Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Mardi 7 mai 1996 IT-94-1-T

2 LA CHAMBRE DE PREMIERE INSTANCE

3 Composée comme suit :

4 Mme le Juge Gabrielle Kirk McDonald, Président

5 M. le Juge Ninian Stephen

6 M. le Juge Lal C. Vohrah

7

8 Assistée de : Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh,

9 Greffier

10

11

12 LE PROCUREUR

13 C/

14 DUSKO TADIC alias "DULE"

15 _____________________________________________________________________

16 COMPTE RENDU D’AUDIENCE DU PROCES TADIC

17 _____________________________________________________________________

18

19 Le Bureau du Procureur :

20 M. Grant Niemann M. Alan Tieger

21 Mme Brenda Hollis M. Michael Keegan

22

23 Le Conseil de la Défense :

24 Michail Wladimiroff M. Steven Kay

25 Alphons Orie Mme Sylvia de Bertodano

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2 MME DE SAMPAYO : Le Procureur contre Dusko Tadic, affaire n° IT-94-1-T.

3 PRESIDENT DU TRIBUNAL : Merci. Puis-je d’abord vérifier que le matériel

4 fonctionne ? Tous les présents qui ne me comprennent pas devraient

5 mettre leurs écouteurs. Tous ceux qui portent des écouteurs

6 m’entendent-ils dans une langue qu’ils comprennent ? M. Tadic,

7 pouvez-vous m’entendre dans une langue que vous comprenez ? Bien,

8 merci. Qui représente l’Accusation ?

9 M. NIEMANN : Je m’appelle Niemann et je suis accompagné de mes collègues

10 Mme Hollis, M. Tieger et M. Keegan.

11 PRESIDENT DU TRIBUNAL : Merci, M. Niemann. Qui représente la Défense ?

12 M. WLADIMIROFF : Je m’appelle Michail Wladimiroff. Je suis avocat au

13 Barreau de la Cour suprême des Pays-Bas et je suis conseil de la

14 Défense. A ma droite se trouve Alphons Orie, qui est aussi avocat au

15 Barreau de la Cour suprême des Pays-Bas, conseil adjoint de la

16 Défense, et tout à ma gauche, Steven Kay, barrister au Barreau

17 d’Angleterre et du Pays de Galles, conseil adjoint de la Défense, et

18 tout à ma droite, Sylvia de Bertodano, également barrister au

19 Barreau d’Angleterre et du Pays de Galles, qui assiste la Défense.

20 PRESIDENT DU TRIBUNAL : Merci. Avant de passer aux déclarations

21 liminaires, je dois examiner ce matin avec vous, les avocats,

22 diverses requêtes que nous avons étudiées vendredi à la conférence

23 de mise en état. Nous devons annoncer nos décisions concernant ces

24 requêtes. La première requête, déposée par le Procureur, tend à

25 exiger la communication des déclarations des témoins de la Défense.

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1 Cette requête est rejetée.

2 La deuxième requête, présentée également par le Procureur,

3 concerne des mesures de protection pour le témoin P. Il y est fait

4 droit.

5 La requête suivante, déposée par la Défense, concerne la

6 citation de témoins et des mesures de protection. Elle comprend

7 plusieurs parties. Premièrement, il sera fait droit à la requête aux

8 fins que la Chambre de première instance cite les témoins. Il est

9 fait droit à la requête concernant les sauf-conduits. La requête

10 concernant le témoignage de certains témoins par vidéoconférence est

11 pour partie approuvée et pour partie rejetée. La requête relative à

12 la confidentialité de certains témoins est pour partie approuvée et

13 pour partie rejetée. La requête aux fins d’anonymat des témoins est

14 rejetée.

15 S’agissant des diverses parties de ces dernières requêtes, à

16 savoir celles qui concernent les vidéoconférences, la

17 confidentialité et l’anonymat, un délai est accordé à la Défense

18 pour lui permettre de présenter d’ici le 31 mai des informations

19 supplémentaires aux déclarations qu'elle a déposées à l’appui de ces

20 requêtes.

21 La dernière requête que nous avons examinée à la conférence de

22 mise en état émanait du Procureur et tendait à retirer les chefs

23 d’accusations 2 à 4. J’y viendrai dans un instant. La dernière

24 question débattue à la conférence de mise en état concernait la

25 requête du Procureur et celle de la Défense tendant à ce que la

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1 Chambre de première instance rende une décision préliminaire au

2 sujet de diverses questions que vous avez abordées dans vos

3 conclusions préalables à l’ouverture des débats.

4 A la conférence de mise en place de vendredi, nous avons

5 prévenu les parties que, dans quatre domaines au moins, nous

6 pourrions vous donner certaines orientations et que nous étions

7 convaincus qu’il était suffisant de vous donner des orientations

8 dans ces quatre domaines. Je vais répéter ce que je vous avais

9 dit alors.

10 Premièrement, la Chambre de première instance a décidé que

11 pendant la partie du procès traitant de la culpabilité ou de

12 l’innocence des accusés, les témoins ne peuvent présenter aucune

13 information relative exclusivement au prononcé de la sentence. Nous

14 vous avons renvoyés à l’article 100 du Règlement de procédure et de

15 preuve. Nous comprenons la position du Procureur et nous comprenons

16 la position de la Défense. Mais vos témoins doivent témoigner au

17 sujet de la culpabilité ou de l’innocence; si le témoignage concerne

18 uniquement des questions dont nous devrons tenir compte pour le

19 prononcé de la peine, il devrait être entendu comme le prévoit

20 l’article 100.

21 Etait-ce M. Kay, ou M. Wladimiroff, non, je pense que c’était

22 M. Orie qui a dit qu’il est très bien de rendre une telle décision,

23 mais que ce sera une autre affaire que de déterminer les cas où elle

24 s’appliquera. Vous avez sans doute raison, M. Orie, mais telle est

25 notre décision en la matière.

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1 La deuxième décision concernait l’obligation des parties de

2 présenter des éléments de preuve quant à la nature du conflit.

3 La Chambre de première instance souhaite entendre des témoignages

4 concernant la nature du conflit. Je crois que la Défense part du

5 principe que la Chambre d’appel a décidé qu’il s’agissait d’un

6 conflit interne; le Procureur part du principe que la Chambre

7 d’appel a décidé qu’il s’agissait d’un conflit international, mais

8 il pourrait y avoir une certaine confusion à ce sujet. La Chambre de

9 première instance a décidé qu’elle veut entendre des témoignages

10 concernant la nature du conflit.

11 Enfin, la Chambre de première instance a décidé qu’il était

12 nécessaire de présenter des éléments de preuve, qu’il était

13 nécessaire que le Procureur présente des éléments de preuve tendant

14 à démontrer que les crimes mentionnés dans l’acte d’accusation ont

15 été commis dans le cadre d’un conflit armé. Nous estimons que cette

16 charge de preuve incombe au Procureur.

17 Puis nous avons étudié — et je suppose que nous étudierons

18 encore — la Requête du Procureur, à laquelle la Défense s’est

19 jointe, aux fins que la Chambre de première instance rende certaines

20 décisions quant aux éléments du crime. Nous estimons que les

21 décisions que nous avons rendues jusqu’ici sont suffisantes pour

22 vous indiquer les éléments de preuve à présenter. Nous avons de

23 nouveau reçu ce matin la requête du Procureur et de la Défense.

24 La Chambre de première instance n’estime pas qu’il lui incombe

25 à ce stade de formuler un code pénal international; nous pensons que

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1 notre tâche consiste plutôt à entendre les témoignages et à

2 interpréter et appliquer les termes du Statut du Tribunal

3 international. Nous n’irons donc pas plus loin en ce qui concerne

4 votre requête. Nous pensons vous avoir donné ce dont vous avez

5 besoin pour orienter le choix des éléments de preuve à présenter et

6 j’espère que la question est ainsi close, bien que je comprenne

7 parfaitement votre position.

8 Y a-t-il d’autres questions préliminaires, autres que la

9 requête du Procureur aux fins du retrait des chefs d’accusation 2

10 à 4, que nous devions étudier avant que les parties ne se déclarent

11 prêtes et que l’on présente les déclarations liminaires ?

12 M. Niemann ?

13 M. NIEMANN : Rien pour l’Accusation, Madame la Présidente.

14 PRESIDENT DU TRIBUNAL : M. Wladimiroff ?

15 M. WLADIMIROFF : Rien pour la Défense, Madame la Présidente.

16 PRESIDENT DU TRIBUNAL : Très bien. L’Accusation est-elle prête pour

17 l’ouverture du procès ?

18 M. NIEMANN : L’Accusation est prête, Madame la Présidente.

19 PRESIDENT DU TRIBUNAL : Bien. La Défense est-elle prête ?

20 M. WLADIMIROFF : La Défense l’est aussi, Madame la Présidente.

21 PRESIDENT DU TRIBUNAL : Merci. M. Niemann, nous étions convenus vendredi,

22 à la conférence de mise en état que le Procureur présenterait sa

23 requête aux fins du retrait des chefs d’accusation 2 à 4 avant de

24 présenter sa déclaration liminaire. Etes-vous prêt à présenter cette

25 requête ?

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1 M. NIEMANN : Oui. L’Accusation souhaite retirer les chefs d’accusation 2 à

2 4, sans préjudice. A tous autres égards, nous nous en tenons à la

3 requête qui a été présentée et aux conclusions que j’ai déposées

4 vendredi à la conférence de mise en état.

5 PRESIDENT DU TRIBUNAL : La Défense a-t-elle des objections ?

6 M. WLADIMIROFF : Nous nous en tenons à la réponse que nous avons donnée à

7 la conférence de mise en place et nous nous référons à la position

8 présentée dans cette réponse.

9 PRESIDENT DU TRIBUNAL : Très bien. Selon notre interprétation de cette

10 réponse, vous ne vous opposez ni au retrait ni, peut-être, à ce que

11 la requête soit traitée comme une modification sans préjudice, sous

12 réserve, si ma mémoire est fidèle, que vous puissiez présenter, au

13 cas où le Procureur tenterait d’accuser de nouveau M. Tadic aux

14 mêmes chefs, toute défense que vous aurez à ce moment-là. Est-ce

15 exact ?

16 M. WLADIMIROFF : C’est exactement cela, Madame la Présidente.

17 PRESIDENT DU TRIBUNAL : M. Niemann, le Procureur a déposé cette requête au

18 Greffe avant le commencement du procès. D’après le Greffier, il est

19 préférable que cette requête, présentée avant le début du procès,

20 soit retirée et déposée de nouveau, dès lors que le procès a

21 commencé.

22 Nous allons donc considérer que cette requête a été retirée du

23 Greffe et qu’elle a été déposée de nouveau comme modification en

24 cours d’instance, ou comme une requête aux fins d’un retrait au

25 titre de l’article 50 ou 51 du Règlement de procédure et de preuve.

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1 Est-ce la procédure correcte ? Le Greffier peut-il me le dire ? Est-

2 ce acceptable ?

3 MME DE SAMPAYO : Cela me semble acceptable, Madame la Présidente.

4 PRESIDENT DU TRIBUNAL : Merci.

5 M. NIEMANN : S’il plaît à la cour.

6 PRESIDENT DU TRIBUNAL : Parfait. La Chambre de première instance estime

7 donc que la requête aux fins du retrait des chefs d’accusation 2 à 4

8 constitue une modification de l’acte d’accusation en vertu de

9 l’article 50 du Règlement de procédure et de preuve, qui consiste

10 simplement à retirer les chefs d’accusation 2 à 4. Ce n’est pas la

11 peine de retarder le procès.

12 Ces chefs d’accusation 2 à 4 concernaient des relations

13 sexuelles sous contraintes en violation des articles 2 b), 3 et 5 du

14 Statut du Tribunal international et de l’article 3.1.3 de la

15 Convention de Genève de 1949. Est-ce exact, M. Niemann ?

16 M. NIEMANN : Oui, Madame la Présidente.

17 PRESIDENT DU TRIBUNAL : Ces sont bien les chefs d’accusation que vous

18 voulez retirer ?

19 M. NIEMANN : Oui, Madame la Présidente.

20 PRESIDENT DU TRIBUNAL : Ou plutôt, que nous avons décidé de traiter comme

21 une modification en cours d’instance.

22 M. NIEMANN : Comme une modification, Madame la Présidente.

23 PRESIDENT DU TRIBUNAL : Très bien. Il sera donc fait droit à cette

24 requête.

25 Avant d’entendre les déclarations liminaires des parties, la

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1 Chambre estime nécessaire de faire quelques brèves observations,

2 tout au moins afin d’inscrire ce procès dans son contexte, tel que

3 nous le voyons.

4 C’est le début du premier procès devant le Tribunal pénal pour

5 l’ex-Yougoslavie, un tribunal international créé spécialement par

6 l’Organisation des Nations Unies pour juger les personnes accusées

7 de violations graves du droit international humanitaire commises en

8 ex-Yougoslavie.

9 Cette occasion revêt certaines dimensions historiques. Mais

10 n’oublions pas qu’il s’agit avant toute chose d’un procès pénal dans

11 le cadre duquel l’accusé a comparu devant cette Chambre il y a un

12 peu plus d’un an pour plaider non coupable. Dans quelque système de

13 justice que ce soit, il a droit à un procès équitable et nous sommes

14 ici avant toute chose pour garantir qu’il sera jugé équitablement.

15 De part et d’autres, les avocats proviennent de systèmes

16 juridiques différents, de même que les trois juges, mais nous sommes

17 tous d’accord sur un principe fondamental, à savoir que l’état de

18 droit doit être préservé et que l’équité est la pierre angulaire du

19 processus qui consiste à rendre la justice. Dans la conduite du

20 procès, les Juges suivront le Règlement de procédure et de preuve

21 que le Tribunal a adopté.

22 Comme le savent les avocats, le Règlement de procédure et de

23 preuve compte quelque 125 articles, mais nous n’avons que 10

24 articles traitant de la preuve pour guider la conduite du procès et

25 régir l’administration de la preuve, alors que les autres systèmes

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1 juridiques comptent souvent plusieurs dizaines de règles extrêmement

2 techniques en matière d’administration de la preuve. Ainsi, nous

3 n’avons aucune disposition concernant les éléments de preuve

4 indirects, et l’article 89 C) du Règlement de procédure et de preuve

5 dispose que la Chambre peut recevoir tout élément de preuve

6 pertinent qu’elle estime avoir valeur probante, tandis que

7 l’article 89 b) de notre Règlement de procédure et de preuve exige

8 que la Chambre applique les règles d’administration de la preuve

9 propres à parvenir, dans l’esprit du Statut et des principes

10 généraux du droit, à un règlement équitable de la cause.

11 Dans ce contexte, nous, Juges, jugerons les faits et nous

12 appliquerons le droit à nos constatations. Les longs débats

13 préparatoires qui se sont déroulés, les nombreuses exceptions

14 préjudicielles qui ont été réglées, visaient à garantir que ce

15 premier procès soit conduit avec toute l’équité et la diligence

16 possibles afin que justice soit faite et que l’on sache bien que

17 justice a été faite. Telle est notre seule raison d’être, quel que

18 soit le cérémonial apparent de cette audience.

19 Nous travaillerons ensemble à ce procès — Juges, Accusation et

20 Défense — pendant de longues semaines. Je vous recommande de garder

21 votre sang-froid autant que possible dans toutes ces circonstances

22 et j’invite les conseils à s’acquitter de leur mandat avec

23 professionnalisme.

24 Comme nous l’avons déjà signalé dans une ordonnance de la

25 Chambre de première instance, les audiences se tiendront de

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1 10 heures à 13 heures et de 14 h 30 à 17 h 30 et seront interrompues

2 par une suspension de 15 minutes le matin et une suspension de

3 15 minutes dans l’après-midi. Nous prévoyons d’entendre les

4 témoignages du mardi au vendredi de chaque semaine, sauf ce mois-ci

5 où, pour de nombreuses raisons, nous avons un emploi du temps très,

6 très différent.

7 Le lundi, ce prétoire (le seul dont dispose le Tribunal) sera

8 réservé à d’autres affaires dont cette Chambre est saisie, ainsi

9 qu’à l’autre Chambre de première instance.

10 L’Accusation peut commencer ses observations liminaires.

11 M. Niemann ?

12 M. NIEMANN : S’il plaît à la cour. Comme vous l’avez fait observer, Madame

13 la Présidente, l’ouverture du premier procès du Tribunal est une

14 occasion historique, mais aussi une occasion solennelle. La charge

15 qui incombe à un tribunal pénal est toujours lourde, et celle qui a

16 été confiée à ce Tribunal l'est plus particulièrement. Ce Tribunal a

17 été créé non seulement pour administrer la justice à l’endroit de

18 l’accusé ici présent, mais on attend en outre que, ce faisant, vous

19 contribuerez à instaurer une paix durable dans le pays qui fut jadis

20 la Yougoslavie.

21 La tragédie humaine qui se déroule en ex-Yougoslavie depuis

22 1991 atteint des proportions majeures. S’agissant de violations du

23 droit international humanitaire, nous devons non seulement examiner

24 les actes des individus, mais aussi le rôle des pouvoirs publics.

25 Avec ce procès, nous allons nous livrer à l’examen

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1 d’événements d’une indicible horreur. Ce que l’homme a fait subir à

2 l’homme au nom du nationalisme ou de l’hégémonie ethnique en

3 ex-Yougoslavie dépasse le raisonnement humain le plus vif.

4 Les preuves présentées par l’Accusation prouveront hors de

5 tout doute raisonnable que l’accusé Dusko Tadic a commis les crimes

6 qui lui sont reprochés, et ce dans le cadre d’une attaque

7 généralisée ou systématique contre la population non serbe de la

8 municipalité de Prijedor en vue de réaliser les objectifs de l’Etat

9 serbe visant à la maintenir dans le territoire de ce qui est devenu

10 plus tard la République fédérale de Yougoslavie.

11 Lorsqu’un individu commet un crime, l’Etat est le bastion de

12 la justice, mais lorsque c’est l’Etat qui commet un crime, seule la

13 communauté des nations peut protéger l’individu, sinon le mal ne

14 connaît aucune frontière.

15 Les témoins qui comparaîtront sont souvent déroutés, parfois

16 en colère face au sort tragique et immérité qui leur a été réservé.

17 La terreur absolue à laquelle ils ont été soumis pendant ces noires

18 journées de 1992, et le temps qui s’est écoulé depuis lors, ont pu

19 affecter leur aptitude à relater dans le détail tout ce qu’ils ont

20 vécu, mais leur sincérité et leur véracité quant aux crimes qu’ils

21 décrivent et quant au fait que l'accusé en est responsable sont, à

22 notre avis, incontestables.

23 Bien que ce procès porte essentiellement sur ce qui s’est

24 produit entre l’accusé et les victimes de ses crimes, il porte aussi

25 sur la tragique destruction de la Yougoslavie, jadis fière et

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1 magnifique. Pour commencer à comprendre la nature du conflit, à

2 comprendre la population de la Yougoslavie et sa composition

3 ethnique, à comprendre pourquoi un groupe ethnique a voulu

4 s’attaquer si cruellement à un autre dans l’intention de le

5 détruire, à comprendre les victimes visées par ces crimes, il faut

6 commencer par comprendre ce qu’était la Yougoslavie.

7 Pour ce faire, nous présenterons des éléments de preuve

8 concernant la Yougoslavie elle-même. La preuve démontrera que la

9 République socialiste fédérative de Yougoslavie était formée de six

10 Etats : la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la Macédoine, le

11 Monténégro, la Serbie et la Slovénie. La composition ethnique de la

12 fédération était la suivante, par ordre décroissant des

13 populations : Serbes, Croates, Musulmans, Slovènes, Macédoniens,

14 Albanais, Hongrois et autres. La principale langue est le

15 serbo-croate, qui s’écrit avec une orthographe unique en caractères

16 latins et cyrilliques. Les principales religions sont le

17 catholicisme romain, le rite orthodoxe oriental et l’Islam.

18 S’il plaît à la cour, je vais faire afficher sur les écrans la

19 carte numéro 2-1 qui, en temps voulu, sera présentée comme élément

20 de preuve. Cette carte, lorsqu’elle apparaîtra — elle devrait

21 s’afficher sur l’écran de l’ordinateur — montrera la Yougoslavie

22 tout entière, formée des Etats de Macédoine, Serbie, Monténégro,

23 Bosnie-Herzégovine, Croatie, Slovénie et des deux provinces

24 indépendantes, la Vojvodine et le Kosovo.

25 Madame, Messieurs de la cour, la formation de la Yougoslavie

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1 en une fédération d’Etats fut la réalisation d’un rêve mais ce fut

2 aussi une difficile tentative de conjuguer un mélange complexe de

3 populations, de cultures, de traditions historiques et religieuses

4 et de géographies diverses. La diversité était surtout marquée en

5 Bosnie, où des populations catholiques, orthodoxes et musulmanes

6 coexistaient jusqu’à ce que le pays soit enveloppé par les flammes

7 des tensions politiques et des hostilités armées au début des

8 années 90. Cette terre tragique a malheureusement une longue

9 histoire de conflits sanglants, ce qui a certainement exercé une

10 certaine influence sur sa personnalité nationale. Bien que les

11 populations de Yougoslavie, surtout en Bosnie, ne soient nullement

12 différentes des autres populations du monde dans leur désir de vivre

13 dans la paix, le souvenir du sang versé entame leur confiance dans

14 l’édification et le maintien d’une nation pacifique où l’harmonie

15 ethnique et la sécurité seraient assurées.

16 Les tensions entre, d’une part, l’idéal yougoslave d’un peuple

17 uni et, d’autre part, les divisions ethniques attisées par les

18 intérêts nationalistes se sont manifestées avec une intensité

19 variable pendant tout le XXe siècle. La nouvelle Constitution de

20 1974 prévoyait un étroit contrôle unificateur sur les diverses

21 Républiques, mais ce contrôle serait décentralisé et s’exercerait au

22 niveau de chaque République.

23 La méthode consistant à conférer des pouvoirs accrus aux

24 Républiques a bien fonctionné tant que Tito était en vie, surtout

25 parce qu’il était en mesure de maîtriser suffisamment les diverses

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1 factions pour les empêcher de se dissocier. Après sa mort en 1980,

2 la situation s’est rapidement dégradée et le système de rotation

3 annuelle de la Présidence non seulement n’a pas fonctionné mais

4 encore a contribué à l’effondrement final de la Fédération.

5 La perspective des Serbes était entretenue dans leur folklore de

6 victimes pendant toute leur histoire, y compris le sort qui leur

7 avait été réservé pendant la seconde guerre mondiale aux mains des

8 Oustachis soutenus par les nazis, Oustachis qui se méfiaient des

9 autres Etats de la Yougoslavie et tentaient de leur imposer leur

10 hégémonie.

11 C’est en 1990 que les Républiques ont connu les premières

12 élections démocratiques depuis la seconde guerre mondiale.

13 En Slovénie, les ex-communistes ont été élus, en coalition avec les

14 quatre partis d’opposition. En Croatie, le chef de l’Union

15 démocratique croate, Franjo Tudjman, est devenu Président.

16 En Bosnie, les grands partis politiques se sont constitués selon les

17 groupements nationalistes. L’Action démocratique musulmane (SDA) a

18 obtenu un tiers des sièges au Parlement, tandis que le Parti

19 démocratique serbe (SDS) en obtenait 30 %, l’Union démocratique

20 croate (HDZ) quelque 20 % et les partis non nationalistes 13 %.

21 Le chef de la SDA, Alija Izetbegovic fut élu Président par le

22 Conseil de la Présidence, formé de sept membres. En Serbie, Slobodan

23 Milosevic était élu Président de la République de Serbie.

24 Le résultat de ces élections a révélé une profonde faille

25 entre les groupes ethniques. La fragilité de l’économie fédérale,

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1 les forces croissantes du nationalisme et la recherche d’une

2 souveraineté indépendante par chaque République — à l’exception

3 éventuelle de la Bosnie — allaient sonner le glas de la Fédération.

4 Le 23 décembre 1990, la Slovénie tenait un référendum sur la

5 question de l’indépendance. Le 15 mai 1991, la Serbie, bloquant la

6 procédure de rotation automatique, empêchait la Croatie d’assumer la

7 Présidence de la Fédération, privant la Yougoslavie de chef d’Etat.

8 Le système fédératif ne pouvait donc plus fonctionner.

9 Le 19 mai 1991, la Croatie tenait un référendum sur son

10 indépendance. Le 25 juin 1991, la Slovénie publiait sa déclaration

11 d’indépendance.

12 La dislocation de la Fédération a posé la question du partage

13 des forces militaires. Les forces armées de la République de

14 Yougoslavie, dénommée République socialiste fédérative de

15 Yougoslavie, comprenaient deux éléments. Le premier niveau était

16 constitué par l’Armée populaire yougoslave, ou « JNA »; le second

17 niveau était formé par les Forces de défense territoriale, ou

18 « TO », basées à l’échelon des Républiques et s’inspirant des

19 traditions de la guérilla des partisans de la seconde guerre

20 mondiale. Le Secrétariat fédéral à la défense populaire dirigeait

21 la JNA. Le Secrétariat à la défense populaire de chaque République

22 était chargé de la Défense territoriale.

23 Le principe fondamental de cette structure à deux niveaux

24 était que la JNA constituait le premier échelon de défense pour

25 résister à un premier assaut en contenant l’attaquant pendant que

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1 les TO se mobilisaient. On avait toujours supposé que les deux

2 paliers de la défense fonctionneraient à l’unisson, ce qui aurait

3 sans doute été le cas si la Yougoslavie avait été attaquée de

4 l’extérieur, mais on n’avait pas prévu qu’en cas de guerre civile,

5 une Défense territoriale constituée selon des lignes ethniques

6 nationalistes pourrait entrer en conflit avec la JNA fédérale.

7 Au début, la JNA reflétait fidèlement son mandat fédéral;

8 la structure de son commandement était constituée par un niveau de

9 personnel représentatif de chacune des Républiques. Mais avec la

10 désintégration de la République fédérative à la fin des années 80 et

11 au début des années 90, la représentation des Républiques a commencé

12 à diminuer, laissant place à une domination serbe, au point qu’en

13 mars 1992, l’élément serbe constituait plus de 90 % du corps des

14 officiers de la JNA. Lorsque la JNA entra en guerre pour prévenir

15 l’éclatement de la Fédération, ce n’était pas en tant qu’armée

16 fédérale yougoslave mais en tant qu’armée de fait de la Serbie.

17 Immédiatement après les déclarations d’indépendance de la

18 Slovénie et de la Croatie, la JNA et les autres forces serbes ont

19 lancé une réplique armée. La Défense territoriale (TO) de Slovénie a

20 fait face efficacement à la JNA. La Communauté européenne a offert

21 sa médiation, ce qui a surpris la JNA qui craignait alors une

22 intervention militaire occidentale. Elle a donc cessé son combat

23 contre la Slovénie, concentrant son action contre la Croatie où l’on

24 estimait que les éléments militaires serbes risquaient d’être

25 menacés.

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1 Il est vite apparu que la lutte pour la souveraineté croate

2 l’emporterait face à la fédération yougoslave dominée par les

3 Serbes. C’est pourquoi la JNA prit des mesures en vue de préserver

4 les intérêts serbes en Bosnie. En 1990, la JNA avait ordonné à

5 toutes les TO de lui remettre leurs stocks d’armes. Parce qu’elle

6 avait refusé de rendre les armes, la TO de Slovénie parvint à se

7 défendre avec succès. En Croatie, la plupart des unités avaient

8 rendu leurs armes, ce qui explique les difficultés initialement

9 éprouvées par la TO croate pour assurer sa défense.

10 Lorsque la Bosnie manifesta l’intention de devenir

11 indépendante, la JNA commença à restituer les armes à la population

12 serbe de Bosnie. En décembre 1991, les tensions devenant sans cesse

13 plus vives sur son territoire, la Bosnie demanda la reconnaissance

14 diplomatique de la Communauté européenne. Les Serbes de Bosnie

15 constituèrent alors leur propre Région autonome serbe en Bosnie.

16 En mars 1992, un référendum s’est tenu en vue de déterminer la

17 participation future de la Bosnie à la République socialiste

18 fédérative de Yougoslavie. Les dirigeants serbes de Bosnie ont

19 boycotté le référendum. Malgré le boycottage, le taux de

20 participation a atteint 63 %, et 90 % des votants ont opté pour

21 l’indépendance. Le 6 mars 1992, le Président Izetbegovic a proclamé

22 l’indépendance de la Bosnie, invitant la communauté internationale à

23 la reconnaître. Certains pays ont reconnu la Bosnie dès le

24 6 avril 1992. Le 7 avril 1992, les chefs serbes de Bosnie ont

25 proclamé ce qui allait devenir la Republika Srpska indépendante.

Page 19

1 Suite à quoi éclata une guerre brutale.

2 Entre les mois de mars et de mai 1992, la JNA, assistée par

3 des unités de Défense territoriale, des forces de police et divers

4 groupes paramilitaires, tels que ceux dirigés par Šešelj et Arkan,

5 ont lancé une série d’attaques et d’occupations apparemment

6 coordonnées pour s’assurer des principaux points d’entrée en Bosnie

7 ainsi que des grandes voies de communication et de logistique, par

8 exemple à Bosanski Brod le 27 mars 1992; à Derventa et Bijeljina le

9 2 avril 1992; à Kupres le 4 avril 1992; à Foca et Zvornik le

10 8 avril 1992; à Višegrad le 13 avril 1992; à Bosanski Šamac le

11 17 avril 1992; à Vlasenica le 18 avril 1992; à Brcko et Prijedor le

12 30 avril 1992.

13 S’il plaît à la cour, je demanderais au technicien d’afficher

14 à l’écran la carte 2-20.

15 PRESIDENT DU TRIBUNAL : M. Niemann, puis-je présumer qu’elles seront

16 identifiées et déposées comme élément de preuve ?

17 M. NIEMANN : Déposées comme élément de preuve, Madame la Présidente.

18 PRESIDENT DU TRIBUNAL : C’est la carte 2 de — je n’ai pas entendu le

19 reste.

20 M. NIEMANN : 2-20. C’est sa cote informatique, Madame la Présidente. Comme

21 vous pouvez le voir, Madame, Messieurs de la Cour, le nom de

22 certaines villes est mis en relief sur cette carte : Brcko, Bosanski

23 Šamac, Prijedor et Vlasenica. On peut voir les Républiques voisines

24 de Serbie et du Monténégro, et la Croatie se trouve à gauche.

