TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL
POUR L'EX-YOUGOSLAVIE
CHAMBRE DE PREMIERE INSTANCE
Affaire n° IT-94-1-T


Mardi 24 octobre 1995




Devant :

JUGE GABRIELLE KIRK MC DONALD
(Président de la Chambre)
JUGE LAL C. VOHRAH
JUGE NINIAN STEPHEN



LE PROCUREUR DU TRIBUNAL


C/

DUSKO TADIC



M. GRANT NIEMANN, MME BRENDA HOLLIS, M. WILLIAM FENRICK,
M. ALAN TIEGER et M. MICHAEL KEEGAN comparaissent pour l'Accusation

M. MICHAIL WLADIMIROFF, M. ALPHONS ORIE et M. MILAN VUJIN
comparaissent pour la Défense







Mardi 24 octobre 1995
LE GREFFIER : Le Procureur contre Dusko Tadic, affaire n° IT-94-1-T.
LA PRESIDENTE : Bonjour à tous.
M. NIEMANN : Bonjour, Mme la Présidente.
LA PRESIDENTE : Conformément au Règlement de procédure et de preuve du
Tribunal, le Juge Karibi-Whyte a fait droit à la requête du Procureur sollicitant
l'autorisation de déposer un amendement modifié dans cette affaire (Répété pour
raisons techniques).
        Conformément au Règlement de procédure et de preuve du Tribunal, le Juge
Karibi-Whyte a fait droit à la requête du Procureur sollicitant l'autorisation de déposer
un amendement modifié. Ce matin, la Chambre entendra les arguments de l'accusé
concernant cet acte d'accusation modifié.
        Aujourd'hui, nous entendrons également le conseil nous expliquer s'il est prêt
pour le procès et peut-être demanderons-nous au Greffier de fixer la date de
l'ouverture du procès. Quand nous en aurons terminé, nous examinerons en audience
publique deux exceptions soulevées par la Défense; une exception relative à la forme
de l'acte d'accusation et une exception relative au principe non bis in idem.
        Ensuite, nous examinerons à huis clos l'exception soulevée par le Procureur
aux fins d'obtenir des mesures de protection pour le témoin L. Comme je l'ai indiqué,
cette exception sera examinée à huis clos. Le Procureur a demandé le huis clos et la
Défense ne s'y est pas opposée. Est-ce bien exact, M. Wladimiroff ?
M. WLADIMIROFF : C'est exact.
LA PRESIDENTE : Nous serons donc très occupés ce matin et peut-être cet après-
midi. Puis-je savoir qui comparaît pour l'Accusation ?
M. NIEMANN : Mme la Présidente, mon nom est Niemann. Je comparais avec mes
confrères, Mme Hollis à ma droite et M. Tieger, M. Keegan et M. Fenrick à ma
gauche.
LA PRESIDENTE : Etes-vous prêt, M. Niemann ?
M. NIEMANN : Oui, Mme la Présidente. J'ai deux brèves demandes à soumettre
avant le premier exposé oral relatif à l'acte d'accusation modifié.
LA PRESIDENTE : Puis-je savoir qui comparaît pour la Défense ?
M. WLADIMIROFF : Oui. Mme la Présidente, à ma droite et donc à votre gauche, il
y a M. Andre Klip, un consultant-expert qui assiste la Défense; à côté de moi,
M. Alphons Orie, conseil adjoint dans cette affaire, et à ma gauche, et donc à votre
droite, M. Vujin; mon nom est Wladimiroff.
LA PRESIDENTE : Etes-vous prêt, M. Wladimiroff ?
M. WLADIMIROFF : Oui, Mme la Présidente.
LA PRESIDENTE : M. Tadic a déposé une déclaration d'indigence sous serment pour
demander la commission d'office d'un conseil conformément à l'article 45 du
Règlement de procédure et de preuve du Tribunal. A la demande de M. Tadic, le
Greffier a commis M. Wladimiroff en tant que conseil principal dans cette affaire.
M. Vujin a comparu à plusieurs reprises pour aider M.Wladimiroff. Je vois que
M. Orie est ici aujourd'hui. M. Orie, vous avez comparu plus d'une fois dans cette
affaire. M. Simic, qui a souvent comparu avec M. Vujin, n'est pas présent aujourd'hui.
Etes-vous prêt à présenter vos arguments concernant l'acte d'accusation modifié, M.
Wladimiroff ?
M. WLADIMIROFF : Oui, Mme la Présidente.
LA PRESIDENTE : M. Niemann, pouvons-nous entendre les arguments avant que
vous n'évoquiez cette question préliminaire dont je ne connais pas exactement la
teneur ?
M. NIEMANN : Mme la Présidente, je pense qu'il serait peut-être préférable que
j'évoque ces deux brèves questions avant la présentation orale des arguments. Il y a
tout d'abord une requête adressée en vertu de l'article 50 du Règlement. J'en ai discuté
avec mon confrère, M. Wladimiroff, et nous avons convenu de demander la
modification du chef d'accusation n° 5 de l'acte d'accusation modifié. Le chef
d'accusation n° 5 contient une référence ayant trait à la description des violations des
lois ou coutumes de la guerre. Il y est fait référence à l'article 3 du Statut du Tribunal,
qui se lit : "Article 3(1)(a) (traitement cruel) et 7(1) des Conventions de Genève de
1949".
Mme la Présidente, le 7(1) ne se trouve pas au bon endroit; il devrait se trouver après
"Article 3" comme il est mentionné pour la première fois au chef d'accusation 5. Nous
avons demandé une modification pour que "Article 7(1)" soit déplacé immédiatement
après "Article 3", où il apparaît pour la première fois.
LA PRESIDENTE : Il faudrait alors lire articles 3 et 7(1) du Statut du Tribunal ?
M. NIEMANN : Oui, cela devrait se lire comme cela.
LA PRESIDENTE : M. Wladimiroff, avez-vous une quelconque objection à ce sujet ?
M. WLADIMIROFF : Pas du tout.
LA PRESIDENTE : Parfait. L'article 50 dispose que le Procureur peut modifier un
acte d'accusation sans autorisation préalable à tout moment avant la confirmation
dudit acte, mais qu'ensuite, il ne peut le faire qu'avec l'autorisation du juge ayant
confirmé ou, si cela se passe au cours du procès, avec l'autorisation de la Chambre de
première instance. Nous interpréterons cet article de manière à considérer que la
présente demande de modification est introduite au cours du procès et nous agirons en
conséquence.
Cette question fait l'unanimité, en sorte que la modification, sollicitée au procès, du
chef d'accusation n° 5 de l'acte d'accusation modifié est accordée.
M. NIEMANN : Mme la Présidente, ma seconde requête (également soumise avec
l'accord de mon confrère, M. Wladimiroff, et après discussion avec celui-ci) concerne
la référence faite à Goran Borovnica dans l'acte d'accusation. En ce qui concerne cet
accusé, nous souhaitons introduire une demande conjointe en vertu de l'article 82(B)
pour que soit ordonnée la disjonction d'instances afin que le procès de Goran
Borovnica se déroule à un autre moment que le procès actuellement en cours de
l'accusé, M. Tadic.
LA PRESIDENTE : L'article du Règlement dispose : "La Chambre de première
instance peut ordonner un procès séparé pour des accusés dont les instances avaient
été jointes en application de l'article 48, pour éviter tout conflit d'intérêts de nature à
causer un préjudice grave à un accusé ou pour sauvegarder l'intérêt de la justice."
M. NIEMANN : Madame et Messieurs de la Chambre, notre demande se fonde sur la
partie de l'article concernant la sauvegarde des intérêts de la justice.
LA PRESIDENTE : Vous opposez-vous à cette demande, M. Wladimiroff ?
M. WLADIMIROFF : Pas du tout.
LA PRESIDENTE : Il est donc également fait droit à cette demande.
JUGE STEPHEN : Je ne comprends pas très bien votre démarche. Si je ne me trompe,
Borovnica n'est pas du tout accusé. Il n'y a aucun chef d'accusation contre lui.
M. NIEMANN : M. le Juge, nous estimons qu'il est accusé sur la base du chef
d'accusation n° 11. Il faut concéder ...
JUGE STEPHEN : Le chef d'accusation 11 ou le paragraphe 11 ?
M. NIEMANN : Désolé, le paragraphe 11.
JUGE STEPHEN : Le paragraphe 11 ne contient aucun chef d'accusation le
concernant, n'est-ce pas ? S'il décidait brusquement de comparaître, il ne pourrait être
condamné sur la base de cet acte d'accusation.
M. NIEMANN : On pourrait dire, M. le Juge, que ce paragraphe serait formulé de
manière plus appropriée s'il indiquait : "du fait de leur participation à ces actes, Dusko
Tadic et Goran Borovnica", mais je ne suis pas certain, M. le Juge, que le fait que son
nom n'ait pas été mentionné à cet endroit le dispense d'être jugé sur la base de ce chef
d'accusation.
JUGE STEPHEN : Vous n'êtes pas certain ?
M. NIEMANN : Son nom est bien mentionné, M. le Juge, "comprenant Dusko
TADIC et Goran BOROVNICA" au début de ce paragraphe. Il y est également fait
référence, M. le Juge, tout au début de l'acte d'accusation, dans l'introduction, où il est
explicitement désigné au paragraphe 1, et en particulier, aux trois dernières lignes : "
L'accusé Goran BOROVNICA a participé avec Dusko TADIC". Il se peut donc qu'il
y ait certaines ambiguïtés qui, sans nul doute, pourraient faire l'objet d'une discussion
lors d'un éventuel procès contre Goran Borovnica mais selon nous, M. le Juge, il est
effectivement accusé sur la base de l'acte d'accusation.
JUGE STEPHEN : Je suppose que pour le présent accusé ce n'est pas très important,
mais il semble simplement curieux que nous n'affirmions nulle part que Borovnica a
commis une infraction.
M. NIEMANN : Je reconnais, M. le Juge, qu'il aurait été plus judicieux de mentionner
son nom après celui de Dusko Tadic et avant le terme "commis". J'affirme que ce n'est
pas déterminant, mais également que cette question ne doit pas nécessairement être
résolue maintenant.
JUGE STEPHEN : Non.
M. NIEMANN : Par contre, M. le Juge, s'il subsiste un doute quelconque quant à
savoir si l'on pourrait penser qu'un procès est conduit contre Goran Borovnica parce
que son nom est mentionné dans l'acte d'accusation, nous pensons, ne fût-ce que pour
que ce soit bien clair, qu'il est dans l'intérêt de la justice qu'une ordonnance soit
officiellement rendue aux fins de disjonction d'instances.
LA PRESIDENTE : Oui, je suppose que c'est un problème que nous avons déjà
évoqué auparavant, à savoir qu'il nous faut affirmer clairement que, dans le cadre de
ce procès, nous ne jugerons pas cet accusé, qui est absent. J'imagine que M.
Wladimiroff ne représente pas cet accusé, en sorte que les éventuelles lacunes que
présente cet acte d'accusation modifié devront, j'imagine, être examinées
ultérieurement si vous souhaitez poursuivre sur la base de cet acte d'accusation.
M. NIEMANN : C'est exact.
LA PRESIDENTE : Mais en ce qui concerne cet accusé, ce second accusé, il y aura
disjonction d'instances et un procès distinct sera donc ouvert si et quand le Procureur
sera prêt. Est-ce bien ce que vous souhaitez ?
M. NIEMANN : C'est ce que nous demandons.
LA PRESIDENTE : Y a-t-il des objections ?
M. WLADIMIROFF : Non.
LA PRESIDENTE : Parfait. Il est donc fait droit à cette demande également. Le
conseil de M. Tadic ne s'y oppose pas ?
M. WLADIMIROFF : Absolument aucun problème.
LA PRESIDENTE : Autre chose à titre préliminaire, M. Niemann ?
M. NIEMANN : Non, Mme la Présidente.
LA PRESIDENTE : Très bien. Maintenant que nous avons réglé ces questions
préliminaires, M. Wladimiroff, êtes-vous prêt à présenter vos arguments concernant
l'acte d'accusation modifié ?
M. WLADIMIROFF : Oui, Mme la Présidente.
LA PRESIDENTE : M. Tadic est-il prêt à présenter ses arguments concernant l'acte
d'accusation modifié ?
M. WLADIMIROFF : Oui, Mme la Présidente.
LA PRESIDENTE : M. Wladimiroff, M. Tadic a-t-il reçu une copie de l'acte
d'accusation modifié ?
M. WLADIMIROFF : Oui, Mme la Présidente.
LA PRESIDENTE : A-t-il reçu une copie de l'acte d'accusation modifié ?
M. WLADIMIROFF : Oui, Mme la Présidente.
LA PRESIDENTE : M. Tadic a-t-il lu l'acte d'accusation ou lui en a-t-on donné
lecture dans une langue qu'il comprend ?
M. WLADIMIROFF : Il a reçu une traduction dans sa langue de l'acte d'accusation.
LA PRESIDENTE : Pensez-vous que M. Tadic comprend la nature des chefs
d'accusation mentionnés dans l'acte d'accusation modifié ?
M. WLADIMIROFF : Nous avons discuté de la nature des chefs d'accusation et je
pense qu'il comprend la nature de ceux-ci dans le contexte que nous avons évoqué
ensemble.
LA PRESIDENTE : Etes-vous convaincu qu'il comprend la nature des chefs
d'accusation ?
M. WLADIMIROFF : Il se peut que des doutes subsistent, mais d'une manière
générale, il comprend de quel type d'allégations il s'agit.
LA PRESIDENTE : Le comprend-il suffisamment pour présenter ses arguments
maintenant ?
M. WLADIMIROFF : Oui.
LA PRESIDENTE : Très bien. Je pense que M. Tadic souhaite que vous vous tourniez
vers lui. Si vous souhaitez vous entretenir avec M. Tadic maintenant, faites-le.
L'ACCUSE : Je voudrais présenter mes arguments, Mme la Présidente.
LA PRESIDENTE : Désolée, pourriez-vous répéter ?
L'ACCUSE : Je voudrais présenter mes arguments concernant l'acte d'accusation.
LA PRESIDENTE : Très bien. M. Wladimiroff, M. Tadic souhaite-t-il qu'on lui
donne lecture de l'ensemble de l'acte d'accusation ou souhaite-t-il renoncer à la lecture
de l'acte d'accusation ?
M. WLADIMIROFF : Il souhaite renoncer à la lecture de l'acte d'accusation.
LA PRESIDENTE : M. Tadic, veuillez vous lever. Veuillez vous lever, M. Tadic.
Pour le procès-verbal, veuillez décliner vos nom et prénom.
L'ACCUSE : Mon nom est Dusko Tadic.
LA PRESIDENTE : M. Tadic, êtes-vous prêt à présenter vos arguments ?
L'ACCUSE : Oui.
LA PRESIDENTE : M. Tadic, êtes-vous prêt à présenter vos arguments concernant
l'acte d'accusation modifié ?
L'ACCUSE : Oui, Mme la Présidente.
LA PRESIDENTE : Vous comprenez que l'acte d'accusation modifié ne sera pas lu
dans sa totalité maintenant et que vous allez présenter vos arguments au sujet de cet
acte d'accusation ?
L'ACCUSE : Oui, j'ai lu l'acte d'accusation.
LA PRESIDENTE : Très bien. M. Tadic, comment plaidez-vous par rapport à l'acte
d'accusation, coupable ou non coupable ?
L'ACCUSE : J'ai lu l'acte d'accusation et j'en ai discuté avec mes avocats. Je ne
comprends pas l'acte d'accusation et, sur la base de tout ce que j'y ai lu, de tout ce que
j'ai pu comprendre à ce propos, je peux dire que je n'ai participé à aucun des crimes
mentionnés. Je n'étais présent lors de la perpétration d'aucun des crimes mentionnés
dans l'acte d'accusation. J'ai dit que je ne comprends pas l'acte d'accusation, non pas
parce qu'il n'a pas été traduit - il a été traduit - mais je ne le comprends pas.
LA PRESIDENTE : Comprenez-vous la nature des chefs d'accusation qui pèsent à
votre encontre ? Je comprends ce que vous dites lorsque vous affirmez que vous
n'étiez pas présent lorsque ces faits se seraient produits; comprenez-vous de quoi on
vous accuse dans l'acte d'accusation modifié ?
L'ACCUSE : Je ne comprends pas tout à fait l'acte d'accusation.
LA PRESIDENTE : M. Wladimiroff, avez-vous besoin de temps pour parler avec M.
Tadic ? Peut-être qu'il ne comprend pas ce que je veux dire lorsque je lui demande s'il
comprend. Bien sûr, il n'est pas juriste mais il doit se fier à vous et s'il comprend la
nature des chefs d'accusation.
M. WLADIMIROFF : Je pense que je devrais vous donner des précisions à ce sujet.
D'après moi, M. Tadic comprend les faits tels qu'ils sont relatés dans l'acte
d'accusation. Ce qu'il est en train de vous dire, c'est qu'il n'est impliqué dans aucun
d'entre-eux. Il ne comprend pas la nature de ces chefs d'accusation sur le plan
juridique et c'est ce qu'il essaye de vous dire.
LA PRESIDENTE : M. Tadic, vous avez entendu ce qu'a dit M. Wladimiroff; décrit-
il clairement votre position ?
L'ACCUSE : Je suis d'accord avec ce qu'il dit.
LA PRESIDENTE : Sachant cela, M. Wladimiroff, pensez-vous que M. Tadic est prêt
à présenter ses arguments concernant l'acte d'accusation modifié ?
M. WLADIMIROFF : Oui, c'est bien ce que je pense.
LA PRESIDENTE : Très bien. La Chambre considère donc que l'accusé plaide non
coupable par rapport à l'ensemble de l'acte d'accusation. Merci. M. Tadic, vous pouvez
vous rasseoir. Vous pouvez vous rasseoir, M. Tadic, merci.
Comme je l'ai déjà mentionné, le point suivant de notre ordre du jour, disons, est de
demander aux parties si elles sont prêtes à commencer le procès. M. Niemann, le
Procureur est-il prêt à commencer le procès ?
M. NIEMANN : L'Accusation est prête pour le procès, Mme la Présidente.
LA PRESIDENTE : Très bien. Merci, M. Niemann. M. Wladimiroff, la Défense est-
elle également prête à commencer le procès ?
M. WLADIMIROFF : Nous sommes prêts pour l'examen des exceptions. Nous ne
sommes pas prêts pour le procès. Si vous souhaitez que je donne des explications, je
peux vous fournir des éclaircissements à ce sujet également.
LA PRESIDENTE : J'apprécierais que vous le fassiez. Hier, nous avons eu une
conférence avec les avocats, et M. Tadic était présent. Le but de notre conférence était
d'examiner au préalable certaines questions éventuellement liées au calendrier du
procès ainsi qu'à la conduite de celui-ci. Je pense qu'il est important que ce point soit
débattu. Si je me souviens bien, le Procureur avait affirmé qu'il était prêt à commencer
le procès. Vous souhaitiez un délai de 30 jours, si je me souviens bien, M. Niemann ?
M. NIEMANN : Oui, pour la fixation de la date, nous souhaiterions disposer de 30
jours, oui.
LA PRESIDENTE : M. Tadic, vous avez évoqué les problèmes que vous rencontrez et
qui vous empêchent d'être prêt à commencer le procès. J'aimerais que vous expliquiez
à la Chambre quelles sont ces difficultés.
M. WLADIMIROFF : Bien. D'accord, Mme la Présidente. Je regrette que la Défense
ne soit pas prête à commencer, c'est-à-dire que nous ne soyons pas en mesure de
commencer le procès dans, disons, un mois comme le souhaite l'Accusation.
En réalité, nous sommes loin d'être prêts à commencer le procès parce que nous avons
enquêté sur la base de l'acte d'accusation modifié jusqu'au 9 septembre, pendant que
je me trouvais dans la municipalité de Prijedor et Banja Luka avant d'être obligé de
quitter la région à cause du bombardement de l'OTAN. Après cela, il ne m'a plus été
possible de pénétrer à nouveau dans la région. C'est une région en guerre aujourd'hui
et c'est pour cela que je ne peux plus y aller. Pour la même raison, M. Simic n'est pas
présent aujourd'hui à l'audience; il ne peut quitter la région.
Même si j'étais en mesure de me rendre dans la région pour trouver des témoins et
pour les interroger, je sais par expérience que les autorités locales ne coopèrent pas du
tout avec moi. Au contraire, j'ai pu constater que tous ceux qui avaient des fonctions
officielles, comme les policiers ou les militaires, avaient reçu l'ordre de ne pas me
parler. Nous sommes donc terriblement handicapés et ne sommes donc pas en mesure
de terminer les enquêtes relatives à l'acte d'accusation initial.
Nous craignons que lorsque nous pourrons à nouveau entrer dans la région, les
problèmes avec les autorités locales dont je viens de parler n'auront pas disparu, même
si M. Vujin fait ce qu'il peut pour obtenir de meilleurs résultats. Nous devons attendre
et voir ce que va se passer. Mais même ainsi, même si les autorités coopèrent, j'ai des
craintes car on m'a informé que beaucoup de personnes avaient été déplacées, qu'elles
ne vivaient plus là-bas, en sorte que nous devrons les retrouver, ce qui prendra
énormément de temps, j'en ai bien peur.
Par ailleurs, je suis le seul conseil commis par le Tribunal pour défendre M. Tadic. Je
dois plaider l'affaire et mener des enquêtes. Je ne peux faire les deux à la fois. J'ai
bénéficié de l'assistance bénévole de ce monsieur qui est assis à côté de moi, mais cela
s'est fait occasionnellement et non quotidiennement. Donc, je me sens également très
désavantagé parce que le Tribunal ne me donne pas les fonds nécessaire pour défendre
M. Tadic comme je le devrais. Je crains que lorsque je pourrai à nouveau entrer dans
la région, pour autant que les autorités soient disposées à coopérer et que j'aie repéré
les témoins que je recherche, je pense qu'il me faudra énormément de temps pour
accomplir seul ce travail. Entre-temps, il me sera très difficile de plaider l'affaire.
Donc, ce que j'essaye de dire, c'est que je suis loin d'avoir terminé mon travail en ce
qui concerne l'acte d'accusation initial. Je n'ai même pas été en mesure de commencer
à enquêter par rapport à l'acte d'accusation modifié, parce que l'acte d'accusation
modifié a été publié en septembre et qu'à cette époque, je me trouvais en Yougoslavie.
Lorsque j'ai dû revenir, je n'ai pas eu la possibilité d'examiner cette question.
La Défense n'est donc pas prête à commencer le procès. Nous pensons que si le procès
commençait maintenant ou dans un mois ou même cette année, la procédure ne serait
certainement pas équitable parce que nous ne sommes pas en mesure de présenter des
témoins, sauf en ce qui concerne certains que nous avons interrogés en relation avec
l'acte d'accusation initial.
Ce que nous demandons, et nous l'avons demandé au Greffe - nous le répétons ici -
nous ne pouvons poursuivre et mener à bien notre travail dans un délai raisonnable
que si nous avons des fonds suffisants et si nous disposons d'une équipe pour
travailler sur l'affaire. Pour cette raison, nous avons demandé qu'un chercheur fasse
des enquêtes en qualité de conseil adjoint et travaille sur l'affaire jour après jour, et
que nous puissions utiliser les services de consultants-experts.
Le problème est que tous ces types de frais n'ont pas été prévus dans le budget du
Tribunal. Donc, si je comprends bien, le Greffe négocie actuellement avec les
autorités un financement plus important, mais nous craignons que si ces négociations
se prolongent, il ne soit trop tard.
Nous affirmons donc avec insistance devant le Tribunal (et peut-être que je devrais à
présent me contenter d'introduire seulement une requête orale) que la poursuite du
procès dans ces conditions aboutira à un jugement vicié. Nous estimons que
poursuivre le procès sans qu'un financement suffisant soit octroyé à la Défense, sans
donner réellement la possibilité à la Défense de préparer l'affaire, ne permettrait pas à
M. Tadic de bénéficier d'un procès équitable.
Nous estimons que si nous recevons un financement suffisant et si nous sommes en
mesure de pénétrer à nouveau dans la région, si nous supposons que cela sera possible
dans le courant du mois de mars ou de février si je suis optimiste - cela dépend aussi
en partie des conditions météorologiques - nous pensons que nous pourrons
commencer le procès dans le courant du mois de mai. Une fois de plus, je regrette que
nous ne puissions pas envisager le problème autrement que de la manière dont je viens
de l'exposer devant vous. Merci.
LA PRESIDENTE : M. Wladimiroff, comme je l'ai indiqué, nous avons - et par
"nous", j'entends la Chambre de première instance - rencontré à deux reprises je pense
le conseil de la défense, et à ces deux occasions, nous avons évoqué ce problème de la
rémunération du conseil. Je pense que la Chambre a, à tout le moins, exprimé de la
compréhension par rapport à la situation dans laquelle vous vous trouvez.
Le Tribunal a des directives relatives à la commission d'office de conseil de la
Défense. Dans ces directives, certains montants sont bien entendu mentionnés. Ces
directives ont été adoptées tout au début du processus de mise en forme du Règlement.
Les directives, je suppose, je ne me souviens pas très bien, mais il me semble que
vous aviez laissé entendre durant notre conversation que, quel que soit le tarif horaire
ou journalier, cela revenait à 26 dollars ou florins l'heure, n'est-ce pas ? Dites-moi.
M. WLADIMIROFF : 26 dollars l'heure.
LA PRESIDENTE : Donc, si vous divisez ces 200 dollars américains par le nombre
d'heures, 7,5 je pense, nous arrivons au résultat que donne le calcul. Nous étions donc
préoccupés et, bien entendu, les directives ne prévoient pas la nomination de conseils
adjoints ou d'enquêteurs, d'assistants juridiques ou d'un témoin-expert. Mais il me
semble que le Greffe a travaillé avec vous ou a essayé de le faire pour donner suite à
certaines de vos demandes concernant vos déplacements, à tout le moins vos voyages
en ex-Yougoslavie.
Donc, bien entendu, lorsque vous avez accepté cette mission, vous connaissiez les
directives, mais tout ceci est assez nouveau pour nous. Nous nous sommes tous rendu
compte que les choses ne sont pas ce qu'elles semblaient être lorsque nous avons
entamé cette procédure. Cette Chambre estime donc qu'il est impératif que l'on
examine au moins certaines de vos demandes. Je voudrais que vous compreniez que
nous n'y sommes pas indifférents.
Après notre réunion d'hier, j'ai examiné ce que nous avons accompli depuis, je pense,
la comparution initiale. J'ai trouvé que nous avons tous été très occupés. L'acte
d'accusation contre M. Tadic a été publié en février. Nous avons dû attendre de
février, je pense, à avril pour que l'Allemagne vote une loi lui permettant de déférer
M. Tadic au Tribunal parce qu'il était détenu là-bas.
Ensuite, il y a eu la comparution initiale en avril. Nous nous sommes ensuite à
nouveau rencontrés en juin et il y a eu les audiences relatives à des requêtes
additionnelles. Nous nous sommes à nouveau rencontrés en juillet et avons eu des
audiences relatives à des requêtes additionnelles. Le 10 août, la présente Chambre de
première instance a rendu sa décision sur la compétence ainsi que sur la requête
relative aux mesures de protection.
Ensuite, un appel a été interjeté et la Chambre d'appel a tenu ses audiences et a rendu
son arrêt le 2 octobre. Vous avez donc été très occupé depuis que vous avez
commencé à représenter l'accusé et nous ne l'ignorons pas. L'Accusation a été très
occupée également.
Nous ne pouvons donc qu'espérer que l'on prenne votre demande en considération. Je
crois savoir que le Greffe a pris contact avec les Nations unies. Cela ne relève pas de
ma responsabilité - en tant que Juges, nous ne sommes pas vraiment concernés par
tout cela - mais une certaine partie du budget voté par l'Assemblée générale pourrait
nous donner une certaine marge de manoeuvre et permettrait certaines modifications
des directives sur la commission d'office de conseil de la défense pour rencontrer
certaines des préoccupations que vous avez formulées.
Donc, bien que le montant soit prévu dans le budget, la question demeure de savoir s'il
peut être dépensé. Je n'ai pas vraiment de contacts suivis avec Mme le Greffier, mais
je suis certaine qu'elle s'efforce vraiment de tenir compte de vos préoccupations. Le
Tribunal ne peut qu'espérer qu'en dépit de ces difficultés financières que vous nous
exposez - en fait, ce matin même j'ai entendu quelque chose au journal concernant les
difficultés financières de l'ONU; nous en sommes certainement conscients - nous
espérons qu'en lors de la détermination des priorités en matière de dépenses, que
lorsque l'on fixera les priorités, on tiendra compte du mandat de ce Tribunal, qui est
d'organiser des procès.
Ils savaient, le Conseil de sécurité savait que lorsque le Tribunal a été créé, le conflit
se poursuivait et que le théâtre de ce conflit était situé à des centaines de kilomètres
d'ici. Le Tribunal ne dispose pas d'une force de police, en sorte qu'il n'existe pour nous
aucun moyen de faire respecter ou d'exiger certaines choses. Nous devons compter sur
la coopération des Etats. Donc, il y a tous ces problèmes inhérents à la création du
Tribunal. Lorsque l'Assemblée générale a voté le budget en juillet dernier, j'imagine
qu'elle en était consciente.
Donc, je ne peux qu'espérer que, compte tenu des difficultés auxquelles nous sommes
confrontés, difficultés connues d'emblée lors de notre création, il était reconnu qu'il
était nécessaire de progresser. J'espère, lorsque l'on fixera les priorités, comme je l'ai
dit, qu'il en sera tenu compte, parce que nous sommes certainement très désireux de
commencer le procès mais nous souhaitons vous offrir la possibilité de mener des
enquêtes et de faire des découvertes pour permettre à M. Tadic de bénéficier d'un
procès équitable. Cela nous préoccupe et c'est notre principale préoccupation. Nous
espérons donc obtenir quelque chose et que nous serons en mesure de continuer dans
cette affaire.
Nous avons compris que vous aviez besoin de certains documents, c'est-à-dire qu'il
fallait traduire les pièces jointes à l'acte d'accusation modifié. J'ai parlé à Mme le
Greffier ce matin et certaines de ces pièces ont effectivement été traduites - pas toutes.
Vous avez tout à fait raison d'exiger que toutes les pièces soient traduites. Ce sera fait.
Je pense qu'hier, nous avons évoqué la date du 23 novembre. Peut-être qu'on pourrait
accélérer un peu les choses; au lieu de quatre semaines, peut-être qu'il ne faudra que
deux semaines.
M. WLADIMIROFF : Je l'espère.
LA PRESIDENTE : Vous avez ensuite indiqué que vous auriez besoin de 30 jours
pour décider si vous alliez invoquer certains moyens de défense.
M. WLADIMIROFF : C'est exact.
LA PRESIDENTE : Cela nous mènera alors au 23 décembre.
Après cela vous avez indiqué que vous auriez besoin d'un délai supplémentaire de
trois mois pour mener vos enquêtes. Cela veut dire vous devrez vous rendre en ex-
Yougoslavie où il y a un conflit en cours. Cela nous mènerait alors au 23 mars, si mes
dates sont correctes. Ensuite, vous avez indiqué que vous auriez besoin de six
semaines pour vous préparer, ce qui nous amènerait au 6 mai.
M. WLADIMIROFF : C'est exact, pour autant que je sois autorisé à pénétrer dans la
région.
LA PRESIDENTE : Je comprends. Comme je l'ai indiqué, le Tribunal dépend très
fortement de la coopération des Etats. Nous n'avons tout simplement pas les forces de
police pour nous permettre de telles exigences. Il est certain que nous espérons
bénéficier de cette coopération pour pouvoir progresser.
M. WLADIMIROFF : La raison pour laquelle j'insiste sur cet aspect est que nous
devons tenir compte du fait que pratiquement tous les témoins à charge vivent en-
dehors de l'ex-Yougslavie, tandis que nos témoins vivent là-bas. Il y a donc une
différence, une différence assez importante entre nos situations respectives.
LA PRESIDENTE : Autre chose à ce sujet ?
M. WLADIMIROFF : Non, merci.
LA PRESIDENTE : La Chambre fixe au 16 janvier 1996 à 10h00 la date d'une autre
conférence préalable au procès. A en juger par ce que nous avons entendu aujourd'hui,
il semble que le procès pourrait commencer le 6 mai. Nous allons donc
provisoirement arrêter cette date, mais lorsque nous nous rencontrerons le 16 janvier,
nous évaluerons les progrès réalisés et, peut-être, résoudrons d'éventuels problèmes
(dans la mesure de nos possibilités) faisant obstacle à vos préparatifs pour le procès;
peut-être fixerons-nous la date définitive du procès le 16 janvier, mais pour l'instant,
nous considérons que le procès commencera le 6 mai.
M. NIEMANN : Mme la Présidente, pourrais-je simplement soulever une question ?
Bien sûr, nous comprenons tout à fait les problèmes évoqués par M. Wladimiroff.
Cependant, nous n'ignorons pas que la situation évolue rapidement, ce qui pourrait
peut-être permettre à M. Wladimiroff de faire avancer les choses un peu plus
rapidement.
Nous nous sommes notamment demandé s'il était possible d'organiser régulièrement,
environ toutes les six semaines peut-être, une conférence préalable au procès ou une
conférence de mise en l'état, simplement pour voir comment les choses évoluent.
Nous pensons que ce serait une meilleure manière de procéder pour rapprocher la date
du procès. Nous nous inquiétons seulement que les intervalles entre ces conférences
soient trop longs.
Vous avez mentionné la date du 16 janvier et ce sera peut-être suffisant, mais je
pensais qu'il serait peut-être possible d'organiser une autre petite conférence avant la
fin de l'année - pas quelque chose qui dure longtemps, une conférence assez brève -
pour que nous puissions voir comment la situation évolue. Les membres de
l'Accusation se sentiraient nettement plus à l'aise.
LA PRESIDENTE : Bien sûr, nous nous tenons à la disposition, si l'on peut dire, des
conseils de l'Accusation et de la Défense. Pour l'instant, cependant, la traduction des
pièces doit être remise à la Défense, ce qui sera fait le 23 novembre au plus tard.
Ensuite, la Défense a indiqué qu'elle examinerait ces pièces et qu'elle préciserait le
23 décembre au plus tard si elle souhaite invoquer un quelconque moyen de défense
prévu dans notre Règlement.
Franchement, je ne sais pas ce que la Chambre pourrait faire durant cette période,
mais nous nous tenons bien sûr à votre disposition. La raison pour laquelle nous avons
prévu la conférence préalable au procès ou de mise en état pour le 16 janvier est que
les parties auront alors échangé les pièces que nous jugeons, comme l'a indiqué la
Défense, nécessaires pour permettre à celle-ci de progresser. Donc, je ne pense pas
que ce soit vraiment nécessaire, mais nous nous tenons à votre disposition, bien sûr.
