Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 LE TRIBUNAL PÉNAL INTERNATIONAL Affaire IT-94-1-T

2 POUR L’EX-YOUGOSLAVIE

3 Jeudi, le 30 mai 1996

4 (10h00)

5 LA PRESIDENTE : M. Keegan, voulez-vous poursuivre ?

6 M. KEEGAN : Merci, Mme la Présidente. Pourriez-vous faire entrer M.

7 Mujadzic ? Avant de commencer, il me semble qu’il règne une certaine

8 confusion quant à l’ordre dans lequel les témoins suivants doivent

9 comparaître et je voudrais régler ce problème pour que ce soit clair

10 pour toutes les parties. Sur la notification préalable, nous avions

11 indiqué que M. Doko serait le prochain à comparaître. Cependant, en

12 raison des retards et des lenteurs de procédure, nous avons dû le

13 renvoyer en Bosnie pour qu’il puisse participer aux élections

14 prévues à Mostar; il fallait qu’il soit là-bas. Il n’est donc pas

15 ici actuellement. Nous sommes en train de le faire revenir.

16 Le prochain témoin sera donc le témoin P, qui portait le n° 12 sur

17 la liste initiale. Il sera suivi par le témoin n° 15, Selak, parce

18 que, comme nous l’avons indiqué, le témoin 14 ou 10 était parti,

19 raison pour laquelle nous avons fait remonter M. Doko sur la liste

20 initiale.

21 LA PRESIDENTE : Qu’en est-il du témoin 13 ? Le témoin P porte le n° 12.

22 M. KEEGAN : Bien. Du fait de ses engagements, le témoin 13 suivra - il

23 était prévu que ce soit P, Selak, Kranj.

24 JUGE STEPHEN : Quel numéro porte-t-il ?

25 M. KEEGAN : Le n° 15 est Selak, Kranj est le n° 17, ensuite Doko n° 16 en

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1 raison du temps qu’il faut pour le faire revenir et ensuite M.

2 Vulliamy, qui porte le n° 13.

3 LA PRESIDENTE : Nous avons donc les numéros 12, 15, 17, 16 et 13, c’est

4 bien l’ordre actuel ?

5 M. KEEGAN : C’est exact.

6 LA PRESIDENTE : C’est le témoin 14 ?

7 M. KEEGAN : C’est exact.

8 LA PRESIDENTE : Les trois premiers témoins, dans ce nouvel ordre, sont ici

9 et sont prêts à comparaître.

10 LA PRESIDENTE : Bien entendu, nous entendrons le témoin P à huis clos

11 comme l’a demandé le Procureur dans sa requête, laquelle n’est pas

12 contestée par la Défense, me semble-t-il ?

13 M. KEEGAN : C’est exact.

14 LA PRESIDENTE : Très bien. Voulez-vous poursuivre, s’il n’y a plus de

15 problème à résoudre au préalable ?

16 M. KEEGAN : Merci.

17 M. MIRSAD MUJADZIC est rappelé

18 Poursuite de l’interrogatoire par M. KEEGAN

19 Q. : M. Mujadzic, hier avant la suspension d’audience, vous aviez décrit,

20 évoqué une série d’événements ou de réunions qui ont eu lieu durant

21 la première partie de 1992 et qui, selon vos dires, ont suscité chez

22 vous énormément d’inquiétude par rapport à ce qui était sur le point

23 de se produire. Nous avons commencé par le premier de ces

24 événements, à savoir la réunion avec Stojan Supljanin, le chef des

25 services de sécurité à Banja Luka. Vous avez indiqué que l’un des

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1 événements significatifs qui a suivi était la proclamation de la

2 République serbe en Bosnie-Herzégovine et la proclamation de

3 l’Assemblée serbe dans l’opstina de Prijedor qui en a découlé.

4 Pourriez-vous nous dire un mot sur l’importance de ces événements ?

5 R. : Après la proclamation de la République serbe en Bosnie-Herzégovine -

6 je pense que c’était au début de 1992, je ne connais pas la date

7 exacte - il y a eu la proclamation de la municipalité serbe de

8 Prijedor, qui a été annoncée par les médias. Milomir Stakic, qui

9 occupait légitimement les fonctions de vice-président de l’Assemblée

10 municipale, a été nommé, lors de la proclamation de la République

11 serbe, Président de la municipalité serbe de Prijedor. On a

12 également annoncé que la municipalité serbe serait rattachée à la

13 République serbe de Bosnie-Herzégovine; et je suis certain que les

14 noms des membres du gouvernement municipal, du gouvernement

15 municipal de la municipalité serbe de Prijedor, ont également été

16 rendu publics. Je ne me souviens pas des noms de toutes ces

17 personnes.

18 Q. : Après l’annonce initiale de la création de la municipalité serbe à

19 Prijedor, M. Stakic et les autres ont-ils continué à exercer leurs

20 fonctions au sein de l’Assemblée municipale légitime, l’Assemblée

21 municipale élue, de Prijedor, pendant un certain temps ?

22 R. : M. Stakic lui-même a, pendant un certain temps après la proclamation,

23 continué à travailler comme vice-président de l’Assemblée municipale

24 légitime, de même que les membres élus du gouvernement municipal

25 légitime. Ensuite, peut-être juste avant le début de la guerre,

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1 Milomir Stakic a cessé de travailler dans le bâtiment de l’Assemblée

2 municipale de Prijedor.

3 Q. : Vous avez dit que l’un des événements importants était la prise de

4 contrôle de l’émetteur de télévision dans la région de Prijedor.

5 Quelle était la signification de cette prise de contrôle ?

6 R. : C’était un émetteur de la télévision de Bosnie-Herzégovine, qui était

7 installé sur le Mont Kozara à Lisina, qui surplombait la ville de

8 Prijedor et qui transmettait le signal TV sur tout le territoire de

9 la vallée de la Rivière Sana, et donc dans la municipalité de

10 Prijedor et dans plusieurs autres municipalités environnantes.

11 Dans un premier temps, seul le deuxième canal TV a été modifié sur

12 cet émetteur. Le premier canal a continué à transmettre le premier

13 programme de la télévision de Bosnie-Herzégovine. Le deuxième canal

14 transmettait le programme de la télévision de Belgrade.

15 Q. : Comment qualifieriez-vous la programmation du canal de Belgrade ?

16 R. : J’ai déjà dit que la télévision de Belgrade était de toute manière

17 entièrement acquise à l’idée de la Grande Serbie et à la propagande

18 de Milosevic, et ce deuxième canal a continué à diffuser la

19 propagande de Milosevic et sa vision de la Grande Serbie.

20 Q. : Pendant un certain temps, le premier canal a continué à fonctionner

21 et ensuite, je ne sais pas exactement à quelle date, mais c’était

22 peut-être bien un mois après la prise de contrôle de l’émetteur, le

23 canal de la télévision de Bosnie-Herzégovine a été supprimé et le

24 premier canal, tout comme le deuxième canal, a alors uniquement

25 transmis les programmes de la télévision de Serbie.

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1 Q. : Le deuxième événement important à vos yeux, c’était le début de la

2 guerre en Bosnie-Herzégovine, plus particulièrement dans les régions

3 de Bijeljina et de Brcko. Quel a été l’impact de ces événements sur

4 la population de l’opstina de Prijedor ?

5 R. : Les gens ont vu d’horribles images de Bijeljina, où des criminels et

6 des extrémistes appartenant à des formations paramilitaires

7 dirigées, commandées par Arkan ont tué des dizaines et des centaines

8 d’habitants non serbes à Bijeljina, immédiatement après que Biljana

9 Plavsic, en visite à Biljeljina, a serré la main d’Arkan en

10 l’embrassant et en le félicitant. C’était une image horrible qui a

11 choqué et effrayé la population non serbe de Prijedor.

12 Q. : Lorsque Biljana Plavsic s’est rendue à Bijeljina et a félicité Arkan,

13 quelles étaient ses fonctions ? Quelles étaient ses fonctions au

14 sein du gouvernement ?

15 R. : Jusqu’alors, elle exerçait les fonctions de membre de la présidence

16 de Bosnie-Herzégovine, mais je pense qu’à cette époque, elle était

17 aussi, ou peut-être seulement, membre ou peut-être vice-présidente

18 de la République serbe de Bosnie-Herzégovine, qui venait d’être

19 proclamée.

20 Q. : Les événements suivants mentionnés par vous sont le retour des

21 soldats après la guerre de Croatie et leur redéploiement dans

22 l’opstina de Prijedor. Voudriez-vous présenter la pièce à conviction

23 136 au témoin, je vous prie, et la placer sur l’elmo ? Pendant que

24 nous attendons qu’elle soit placée sur l’elmo, M. Mujadzic,

25 pourriez-vous expliquer brièvement la composition des forces qui

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1 revenaient de Croatie?

2 R. : Après la signature d’un cessez-le-feu en Croatie, deux brigades sont

3 revenues de Lipik et de Pakrac, sur le front croate, dans la région

4 de Prijedor. Il s’agissait de la 5e brigade de Kozara, commandée par

5 le Colonel Pero Colic, et de la 43e brigade commandée par le Colonel

6 Arsic, dont l’adjoint était le major Radmilo Zeljaja.

7 Q. : De quel type d’armes lourdes ces brigades disposaient-elles ?

8 R. : Elles avaient toutes des armes lourdes, y compris des chars, des

9 canons, des fusils et un grand nombre de mortiers.

10 Q. : Pourriez-vous indiquer sur cette carte de l’opstina, sur la pièce à

11 conviction 136, où étaient déployées ces troupes et ces armes dans

12 l’opstina ?

13 R. : Pour autant que je sache, une partie des armes lourdes était déployée

14 dans la région de Crna Dolina, ou Vallée Noire, et Velika Palaciste,

15 une autre partie était déployée dans la région de Lamovita et un

16 nombre considérable de chars et d’autres armes lourdes se trouvaient

17 dans la région d’Omarska. Dans la région du village de Miljakovci à

18 Topica Brdo, le Mont Topica, il y avait un certain nombre de

19 mortiers. Des unités plus petites étaient déployées, je pense, ici à

20 Niska Glava, mais je ne suis pas certain qu’il y avait des armes

21 lourdes à Niska Glava.