25 A mesure que les assauts progressaient, les groupements serbes

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1 armés menaient une campagne de terreur afin de forcer les non-Serbes

2 et les populations « déloyales » aux Serbes à abandonner les zones

3 occupées. La dénomination donnée à cette pratique — « nettoyage

4 ethnique » — fut inventée par le dirigeant extrémiste nationaliste

5 serbe Vojislav Šešelj.

6 Le 19 mai 1992, cherchant apparemment à se distancer du

7 conflit bosniaque, Belgrade décréta que la JNA opérant en Bosnie se

8 scinderait en Armée serbe en Bosnie (qui deviendra plus tard l’Armée

9 de la Republika Srpska ou VRS) et en Armée de Yougoslavie, ou VJ.

10 Toutefois, l’Armée de la Republika Srpska (VRS) resta

11 essentiellement intacte, dotée d’un matériel important, notamment

12 des blindés, de l’artillerie lourde et des munitions. La seule

13 différence notable était que la nouvelle VRS (l’Armée de la

14 Republika Srpska) était formée de Serbes de Bosnie, tandis que les

15 soldats serbes non bosniaques, venus de Serbie, purent entrer dans

16 la Yougoslavie-croupion.

17 Toutefois, malgré les déclarations destinées au grand public,

18 les officiers ne furent pas invités à partir mais bien à rester et,

19 de ce fait, les officiers de la VRS, l’Armée de la Republika Srpska,

20 sont en grande partie les mêmes que ceux qui avaient commandé les

21 mêmes unités pour la JNA. En outre, l’appui direct apporté à la VRS

22 par la JNA et la République fédérale de Yougoslavie a été maintenu,

23 y compris le paiement de la solde des officiers. l’Armée de la

24 Republika Srpska recevait également un appui logistique direct à

25 tous les niveaux. C’est ainsi que Belgrade a continué de participer

Page 21

1 de façon importante au conflit après la scission de l’Armée

2 yougoslave en mai 1992.

3 L’offensive de printemps d’avril-mai 1992 menée par la JNA

4 avec l’aide d’unités de la Défense territoriale, de forces de police

5 et de groupes paramilitaires pro-serbes avait été préparée comme une

6 attaque systématique coordonnée. Les préparatifs de l’offensive

7 avaient débuté fin 1991. La JNA a fourni des armes et des munitions

8 aux groupes paramilitaires et aux volontaires bosno-serbes, tout en

9 désarmant la population non serbe.

10 Dans les zones où les Serbes ne contrôlaient pas les

11 administrations locales, notamment la police, aucun effort ne fut

12 épargné pour saper l’autorité des ces administrations. Dans la

13 plupart des villes occupées, les Serbes constituaient un « état-

14 major de crise » pour prendre en main l’administration locale, y

15 compris la Défense territoriale. En pareil cas, la population serbe,

16 bosno-serbe était prévenue à l’avance de ce qui allait se produire.

17 Dans les villes qui devaient être attaquées, soit par la JNA, soit

18 par des groupes paramilitaires, soit par les deux, une grande partie

19 de la population bosno-serbe était évacuée avant que l’assaut ne

20 soit lancé. Cela s’est répété de façon uniforme dans toute la

21 Bosnie.

22 Nombre de Musulmans ont cherché à négocier une solution dans

23 l’espoir d’éviter des violences. De ce fait, les Musulmans ne se

24 sont guère préparés pour faire face à l’assaut serbe.

25 Les opérations militaires de la JNA et des groupes

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1 paramilitaires pro-serbes se sont toutes déroulées sur un même

2 modèle. De lourds barrages d’artillerie étaient d’abord dirigés sur

3 les quartiers non serbes afin de décourager la résistance, puis les

4 non-Serbes étaient expulsés de la zone et toute résistance

5 éventuelle était impitoyablement écrasée. Les assauts d’artillerie

6 de la JNA étaient habituellement coordonnés avec des combats de rue

7 menés par les groupes paramilitaires, aidés par des irréguliers

8 serbes pour les combats de rue et pour rassembler les non-Serbes de

9 l’endroit. Les groupes paramilitaires opéraient dans toute la

10 Bosnie. Le rassemblement des populations non serbes était une

11 opération systématique et exhaustive pour laquelle les groupes

12 paramilitaires utilisaient des renseignements recueillis sur place

13 et faisaient identifier les non-Serbes par des irréguliers locaux.

14 Une fois que la population non serbe était rassemblée, on en

15 faisait le tri : les femmes, les enfants et les hommes âgés étaient

16 séparés des hommes en âge de servir, bien que parfois, en certains

17 endroits, les hommes aient été séparés des femmes et des enfants,

18 laissant les femmes beaucoup plus exposées au viol et aux sévices.

19 Des tactiques de terreur telles que le meurtre, le viol et la

20 torture étaient utilisées apparemment avec la complicité tacite des

21 chefs paramilitaires. La JNA et les chefs paramilitaires

22 participaient à cette activité pendant les rafles dans les quartiers

23 non serbes. La terreur servait à intimider, à décourager toute

24 résistance et à obliger les non-Serbes à quitter la zone.

25 Après l’assaut militaire, les états-majors de crise prenaient

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1 le relais. Ces états-majors de crise collaboraient étroitement avec

2 les militaires et, habituellement, comptaient des militaires au sein

3 de leurs comités. Ils fixaient les couvre-feux, limitaient les

4 déplacements, licenciaient les non-Serbes de leurs emplois et

5 continuaient le processus d’identification ainsi que

6 l’identification de la population non serbe. Pendant les assauts ou

7 par la suite, les symboles culturels et religieux non serbes tels

8 que mosquées et églises catholiques étaient détruits.

9 Les entreprises et les habitations non serbes étaient aussi

10 systématiquement détruites.

11 Pour loger la population non serbe qui avait été identifiée et

12 rassemblée par les militaires ou l’état-major de crise, les Serbes

13 créèrent une série de camps dans toute la Bosnie. Les conditions

14 régnant dans les camps étaient généralement épouvantables. Les camps

15 étaient aussi classés selon leur utilisation. Certains camps étaient

16 utilisés pour les femmes et les enfants et les viols et mauvais

17 traitements y étaient monnaie courante. D’autres camps servaient de

18 centres de torture où les hommes (mais pas toujours seulement les

19 hommes) étaient sauvagement battus et tués. Les conditions de

20 brutalité régnant dans les camps soutenaient une campagne de terreur

21 visant à persuader les non-Serbes d’abandonner leur domicile et de

22 quitter la région, sinon ils seraient exterminés.

23 Les événements en cause sont concentrés dans une région du

24 nord-ouest de la Bosnie appelée municipalité de Prijedor.

25 Sa principale agglomération, Prijedor, porte le même nom que la

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1 municipalité. Mais on y trouve d’autres localités, qui seront

2 mentionnées dans les moyens de preuve : Kozarac, Trnopolje, Omarska,

3 Hambarine, Kozarusa, Kamicani, Jaskici et Sivici, pour ne mentionner

4 que celles-là.

5 S’il plaît à la Cour, je demanderais au technicien de mettre à

6 l’écran la carte 2-21 qui montre la municipalité de Prijedor

7 entourée des municipalités de Sanski Most, Banja Luka, Bosanski Novi

8 et des autres que l’on peut voir à l’écran.

9 Madame, Messieurs de la Cour, Prijedor était important pour

10 les Serbes car la ville occupe une position stratégique dans un

11 couloir qui relie la région à domination serbe dans la Krajina

12 croate à l’ouest à la Serbie et au Monténégro à l’est et au sud.

13 Pendant la seconde guerre mondiale, c’était le centre du territoire

14 oustachi où les Serbes ont été l’objet d’épouvantables tortures.

15 Avant la guerre, la population de Prijedor était presque également

16 composée de Musulmans et de Serbes. Mais en juin 1993, sur près de

17 50 000 Musulmans qui vivaient dans la municipalité, à peine un

18 millier n’étaient pas partis ou n’avaient pas été tués.

19 Bien que les résultats des élections de 1990 aient indiqué que

20 l’administration locale devait être exercée en commun par les

21 Musulmans et les Serbes, les Serbes de Bosnie, qui, auparavant,

22 dominaient l’administration locale, se sont opposés à ce que les

23 Musulmans assument le contrôle des institutions locales. Fin 1991,

24 les Serbes de Prijedor ont reçu instruction de la direction centrale

25 du Parti nationaliste serbe (le SDS) de se préparer à investir

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1 toutes les institutions locales. Le quartier général de crise serbe

2 de Prijedor a été constitué immédiatement après que la région ait

3 été investie militairement par la JNA le 30 avril 1992.

4 La situation militaire dans la région de Prijedor était

5 dominée par le 5e Corps de la JNA, dont le quartier général était à

6 Banja Luka. Après le 19 mai 1992, le 5e Corps fut désigné 1er Corps

7 Krajina de l’Armée de la Republika Srpska, mais sous les ordres du

8 même général et avec les mêmes officiers. C’est le 5e Corps qui

9 ordonna le déploiement de l’artillerie et des troupes sur les

10 collines entourant la région de Kozarac, d’où elles surplombaient la

11 population des zones situées en contrebas.

12 Les signaux de télévision reçus à Prijedor étaient

13 principalement émis d’un pylône situé sur le mont Kozarac.

14 Cependant, en 1992, les habitants de Prijedor constatèrent qu’ils ne

15 pouvaient plus recevoir la télévision de Sarajevo ou de Zagreb, mais

16 uniquement celle de Belgrade. La télévision de Belgrade diffusait de

17 la propagande anti-musulmane et anti-croate d’une intensité

18 croissante et elle accusait sans cesse les extrémistes non serbes de

19 comploter contre les Serbes.

20 Le soir du 30 avril 1992, les forces serbes se sont emparées

21 de la ville de Prijedor. Elles ne rencontrèrent aucune résistance.

22 La police non serbe déposa les armes. Les Serbes saisirent le

23 contrôle de l’administration civile et rebaptisèrent la municipalité

24 « Srpska Opstina Prijedor ». Pendant les quelques semaines qui

25 suivirent, Radio Prijedor diffusa à de nombreuses reprises des

Page 26

1 messages demandant aux non-Serbes de rendre leurs armes.

2 Les non-Serbes se virent signifier l’interdiction de voyager et ils

3 furent licenciés de leurs emplois. Les communications en provenance

4 des villages musulmans furent interrompues. Le 22 mai 1992, pendant

5 une confrontation à un poste de contrôle musulman établi à

6 Hambarine, un village à majorité musulmane, deux Serbes furent tués.

7 Le lendemain, les forces serbes attaquèrent le village avec de

8 l’artillerie et des blindés. Le village fut détruit et la population

9 prit la fuite.

10 La ville de Kozarac se trouve près du centre de la

11 municipalité de Prijedor. Rien de particulier ne distinguait cette

12 ville de la multitude des autres villes de Bosnie, sauf que sa

13 population était en majorité musulmane. Lorsque la guerre atteignit

14 Kozarac, ce fut avec une férocité particulière. L’assaut de Kozarac

15 présentait les mêmes éléments caractéristiques que partout ailleurs

16 en Bosnie lorsque la JNA, appuyée par des forces paramilitaires et

17 des irréguliers, attaquaient des zones non serbes. Des points de

18 contrôle furent établis, des restrictions furent imposées à la

19 liberté de mouvement. On invoqua un prétexte fallacieux pour

20 justifier l’assaut serbe, alors que les Musulmans étaient

21 généralement mal préparés à la guerre.

22 Lorsque la JNA eut encerclé la zone de Kozarac, le commandant

23 militaire serbe, Radmilo Zeljaja, exigea que les Musulmans de

24 l’endroit jurent fidélité au pouvoir serbe sous peine

25 d’extermination. La ville de Kozarac proprement dite comptait

Page 27

1 environ 4 000 habitants. Kozarac était essentiellement un village

2 musulman et près de 3 700 de ses 4 000 habitants étaient musulmans.

3 Kozarac était le centre le plus proche des villages voisins de

4 Trnopolje, Kozarusa et Kamicani. La ville possédait une école, un

5 dispensaire médical, un poste de police, plusieurs mosquées, une

6 église orthodoxe, un poste ambulancier, plusieurs restaurants,

7 salons de coiffure, des commerces divers et ainsi de suite.

8 La principale activité économique de l’endroit était le bois d’œuvre

9 et une scierie était située aux limites de l’agglomération. La rue

10 principale comptait un certain nombre de bars et de cafés où la

11 population locale se rencontrait régulièrement.

12 Jusqu’aux années 90, les divers groupes ethniques se

13 rencontraient librement entre eux, mais lorsque les nuées du conflit

14 commencèrent à s’accumuler, les indices de tension devinrent de plus

15 en plus visibles à Kozarac.

16 L’un des bars du centre-ville, situé en face de l’école dans

17 la rue du Maréchal Tito, s’appelait le café « Nipon ». Ce bar

18 appartenait à l’accusé Dusko Tadic, aussi appelé Dule ou Dusan

19 Tadic. Tadic, né à Kozarac le 1er avril 1995 (sic), est le fils d’un

20 ancien combattant serbe décoré de la seconde guerre mondiale, Ostoje

21 Tadic, et de sa femme Staka. Après ses études secondaires, Dusko

22 Tadic fait son service militaire. A son retour à Kozarac, il

23 se marie.

24 Tadic s’est longtemps intéressé au karaté, sport où il a

25 excellé et a obtenu la ceinture noire. Il monta une école de karaté

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1 qui fit faillite. Il enseignait le karaté à l’école locale de

2 Kozarac, en face de chez lui. Il avait un certain nombre d’amis qui

3 s’intéressaient aussi au karaté, dont plusieurs Musulmans. Ces

4 jeunes hommes mesuraient souvent leur prouesse en fonction de leur

5 maîtrise au karaté. Le café-bar était installé au rez-de-chaussée de

6 sa maison.

7 L’accusé Tadic semblait vivre en bonne intelligence avec la

8 population musulmane et l’un de ses proches associés était un

9 certain Emir Karabasic. Mais avec l’approche de la guerre de 1992,

10 tout cela allait changer. Tadic allait faire preuve de solides

11 sentiments nationalistes serbes et adopter progressivement une

12 attitude anti-Musulmans. Il commença à participer à la vie

13 politique, surtout avec l’apparition du Parti nationaliste serbe,

14 le SDS.

15 Au vu des ses penchants avoués pour les nationalistes serbes,

16 les forces serbes ont fait appel à ses services pendant l’offensive

17 du printemps 1992 contre Kozarac. Juste avant l’assaut de Kozarac du

18 24 mai 1992, sachant pertinemment ce qui se préparait, Tadic évacua

19 les membres de sa famille de Kozarac pour les soustraire au feu de

20 l’armée serbe en marche.

21 Tadic s’est volontiers laissé exploiter par les Serbes comme

22 source importante de renseignements et parce qu’il était en mesure

23 d’identifier les Musulmans, les Croates et les autres habitants de

24 l’endroit qui n’étaient pas loyaux à la cause serbe. Il accomplit

25 habilement sa tâche dans la plus pure tradition de la « cinquième

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1 colonne ». En 1992, il sortit d’une relative obscurité pour se

2 transformer en une personnalité influente dans la région de Kozarac

3 du fait de sa nouvelle situation au sein du SDS. Sans aucun doute sa

4 connaissance de l’endroit et sa fiabilité notoire présentaient une

5 utilité considérable pour les administrations serbes civile

6 et militaire.

7 Tandis que les habitants de Kozarac, surtout musulmans,

8 essayaient désespérément de négocier un règlement pacifique de la

9 crise afin d’éviter effusions de sang et destructions, les Serbes

10 attaquèrent. Tadic, jusqu’à la onzième heure, se faisait passer pour

11 ami des Musulmans. Il assistait aux négociations entre les Serbes et

12 les Musulmans, prétendant appuyer ces derniers mais sachant très

13 bien qu’en réalité, il n’avait pas la moindre intention de soutenir

14 leur cause.

15 Le bombardement de Kozarac et des villages voisins par

16 l’artillerie commença le 24 mai 1992 et dura deux jours. Tadic

17 pouvait enfin sortir de la clandestinité. Prévenu à l’avance, Tadic,

18 appliqua le plan arrêté et se fit l’auxiliaire des militaires serbes

19 encerclant la ville et aida l’artillerie en tirant des fusées

20 éclairantes, de nuit, au-dessus des cibles qu’il avait choisies.

21 Le bombardement de Kozarac par l’artillerie cessa le

22 27 mai 1992. Sans défense, terrifiés et dans l’impossibilité de

23 négocier un cessez-le-feu, les habitants, essentiellement des

24 Musulmans et des non-Serbes brandissant des drapeaux blancs,

25 sortirent par milliers de leurs abris, de leurs caves enfouies sous

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1 les décombres, ou du lit des ruisseaux où ils avaient cherché

2 refuge. Ces gens n’étaient pas des soldats, ils ne portaient pas

3 d’armes, c’étaient pour la plupart des civils et il y avait parmi

4 eux des femmes, des enfants et des personnes âgées. C’étaient les

5 citoyens innocents de l’endroit.

6 Les soldats serbes et les civils armés serbes de l’endroit,

7 dont Tadic qui, entretemps, s’était armé d’une arme automatique,

8 ordonnèrent à ces malheureux de garder le silence et la tête

9 courbée. On les fit défiler dans Kozarac, comme un trophée de

10 guerre, sous les quolibets et les insultes lancés par les

11 spectateurs serbes. On fit sortir des rangs certains Musulmans et

12 non-Serbes qui furent battus ou tués. Des cadavres étaient laissés

13 sur le bas-côté de la route à mesure que la colonne avançait.

14 On faisait sortir des rangs les jeunes en âge de combattre pour les

15 fusiller sous les yeux de leurs pères et mères horrifiés.

16 Dans cette colonne se trouvaient Ismet et Ekrem Karabasic,

17 leur neveu Seido Karabasic, âgé de 21 ans, et Redo Foric. Aucun de

18 ces hommes n’était armé. Ils ne présentaient aucune menace militaire

19 quelle qu’elle soit. Ils étaient tous musulmans. Ils étaient avec

20 les membres de leur famille. Apparemment, tous étaient connus de

21 Tadic et de son complice d’alors, Goran Borovnica. Borovnica était

22 ami intime de Tadic avant la guerre et il est resté son ami pendant

23 la guerre.

24 Ce jour-là, Tadic et Borovnica agissaient de concert. À mesure

25 que la colonne approchait du centre de Kozarac, Borovnica et Tadic,

Page 31

1 qui se trouvaient près d’un petit bar où l’on servait des grillades,

2 faisaient l’appel des membres de la colonne et leur ordonnaient de

3 sortir du rang. A proximité se trouvaient une vingtaine de cadavres

4 entassés.

5 Tadic et Borovnica appelèrent Ismet, Ekrem et Seido Karabasic

6 et Redo Foric. Les hommes furent forcés de se mettre debout face au

7 mur, les mains levées au-dessus de la tête. Ils furent ensuite

8 abattus par des rafales d’armes automatiques.

9 Quant aux non-Serbes de Kozarac, leurs familles furent

10 séparées. Des êtres aimés leur furent enlevés et n’ont jamais

11 reparu. Leurs biens furent détruits, leurs espoirs, leurs rêves

12 furent anéantis. Une terreur inimaginable avait commencé à régner.

13 Les hommes étaient séparés des femmes et des enfants. Certains

14 hommes furent amenés au poste de police de Prijedor où beaucoup

15 furent battus. Pour beaucoup de ces hommes, ce n’était que le début

16 d’une campagne d’intenses sévices corporels.

17 La plupart des hommes aboutissaient dans des camps, à Omarska

18 ou à Keraterm. Les autres, y compris les femmes et les enfants,

19 étaient envoyés à Trnopolje. Les conditions étaient effarantes dans

20 tous les camps, mais ceux d’Omarska et de Keraterm se distinguent

21 comme ceux où ont été commises les plus horribles atrocités.

22 Il existe des preuves d’une coordination entre ces camps.

23 Les trois principaux camps de la municipalité, je l’ai dit,

24 étaient ceux d’Omarska (un ancien complexe minier), de Keraterm

25 (une ancienne fabrique de céramique) et de Trnopolje (une ancienne

Page 32

1 école). Les localités où ces camps sont situés figurent sur la carte

2 2-22 que je demande de faire afficher à l’écran. Madame, Messieurs

3 de la Cour, vous pouvez voir là les villes de Kozarac, Trnopolje et,

4 tout en bas dans le coin à droite, Omarska. Le camp de Keraterm fait

5 partie de la ville de Prijedor et n’est donc pas mentionné sur cette

6 carte. Mais on peut voir que ces camps sont tous proches de la ville

7 de Prijedor.

8 C’est à Omarska qu’étaient internés les notables de la

9 communauté musulmane, les intellectuels, les politiciens, les hommes

10 d’affaires. Ce camp contenait moins de prisonniers que les autres,

11 comme celui de Trnopolje. Les prisonniers détenus à Omarska étaient

12 systématiquement exécutés, battus, ou soumis à d’autres horribles

13 dégradations.

14 Le camp de Keraterm était installé, je l’ai dit, dans une

15 ancienne fabrique de céramique à la limite de l’agglomération de

16 Prijedor. Le camp comprenait un grand bâtiment divisé en cellules.

17 Il n’y avait aucun moyen de chauffage ou de ventilation et, le sol

18 cimenté étant à nu, les prisonniers avaient rassemblé quelques

19 palettes de bois sur lesquelles ils dormaient. Les installations

20 sanitaires étaient totalement insuffisantes et les détenus devaient

21 faire leurs besoins dans des tinettes. Le camp était entouré d’une

22 clôture mais la plupart des prisonniers étaient dans un hangar, sous

23 garde armée.

24 Ils recevaient un repas par jour, servi dans des conditions

25 d’hygiène déplorables. Les aliments étaient souvent avariés ou, dans

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1 le cas de la soupe, si coupée d’eau qu’elle n’avait aucune valeur

2 nutritive. Lorsque les prisonniers allaient prendre leurs repas, ils

3 devaient traverser une haie de gardiens qui les rouaient de coups,

4 avec une telle violence que, souvent, les victimes renonçaient à

5 manger pour éviter d’être encore battues, ce qui aggravait davantage

6 leur état physique.

7 Beaucoup de détenus ont perdu jusqu’à la moitié de leur poids

8 corporel pendant les mois qu’ils ont passés dans les camps. Certains

9 sont simplement morts de malnutrition, ou ont succombé à l’effet

10 conjugué de sévices corporels et d’inanition. Le camp a compté

11 jusqu’à 1 500 prisonniers qui transitaient par le camp de façon

12 continue. La quasi totalité des détenus étaient des hommes.

13 On estime qu’un très grand nombre des prisonniers qui ont été amenés

14 au camp sont morts.

15 Comme je l’ai dit, le camp d’Omarska était en bordure de la

16 localité du même nom. Il occupait l’emplacement d’une mine de fer

17 dont l’exploitation avait cessé. Le camp était au siège de la mine.

18 Il était formé de trois bâtiments principaux auxquels les témoins se

19 réfèrent dans leurs déclarations comme « la maison blanche », le

20 « bâtiment de l’administration », le « garage » ou le « bâtiment du

21 tombereau ». Il y a aussi un « petit garage », mais il est mitoyen

22 avec le bâtiment de l’administration proprement dit.

23 Au centre de ces bâtiments se trouvait une grande dalle de

24 béton mesurant environ 17 mètres sur 30 mètres, que les prisonniers

25 appelaient « la piste ». Beaucoup de prisonniers passaient le plus

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1 clair de leur temps sur cette dalle en plein air. Les conditions

2 régnant dans le camp en matière d’alimentation, d’hygiène et de

3 logement étaient très semblables à celles de Keraterm, de même que

4 les traitements réservés aux prisonniers. Le camp n’accueillait

5 quasiment que des hommes, mais quelques femmes y étaient aussi

6 internées. Il y avait un quartier spécial et un traitement spécial

7 pour les notables de la communauté musulmane, membres de professions

8 libérales, médecins, avocats et officiers de police. Au maximum, un

9 effectif de 2 000 à 3 000 détenus était constamment en transit dans

10 le camp. On estime qu’un très grand nombre de prisonniers de ce camp

11 ont aussi perdu la vie.

12 Trnopolje est souvent considéré comme le moins violent de ces

13 trois camps, mais les conditions y étaient aussi déplorables.

14 La population du camp était des deux sexes, et des enfants y étaient

15 aussi détenus. Le camp était situé dans le village de Trnopolje, à

16 environ trois kilomètres de Kozarac. Il a changé de rôle à plusieurs

17 reprises pendant l’année 1992, tantôt centre de torture, tantôt

18 centre de détention, en fonction essentiellement des visites du

19 Comité international de la Croix-Rouge. Tantôt il était clôturé,

20 tantôt non. Beaucoup de ses détenus pouvaient sortir sans

21 autorisation pour s’approvisionner en produits alimentaires ou

22 autres, mais cette liberté de mouvement dépendait de la situation

23 du moment.

24 Au camp de Trnopolje, les prisonniers se faisaient souvent

25 leur propre abri individuel au moyen de feuilles de matière

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1 plastique. Bien que les conditions régnant dans ce camp, du point de

2 vue des sévices et des brutalités, aient été meilleures, pour la

3 plupart des prisonniers, qu’à Omarska et à Keraterm, les sévices,

4 les viols, les meurtres et les autres formes de mauvais traitements

5 étaient néanmoins monnaie courante. Ce camp était installé dans une

6 école et la plupart des prisonniers étaient logés dans le gymnase.

7 Les gardiens logeaient de l’autre côté de la route, dans un bâtiment

8 situé en face du camp, que les témoins appellent aussi la « maison

9 blanche » qu'il ne faut pas confondre avec la « maison blanche »

10 d’Omarska.

11 Tous les camps avaient leur propre structure de commandement

12 et les gardiens étaient organisés en équipes de poste dirigées

13 chacune par un chef de poste. Une coordination existait entre les

14 camps, lesquels étaient administrés par les autorités civiles avec

15 la coopération des militaires, en particulier pour les

16 interrogatoires brutaux. Bien que certains gardiens aient parfois

17 battu ou tué des prisonniers, certains Serbes de l’endroit

18 pénétraient dans le camp pour y battre et y tuer des prisonniers

19 musulmans désignés par eux. On sait mal en fonction de quels

20 critères étaient choisis ces Serbes bosniaques que l’on laissait

21 entrer dans le camp pour y commettre des actes de terreur

22 particulièrement brutaux, sans doute en application de la politique

23 de nettoyage ethnique.

24 Il semblerait cependant que ces bourreaux serbes

25 correspondaient à une catégorie particulière; soit ils avaient des

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1 penchants politiques anti-Musulmans et ethnocentriques qui les

2 amenaient à commettre ces actes, soit ils avaient des tendances

3 sadiques et prenaient plaisir à infliger douleurs et souffrances à

4 leurs victimes sans défense, et ils servaient ainsi d’auxiliaires

5 utiles aux autorités.

6 Tadic, l’accusé, n’était pas un gardien de camp. Il était

7 policier réserviste, mais on le voyait souvent pénétrer dans les

8 camps de la région de Prijedor avec des listes de noms de Musulmans

9 à qui étaient réservés des traitements particulièrement brutaux.

10 Lorsque Tadic entrait dans les camps, il allait au-delà des

11 fonctions ordinaires qui étaient exigées de lui en qualité de

12 policier. On suppose qu’en récompense de ses services, il

13 bénéficiait de privilèges particuliers, notamment en matière de

14 logement et autres. Par la suite, il jouira d’un statut spécial dans

15 l’administration locale et il sera chargé de l’aide humanitaire,

16 poste d’une certaine importance et de confiance en ces temps

17 de pénurie.

18 Tadic semblait occuper un poste hiérarchiquement supérieur à

19 celui des gardiens, et peut être supérieur à celui des commandants

20 de camps, mais cela ne résultait pas de son rang dans la police mais

21 plutôt, semblerait-il, de son autorité politique. Les moyens

22 de preuve montreront qu’il était autorisé à pénétrer dans tel ou tel

23 camp, de façon quasiment impromptue, pour s’y livrer à des

24 agressions, à des viols et à des sévices sexuels sur les prisonniers

25 de son choix. Il semble qu’il a aussi été autorisé à amener des

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1 complices avec lui, pour l’aider dans ses déchaînements de violence

2 et de terreur. Tadic et tous ceux qui ont accompli ces tâches ont

3 été vus avec des listes de noms à la main, listes qu’ils

4 consultaient avant d’appeler ceux qu’ils avaient choisis pour être

5 victimes de leurs tortures.

6 Les témoins mentionneront ces listes à de nombreuses reprises

7 au cours de leurs témoignages.

8 Vers le milieu de l’après-midi d’une journée de 1992, l’accusé

9 Tadic est entré au camp d’Omarska avec un groupe de Serbes

10 bosniaques. Ils sont allés au grand garage appelé « le hangar ».

11 Ils ont ensuite appelé nommément un certain nombre de personnes,

12 dont Emir Karabasic, Jasmin Hrnic, Enver Alic, Fikret Harambasic, et

13 Emir Berganovic. Ces personnes, de même que toutes les autres qui

14 ont été appelées, étaient dans des pièces différentes du bâtiment.

15 Deux autres hommes incarcérés ont ensuite été appelés et forcés de

16 pratiquer une fellation sur Fikret Harambasic puis de mutiler son

17 organe sexuel. Karabasic, Hrnic, Alic et Harambasic sont morts des

18 suites de ces sévices.

19 Tadic est entré de nouveau au camp d’Omarska le

20 10 juillet 1992 ou à une date voisine. Cette fois-ci, il se rendit à

21 la « maison blanche » que tous les prisonniers considéraient comme

22 l’endroit le plus dangereux du camp. Tadic était accompagné d’un

23 groupe de Serbes en visites. Les prisonniers détenus à la maison

24 blanche et ailleurs furent torturés juste à l’extérieur de la maison

25 blanche. Lorsque les Serbes eurent fini, Tadic jeta dans une pièce

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1 de la maison blanche Sefik Sivac, un restaurateur de Kozarac, ancien

2 ami musulman de Tadic, sévèrement battu et mourant. Sivac mourut des

3 suites de ces sévices.