Comme nous l'avons indiqué hier, nous sommes très désireux de rencontrer les
conseils aussi souvent que possible pour résoudre tous les problèmes que vous
pourriez rencontrer.
M. NIEMANN : Mme la Présidente, nous ne voulons pas nous montrer trop pressants,
mais si la date du début du procès n'est pas fixée le 16 janvier, je réintroduirai ma
demande d'organiser régulièrement des conférences de mise en état, parce que ces
retards commencent à nous inquiéter.
LA PRESIDENTE : Je pense que vous avez raison - laissez-moi en parler avec M.
Wladimiroff - mais cela se produira vraisemblablement après le mois de janvier. M.
Wladimiroff ?
M. WLADIMIROFF : Augmenter le nombre de réunions après le mois de janvier ne
nous pose aucun problème. Avant cela, la Défense a l'intention de convertir ma
demande orale en une requête écrite qui sera soumise en décembre, si la question du
financement n'est pas résolue. Donc, nous serons ici de toute manière en cas de grave
problème.
LA PRESIDENTE : Autre chose ? Poursuivons, alors. La conférence préliminaire est
fixée au 16 janvier à 10h00. Bien sûr, si les conseils souhaitent soulever certaines
questions avant cette date, vous êtes toujours libre de solliciter auprès de la Chambre
une conférence informelle ou une conférence de mise en l'état.
M. WLADIMIROFF : Oui, c'est ce que nous ferons. Merci.
LA PRESIDENTE : S'il n'y a pas d'autres questions à examiner concernant le début
du procès et la date de celui-ci - M. Niemann, permettez-moi cependant de vous poser
une question, combien de temps durera le procès, selon vous ? Bien sûr, vous ne
pouvez parler que pour l'Accusation.
M. NIEMANN : De notre point de vue, Madame et Messieurs de la Cour, nous
pensons que le procès durera probablement de six à huit semaines pour l'Accusation.
LA PRESIDENTE : C'est le temps qu'il vous faudrait pour que vous présentiez vos
arguments. Cela ne comprend pas le temps nécessaire au contre-interrogatoire, parce
que vous ne pouvez l'évaluer.
M. NIEMANN : Nous avons essayé d'inclure le contre-interrogatoire.
LA PRESIDENTE : Vous l'avez fait, c'est bien. Poursuivons alors avec l'audience
relative à l'exception relative à la forme de l'acte d'accusation. La Défense a soulevé
une exception relative à la forme de l'acte d'accusation. Le Procureur a répondu à
cette exception. Etes-vous prêt, M. Wladimiroff ?
M. WLADIMIROFF : Un instant, s'il vous plaît, que je me prépare pour l'exposé ?
LA PRESIDENTE : M. Wladimiroff, nous allons suspendre l'audience, si c'est
possible, durant 10 minutes. Ensuite, lorsque nous reviendrons, nous passerons à
l'exception relative à la forme de l'acte d'accusation et au principe du non bis in idem.
(Brève suspension d'audience)
(11h00)
LA PRESIDENTE : M. Wladimiroff, souhaitez-vous poursuivre avec l'exception
relative à la forme de l'acte d'accusation ?
M. WLADIMIROFF : Oui, merci, Mme la Présidente. Aux yeux de la Défense, il
semble que l'acte d'accusation modifié ait remplacé l'acte d'accusation initial, étant
donné que l'acte d'accusation initial est incorporé dans l'acte d'accusation modifié. Si
c'est vrai, l'acte d'accusation initial n'existe plus. La première exception déposée par
la Défense le 23 juin de cette année n'a plus aucun sens; pourtant, il n'y a aucune
différence essentielle entre l'exception relative à l'acte d'accusation initial et celle
relative à l'acte d'accusation modifié, pas plus qu'il n'y en a, selon nous, entre les
deux réponses du Procureur. Je me réfère à l'avis de la Chambre de première instance
concernant la validité de la première exception.
Permettez-moi de limiter mon intervention à la deuxième exception : avant d'invoquer
le manque de précision ou les répétitions, je voudrais tout d'abord soulever deux
questions. Les implications de la procédure de confirmation visée à l'article 47 et les
implications de l'article 62 (i), lorsque la Chambre de première instance doit vérifier
que l'accusé comprend l'acte d'accusation.
Selon la Défense, la procédure instaurée par le Règlement fait en sorte que la
confirmation d'un acte d'accusation n'exclut pas un moyen de défense ayant trait à la
forme de l'acte d'accusation, tout simplement parce que le Règlement ne permet pas
au défendeur (et, bien sûr, après confirmation, à l'accusé) de contester la forme de
l'acte d'accusation durant la procédure de confirmation. L'accusé ne peut soulever
pareille exception que dans le délai de 60 jours après la comparution initiale.
Maintenant, la question de l'article 62 (i) est une question de forme pure et simple et
n'implique pas de renonciation à un moyen de défense relatif à la forme de l'acte
d'accusation. Lors de la comparution initiale de M. Tadic, le 26 avril de cette année, le
président de la Chambre s'était contenté de demander à cet égard : "Pensez-vous que
M. Tadic comprend la nature des chefs d'accusation contenus dans l'acte
d'accusation?". En fait, vous avez posé cette même question aujourd'hui à mon client
concernant l'acte d'accusation modifié. Au nom de l'accusé, j'ai répondu en avril : "Je
pense qu'il comprend la nature des chefs d'accusation". Aujourd'hui, j'ai eu recours à
une formule plus compliquée mais, de toute manière, vous avez compris ce que je
voulais dire; il y a une différence entre comprendre le contenu de l'acte d'accusation
lorsque nous lisons concrètement les mots et comprendre le contenu de l'acte
d'accusation sur le plan juridique.
Donc, je pense qu'il n'y a aucun problème juridique ici. L'accusé est tout à fait en
droit de contester la forme de l'acte d'accusation.
Permettez-moi à présent d'examiner la question du manque de précision : l'article
18 (4) du Statut et l'article 47 (B) du Règlement prévoient que l'acte d'accusation
contient des chefs d'accusation exposant succinctement les faits et le ou les crimes. La
question qui se pose à présent est de savoir ce que l'on entend par exposé succinct des
faits et du crime. Pour commencer, il ressort des normes internationalement reconnues
en matière de droits de l'homme que pour garantir l'administration équitable de la
justice, tout chef d'accusation mentionné dans un acte d'accusation doit contenir une
description appropriée du ou des crimes et de la participation illégale présumée de
l'accusé et ce, pour permettre à celui-ci de préparer correctement sa défense.
La Défense adopte donc la position selon laquelle l'exposé succinct des faits et du
crime ne peut restreindre les normes et doit être interprété comme étant une
description appropriée permettant à un accusé d'assurer correctement sa défense.
Comment un chef d'accusation contenu dans un acte d'accusation doit-il être décrit
pour permettre à un accusé d'assurer sa défense ? Je dirais qu'il faudrait une
description spécifique et factuelle du crime commis et de la participation de l'accusé à
la perpétration de ce crime. Donc, que signifie spécifique et factuel ? Par description
spécifique et factuelle, j'entends une description factuelle du comportement ou de
l'omission présumé(e) de l'accusé à une époque spécifique, en un lieu spécifique,
résultant en un crime spécifique qui distingue le fait incriminé de tout autre fait.
C'est seulement si l'acte d'accusation contient une telle description que l'accusé
connaîtra l'infraction et le crime qui lui sont reprochés. Dans ce cas seulement, il sera
en mesure d'élaborer une défense appropriée.
Si un acte d'accusation ne contient pas une telle description, la Défense peut se
trouver confrontée à des problèmes insurmontables. Par exemple, la simple mention
du crime non accompagnée d'un exposé des faits ayant trait au comportement
présumé de l'accusé correspondant au crime qui lui est reproché prive la Défense de la
possibilité de mener des enquêtes et de répondre à des allégations aussi imprécises.
Autre exemple, si l'époque et le lieu du crime sont décrits en des termes très vagues,
la défense se trouvera pratiquement dans l'impossibilité de se constituer un alibi.
La Défense affirme que l'acte d'accusation modifié ne contient pas de description
appropriée, comme je l'ai déjà expliqué, l'acte d'accusation modifié ne contient pas de
description appropriée des crimes présumés et de la participation illégale présumée de
l'accusé à ces crimes, comme l'exige l'administration équitable de la justice.
L'acte d'accusation ne contient pas de description spécifique et factuelle du
comportement que Dusko Tadic aurait eu à une époque et en un endroit spécifiques et
qui aurait résulté en des crimes spécifiques, aux fins d'individualiser chaque chef
d'accusation incriminé par rapport aux autres chefs d'accusation. Cette absence de
description adéquate peut aisément être démontrée, par exemple, au paragraphe 4 de
l'acte d'accusation modifié, où Dusko Tadic est accusé de trois crimes : chef
d'accusation n°1, persécutions pour des raisons politiques, raciales et/ou religieuses;
chef d'accusation n° 2, expulsion; et chef d'accusation n° 3, expulsion et/ou transfert
illégal d'un civil ou sa détention illégale.
Pour simplifier les choses, je me limiterai au chef d'accusation n° 1 concernant les
persécutions. Ces persécutions n'ont pas été décrites comme constituant un événement
individuel, mais comme faisant partie d'autres événements survenus durant une
période très longue; cette description utilise des termes très généraux, ne donne aucun
détail sur le crime même de persécutions, n'expose aucun fait relatif au comportement
présumé de Dusko Tadic et ne fournit pas la moindre précision sur le lieu où
l'événement s'est produit. Permettez-moi de m'expliquer.
En ce qui concerne les persécutions, l'époque est décrite seulement de la manière
suivante : "entre le 23 mai 1992 environ et le 31 décembre 1992 environ." Cette
période de plus de six mois n'a été détaillée plus avant dans aucune autre partie de
l'acte d'accusation modifié. La seule chose que nous savons est que les persécutions
se seraient déroulées entre le 23 mai et le 31 décembre 1992.
En ce qui concerne le lieu : Pour ce qui est des persécutions, le lieu est décrit en les
termes suivants : "des zones d'habitation musulmanes et croates" et plus loin "des
camps situés à Omarska, Keraterm et Trnepolje" et enfin "des résidents de la
municipalité". La description générale du lieu que l'on trouve au paragraphe n° 1 de
l'acte d'accusation modifié ne s'applique pas au chef d'accusation n° 1 parce que ce
paragraphe 1 fait seulement état de "la participation de Dusko Tadic aux agressions,
arrestations, meurtres et mauvais traitements de Musulmans et Croates bosniaques
dans l'opstina de Prijedor tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des camps." Aucune
référence n'est faite aux persécutions visées au chef d'accusation n° 1.
Examinons à présent la description du contexte, faite aux paragraphes 2.1 à 2.7. Ces
paragraphes se contentent de designer l'endroit où les persécutions visées au chef
d'accusation se seraient produites comme étant "l'Opstina de Prijedor", "Kozarac" et
"d'autres endroits dans l'Opstina".
Si nous examinons ensuite les affirmations générales mentionnées aux paragraphes
3.1 à 3.9, elles ne contiennent aucune information supplémentaire concernant
l'emplacement, l'endroit où les persécutions visées au chef d'accusation n° 1 ont été
commises. Donc, tout ce que nous savons à propos de cet endroit, c'est que les
persécutions auraient été commises dans la municipalité de Prijedor, à savoir à
Kozarac et à d'autres endroits de la municipalité.
Si nous examinons à présent la question de savoir par quel comportement Dusko
Tadic aurait commis des persécutions, la description du paragraphe 4 de l'acte
d'accusation modifié n'est qu'un exposé général ne contenant aucune explication
quant aux faits. Il y est seulement affirmé que Dusko Tadic a participé à toutes sortes
d'événements ayant reçu une qualification juridique et la Défense ignore à quel fait se
rapportent les allégations de persécutions contenues au chef d'accusation 1.
Permettez-moi de m'expliquer. Est-ce la participation à "des attaques lancées contre
des zones d'habitation", un fait qui n'a pas été expliqué plus avant dans l'acte
d'accusation, ou était-ce la "destruction" ou le "pillage" dans cette région ? La
Défense ne sait pas si ces faits illégaux peuvent justifier des allégations de
participation à des persécutions. Est-ce la participation à des "confiscations" au
détriment de Musulmans et/ou de Croates, un fait qui n'a pas été explicité dans l'acte
d'accusation ou était-ce "l'emprisonnement" ou "l'expulsion" ? La Défense n'a
aucune certitude à ce sujet.
Est-ce la participation à l'organisation "d'une campagne de terreur", laquelle n'est pas
non plus décrite de manière détaillée dans l'acte d'accusation, ou étaient-ce des
"meurtres", des "viols", des "attaques" ou la participation à "d'autres abus physiques
ou psychologiques"? La Défense n'a aucune certitude à ce sujet.
Cependant, il apparaît assez clairement que la description de cette participation
présumée à tous ces différents événements n'est pas un exposé factuel du
comportement adopté par Dusko Tadic correspondant aux persécutions de personnes
telles qu'alléguées au chef d'accusation 1. Tout ce que nous savons est que les
persécutions seraient le résultat d'une participation à toutes sortes d'événements
illégaux incriminés en des termes généraux. Que savons-nous donc en fin de compte ?
Que savons-nous à propos du chef d'accusation de persécutions ?
Il ressort de l'acte d'accusation que Dusko Tadic aurait participé à toutes sortes
d'événements, tels que des "attaques lancées contre des zones d'habitation", des
"destructions", des "pillages", des "confiscations", des "emprisonnements", des
"expulsions" et tous ceux précités, dans la municipalité de Prijedor durant la période
comprise entre mai et décembre 1992.
S'agit-il d'une description factuelle spécifique permettant à la Défense de préparer son
argumentation ? Nous pensons que non, nous pensons que ce n'est pas le cas, parce
que nous ne savons pas comment Dusko Tadic aurait participé à tous ces événements,
ni quels événements pourraient constituer les persécutions visées à l'article 5 (h) du
Statut, que Dusko Tadic aurait commises conformément à l'article 7 du Statut. En fait,
nous ne le savons pas. L'acte d'accusation ne donne pas suffisamment d'informations
factuelles spécifiques.
Aux yeux de la Défense, tous ces détails doivent être mentionnés dans l'acte
d'accusation même et non séparément, dans des pièces jointes communiquées par
l'Accusation.
Examinons à présent ces pièces, parce que je viens d'expliquer à quels problèmes
nous étions confrontés en ce qui concerne le chef d'accusation n° 1. Je me suis
abstenu de faire la même démonstration pour chaque chef d'accusation, mais je
pourrais le faire. Examinons à présent les pièces transmises par l'Accusation à la
Défense.
Ces pièces contiennent un exposé des faits, à savoir un bref résumé de toutes les
dépositions, également remises par l'Accusation à la Défense, de témoins à charge
éventuels, sous la forme d'une brève compilation de ces dépositions réparties par
séries de chefs d'accusation et non par chefs d'accusation. Nous considérons que cela
rend service à la Défense, mais, comme les informations ne sont pas mentionnées dans
l'acte d'accusation, ce n'est certainement pas un exposé des faits établi par chef
d'accusation et comportant des éléments de preuve supplémentaires joints à l'acte
d'accusation, qui suffiraient pour donner une description spécifique et factuelle de
chaque chef d'accusation.
L'exposé des faits ne décrit pas le rôle joué par Dusko Tadic dans chacun des faits
incriminés. L'exposé des faits ne décrit pas spécifiquement l'époque à laquelle a été
commis chacun des événements incriminés. L'exposé des faits ne décrit pas
spécifiquement l'endroit où chacun des événements incriminés a été commis.
La Défense affirme que sur la base du présent acte d'accusation, nous ne sommes pas
en mesure d'assurer correctement la défense de M. Tadic. En fait, la Défense est
confrontée à de vagues allégations faisant obstacle à l'interrogatoire efficace des
témoins. En raison des limites imposées par le Règlement et les directives, qui ne
permettent à un accusé indigent que d'être représenté par un seul conseil commis
d'office - j'ai déjà évoqué cette question - il ne sera pas possible de construire en
temps opportun un alibi couvrant une période aussi vaste sans disposer d'informations
détaillées relatives aux faits et aux lieux.
Par exemple, il est impossible d'interroger un témoin à propos d'une date spécifique,
d'un comportement spécifique ou d'un endroit ou emplacement spécifique. Par
exemple, si un témoin à charge se contente d'évoquer une certaine date, un alibi
concernant cette date sera inutile si un autre témoin peut évoquer d'autres dates à
l'intérieur d'une période aussi longue. Il est pratiquement impossible de contre-
interroger des témoins si l'époque concernée est aussi vaste.
Il en va de même en ce qui concerne le lieu où les événements se sont produits. Tout
endroit dans la municipalité de Prijedor ou dans Kozarac ou dans chacun des camps
pourrait suffire à étayer le chef d'accusation incriminé. Cela défavorise également la
Défense en ce qui concerne le contre-interrogatoire des témoins. Dans ces conditions,
l'Accusation devrait se voir enjoindre de donner, pour chaque chef d'accusation, des
détails sur l'époque, le lieu et le comportement présumé spécifiques de Dusko Tadic.
Le procès de Dusko Tadic ne devrait démarrer que lorsque ces précisions auront été
rajoutées dans l'acte d'accusation et que la Défense aura pu bénéficier du temps
nécessaire pour se préparer. Si ce n'est pas possible, tous les chefs d'accusation qui ne
satisfont pas aux critères d'un acte d'accusation correct permettant à la Défense
d'assurer correctement la défense de l'accusé doivent être rejetés.
Permettez-moi d'aborder à présent la question de la multiplicité des chefs
d'accusation. Comme les deux parties déposeront des conclusions préalables à
l'audience concernant le fait que les crimes doivent être des crimes de guerre, en ce
qui concerne simplement les éléments des dispositions pénales, je ne m'attarderai pas
sur cet aspect de la question. Il me semble suffisant de me limiter à la multiplicité
même. En ce qui concerne cette allégation, selon laquelle l'acte d'accusation modifié
contient un nombre déraisonnablement élevé de chefs d'accusation relatifs à un seul et
unique comportement, je pense que je dois tout d'abord exclure certains malentendus
possibles.
Tout d'abord, la Défense ne voit aucune objection au fait que deux ou plusieurs
crimes résultant d'actes ou d'omissions différents soient considérés comme une seule
infraction commise en un même endroit. Nous ne nous opposons pas non plus à ce
qu'une série d'actes connexes commis par un même accusé soient mis à charge
conjointement dans un même acte d'accusation. Cela ne nous pose aucun problème.
Jusque-là, tout va bien, mais lorsqu'un seul acte commis par un accusé peut être
considéré comme ayant été commis en violation de plusieurs dispositions pénales,
nous ne nous opposons à la mention conjointe de plusieurs chefs d'accusation dans un
même acte d'accusation que pour autant que chaque disposition pénale soit invoquée à
défaut d'une autre.
Ce que je veux dire ici, c'est que l'application d'une disposition pénale résultant d'un
acte ou d'une omission spécifique devrait exclure l'application simultanée d'une autre
disposition pénale pour le même acte ou la même omission. Pourquoi affirmer cela ?
Parce que ce point de vue est conforme au système de droit pénal de l'ex-
Yougoslavie, conforme au droit pénal actuel de la République fédérale de
Yougoslavie, conforme au droit pénal de l'actuelle République de Bosnie-
Herzégovine et conforme au droit pénal de l'actuelle République serbe de Bosnie.
Dans le système de droit pénal de l'ex-Yougoslavie, si un acte spécifique commis par
un défendeur donne lieu à l'application de différentes dispositions pénales, une
disposition seulement peut être invoquée à l'encontre du défendeur. Dans ce système,
des chefs d'accusation cumulatifs ne sont pas possibles, seuls sont possibles des chefs
d'accusation alternatifs. En pratique, l'Accusation choisira soit de porter des
accusations en application d'une seule disposition, soit de porter des chefs
d'accusation en application de chacune des dispositions, mais à défaut des autres, si
aucune preuve n'est apportée pour les autres.
Dans ce système, généralement, soit la disposition donnant lieu à la peine la plus
élevée élimine les autres dispositions, soit la disposition spécifique déroge à une
disposition générale applicable, lex specialis derogat lex generalis. L'alternative à ce
système qui n'autorise une condamnation qu'en application d'une seule disposition
pénale en empêchant toute condamnation en vertu de deux dispositions pénales au
regard d'un même acte, d'un seul et même acte, consiste à prévoir des principes
directeurs relatifs aux peines pour limiter la multiplication des peines, comme cela
semble être le cas aux Etats-Unis.
Dans ce contexte, je pense que nous devrions à présent examiner le Statut. Les crimes
sanctionnés par les articles 2, 3, 4 et 5 du Statut ne sont pas le produit d'un système
cohérent de prohibitions, mais plutôt une compilation de dispositions empruntées à
des Conventions d'époques et d'origines diverses, qui se recoupent souvent. Par
exemple, la Chambre d'appel nous a appris qu'en fait, l'article 3 couvrait tout. Qu'est-
ce à dire ?
Dans cette compilation de droit international coutumier insérée dans le Statut, un seul
et même acte fait l'objet de plusieurs dispositions des articles 2 à 5 du Statut. Le
Statut et le Règlement du Tribunal ne contiennent aucune disposition relative à cette
éventuelle multiplicité de chefs d'accusation. La question soulevée par la Défense ne
fait donc l'objet d'aucune réglementation et la Chambre de première instance a toute
latitude pour prendre une décision sur ce point en vue de garantir un procès équitable.
Cependant, en ce qui concerne la détermination de la peine, le Règlement oblige la
Chambre de première instance à tenir compte de la grille générale des peines
d'emprisonnement en ex-Yougoslavie. Cette obligation est prévue à l'article 24 du
Statut et est plus amplement précisée au point (iii) de l'article 101(B) du Règlement.
Comme dans le système de droit pénal de l'ex-Yougoslavie, comme je l'ai déjà
indiqué, il ne peut être invoqué à l'encontre du défendeur qu'une seule disposition au
regard d'un acte, la pratique générale en matière de peines d'emprisonnement ne
contient aucune solution lorsqu'un seul et même acte fait l'objet de plusieurs chefs
d'accusation.
Nous sommes donc confrontés à un problème, parce qu'il n'existe aucune alternative,
alors que cela pourrait être le cas s'il existait des principes directeurs relatifs aux
peines. Ces principes directeurs n'existent pas dans le système yougoslave. Vous avez
reçu l'ordre d'appliquer la grille générale des peines d'emprisonnement en ex-
Yougoslavie.
Dans cette situation, la Défense affirme que le Procureur ne devrait pas être autorisé à
retenir contre l'accusé des chefs d'accusation multiples au regard d'un même
comportement. Cela serait la meilleure manière d'éviter la confusion.
Permettez-moi de revenir à mon exemple des actes décrits au paragraphe 4 de l'acte
d'accusation modifié. J'attire votre attention sur le fait que l'expulsion est mentionnée
à la fois au chef d'accusation n° 2 et au chef d'accusation n° 3. Ces chefs d'accusation
peuvent résulter d'un seul et même comportement. Tant que la grille générale des
peines d'emprisonnement en ex-Yougoslavie ne contient aucune solution à ce
problème de multiplicité de chefs d'accusation au regard d'un seul et même acte, il
n'est pas équitable envers l'accusé de mentionner dans un acte d'accusation plusieurs
chefs d'accusation au regard d'un même acte. Dès lors, pour conclure mon exposé, la
Défense affirme que l'Accusation devrait se voir refuser le droit de présenter un tel
acte d'accusation. Merci.
LA PRESIDENTE : Qui présente les arguments pour l'Accusation ? M. Keegan ?
M. KEEGAN : Bonjour. Plaise au Tribunal, comme l'a dit la Défense, Madame et
Messieurs du Tribunal, les critères sur la base desquels cette Chambre de première
instance doit examiner l'acte d'accusation compte tenu des arguments de la Défense
sont ceux posés par le Statut et le Règlement de procédure et de preuve du Tribunal.
Le Conseil de la Défense a cité à bon droit l'article 18(4) du Statut et l'article 47(B)
du Règlement, qui établissent ensemble les critères à respecter pour garantir la validité
de l'acte d'accusation présenté devant ce Tribunal. Pour satisfaire aux exigences du
Tribunal, un acte d'accusation doit contenir les noms et des informations relatives à
l'accusé, ainsi qu'un exposé succinct des faits et du ou des crimes reprochés à
l'accusé. L'Accusation affirme que dans ce cas, l'acte d'accusation est en totale
conformité avec les exigences posées tant par l'article 18(4) du Statut que par l'article
47(B) du Règlement.
Selon nous, les arguments présentés par la Défense concernant la forme de l'acte
d'accusation se fondent sur une mauvaise interprétation de la finalité de l'acte
d'accusation aux termes du Statut et du Règlement du Tribunal. L'acte d'accusation
ne contient pas, et n'est pas censé le faire, l'ensemble des allégations formulées par
l'Accusation à l'encontre de la Défense dans un cas d'espèce, pas plus qu'il n'est
censé être la seule source d'informations pertinentes sur les chefs d'accusation reçues
par la Défense et qui permettent à celle-ci de déterminer ses éventuels moyens de
défense.
La finalité de l'acte d'accusation, telle que définie par le Statut et le Règlement du
Tribunal, est définie à l'article 20 du Statut et à l'article 62 du Règlement. Le but est
de notifier à l'accusé la nature des chefs d'accusation retenus contre lui de manière
suffisamment détaillée pour qu'il en comprenne la nature et qu'il puisse plaider sur sa
culpabilité au regard de chaque chef d'accusation. Pour notifier ces informations de
manière efficace, l'acte d'accusation doit mentionner la nature exacte des chefs
d'accusation, c'est-à-dire les qualifier juridiquement, comme par exemple une
violation de l'article 2 (B) du Statut, le fait de causer intentionnellement de grandes
souffrances, et les motifs sur lesquels reposent ces accusations, c'est-à-dire les faits
essentiels qui étayent le chef d'accusation.
La description des motifs des accusations est suffisante si le comportement de
l'accusé qui y est décrit - pour autant que l'affirmation soit véridique - est
effectivement constitutif de l'infraction présumée et si l'infraction mentionnée relève
de la compétence de ce Tribunal. Le présent acte d'accusation est certainement
conforme à cette exigence.
Les affirmations du Conseil de la Défense concernant la nature ou le volume des
informations à mentionner dans l'acte d'accusation, c'est-à-dire, le droit de l'accusé
d'obtenir une description complète de l'époque, de l'endroit, des actes et des éléments
de chaque crime en tant que condition sine qua non d'un procès équitable, n'ont pas
vraiment trait à la question de savoir si l'acte d'accusation présente ou non des
lacunes. Elles concernent plutôt les droits de l'accusé garantis par l'article 24(A) et
(B) du Statut et les articles 66 à 68 inclus du Règlement de procédure et de preuve, les
droits de l'accusé de disposer d'informations détaillées sur les chefs d'accusation
retenus contre lui et d'un délai et de moyens suffisants pour préparer sa défense.
Dans cette affaire, il n'y a pas lieu d'affirmer que la Défense ne reçoit pas
d'informations à la fois détaillées et pertinentes concernant les crimes mis à la charge
de l'accusé. Comme l'a affirmé la Défense dans son exception préjudicielle relative à
l'acte d'accusation modifié, l'Accusation a accepté - et elle s'est exécutée - de
communiquer toutes les pièces jointes à l'acte d'accusation avant l'échéance fixée par
le Règlement.
Les arguments du Conseil de la Défense concernant le Règlement du Tribunal posent
non seulement la question de savoir si l'acte d'accusation est suffisant, mais formulent
également la critique potentielle de savoir si le Règlement et le Statut du Tribunal sont
bien les critères sur la base desquels cette Chambre de première instance doit
examiner la question.
Comme l'affirme le paragraphe 106 du rapport du Secrétaire général :"Il va sans dire
que le Tribunal international doit respecter pleinement les normes internationalement
reconnues touchant les droits de l'accusé à toute les phases de l'instance. De l'avis du
Secrétaire général, les normes internationalement reconnues sont notamment
énumérées à l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques."
Le paragraphe 106 du rapport du Secrétaire général fait référence à l'article 21 du
Statut intituliez "Droits de l'accusé". Le paragraphe 4(a) de cet article est issu de
l'article 14(3)(a) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et
consacre le droit essentiel dont découlent les critères relatifs à l'acte d'accusation
présenté au Tribunal.
La question est, que signifie le texte de l'article 14(3) du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques ? Que requiert-il ? Notamment, le passage pertinent de ce
texte est que l'accusé a droit "à être informé, dans le plus court délai, dans une langue
qu'il comprend et de façon détaillée, de la nature et des motifs de l'accusation portée
contre lui". L'expression "nature et motifs de l'accusation" signifie, selon les
commentaires relatifs au Pacte, "non seulement la qualification juridique exacte de
l'infraction, mais également les faits qui la sous-tendent".
Le commentaire poursuit en affirmant que les informations doivent être suffisantes
pour permettre la préparation d'une défense conformément à l'article 14(3)(b), à
savoir, compte tenu du droit susmentionné de l'accusé de disposer d'un délai et de
moyens suffisants pour préparer une défense.
Le commentaire poursuit en affirmant que "les informations doivent donc être
fournies lors du dépôt de l'accusation ou peu de temps après, dès l'ouverture de
l'instruction ou de la fixation d'une quelconque autre audience donnant lieu à
l'inculpation officielle claire d'un accusé".
A l'instar des autres dispositions relatives aux droits fondamentaux contenues dans le
Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ce commentaire concerne le
respect du droit d'un accusé à obtenir des informations détaillées sur les crimes dont il
est accusé en termes généraux, et il se doit le faire parce qu'il doit tenir compte d'un
éventail de systèmes judiciaires et pénaux.
Donc, l'article 14 du Pacte international n'exige pas que les droits visés au paragraphe
3(a) soient exécutés à l'aide de moyens ou de documents spécifiques. Il exige
seulement que l'accusé soit informé de la nature et des motifs des accusations portées
contre lui, de manière détaillée, lorsqu'il est officiellement placé en accusation ou dès
le début de l'instance, ou aux environs de ces dates.
Il est clair que les procédures du Tribunal sont généralement conformes à ces
exigences. L'acte d'accusation n'est qu'une phase de l'instance et est conçu, comme
je l'ai déjà expliqué, pour notifier à l'accusé la nature des chefs d'accusation portés à
son encontre, de manière suffisamment précise pour qu'il puisse en comprendre la
nature et plaider coupable ou non coupable par rapport à chaque chef d'accusation.
Si l'on examine les arguments avancés par le Conseil de la Défense, Mme la
Présidente, il semble que, si vous voulez, la question essentielle pour la Défense soit
celle de la finalité de l'acte d'accusation. Nous affirmons que l'acte d'accusation n'a
pas pour objet, lors de sa rédaction ou de sa présentation, de permettre à la Défense
d'anticiper les moyens de défense dont l'accusé pourrait disposer dans un cas
particulier.
L'acte d'accusation a pour objet de préciser la nature des crimes dont le Procureur
accuse l'accusé, ainsi que la base sur laquelle reposent ces crimes. Donc, le fait qu'il
ne satisfasse pas à tous les desiderata du Conseil de la Défense n'est pas en cause ici.
En ce qui concerne les critères posés par la législation de Bosnie-Herzégovine et celle
de l'ex-Yougoslavie, citons l'article 48, paragraphe 1 du Statut, dont une copie a été
transmise à la Chambre et au Conseil.
LA PRESIDENTE : C'est l'article 48 du code ?
M. KEEGAN : Oui, Madame. Le titre de cet article est "Infractions pénales
concurrentes". La traduction anglaise suit. En fait, le paragraphe 1 affirme : "Si
l'auteur a commis un acte résultant en plusieurs infractions pénales ou si l'auteur a
commis plusieurs actes résultant en plusieurs infractions pénales jugées
concurremment, le Tribunal commencera par déterminer la peine au regard de chaque
infraction et poursuivra en prononçant un peine unique."
Pour le Bureau du Procureur, il semble qu'à première vue ce texte affirme clairement
qu'en fait, en vertu de la législation de l'ex-Yougoslavie, qui est aussi la législation
actuellement en vigueur en Bosnie-Herzégovine, qu'en fait, une condamnation peut
être prononcée pour plusieurs crimes sur la base d'un seul comportement de l'accusé.
Cette question est donc résolue, comme vous pouvez le voir, par le biais d'une
manière spécifique de prononcer les peines.
LA PRESIDENTE : M. Keegan, il me semble que M. Wladimiroff suggère, c'est du
moins sa position, qu'il conviendrait de retenir les chefs d'accusation à titre alternatif.
M. KEEGAN : Oui, Mme la Présidente. Nous pensons ...
LA PRESIDENTE : Que dites-vous ... et c'est la situation qui prévaut en
Yougoslavie, à titre alternatif ou du moins je pensais que c'était sa position. Ici, dans
votre acte d'accusation, vous ne retenez pas les chefs d'accusation à titre alternatif.
Vous retenez ...
M. KEEGAN : Non, c'est exact.
LA PRESIDENTE : ... les mêmes actes constituant une violation de divers
conventions ou articles de notre Statut. Etes-vous en train de dire que l'article 348
reconnaît qu'il n'est pas obligatoire de retenir les chefs d'accusation à titre alternatif ?
M. KEEGAN : Oui, Mme la Présidente. C'est l'interprétation que je donnerais au
texte de ce premier paragraphe. De plus, Mme la Présidente, bien sûr, la question de la
référence faite à la législation de Bosnie-Herzégovine concerne la détermination de la
peine après un verdict de culpabilité, et n'a, bien sûr, aucun rapport avec la présente
exception préjudicielle, qui porte sur la question de savoir si l'acte d'accusation
présente ou non des lacunes et, ensuite, sur le problème de la multiplicité des chefs
d'accusation. La question de savoir comment, en cas de condamnation, les crimes
doivent être pris en considération pour la détermination de la peine doit être examinée
ultérieurement, au stade de la procédure postérieur à la condamnation.
Plaise au Tribunal, la multiplicité des chefs d'accusation n'entraîne pas selon nous une
concomitance ou une multiplicité déraisonnable de chefs d'accusation, pas plus
qu'elle expose l'accusé au risque de double incrimination.
L'article 49 du Règlement du Tribunal, tel que cité par le Conseil, autorise la jonction
de deux ou plusieurs infractions dans un acte d'accusation, pour autant que les actes
commis forment ensemble une seule et même opération et que les crimes visés soient
commis par le même accusé.
JUGE STEPHEN : Puis-je obtenir un petit éclaircissement ? Le simple fait que
l'article 48 yougoslave soit intitulé "Concurrence" et évoque en son paragraphe 1 le
cas d'un acte unique constitutif de plusieurs infractions pénales implique, dites-vous,
bien qu'il traite de la peine, qu'un acte d'accusation ou que son équivalent yougoslave
peut incriminer un seul acte résultant en plusieurs infractions ?
M. KEEGAN : C'est exact.
JUGE STEPHEN : Pas à titre alternatif ?