22 Q. : Après le retour de ces troupes du front croate, vous avez indiqué que

23 les événements importants qui ont suivi étaient une série de

24 réunions avec le colonel Arsic et son adjoint, Radmilo Zeljaja.

25 Pouvez-vous expliquer de quelles réunions il s’agissait ?

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1 R. : Excusez-moi, selon l’interprète, la réunion se déroulait avec Zeljaja

2 et Karadzic, était-ce bien la question ?

3 Q. : Non, avec Arsic et Zeljaja.

4 R. : Il y a eu plusieurs réunions de ce type. Certaines réunions ont

5 commencé à se tenir avant le retour de ces brigades, il s’agissait

6 de réunions du Conseil municipal de la Défense territoriale.

7 Certaines réunions se sont déroulées après le retour de ces

8 brigades. Pourriez-vous préciser si vous souhaitez que je parle des

9 réunions qui se sont tenues avant ou après l’arrivée des brigades ?

10 Q. : Commençons, évidemment, par les réunions qui se sont tenues avant le

11 retour des brigades. Qui a convoqué ou demandé ces réunions ?

12 R. : Officiellement, légalement, la réunion a été convoquée par le

13 Président du Conseil municipal de la Défense territoriale, qui était

14 d’office le Président de la municipalité, Muhamed Cehajic.

15 Toutefois, il a convoqué cette réunion à la demande pressante du

16 colonel Arsic, et Arsic a également demandé que cette réunion, à

17 laquelle participent normalement, outre le Président de la

18 municipalité, du fait de leurs fonctions, le premier ministre, le

19 chef de la police, le commandant de l’état-major communal des unités

20 de la Défense territoriale, le Secrétaire municipal pour la Défense

21 territoriale, et le vice-président du comité exécutif, qui était

22 également le commandant de l’état-major de la Défense civile.

23 Donc, en plus de ces membres ordinaires du conseil, ont également

24 été convoqués à cette réunion moi-même, en ma qualité de Président

25 du SDA, Simo Miskovic en sa qualité de Président du SDS, le

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1 Président du HDZ et je pense aussi le Président du Parti social

2 démocratique. Il a participé à la première ou à la deuxième réunion.

3 Ultérieurement, il n’a pas été convoqué. Ceux qui se sont exprimés

4 le plus souvent durant la réunion étaient Arsic et Zeljaja.

5 M. KEEGAN : Voudriez-vous présenter la pièce à conviction 140 au témoin ?

6 LA PRESIDENTE : M. Mujadzic, quand cette réunion s’est-elle déroulée ?

7 Essayez de donner une date aussi précise que possible.

8 R. : Je ne me souviens pas de la date exacte de ces réunions. Ce dont je

9 suis sûr, c’est que c’était peu de temps avant le retour de ces

10 brigades. Je pense que c’était probablement un mois ou peut-être un

11 peu plus avant le retour de ces brigades du front croate.

12 M. KEEGAN : Pourriez-vous placer cette photographie sur l’elmo ? La

13 résolution n’est pas très bonne à l’ordinateur (Au témoin) : M.

14 Mujadzic, reconnaissez-vous l’homme au milieu de cette photographie

15 ?

16 R. : Cette photographie n’est pas très claire. C’est le colonel Arsic, le

17 colonel Arsic.

18 M. KEEGAN : Mme la Présidente, je soumets la pièce à conviction 140.

19 LA PRESIDENTE : Pardon ?

20 M. KEEGAN : 140.

21 LA PRESIDENCE : Y a-t-il des objections concernant la pièce 140 ?

22 M. WLADIMIROFF : Non, Mme la Présidente.

23 LA PRESIDENTE : La pièce à conviction 140 est admise.

24 JUGE STEPHEN : Puis-je poser une question ? Quel est l’uniforme que porte

25 la première personne que l’on voit sur cette photographie ?

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1 R. : Je ne connais pas ce genre d’uniforme. C’est la première fois que je

2 vois ce signe, cet insigne. C’est probablement une photo qui a été

3 prise après l’époque où nos réunions se sont tenues. A cette époque,

4 Mico Kovacevic portait des vêtements civils et la personne à

5 laquelle vous faites référence est Mico Kovacevic, le Président du

6 Conseil exécutif de la municipalité de Prijedor, en d’autres termes,

7 le Président du gouvernement de Prijedor.

8 M. KEEGAN : Si je puis vous aider, M. le Juge, cette photographie est

9 extraite d’une bande vidéo qui sera soumise ultérieurement. Vous

10 verrez qu’il porte simplement un T-shirt sur lequel figure en fait

11 l’inscription "US Marines" et sur lequel il a cousu une pièce. Il ne

12 s’agit donc pas du tout d’un uniforme.

13 (Au témoin) : Cette réunion que vous allez évoquer, s’est-elle tenue

14 avant la prise de contrôle du 30 avril 1992 ? La réunion dont nous

15 parlons et que vous allez décrire, s’est tenue avant le 30 avril

16 1992, est-ce exact ?

17 R. : J’ai compris la question, mais je n’ai pas eu la traduction en

18 bosniaque. Je suis désolé. Non c’est bien. Je vous entends

19 maintenant. J’entends maintenant.

20 Q. : Pour répondre à la question de Mme la Présidente, que je répète, de

21 toute manière cette réunion que vous allez nous décrire s’est

22 déroulée avant le 30 avril 1992?

23 R. : Oui, certainement bien avant le 30 avril.

24 Q. : Pourquoi le colonel Arsic a-t-il convoqué cette réunion ?

25 R. : A cette époque, les deux brigades, les brigades serbes, se trouvaient

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1 sur le front croate. Un incident s’est produit dans la municipalité

2 voisine de Bosanska Dubica. Plusieurs soldats croates, membres de la

3 garde nationale, connus sous le nom de "Zenga", ont apparemment

4 attaqué certains villages serbes et ont provoqué des incidents.

5 Après cela, les villages serbes environnants et la population serbe

6 de Prijedor ont insisté pour bénéficier d’une protection. Lors de

7 cette réunion, Arsic a proposé que l’on mobilise la Défense

8 territoriale de Prijedor et que l’on protège les bâtiments les plus

9 importants à Prijedor.

10 Q. : Lors de la mobilisation, a-t-on recommandé de distribuer des armes

11 pour la Défense territoriale ?

12 R. : Oui, après un certain nombre de ces réunions, Arsic a enfin accepté

13 que les armes de la Défense territoriale, qui étaient entreposées

14 dans les entrepôts de l’armée populaire yougoslave, soient

15 distribuées dans les collectivités locales, les quartiers et qu’une

16 partie du détachement municipal de la Défense territoriale de la

17 municipalité de Prijedor soit mobilisée. Dans chaque collectivité

18 locale, 23 pièces devaient être distribuées et je pense que, pour ce

19 détachement de la municipalité de Prijedor, environ 200 personnes

20 devaient être mobilisées - je ne suis pas certain du chiffre - pour

21 la ville, pour la ville de Prijedor même.

22 Q. : Cette décision ou cet accord concernant la distribution de 23 armes à

23 chaque Mjesna Zajednica, était-elle le résultat de négociations

24 entre le gouvernement légitime de l’opstina et les autorités

25 militaires ?

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1 R. : Je n’appellerais pas vraiment cela des "négociations"; c’était plutôt

2 la décision d’Arsic. Nous avons essayé de demander plus d’armes et

3 nous avons demandé que, en plus des fusils ordinaires, d’autres

4 armes soient distribuées comme c’est généralement le cas lorsque la

5 Défense territoriale est mobilisée, comme des mortiers et de

6 l’artillerie légère, mais il n’a pas donné son accord, en sorte que

7 nous n’avons reçu que 23 fusils.

8 Q. : Avez-vous constaté que certaines des collectivités locales

9 essentiellement habitées par des Musulmans ont effectivement reçu

10 une partie de ces armes conformément à cette décision ?

11 R. : Je n’ai pas pu vérifier personnellement si toutes ces armes avaient

12 été distribuées. Ce dont je suis certain, c’est que dans certaines

13 collectivités locales, on s’est plaint que certaines armes n’étaient

14 pas en état de fonctionner, que le nombre de pièces distribuées ne

15 correspondait pas au nombre prévu, et dans certaines collectivités

16 locales où il y avait des Serbes et des Musulmans, comme par exemple

17 à Orlovci, les Musulmans n’avaient pas reçu les armes qui leur

18 avaient été attribuées. Elles avaient été distribuées aux Serbes

19 seulement.

20 Q. : Avez-vous remarqué que, dans certaines des Mjesna Zajednicas à

21 majorité musulmane, des postes de contrôle avaient été installés, où

22 il y avait des membres de la Défense territoriale avec des armes ?

23 R. : A ce moment, les opérations de la Défense territoriale étaient tout à

24 fait conformes à ce qui était prévu. Le commandant des troupes de la

25 Défense territoriale était Rade Javoric, un Serbe, mais qui n’était

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1 pas un candidat du SDS. Tous les postes de contrôle établis sur le

2 territoire de la municipalité de Prijedor et dans les collectivités

3 locales ne servaient pas tous à opérer des contrôles. A cette

4 époque, c’étaient essentiellement des sentinelles dont la tâche, la

5 responsabilité était de protéger certains bâtiments et de veiller à

6 la sécurité des citoyens.

7 Q. : De quel type étaient les armes qu’avaient les sentinelles dans les

8 collectivités musulmanes ?

9 R. : C’étaient de vieux modèles, de vieilles armes automatiques russes et

10 de vieux fusils M49, c’est-à-dire fabriqués en 1949, et il y avait

11 quelques fusils semi-automatiques, M60 je pense. Je ne me souviens

12 pas exactement du modèle. Bref, c’étaient essentiellement de

13 vieilles armes, souvent obsolètes.