4 Plus tard, en juillet 1992, cette fois-ci derrière la « maison

5 blanche » du camp d’Omarska, Tadic, en compagnie d’autres Serbes

6 venus de l’extérieur du camp, a gravement battu et roué de coups de

7 pieds Hakija Elezovic, Salih Elezovic, Sejad Sivac et divers autres

8 prisonniers. Les gardiens étaient en treillis camouflés.

9 Ils utilisaient des battes de base-ball et des matraques

10 caoutchoutées. Tadic semblait être le responsable du groupe. Il

11 n’employait aucune arme et se servait uniquement de ses pieds comme

12 au karaté. Salih Elezovic, Sejad Sivac et d’autres prisonniers ont

13 été trouvés morts au même endroit, plus tard dans la journée.

14 Fin juin ou début juillet 1992, de nouveau près de la « maison

15 blanche », Tadic et un groupe de Serbes venus de l’extérieur du camp

16 ordonnèrent à un groupe de prisonniers de s’abreuver comme des

17 animaux à même des flaques d’eau. Puis ils sautèrent sur le dos des

18 prisonniers et les battirent jusqu’à ce qu’ils soient dans

19 l’impossibilité de bouger. Les victimes furent ensuite emportées

20 dans une brouette. Tadic suivait le cortège et il força l’embout

21 d’un extincteur dans la bouche d’une des victimes.

22 Vers le 8 juillet 1992, toujours dans la maison blanche, Tadic

23 et un groupe de Serbes venus de l’extérieur du camp appelèrent

24 individuellement certains prisonniers d’une salle de la « maison

25 blanche » et les amenèrent dans une autre salle où ils furent

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1 battus. L’un des prisonniers était Hase Icic. Hase Icic fut amené à

2 la salle des tortures où Tadic, aidé de ses complices, le battit et

3 le roua de coups de pieds jusqu’à ce qu’il perde connaissance.

4 Tous les Musulmans, Croates et Serbes rebelles n’avaient pas

5 été rassemblés lors de la première vague de nettoyage ethnique qui

6 avait suivi l’assaut serbe sur Kozarac et les zones voisines de la

7 municipalité de Prijedor; certaines gens, surtout des hommes âgés,

8 des femmes et des enfants, pour la plupart musulmans, avaient été

9 autorisés à rester dans leur village. Ils devaient respecter le

10 couvre-feu et n’avaient pas le droit de se déplacer, ce qui en

11 faisait des prisonniers des Serbes, sauf qu’ils ne devaient pas

12 vivre dans des camps. Cette situation de quasi assignation à

13 résidence n’allait pas durer longtemps, car une dizaine de jours

14 après les premières rafles, ce fut au tour de ces Musulmans oubliés

15 d’être ethniquement nettoyés.

16 Dans les villages de Jaskici et Sivici, situés au sud-ouest de

17 la ville de Prijedor, vers le 14 juin 1992, Tadic et un groupe de

18 Serbes en armes sont arrivés au village pour y mettre en œuvre la

19 politique serbe de nettoyage ethnique. Tadic et les autres Serbes

20 sont entrés à Jaskici en sautant des clôtures comme des chasseurs en

21 campagne. Ils crièrent à tous les habitants de sortir de chez eux.

22 Ceux qui étaient dehors où qui sortirent reçurent l’ordre de se

23 coucher sur la chaussée.

24 Abaz Jaskic, né en 1942, et son fils Nijis Jaskic, né en 1964,

25 furent tués ce jour-là au village. Les Serbes se rendirent au

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1 domicile de Sakib et Osme Elkasevic. Puis, avec Alija Javor, qui

2 n’était pas un habitant du village, ils furent aussi tués ce

3 jour-là.

4 Salko Jaskic, Beido Balic et Sefik Balic reçurent des Serbes

5 l’ordre de sortir de chez Salko et de se coucher sur la chaussée.

6 Ismet Jaskic, Meho Kenjar, Adam Jakupovic et Nijas Elkasevic furent

7 aussi emmenés en voiture un peu plus loin sur la route et ils

8 reçurent l’ordre de se coucher sur la chaussée devant chez Salko

9 Jaskic.

10 Pendant qu’ils gisaient à terre, les hommes furent tous battus

11 par les deux groupes de Serbes au moyen de piquets de clôture et

12 d’armes semblables. Tous les Serbes, y compris l’accusé Tadic,

13 semblaient participer. Certains Serbes marchaient sur le dos de la

14 victime la plus âgée, Meho Kenjar, comme pour l’écraser.

15 Aucun de ces hommes musulmans n’était armé et n’a offert de

16 résistance. On emmena ceux qui n’avaient pas été tués; ils n’ont pas

17 été revus depuis.

18 Pendant la plus grande partie de 1992, les autorités serbes

19 menèrent une campagne de persécution contre les non-Serbes de la

20 municipalité de Prijedor. Ils persécutaient les non-Serbes car ils

21 voulaient débarrasser la municipalité de toute influence musulmane

22 ou croate.

23 Tadic participait avec les forces serbes à cette persécution

24 qui se manifestait par l’attaque, la destruction et le pillage des

25 quartiers résidentiels habités par des Musulmans et des Croates de

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1 Bosnie, par l’arrestation et l’incarcération de milliers de

2 Musulmans et de Croates dans des conditions de brutalité aux camps

3 d’Omarska, de Keraterm et de Trnopolje, et par la déportation et

4 (ou) l’expulsion, par la force ou la menace de la force, de la

5 majorité des habitants musulmans et croates de la municipalité.

6 Pendant ce temps, les forces serbes, parmi lesquelles se trouvait

7 Dusko Tadic, ont mené contre les Musulmans et les Croates, à

8 l’intérieur comme à l’extérieur des camps, une campagne de terreur

9 et d’agression psychologique.

10 Tadic a participé activement, je l’ai dit, à l’attaque de

11 Kozarac. Sa participation au lancement des fusées nécessaires pour

12 éclairer le village de nuit, afin que l’artillerie et les chars

13 puissent pointer leurs canons alors que le village était pilonné, et

14 sa participation directe à l’arrestation, au rassemblement, au tri

15 et au transfert forcé en camps d’internement de la majorité de la

16 population non serbe de la zone sont autant de preuves de sa

17 participation.

18 Tadic a aussi participé aux meurtres et aux sévices dont ont

19 été victimes un certain nombre des personnes arrêtées, y compris le

20 meurtre d’un homme âgé et d’une femme près du cimetière dans le

21 « vieux » Kozarac et le passage à tabac d’un certain nombre d’hommes

22 musulmans qui avaient été arrêtés et qui étaient détenus au

23 cantonnement militaire de Prijedor.

24 Le fait que Tadic ait participé directement aux meurtres,

25 tortures, sévices sexuels et passages à tabac de nombre des détenus

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1 au camp d’Omarska et qu’il ait participé aux passages à tabac des

2 détenus et aux pillages au camp de Keraterm apporte une nouvelle

3 preuve de sa participation à cette campagne de persécution.

4 Outre ce qui précède, pendant la période allant du 25 mai 1992

5 au 31 décembre 1992, Tadic a physiquement participé et a aidé par

6 d’autres moyens au transfert et à l’internement illicite au camp de

7 Trnopolje de non-Serbes de la région de Kozarac. Pendant la période

8 allant de septembre 1992 à décembre 1992, au camp de Trnopolje et

9 dans les zones voisines, Tadic a participé, physiquement ou d’une

10 autre manière, au meurtre de plus de 30 détenus, dont un groupe

11 d’hommes exécutés dans un champ de pruniers contigu au camp. Tadic a

12 participé, physiquement ou d’une autre manière, à la torture de plus

13 de 12 prisonnières, notamment à plusieurs viols collectifs, qui se

14 sont déroulés dans le camp et dans une « maison blanche » contiguë

15 au camp.

16 Pendant l’attaque et l’arrestation des populations non serbes

17 de Kozarac et des environs, les forces serbes pillaient et

18 détruisaient les logements, les entreprises et les biens des

19 non-Serbes. L’arrestation, le transfert et la mise en détention des

20 populations non serbes, ainsi que le pillage et la destruction de

21 leurs biens, se sont poursuivis pendant toute la campagne de

22 persécution des populations non serbes.

23 Tadic était conscient du caractère généralisé des pillages et

24 des destructions des biens meubles et immeubles des non-Serbes et

25 lui-même était physiquement impliqué dans ces actes de pillage et de

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1 destruction. Les prisonniers des camps étaient subjugués et

2 persécutés par des moyens analogues. Les nouveaux prisonniers

3 étaient généralement accueillis par des volées de coups à leur

4 arrivée. Cela se produisait souvent sous les yeux du commandant du

5 camp. A d’autres occasions, les prisonniers ne recevaient rien à

6 manger pendant plusieurs jours après leur arrivée au camp, et même

7 après cela, ils ne recevaient que la ration quotidienne la plus

8 congrue.

9 Au plus fort de l’été, on coupait souvent l’eau aux

10 prisonniers, ou ont leur donnait de l’eau souillée. L’état des

11 toilettes et les conditions d’hygiène étaient inhumains. Et comme si

12 ces traitements ne suffisaient pas, les prisonniers étaient en outre

13 forcés de chanter ou d’écouter des chants nationalistes serbes.

14 Presque tous les prisonniers subissaient des interrogatoires,

15 souvent accompagnés de passages à tabac. Le passage à tabac était

16 monnaie courante, surtout le soir et aux heures des repas.

17 Des prisonniers étaient tués presque tous les soirs, et leurs

18 cadavres étaient entassés jusqu’à ce que le camion de ramassage

19 vienne les enlever au matin.

20 La plupart des gardiens des camps étaient des habitants des

21 villages voisins. Les interrogatoires étaient effectués souvent par

22 des policiers locaux et par des enseignants. De temps en temps, des

23 membres des forces militaires spéciales et certains civils de

24 l’endroit venaient dans les camps pour y battre les prisonniers de

25 façon particulièrement brutale et leur administrer d’autres formes

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1 de torture.

2 Début août 1992, la presse internationale et le Comité

3 international de la Croix-Rouge furent autorisés à visiter les

4 camps. Peu avant les visites, la plupart des prisonniers d’Omarska

5 et de Keraterm furent transférés à Trnopolje et à Manjaca. Un grand

6 nombre furent mis à mort pour tenter une dernière fois d’éradiquer

7 la population musulmane.

8 Les prisonniers qui survécurent à cette épreuve — la plupart

9 du temps parce que les médias et le Comité international de la

10 Croix-Rouge avaient révélé au monde l’existence des camps — furent

11 finalement autorisés à sortir des camps pourvu qu’ils abandonnent

12 leurs biens et quittent la région. A ce stade, les notables et les

13 intellectuels musulmans avaient presque tous été éliminés, et leurs

14 habitations et leurs mosquées détruites. Ceux qui avaient survécu

15 étaient sans emploi et, là où ils étaient jadis chez eux, ils

16 étaient désormais des étrangers en milieu hostile et sans

17 protection. A toutes fins pratiques, une communauté ethnique tout

18 entière venait d’être éliminée de la région. Le nettoyage ethnique

19 avait été accompli.

20 En février 1994, Tadic fut arrêté à Munich (Allemagne) par la

21 police allemande, suite à l'enquête de celle-ci sur les activités de

22 l’accusé. Le 11 octobre 1994, à Munich, l’accusé fut interrogé par

23 la police allemande à la prison Standelheim de Munich. Tadic fut

24 informé qu’il pouvait soit parler des accusations retenues contre

25 lui soit garder le silence, et qu’il avait droit à l’aide d’un

Page 45

1 conseil de son choix. Un conseil de la défense fut nommé pour Tadic

2 et son avocat était présent au poste de police où il fut interrogé

3 par la police.

4 L’accusé indiqua à la police allemande qu’en 1991 il avait été

5 nommé Président du Comité des élections de la région de Kozarac ou,

6 plus précisément, d’une circonscription électorale de la région de

7 Kozarac. Tadic déclara que les individus nommés à leur

8 circonscription électorale respective étaient choisis par la

9 municipalité de Prijedor sur proposition des partis politiques

10 existants. « J’étais Président, aux côtés de trois autres Serbes qui

11 avaient été nommés et qui étaient chargés de la bonne organisation

12 du scrutin », dit-il.

13 Tadic déclara qu’en mai 1992 il avait été désigné comme membre

14 du « Forum civique » local, dont le rôle était d’essayer de résoudre

15 les tensions qui étaient apparues entre les divers partis dans la

16 région de Prijedor. Tadic signala que le Forum était composé de huit

17 Musulmans et de trois Serbes. Il ajouta que, dans ses souvenirs, la

18 guerre avait commencé à Kozarac le 24 mai 1992.

19 Il dit aussi qu’il n’avait jamais pris part à la guerre et

20 qu’il avait quitté Kozarac le 23 mai 1992 pour aller vivre à Banja

21 Luka, avec sa famille. L’accusé déclara avoir vécu avec sa famille à

22 Banja Luka jusqu’au 6 ou au 8 juillet 1992, lorsqu’il avait été

23 mobilisé à Prijedor en sa qualité de réserviste de la police de la

24 circulation, suite à quoi il avait été affecté au village d’Orlovci.

25 Tadic déclara qu’en octobre 1992 il remplissait temporairement

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1 les fonctions de Secrétaire de l’autorité locale à Kozarac et qu’il

2 avait été nommé officiellement à ce poste le 21 décembre 1992.

3 Il déclara que le comité local du SDS avait été fondé en

4 octobre 1992 et qu’il n’avait agi que comme Président temporaire

5 jusqu’à sa nomination officielle en décembre 1992. Il déclara que

6 fin 1992 il avait été nommé comme intermédiaire ou « contact » avec

7 le Comité international de la Croix-Rouge. En mars 1993, il avait

8 été chargé par le Président de l’Assemblée municipale d’organiser la

9 « vie civile » dans la région de Kozarac. Il ajoute que Kozarac

10 était alors pratiquement mort : « ... il fallait reconstruire le

11 village ». Pendant cette période, il était exempté de ses

12 obligations dans la police et de service militaire.

13 Il déclara qu’en août 1993, après avoir rencontré certaines

14 difficultés dans la région de Prijedor, il avait envoyé sa femme et

15 ses enfants en Allemagne et s’était réfugié à Banja Luka, d’où il

16 était ensuite parti pour Belgrade après avoir demandé sans succès le

17 statut de réfugié. Il déclara qu’il était venu en Allemagne comme

18 membre d’une équipe de karaté pour participer à un tournoi en

19 décembre 1993 et qu'on lui avait alors délivré un permis de séjour

20 de courte durée.

21 Tadic nia avoir fait quoi que ce soit pour porter préjudice à

22 des Musulmans, et avoir jamais été au camp d’Omarska : « je n’y ai

23 jamais mis les pieds ».

24 Il déclara qu’il avait été cinq fois au camp de Trnopolje mais

25 que c’était un camp ouvert où les gens étaient libres de leurs

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1 déplacements et qu’il y avait été en mission humanitaire. Tadic

2 admit que, dans la police, on lui avait fourni une arme automatique,

3 un bâton de police, un baudrier-cartouchière et une quantité non

4 précisée de munitions et qu’il possédait personnellement un pistolet

5 qu’il portait quelquefois lorsqu’il était en service, surtout de

6 nuit, et qu’il avait sur lui un couteau à lame de 15 centimètres

7 dont il se servait essentiellement aux repas, et qu’il portait tout

8 cela lorsqu’il était en service comme agent de la circulation.

9 Le procès-verbal de l’interrogatoire de Tadic par les

10 autorités allemandes a été dressé par écrit, lecture lui en a été

11 faite dans sa langue, et Tadic et son conseil y ont tous deux apposé

12 leur signature.

13 Le moment est-il propice, Madame la Présidente ?

14 PRESIDENT DU TRIBUNAL : M. Niemann, de combien de temps avez-vous encore

15 besoin pour votre déclaration liminaire ? Nous avions proposé aux

16 parties, sans fixer de limites fermes, de ne pas y consacrer plus

17 d’une demi-journée.

18 M. NIEMANN : Je n’ai besoin que d’environ une demi-heure.

19 PRESIDENT DU TRIBUNAL : Je ne vous bouscule pas.

20 M. NIEMANN : Une demi-heure au plus, Madame la Présidente.

21 PRESIDENT DU TRIBUNAL : La séance est suspendue jusqu’à 11 h 45.

22 (11 h 30)

23 (Brève suspension de séance)

24 (11 h 50 )

25 PRESIDENT DU TRIBUNAL : M. Niemann, vous pouvez poursuivre.

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1 M. NIEMANN : Merci, Madame la Présidente. Madame, Messieurs de la Cour, le

2 8 novembre 1994, le Procureur du Tribunal pénal international pour

3 l’ex-Yougoslavie a présenté à la Chambre de première instance I du

4 Tribunal une requête tendant à ce que la République fédérale

5 d’Allemagne, qui menait alors l’enquête Tadic, soit dessaisie en

6 faveur du Tribunal conformément aux articles 9 et 10 du Règlement de

7 procédure et de preuve. La Chambre a fait droit à cette requête.

8 Le Procureur présenta alors contre l’accusé, le 8 février, un acte

9 d’accusation pour confirmation. L’acte d’accusation a ensuite été

10 confirmé le 13 février 1995 par Monsieur le Juge Karibi-Whyte et une

11 demande officielle de déferrement à La Haye a été envoyée aux

12 autorités allemandes. L'accusé fut déféré à La Haye le 24 avril 1995

13 et comparut pour la première fois.

14 S’il plaît à la cour, l’Accusation prouvera que l’accusé Dusko

15 Tadic, aussi appelé Dule par ses amis et par les membres de sa

16 famille, est né le 1er octobre 1955 dans le village de Kozarac. Son

17 père, prénommé Ostoje, était né en 1920 dans le village de Babici.

18 Il est mort en 1990. Sa mère, prénommée Staka, est née en 1920 dans

19 le village de Veljko. Elle habite actuellement à Kozarac. Il a trois

20 frères : Mladen, Stojan et Ljubomir, et il n’a pas de sœur. Il s’est

21 marié en 1979 et a eu deux filles. Sa famille était bien connue dans

22 la région car son père, deux de ses oncles et son grand-père ont

23 combattu pendant la seconde guerre mondiale et sa grand-mère avait

24 alors été internée dans des camps.

25 Tadic a commencé à fréquenter l’école à l’âge de sept ans et

Page 49

1 il a fait ses études primaires à Kozarac. Puis il a fait ses études

2 secondaires à Belgrade. Après avoir terminé ses études, il a

3 accompli son service militaire obligatoire dans la JNA pendant

4 14 mois en 1976 et 1977. En 1980 et en 1984, il a travaillé à Banja

5 Luka comme ouvrier du bâtiment et, en 1984, il se rendit en Libye

6 dans l’intention d’y obtenir un emploi. Il en revint en 1985.

7 A son retour en Bosnie, il travailla dans la ville de Sisak,

8 en Croatie, dans une entreprise privée qui installait des ouvrages

9 de menuiserie. Il a conservé cet emploi jusqu’en 1989 lorsqu’il est

10 rentré à Kozarac où il a commencé à construire le café-bar qui

11 s’appellerait « Nipon ». En décembre 1990, il ouvrit le café-bar

12 qu’il a exploité jusqu’au début de la guerre en 1992. A Kozarac,

13 l’accusé habitait au numéro 36 de la rue du Maréchal Tito, dans le

14 secteur de la ville connu comme le « centre de la commune ».

15 L’Accusation démontrera que durant le deuxième semestre de

16 1990, peut-être vers le mois d'août, l'accusé s'est inscrit pour la

17 première fois au Parti démocratique serbe, connu sous les initiales

18 SDS.

19 L'Accusation envisage d'appeler plus de 80 témoins. Les

20 éléments de preuve seront constitués de segments de preuve en

21 fonction des besoins des chefs d'accusation. La condition spéciale

22 liée aux crimes internationaux sera traitée la première au plan de

23 la preuve. Les éléments de preuve consisteront en une combinaison de

24 témoins experts et de témoins matériels spéciaux. Par exemple, les

25 témoins experts déposeront sur le caractère international du conflit

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1 armé, la nature généralisée ou systématique des crimes et le

2 contexte politique et historique du conflit. Ils fourniront aussi

3 des éléments de preuve pertinents sur la situation des victimes par

4 rapport à leurs agresseurs.

5 Les témoins matériels spéciaux fourniront des éléments de

6 preuve pertinents pour démontrer que les forces armées des Serbes

7 opérant en Bosnie renfermaient un élément international, à savoir la

8 participation de la République fédérale de Yougoslavie. Ils

9 fourniront également des éléments de preuve sur le caractère

10 généralisé ou systématique de l'attaque. En d'autres termes, ces

11 éléments de preuve montreront que l'attaque n'était pas quelque

12 événement isolé dans la municipalité de Prijedor mais qu'il

13 s'agissait d'une stratégie beaucoup plus large, coordonnée et bien

14 exécutée couvrant toute la Bosnie. Les témoins experts fourniront

15 des éléments de preuve sur la constitution politique des

16 communautés, qui présente une importance spéciale pour comprendre le

17 caractère de la persécution de la communauté non-serbe.

18 Les éléments de preuve des témoins matériels spéciaux qui

19 seront cités après le témoignage de M. Gow seront, nécessairement,

20 détaillés parce qu'ils se rapporteront de façon résumée aux

21 événements qui les ont concernés dans un autre endroit, dans une

22 autre municipalité, mais vers la même époque. Le champ de leurs

23 éléments de preuve est presque aussi large que celui des autres

24 éléments de preuve cités dans la présente affaire.

25 Puis nous citerons des témoins qui attesteront des chefs

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1 d'accusation particuliers figurant dans l'acte d'accusation. Ces

2 témoins présenteront leurs éléments de preuve, autant que possible,

3 dans l'ordre chronologique des événements, en commençant avec les

4 événements de Kozarac, au début de la guerre, suivis par les

5 éléments de preuve intéressant les événements dans les casernes ou

6 les camps de Prijedor. Viendront ensuite les éléments de preuve

7 concernant les événements du camp d'Omarska, des villages de Jaskici

8 et Sivci, puis du camp de Keraterm et, enfin, du camp de Trnopolje.

9 L'Accusation terminera ses réquisitions en présentant un

10 certain nombre de témoins à charge ainsi que des témoins experts en

11 médecine et médecine légale. L'Accusation soutient que tous les

12 éléments de preuve seront pertinents pour le chef d'accusation de

13 persécution. Pour certains des témoins, le récit des événements qui

14 les ont touchés peut causer certaines tensions, davantage que ce à

15 quoi l'on pourrait normalement s'attendre dans une instance

16 nationale. Le récit des mêmes événements par un certain nombre de

17 personnes reflétera l'horreur et la confusion de la situation. Il se

18 peut que cela fasse parfois obstacle à l'articulation nette et

19 ordonnée des éléments de preuve mais ces variations ou divergences

20 mineures ne serviront qu'à renforcer la fiabilité et l'intégrité de

21 leurs moyens de preuve parce qu'il est pratiquement impossible que

22 deux êtres humains assistent à des scènes aussi atroces et soient en

23 mesure de les décrire ultérieurement de façon identique.

24 Nous avons aussi la question des langues et de l'imprécision

25 du processus d'interprétation. Comme il a déjà été observé durant la

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1 phase préalable aux débats, la traduction entraîne une perte de

2 précision considérable. Aucune déposition prise durant l'enquête

3 n'est un rapport in extenso de la déclaration des témoins.

4 Les réquisitions de l'Accusation se fondent principalement sur

5 des témoignages oculaires. Elles ne sont pas, cependant, totalement

6 dépourvues de pièces à conviction. Par exemple, les témoins experts,

7 M. Gow et M. Greve en particulier, se référeront à un certain nombre

8 de documents à l'appui de leur témoignage. En plus des documents,

9 ces témoins et d'autres feront également référence à des éléments de

10 preuve sous forme de vidéo. Un certain nombre de cartes seront

11 présentées en vue d'expliquer le lieu et la date des événements. M.

12 Gow, en particulier, présentera des moyens de preuve en s'appuyant

13 presque entièrement sur des documents qui apparaîtront sur le

14 téléviseur, et ces éléments de preuve seront déposés en fonction de

15 ce qui apparaîtra sur l'écran. Un index de ces documents a été

16 établi et sera distribué aux membres de la Cour, à la Défense, au

17 Greffier en tant qu'aide-mémoire, de sorte que nous puissions suivre

18 le système de numérotation compliqué dû à l'intrusion de

19 l'informatique dans le processus.

20 Un nombre considérable de photographies seront aussi

21 présentées comme éléments de preuve. Ces photographies ont été

22 prises par les enquêteurs du Tribunal lorsqu'ils se sont rendus pour

23 la première fois dans la municipalité de Prijedor en janvier de

24 cette année. Nous nous attendons également à ce que certains des

25 témoins souhaitent tracer des plans ou des diagrammes pour les aider

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1 dans la présentation de leurs moyens de preuve.

2 S'il plaît à la Cour, puisque la plupart des questions de

3 droit, y compris les éléments du crime, ont maintenant été évoquées

4 dans les conclusions préalables aux débats du Procureur et les

5 réponses y afférentes de la Défense, je n'ai aucunement l'intention

6 de reprendre ces questions dans ma déclaration liminaire. Je pense,

7 toutefois, que ces questions de droit feront l'objet d'un débat

8 animé à un stade ultérieur de la procédure.

9 A moins que je puisse aider la Cour davantage, j'en ai ainsi

10 terminé avec ma déclaration liminaire.

11 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Merci, M. Niemann. La Défense souhaite-t-elle

12 présenter maintenant sa déclaration liminaire ?

13 M. WLADIMIROFF : Nous préférons le faire dans l'après-midi, Madame la

14 Présidente.

15 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Excusez-moi ?

16 M. WLADIMIROFF : Nous préférerions présenter notre déclaration liminaire

17 dans l'après-midi.

18 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Aujourd'hui ?

19 M. WLADIMIROFF : Aujourd'hui.

20 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Très bien. M. Niemann ?

21 M. NIEMANN : Je suis en mesure d'appeler des éléments de preuve, Madame la

22 Présidente, mais je ne sais pas si ce serait très pratique si M.

23 Wladimiroff souhaite me suivre immédiatement.

24 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : L'audience est censée durer jusqu'à 13 heures.

25 La question est donc maintenant de savoir ce que nous faisons avec

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1 l'heure qui nous reste. Je crois comprendre que vous voulez

2 présenter votre déclaration liminaire de sorte qu'il y ait une

3 continuité. De combien de temps avez-vous besoin, M. Wladimiroff ?

4 M. WLADIMIROFF : De une à deux heures, Madame la Présidente. De une à deux

5 heures.

6 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : M. Wladimiroff, l'article 84 de notre mince

7 Règlement prévoit qu'avant la présentation des moyens de preuve par

8 le Procureur, chaque partie peut faire une déclaration liminaire. La

9 Défense peut, cependant, décider de faire sa déclaration après que

10 le Procureur ait présenté ses moyens de preuve et avant de présenter

11 elle-même ses propres moyens de défense. L'article n'envisage pas

12 que le Procureur présente une partie de ses moyens de preuve puis

13 que la Défense commence sa déclaration liminaire. Vous pouvez, bien

14 sûr, décider d'attendre pour faire votre déclaration liminaire.

15 M. WLADIMIROFF : J'avais le sentiment que l'Accusation avait fini sa

16 présentation.

17 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Sa déclaration liminaire, oui. C'est maintenant

18 votre tour de présenter la vôtre ou, si vous le préférez, vous

19 pouvez attendre jusqu'à la conclusion de la présentation des moyens

20 de preuve par l'Accusation. Si je comprends bien votre position,

21 vous préférez commencer votre déclaration liminaire et la faire sans

22 interruption. Nous avons des interprètes ici et leur travail est, je

23 pense, plus difficile que celui de toute autre personne dans le

24 prétoire. Je ne sais pas, nous partageons peut-être certaines des

25 difficultés. Nous ne pourrions vraiment entendre la totalité de

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1 votre déclaration liminaire.

2 Nous suggérons donc que vous commenciez votre déclaration

3 liminaire maintenant, si c'est ce que vous voulez faire, ou vous

4 pouvez attendre jusqu'à la présentation de vos moyens de preuve,

5 c'est comme vous voulez. Nous, nous ajournerons comme d'ordinaire à

6 13 heures. Nous pouvons certainement garder votre déclaration

7 liminaire dans son contexte. Nous n'oublierons rien de ce qui a été

8 dit.

9 M. WLADIMIROFF : J'apprécie cela, Madame la Présidente. Nous pourrions

10 peut être parvenir à un compromis en commençant plus tôt cet après-

11 midi parce que je préfère présenter ma déclaration d'un seul tenant

12 et ne pas être interrompu par le déjeuner.

13 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Je ne vois pas de difficulté avec cela mais,

14 comme je l'ai dit, d'autres personnes s'attendent à une levée

15 d'audience à un moment précis du fait des conditions dans lesquelles

16 elles opèrent. Laissez-moi voir ce qu'on peut faire.

17 M. WLADIMIROFF : Si nous commençons plus tôt, je pense que nous ne

18 perdrons pas beaucoup de temps.

19 M. NIEMANN : S'il plaît à la Cour ...

20 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Je pense que c'est réglé. Nous sommes très

21 souples mais en cette ère de technologie, nous devons obtenir

22 l'autorisation d'autres personnes.

23 Nous avons une solution. Nous allons suspendre l'audience

24 pendant une heure et demie plutôt que de nous interrompre pour

25 déjeuner à 13 heures et nous reprendrons quelques minutes après 13 h

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1 30 et vous ferez alors votre déclaration liminaire, M. Wladimiroff.

2 Est-ce que cela convient ?

3 M. WLADIMIROFF : Merci beaucoup.

4 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Très bien.

5 (12 h 08)

6 (Suspension d'audience pour le déjeuner)

7 (13 h 30)

8 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : M. Wladimiroff, vous pouvez commencer.

9 M. WLADIMIROFF : Merci. Madame, Messieurs de la Cour, au XVIIe siècle, le

10 célèbre auteur et expert néerlandais en droit international, Hugo

11 Grotius, a pu écrire que la guerre commence là où la justice

12 s'arrête ou, en latin "Ubi iuditia deficiunt, incipit bellum". De

13 fait, l'histoire a montré qu'en périodes de conflit, le langage

14 civilisé de la guerre et de la justice a été constamment écrasé dans

15 le monde entier par le tonnerre des armes et de la violence. Les

16 peuples, les leaders et les Etats ont, jusqu'à présent, été

17 incapables d'administrer les règles fondamentales du droit

18 humanitaire en toutes circonstances.