M. KEEGAN : C'est exact.
JUGE STEPHEN : On aurait pu croire qu'il existe un article précédent concernant la
manière dont les chefs d'accusation doivent être retenus pour que nous ne devions pas
nous fonder sur cette implication. La réponse est-elle que ce n'est pas le cas ?
M. KEEGAN : Cet autre article est, en fait, un article concernant les types de verdicts,
qui vous avez également dans cette série de documents, le prononcé du verdict, qui
était le seul article que nous avons pu juger pertinent.
JUGE STEPHEN : Où est-il ?
M. KEEGAN : Ce serait ...
LA PRESIDENTE : L'article 348 ?
M. KEEGAN : L'article 348, c'est exact.
LA PRESIDENTE : Bien sûr, si je comprends bien la Défense, elle affirme qu'il
existe des principes directeurs indiquant au Juge pénal de l'ex-Yougoslavie de faire
cela. Il existe des règles relatives à la détermination des peines aux Etats-Unis et,
peut-être, dans d'autres pays. Nous n'avons pas cela.
M. KEEGAN : C'est exact.
LA PRESIDENTE : Donc, j'imagine qu'il serait possible que nous déterminions une
peine pour chacun des chefs d'accusation, même si l'infraction découle d'un ou
plusieurs mêmes actes, mais l'arrêt de la chambre d'appel ne nous donne-t-il pas
certaines indications à cet égard ?
M. KEEGAN : Je pense que les articles du Règlement du Tribunal concernant les
peines font référence au fait que le Tribunal doit tenir compte de la grille des peines
d'emprisonnement de l'ex-Yougoslavie lorsqu'il détermine la sanction. Donc je pense
que cela aurait un certain impact.
LA PRESIDENTE : Donc, ce que vous voulez dire c'est qu'il nous faudrait alors
examiner l'article 348 et appliquer la procédure de détermination des peines telle
qu'elle est décrite dans cet article ?
M. KEEGAN : Je pense que le Tribunal devrait se référer à l'article, je pense que c'est
l'article 48 pour la détermination de la peine, la concurrence. Cependant, comme je
l'ai déjà dit, Mme la Présidente, je pense qu'il serait plus approprié d'examiner cette
question dans le détail lors de la détermination de la peine, pour autant qu'il y ait eu
condamnation dans cette affaire. La question précise de savoir quelle procédure il faut
suivre pour déterminer la peine n'a aucun rapport avec l'acte d'accusation et la
question de savoir si une multiplicité d'infractions peuvent être retenues dans l'acte
d'accusation.
LA PRESIDENTE : Si une erreur est commise dans la détermination de la peine, en
supposant que l'accusé ait été déclaré coupable, alors c'est quelque chose, il est
possible d'interjeter appel ...
M. KEEGAN : Oui, Mme la Présidente.
LA PRESIDENTE : ... et il n'y a aucune raison que nous anticipions à ce stade qu'une
erreur sera commise dans la détermination de la peine ?
M. KEEGAN : C'est exact.
JUGE STEPHEN : Puis-je poser une autre question ? Si je comprends bien, vous
faites la différence entre l'époque à laquelle l'acte d'accusation est déposé et la finalité
de l'acte d'accusation d'une part, et l'époque qui précède immédiatement le procès
d'autre part. Vous dites que l'article 21 du Statut, l'article 21(4)(a) en particulier,
concerne cette dernière situation et que ce n'est pas l'objet de cette requête, laquelle
porte uniquement sur l'acte d'accusation ?
M. KEEGAN : Oui. Ce que je veux dire, c'est que la Défense confond deux
problèmes : l'un concerne uniquement les critères techniques auxquels il convient de
satisfaire pour que l'acte d'accusation soit juridiquement valable; l'autre est d'avoir
les informations, les moyens et le temps de préparer une défense appropriée.
JUGE STEPHEN : Ce que je veux dire alors, si je vous comprends bien, c'est que la
Chambre n'a pas les informations nécessaires. Il a été fait référence à un exposé des
faits, qui n'a pas été remis à la Chambre. Nous ne connaissons rien de l'échange des
témoignages des témoins qui seront cités à comparaître. Tout cela concerne la capacité
de préparer une défense, j'imagine. Vous dites que rien de tout cela n'a un lien avec la
présente requête ?
M. KEEGAN : C'est exact. Ce qui est important ici, c'est de savoir si, à première vue,
l'acte d'accusation satisfait de manière suffisante aux exigences posées par le Statut et
le Règlement de procédure et de preuve de ce Tribunal.
LA PRESIDENTE : Laissez-moi continuer sur ce point ... j'ai une question à poser à
M. Wladimiroff à ce sujet ... il me semble que nous devons commencer par examiner
la question des critères de l'examen de l'acte d'accusation. Ce que vous avez proposé,
c'est que le critère doit être de savoir si l'acte d'accusation informe l'accusé de la
nature et des motifs des accusations portées contre lui. Vous dites que c'est précisé à
l'article 23 de notre Statut, lequel s'inspire de l'article 14, j'ai oublié le paragraphe,
(3) je pense, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
M. KEEGAN : Oui, Mme la Présidente. C'est de là qu'il vient, oui.
LA PRESIDENTE : Mais la Défense affirme : "Eh bien, le critère consiste à donner à
l'accusé une description spécifique et factuelle du crime et de sa participation à celui-
ci", et elle voudrait connaître l'époque, l'endroit, etc. Je pense que ce n'est pas le
critère que vous souhaiteriez nous voir appliquer, n'est-ce pas ?
M. KEEGAN : Non Mme la Présidente, c'est exact. Cette citation était bien entendu
dénuée de toute autorité particulière.
LA PRESIDENTE : Je comprends.
M. KEEGAN : Ce que j'affirmais, c'est que le rapport du Secrétaire général nous
indique spécifiquement les critères ou les textes faisant autorité dont ils se sont
inspirés pour rédiger le Statut, à partir duquel vous avez rédigé le Règlement de
procédure et de preuve. Cela concerne l'article 14 du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques. Ce critère est énoncé. Ce qu'il dit est que l'accusé a le droit
d'être informé rapidement et de manière détaillée dans une langue qu'il comprend de
la nature et des motifs des accusations portées contre lui.
Ce que je veux dire, c'est que l'acte d'accusation n'est qu'un seul élément de cette
exigence. La finalité de l'acte d'accusation pour ce Tribunal, comme pour la majorité
des juridictions, est d'informer l'accusé des chefs d'accusation de manière
suffisamment détaillée pour lui permettre de plaider sur sa culpabilité. Il y a ensuite
d'autres dispositions relatives à la communication de pièces et d'autres moyens
permettant à la défense de préparer correctement sa défense.
Ces deux questions sont distinctes et la Défense les a confondues dans le cadre de sa
requête. C'est essentiellement ce que je veux dire, que nous devons établir une
distinction entre la question de la capacité de préparer une défense correcte et la
question des exigences spécifiques à satisfaire pour garantir la validité de l'acte
d'accusation.
LA PRESIDENTE : Et que le Pacte international reconnaît que lorsqu'il dispose que
le but est d'informer l'accusé de la nature des chefs d'accusation à son encontre et
qu'il fait ensuite référence à des pièces supplémentaires, bien entendu, cela peut être
communiqué au défendeur à un certain moment.
M. KEEGAN : C'est exact. Il le fait par le biais du commentaire qui affirme que ces
informations qui doivent être communiquées doivent l'être "lors du dépôt de
l'accusation ou peu de temps après, dès l'ouverture de l'instruction préliminaire ou
dès la fixation d'une quelconque autre audience donnant lieu à une inculpation
officielle claire d'une personne spécifique."
En fait, comme c'est le cas de la plupart des pactes ou conventions internationaux, ils
doivent décrire les choses en termes généraux parce qu'ils doivent tenir compte d'une
diversité de systèmes, de systèmes particuliers, de systèmes nationaux. C'est
exactement ce que fait le Pacte international. Il dit que ce droit fondamental doit être
respecté, tout en laissant une marge de manoeuvre suffisante pour tenir compte des
divers systèmes. Nous affirmons qu'ici, en vertu de notre Statut et de notre
Règlement, nous satisfaisons à cette exigence durant toute l'instance.
LA PRESIDENTE : L'instance ...
M. KEEGAN : L'acte d'accusation n'en est qu'une partie.
LA PRESIDENTE : Avec l'acte d'accusation, l'acte d'accusation modifié.
M. KEEGAN : Vous avez toujours la communication de pièces, etc.
LA PRESIDENTE : Vous donnez à l'accusé les pièces jointes à l'acte d'accusation, y
compris les dépositions et autres pièces que vous avez soumises au Juge chargé de la
confirmation; n'est-ce pas ?
M. KEEGAN : Exact.
LA PRESIDENTE : Ce n'est pas une procédure de communication de pièces; c'est
quelque chose qui est transmis à l'accusé après sa comparution initiale, n'est-ce pas ?
M. KEEGAN : Oui, Mme la Présidente.
LA PRESIDENTE : Mais dans ce cas, je pense que ce qui a trait à l'acte d'accusation
modifié a déjà été remis à l'accusé ?
M. KEEGAN : Exact.
LA PRESIDENTE : Si ce n'est que M. Wladimiroff affirme que c'est dans l'intérêt de
l'accusé mais que cela ne lui permet pas de prendre connaissance, en y regardant bien,
de l'époque et du lieu spécifiques.
M. KEEGAN : Nous contestons cette affirmation. "Spécifique" est bien entendu un
terme relatif fondé sur le type de crime commis dans un cas particulier. Donc, si les
actes de l'accusé engageant la responsabilité pénale de celui-ci ont été commis sur une
période de cinq ou six mois et que celle-ci représente la période de référence,
l'Accusation ne peut affirmer, par exemple, nous allons choisir une journée, pas plus
qu'on ne peut la contraindre à affirmer nous allons choisir une journée, durant laquelle
des actes spécifiques ont été commis, lorsque le crime par essence a été commis
durant la totalité de la période.
LA PRESIDENTE : Avant d'abandonner la partie de votre argumentation concernant
le manque de précision de l'acte d'accusation, je voudrais vous poser une question,
donc je vais vous laisser terminer votre exposé sur le manque de précision, vous me
direz ce qu'il en est et je vous poserai une question à propos de quelque chose.
M. KEEGAN : J'ai dit l'essentiel.
LA PRESIDENTE : La seule référence faite par M. Wladimiroff à l'acte d'accusation
modifié lorsqu'il affirme qu'il ne remplit pas les critères concerne le chef d'accusation
n° 1. Il y a 36 chefs d'accusation et la seule référence qu'il fait, la seule référence
spécifique et la seule contestation porte sur le chef d'accusation n° 1. J'ai examiné les
chefs d'accusation 1, 2 et 3 et j'ai continué à lire les chefs d'accusation n° 4 à 36 et il
me semble que, hormis les chefs d'accusation 1 à 3, tous les autres contiennent des
dates précises. Par exemple, si l'on examine le chef d'accusation n° 4, il contient une
date précise : "Au début juin 1992". Puis il y a : "A un moment donné entre le début
juin et le 3 août 1992". Ensuite, si l'on examine le chef d'accusation n° 6, il y a :
"Entre le 1er juin et le 31 juillet". Donc, dans chacun des chefs d'accusation autres
que les chefs n° 1 à 3, des dates précises sont mentionnées.
La seule contestation spécifiquement formulée aujourd'hui par M. Wladimiroff porte
sur le chef d'accusation n° 1. Le paragraphe 4 qui accompagne les chefs d'accusation
1, 2 et 3 affirme : "Entre le 23 mai 1992 et le 31 décembre 1992". A la lecture de
l'acte d'accusation, j'avais l'impression que les précisions quant aux dates se
trouvaient aux chefs d'accusation 4 à 36. Et après avoir examiné toutes ces dates
spécifiques, vous retournez aux chefs d'accusation 1 à 3 et au moins au niveau de la
preuve - je ne sais pas comment vous apporterez cette preuve - des chefs d'accusation
1, 2 et 3, vous vous baserez sur les preuves que vous avez apportées aux chefs
d'accusation 4 à 36. Ai-je bien raison ?
M. KEEGAN : Je n'ai cité l'analyse des premiers chefs d'accusation par M.
Wladimiroff qu'à titre d'exemple. Je supposais en voyant sa requête qu'il contesterait
la plupart des chefs d'accusation de la même manière dans l'une ou l'autre version de
l'acte d'accusation.
LA PRESIDENTE : Ce que je veux dire, c'est que ce sont seulement les chefs
d'accusation 1 à 3 qui contiennent cette vague référence à la période comprise entre le
23 mai 1992 et le 31 décembre 1992 et que tous les autres chefs d'accusation font
mention de dates spécifiques.
M. KEEGAN : Certains autres sont légèrement plus vastes. Par exemple, le
paragraphe 6 concerne la période comprise entre juin et le 31 juillet. Comme je l'ai
dit, la question ici, celle de la description des faits pertinents, et il a utilisé
l'expression "faits spécifiques", est un terme relatif qui dépend du type de chef
d'accusation. Pour ce premier chef d'accusation, nous ne nous baserons pas seulement
sur les dates et les infractions visées dans les autres chefs d'accusation de l'acte
d'accusation pour ces chefs d'accusation 1 à 3. Donc, cela ne se limite pas
spécifiquement aux autres chefs d'accusation de l'acte d'accusation.
Le fait est qu'en ce qui concerne le chef d'accusation de crime contre l'humanité à
raison de persécutions, les actes pertinents ont été commis durant toute cette période,
qui est alors, si vous voulez, la date spécifique pour ce crime spécifique. Comme je
l'ai déjà dit, "spécifique" est un terme relatif. Si l'Accusation affirme que c'est la
période de référence pour la perpétration de cette infraction et en apporte la preuve, la
Défense ne peut être autorisée à obliger l'Accusation à sélectionner une journée dans
une série d'actes ayant tous trait à un crime spécifique et à n'apporter la preuve que de
ce qui a été commis ce jour-là.
JUGE STEPHEN : Puis-je vous poser une question concernant les persécutions ? Il y
a quelque chose de particulier, n'est-ce pas, à propos de l'acte même de persécuter,
qui impliquerait nécessairement plus d'un événement et qui serait représenté par une
ligne de conduite générale équivalant à des persécutions et s'étendant, par essence, sur
une certaine période ?
M. KEEGAN : M. le Juge, je pense que cela pourrait être soit un événement isolé, soit
une série d'événements au cours d'une période plus longue comme nous l'affirmons
ici.
JUGE STEPHEN : On conçoit généralement les persécutions comme étant une
situation qui se prolonge, mais ce n'est pas le cas, par exemple, du chef d'accusation
n° 3, expulsion ou transfert ou détention illégaux, qui peut n'être qu'un seul acte. Il
n'est donc peut-être pas très heureux que M. Wladimiroff ait choisi de citer en
exemple le cas des persécutions, parce qu'elles se prolongent sur une période plus
longue.
M. KEEGAN : Mais il s'agit bien entendu du contraire si un certain nombre
d'expulsions ont eu lieu au cours d'une certaine période et dans un certain sens, il
s'agit d'une ligne de conduite, qui se rapporte alors à un chef d'accusation mais sur
une période plus longue. Le problème ici est que n'importe laquelle de ces infractions
peut être commise soit isolément, soit dans le cadre d'un ensemble de faits connexes,
et si la preuve indique que c'est le cas, le chef d'accusation est pertinent.
JUGE STEPHEN : J'en doute. Je peux comprendre qu'un acte isolé puisse être
qualifié d'expulsion, mais je ne peux imaginer qu'un acte isolé soit qualifié de
persécutions pour des motifs politiques. En tant que tel, c'est une caractéristique
particulière du crime de persécutions, j'imagine. Vous dites que le problème de la
capacité d'élaborer une défense efficace n'est pas pertinente dans le cadre de la
présente requête, parce qu'il ne se pose qu'après la présentation de l'acte d'accusation
et lors de la communication de pièces à la Défense.
M. KEEGAN : C'est exact. Dans le système instauré par le Tribunal, dans le cadre de
sa procédure, oui. L'acte d'accusation a pour but de porter à la connaissance de
l'accusé les chefs d'accusation retenus contre lui pour qu'il puisse plaider par rapport
à ceux-ci. Notre procédure permet alors de continuer à communiquer des informations
à la Défense pour satisfaire à l'exigence de donner des moyens appropriés pour
préparer une défense.
JUGE STEPHEN : De plus, nous ne sommes guère en mesure de savoir quelque chose
à ce sujet parce que nous ne savons rien des pièces qui ont été échangées.
M. KEEGAN : Cette question en particulier, si, Monsieur. En fait, la Défense a
avancé l'argument que le crime de persécutions visé au chef d'accusation n° 1 n'a pas
été décrit comme un acte isolé, mais comme un ensemble d'événements. Ensuite, il a
bien entendu énuméré les actes. Ils ont dit ce qu'ils pensaient en comprendre; tout ce
que nous savons, c'est que des persécutions ont été commises dans la municipalité de
Prijedor durant cette période et qu'elles se sont présentées sous la forme de ces actes.
C'est exactement ce que nous voulons démontrer. C'est le crime, ce sont des éléments
du crime qui, selon nous, aurait été perpétré. Donc en fait, l'acte d'accusation a bien
atteint son but. Il leur a permis de prendre exactement connaissance de ce qu'il fallait.
En ce qui concerne la question de la multiplicité des chefs d'accusation, comme je l'ai
déjà affirmé, nous pensons que cet acte d'accusation ne contient aucun cumul ou
multiplicité de chefs d'accusation, pas plus qu'il n'expose l'accusé au danger d'une
double incrimination. Le principe énoncé à l'article 49 du Règlement du Tribunal a
également un corollaire inhérent au Règlement, à savoir une série d'actes liés commis
par un accusé peuvent être incriminés ensemble dans un seul acte d'accusation. C'est-
à-dire qu'un acte isolé commis par un accusé en violation de plusieurs dispositions de
droit pénal peut également être mis à charge dans un seul acte d'accusation.
LA PRESIDENTE : J'ai lu cela dans vos arguments. Bien entendu, vous n'étiez pas
avec nous lorsque nous avons rédigé ce Règlement, mais je suppose que l'on pourrait
affirmer que si telle avait été notre intention, un article aurait été rajouté après l'article
49, parce que l'article 49 prévoit qu'une ou plusieurs infractions peuvent faire l'objet
d'un seul et même acte d'accusation. Si la série d'actes commis ensemble font partie
d'une même opération, alors les infractions ont été commises par le même accusé, le
chef d'accusation 1 concerne-t-il un crime différent de celui visé au chef d'accusation
2 ?
M. KEEGAN : Oui, Madame.
LA PRESIDENTE : Le corollaire, vous dites que le corollaire inhérent est ... ?
M. KEEGAN : Comme l'article 49 peut être interprété comme visant un ensemble
d'actes, si l'ensemble de ces actes font partie d'une même opération, alors les
infractions visées ont été commises par l'accusé. Le corollaire est que si, dans un cas
particulier, un seul et même acte est commis en violation de plusieurs dispositions
pénales, ces infractions multiples peuvent également faire l'objet d'un seul acte
d'accusation.
LA PRESIDENTE : Supposons que ce soit le cas, doivent-elles être mentionnées
comme des infractions cumulées ou alternatives ?
M. KEEGAN : Nous pensons qu'elles devraient être considérées comme des
infractions distinctes et cumulées. Nous pensons que cette disposition est prévue dans
un certain nombre de pays, y compris en République de Bosnie-Herzégovine et sur le
territoire de l'ex-Yougoslavie, ainsi que dans un certain nombre d'autres pays que
nous avons cités dans nos conclusions. L'élément déterminant dans ces différents pays
semble être l'intention du législateur, telle que révélée par les citations et les
discussions relatives à ces dispositions légales dans les codes pénaux pertinents. Si
l'intention était de considérer les infractions comme des infractions distinctes, de les
prendre en considération séparément, des chefs d'accusation distincts peuvent être
retenus même s'ils sont basés sur un même comportement.
Dans le présent acte d'accusation, chaque paragraphe général est présenté de manière
à évoquer un comportement ou une ligne de conduite spécifiques. Sont ensuite
mentionnées dans les chefs d'accusation, les infractions commises en violation des
dispositions des articles 2, 3 et 5 - dans le présent acte d'accusation - que représente le
comportement de l'accusé. Les articles 2, 3 et 5 contiennent des listes de crimes
regroupés sous des intitulés similaires. Par exemple, l'article 2(a) homicide
intentionnel; article 3 meurtre; article 5(a) meurtre. Ces crimes ont à leur base un
même acte ou un même comportement. Cependant, cela ne veut pas dire qu'ils
constituent la même infraction. Les articles 2, 3 et 5 représentent des catégories
d'infractions distinctes avec des critères, des éléments constitutifs et des desseins
différents.
LA PRESIDENTE : Quelle est alors la différence entre une infraction et un crime ?
M. KEEGAN : Un crime ...
LA PRESIDENTE : Y a-t-il une différence ?
M. KEEGAN : Non, madame. En fait j'utilise ces deux termes de manière
interchangeable.
LA PRESIDENTE : Donc, ce sont des crimes différents ?
M. KEEGAN : Oui. Ils ont à leur base, si vous voulez, un crime particulier - le
meurtre - mais cela ne veut pas dire que parce qu'à la base l'acte est identique,
l'infraction, le crime sanctionné par notre Statut aux articles 2, 3 et 5 est le même.
LA PRESIDENTE : Il se peut qu'il ne s'agisse pas du même crime parce que
différents éléments doivent être établis. Par exemple, dans un crime contre l'humanité,
vous auriez un profil d'action systématique et généralisé, mais vous n'auriez pas un
autre élément.
M. KEEGAN : Exactement.
LA PRESIDENTE : Je continue de me demander s'il s'agit du même crime, de la
même infraction ou s'il s'agit véritablement de crimes différents parce que les critères
requis sont différents, mais je ne sais pas si cela fait une différence.
M. KEEGAN : Je me concentrais sur l'acte commis à la base. Dans les trois articles,
l'acte commis à la base est un meurtre, mais au-delà de la perpétration même du
meurtre, d'autres critères doivent être réunis, précisément parce que ce sont en fait des
crimes distincts, même si l'acte commis à la base est le meurtre d'une ou plusieurs
mêmes personnes. Nous pensons que comme les critères, les éléments et les desseins
sont différents, un seul acte de meurtre peut être commis en violation des trois articles.
Si c'est le cas, l'accusé, s'il est coupable, doit être tenu responsable de la violation des
trois dispositions et des principes distincts qu'elles défendent. L'examen de chefs
d'accusation multiples est généralement effectué lors du prononcé de la sentence,
comme le mentionne la Défense dans ses arguments et cette question n'a aucun
rapport avec celle de savoir si les infractions peuvent faire l'objet d'un acte
d'accusation et conduire à un procès.
L'article 2 de notre Statut dans sa version actuelle concerne les infractions graves aux
Conventions de Genève de 1949. L'objet et le but des dispositions relatives aux
infractions graves est de régir certains aspects de la conduite de conflits armés et de
protéger certaines catégories de personnes. Comme le précise le commentaire de la
quatrième Convention de Genève, le principal objet de cette dernière est de protéger
une catégorie de civils strictement définie, contre tout acte arbitraire commis par
l'ennemi et non contre les dangers inhérents aux opérations militaires en général.
Les principes fondamentaux des lois et coutumes de la guerre énumérés par l'article 3
commun aux Conventions de Genève et couverts par l'article 3 de notre Statut
contiennent un ensemble minima de principes de conduite applicables à tous les
conflits armés, quelle que soit leur qualification. Cet ensemble de règles minima
couvrent une catégorie plus vaste d'acteurs et protègent une catégorie de personnes
plus vaste que les dispositions relatives aux infractions graves. Ce sont des règles
essentielles de droit humanitaire reconnues par toutes les nations civilisées et dont le
but est de garantir le traitement humain et non discriminatoire de tous les non-
combattants ou de personnes ne participant pas au conflit armé. A cette fin, ils
établissent les règles de base applicables à tous les conflits armés, qui doivent être
respectées dans tous les cas sans exception.
Ensuite, l'article 5 du Statut concerne les crimes contre l'humanité. L'objet principal
des crimes contre l'humanité n'a en son essence aucun rapport avec la conduite de
conflits armés. Il s'agit plutôt de garantir les droits de diverses catégories de la
population civile. Un élément essentiel des crimes contre l'humanité est la protection
des membres d'une population civile contre une agression généralisée et systématique.
Comme chacun de ces articles a une finalité et un objet différents et contient donc des
éléments différents, il est permis de les invoquer ensemble dans des cas où un acte
spécifique a été commis en violation de chacune de ces dispositions. Et l'accusé, s'il
est coupable, doit être condamné pour chacun d'entre-eux. C'est au niveau du
prononcé de la sentence que les diverses infractions sont regroupées en une décision
unique.
LA PRESIDENTE : Je suis désolée. Je n'ai pas compris d'où provenait cette citation.
M. KEEGAN : Pardon, à quel propos ?
JUGE STEPHEN : La citation que vous venez d'énoncer; c'est bien une citation,
n'est-ce pas ?
M. KEEGAN : Non, c'est simplement ce que j'affirme.
JUGE STEPHEN : Merci. Je pensais avoir omis les références d'un texte faisant
autorité.
M. KEEGAN : L'argument essentiel en faveur de chefs d'accusation multiples est que
chacun sert à protéger certaines normes de la société, qui doivent chacune être
appréciées à leur juste valeur et être protégées. Chacun des articles auxquels il est fait
référence dans les chefs d'accusation représente les infractions les plus graves qui
soient. La communauté internationale a grandement intérêt à veiller à ce que la finalité
et les interdictions de chaque article soient respectées et donnent lieu à des poursuites
dans les cas où les éléments de preuve sont suffisants. Aucun accusé ne devrait être
dégagé de sa responsabilité pour avoir commis l'une de ces infractions, au seul motif
que son comportement a également entraîné une violation de l'un des autres articles.
Lorsque l'une de ces infractions a été commise, il ne devrait pas être question de
diligence ou d'économie de moyens. En cas de jonction lors du prononcé de la
sentence, l'accusé ne subit aucun préjudice significatif, mais l'intérêt qu'a la
communauté internationale à garantir la finalité de ces articles est respecté.
C'est tout ce que j'avais à dire.
LA PRESIDENTE : Très bien. D'autres questions ? M. Wladimiroff, puis-je vous
poser quelques questions ?
J'ai écouté votre exposé et j'ai remarqué que vous vous concentriez sur les chefs
d'accusation 1, 2 et 3, et vous avez indiqué ce que vous considériez être les lacunes
desdits chefs d'accusation en termes de manque de précisions. Souhaitiez-vous
également attirer l'attention de la Chambre sur les autres chefs d'accusation et, si c'est
le cas, comment pourriez-vous souligner le caractère trop vague des autres chefs
d'accusation ?
M. WLADIMIROFF : Je peux essayer. Je n'ai utilisé le paragraphe 4 qu'à titre
d'exemple et je me suis contenté d'examiner le chef d'accusation n° 1. Permettez-moi
d'indiquer brièvement ce que pourraient être les problèmes si je fais référence aux
autres paragraphes.
Au paragraphe 5, l'époque liée au viol présumé n'est pas début juin 1992, mais début
juin et le 3 août 1992.
LA PRESIDENTE : Entre le début juin et le 3 août 1992 ?
M. WLADIMIROFF : Oui. C'est une période très longue pour déterminer le moment
où cela s'est produit et à propos de quelle période nous devrions interroger des
témoins, et si un témoin affirme que, durant une semaine ou plusieurs jours, il s'est
produit quelque chose, pour trouver un alibi et trouver d'autres témoins qui nous
diront que M. Tadic n'était pas là, par exemple. Vous voyez, c'est l'un de nos
principaux problèmes ici. Le comportement de Tadic n'a pas été décrit. Je pense que
le lieu ne pose pas vraiment de problème. C'est à l'intérieur de la Separacija, donc
c'est relativement clair. Si l'on examine à présent le paragraphe 6 ...
LA PRESIDENTE : Avant de passer à cela, laissez-moi m'assurer que je comprends
bien votre position : le paragraphe 5, qui accompagne les chefs d'accusation 4, 5 et 6
affirme : "Entre le début juin et le 3 août 1992". Faisons un pas en arrière. Permettez-
moi de vous demander quelle norme il faudrait appliquer pour décider si l'acte
d'accusation est ou n'est pas trop vague ? Il a pour objet d'informer l'accusé de la
nature des chefs d'accusation qui pèsent à son encontre, ou ai-je bien compris que
selon vous, il devrait contenir quelque chose de plus, il devrait contenir une
description spécifique et factuelle du crime et des personnes qui ont pris part à son
exécution ? Si c'est le cas, quel est le fondement juridique d'une telle affirmation ?
M. WLADIMIROFF : Le fondement juridique, Mme la Présidente, c'est qu'à l'article
21, paragraphe 4, nous apprenons qu'il y a des garanties minimales. Si le Statut
prévoit que l'accusé doit être informé rapidement et de manière détaillée, dans une
langue qu'il comprend, de la nature et des motifs des accusations qui pèsent à son
encontre, j'insiste, des garanties minimales. Qu'est-ce que cela signifie ?
Apparemment, cette disposition est extraite du Pacte international ... l'Accusation a
également déjà expliqué que si nous examinons l'article 14(3)(a), nous y retrouvons
les mêmes termes, bien qu'elle affirme que sa signification n'est pas seulement la
qualification juridique précise de l'infraction, mais également les faits qui la sous-
tendent. Donc, ce n'est pas seulement la nature de l'affirmation juridique : "Vous avez
commis un meurtre, point à la ligne", mais il convient également de souligner les faits
qui sous-tendent cette affirmation juridique en expliquant à l'accusé où, quand et
comment cela s'est produit.
LA PRESIDENTE : C'est peut-être à ce niveau que j'éprouve quelques difficultés, où,
quand et comment cela s'est produit. Où cette norme est-elle définie ?
M. WLADIMIROFF : Les faits qui sous-tendent une infraction, parce que ce sont ces
faits qui peuvent déterminer la disposition pénale, qui peuvent constituer un crime.
Dire simplement : "Vous avez violé quelqu'un" ou "Vous avez tué quelqu'un" est une
question juridique, car qu'est-ce que le meurtre ? Ce débat interviendra un peu plus
tard car nous devrons alors examiner la différence entre - j'hésite à le dire - un meurtre
ordinaire et un crime de guerre. Cette différence a également une signification
factuelle. Donc, nous devons prendre connaissance des faits qui sous-tendent
l'infraction.
Les faits sont déterminants, quand avons-nous affaire à un meurtre ordinaire ou à un
crime de guerre ? Les faits sont également déterminants pour décider : L'Accusation
m'a-t-elle accusé d'avoir commis ce fait ou une autre infraction ? Par rapport à quelle
infraction devrais-je élaborer une défense ? Cela s'est-il produit en juin ou en juillet ?
S'ils disent que c'était en juin, comment puis-je prouver que je n'étais pas là et
trouver des témoins ?
Il nous faut quelque chose de plus précis; pas un vaste éventail de lieux et d'époques
sans description du comportement effectivement adopté. Nous ne savons pas si nous
devons considérer M. Tadic, sur la base de l'acte d'accusation, comme un auteur
principal ou comme quelqu'un qui a aidé et encouragé à perpétrer l'infraction. Nous
ne le savons pas. Ce n'était qu'une participation à quelque chose; qu'est-ce que cela
signifie ?
LA PRESIDENTE : En ce qui concerne le paragraphe 5, où il est affirmé :"A un
certain moment entre le début juin et le 3 août 1992", vous voudriez qu'on vous
communique une date spécifique, comme le 5 juin, le 10 juillet, ou quelque chose
comme cela ? C'est ce qui est demandé, selon vous ?
M. WLADIMIROFF : Je comprends qu'il puisse ne pas être possible de communiquer
une date, mais je pense que l'Accusation aurait dû mieux interroger le témoin F en
délimitant l'époque pour que l'accusé puisse clairement comprendre de quoi on parle.
Il se peut qu'ils l'aient fait et alors cette information n'est pas mentionnée dans l'acte
d'accusation, qui est la base du procès, ou il se peut qu'ils ne l'aient pas fait et pour
cette raison nous ne le savons pas.
JUGE STEPHEN : M. Wladimiroff, vous vous basez sur l'article 21 du Statut ?
M. WLADIMIROFF : C'est exact.
JUGE STEPHEN : L'article 21(4) concerne la détermination des chefs d'accusation
contre l'accusé, ce qui est relativement différent de l'article 18(4) qui concerne la
préparation de l'acte d'accusation. Comme l'on peut s'y attendre, les normes sont
différentes. L'article 18(4) exige une brève description des faits et du ou des crimes
dont la personne est accusée; tandis que l'article 21, qui concerne la question soulevée
plus tard, dans ce cas bien plus tard, de la qualification des chefs d'accusation, à cet
endroit vous devez avoir une description détaillée de la nature et des motifs des
accusations.
Je suis, en tout cas, plutôt incapable de faire face à la situation visée à l'article 21, à
savoir, déterminer les chefs d'accusation, parce que je ne sais rien des éléments de
preuve additionnels qui auraient été communiqués de la manière prévue par le
Règlement, obligation qui a été respectée selon moi, des témoignages qui seront
fournis par les divers témoins.
Pour autant que je sache, il se peut que F, au paragraphe 5 de l'acte d'accusation,
donne, dans les pièces qui vous ont été remises, plus de précisions sur la date. Votre
contestation ne porte pas tant sur l'acte d'accusation que sur votre capacité d'élaborer
une défense. C'est une question qui n'a aucun rapport avec la présente requête. Est-ce
que je me trompe ?
M. WLADIMIROFF : Nous avons une opinion différente.
JUGE STEPHEN : C'est une manière agréablement diplomatique de dire les choses !
M. WLADIMIROFF : Comme vous pouvez le voir, M. le Juge, la norme contenue à
l'article 18, paragraphe 4 n'est pas différente de celle visée à l'article 21, paragraphe 4
parce que ces deux dispositions ne sont pas indépendantes l'une de l'autre. Elles
dépendent l'une de l'autre, parce que vous ne pouvez pas déterminer un chef
d'accusation si le chef d'accusation mentionné dans l'acte d'accusation n'est pas
approprié.
La différence de vues entre l'Accusation et la Défense est que nous ne considérons pas
l'acte d'accusation comme une simple notification, et qu'il faut ensuite fournir à la
Défense plus d'informations pour lui permettre, durant le procès, de comprendre le
contenu de l'acte d'accusation en sorte qu'en fin de compte, la Défense soit en mesure
de comprendre la nature exacte des chefs d'accusation, non seulement en droit, mais
également en fait.
Comme nous le voyons, il s'agit des garanties minimales prévues par le Pacte
international, car celui-ci tient compte non seulement de la procédure pénale anglo-
saxonne, mais également des systèmes de droit continentaux. Nous nous retrouvons
donc face à une combinaison de systèmes incorporée dans le Statut. Nous pensons que
le système mis en place par le Statut, l'acte d'accusation ne doit pas être considéré
comme un simple moyen de notification, parce que dans le système prévu par le
Statut, cette simple notification ne suffirait pas pour permettre à la Défense de remplir
son obligation de déposer des requêtes, le cas échéant, dans un délai de 60 jours.
