilonner la vieille ville de façon illégale, ou quelque chose de la sorte.

 15   Il n'apparaît pas claire qu'une enquête supplémentaire aurait placé

 16   l'Accusation en meilleure position."

 17   Nous avançons, Madame, Messieurs les Juges, que cette approche ne peut pas

 18   être exacte, car des situations où des crimes, lorsqu'il y a un risque

 19   évident qu'il y ait des éléments spontanés ou qu'il y ait des crimes

 20   opportunistes qui pouvaient être commis, ceci ne relève d'aucune règle.

 21   Je vais vous donner un exemple pour vous expliquer ce que je veux dire par

 22   là. Envisageons la possibilité d'un supérieur hiérarchique qui sait que par

 23   le passé des hommes de ses unités qui se trouvaient dans un village ont bu,

 24   se sont enivrés et ont massacré des civils. Ces hommes n'ont jamais été

 25   sanctionnés et ensuite on les a envoyés dans un autre village. 

 26   Ce supérieur hiérarchique apprend que les hommes de cette même unité

 27   se sont remis à boire. Alors à ce moment-là, qu'est-ce qui est exigé de par

 28   le droit de ce supérieur hiérarchique dans ce type de situation ? Un

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  1   supérieur hiérarchique qui est mis au courant d'un tel risque, du risque de

  2   voir ces crimes se répéter contre ces civils, ce supérieur est tenu

  3   d'intervenir pour remédier à cette situation en envoyant par exemple ses

  4   hommes ailleurs ou en envoyant des renforts pour contrôler la situation.

  5   Une enquête menée par un supérieur dans cette situation ne révèlerait pas

  6   que ces crimes allaient être commis. Mais il serait tout à fait

  7   insatisfaisant que ce supérieur ne fasse absolument rien pour empêcher ces

  8   civils d'être massacrés. Et la situation à laquelle nous sommes confrontés,

  9   que nous examinons actuellement, elle est semblable selon nous.

 10   Dans notre mémoire et dans nos écritures supplémentaires du 1er octobre

 11   2007, nous avons présenté des arguments détaillés pour expliquer pourquoi

 12   la Chambre de première instance a adopté une approche qui est contraire à

 13   la jurisprudence du Tribunal, à la jurisprudence des tribunaux de la

 14   Deuxième Guerre mondiale, à la pratique des Etats et à tout ce qui sous-

 15   tend à la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique.

 16   Maintenant, je souhaiterais simplement insister sur deux affaires entendues

 17   par ce Tribunal qui nous montrent que la Chambre de première instance en

 18   l'espèce s'est trompée, a adopté une approche erronée.

 19   Première affaire, l'arrêt d'appel Krnojelac. Si on regarde le libellé de

 20   l'arrêt de Krnojelac, on voit que la simple existence d'un risque manifeste

 21   de voir des crimes se produire est suffisante pour que l'obligation

 22   d'intervenir existe. 

 23   Paragraphe 2.6 de notre mémoire. La Chambre d'appel dans Krnojelac a

 24   accepté qu'un supérieur qui connaît le risque de voir se produire des

 25   crimes, doit prendre les mesures nécessaires pour les empêcher. Si on

 26   regarde l'analyse des faits par la Chambre d'appel dans Krnolejac, on voit

 27   quelle a été la nature de l'erreur de la Chambre de première instance ici.

 28   La Chambre de première instance dans Krnolejac a conclu que le fait que

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  1   Krnolejac ait assisté à la torture d'un détenu au KP DOM ne suffisait pas

  2   pour que Krnolejac soit tenu à prendre des mesures pour empêcher que cela

  3   ne se reproduise.

  4   Mais la Chambre d'appel dans Krnolejac a infirmé cette conclusion de

  5   la Chambre de première instance dans Krnolejac. "La Chambre d'appel ne

  6   partage pas l'opinion de la Chambre de première instance selon laquelle le

  7   fait que l'accusé ait assisté au passage à tabac de Zekovic, pour

  8   l'empêcher de s'enfuir ne suffit pas en soi pour conclure que l'accusé

  9   savait ou avait des raisons de savoir qu'à ce moment-là ou à d'autres

 10   moments, on se servait de passages à tabac pour empêcher de manière

 11   illicite."

 12   La Chambre d'appel a conclu que vu la situation au KP Dom à l'époque,

 13   Krnojelac avait des raisons de savoir qu'il était possible que ses

 14   subordonnés commettent des actes de torture supplémentaires à l'avenir et

 15   il fallait qu'il prenne des mesures pour empêcher cela.

 16   Or, dans cette affaire, aucune enquête menée par Krnojelac après

 17   avoir assisté à la torture de Zekovic, donc même s'il avait fait cela, il

 18   n'aurait pas forcément pu identifier un plan, un programme de torture, non.

 19   Mais, malgré tout, il a quand même été tenu responsable pour ne pas avoir

 20   empêché ces crimes de se produire.

 21   Deuxième affaire que je souhaite mentionner, c'est l'affaire Hadzihasanovic

 22   en appel qui a été rendue hier et qui confirme notre thèse en l'espèce. Il

 23   y a cinq points que je souhaite mettre en évidence dans l'affaire

 24   Hadzihasanovic.

 25   D'abord, l'arrêt Hadzihasanovic, au paragraphe 31, confirme que le

 26   critère pour l'élément moral au terme de l'article 7(3), c'est le fait

 27   d'être averti qu'il existe un risque que des crimes pourraient être commis.

 28   Ceci correspond d'ailleurs à l'arrêt Krnojelac qui reprend le même libellé.

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  1   Il est donc évident que la Chambre d'appel reconnaît que lorsqu'un

  2   supérieur hiérarchique est informé de la possibilité que des crimes soient

  3   commis, cela signifie qu'il a raison de savoir au sens de l'article 7(3) du

  4   Statut. Ceci correspond également à l'arrêt Delalic, paragraphe 238, qui

  5   montre que "si on établit qu'un supérieur hiérarchique dispose

  6   d'informations générales qui lui indiquent que des crimes ou des agissement

  7   illicites sont susceptibles d'être commis par ses subordonnés, à ce moment-

  8   là, cela suffit pour prouver qu'il avait des raisons de savoir et d'être

  9   informé."

 10   Il est manifeste et il est évident que l'Accusation n'avance

 11   nullement qu'être informé d'une possibilité vague que de telles choses se

 12   produisent est suffisante pour que la responsabilité pénale soit engagée,

 13   mais Strugar avait des raisons de savoir que ces risques étaient évidents.

 14   Donc ça correspond aux critères établis par l'arrêt Krnojelac et Delalic,

 15   et donc par la Chambre d'appel.

 16   Deuxièmement, la Chambre d'appel dans Hadzihasanovic a établi qu'il

 17   suffit qu'un supérieur hiérarchique ait connaissance de ce qui s'est passé,

 18   que ces crimes ont eu lieu pour qu'il soit tenu de prendre des mesures à

 19   l'avenir. Paragraphes 30 et 267.

 20   Troisième point, il n'y a pas de formule automatique pour prouver

 21   qu'un supérieur avait des raisons de savoir ce qui se passait, paragraphe

 22   31.

 23   Selon moi, ce que cela signifie, c'est que lorsque la connaissance

 24   est déduite d'un comportement criminel passé, il faut que ce comportement

 25   criminel passé, ces crimes qui ont eu lieu par le passé, doivent indiquer

 26   au supérieur hiérarchique qu'il est fort possible que ces crimes se

 27   répètent à l'avenir. Pour toutes les raisons que j'ai évoquées au début de

 28   mon intervention aujourd'hui, nous sommes justement dans un tel cas. Il

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  1   s'agit de crimes qui ont eu lieu par le passé, qui n'ont pas été

  2   sanctionnés et qui, en raison de tous les problèmes disciplinaires qui

  3   avaient lieu, n'ont pas été sanctionnés.

  4   Quatrième point au sujet de l'arrêt Hadzihasanovic, c'est que

  5   l'application de ces critères, au fait, souligne à quel point nous avons

  6   raison en l'espèce. En particulier, s'agissant des crimes commis en

  7   détention à Bugojno, la Chambre d'appel a annulé la conclusion de la

  8   Chambre de première instance selon laquelle Hadzihasanovic n'avait pas pris

  9   les mesures raisonnables et nécessaires pour empêcher les crimes au magasin

 10   de meubles, ce qui était suffisant pour engager son obligation de prévenir

 11   des crimes ultérieurs. D'autres facteurs indiquent que le risque de voir

 12   des crimes supplémentaires se produire était important.

 13   S'agissant maintenant des pillages à Vares, la Chambre d'appel a

 14   infirmé la conclusion de la Chambre de première instance selon laquelle

 15   Kubura avait des raisons d'être informé du pillage de Vares uniquement

 16   parce qu'il savait que, cinq mois auparavant, la même chose s'était passée

 17   à Ovnak, à 40 kilomètres de là. Mais il faut comparer ceci avec la

 18   situation en l'espèce. A la mi-novembre, pilonnage de la vieille ville de

 19   Dubrovnik, quelques semaines avant le 6 décembre.

 20   Cinquième élément que je souhaite dégager de l'appel Hadzihasanovic,

 21   c'est qu'un supérieur hiérarchique qui prend connaissance du fait que des

 22   crimes risquent de se produire à l'avenir doit mener des enquêtes, doit

 23   s'informer. C'est important. L'obligation d'un supérieur hiérarchique

 24   d'empêcher que des crimes ne soient commis n'est pas engagée uniquement si

 25   une enquête a révélé que ceci était certain. Ceci est confirmé par la

 26   Chambre d'appel dans Hadzihasanovic.

 27   Nous demandons que la Chambre d'appel en l'espèce précise qu'un

 28   supérieur hiérarchique qui est informé qu'il existe une possibilité réelle

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  1   que des crimes soient commis à l'avenir, non seulement ce supérieur doit

  2   procéder à une enquête, mais il doit prendre aussi des mesures préventives.

  3   De plus, s'il ne le fait pas et si des crimes sont commis à l'avenir, à ce

  4   moment-là, sa responsabilité pénale est engagée.

  5   Ce qui m'amène à la dernière partie de mon intervention. Je serai

  6   très brève et je pourrai donc en terminer avant la pause.

  7   Si on accepte que même avant le coup de téléphone de Kadijevic,

  8   Strugar avait l'obligation de prendre des mesures préventives, quelle est

  9   l'implication pour l'espèce ?

 10   J'avance qu'il est facile de trouver une réponse à cette question sur

 11   la base des faits de l'espèce tels qu'ils apparaissent dans le jugement de

 12   première instance. Au paragraphe 421, la Chambre a conclu que lorsqu'il a

 13   donné l'ordre d'attaquer Srdj, Strugar aurait pu, mais n'a pas indiqué

 14   spécifiquement qu'il ne fallait surtout pas pilonner la vieille ville, il

 15   ne l'a pas fait.

 16   Et ceci, en soi, suffit pour établir que Strugar n'a pas rempli

 17   l'obligation qui était la sienne en tant que commandant d'empêcher les

 18   crimes avant le 6 décembre à 7 heures du matin.

 19   Dans notre mémoire, nous avons indiqué quels types de mesures

 20   préventives Strugar auraient pu prendre.

 21   J'en ai terminé de mon intervention et je peux, bien entendu,

 22   répondre à toute question que vous auriez à me poser.

 23   [La Chambre d'appel se concerte] 

 24   Mme LE JUGE VAZ : Non, il n'y a pas de question. Nous allons donc observer

 25   la pause de 20 minutes. Nous reprendrons, par conséquent, à 16 heures 5

 26   minutes.

 27   L'audience est suspendue.

 28   --- L'audience est suspendue à 15 heures 45.

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  1   --- L'audience est reprise à 16 heures 08.

  2   Mme LE JUGE VAZ : L'audience est reprise. Je pense que le Juge Kwon

  3   voudrait poser une question à Mme Jarvis.

  4   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Oui, merci, Madame la Présidente.

  5   Madame Jarvis, j'ai écouté avec beaucoup d'intérêt ce que vous disiez au

  6   sujet de l'avertissement de l'existence d'un risque qui implique

  7   l'obligation du supérieur hiérarchique aux termes de l'article 7(3) du

  8   Statut. J'ai bien compris l'argumentation de l'Accusation à ce sujet selon

  9   laquelle on pourrait peut-être appliquer un critère plus exigeant, mais le

 10   critère que vous semblez présenter est un critère moins exigeant, me

 11   semble-t-il. 