14 Q. : Avez-vous remarqué, à un certain moment, que des distributions

15 d’armes étaient organisées à grande échelle au bénéfice de la

16 population serbe de l’opstina ?

17 R. : Après cela, une fois les armes distribuées, c’est-à-dire lorsque les

18 unités de la Défense territoriale ont été régulièrement mobilisées,

19 nous avons remarqué que le nombre de membres armés dans les

20 collectivités locales serbes était plus élevé qu’il n’aurait dû

21 l’être. Ensuite, à plusieurs reprises après cela, nous avons vu que

22 des armes étaient distribuées depuis des camions, des camions

23 militaires de la JNA aux collectivités locales serbes. Ensuite, par

24 chance, nous avons découvert des terrains de manoeuvre où des

25 exercices, des entraînements, des exercices de tir, se déroulaient

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1 sur le Mont Kozara depuis le village de Brezicani vers Kozara. Les

2 formations paramilitaires serbes suivaient des entraînements à cet

3 endroit.

4 Q. : Avez-vous interrogé le colonel Arsic à propos de ces informations ?

5 R. : Après avoir reçu ces informations, j’ai demandé à le voir. Je lui ai

6 signalé ces faits et il a dit que ce n’était pas vrai et qu’il

7 s’agissait de rumeurs non vérifiées et inexactes. Je lui ai alors

8 dit que nous avions des preuves et que, s’il le souhaitait, je

9 pouvais lui montrer des photographies sur lesquelles on voyait que

10 des armes étaient distribuées depuis des camions de l’armée

11 populaire yougoslave. Lorsque je lui ai dit cela, il était surpris

12 et quelque peu décontenancé et il a répondu : "Bien, nous allons

13 examiner la question."

14 Q. : Vous avez mentionné que vous aviez également eu des réunions avec le

15 Commandant adjoint, Radmilo Zeljaja; quelle était la nature de ces

16 entretiens ?

17 R. : Je pense que ces réunions se sont tenues après le 6 avril, c’est-à-

18 dire après le début de la guerre en Bosnie-Herzégovine. Lors d’une

19 discussion précédente, il avait mentionné qu’il avait des liens très

20 étroits avec Sarajevo et qu’il avait de merveilleux souvenirs de

21 Sarajevo. Il a dit qu’il se trouvait à Sarajevo durant son service

22 militaire et qu’il aimait beaucoup cette ville.

23 Le 6 avril, la Bosnie-Herzégovine a été officiellement reconnue et

24 je lui ai dit : "Zeljaja, écoutez-moi. La Bosnie-Herzégovine a été

25 officiellement reconnue. Il ne fait aucun doute qu’elle aura sa

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1 propre armée. Il serait judicieux que vous affirmiez votre loyauté à

2 l’Etat de Bosnie-Herzégovine et que vous participiez à la formation

3 de la nouvelle armée de l’Etat de Bosnie-Herzégovine." A ce moment,

4 il a exprimé quelques doutes quant à la survie de la Bosnie-

5 Herzégovine et il a dit : "Voyons, la Bosnie a été reconnue, mais

6 cela ne veut rien dire."

7 Je lui ai répondu que ce n’était pas vraiment le cas, que la

8 Communauté européenne et les Etats-Unis d’Amérique étaient

9 favorables à cette reconnaissance et qu’ils nous soutenaient. J’ai

10 laissé entendre que s’il proclamait sa loyauté, nous pourrions lui

11 offrir un bon poste au sein de la nouvelle armée, de la future

12 armée, un appartement à Sarajevo et une récompense, une large

13 récompense financière s’il acceptait d’examiner la question. Il a de

14 nouveau émis des doutes et a dit qu’il était très peu probable que

15 cela aboutisse à quelque chose. Je lui ai dit : "Eh bien, si vous ne

16 voulez pas rester ici, nous pouvons vous aider. Si vous acceptez de

17 nous dire quels sont les officiers de ces brigades ou tout autre

18 individu que vous connaissez et qui affirmerait sa loyauté à la

19 Bosnie-Herzégovine, nous vous offrirons une bonne récompense

20 financière et nous vous aiderions à vous rendre là où vous voudrez."

21 Il a eu l’air très confus, très peu sûr de lui-même. Il était, il a

22 semblé renoncer, très hésitant, il a semblé réfléchir et a répondu :

23 "Bien, mais ne parlons pas de cela maintenant; nous pouvons nous

24 rencontrer ailleurs." Deux ou trois jours plus tard, nous nous

25 sommes revus à l’El Dorado, un pub en-dessous de l’appartement, dans

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1 le bâtiment en-dessous de son appartement, dans le bâtiment où il

2 vivait. Mais cette réunion n’a pas duré plus de 15 minutes. Nous

3 avons bu une tasse de café ensemble et il a dit qu’il n’avait pas

4 beaucoup de temps, qu’il ne pouvait pas rester et qu’il avait

5 énormément de choses à faire. J’ai alors essayé de le provoquer.

6 J’ai dit : "Que voulez-vous dire, le SDS vous a-t-il offert plus

7 encore ? et il a répondu : "Non, je suis un officier de la JNA et je

8 n’ai aucun contact avec le SDS." Nous nous sommes séparés et je n’ai

9 plus eu de contacts avec lui après cette réunion.

10 Q. : Vous avez dit que vous avez également eu des réunions avec Simo

11 Miskovic. Quel était l’objet de ces réunions ?

12 R. : Il y a eu un certain nombre de réunions en 1992, après la

13 proclamation de la municipalité serbe de Prijedor. Nous avons

14 demandé qu’on nous explique ce que cela cachait, quel était le but

15 de tout cela, ce qu’était l’opstina serbe de Prijedor et comment ils

16 pensaient mettre leur projet à exécution. Comment deux municipalités

17 pouvaient-elles fonctionner en un seul et même endroit ?

18 Il avait pour habitude de répondre : "Ne vous inquiétez pas, ce sera

19 facile, tout sera résolu en moins de temps qu’il n’en faut pour le

20 dire", mais il n’a jamais voulu révéler ses intentions réelles.

21 Ensuite, il y a eu son intervention caractéristique sur les ondes de

22 Radio Prijedor. Le réalisateur de Radio Prijedor, Muharem Nezirovic,

23 nous a invités tous les deux le 28 avril à participer à une

24 émission, à participer ensemble à une émission. Il a clôturé son

25 intervention en disant qu’il voulait que nous vivions tous en paix.

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1 Je paraphrase bien entendu, mais la substance de son message était

2 que le SDS, qu’ils ne provoqueront pas une guerre, un conflit dans

3 la municipalité de Prijedor. J’ai dit que nous n’avions pas non plus

4 l’intention de provoquer une guerre, un conflit à Prijedor et que

5 nous voulions que Prijedor continue à vivre en paix. Evidemment, pas

6 plus tard que le lendemain, il est apparu que ses intentions réelles

7 ne correspondaient pas à son message.

8 Q. : Quelle sorte d’entrevue avez-vous eu le 29 avril, le jour suivant ?

9 R. : Le 29 avril, il y a eu plusieurs réunions et événements. Durant les

10 premières heures de la matinée, j’ai été appelé de Sanski Most par

11 des représentants du SDA à Sanski Most, qui m’ont demandé d’aller

12 là-bas et de participer à une réunion à laquelle seraient également

13 présents le Général Talic, le commandant de l’époque du corps de

14 Banja Luka et le colonel Hasetic. J’ai accepté cette invitation

15 parce qu’à l’époque, j’exerçais également les fonctions de Président

16 du conseil régional du SDA de Banja Luka, qui avait un rôle de

17 coordination.

18 Q. : Que s’était-il passé à Sanski Most pour que cette réunion avec le

19 Général Talic soit nécessaire ?

20 R. : Dès que nous sommes entrés dans Sanski Most, des soldats sont venus à

21 notre rencontre près d’un poste. Je leur ai dit que je me rendais à

22 cette réunion et ils nous ont laissé passer. La ville était pleine

23 de soldats et, dans un premier temps, je ne me suis pas rendu compte

24 de ce qui se passait. Nous sommes entrés dans le bâtiment de la

25 mairie. Le Général Talic et le Colonel Hasetic s’y trouvaient déjà,

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1 et le commandant de la police de Sanski Most, qui représentait le

2 SDA, m’a brièvement expliqué de quoi il s’agissait. Ce soir-là, des

3 policiers serbes avaient attaqué des policiers non serbes - croates,

4 musulmans et autres - et les avaient chassés du poste de police. Ils

5 s’étaient installés dans le bâtiment de la mairie de Sanski Most. Il

6 a dit qu’immédiatement après, l’armée est entrée dans la ville.

7 Je me suis approché du Général Talic et je lui ai demandé des

8 explications. Je lui ai demandé pourquoi l’armée avait pris le

9 contrôle de la ville. Il a répondu que c’était pour éviter un

10 conflit entre, selon ses propres termes, des parties en conflit et

11 que c’était seulement temporaire. J’ai alors demandé que l’armée se

12 retire parce qu’il n’était pas compétent, pas mandaté pour agir

13 ainsi et qu’il fallait trouver une solution politique à ce problème.

14 Il a refusé cette possibilité.

15 Après cela, il y a eu une réunion avec Rasula, le maire, le

16 Président du SDA et un autre représentant du SDA. Tant le maire que

17 le Président du SDA à Sanski Most m’ont exhorté à participer à la

18 réunion. Cependant, Rasula et le représentant du SDS ont rejeté

19 cette possibilité avec emphase, affirmant qu’il n’y avait pas de

20 représentant du comité du SDS de Banja Luka, raison pour laquelle

21 ils s’opposaient à ce que je participe à la réunion. Après cela,

22 j’ai quitté Sanski Most.

23 Q. : A quelle réunion avez-vous ensuite participé, le 29 ?

24 R. : Au retour de Sanski - à mon retour de Sanski Most, j’ai rencontré des

25 gens à Prijedor. On m’a dit qu’il y aurait une réunion avec un

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1 policier et d’autres membres du poste de police de Prijedor et que

2 la réunion devait se tenir dans le bâtiment du poste de police.