19 Les initiatives de la communauté internationale dans le but de

20 reconnaître les violations du droit humanitaire, de créer des

21 instruments juridiques pour en éviter de nouvelles et pour établir

22 des organes chargés d'en poursuivre les responsables n'ont pas,

23 cependant, réussi à y mettre fin. En dépit des atrocités de la

24 seconde guerre mondiale, des peuples dans le monde entier ont

25 souffert de l'absence de respect du droit humanitaire et aujourd'hui

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1 même des personnes innombrables continuent d'en pâtir.

2 La création du Tribunal international chargé de poursuivre les

3 personnes présumées responsables de violations graves du droit

4 international humanitaire commises sur le territoire de l'ex-

5 Yougoslavie vise à constituer une réponse à l'appel de toutes ces

6 victimes, connues et inconnues, qui ont souffert et continuent de

7 souffrir des conséquences terribles de la dislocation violente de

8 l'ex-Yougoslavie. Cependant, la création du Tribunal n'a pas pu

9 mettre un terme à la misère des gens ordinaires. C'est l'Accord de

10 Dayton qui a muselé les armes, créant peut-être une plate-forme pour

11 la paix.

12 Toutefois, l'importance du Tribunal tient à ce qu'il peut

13 assurer la justice, s'il montre non seulement qu'il instruira et

14 poursuivra toutes les violations majeures sans préjugés en faveur

15 d'une partie quelconque au conflit mais aussi qu'il tiendra des

16 procès totalement équitables. L'échec aux plans de l'impartialité

17 indiscutable à l'égard du conflit et du plus haut degré d'équité des

18 procès ne ferait qu'alimenter une nouvelle haine et de nouvelles

19 représailles.

20 Vous pouvez vous demander, Madame, Messieurs de la Cour, en

21 quoi tout cela concerne l'affaire de Dusko Tadic, l'individu qui

22 comparaît aujourd'hui devant vous. La force de la Défense dans

23 l'affaire Tadic sera lourdement grevée par la faiblesse du Tribunal

24 lui-même. Par conséquent, la Défense doit commencer par examiner les

25 déficiences intrinsèques du Tribunal et ce n'est qu'ensuite qu'elle

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1 pourra présenter sa plaidoirie dans son contexte adéquat.

2 La tâche lourde et onéreuse de traduire en justice les

3 personnes soupçonnées des crimes les plus haineux commis durant un

4 conflit long et sanglant soulèvera de tous côtés de grandes émotions

5 durant le procès. Mais les professionnels dans ce Tribunal, écoutant

6 les témoins, doivent maîtriser la capacité de distinguer la vérité

7 des mensonges et de l'erreur humaine. Le Tribunal n'a pas été créé

8 uniquement pour satisfaire les victimes mais pour assurer la

9 justice, y compris pour l'accusé. Le Tribunal doit être sur ses

10 gardes en ce qui concerne les désirs de revanche et la nécessité de

11 trouver des boucs-émissaires.

12 Assurer la justice pour tous dans cette première affaire dont

13 le Tribunal est saisi exige qu'il ignore les pressions du public. Il

14 doit ignorer la demande du public qu'une peine soit prononcée contre

15 le premier accusé traduit en justice. Au contraire, il doit tenir un

16 procès dont l'équité ne saurait être contestée, quel qu'en soit le

17 résultat dans cette affaire.

18 La justice ne sera servie par une condamnation que si l'on est

19 certain, au-delà de tout doute raisonnable, que l'homme qui siège au

20 banc des accusés ici est le même homme que celui qui a commis les

21 crimes qui seront évoqués devant vous dans les semaines à venir. Si,

22 comme nous le maintenons, cela ne peut être prouvé au-delà de tout

23 doute raisonnable et que Dusko Tadic est innocent de tous ces

24 crimes, il faudra résister à tout prix à la tentation d'utiliser le

25 manque de clarté du droit pour satisfaire la soif d'un verdict de

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1 culpabilité manifestée par la communauté internationale. La soif de

2 revanche ne doit pas être satisfaite au puits d'une justice polluée.

3 Je vous exhorte respectueusement à garder constamment à

4 l'esprit l'importance de rendre le verdict correct découlant des

5 moyens de preuve devant vous et sur la base d'une interprétation

6 équitable du droit. A cet égard, nous ne devons pas oublier que

7 c'est la première affaire que doit juger le Tribunal. Cette

8 expérience ne doit pas se dérouler au détriment de l'accusé. Quand

9 le droit du Tribunal n'est pas clair sur des questions cruciales,

10 ces questions doivent indéniablement être tranchées en faveur de

11 l'accusé parce qu'une administration équitable de la justice ne

12 laisse aucune place à l'utilisation de l'accusé comme cobaye. Le

13 Tribunal a la charge de protéger un accusé contre un droit et des

14 procédures vagues. Si le droit n'est pas clair, l'accusé doit

15 bénéficier de la protection, la protection contre des poursuites

16 fondées sur une nouveauté qu'il reste à définir; la protection

17 contre l'élargissement sans précédent d'une interprétation

18 raisonnable du droit.

19 Vous avez le soutien sans réserves de la Défense pour ce qui

20 est d'éviter les interprétations inéquitables du droit nouveau et de

21 les corriger. Si ce Tribunal ne fait pas preuve d'une vigilance de

22 tous les instants pour éviter le risque de condamnations fondées sur

23 des conjectures et, par conséquent, erronées, il sera responsable de

24 nouvelles souffrances injustifiées et inutiles. La Défense est

25 convaincue que la Cour partage les mêmes préoccupations et servira à

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1 tout prix la cause de la justice.

2 Madame, Messieurs de la Cour, le procès de notre client s'est

3 ouvert dans des circonstances défavorables. Les poursuites contre

4 Dusko Tadic ont commencé alors que le conflit en Bosnie-Herzégovine

5 se déroulait.

6 Nous n'avons pu nous rendre dans la région pour procéder à une

7 enquête adéquate sur l'affaire qu'en janvier de cette année.

8 D'importantes parties de la Bosnie-Herzégovine étaient hors

9 d'atteinte pendant que les combats se poursuivaient. Ces limites ont

10 concerné les deux parties, aussi bien l'Accusation que la Défense;

11 et on a couru le risque que le procès s'ouvre avant que tous les

12 faits soient connus.

13 Ce point est d'autant plus grave que l'une des parties est

14 davantage touchée par cette restriction que l'autre. Tous les

15 témoins à charge résident maintenant en dehors de cette région. Tous

16 les témoins de la Défense y vivent. L'Accusation a eu ses propres

17 problèmes mais la Défense a été gravement handicapée dans la

18 préparation de son plaidoyer. Elle l'a particulièrement été au plan

19 de son enquête sur les faits.

20 L'incertitude sur l'application du droit va de pair avec le

21 premier procès traduit devant le Tribunal. Deux questions se posent

22 sur ce plan : s'agissant des crimes, le Tribunal n'offre ni à l'une

23 ni à l'autre des parties de certitude absolue. Le procès s'ouvre

24 aujourd'hui alors que vendredi dernier seulement, les Juges

25 déclaraient à notre client "nous ignorons quels éléments sont

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1 nécessaires pour prouver les crimes qui vous sont reprochés"; et le

2 Tribunal ne peut pas non plus fournir aux parties un droit

3 procédural clair. Le Règlement élaboré n'a jamais été testé

4 antérieurement et il est incomplet. Autre fait unique, la pertinence

5 et le contenu du Règlement n'ont pas été déterminés par un

6 législateur mais par les Juges eux-mêmes.

7 Le Tribunal ne peut pas donner de garantie de l'application du

8 Règlement dans la région du conflit ou ailleurs. Les parties doivent

9 attendre de voir si des personnes ou des autorités dans la région ou

10 ailleurs coopéreront avec le Tribunal. Jusqu'à présent cela ne

11 semble pas avoir toujours été le cas.

12 Le Statut et le Règlement n'offrent pas de structure

13 permettant aux parties de réaliser leurs objectifs pour la

14 préparation de leurs dossiers par la voie d'Etats et de particuliers

15 qui ont participé au conflit.

16 Par exemple, à la différence des juridictions internes, le

17 Tribunal ne dispose d'aucune force de police propre pour assigner

18 des témoins à l'audience. A cet égard, la Défense est davantage

19 affectée par l'absence de tels pouvoirs. L'expérience, jusqu'à

20 présent, a montré que l'Accusation, en raison de son statut officiel

21 en tant qu'organe du Tribunal, a été en mesure d'obtenir la

22 coopération des autorités nationales. Des pays, autres que ceux qui

23 constituaient autrefois la Yougoslavie, coopéreraient, dit-on, avec

24 l'Accusation. On ne peut pas en dire autant pour la Défense.

25 La conséquence de toutes ces circonstances malheureuses est

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1 que le procès contre notre client commence dans un cadre incomplet.

2 Ce point n'est pas sans portée pour le développement futur de ce

3 procès et la question ultime qu'il convient de poser est de savoir

4 si un procès équitable est possible.

5 Un autre problème est le manque de critères clairement définis

6 pour les poursuites contre l'accusé. En gardant à l'esprit que

7 toutes les personnes soupçonnées ne feraient pas effectivement

8 l'objet de poursuites, il est malheureux que l'Accusation n'ait pas

9 été claire quant aux critères qu'elle applique. Il appert donc que

10 les poursuites contre les accusés ne sont pas fondées sur des

11 directives établies mais sur des considérations arbitraires telles

12 que la disponibilité des données et des suspects.

13 D'où la question de savoir si Dusko Tadic aurait jamais été

14 poursuivi si les Allemands ne l'avaient pas rencontré par accident à

15 Munich; nous ne le saurons probablement jamais. Il est clair,

16 cependant, que l'absence de critères définis et publics a gonflé les

17 poursuites contre Tadic hors de toute proportion. Déjà le danger

18 semble évident que l'affaire soit considérée comme un symbole de

19 tout ce qui est arrivé dans la région et Dusko Tadic a été décrit

20 comme le prototype du criminel de guerre. Il faut peu d'arguments

21 pour montrer que cette situation a un effet disproportionné sur les

22 moyens de preuve dans l'affaire et peut influencer le jugement les

23 concernant.

24 Si les premières personnes soupçonnées de participation à des

25 crimes de guerre sont jugées et plus tard seulement les véritables

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1 responsables du conflit en premier lieu (et ici je tiens pour

2 responsables les politiciens de tous les partis dans l'ex-

3 Yougoslavie) on court alors le danger que le jugement dans cette

4 première affaire soit déséquilibré. La responsabilité individuelle

5 n'est pas coupée du reste mais elle doit aussi être jugée dans le

6 contexte du climat créé par l'élite politique.

7 La tâche du Tribunal est donc loin d'être facile. Elle est

8 compliquée par de nombreuses circonstances. Avec des instruments

9 juridiques limités, des moyens d'exécutions réduits et des données

10 incomplètes, on est confronté au danger d'une activité médiatique

11 intense et d'une justice de basse qualité.

12 Où convient-il donc de tracer les limites ? On a pu dire, à

13 juste titre, qu'un procès équitable est impossible sans une défense

14 appropriée. Dans des circonstances ordinaires, il n'est pas

15 difficile d'accepter le fonctionnement de l'appareil de la justice

16 en ce qu'il s'applique tant à l'Accusation qu'à la Défense.

17 Cependant, cette affaire, ce procès n'est pas ordinaire. Les

18 conditions dans lesquelles il se tient sont particulièrement

19 mauvaises. Je viens juste de mentionner les circonstances

20 susceptibles d'empêcher le Tribunal de remplir correctement sa

21 tâche. La question de savoir dans quelle mesure la présence de la

22 Défense justifie l'hypothèse qu'il s'agit d'un procès équitable se

23 pose depuis le tout début. La véritable question ici est de savoir

24 si nous sommes en mesure de conduire une défense appropriée. Pour la

25 Défense, la question ultime est de savoir si, dans le cadre de

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1 toutes les circonstances que je vous ai décrites, un procès

2 équitable est tout simplement possible.

3 Le fait que ce procès commence aujourd'hui ne nous donne pas

4 une réponse définitive. On devrait sérieusement envisager que les

5 conditions requises pour un procès équitable peuvent ne jamais être

6 réunies. Les raisons en ont déjà été données. L'incertitude quant à

7 la question de savoir si, à un certain stade, un point est atteint

8 auquel il convient de conclure qu'un procès équitable n'est plus

9 possible, cause de profondes préoccupations pour la Défense.

10 Une considération importante pour la Défense a été de décider

11 si le procès devrait être reporté. Depuis novembre dernier, la

12 Défense a demandé un ajournement parce que nous n'étions pas prêts

13 pour le procès. Mais on ne saurait oublier que notre client est

14 maintenant en détention préventive depuis plus de deux ans, y

15 compris la durée de sa détention en Allemagne. A notre avis, un

16 nouvel ajournement du procès dans l'espoir de jours meilleurs n'est

17 plus justifié.

18 Je le répète, où sont donc les limites ? Quelles sont les

19 conditions à remplir ? Quelles conditions devraient être remplies

20 maintenant ? La Défense est d'avis que ces limites ont été franchies

21 si nous ne sommes pas en mesure de citer les témoins nécessaires à

22 la présentation de notre défense. Sur ce point, aucun argument sur

23 la qualité du procès ne devrait être pris en considération, même si

24 l'Accusation peut dire qu'un procès équitable ne signifie pas un

25 procès parfait. Il n'existe pas d'échelle avec un "procès équitable"

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1 au bas et un "procès parfait" en haut. La Défense est d'avis qu'une

2 seule norme s'applique ici. Le seul procès possible est un procès

3 équitable et un procès équitable est le seul procès possible.

4 Ainsi, la question n'est pas de savoir si quelques témoins

5 peuvent ou ne peuvent pas témoigner; chaque témoin cité par la

6 Défense le sera après un examen attentif sur la façon dont la

7 défense devrait être plaidée. Nous avons choisi avec soin nos

8 témoins d'alibi. Jusqu'à présent, nous avons assigné 36 témoins.

9 L'Accusation nous a informés qu'elle citera de 88 à 120 témoins.

10 Nous espérons qu'elle a été aussi attentive. Chaque témoin choisi

11 par la Défense présente, bien sûr, une importance considérable. La

12 question n'est pas de savoir si l'un d'eux peut ou ne peut pas

13 venir. Même si le Tribunal est prêt à créer les conditions (comme il

14 l'a fait maintenant dans une certaine mesure) permettant d'entendre

15 les témoins cités par la Défense, il reste la question de savoir

16 s'ils donneront effectivement des moyens de preuve et cela reste à

17 voir.

18 Au moins après les décisions de ce matin une certaine

19 assistance a maintenant été fournie mais l'autre problème d'une

20 crainte subjective des témoins n'a pas encore été résolu. Les

21 personnes vivant dans cette région sont éparpillées, elles sont

22 menacées, elles ont peur et les autorités locales sont responsables

23 de cette situation. Il est extrêmement difficile de tenir un procès

24 équitable dans ces conditions.

25 S'il appert que les circonstances de droit et de fait

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1 empêchent le Tribunal de découvrir la vérité, alors, à notre avis,

2 la limite d'équité est dépassée. Il ne suffit pas d'avoir

3 l'intention de tenir un procès équitable; le problème est que toutes

4 les conditions d'un procès équitable doivent effectivement être

5 réunies.

6 Madame, Messieurs de la Cour, ainsi qu'il ressort clairement

7 des remarques précédentes, l'incertitude quant au droit pose un

8 problème considérable. Si nous prenons en considération l'acte

9 d'accusation, deux questions joueront un rôle durant le procès :

10 premièrement, le caractère vague des crimes reprochés et,

11 deuxièmement, la façon dont ils sont décrits dans l'acte

12 d'accusation.

13 Le principe de légitimité existe dans tous les systèmes

14 civilisés de droit pénal. Il ne peut y avoir de crime sans une

15 disposition juridique précise antérieure à l'acte délictueux. Dans

16 la présente affaire, cette condition du droit pénal est, pour le

17 moins, insuffisante.

18 Le coeur du problème est que cette affaire, malheureusement,

19 ne comprend pas de crimes clairement définis d'avance mais des

20 crimes censés être punissables sans que leur contenu exact soit

21 déterminé. Par conséquent, l'acte punissable n'est pas fondé sur une

22 disposition législative mais sur le droit coutumier.

23 Madame, Messieurs de la Cour, le droit couvert par la coutume

24 est susceptible de changement et peut être acceptable pour les

25 relations internationales entre Etats. Il est inacceptable lorsqu'il

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1 s'applique à un individu accusé de crimes.

2 Ce problème n'est pas une cause de préoccupation uniquement

3 pour la Défense mais aussi pour l'Accusation. Ils ont clairement

4 indiqué leur incertitude sur ce qu'ils vont exactement devoir

5 prouver. La Défense est d'avis que, dans la présente affaire, le

6 contenu d'une disposition pénale n'est pas prédéterminé.

7 L'Accusation ne devrait pas décider de poursuivre des crimes aussi

8 mal définis et mettre ainsi un accusé devant le risque de poursuites

9 conjecturales.

10 La Défense maintient qu'il ne s'agit pas là d'une discussion

11 habituelle sur l'interprétation d'une disposition pénale

12 particulière. Ce débat porte, Madame, Messieurs de la Cour, sur les

13 questions fondamentales des éléments qui constituent des actes

14 criminels. Là encore, les conditions spéciales dans lesquelles opère

15 le Tribunal jouent un rôle. Du fait de la combinaison de Common law

16 et de droit romain, le problème de la légalité a une conséquence

17 différente dans l'un ou l'autre de ces systèmes. Du fait que le

18 Tribunal s'appuie principalement sur le système accusatoire de la

19 Common law, l'absence d'un jury se traduit par un échec systémique.

20 S'il y avait un jury, le Juge, après la présentation de la

21 Défense, informerait les jurés du droit applicable et leur donnerait

22 une définition claire des éléments qui constituent l'acte criminel

23 parce que ce n'est qu'alors que le jury peut être en mesure de

24 rendre un verdict. Dans le système du jury, le fait que le Juge

25 détermine le droit applicable après la présentation des moyens de

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1 preuve importe peu puisque la question de la culpabilité n'est

2 tranchée qu'ensuite par le jury.

3 Dans la présente affaire, cependant, les Juges sont également

4 le jury; vous déciderez, Madame, Messieurs de la Cour, si l'accusé

5 est coupable ou non. Cela soulève au moins la question théorique de

6 savoir à quel moment vous vous donnez, pour ainsi dire, des

7 instructions; et si les parties connaîtront ces instructions

8 supposées, de sorte que nous sachions clairement quels critères vous

9 employez pour trancher la question de la culpabilité. Sur ce plan

10 aussi nous avons deux questions.

11 Si nous devons supposer que les critères appliqués par la

12 Chambre de première instance ne deviendront clairs qu'à l'échelon du

13 verdict, on court le risque que, dans la présentation de ses

14 éléments de preuve, la Défense ne puisse pas anticiper ce que la

15 Cour peut estimer pertinent pour décider de la culpabilité de Dusko

16 Tadic. La cohérence de la procédure devient un problème grave et

17 l'accusé court le risque d'un procès fondé sur des conjectures.

18 De surcroît, la Défense estime que cette situation devrait

19 être évitée pour ne pas réduire la confiance dans le Tribunal. Il

20 serait extrêmement triste si l'on devait être amené à penser ou, pis

21 encore, si l'accusé pensait que les Juges opèrent dans le sens

22 inverse, c'est-à-dire qu'ils déterminent d'abord la culpabilité et

23 expliquent ensuite le droit.

24 Je crains que les problèmes relatifs au principe de légalité

25 ne puissent être séparés du reste. La situation est compliquée par

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1 la façon dont l'acte d'accusation a été rédigé. La Défense a déjà

2 fait savoir en diverses occasions qu'elle considère la période

3 couverte par l'acte d'accusation comme trop étendue. La Défense

4 souhaite faire remarquer qu'elle s'inquiète que, durant les semaines

5 et peut-être même les mois à venir, moyens de preuve et témoins ne

6 clarifieront pas ce point. La Défense craint que l'optimisme de

7 l'Accusation selon lequel tout s'éclaircira quand elle présentera

8 son réquisitoire ne soit pas justifié.

9 Si ce n'est pas le cas, cela exercera alors sur la Défense une

10 charge disproportionnée pour établir l'alibi de l'accusé.

11 La Défense tient également à faire observer que cet acte

12 d'accusation place l'accusé dans une situation de double

13 incrimination, un principe bien connu des systèmes de justice

14 pénale, en alléguant le crime général de persécution au chef 1 puis

15 en s'appuyant sur les mêmes allégations aux chefs 2 à 4 ou, devrais-

16 je dire, maintenant qu'ils ont été retirés, 5 à 34.

17 Enfin, la Défense craint énormément le préjugé causé par le

18 nombre d'allégations. Elle s'inquiète notamment du fait que des

19 moyens de preuve distincts intéressant un chef d'accusation puissent

20 être, à tort, considérés comme moyens de preuve au titre d'un autre

21 chef. Cette combinaison d'allégations peut devenir, si l’on n'y

22 prend garde, une recette pour un déni de justice.

23 Madame, Messieurs de la Cour, j'ai déjà mentionné les

24 problèmes relatifs à l'accessibilité et à la disponibilité des

25 moyens de preuve. La conséquence en est que, pour la Défense, ce

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1 procès ne constituera probablement pas un exemple de recherche

2 réussie de la vérité mais une tentative très limitée d'y parvenir.

3 La procédure élaborée par le Tribunal s'appuie dans une grande

4 mesure sur un système accusatoire dans lequel les deux parties ont

5 l'occasion de présenter leur dossier.

6 Ce système suppose que chaque partie est à même de le

7 présenter et qu'elle peut le faire dans la même mesure que l'autre.

8 Aussi longtemps que la question de la disponibilité des témoins n'a

9 pas été résolue à la satisfaction de tous, le règlement concernant

10 la présentation des éléments de preuve paraît arbitraire. A ce

11 stade, il convient de distinguer entre la procédure préalable aux

12 débats et les débats devant la Chambre de première instance.

13 Durant la procédure préalable aux débats, la Défense a du

14 constituer son dossier à compter de la comparution initiale tandis

15 que le Ministère public en avait déjà établi un avant d'émettre

16 l'acte d'accusation. Cette avance est normale dans des circonstances

17 ordinaires et je ne l'aurais pas mentionnée dans mes déclarations

18 liminaires si ce n'avait été pour les difficultés procédurales qui

19 se sont présentées.

20 Le Règlement prévoit des dispositions spécifiques en vue de

21 permettre aux parties de vérifier les faits pertinents. Il s'agit

22 d'instruments juridiques disponibles autres que les pouvoirs

23 conférés à l'Accusation pour amener les Etats à coopérer au plan de

24 l'instruction de l'affaire. La Défense ne dispose d'aucun pouvoir

25 quel qu'il soit pour mobiliser la coopération de quiconque en vue

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1 d'obtenir les faits pertinents. Les activités de la Défense avant le

2 procès dépendent entièrement de la coopération volontaire des

3 autres.

4 La réalité est que ce Tribunal siège en Europe du nord-ouest.

5 Aucune ordonnance rendue n'aura d'effet dans la Republika Srpska.

6 L'Accord de Dayton n'a rien changé à cette situation. L'article 29

7 du Statut est également lettre morte du fait que la Republika Srpska

8 n'a pas été officiellement reconnue et que le Gouvernement de

9 Sarajevo (qui serait officiellement le destinataire de l'article 29)

10 n'exerçait aucune autorité dans les régions serbes de Bosnie-

11 Herzégovine.

12 Le Tribunal était conscient de cette situation avant les

13 débats. Il en est de même de l'Accusation. La Défense a dû en

14 supporter les conséquences. En d'autres termes, le Tribunal et

15 l'Accusation savaient que la Défense oeuvrerait dans un vide

16 procédural; que la Défense a dû préparer un dossier sans un seul

17 instrument juridique pour l'assister.

18 Par conséquent, tout ce que la Défense a pu réaliser jusqu'à

19 présent est le fruit de ses propres négociations avec les autorités

20 et les individus et ne doit rien au Tribunal.

21 La procédure préalable au procès a été sérieusement entachée

22 d'une inégalité des armes du fait que tous les témoins de

23 l'Accusation se trouvent à l'extérieur de la Republika Srpska et que

24 les autorités de tous les pays, à l'exception de celles de la

25 Republika Srpska, ont coopéré sans réserves avec l'Accusation dans

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1 cette affaire. Dans les semaines qui viennent, nous verrons comment

2 cette absence d'égalité des armes avant les débats influe sur le

3 procès proprement dit.

4 De surcroît, le Règlement de procédure et de preuve est si

5 vague que seule la jurisprudence peut déterminer son contenu précis.

6 Dans ces circonstances, la Défense demande au Tribunal d'appliquer

7 les principes de recevabilité des moyens de preuve fondés sur la

8 fiabilité.

9 Madame, Messieurs de la Cour, vous allez entendre de nombreux

10 témoignages de témoins à charge sur des événements qui se sont

11 déroulés durant le long été chaud de 1992 dans la municipalité de

12 Prijedor. Les événements terribles qui se sont déroulés durant le

13 conflit dans la région, et en particulier au camp d'Omarska, ne sont

14 pas contestés. Du fait des événements, tous les témoins à charge que

15 vous allez entendre ont quitté la région et résident maintenant dans

16 d'autres pays en tant que réfugiés.

17 Il n'appartient pas à ceux d'entre nous qui n'ont pas vécu ces

18 événements de dire quels effets ils ont sur le coeur et l'esprit de

19 ceux qui les ont connus. La Défense n'a ni le droit ni l'intention

20 de déprécier les terribles souffrances dont vous allez entendre le

21 récit. Cependant, nous avons le droit et l'intention de défendre

22 Dusko Tadic contre les allégations avancées par ces témoins.

23 J'ai deux observations très générales à faire. La première est

24 que, depuis la découverte de ces camps par des journalistes

25 occidentaux en août 1992, l'intérêt international dans les

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1 événements qui se sont déroulés dans la région et dans les camps, en

2 particulier, a été intense. Peu de gens peuvent regarder sans être

3 profondément émus les images de prisonniers émaciés derrière les

4 barbelés de Trnopolje.

5 Du fait de cet intérêt, les journalistes ont recherché bon

6 nombre des personnes qui témoigneront devant ce Tribunal pour

7 essayer de fournir informations et articles à leurs lecteurs et

8 auditeurs dans le monde entier. Nous soutenons que de nombreux

9 témoins ont adopté les récits d'autres prisonniers après les avoir

10 entendus ou lus dans les médias.

11 De plus, quand les prisonniers de ces camps ont été libérés ou

12 transférés en d'autres endroits, ils ont échangé le récit de leurs

13 expériences. Vous entendrez dire dans les semaines et mois à venir

14 qu'un témoin, en particulier, a raconté son "histoire" concernant un

15 incident notoire à Omarska à plus de la moitié des autres témoins

16 soutenant avoir vu les mêmes événements.

17 Nous n'avons pas besoin de l'aide d'un psychologue pour nous

18 convaincre de l'importance de la force de suggestion. On peut

19 l'observer dans la vie ordinaire. Quand plusieurs personnes

20 assistent au même événement, elles ne se rappellent pas de tous les

21 détails mais quand elles en discutent par la suite, une description

22 composite se dégage. La rumeur devient vérité. On finit par se

23 convaincre facilement qu'on a vu et entendu des choses qu'on n'a pas

24 ou n'a pu voir et entendre. Leur récit est fondé sur ce que d'autres

25 vous ont dit. Cette situation peut également être une recette pour

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1 un manque de fiabilité à l'origine d'un déni de justice.

2 Si cela peut arriver dans les circonstances les plus

3 ordinaires, qu'en est-il en cas de circonstances extraordinaires ?

4 La situation qui vous sera décrite par l'Accusation se situe en

5 dehors de l'expérience et de l'entendement de toute personne

6 ordinaire. Ces témoins ont, selon leurs dires, été expulsé par la

7 force de leurs foyers à l'occasion d'un conflit sanglant; ils ont

8 été séparé de leurs familles et de leurs amis; ils ont vu bon nombre

9 de leurs proches tués par leurs agresseurs. Ils ont été incarcérés à

10 l'étroit dans des conditions épouvantables sous la chaleur torride

11 d'un été bosniaque avec peu de vivres ou d'eau, craignant

12 constamment la torture et la mort. C'est dans ces conditions qu'ils

13 ont assisté aux événements dont ils viendront témoigner à ce procès.

14 Ces circonstances, Madame, Messieurs de la Cour, peuvent constituer

15 les éléments de la rumeur comme la nécessité d'un bouc-émissaire.

16 La Défense ne conteste pas le fait de leur souffrance mais la

17 fiabilité de moyens de preuve obtenus de personnes qui, apparemment,

18 ont été les témoins des événements dans ces conditions. On a raconté

19 à de nombreuses personnes, soit à l'époque soit par la suite, que

20 Dusko Tadic a commis des crimes dans les camps. Combien de ces

21 personnes ont introduit des récits de seconde main dans leurs

22 propres récits pour combler des trous ou identifier une personne

23 qu'elles n'avaient pas, en fait, vue du tout ?

24 Madame, Messieurs de la Cour, Dusko Tadic est un Serbe, un

25 Serbe qui résidait au centre de la communauté musulmane de Kozarac,

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1 la communauté qui a été si brutalement expulsée de ses foyers durant

2 l'été de 1992. Dix-huit mois plus tard, Dusko Tadic lui même s'est

3 rendu en Allemagne où résident maintenant bon nombre de ses anciens

4 voisins. Il n'est pas difficile d'imaginer la réaction de ces gens,

5 qui avaient été expulsés par la force de leurs foyers, envers un

6 voisin serbe. Ce sont des Musulmans et la haine qui existait alors

7 contre les Serbes dans la communauté musulmane était telle que le

8 fait d'être Serbe revenait à être associé à un peuple contre lequel

9 ils feraient tout pour se venger.