 12   Je pourrais vous renvoyer, par exemple, à la page 11, paragraphe 2.25

 13   de votre mémoire où vous dites que : "L'avertissement de l'existence d'un

 14   risque d'agissement criminel est suffisant pour que l'obligation au titre

 15   de l'article 7(3) soit engagée s'agissant de l'élément moral." Quand j'ai

 16   lu ce paragraphe, je me demandais ce que signifiait ce risque, quel était

 17   son niveau, et je me demandais si on pourrait peut-être définir une norme

 18   en la matière.

 19   Cependant, j'ai remarqué, en vous écoutant il y a quelques instants,

 20   que l'Accusation ne dit nullement qu'il suffit d'être vaguement informé

 21   pour voir engager sa responsabilité pénale, mais en l'occurrence, Strugar

 22   avait des raisons de savoir qu'il existait un risque réel de voir la

 23   vieille ville être pilonnée, et ceci, bien entendu, s'inscrit et correspond

 24   aux critères établis par la Chambre d'appel.

 25   Je sais que dans l'affaire Krnojelac on a parlé d'informations

 26   suffisamment alarmantes. Et je me souviens que ce matin Mme Baig a parlé

 27   d'avertissements réels et déraisonnables, même si sur le transcript on voit

 28   réel et raisonnable.

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  1   Donc je me demandais si vous accepteriez que l'on assortisse ce mot des

  2   deux adjectifs suivants, réel et manifeste.

  3   Mme JARVIS : [interprétation] Merci. Je commencerai pour vous répondre par

  4   répéter qu'à ce jour, dans des affaires comme Krnojelac ou Hadzihasanovic,

  5   la Chambre d'appel indique que le risque ou la possibilité que des crimes

  6   soient commis à l'avenir entraîne l'obligation du supérieur au titre de

  7   l'article 7(3) du Statut. Voilà l'état de la jurisprudence, et c'est sur

  8   cela que nous nous appuyons pour présenter nos arguments.

  9   J'ai dit aujourd'hui dans mon intervention que nous  interprétons le

 10   libellé de la Chambre d'appel dans Krnojelac et dans Hadzihasanovic où on

 11   utilise le mot "might", c'est-à-dire pourrait, pour les crimes commis, que

 12   la possibilité que des crimes soient commis suffit. J'ai dit que cela

 13   correspond à ce qu'a dit la Chambre d'appel dans Delalic. Mais j'ai dit

 14   également qu'une possibilité c'est quelque chose d'assez vague et qu'il y a

 15   des possibilités qui sont plus ou moins réalistes. Je ne pense pas qu'il

 16   faut que la possibilité soit extrêmement vague. Il faut que les

 17   informations soient suffisamment alarmantes pour engager à la prise de

 18   mesures préventives. Mais la Chambre de première instance a dit que le

 19   risque était manifeste, et je pense que l'on ne peut pas dire et ça irait à

 20   l'encontre de la jurisprudence qu'un tel risque n'oblige pas un supérieur

 21   hiérarchique à prendre des mesures préventives.

 22   Vous me demandez ensuite ce qu'il en est de la formulation de risque

 23   prévisible, réel ou raisonnable. C'est ce qui figure dans le jugement de

 24   première instance Hadzihasanovic. Je me suis penchée sur la question. J'ai

 25   examiné le jugement dans l'affaire Strugar, et nous ne sommes pas d'accord

 26   avec cette approche parce que ça voudrait dire qu'un supérieur hiérarchique

 27   n'a aucune obligation tant que les événements ne se produisent pas.

 28   Le libellé qui a été choisi de risque réel et raisonnable est

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  1   acceptable, c'est ce qui a déjà été utilisé par le passé. Je pense que

  2   cette formulation correspond à la jurisprudence du Tribunal, et si la

  3   Chambre d'appel décidait d'apporter des précisions sur le critère valable

  4   pour définir ce risque, je pense que ça pourrait être fort utile pour les

  5   affaires qui seront entendues ultérieurement par elle-même ou par d'autres

  6   Chambres.

  7   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci.

  8   Mme LE JUGE VAZ : Oui, Monsieur le Juge Shahabuddeen, vous voulez poser une

  9   question.

 10   M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : [interprétation] Est-ce que vous accepteriez la

 11   formulation de danger réel et actuel ?

 12   Mme JARVIS : [interprétation] Je n'ai pas bien compris.

 13   M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : [interprétation] Est-ce que vous accepteriez la

 14   formulation suivante : danger réel et actuel ?

 15   Mme JARVIS : [interprétation] Oui, ça correspond à peu près à ce dont nous

 16   parlons. Ça correspond à la formulation adoptée par Hadzihasanovic. Dans le

 17   jugement Hadzihasanovic, il y a différentes manières de s'exprimer à ce

 18   sujet et il y en a une qui correspond à ce que vous dites. Le Juge Kwon a

 19   raison. La situation est la suivante, c'est que le supérieur hiérarchique a

 20   reçu suffisamment d'information alarmante pour agir. Risque raisonnable,

 21   prévisible, danger actuel, et cetera, voilà où nous voulons en venir.

 22   Mme LE JUGE VAZ : Le Procureur a toujours la parole pour la suite de ses

 23   soumissions qui concernent son appel.

 24   Mme BRADY : [interprétation] Merci. 

 25   Je vais maintenant aborder le troisième moyen d'appel de l'Accusation

 26   qui porte sur la peine. 

 27   Vous avez connaissance des constatations en l'espèce qui ont

 28   abondamment été évoquées au cours de l'audience de ce jour. On peut dire

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  1   que le général Strugar est déclaré coupable au titre de l'article 7(3) du

  2   Statut pour ne pas avoir empêché ou sanctionné le pilonnage sans

  3   discernement et délibéré de la vieille ville de Dubrovnik qui figure sur le

  4   patrimoine de l'humanité, pilonnage par les forces placées sous son

  5   commandement. Et comme nous l'avons vu en écoutant Mme Jarvis, ce pilonnage

  6   a entraîné des dégâts considérables, dégâts de biens civils, culturels, et

  7   ça a entraîné également des blessés et des décès parmi la population

  8   civile.

  9   Selon nous, la peine de huit ans prononcée est inappropriée et il convient

 10   de l'alourdir. Dans notre mémoire d'appel, vous trouverez l'argumentation

 11   détaillée qui est la nôtre, et je vais me contenter d'insister sur deux

 12   points.

 13   Premièrement, sur l'erreur faite par la Chambre de première instance en

 14   comparant le cas de Strugar avec celui de Jokic. Cette erreur a entraîné la

 15   Chambre de première instance à prononcer une peine trop légère contre

 16   Strugar. Pour ce faire, je vais insister sur deux aspects, deux aspects qui

 17   montrent la différence entre ces deux accusés. Premièrement, leur niveau de

 18   pouvoir respectif dans la structure de commandement et leur rôle le jour du

 19   pilonnage; et deuxièmement, je vais parler des différences entre ces deux

 20   cas qui s'expliquent par le plaidoyer de culpabilité de Jokic et l'étendue

 21   de la coopération qu'il a donnée au bureau du Procureur.

 22   En deuxième lieu, je vais intervenir sur l'erreur de la Chambre de première

 23   instance qui a considéré que la déclaration faite par Strugar à la fin de

 24   son procès constituait une manifestation de remords et l'a donc pris en

 25   compte au titre de circonstances atténuantes.

 26   Première partie de mon argumentation, comparaison par la Chambre de

 27   première instance de la présente affaire avec celle de Jokic et la peine

 28   prononcée.

Page 187

  1   Je rappellerai brièvement que l'amiral Jokic a plaidé coupable et a été

  2   déclaré coupable au titre de l'article 7(1) du Statut pour avoir aidé et

  3   encouragé les unités responsables du pilonnage de la vieille ville, et au

  4   titre de l'article 7(3) pour ne pas avoir empêché et sanctionné ces crimes.

  5   Il a été condamné à sept ans d'emprisonnement. 

  6   Au moment de l'appel dans son affaire, la Chambre d'appel a confirmé

  7   sa déclaration de culpabilité au titre de l'article 7(1) pour avoir aidé et

  8   encouragé, mais a annulé la déclaration qui avait été prononcée contre lui

  9   au titre de l'article 7(3) à cause de la déclaration qui avait déjà été

 10   prononcée au titre de l'article 7(1) du Statut, et la Chambre d'appel a

 11   confirmé sa peine de sept ans.

 12   Selon nous, la Chambre de première instance dans l'affaire Strugar n'a pas

 13   eu tort de s'inspirer de la peine de sept ans prononcée contre Jokic

 14   puisque ces deux accusés, finalement, ont été condamnés pour les mêmes

 15   crimes, les mêmes crimes qui découlent du pilonnage de la vieille ville, et

 16   pour le même comportement criminel, si on peut dire. Jokic a été condamné

 17   pour ne pas avoir empêché que les crimes soient commis, pour les avoir

 18   aidés et encouragés, et Strugar pour ne pas les avoir empêchés et pour ne

 19   pas avoir puni les auteurs.

 20   Mais il existe des différences importantes entre ces deux accusés. La

 21   Chambre de première instance a versé dans l'erreur lorsqu'elle n'a pas

 22   suffisamment tenu compte de ces différences significatives qui auraient dû

 23   entraîner une différence aussi au niveau de la peine, une différence plus

 24   importante que cette différence d'un an que l'on peut constater

 25   actuellement. Comme je l'ai dit, les deux différences principales entre ces

 26   hommes, ce sont leur niveau d'autorité au sein du commandement de la JNA,

 27   leur rôle au jour du pilonnage, et ensuite tout ce qui découle du plaidoyer

 28   de culpabilité de Jokic et de la coopération de Jokic avec le bureau du

Page 188

  1   Procureur.

  2   Premièrement, je vais évoquer le rôle de ces deux hommes au sein de la

  3   structure du commandement et leur rôle le jour du pilonnage. Il s'agit de

  4   la première branche de ce moyen d'appel.

  5   La Chambre de première instance a versé dans l'erreur au paragraphe 464 en

  6   déclarant ou en estimant que la responsabilité de Strugar était "moins

  7   directe" que celle de Jokic, qui était le commandant direct immédiat des

  8   hommes qui ont participé au pilonnage. Il va sans dire, il faut bien

  9   comprendre, que nous nous inscrivons au faux avec les arguments de la

 10   Défense au sujet de l'échelon et du rôle respectif de ces deux hommes.

 11   Même si ces deux hommes avaient des grades militaires équivalents au moment

 12   des opérations en question, le général Strugar était supérieur dans la

 13   hiérarchie à l'amiral Jokic dans la filière hiérarchique de la JNA. Cette

 14   différence hiérarchique était très significative et substantielle. Il ne

 15   faut surtout pas oublier que, dans la région, Strugar était le commandant

 16   opérationnel du plus haut niveau de responsabilité. Toutes les forces qui

 17   se trouvaient dans la zone opéraient sous son commandement.

 18   Selon nous, la position qui était la sienne, ou plutôt, le niveau

 19   d'autorité qui était le sien fait qu'il est plus responsable et non pas

 20   moins responsable, comme l'a conclu la Chambre de première instance.

 21   Pourquoi avançons-nous ceci ? Comme ceci a été indiqué et souligné

 22   hier dans l'arrêt rendu dans l'affaire Hadzihasanovic, un haut niveau de

 23   responsabilité, d'autorité, n'emporte pas forcément une responsabilité plus

 24   importante. Le niveau d'autorité, le poste occupé à lui seul, n'entraîne

 25   pas une augmentation de la responsabilité de l'intéressé. Mais comme le

 26   reconnaît le jugement au paragraphe 320, l'abus par le supérieur de

 27   l'autorité dont il est investi peut être pris en compte. Nous

 28   reconnaissons, bien entendu, le fait que la graduation des peines sur la

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  1   base de l'ancienneté ou de la responsabilité des intéressés n'est pas un

  2   principe absolu, mais en tout cas en l'espèce, c'est un principe qui doit

  3   être pris en compte et qui est justifié.