3 Hasan Talundzic, le chef de la police, était présent à la réunion,

4 ainsi que plusieurs officiers supérieurs de police d’origine serbe,

5 Muhamed Cehajic, le maire de l’opstina de Prijedor et moi-même.

6 Q. : Quel était l’objet de cette réunion ?

7 R. : Les policiers serbes exigeaient une décision finale sur le point de

8 savoir si le poste de police de Prijedor serait intégré au sein de

9 la police de Banja Luka sous le commandement de Stojan Supljanin ou

10 s’il serait rattaché au ministère de l’Intérieur de la République à

11 Sarajevo, comme le demandaient avec insistance les policiers non

12 serbes.

13 Q. : Et que ...?

14 R. : Oui ?

15 Q. : La réunion a-t-elle abouti à quelque chose ?

16 R. : Il n’y a pas eu de décision finale, définitive. J’ai simplement

17 demandé qu’aucune décision ne soit prise à ce moment, que l’on

18 attende l’accord final sur la structure de la Bosnie-Herzégovine,

19 que les décisions définitives ne soient prises qu’après qu’un accord

20 soit intervenu au niveau de la République, et qu’entre-temps le

21 poste de police de Prijedor ne change pas de statut, c’est-à-dire

22 qu’il continue de dépendre du ministère de l’Intérieur de la

23 République, tout en maintenant la coopération avec le centre de

24 sécurité de l’Etat à Banja Luka.

25 Vers la fin de la réunion, un policier a dit qu’il ne voulait pas

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1 recevoir d’ordres de Sarajevo. C’était un policier serbe, un

2 policier d’origine ethnique serbe. Il était employé au département

3 des communications et il a dit qu’un document venait d’arriver,

4 disant que la police devait attaquer l’armée et qu’il ne voulait pas

5 faire cela. J’ai dit que je ne savais pas de quoi il s’agissait et

6 c’est sur ces paroles que la réunion s’est terminée.

7 Q. : Avez-vous eu une réunion plus tard avec le colonel Arsic concernant

8 le télégramme ?

9 R. : Après cette réunion, je suis retourné à mon appartement et un peu

10 avant 5 heures, le Colonel Arsic m’a téléphoné et m’a demandé de

11 venir le voir à la caserne. Compte tenu de la situation générale,

12 j’ai dit qu’il valait mieux se rencontrer ailleurs - à un autre

13 endroit. Il a dit : "Mais Simo Miskovic, le Président du SDS, est

14 déjà ici avec moi. Auriez-vous l’amabilité de venir également parce

15 qu’il y a une question urgente que nous devons examiner et dont je

16 ne puis parler au téléphone."

17 Q. : Etes-vous allé à la caserne ?

18 R. : Oui, j’y suis allé et dès que je suis entré dans la caserne, j’ai vu

19 qu’il était assis à une table. Il m’a montré un document et a dit :

20 "Savez-vous de quoi il s’agit ?". J’ai jeté un coup d’oeil au

21 document. C’était un télex. J’ai lu quelques phrases et j’ai dit que

22 je n’avais pas reçu de télex de Sarajevo, que je ne savais pas de

23 quoi il s’agissait et que c’était la première fois que je voyais

24 quelque chose comme cela. Il a dit que ce télégramme était l’ordre,

25 que c’était un ordre destiné à la police et à l’armée, aux termes

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1 duquel la caserne de la JNA devait être encerclée et des barrages

2 devaient être installés sur toutes les voies d’accès importantes que

3 l’armée pouvait utiliser pour sortir. J’ai dit que je n’étais au

4 courant de rien et que ce devait être une erreur.

5 Q. : Pendant cette réunion, le Colonel Arsic et les autres se sont-ils

6 rendus compte ou ont-ils appris que le gouvernement de Bosnie-

7 Herzégovine niait avoir envoyé ce télex et déclarait que c’était un

8 faux et qu’il n’avait pas de telles intentions ?

9 R. : Immédiatement après cela, la présidence de Bosnie-Herzégovine a nié

10 le contenu du document, affirmant qu’elle n’avait pas donné cet

11 ordre et que c’était une erreur. Cependant, Arsic s’est alors tourné

12 vers moi et a semblé dire la même chose à Simo Miskovic. Il a dit :

13 "Si l’un de vous lance une attaque contre la caserne, j’utiliserai

14 tous les moyens à ma disposition, toutes les armes dont je dispose,

15 pour tirer sur ceux qui attaquent l’armée." J’ai répondu qu’il ne

16 nous était jamais venu à l’esprit d’attaquer l’armée ou qui que ce

17 soit. Il a dit ensuite : "Bien, dans ce cas je propose que nous

18 allions dîner."

19 Q. : Etes-vous allés dîner ?

20 R. : Oui. En fait, même durant les précédentes réunions il pensait, à mon

21 avis, que nous aurions dû nous estimer heureux qu’il ait été

22 mobilisé au sein de la Défense territoriale, et que Simo Miskovic et

23 moi-même devions l’inviter à dîner, ainsi que Zeljaja. J’ai dit :

24 "Bien, ce n’est rien, allons dîner" et il s’est souvenu de cela et a

25 dit : "Eh bien, pourquoi ne tiendriez-vous pas votre promesse en

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1 nous invitant à dîner ?". Nous nous sommes donc rendus au restaurant

2 Europe à Prijedor et, outre moi-même, il y avait également Hilmija

3 Hopovac, Simo Miskovic, Zeljaja, Arsic et Zoran Karlica.

4 Q. : Qui est Zoran Karlica ?

5 R. : Eh bien, je ne le connaissais pas à l’époque - c’était la première

6 fois que je le voyais - et je ne savais rien de lui. Tout ce que je

7 sais de lui, je l’ai appris ultérieurement par d’autres personnes.

8 Mais lors de ce dîner, nous sommes restés jusqu’à 11 heures et nous

9 avons parlé de choses et d’autres qui n’avaient rien à voir avec les

10 événements qui se déroulaient, des généralités. Je pense que nous

11 n’avons même pas abordé la moindre question politique.

12 Q. : Le lendemain matin, le matin du 30 avril 1992, avez-vous reçu un coup

13 de téléphone en début de matinée ?

14 R. : Oui, le 30 avril, en début de matinée, à 6h00, j’ai reçu un coup de

15 téléphone de Sistek Sahic, Secrétaire du comité municipal du SDA,

16 qui m’a dit : "Connaissez-vous la nouvelle, Mirsad ?" J’ai répondu :

17 "Quoi ?" "L’occupation de Prijedor a commencé la nuit dernière."

18 Après cela, je suis sorti pour voir ce qui se passait.

19 Q. : Qu’avez-vous vu dans la ville de Prijedor ?

20 R. : Toute la ville grouillait de soldats; les principales voies de

21 communication vers l’extérieur de la ville étaient bloquées par des

22 postes de contrôle; tous les bâtiments les plus importants, Radio

23 Prijedor, la banque, la poste, la mairie, le commissariat de police,

24 étaient surveillés par des soldats et tout ce qui se passait me

25 faisait penser à ces films où l’on voyait des "putsch" militaires en

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1 Amérique latine ou en Afrique. Cela ressemblait à un coup d’état

2 tout à fait classique.

3 Q. : Cela vous a-t-il également fait penser à ce que vous aviez vu la

4 veille à Sanski Most, aux postes de contrôle avec les gardiens ?

5 R. : Oui, c’était pratiquement le même scénario.

6 Q. : Des avis ont-ils été affichés dans la ville ?

7 R. : Oui, il y a eu plusieurs avis. Tout Prijedor était couvert d’affiches

8 et le texte de ces avis était très souvent, à peu près toutes les

9 demi-heures ou toutes les heures, je n’en suis pas certain, lu à la

10 radio. La première proclamation et l’affiche expliquaient les

11 raisons du putsch militaire et il y était affirmé que le SDA avait

12 usurpé tous les pouvoirs à Prijedor, que les membres du SDA avaient

13 commencé à voler dans les entreprises, qu’ils avaient commencé à

14 démolir le système, qu’ils ne valaient pas mieux que les voleurs et

15 les criminels, que le Parti démocratique serbe était contraint de

16 prendre cette mesure, que les Musulmans et les autres non-Serbes ne

17 devaient pas s’inquiéter de ce qui se passait, qu’il s’agissait

18 simplement d’éliminer quelques criminels et que dans les six mois,

19 de nouvelles élections seraient organisées, à l’occasion desquelles

20 les Musulmans et les Croates auraient la possibilité d’élire de

21 nouveaux représentants.

22 Q. : Ces avis indiquaient-ils que le SDS affirmait être responsable de la

23 prise de contrôle et contrôlait désormais le gouvernement municipal

24 ?

25 A. : Oui, bien entendu. Il a été clairement affirmé que le SDS s’était

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1 totalement emparé de Prijedor.

2 Q. : Y a-t-il eu des avis ultérieurs concernant la création d’un Krizni

3 Stab ?

4 R. : Oui. Dans le courant de la même journée, d’autres avis ont été

5 proclamés sur le Krizni Stab. Il a été affirmé que ce quartier

6 général de crise s’était formé à Prijedor et se chargerait de toutes

7 les activités à Prijedor jusqu’à ce que d’autres changements

8 interviennent. Le Président de ce quartier général de crise était

9 Milomir Stakic et je pense que les membres étaient Srdjo Srdic, Simo

10 Miskovic, Simo Drljaca.

11 Q. : Le Colonel Arsic et Slobodan Kurusovic en étaient-ils également

12 membres ?

13 R. : En ce qui concerne Slobodan Kuruzovic, je suis certain qu’il faisait

14 partie de ce Stab. Je ne suis pas certain qu’Arsic en était membre.