LA PRESIDENTE : Mais je pense que l'argument du Juge Stephen à cet égard est que
la détermination des chefs d'accusation n'est pas effectuée par le conseil de la
Défense, mais bien par la Chambre.
M. WLADIMIROFF : Absolument.
LA PRESIDENTE : Donc, lorsque l'article 21(4) affirme "contre laquelle une
accusation est portée" cela veut dire un certain nombre de choses, y compris le droit
d'être jugé sans retard excessif, le droit d'être présent à l'audience, etc. Donc, la
détermination est opérée ultérieurement et grâce à des éléments de preuve
supplémentaires, dirons-nous. C'est votre argument ?
M. WLADIMIROFF : J'ai expliqué que c'était la position de la Défense. Bien sûr,
c'est à vous qu'il appartient de déterminer quels sont les chefs d'accusation, mais
n'est-il pas essentiel qu'un accusé comprenne de quoi il est accusé pour qu'il puisse
déterminer la nature du chef d'accusation en droit et en fait, parce que sans cette
connaissance, comme il ne serait pas en mesure de déterminer la teneur des chefs
d'accusation, quelle serait l'utilité des alinéas A, B, C, D, E, F et G du paragraphe 4 ?
Ils n'auraient aucun sens si ce n'était pas l'accusé, mais la Chambre qui doit
comprendre. Tous deux devront déterminer de quoi il s'agit.
Donc, nous avons d'emblée l'obligation de comprendre la nature des chefs
d'accusation en droit et en fait pour déterminer quels sont les chefs d'accusation
contre lesquels nous devons nous défendre.
Pour cette raison, j'ai souligné que dès le début, il faut être en mesure, par exemple,
de se conformer aux obligations imposées par le Règlement pour être en mesure de
déposer une requête dans les 60 jours. Si vous n'êtes pas en mesure de le faire, l'acte
d'accusation n'est pas une base appropriée pour un procès. Nous ne pouvons tout
simplement pas découvrir, au cours du procès lors d'un contre-interrogatoire : "Je
comprends à présent que cette allégation ne concernait pas cet événement, et je vois
maintenant que le Procureur vise un autre événement". Il doit être d'emblée
clairement établi que nous parlons du même événement.
JUGE STEPHEN : Je ne souhaite pas entamer une discussion à ce sujet avec vous,
mais puis-je simplement connaître votre réaction par rapport au fait qu'il apparaît
relativement clairement, n'est-ce pas, à la lecture du Statut, que les deux articles, 18 et
21, imposent des normes différentes ? L'article 18, qui concerne la situation où des
présomptions sont suffisantes pour lancer des poursuites, se contente d'exiger un bref
exposé des faits et du ou des crimes mis à charge de l'accusé. Très différente est
l'exigence posée lors de la détermination des chefs d'accusation, à savoir, lors du
procès, il doit y avoir une situation où en vertu du point (a) de l'article 21(4), l'accusé
a le droit de comprendre la nature et les motifs des accusations portées à son encontre.
Ce sont deux normes différentes. Il est prévu qu'elles s'appliquent à différents stades
et la seule norme qui vous concerne est celle de l'article 18(4). Avez-vous quelque
chose à dire par rapport à cela ?
M. WLADIMIROFF : Oui. Je vais essayer, M. le Juge, parce que nous estimons qu'il
n'y a ni incompatibilité, ni différence entre les normes des articles 18 et 21.
Contrairement à votre approche, nous n'interprétons pas ces dispositions comme ayant
trait à des stades différents de la procédure. Je suis désolé d'affirmer que cette
approche est typiquement anglo-saxonne. Je doute que ce soit l'approche favorisée par
le Statut dans ce cas.
JUGE STEPHEN : La Cour européenne des droits de l'homme n'adopte-t-elle pas la
même position ?
M. WLADIMIROFF : Non, parce qu'elle est confrontée à un autre système. Par
exemple ...
JUGE STEPHEN : Mais elle se fonde sur un autre texte, qui impose pourtant des
critères identiques et qui évoque assez clairement de deux stades différents de la
procédure.
M. WLADIMIROFF : Eh bien ....
JUGE STEPHEN : N'est-ce pas ?
M. WLADIMIROFF : Cela pourrait même être plus complexe. La Cour européenne a
examiné ensuite ce qu'il est advenu de ces garanties minimales dans le contexte d'un
système national ? Dans certains systèmes, il est admis que les critères fixés dans les
Pactes internationaux ont trait à deux phases de l'instance, comme par exemple dans
le système anglo-saxon, mais dans le système continental, ce n'est pas le cas. Donc, la
question ici est de savoir si le Statut reprend un système purement anglo-saxon qui
doit être considéré comme réparti en deux phases et, si c'est le cas, l'article 18
concerne une phase et l'article 21 une autre phase.
Nous estimons que si on examine le Règlement et ce que l'Accusation et la Défense
doivent faire dans le système instauré par celui-ci, nous considérons le Règlement
comme une seule et unique phase. D'emblée, l'acte d'accusation doit être clair car
c'est la seule base sur laquelle repose tout ce qui se produit après la date de sa
publication.
JUGE STEPHEN : Cela m'a été d'une grande aide et je comprends tout à fait votre
position à présent.
LA PRESIDENTE : Nous espérons, M. Wladimiroff, ou je suis persuadée que les
Juges ont essayé de prendre le meilleur des deux systèmes, le système anglo-saxon et
le système des droits civilistes, et il existe des différences. Par exemple, nous avons
10 articles relatifs à la preuve. Dans le système anglo-saxon, et certainement dans le
système américain, il y a des dispositions à n'en plus finir et nous n'avons pas fait
cela. Et le rôle de la Chambre d'appel tel que défini par notre Règlement est très
différent de celui qu'elle joue dans le système anglo-saxon.
Nous avons essayé de prendre le meilleur des deux systèmes. Je ne doute pas que nous
aurons à faire face à d'autres critiques affirmant : "C'est une disposition propre aux
droits civilistes et ce n'est pas ainsi que l'on procède en droit anglo-saxon". C'est
peut-être vrai parce que nous avons combiné les deux systèmes, mais pour cela, il faut
arriver à un compromis.
M. WLADIMIROFF : Je ne critique pas le système anglo-saxon; j'affirme
simplement qu'à l'examen du Règlement et du Statut, nous nous trouvons en présence
d'une combinaison des deux systèmes.
LA PRESIDENTE : Donc, sans examiner chacun des chefs d'accusation, j'imagine
que tous - je pense qu'aucun des chefs d'accusation ne mentionne de date spécifique -
font référence à une période comprise entre le 1er juin et le 31 juillet; un autre chef
d'accusation mentionne les environs du 10 juillet 1992, c'est le paragraphe 7.
M. WLADIMIROFF : Par exemple, ce ne sera pas un problème, mais il y aura trois
questions : quand, où et quoi ? Les "quand" sont parfois très vagues et font référence à
une période plutôt longue, et parfois pas. Les "où" sont souvent très vagues, parfois
pas. Dans chacun des chefs d'accusation, les "quoi", la question du comportement de
Dusko Tadic, quel était son rôle, quelle est sa culpabilité, dans les événements est tout
à fait et n'est certainement pas précisée à chaque chef d'accusation.
LA PRESIDENTE : Bien entendu, notre Règlement, en son article 66, dispose :"A la
demande de la défense, le Procureur doit permettre à celle-ci de prendre connaissance
des livres, photographies, pièces à conviction et tous documents se trouvant en sa
possession ou sous son contrôle qui sont soit nécessaires à la défense de l'accusé, soit
seront utilisés par le Procureur comme moyens de preuve au procès, soit ont été
obtenus de l'accusé ou lui appartiennent".
C'est extrêmement vague. Donc, il me semble que ce dont dispose le Procureur, si
vous en faites la demande, ils vous donneront tous les documents nécessaires à la
préparation de la défense ou que le Procureur a l'intention d'utiliser comme moyens
de preuve à l'audience. Nous avons parlé de cela, je pense, et cela donne lieu à cette
communication réciproque, je pense. C'est-à-dire que si vous introduisez cette
demande, en vertu de notre Règlement, le Procureur aurait le droit d'examiner les
livres, documents, photographies et objets tangibles qui se trouvent sous la garde ou le
contrôle de la Défense et que celle-ci a l'intention d'utiliser comme moyens de preuve
durant le procès.
Donc, vous pourriez ne pas vouloir introduire cette requête parce qu'elle donnerait
lieu à une obligation réciproque de votre part. Mais si la demande est faite, et si cette
réciprocité devient une réalité, alors chaque partie disposera de beaucoup, beaucoup
plus, je pense, que dans de nombreux systèmes anglo-saxons.
M. WLADIMIROFF : Je pense que la question n'est pas là, Mme la Présidente, parce
que ce ne serait qu'une phase intermédiaire entre la phase 1 et la phase 2. Notre
position est que dès la publication de l'acte d'accusation et dès sa lecture à l'accusé,
dès ce moment, nous devrions savoir quelle est la nature, au niveau des faits, des
allégations; nous ne devrions pas attendre pour en prendre connaissance.
LA PRESIDENTE : Je comprends et j'ai assisté à l'échange entre vous-même et le
Juge Stephen. Mais ce que dit le Procureur est que si l'on examine le Pacte
international relatif aux droits civils et politiques, si l'on examine l'article 14, il y est
question de ce document initial, mais également de documents supplémentaires
ouvrant de plus grandes possibilités. Ce que je suggère en faisant référence à ces
règles, c'est un exemple de documents supplémentaires qui permettront de procéder
quasiment à livre ouvert.
M. WLADIMIROFF : Je comprends bien, mais cela ne résout pas le problème que
nous évoquons. Peut-être M. Orie souhaite-t-il ajouter quelque chose à ce propos ?
LA PRESIDENTE : A ce propos ?
M. ORIE : A ce propos, sur ce point en particulier. Mme la Présidente, c'est une
question de principe. La question n'est pas de savoir comment résoudre le problème
auquel nous sommes confrontés dans la préparation d'une défense. Cela, c'est l'une
des conséquences du problèmes. Je me contenterai de vous donner un exemple.
Supposons simplement que le chef d'accusation est le meurtre : "Durant telle période
d'un mois, vous avez commis un meurtre sur la personne de M. X". Je ne sais pas si je
suis censé avoir étranglé M. X; si je suis censé l'avoir massacré avec une hache ou si
je l'ai empoisonné. Bien entendu, si j'ai accès aux pièces, j'aurais alors une idée plus
claire de ce qui s'est véritablement produit. Mais supposons simplement que les
pièces (et nombreuses sont les pièces qui ont été échangées, vous ne l'ignorez pas)
comportent des contradictions. Si elles se contredisent, si par exemple - bien sûr ceci
est une fiction - l'un des témoins affirme : "Eh bien il a étranglé M. X" et qu'un autre
affirme : "Il l'a empoisonné", je ne dispose toujours pas d'indications pour ma
défense car que dois-je faire dans ce cas ? Dois-je enquêter pour savoir s'il était
possible de se procurer des haches dans la région durant cette période, ce qui pourrait
représenter un moyen de défense tout à fait approprié si je suis censé avoir tué M. X à
l'aide d'une hache; ou dois-je enquêter pour savoir s'il était possible de se procurer du
poison, ou dois-je vérifier si mes mains étaient paralysées à ce moment en raison
d'une maladie, en sorte que je n'aurais pu l'étrangler ?
La question n'est pas seulement de savoir comment résoudre les problèmes de la
défense; c'est une question de principe également. La Défense affirme que nous avons
le droit d'avoir plus de précisions, suffisamment pour préparer une défense - bien sûr
c'est l'une des conséquences - sur les caractéristiques, tant en fait qu'en droit, du
crime. Se contenter d'examiner la solution pratique aux problèmes, cela ne suffit pas.
Je vous ai donné une très bonne raison - à savoir des pièces justificatives
contradictoires - et cela pourrait être le cas ici et là, nous ne savons toujours pas
comment préparer la défense.
LA PRESIDENTE : Et je suppose que dans le système de droit néerlandais dans le
cadre duquel vous pratiquez, ces informations seraient communiquées, c'est-à-dire
que l'acte d'accusation mentionnerait la date à laquelle cela s'est produit et
spécifiquement quand cela s'est produit, donc, quand, où et quoi ?
M. ORIE : Oui. Par exemple, dans le cas d'un chef d'accusation de meurtre, le droit
néerlandais exige que soit mentionnée le type de force utilisée, par exemple.
LA PRESIDENTE : Il y aurait mention de la date exacte et de la manière précise dont
cela s'est produit.
M. ORIE : Dans la mesure du possible.
LA PRESIDENTE : Nous y voilà ! "Dans la mesure du possible".
M. ORIE : Bien entendu, je comprends que si vous dites que c'est aux environs du 10
juillet, bien entendu cela nous donne une bien meilleure idée. Je pense que vous
pouvez toujours demander à l'Accusation de décrire les circonstances le plus
précisément possible. Mais si vous vous contentez de dire qu'il s'agit d'un viol
commis à un certain moment compris dans une période de deux mois - par exemple,
on pourrait savoir - je ne fais pas référence à notre affaire - que c'était durant un week-
end, ce qui, bien entendu, revêt une importance majeure pour la défense parce qu'elle
doit trouver des personnes qui, peut-être, travaillaient dans des camps durant les
week-ends. Donc, si c'est un détail connu, il devrait être mentionné, et ...
LA PRESIDENTE : C'est ce que j'essaye de découvrir. C'est ce qui est prévu dans le
système néerlandais ? Le système néerlandais exigerait qu'il soit fait mention d'une
date précise et qu'il y ait une description de la manière dont cela s'est produit.
M. WLADIMIROFF : Je pense qu'il n'est guère utile de se référer au système
néerlandais.
LA PRESIDENTE : Je vous suis dans votre raisonnement lorsque vous avez évoqué
le système anglo-saxon. Maintenant j'examine le système des droits civilistes ...
M. ORIE : Le système néerlandais n'est pas tout; ce n'est pas le droit anglo-saxon.
LA PRESIDENTE : Je sais, c'est pour cela que je pose la question.
M. WLADIMIROFF : Dans n'importe quel système de droit civiliste, vous trouverez
une obligation de communiquer de telles informations. Bien entendu, il y a des
différences, par exemple, entre les Pays-Bas et l'Allemagne et la France, mais le
noeud de l'affaire est que vous devez fournir les informations factuelles permettant à
l'accusé de se défendre, non pas à un stade ultérieur, mais d'emblée dans l'acte
d'accusation.
LA PRESIDENTE : Je comprends cela. J'essaye de me concentrer sur le niveau de
"factualité", pour autant que ce terme existe, requis dans le système des droits
civilistes, qui fait défaut dans notre discussion sur le Règlement.
M. WLADIMIROFF : Je pense que M. Vujin vous informera de la manière dont cela
fonctionne en ex-Yougoslavie, ce qui pourrait donner des indications appropriées sur
la manière de procéder dans cette affaire.
M. VUJIN (original : serbe) : Mme la Présidente, je dois dire d'emblée que si nous
examinons ce problème sous l'angle de la législation pénale yougoslave, cet acte
d'accusation pourrait être sérieusement critiqué par rapport aux procédures instaurées
par le droit pénal yougoslave, à savoir, en vertu de l'article 262 du code de procédure
pénale, l'acte d'accusation doit contenir une description du crime mentionnant les
éléments, les éléments en droit, du crime, l'époque et le lieu où le crime a été commis,
l'objet utilisé et l'outil utilisé, et d'autres éléments nécessaires pour déterminer l'acte
de la manière la plus précise possible.
C'est ce que la défense a souligné également. Si nous examinons l'acte d'accusation
dans sa version actuelle, il n'est pas conforme à l'article 47 B du Règlement de
procédure et de preuve, qui dispose qu'il doit contenir des informations relatives aux
faits, car le fait que les informations soient succinctes ne signifie pas qu'elles ne
doivent pas être communiquées. Vous décrivez brièvement les faits, comme c'est le
cas en législation pénale de la Yougoslavie passée et présente et de la République de
Srpske.
Ce que je voudrais dire, par parenthèse, c'est que l'on parle ici aussi de la législation
de Bosnie-Herzégovine. Au nom du défendeur, je voudrais vous demander de ne pas
faire référence à cette loi ici parce qu'il n'appartient pas à cet Etat; il appartient en fait,
et bien que cet Etat n'ait pas été reconnu par la communauté internationale, à l'Etat de
la République de Srpske, qui a tous les attributs d'un Etat, qui a sa propre législation
et qui en fait application.
Donc, le défendeur, Dusko Tadic, ne peut relever de la juridiction de la Bosnie-
Herzégovine, mais seulement de la juridiction de la République de Srpske.
LA PRESIDENTE : M. Vujin, je ne sais pas quand cela a été dit, mais j'essaye de
parler au moins de l'ex-Yougoslavie. Peut-être était-ce le Procureur. Lorsque nous en
parlons, nous disons "ex-Yougoslavie", qui est un terme plus approprié, plus global.
M. VUJIN (original : serbe) : Cette remarque ne concerne pas l'attitude de la Chambre
de première instance et de vous-même personnellement, mais elle concerne
l'Accusation. Selon nous, conformément au point B de l'article 47 du Règlement,
l'acte d'accusation doit contenir une description de la manière dont le crime a été
commis, c'est-à-dire, de l'époque avec plus ou moins de précision et de la manière
dont il a été commis, ainsi que de l'outil utilisé, comme M. Orie l'a expliqué.
Pourquoi est-ce important ?
Si nous examinons brièvement le chef d'accusation n° 6 de l'acte d'accusation
modifié, de l'acte d'accusation amendé, où vous évoquez la période comprise entre "le
1er juin et le 31 juillet 1992, un groupe de Serbes comprenant Dusko TADIC a passé à
tabac à plusieurs reprises un groupe de prisonniers, y compris Emir KARABA[IC et
d'autres ... après quoi KARABA[IC, HRNIC, ALIC et HARAMBA[IC sont décédés
des suites des sévices. Du fait de sa participation à ces actes, Dusko TADIC a
commis...".
Il est mentionné "Du fait de sa participation"; il n'y a aucune description de la
manière dont il a participé, le cas échéant, de la manière dont ils ont été passés à tabac,
avec quel outil, avec quel instrument, y avait-il accès, était-il seulement présent,
donnait-il les ordres, a-t-il battu quelqu'un, qui a-t-il battu, une personne du groupe ou
ces quatre personnes qui sont décédées des suites des sévices ? Car, selon les pièces
que l'Accusation nous a communiquées jusqu'à présent, nous n'avons ni information,
ni preuve démontrant que ces personnes ont fini par mourir.
Je n'essaye pas de préjuger de quoi que ce soit. J'essaye simplement d'expliquer
pourquoi nous avons besoin de ces informations supplémentaires. L'acte d'accusation
doit donc contenir ce type de renseignements conformément à l'article 47(B). En ce
qui concerne les chefs d'accusation multiples relatifs à un même crime, je voudrais
simplement ajouter qu'ils évoquent l'article 248 du code pénal de l'ex-Yougoslavie, le
fait qu'une personne ait commis plusieurs crimes ne donne pas le droit à l'Accusation
de qualifier les actes commis par Dusko Tadic comme étant plusieurs crimes. De plus,
si vous examinez l'article 49 du Règlement de procédure, ils n'ont pas le droit de faire
cela, si vous examinez la jonction de chefs d'accusation.
Je voudrais ajouter autre chose : Nous avons à plusieurs reprises souligné que le Statut
de ce Tribunal est contraire aux principes de base du droit pénal international dans la
mesure où il considère que la responsabilité pénale est engagée pour des actes commis
avant que cette réglementation ne soit adoptée. La règle de base étant que personne ne
peut être accusé d'un crime qui n'a pas été auparavant qualifié comme tel par la loi.
La question est, si cela est appliqué, et si vous, en tant que magistrats, devriez statuer
sur cette base et si vous estimez que vous pouvez statuer sur la base d'un Statut qui a
été voté en 1993 et qui porte sur une période débutant en 1991, êtes-vous censés juger
des personnes, conformément aux Conventions de Genève, aux dispositions des
Conventions de Genève, et faire en même temps quelque chose sanctionné par les
Conventions de Genève et par le Statut de la Chambre de première instance ? Si vous
estimez que vous pouvez juger conformément au Statut du Tribunal, alors ce ne sont
que les crimes qui sont prévus dans le Statut du Tribunal.
LA PRESIDENTE : M. Wladimiroff, si vous ne souhaitez pas continuer à examiner la
partie de votre exception concernant le manque de précisions, je voudrais poser une
question concernant la partie de l'exception qui traite de la concomittance de chefs
d'accusation.
Ma question est la suivante : quel préjudice subissez-vous du fait de la jonction de ces
crimes multiples dans l'acte d'accusation ?
M. WLADIMIROFF : Permettez-moi d'expliquer cela de la manière suivante, Mme la
Présidente : Par essence, il y a deux manières de traiter ce problème : soit votre
législation contient des dispositions réglementant les problèmes de concomittance se
présentant, le cas échéant, dans un acte d'accusation, lorsque l'on décide de ce qui a
été prouvé et donc lorsque les Juges qualifient ce qui est un chef d'accusation, soit un
système contient des dispositions relatives à ce même problème, mais alors au niveau
du prononcé des peines.
Pour autant que je sache, dans la plupart des systèmes, cela fonctionne de l'une ou
l'autre manière. Donc, dans un système normalement cohérent, il existe des réponses à
cette question et la Défense n'aurait pas soulevé le problème. Mais ici, dans le
système mis en place par le Statut et le Règlement, il n'existe aucune solution au
problème de la multiplicité de chefs d'accusation dans un acte d'accusation. Il n'existe
aucune solution au problème de la multiplicité, si nous parlons de ce que sera la
qualification envisagée par les Juges si un acte peut donner lieu à des crimes multiples
alors que le Règlement se contente de dire que lors de l'examen de la peine, il
convient de tenir compte de la grille générale des peines en ex-Yougoslavie.
LA PRESIDENTE : Ai-je bien raison de considérer que le code de l'ex-Yougoslavie
permet que l'on fasse référence à titre cumulatif à des crimes multiples ? Il autorise le
procureur à plaider des crimes à titre cumulatif et non à titre alternatif ?
M. WLADIMIROFF : Oui.
LA PRESIDENTE : C'est vrai ?
M. WLADIMIROFF : C'est ce que je crois savoir.
LA PRESIDENTE : Ensuite notre article, notre Statut et notre Règlement disent que
nous devons tenir compte, lors de la détermination de la peine, de la grille des peines
en vigueur en ex-Yougoslavie, ne pourrions-nous pas le faire ? Ce dont nous
tiendrions compte, c'est d'un système de plaidoiries autorisées ainsi que d'un système
de détermination des peines.
M. WLADIMIROFF : Si la Défense peut se adopter une telle position, je pense que
cela éclaircira de nombreux problèmes. Si nous sommes certains qu'en fin de compte,
vous appliquerez la législation yougoslave de telle manière qu'il ne sera pas possible
de punir Dusko Tadic pour chacun des crimes, bien qu'ils soient le résultat d'un même
acte, nous serons relativement satisfaits. Mais le Règlement ne nous donne pas cette
réponse.
LA PRESIDENTE : Pourtant, si le Procureur était tenu de plaider à titre alternatif,
comme vous le suggérez, ne vous retrouvez-vous pas alors face au même problème au
moment de la détermination de la peine, à savoir : ils disent qu'ils ont commis une
infraction aux Conventions de Genève ou à défaut violé les lois ou coutumes de la
guerre ou à défaut commis des crimes contre l'humanité et nous pourrions considérer
que toutes ces dispositions ont été violées, ne peut-on pas arriver au même résultat,
que l'on ait plaidé à titre alternatif ou à titre cumulatif, si vous voyez ce que je veux
dire ?
M. WLADIMIROFF : Chacune des branches de l'alternative exclut l'autre, c'est donc
A ou B. Si vous dites que c'est A, ce sera déterminant pour la détermination de la
peine. On pourrait dire, à titre subsidiaire, peut-être qu'il serait plus approprié
d'utiliser cette expression, mais j'ai peur que ce soit plutôt une expression de droit
civiliste qui pourrait être relativement difficile à traduire dans le système anglo-saxon.
Cela signifie simplement que si vous optez pour une qualification, les autres sont
exclues aux fins de détermination de la peine.
Si nous ne doutons pas qu'une Chambre de première instance se conformera à ce
système, en fin de compte, nous regrettons de ne pas pouvoir anticiper sur ce système
dès la lecture de l'acte d'accusation, mais, eh bien, beaucoup de nos craintes et de nos
problèmes disparaîtront bien entendu. Nous préférons avoir un acte d'accusation
indiquant clairement que c'est soit A, soit B, soit C, mais pas en même temps, parce
qu'alors vous commencez par l'infraction la plus grave dans les systèmes normaux et
ensuite, si ce n'est pas un meurtre, vous vous rabattez sur l'homicide, et si ce n'est pas
un homicide, vous vous rabattez sur les coups et blessures ayant entraîné la mort, etc.
Mais c'est très difficile dans ce cas parce qu'il n'existe aucune disposition liée à
chaque crime prévoyant que tel crime est assorti d'une peine de x années maximum.
Rien n'est indiqué dans le Règlement; tout semble être mis sur pied d'égalité. Donc,
nous ne savons pas pour quoi vous allez opter.
LA PRESIDENTE : Selon vous, notre Règlement - et plus particulièrement l'article
49 - prévoit-il que l'on puisse mettre à charge plusieurs crimes ?
M. WLADIMIROFF : L'article 49 n'affirme pas qu'une jonction de chefs
d'accusation est possible suite à la perpétration d'un seul acte. Il laisse la question en
suspens.
JUGE STEPHEN : M. Vujin, puis-je vous poser une question ? Vous avez mentionné
l'article 49 du code yougoslave. Nous n'avons pas de copie de l'article 49. Ce que
vous avez dit à ce propos semblait intéressant. Pourrions-nous en obtenir une
traduction anglaise ou pourriez-vous peut-être nous en transmettre un exemplaire en
version originale pour que nous puissions le faire traduire ?
M. VUJIN (original : serbe) : Je crains qu'il n'y ait eu un malentendu. Je n'ai pas
parlé de l'article 49 du code yougoslave. J'ai parlé de l'article 49 du Règlement de ce
Tribunal. J'ai parlé de l'article 48. Je pense que vous en avez une traduction.
JUGE STEPHEN : J'ai l'article 48. Je pense que vous faisiez référence à l'article
suivant, l'article 49, que nous n'avons pas, mais ce n'était pas le cas. Merci. Dans ce
cas, je retire ma question.
M. VUJIN (original : serbe) : Oui, mais je souhaite faire usage de la possibilité qui
m'est donnée de répondre d'une certaine manière à la question de Mme la Présidente,
qui souhaitait savoir pourquoi nous contestons la multiplicité des chefs d'accusation.
En droit pénal yougoslave, lorsque nous sommes confrontés à des situations telles que
celle évoquée au chef d'accusation n° 6, à savoir, des passages à tabac, des meurtres,
etc. il existe une disposition légale en vertu de laquelle l'infraction la plus grave
absorbe l'infraction plus légère. Donc, le tribunal ne peut déclarer une personne
coupable de meurtre ou de coups et blessures parce que tout cela est absorbé par le
meurtre. Donc, si une personne est déclarée coupable de meurtre, c'est la seule
condamnation que vous pourrez avoir et non pour toutes les autres infractions.
LA PRESIDENTE : Si je me souviens bien, je me rappelle que nous avons examiné
cette question lorsque nous avons rédigé le Règlement, les infractions plus légères
étant absorbées, cela a été proposé par plusieurs pays, plusieurs parties, mais ce n'est
pas pour ce système que nous avons opté. Permettez-moi de suggérer ceci, si vous
avez des craintes - ma question, en réalité était de savoir quel est le préjudice que vous
subissez - le fait que la rédaction de l'acte d'accusation donne lieu à une peine
illégale, je pense que cela peut être corrigé - je pense que c'est l'argument que le Juge
Stephen a présenté - à l'aide d'une phrase appropriée. Quelle que soit la manière dont
le Procureur choisit de rédiger son acte d'accusation, cela ne justifie pas que la
Chambre - au cas où elle déclarerait M. Tadic coupable de l'un quelconque des chefs
d'accusation - prononce une peine illégale. Le Règlement contient des dispositions
distinctes régissant notre procédure de détermination de la peine, et il y a aussi,
comme je l'ai dit, le récent arrêt de la Chambre d'appel sur la compétence ...
M. VUJIN (orignal : serbe) : Je l'espère.
LA PRESIDENTE : ... qui nous donne certaines indications également. Donc, si vous
avez des craintes, je ne veux pas vous obliger à nous faire confiance - ce ne serait pas
correct de notre part - mais je dirais que les deux ne vont pas nécessairement de pair.
Notre procédure de détermination de la peine est régie par notre Règlement. Vous
avez fait référence à l'article 101. C'est cet article qui orientera notre décision. Cela
semble seulement un peu prématuré à ce stade. C'est pour cela que j'essayais de me
concentrer sur le préjudice subi. Quel est selon vous le préjudice que vous subissez du
fait de la forme de l'acte d'accusation, non pas en raison de son caractère trop vague
mais de la manière dont il est rédigé et du fait qu'il contient des crimes différents
découlant d'une même série d'actes ?
M. WLADIMIROFF : Mme la Présidente, nous avons fait référence à l'article 101.
Mais, rappelez-vous, nous ne sommes pas certains que la référence faite à la grille
générale des peines d'emprisonnement en ex-Yougoslavie ait véritablement un rapport
avec le problème que nous avons soulevé. Cela dépend du deuxième stade, qui n'est
pas abordé dans le Règlement, que vous avez évoqué ici à l'audience, à savoir, si vous
optez pour une concomittance realis et non pour une concomittance idealis, parce que
dans le cas de la concomittance idealis une infraction absorbe toutes les autres, mais si
vous optez pour la concomittance realis, tous les crimes peuvent être présentés
séparément bien que résultant d'un seul et même acte, à ce moment la grille générale
des peines d'emprisonnement en ex-Yougoslavie n'aborde pas ce problème. Mais si
vous nous dites que vous interprétez le Règlement de telle manière que vous
déterminerez la peine comme dans le cas d'une concomittance idealis, cela ne nous
pose aucun problème. Mais tout d'abord, cela ne se trouve pas dans le Règlement,
nous ne savons pas quelle sera votre politique à cet égard, donc nous commençons par
affirmer que cela devrait se trouver dans l'acte d'accusation, parce qu'alors nous
avons des garanties. Si cela ne se trouve pas dans l'acte d'accusation, c'est une
question de confiance vis-à-vis de la Chambre. Vous faire tout à fait confiance ne
nous pose aucun problème - et grande est notre confiance, Mme la Présidente - mais
nous voulons être certains que cette question ne deviendra pas un véritable problème à
la fin du procès lorsqu'il y aura déjà eu une décision sur sa culpabilité.
LA PRESIDENTE : Si les chefs d'accusation étaient présentés à titre subsidiaire, vous
dites que nous n'aurions pas d'autre choix que de statuer sur la culpabilité sur la base
de l'un ou de l'autre, mais pas des deux ?
M. WLADIMIROFF : Absolument.
M. ORIE : Permettez-moi, Mme la Présidente, de faire une petite remarque
concernant l'article 49 du Règlement. Vous avez demandé à M. Wladimiroff si cet
article apportait une réponse à sa question. Il a dit qu'il laissait en suspens la question
de savoir si l'article 49 traitait de l'éventualité d'actes multiples ou d'un acte tombant
sous le coup de plusieurs dispositions d'un code pénal.
Je pense, en fait, qu'il n'aurait pas été nécessaire d'insérer la dernière ligne de l'article
49, si cette disposition évoquait le cas d'un seul acte tombant sous le coup de
plusieurs dispositions pénales, parce que c'est commis par le même accusé. Si nous
parlions d'un seul acte, il ne serait pas nécessaire d'insister sur le fait qu'il a été
commis par le même accusé parce que, d'un point de vue logique, selon moi, il
apparaît clairement à la lecture de l'article 49 que celui-ci évoque le cas de plusieurs
actes et non celui d'un seul acte tombant sous le coup de plusieurs dispositions
pénales.
LA PRESIDENTE : Je pense que le but de cette phrase de l'article 49 était d'opérer la
distinction par rapport à l'article 48 qui parle de jonction d'accusés. Donc, ce que
nous avons essayé de dire à l'article 49, nous parlons ici d'une jonction de chefs
d'accusation, alors que dans l'article précédent nous parlions de jonction de plusieurs
accusés.
M. VUJIN (original : serbe) : Cependant, avec votre permission, Mme la Présidente,
examinons l'article 49, c'est indiqué dans l'acte d'accusation et nous ne le contestons
pas, parce qu'il y a plusieurs actes qui constituent plusieurs infractions, mais à présent
nous parlons d'un seul acte. Le Procureur devrait décider de quel crime il accuse
Dusko Tadic. Cela, c'est l'article 47(B). Il ressort assez clairement de l'article 47(B)
qu'il doit s'agir d'un seul crime, du crime. Vous vous exprimez au singulier. C'est
"crime", et pas "crimes". Dès lors, il doit être accusé d'avoir commis un crime.
LA PRESIDENTE : M. Wladimiroff, souhaitez-vous ajouter quelque chose en ce qui
concerne votre exception préjudicielle relative à la forme de l'acte d'accusation ?
M. WLADIMIROFF : Je ne pense pas, si ce n'est pour répéter ce que j'ai dit
précédemment, à savoir, nous n'aimerions pas être confrontés à une situation, au cas
où la Chambre déclare M. Tadic coupable, ce que nous ne pensons pas, mais si c'est le
cas, nous ne souhaiterions pas le voir condamné à une peine d'emprisonnement de
500 ou 600 ans, comme cela semble être le cas dans les pays où cette concomittance
realis existe.
LA PRESIDENTE : M. Keegan, souhaitez-vous ajouter quelque chose à votre
réponse? Vous pouvez prendre la parole pendant quelques minutes si vous le
souhaitez.
M. KEEGAN : Oui, Madame. Premièrement, je voudrais, bien entendu, citer le
paragraphe 36 du rapport du Secrétaire général, simplement en ce qui concerne la
question de l'influence que pourrait avoir un système national. Ce paragraphe indique
clairement qu'il n'existe qu'un seul cas où il pourrait être nécessaire de se référer aux
pratiques nationales, à savoir, la détermination des peines, ce qui, bien entendu,
signifie que la Chambre de première instance devrait se référer à la législation de l'ex-
Yougoslavie. Cela ne signifie pas, bien entendu, qu'elle est liée par ces pratiques,
mais simplement qu'elle devrait s'y référer.
Donc, nous estimons que la question de savoir quelles pourraient être les exigences
d'un système au niveau de nos actes d'accusation par rapport à celles d'un autre
système n'est pas pertinente dans le cadre de cette détermination. Les peines doivent
être déterminées conformément aux conditions fixées par le Statut et le Règlement.