  4   Pourquoi ? Le rôle et le niveau de responsabilité supérieur qu'avait

  5   Strugar au sein de la chaîne de commandement de la JNA lui donnaient, bien

  6   entendu, des responsabilités plus importantes. Il était commandant d'un

  7   corps d'armée. En n'exerçant pas correctement ses responsabilités, qui

  8   étaient supérieures, en abusant de son autorité, on peut dire qu'il est

  9   plus responsable que Jokic. Le fait qu'il avait un niveau de responsabilité

 10   plus élevé signifie aussi que lorsqu'il abusait de cette autorité, ceci

 11   avait des conséquences plus importantes. Dans une structure de commandement

 12   militaire, au fur et à mesure que son niveau de responsabilité augmente et

 13   plus il a d'hommes et d'unités sous ses ordres, plus il a de

 14   responsabilités. S'il n'agit pas, si ses troupes ne sont pas suffisamment

 15   disciplinées, ceci a des conséquences importantes.

 16   Mais ce qui compte, ce n'est pas simplement le fait que Strugar était à la

 17   tête de ces unités. En fait, Strugar exerçait un contrôle plus important

 18   sur les auteurs des crimes à ce moment-là que ce n'était le cas pour Jokic. 

 19   Il est vrai, je ne le conteste pas, que Jokic était le commandant

 20   direct du 3e Bataillon de la 472e Brigade motorisée et des autres unités du

 21   9e VPS qui ont participé aux opérations ce jour-là, et nous reconnaissons

 22   qu'en tout cas au matin de cette journée, Jokic était, géographiquement

 23   parlant, plus près de Zarkovica et de Dubrovnik que Strugar. 

 24   Mais c'est Strugar qui, selon la Chambre de première instance, a

 25   ordonné l'attaque contre Srdj, et pas Jokic. Et c'est Strugar qui pouvait

 26   donner des ordres à Jokic, et pas l'inverse. En fait, Strugar était plus à

 27   même de contrôler les unités ce jour-là et de faire en sorte que ces crimes

 28   ne se poursuivent pas dès qu'il a été informé que ces crimes étaient en

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  1   train d'être commis. Or, la Chambre de première instance l'a constaté dans

  2   son jugement, il n'a pris aucune mesure, ou en tout cas il a pris des

  3   mesures inefficaces.

  4   Voilà mon premier point de mon argumentation. La Chambre de première

  5   instance a eu tort lorsqu'elle a déclaré que Strugar avait une

  6   responsabilité qui était moins directe que celle de Jokic au moment de

  7   déterminer sa peine.

  8   Je vais maintenant évoquer les autres éléments-clés qui marquent la

  9   différence entre Strugar et Jokic et dont la Chambre de première instance

 10   n'a pas suffisamment tenu compte au moment de prononcer la peine de

 11   Strugar. Il s'agit de la troisième branche de ce moyen d'appel.

 12   Ça revient à la chose suivante : Jokic a plaidé coupable. Il a coopéré de

 13   manière importante avec l'Accusation. Il a déposé en tant que témoin-clé

 14   dans l'affaire Strugar, et la Chambre de première instance dans Jokic a

 15   qualifié le plaidoyer de culpabilité et la coopération de Jokic

 16   exceptionnellement importantes au moment de déterminer sa peine. La Chambre

 17   a considéré qu'il s'agissait d'une circonstance atténuante

 18   "exceptionnellement importante," paragraphe 114 de l'arrêt dans l'affaire

 19   Jokic. Et pourtant, la Chambre de première instance dans Strugar n'a même

 20   pas mentionné l'importance de la coopération de Jokic et n'a même pas

 21   mentionné l'impact que ça a pu avoir sur la peine de sept ans prononcée

 22   contre Jokic. 

 23   Il s'agissait là d'une circonstance atténuante importante dans

 24   l'affaire Jokic qui a poussé la Chambre de première instance à prononcer

 25   une peine bien moins importante que normalement. Et tout ceci n'existe pas

 26   dans l'affaire Strugar. L'année de différence entre les peines prononcées

 27   contre ces deux hommes, sept ans d'un côté, huit ans de l'autre n'en rend

 28   pas compte, surtout si l'on tient compte de ce que je viens de vous dire

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  1   précédemment, c'est-à-dire de leur niveau d'autorité respectif et de leur

  2   rôle respectif.

  3   Avant d'évoquer notre dernier argument qui porte sur le remords, je

  4   pense qu'il serait bon pour moi que je réponde à l'argument de la Défense

  5   selon lequel Jokic est pénalement plus responsable que Strugar. Ce sont des

  6   arguments qui figurent en réponse à notre appel ainsi que dans le mémoire

  7   de la Défense. Jokic a été déclaré coupable de six chefs et non pas de deux

  8   chefs d'accusation, il a été déclaré coupable d'endommagement de biens, et

  9   cetera. Il a été déclaré coupable au titre de l'article 7(1) pour avoir

 10   aidé et encouragé, et selon la Défense, il s'agit d'une forme plus directe

 11   de responsabilité.

 12   Or, aucun de ces arguments ne tient. On peut dire qu'en l'essence,

 13   les crimes commis par Jokic et Strugar sont les mêmes, pour l'essentiel de

 14   leur constitution, et le fait que Jokic et Strugar n'aient pas été

 15   condamnés pour le même nombre de chefs n'y change rien. Parce qu'en fait,

 16   on parle ici du même comportement criminel.

 17   Le simple fait que Jokic ait été déclaré coupable de l'article 7(1)

 18   du Statut ne signifie pas pour autant que son cas soit plus grave que celui

 19   de Strugar. Juridiquement parlant, les crimes relevant de l'article 7(3) ne

 20   sont pas moins graves que ceux qui relèvent de l'article 7(1) du Statut,

 21   ceci, surtout lorsque comme dans le cas d'espèce, la raison pour laquelle

 22   Jokic a été déclaré coupable pour avoir aidé et encouragé, c'est justement

 23   parce qu'il n'a pas rempli l'obligation qui était la sienne en tant que

 24   supérieur hiérarchique ce jour-là et n'a pas empêché les crimes. Donc, on

 25   peut dire que ce sont les mêmes gestes incriminés, même si on leur a

 26   attribué des étiquettes différentes.

 27   Je vais maintenant passer à mon dernier point, c'est-à-dire que la

 28   Chambre de première instance a commis une erreur en considérant que les

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  1   remords exprimés par Strugar étaient suffisants pour être considérés comme

  2   des circonstances atténuantes. Paragraphe 470 et 471, il s'agit de la

  3   deuxième branche de ce moyen d'appel.

  4   Nous reconnaissons que la Chambre de première instance n'a peut-être

  5   pas accordé beaucoup de poids à ce facteur en tant que circonstance

  6   atténuante, mais le seul fait d'en donner est en soi une erreur à notre

  7   avis.

  8   Les remords, intrinsèquement, c'est une expérience subjective. La

  9   présence de remords, en réalité, ne peut s'exprimer que par les mots qu'on

 10   utilise ou si c'est prouvé par des indices objectifs. Ici, pourtant, en

 11   l'espèce, si vous examinez la déclaration du général Strugar, celle qu'il a

 12   faite en fin de procès, tout ce qu'on peut dire de sa déclaration c'est que

 13   ce sont des excuses générales pour les torts causés par la guerre. Il a nié

 14   tout agissement personnel, toute responsabilité, il n'a même pas reconnu

 15   que des crimes avaient été commis. Et ce genre de déclaration ne saurait

 16   être qualifiée de remords suffisants pour mériter d'être considérés comme

 17   des circonstances atténuantes.

 18   Je vous invite, Madame, Messieurs les Juges, à faire une comparaison

 19   entre la déclaration faite par Strugar en fin de procès avec la situation

 20   qui qualitativement était différente, celle des remords exprimés

 21   sincèrement par Jokic. Dans son mémoire, la Défense a tenté d'établir une

 22   comparaison entre ces déclarations faites d'un côté par Jokic et de l'autre

 23   par Strugar au moment des événements, à savoir, ici c'est le 7 décembre.

 24   Des excuses ont été présentées aux Croates et la Défense essaie aussi de

 25   comparer les déclarations faites dans les procès respectifs de ces hommes.

 26   Il y a une grande similitude au niveau du contenu. C'est ce que dit la

 27   Défense.

 28    Cette analyse grammaticale, cette analyse hypertextuelle des mots

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  1   utilisés, en fait, rate le coche, le point essentiel c'est ceci. Quand on

  2   voit les mots utilisés par Jokic au moment du procès et au moment des

  3   événements, ils ont été étayés par ses remords, par son plaidoyer de

  4   culpabilité et la grande coopération dont il a fait preuve. Or, ce n'est

  5   sûrement pas le cas pour Strugar ni d'un côté, ni de l'autre.

  6   La Défense met en exergue dans son mémoire l'arrêt Vasiljevic, lequel

  7   dit qu'il est possible qu'un accusé exprime des regrets sincères sans pour

  8   autant admettre qu'il a participé à un crime. En d'autres termes, le fait

  9   d'être jugé ou d'accepter un procès n'empêche pas un accusé d'exprimer et

 10   de prouver qu'il a des remords sincères. Les remords ne nécessitent pas

 11   qu'on reconnaisse une culpabilité pénale, c'est peut-être vrai, mais ça ne

 12   veut pas dire pour autant qu'un accusé qui choisi d'être jugé doit

 13   nécessairement toujours bénéficier ou tirer un avantage du remords en tant

 14   que circonstance atténuante.

 15   Bien entendu, un accusé a le droit de plaider non coupable. Il a

 16   parfaitement le droit de se défendre des chefs d'accusation retenus contre

 17   elle ou contre lui. Mais ceci peut entraîner certaines conséquences au

 18   niveau des stratégies retenues au moment du procès. On peut décider de

 19   pleinement se défendre sur les faits, sur les responsabilités, il y aura

 20   d'autres conséquences. Le fait de prévoir plusieurs options de défense,

 21   comme ça a été le cas ici. Une de ces conséquences pourrait être que

 22   l'accusé n'est plus en mesure de tirer partie du remords pour espérer en

 23   faire une circonstance atténuante.

 24   L'arrêt Vasiljevic nous dit que le fait d'être jugé n'est pas

 25   nécessairement en contradiction avec l'expression de remords. Mais cet

 26   arrêt Vasiljevic ne signifie pas que tout accusé qui décide d'accepter un

 27   procès a le droit d'invoquer le remords pour en faire une circonstance

 28   atténuante. Ça ne veut pas dire non plus que toute expression de regret va

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  1   nécessairement entraîner une diminution de la peine.

  2   A notre avis, il en faut plus qu'une simple excuse générale sans

  3   reconnaître que des crimes ont été commis et sans accepter à fortiori sa

  4   responsabilité personnelle. Et c'est la raison pour laquelle ces genres de

  5   déclarations ne poursuivent ou ne remplissent aucune finalité. Ce que

  6   recherche l'expression du remords dans un Tribunal international, ici on

  7   cherche dans le remords la réconciliation, la prévention constructive et

  8   l'amendement.

  9   Nous vous demandons de déclarer une peine plus lourde pour mieux rendre

 10   compte de sa culpabilité. Un chiffre, quel serait-il ? Au procès,

 11   l'Accusation avait requis de 13 à 15 ans. Partant des condamnations

 12   conclues par la Chambre ou décidées par la Chambre et compte tenu de la

 13   peine imposée à Jokic, nous pensons que la Chambre de première instance

 14   aurait dû condamner Strugar à 10 ou 12 ans, dans cette fourchette de temps

 15   et non pas à 8 ans d'emprisonnement.

 16   Dernier point que je voudrais évoquer. La Défense vous a demandé de tenir

 17   compte de la situation de santé actuelle de Strugar. La Défense vous a dit

 18   qu'il a subit une grave détérioration de sa santé depuis le jugement rendu

 19   il y a trois ans.

 20   Nous l'avons déjà dit, la Chambre de première instance a déjà tenu

 21   compte de la mauvaise santé de M. Strugar au moment du procès, au moment de

 22   la fixation de la peine, et la Chambre ne s'est pas trompée dans ce qu'elle

 23   a décidé partant de son pouvoir discrétionnaire. Je vais donc me borner à

 24   parler de la santé de M. Strugar, dans la mesure où elle s'est peut-être

 25   détériorée depuis le jugement. 