15 Mais, selon les informations que j’ai obtenues plus tard, Slobodan

16 Kuruzovic a pris le contrôle de la Défense territoriale et a ensuite

17 assumé la responsabilité de l’ensemble du putsch à Prijedor. J’ai

18 appris qu’il faisait régulièrement rapport à Arsic concernant les

19 événements qui se produisaient et que c’est de là qu’il recevait

20 d’autres instructions.

21 Q. : A partir du 30 avril, qu’est-il arrivé à tous les membres non serbes

22 du gouvernement de la municipalité ?

23 R. : Le 30 avril, tous les hauts fonctionnaires, musulmans et croates,

24 représentants du SDA et du HDZ, ont été démis de leurs fonctions,

25 mais il en a été ainsi non seulement des représentants de ces deux

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1 partis, mais de beaucoup d’autres citoyens réputés, musulmans et

2 croates, qui n’avaient aucun contact avec le SDA, qui étaient des

3 gens honorables et décents, de loyaux citoyens de l’Etat de Bosnie-

4 Herzégovine, comme Nedzad Seric, le Président du Tribunal de

5 Prijedor, Habib Bajrahtarevic, le Directeur du service de

6 comptabilité sociale, le SDK, pour le contrôle des paiements, le

7 directeur adjoint de la banque, Lika Muhamed et de nombreux autres

8 non-Serbes distingués qui occupaient des postes d’une quelconque

9 importance dans toutes les institutions.

10 Q. : Entre la prise de contrôle du 30 avril et le 23 mai 1992, avez-vous

11 discuté avec Srdjo Srdic de ce qui se passait dans la municipalité ?

12 R. : Ce même jour, on a pu entendre le Colonel Arsic affirmer sur Radio

13 Prijedor qu’il n’avait rien à voir avec les événements décrits. Mais

14 j’ai consulté Srdjo Srdic parce que c’était un homme extrêmement

15 superficiel parmi les membres du SDS. Il me semblait qu’il me serait

16 plus facile d’apprendre par son intermédiaire quelles étaient les

17 intentions du SDS. Je lui ai téléphoné à son domicile, mais sa femme

18 a dit qu’il était sorti et m’a donné un numéro où je pouvais

19 vraisemblablement le joindre. A en juger par le numéro de téléphone,

20 il ne devait pas se trouver dans la ville de Prijedor, mais quelque

21 part en-dehors, parce que je pense que le numéro commençait par un

22 "3" et qu’à Prijedor, je pense, les numéros commencent par un "2".

23 J’ai composé ce numéro et, effectivement, Srdjo a répondu et je lui

24 ai demandé : "Srdjo, que se passe-t-il ? Qu’avez-vous fait ?" Il y a

25 eu un silence et il a alors répondu : "Moi et les miens, nous sommes

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1 prêts à faire la guerre, et vous ? Vous êtes-vous préparés ?" J’ai

2 répondu : "Bon Dieu, Srdjo, quelle guerre ? De quoi parlez-vous?

3 Pourquoi devrions-nous faire la guerre ?" et il a répondu : "Vous

4 savez très bien de quoi je parle et si vous ne le savez pas, vous le

5 saurez bien assez tôt". Il a interrompu la conversation. Il a

6 raccroché.

7 Q. : Le SDA a-t-il tenu des réunions après cette prise de contrôle pour

8 décider de ce qu’il fallait faire ?

9 R. : Le 30 avril et le 1er mai, j’ai parcouru tout le territoire de la

10 municipalité de Prijedor. Le 30 avril, Brdo et Ljubija et le 1er

11 mai, Kozarac et d’autres communautés. J’ai pris l’avis des

12 dirigeants locaux et des gens sur place et nous sommes arrivés à la

13 conclusion qu’il fallait organiser d’urgence une réunion pour

14 examiner l’ensemble de la situation et décider de ce qu’il fallait

15 faire, parce que les Serbes n’avaient en réalité pris le contrôle

16 que de la partie basse de la ville et des zones où les Serbes

17 étaient majoritaires, tandis que toutes les régions à majorité

18 musulmane et croate se trouvaient sous le contrôle d’unités de la

19 Défense territoriale.

20 Q. : Est-ce que ... ?

21 R. : Oui ?

22 Q. : Des membres du SDA ont-ils également tenu des réunions avec des

23 représentants du SDS et de l’armée ?

24 R. : Lors de la première réunion qui s’est tenue les 3 et 4 mai, peu de

25 temps après cela, nous avons donc discuté de ce qu’il fallait faire

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1 ensuite et nous avons décidé qu’il serait judicieux d’envoyer un

2 message aux gens, dans la mesure où Slobodan Kuruzovic insistait à

3 cette époque pour que la Défense territoriale rende les armes.

4 Q. : A-t-on décidé de laisser à chaque municipalité ou à chaque Mjesna

5 Zajednica la possibilité de prendre elle-même une décision à cet

6 égard ?

7 R. : Lors de cette réunion, nous n’avons pas voulu prendre de décision

8 définitive, mais nous avons voulu prendre l’avis du peuple et nous

9 avons donné l’ordre d’organiser des rassemblements de citoyens dans

10 toutes les collectivités locales et de demander à l’occasion de ces

11 réunions si la Défense territoriale devait rendre les armes ou pas.

12 Nous avons conseillé de ne pas rendre les armes. C’était une

13 recommandation, j’insiste. Nous n’avons pas exigé cela des citoyens.

14 Les citoyens ont accepté cette recommandation, mais la décision de

15 ne pas rendre les armes émanait également d’eux. Lors de la réunion

16 suivante, une réunion importante au conseil municipal, à laquelle

17 participaient des représentants des collectivités locales et qui

18 s’est tenue deux ou trois jours plus tard, les 6 et 7 mai, un

19 courant au sein du parti a insisté sur le fait qu’il fallait

20 négocier avec des représentants du parti démocratique serbe et des

21 membres de l’armée convaincus que ces négociations pouvaient aboutir

22 à quelque chose.

23 J’appartenais au groupe de ceux qui pensaient que ces négociations

24 ne mèneraient nulle part, qu’ils avaient clairement planifié ce

25 qu’ils feraient et que ces discussions n’auraient aucun résultat,

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1 mais nous n’avions rien contre les gens qui pensaient que l’on

2 pouvait progresser et négocier.

3 Une délégation a donc été formée, qui se composait, je pense, de

4 Semenovic, Mujcic, Terzic, Medunjanin, Islam Bahonjic aussi je pense

5 - je n’en suis pas certain - et elle a négocié avec le SDS et avec

6 Arsic et Zeljaja jusqu’aux environs du 16 mai, où, lors de la

7 dernière réunion, Zeljaja a dit : "Il n’y aura plus de négociations

8 à partir d’aujourd’hui. Nous sommes l’armée de la République Srpska.

9 Ceci est la République Srpska. Faites passer le message à vos

10 Musulmans que la Défense territoriale doit immédiatement déposer

11 toutes ses armes, que tous vos conscrits doivent réagir à la

12 mobilisation de la République Srpska et que tous les citoyens

13 doivent affirmer leur allégeance à l’Etat de la République Srpska".

14 Le 17 mai, Music et Terzic, qui avaient participé à cette réunion,

15 m’ont répété ces paroles lors d’une entrevue.

16 Q. : Le 23 mai, y a-t-il eu un incident à un poste de contrôle à Hambarine

17 ou près d’Hambarine ?

18 R. : Oui. Je me trouvais en visite dans la maison de mes parents et j’ai

19 entendu des coups de feu. Je suis sorti pour voir ce qui se passait

20 et à environ 300 mètres en direction d’Hambarine, près d’un arrêt de

21 bus, Polje, où la Défense territoriale avait installé un poste de

22 contrôle, un groupe de personnes s’était formé. Je me suis rendu sur

23 place pour voir ce qui se passait et j’ai vu une voiture, une Lada

24 blanche - c’est une Fiat, une grosse Fiat italienne, un véhicule de

25 luxe, une limousine - deux morts et quatre blessés.

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1 J’ai appris que deux d’entre-eux étaient des Croates et qu’ils

2 étaient légèrement blessés. Ils ont dit que quatre personnes du SDS

3 les avaient kidnappés, les avaient forcés à monter dans la voiture

4 et qu’ils n’avaient rien à voir avec eux. Ces quatre personnes, dont

5 deux étaient mortes et deux gravement blessées, portaient l’insigne

6 des Aigles blancs et des Tchetniks. Les Aigles blancs sont des

7 unités d’extrémistes formées par Vojislav Seselj, un extrémiste

8 serbe. Un membre de la Défense territoriale a également été blessé.

9 Il a essayé de reconstituer brièvement l’événement pour moi.

10 Ils se sont arrêtés et avant qu’ils aient pu faire quoi que ce soit,

11 procéder à un contrôle, l’un d’eux est sorti de la voiture et a

12 ouvert le feu sur les membres de la Défense territoriale. Ils se

13 sont couchés par terre et à ce moment, l’un d’eux a ouvert le feu

14 avec un fusil automatique en direction du groupe de personnes que je

15 viens de mentionner. Immédiatement après cela, une maison abandonnée

16 située à une distance d’environ un kilomètre dans le champ a pris

17 feu, et environ 10 minutes plus tard, un transport de troupes peint

18 aux couleurs de la police a fait son apparition à l’endroit, il

19 s’agissait donc d’un transport de la police civile.

20 Il a insisté pour que Aziz Aliskovic se rende et que tous les autres

21 membres qui se trouvaient au poste de contrôle se rendent également.

22 Je lui ai dit que nous ne pouvions pas faire cela et que ce serait

23 une bonne idée d’instituer une commission pour enquêter sur toute

24 cette affaire. J’ai tout de suite insisté pour que les blessés

25 soient transportés à l’hôpital, ce qu’ils ont refusé. Ils se sont

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1 déplacés de 300 mètres en direction de Prijedor et, à l’aide d’une

2 mitraillette, quelque chose entre un fusil et une mitrailleuse, ils

3 ont tiré sur le poste de contrôle, mais il n’y avait personne, en

4 sorte qu’aucune autre personne n’a été blessée à cette occasion.