M. le Juge Stephen, je pense que l'autre disposition yougoslave contenue dans la
législation de la Bosnie-Herzégovine qui, bien entendu, est le théâtre des crimes, ce
pourquoi elle pourrait être pertinente, est l'article 262, que vous avez dans votre
dossier, et qui énonce les critères à respecter en ce qui concerne l'acte d'accusation
avec l'autre facette évoquée par M. Vujin.
Mais, en tout cas, la question qui se pose vraiment devant ce Tribunal, toute cette
question relative à la concomittance d'infractions, est lié à l'équilibre à trouver entre
le droit de l'accusé à un procès équitable, bien sûr, et le droit de la communauté
internationale à ce que les principes du droit international humanitaire soient
respectés.
Comme je l'ai évoqué plus tôt, nous pensons que cet intérêt exigerait que les chefs
d'accusation ne soient pas présentés ou retenus à titre subsidiaire, mais que si les actes
commis par l'accusé peuvent donner lieu à une condamnation sur la base de n'importe
quel article, alors ce devrait être le cas et il ne faudrait pas plaider à titre subsidiaire, et
que tout préjudice subi par l'accusé devrait être examiné lors de la détermination de la
peine. Bien sûr, c'est une question qui, comme vous l'avez déjà affirmé, peut être
réexaminée ultérieurement et qui n'est pas pertinente dans le cadre de la présente
audience.
C'est tout ce que je souhaite dire, Mme la Présidente.
LA PRESIDENTE : Merci. M. Wladimiroff, autre chose ?
M. WLADIMIROFF : Je ne veux pas me répéter, donc je n'ai rien à ajouter.
LA PRESIDENTE : L'audience est suspendue pour le déjeuner et reprendra à 14h30.
(L'audience est suspendue pour le déjeuner)
(14h30)
LA PRESIDENTE : Nous voudrions enchaîner par l'examen de l'exception
préjudicielle soulevée par la Défense concernant le principe non bis in idem. Etes-
vous prêt, M. Orie ?
M. ORIE : Oui, Mme la Présidente. Je suis peut-être un peu plus à l'aise que mon
confrère M. Wladimiroff ce matin, Mme la Présidente, car j'examine au moins une
question qui a également été abordée dans le Statut et le Règlement de procédure et de
preuve, à la différence de la concomittance idealis débattue ce matin.
La Chambre d'appel a examiné la question de la primauté du Tribunal. C'était dans
une situation où la Défense avait affirmé que la création d'un Tribunal ad hoc ayant la
primauté n'entrait pas dans les pouvoirs du Conseil de sécurité. Les arguments
présentés à cette occasion présentaient un degré d'abstraction relativement élevée.
En ce qui concerne l'examen de l'exception préjudicielle relative au principe non bis
in idem - il existe bien sûr un certain rapport entre la primauté et le principe non bis in
idem - je ne peux éviter un certain niveau d'abstraction également, mais j'aborderai
également les aspects spécifiques de cette affaire surtout en ce qui concerne la
question du dessaisissement.
Il me semble que l'exception préjudicielle de la Défense concernant le principe non
bis in idem n'a peut-être pas été bien comprise par l'Accusation. Je voudrais donc
préciser, tout d'abord, ce que l'exception ne veut pas dire. En même temps, cette
démonstration permettra de mieux comprendre dans quelle mesure la Défense est
d'accord avec la réponse de l'Accusation sur certains points d'ordre plutôt juridique,
technique.
Après avoir dissipé ces malentendus, peut être sont-ils également dus aux efforts que
nous faisons pour inventer non seulement un instrument, mais toute une série
d'instruments dans le cadre de cette procédure, je vous expliquerai l'argument
principal sur lequel repose l'exception préjudicielle et la raison pour laquelle nous
avons estimé que nous devions la soulever.
Je commencerai par la conception traditionnelle du principe du non bis in idem,
également appelé en américain double incrimination ou en anglais autre fois convict,
autre fois acquit, je dois dire que la formule anglaise est excellente car elle résout un
peu le problème de la rivalité entre les langues dans ce Tribunal, l'expression anglaise
utilisant des mots français. La conception traditionnelle du principe non bis in idem ...
JUGE STEPHEN : Mais elle ne se prononce pas du tout à la manière française.
M. ORIE : Je sais. Je ne sais pas exactement comment vous la prononcez, mais je
peux encore y reconnaître le français. Dans sa conception traditionnelle, le principe
non bis in idem a pour objet d'éviter qu'une personne soit jugée une deuxième fois
pour un même crime. Outre le fait que sur le fond, une même personne ne peut être
jugée une deuxième fois et ne puisse purger une seconde peine pour une même
infraction, ce principe comporte également un aspect procédural. Le principe de la
double incrimination s'oppose non seulement à l'imposition d'une deuxième peine
mais également à l'ouverture d'une deuxième instruction.
A l'origine, le principe non bis in idem avait une portée limitée et ne couvrait que le
problème de la double incrimination dans un seul Etat, une seule juridiction. Cette
règle protégeait seulement une personne identique à celle antérieurement incriminée
pour des actes identiques à ceux pour lesquels elle avait déjà été condamnée, contre
des autorités d'instruction identiques à celles déjà intervenues auparavant.
L'exigence selon laquelle les deux parties doivent être les mêmes que les parties
poursuivies précédemment a donné au principe non bis in idem sa portée initiale
étroite, au niveau national. Des poursuites engagées précédemment en Espagne par
exemple n'enlevaient pas aux autorités allemandes le droit d'exercer les compétences
dont elles avaient été investies en vertu de la législation allemande. A l'heure actuelle,
nous constatons même qu'un principe identique est prévu dans de nombreuses
Constitutions et législations nationales. Si je me réfère au 5e amendement des Etats
Unis ou à l'article 103(3) de la Loi fondamentale allemande, nous constatons qu'ils
ont été uniformément interprétés comme ne conférant de protection que contre une
deuxième série de poursuites à l'intérieur d'une même juridiction.
La Défense reconnaît avec l'Accusation que l'article 14(7) du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques - et il en va de même de l'article 4 du 7e protocole
à la Convention européenne des droits de l'homme - que ces dispositions ne peuvent
être interprétées comme étant applicables en-dehors du contexte national, bien que
l'on puisse trouver certaines incertitudes dans le passé en ce qui concerne le champ
d'application de l'article 14(7) du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques. Il n'existe aucun texte valide sur lequel on puisse s'appuyer pour affirmer
que ces dispositions sont applicables au niveau international. Bien sûr, il y a
applicabilité au niveau international, mais pas en ce qui concerne le principe non bis
in idem.
L'idée sous-jacente du principe non bis in idem n'est cependant pas vraiment
renforcée et les intérêts de l'individu ne sont pas mieux protégés par la théorie
classique de l'Etat souverain, en vertu de laquelle il n'y a aucune obligation de
considérer les jugements rendus à l'étranger comme faisant obstacle à un deuxième
procès. On peut faire remarquer que de nombreux Etats ont cherché à protéger
l'individu dans la mesure où ce n'était pas incompatible avec les intérêts de l'Etat
souverain concerné.
Ce qui résulte alors au niveau des dispositions légales internes est que celles-ci
accordent souvent une protection limitée contre une double incrimination due à des
Etats différents. Je citerai simplement à titre d'exemple et non simplement parce que
ce n'est pas du droit anglo-saxon, l'article 68 du code pénal néerlandais et, par
exemple, la jurisprudence du Royaume-Uni, Archbold Criminal Pleading in Evidence
Practice fait référence dans son édition de 1993, par exemple, à la récente affaire R. v.
Lavercombe and Murray (1988). Le type de limites ...
JUGE STEPHEN : Excusez-moi, voudriez-vous répéter ?
M. ORIE : Oui. C'est Lavercombe and Murray. Le type, je dirais, de limites qu'un
Etat s'oblige à respecter et que nous trouvons dans la législation est par exemple -
pour ne citer que quelques exemples - si le deuxième Etat a des motifs de compétence
plus faibles, par exemple en raison de la nationalité de l'auteur de l'infraction, par
rapport aux motifs de compétence plus solides de l'Etat ayant engagé les premières
poursuites, par exemple en raison du principe de territorialité ou du principe de
protection, le second Etat acceptera que le jugement rendu dans le premier Etat fasse
obstacle à l'ouverture d'une deuxième instruction.
Autre exemple : Le second Etat ne renoncera à exercer sa compétence lorsqu'une
condamnation a déjà été prononcée que si la personne a vraiment purgé sa peine.
Autre exemple : Les Etats peuvent s'engager à déduire la peine infligée et purgée à
l'étranger de la sentence qui résultera du deuxième procès. Un dernier exemple a trait
aux garanties procédurales spécifiques qui sont créées pour empêcher que l'on
n'ouvre une deuxième instruction sans que ce soit nécessaire.
Suite à l'internationalisation des sociétés et comme les conventions internationales
créant de nombreuses compétences extra-territoriales ont entraîné de nombreux
recoupements par rapport aux compétences internes concurrentes, un besoin plus
pressant s'est fait sentir d'appliquer le principe non bis in idem au niveau international
également, plutôt qu'exclusivement en droit interne.
La première solution, également la plus simple, apportée au problème a consisté à
élargir la portée des traités d'extradition en accordant l'extradition aux fins
d'exécution d'une peine, également pour un vaste éventail d'infractions, y compris les
sévices sexuels - toute une série d'autres infractions qui n'entraient pas dans le champ
d'application des traités d'extradition auparavant. Il est devenu superflu d'ouvrir une
deuxième instruction pour éviter qu'une personne ne pouvant être extradée n'échappe
à la justice.
Le développement des procédures de dessaisissement - je me réfère à la Convention
européenne sur la transmission des procédures répressives qui a été déposée par le
Procureur en annexe à l'exception préjudicielle relative au principe non bis in idem - a
fait en sorte que des poursuites ont été engagées dans les Etats où elles étaient
susceptibles de donner le meilleur résultat tant du point de vue de l'Accusation, de la
disponibilité de témoins, etc. que du point de vue de la Défense, pour éviter un
deuxième procès.
Des extraditions permettant de traduire en justice l'auteur de l'infraction
accompagnaient les procédures de dessaisissement, qui visaient à n'ouvrir
d'instruction que là où cela répondait le mieux aux exigences de la justice pénale. La
dernière phase de cette évolution - le transfert de prisonniers ou le transfert de
l'exécution de peines prononcées à l'étranger - a également limité le besoin
d'organiser un deuxième procès dans les cas où l'intéressé s'était réfugié dans un Etat
ne pouvant extrader.
Progressivement, la plupart de ces considérations de stratégie pénale visant à
concentrer les compétences et à éviter les doubles incriminations ont été incorporées
dans des traités. Des chapitres relatifs au principe non bis in idem ont été incorporés
dans - je l'ai déjà mentionné - la Convention européenne sur la transmission des
procédures répressives, la Convention européenne sur la valeur internationale des
jugements répressifs et plus tard, une Convention sur le principe non bis in idem a
même été élaborée par ce qui est à présent devenu l'Union européenne, et elle peut
être ratifiée même par des Etats non membres, depuis le 25 mai 1987 déjà.
Mais permettez-moi de poser une question cruciale avant même que vous ne le
fassiez: cette évolution ferait-elle en sorte que ces dispositions, de droit interne ou
incorporées dans des traités, auxquelles j'ai fait référence pourraient faire obstacle à
un deuxième procès dans des circonstances telles que celles auxquelles nous sommes
confrontés en l'espèce ? La réponse doit être claire, c'est non.
Outre la question de l'applicabilité de ces dispositions, elles ne sont pas applicables,
comme nous en convenons avec l'Accusation, l'affaire qui nous occupe ne remplirait
pas les conditions. Si le Tribunal n'était qu'un tribunal ordinaire d'un deuxième Etat
et en supposant, aux fins de l'argumentation, que cet Etat soit compétent, si l'Etat
souhaitait engager à nouveau des poursuites contre M. Tadic, de nombreuses raisons
réduiraient à néant une défense reposant sur le principe non bis in idem.
Je me bornerai à vous en donner deux : la première est qu'il n'y a pas de décision
définitive, que ce soit une condamnation ou un acquittement. La deuxième est que
même s'il y avait eu condamnation, la peine n'aurait pas encore été purgée dans sa
totalité. Vous avez probablement remarqué que je ne fais pas référence à la solidité
des motifs de compétence des poursuites précédentes. J'y viendrai plus tard.
Bien sûr, je m'empresse d'ajouter à ce que je viens de dire que la situation est
différente, que vous n'êtes pas un tribunal ordinaire et nous ne sommes pas un
deuxième pays. Nous devons nous fonder sur le Statut de ce Tribunal et sur son
Règlement de procédure et de preuve. Cependant, il est utile de garder à l'esprit le
développement du principe non bis in idem en droit interne et en droit des traités
avant l'avènement de ce Tribunal.
On a maintes et maintes fois insisté sur le fait que le Tribunal se trouve dans une
situation à nulle autre comparable. Cela permet également à la Défense de développer
son argumentation relative au principe non bis in idem en se fondant sur la raison
d'être du Tribunal et, bien entendu, dans le contexte du Statut et du Règlement de
procédure et de preuve, mais non sur la base du droit interne des traités existant, mais
en analysant les dispositions du Statut du Tribunal et du Règlement de procédure et de
preuve.
Une partie essentielle de mon argumentation portera sur l'interaction entre les articles
9 et 10 du Statut. Permettez-moi de commencer par cela.
L'article 9 du Statut ...
LA PRESIDENTE : Puis-je vous interrompre un petit moment ? Lorsque vous
arriverez à cette partie de votre argumentation, parlerez-vous du principe non bis in
idem ou de la primauté du Tribunal ?
M. ORIE : Je vais essayer de vous expliquer que, tout d'abord, ces deux questions
sont liées. J'expliquerai l'interaction entre les articles 9 et 10 du Statut. Ensuite
j'affirmerai qu'il y a violation de l'aspect procédural du principe non bis in idem.
LA PRESIDENTE : Veillez à bien établir ce lien, parce que vous avez soulevé une
exception préjudicielle contestant la primauté du Tribunal qui faisait au moins partie
de l'exception préjudicielle relative à la compétence. Il y a eu une audience à ce sujet,
bien entendu. Ensuite, un appel a été interjeté et la Chambre d'appel a bien entendu
examiné certaines questions relatives à la primauté. Les points 4) et 5), je pense, de
votre exception que vous commencez à présent à examiner, me semblaient être une
nouvelle argumentation relative à la primauté, présentée sous une lumière différente.
Je veux simplement que vous sachiez ce que je pense. Il se peut que j'aie tout à fait
tort, mais c'est ce que je pense.
M. ORIE : En fait, je m'attarderai quelque peu sur la décision de la Chambre d'appel.
La différence, selon moi, est qu'à ce moment, nous affirmions qu'on ne pouvait créer
de Tribunal ayant la primauté. Ce que j'examine aujourd'hui, c'est la manière dont les
articles 9 et 10 ont été utilisés dans ce cas spécifique.
Donc, je n'affirme pas que la primauté en tant que telle n'est pas acceptable, mais que
la manière dont la procédure de dessaisissement a été utilisée en l'espèce entraîne une
violation du principe non bis in idem tel que nous le trouvons dans le Statut, selon
mon analyse. Donc, je vois bien le lien, mais j'espère être en mesure de vous
convaincre qu'il ne s'agit pas tout à fait de la même question, parce que je comprends
que vous n'avez pas vraiment envie de faire office de deuxième Chambre d'appel au-
dessus de l'autre Chambre.
LA PRESIDENTE : En ce qui concerne ce deuxième argument que vous allez
examiner à présent, j'ai lu le mémoire que vous avez déposé auprès de la Chambre
d'appel - je l'ai lu hier - et vous avez soulevé la question de manière très - ce n'était
pas très clair, mais il me semble que vous avez effectivement soulevé la question. Je
ne sais pas si la Chambre d'appel l'a examinée. Je n'ai pas lu le compte rendu des
débats et je n'étais pas là, donc je ne sais pas si vous avez abordé la question devant la
Chambre d'appel.
M. ORIE : Je fais référence à la décision de la Chambre d'appel. Comme je l'ai déjà
dit au début de mon intervention, si certaines parties de l'exception semblent
obscures, c'était dû au fait que nous étions encore confrontés à cette époque à d'assez
nombreux problèmes. J'espère qu'aujourd'hui au moins, je serai clair.
Je dirai simplement qu'une partie déterminante de l'argumentation portera sur
l'interaction entre les articles 9 et 10 du Statut et c'est par là que je commencerai.
L'article 9 du Statut traite des compétences concurrentes et l'article 10 du Statut
concerne le principe non bis in idem. "Compétence concurrente", qu'est-ce que cela
signifie ? C'est le contraire de "compétence exclusive". Tant le Tribunal que les
juridictions internes peuvent être compétents pour juger les infractions concernées.
Les Etats sont mêmes encouragés à exercer leur compétence en ce domaine. Comme
l'écrit le Secrétaire général au paragraphe 64 de son rapport, je cite : "En décidant la
création d'un tribunal international pour juger les personnes présumées responsables
de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de
l'ex-Yougoslavie depuis 1991, l'intention du Conseil de sécurité n'était pas d'exclure
ou d'empêcher l'exercice de leur compétence par les tribunaux nationaux à l'égard de
tels actes. En fait, les tribunaux nationaux devraient être encouragés à exercer leur
compétence conformément aux lois et procédures nationales pertinentes."
La compétence du Tribunal et celle des Etats étant concurrente, il se pose la question
de la résolution du conflit de concurrence positif. Une réponse explicite à cette
question est fournie à l'article 10 du Statut, au cas où l'une des juridictions a prononcé
une décision finale.
Si une procédure est encore pendante devant une juridiction nationale, l'article 9,
paragraphe 2, prévoit la possibilité d'un dessaisissement. Les critères d'exercice de la
primauté ne sont pas explicitement mentionnés à l'article 9 du Statut. Ils le sont
cependant à l'article 10, paragraphe 2 du Statut. Cela signifie-t-il que les critères de
l'article 10, paragraphe 2 - je me contenterai de vous les mentionner - premièrement la
qualification insuffisante des crimes, deuxièmement une procédure non impartiale ou
non indépendante, troisièmement le fait que l'accusé a été soustrait à sa responsabilité
pénale internationale ou quatrièmement le fait que les poursuites n'aient pas été
exercées avec diligence.
Cela signifie-t-il que ces critères de l'article 10, paragraphe 2 ne s'appliquent que
lorsqu'une affaire a abouti à un jugement au niveau national ? Ce n'était certainement
pas l'intention des membres permanents du Conseil de sécurité.
Je cite les déclarations interprétatives de la France, des Etats Unis et du Royaume-Uni
sur cette question. La France a souligné que, "Le Tribunal peut intervenir à tout stade
de la procédure et affirmer sa primauté, y compris dès le stade de l'instruction lorsque
cela s'avère opportun dans les situations couvertes par l'article 10, paragraphe 2."
Le représentant des Etats Unis a affirmé "Il est entendu que la primauté du Tribunal
international visée au paragraphe 2 de l'article 9 fait référence uniquement aux
situations visées à l'article 10."
Le Royaume-Uni a affirmé que la primauté du Tribunal devait être interprétée comme
ayant trait, je cite : "principalement aux juridictions sur le territoire de l'ex-
Yougoslavie; ailleurs, ce n'est qu'en présence du type de circonstances
exceptionnelles décrites à l'article 10, paragraphe 2 que la primauté sera applicable".
Shraga et Zacklin, dans leur article auquel il a déjà été fait référence, écrivent : "Des
membres du Conseil de sécurité ont indiqué lors de l'adoption de la résolution 827
qu'une intervention dans des poursuites pénales engagées devant des tribunaux
nationaux ne sera opportune que dans des situations visées par l'article 10, paragraphe
2 du Statut, à savoir, pour garantir l'objectivité et l'impartialité des juridictions
nationales chargées de juger des personnes présumées responsables de crimes
sanctionnés par le présent Statut, et pour veiller à ce que des poursuites pénales ne
soient pas engagées devant des juridictions nationales dans le seul but de faire
obstruction à la compétence du Tribunal ou pour soustraire l'accusé à sa
responsabilité pénale internationale".
En ce qui concerne l'autorité des sources que j'ai citées, mes premières citations je les
ai trouvées non dans le document original, mais dans le guide Morris and Shaff, le
guide, le guide vert du Tribunal international, je me souviens que Virginia Morris et
Ralph Zacklin étaient tous deux membres du groupe de travail qui a préparé le rapport
du Secrétaire général. Pour cette raison, ils ont joué un rôle actif dans l'histoire de ce
Tribunal.
Nous constatons alors que le Règlement de procédure et de preuve ne respecte pas
cette interprétation unanime de la majorité des membres permanents du Conseil de
sécurité qui, dans une certaine mesure, avait même été confirmée par une déclaration
russe.
L'article 9 - nous parlons de l'article 9 du Statut - du Règlement de procédure et de
preuve dépasse l'intention exprimée par la France, les Etats-Unis et le Royaume-Uni.
Bien que les critères de l'article 10, paragraphe 2 du Statut soient repris dans
l'article 9 du Règlement, un critère supplémentaire y est formulé. Selon celui-ci :
"l'objet de la procédure porte sur des faits ou des points de droit qui ont une incidence
sur des enquêtes ou des poursuites en cours devant le Tribunal".
La Défense affirme que l'élargissement des critères de dessaisissement au-delà des
critères énoncés à l'article 10, paragraphe 2 du Statut est contraire, sinon au texte, du
moins à l'intention et l'esprit du Statut tels qu'exprimé dans les déclarations
interprétatives.
L'adoption de l'article 9 du Règlement n'entrait pas dans les pouvoirs des Juges de ce
Tribunal et cet article ne peut donc être appliqué dans la mesure où il est contraire au
Statut.
JUGE STEPHEN : Excusez-moi, mais puis-je vous interrompre à ce stade,
simplement pour comprendre ce que vous dites ? L'article 10 (2) ne concerne-t-il pas
les cas où il y a eu un procès qui est terminé, et l'article 9 (2) ne concerne-t-il pas une
situation relativement différente à n'importe quel stade de la procédure ?
M. ORIE : J'y viendrai plus tard. Je vous expliquerai que, bien entendu, c'est ce qui y
est dit. Premièrement, nous avons le problème de l'applicabilité des critères de
l'article 10 à la situation prévue à l'article 9. Deuxièmement, il faut savoir si "à tout
stade de la procédure" nous priverait de tout moyen de défense raisonnable basé sur
non bis in idem. Si vous me le permettez, je ne l'oublierai pas, j'y viendrai plus tard.
JUGE STEPHEN : Peut-être ne vous ai-je pas entendu correctement, mais êtes-vous
en train de dire que la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis et peut-être aussi
la Russie ont affirmé que l'article 10(2)(a) et (b) est applicable à 9(2) ?
M. ORIE : Oui, c'est bien ce que j'ai dit; tous les trois l'ont affirmé en des termes
relativement clairs.
LA PRESIDENTE : Ne disaient-ils pas que le Tribunal peut, en vertu de l'article 9 -
ne disaient-ils pas qu'il y a compétence concurrente mais que le Tribunal a la
primauté et que pour cela, en raison de cette primauté, il peut à tout stade de la
procédure demander à une juridiction nationale de se dessaisir en sa faveur ? Il peut le
demander, mais ces juridictions nationales ne sont pas tenues de faire droit à la
demande parce qu'elle est véritablement limitée aux situations où l'un des événements
prévus à l'article 10 (2)(a) et (b) se produit ?
M. ORIE : Non, ce n'est pas ce qu'ils disent - peut-être vais-je relire lentement les
passages que j'ai à nouveau cités parce que, selon moi, il y est affirmé assez
clairement que vous ne pouvez faire valoir votre primauté aux termes de l'article 9
que si les critères visés à l'article 10 (2) sont réunis.
LA PRESIDENTE : C'est là que se situe mon problème, vous voyez. Nous pouvons
faire une demande si nous le décidons, mais si un pays décide pour une raison
quelconque qu'il ne se dessaisira pas, il pourrait le faire sans problème. Bien sûr, ce
n'est pas ce qui s'est produit ici, l'Allemagne a procédé au dessaisissement.
M. ORIE : Bien sûr, il y a deux questions différentes; la première est de savoir si le
Tribunal peut aller jusqu'à faire usage de ses pouvoirs en vertu de l'article 9 dans une
situation qui n'est pas couverte par les critères de l'article 10(2); la deuxième question
est de savoir si, lorsque le Tribunal fait usage de ses pouvoirs, un Etat national peut
refuser de se dessaisir d'une affaire. Pour autant que je sache, l'Allemagne s'est sentie
obligée (et j'examine à présent les détails de cette affaire) de faire droit à la demande
de dessaisissement sans poser d'autres questions.
LA PRESIDENTE : Peut-être était-ce en partie, pour autant que je sache, dû au fait
que M. Tadic ne s'est pas opposé au dessaisissement.
M. ORIE : Je suis d'accord avec vous. Si on examine l'évolution de la législation
allemande, je ne pense pas que cela aurait fait la moindre différence parce que les
Allemands disent : "Si le Tribunal en fait la demande, nous devrons le faire". Il se
peut qu'ils n'aient pas vu ce lien entre l'article 9 et l'article 10 parce qu'ils se
sentaient seulement autorisés à vérifier si le Tribunal est compétent pour connaître de
l'affaire, des circonstances de l'affaire sur la base des articles 2, 3, 4, 5 et 6 du Statut
du Tribunal, à savoir la compétence matérielle. Donc, j'ai l'impression que cela n'a
pas été la raison majeure pour laquelle l'affaire a été déférée.
Mais mon problème principal est que le Tribunal a sollicité un dessaisissement. La
question de savoir si l'Allemagne aurait pu agir autrement, opposer un refus, n'est pas
l'une des questions les plus importantes dans l'exposé que je présente actuellement.
JUGE STEPHEN : Vous avez très utilement menacé de lire plus lentement ce qui a
été dit par le Royaume-Uni et les Etats-Unis ?
M. ORIE : Les Français ont souligné, je cite : "Le Tribunal peut intervenir à tout stade
de la procédure et affirmer sa primauté, y compris dès le stade de l'instruction lorsque
cela s'avère opportun dans les situations couvertes par l'article 10, paragraphe 2."
Les Etats Unis ont affirmé : "Il est entendu que la primauté du Tribunal international
visée au paragraphe 2 de l'article 9 fait référence uniquement aux situations visées à
l'article 10."
Le Royaume-Uni a affirmé que la primauté du Tribunal devait être interprétée comme
ayant trait, je cite : "principalement aux juridictions sur le territoire de l'ex-
Yougoslavie; ailleurs, ce n'est qu'en présence du type de circonstances
exceptionnelles décrites à l'article 10, paragraphe 2 que la primauté sera applicable".
Donc, il n'y est pas précisé si c'est le Tribunal qui doit décider ou si c'est l'Etat requis
qui doit décider.
Puis-je poursuivre ? Je vous ai ensuite soumis la citation de Shraga et Zacklin. J'ai
souligné qu'ils avaient joué un rôle actif dans l'histoire de ce Tribunal. J'ai poursuivi
en affirmant que le Règlement de procédure et de preuve ne respecte pas ce lien entre
les articles 9 et 10 du Statut. J'ai cité le troisième critère qui a été ajouté à l'article 9
du Règlement de procédure et de preuve.
Il est important d'établir que la requête en dessaisissement du 12 octobre 1994 de
l'Accusation, ainsi que la demande officielle de dessaisissement émise par la première
Chambre du Tribunal le 8 novembre 1994 se fondent exclusivement sur le troisième
motif, que je qualifierais de complémentaire, d'une demande de dessaisissement tel
qu'il est prévu à l'article 9 du Règlement de procédure et de preuve.
Les premier et deuxième critères de dessaisissement visés à l'article 9 du Règlement,
qui sont parallèles aux critères de l'article 10 (2) du Statut, n'ont manifestement joué
aucun rôle dans la requête du Procureur et dans la demande officielle de
dessaisissement. Vous comprendrez que je ne vais pas me plonger dans l'examen de
la question de savoir si ce critère (que la Défense rejette) était rempli ou non. Je ne
vais pas discuter de la question de savoir si l'affaire de M. Tadic était essentiellement
importante parce que c'était la première et, bien entendu, toutes les premières affaires
auront des conséquences pour les suivantes. Je ne vais pas parler de cela parce que
j'affirme que ce critère n'est pas - qu'il viole le Règlement de procédure et de preuve
et l'esprit du Statut.
Le Règlement de procédure et de preuve a pour objet de fournir les données
nécessaires au fonctionnement efficient et efficace du Tribunal international tel que
prévu par le Statut. Morris et Shaff écrivent qu'il est clair que le Règlement ne peut
être contraire au texte explicite et/ou à l'objet du Statut. L'article 9(2) du Statut ne se
contente pas de renvoyer simplement au Règlement de procédure et de preuve, mais
lie également la procédure de dessaisissement au cadre du Statut.
Après avoir établi qu'il existe un lien entre les critères de l'article 10(2) et de l'article
9 du Statut et que ce lien n'a pas été respecté à l'article 9 du Règlement de procédure
et de preuve, je reviens à mon point de départ, la notion traditionnelle du principe non
bis in idem.
Le Tribunal ne se trouve pas dans la situation habituelle où le principe non bis in idem
est applicable dans un contexte international. Cette situation habituelle est caractérisée
par un conflit de compétences plutôt que par des compétences concurrentes au niveau
de plusieurs Etats égaux et souverains, étant tous habilités à exercer leur compétence
pour protéger leurs intérêts nationaux.
Le Tribunal, par contre, se trouve dans une situation où il doit garantir qu'une
administration équitable de la justice est assurée. Il représente la communauté
internationale et ne protège pas les intérêts d'Etats nationaux. Dans cette mesure, il
convient d'opérer une distinction entre la relation entre le Tribunal et les parties au
conflit d'une part, et la relation entre le Tribunal et les tiers ne participant pas au
conflit d'autre part.
Chaque fois que des Etats tiers ne participant pas au conflit exercent leur compétence
universelle à l'égard de crimes, qu'il s'agisse d'infractions graves, de crimes de guerre
ou de crimes contre l'humanité, ils défendent essentiellement aussi les intérêts de la
communauté internationale et non leurs propres intérêts nationaux. Chaque fois que
ces Etats tiers remplissent leurs obligations correctement, il n'y a aucune raison que le
Tribunal intervienne. La compétence concurrente dans ce contexte n'est pas
potentiellement en conflit, mais la compétence de cet Etat et celle du Tribunal ont une
base commune. Tant le Tribunal que, dans ce cas, le pouvoir judiciaire allemand
étaient des gardiens agissant au nom de la communauté internationale.
Lorsqu'il pourrait exister des conflits d'intérêts entre la compétence des parties au
conflit - il s'agit essentiellement d'intérêts nationaux - et la compétence du Tribunal
qui défend les intérêts de la communauté internationale, il est probable qu'il n'existe
pas de conflits d'intérêts entre la compétence du Tribunal et celle des Etats tiers au
conflit.
Après cette analyse de la situation, laquelle offre une explication théorique
satisfaisante des déclarations interprétatives de la majorité des membres permanents
du Conseil de sécurité, nous devons nous interroger sur ce que devraient être les
conséquences. Permettez-moi de formuler tout d'abord une remarque sur le caractère
relatif de la situation que je viens de décrire.
Les Etats tiers, même lorsqu'il exercent leur compétence universelle, peuvent ne pas
toujours défendre véritablement les intérêts de la communauté internationale au nom
de laquelle ils sont censés avoir exercé leur compétence universelle. La loyauté envers
l'une des parties au conflit pourrait être une raison de ne pas respecter les intérêts
d'une administration équitable de la justice internationale.
D'autre part, on ne peut exclure que l'exercice de la compétence par l'une des parties
au conflit, bien que visant parfois essentiellement à défendre des intérêts nationaux,
satisfait pourtant aussi entièrement aux exigences de la justice internationale. Cela
implique que l'analyse générale de la situation ne permet jamais de déterminer
automatiquement la position d'Etats exerçant leur compétence nationale. Le fait que
ces Etats ont agi en vertu d'une base supposée commune avec le Tribunal ou d'une
base supposée conflictuelle doit être vérifié à la lumière des circonstances
particulières par la juridiction ayant primauté, à savoir le Tribunal. Vous voyez, je
n'affirme plus qu'il ne s'agit pas de compétence primaire; c'est à vous qu'il appartient
d'en décider.
Lorsqu'il n'y a pas d'intérêts conflictuels à défendre par deux des juridictions
concurrentes, nous nous trouvons en fait dans une position similaire à celle dans le
cadre d'une juridiction interne. Il n'y aura jamais de raison de juger deux fois une
personne dans ces conditions, parce que la première procédure est censée avoir
suffisamment défendu les intérêts de la communauté au nom de laquelle la
compétence a été exercée. Dès lors, l'intérêt de la personne à ne pas être jugée une
deuxième fois prévaut, même si parfois de nouveaux faits ont été découverts.
La Défense a souvent été confrontée à l'approche selon laquelle le Tribunal se trouve
dans une situation à nulle autre comparable, qui appelle ses propres solutions.
L'analyse de la situation dans laquelle se trouve le Tribunal par rapport à la juridiction
nationale indique que le principe non bis in idem doit trouver application de la même
manière que dans un contexte national, lorsque, du moins, la juridiction nationale
concurrente remplit correctement ses obligations à l'égard de la communauté
internationale. Comme je vous l'ai déjà dit, c'est susceptible de se produire si un Etat
tiers au conflit exerce sa compétence.
Cependant, le principe non bis in idem peut fonctionner comme s'il fonctionnait dans
un contexte international chaque fois que la juridiction nationale ne défend pas
correctement les intérêts de la communauté internationale, ce qui peut être le cas si
c'est l'une des parties au conflit qui exerce sa compétence. Tant le caractère équitable
du procès que le caractère approprié des sentences, selon que l'accusé est un
compatriote ou un ennemi, sont susceptibles d'être menacés.
L'analyse que je viens de faire est toujours tout à fait compatible avec les déclarations
interprétatives. Celles-ci nous disent que le Tribunal a pour objet essentiel d'éviter à la
fois l'absence totale de procès lorsqu'aucun Etat ne fait usage de son pouvoir
d'exercer des poursuites, ou d'intervenir lorsque les poursuites sont ou étaient
insatisfaisantes pour les raisons mentionnées à l'article 10(2) du Statut. Dans les
dernières circonstances surtout, l'intérêt qu'a la communauté internationale à ce que
les infractions graves présumées du droit international humanitaire fassent l'objet d'un
procès équitable prévaut sur l'intérêt des individus à ne pas être jugé plusieurs fois.