 26   Si vous vous dites à un moment donné que vous devez prononcer une

 27   autre peine, soit parce que vous retenez notre premier motif et que vous

 28   élargissez la portée de sa condamnation, ou si vous estimez qu'il y a eu

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  1   une erreur, et si vous maintenez soit l'appel de l'Accusation ou celui de

  2   la Défense en matière de peine partant du principe que la Chambre s'est

  3   trompée, oui effectivement, vous avez toute liberté d'estimer que la santé

  4   de l'accusé s'est fortement dégradée depuis le procès ou le premier

  5   verdict. Je me base ici sur l'arrêt Celibici, 3 avril 2003, paragraphes 11

  6   à 15, qui vous permettrait d'agir dans ce sens.

  7   Cependant, à notre avis il faudrait avant de décider de cela procéder à un

  8   examen minutieux. Dans le passé, vous avez entendu en appel des éléments

  9   parlant de l'évolution, de la modification des conditions personnelles de

 10   l'accusé depuis la fin du procès. Mais en général, vous n'avez pas retenu

 11   cet élément, que ce soit dans le cas de Zoran Zigic, lorsqu'il a essayé en

 12   appel de vous montrer d'autres éléments de preuve, ou en vous parlant de

 13   son comportement après verdict au quartier pénitentiaire ou dans Celibici.

 14   La Chambre  d'appel n'avait pas retenu l'élément apporté par l'appelant,

 15   qui était que ces circonstances avaient changé.

 16   Mais tout au long de la procédure d'appel ces trois dernières années,

 17   il serait juste de dire que les deux parties, ainsi que la Chambre d'appel,

 18   ont été conscientes des aspects particuliers à la santé du général Strugar.

 19   Me Rodic a parlé des rapports déposés depuis trois ans, même avant en 2004,

 20   2005 et 2006.

 21   Si vous en arrivez au stade où vous décidez d'une nouvelle peine

 22   imposée au général Strugar, vous allez peut-être penser qu'ici il convient

 23   d'exercer ce pouvoir discrétionnaire qui est le vôtre, et de tenir compte

 24   de son état de santé actuel. Nous sommes au courant des rapports présentés

 25   par la Défense dans la mesure où ces éléments présentés sont en mesure de

 26   vous convaincre qu'il y a eu une détérioration de son état de santé. Il ne

 27   serait pas inapproprié de tenir compte de ces considérations.

 28   J'en ai ainsi terminé des arguments que l'Accusation voulait vous présenter

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  1   pour la peine, comme pour la totalité des appels. Nous en avons ainsi

  2   terminé, à moins que vous ayez des questions à nous poser.

  3   Mme LE JUGE VAZ : M. le Juge Shahabuddeen voudrait vous poser une question.

  4   M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : [interprétation] Mme Brady, juste une question.

  5   Vous avez cité l'arrêt Vasiljevic à l'appui de l'idée qu'un accusé ne doit

  6   pas nécessairement reconnaître les crimes qui lui sont reprochés. Sans

  7   reconnaître une telle participation, il peut malgré tout invoquer une

  8   circonstance atténuante, et vous dites qu'il faut davantage qu'une simple

  9   excuse générale, sans admettre, sans avouer et reconnaître que des crimes

 10   ont été commis. 

 11   Si vous étiez un avocat de la Défense, et si vous deviez prodiguer

 12   conseil à votre client, vous voudriez savoir ce qu'il faut en plus d'une

 13   simple excuse si effectivement il ne doit pas reconnaître que des crimes

 14   ont été commis.

 15   Mme BRADY : [interprétation] Merci, Monsieur le Juge. L'arrêt Vasiljevic

 16   dit en fait qu'un accusé peut exprimer les regrets sincères sans qu'il

 17   admette qu'il ait participé à un crime. 

 18   A notre avis, au minimum ce qu'il faut faire, et je pense que de par

 19   le passé des Chambres de première instance comme des Chambres d'appel ont

 20   confirmé ce cas de figure lorsqu'il y a eu expression de remords, il faut

 21   pour moi que la personne reconnaisse qu'elle a commis une infraction, qu'il

 22   y a eu effectivement un méfait, et il peut bien sûr dire que lui n'a aucune

 23   responsabilité, qu'il n'a pas du tout participé. Ça peut être un moyen de

 24   défense, mais il faudrait qu'il reconnaisse tout du moins que quelque part,

 25   il y a eu méfait ou crime.

 26   Ainsi, dans l'affaire Musema où l'accusé n'avait pas admis ou reconnu

 27   qu'il avait participé ou qu'il devait endosser une certaine responsabilité

 28   pour ce qui s'était passé au moment du génocide, il avait quand même

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  1   reconnu qu'il y avait eu génocide. A un moment, un niveau quelque part il

  2   faut qu'il y ait aveu ou reconnaissance du fait qu'il y ait eu méfait ou

  3   crime.

  4   M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : [interprétation] Je vois. Merci.

  5   Mme LE JUGE VAZ : Bien, vous nous remercions, Madame Brady. Vous en avez

  6   terminé avec votre présentation ? Bien.

  7   Monsieur Rodic, vous avez la parole.

  8   M. RODIC : [interprétation] Madame la Présidente, me permettriez-vous de

  9   vous demander ceci, j'aimerais avoir trois minutes dans le cadre de ma

 10   question précédente, trois minutes pour répondre à ce que Mme Brady a dit

 11   en réponse aux questions posées par les Juges, après quoi mon confrère

 12   prendrait la parole. Deux minutes simplement.

 13   Mme LE JUGE VAZ : Très bien, Monsieur Rodic. Vous pouvez donc répondre.

 14   M. RODIC : [interprétation] Je vous remercie. Mon estimée consoeur, en

 15   réponse aux questions posées par M. le Juge Meron, page du compte rendu

 16   d'audience 4 086 et 4 087, a dit qu'à son retour de Belgrade, l'amiral

 17   Jokic aurait parlé au général Strugar de la façon de dissimuler les

 18   événements survenus dans la vieille ville, les événements portant sur le

 19   pilonnage de la vieille ville. Je dois dire qu'on ne trouve pas ce genre de

 20   déclarations dans le jugement, car la Chambre de première instance n'a pas

 21   accepté, n'a pas accueilli cela.

 22   Jokic essayait à tout prix de bien se placer, et d'alléger le plus la

 23   peine qui risquait de lui être imposée. Lorsqu'il est venu témoigner dans

 24   le procès Strugar, il a fait des déclarations qui, comme dans bien d'autres

 25   affaires, étaient criblées de contradictions. Il a souvent changé de

 26   versions. Il a essayé par sa déposition de présenter à l'opinion publique

 27   croate une version qui lui convenait, et ceci n'a aucunement été étayé par

 28   d'autres éléments de preuve, ce qui fait que la Chambre de première

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  1   instance n'a aucunement tenu compte de ce qu'il a dit.

  2   La question qui se pose, c'était la punition imposée à Kovacevic, la

  3   question était de savoir pourquoi Jokic ne l'avait pas puni. Regardez les

  4   conséquences de l'enquête, le fait de prendre des mesures. Pour nous il est

  5   très important de déterminer le comportement de Jokic le 5 décembre, s'il

  6   planifiait une certaine chose avec Kovacevic, s'il lui donnait des ordres à

  7   l'insu du 2e OG, à ce moment-là, on peut dire que l'implication de

  8   Kovacevic est bien plus grande et c'est finalement Jovanovic qui a fini par

  9   être puni, et c'est lui est à blâmer. Et la Chambre de première instance

 10   l'a établi, c'est Jovanovic qui n'a pas pu utiliser son artillerie contre

 11   la vieille ville.

 12   Mme Brady a dit, en réponse aux questions du Juge, que Strugar avait

 13   appris à 7 heures que la vieille ville était pilonnée, c'était Kadijevic

 14   qui lui avait dit cela, puis il aurait appelé Jokic; mais c'est déformer

 15   les faits. A ce moment-là, Kadijevic ne pouvait pas savoir ce qui se

 16   passait dans la vieille ville. Strugar non plus du coup. Il ne pouvait pas

 17   intervenir dans la zone de Dubrovnik. Ceci aussi avait été accepté par la

 18   Chambre de première instance dans son jugement.

 19   M. PETROVIC : [interprétation] Madame et Messieurs les Juges, j'aimerais,

 20   si vous me le permettez, répondre à l'appel interjeté par l'Accusation.

 21   Nous avons ici la réponse de la Défense au mémoire en appel de l'Accusation

 22   et aux arguments qui ont été présentés aujourd'hui. Ces arguments sont

 23   forts semblables à celui que l'on trouve dans les écritures de

 24   l'Accusation. Nous avons déjà répondu à ces écritures, et la Défense

 25   maintient les arguments qu'elle a présentés en réponse à l'appel interjeté

 26   par l'Accusation. Mais nous souhaiterions mettre en exergue certains points

 27   qui, à notre avis, peuvent être utiles à la Chambre d'appel lorsqu'elle va

 28   devoir se prononcer.

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  1   Premier motif d'appel de l'Accusation, il concerne l'obligation qu'a

  2   l'accusé d'empêcher que des crimes soient commis par ses subordonnés

  3   conformément à l'article 7(3) du Statut. Concrètement, l'Accusation fait

  4   valoir que la Chambre de première instance a versé dans l'erreur en

  5   concluant que Strugar ne savait pas ni n'avait de raison de savoir que ses

  6   subordonnés étaient sur le point de commettre des crimes au cours de

  7   l'attaque menée sur Srdj. C'est l'attaque sur Srdj du 6 décembre 1991 qui,

  8   d'après les conclusions de la Chambre, avait été ordonnée par Strugar. 

  9   L'Accusation fait valoir que Strugar avait l'obligation de prendre

 10   des mesures de façon à empêcher le pilonnage de la vieille ville au cours

 11   de cette attaque, obligation qu'il avait dès le moment, le 5 décembre, où

 12   il donne l'ordre de l'attaque, donc à partir de minuit le 6 décembre 1991,

 13   compte tenu du cadre temporel retenu dans l'acte d'accusation.

 14   Ce motif d'appel part d'une supposition qui parcourt tout le jugement en

 15   première instance. Cette prémisse que l'on trouve à la base de ce jugement,

 16   c'est que Strugar a donné l'ordre d'attaquer Srdj le 6 décembre 1991.

 17   En tout premier lieu, la Défense, et ceci de façon catégorique, rejette

 18   cette idée selon laquelle Strugar aurait ordonné d'attaquer Srdj, comme le

 19   dit le jugement de première instance. La Chambre d'appel a déjà eu

 20   l'occasion d'entendre nos arguments sur ce point.

 21   Dans la réponse que nous faisons maintenant à l'Accusation, nous n'allons

 22   pas répéter les arguments concernant les erreurs au niveau des

 23   constatations retenues par la Chambre de première instance lorsqu'elle a

 24   conclu que c'était Strugar qui avait donné l'ordre d'attaque. Tout ceci se

 25   trouve dans la réponse fournie par la Défense.

 26   Ce motif d'appel de l'Accusation est valable uniquement si la Chambre

 27   d'appel n'accepte pas notre principal moyen d'appel. Si la Chambre d'appel

 28   estime qu'il n'y avait pas d'ordre, la Défense estime qu'il est superflu de

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  1   discuter de la portée de cette obligation qu'il aurait d'empêcher que des

  2   actes soient commis, actes mentionnés dans ce motif d'appel de

  3   l'Accusation.

  4   Mais si la Chambre d'appel rejette l'appel de la Défense sur ce point, la

  5   Défense veut souligner certaines raisons qui, à notre avis, justifient ce

  6   qu'a dit la Chambre de première instance.

  7   La Défense comprend que l'Accusation reprend le raisonnement juridique de

  8   la Chambre pour en conclure que celle-ci estime qu'un supérieur est

  9   responsable uniquement si le crime est certain, s'il est déjà planifié.

 10   Dans d'autres circonstances, d'après ce que dit l'Accusation, la Chambre

 11   n'implique pas nécessairement que le supérieur a l'obligation d'agir.