10 On ne peut sous-estimer le préjugé qui existe dans cette

11 affaire. Quand Dusko Tadic s'est rendu en Allemagne en 1993, il

12 s'est offert en victime facile à ceux qui voulaient se venger des

13 Serbes. Il est inconcevable qu'il ait pu aller vivre parmi les gens

14 mêmes qu'il est présumé avoir persécutés, si leurs allégations

15 étaient vraies. Cette Cour a pour tâche de rechercher la vérité au-

16 delà des faits dénaturés par les préjugés. On peut plaindre un

17 témoin qui a souffert du fait de ses souffrances mais on ne devrait

18 pas le croire uniquement pour cette raison. Il n'est avancé nulle

19 part qu'une personne qui a souffert dira plus probablement de ce

20 fait la vérité; en réalité, on se heurtera plus souvent au cas

21 contraire.

22 C'est là donc, Madame, Messieurs de la Cour notre défense, à

23 savoir que les témoins que vous allez entendre présenter des

24 éléments de preuve contre l'accusé le font, si ce n'est sur la base

25 d'un "ouï dire" irrecevable, du moins comme le produit d'une

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1 conviction honnête mais dénaturée ou au titre d'un préjugé contre la

2 population serbe. Je le répète, Dusko Tadic est accusé en tant

3 qu'individu et les crimes d'autres personnes ne peuvent pas et ne

4 doivent pas lui être imputés.

5 Madame, Messieurs de la Cour, la plaidoirie de la Défense ne

6 portera pas sur la présentation de moyens de preuve relatifs aux

7 camps, parce qu'il ne lui appartient pas de contester les événements

8 qui se sont déroulés dans les camps. L'argument de la Défense est

9 simplement que Dusko Tadic n'a, en aucune capacité, participé à

10 l'activité des camps. Je présenterais des moyens de preuve

11 établissant que Dusko Tadic n'avait aucun accès aux camps et qu'il

12 ne se trouvait pas dans une situation privilégiée, comme l'a suggéré

13 l'Accusation ce matin.

14 En préparant la défense, nous avons dû lutter avec l'hostilité

15 et les soupçons dont fait l'objet le Tribunal dans la République

16 serbe et, en particulier, dans la région de Prijedor. Les personnes

17 au pouvoir dans cette région ont bloqué toutes possibilités

18 d'enquête, non seulement pour l'Accusation mais aussi pour la

19 Défense. On pourrait penser qu'elles seraient anxieuses de

20 contribuer à la défense de Dusko Tadic dans ce procès et de le

21 traiter comme l'un des leurs. Cela n'a pas été le cas. La défense de

22 Dusko Tadic a été préparée avec peu ou pas d'aide de la part des

23 autorités de Prijedor, et on a constaté des initiatives visant à

24 nous empêcher d'obtenir des éléments de preuve au nom de notre

25 client en vue d'établir son innocence.

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1 Les témoins qui, dans la région, occupaient des fonctions dans

2 l'armée ou la police ont reçu l'ordre de ne pas s'adresser à la

3 Défense.

4 De fausses rumeurs ont été lancées sur l'intention du Tribunal

5 d'arrêter quiconque se présenterait pour donner des éléments de

6 preuve. Nos activités ont fait l'objet d'une étroite surveillance et

7 des menaces ont été proférées contre les témoins dont on sait qu'ils

8 ont coopéré avec nous, ainsi que leurs familles. Un officiel de haut

9 rang a déclaré, et je cite : "Personne ne peut m'ordonner de

10 permettre aux témoins de la Défense d'être interrogés dans ma

11 circonscription. Aucun témoin dans ma circonscription ne peut faire

12 une déposition sans mon consentement. Je peux être remplacé à mon

13 poste de chef mais, dans ce cas, je céderai toute la région à la

14 Croatie. Nous avons plus de quatre millions de tonnes de minerai de

15 fer que nous enverrons à Sisak pour transformation et nous

16 obtiendrons l'argent".

17 Après qu'on lui ait demandé si la population de la Krajina

18 accepterait la succession, il a déclaré : "Qui demande à la

19 population ? J'encule la population !".

20 Permettez-moi de répéter la citation qui s'est échappée de la

21 bouche de l'Accusation ces derniers mois : "Un procès équitable

22 n'est pas un procès parfait". Madame, Messieurs, de la Cour, nous

23 sommes, en fait, devenus conscients de l'impossibilité d'approcher

24 un procès équitable dans des circonstances aussi compromettantes.

25 Depuis le tout début, notre but a été d'assurer qu'au moins un

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1 procès équitable ne serait pas impossible.

2 Malgré les difficultés rencontrées et que nous continuons de

3 rencontrer, nous avons persisté et nous avons réussi à édifier une

4 défense solide et convaincante. Nous pensons qu'il vous sera

5 impossible de condamner Dusko Tadic si nous sommes en mesure de

6 présenter la défense dans son intégralité. Nous l'avons fait pour

7 satisfaire notre conclusion que Dusko Tadic aura, en dépit de tout,

8 un procès équitable qui se soldera par ce que nous considérons comme

9 le seul verdict possible dans cette affaire - non coupable.

10 Nos enquêteurs ont trouvé certains des témoins qui étaient

11 véritablement en compagnie de Dusko Tadic à l'époque où ces crimes

12 ont été commis. Vous apprendrez comment Dusko Tadic a évité son

13 appel sous les drapeaux. Vous apprendrez comment il s'est enfui de

14 sa maison à Kozarac avant le 24 mai avec sa femme et sa famille pour

15 demeurer dans la sécurité relative de Banja Luka. Vous apprendrez

16 comment, le mois suivant, il a obtenu un emploi d'agent de la

17 circulation à Prijedor et comment il a travaillé quotidiennement en

18 roulement par équipes avec d'autres. Vous apprendrez comment il

19 s'est alors engagé dans la commune locale, avec la tâche d'aider les

20 réfugiés et d'essayer de reconstruire la ville de Kozarac.

21 Ces moyens de preuve, Madame, Messieurs de la Cour, vous

22 seront présentés par des personnes ordinaires, celles qui ont

23 travaillé à ses côtés, celles qui ont vécu avec lui, celles qui ont

24 pu voir comment il a employé son temps pendant la période qui

25 intéresse ce procès. Tous ces éléments de preuve seront étayés par

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1 des pièces et documents, comme les listes de permanence, pour

2 appuyer les moyens de preuve donnés par des témoins sur la situation

3 de Dusko Tadic dans les forces de réserve de la police. Nous

4 présenterons des moyens de preuve établissant que Dusko Tadic vivait

5 comme le peut un homme ordinaire dans des circonstances aussi

6 difficiles, qu'il était un réserviste de la police participant

7 durant toute cette période à la reconstitution de sa communauté

8 disloquée.

9 S'agissant de sa communauté, la Défense affirmera que Dusko

10 Tadic n'a joué aucun rôle quel qu'il soit dans le rassemblement des

11 civils et les attaques contre eux. Naturellement, l'Accusation dira

12 que cet alibi ne couvre pas chaque minute du temps de Dusko Tadic

13 entre mai et décembre 1992; notre réponse à cela est qu'aucun alibi

14 ne le pourrait. Trouver un alibi couvrant une période de huit mois

15 est difficile mais la Défense est convaincue que quand la Cour aura

16 entendu les récits que nous présenterons sur les occupations réelles

17 de Dusko Tadic durant ces mois, elle conclura que nous avons fourni

18 des moyens de preuve impressionnants pour établir les lieux où il se

19 trouvait durant cette période.

20 Le deuxième axe de notre défense sera constitué des moyens de

21 preuve présentés par les témoins qui témoigneront sur le type de

22 personne qu'est Dusko Tadic. Ils vous diront à ce propos que c'est

23 un homme qui a vécu toute sa vie dans une communauté musulmane -

24 l'un des rares Serbes dans une ville de plusieurs milliers

25 d'habitants - un homme qui avait de nombreux amis musulmans et qui a

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1 été bouleversé quand des gens des deux côtés ont commencé à

2 manifester des tendances nationalistes et à ignorer leurs anciens

3 amis. L'Accusation essaye d'expliquer le fait qu'il n'existe aucune

4 preuve d'une animosité quelconque de Dusko Tadic envers des

5 Musulmans avant le conflit en suggérant qu'il était une sorte

6 d'espion ou même membre d'une cinquième colonne. Il ne s'agit là,

7 Madame, Messieurs de la Cour, que d'un pauvre écran de fumée pour

8 dissimuler les carences de leur dossier.

9 Bon nombre de ses concitoyens, cependant, considèrent Dusko

10 Tadic comme un déserteur qui a refusé de se battre pour son pays et

11 qui a quitté son village quand les événements ont commencé à mal

12 tourner.

13 Le troisième axe de la Défense est constitué par les moyens de

14 preuve présentés par ceux qui occupaient une fonction dans ces camps

15 et qui peuvent témoigner que Dusko Tadic ne s'y trouvait pas et ne

16 pouvait pas s'y trouver.

17 Il n'est pas difficile d'imaginer les raisons des difficultés

18 de la Défense pour obtenir des dépositions sur ce plan. Il s'agit de

19 personnes qui, qu'elles aient ou non participé personnellement aux

20 crimes commis, craignent pour leur propre sécurité, tant sous

21 l'angle des poursuites par ce Tribunal qu'au plan de représailles

22 sur place si elles fournissent des éléments de preuve concernant des

23 questions que les autorités locales désirent garder sous silence.

24 Grâce à ces témoins, Madame, Messieurs de la Cour, la Défense

25 peut vous présenter des moyens de preuve qui, nous le pensons, vous

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1 convaincrons que, bien que les camps aient existé et que des crimes

2 horribles y aient été commis, ces crimes n'ont pas été commis par

3 l'accusé et ne pouvaient pas l'être. Il n'appartient pas à la

4 Défense de contester le calendrier politique de ceux qui

5 contrôlaient la municipalité de Prijedor.

6 Madame, Messieurs de la Cour, je vous ai exposé les problèmes

7 rencontrés par la Défense pour vous expliquer clairement les

8 réalités de la situation dans la municipalité de Prijedor. Si, à un

9 moment quelconque, la Défense vous présente des problèmes, rappelez-

10 vous simplement pour les résoudre que pour chaque témoin que nous

11 produisons à ce procès, nous pourrions vous en mentionner dix autres

12 qui ne pouvaient pas ou ne voulaient pas nous parler. En plus des

13 moyens de preuve factuels qu'elle avancera, la Défense présentera

14 des moyens de preuve pour étayer son opinion du caractère du

15 conflit.

16 Madame, Messieurs de la Cour, je conclus ainsi la déclaration

17 liminaire de la Défense.

18 Nous vous avons avisé de nos graves préoccupations à propos de

19 ce procès. De nombreux problèmes n'ont pas été résolus et,

20 malheureusement, tout semble indiquer qu'ils ne le seront pas.

21 Nous sommes, par conséquent, extrêmement préoccupés par la

22 qualité de ce procès. Nous craignons qu'en fin de compte il ne

23 satisfasse pas les intérêts de la justice.

24 Nous nous tenons, Madame, Messieurs de la Cour, à la limite

25 d'un procès équitable. Ne nous faites pas basculer du mauvais côté.

Page 82

1 Aidez-nous à rester du bon côté et à présenter notre défense. Si

2 vous nous le permettez, si vous permettez à nos témoins de

3 témoigner, vous ne condamnerez pas Dusko Tadic.

4 Merci.

5 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Merci, M. Wladimiroff. M. Niemann, êtes-vous

6 prêt à appeler votre premier témoin ? Je crois qu'il s'agit de M.

7 Gow ?

8 M. NIEMANN : Je suis prêt.

9 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : M. Niemann, voulez-vous alors appeler votre

10 premier témoin, s'il vous plaît ?

11 M. NIEMANN : Si vous me le permettez, Madame la Présidente, j'appelle M.

12 Gow.

13 (M. Gow est appelé)

14 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : M. Gow, voulez-vous vous placer ici, s'il vous

15 plaît ? Vous devriez avoir devant vous le texte d'un serment.

16 Voulez-vous bien prononcer ce serment s'il vous plaît ?

17 LE TEMOIN : Je jure solennellement de dire la vérité, toute la vérité,

18 rien que la vérité.

19 (Le témoin a prêté serment)

20 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Merci. Vous pouvez vous asseoir.

21 Interrogatoire de M. Niemann

22 QUESTION : M. Gow, êtes-vous un expert en sciences politiques employé

23 comme assistant au Department of War Studies, Kings College,

24 Londres, et comme chercheur au Centre for Defense Studies à

25 l'Université de Londres ?

Page 83

1 REPONSE : Oui.

2 QUESTION : Etiez-vous auparavant un chercheur au Centre for Defense

3 Studies et avant cela un assistant spécialisé dans les affaires

4 soviétiques et d'Europe orientale au Hatfield Polytechnic au

5 Royaume-Uni ?

6 REPONSE : Oui.

7 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Permettez-moi de vous interrompre un instant.

8 Pourriez-vous nous donner votre nom complet, s'il vous plaît, pour

9 le procès-verbal, à moins que je ne l'ai pas entendu.

10 LE TEMOIN : Je m'appelle Andrew James William Gow.

11 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Merci. Je m'excuse M. Niemann.

12 M. NIEMANN : Etes-vous docteur en philosophie (PhD) de l'Université de

13 Londres où vous avez préparé votre thèse de doctorat sur la

14 Yougoslavie à The School of Slavonic Studies and Eastern European

15 Studies (Ecole des études slavoniques et d'Europe orientale) ?

16 REPONSE : C'est exact.

17 QUESTION : Durant ces dernières années, avez-vous concentré vos recherches

18 sur l'ex-Yougoslavie, en particulier ses affaires politico-

19 militaires et avez-vous, de façon extensive, publié des articles et

20 ouvrages et donné des conférences dans ce domaine ?

21 REPONSE : Oui.

22 QUESTION : Est-ce que vos moyens de preuve s'appuient sur votre

23 connaissance personnelle et vos propres recherches ainsi que celles

24 d'autres experts reconnus dans ce domaine ?

25 REPONSE : Oui.

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1 QUESTION : Avez-vous publié des rapports, articles militaires et civils,

2 discours et autres documents officiels sur la région de l'ex-

3 Yougoslavie ?

4 REPONSE : Oui, j'ai utilisé ce genre de documents pour préparer mes

5 éléments de preuve.

6 QUESTION : Parlez-vous les langues yougoslaves pertinentes ou celles de

7 l'ex-Yougoslavie ?

8 REPONSE : J'ai une certaine connaissance du serbo-croate et une certaine

9 connaissance du Slovène.

10 QUESTION : Avez-vous fondé votre ...

11 JUGE STEPHEN : J'ai beaucoup de mal à entendre.

12 M. NIEMANN : Je m'excuse, M. le Juge.

13 JUGE STEPHEN : Le témoin pourrait-il hausser la voix ?

14 M. NIEMANN : M. Gow, pourriez-vous s'il vous plaît hausser la voix pour

15 qu'on puisse vous entendre.

16 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Le microphone est utile mais il ne nous aide pas

17 vraiment beaucoup dans le prétoire. Vous devez vraiment hausser la

18 voix bien que vous parliez dans le microphone.

19 M. NIEMANN : M. Gow, avez-vous fondé vos recherches sur des entretiens

20 avec des experts ainsi que des dépositions de témoins et autres

21 documents, dont certains ont été mis à votre disposition par le

22 Bureau du Procureur ?

23 REPONSE : C'est exact.

24 QUESTION : Depuis 1988, avez-vous publié de nombreux livres et articles ?

25 REPONSE : Oui.

Page 85

1 QUESTION : Est-ce que les détails de ces ouvrages, monographies, articles

2 et autres écrits que vous avez publiés figurent sur une liste ?

3 REPONSE : Je pense que oui.

4 QUESTION : Je demande maintenant que l'on affiche sur l'écran de

5 l'ordinateur le document portant la cote informatique 1-1 à 1-4.

6 S'il plaît à la Cour, comme je l'ai promis, j'ai préparé pour mes

7 amis de la Défense et pour la Cour, une copie d'un index des

8 documents qui seront utilisés et auxquels M. Gow fera référence.

9 Elle est susceptible de vous aider à suivre la présentation des

10 pièces à conviction. Permettez-moi de déposer ces documents.

11 (Documents remis)

12 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : M. Niemann, ce que nous recevons maintenant est

13 un index des documents que M. Gow utilisera ?

14 M. NIEMANN : Oui.

15 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Je porte des lunettes. Elles sont relativement

16 récentes. J'ai encore des difficultés à voir le texte sur l'écran.

17 Pouvons-nous ou non imprimer maintenant une copie sur papier de ce

18 document ?

19 M. NIEMANN : Ultérieurement, si je comprends bien, mais nous devrions

20 pouvoir l'agrandir légèrement.

21 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : C'est un peu mieux, merci.

22 M. NIEMANN (Au témoin) : M. Gow, en regardant simplement le document qui

23 apparaît maintenant sur votre écran - j'aimerais que l'on fasse

24 défiler ce document en commençant à la première page et en

25 l'examinant lentement au fur et à mesure mais sous une forme élargie

Page 86

1 - quand vous examinez ce document, s'agit-il de l'index auquel vous

2 faisiez référence il y a quelques instants et qui se rapporte aux

3 articles et autres écrits que vous avez publiés sur l'ex-Yougoslavie

4 ? Vous pourriez peut-être aller un peu plus lentement, s'il vous

5 plaît ? M. Gow, pourriez-vous seulement nous confirmer cela ?

6 REPONSE : Cela ressemble à l'index auquel je viens de faire référence.

7 QUESTION : Est-ce la dernière page de l'index ?

8 REPONSE : Je crains, pour l'instant, de ne pas voir l'index ... Oui,

9 excusez-moi, j'avais branché le mauvais écran.

10 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : M. Gow, je pense que vous voulez la même chose

11 que nous. Nous voulons une copie sur papier de ce document. Je

12 suppose qu'il sera déposé aux fins d'identification comme la pièce à

13 conviction 1 ?

14 M. NIEMANN : Oui, Madame la Présidente, nous demanderons à ce qu'il soit

15 déposé.

16 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : La Défense en a-t-elle une copie sur papier ?

17 M. WLADIMIROFF : Pas encore.

18 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : En avez-vous besoin d'une ?

19 M. WLADIMIROFF : Non, Madame la Présidente, nous n'avons pas vraiment

20 besoin d'en lire chaque mot.

21 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Très bien. Vous pouvez continuer.

22 M. NIEMANN : Merci, Madame la Présidente. Madame, Messieurs de la Cour, je

23 pourrais fournir une copie sur papier après la levée d'audience.

24 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Parfait.

25 M. NIEMANN (Au témoin) : M. Gow, regardez-vous la dernière page de ce

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1 document ?

2 REPONSE : Oui.

3 QUESTION : Se rapporte-t-elle aux endroits où il vous est arrivé de

4 prononcer des conférences ?

5 REPONSE : Oui.

6 QUESTION : Je dépose ce document, Madame la Présidente et m'engage à

7 donner une copie sur papier de l'original.

8 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : La Défense a-t-elle des objections ?

9 M. WLADIMIROFF : Non, Madame la Présidente.

10 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : La pièce à conviction 1 est admise.

11 M. NIEMANN : M. Gow, pourriez-vous expliquer à la Cour la composition

12 politique de

13 l'ex-République socialiste fédérative de Yougoslavie avant 1991 ?

14 REPONSE : La République socialiste fédérative de Yougoslavie se composait

15 de six Républiques et de deux provinces autonomes au sein de la

16 République de Serbie. La République de Serbie était la plus

17 importante des six Républiques. Les autres étaient la Slovénie, la

18 Croatie, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro et la Macédoine.

19 M. NIEMANN : Durant ma déclaration liminaire ce matin, Madame, Messieurs

20 de la Cour, j'ai montré un document que je demanderais maintenant à

21 M. Gow d'examiner. Le document no 2 pourrait-il être présenté à

22 l'écran, 2-1 ?

23 (Au témoin) : M. Gow, s'agit-il d'une carte de l'ex-

24 Yougoslavie ?

25 REPONSE : Il s'agit d'une carte de l'ex-République socialiste fédérative

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1 de Yougoslavie montrant les frontières des Républiques et des deux

2 provinces autonomes au sein de la Serbie.

3 QUESTION : Cette carte a-t-elle été préparée d'après vos instructions ?

4 REPONSE : Elle a été préparée selon mes instructions par le Bureau du

5 Procureur.

6 QUESTION : Madame, Messieurs de la Cour, je dépose cette carte.

7 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : La Défense a-t-elle des objections ?

8 M. WLADIMIROFF : Aucune, Madame la Présidente.

9 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : La pièce à conviction 2 est admise.

10 M. NIEMANN (Au témoin) : M. Gow, pouvez-vous expliquer à la Chambre de

11 première instance la composition ethnique de la République

12 socialiste fédérative de Yougoslavie avant 1991 ?

13 REPONSE : La République socialiste fédérative de Yougoslavie, la RSFY en

14 bref, était un mélange compliqué de populations. Les groupes les

15 plus importants étaient les Serbes, les Croates, les Slovènes, les

16 Macédoniens et les Musulmans de Bosnie. Il y avait un certain nombre

17 de groupes moins nombreux, généralement classés comme minorités, y

18 compris les Hongrois, Slovaques et une série d'autres, Vlahs, etc.

19 QUESTION : M. Gow, pourriez-vous regarder la carte qui figure maintenant

20 sur votre écran, le document 2-2 ? Que représente cette carte ?

21 REPONSE : Il s'agit d'une carte montrant les territoires de l'ex-RSFY et

22 le groupe ethnique le plus important dans chaque région particulière

23 des territoires des Républiques de la RSFY. Le groupe à lui seul le

24 plus important ne représente pas nécessairement une majorité absolue

25 mais seulement le groupe le plus nombreux dans une région

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1 particulière.

2 De nombreuses régions de la RSFY avaient des populations très

3 mixtes, en particulier en Bosnie-Herzégovine, de sorte que lorsque

4 la couleur, par exemple le bleu indique comme dans ce cas la

5 présence de populations musulmanes en Bosnie, cela ne signifie pas

6 que les Musulmans formaient nécessairement la majorité absolue dans

7 ces régions et il en est de même pour les autres couleurs de la

8 légende.

9 QUESTION : M. Gow, sous la direction de qui est-ce que cette carte

10 particulière a été préparée ?

11 REPONSE : Cette carte a été préparée sous ma direction par le Bureau du

12 Procureur.

13 QUESTION : Sur quelle base a-t-elle été compilée ?

14 REPONSE : Elle a été compilée à partir de renseignements tirés du

15 recensement de la population de 1981 couvrant tous les territoires

16 de la RSFY.

17 M. NIEMANN : S'il plaît à la Cour, je dépose cette carte.

18 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Y a-t-il des objections à la pièce à conviction

19 3 ?

20 M. WLADIMIROFF : Non, Madame la Présidente.

21 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : La pièce à conviction 3 est admise.

22 M. NIEMANN : Le document informatique 1-5 peut-il être affiché à l'écran,

23 s'il vous plaît ? (Au témoin) : M. Gow, j'aimerais que vous

24 regardiez votre écran. Vous voyez ce document. Pouvez-vous nous dire

25 de quoi il s'agit ?

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1 REPONSE : Il s'agit d'un tableau indiquant la part dans la population

2 totale de la RSFY de chaque grand groupe ethnique au sein de l'ex-

3 Yougoslavie. La première colonne est basée sur les chiffres du

4 recensement de 1981; la deuxième s'appuie sur le recensement de

5 1991. Vous noterez que, pour l'essentiel, aucun changement majeur

6 n'est intervenu durant ces dix années bien que, si vous faites

7 défiler le tableau jusqu'au bas, vous remarquerez qu'il y a eu un

8 accroissement notable dans le pourcentage des Albanais dans la

9 population totale de la RSFY.

10 QUESTION : Sous la direction de qui est-ce que ce document a été préparé ?

11 REPONSE : Ce document a été préparé sous ma direction par le Bureau du

12 Procureur.

13 QUESTION : A partir de quelles informations a-t-il été compilé ?

14 REPONSE : Il a été compilé à partir des résultats des recensements de 1981

15 et 1991 dans la RSFY et découle sous cette forme particulière des

16 minutes de rapports présentés à la Chambre des communes, Commission

17 des affaires étrangères, Royaume-Uni.

18 M. NIEMANN : Je dépose ce document, Madame la Présidente.

19 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : La Défense a-t-elle des objections ?

20 M. WLADIMIROFF : Non, Madame la Présidente.

21 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : La pièce a conviction 4 est admise.

22 M. NIEMANN (Au témoin) : M. Gow, est-ce qu'un groupe ethnique était

23 entièrement contenu dans une seule République ?

24 REPONSE : La RSFY était composée de six Républiques et diverses

25 communautés. Aucun groupe n'était entièrement contenu dans une seule

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1 République bien que celle de Slovénie ait été, de très loin, la plus

2 homogène ethniquement avec près de 90 % de Slovènes dans sa

3 population. Dans les autres Républiques, en Serbie, près des deux

4 tiers de la population étaient des Serbes; en Croatie, près des

5 trois quarts de la population étaient des Croates; en Bosnie, les

6 pourcentages étaient respectivement de 44 % de Musulmans environ, 30

7 à 33 % de Serbes et 17 % de Croates. Vous pouvez donc constater

8 qu'aucun groupe ethnique n'était à lui seul contenu dans les

9 frontières de l'une quelconque des Républiques.

10 QUESTION : En conjonction avec ce point, on pourrait peut-être afficher le

11 document 1-6 à l'écran et en montrer maintenant la deuxième moitié ?

12 Pour en revenir à la première moitié, M. Gow, en regardant

13 simplement le document sur votre écran, que représente-t-il ?

14 REPONSE : Il montre, dans chacune des Républiques, le pourcentage dans la

15 population du groupe ethnique le plus nombreux dans cette République

16 sur la base du recensement de 1981. Vous pouvez voir les premières

17 indications, la République de Slovénie était à 90,5 % slovène,

18 confirmant, je pense, ma déclaration précédente. Les trois quarts de

19 la population de la Croatie étaient constitués de croates; si vous

20 descendez au bas du tableau, vous verrez que les deux tiers environ

21 de la population de Serbie étaient formés de Serbes mais, bien sûr,

22 vous noterez que si la Serbie est prise sans les deux provinces

23 autonomes, le pourcentage monte à 85,4 %. Les chiffres que j'ai

24 donnés, environ 44 % de la population de Bosnie constitués de

25 Musulmans, se rapportaient au recensement de 1991; mais ici, pour le

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1 recensement de 1981, il était d'environ 39,2 %.

2 QUESTION : M. Gow, ce document a-t-il été préparé sous votre direction ?

3 REPONSE : Oui.

4 M. NIEMANN : Je dépose ce document, Madame la Présidente.

5 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : La Défense a-t-elle des objections ?

6 M. WLADIMIROFF : Pas d'objections, Madame la Présidente.

7 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : La pièce 5 est admise.

8 M. NIEMANN (Au témoin) : M. Gow, je vous demande maintenant d'examiner le

9 document qui apparaît sur votre écran. Peut-on montrer le document

10 informatique no 1-7 à 1-8 ? Peut-on le garder un instant. M. Gow,

11 reconnaissez-vous ce document ?

12 REPONSE : Oui.

13 QUESTION : De quel document s'agit-il ?

14 REPONSE : C'est une copie tirée des minutes des documents du Rapport de la

15 Commission des affaires étrangères de novembre 1991 je pense. J'y ai

16 déjà fait référence en disant que certaines des informations

17 figurant dans les tableaux provenaient de cette source.

18 QUESTION : La deuxième partie du document pourrait peut-être être montrée

19 pour que la présentation soit complète. S'agit-il des tableaux sur

20 lesquels vous vous êtes appuyés quand vous avez préparé les rapports

21 ?

22 REPONSE : Oui.

23 QUESTION : Pourriez-vous passer, s'il vous plaît, à la partie suivante du

24 document ? Oui. je dépose ce document Madame, Messieurs de la Cour.

25 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : La Défense a-t-elle des objections ?

Page 93

1 M. WLADIMIROFF : Aucune.

2 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Ces documents portent les numéros 1-7-1-8. Vont-

3 ils devenir la pièce à conviction 6 ?

4 M. NIEMANN : Six, Madame la Présidente.

5 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Dois-je dire que la pièce à conviction 6 est

6 admise ?

7 M. NIEMANN : C'est la meilleure façon, Madame la Présidente. Je pourrais

8 peut-être vous aider ici. Les numéros sont des cotes informatiques

9 qui, apparemment, aident à retrouver les documents dans

10 l'ordinateur. Les numéros 1-7 à 1-8 indiquent le nombre de pages.

11 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Deux pages. Très bien. Ces pièces à conviction

12 ont été échangées, c'est-à-dire que vous les avez toutes

13 communiquées à la Défense, bien sûr ?

14 M. NIEMANN : Oui.

15 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Très bien. La pièce à conviction 6 est admise.

16 M. NIEMANN (Au témoin) : M. Gow, le recensement de 1991 montre-t-il la

17 composition ethnique des diverses Républiques de la Yougoslavie ?

18 REPONSE : Oui.

19 QUESTION : D'après ce recensement, quelle était la composition de la

20 population de Bosnie ?

21 REPONSE : La population de Bosnie-Herzégovine dépassait légèrement les 4

22 millions d'habitants - environ 4,1 millions je crois - et sur ce

23 total 44 % étaient des Slaves musulmans, 31 % des Serbes de Bosnie

24 et environ 17 % des Croates de Bosnie et il y avait d'autres petits

25 groupes.

Page 94

1 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Est-ce d'après la pièce à conviction que nous

2 regardons maintenant ? Est-ce exact ?

3 M. NIEMANN : D'où tirez-vous ce genre d'informations, M. Gow ?

4 REPONSE : Ces renseignements proviennent des résultats du recensement. Je

5 ne suis pas certain qu'ils figurent dans le tableau ici - si nous

6 pouvions revenir en arrière, je pourrais vérifier - mais ils

7 proviennent d'autres documents dont nous disposons. Ces chiffres

8 semblent se rapporter purement à 1981. Si vous prenez le tableau -

9 je ne suis pas certain. Vous avez là les chiffres comparés pour les

10 totaux de 1991 avec la réserve exprimée quant aux Albanais.

11 QUESTION : C'est le tableau 2 qui apparaît sur l'écran maintenant; est-ce

12 exact ?

13 REPONSE : C'est cela, oui.

14 QUESTION : Il donne une date, 1981, en haut, puis au-dessus de 1981 vous

15 avez un chiffre qui se rapporte aux Serbes, c'est-à-dire 8,14,

16 n'est-ce pas ?