La Défense affirme qu'il n'y a aucune raison de croire que les poursuites engagées
contre le défendeur en Allemagne remplissent l'un des critères visés à l'article 10(2)
du Statut. Les poursuites engagées en Allemagne étaient tout à fait conformes aux
exigences de la communauté internationale. Ce n'était pas un simulacre de procès. La
procédure était conforme aux exigences essentielles de tout procès équitable. Donc, il
n'y avait aucune justification au fait que l'Allemagne se dessaisisse de l'affaire en
faveur du Tribunal aux termes de l'article 9 interprété conformément à l'article 10 (2)
du Statut, entraînant par là un deuxième procès pour l'accusé.
LA PRESIDENTE : Permettez-moi de vous poser une seule question à ce sujet. Vous
avez dit que comme il n'existait aucune base dans le Statut pour une demande de
dessaisissement, les poursuites devant le Tribunal représentent un deuxième procès,
c'est bien cela ?
M. ORIE : C'est une question très difficile, parce que ...
LA PRESIDENTE : Nous avons une transcription des débats que nous pouvons relire,
n'est-ce pas ?
M. ORIE : En tout cas, il n'y a aucune disposition précisant comment restituer
l'affaire à l'Allemagne, mais comme nous sommes confrontés de temps à autre à des
situations pour lesquelles le Règlement ne donne aucune solution appropriée, mais ce
que je veux dire ...
LA PRESIDENTE : Savez-vous pourquoi je vous ai posé cette question, cela ne
présuppose-t-il pas que des poursuites étaient en cours en Allemagne avant le
dessaisissement ?
M. ORIE : Si.
LA PRESIDENTE : Et c'est l'un des points sur lesquels la Chambre d'appel a statué.
Elle a affirmé qu'il n'y avait pas de poursuites en cours.
M. ORIE : Je n'ai pas oublié ce problème.
LA PRESIDENTE : C'est pour cela que je suis toujours en train d'essayer de faire en
sorte que vous démontriez le lien avec le principe non bis in idem, je pense.
M. ORIE : Oui. J'y viendrai plus tard. L'un de mes problèmes est que cette question
n'a pas fait l'objet de débats approfondis lorsque nous avons évoqué la primauté en
tant que problème général. Comme vous pouvez le voir dans mon raisonnement,
j'accepte la primauté comme un principe valide dans ce Tribunal. J'examine
maintenant elle a été appliquée dans ce cas particulier. Et j'ai bien peur - j'y viendrai
plus tard - que la Chambre d'appel ait tiré des conclusions sur des questions qui ne
sont pas vraiment en jeu ici. Je m'expliquerai. Ils disent qu'ils en étaient seulement au
stade des enquêtes et qu'aucun procès n'était en cours. J'y viendrai plus en détail dans
quelques pages.
Même si nous devions examiner le principe non bis in idem similairement à son
application dans un contexte national en raison d'intérêts sous-jacents identiques
plutôt que conflictuels de l'exercice de la compétence, certaines questions subsistent.
Une décision définitive est-elle nécessaire pour que l'on puisse invoquer la protection
contre un deuxième procès ? Dans le contexte international, chaque fois qu'un Etat
incline à respecter un jugement étranger, la réponse sera affirmative. Des dispositions
relatives au principe non bis in idem contenues dans des traités l'indiquent assez
clairement. Mais dans le contexte du droit pénal national, la réponse est cependant
négative.
Permettez-moi simplement, par exemple, d'examiner la règle de la double
incrimination aux Etats-Unis. L'interdiction de double incrimination ne s'applique
qu'après l'ouverture du deuxième procès, mais cela ne signifie pas nécessairement
qu'un verdict sera prononcé. Hormis la situation où un jury est dans une impasse - je
ne connais pas très bien le système du jury - un procès interrompu pour des raisons
autres que des éléments indépendants de la volonté de la Cour peut entraîner la mise
en oeuvre de la règle de la double incrimination. Vous trouverez des dispositions
similaires dans d'autres juridictions.
Une décision finale n'est pas toujours requise pour empêcher l'ouverture d'un second
procès. Dans la plupart des procédures internes, il existe une phase considérée comme
un point de non-retour. C'est généralement le début du procès public ou, au moins,
une phase où la décision est prise de savoir s'il est justifié d'ouvrir un procès public
ou, pour en rester à mon exemple des Etats-Unis, dès que le jury a prêté serment dans
le cadre d'un procès avec jury. Malheureusement, il n'y a pas de procès avec jury en
Allemagne, en sorte qu'il est un peu difficile de procéder à une comparaison.
Donc, il semble que la question de savoir si ce stade a été atteint dans le procès
allemand - je parle d'un procès, non d'une instruction - il semble que la Chambre
d'appel ait déjà répondu à cette question dans son arrêt du 22 septembre. Bien que
nous étions alors en train d'examiner le principe de la primauté et non la manière
spécifique dont le Tribunal traite les poursuites antérieurement ouvertes en
Allemagne, la Chambre d'appel apprend à la Défense que la procédure entamée en
Allemagne n'en était qu'au stade de l'instruction. A l'appui de sa conclusion, la
Chambre d'appel cite la décision sur le dessaisissement du 8 novembre 1994. Je cite
un passage de l'arrêt de la Chambre d'appel : "Le Procureur affirme, et cela n'est
contesté ni par le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne, ni par le
Conseil de Dusko Tadic, que ledit Dusko Tadic fait l'objet d'une enquête ouverte par les
institutions judiciaires internes de la République fédérale d'Allemagne concernant les
accusations figurant au paragraphe 2 des présentes."
J'attire votre attention sur le fait qu'en citant la décision de la Chambre de première
instance I, en fait, la Chambre d'appel cite essentiellement une affirmation de
l'Accusation. Presqu'à titre de remontrance, me semble-t-il, la Chambre d'appel
poursuit : "La différence est nette entre l'enquête et le procès. L'argument de l'Appelant,
fondé erronément sur l'existence d'un procès effectif en Allemagne, ne peut pas être
entendu à l'appui de son exception d'incompétence alors que la question n'a pas encore
dépassé la phase de l'instruction."
Il convient cependant de remarquer qu'une lecture attentive de la décision de la
Chambre de première instance I du 8 novembre 1994 révèle que la Chambre de première
instance faisait simplement référence, dans la partie citée de la décision, aux
affirmations du Procureur à ce stade, lorsque celui-ci a sollicité une demande officielle
de dessaisissement.
Après le dépôt de cette demande le 12 octobre 1994, le défendeur a fait l'objet d'un acte
d'accusation le 3 novembre par les autorités allemandes compétentes, chose dont la
Chambre de première instance révèle être au courant au moment de la décision.
Mais la Chambre d'appel semble oublier, contrairement dois-je le dire, à l'Accusation
dans sa réponse à notre exception relative au principe non bis in idem, que l'acte
d'accusation a fait l'objet d'une analyse judiciaire par l'organe compétent (la 3e
chambre de la cour suprême de Bavière) et que le 13 février 1995, une
"Eroffnungsbeschluss" a été adoptée. Littéralement, cela veut dire "décision
d'ouverture". Qu'est-ce qui a été ouvert ? La phase finale, le stade du procès ou comme
le disent les Allemands : "das Hauptverfahren" (la procédure principale).
Permettez-moi de citer - l'original est en Allemand. J'ai déjà donné des copies à
l'Accusation et je vous ai remis trois copies, une pour chacun des Juges.
LA PRESIDENTE : Est-ce en allemand ?
M. ORIE : Je pourrais aussi simplement vous les remettre. Ce sont simplement les
dispositions relatives à l'ouverture du procès.
LA PRESIDENTE : Affirmez-vous qu'il y a eu double incrimination en Allemagne ?
M. ORIE : Oui.
LA PRESIDENTE : Vous le pensez ?
M. ORIE : Oui.
LA PRESIDENTE : A l'appui de cette affirmation, vous nous remettez ce document,
n'est-ce pas ?
M. ORIE : Oui, parce que l'Accusation a déjà fait référence à la décision, et je pense que
la décision se trouve - je n'en suis pas très certain - parmi les pièces que nous avons
examinées auparavant, je pense que cette décision se trouve là, mais ...
LA PRESIDENTE : Tout ce que je veux savoir, c'est si vous estimez qu'un deuxième
procès a été ouvert en Allemagne avec la publication de l'acte d'accusation et tout ce qui
s'est produit ensuite ?
M. ORIE : Sur la base de l'acte d'accusation que le tribunal allemand ...
LA PRESIDENTE : En droit allemand.
M. ORIE : a décidé que le procès était ouvert.
LA PRESIDENTE : Ce n'est pas ce que je demande, pourtant, parce qu'un procès peut
être ouvert sans qu'il y ait double incrimination. Je veux dire, un procès peut, je
suppose, commencer par les déclarations liminaires, mais tant que des éléments de
preuve tendant à démontrer la culpabilité ne sont pas produits, il se peut qu'il n'y ait pas
double incrimination, comme c'est par exemple le cas dans mon système. Ce que je
vous demande c'est : en Allemagne, y a-t-il double incrimination, parce que je suppose
que c'est bien votre position, n'est-ce pas ?
M. ORIE : C'est ma position, mais, bien entendu, le problème auquel nous sommes
confrontés est que la procédure pénale des systèmes que vous connaissez peut être
totalement différente de la procédure pénale allemande. En Allemagne, la procédure
connaît trois phases successives. Je dirais que la première phase est celle de l'instruction.
Même des magistrats peuvent jouer un rôle en donnant l'ordre d'effectuer certaines
procédures, etc. Ensuite, il arrive un moment où l'instruction, du moins aux yeux de
toutes les autorités compétentes, est terminée. Nous avons alors une courte phase, une
phase intermédiaire de la procédure que les Allemands appellent "Zwischenunfahren",
c'est-à-dire procédure intermédiaire. Ensuite, en troisième lieu, nous avons le stade du
procès proprement dit.
Ce qui se passe lors de la phase intermédiaire, c'est que tous les éléments de preuve sont
présentés. L'acte d'accusation a déjà été signifié à l'accusé. Il peut prendre position vis-
à-vis de l'acte d'accusation. Il peut demander que l'on poursuive l'instruction. La
juridiction a même le pouvoir de prendre cette décision elle-même. Dans ce cas, le
tribunal affirme : "ces pièces, ces éléments de preuve sont suffisants pour commencer un
procès, et nous décidons que le procès commence maintenant."
LA PRESIDENTE : En Allemagne, si l'acte d'accusation avait été annulé pour une
raison quelconque, l'Allemagne pourrait-elle - mettons de côté le dessaisissement et tout
ce qui a trait à cette procédure - publier un nouvel acte d'accusation contre M. Tadic et
engager de nouvelles poursuites à son encontre ?
M. ORIE : Je pense que cela pourrait être le cas en Allemagne, mais je n'applique pas ...
LA PRESIDENTE : Si c'est le cas, il y a double incrimination à ce stade vis-à-vis de
l'Allemagne. C'est véritablement là que se situe ma question, en mettant de côté
l'ensemble du Tribunal.
M. ORIE : C'est généralement le cas, mais nous sommes confrontés à une situation
unique en son genre, parce que dès qu'on a décidé que le procès était terminé, il ne peut
s'interrompre jusqu'à la décision définitive, mais je pense bien que la législation qui a
spécialement dû être votée suite à la demande du Tribunal a légèrement modifié la
procédure allemande. Dans, dans des circonstances normales, il est impensable, à la
différence peut-être de nombreux autres systèmes, que l'affaire sera clôturée sans,
l'affaire peut être ajournée, c'est ce que nous avons vu, on pourrait faire beaucoup
d'autres choses, mais une décision finira par être rendue. Donc la situation ne sera
jamais ...
LA PRESIDENTE : Des actes d'accusation sont annulés. C'est probablement rare, mais
des actes d'accusation sont déposés, une requête est déposée pour annuler l'acte
d'accusation pour un certain nombre de raisons. Ils sont annulés et ensuite un nouvel
acte d'accusation est publié. Il n'y a pas de double incrimination et ils poursuivent.
M. ORIE : C'est peut-être le cas dans les systèmes que vous connaissez, mais en droit
allemand, pour autant que je sache, je ne suis pas un expert en la matière, mais j'ai une
certaine expérience de ce pays. Le procès peut être ajourné, il peut se produire n'importe
quoi, mais il ne peut jamais recommencer. Il ne peut jamais être ouvert une seconde fois.
Ils poursuivront le procès en cours ou ils peuvent le suspendre provisoirement, mais ils
ne peuvent jamais commencer un nouveau procès si un autre procès avait déjà été ouvert
auparavant.
Donc, la situation est peut-être différente de ce qui se passe dans de nombreux autres
systèmes. Ce à quoi nous sommes confrontés ici, c'est à un grand nombre d'aspects
particuliers d'un certain nombre de systèmes nationaux, mais une chose est certaine, si
la Chambre d'appel affirme que ce n'était qu'une nouvelle instruction, nous ne pouvons
aboutir à cette conclusion que sur la base de la situation qui prévalait à l'époque où
l'Accusation a demandé que cela puisse servir de base à la décision définitive. Donc,
nous sommes arrivés à un point de non-retour.
JUGE STEPHEN : Vous dites que c'est erroné en fait ?
M. ORIE : Oui, c'est erroné en fait.
LA PRESIDENTE : Non, je ne pense pas que ce soit erroné en fait parce qu'à l'époque
où la demande de dessaisissement a été introduite, on en était au stade de l'instruction.
Donc, lorsqu'ils font cette référence, ils se réfèrent à l'époque où la demande de
dessaisissement a été introduite. A cette époque, ce n'était que l'instruction. L'acte
d'accusation a été publié plus tard, et vous avez raison d'affirmer que l'acte d'accusation
a été publié au moment où M. Tadic a été transféré au Tribunal.
M. ORIE : Oui.
LA PRESIDENTE : C'est certain. Mais la référence faite par la Chambre d'appel est à
l'époque où la demande de dessaisissement a été introduite. A ce stade, il n'y avait pas
d'acte d'accusation.
M. ORIE : Je suis d'accord avec vous, mais ce qu'il est dit à propos de la Défense
affirmant qu'il y avait un procès est erroné, parce que le premier stade était seulement
celui de l'instruction. Bien entendu, la question que nous devons nous poser ensuite est :
quelle est l'époque pertinente ? La date de la requête ? La date de la décision de la
Chambre de première instance I lorsqu'elle a adressé une demande officielle de
dessaisissement ou la date à laquelle l'Allemagne s'est dessaisie en faveur du Tribunal ?
Bien entendu, vous comprendrez que pour l'accusé, cette dernière question, celle de
savoir à quel stade de la procédure celle-ci a été interrompue et il a été transféré au
Tribunal, est pour lui la plus importante ...
LA PRESIDENTE : Votre argument est (et nous sommes toujours en train d'essayer
d'établir un lien entre les articles 9 et 10 du Statut) que l'article 9 (iii) du Règlement, de
notre Règlement de procédure et de preuve, que l'article 9 (iii) va plus loin que l'article
9 parce que l'article 9 (B) - je pense que c'est bien (B), enfin c'est le deuxième
paragraphe, je pense, c'est 2, l'article 9 (2) n'est applicable qu'aux situations prévues à
l'article 10 (2). Donc, si c'est vrai ...
M. ORIE : Cela ne revêt pas une importance capitale.
LA PRESIDENTE : Cela peut être important parce que la question qui se pose alors, si
vous affirmez que le Tribunal ne peut faire de demande de dessaisissement que dans les
situations prévues à l'article 10 (2), donc ce qui prévalait à l'époque où la demande a été
faite, me semble très critique. En Allemagne à ce moment, il y avait une instruction et
non un acte d'accusation. Vous voyez, c'est là que se trouve votre lien entre les
compétences concurrentes et le non bis in idem, la primauté et le non bis in idem.
J'essaye de vous amener à établir le lien.
Mais nous pouvons écarter cela et affirmer que telle n'était pas la situation; que ce que
nous devons faire, c'est examiner la situation aujourd'hui et voir ce que nous avons. Ce
que nous avons, c'est un acte d'accusation en Allemagne et une tentative à ce stade de
continuer les poursuites après qu'il y ait eu un acte d'accusation en Allemagne, et quel
en est l'effet ? Si la publication d'un acte d'accusation en Allemagne donne lieu à une
double incrimination et que le principe non bis in idem est applicable d'une juridiction à
l'autre - et vous avez très bien examiné tout cela, je veux dire vous affirmez que cela
s'applique en général au sein d'une juridiction, mais maintenant nous parlons de
principes internationaux - donc s'il s'applique, si ce principe non bis in idem s'applique
aux rapports entre une juridiction et le Tribunal, je pense alors que c'est capital.
M. ORIE : Je ne le pense pas, mais je vais essayer de vous expliquer. Si les motifs du
dessaisissement ...
LA PRESIDENTE : Cela fait maintenant une heure que nous discutons. Il est très
important que nous comprenions vos arguments, parce que lorsque nous rentrerons chez
nous, si nous n'avons pas compris votre raisonnement, ce ne sera pas dans votre intérêt.
M. ORIE : Il ne me reste plus que deux pages et demie, donc cela ne durera plus très
longtemps. Donc, je vous ai donné le texte des dispositions juridiques allemandes
décrivant le type de décision qu'est le Eroffnungsbeschluss.
Une telle décision d'ouvrir le stade final, le stade du procès, est prise après que le
Procureur ait produit tous les éléments de preuve, au moins ceux qui sont écrits, pas les
dépositions, après que l'acte d'accusation a été signifié à l'accusé et après qu'il a eu la
possibilité de contester les pièces produites et de soulever de nouvelles questions
concernant les preuves.
La troisième chambre n'a pas fait usage de son pouvoir d'ordonner des enquêtes
complémentaires, mais en décidant d'ouvrir le procès, elle a décidé que l'instruction
était suffisamment avancée. La Défense éprouve donc des difficultés à suivre le
raisonnement de la Chambre d'appel lorsque celle-ci aboutit à la conclusion que l'affaire
- nous en avons déjà discuté - n'avait pas dépassé le stade de l'instruction. Selon nous,
ce stade était terminé, à l'époque du transfert du moins, et une nouvelle phase avait
commencé, bien que cela puisse ne pas ressortir clairement de la seule source dont la
Chambre d'appel s'est inspirée.
J'examinerai en particulier l'une de vos questions, que j'avais déjà à l'esprit. L'article 9
du Statut ne démontre-t-il cependant pas que le dessaisissement peut être officiellement
sollicité à n'importe quel stade de la procédure ? Si. Mais, comme je l'ai déjà affirmé
auparavant, les critères de l'article 10 (2) du Statut doivent être réunis. La raison pour
laquelle je conteste la manière dont la Chambre d'appel a identifié le stade atteint dans
la procédure allemande est que le stade avancé de la procédure en Allemagne démontre
encore plus clairement à quel point le dessaisissement viole le droit de l'accusé de ne
pas être poursuivi une seconde fois lorsque les critères de l'article 10 (2) du Statut ne
sont pas réunis.
Il devient clair que bien que j'y aie accordé une certaine attention pour indiquer que le
stade de la procédure pourrait revêtir une certaine importance dans un contexte national,
savoir s'il faut autoriser une deuxième série de poursuites, mon raisonnement était que
le dessaisissement en vertu de l'article 9 du Statut à n'importe quel stade de la
procédure, après le début du procès, avant le début du procès, n'était possible que sous
certaines conditions visées à l'article 10 (2). Donc, comme je l'ai affirmé, cela ne revêt
pas une importance déterminante dans le cadre de mon raisonnement, mais il est très
important de démontrer quelles sont les conséquences pour l'accusé.
C'est ce que j'ai indiqué par écrit. Quel est la signification de tout ceci ? Si la procédure
nationale n'a pas encore atteint le stade du procès, mais a été mise en attente peu de
temps avant ce stade - une situation presque similaire à celle dans laquelle se trouve M.
Tadic; le procès n'a pas vraiment commencé parce que, c'est clair, le procès a été
ouvert, mais il ne s'est pas passé grand-chose depuis - dans un système national, si l'on
s'était approché de se stade, il aurait été possible d'engager de nouvelles poursuites.
Donc, dans ces circonstances presque similaires, immédiatement après le début du
procès ou immédiatement avant le début du procès, avant le début du procès il n'y aurait
pas eu de principe non bis in idem ou de principe de double incrimination à appliquer.
Donc la question est : qu'est-ce qui tracasse la Défense si l'on se réfère au contexte
national ?
Si le principe non bis in idem, dans un contexte interne, n'est pas applicable parce que
l'on n'a pas encore atteint le stade du procès, l'accusé - c'est la différence entre la
situation en droit interne et la situation où une affaire est déférée par l'Allemagne au
Tribunal - est bien moins désavantagé qu'il ne l'est dans la situation qui nous occupe.
Toutes les mesures d'investigation demeurent applicables dans un contexte national si la
procédure se poursuit dans le cadre d'un deuxième procès. Je ne parle pas d'une
deuxième série de poursuites, mais s'ils recommencent toute la procédure à son
encontre. Il n'est pas nécessaire de recommencer à interroger l'accusé et les témoins.
C'est peut-être la différence la plus importante, le fait que dans un tel contexte national,
la détention préventive sera prise en considération même lorsque la deuxième instruction
fait suite à une première instruction qui n'a pas donné lieu à une décision définitive, ou à
un stade dont nous pouvons affirmer qu'il y avait un procès. Est-ce par rapport à cette
dernière question que le Tribunal ne respecte pas les normes d'une bonne administration
de la justice ?
L'article 101 du Règlement - nous avons également examiné ce point ce matin - prévoit
en son point E : "La durée de la période pendant laquelle la personne reconnue coupable
a été gardée à vue en attendant d'être remise au Tribunal ou en attendant d'être jugée par
une Chambre de première instance ou la Chambre d'appel est déduite de la durée totale
de sa peine."
L'accusé, M. Tadic, a été détenu environ 14 mois en Allemagne. Sur ces 14 mois,
l'accusé n'a été détenu dans l'attente de son transfert au Tribunal que pendant une très
courte période, à savoir à partir du 18 avril 1995. A partir de ce moment, il a été détenu
en Allemagne aux fins de son transfert au Tribunal.
La Défense affirme que le troisième motif visé à l'article 9 du Règlement de procédure
et de preuve est incompatible avec le Statut. Mais si une telle disposition a été adoptée et
s'il a été prévu que la procédure de dessaisissement ne fonctionnera pas seulement dans
les circonstances exceptionnelles visées à l'article 10 (2), le Règlement de procédure et
de preuve aurait à tout le moins reflété la même approche libérale en disposant qu'il
serait également tenu compte de la durée de la détention résultant de l'exercice de la
compétence interne avant la demande de dessaisissement.
Ces inconvénients substantiels incitent la Défense à penser qu'elle doit contester la
légitimité d'un dessaisissement opéré sur la base d'un critère qui ne trouve pas ses
racines dans le Statut et qui n'en respecte pas l'esprit. Il en résulte une violation de
l'aspect procédural du principe non bis in idem, cet aspect faisant partie du principe qui
a été incorporé dans son intégralité aux articles 9 et 10 combinés du Statut.
LA PRESIDENTE : Puis-je simplement vous poser quelques questions ? La demande
de dessaisissement a été faite en février de cette année, n'est-ce pas ? La demande, en
fait la requête aux fins d'obtenir une demande de dessaisissement - je suis presque
certaine qu'elle a été faite en février. Je n'ai pas les dates sous les yeux.
M. ORIE : Je pense que la requête a été déposée par le Procureur.
M. VUJIN (original : serbe) : Novembre.
M. ORIE : Dépôt de la requête aux fins d'obtenir une demande officielle de
dessaisissement.
LA PRESIDENTE : C'était en novembre 1994.
M. ORIE : C'était le 12 octobre 1994.
LA PRESIDENTE : Octobre. L'audience et la décision - le 8 novembre 1994 était la
date de la décision faisant droit à la demande de dessaisissement.
M. ORIE : Oui.
LA PRESIDENTE : Lors de cette audience, si je ne me trompe - nous en avons déjà
discuté - l'accusé ne s'est pas opposé au dessaisissement, n'est-ce pas ?
M. ORIE : C'est exact.
LA PRESIDENTE : Ne pensez-vous donc pas que l'accusé devrait être forclos à
contester l'opportunité du dessaisissement ?
M. ORIE : C'est une question difficile. Vous verrez aussi que ce problème est résolu de
différentes manières dans des systèmes différents. Il y a des systèmes où, disons, même
si vous marquez votre accord avec un acte de procédure qui n'est pas conforme aux
dispositions applicables, vous pouvez contester ultérieurement cet acte de procédure
même - je veux dire, la renonciation n'est pas absolue.
LA PRESIDENTE : Vous ne pouvez pas renoncer à des droits constitutionnels ou
quelque chose comme cela. C'est ce que vous êtes en train de dire ?
M. ORIE : Oui. C'est la théorie à laquelle je fais référence. Je dois dire, sans vouloir être
impoli à l'égard de l'un de mes confrères allemands - nous nous sommes trouvés dans la
même situation - je ne sais pas s'ils étaient pleinement conscients de toutes les
conséquences. Dans une procédure habituelle, si vous recevez l'aide d'un conseil, vous
êtes censé connaître parfaitement les conséquences de la position que vous adoptez. Par
exemple, je ne sais pas si M. Tadic était conscient du fait que toutes les enquêtes doivent
recommencer, mais M. Wladimiroff a été plus impliqué à ce stade de la procédure et je
voudrais donc ...
M. WLADIMIROFF : Je n'ai pas été impliqué, mais je voudrais souligner que le juriste
allemand n'avait pas la qualité de conseil de M. Tadic durant la procédure de
dessaisissement, il a été admis en tant qu'amicus curiae. Donc, pour cette raison, je
pense que la déclaration de M. Sklebitz n'est pas contraignante dans la mesure où elle
pourrait empêcher M. Tadic d'adopter la position qui est la sienne à présent.
LA PRESIDENTE : Permettez-moi de vous poser encore quelques questions. Aux
termes de l'article 10 du Statut du Tribunal, quiconque a été traduit - traduit - devant une
juridiction nationale pour des faits constituant de graves violations du droit international
humanitaire ne peut subséquemment être traduit devant le Tribunal international que si
a) le fait pour lequel il a été jugé était qualifié crime de droit commun, ou b) la
juridiction nationale n'a pas statué de façon impartiale ou indépendante, si la procédure
visait à soustraire l'accusé à sa responsabilité pénale internationale ou si la poursuite n'a
pas été exercée avec diligence.
Donc, en affirmant cela, cet article prévoit qu'une personne qui a été traduite devant une
juridiction nationale ne peut être traduite devant le Tribunal que dans ces conditions.
OK. J'imagine que vous pensez que M. Tadic a été "traduit", non ? OK. Quelle est alors
votre position ?
M. ORIE : Je ne me suis pas expliqué clairement. Ce que j'ai essayé d'expliquer ...
LA PRESIDENTE : Comme cela a un lien avec le principe non bis in idem, nous en
arriverons dans un moment à l'argument sur la primauté.
M. ORIE : Le problème est que je ne suis pas lié par le titre non bis in idem de l'article
10. J'opère une distinction avec l'aspect procédural, et la compétence concurrente a un
lien avec l'aspect procédural du principe non bis in idem. Il y a un lien. Ce n'est pas sans
raison que dans le rapport du Secrétaire général, les deux paragraphes sont abordés sous
un seul intitulé. Il y a un lien.
Je ne suis pas en train de dire qu'il a fait l'objet d'un jugement définitif en Allemagne,
mais qu'en vertu de l'article 9, une procédure de dessaisissement, cela veut dire que non
pas au terme du procès, l'affaire sera transférée au Tribunal, mais déjà en attendant
l'instruction ou pendant le procès, que l'affaire est transférée au Tribunal, donc, avant
qu'une décision définitive ait été rendue, que des critères identiques à que ceux
explicitement mentionnés à l'article 10 dans le cas d'un jugement s'appliquent en vertu
de l'article 9. C'est ce que m'apprennent les déclarations interprétatives.
LA PRESIDENTE : C'est votre argument sur la primauté. Votre argument sur la
primauté, semble-t-il - laissez le Juge Stephen. Vous le répétez parce que votre argument
sur la primauté, tel que je le comprends, est que l'article 9 prévoit que la compétence du
Tribunal international prime sur celle des juridictions nationales. Il affirme ensuite qu'à
tout stade de la procédure, le Tribunal international peut demander officiellement aux
juridictions nationales de se dessaisir en faveur du Tribunal international conformément
au présent Statut et au Règlement de procédure et de preuve du Tribunal international.
Vous dites, examinons ce que dit Mme Albright, examinons ce que disent les
représentants français. Ce qu'ils disent c'est que l'article 9 (2), à savoir, le
dessaisissement, ne s'applique qu'aux situations où les tribunaux nationaux prennent en
considération une situation décrite à l'article 10 (2), n'est-ce pas ?
M. ORIE : Oui.
LA PRESIDENTE : OK. C'est un argument relatif à la primauté.
M. ORIE : Non, pas à mon avis. Je vais essayer de vous expliquer pourquoi.
LA PRESIDENTE : OK. Je pense qu'il s'agit d'un argument relatif à la primauté parce
que, comme vous dites, si vous ne respectez pas cela, et c'est là que réside le lien avec le
principe non bis in idem, ce que vous faites dans ce cas, c'est juger une deuxième fois
l'accusé. Est-ce la partie concernant le non bis in idem ?
M. ORIE : La raison pour laquelle il ne s'agit pas de l'argument relatif à la primauté,
nous avons examiné précédemment dans le cadre de ce procès le principe de la primauté
de ce Tribunal sur les compétences nationales. J'admets qu'il y ait primauté. Cela
signifie selon moi, que c'est le Tribunal qui décide si les critères de l'article 10 sont
réunis ou pas. Ce n'est pas l'Etat, c'est le Tribunal qui peut dire : "Nous nous trouvons
dans une situation où le Statut nous offre la possibilité, nous confère la primauté d'une
manière générale. Donc, c'est à nous de prendre une décision et ensuite nous examinons
le Statut et nous voyons que les exigences nécessaires pour faire usage de notre position
de primauté, pour appliquer la primauté, sont remplis, donc nous le faisons.
LA PRESIDENTE : Quand pouvons-nous invoquer cette primauté ?
M. ORIE : Pardon ?
LA PRESIDENTE : Quand pouvons-nous invoquer cette primauté ?
M. ORIE : Si les critères de l'article 10 ...
LA PRESIDENTE : de l'article 10(2) sont remplis ?
M. ORIE : Oui.
LA PRESIDENTE : OK. Donc, ce que vous dites c'est : "Oui, il y a compétence
concurrente, oui, il y a primauté, mais le Tribunal ne peut invoquer cette primauté que si
l'acte pour lequel il est traduit en justice est qualifié de crime de droit commun ou si les
poursuites engagées devant une juridiction nationale sont impartiales ou indépendantes."
M. ORIE : Ensuite, je suis revenu aux principes de base du non bis in idem.
LA PRESIDENTE : OK. C'est donc l'argument sur la primauté. Comment dans ce cas,
les actes commis par ce Tribunal lors d'une demande de dessaisissement qui est
acceptée par l'Allemagne, comment violent-ils le principe non bis in idem ?
M. ORIE : Bien sûr, j'ai analysé le principe non bis in idem et pas seulement de la
manière dont le terme est utilisé à l'article 10.
LA PRESIDENTE : C'est exact.
M. ORIE : J'ai évoqué l'aspect procédural et la question de ne pas être puni. Donc, cela
signifie que si vous allez presque jusqu'au bout du procès et si vous dites : "OK, nous
allons tout recommencer", cela représente une violation de l'aspect procédural du
principe non bis in idem.
LA PRESIDENTE : OK. Donc, ce que vous dites alors c'est que, tout d'abord, la
primauté se limite à ces types de situations et que dans cette situation-ci c'est une
violation du principe non bis in idem en raison de ce qui s'est passé en Allemagne ?
M. ORIE : Oui.
LA PRESIDENTE : C'est bien le cas ?
M. ORIE : Tant parce que les exigences n'étaient pas réunies et, à part cela, parce que la
procédure en Allemagne avait déjà atteint un stade avancé, en sorte que les motifs pour
lesquels l'accusé conteste le dessaisissement sont encore plus importants qu'ils ne
l'auraient été, disons, si toute cette affaire avait été examinée une semaine après son
arrestation en Allemagne ...
LA PRESIDENTE : Alors il me semble que nous examinons la situation à l'époque du
dessaisissement. Pour autant que je comprenne, à l'époque où la décision a été prise de
demander un dessaisissement, on en était seulement à l'instruction.
M. ORIE : Cela dépend de la date que vous considérez comme celle de la décision sur le
dessaisissement.
LA PRESIDENTE : Novembre 1994.
M. ORIE : Oui, mais, par exemple, la décision prise en Allemagne de déférer l'affaire au
Tribunal datait de ..
LA PRESIDENTE : Novembre 1994, le Tribunal a fait une demande de
dessaisissement. A cette époque, aucun acte d'accusation n'avait été publié. Il n'y avait
pas ...
M. ORIE : L'acte d'accusation avait été publié.
LA PRESIDENTE : En novembre ?
M. ORIE : Le 3 novembre, l'acte d'accusation a été publié.
LA PRESIDENTE : Je n'ai pas la date de la décision sur le dessaisissement.
MME FEATHERSTONE : C'était le 8.
LA PRESIDENTE : OK. Donc, la décision sur le dessaisissement a été prise après la
publication de l'acte d'accusation.
M. ORIE : La décision de La Haye. Et les Allemands devaient encore prendre une
décision à ce sujet.
LA PRESIDENTE : Je vois.
M. ORIE : Donc, nous avons la demande, ensuite la décision prise à La Haye. La
demande de dessaisissement n'a pas pu être accordée par les Allemands parce qu'il n'y
avait aucune législation. Donc, finalement, la décision sur le dessaisissement n'a été
prise qu'après l'ouverture du procès et c'était en avril 1995.
LA PRESIDENTE : Même si les pouvoirs en vertu desquels le Tribunal pouvait
demander un dessaisissement n'étaient pas limités aux situations décrites à l'article 10
(a) et (b) comme vous l'affirmez, même si ce n'était pas le cas, vous continueriez à
défendre la thèse selon laquelle la décision sur le dessaisissement ayant suivi l'émission
d'un acte d'accusation par l'Allemagne constituerait une violation du principe non bis in
idem, non pas tel qu'il est formulé dans notre Statut, mais le droit généralement reconnu
de ne pas être jugé deux fois, c'est bien cela ?
M. ORIE : Oui, mais ce n'est pas le cas, donc je suis heureux d'avoir au moins un
argument plus puissant que celui-là.
LA PRESIDENTE : Si ce n'est que je continue à avoir un problème avec votre lien avec
la primauté, ce que je considère être la primauté, ce qui est une autre contestation de la
primauté, ce qui est une question importante, par ce que les membres du Conseil de
sécurité en ont discuté et ils ont débattu de la signification de l'article 9. Comme vous
l'avez affirmé, beaucoup ont dit : "Ecoutez, les pays doivent s'y conformer, mais
seulement dans la situation visée à l'article 10 (2)", pourtant l'article 9 (iii) de notre
Règlement consacre un droit de dessaisissement bien plus large.