 12   C'est une conclusion erronée tirée par l'Accusation lorsqu'elle dit que la

 13   Chambre pose une condition pour qu'il y ait responsabilité du supérieur

 14   hiérarchique, il faut qu'il sache ou ait des raisons de savoir uniquement

 15   s'il est certain qu'il va y avoir crime. C'est une conclusion inadéquate

 16   que tire l'Accusation. La Chambre, à notre avis, ne s'écarte pas de ce qui

 17   était accepté comme étant les conditions juridiques en application de

 18   l'article 7(3). Au contraire, la conclusion de la Chambre découle d'une

 19   analyse minutieuse des circonstances, est-ce que le supérieur savait ou

 20   avait des raisons de savoir. Appréciation qui parle notamment aussi des

 21   risques réels et manifestes. C'est une appréciation, une analyse, qui est

 22   faite que l'on se demande s'il y avait un plan d'attaque ou un plan pour

 23   commettre les crimes ou pas.

 24   C'est une analyse minutieuse, disais-je, faite par la Chambre, qui a tenu

 25   compte de tous les facteurs pertinents, les a examinés de façon

 26   approfondie, facteurs qui sont énumérés aux paragraphes 32 et 33 du mémoire

 27   en réponse de la Défense. 

 28   La Chambre a tenu compte de tous ces facteurs, de l'existence d'un

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  1   risque réel et manifeste de voir la JNA pilonner la vieille ville à

  2   l'occasion de l'attaque de Srdj. Tous ces faits analysés par la Chambre,

  3   c'est une analyse des risques, analyse pour voir si l'accusé dans ce

  4   contexte avait connaissance du risque ou avait des raisons d'être au

  5   courant de ce risque.

  6   La Chambre procède à une analyse des risques, elle ne recherche pas

  7   la certitude qu'il va y avoir crime, elle ne cherche pas non plus

  8   l'existence d'un plan qui impliquerait que Strugar a l'obligation d'agir.

  9   Dans cette analyse et appréciation des risques, la Chambre ne fait que

 10   donner à titre d'exemple une situation dans laquelle des supérieurs

 11   hiérarchiques avaient des informations disant que les forces qu'ils

 12   contrôlaient planifiaient la commission d'un crime. La Chambre se sert de

 13   ceci à titre d'exemple, elle ne pose pas ceci en tant que condition.

 14   L'Accusation est en fait en désaccord avec le résultat de l'analyse

 15   factuelle de la Chambre, pas son analyse juridique. On a l'impression que

 16   l'Accusation prend comme norme pour appliquer l'article 7(3), une norme

 17   qu'elle analyse comme ceci : le supérieur hiérarchique serait averti de

 18   l'existence d'un risque chaque fois qu'il a des informations disant qu'un

 19   subordonné a déjà auparavant commis certains crimes.

 20   La Défense a l'impression que la démarche retenue par l'Accusation implique

 21   une formule disons automatique. Et la Défense pense qu'au contraire, sur ce

 22   point, il faut faire ici aussi une évaluation, une appréciation, surtout

 23   parce qu'il y a eu des événements en octobre et en novembre 1991 et que là

 24   il y a toute une série de faits qu'on peut contester - on peut se demander

 25   de quels crimes il s'agit, qui les aurait commis - où il a été établi que

 26   les événements d'octobre et de novembre peuvent être qualifiés de crime, et

 27   surtout pour se demander si ces crimes contiennent les mêmes éléments

 28   constitutifs que les crimes survenus le 6 décembre 1991. Il est aussi très

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  1   important de savoir qui aurait commis ces crimes présumés.

  2   Eu égard au pilonnage du mois d'octobre 1991, les éléments de preuve

  3   présentés montrent clairement que ce n'est pas l'unité à qui Strugar aurait

  4   apparemment donné l'ordre de prendre Srdj le 6 décembre 1991; le 3e

  5   Bataillon de la 472e Brigade n'a pas participé aux activités survenues en

  6   octobre 1991. Nous avons des éléments de preuve contenus dans ce dossier où

  7   l'on trouve des documents montrant où se trouvait cette unité au moment des

  8   faits. Elle n'a aucunement participé à une attaque sur Dubrovnik ni sur la

  9   vieille ville. Ceci a été abordé longuement au paragraphe 13 du mémoire de

 10   la Défense.

 11   En ce qui concerne les événements de novembre 1991, le soutien

 12   d'artillerie, cet appui de l'artillerie est venu de vaisseaux, d'autres

 13   unités d'artillerie du 9e VPS. Là aussi, ce n'est pas le 3e Bataillon de la

 14   472e Brigade qui a ouvert le feu. Vous trouverez ceci aux paragraphes 19 à

 15   28 des écritures de la Défense du mémoire en appel.

 16   Par conséquent, même si nous devions accepter ce qu'a dit la Chambre de

 17   première instance à propos d'un ordre présumé destiné à s'emparer de Srdj,

 18   le simple fait qu'il y aurait eu engagement du 3e Bataillon de la 472e ne

 19   signifie pas que l'accusé avait des raisons de savoir ou aurait pu savoir

 20   qu'en raison d'un comportement antérieur, il existait un risque de voir se

 21   répéter une attaque sur la vieille ville.

 22   Par conséquent, cette formule automatique qu'utilise l'Accusation pour

 23   essayer de vous montrer qu'il y avait toujours avertissement d'un risque ou

 24   qu'il existe toujours cet avertissement d'un crime lorsqu'on sait que des

 25   crimes ont été produits auparavant, c'est tout à fait en contradiction avec

 26   la jurisprudence constante de ce Tribunal qu'évoque la Défense dans son

 27   mémoire en réponse.

 28   La Chambre d'appel dans l'affaire Krnojelac, paragraphe 171, présente

Page 204

  1   une démarche qui cadre parfaitement avec ce qu'a fait la Chambre de

  2   première instance Strugar.

  3   Je l'ai déjà dit, la Chambre de première instance a examiné toute une

  4   série de circonstances avant de se prononcer sur le fait de savoir si le

  5   risque qui existait dans l'ordre qui aurait été donné d'attaquer Srdj, si

  6   ce risque était tel que Strugar savait ou avait des raisons de savoir.

  7   En conclusion, la Défense estime que la Chambre n'a pas versé dans

  8   l'erreur en droit en appliquant les normes ou les critères pour savoir si

  9   Strugar savait ou avait des raisons de savoir que ses subordonnés

 10   s'apprêtaient à commettre un crime.

 11   En réponse au deuxième motif d'appel qui n'a pas été mentionné par

 12   l'Accusation aujourd'hui, nous n'allons pas dire grand-chose si ce n'est

 13   ceci, nos arguments sont déjà consignés dans notre mémoire en réponse.

 14   Je passe dès lors au troisième motif d'appel, erreurs commises par

 15   l'Accusation au niveau de la peine. L'Accusation affirme dans ce troisième

 16   motif, qu'au moment de fixer la peine de Strugar, la Chambre avait essayé

 17   de faire une comparaison entre la situation qui concernait Jokic avec celle

 18   de Strugar. L'Accusation fait également valoir que la Chambre a mal évalué

 19   les rôles respectifs de ces deux hommes en disant que Strugar n'avait pas

 20   une participation ou une connaissance si directe ou avait une

 21   responsabilité moins directe que Jokic. L'Accusation fait aussi appel du

 22   fait qu'en fait une année de moins a été imposée à Jokic.

 23   Je ne pense pas qu'il y aura une chose qui sera contestée ici, c'est

 24   qu'on ne peut imposer une peine qu'au cas par cas, qu'elle est hautement

 25   individuelle. Et ici, pour Strugar, c'était un élément très délicat qui a

 26   tenu compte de toutes sortes de circonstances, la gravité de l'infraction,

 27   le rôle joué par Strugar, en plus de toute une série de circonstances

 28   atténuantes qui ont été établies dans l'affaire Strugar, à commencer par

Page 205

  1   cette prémisse fondamentale que nous voulons souligner. Nous voulons

  2   montrer qu'il y a une différence capitale entre Strugar et Jokic et nous

  3   voulons aussi vous dire comment nous comprenons les allégations dans le

  4   jugement. Dans le jugement, l'Accusation évoque le rôle de Strugar et son

  5   rôle quelque peu moins direct que celui de Jokic, et donc un niveau de

  6   responsabilité moindre dans l'ensemble.

  7   Lorsqu'il s'agit de fixer une peine, l'élément-clé dont il faut tenir

  8   compte c'est la gravité du crime et la gravité de la culpabilité au sens

  9   général du terme de l'accusé. La culpabilité d'un accusé se traduit par les

 10   crimes pour lesquels un accusé est condamné. La Chambre de première

 11   instance a déclaré Jokic coupable de six crimes en vertu de l'article 7(1)

 12   du Statut. Strugar a été acquitté de tous les chefs d'accusation

 13   conformément à l'article 7(1). Lorsqu'on a prononcé la peine de Strugar, la

 14   Chambre de première instance a rejeté tout élément relevant du 7(3) par

 15   rapport à Jokic. Jokic a été condamné eu égard à six crimes, et Strugar eu

 16   égard à deux. La gravité de la peine imposée est en relation directe à la

 17   gravité de la conduite criminelle au sens général du terme.

 18   Les crimes et la forme de responsabilité pénale de Jokic étaient

 19   différents de ceux de Strugar, et ceci se traduit par la peine qui a été

 20   imposée. Il est erroné de la part de l'Accusation de dire que Strugar et

 21   Jokic ont été accusés des mêmes crimes. Il s'agit là d'une interprétation

 22   erronée des faits; c'est ainsi que nous voyons cela.

 23   De surcroît, la Chambre de première instance a imposé à Jokic une

 24   peine, car on a tenu compte en fait de l'ampleur de la destruction. Il a

 25   été déclaré coupable pour avoir détruit quelque 450 bâtiments dans la

 26   vieille ville de Dubrovnik. Strugar, en revanche, a été condamné par

 27   rapport à la destruction de 52 bâtiments. La Chambre de première instance

 28   est arrivée à ce chiffre.

Page 206

  1   Jokic a été condamné pour traitement cruel et attaque des civils,

  2   parce que deux personnes ont été tuées le 6 décembre 1991. Strugar n'a été

  3   condamné que par rapport à deux personnes, à savoir attaque contre des

  4   civils.

  5   La Chambre de première instance a également constaté qu'il y avait une

  6   circonstance aggravante dans le cas de Jokic, ce qui n'était pas le cas

  7   pour Strugar.

  8   Un autre élément que la Défense souhaite faire valoir c'est, dans le cas de

  9   Strugar, la Chambre de première instance a examiné de près le rôle joué par

 10   Jokic, et ce, dans le détail. La Chambre de première instance a condamné

 11   Jokic. Jokic a passé plus d'un mois à témoigner dans ce procès. Il y a

 12   maintenant une disparité entre ces peines, et la Défense estime que ceci

 13   n'est pas approprié puisque c'est au détriment de Strugar, c'est quelque

 14   chose que nous avons abordé dans notre mémoire en appel, et ceci est dû à

 15   l'évaluation faite par la Chambre de première instance, le rôle joué par

 16   Jokic dans les événements, après les événements, la façon dont Jokic a

 17   décrit ces événements devant les Juges de la Chambre lorsqu'il a témoigné. 

 18   La peine est le résultat même de cette évaluation générale qui a été

 19   faite par la Chambre.

 20   Paragraphe 464 du jugement, on peut lire que Strugar n'était pas

 21   aussi directement responsable que Jokic, et donc c'est une déduction tout à

 22   fait indéfendable, car la Chambre de première instance constate qu'il est

 23   moins responsable que Jokic, qui était -- La Chambre de première instance

 24   constate que Strugar est moins responsable. Tels sont les faits de cette

 25   affaire. C'est en tout cas ce qu'indiquent les éléments de preuve.

 26   L'Accusation fait valoir que Strugar avait un niveau de contrôle effectif

 27   plus élevé par rapport à Jokic, et ce fait, en soi, justifie la disparité

 28   des peines prononcées à l'encontre des deux hommes. Le niveau de contrôle

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  1   que Jokic exerçait était beaucoup élevé et beaucoup plus complet que celui

  2   de Strugar.