5 M. KEEGAN : Le moment est-il bien choisi pour faire une pause avant de

6 passer à autre chose ?

7 LA PRESIDENTE : L’audience est suspendue pendant 20 minutes.

8 (11h30)

9 (L’audience est suspendue)

10 (11h50)

11 LA PRESIDENTE : M. Keegan, voulez-vous prendre la parole ?

12 M. KEEGAN : Merci, Mme la Présidente (Au témoin) : Dr. Mujadzic, vous avez

13 dit que lorsque vous êtes arrivé au poste de contrôle, ce sont les

14 personnes qui avaient été blessées à cet endroit qui vous ont

15 raconté ce qui s’était passé. Vous ont-ils raconté cela pendant que

16 vous essayiez de soigner leurs blessures ?

17 M. KAY : Puis-je simplement faire une petite remarque ? Je ne pense pas

18 que le témoin ait affirmé qu’il avait été mis au courant des

19 événements par les personnes qui avaient été blessées. Je pense

20 qu’il a dit qu’une personne lui a fait le récit des événements. J’ai

21 peut-être mal compris, mais peut-être conviendrait-il d’éclaircir ce

22 point dans la mesure où il s’agit d’un élément de preuve très

23 important.

24 LA PRESIDENTE : M. Keegan, je ne me souviens vraiment pas si le témoin a

25 affirmé que le récit des événements lui a été fait par les personnes

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1 blessées ou par d’autres personnes.

2 M. KEEGAN : Je pense que nous pourrions revenir en arrière dans le compte

3 rendu, mais je ne pense pas que ce soit nécessaire. Je pense que

4 c’est ce qu’il a dit, mais je me contenterai de formuler ma question

5 d’une autre manière.

6 LA PRESIDENTE : Vous pouvez lui demander à nouveau qui lui a parlé et nous

7 verrons bien ce qu’il répondra.

8 M. KEEGAN : Exactement (Au témoin) : Dr. Mujadzic, vous avez fait le récit

9 de ce qui s’est passé au poste de contrôle; qui vous a raconté ce

10 qui s’est passé ?

11 R. : J’ai dit que j’avais parlé à deux des six personnes blessées qui se

12 trouvaient dans la voiture, mais que plus tard, un membre de la

13 Défense territoriale a reconstitué les événements pour moi; en sorte

14 que je tire mes informations des blessés qui se trouvaient dans la

15 voiture et d’un membre de la Défense territoriale qui était

16 également blessé. J’ai donc reçu cette information de deux parties.

17 C’est ce que j’ai dit.

18 Q. : Ma question suivante lorsque nous avons commencé est : vous

19 décrivaient-ils ces événements pendant que vous étiez en train de

20 soigner ou d’essayer de soigner leurs blessures en votre qualité de

21 médecin ?

22 R. : J’ai examiné tous les blessés; sur les six, deux étaient morts. A

23 l’évidence, l’un d’eux avait été touché à la tête et un autre avait,

24 je pense, été touché à la tête et à l’abdomen je crois. Il ne

25 donnait plus aucun signe de vie. Les deux autres avaient des

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1 blessures à la poitrine et ne saignaient pas beaucoup. En fait, ils

2 ne saignaient pas du tout ou, je veux dire par là qu’ils n’avaient

3 pas de blessure ouverture qui saignait considérablement.

4 A ce moment, tout en donnant les premiers soins, la seule chose que

5 je pouvais faire, c’était essayer d’arrêter les saignements parce

6 que je n’avais pas d’autre équipement, pas d’autres instruments avec

7 moi. Les deux autres n’étaient que des blessés légers et leurs

8 blessures ne les mettaient pas en danger. Leur vie n’était pas en

9 danger - celle des deux hommes qui se trouvaient dans la voiture, je

10 veux dire. Un membre de la Défense territoriale avait une blessure à

11 la jambe gauche et une autre à la cuisse droite, mais ses blessures

12 ne saignaient pas vraiment beaucoup et sa vie n’était pas en danger,

13 en sorte que je me suis contenté de lui mettre un bandage.

14 La chose qu’il fallait faire à ce moment était de transporter tous

15 les blessés à l’hôpital et j’ai insisté pour que ce soit fait, et

16 j’ai essayé d’obtenir que ce soit fait aussi rapidement que possible

17 parce qu’il n’était pas possible de leur donner sur place des soins

18 appropriés autres que ceux que je leur avais donnés.

19 Q. : Après cet incident au poste de contrôle, une déclaration a-t-elle été

20 faite par le Krizni Stab de Prijedor ?

21 R. : Ce même soir sur les collines au-dessus du village de Hambarine,

22 Rakovcani, cinq ou six obus ont été tirés depuis les ponts de

23 Prijedor. Le lendemain, Radio Prijedor a diffusé un communiqué

24 ordonnant de rendre immédiatement toutes les armes, à Hambarine et

25 dans les villages environnants, ordonnant que le groupe d’Aziz

Page 1696

1 Aliskovic se rende également, c’était à ce poste de contrôle, et que

2 s’ils ne le faisaient pas, le Krizni Stab donnerait l’ordre d’ouvrir

3 le feu en utilisant tous les moyens disponibles, la localité de

4 Hambarine /sic/.

5 Le comité de crise a dit que les villages de Hambarine devaient

6 répondre pour éviter de devoir subir d’autres conséquences en raison

7 d’un groupe d’extrémistes, pour reprendre leurs paroles. Eh bien, ce

8 document émis par le comité de crise a été signé par Milomir Stakic,

9 c’était donc l’ordre du comité de crise, signé par Milomir Stakic.

10 Q. : Quelle a été la décision des autorités de Hambarine concernant

11 l’ordre de se rendre et de déposer les armes, donné aux hommes du

12 poste de contrôle ?

13 R. : Les autorités locales ont décidé de ne pas rendre les armes et de ne

14 pas livrer les hommes, comme le comité de crise l’avait demandé.

15 L’ultimatum avait été fixé à au 24 mai à 12h00. Comme l’ordre n’a

16 pas été exécuté, à 12h20, l’artillerie a commencé à bombarder de

17 toutes parts toute la colline et le bombardement a continué jusqu’à

18 environ 15h00 de l’après-midi. A ce moment il y a eu une accalmie,

19 une trêve.

20 Q. : La traduction de votre dernière réponse, lorsque vous avez dit que le

21 bombardement de Brdo a commencé, a fait mention de "toute la

22 colline", en désignant une seule colline. Faisiez-vous référence au

23 bombardement d’une colline en particulier à Hambarine ou à la région

24 de Brdo, comme vous l’avez décrite auparavant?

25 R. : A ce moment, pendant le bombardement, je me trouvais dans la maison

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1 d’Aladin Sijacic à Celak - à Carakovo, et les obus frappaient à la

2 fois Carakovi et Hambarine, et je pense que Rakovcani et tous les

3 autres villages de la région de Brdo ont été bombardés, mais je

4 pense que la cible principale était le village de Hambarine.

5 Q. : Après l’accalmie dont vous avez parlé, aux environs de 15h00, que

6 s’est-il passé ?

7 R. : Après l’accalmie depuis Tukovi où ce même soir, jusqu’à la partie

8 habitée par les Serbes deux chars étaient arrivés/sic/, deux chars

9 sont partis de là et ils ont été suivis par l’infanterie, et après

10 des tirs intermittents qui n’ont pas duré longtemps et la réaction

11 de la Défense territoriale sur le Brdo (qui, j’ajoute, n’avait ni

12 artillerie antichars, ni mines, tout ce qu’ils avaient c’étaient des

13 fusils qui leur avaient été donnés lorsqu’Arsic distribuait ces

14 armes), vers 17h00 ou 18h00, ces chars sont montés sur la colline,

15 c’est-à-dire sur le Brdo au-dessus de Hambarine, où ils ont pris

16 position /sic/. Un char, plus tard un char est parti vers la droite

17 et s’est dirigé vers d’autres villages et a tiré sur des maisons et

18 des bâtiments, visant tout ce qui se trouvait aux alentours.

19 Q. : Suite à cette attaque de l’infanterie et des chars, les dirigeants de

20 la municipalité à Brdo ont-ils convoqué une réunion, à laquelle vous

21 avez participé, pour décider s’il fallait rendre les armes ?

22 R. : Ce même soir, c’est-à-dire vers 19h00 ou 20h00, presque toutes les

23 armes de toute la région de Brdo ont été réunies, placées sur des

24 tracteurs et rendues, sauf à Carakovi et Zecovi, où je me trouvais.

25 Le lendemain, le 25 mai, des personnes, des représentants de

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1 Carakovi et de Zecovi sont venus me demander ce qu’il fallait faire.

2 Tout le monde savait à ce moment que Biscani, Rakovcani, Hambarine,

3 c’est-à-dire la partie droite de la région du Brdo, avaient déjà

4 remis les armes. Je leur ai dit qu’ils devaient décider eux-mêmes,

5 que je ne voulais ni leur imposer une décision ni les influencer

6 d’une quelconque manière parce que je ne voulais ni être responsable

7 de la vie de quelqu’un, ni mettre quelqu’un en danger, parce que la

8 propagande que le SDS a lancée à Prijedor, sur Radio Prijedor, et

9 les médias ont essayé de le réduire seulement en sorte que le

10 problème au sein du SDA /sic/, le SDA et moi-même, et que si les

11 gens me rejetaient personnellement, avec le SDA et d’autres

12 dirigeants du SDA et s’ils nous traitaient de criminels, de voleurs,

13 d’extrémistes, de fondamentalistes et quoi d’autre encore, tout cela

14 ne serait pas grave, et personne n’aurait rien à perdre. Simo

15 Miskovic l’avait dit lui-même sur Radio Prijedor immédiatement après

16 le coup d’état. J’ai dit à ce gens: "Eh bien, si vous pensez que

17 c’est mieux, rendez les armes et dans ce cas j’irai dans la forêt".