17 REPONSE : Oui.

18 QUESTION : S'agit-il de la population ?

19 REPONSE : C'est le nombre total de Serbes dans les territoires de la RSFY,

20 d'après le recensement de 1981 et, dans la colonne de droite, vous

21 avez les totaux pour le recensement de 1991.

22 QUESTION : A côté de ces totaux, vous avez le pourcentage; est-ce correct

23 ?

24 REPONSE : C'est exact.

25 QUESTION : Puis il énumère les différents groupes nationaux. M. Gow,

Page 95

1 quelle langue ou langues au pluriel parlent les divers groupes

2 ethniques dans l'ex-Yougoslavie ?

3 REPONSE : La principale langue parlée dans les territoires de l'ex-

4 Yougoslavie est connue sous le nom de serbo-croate, parlé par 80 %

5 environ de la population. Deux langues slaves apparentées mais

6 distinctes sont également parlées, le slovène par les Slovènes et le

7 macédonien par les Macédoniens. Les Albanais dans le sud du pays, en

8 particulier en Serbie, parlent albanais et d'autres groupes, comme

9 les Hongrois par exemple, parlent hongrois, bien que bon nombre

10 d'entre eux parlent également le serbo-croate.

11 QUESTION : Quelles sont, s'il en est, les variantes régionales dans les

12 langues de

13 l'ex-République socialiste fédérative de Yougoslavie ?

14 REPONSE : Les philologues considèrent le serbo-croate comme une langue

15 unique mais il existe des différences entre les variantes orientale

16 et occidentale. Par exemple, la région serbe de l'ex-Yougoslavie à

17 l'est utilise l'alphabet cyrillique tandis que la variante

18 occidentale utilise l'alphabet latin. Le cyrillique est l'alphabet

19 utilisé en russe et en bulgare tandis que le latin est celui utilisé

20 en français ou en italien, le même que celui que nous employons en

21 anglais.

22 Il existe également de légères différences régionales dans la

23 façon de dire les choses et des différences de vocabulaire.

24 Certaines personnes ont ainsi été amenées à soutenir l'existence de

25 langues séparées sur une base sociolinguistique, bien que je ne sois

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1 pas un expert en la matière.

2 QUESTION : Pour en venir à la question de la religion, M. Gow, observait-

3 on des différences dans les croyances religieuses des divers groupes

4 ethniques dans la République socialiste fédérative de Yougoslavie ?

5 REPONSE : Oui, il y en avait. Les divers groupes étaient l'église

6 orthodoxe, l'église orthodoxe serbe avec aussi, plus tard, les

7 églises orthodoxes monténégrine et macédonienne, comme les églises

8 orthodoxes grecque ou russe mais avec son propre prélat. Dans les

9 territoires à l'ouest, en Croatie et en Slovénie, la religion

10 catholique romaine dominait, et dans certaines régions du pays, dans

11 le sud de la Serbie, parmi les Albanais de la province du Kosovo en

12 Serbie et parmi les Slaves musulmans dans les régions frontalières

13 du Monténégro et de la Serbie ainsi qu'en Bosnie-Herzégovine,

14 l'Islam était la culture et la religion - était la caractéristique

15 religieuse, la religion dominante.

16 QUESTION : M. Gow, vous avez évoqué plus tôt dans votre témoignage la

17 répartition démographique de la République socialiste fédérative de

18 Yougoslavie. En vous concentrant maintenant plus spécifiquement sur

19 la République de Bosnie-Herzégovine, connaissez-vous l'évolution de

20 la répartition démographique dans cette République depuis 1991 ?

21 REPONSE : Je sais qu'il y a eu d'importants déplacements de la population

22 en Bosnie-Herzégovine depuis 1991.

23 QUESTION : Pourriez-vous un instant examiner le document qui apparaît

24 maintenant sur votre écran, marqué 1-9 et peut-être que la moitié

25 inférieure pourrait être agrandie ? M. Gow, quel document

Page 97

1 particulier examinons-nous actuellement ?

2 REPONSE : C'est un tableau qui décrit le changement dans la ventilation

3 démographique de régions particulières dans toute la Bosnie-

4 Herzégovine depuis 1991. Vous pouvez voir indiqué dans la colonne de

5 gauche toute une série de régions. L'ethnie figure dans la deuxième

6 colonne. La troisième colonne montre les chiffres du recensement de

7 1991 pour chaque groupe ethnique dans ces régions particulières. La

8 dernière colonne indique les chiffres du pourcentage ethnique en

9 1994 dans une région particulière et ces chiffres de 1994 sont tirés

10 de rapports du HCR des Nations Unies.

11 QUESTION : Sous la direction de qui ce document a-t-il été établi ?

12 REPONSE : Ce document a été établi sous ma direction par le Bureau du

13 Procureur.

14 QUESTION : Nous allons maintenant examiner uniquement le bas de ce

15 document si vous le voulez bien. Est-ce que la variation des

16 chiffres est plus marquée dans une région que dans les autres, M.

17 Gow ?

18 REPONSE : Vous pouvez observer une variation sensible dans un certain

19 nombre de régions. Si, par exemple, vous regardez la partie du

20 tableau qui est affichée actuellement, l'avant-dernière région

21 mentionnée au bas est la Bosnie du nord. Vous pouvez constater un

22 gonflement de la population serbe dans cette région de près de

23 100 000 personnes mais, simultanément, on note une baisse très

24 marquée des communautés croate et musulmane, la première tombant,

25 comme vous pouvez le voir, de 180 000 à 30 000 et la seconde

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1 reculant de 355 000 à 40 000.

2 M. NIEMANN : Je dépose ce document, Madame la Présidente.

3 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Des objections à la pièce 7 ?

4 M. WLADIMIROFF : Non, Madame la Présidente.

5 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : La pièce 7 est admise.

6 M. NIEMANN (Au témoin) : M. Gow, voulez-vous examiner le document suivant,

7 s'il vous plaît ?

8 JUGE STEPHEN : Puis-je poser une question ? Je ne vois pas très bien

9 comment le recensement a été effectué durant les temps difficiles de

10 1994 comme, apparemment, il semble l'avoir été. Le recensement a-t-

11 il été complet ?

12 M. NIEMANN : Je vais poser la question au témoin, monsieur le Juge. Je

13 m'apprêtais à le faire. Vous avez entendu la question de Monsieur le

14 Juge. Pouvez-vous nous expliquer la façon dont ces chiffres ont été

15 obtenus ?

16 REPONSE : Si je peux éclaircir ce point. Je crois l'avoir déjà dit mais

17 pour être parfaitement clair, les chiffres de 1994 sont tirés de

18 rapports du HCR des Nations Unies et non de recensements. Le Haut

19 Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, ses agents dans la

20 région qui travaillent tous avec les communautés et communiquent le

21 nombre de personnes dans chacune des communautés où ils travaillent.

22 Il ne s'agit pas d'un recensement effectué par les autorités

23 gouvernementales.

24 JUGE STEPHEN : Merci.

25 M. NIEMANN : Pour continuer sur ce point, M. Gow, pouvez vous examiner le

Page 99

1 document suivant qui est affiché sur l'écran ?

2 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Peut-on rester un instant sur ce point parce que

3 vous indiquez la date de 1991 sur la colonne relative à l'avant-

4 guerre sur la pièce 7. Il s'agissait donc d'un recensement officiel

5 ?

6 LE TEMOIN : C'était un recensement officiel effectué par le Bureau fédéral

7 des statistiques à Belgrade.

8 M. NIEMANN : Peut-on montrer le document suivant, 1-10 à 1-11 et pourrait-

9 on agrandir la première page ? M. Gow, tout d'abord, en regardant la

10 première page du document qui figure maintenant à l'écran, pouvez-

11 vous dire à la Chambre de quel document il s'agit ?

12 REPONSE : Il s'agit d'un document produit par le Haut Commissariat des

13 Nations Unies pour les réfugiés et c'est le genre d'informations

14 qu'il publie à intervalles pour informer de ses activités et de la

15 situation dans les régions où il opère. Ce document particulier

16 contient des renseignements sur l'ex-Yougoslavie à compter de 1994.

17 QUESTION : Ce document se rapporte-t-il à la pièce précédente ?

18 REPONSE : Les renseignements que nous venons de discuter sur la part des

19 communautés dans des régions particulières étaient extraits de ce

20 document.

21 QUESTION : Vous pourriez peut-être passer à la deuxième page de ce

22 document particulier, 1-11 ? M. Gow, s'agit-il des estimations sur

23 la variation de la population auxquelles vous faisiez référence ?

24 REPONSE : Oui.

25 M. NIEMANN : Je dépose ce document, Madame la Présidente.

Page 100

1 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Y a-t-il des objections ?

2 M. WLADIMIROFF : Non, Madame la Présidente.

3 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : La pièce à conviction 8 est admise.

4 M. NIEMANN (Au témoin) : M. Gow, voulez-vous s'il vous plaît examiner le

5 document suivant que j'ai appelé sur l'écran, le document 2-3. De

6 quelle carte s'agit-il ?

7 REPONSE : C'est une carte qui indique les directions empruntées par une

8 foule de personnes durant leur exode du territoire de Bosnie-

9 Herzégovine en 1992, en direction des Etats voisins, en Croatie, au

10 Monténégro et en Serbie. La majorité de ces populations déplacées

11 relevaient de trois catégories : les personnes déplacées à

12 l'intérieur de la Bosnie, celles qui sont passées dans des Etats

13 voisins et celles qui sont parties vers des Etats plus éloignés, en

14 Europe de l'ouest ou ailleurs dans le monde.

15 QUESTION : Quand vous dites "indique", vous voulez parler des diverses

16 flèches qui figurent ici ?

17 REPONSE : Oui.

18 QUESTION : Que représente cette section en vert, qui est marquée ici ?

19 REPONSE : la section marquée en vert montre les régions sous contrôle

20 serbe à l'époque en République de Croatie.

21 QUESTION : M. Gow, cette carte a-t-elle été préparée sous votre direction

22 ?

23 REPONSE : Cette carte a été établie sous ma direction par le Bureau du

24 Procureur.

25 QUESTION : A partir de quels documents avez-vous recueilli les

Page 101

1 renseignements qui figurent sur cette carte ?

2 REPONSE : Les renseignements ont été tirés là encore des rapports du HCR

3 des Nations Unies auquel j'ai fait référence.

4 M. NIEMANN : Je dépose ce document.

5 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Des objections au document 9 ?

6 M. WLADIMIROFF : Pas d'objections.

7 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Puis-je poser seulement une question en ce qui

8 concerne le document 9 ? Il est admis comme pièce à conviction.

9 Aucune flèche ne part de Prijedor, n'est-ce pas, à moins que je

10 doive considérer que la flèche sur la droite couvre Prijedor ? Je

11 m'excuse, M. Gow, pouvez-vous m'aider ?

12 LE TEMOIN : Vous avez raison de dire qu'il n'y a pas de flèche venant

13 directement de Prijedor. Les flèches n'ont qu'une valeur indicative;

14 elles n'établissent pas de relation spécifique à un endroit

15 spécifique et la population de Prijedor, en fait, s'est dirigée vers

16 le nord en direction de la Croatie, comme l'indique la flèche

17 légèrement sur la droite.

18 M. NIEMANN (Au témoin) : M. Gow, vous avez un stylet électronique sur le

19 côté de l'ordinateur qui vous permettrait peut-être d'aider Madame

20 la Présidente en vous référant à des points spécifiques ? Vous

21 pourriez peut-être indiquer simplement la direction générale

22 empruntée par les habitants de Prijedor lors de leur exode ?

23 REPONSE : Pour autant que je sache, la population de Prijedor - Prijedor

24 est ici - se serait déplacée vers le nord en Croatie. Bon nombre des

25 habitants sont également partis vers l'ouest, vers la région de

Page 102

1 Bihac dont la population était à majorité musulmane et qui l'est

2 restée durant la majeure partie de la guerre. J'espère que mes

3 petites flèches apportent quelques éclaircissements. Sinon ...

4 QUESTION : Merci.

5 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Ils se seraient donc dirigés ...

6 LE TEMOIN : Pour la plupart les habitants sont partis dans ces directions.

7 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : De quels habitants parlez-vous ?

8 REPONSE : Il s'agit essentiellement de Musulmans slaves qui constituaient

9 le groupe le plus important ayant quitté la région, comme indiqué

10 dans ma référence antérieure au tableau. Ce serait injuste de dire

11 que les Musulmans slaves sont les seuls à avoir quitté cette région.

12 Dans toutes les régions ... des membres de toutes les communautés

13 ont connu l'exode dans la plupart des régions. La différence est le

14 nombre concerné et l'échelle.

15 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Merci M. Gow.

16 M. NIEMANN : M. Gow, j'aimerais maintenant si vous le voulez bien, revenir

17 au contexte politique historique de l'ex-Yougoslavie. Quand est-ce

18 que l'entité connue sous le nom de Yougoslavie a été proclamée pour

19 la première fois ?

20 REPONSE : Elle a été proclamée le 1er décembre 1918.

21 QUESTION : J'aimerais que nous examinions maintenant une série de

22 documents, une série de cartes intéressant l'évolution de l'Etat

23 fédéral de Yougoslavie. Le premier document que je vous demanderais

24 d'examiner est le document 2-4, si vous le voulez bien ? M. Gow,

25 tout d'abord, que représente cette carte ?

Page 103

1 REPONSE : Il s'agit d'une carte montrant les territoires qui ont constitué

2 le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes quand il a été constitué

3 le 1er décembre 1918 bien que je doive également mentionner que

4 cette formation n'a pas été officiellement consolidée pendant trois

5 autres années. Si vous examinez la carte, vous pouvez voir

6 l'évolution du Royaume des Serbes, Croates et Slovènes, rebaptisé

7 plus tard Yougoslavie.

8 Si je peux essayer d'utiliser ces gadgets : premièrement, il y

9 avait en gros pendant la majeure partie d'une période de cinq

10 siècles une ligne de démarcation entre deux Empires, que je vais

11 indiquer de façon générale, ici. A l'ouest et au nord s'étendait

12 l'Empire austro-hongrois des Habsbourg; à l'est et au sud se

13 trouvait l'Empire ottoman (turc).

14 QUESTION : Merci. Je dépose ce document.

15 REPONSE : Si je peux continuer, mais j'avais quelques difficultés avec les

16 gadgets. Merci. Certains changements sont intervenus dans le courant

17 du XIXe siècle. Tout d'abord, la frontière entre les deux empires

18 s'est déplacée. Elle est passée de la rivière Drina entre la Bosnie-

19 Herzégovine et la Serbie, ici, grosso modo.

20 QUESTION : Vous pourriez peut-être nous la montrer de nouveau ?

21 REPONSE : Bien sûr.

22 QUESTION : La rivière Drina que vous venez de mentionner.

23 REPONSE : Ici. La frontière est passée de la rivière Drina formant la

24 frontière entre la Serbie et la Bosnie-Herzégovine à la frontière

25 entre la Bosnie-Herzégovine et la Croatie d'aujourd'hui.

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1 En 1878, l'Autriche a occupé la Bosnie-Herzégovine et, par

2 conséquent, elle a été transférée officiellement en 1908 mais de

3 facto en 1878 d'un Empire à l'autre.

4 Dans le courant du XIXe siècle, la Serbie a commencé à devenir

5 indépendante de l'Empire turc ottoman. La Serbie - vous pouvez voir

6 les régions colorées à droite sur la carte. Entre 1814 et 1878 la

7 Serbie, indiquée par le vert foncé et la ligne que j'essaye

8 maintenant de tracer, est devenue totalement indépendante de facto

9 en 1878 vis-à-vis de l'Empire ottoman.

10 Durant les guerres des Balkans de 1911 à 1913, le territoire

11 de la Serbie s'est élargi pour inclure les régions qui forment

12 maintenant le Kosovo et la Macédoine dans le sud et l'ouest et, dans

13 le même temps, la région du Monténégro, qui était devenue plus ou

14 moins indépendante durant toute la période, s'est également agrandie

15 pour former une frontière commune avec la Serbie.

16 Ce sont les territoires qui ont constitué le Royaume des

17 Serbes, Croates et Slovènes quand il a été proclamé en 1918.

18 QUESTION : Cette carte a-t-elle été établie sous votre direction et

19 supervision ?

20 REPONSE : Oui.

21 M. NIEMANN : Je dépose cette carte.

22 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Y a-t-il des objections ?

23 M. WLADIMIROFF : Pas d'objections, Madame la Présidente.

24 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : La pièce 10 est admise. Le moment est peut-être

25 bien choisi pour suspendre l'audience. Nous reprendrons à 16 heures.

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1 (15 h 20)

2 (Brève suspension d'audience)

3 (16 heures)

4 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Avant que M. Gow ne reprenne ... Nous discutions

5 de la façon de traiter certaines des pièces à conviction, en

6 particulier celles marquées par M. Gow. Je crois comprendre que

7 notre technologie nous permet de conférer un caractère permanent à

8 ces notations.

9 M. NIEMANN : Oui, Madame la Présidente.

10 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Dans certains cas, les Juges aimeraient que les

11 pièces à conviction qui sont annotées deviennent une pièce à

12 conviction supplémentaire. Par exemple, celle sur laquelle M. Gow a

13 tracé les flèches montrant la direction de l'exode des habitants de

14 Prijedor, la pièce à conviction 5 n'est-ce pas ? Non ?

15 M. NIEMANN : La pièce 9, je crois, Madame la Présidente.

16 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Oui, oui, la carte des routes suivies. Elle nous

17 est utile. Pourriez-vous faire en sorte que celle avec les notations

18 soit déposée comme la pièce 9A ou avez-vous d'autres suggestions sur

19 ce point ?

20 M. NIEMANN : Si la Cour n'y voit pas d'objections, je pense que la façon

21 probablement la plus facile est qu'elle fasse partie de la pièce à

22 conviction, si c'est d'accord, et que nous l'appelions simplement

23 partie de la pièce à conviction 9. Maintenant, chaque fois que M.

24 Gow tracera une annotation, je demanderai aux techniciens d'en faire

25 une copie et de l'incorporer comme partie de la pièce à conviction.

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1 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : La seule objection éventuelle - je ne sais pas;

2 j'entendrais la Défense - est que vous avez reçu une copie de la

3 pièce 9 et je suis certain que vous l'avez examinée et vous n'y avez

4 peut-être aucune objection. Mais maintenant, une fois que la pièce à

5 conviction 9 est annotée, vous n'avez pas eu l'occasion de procéder

6 à un contre-interrogatoire sur ce point. Avez-vous des objections à

7 ce que cela soit incorporé avec 9 et vous procéderez ultérieurement

8 au contre-interrogatoire. Qu'en pensez-vous ?

9 M. WLADIMIROFF : Jusqu'à présent, nous n'avons aucun problème avec cela et

10 donc nous n'y objectons pas. Cela changera peut-être durant

11 l'interrogatoire mais jusqu'à présent nous n'avons pas de problème

12 sur ce point.

13 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Bien. S'il n'y a pas d'objections à la

14 modification apportée à la pièce à conviction, nous garderons le

15 même numéro. Dans ce cas il s'agit de 9 et la pièce portant les

16 notations apportées par M. Gow est également la pièce 9. Si une

17 objection est soulevée quant aux notations apportées, vous devrez

18 alors lui donner un numéro différent.

19 M. NIEMANN : Un numéro différent.

20 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : ... peut-être, et je ne sais pas comment nous

21 emploierons des lettres comme "A".

22 M. NIEMANN : Peut-être Madame, Messieurs de la Cour, après y avoir

23 réfléchi un instant, il pourrait être préférable que je leur donne

24 une lettre chaque fois qu'un document est annoté, disons 9A, 9B et

25 9C et cela figurera aussi dans le compte rendu. Le document peut

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1 être annoté de cette façon. C'est peut-être plus facile.

2 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Je le pense. La pièce 9 est donc la carte

3 originale des directions prises par la population. Celle portant les

4 notations deviendrait alors 9A.

5 M. NIEMANN : Oui.

6 M. WLADIMIROFF : Nous nous associons à cette idée; elle nous paraît très

7 pratique.

8 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Très bien. Nous avons donc admis la pièce à

9 conviction 9, figurant sur votre liste sous la cote informatique 2-

10 3; puis nous avons 9A, qui serait la pièce 9 avec les notations de

11 M. Gow.

12 M. NIEMANN : Madame, Messieurs de la Cour, je souhaiterais revenir, si

13 vous le permettez, à la pièce 9 et demander à M. Gow de recommencer

14 et d'y retracer les notations.

15 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Bien. Je crois que les Juges pensaient à une

16 autre pièce.

17 JUGE STEPHEN : Il s'agit de la pièce 11, non 10.

18 JUGE VOHRAH : La pièce 10, la dernière.

19 M. NIEMANN : Nous reviendrons en arrière.

20 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Recommençons à 9 et créons la pièce 9A puis nous

21 passerons à 10. Nous souhaitons aussi que les notations fassent

22 partie d'une pièce distincte. Parfait.

23 M. NIEMANN (Au témoin) : M. Gow, en regardant la pièce à conviction 9A, je

24 voulais dire 9, la pièce 9 qui apparaît maintenant sur votre écran,

25 voulez vous tracer avec votre stylet électronique, comme vous l'avez

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1 déjà fait durant votre témoignage, les directions ou routes

2 générales suivies par les personnes qui étaient des réfugiés de la

3 région de Prijedor ?

4 REPONSE : Tout d'abord, je vais de nouveau marquer Prijedor. Je vais

5 donner une indication générale des directions prises par la

6 population. Je souligne que tout ceci ne provient pas de documents

7 individuels mais qu'il s'agit seulement de mouvement généraux. Sans

8 vouloir mettre la charrue avant les boeufs, je ferais remarquer que,

9 dans certains cas, ils ont reçu une certaine forme d'assistance pour

10 effectuer ces déplacements.

11 M. NIEMANN : Je dépose ce document, Madame, Messieurs de la Cour.

12 Pourrait-on en imprimer une copie sur papier et donner à cette pièce

13 le numéro 9A ?

14 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Y a-t-il des objections à la pièce 9A ?

15 M. WLADIMIROFF : Non, Madame la Présidente.

16 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Bien. La pièce 9A est admise.

17 M. NIEMANN (Au témoin) : M. Gow, pouvez-vous examiner le document suivant,

18 que je vous montre, la pièce 10 ? M. Gow, en regardant ce document

19 que vous voyez maintenant sur l'écran, vous lui avez apporté

20 quelques notations durant votre témoignage relatives à la division

21 en deux empires, l'Empire austro-hongrois et l'Empire ottoman.

22 Pourriez-vous le refaire pour nous sur une copie ?

23 REPONSE : J'ai indiqué que, parmi d'autres endroits, la frontière entre

24 les deux empires ... Peut-être que si j'essayais une sorte de

25 hachures ici, le long de la rivière Drina, la frontière entre la

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1 Serbie et la Bosnie-Herzégovine a aussi constitué la frontière entre

2 les deux empires pendant près de cinq siècles, de 400 à 500 ans.

3 Mais, en 1878, sous les auspices du Congrès de Berlin,

4 l'Autriche a annexé la Bosnie-Herzégovine, de sorte que la frontière

5 entre les deux empires est devenue de facto cette frontière, ici, la

6 frontière entre la Bosnie et la Croatie d'aujourd'hui. Cette

7 frontière a été confirmée en 1908 quand la Bosnie-Herzégovine a été

8 transférée juridiquement en totalité à l'Empire austro-hongrois

9 après son annexion de facto en 1878.

10 QUESTION : M. Gow, si la technologie le permet, pourriez-vous simplement

11 écrire la date sur les deux lignes pour nous aider à les distinguer

12 ?

13 REPONSE : Je vais essayer. Ce n'est pas aussi facile que cela en a l'air !

14 Ici se trouvait ... C'est un peu comme de retourner à l'école

15 primaire. J'espère que ce sera suffisamment clair pour la Cour.

16 M. NIEMANN : Merci. Madame, Messieurs de la Cour, je dépose ce document

17 comme la pièce à conviction 10A.

18 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Y a-t-il des objections ?

19 M. WLADIMIROFF : Non, Madame la Présidente.

20 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : La pièce 10A est admise.

21 M. NIEMANN (Au témoin) : M. Gow, pendant que cette pièce à conviction est

22 sur l'écran, voulez-vous attirer notre attention sur un autre point

23 la concernant ?

24 REPONSE : Si je peux ...

25 QUESTION : Vous pourriez peut-être effacer votre écran de sorte que si

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1 vous annotez de nouveau la pièce on puisse lui donner le numéro 10B.

2 REPONSE : Avant la suspension d'audience, j'expliquais comment, dans le

3 courant du XIXe siècle, la Serbie a acquis son indépendance,

4 premièrement dans la région de la Serbie au sens strict - la Serbie

5 au sens strict marquée en vert olive sombre sur cette carte.

6 Pourrait-on m'apporter une aide technique ? J'essaye de marquer la

7 ligne et de faire défiler l'écran. Cela marche maintenant, merci.

8 La ligne marquée en vert olive sombre sur laquelle est écrit

9 "Serbie", c'est la ligne de démarcation de la Serbie lorsqu'elle est

10 devenue indépendante entre 1814 et 1878. L'indépendance a été

11 confirmée en 1878. J'ai ajouté que, durant la guerre des Balkans

12 entre 1911 et 1912, le territoire de cet Etat serbe indépendant a

13 été élargi de sorte à inclure les territoires marqués en couleur

14 chamois qui, pour l'essentiel, forment aujourd'hui les régions du

15 Kosovo et de la Macédoine.

16 QUESTION : Pour le procès-verbal, c'est la couleur orange clair que vous

17 avez tracée autour ?

18 REPONSE : Oui, je l'ai appelée couleur chamois. Oui, la région autour de

19 laquelle je viens de tracer la ligne où sont marquées les villes de

20 Pristina et Skopje.

21 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Excusez-moi, monsieur Wladimiroff, je crois que

22 M. Tadic n'a pas mis ses écouteurs.

23 M. WLADIMIROFF : Oui, je vois mais dans la mesure où cela ne le gène pas,

24 nous n'y voyons aucun problème.

25 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Très bien.

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1 M. NIEMANN : Oui, continuez.

2 LE TEMOIN : J'ai également indiqué que le Monténégro, qui est resté plus

3 ou moins indépendant durant toute cette période et n'a jamais fait

4 partie de l'Empire ottoman , a également élargi ses frontières dans

5 cette région marquée en jaune sur la carte, de sorte qu'elle est

6 devenue une frontière commune avec la Serbie et le Monténégro avant

7 la première guerre mondiale.

8 QUESTION : Vous pourriez peut-être indiquer la section que vous venez de

9 mentionner par une flèche ?

10 REPONSE : Cette région ici, marquée en jaune, ou en jaune légèrement

11 verdâtre, sur la carte - le Monténégro est indiqué par le nom

12 figurant dans la mer Adriatique et la ligne indiquant le territoire

13 du Monténégro. Est-ce que je peux effacer maintenant cet écran ?

14 QUESTION : J'aimerais que ce document soit déposé. Pourrait-on l'appeler

15 la pièce no 10 B, s'il plaît à la Cour ?

16 M. WLADIMIROFF : Pas de problème.

17 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : La pièce 10B est admise.

18 LE TEMOIN : Est-ce que je peux continuer ?

19 M. NIEMANN : Oui, s'il vous plaît.

20 REPONSE : Finalement, uniquement aux fins de référence pour vos

21 discussions ultérieures, Madame, Messieurs de la Cour, je précise

22 également que vous avez aussi les régions marquées sur la carte qui

23 relevaient de l'Empire austro-hongrois, après 1878, les territoires

24 de Bosnie-Herzégovine et les régions marquées Croatie-Slavonie et

25 Dalmatie ainsi que le territoire qui est devenu la Slovénie indiqué

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1 dans le nord où vous pouvez observer la ville de Ljublijana. Ces

2 territoires, le tracé des territoires que vous voyez là, est presque

3 ... Dans presque tous les cas, c'est le même que le tracé des

4 territoires qui allaient devenir les Etats de Bosnie-Herzégovine et

5 de Croatie après 1991, et leur sécession de la République socialiste

6 fédérative de Yougoslavie. Vous pouvez voir que la Croatie-Slavonie

7 et la Dalmatie sont traitées comme des territoires distincts. Cela

8 tient à ce que, bien qu'elles aient formé partie d'un Royaume de

9 Croatie-Slavonie et Dalmatie, elles faisaient aussi partie de deux

10 principautés différentes, l'une relevant de la sphère d'influence

11 hongroise dans l'Empire des Habsbourg et l'autre, la Dalmatie,

12 relevant de la sphère d'influence autrichienne. La Bosnie-

13 Herzégovine était une principauté au sein de cet empire. Merci.

14 M. NIEMANN : Madame, Messieurs de la Cour, cette carte n'ayant pas été

15 modifiée ou annotée par M. Gow, je ne vais pas en demander le dépôt.

16 (Au témoin) : Pourriez-vous maintenant regarder la carte, le

17 document 2-5 ...

18 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : S'agit-il de la pièce 10 ?

19 M. NIEMANN : Madame la Présidente, celle qui figurait sur l'écran à

20 l'instant était la pièce 10 mais M. Gow n'y a apporté ni notation ni

21 modification.

22 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : 10 avait déjà été admise ?

23 M. NIEMANN : Oui.

24 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Très bien.

25 M. NIEMANN (Au témoin) : Regardant 2-5, au plan de l'évolution historique

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1 et politique de la Yougoslavie, que pouvez-vous nous dire sur cette

2 carte particulière ?

3 REPONSE : Cette carte montre les territoires qui ont fini par former le

4 Royaume des Serbes, Croates et Slovènes en 1918. Vous pouvez voir

5 que le territoire de la Serbie est marqué en deux couleurs comme

6 auparavant; la couleur la plus sombre indique la Serbie au sens

7 étroit, telle qu'elle était au XIXe siècle, durant les années 1800,

8 et la région connue sous le nom de Serbie du sud est marquée en

9 marron plus clair.

10 Vous pouvez voir également, comme je l'ai indiqué sur la carte

11 précédente, les territoires du Monténégro, de la Bosnie-Herzégovine,

12 de la Croatie-Slavonie et de la Dalmatie. Dans la partie nord de ce

13 territoire vous pouvez observer, si je peux l'indiquer par une

14 croix, les territoires qui devaient devenir la Slovénie.