  3   Dans ce contexte, il y a un certain nombre de constatations et

  4   conclusions faites par la Chambre qui indiquent que la peine se fonde là-

  5   dessus.

  6   La Défense souhaite maintenant faire valoir un certain nombre de

  7   conclusions qui, d'après nous, correspondent aux faits, par rapport au rôle

  8   joué par Jokic dans ces événements. Il s'agit là d'une poignée de

  9   conclusions que je vais présenter. Inutile de les aborder tout en détail.

 10   Toutes les forces qui ont participé à l'attaque étaient placées sous son

 11   commandement. C'est ce qui a été déterminé par la Chambre de première

 12   instance. 

 13   La Chambre de première instance, de surcroît, établi que Jokic était

 14   le choix logique, le seul choix en termes de qui serait responsable de

 15   l'enquête. La Chambre conclu que Jokic était le seul choix logique, et ceci

 16   s'écarte de la doctrine généralement appliquée par la JNA en ce qui

 17   concerne les principes de commandement au sein de la JNA.

 18   Ce même Jokic est tout à fait catégorique lorsqu'il répond à la

 19   question. Il dit que Strugar n'a jamais participé aux événements du 6

 20   décembre. Il a donné l'ordre d'attaquer la vieille ville de Dubrovnik, et a

 21   dit que c'était sa propre zone de responsabilité et c'étaient ses propres

 22   unités qui étaient responsables dans cette zone. En l'absence d'éléments de

 23   preuve présentés par l'Accusation, c'est la raison pour laquelle son aveu

 24   était quelque peu limité. Néanmoins, pendant le procès Strugar en tant que

 25   tel, on a jeté beaucoup de lumière sur la participation de Jokic aux

 26   événements du 6 décembre 1991, ce qui est beaucoup plus grave que l'aveu de

 27   culpabilité fait par Jokic.

 28   L'Accusation abandonne des chefs d'accusation qui avaient été reprochés

Page 209

  1   précédemment à Zec. Les aveux limités de Zec sont établis, aucun autre

  2   élément de preuve n'est présenté, et on tente par ce biais d'augmenter la

  3   responsabilité le 6 décembre 1991, la responsabilité de Strugar. La

  4   conclusion eu égard au rôle joué par Jokic est celle-ci : Jokic disposait

  5   du contrôle effectif et direct sur les unités, il avait la responsabilité,

  6   le devoir, et devait empêcher et punir et que les événements n'échappent à

  7   son contrôle, ou que des événements ne se déroulent le 6 décembre. 

  8   Il y a une discordance en fait au niveau des peines entre Jokic et

  9   Strugar, et ceci est fait aux dépens de Strugar, l'Accusation prétend mais

 10   la Défense avance que c'est exactement le contraire dans ce cas, et c'est

 11   ce que nous avons clairement exposé dans notre mémoire.

 12   Pour ce qui est de la déclaration de Strugar, tout d'abord, je souhaite

 13   vous dire ceci : la Défense fait valoir que l'importance ou le poids

 14   accordé à la peine de Strugar, le poids qui a été accordé à sa déclaration,

 15   est sans importance. C'est précisément un de nos arguments que nous

 16   souhaitons faire valoir. 

 17   Nous pensons que la Chambre de première instance n'a pas accordé

 18   suffisamment de poids à sa déclaration, le poids que cette déclaration

 19   méritait. Donc, l'Accusation est quelque peu dans l'obscurité, ne sait pas

 20   pourquoi l'Accusation s'opposerait à la déclaration Strugar. Ceci a

 21   simplement été évoqué dans l'exposé des motifs et du jugement rendu par la

 22   Chambre de première instance. On ne lui a accordé aucun poids.

 23   La Chambre n'a jamais établi si cette déclaration avait été prise en

 24   compte comme une circonstance atténuante, et dans quelle mesure ceci a été

 25   le cas. La Défense aurait donc tendance à conclure qu'aucun poids n'a été

 26   accordé à la déclaration faite par M. Strugar, en tout cas certainement pas

 27   le poids qu'il aurait mérité.

 28   Si la Chambre d'appel venait à constater que du poids avait été accordé à

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  1   cette déclaration, ceci devrait se fonder sur les positions prises par la

  2   Chambre d'appel, et comme nous l'avons expliqué aux Juges de la Chambre

  3   d'appel aujourd'hui dans l'affaire Vasiljevic que nous reprenons.

  4   Par conséquent, dans ce paragraphe aucune référence n'est faite à

  5   l'acceptation conditionnelle d'admission de responsabilité pour ce qui est

  6   en jeu ici.

  7   L'Accusation prétend qu'une année de différence entre les deux peines

  8   est tout à fait inappropriée, et l'expression du remords de la part de

  9   Jokic et de Strugar respectivement doit être reconnue, et que la peine de

 10   Strugar doit être augmentée. Nous souhaitons indiquer qu'il y a un certain

 11   nombre de facteurs qui ont une incidence sur tout ceci; la situation des

 12   deux accusés, leur état de santé, et toute sorte d'autres facteurs

 13   soulignent la différence entre les deux cas.

 14   La Défense souhaite souligner plus particulièrement ce qui suit : je

 15   veux parler des allégations faites par l'Accusation, qui avance que la

 16   différence entre les peines prononcées eu égard aux deux hommes doivent

 17   illustrer la coopération substantielle de Jokic, et la Défense estime que

 18   c'est précisément sur ce point-là que nous devons arguer du fait qu'il faut

 19   estimer qu'il doit y avoir une différence au niveau des peines imposées aux

 20   deux hommes.

 21   La Défense fait valoir, comme je l'ai dit il y a quelques instants, que la

 22   Chambre d'instance dans le cas de Strugar a eu toute latitude pour examiner

 23   le niveau de coopération, et a essayé de dire ou de dissimuler ce que Jokic

 24   voulait dire, parce que Jokic ne disait pas la vérité et on a voulu

 25   minimiser cela. 

 26   La Chambre de première instance, à juste titre, évaluait la

 27   coopération de Jokic pour ce qu'elle était dans ce jugement. Lorsqu'on

 28   parlait d'éléments-clés, la Chambre de première instance n'a pas tenu

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  1   compte de ce que disait Jokic, bien qu'il s'est engagé à coopérer, et si

  2   ceci a été couronné de succès il fallait faire prévaloir la justice, et

  3   Jokic a tenté de minimiser sa propre responsabilité et de faire porter la

  4   faute à Strugar.

  5   Je vais citer maintenant un certain nombre de constatations faites

  6   par la Chambre de première instance eu égard à la déposition de Jokic.

  7   Au paragraphe 881, on voit comment la Chambre de première instance établit

  8   que Jokic a déclaré qu'au cours des négociations du 5 décembre 1991, il y

  9   avait un point qui est resté en suspens, le contrôle de bateaux. Au

 10   paragraphe 83, la Chambre de première instance déclare que la version de

 11   Jokic était exagérée, et qu'on présentait sa déposition comme étant assez

 12   avantageuse, et le rôle qu'il a joué dans les négociations le 5 décembre.

 13   Paragraphe 83 du jugement, on dit que le 6 décembre 1991, des

 14   questions ont été posées à Jokic. Comment ceci avait-il été résolu le 5

 15   décembre, la question de la levée du blocus contre Dubrovnik ou le fait

 16   d'évacuer des membres des forces armées croates. C'est une demande qui

 17   avait été faite le 6 décembre 1991 et Jokic a décidé de garder le silence

 18   sur ce point. Ce qui est indiqué au paragraphe 82, Jokic parle de ce qu'il

 19   a fait après avoir rencontré les ministres croates. Il prétend que lui,

 20   Jokic, a informé l'accusé Strugar de ceci à Trebinje, et la Chambre de

 21   première instance refuse de croire Jokic pour ce qui est de la teneur de ce

 22   qu'il dit entre lui et Strugar. 

 23   Jokic prétend qu'il n'a pas assisté à la réunion qui s'est déroulée

 24   le 5 décembre. La Chambre de première instance refuse de le croire. La

 25   question reste en suspens. Entre autres, il y a cette audition avec le

 26   bureau du Procureur, en 2003, où il a clairement indiqué qu'il avait

 27   assisté à cette réunion. Nous avons ici le rapport de Jokic daté du 7

 28   décembre 1991. La Chambre estime qu'il s'agit là d'un rapport qui tente à

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  1   diluer ou à tromper. Jokic, en 2004, dans ce procès, prétend que lorsque

  2   ceci a été rédigé, qu'il faisait l'objet d'un complot et que ceci n'était

  3   pas crédible.

  4   La Chambre évalue la déposition de Jokic par rapport à certains

  5   éléments-clés : sa conviction et rôle joué par Strugar et Kadijevic.

  6   La Chambre de première instance n'est pas convaincue et refuse d'accepter

  7   les explications fournies par Jokic. La Chambre de première instance refuse

  8   d'accepter la déposition de Jokic comme étant une composante-clé ce matin-

  9   là du 6 décembre 1991. Malgré tous ces faits, la Chambre de première

 10   instance a établi que Jokic était au courant de ce qui se passait le 6

 11   décembre 1991. Pendant le procès lorsque, semble-t-il, il a fait des aveux

 12   en public concernant sa participation à ces événements-là, l'explication

 13   qu'il fournit c'est qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires parce qu'il

 14   ne disposait pas de preuves nécessaires.

 15   La Chambre de première instance constate que ceci n'est pas

 16   convainquant et Jokic n'est pas d'accord avec le bureau du Procureur, mais

 17   il s'engage à fournir des éléments d'information qui sont complets et

 18   conformes à la vérité. La seule manière qui permet de vérifier l'intégrité

 19   des éléments d'information ou de leur caractère véridique consistait à

 20   fournir à Jokic -- était, en réalité, le procès de Strugar lui-même.

 21   En rejetant les allégations de Jokic sur tous les aspects-clés des

 22   explications fournies par lui de ce qui s'est passé le 6 décembre 1991, la

 23   Chambre de première instance nous a donné une estimation de la qualité du

 24   degré de sa coopération.

 25   Un autre élément que la Défense souhaite signaler en particulier,

 26   c'est le fait que la Défense ne récuse pas la peine imposée à Strugar, la

 27   gravité de la peine de Strugar, du point de vue juridique, qui prévaut dans

 28   les tribunaux internationaux. Il n'a jamais prétendu que la peine n'avait

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  1   pas été décidée comme il faut et ne correspondait pas aux critères ni aux

  2   exigences adoptés par les tribunaux internationaux.

  3   La lourdeur de la peine imposée par la Chambre de première instance à

  4   l'encontre de Strugar ne peut être contredite d'un point de vue juridique,

  5   mais ne peut être remise en cause que par les pratiques juridiques et ne

  6   peut pas être remise en cause en comparant sa peine à celle de Jokic. Si on

  7   compare ces deux peines, c'est tout à fait impossible et ce n'est pas,

  8   certainement, la façon dont le bureau du Procureur le ferait, plus

  9   particulièrement pour ce qui est de la gravité des crimes ici et des

 10   circonstances atténuantes et aggravantes. En tout état de cause, les

 11   circonstances aggravantes sont liées à une peine, mais ceci ne peut être

 12   traité qu'au cas par cas. Il s'agit d'une approche adoptée par le bureau du

 13   Procureur dans son troisième moyen d'appel et semble ne pas tenir compte

 14   des circonstances individuelles de cet accusé.

 15   La Défense, par conséquent, demande à la Chambre de première instance

 16   de rejeter ce troisième moyen d'appel du bureau du Procureur. Nous

 17   demandons également aux Juges de la Chambre de rejeter tous les moyens

 18   d'appel du bureau du Procureur.

 19   Et finalement, ce que j'aimerais faire c'est ceci : je souhaite

 20   brièvement répondre à la question posée par le Juge de la Chambre eu égard

 21   à la lettre datée du 20 mars 2008. La Défense estime, pour ce qui est de

 22   l'attaque contre des objets civils, que le même critère de mens rea est

 23   requis qu'une attaque contre les civils. Et la Défense souhaite réitérer sa

 24   position sur ce point. Nous parlons ici d'intention directe ou peut-être

 25   que nous n'avons pas été suffisamment clairs sur ce point. Je souhaite dire

 26   que nous avons abordé cette question au paragraphe 71 de notre mémoire en

 27   appel.