18 C’est en effet ce qu’ils ont fait ce jour, et avec un petit groupe

19 d’hommes je me suis rendu dans la forêt adjacente.

20 Q. : Combien de temps êtes-vous resté dans la forêt dans la région de la

21 municipalité de Prijedor ?

22 R. : Après cela, d’autres forêts ont été bombardées pendant plusieurs

23 jours. Je pense que pendant vingt jours environ, cette forêt a été

24 bombardée par des unités de Tchetniks, et ce jour-là, à plusieurs

25 reprises, plusieurs fois, à des moments différents, et à cause de

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1 cela, nous avons creusé un trou sur la colline et nous avons passé

2 tout ce temps dans le trou. De temps en temps, le frère de l’un des

3 hommes qui était avec moi nous apportait de la nourriture, tous les

4 trois ou quatre jours. Nous savions qu’il y avait plusieurs autres

5 groupes dans la forêt mais, comme les bombardements ne se

6 déroulaient pas à intervalles réguliers, nous ne pouvions pas nous

7 déplacer beaucoup.

8 Nous avons demandé que l’un des individus essaye d’établir un

9 contact ou une communication avec l’une de ces personnes en

10 empruntant une espèce de détour. Cependant, il s’est retrouvé devant

11 un poste de contrôle tchetnik. Ils l’ont fait prisonnier et nous

12 avons appris par la suite qu’ils l’ont torturé pour essayer de

13 savoir où nous nous trouvions. Ils ne leur a rien dit et ils l’ont

14 tué en le battant et tout le reste.

15 Après cela, le frère plus âgé est venu nous voir dans la forêt parce

16 que leur mère savait aussi où nous nous trouvions et pendant 10

17 jours encore, il nous a apporté de la nourriture. Il nous a dit

18 qu’une unité spéciale était en train de se préparer, une unité qui

19 devait venir de Nis pour battre la forêt, qu’ils viendraient avec

20 des chiens et tous les appareils spéciaux et que nous ne pouvions

21 plus rester là, que nous serions en danger et que nous mettrions en

22 danger la sécurité des citoyens parce qu’ils comprendraient qu’ils

23 nous avaient donné à manger. Nous avons alors décidé d’aller plus

24 loin. C’était le 27 juin. C’était environ un mois après le début de

25 l’attaque.

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1 Q. : Vous avez indiqué que ...

2 JUGE STEPHEN : Puis-je vous demander d’indiquer où se trouve cette forêt ?

3 M. KEEGAN : Pourriez-vous tout d’abord décrire dans quelle partie de la

4 municipalité de Prijedor se trouvait la forêt dans laquelle vous

5 vous cachiez ?

6 R. : Oui, s’il y a une carte quelque part ? J’étais scout quand j’étais

7 enfant et je connais la topographie. Je peux expliquer et indiquer

8 tous ces endroits, ainsi que la route que nous avons parcourue

9 ensuite, tous ces endroits où nous nous sommes rendus et comment

10 nous nous sommes déplacés.

11 Q. : Si la pièce à conviction ...

12 R. : Si vous pouviez me présenter une carte, je pourrais l’indiquer de

13 manière très précise.

14 M. KEEGAN : Pourriez-vous présenter la pièce à conviction au témoin ?

15 R. : Je pense que ce sera très bien, oui. Je pense, oui c’est très bien.

16 Voici le village d’Hambarine. Voici la route de Prijedor à Ljubija

17 et, au-dessus, les unités tchetniks, elles sont montées là le 24 mai

18 et ont isolé cette zone ici où il y a quatre villages, Biscani,

19 Rizvanovici, Rakovcani et Hambarine. Voici où le village, Carakovo -

20 pourriez-vous baisser la carte, s’il vous plaît - Carakovo et le

21 village de Zecovi. Tout ceci, ce sont les deux villages musulmans

22 voisins. Donc, ces quatre villages-ci ont immédiatement rendu les

23 armes le 24 mai, et Carakovo et Zecovi ont fait la même chose le

24 lendemain.

25 Nous avons alors battu en retraite. Je me trouvais ici à Carakovo et

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1 nous avons battu en retraite dans la forêt. Voici la forêt que les

2 gens de là-bas appellent la Forêt de Kurevo. Elle fait partie de ce

3 que l’on appelle la chaîne Mejdanski. Nous nous trouvions ici, je

4 dirais, derrière le village de Brdari, près du village de Brdari.

5 Ici, dans la forêt dense, nous avons creusé un trou. C’est là que

6 nous sommes restés tout le temps jusqu’au 27 juin.

7 Q. : Vous avez indiqué que vous avez quitté la forêt ou cette région après

8 avoir appris qu’une unité spéciale de Nis se préparait à entrer dans

9 la forêt pour vous chercher. Où se trouve Nis ?

10 R. : Nis se trouve en Serbie.

11 Q. : En ce qui concerne les bombardements qui ont eu lieu le 24 dans la

12 région de Brdo, les obus provenaient-ils des chars et de

13 l’artillerie qui, comme vous l’avez indiqué, avaient été positionnés

14 autour de Prijedor par des unités des 43e et 5e Brigades de Kozara ?

15 R. : Je ne sais pas exactement où se trouvait chacune des brigades,

16 quelles étaient leurs positions, si c’était Niska Glava ou Crna

17 Dolina, Velika Palaciste ou Topica Brdo, si c’était la 43e brigade

18 ou la 5e brigade. Mais ce que je peux affirmer, c’est que c’étaient

19 les formations et l’armement de ces deux brigades, mais je ne sais

20 pas exactement quelle brigade occupait quelle position.

21 Ce qui est également certain, c’est que cela venait de Topica Brdo,

22 Miljakovac, Crna Dolina, de Brezicani, des obus ont également touché

23 Brdo. La propagande serbe qui était diffusée sur Radio Prijedor a

24 annoncé, a publié une chasse à l’homme contre moi-même et d’autres

25 gens du SDA dans la propagande. Ils ont dit que, dans cette partie

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1 de la forêt, je me trouvais personnellement avec, ce sont leurs

2 propres termes, 700 bérets verts, c’est-à-dire 700 hommes armés et

3 ils ont dit que c’était la raison pour laquelle l’unité spéciale

4 était venue de Nis, ce qui n’était pas vrai, du moins à ma

5 connaissance.

6 Q. : Vous avez dit que la 43e brigade se trouvait sous le commandement du

7 colonel Arsic et que vous avez participé à plusieurs rencontres avec

8 lui. Savez-vous d’où est originaire le colonel Arsic ? Quelle est sa

9 nationalité ?

10 R. : Le colonel Arsic est d’origine ethnique serbe, mais c’est un Serbe de

11 Serbie, un Serbe serbe, comme nous les appelons, un pur Serbe, et il

12 avait un accent bien particulier, c’est pourquoi je savais qu’il

13 était originaire de la Serbie proprement dite.

14 Q. : Cet accent qu’il avait, à quelle partie de la Serbie correspondait-il

15 ?

16 R. : Je pense qu’il correspondait à la partie centrale de la Serbie, que

17 l’on appelle Sumadija.

18 Q. : Lorsque vous avez quitté la forêt que vous avez indiquée sur la

19 carte, le 27 juin, où vous êtes-vous rendu ?

20 R. : Si vous avez une carte représentant une région plus vaste, je

21 pourrais vous indiquer avec précision le chemin que nous avons

22 parcouru, mais je peux dire en bref que nous avons pénétré sur le

23 territoire de la municipalité de Sanski Most, Stari Majdan, pour

24 nous rendre ensuite au village de Gorice. Avez-vous une carte ? Je

25 ne pense pas que ce soit indiqué sur cette carte.

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1 Q. : Ce serait la pièce à conviction 78, mais je ne pense pas que ce soit

2 nécessaire pour le moment. Si vous pouviez tout simplement décrire

3 après ...

4 R. : Bien, si ce n’est pas nécessaire, je peux faire une brève

5 description. De Stari Majdan, qui se trouve dans la municipalité de

6 Sanski Most, nous sommes passés par Fajtovac, qui se trouve aussi

7 dans la municipalité de Sanski Most, pour aller vers Gorice,

8 Naskucani et Vakuf. Tout cela se trouve dans la municipalité de

9 Sanski Most. De là, nous avons pris la direction du Mont Grmec. Aux

10 petites heures du matin, nous sommes passés entre les villages de

11 Gornji et de Donji Majkic, nous avons escaladé le Mont Grmec et

12 sommes passés de l’autre côté de la montagne vers le canyon de la

13 Rivière Una. Ensuite, nous sommes redescendus dans le canyon et nous

14 avons rencontré beaucoup de problèmes et de difficultés parce que

15 les Tchetniks nous avaient repérés. Ils nous tiraient dessus.

16 Malheureusement, nous avons perdu un homme, mais nous avons réussi à

17 traverser la rivière Una à la nage et à atteindre le territoire

18 libre de la région de Bihac.

19 Q. : Vous êtes arrivé à Bihac en juillet ‘92. Qu’avez-vous fait pendant

20 que vous étiez à Bihac ?

21 R. : A Bihac, je me suis immédiatement rendu à l’hôpital, où j’ai commencé

22 à travailler comme chirurgien et c’est là que j’ai essentiellement

23 exercé ma profession, c’est-à-dire dans le service de chirurgie.

24 Lorsque je ne travaillais pas, je continuais à travailler comme

25 parlementaire de la République et je me suis lancé dans d’autres

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1 activités politiques.

2 Q. : Combien de temps êtes-vous resté à Bihac et avez-vous travaillé à

3 l’hôpital ?

4 R. : Je suis resté à Bihac, c’est-à-dire, nous sommes arrivés à Bihac le

5 13 juillet et je suis resté là jusqu’au début octobre 1992. Ensuite,

6 j’ai survolé le territoire serbe dans un petit avion jusqu’à Zagreb

7 et je me suis immédiatement rendu à Travnik, en Bosnie centrale, où

8 je suis resté jusqu’à la fin 1992 et où j’ai également travaillé

9 comme chirurgien à l’hôpital de Travnik.