15 Vous observerez aussi que la frontière ici n'est pas la même

16 que ... La frontière avec l'Italie n'était pas la même que celle qui

17 a été établie ultérieurement dans la République socialiste

18 fédérative de Yougoslavie et qui sera plus à l'ouest. La région

19 marquée dans la couleur la plus claire était connue, durant les

20 trois premières années du Royaume des Serbes, Croates et Slovènes

21 jusqu'aux élections de 1921, sous le nom de Serbie du sud et c'est

22 dans cette région que les élections ... C'est dans le cadre de ces

23 circonscriptions administratives que les élections et les

24 recensements, etc., les fonctions administratives, étaient exécutés.

25 QUESTION : M. Gow, cette carte a-t-elle été préparée sous votre direction

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1 ?

2 REPONSE : Oui.

3 QUESTION : Merci. Madame, Messieurs de la Cour, je dépose ce document

4 comme la pièce 11 et demande que l'original avec les annotations

5 soit conservé.

6 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Y a-t-il des objections à la pièce 11 ?

7 M. WLADIMIROFF : Non.

8 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : La pièce 11 est admise et aucune indication n'y

9 figurera. Est-ce bien ce que vous vous voulez ?

10 M. NIEMANN : Madame, Messieurs de la Cour, nous n'avons pas besoin de

11 créer une autre pièce parce que les annotations figurent sur celle-

12 ci et nous pouvons la déposer comme pièce no 11.

13 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Bien. La pièce no 11 est admise.

14 M. WLADIMIROFF : Telle qu'annotée.

15 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Telle qu'annotée. Elle diffère donc légèrement

16 de 11 telle que présentée originellement. Vous n'allez pas demander

17 le dépôt de 11A annotée ? Bien. Parfait. Je ferais ce que vous

18 voulez tous les deux. La pièce 11 annotée est admise.

19 M. NIEMANN (Au témoin) : M. Gow, j'aimerais maintenant que vous examiniez

20 la carte suivante qui est affichée à l'écran, 2-6. Pouvez-vous nous

21 dire, M. Gow, ce que cette carte représente ?

22 REPONSE : Cette carte montre les circonscriptions administratives du

23 Royaume de Yougoslavie après le changement de nom de 1929 et après

24 que le Roi Alexandre ait essayé de créer dans le pays une nouvelle

25 structure administrative qui s'écarterait d'une certaine façon des

Page 115

1 identités historiques des territoires.

2 QUESTION : Sous la direction de qui cette carte a-t-elle été établie ?

3 REPONSE : Elle a été établie sous ma direction par le Bureau du Procureur.

4 QUESTION : Merci. Y a-t-il autre chose que vous puissiez nous dire

5 concernant cette carte que vous voudriez introduire comme élément de

6 preuve ?

7 REPONSE : J'attirerais seulement l'attention sur la façon dont les

8 frontières de la structure interne du Royaume de Yougoslavie

9 diffèrent de celles des territoires qui devaient constituer le

10 Royaume des Serbes, Croates et Slovènes en 1918 avant le changement

11 de nom en Royaume de Yougoslavie en 1929, ainsi que de celles des

12 territoires qui devaient devenir les Républiques au sein de la

13 République socialiste fédérative de Yougoslavie, l'Etat fédéral qui

14 a été dissout en 1991.

15 QUESTION : Y a-t-il des raisons particulières à cette différence ?

16 REPONSE : Le roi Alexandre essayait alors d'encourager la notion de

17 "Yougoslavisme". Il essayait de rompre avec les identités

18 traditionnelles, historiques et culturelles des territoires et la

19 modification de la structure administrative était une façon de

20 rompre, si je peux l'appeler ainsi, un moule historique.

21 QUESTION : Et les frontières historiques traditionnelles ?

22 REPONSE : C'est bien le cas, oui.

23 QUESTION : Je demande, s'il plaît à la Cour, que cette carte soit admise

24 comme moyen de preuve et soit inscrite comme la pièce à conviction

25 no 12 ?

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1 M. WLADIMIROFF : Pas d'objections.

2 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : La pièce 12 est admise sans objections.

3 M. NIEMANN (Au témoin) : M. Gow, s'il vous plaît, pourriez-vous examiner

4 la carte suivante que je vous montre maintenant, le document 2-7 ?

5 Pouvez-vous nous expliquer ce que ce document représente ?

6 REPONSE : Cette carte représente un arrangement conclu en 1939 dans le

7 cadre duquel une "banovina", une région en grande partie autonome, a

8 été établie sous administration croate. Ceci, vous vous rappellerez

9 la carte précédente, indiquait les frontières, les frontières

10 administratives de 1929. Le Royaume de Yougoslavie, et avant cela le

11 Royaume des Serbes, Croates et Slovènes, connaissait des problèmes

12 politiques. Il s'était, pour commencer, heurté à une série de

13 difficultés politiques de caractère ethnique et national. Les

14 accords de 1929 étaient une initiative en vue de les régler. Ils se

15 sont en grande partie soldés par un échec.

16 A certains égards, les Croates étaient mécontents envers

17 l'Etat et un accord a été conclu en 1939 établissant cette région

18 croate autonome, la "banovina", indiquée par les lignes vertes sur

19 les cartes. Cette carte montre la "banovina" croate après 1939.

20 QUESTION : Merci. Cette carte a-t-elle été préparée sous votre direction ?

21 REPONSE : Oui.

22 M. NIEMANN : S'il plaît à la Cour, je dépose cette carte.

23 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Des objections ?

24 M. WLADIMIROFF : Pas de problème.

25 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : La pièce 13 est admise.

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1 M. NIEMANN (Au témoin) : M. Gow, pourriez-vous examiner la carte suivante

2 que je vous montre, 2-8 ? Pouvez-vous nous expliquer ce qu'elle

3 représente ?

4 REPONSE : Cette carte indique les régions sur les territoires de l'ex-

5 Yougoslavie qui ont été touchées par la Seconde guerre mondiale

6 après l'invasion par l'Allemagne nazie en 1941 et par l'Italie. Vous

7 pouvez voir que la carte indique de façon générale, si je peux

8 utiliser le stylet, une zone italienne et une zone allemande.

9 Les territoires, certains des territoires indiqués en vert ont

10 été transférés à l'Italie, en vert foncé; certaines régions en vert

11 plus clair ont été placées sous contrôle italien; certaines régions

12 en rouge, ont été placées sous contrôle allemand et celles en jaune

13 ont été mises sous contrôle hongrois. En bas, dans le coin de

14 droite, vous pouvez voir en bleu clair les régions qui ont été

15 placées sous contrôle bulgare.

16 Les territoires du Royaume de Yougoslavie ont été divisés

17 après l'invasion des puissances de l'Axe. Certains des alliés de

18 l'Allemagne ont, comme je l'ai indiqué, été récompensés par des

19 territoires et l'Etat indépendant de Croatie a été créé dans

20 d'autres régions indiquées sur cette carte, en grande partie la

21 région en blanc. Cet Etat a été administré par un groupe connu sous

22 le nom des Oustachis avec, à sa tête, un homme appelé Ante Pavelic.

23 Il s'était réfugié en Italie durant les années 1930 et était appuyé

24 par le leader italien Mussolini pour se saisir du contrôle de l'Etat

25 indépendant de Croatie. Il s'agissait, en un sens, d'un Etat nazi

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1 fantoche et il a été responsable de ... Et les régions comprenaient

2 également d'importantes parties non seulement de la Croatie mais

3 aussi de la Bosnie-Herzégovine. Au sein de cet Etat indépendant de

4 Croatie, vous pouvez noter également, comme je l'ai indiqué par les

5 deux croix, une zone d'influence allemande et un zone d'influence

6 italienne.

7 QUESTION : M. Gow, pouvez-vous nous donner un calendrier approximatif en

8 termes d'années en ce qui concerne cette division entre la zone

9 allemande et la zone italienne ?

10 REPONSE : La division est intervenue après l'invasion des puissances de

11 l'Axe en 1941, en avril 1941 et, en un sens, elle a duré jusqu'à la

12 fin de la Seconde guerre mondiale en 1945 bien que le contrôle de

13 parties du territoire ait changé de mains dans le courant de la

14 guerre en Yougoslavie.

15 J'ajouterais seulement que la région en rouge, à droite sur la

16 carte où il est écrit "Serbie occupée par l'Allemagne", constituait

17 un protectorat serbe sous ... Un protectorat allemand sur la Serbie

18 sous administration locale serbe.

19 QUESTION : M. Gow, cette carte a-t-elle été préparée sous votre

20 supervision et sous votre direction ?

21 REPONSE : Oui.

22 M. NIEMANN : Madame, Messieurs de la Cour, la carte affichée à l'écran

23 peut-elle être conservée et recevoir le numéro de -- comme pièce à

24 conviction. Je dépose cette carte, Madame la Présidente.

25 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Y a-t-il des objections à 14 ?

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1 M. WLADIMIROFF : Non, Madame la Présidente, pas d'objections.

2 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Bien. La pièce à conviction 14 est admise.

3 M. NIEMANN (Au témoin) : M. Gow, que signifie le terme "Yougoslave" ?

4 REPONSE : "Yougoslave" signifie "Slave du sud". Le terme serbo-croate pour

5 "sud" est "Jug".

6 QUESTION : Quel était l'objectif de la formation de la Yougoslavie ?

7 REPONSE : La formation de la Yougoslavie en 1918, à l'époque le Royaume

8 des Serbes, Croates et Slovènes, était censée permettre de réunir en

9 un seul Etat ces différents peuples qui semblaient, apparemment,

10 avoir beaucoup de choses en commun.

11 QUESTION : Quelles sont les grandes caractéristiques géographiques et

12 topographiques de la Yougoslavie ?

13 REPONSE : La géographie de la Yougoslavie est presque aussi diversifiée

14 que ses groupes ethniques. Il existe un certain nombre de régions

15 distinctes différentes, les plaines, les plaines Pannoniennes, au

16 nord et à l'est; une série de chaînes de montagnes, alpines et non-

17 alpines au nord et à l'ouest; et la région côtière de l'Adriatique,

18 qui est une région méditerranéenne.

19 QUESTION : Pour vous aider peut-être sur ce point, le document 2-9 peut-il

20 être affiché à l'écran, s'il vous plaît ? Tout d'abord, pouvez-vous

21 me dire ce que cette carte représente essentiellement ?

22 REPONSE : Il s'agit d'une carte topographique des territoires de l'ex-

23 Yougoslavie. La carte, telle qu'elle a été préparée initialement,

24 avait pour but de montrer le terrain militaire et elle a été établie

25 par l'Etat-major du Ministère de la défense au Royaume-Uni.

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1 QUESTION : Vous pourriez peut-être passer en revue les diverses

2 caractéristiques géographiques et topographiques que vous venez de

3 décrire il y a un instant concernant cette question ?

4 REPONSE : Comme je l'ai indiqué, le degré de variation (sic) dans la

5 région nord-est du pays, vous avez une grande plaine.

6 QUESTION : Votre tracé traverse la région où se trouve Belgrade et va

7 jusqu'à Novi Sad ?

8 REPONSE : Oui. Toute la région du nord-est. Une partie de cette plaine

9 s'étend aussi à l'ouest dans une certaine mesure, à travers des

10 régions de la Croatie. Les montagnes alpines que j'ai mentionnées se

11 dressent dans le nord-ouest, sur le territoire de la Slovénie. Les

12 montagnes dinariques se trouvent dans des parties de la Bosnie-

13 Herzégovine et du Monténégro.

14 QUESTION : Vous descendez maintenant vers la région de Sarajevo, est-ce

15 exact ?

16 REPONSE : J'annote à gauche, soit à l'ouest de Sarajevo, la région en brun

17 foncé sur cette carte, traversant des parties du Monténégro. Cette

18 région est non seulement couverte de hautes montagnes mais elle est

19 aussi extrêmement boisée. Enfin, j'ai mentionné la région de la côte

20 adriatique avec son climat méditerranéen. Il s'agit de cette région,

21 ici, la région côtière avec de nombreuses îles.

22 M. NIEMANN : S'il plaît à la Cour, je dépose cette carte.

23 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Y a-t-il des objections ?

24 M. WLADIMIROFF : Pas d'objections, Madame la Présidente.

25 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : La pièce 15 annotée est admise.

Page 121

1 M. NIEMANN (Au témoin) : M. Gow, les caractéristiques géographiques de

2 l'ex-Yougoslavie ont-elles eu un impact sur son évolution historique

3 et culturelle ?

4 REPONSE : Est-ce que je peux effacer cette carte et l'utiliser de nouveau

5 ?

6 QUESTION : Oui. Je pourrais peut-être vous montrer une meilleure carte. On

7 pourrait peut-être appeler le document 2-10 pour M. Gow ?

8 REPONSE : Si je peux me permettre, je pourrais commencer avec la carte 2-9

9 et passer à ...

10 QUESTION : Peut-on afficher de nouveau la pièce 15 sur l'écran ?

11 REPONSE : Merci beaucoup. Dans la mesure où on peut avancer de pareilles

12 choses, les caractéristiques géographiques, telles qu'elles figurent

13 sur la carte, signifient qu'une région comme la Bosnie-Herzégovine,

14 avec ses montagnes élevées fortement boisées, ainsi que les régions

15 frontalières de la Serbie et du Monténégro, en ont fait

16 historiquement des obstacles naturels au plan des opérations

17 militaires. C'est l'une des raisons pour lesquelles cette région est

18 devenue la zone frontalière entre les deux empires. C'est une région

19 dans laquelle il était soit difficile de progresser soit difficile

20 d'être délogé, bien que ce ne fût pas impossible. Une autre

21 conséquence, bien que je ne sois pas ethnologue, est peut-être la

22 création de petites communautés dans des régions isolées

23 particulières à l'intérieur de vallées dans ces régions extrêmement

24 montagneuses. Si je peux poursuivre ...

25 QUESTION : Oui.

Page 122

1 REPONSE : ... et la carte 2-10 que vous avez montrée antérieurement ?

2 QUESTION : Nous pourrions peut-être maintenant passer à la carte 2-10. Que

3 représente cette carte M. Gow ?

4 REPONSE : C'est une carte qui montre l'étendue des populations orthodoxes

5 dans tous les territoires de l'ex-Yougoslavie avant la formation de

6 la Yougoslavie. Le type de frontières naturelles, historiques,

7 géographiques que j'ai mentionnées ont conduit à une situation,

8 comme vous pouvez le voir, dans laquelle vous avez une nombreuse

9 population orthodoxe, c'est-à-dire l'église orthodoxe comme l'église

10 orthodoxe serbe et, comme je l'ai dit, les églises orthodoxes

11 grecque et russe qui, comme il est indiqué sur cette carte, dans les

12 régions en marron clair, étaient en majorité, et dans les régions en

13 vert faisaient partie de populations mixtes. Cela est bien sûr un

14 peu simplifié. Toutes les régions seraient habitées par des

15 populations mixtes mais l'une indique une population majoritaire et

16 l'autre une population ayant une majorité relative.

17 Ces régions ont présenté une importance historique quand la

18 Serbie a acquis son indépendance au XIXe siècle parce que l'on

19 désirait réunir tous les orthodoxes à l'intérieur des frontières

20 d'un seul Etat.

21 QUESTION : Qui a établi cette carte ?

22 REPONSE : La carte a été préparée par le Bureau du Procureur sous ma

23 direction.

24 M. NIEMANN : Je dépose ce document.

25 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : J'ai seulement une question. Vous avez parlé de

Page 123

1 "frontières historiques". De quelle période parlez-vous ?

2 LE TEMOIN : Je vais de nouveau utiliser le stylet électronique. Comme je

3 l'ai suggéré, la frontière pendant la majeure partie de cette

4 période ...

5 QUESTION : Quelle période ?

6 REPONSE : Je m'excuse, la période couvrant environ quatre à cinq siècles

7 entre les deux empires turc ottoman et austro-hongrois des Habsbourg

8 que j'ai mentionnés, à partir du milieu du XIVe siècle, jusque vers

9 la fin de la première guerre mondiale. Comme je l'ai déjà dit, la

10 frontière est passée de la frontière entre - la frontière était la

11 frontière entre - j'ai des difficultés à tracer cette ligne.

12 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Permettez-moi de vous demander ceci. La pièce

13 que nous regardons maintenant, c'est la 16, n'est-ce pas ?

14 M. NIEMANN : Oui, Madame la Présidente.

15 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Ce serait donc selon vous les frontières

16 historiques, naturelles par religion ...

17 REPONSE : Ce que je ...

18 QUESTION : ... pendant une certaine période ?

19 REPONSE : Ce que j'essaye d'indiquer, c'est que durant ces quelques

20 siècles, vous aviez des populations orthodoxes essentiellement à

21 l'intérieur de l'Empire ottoman, du côté est de la ligne de

22 démarcation entre les deux empires, bien qu'il y ait eu aussi des

23 populations orthodoxes à l'ouest, dans les territoires de Bosnie-

24 Herzégovine et dans l'intérieur de la Dalmatie, en Croatie, dans des

25 régions de la Croatie. Mais quand la frontière a changé après 1878,

Page 124

1 bon nombre de ces personnes sont devenues ... La frontière s'est

2 déplacée par rapport à celle ici le long de la Drina. J'espère que

3 vous pouvez le voir; cela m'est difficile.

4 M. NIEMANN : Vous indiquez sur la carte une région située à environ un

5 centimètre et demi de Sarajevo.

6 REPONSE : Oui.

7 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Je croyais que vous essayiez d'expliquer la

8 différence entre les frontières historiques, naturelles, par

9 religion pendant une certaine période, du XIVe siècle jusqu'à la fin

10 du premier conflit mondial, puis que vous compariez ces frontières

11 avec celles établies ultérieurement. C'est bien cela, ou est-ce que

12 je me trompe ? Je comprends ces différents éléments et je ne vous

13 demande pas de me dire où vous allez aboutir mais il me semble que

14 les frontières sont, d'une certaine façon, fondées sur la religion,

15 puis vous nous montrez sur une carte antérieure, celle où vous nous

16 avez indiqué la division de la Bosnie-Herzégovine entre l'Italie et

17 l'Allemagne, et puis sur une autre carte avant cela vous montrez ...

18 M. NIEMANN : La pièce 14.

19 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : ... la façon dont elle a fini par être divisée

20 et, fondamentalement, il n'y a guère de corrélation entre la façon

21 dont elle a été divisée et les frontières religieuses, si je peux me

22 permettre. Est-ce que cela semble un peu décousu ? Je comprends ce

23 que vous me dites concernant cette carte - je peux la regarder et je

24 vous comprends - mais j'essaye de l'inscrire dans un contexte.

25 LE TEMOIN : Ce que vous avez dit sur la carte concernant la période 1941-

Page 125

1 45 est exact. J'essaye d'expliquer avec cette carte que la

2 combinaison de facteurs géographiques et historiques, politiques et

3 militaires, qui est à l'origine de la division entre les deux

4 empires, a également joué un rôle en créant une division qui, de

5 façon générale et un peu simpliste, serait une division entre la

6 religion catholique romaine d'Occident d'un côté de la ligne de

7 démarcation et les religions orthodoxes d'Orient et l'Islam de

8 l'autre côté de cette ligne. Les catholiques romains se trouvaient

9 du côté nord et ouest à l'intérieur des territoires de l'Empire des

10 Habsbourg qui ont fini par former la Slovénie et la Croatie, et les

11 religions orthodoxe et islamique couvraient les territoires qui

12 faisaient partie de l'Empire turc ottoman au sud et à l'est.

13 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Je ne vois pas cela parce que vous avez toute

14 une population orthodoxe là, une combinaison d'Orthodoxes, de

15 Catholiques et de Musulmans.

16 LE TEMOIN : C'est vrai. Je n'essaye pas de dire que toute la population

17 dans cette région était orthodoxe. Une population orthodoxe était

18 bien présente mais, dans certaines de ces régions en Bosnie, la

19 population était mélangée et cette partie du facteur, une partie de

20 cette situation tient à la division historique entre les deux

21 églises chrétiennes d'Orient et d'Occident remontant, je pense, au

22 IVe siècle.

23 Une autre partie de cette situation s'explique par

24 l'occupation turque ottomane des territoires pendant quatre ou cinq

25 siècles. Un autre élément est que la région ... C'est une région

Page 126

1 marquée par des fluctuations et des conflits et qui, au XIXe siècle,

2 est passée d'un Empire à l'autre, donnant naissance à un mélange ...

3 Tous ces facteurs sont à l'origine à la fois de la présence d'une

4 population orthodoxe dans ces territoires faisant partie de la

5 frontière entre les deux empires mais aussi de l'existence d'une

6 population très mixte sur le territoire d'un pays comme la Bosnie-

7 Herzégovine.

8 M. NIEMANN : Est-ce que le document figurant maintenant sur l'écran peut-

9 être déposé, Madame la Présidente, 2-10 ?

10 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Des objections à la pièce à conviction 16 ?

11 M. WLADIMIROFF : Non, Madame la Présidente.

12 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : La pièce à conviction 16 est admise.

13 M. NIEMANN (Au témoin) : M. Gow, est-ce que l'impact de ces

14 caractéristiques géographiques, culturelles et historiques a été

15 plus prononcé dans une région particulière de la Yougoslavie ?

16 REPONSE : Comme je viens de le dire dans la réponse précédente, l'impact a

17 été plus prononcé en Bosnie-Herzégovine où la combinaison des

18 facteurs durant la période a créé une population extrêmement

19 mélangée, les groupes dominants étant les Musulmans slaves, des

20 Slaves convertis à l'Islam durant la période de l'occupation turque,

21 et ceux des confessions orthodoxe et catholique qui occupaient

22 antérieurement les territoires.

23 QUESTION : Sur cette toile de fond d'une grande diversité dont vous venez

24 de parler, où est né ce concept d'une Yougoslavie unifiée ?

25 REPONSE : L'idée d'un Etat yougoslave, d'un Etat pour les Slaves du sud,

Page 127

1 est apparue dans les territoires occupés par ces populations dans

2 l'Empire des Habsbourg, essentiellement chez les intellectuels

3 croates ainsi que certains autres. C'était l'idée que les Slaves du

4 sud seraient en mesure d'acquérir une sorte d'autodétermination dans

5 le cadre d'un Etat slave du sud commun, que les populations avaient

6 suffisamment de caractéristiques communes leur permettant de se

7 regrouper et de former un Etat dans lequel elles pourraient vivre

8 ensemble.

9 QUESTION : Est-ce que ce fut le seul idéal national qui a joué un rôle

10 dans la formation de l'Etat unifié ?

11 REPONSE : Non. Pendant que cette idée yougoslave se développait chez

12 certains intellectuels de l'Empire des Habsbourg, les intellectuels

13 slaves du sud, de même une idée naissait dans le courant du XIXe

14 siècle de l'autre côté de cette ligne de démarcation historique, en

15 Serbie, alors qu'elle acquérait son indépendance. C'était l'idée

16 d'une Serbie élargie ou d'une grande Serbie comme on l'appelait

17 ordinairement, qui comprendrait les populations orthodoxes serbes

18 dans ces régions extérieures à la Serbie au sens strict. Il pourrait

19 être utile que l'on revienne à la carte qui était, je crois, la

20 première des cartes que nous avons examinées dans cette section, la

21 carte montrant la situation avant 1949.

22 QUESTION : Peut-être la pièce 10 qui est la carte 2-4.

23 REPONSE : Si vous vous rappelez, j'ai expliqué que dans le courant du XIXe

24 siècle, la Serbie, indiquée en brun foncé sur cette carte, a acquis

25 son indépendance. L'idée d'une Grande Serbie était d'incorporer les

Page 128

1 régions dans le sud, marquées en marron clair sur cette carte, et

2 aussi de s'unifier avec les territoires du Monténégro. De plus, si

3 je peux revenir à la carte 2-10 que nous examinions il y a un

4 instant, simplement pour indiquer le mouvement vers le sud et le

5 sud-ouest. Si je peux repasser à la carte 2-10, s'il vous plaît ?

6 M. NIEMANN : Nous pourrions peut-être repasser à 2-10, qui est la pièce à

7 conviction 16, s'il plaît à la Cour.

8 REPONSE : Puis-je continuer ?

9 M. NIEMANN : Oui, s'il vous plaît.

10 REPONSE : L'idée était non seulement d'incorporer les régions dans le sud

11 et l'ouest et aussi certaines régions dans le nord mais également,

12 si vous regardez la population orthodoxe qui s'étend dans des

13 parties de la Bosnie-Herzégovine et de la Croatie, dans les régions

14 que je vais essayer d'indiquer ici globalement et là, vous pouvez

15 voir qu'il s'agit de régions qui, pensait-on, pourraient faire

16 partie de l'Etat serbe élargi. Certains pensaient même qu'elle

17 pourrait inclure l'ensemble des territoires de la Bosnie et de la

18 Croatie. L'idée fondamentale était de créer un Etat dans lequel tous

19 les Serbes, tous les Serbes orthodoxes pourraient vivre ensemble.

20 QUESTION : Ils se trouvent dans les deux régions que vous avez marquées en

21 rouge ?

22 REPONSE : Oui.

23 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Quand est-ce que cette idée a été formulée, M.

24 Gow ?

25 REPONSE : C'est une idée qui a été élaborée par les intellectuels et par

Page 129

1 les politiciens serbes, par le Ministre serbe de l'intérieur, Ilija

2 Garasanin, au XIXe siècle, en même temps que l'idée yougoslave était

3 élaborée par les Slaves du sud du côté Habsbourg dans l'Empire

4 austro-hongrois.

5 M. NIEMANN : Madame la Présidente, est-ce que la version annotée de la

6 pièce 16 peut-être conservée et déposée comme la pièce à conviction

7 16A ?

8 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Y a-t-il des objections ...

9 M. WLADIMIROFF : Pas d'objections.

10 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : ... à la pièce 16. La pièce 16 annotée est

11 admise sans objections.

12 M. NIEMANN : M. Gow, quelle était la base de l'autre idéal national ?

13 REPONSE : Excusez-moi ?

14 QUESTION : Je pourrais peut-être revenir une question en arrière. Vous

15 avez expliqué le fondement de l'idée nationale serbe il y a un

16 instant à Madame la Présidente en réponse à sa question.

17 REPONSE : Oui.

18 QUESTION : Je vous demande maintenant quelle était la base de

19 l'alternative à cet idéal national ?

20 REPONSE : La base de l'idée nationale était que tous les peuples slaves du

21 sud parlent la même langue ou une variante de la même langue ou des

22 langues très apparentées, et qu'ils devraient avoir suffisamment en

23 commun pour se renforcer en formant un Etat commun, un Etat qui

24 s'appellerait la Yougoslavie ou ce qui à une certaine époque était

25 considéré comme une idée Illyre. Ce faisant, les auteurs de ces

Page 130

1 concepts parmi les Slaves du sud sur les territoires Habsbourg se

2 tournaient aussi vers la Serbie indépendante comme un exemple de la

3 manière d'acquérir l'autodétermination et une certaine force en

4 rassemblant tous les Slaves du sud.

5 QUESTION : Quel a été l'impact, s'il en est, de la première guerre

6 mondiale sur la formation de l'Etat yougoslave ?

7 REPONSE : La première guerre mondiale a créé un contexte dans lequel la

8 formation d'un tel Etat, très peu probable au début du conflit, a

9 fini par se concrétiser à la fin dudit conflit. L'idée s'est trouvée

10 réalisée parce que le contexte a permis aux deux idées de se

11 conjuguer mais les circonstances particulières à l'issue de la

12 première guerre mondiale signifiaient que l'Etat yougoslave créé,

13 connu à l'époque sous le nom de Royaume des Serbes, Croates et

14 Slovènes, a été formé en grande partie comme une extension du

15 Royaume de Serbie en place. Le régime de la monarchie serbe a été

16 étendu aux territoires du Royaume des Serbes, Croates et Slovènes

17 et, initialement, les structures parlementaires ont été maintenues

18 mais élargies.

19 QUESTION : Quels sont les événements politiques majeurs qui sont

20 intervenus entre la première et la seconde guerre mondiale ?

21 REPONSE : Le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes a été rebaptisé le

22 Royaume de Yougoslavie en 1929. Cela reflète en partie les

23 difficultés auxquelles cet Etat était confronté. Il s'est agi d'une

24 série de crises politiques, économiques, sociales et en particulier

25 ethno-nationales. Certaines des populations non serbes, en

Page 131

1 particulier les Croates ou des éléments de la population croate,

2 indéniablement certains partis politiques, n'avaient jamais été

3 satisfaits de la façon dont l'Etat avait été formé et continuaient

4 de protester. Une série d'incidents ont eu lieu, y compris un

5 échange de coups de feu au Parlement en 1929 lors du changement du

6 nom du Royaume. De plus, il y avait en place une dictature

7 monarchique déclarée comme moyen de contrôler la situation. Bien

8 sûr, les problèmes internes ont continué comme je l'ai déjà indiqué

9 lors de l'examen de l'une des cartes. Une solution a été recherchée

10 en créant la Banovina croate mais, là encore, cette solution est

11 venue trop tard dans l'histoire de la première Yougoslavie pour

12 qu'elle puisse être couronnée de succès. Donc le premier Etat

13 yougoslave, le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes, devenu par

14 la suite le Royaume de Yougoslavie, a toujours été économiquement

15 faible, socialement et politiquement en difficulté et il se

16 caractérisait, en particulier, par un sérieux conflit politique de

17 caractère ethno-national.

18 QUESTION : Quelle était la situation de l'Etat unifié de Yougoslavie à la

19 veille de la Seconde guerre mondiale ?

20 REPONSE : Il était dans une situation très affaiblie et c'est ce qui a

21 permis facilement aux puissances de l'Axe de l'envahir, d'occuper

22 des parties du pays et de le démembrer de la façon indiquée sur la

23 carte couvrant la période 1941 à 1945.

24 QUESTION : Quelles ont été les principales caractéristiques de l'impact de

25 la Seconde guerre mondiale sur la Yougoslavie ?

Page 132

1 REPONSE : Le deuxième conflit mondial en Yougoslavie a été une guerre

2 compliquée. Il s'est agi en partie d'une guerre civile entre

3 différents groupements yougoslaves, en supposant que vous

4 considériez l'ensemble du territoire de la Yougoslavie comme ne

5 faisant qu'un à cette fin. Ce fut une révolution menée par les

6 communistes sous la direction de partisans et ce fut aussi une

7 guerre de libération nationale à l'égard des forces occupantes de

8 l'Axe. Cette guerre complexe a été à l'origine d'une série de

9 conflits entre Yougoslaves ainsi qu'entre Yougoslaves et les

10 puissances occupantes.