 28   Merci beaucoup, Madame et Messieurs les Juges. Telle est notre

Page 214

  1   réponse aux arguments présentés par l'Accusation.

  2   [La Chambre d'appel se concerte]

  3   Mme LE JUGE VAZ : Très bien. Nous remercions M. Petrovic.

  4   A présent, nous donnons la parole à la Défense, Madame Brady, pour la

  5   réplique.

  6   Mme BRADY : [interprétation] Merci, Madame la Présidente et Messieurs les

  7   Juges. Nous pouvons être très brefs dans notre réplique. Je vais faire

  8   quelques commentaires assez brefs eu égard à certains arguments à propos du

  9   prononcé de la peine en appel et même Mme Jarvis va faire quelques

 10   commentaires pour ce qui est du premier motif d'appel.

 11   Le premier point porte sur la peine en appel, nous estimons que la sentence

 12   est inappropriée. Si on compare la peine imposée à M. Jokic qui est à

 13   l'origine de l'erreur et met en exergue cette valeur, il s'agit, en fait,

 14   d'une peine trop légère.

 15   Pour simplement corriger ce qu'a dit mon confrère lorsqu'il a fait

 16   référence au nombre de bâtiments qui ont fait partie du plaidoyer de

 17   culpabilité de M. Jokic, je crois qu'il a cité le chiffre de 450 bâtiments.

 18   Madame, Messieurs les Juges, je souhaite attirer votre attention sur le

 19   paragraphe 27 du jugement de la Chambre de première instance à l'affaire

 20   Jokic, paragraphe 27, en particulier la note en bas de page 34 qui parle du

 21   fait que le chiffre, en fait, du nombre de bâtiments endommagés représente

 22   100 bâtiments, et non pas 450.

 23   Mon dernier argument en réplique porte sur les arguments présentés

 24   par Me Petrovic. Je souhaite les résumer de cette façon : il a fait valoir

 25   le fait que Jokic avait passé un mois au cours duquel il a déposé devant la

 26   Chambre de première instance et la Chambre de première instance aurait eu

 27   toute latitude pour évaluer les rôles respectifs de l'un et de l'autre. Ils

 28   avancent que la participation de Jokic aux crimes commis le 6 décembre

Page 215

  1   était plus grave aux yeux de la Chambre dans l'affaire Strugar, que

  2   constatée par les Juges de la Chambre compte tenu des aveux faits par

  3   Jokic.

  4   Ils avancent également le fait que la Chambre de première instance

  5   aurait eu la meilleure position possible pour évaluer la "coopération" de

  6   Jokic. 

  7   Pour ce qui est de cet ensemble d'arguments, nous faisons valoir ceci

  8   : il est vrai que la Chambre de première instance dans l'affaire Strugar a

  9   certainement eu l'occasion, il est vrai qu'elle a entendu pendant de

 10   nombreuses heures la déposition de Jokic. Néanmoins, il faut se rappeler

 11   que la Chambre dans l'affaire Strugar n'a pas fait de constatation ni pris

 12   de décision sur la culpabilité de Jokic puisqu'il s'agissait du procès de

 13   Strugar, et c'est Strugar qui faisait l'objet de ce procès.

 14   Mais nous sommes d'accord pour dire dans une grande mesure que la

 15   Chambre de première instance a fait des constatations soit de rejeter, soit

 16   d'accepter certains aspects présentés par Jokic et la description qu'il a

 17   faite de son rôle ce jour-là. Néanmoins, d'après nous, dans la mesure où

 18   ils ont fait cela, ceci concorde ou est conforme aux constatations faites

 19   par la Chambre de première instance dans l'affaire Jokic, les conclusions

 20   dans l'affaire Jokic qui ont été confirmées par cette Chambre d'appel. Et

 21   ceci coïncide avec la responsabilité de Jokic qui consiste à aider et à

 22   encourager, à son manquement à empêcher, parce qu'aux premières heures du

 23   matin Jokic avait été averti du fait que les crimes se poursuivaient et il

 24   a omis de prendre les mesures nécessaires et adéquates pour empêcher ou

 25   punir. 

 26   Donc, dans la mesure où ma consoeur a indiqué qu'il y avait une

 27   différence, nous estimons qu'il n'y a pas de différence de perspective en

 28   quelque sorte entre le caractère criminel de Jokic. Il n'y a pas de

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  1   différence entre la Chambre de première instance de Strugar et la façon

  2   dont la Chambre de première instance dans Jokic et la Chambre d'appel ont

  3   perçu Jokic. De toute façon, parce que la Chambre de première instance a

  4   comparé les peines, a analysé la peine de Jokic, qui était de sept ans,

  5   comme étant un point de repère, il y avait une différence dans une cette

  6   mesure puisqu'ils ont analysé son rôle, et dans ce cas la Chambre de

  7   première instance devait considérer sa responsabilité sous l'angle adopté

  8   par la Chambre qui a prononcé sa peine et qui a été confirmée par la

  9   Chambre d'appel. Parce que sinon, il serait inutile de se livrer à ces

 10   comparaisons.

 11   Parce que si on compare ce chiffre de sept ans, il faut en fait le

 12   mettre en perspective et dire qu'il s'agit d'une peine qui était appropriée

 13   pour certains comportements criminels, et cette criminalité a été définie

 14   par la Chambre de première instance dans l'affaire Jokic et confirmée par

 15   la Chambre d'appel, et cela devrait être le principe qui régit cette

 16   situation. Ce n'est pas forcément le point de vue de la Chambre sur le

 17   comportement de Jokic. Quoi qu'il en soit, nous estimons que ces deux

 18   points de vue sont cohérents et que la Chambre de première instance

 19   reprenait comme il se doit les avis présentés par la Chambre de première

 20   instance qui a condamné Jokic.

 21   C'est tout ce que j'ai à dire sur la peine, et je vais donner la

 22   parole à Mme Jarvis qui va faire quelques commentaires sur le premier moyen

 23   d'appel.

 24   Mme JARVIS : [interprétation] Il y a simplement trois choses que je veux

 25   dire pour répliquer s'agissant du premier moyen d'appel de l'Accusation.

 26   Premièrement, il y a l'argument de la Défense au sujet du premier moyen

 27   d'appel de l'Accusation, et tout ceci, bien entendu, dépend de la

 28   conclusion de la Chambre de première instance selon laquelle Strugar a

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  1   attaqué Srdj ou a ordonné de l'attaquer.

  2   Non, notre moyen d'appel ne dépend pas exclusivement de cette conclusion-

  3   là. Il est vrai que dans notre mémoire nous avons dit, et nous l'avons

  4   répété aujourd'hui même, que l'ordre dans lequel Strugar a donné l'ordre

  5   d'attaquer Srdj le 5 décembre augmentait le risque de voir pilonner la

  6   vieille ville de Dubrovnik. Même si on ne tenait pas compte de ce contexte-

  7   là, je pense qu'il y a suffisamment d'éléments extrêmement convaincants qui

  8   déclenchent pour Strugar la nécessité de prévenir les crimes en tant que

  9   supérieur hiérarchique.

 10   Au début de mon intervention, j'ai listé dix facteurs de contexte qui ont

 11   une pertinence pour évaluer la connaissance qu'avait Strugar des risques. 

 12   Il y en avait trois qui avaient un rapport avec l'ordre d'attaque

 13   contre Srdj. Par exemple, l'ordre en tant que tel impliquait le pilonnage

 14   de Dubrovnik et les environs.

 15   Mais même si on ne tient pas compte de cela, on se trouve malgré tout

 16   dans un cas de figure où au minimum Strugar savait qu'il y avait eu à

 17   plusieurs reprises pilonnage de la vieille ville de Dubrovnik en octobre et

 18   en novembre. Rien n'avait été fait pour punir les auteurs de ces crimes, et

 19   ceci était conforme à la discipline généralisée des hommes placés sous le

 20   commandement de Strugar. On ouvrait le feu sans y être autorisé, par

 21   exemple, et même l'existence d'ordres interdisant l'attaque de la vieille

 22   ville n'a rien donné en novembre.

 23   Donc même dans ce cas de figure-là le risque était important de voir

 24   ces crimes se reproduirent et le supérieur hiérarchique concerné devait

 25   intervenir, je m'inspire ici de la jurisprudence constituée par l'arrêt

 26   Hadzihasanovic. La Chambre d'appel a confirmé que le fait de ne pas punir,

 27   sanctionner des crimes commis par le passé permet d'évaluer le risque,

 28   parce que le fait de ne pas punir donne un sentiment d'impunité aux hommes,

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  1   aux forces armées concernées.

  2   Je souhaiterais évoquer également l'arrêt Naletelic que nous citons dans

  3   nos écritures supplémentaires déposées l'an dernier. La Chambre d'appel

  4   dans Naletelic a conclu, contrairement aux moyens d'appel soulevés en

  5   l'espèce, a conclu donc que le fait que Naletelic ait vu, ne serait-ce

  6   qu'une fois, un de ses subordonnés procédé à des pillages était suffisant

  7   pour l'avertir de la situation et le contraindre à prendre des actions pour

  8   punir les auteurs de ces actes et prévenir les autres actes de pillages.

  9   Paragraphes 386 et 387.

 10   Bien entendu, chaque affaire est différente des autres, mais en l'espèce,

 11   même si on ne tient pas compte de l'ordre d'attaque de Srdj, il y a

 12   suffisamment d'information alarmante qui aurait dû faire que Strugar aurait

 13   pris des mesures pour prévenir ces crimes, et il ne l'a pas fait.

 14   Deuxième chose, ça a trait à un argument de la Défense selon lequel le 3e

 15   Bataillon de la 472e Brigade n'a pas été impliqué dans le pilonnage de

 16   novembre, et donc on ne pouvait pas attendre de Strugar qu'il pense que ses

 17   troupes allaient participer au pilonnage qui a eu lieu, lui, en décembre.

 18   A ce sujet, on voit la Chambre de première instance se prononcer dans

 19   plusieurs paragraphes du jugement. Je vais vous renvoyer à la note de bas

 20   de page 1222 du jugement de première instance. La Chambre de première

 21   instance conclut que Strugar savait à cause du comportement répréhensible

 22   préalable du 3e Bataillon.

 23   La Chambre de première instance s'appuie sur la déposition de Jokic

 24   qui dit avoir mené une enquête suite au pilonnage de la vieille ville en

 25   novembre 1991, enquête qui l'avait mené à conclure que cette brigade avait

 26   eu la capacité de bombarder la vieille ville de Dubrovnik, et il a

 27   également dit que c'était le capitaine Kovacevic qui était le premier

 28   responsable.

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  1   Il a ensuite déclaré qu'il avait abordé la question avec le général

  2   Strugar demandant à ce que différents commandants de la 472e Brigade soient

  3   relevés de leurs fonctions.

  4   La Défense, dans la prise de position qui est la sienne, vous demande

  5   d'aborder une vision différente de celle de la Chambre de première

  6   instance, Chambre de première instance qui avait évalué avec beaucoup

  7   d'attention tous les faits de l'espèce.

  8   La Défense n'a nullement démontré que les conclusions de la Chambre

  9   de première instance étaient déraisonnables. Au contraire, les conclusions

 10   de la Chambre sont étayées par les éléments de preuve qui montrent comment

 11   s'est déroulée l'attaque de novembre.

 12   Je souhaiterais particulièrement vous renvoyer au paragraphe 64 du

 13   jugement de première instance qui évoque le pilonnage de la vieille ville

 14   du 2 [comme interprété] novembre au moyen des roquettes Maljutka, ces

 15   missiles filoguidés. La Chambre de première instance évoque d'autres

 16   éléments de preuve qui leur ont été communiqués, notamment venant du

 17   capitaine Nesic, qui faisait partie du 3e Bataillon de la 472e Brigade. Il

 18   se trouvait à Zarkovica au cours de l'attaque de novembre et il a témoigné

 19   à ce sujet. Il a dit que la vieille ville avait été pilonnée au moyen de

 20   missiles filoguidés. Ceci donc cadre totalement avec les conclusions de

 21   Jokic dans son enquête au sujet des personnes impliquées.

 22   La Défense nous dit que le 3e Bataillon n'aurait pas pu participer au

 23   pilonnage, mais on se base sur un postulat qui est erroné. Elle se réfère à

 24   un certain nombre d'ordres relatifs à l'attaque de novembre pour nous dire

 25   que la 3e Bataillon était soutenu par d'autres unités d'artillerie et qu'il

 26   avait une autre mission qui était différente de celle de l'artillerie, donc

 27   il ne peut pas être responsable du pilonnage de la vieille ville.