La question pourrait être que c'est simplement une demande de dessaisissement et nous
avons interprété cela comme signifiant, ainsi que l'affirme l'article 9 (2), que nous
pouvons faire cette demande à n'importe quel stade de la procédure. Mais le pays
devrait-il dire : "Ecoutez, mon représentant au Conseil de sécurité, avant que tout ceci a
commencé, l'a interprété de cette manière; nous n'allons pas nous y conformer parce
que les critères de l'article 10 (2) ne sont pas réunis". C'est une possibilité et c'est
pourquoi cette question que vous avez soulevée est importante. Vous l'avez vaguement
invoquée devant la Chambre d'appel à la page 6 de votre mémoire, où vous affirmez que
"même si les poursuites contre l'accusé ont été conduites avec diligence, les poursuites
nationales étaient impartiales et indépendantes et n'étaient pas destinées à soustraire
l'accusé à sa responsabilité pénale internationale", vous contestez alors ...
M. ORIE : Nous avons évoqué la question.
LA PRESIDENTE : Mais elle n'a pas été résolue.
M. ORIE : Elle n'a pas été résolue, du moins il n'entrait pas dans nos intentions de
l'examiner de manière détaillée. Ce que nous constatons maintenant, et ce que j'affirme
maintenant, c'est que nous acceptons la primauté. Cela signifie pour nous que nous
acceptons que le Tribunal décide s'il y aura une demande de dessaisissement, si dans les
conditions visées à l'article 10 (2) les Etats ont l'obligation de coopérer, etc. Ce sont
autant de conséquences de la primauté. C'est ce que nous devons respecter après l'arrêt
de la Chambre d'appel.
A présent nous examinons une question différente, à savoir, lorsque nous respectons la
primauté du Tribunal, cela ne signifie pas que nous respectons la manière dont cette
primauté est appliquée dans toutes les circonstances et en cela, nous nous inspirons de
notre interprétation du Statut.
LA PRESIDENTE : Ce que je vous dis c'est que même si nous n'avions même pas
examiné l'article 10, l'argument que vous avez avancé aujourd'hui est qu'il a été l'objet
d'un acte d'accusation, M. Tadic a fait l'objet d'un acte d'accusation...
M. ORIE : Oui.
LA PRESIDENTE : ... et à ce stade, toute procédure engagée par ce Tribunal suite à une
demande de dessaisissement violerait son droit de ne pas être jugé une deuxième fois ?
M. ORIE : Oui.
LA PRESIDENTE : C'est bien cela, n'est-ce pas ?
M. ORIE : Ce serait notre principal argument. Maintenant, ce n'est qu'un exemple parce
que notre principal argument est celui de l'incompatibilité entre l'article 9 du Règlement
et le Statut. Mais s'il n'y avait pas eu un tel conflit entre l'article 9 du Règlement et les
articles 9 et 10 du Statut, cela aurait été notre principal argument. Donc, dans ce cas, ce
n'est qu'un argument supplémentaire.
LA PRESIDENTE : Devons-nous répondre à cette question ? Devons-nous à ce stade
décider si l'article 9 (iii) de notre Règlement viole le Statut dans la mesure où l'article 9
(2) du Statut n'est applicable qu'aux situations prévues à l'article 10 (2) du Statut ?
Devons-nous résoudre ce problème aujourd'hui pour répondre à votre argument de la
double incrimination, l'argument du principe non bis in idem ?
M. ORIE : Oui, je pense que vous devrez prendre une décision à ce sujet.
JUGE STEPHEN : Ai-je raison de penser que, outre les déclarations interprétatives des
membres du Conseil de sécurité sur lesquelles vous avez attiré notre attention, outre
cela, il n'y aurait pas de raison autre que d'interpréter littéralement l'article 9 (2) à tout
stade de la procédure ?
M. ORIE : Peut-être parce que je me doutais que l'on était susceptible de me poser une
telle question, j'ai examiné avec attention la raison pour laquelle ces déclarations
interprétatives sont logiques, logiques en droit, lorsque nous examinons les aspects
fondamentaux du mécanisme du principe non bis in idem dans le contexte international
ou interne.
JUGE STEPHEN : Bien sûr, si vous appelez ce principe autre fois acquit ou autre fois
convict, il perd toute sa signification parce qu'il n'y a eu ni condamnation, ni
acquittement.
M. ORIE : C'est pour cela que j'ai affirmé assez clairement que si nous examinons les
traités, si vous examinez une série de dispositions de droit interne, la réponse sera qu'il
n'y a pas de moyen de défense basé sur le principe non bis in idem. Mais j'ai essayé de
développer le problème et de le replacer dans le contexte spécifique du Tribunal face à
un autre pays ayant déjà exercé dans une large mesure sa compétence universelle.
JUGE STEPHEN : Le seul préjudice, à proprement parler, que vous invoquez est celui
de l'interprétation à donner à l'expression "dans l'attente" comme signifiant non
seulement avant, mais avant et dans l'attente du transfert ?
M. ORIE : Oui. Il apparaît assez clairement que la décision n'a été prise en Allemagne
qu'après que la législation a été adoptée que la détention de M. Tadic était basée sur le
mandat d'arrêt émis par le Tribunal.
JUGE STEPHEN : Je pense que c'est une interprétation très sévère de considérer que
lorsqu'on arrive au moment du prononcé de la condamnation, on ne tient pas compte de
l'incarcération qui précédait mais qui n'avait rien à voir avec le transfert.
M. ORIE : Oui, mais si vous examinez l'article 101 du Règlement, vous constatez que
lorsque, je dirais, il est fait mention de la détention au niveau national, il est simplement
précisé ...
LA PRESIDENTE : Il est simplement fait mention du terme "détention" et la question
est de savoir si l'accusé était détenu parce que le Tribunal avait demandé sa mise en
détention ou s'il était détenu dans le cadre de l'instruction ouverte par les autorités
allemandes. Ce que vous avez dit, c'est qu'il semble que cet article du Règlement nous
confère seulement le droit de prendre en considération la détention résultant de la
demande du Tribunal, ce qui peut sembler sévère, mais ...
M. ORIE : Il n'était pas incarcéré dans l'attente de son transfert au Tribunal, mais parce
qu'un mandat d'arrêt avait été délivré contre lui en application de la législation
allemande.
JUGE STEPHEN : Cela dépend de la signification de l'expression "dans l'attente" et
vous avez probablement raison, mais je serais désolé que vous ayez raison.
M. ORIE : Je préférerais être prudent à cet égard et ne pas considérer comme acquis que
vous interprétez l'ensemble du Règlement en fonction de nos attentes.
LA PRESIDENTE : Permettez-moi de vous poser quelques questions concernant la
requête que vous avez introduite. Il y a cinq points. Tout d'abord vous parlez des
"poursuites en Allemagne". Dans cette requête, et comme elle est quelque peu différente
de votre raisonnement d'aujourd'hui, qui s'est vraiment plutôt axé sur le principe non
bis in idem, la primauté et le lien entre ces deux éléments, mais laissez-moi voir si je
peux apprécier votre position sur la base du document que vous avez déposé. Votre
premier argument était celui des poursuites engagées en Allemagne. Vous avez dit que
le procès avait déjà commencé en Allemagne.
M. ORIE : Oui.
LA PRESIDENTE : Bien sûr, vous dites que cela violerait le principe général non bis in
idem; est-ce correct ?
M. ORIE : Laissez-moi lire - à quel point de la requête faites-vous référence pour
l'instant ?
LA PRESIDENTE : Au point 1.
M. ORIE : Oui, la situation actuelle a été décrite en droit allemand, le fait qu'il a fait
l'objet d'un acte d'accusation et qu'une date a été fixée pour l'ouverture du procès, le
procès était ouvert.
LA PRESIDENTE : Le point 1 est intitulé : "Poursuites en Allemagne". Est-ce bien
cela?
M. ORIE : Oui.
LA PRESIDENTE : C'est votre position, j'imagine, que le procès a déjà commencé en
Allemagne. Est-ce la position que vous défendez au point 1 ?
M. ORIE : Oui.
LA PRESIDENTE : J'imagine que vous défendez alors la position selon laquelle il y a
double incrimination, n'est-ce pas ?
M. ORIE : Oui.
LA PRESIDENTE : Donc, tout procès supplémentaire devant ce Tribunal violerait le
principe non bis in idem ?
M. ORIE : Oui.
LA PRESIDENTE : Ensuite, au point deux, vous parlez de transmission de procédures
répressives. Dans cette partie, vous avez mentionné, et vous ne l'avez évoqué qu'une
seule fois aujourd'hui, que M. Tadic n'a pas été transféré conformément au Traité
européen. Est-ce correct, suis-je bien en train de lire le Traité européen de 1972 sur la
transmission de procédures répresssives ?
M. ORIE : C'est exact, mais vous avez constaté que j'ai consacré à toute cette question
quelques considérations supplémentaires et, dans une certaine mesure, nouvelles
également. J'en suis conscient et je vous présente mes excuses. Comme je l'ai déjà
affirmé, ces traités en tant que tels ne sont pas applicables, mais bien entendu ils nous
aident à comprendre les mécanismes permettant d'éviter de nouveaux procès. Je
n'invoque pas le caractère directement applicable de ces traités.
J'ai également été assez clair quant au fait qu'en vertu de ces traités et des dispositions
de ceux-ci relatives au principe non bis in idem, nous n'aurions aucun moyen de défense
basé sur le non bis in idem parce qu'il n'y a pas eu de décision définitive.
LA PRESIDENTE : En ce qui concerne ce point alors, il est clair que le Tribunal n'était
pas lié par le traité, et dans la mesure où nous avons des obligations découlant du
Chapitre 7 de la Charte, nous aurions la responsabilité de nous y conformer, n'est-ce
pas?
M. ORIE : Je ne pense pas comprendre ce que vous voulez dire.
LA PRESIDENTE : Ne repartons pas à nouveau sur la question de la légalité de
l'établissement du Tribunal, mais en tout cas, nous ne sommes pas liés par ce traité,
n'est-ce pas ?
M. ORIE : Vous n'êtes pas lié par le traité.
LA PRESIDENTE : Ensuite, le troisième point de votre requête est intitulé "Poursuites
distinctes", n'est-ce pas ?
M. ORIE : Oui, poursuites distinctes. C'est une question tout à fait différente.
LA PRESIDENTE : Je comprends.
M. ORIE : Sont-ce des poursuites distinctes des poursuites antérieures en Allemagne ou
est-ce la continuation de ces poursuites ? Si vous examinez la manière dont les
Allemands ont examiné ce problème, ils ont pensé à une sorte d'unité entre les
poursuites engagées en Allemagne et les poursuites qui seraient menées à La Haye. Je ne
sais pas pourquoi ils ont pensé cela, parce que l'une des conséquences aurait été qu'il
n'aurait pas fallu tout recommencer depuis le début et peut-être que la détention
préventive aurait automatiquement fait partie de cette procédure unifiée. C'est un
problème très difficile en théorie.
LA PRESIDENTE : J'essaye simplement de comprendre. Etiez-vous en train de dire au
point trois de cette requête que les poursuites devant le Tribunal sont des poursuites
distinctes ?
M. ORIE : Oui, contrairement à ce que pensaient les Allemands.
LA PRESIDENTE : Les Allemands pensaient que c'était la continuation des poursuites.
M. ORIE : Oui.
LA PRESIDENTE : Que les poursuites ici seraient une continuation, mais en fait ce sont
des poursuites distinctes, c'est bien ce que vous affirmez ?
M. ORIE : Oui.
LA PRESIDENTE : Ensuite, le point 4 est intitulé "Interprétation de l'article 9 du
Statut". C'est à cet endroit que vous affirmez que l'article 9 du Statut n'est applicable
qu'aux situations visées à l'article 10 (2) du Statut et que l'article 9 (iii) de notre
Règlement, qui autorise une demande de dessaisissement autre que, dans des cas autres
que lorsque la procédure devant une juridiction nationale est une parodie de procès, etc.
comme il est indiqué à l'article 10 (2), qui est quoi ?
M. ORIE : pas en conformité avec le Statut. Il viole même le Statut tel qu'interprété
conformément aux déclarations interprétatives.
LA PRESIDENTE : Notre Règlement en son article 9 (iii) va donc plus loin que le
Statut ?
M. ORIE : Oui.
LA PRESIDENTE : Enfin, au point cinq, vous affirmez "Application de la compétence
concurrente". C'est, je suppose, lorsque vous affirmez que la manière dont ce Tribunal a
appliqué les dispositions de l'article 9 relatives à la compétence concurrente viole le
principe non bis in idem. Est-ce bien ce que vous dites ? Vous affirmez : "Le dernier
article ne prévoit que deux cas dans lesquels le principe non bis in idem ne s'applique
pas". Je lis votre requête. Vous dites : "La manière dont le Tribunal a fait application de
l'article 9, paragraphe 2 de notre Statut, relatif à la compétence concurrente constitue
une violation du principe non bis in idem consacré par l'article 10, paragraphe 2".
M. ORIE : Oui. Ce que nous pensons du principe non bis in idem couvert par l'article 9
et l'article 10 du Statut, nous n'aimons pas la manière dont il est formulé parce que
l'aspect procédural du principe non bis in idem apparaît déjà à l'article 9 (2) du Statut.
LA PRESIDENTE : Donc, vous affirmez que la compétence concurrente de l'article 9
paragraphe 2 du Statut représente une violation du principe non bis in idem visé à
l'article 10 paragraphe 2 ?
M. ORIE : Oui. En raison du stade où était arrivé la procédure en Allemagne. Donc, le
premier argument est que, quel que soit l'Etat, ce serait une violation parce que les
critères de l'article 10, paragraphe 2 ne sont pas remplis. Le deuxième argument est que
s'ils n'étaient pas applicables, par le seul fait du stade atteint par la procédure en
Allemagne, le transfert des poursuites à un stade aussi avancé constitue une violation du
principe non bis in idem.
LA PRESIDENTE : Y a-t-il autre chose ?
M. ORIE : Non.
LA PRESIDENTE : Qui s'exprime au nom de l'Accusation ?
M. WLADIMIROFF : Excusez-moi, Mme la Présidente, nous avons une quatrième
déclaration à faire pour la Défense par l'intermédiaire de M. Vujin. Je pense que nous
devrions examiner la question.
LA PRESIDENTE : Cela a-t-il trait à la requête sur le principe non bis in idem ?
M. WLADIMIROFF : Oui.
LA PRESIDENTE : Désolée, je pensais qui vous aviez terminé de parler. Oui.
M. VUJIN (original : serbe) : En ce qui concerne l'affaire Tadic, le principe non bis in
idem, comme nous le voyons grâce aux dispositions de l'article 9 combinées à l'article
10 du Statut ou encore aux articles 12 et 13 du Règlement de procédure et de preuve, il
nous apparaît clairement que la Chambre de première instance peut rejeter une exception
relative à cette question. Mais la question que nous devrions poser est jusqu'à quand la
Défense peut-elle soulever l'exception relative au principe non bis in idem ? C'est la
raison pour laquelle nous pouvons nous retrouver dans une situation où en raison de
procès concurrents devant des juridictions nationales, l'accusé Tadic pourrait voir des
poursuites engagées contre lui par l'une des républiques de l'ex-Yougoslavie, par
exemple la Republika Srpska. Qui est la personne qui devrait juger si, dans le cadre de
ces poursuites, qui peuvent aboutir à une décision définitive, qui va déterminer si ces
procédures étaient impartiales et indépendantes ? Vous allez vous retrouver dans une
situation, si nous soumettons une décision du tribunal et si nous soulevons ensuite
l'exception relative au principe non bis in idem, dans ce cas vous devriez statuer sur
autre chose.
Je voudrais donc, parce que j'ai certaines indications à ce sujet, que la Chambre de
première instance suspende le prononcé de sa décision pour que nous puissions soulever
des exceptions relatives au principe non bis in idem. Il est clair que nous ne disposons
pas de décision exécutoire à laquelle le principe non bis in idem puisse être appliqué,
mais nous pourrions en disposer parce qu'il pourrait exister des procédures ouvertes à
l'encontre de M. Tadic, dont cette Chambre de première instance ignore l'existence.
LA PRESIDENTE : La loi votée en Allemagne, me semble-t-il, dispose explicitement
qu'il ne peut être rejugé - je ne l'ai pas sous les yeux, mais je l'ai lue et cette loi ...
M. VUJIN (original : serbe) : Ce problème ne concerne pas la législation allemande.
LA PRESIDENTE : Cette loi dispose qu'en ce qui concerne la loi sur la coopération
avec le Tribunal international pour l'ex-Yougoslavie, cette loi dispose que des
poursuites pénales ne peuvent plus être ouvertes contre une personne à l'encontre de
laquelle le Tribunal intente ou a intenté une action. Cela c'est pour l'Allemagne.
En ce qui concerne d'autres pays, notre Statut, le Statut du Tribunal, contient également
un article, aux termes duquel aucune personne ne peut être traduite devant une
juridiction nationale pour des faits constituant des violations graves du droit
international humanitaire sanctionnées par le présent Statut, pour lesquels il a déjà été
traduit en justice par un tribunal national.
Donc, nous avons une loi qui traite du cas particulier de l'Allemagne et nous avons notre
article.
M. VUJIN (original : serbe) : Pas en ce qui concerne ce pourquoi il est jugé. Ce n'est pas
non bis in idem dans ce cas, mais quelque chose pour lequel il avait déjà été jugé. A quel
article faites-vous allusion à présent, Madame la Présidente ?
LA PRESIDENTE : Je faisais référence à l'article 10(1).
M. VUJIN (original : serbe) : Oui, mais ne pas avoir déjà été traduit en justice, cela
signifie qu'une décision, une décision légalement exécutoire avait déjà été prononcée.
Pour vous donner un exemple, aujourd'hui nous avons examiné la possibilité d'un
procès et la possibilité de commencer ce procès en mars ou en mai. Que va-t-il se passer
si nous, la Défense, nous vous remettons une décision pleinement exécutoire relative à la
culpabilité ou à l'acquittement de M. Tadic pour crimes, crimes de guerre, prononcée
par la Republika Srpska ? Qui va poser la question et qui va vérifier si le procès s'est
bien déroulé de manière impartiale et indépendante, si les procédures ont été
correctement menées, et qui va dire que la décision n'était pas bonne parce que l'accusé
a été acquitté ? Qui va qualifier cela de crime de droit commun ? Et qu'en est-il si le
tribunal prononce son acquittement et affirme qu'il n'est pas coupable ? La Défense
peut-elle soulever la même exception préjudicielle devant cette Chambre de première
instance ? Comment allez-vous réagir parce qu'il n'y a eu aucune réglementation à cet
égard ?
LA PRESIDENTE : L'article 10 (2) ... supposons que M. Tadic soit jugé par contumace
par un pays.
M. VUJIN (original : serbe) : C'est possible en Yougoslavie.
LA PRESIDENTE : Je comprends ce que vous dites. A ce moment, vous nous
soumettez ce jugement et la question devient, si je comprends bien, votre question est de
savoir si ce Tribunal peut continuer ce procès. Ce que dit l'article 10 du Statut, c'est
qu'une personne qui a été jugée par un tribunal national pour des faits constituant des
violations graves du droit international humanitaire ne peut ensuite être traduite en
justice par le Tribunal international que si a) le fait pour lequel elle a été jugée était
qualifié crime de droit commun ou b) la juridiction nationale n'a pas statué de manière
impartiale ou indépendante, etc. C'est au Tribunal qu'il reviendrait de prendre cette
décision. J'admets que peut-être vous sentez, vous pensez et affirmez même peut-être
que c'est une décision très difficile à prendre, mais c'est une décision et ce n'est que
l'une des décisions difficiles que nous avons dû prendre jusqu'à présent et que nous
pourrions devoir prendre à l'avenir. Je ne crois pas que cela influence vraiment ce que
nous sommes en train de faire pour l'instant.
J'ai essayé de mon mieux de voir ce qui a déjà été décidé par la Chambre d'appel pour
essayer de distinguer la question de la primauté de celle du principe non bis in idem.
Peut-être avons-nous réussi. Je comprends vos préoccupations, mais je préférerais que
nous n'anticipions pas pour nous inquiéter de ce qui pourrait arriver. J'accepte ce que
vous dites, que si cela se produit, il s'agira d'une question que nous devrons résoudre et
qui sera difficile.
M. VUJIN (original : serbe) : Ce ne sont pas des inquiétudes et il ne s'agit pas de savoir
si c'est difficile ou pas. Tous les jugements que vous prononcez sont difficiles; chaque
décision est difficile. C'est une question de procédure. Le principe non bis in idem
présuppose qu'il y a déjà eu un jugement, une décision rendue par un tribunal, et qui va
entamer une procédure ? La personne est jugée parallèlement devant l'autre tribunal.
Qui va dire que ce jugement en particulier n'est pas valable ? Ce n'est jamais fixé de
manière définitive dans la procédure.
LA PRESIDENTE : Ce que vous suggérez, c'est que l'article 10 (2) lui-même viole le
principe non bis in idem, qu'il ne devrait pas y avoir de disposition ...
M. VUJIN (original : serbe) : Non bis in idem.
LA PRESIDENTE : ... permettant au Tribunal dans quelque condition que ce soit, de
juger quelqu'un qui a déjà été traduit en justice par un autre tribunal national.
M. VUJIN : (original : serbe) : C'est exact.
LA PRESIDENTE : Cette question n'a pas été soulevée dans le cadre de l'exception et
en fait, nous n'avons pas lieu de l'examiner. Donc, je comprends vos préoccupations,
mais cette question ne doit pas être examinée aujourd'hui. C'est une préoccupation
légitime.
Nous allons devoir suspendre l'audience durant 15 minutes et lorsque nous reprendrons,
nous entendrons l'Accusation dans sa réponse à l'exception préjudicielle relative au
principe non bis in idem soulevée par la Défense.

(Brève suspension d'audience)
(16h45)
LA PRESIDENTE : M. Keegan, allez-vous présenter les arguments de l'Accusation ?
M. KEEGAN : Oui, madame, Merci. Plaise à la Chambre. Une fois de plus, Madame et
Messieurs du Tribunal, comme ce matin, nous sommes confrontés au fait que la Défense
fait un amalgame ou confond plusieurs questions dans le cadre d'une argumentation très
créative. Mais mis à part cet argument, nous trouvons les critères dans les normes
imposées par notre Statut et notre Règlement. Les articles 9 et 10 sont des articles
distincts et ont trait à des questions différentes. Contrairement à la thèse de la Défense
qui estime que l'article 10 modifie l'article 9, si vous voulez, nous pensons qu'il est plus
approprié de considérer que l'article 10 est un sous-paragraphe de l'article 9. L'article 9
décrit la nature de la compétence tant dans le premier paragraphe - la compétence
concurrente - qu'au paragraphe 9 (2) sur la primauté du Tribunal. Il affirme que le
Tribunal aura la primauté sur les juridictions nationales et qu'à tout stade de la
procédure, le Tribunal peut officiellement inviter les juridictions nationales à se dessaisir
en faveur du Tribunal.
Ce que nous avons ensuite au paragraphe 10, si vous voulez, est une limite posée dans le
sens du principe non bis in idem, à savoir lorsqu'il y a eu une décision définitive rendue
par une juridiction nationale, qu'il s'agisse d'une condamnation ou d'un acquittement, le
Tribunal ne peut plus juger l'accusé sauf dans les circonstances qui y sont décrites.
Nous considérons qu'il s'agit de questions distinctes. La question du principe non bis in
idem, sur laquelle portait l'exception soulevée devant cette Chambre, doit, dans la
mesure où elle concerne le présent Tribunal, faire l'objet d'une décision rendue
conformément à l'article 10 du Statut, plus spécifiquement l'article 10, paragraphe (2)
en ce qui concerne les affaires portées devant ce Tribunal. Le principal critère
d'application de cette règle, comme l'a justement affirmé la Défense, est que l'accusé
doit déjà avoir été jugé et avoir fait l'objet d'un jugement définitif prononcé par une
juridiction nationale. Ce n'est pas le cas en l'espèce, comme l'a reconnu la Défense.
Comme l'a constaté la Chambre d'appel, ceci n'est pas un cas où l'accusé est jugé une
nouvelle fois par ce Tribunal international dans les conditions exceptionnelles décrites à
l'article 10 du Statut. L'Accusation n'a jamais cherché à traduire un accusé devant le
Tribunal international pour un nouveau procès parce que l'une ou l'autre des conditions
énumérées à l'article 10 aurait vicié ce procès en Allemagne. Une procédure de
dessaisissement contre l'accusé a été sollicitée conformément aux prescriptions de
l'article 9, sous-paragraphe (iii) du Règlement.
Je comprends la position de la Défense par rapport aux poursuites engagées en
Allemagne. Cependant, vous avez, dans les pièces déposées en même temps que la
réponse de l'Accusation, la décision de la cour suprême du Land de Bavière en
Allemagne, qui était en fait la juridiction ayant connaissance de l'affaire Tadic là-bas, en
version originale allemande et en version traduite, ainsi que la loi allemande sur le TPIY
et ses versions traduites, indiquant toutes les deux qu'en ce qui concerne l'affaire de M.
Tadic, le procès n'avait jamais été officiellement ouvert. L'acte d'accusation avait été
accepté par le tribunal. La procédure avait ensuite été suspendue en attendant le vote de
la loi allemande. Donc, en fait, le procès n'a jamais été officiellement ouvert dans la
mesure où aucune audience ne s'est tenue.
Le deuxième point concernant la loi allemande, contrairement à l'affirmation de la
Défense selon laquelle la loi était simplement, si vous voulez, le fait de l'Allemagne
agissant sous la contrainte du Tribunal international, au lieu de cela elle a dit en fait,
consciente de ses obligations à l'égard du Tribunal international telles que décrites dans
la résolution du Conseil de sécurité qu'elle cite, qu'elle a voté cette loi pour pouvoir se
dessaisir en faveur du Tribunal, ce qu'elle a fait de son plein gré, comme vous l'avez
souligné auparavant dans vos questions adressées à la Défense, Madame. La question à
laquelle nous sommes confrontés est celle d'un transfert opéré volontairement; et non
celle d'une primauté du Tribunal imposée par la contrainte.
LA PRESIDENTE : M. Keegan, puis-je vous poser une question en ce qui concerne
votre première remarque, lorsque vous avez affirmé que le procès en Allemagne n'a
jamais officiellement commencé. A travers les questions que j'ai posées à M. Orie, j'ai
essayé de comprendre les procédures. Bien sûr, nous savons qu'une instruction était en
cours et que la Chambre d'appel a dit que c'était le cas. Mais un acte d'accusation a
également été délivré. Ma question était en fait destinée à révéler ce que cela signifie.
Cela signifie-t-il qu'un procès avait commencé ou cela signifie-t-il que ce qui s'est
produit était suffisant pour faire naître le droit de ne pas être l'objet d'une violation du
principe non bis in idem ?
Vous dites qu'ils ont constaté que le procès n'avait jamais réellement débuté. Où puis-je
en trouver la preuve et qu'est-ce que cela signifie ?
M. KEEGAN : Tout d'abord, Madame, permettez-moi de vous dire que je ne suis pas un
expert en droit allemand. Je me base seulement sur le texte de la traduction des actes
d'accusation officiels allemands qui ont été soumis. Ensuite, je pense que la norme
définie par l'article 10 est très claire. Même si le procès avait débuté, supposons que le
procès était ouvert, l'exigence quant à un jugement définitif, je ne pense pas qu'il y ait
eu un quelconque élément de preuve ou une quelconque question soulevée par l'autre
partie, par la Défense, en fait je pense qu'ils ont convenu qu'il n'y a pas eu de jugement
définitif en Allemagne en sorte que le critère prévu à l'article 10 est respecté. Si ce stade
n'a pas été atteint, alors l'article 10 ne s'applique pas.
LA PRESIDENTE : Je ne sais pas si la Défense accepte que la norme soit l'absence de
jugement définitif. Lorsque je les ai interrogés à propos de l'article 10 (2), une personne
ayant été traduite devant une juridiction nationale, la Défense semble interpréter
"traduite en justice" comme signifiant quelque chose d'autre que des poursuites
aboutissant à un verdict.
M. KEEGAN : Oui, Madame. je comprends le raisonnement de la Défense. J'affirme
que le texte du Statut est très clair et qu'il ne laisse aucune place pour ce type
d'interprétation créative. Il y est mentionné "traduit en justice" et, en combinaison avec
l'autre norme contenue dans notre Statut, à savoir le fait que le droit applicable par le
Tribunal doit sans le moindre doute faire partie du droit international humanitaire, il est
clair que la norme internationale pour le principe non bis in idem est un jugement
définitif, tel que reconnu par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques
et, je pense, tel que reconnu par la Défense dans son argumentation, par la plupart des
autres traités internationaux. En fait, comme nous l'avons précisé dans nos conclusions,
le Pacte international n'a aucun effet transnational. Il n'y a, si vous voulez, aucune
norme internationale exigeant l'application du principe non bis in idem dans un contexte
international, transnational.
LA PRESIDENTE : D'une juridiction à une autre ?
M. KEEGAN : C'est cela. Donc, le fait que ce Tribunal ait choisi, que le Statut oblige ce
Tribunal à respecter ce principe, il expose ensuite très clairement ce qu'est ce principe et
exige un jugement définitif, un point c'est tout. Je ne pense pas qu'il y ait de place pour
une quelconque autre interprétation de ce texte.
Si, comme nous l'affirmons, l'article 10 ne s'applique pas en l'espèce, un point c'est
tout, il se pose alors la question de savoir ce qu'il nous reste. Nous affirmons que c'est la
question de l'exception préjudicielle et sur cette seule base l'exception est défaillante,
mais si nous devions examiner cette question de la primauté et de la relation entre le
Règlement et l'article - comme le souligne la Défense, le paragraphe 65 du rapport du
Secrétaire général affirme que les modalités de la primauté du Tribunal seront définies
dans le Règlement de procédure et de preuve. Donc, il est clair que l'intention était de
donner à ce Tribunal le pouvoir de déterminer quand et comment la primauté doit être
invoquée. L'article 9 (2) du Statut reflète cette position et dispose également : A tout
stade de la procédure, le Tribunal peut demander officiellement aux juridictions
nationales de se dessaisir en sa faveur conformément au présent statut et à son
règlement.
Je pense que la Défense affirme également à bon droit qu'en adoptant ce Règlement de
procédure, le Tribunal ne peut, bien entendu, excéder les limites du pouvoir qui lui a été
accordé de la manière décrite et voulue par le Statut. Les Juges sont libres, bien entendu,
d'interpréter le Statut et son intention et, conformément à celle-ci, d'adopter son
Règlement. Dans le contexte de l'article 9, il ne fait aucun doute que l'intention du
Conseil de sécurité était de conférer au Tribunal une primauté par rapport à toutes les
nations en vue d'éviter toute dérogation à l'administration réelle de la justice dans ce
domaine par le Tribunal, qui pourrait être provoquée par les effets d'une action
judiciaire entreprise par un Etat quelconque contre un accusé. En adoptant l'article 9, le
Conseil de sécurité a donné aux Juges toute latitude pour définir les circonstances
appropriées dans lesquelles il y a lieu de procéder à un dessaisissement pour respecter
cette intention. L'article 9 (2) ne limite pas spécifiquement les cas de dessaisissement
aux circonstances décrites à l'article 10 (2).
La Défense a tort d'affirmer que l'article 9 (iii) du Règlement est incompatible avec le
Statut. Il est en fait entièrement compatible avec l'intention du Statut concernant la
primauté du Tribunal. Tout comme un procès national intenté contre un accusé dans le
type de circonstances décrites à l'article 10 (2) pourrait nuire à l'objectif poursuivi par le
Tribunal, il en irait de même, volontairement ou non, d'une instruction ouverte au
niveau national ou de toutes autres poursuites pénales en cours, en raison de la nature
des questions en jeu ou des moyens ou de la manière dont l'instruction ou le procès
étaient conduits. Si les actes commis par un Etat dans le cadre d'une instruction ou de
poursuites pour des crimes relevant de la compétence du Tribunal sont susceptibles de
faire obstacle à une administration de la justice équitable par le Tribunal, celui-ci devrait
être en mesure de faire valoir sa primauté.
L'effet dérogatoire n'est pas moindre lorsque les actes d'un Etat sont influencés par un
procès clôturé ou par une instruction ou autre procédure non clôturées. L'apport de
l'article 9 du Statut et de l'article 9 du Règlement de procédure et de preuve est destiné à
permettre au Tribunal de réaliser son objectif.
LA PRESIDENTE : Si l'on examine le rapport du Secrétaire général qui accompagne
l'article 9 du Statut, il se contente de faire référence au fait que le Tribunal est autorisé à
solliciter un dessaisissement. Il est muet en ce qui concerne ce que les Etats peuvent
faire pour s'y conformer ou la manière dont les Etats doivent s'y conformer. Le
paragraphe 65 du rapport dispose : "La primauté devrait toutefois revenir au Tribunal
international. A n'importe quel stade de la procédure, celui-ci pourrait demander
officiellement aux juridictions nationales de se dessaisir en sa faveur." Cela se reflète
dans l'article 9 du Statut. "Les modalités pour assurer la primauté du Tribunal
international seraient exposées dans le règlement du Tribunal". Il poursuit en affirmant :
"Le principe non bis in idem veut que nul ne soit jugé deux fois pour la même
infraction. En l'occurrence, étant donné la primauté du Tribunal international, le
principe non bis in idem exclurait un procès ultérieur devant une juridiction nationale.
Toutefois, ce principe ne devrait pas exclure un procès ultérieur devant le Tribunal
international dans les cas ci-après ", et ce qui suit sont les cas visés à l'article 10 (2).
J'imagine que la raison pour laquelle je mentionne cela, c'est que nous avons les
commentaires des divers Etats évoqués par M. Orie. Comment interprétez-vous ces
déclarations ? Interprétez-vous ces déclarations comme signifiant qu'une demande de
dessaisissement ne peut être adressée, sauf dans les cas envisagés par l'article 10 (2) ou
interprétez-vous ces déclarations comme affirmant qu'elles peuvent être adressées,
comme l'avait demandé le Juge Stephen, à tout stade de la procédure selon les termes de
l'article 9 (2) ? Cependant, les Etats peuvent agir en fonction de ces requêtes, j'imagine,
en opérant leur choix.
M. KEEGAN : La question suivante que j'allais examiner était celle de ces
commentaires. Si nous examinons le texte de l'article 9 (2), celui-ci affirme que : "A
tout stade de la procédure, le Tribunal peut demander officiellement aux juridictions
nationales". En fait, la décision de la Chambre de première instance I concernant le
dessaisissement dans cette affaire, c'est l'acte commis par elle. Si vous examinez la
décision, vous verrez qu'elle affirme : "Nous demandons officiellement à la République
fédérale d'Allemagne de se dessaisir de ses poursuites."
LA PRESIDENTE : A ce stade, nous avons appris qu'un acte d'accusation avait été
émis.