11 QUESTION : Quels ont été les principaux participants, quel a été le nom

12 donné à certains des principaux participants durant cette période de

13 la Seconde guerre mondiale ?

14 REPONSE : De nombreux groupes différents ont participé aux événements dans

15 les diverses régions sur les territoires de l'ex-Yougoslavie durant

16 la période 1941 à 1945. Il y en avait trois ou on considérait,

17 généralement, qu'il y avait trois grands groupes. Il y avait les

18 Oustachis, les forces du Gouvernement de l'Etat indépendant de

19 Croatie, un gouvernement croate extrêmement nationaliste, comme je

20 l'ai déjà dit, mis en place par les puissances occupantes; les

21 Tchetniks loyalistes, essentiellement une organisation serbe loyale

22 à la vieille monarchie serbe, dirigés par le colonel Drazo

23 Mihailovic, Ministre de la défense du gouvernement monarchique en

24 exil; et le troisième groupe était connu sous le nom de partisans et

25 ils étaient dirigés par Josip Broz, appelé Tito, et les partisans

Page 133

1 menés par les communistes allaient sortir vainqueurs de ce conflit

2 pluridimensionnel.

3 QUESTION : Quand vous parlez des Oustachis et des puissances de l'Axe,

4 vous combinez l'Italie et l'Allemagne ou est-ce que les Oustachis

5 dépendaient davantage de l'un que de l'autre ?

6 REPONSE : Le mouvement oustachi était une organisation terroriste qui a

7 participé à l'organisation de l'assassinat du roi Alexandre en 1934

8 à Marseille, bien que l'attentat ait eu lieu en conjonction avec une

9 organisation macédonienne terroriste qui a effectivement commis

10 l'assassinat. Il a été cultivé dans l'Italie de Mussolini mais le

11 régime oustachi a été mis en place par les forces allemandes

12 d'occupation en conjonction avec les forces italiennes.

13 QUESTION : Est-ce que l'un quelconque de ces participants a recouru aux

14 persécutions ethniques dans sa campagne durant la seconde guerre

15 mondiale ?

16 REPONSE : Les persécutions ethniques ont été une caractéristique

17 fondamentale du programme oustachi sur les territoires donnés à

18 l'Etat indépendant de Croatie et, peut-être dans une moindre mesure,

19 ce fut également une caractéristique de certaines des activités des

20 Tchetniks dans des régions du sud-est de la Bosnie contre les

21 Musulmans. Mais l’élément clé de toute discussion sur ce point

22 serait la campagne des Oustachis, en particulier dans les régions

23 frontalières de la Bosnie et de la Croatie, des régions en fait

24 proches de Prijedor, où les Oustachis ont cherché à éliminer,

25 ostensiblement, un tiers de la population serbe, à en éliminer

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1 physiquement un autre tiers par l'expulsion et à convertir le

2 dernier tiers au catholicisme romain.

3 QUESTION : Sur ce point, pourrait-on appeler sur l'écran le document 1-12

4 à 1-17 mais en ne montrant que la première page, s'il vous plaît. En

5 regardant uniquement la première page, connaissez-vous ce document,

6 M. Gow ?

7 REPONSE : Oui.

8 QUESTION : Pouvez-vous me dire de quel document il s'agit ?

9 REPONSE : Ce sont les deux premières pages d'un article publié dans la

10 revue Foreign Affairs durant l'été de 1993 je crois. Je pense que

11 cela devrait être mentionné au bas de la page si on l'agrandit. Je

12 peux peut-être l'agrandir.

13 QUESTION : Pourrait-on agrandir le bas de la page, s'il vous plaît ?

14 REPONSE : Oui, c'est le numéro de Foreign Affairs de l'été 1993.

15 QUESTION : Connaissez-vous la réputation professionnelle des auteurs de

16 cet article ?

17 REPONSE : Je ne connais pas spécifiquement la réputation professionnelle

18 de l'auteur de cet article bien que je note qu'il enseigne à Boston

19 University aux Etats-Unis et assurément la revue publiant cet

20 article a une excellente réputation.

21 QUESTION : Pourriez-vous examiner une page spécifique de cet article

22 particulier, page 116 et il s'agit du document 1-15 - si on peut

23 l'afficher sur l'écran. M. Gow, s'agissant de la question des

24 Oustachis, est-il fait référence dans cette page au point que vous

25 avez mentionné concernant les opérations des Oustachis durant la

Page 135

1 Seconde guerre mondiale ?

2 REPONSE : Oui.

3 QUESTION : Pourrait-on agrandir la section que vous voulez nous montrer en

4 page 115 de la pièce à conviction ? Pourriez-vous souligner cette

5 partie ?

6 REPONSE : Si je peux simplement l'annoter en marge. J'ai marqué en marge

7 de cette page la citation : "Nous tuerons un tiers des Serbes, nous

8 en expulserons un autre tiers et nous forcerons le dernier tiers à

9 embrasser la religion catholique romaine et ainsi à devenir des

10 Croates". Il s'agit d'une déclaration de Mile Budak, qui n'est pas

11 nommé ici et qui est désigné comme Ministre croate de l'éducation

12 mais qui était aussi un responsable adjoint du régime oustachi, lors

13 d'un événement qui s’est tenu je crois le 22 juin 1941, bien que la

14 date exacte ne soit pas indiquée. Si je me souviens bien, c'était le

15 22 juin. Cela donne une idée du programme des Oustachis pour

16 éliminer la population orthodoxe serbe des territoires de l'Etat

17 indépendant de Croatie et c'est une politique qu'ils devaient

18 appliquer, ou s'efforcer d'appliquer, dans les régions frontalières

19 entre la Croatie et la Bosnie en particulier.

20 QUESTION : J'aimerais que cette section particulière soit conservée et que

21 les deux documents soient déposés, s'il plaît à la Cour, comme la

22 pièce 17 et le deuxième document annoté comme la pièce 17A.

23 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Y a-t-il des objections ?

24 M. WLADIMIROFF : Pas d'objections, Madame la Présidente.

25 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Les pièces à conviction 17 et 17A sont admises.

Page 136

1 M. NIEMANN : M. Gow, quelles ont été les politiques adoptées par Tito et

2 ses partisans durant la Seconde guerre mondiale ...

3 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Avant que vous ne poursuiviez, M. Gow, si je

4 peux me permettre, j'ai essayé de suivre les pièces et les cartes.

5 Alors, avant que vous n'alliez au-delà du "nettoyage ethnique",

6 pourrais-je vous poser quelques questions sur votre témoignage

7 jusqu'à présent, de sorte que je puisse essayer de l'inscrire dans

8 son contexte ?

9 Vous avez commencé, je pense, ou vous n'avez pas vraiment

10 commencé mais à un moment vous nous avez présenté une carte qui, si

11 je comprends bien, décrivait le progrès de l'Empire ottoman. N'est-

12 ce pas ? Vous avez indiqué la Bosnie-Herzégovine et vous avez parlé

13 de frontières naturelles et du terrain, ce qui expliquerait pourquoi

14 l'Empire ottoman n'est pas allé plus loin. Est-ce bien la teneur de

15 votre témoignage ?

16 Je pense que je vais vous demander de reprendre au début. Vous

17 essayez de nous montrer l'évolution des différences religieuses, des

18 groupes au sein de la Yougoslavie, et vous avez mentionné le XIVe

19 siècle. Puis, bien sûr, nous sommes en 1993 je crois. Vous nous avez

20 présenté ce faisant diverses cartes et je ne suis pas certaine que

21 nous vous ayons suivi chronologiquement. Vous est-il possible, même

22 sans les cartes, de nous expliquer l'évolution, du début jusqu'à la

23 fin, en termes de la composition ethnique des différentes régions,

24 mais en partant du XIVe siècle ? Cela vous est-il possible ? Vous ne

25 comprenez peut-être même pas ma question parce que je ne suis pas

Page 137

1 une historienne bien que ma matière principale ait en fait été

2 l'histoire. L'histoire de l'Amérique et il y a de cela bien

3 longtemps. Nous sommes donc au XIVe siècle.

4 REPONSE : Je ne suis pas non plus nécessairement un historien. Je ferais

5 observer tout d'abord, si je peux me permettre, que nous n'avons pas

6 atteint 1993. Ce document a été publié en 1993 mais la référence

7 vise 1941.

8 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Vous avez raison, je m'excuse ...

9 REPONSE : Globalement, le but des moyens de preuve que j'essaye de

10 présenter est de situer les événements à compter de 1991 dans leur

11 contexte politico-militaire. Pour ce faire, j'ai examiné certains

12 des facteurs de la création des Etats yougoslaves qui ont été

13 dissouts en 1991, ce qui a suscité des références non seulement au

14 XIVe siècle mais aussi au IVe siècle. Mais j'espère que de façon

15 rapide mais aussi utile que possible, on peut donner une idée de

16 l'origine des Etats constituant la fédération qui a été démembrée.

17 QUESTION : Vous pourriez peut-être nous l'expliquer même sans les cartes.

18 REPONSE : Oui.

19 QUESTION : Si vous pouviez nous l'expliquer en partant du XIVe siècle. Je

20 pense que vous pouvez le faire parce que ...

21 REPONSE : Oui, je pense que je peux essayer.

22 QUESTION : Remontons donc au XIVe siècle et, sous réserve, bien sûr, d'un

23 contre-interrogatoire, expliquez-nous dans vos propres termes

24 essentiellement ce que vous venez de nous dire avec ces cartes.

25 Repartons au XIVe siècle.

Page 138

1 JUGE STEPHEN : Et expliquez-nous ce que vous essayez d'accomplir.

2 LE TEMOIN : Je crois que je viens de dire que j'essayais d'indiquer ... Le

3 but de mon témoignage est de situer le contexte politico-militaire

4 des événements à compter de 1991. Je cherche en apportant maintenant

5 ce témoignage à donner à la Cour une idée du processus de création

6 de l'Etat dont la dislocation est à l'origine du conflit armé que

7 nous étudions.

8 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Vous faites un bon travail mais nous suivons

9 seulement les différences. Je veux simplement que vous nous

10 racontiez, si vous le pouvez et que vous repreniez au XIVe siècle.

11 Nous allons maintenant arriver à l'époque des Oustachis.

12 LE TEMOIN : Bien. Si cela ne vous ennuie pas, je vais remonter au IVe

13 siècle et présenter le tout chronologiquement.

14 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Vous pouvez si vous le voulez.

15 REPONSE : L'église chrétienne était marquée par un schisme et se divisait

16 en églises d'Orient et d'Occident, l'église catholique romaine. La

17 ligne de démarcation relative à ce schisme traversait l'ex-

18 Yougoslavie. Elle passait en gros dans la région entre la Bosnie et

19 la Serbie. Je n'irais pas jusqu'à dire exactement, mais cette ligne

20 de démarcation entre les deux empires, entre les deux parties de

21 l'église chrétienne orthodoxe, allait devenir plus tard celle

22 séparant l'Empire islamique, turc, ottoman de l'Empire d'Occident,

23 austro-hongrois et catholique romain.

24 QUESTION : D'un côté, quel qu'il soit, du côté est ?

25 REPONSE : Au nord et à l'ouest s'étendait l'Empire catholique romain,

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1 austro-hongrois des Habsbourg. Au sud et à l'est s'étendait la

2 partie orthodoxe de l'église chrétienne puis, plus tard, l'Empire

3 turc ottoman avec l'Islam. Ces deux régions ont été séparées pendant

4 quelque cinq siècles - les Habsbourg, austro-hongrois, catholiques

5 romains au nord et à l'ouest et les turcs ottomans au sud et à

6 l'est, des territoires qui comprenaient aussi des populations

7 orthodoxes, une religion qui existait en ces lieux avant leur

8 occupation par les Turcs. L'Empire turc a essayé de s'étendre au-

9 delà des régions de la Bosnie-Herzégovine et à certaines époques ses

10 forces sont même allées jusqu'à Vienne mais elles n'ont pas été en

11 mesure de conserver ces territoires. Les régions où elles sont

12 parvenues à maintenir l'Empire se situaient sur les frontières de la

13 Bosnie et de la Croatie.

14 QUESTION : Elles ne sont pas passées à l'ouest de la frontière de Bosnie-

15 Herzégovine en Croatie ?

16 REPONSE : Non, pas dans ces régions de la Croatie. Si je peux

17 m'interrompre un instant. Je me rappelle la carte sur laquelle j'ai

18 porté les frontières, le changement de frontières en 1878. Je viens

19 soudain de me rappeler que j'ai en fait écrit la date à l'envers. Si

20 quelqu'un pouvait trouver cette carte, j'aimerais pouvoir vérifier

21 et la corriger. C'est peut-être une source de confusion à propos de

22 mon exposé, si ma mémoire est correcte.

23 QUESTION : Alors l'Empire ottoman, du XIVe siècle jusqu'à ?

24 REPONSE : La fin de la première guerre mondiale.

25 QUESTION : Très bien.

Page 140

1 REPONSE : Dans certaines régions ... Je m'excuse, je dois me corriger,

2 jusqu'en 1913 qui est l'année durant laquelle les régions connues

3 sous le nom de Serbie du sud et aujourd'hui sous ceux de Kosovo et

4 de Macédoine. Mais les forces turques sont restées dans cette

5 région, et l'Empire ottoman, l'Empire turc, s'est désintégré à la

6 fin de la première guerre mondiale. L'Empire turc a donc disparu en

7 1918 mais la fin de la présence turque dans ces territoires datait

8 de 1913.

9 Le territoire de Bosnie-Herzégovine a fait partie de l'Empire

10 turc ottoman jusqu'en 1878. L'Autriche a annexé ce territoire en

11 1878 et cette région a été transférée de facto à l'Empire austro-

12 hongrois des Habsbourg. Ce transfert a été juridiquement confirmé en

13 1908 et le territoire est devenu de jure et de facto partie de

14 l'Empire austro-hongrois.

15 QUESTION : En 1908, vous avez donc une région en Bosnie-Herzégovine qui

16 appartient effectivement à l'Empire austro-hongrois, au milieu, la

17 Bosnie-Herzégovine à l'ouest, et à l'est de la Bosnie-Herzégovine,

18 qu'est-ce que nous avions ?

19 REPONSE : De 1908 jusqu'à l'ouverture de la guerre des Balkans en 1911,

20 une partie de ces territoires a constitué le Royaume indépendant de

21 Serbie et une partie a appartenu à l'Empire turc ottoman. Dans le

22 courant des guerres de 1911 et 1913, la Serbie a occupé les

23 territoires qui en 1908 appartenaient à la Turquie. En 1913,

24 l'ensemble des territoires dans cette région étaient donc devenus

25 une partie de ... Je m'excuse, à la fin de 1913, il n'y avait plus

Page 141

1 de présence turque ottomane sur les territoires de ce qui est devenu

2 la Yougoslavie mais l'Empire ottoman est devenu la frontière de

3 l'Empire ottoman (sic) jusqu'en 1918.

4 QUESTION : Puis nous avons eu la première guerre mondiale. Et à l'issue de

5 la première guerre mondiale nous avons eu, dites-vous, la création

6 réellement du Royaume de Serbie, n'est-ce pas ?

7 REPONSE : Après ...

8 QUESTION : Ou ce qui a été créé comme un prolongement du Royaume de

9 Serbie.

10 REPONSE : Le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes a été créé après la

11 première guerre mondiale. Les structures et le caractère de ce pays

12 étaient, de façon générale, un prolongement du Royaume serbe

13 indépendant établi durant le XIXe siècle jusqu'en 1878 quand il est

14 devenu pleinement et effectivement indépendant de l'Empire ottoman.

15 Et le Royaume de Serbie, avec l'expansion de ses frontières durant

16 les guerres de 1911 et 1913 - de sorte que ce Royaume qui, au début

17 de la première guerre mondiale comprenait les régions marquées

18 Serbie et Serbie du sud sur les cartes que j'ai présentées, et dont

19 le contrôle a été acquis durant la période 1911-13, tous faisaient

20 partie du Royaume de Serbie. Les structures de ce pays sont de façon

21 générale devenues celles du Royaume des Serbes, Croates et Slovènes

22 quand il a été formé à la fin de la première guerre mondiale.

23 L'expression "Serbes, Croates et Slovènes" a été utilisée notamment

24 pour refléter une partie de l'idée yougoslave et, en particulier,

25 pour refléter un accord avec les Slaves du sud du côté Habsbourg

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1 qui, le 18 octobre 1918, alors que la première guerre mondiale

2 touchait à sa fin et que l'Empire austro-hongrois commençait à se

3 désintégrer, avaient déclaré un Etat des Slovènes, Croates et Serbes

4 devant incorporer les territoires des Slaves du sud dans l'Empire

5 austro-hongrois. C'était, bien sûr, un Etat faible. Il se heurtait à

6 la perspective d'une annexion par l'Italie à la fin de 1918 et

7 c'était la raison pour laquelle les Slaves du sud du côté Habsbourg

8 voulaient se joindre à la Serbie dans le cadre d'un Etat Yougoslave

9 élargi. J'emploie le terme "Yougoslave" uniquement aux fins de

10 référence.

11 QUESTION : Ils ne devaient pas être très heureux sur ce point je suppose.

12 Il y avait encore des divisions ethniques parmi les Croates et les

13 Serbes, même à cette époque.

14 REPONSE : Oui.

15 QUESTION : Quand ils se sont joints. Ils se sont joints parce que s'ils

16 devaient choisir, ils choisiraient la Grande Serbie. Le

17 mécontentement sous-jacent subsistait.

18 REPONSE : Ils ont choisi de se joindre à la Serbie plutôt que d'être

19 occupés par les forces italiennes. Ils ont choisi la force relative

20 de la Serbie en tant que l'un des alliés de la première guerre

21 mondiale pour les protéger contre un autre des alliés de la première

22 guerre mondiale, l'Italie et, ce faisant, ils se sont joints à un

23 Etat dans lequel ils ont dû accepter un accord qui s'appuyait en

24 grande partie sur les conditions offertes par le Gouvernement serbe,

25 la raison pour laquelle certains des groupes, en particulier les

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1 Croates, resteront insatisfaits à l'égard de ce pays durant toute

2 l'entre deux guerres.

3 QUESTION : Où se trouvait, à ce stade, la majorité de la population

4 musulmane de Bosnie-Herzégovine ?

5 REPONSE : Les Musulmans slaves ... Je dois faire remarquer que l'on trouve

6 deux types de population musulmane sur les territoires de l'ex-

7 Yougoslavie. L'une, pour la majeure partie la population albanaise,

8 est musulmane, bien que bon nombre d'Albanais sont aussi des

9 catholiques romains. Les Musulmans slaves se trouvaient

10 principalement en Bosnie-Herzégovine et dans les régions

11 frontalières de Serbie et du Monténégro, la région connue sous le

12 nom de Sandzak, descendant de la frontière de la Bosnie-Herzégovine

13 vers celle du Kosovo et de l'Albanie.

14 QUESTION : Est-ce qu'ils n'ont alors jamais fait partie de la Grande

15 Serbie ou de la région croate sous les Habsbourg ?

16 REPONSE : Ils résidaient dans cette région qui a fait partie de l'Empire

17 ottoman jusqu'en 1878. La raison ... Je ne crois pas qu'il y ait une

18 seule explication spécifique pour la présence des Musulmans slaves.

19 On en avance de nombreuses. En général, l'explication la plus facile

20 et la plus simple est qu'il s'agit de populations qui étaient

21 auparavant des orthodoxes serbes ou des catholiques romains croates

22 qui se sont converties à l'Islam durant l'Empire ottoman, en vue

23 d'obtenir quelque statut particulier leur donnant accès à des

24 emplois ou à des fonctions particulières dans la société, des titres

25 particuliers. Pas tous, peu s'en faut, mais c'est l'une des raisons

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1 générales de la conversion à l'Islam, peut-être pour se faciliter

2 l'existence.

3 QUESTION : Cette région faisait-elle alors partie de la Grande Serbie ?

4 REPONSE : Ces territoires faisaient partie de régions qui auraient formé

5 une partie d'un Etat de Grande Serbie sous l'angle de l'élaboration

6 des projets d'une Grande Serbie. C’était nécessairement le cas parce

7 que tous les territoires étaient mélangés. Si vous vouliez former

8 une Grande Serbie regroupant toute la population serbe orthodoxe

9 dans les frontières d'un seul Etat, et si cette population orthodoxe

10 vivait dans des régions mixtes en Bosnie-Herzégovine, elle

11 incorporerait nécessairement les Musulmans puisque les Musulmans

12 slaves résidaient également sur ces territoires. Je ferais observer

13 que de nombreux Serbes et, en fait, les nationalistes croates, ont

14 traditionnellement considéré les Musulmans slaves comme étant

15 réellement soit des Croates soit des Serbes qui, par pur hasard, ont

16 adopté la confession islamique et, par conséquent, ne sont pas de

17 véritables musulmans mais véritablement des Serbes ou des Croates.

18 Par conséquent, dans ce contexte, je soupçonne que peut-être bon

19 nombre des nationalistes serbes pensant à un Etat de Grande Serbie,

20 considéraient probablement les Musulmans slaves comme des Serbes

21 convertis à une religion différente et il n'y aurait aucun problème

22 à les incorporer dans cette Grande Serbie.

23 QUESTION : Cela a continué jusqu'en 1929, quand le Royaume de Yougoslavie

24 a été créé ou établi, n'est-ce pas ?

25 REPONSE : Le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes a été rebaptisé

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1 Royaume de Yougoslavie en 1929.

2 QUESTION : Le Royaume de Serbie était-il encore sous la domination serbe ?

3 REPONSE : C'était la même chose - une initiative pour essayer de rectifier

4 certains des problèmes de cet Etat depuis sa formation et sa

5 consolidation entre 1918 et 1921.

6 QUESTION : En raison des préoccupations des Croates ?

7 REPONSE : En raison des préoccupations du monarque, du fait des problèmes

8 suscitant des difficultés dans le pays et, en particulier, en raison

9 d'un incident au Parlement où le chef du Parti paysan croate avait

10 été abattu et tué. La situation était extrêmement tendue. C'est la

11 raison pour laquelle la Dictature royale a été proclamée en 1929. Le

12 changement de nom était une initiative, je pense, pour renouveler

13 l'Etat, de même que la modification simultanée des circonscriptions

14 administratives internes - indiqué sur l'une des cartes que je vous

15 ai montrées, la carte 2-4 je crois mais je n'en suis pas certain.

16 QUESTION : Mais, en tout état de cause, il s'agit du Royaume de

17 Yougoslavie. Nous arrivons maintenant à la seconde guerre mondiale

18 et nous observons un changement profond au plan des frontières ?

19 REPONSE : Oui.

20 QUESTION : Très bien.

21 REPONSE : En 1941, après l'invasion par les forces de l'Axe, les

22 territoires de la Yougoslavie ont été soit répartis entre les alliés

23 de l'Allemagne nazie soit placés sous son contrôle. Certains ont été

24 mis sous le contrôle de l'Italie et l'élément peut-être le plus

25 significatif est que l'organisation oustachi fasciste, formée dans

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1 l'Italie de Mussolini, a été mobilisée pour administrer l'Etat dit

2 indépendant de Croatie dont j'ai indiqué les frontières sur la carte

3 utilisée pour la période 1941 à 1945.

4 QUESTION : Je pense que c'est là que nous nous trouvions avec la pièce à

5 conviction 17.

6 M. NIEMANN : C'est exact, Madame la Présidente.

7 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Vous avez fait référence au nettoyage ethnique

8 des Serbes par les Oustachis, n'est-ce pas, dans la revue Foreign

9 Affairs ?

10 LE TEMOIN : J'ai fait référence au programme des Oustachis. Je n'ai pas

11 employé l'expression "nettoyage ethnique" mais je me référais au

12 programme oustachi.

13 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Je croyais que l'article était intitulé ...

14 JUGE STEPHEN : C'est le titre de l'article.

15 REPONSE : C'est le titre de l'article. Il est décrit comme un historique

16 du nettoyage ethnique et il consiste en partie à expliquer les

17 événements de la seconde guerre mondiale, qui pourraient

18 certainement être qualifiés de nettoyage ethnique au sens de

19 l'expression utilisée durant les années 1990.

20 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Bien. je m'excuse.

21 M. NIEMANN : Laissons maintenant les Oustachis. Quelles ont été les

22 politiques adoptées par Tito et ses partisans durant la seconde

23 guerre mondiale ?

24 REPONSE : Tito et ses partisans formaient un mouvement mené par des

25 communistes mais qui n'était pas purement communiste. Le but des

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1 responsables était de mener une révolution communiste sur les

2 territoires de la Yougoslavie, de s'emparer du pouvoir, d'installer

3 un régime communiste à l'issue du deuxième conflit mondial. Les

4 politiques qu'ils ont adoptées étaient tout d'abord du type

5 "fraternité et unité", l'idée qu'ils pouvaient offrir une voie

6 n'appartenant pas exclusivement à l'un quelconque des groupes

7 nationaux. Ils ne seraient ni purement Croates ni purement Serbes.

8 Vous vous rappellerez que j'ai mentionné deux autres groupes

9 principaux, les Oustachis qui étaient des nationalistes croates et

10 les Chetniks royalistes qui étaient des Serbes nationalistes, bien

11 qu'ils se seraient dits probablement loyaux à la Yougoslavie mais il

12 s'agissait principalement d'un mouvement serbe.

13 Les partisans offraient une conception d'une nouvelle

14 Yougoslavie n'excluant personne, dans laquelle les problèmes de la

15 première Yougoslavie pourraient être redressés et une partie de

16 cette approche était le concept de "fraternité et unité". Mais un

17 autre élément était la promesse de la formation d'une sorte d'Etat

18 fédéral après la guerre. Il offrirait quelque chose à tous les

19 divers groupements nationaux. Ainsi la création, par exemple, d'un

20 Etat croate ferait partie de cette fédération et serait une façon

21 d'obtenir le soutien des communautés croates pour le mouvement

22 partisan. Il convient de faire remarquer que la force des partisans

23 était que les Serbes dans les régions frontalières de Croatie et de

24 Bosnie, les populations qui souffraient le plus de la campagne des

25 Oustachis, se sont rangés à leurs côtés parce qu'ils étaient prêts à

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1 se battre et se sont joints au combat des partisans mais ces

2 derniers n'en étaient pas moins un mouvement général cherchant à

3 attirer toutes les communautés nationales et qui offrait cette

4 structure d'une éventuelle fédération comme solution aux problèmes

5 de la première Yougoslavie. Ce faisant, au fur et à mesure qu'ils

6 libéraient les territoires durant le conflit, ils ont aussi commencé

7 à établir un appareil administratif fondé sur des conseils régionaux

8 et ces derniers devinrent les prototypes des structures

9 républicaines de l'après-seconde guerre mondiale.

10 QUESTION : Cela s'est fait progressivement durant la guerre; ils ont

11 commencé à le faire progressivement durant le conflit ?

12 REPONSE : Oui. C'est une activité poursuivie par les partisans durant la

13 guerre entre 1941 et 1945. En particulier, la décision d'adopter ce

14 type de structure a été adoptée lors de deux réunions du Conseil

15 antifasciste de Libération nationale de la Yougoslavie (AVNOJ) en

16 1942 et en 1943 à Bihac en Jajce.

17 QUESTION : La seconde guerre mondiale a-t-elle continué à avoir des

18 répercussions sur la Yougoslavie pendant l'après-guerre ?

19 REPONSE : On peut dire assurément que la seconde guerre mondiale a

20 continué d'exercer un certain impact sur la Yougoslavie. A un

21 échelon, de toute évidence, elle a eu un impact au sens que la

22 structure fédérale des Républiques a été créée. Elle doit

23 nécessairement avoir eu quelque influence, les souvenirs de la

24 guerre sont restés durant l'après-guerre et ont sans aucun doute

25 continué d'influencer les gens après 1945. Par exemple, en

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1 particulier, je pense que l'on ne peut pas exclure la possibilité

2 que bon nombre des partisans - qui étaient des Serbes des régions

3 que j'ai mentionnées à l'intérieur du territoire de l'Etat

4 indépendant de Croatie où les Oustachis étaient présents et

5 poursuivaient leur campagne d'élimination des Serbes du territoire -

6 bon nombre d'entre eux se sont joints aux partisans et faisaient

7 toujours partie de l'armée populaire yougoslave en 1990-91 dont ils

8 avaient rallié les rangs durant leur jeunesse, ou qu'ils

9 descendaient de membres de l'armée des partisans ou appartenaient à

10 des familles qui avaient souffert de la campagne des Oustachis.

11 QUESTION : M. Gow, quelles mesures constitutionnelles est-ce que les

12 communistes ont adopté après la seconde guerre mondiale ?

13 REPONSE : Le régime communiste a adopté une structure fédérale pour sa

14 nouvelle Yougoslavie regroupant les six Républiques que j'ai

15 mentionnées au tout début et qui devaient faire partie de la

16 République socialiste fédérative de Yougoslavie après 1974. En 1946,

17 l'Etat a été nommé République fédérale populaire de Yougoslavie et a

18 reçu cette structure fédérale composée de six Républiques avec, au

19 sein de la République de Serbie, une région et une province

20 autonomes.

21 M. NIEMANN : Le moment est-il propice, Madame la Présidente ?

22 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Avez-vous déposé les pièces 17 et 17A ?

23 M. NIEMANN : Oui, Madame la Présidente.

24 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Pas d'objections à 17 et 17A ? Elles sont

25 admises, peut-être deux fois, j'ai pu les manquer.

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1 Nous allons nous ajourner à 17 h 30 et il est presque 17 h 30.

2 Jeudi cette semaine, nous allons devoir examiner une autre question

3 à 16 h 30 de sorte que nous devrons nous ajourner plus tôt. Nous

4 nous ajournerons donc à 16 heures jeudi prochain. Demain, nous

5 commencerons à 10 heures et poursuivrons jusqu'à 17 heures 30 avec

6 notre suspension d'audience habituelle pour déjeuner de 13 heures à

7 14 h 30 et deux suspensions de 15 minutes, l'une dans la matinée et

8 l'autre dans l'après-midi. Ce sera donc pour demain mais jeudi, je

9 le répète, nous ouvrirons à 10 heures et arrêterons à 16 heures

10 parce que ce prétoire sera utilisé à 16 h 30 pour une autre

11 question. L'audience est levée jusqu'à demain.

12 (Ajournement de la Cour jusqu'au lendemain)

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