 28   Comme on peut le voir au paragraphe 127 du jugement de première

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  1   instance, le 3e Bataillon avait sa propre unité d'artillerie. Jokic l'a dit

  2   au procès. Il était tout à fait logique aux termes de la doctrine militaire

  3   que ces unités subordonnées utilisent leurs propres ressources d'artillerie

  4   sans pour autant qu'un supérieur leur en donne l'ordre.

  5   Le fait donc que cette unité ait reçu le soutien d'autres unités

  6   d'artillerie n'empêche nullement de conclure que cette unité même aurait pu

  7   utiliser sa propre artillerie pour pilonner la ville le 12 novembre, et ça

  8   cadre tout à fait avec la manière dont s'est  déroulée cette offensive.

  9   Pour terminer, je souhaiterais évoquer l'argument de la Défense selon

 10   lequel l'Accusation est insatisfaite de l'évaluation du risque faite par la

 11   Chambre de première instance. Je veux préciser la chose parce que c'est

 12   très important. Ce n'est pas du tout le cas. Ce qui nous gène, ce n'est pas

 13   l'évaluation du risque de la Chambre de première instance. Ce qui nous

 14   gène, c'est qu'après avoir déterminé que le risque de voir des crimes se

 15   produirent était réel, était important, malgré cela, la Chambre de première

 16   instance n'a nullement estimé que Strugar avait l'obligation juridique de

 17   faire quoi que ce soit à ce sujet.

 18   Donc pour résumer, nous acceptons les conclusions de la Chambre de première

 19   instance s'agissant du risque, mais nous ne sommes pas d'accord s'agissant

 20   des conséquences qu'en a tirées la Chambre de première instance.

 21   Je souhaiterais conclure en vous demandant d'aborder la question de la

 22   manière suivante : nous sommes ici en train de parler de la question de

 23   l'évaluation des risques et à qui il incombe d'en tenir compte, qui est

 24   soumis à ce risque ?

 25   La Chambre de première instance nous dit que c'était la population civile

 26   de Dubrovnik qui se trouvait entre les remparts de la vieille ville de

 27   Dubrovnik. Ces civils n'avaient nullement le moyen de contrôler ce risque. 

 28   Or, selon nous, c'est tout à fait contraire à la doctrine de la

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  1   responsabilité du supérieur hiérarchique. Un commandant a pour obligation

  2   de contrôler ses hommes.

  3   Le risque, on le trouve au niveau du général Strugar, qui était le

  4   commandant supérieur de toutes les forces engagées dans la zone. Il avait

  5   toutes les ressources nécessaires à sa disposition pour contrôler ce

  6   risque, pour le juguler, le maîtriser et faire en sorte que jamais on ne se

  7   mette à pilonner la vieille ville, et il n'a rien fait, voilà.

  8   Merci.

  9   Mme LE JUGE VAZ : M. le Juge Kwon a une question.

 10   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Madame Jarvis, je constate qu'à la ligne

 11   15, page 140, vous dites que vous acceptez la constatation de la Chambre de

 12   première instance s'agissant du niveau de risque qui existait. Comment

 13   interprétez-vous le paragraphe 418, la phrase qu'on trouve au milieu du

 14   paragraphe avec la note de bas de page 1204 ? "Selon la Chambre de première

 15   instance, il savait seulement qu'il ne pouvait exister qu'un nombre limité

 16   de positions défensives croates, et au fur et à mesure de l'attaque ces

 17   positions ont été soumises à des pilonnages contrôlés et limités de la JNA

 18   sur les forces qu'on pensait se trouver au niveau de ces positions."

 19   Mme JARVIS : [interprétation] Selon nous, ceci ne modifie pas les griefs

 20   qui sont les nôtres en l'espèce. Ici, la Chambre de première instance

 21   revenait peut-être sur une conclusion qu'elle avait rendue précédemment

 22   quand on se demandait si Strugar pouvait voir sa responsabilité pénale

 23   engagée pour avoir ordonné l'attaque contre Srdj. Ceci était lié à la

 24   connaissance de la probabilité de voir une attaque contre la vieille ville

 25   se produire.

 26   Et justement, cette probabilité, la Chambre a conclu qu'elle existait

 27   parce qu'elle a estimé que Strugar avait ordonné une attaque plus

 28   contrôlée.

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  1   Mais ceci ne remet nullement en compte les conclusions que l'on voit aux

  2   paragraphes 416, 417 et 420 du jugement. La Chambre de première instance,

  3   malgré l'analyse que nous venons d'évoquer, conclut qu'il savait qu'il

  4   existait un véritable risque, que dans le feu de l'attaque, l'artillerie de

  5   la JNA recommence à pilonner Dubrovnik de manière totalement illégale.

  6   Le problème c'est qu'à ce moment-là la Chambre de première instance conclut

  7   que le risque n'est pas suffisamment élevé, et c'est justement là

  8   qu'intervient notre moyen d'appel. Parce que nous, ce que nous disons,

  9   c'est que lorsqu'un supérieur hiérarchique a la connaissance de la

 10   possibilité - je ne parle pas d'une possibilité générale ou possibilité

 11   très vague de voir un crime être commis, mais non. Lorsque sur la base de

 12   ce qui vient de se produire récemment et sur la base de bien d'autres

 13   facteurs, il sait que c'est beaucoup plus sérieux, à ce moment-là, ce

 14   commandant doit agir, parce que c'est lui qui commande cette force, cette

 15   force meurtrière qui fait courir des risques aux biens de caractère civil

 16   et aux civils, comme ici.

 17   M. LE JUGE KWON : [interprétation] Merci.

 18   Mme LE JUGE VAZ : Nous vous remercions, Madame Jarvis. Je crois que le Juge

 19   Shahabuddeen voudrait poser une question, ou bien --

 20   M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : [interprétation] Oui, une question brève. Une

 21   question que je vous pose uniquement pour obtenir des informations. Je

 22   voudrais savoir où dans le jugement de première instance on peut voir que

 23   la Chambre de première instance a conclu que c'était aux civils de

 24   Dubrovnik de supporter ce risque. Mais il est fort possible aussi que je

 25   vous ai mal comprise.

 26   Mme JARVIS : [interprétation] Non, je n'ai nullement dit qu'on pouvait

 27   trouver expressément cette mention dans le jugement ou cette conclusion.

 28   J'ai dit que c'était la conséquence de ce qu'avait fait la Chambre de

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  1   première instance en l'espèce. Donc excusez-moi. Ceci me permet de préciser

  2   mon argumentation.

  3   M. LE JUGE SHAHABUDDEEN : [interprétation] Merci.

  4   Mme LE JUGE VAZ : Très bien. Nous vous remercions. Je pense qu'il n'y a

  5   plus de questions.

  6   A présent, nous allons demander à M. Strugar s'il veut s'adresser à la

  7   Chambre. Il a la parole.

  8   [L'appelant se lève]

  9   L'APPELANT : [interprétation] Oui, tout à fait, je souhaite m'adresser à

 10   vous, Madame et Messieurs les Juges.

 11   Madame et Messieurs les Juges, je suis reconnaissant à la Chambre d'appel

 12   de me donner l'occasion de m'exprimer directement à vous au cours de cette

 13   Audience en appel. La journée se termine et mon sort se scelle ici devant

 14   le Tribunal pénal international. J'ai réfléchi à ce que je pourrais vous

 15   dire en ce moment, compte tenu de l'appel, du recours formé et des

 16   arguments présentés par mes avocats. J'ai décidé de n'évoquer que quelques

 17   points.

 18   Lorsque le gouvernement du Monténégro m'a informé du fait que le Tribunal

 19   de La Haye avait fourni des informations disant que j'avais été accusé de

 20   crimes, crimes commis à Dubrovnik, j'ai aussitôt répondu que j'étais prêt à

 21   me présenter devant ce Tribunal, dès que c'était possible, dès que ce

 22   serait possible.

 23   J'ai pris cette décision même si à l'époque nous étions alors en

 24   octobre 2001, j'étais hospitalisé car j'avais des problèmes rénaux et

 25   c'était la cinquième opération chirurgicale que je subissais.

 26   Il n'empêche que j'ai quitté l'hôpital et que je me suis rendu à La

 27   Haye le 21 octobre 2001. J'étais très malade, je n'étais pas tout à fait

 28   remis, et je suis arrivé à La Haye où ma santé n'a cessé d'empirer.

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  1   La Chambre de première instance a compris ma situation et m'a autorisé la

  2   mise en liberté provisoire afin que je poursuive mon traitement à

  3   Podgorica. J'ai été jugé ici de crimes survenus à Dubrovnik en 1991.

  4   Je soutiens tout ce qui a été repris dans les écritures d'appel à

  5   propos du jugement et je soutiens tout ce qui a été dit aujourd'hui par mes

  6   avocats. Je le dis de façon catégorique, je n'ai pas donné l'ordre

  7   d'attaquer Srdj, et je pense que les éléments de preuve sont nombreux qui

  8   vont attester de cela, et je suis sûr que vous serez d'accord avec moi sur

  9   ce point.

 10   Jamais je n'ai dit à Doyle que j'avais ordonné d'ouvrir le feu sur

 11   Dubrovnik.

 12   Hélas, aujourd'hui, nous le savons, le principal protagoniste c'était un

 13   homme malade, le commandant Kovacevic, aujourd'hui retraité. Et, le

 14   Tribunal a décidé de l'envoyer à l'Académie militaire de Belgrade alors

 15   qu'il était en détention ici à La Haye pour subir un traitement médical.

 16   Cette année, on a estimé qu'il était définitivement inapte à être jugé, il

 17   a donc été libéré.

 18   Je sais que les gens de Dubrovnik ont souffert et je le regrette

 19   profondément. Je suis désolé des souffrances subites par les personnes de

 20   Dubrovnik. Je suis désolé des dégâts causés en cette vieille ville.

 21   Je suis aussi conscient de la souffrance ressentie par les familles

 22   des soldats qui ont perdu la vie. Moi je sais, puisque je suis soldat, ce

 23   qu'est la guerre, et je ne veux pas qu'il n'y ait plus jamais de guerre.

 24   Comprenez aussi mes souffrances, Madame, Messieurs les Juges. Ce qui me

 25   blesse le plus, c'est qu'on m'a accusé d'avoir délivré un ordre que je n'ai

 26   jamais délivré. Je demande à la Chambre de comprendre ceci : dans quelques

 27   mois, j'aurai 75 ans, je suis un homme vieux et malade. J'ai subi cinq

 28   interventions chirurgicales aux reins. J'ai des problèmes de prostate, j'ai

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  1   une prothèse, une anche artificielle. On me dit qu'il faut maintenant une

  2   opération des deux genoux. Ma femme est très malade, c'est pour ça qu'elle

  3   n'est plus venue me voir depuis des années à la prison.

  4   Si je vous dis ceci, ce n'est pas pour susciter votre pitié. Je voudrais

  5   simplement que vous compreniez ma situation.

  6   Je suis sûr que vous allez procéder à un examen très minutieux de

  7   tout ce qui s'est dit aujourd'hui. Je suis sûr que vous allez rendre une

  8   décision juste et équitable. Je vous remercie.

  9   [L'appelant s'assoit]

 10   Mme LE JUGE VAZ : Nous vous remercions, Monsieur Strugar. Vous pouvez vous

 11   rasseoir.

 12   Je tiens à présent -- les juristes et les représentants du Greffe qui ont

 13   prêté leur coopération pour la tenue de cette audience, les rédacteurs des

 14   comptes rendus d'audience pour leur aide précieuse et les interprètes qui

 15   ont permis le bon déroulement des débats. L'affaire est mise en délibéré.

 16   La date du jugement sera communiquée en temps voulu. Merci à tous.

 17   L'audience est levée.

 18   --- L'audience est levée à 17 heures 55.

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