M. KEEGAN : Je pense que la demande peut être conforme au règlement à tout stade de
la procédure. Comme vous l'avez mentionné - et c'est pour cela que j'ai dit que vous
aviez mis le doigt sur la question - la question consiste désormais à savoir si vous parlez
d'un transfert volontaire, comme c'est le cas en l'espèce, ou ce qui se passerait si une
autorité nationale disait : "Non, nous ne voulons pas nous dessaisir parce que dans le
cadre de cette compétence concurrente, nous préférerions conduire les poursuites dans
cette affaire en particulier." Ce que notre Statut prévoit pour nous, c'est que nous
devrions alors nous rendre devant le Conseil de sécurité pour solliciter des sanctions en
vue d'affirmer, si vous voulez, positivement notre compétence et d'essayer de
contraindre ce pays à se dessaisir de l'affaire. Cela serait la seule approche possible dont
nous disposerions. Je pense que c'est dans ce contexte que nous devons examiner les
commentaires.
Réexaminons, par exemple, les commentaires du représentant de la France. Ils se
trouvent à la page 11 du document. Je lis la résolution du Conseil de sécurité :
"Troisièmement, nous pensons que conformément à l'article 9, paragraphe 2, le Tribunal
peut intervenir à tout stade de la procédure pour faire valoir sa primauté, y compris dès
le stade de l'instruction, le cas échéant, dans les situations visées à l'article 10,
paragraphe 2."
Les autres commentaires reflètent essentiellement cette prise de position. Le Procureur
est d'avis que ce à quoi ces trois membres du Conseil de sécurité faisaient référence était
le fait que, dans un cas où le Tribunal essaye de faire valoir positivement son autorité,
des sanctions ne seraient imposées que dans les seuls cas où l'un des critères également
définis à l'article 10(2) était présent, par opposition à la question distincte du texte du
Statut en faveur duquel ils ont tous voté et qui dispose : "Ce Tribunal peut demander
officiellement un dessaisissement en sa faveur à tout stade de la procédure." Donc, je
pense que ces commentaires doivent être lus avec le plein effet de leur libellé, qui est
l'affirmation de la primauté par opposition à "peut demander un dessaisissement à tout
stade de la procédure".
Donc, je pense que c'est le contexte dans lequel ces commentaires ont été faits, le fait
que ces membres du Conseil de sécurité, ces trois membres-là, estimaient qu'ils ne
voteraient, si vous voulez, en faveur d'une affirmation positive de la compétence par le
biais de sanctions que dans ces cas limités. Mais cela, c'est le problème de la mise en
oeuvre et non celle de savoir ce que le texte de l'article 9 signifie. Cette signification est,
selon nous, tout à fait claire. Donc, ces commentaires n'ont aucun rapport avec cette
affaire parce que, comme vous l'avez affirmé à bon droit, dans ce cas l'Allemagne a
volontairement procédé au transfert. C'est ce qu'indique la décision de la juridiction
bavaroise, ainsi que le texte de la loi allemande sur la coopération avec le Tribunal.
LA PRESIDENTE : Si ce n'est que M. Orie affirme que les autorités allemandes se sont
quelque peu senties obligées de faire droit à la demande du Tribunal.
M. KEEGAN : Je ne peux me prononcer sur ce qu'elles avaient en tête. Je ne peux me
prononcer que sur le texte de loi. Je pense certainement que les autorités allemandes
étaient suffisamment compétentes pour comprendre la teneur de leurs obligations, ce
qu'elles étaient tenues ou non de faire en vertu du droit international. Mais cela ne
répond toujours pas à la question de savoir ce que l'article 9 affirme, ce qui s'est produit
en l'occurrence, à savoir un transfert volontaire.
LA PRESIDENTE : Alors, selon vous, une demande de dessaisissement dans une
situation autre que celles prévues à l'article 10 (2) du Statut, est-ce autorisé ?
M. KEEGAN : Oui. Je pense que l'article 10 (2) n'a aucun lien avec une demande de
dessaisissement. L'article 10 (2) ne couvre la question d'un procès devant ce Tribunal
que si une juridiction nationale a prononcé un jugement définitif. C'est ce qu'affirme le
texte de l'article 10, et plus spécifiquement de l'article 10 (2). Ce sont les seules
circonstances dans lesquelles il s'applique. Nous réaffirmons que l'article 10 est une
composante, si vous voulez, de l'article 9, qui ne porte que sur la question limitée des
procès devant ce Tribunal lorsqu'un jugement définitif a déjà été prononcé par une
juridiction nationale. C'est la seule chose sur laquelle porte l'article 10, et nous ne nous
trouvons pas dans cette situation en l'espèce.
LA PRESIDENTE : Mais, dirait M. Orie, c'est du moins la manière dont j'interprète ce
qu'il a dit, le principe non bis in idem serait violé si une demande de dessaisissement
était adressée dans un cas autre que ceux spécifiquement prévus par l'article 10 (2). Il se
peut que je reproduise mal ses arguments, mais c'est du moins ce que j'ai cru
comprendre.
M. KEEGAN : La manière dont j'ai compris ses arguments ....
LA PRESIDENTE : Peut-être pas. Peut-être ai-je mal compris. Dites-moi.
M. KEEGAN : J'ai compris qu'il pense que les critères traditionnellement appliqués au
principe non bis in idem ne devraient pas trouver application en l'espèce. Je pense que
sa première affirmation était que l'interprétation habituelle du principe non bis in idem
correspond exactement à ce qui est affirmé à l'article 10.
LA PRESIDENTE : Bien sûr.
M. KEEGAN : Et dans le Pacte international. Il argumente en faveur d'une approche
plus agressive du principe non bis in idem. Notre position est que cette Chambre de
première instance doit respecter les exigences du Statut et du Règlement et que le libellé
du Statut est très clair quant à ce que sont les critères du principe non bis in idem.
LA PRESIDENTE : Quel serait donc ce principe non bis in idem plus progressiste qui
serait violé si une demande de dessaisissement était faite dans une situation autre que
celles prévues à l'article 10 (2) ?
M. KEEGAN : Tout d'abord, je ne souscris pas à l'approche plus progressiste de M.
Orie concernant le principe non bis in idem. Je ne pense pas qu'elle soit justifiée. La
question est simplement de savoir si une entité souveraine, dans ce cas nous parlons du
Tribunal international, doit être liée par une décision d'une juridiction nationale ? Au
sens le plus strict, il n'existe aucune exigence internationale, transnationale pour le
principe non bis in idem, sauf dans certains traités, dont aucun n'est contraignant à
l'égard du Tribunal, bien entendu. Ce Statut indique à ce Tribunal dans quelles
circonstances limitées le principe non bis in idem trouvera application.
Je pense que c'est le seul critère qui nous lie et nous ne satisfaisons pas aux critères dans
ce cas particulier parce qu'il n'y a pas eu de jugement définitif en Allemagne.
LA PRESIDENTE : Cette Chambre doit-elle examiner la question de savoir si l'article 9
(iii) du Règlement dépasse le champ d'application l'article 9 (2) du Statut, devons-nous
examiner cette question dans notre décision sur le principe non bis in idem ?
M. KEEGAN : Non, madame, je ne le pense pas. Comme je l'ai déjà dit au début de
mon exposé, si nous nous en tenons strictement à l'intitulé de l'exception, qui était une
exception préjudicielle relative au principe non bis in idem, lorsque vous aurez constaté
que les critères visés à l'article 10 (2) ne sont pas remplis, cela clôt la question et
l'exception doit être rejetée sur cette seule base. Cependant, si vous souhaitez examiner
les arguments oraux et les affirmations faites ici en vue d'expliquer cette interprétation
plus créative englobée dans l'article 9, je faisais simplement référence à cet article en
affirmant que si vous souhaitez examiner cette question, notre position est que l'article 9
(iii) n'est pas incompatible avec le Statut et, en fait, est entièrement compatible avec
l'objectif pour lequel il a été rédigé et qu'en vertu de cette position également, les
arguments de la Défense ne sont pas fondés.
De plus, bien entendu, il se pose encore la question de la forclusion, telle que vous
l'avez vous-même évoquée. Aux fins du procès-verbal, la position du conseil de la
Défense de M. Tadic lors du dessaisissement, tant le conseil de la Défense pour
M. Tadic - c'est comme cela qu'il était dénommé dans les dossiers et comme cela qu'il
s'est présenté - et les représentants de l'Allemagne ont été admis comme amicus curiae
parce que ni la défense, ni des représentants d'un Etat n'ont le droit de comparaître lors
d'une audience de dessaisissement, donc c'était le moyen utilisé pour leur permettre de
prendre place dans la salle d'audience pour y exposer leurs commentaires. Mais il était
clairement là pour représenter M. Tadic et c'est en cette qualité qu'il s'est exprimé
lorsqu'il a dit que M. Tadic ne s'opposait pas au transfert. Donc je pense qu'en fait vous
pourriez également statuer sur cette question sur cette base. Je comprends M. Orie
lorsqu'il affirme qu'ils ne devraient pas être liés par les déclarations d'un autre conseil;
ce sont eux qui ont à présent la qualité de conseil commis et ils devraient être libres de
présenter de nouveaux arguments.
JUGE STEPHEN : Puis-je vous poser une question à ce sujet ? N'est-il pas exact que
pour qu'il y ait effectivement forclusion, il y a dû y avoir un acte commis sur cette base
ayant entraîné des conséquences négatives pour une personne, et qui a agi sur la base de
la déclaration du conseil de l'accusé ? On pourrait affirmer que c'est ce Tribunal. Mais
cela ne ressemble pas à un cas de forclusion à mes yeux.
M. KEEGAN : Les Allemands pourraient avoir agi - il ne contestait pas la manière dont
ils ont pris leur décision. Je ne pourrais m'exprimer à ce sujet parce qu'il nous faudrait
revenir en arrière et poser explicitement la question, et c'est pourquoi nous ne sommes
pas en train de faire carrément reposer notre affaire sur la question de la forclusion. Mais
je pense que c'est certainement un autre facteur à prendre en considération pour savoir si
ce transfert a réellement été volontaire pour toutes les parties, tant pour les Allemands
que pour l'accusé.
LA PRESIDENTE : Je ne sais pas, M. Tadic pourrait affirmer qu'il ne savait pas, et j'ai
entendu M. Wladimiroff dire qu'il n'était pas pleinement conscient de ses droits.
Lorsqu'il a consenti au transfert, cela pourrait avoir été à son détriment parce qu'il ne
savait pas qu'il pouvait soulever cette question du principe non bis in idem. Maintenant,
il a appris qu'il pouvait le faire. Je ne sais pas.
M. KEEGAN : Je ne pense pas que quiconque puisse savoir cela, Madame. La question
du préjudice, si vous voulez, l'Accusation ne pense pas qu'elle soit contraignante. La
seule question qu'ils semblent avoir posée est celle du prononcé de la sentence. A
nouveau, comme c'était en grande partie le cas de l'exception de ce matin, cette question
devrait être soulevée en temps opportun, en supposant qu'il y ait condamnation dans
cette affaire et que l'on passe au prononcé de la sentence. Sur la base du Règlement, ils
seraient certainement libres d'affirmer qu'ils pensent que toute période de détention
passée en Allemagne, que ce soit avant ou après la demande officielle, devrait être prise
en considération. Mais ce n'est pas un aspect pertinent pour l'examen de la question de
savoir si le principe non bis in idem a été violé dans cette affaire, question qui a été
soulevée au moyen de l'exception préjudicielle. A moins que la Chambre n'ait d'autres
questions à poser ?
LA PRESIDENTE : Quelques-unes seulement. Je pense que vous y avez déjà répondu,
mais permettez-moi de m'en assurer. Que répondez-vous à l'affirmation qu'un procès
avait déjà commencé en Allemagne ?
M. KEEGAN : A nouveau par rapport au principe non bis in idem ?
LA PRESIDENTE : Oui.
M. KEEGAN : D'abord, la partie requérante n'a présenté ni élément de preuve, ni
information affirmatifs à ce sujet. Ensuite, même dans leur propre exposé, ils n'ont
jamais affirmé qu'un jugement définitif avait été prononcé, ce qui est le critère à prendre
en compte pour le principe non bis in idem, le fait que la personne ait été jugée, car je
pense que ce terme signifie que le procès est terminé. Ce n'est pas ce qui est affirmé en
l'occurrence. Les propos tenus ici semblent, comme je l'ai affirmé, être plus
progressistes; il y aurait double incrimination parce qu'une procédure a été engagée et
que nous devrions donc être déboutés. Mais ce n'est pas un critère pour le Règlement.
LA PRESIDENTE : Autre chose, M. Keegan ? M. Orie ?
M. ORIE : Je voudrais simplement faire quelques petites remarques sur cette question.
Ma première remarque est que l'Accusation affirme que nous n'avons pas produit
d'élément de preuve concernant l'ouverture du procès ou le fait que la procédure a
atteint le stade du procès; c'est du moins ce que j'ai cru comprendre. Je n'ai pas pensé
que c'était nécessaire dans la mesure où ils prennent en considération la décision, la
décision d'ouverture. Il est clairement mentionné dans la réponse à l'exception
préjudicielle qu'ils font eux-mêmes référence à cette décision. Je me trouvais donc dans
une position où je pensais qu'ils comprenaient le terme "Eroffnungsbeschluss", qu'ils
savaient ce qu'il représentait, mais si ce n'est pas le cas, bien entendu, je produis - j'ai
donné, simplement aux fins de préciser ma position, ces quelques exemples de
dispositions du code allemand de procédure pénale, simplement pour expliquer quelque
peu le type de décision dont il s'agissait, pour autant qu'il y ait eu des doutes à ce sujet.
Si cela pose problème, bien entendu, nous pouvons vous soumettre, mais nous devrons
traduire tous les commentaires sur la procédure pénale allemande afin que vous puissiez
avoir une idée assez claire des conséquences d'une telle décision. Si nous n'avons pas
produit d'éléments de preuve concernant l'existence de cette décision, j'ai pensé que
cela se trouvait déjà dans le dossier, mais si ce n'est pas le cas, nous pouvons les
produire sans la moindre difficulté.
LA PRESIDENTE : La question est de savoir si le procès a commencé en Allemagne.
Vous dites que vous avez produit des éléments de preuve démontrant que le procès avait
commencé en Allemagne ?
M. ORIE : Du moins, ce que nous avons produit concerne la signification de la décision
prise par la juridiction allemande, la décision d'ouverture. J'ai pensé qu'il n'y avait pas
de malentendu entre l'Accusation et la Défense parce qu'ils ont utilisé ces mots :
"ouverture". Ouverture de quoi ? Ouverture de la phase finale de la procédure; de ce qui
pouvait être ouvert à ce stade. Je n'ai pas entendu qu'autre chose ait été ouvert en vertu
de cette décision. Si c'est sur ce point que porte le malentendu entre l'Accusation et la
Défense, ce que nous pourrions faire, c'est vous remettre des commentaires exposant
avec précision ce que signifie une telle décision en procédure pénale allemande.
LA PRESIDENTE : Vous avez affirmé que le procès avait commencé. Je pense que
votre point un est que le procès a déjà commencé en Allemagne. Pouvez-vous donc nous
donner ...
M. ORIE : Si vous permettez, c'est la raison pour laquelle je vous ai remis ces articles.
Ils n'ont pas été traduits en anglais, mais je pourrais en faire une traduction tout à fait
officieuse, premièrement l'article 199 du code de procédure pénale allemande. J'ai pris
le texte le plus récent que j'ai pu trouver. Je ne pense pas qu'il ait été modifié, mais
compte tenu de ces réserves, l'article dispose ...
LA PRESIDENTE : Pourriez-vous soumettre une traduction écrite dans les prochains
jours ? Si vous faites la traduction de manière informelle, je ne pense pas que cela nous
aidera beaucoup.
M. ORIE : Nous n'avons pas bénéficié des services de traducteurs allemand-anglais.
LA PRESIDENTE : Mais vous allez essayer de traduire maintenant. Ce que je vous
propose, c'est au lieu de passer du temps et de monopoliser le temps de la sténotypiste
qui devra prendre note de votre traduction, il vous suffit tout simplement de retourner
dans votre cabinet et de nous soumettre une traduction écrite, si vous voulez.
M. ORIE : Une simple lecture, uniquement pour donner une traduction provisoire. Il est
dit entre parenthèses, et ce n'est pas la partie officielle de l'article : Décision sur
l'ouverture de la phase finale ou de la procédure finale, cela signifie le procès
proprement dit. Ensuite : Le tribunal compétent pour le procès, pour la procédure finale,
décide si ce stade du procès ou stade final ou procédure finale, procédure principale, doit
être ouvert ou si la procédure doit être provisoirement suspendue, oui.
LA PRESIDENTE : Vous pouvez continuer si vous voulez, bien que je vous aie dit de
ne pas le faire. Ce que je suis en train de vous dire, c'est que nous ne pouvons accepter
cela à titre d'élément de preuve officiel de ce que cela signifie.
M. ORIE : Oui, OK. Ce que je peux produire - je vous donne simplement une idée
générale.
LA PRESIDENTE : Cela ne nous aide pas beaucoup. Nous avons besoin d'une
traduction, si vous souhaitez en soumettre une.
JUGE STEPHEN : Je pense que l'Accusation a une traduction.
M. KEEGAN : En fait, j'ai une traduction approximative, mais ce n'est pas quelque
chose que je verserais au dossier.
LA PRESIDENTE : Je formule une simple demande. Voulez-vous produire une
traduction officielle ?
M. ORIE : Nous produirons une traduction officielle dès que possible.
M. KEEGAN : La seule question que je soulevais, je reconnais que la juridiction a peut-
être pris une décision, et il me semble que la manière dont cela se passe dès que l'acte
d'accusation, si vous voulez, est accepté par la juridiction, techniquement parlant le fait
que la juridiction ait accepté l'acte d'accusation pour l'ouverture du procès, il y a une
nette différence par rapport à la manière dont il me semblait que cela avait été décrit, à
savoir que le procès avait déjà commencé; c'est-à-dire M. Tadic est comparu à
l'audience avec son conseil et le Procureur devant un juge et ils ont commencé à
examiner l'affaire au fond. Il nous semblait que cela ne s'était jamais produit. L'affaire a
été acceptée par la Chambre, la Cour suprême locale, mais elle a ensuite ajourné le
procès jusqu'à ce que la loi soit votée, après quoi elle s'est dessaisie de l'affaire. C'est ce
qui s'est passé. Si la Défense affirme le contraire de ce que nous avons indiqué, nous
n'avons pas eu connaissance de cette information.
LA PRESIDENTE : M. Orie, vous m'avez donné un document en allemand. Je le
désignerai pièce à conviction A pour le procès-verbal. Si vous voulez bien soumettre
une traduction en anglais. Si vous voulez, vous pouvez - nous sommes en retard parce
que M. Tadic parle à son conseil, donc je vais attendre ...
M. ORIE : Je pense que ce que je devrais ajouter après avoir entendu ce sur quoi
M. Tadic vient d'attirer notre attention, c'est que la décision d'ouvrir le procès a été
prise après sa comparution devant la chambre et après sa comparution initiale dans
l'affaire. Donc, la décision sur cette audience a été prise après que l'acte d'accusation lui
ait été signifié.
LA PRESIDENTE : Permettez-moi de vous dire ce dont nous avons besoin, parce que
nous ne voulons pas des impressions et nous ne voulons pas simplement des
interprétations officieuses. Ce que nous voulons, et vous pouvez soumettre un mémoire
complémentaire, si vous voulez, concernant la signification de ce qui s'est passé en
Allemagne, soumis en anglais. Vous pouvez y joindre les lois allemandes pour autant
qu'elles soient en anglais et expliquer à la Chambre ce que cela signifie, parce que c'est
ce que vous avez affirmé en votre point (1) et il ne me semble pas que vous ayez fourni
des éléments à l'appui de cette affirmation. Vous pouvez faire cela. De combien de
temps pensez-vous avoir besoin ?
M. ORIE : Je pense que cela peut être fait d'ici trois ou quatre jours. Nous avons besoin
d'une traduction officielle, vous comprenez.
LA PRESIDENTE : Vous ferez cela pour lundi au plus tard.
M. ORIE : Oui.
LA PRESIDENTE : Veuillez également transmettre une copie au Procureur à cette
même date. Ensuite, combien de temps vous faudrait-il pour répondre à cela ? Vous
n'avez pas vu ce qui a été soumis, mais pourriez-vous répondre ... disons, à partir de
lundi, de combien de temps auriez-vous besoin, M. Keegan ?
M. KEEGAN : Je suis certain que nous pourrions répondre quelques jours plus tard,
Mme la Présidente.
LA PRESIDENTE : OK. Donc, votre réponse pour mercredi de la semaine prochaine. Si
vous avez besoin de plus de temps, veuillez en avertir le Tribunal. M. Orie, où en
sommes-nous ?
M. ORIE : Autre chose en bref, l'Accusation affirme qu'elle ne peut savoir ce que les
autorités allemandes avaient en tête et qu'elle disposait seulement du texte de la loi
votée en Allemagne. Comme d'habitude, non seulement en Allemagne, mais également
dans un certain nombre d'autres pays, lorsqu'un projet de loi est soumis au vote du
Parlement, il y a bien entendu un raisonnement qui l'accompagne. Il est consigné par
écrit. Il ressort clairement de ces documents qu'en l'occurrence, ils estimaient qu'ils
avaient l'obligation d'exécuter toute demande du Tribunal. Je dois dire qu'ils avaient
peut-être de bonnes raisons de supposer, à la lecture de l'article 29 du Statut, que les
Etats ici coopèrent avec le Tribunal international, cet article dispose dans sa première
partie: "Les Etats répondent" au deuxième paragraphe "sans retard à toute demande
d'assistance ou à toute ordonnance émanant d'une Chambre de première instance et
concernant, sans s'y limiter". Bien que le dessaisissement ne soit pas mentionné, il
apparaît assez clairement que la liste des demandes ou ordonnances que les autorités
allemandes devraient exécuter n'est pas exhaustive.
Selon eux, le seul critère, comme je l'ai déjà mentionné, était de savoir si l'affaire dont
ils devaient se dessaisir en faveur du Tribunal se trouvait dans le champ d'application
temporel et matériel du Tribunal. Je ne pense pas que toute autre question soit examinée
par une juridiction néerlandaise. Ce qui m'amène à faire une autre observation ...
LA PRESIDENTE : Avant que vous ne passiez à cela, vous avez mentionné en passant
des sources faisant autorité à propos du fait que l'Allemagne se sentait obligée
d'exécuter la demande du Tribunal. A quoi faisiez-vous référence et pourriez-vous
fournir au Tribunal une copie de cette source en même temps que la traduction pour
vendredi ?
M. ORIE : Ce sera fait. C'est ce que la note explicative concernant cette loi ... le
problème est qu'elle est à nouveau rédigée en allemand; nous devons trouver des
moyens pour la faire traduire en anglais et le texte est bien plus long que deux petits
articles.
LA PRESIDENTE : Vous avez conscience du problème auquel nous sommes
confrontés parce que nous travaillons dans le vide. Vous dites que dans la note
explicative, c'est mentionné, or nous ne l'avons pas.
M. KEEGAN : Ces documents étaient joints aux conclusions de l'Accusation.
LA PRESIDENTE : Vous l'avez en anglais ?
M. KEEGAN : Vous parlez de la loi sur la coopération ?
M. ORIE : Oui.
M. KEEGAN : Ces documents sont bien joints à notre requête.
M. ORIE : Une partie seulement, seulement une petite partie a été ... puis-je jeter un
coup d'oeil ?
LA PRESIDENTE : Faites, M. Orie, uniquement pour gagner du temps, et voyez si ce
que l'Accusation a produit suffit pour vous permettre d'étayer votre argument; si ce
n'est pas le cas, remettez-nous ce qu'il faut pour vendredi au plus tard, si vous voulez
bien.
M. ORIE : Ce sera fait.
JUGE STEPHEN : M. Orie, avant d'abandonner le sujet, je n'ai pas compris en quoi
cela a un lien avec le principe non bis in idem ? Je pourrais comprendre ce raisonnement
si votre exception contestait le dessaisissement, mais ce n'est pas le cas. C'est
simplement une allégation ayant trait au principe non bis in idem. Ce que vous avez
affirmé n'a rien à voir avec le principe non bis in idem, n'est-ce pas ? Vous avez dit que
le dessaisissement a été opéré de manière incorrecte.
M. ORIE : En fait, ce que nous affirmons maintenant c'est qu'en raison d'un
dessaisissement opéré à tort, nous participons maintenant au deuxième procès ... du
moins, nous participons à un procès violant le principe non bis in idem au niveau de la
procédure, parce que je reconnais qu'il n'y a pas eu de jugement définitif, en sorte que
l'article 10 (2) n'est pas applicable. Mais de la manière dont j'interprète le principe non
bis in idem, comme j'ai déjà expliqué cette règle, au niveau de la procédure.
Ceci m'amène à ma dernière observation : l'Accusation a affirmé que le dessaisissement
était plus ou moins volontaire et que les autorités allemandes n'étaient nullement
obligées d'exécuter une demande ou, du moins, cette situation aurait pu exister. Je pense
que l'Accusation n'encourage pas vraiment le fonctionnement du Tribunal en suggérant
qu'une contestation pourrait naître sur le point de savoir si une demande de la Chambre
de première instance a valablement été adressée en vertu du Règlement ou du Statut.
Je veux dire, comme je le comprends, l'Accusation souhaite, appelle au moins à des
contestations significatives à propos de toutes les requêtes que la Chambre de première
instance adressera à un pays. J'affirme que les autorités allemandes ont été très sages
d'affirmer : "Si le Tribunal nous adresse une demande et si nous examinons l'article 29
du Statut, nous ne devrions pas agir en tant que Chambre d'appel en fait, en invoquant la
primauté", et vous savez maintenant que nous respectons la primauté du Tribunal "et en
contestant toutes les requêtes adressées dans le monde entier".
Donc, je pense que du point de vue du fonctionnement du Tribunal, c'est une très
mauvaise suggestion de l'Accusation.
LA PRESIDENTE : M. Orie, le Juge Stephen vous a seulement demandé s'il s'agissait
réellement d'un problème de primauté et pas vraiment d'un problème de non bis in
idem. Vous avez dit que comme le Tribunal a violé l'article 9 (2) lors du
dessaisissement, cela a entraîné une violation du principe non bis in idem prévu à
l'article 10 (2); c'est exact ?
M. ORIE : Non. Le problème est que bien que l'article 10 soit intitulé non bis in idem,
comme vous l'avez peut-être compris, j'ai adopté une approche plus large du principe
non bis in idem. Donc, dans une certaine mesure, plus spécialement l'aspect procédural
du principe est incorporé, est également compris dans l'article 9 (2). Donc ce que je dis,
c'est ...
LA PRESIDENTE : A violé les principes généraux du non bis in idem.
M. ORIE : Oui.
LA PRESIDENTE : OK. Vous avez des sources à l'appui des citations que vous avez
faites plus tôt dans votre exposé de cet après-midi, les principes généraux du non bis in
idem qui ont été violés si le Tribunal violait l'article 9 (2) ?
M. ORIE : Oui. Je ne pense pas ...
LA PRESIDENTE : Je suis sûre que si vous affirmez que cela a violé les principes
généraux du non bis in idem, vous nous avez remis quelque chose à l'appui de vos
affirmations.
M. ORIE : Quelque chose de nouveau. Si vous me demandez de vous citer un
quelconque auteur érudit qui m'explique ce que le non bis in idem signifie réellement
dans le nouveau contexte de ce Tribunal, je dois vous dire que je ne suis pas en mesure
de le faire, parce que, pour autant que je sache, il n'y a pas de doctrine, uniquement
quelques commentaires sur l'article 9 et l'article 10, et c'est ce que j'ai cité aujourd'hui,
Morris et Zacklin.
LA PRESIDENTE : Mais ce qu'ils disaient, ils interprétaient la signification de l'article
9 (2). Ils disaient que 9 (2) se limitait aux situations prévues par l'article 10 (2). Ils ne
parlaient pas du tout du principe du non bis in idem. Ils étaient axés sur la signification
de l'article 9 (2). Il me semble que la manière dont vous avez formulé cet argument,
nous allons devoir examiner la signification de l'article 9(2), ce qui est une question
purement liée à la primauté. Vous avez déjà soulevé une exception sur la primauté. Nous
avons statué. La Chambre d'appel a rendu un arrêt à ce sujet. Donc, ma question est de
savoir si nous devons examiner cette question de la primauté que vous venez à nouveau
d'évoquer, bien que vous l'ayez appelée, vous ayez écrit sur la page de couverture,
exception préjudicielle relative au principe non bis in idem ?
M. ORIE : Je pense que la manière dont l'article 9 (2) est appliqué a un lien avec la
question du non bis in idem. Ce n'est plus ...
LA PRESIDENTE : Mais nous devons d'abord décider ...
M. ORIE : ... dans la primauté en tant que principe.
LA PRESIDENTE : Mais nous devons d'abord décider s'il y a eu une violation de la
primauté prévue à l'article 9 (2).
M. WLADIMIROFF : Mais n'est-il pas exact, Madame la Présidente, que vous
supposez que l'intitulé de l'exception préjudicielle fait référence uniquement à l'article
10, alors que notre intention était de faire en sorte que l'intitulé fasse référence au
principe non bis in idem, en sorte qu'il ne soit pas limité à l'article 10. Nous n'avons
aucune raison de penser que l'exception préjudicielle n'a été soulevée que sur la base de
l'article 10.
LA PRESIDENTE : Je veux bien l'admettre, parce que si nous devons examiner la
signification du principe non bis in idem en vertu de notre Statut, nous devons nous
limiter à l'article 10. Mais il me semble que M. Orie va plus loin que cela. Ma question
est de savoir si nous devons examiner cette question de la primauté qui se trouve ici sous
nos yeux, si nous allons devoir interpréter la signification de l'article 9 (iii) du
Règlement et décider si oui ou non cela viole l'article 9. C'est la primauté.
M. ORIE : Si je n'ai pas réussi à vous expliquer clairement que la question de la
primauté est légèrement différente de la question que nous examinons aujourd'hui, eh
bien vous m'en voyez navré.
LA PRESIDENTE : Non. C'est une autre question parce que vous affirmez qu'il y a eu
une violation de l'article 9 qui a résulté en une violation des principes généraux du non
bis in idem. Je comprends cela.
M. ORIE : Oui.
LA PRESIDENTE : Mais avant que nous déterminions s'il y a eu une violation des
principes généraux du non bis in idem, nous devons d'abord décider qu'il y a eu une
violation de l'article 9 (2), ce qui a trait à la question de la primauté. Nous devons
d'abord statuer sur ce point parce que nous ne pouvons brûler les étapes et nous
contenter de supposer qu'il y a eu violation du principe non bis in idem à moins que
nous adoptions votre position concernant l'article 9. J'en suis là. Permettez-moi de vous
poser une question à cet égard : la décision de cette Chambre concernant cette requête
peut-elle faire l'objet d'un appel ?
M. ORIE : Je ne le pense pas, seulement les décisions sur la compétence, mais je n'ai
rien préparé à ce sujet. Je pense que seules les décisions préjudicielles sur la compétence
sont susceptibles d'appel. Nous ne pensons pas que cela concerne un problème de
compétence, nous n'avons pas l'intention d'interjeter appel, ni même ...
LA PRESIDENTE : OK. M. Wladimiroff, est-ce également votre avis ?
M. WLADIMIROFF : Tout dépend, Mme la Présidente, de la manière dont nous devons
lire l'article 108(B). Je pense que le paragraphe B ne peut être lu sans lire d'abord le
paragraphe A. A la lumière de cette combinaison, il apparaît à la Défense qu'un appel ne
peut être interjeté que s'il a trait au type de jugement visé au point B.
LA PRESIDENTE : Vous faites donc référence à l'article - rejetant une contestation
fondée sur l'incompétence ou une décision prononcée en application des articles 77 ou
91; est-ce bien ce que vous êtes en train de me dire ?
M. WLADIMIROFF : C'est ce à quoi je fais référence.
LA PRESIDENTE : Donc, vous affirmez que la décision rendue sur cette exception
préjudicielle, non bis in idem, n'est pas susceptible d'appel ?
M. WLADIMIROFF : Non.
LA PRESIDENTE : Autre chose, M. Orie ?
M. ORIE : Merci, Mme la Présidente.
LA PRESIDENTE : M. Keegan ?
M. KEEGAN : Oui, Madame. Le premier point, bien entendu, est celui du jugement
interlocutoire visé à l'article 73 qui, comme nous pensons l'avoir déjà affirmé, est qu'au
terme d'un procès, un certain nombre d'aspects peuvent constituer des motifs d'appel.
L'appel de jugement interlocutoire concerne seulement la compétence.
LA PRESIDENTE : Je veux dire appel de jugement interlocutoire. Très bien. Autre
chose, M. Keegan ?
M. KEEGAN : Je voudrais préciser deux choses : la question de l'obligation des Etats
et, bien entendu, c'est à présent ce qu'affirme l'Accusation, comme il est clairement
précisé dans le Règlement, que tous les Etats Membres ont l'obligation d'assister le
Tribunal en ce qui concerne toute demande et, bien entendu, toute ordonnance émanant
de la Chambre de première instance.
La seule question que j'examinais était celle des commentaires, évoqués par le conseil
de la Défense, de trois membres du Conseil de sécurité dans le cadre de l'examen,
comme je l'ai dit je pense, de la question de l'application de l'article 9 (2). Tous les
Etats Membres ont l'obligation d'assister ce Tribunal. C'est une question distincte de
celle de savoir si dans un cas particulier un Etat souverain est désireux de transférer une
affaire. S'ils sont intimement convaincus qu'ils ont des raisons suffisantes de refuser le
transfert, par exemple parce qu'ils estiment en vertu de l'article 10 qu'ils ont des raisons
de ne pas le faire, c'est une question distincte de celle de savoir ce qui se produirait si le
Tribunal s'adressait au Conseil de sécurité pour dire : "Nous souhaitons l'exécution de
cette demande". Dans ce contexte, j'affirmais que ces commentaires étaient énoncés,
que ces membres disaient seulement dans ce contexte que, si vous voulez, ils iraient plus
loin que la lettre du Statut et n'appliqueraient l'article 9 que dans des circonstances
limitées.
En aucune manière je ne suggérais que les Etats membres n'ont pas d'obligations à
l'égard de ce Tribunal, mais cela n'a aucun rapport avec le fait que le transfert était
volontaire.
LA PRESIDENTE : Merci. M. Orie ou M. Wladimiroff ou M. Vujin ?
M. WLADIMIROFF : Non, merci.
M. VUJIN (original : serbe) : Non, merci.
LA PRESIDENTE : L'audience est suspendue jusqu'à demain 10h00 et nous tiendrons
alors une audience à huis clos concernant la requête introduite par le Procureur aux fins
d'obtenir des mesures de protection.

(L'audience est suspendue)
24 octobre 1995 Affaire n° IT-94-1-T