10 Ensuite, j’ai repris le même appareil, le petit avion, pour

11 retourner à Bihac - c’étaient de petits avions comme celui-là qui

12 faisaient la liaison avec Bihac. Puis, l’interdiction de voler a été

13 prononcée et, compte tenu de ces circonstances, je suis resté à

14 Bihac jusqu’à la fin novembre 1993. J’ai ensuite été à nouveau

15 transféré à Travnik en hélicoptère de l’ONU. Je suis resté à Travnik

16 jusqu’en mai 1994.

17 Q. : De là, vous êtes-vous rendu à Sarajevo ?

18 R. : A Travnik, j’ai également travaillé comme chirurgien à l’hôpital et

19 de là, en mai 1994, je me suis rendu à Sarajevo, où j’ai continué à

20 travailler comme chirurgien.

21 M. KEEGAN : Je n’ai pas d’autres questions, Mme la Présidente.

22 LA PRESIDENTE : Contre-interrogatoire ?

23 M. KAY : Merci, Mme la Présidente.

24 Contre-interrogatoire mené par M. Kay

25 Q. : M. Mujadzic, vous nous avez dit que vous jouiez un rôle très actif en

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1 politique dans la région de Prijedor et que vous êtes devenu

2 Président du SDA à Prijedor. A quelle date êtes-vous devenu

3 Président du SDA ?

4 R. : Le 17 août 1990. C’était la première assemblée constituante, lorsque

5 ma nomination a été acceptée, mais les véritables élections au sein

6 du parti ont eu lieu l’année suivante, je pense, en octobre ‘91.

7 C’est à ce moment que j’ai été véritablement élu, parce que la

8 première fois c’était un vote par acclamation, mais cette fois-ci,

9 c’étaient de véritables élections et j’ai été réélu Président du

10 parti.

11 Q. : Merci. Avant 1990, faisiez-vous de la politique à Prijedor ?

12 R. : Avant 1990, je n’étais membre d’aucun organe politique.

13 Q. : Donc, vous vous êtes affilié au SDA en 1990, est-ce bien correct ?

14 R. : Oui, c’est exact.

15 Q. : Et à cette époque, le SDA venait de voir le jour en tant que parti

16 politique. Comprenez-vous ce que je veux dire par là ?

17 R. : Oui, c’est exact.

18 Q. : Pourriez-vous nous dire combien de membres étaient affiliés au SDA à

19 Prijedor en 1990 ?

20 R. : Il est difficile de répondre à cette question. Je ne puis vous le

21 dire avec précision. Je pense qu’ils étaient quelques milliers.

22 Q. : Vous aviez des candidats aux élections et un certain nombre de ces

23 candidats se sont identifiés à votre parti, le SDA ?

24 R. : Oui.

25 Q. : Et au niveau de la structure du SDA à Prijedor, j’imagine qu’il y

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1 avait un siège central dans la ville même ?

2 R. : Au début, nous n’avions pas de locaux parce que nous étions une jeune

3 organisation. En sorte que nous avons utilisé pendant un certain

4 temps le domicile privé de l’un de nos membres comme siège

5 provisoire. Ensuite, après les élections, nous avons acheté des

6 bureaux dans un bâtiment, de vrais bureaux officiels.

7 Q. : C’est donc en 1991 que le SDA a commencé à se structurer en parti

8 politique à Prijedor ?

9 R. : Je pense que le SDA était mieux organisé en 1991 qu’en 1990.

10 Q. : Oui, et lorsque vous avez été élu par acclamation à la présidence en

11 1990, vous présidiez le SDA dans la municipalité de Prijedor ou

12 uniquement dans la ville de Prijedor ?

13 R. : Ce type de structure n’existait pas dans le comité municipal du SDA.

14 Il y avait 30 organes locaux à un niveau moins élevé que celui de la

15 municipalité et il y avait 30 présidents de comités locaux. Chaque

16 président de chaque comité local était membre d’office du comité

17 municipal et en plus, il y avait un comité exécutif qui comptait 15

18 personnes. Ensemble, le comité exécutif et les présidents des

19 comités locaux formaient le comité municipal, qui était l’organe le

20 plus élevé du parti et qui prenait toutes les décisions.

21 Q. : Etait-ce cet organe que vous présidiez ?

22 R. : Oui, j’étais le Président à la fois du comité exécutif et du comité

23 municipal parce que c’était prévu par les statuts, cela faisait

24 partie des statuts du parti SDA dans l’ensemble.

25 Q. : Donc, le comité dont vous déteniez la présidence aurait eu des

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1 districts ou des villes et des villages dans la municipalité de

2 Prijedor, où des membres locaux avaient un représentant du CDA, un

3 représentant du SDA pour votre comité à Prijedor /sic/?

4 R. : Je pense que l’expression "villes et villages" n’est pas la plus

5 heureuse. Il vaut mieux parler de "petites localités", parce que sur

6 le territoire de la municipalité de Prijedor, il y avait, selon

7 certains critères, la seule ville digne de ce nom, qui était la

8 ville de Prijedor. Le restant se composait de petites localités et

9 de villages.

10 Q. : Merci. Je comprends vos explications, et ce sont ces petits villages

11 et localités qui comptaient aussi des représentants du SDA dont vous

12 étiez le président ?

13 R. : Oui, c’est exact.

14 Q. : Les villages et localités qui comptaient un candidat du SDA, étaient-

15 ils structurés au niveau local ? Avaient-ils leurs petits comités au

16 sein de leurs localités pour examiner les choses ensemble ?

17 R. : Chacun de ces 30 comités locaux, dans chacune de ces localités, il y

18 avait un comité local qui comptait de cinq à sept membres. Pour les

19 localités plus importantes, nous avions convenu que l’on pouvait

20 aller jusqu’à 11 membres à la demande de certains comités locaux et

21 que les membres seraient élus lors des réunions de ces comités. Dès

22 lors, chacune de ces localités avait une assemblée se composant de

23 membres du parti résidant dans ladite localité. L’assemblée

24 procédait à l’élection du comité et le président de ce comité

25 faisait partie comité municipal de la municipalité de Prijedor.

Page 1708

1 Q. : Si le comité principal dont vous parliez comptait 30 membres, était-

2 ce parce qu’il y avait 30 villages ou localités ou simplement parce

3 que c’était le nombre fixé par le SDA ?

4 R. : Le nombre d’organes ou de membres du comité ne coïncidait pas

5 entièrement avec le nombre de localités. Je vais vous donner un

6 exemple. C’est ce que les localités elles-mêmes ont voulu. La raison

7 en est très simple. Les localités souhaitaient avoir une influence

8 plus ou moins égale par rapport au nombre d’habitants résidant dans

9 cette zone. Les localités importantes ont donc été divisées en

10 plusieurs comités locaux parce que notre objectif était de faire en

11 sorte que chaque comité local compte plus ou moins le même nombre de

12 membres. C’est ainsi que Kozarac, par exemple, comptait 10 ou 11

13 membres, je ne m’en souviens pas exactement, je devrais établir une

14 liste. La localité de Kozarac comptait plus de 10 comités locaux.

15 Q. : Je comprends ce que vous dites. Tous ces comités étaient contrôlés,

16 si vous voulez, par le SDA à Prijedor; est-ce bien exact ?

17 R. : Oui, et il existait une relation dans les deux sens au sein de la

18 structure du parti, mais nous n’avions pas de hiérarchie fermement

19 établie. C’était un système assez souple. Les présidents des comités

20 locaux venaient de leurs localités avec certaines fonctions, qui

21 étaient ensuite coordonnées au niveau de la municipalité. La

22 politique commune et les décisions conjointes étaient prises au

23 niveau de l’ensemble de la municipalité.

24 Q. : Donc, au sein de cette structure, j’imagine que les villages et

25 localités ou les délégués qu’ils envoyaient avaient des avis très

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1 différents en ce qui concerne la stratégie que le SDA devait adopter

2 dans ses rapports avec le parti SDS ?

3 R. : Comme je l’ai déjà dit, notre parti avait une attitude plutôt

4 libérale, en sorte qu’il existait un degré élevé de démocratie et de

5 liberté. Nous n’avions pas de rapports hiérarchiques bien établis ou

6 de contraintes émanant du parti, et pratiquement toutes les

7 décisions concernant Prijedor étaient prises sur la base d’avis

8 formulés par les collectivités locales. Il est vrai également que

9 les prises de position relatives à certaines questions étaient très

10 diversifiées, mais qu’en ce qui concerne d’autres questions de

11 stratégie globale, il n’y avait aucune différence d’opinion. Par

12 exemple, tous s’accordaient à penser que la Bosnie-Herzégovine

13 devait rester unie, qu’il fallait entretenir de bonnes relations

14 avec les Serbes et les Croates, des relations aussi bonnes avec les

15 uns qu’avec les autres. Dès lors, il y avait un certain éventail de

16 vues et des questions à propos desquelles les avis n’étaient pas

17 partagés. Tout le monde pensait que c’était tout à fait normal,

18 tandis qu’en ce qui concerne d’autres questions, il y avait à

19 l’évidence des divergences d’opinions.

20 Q. : Donc, en votre qualité de Président du SDA, vous n’insistiez pas pour

21 que tous les délégués s’expriment dans le même sens; est-ce bien ce

22 que vous essayez de dire ?

23 R. : Comme je l’ai déjà dit, notre organe avait une attitude relativement

24 libérale en ce qui concerne notre structure interne. Je dois

25 souligner que le programme du SDA était un programme général et

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1 qu’il était très rare que nous recevions des instructions

2 particulières, même de la part du siège du parti. Il serait donc

3 plus juste d’affirmer que les initiatives et l’orientation de

4 l’action politique émanaient de la base, des collectivités locales

5 plutôt que des dirigeants supérieurs, qu’il s’agisse de moi

6 personnellement ou de quelqu’un du siège. En ce qui me concerne,

7 compte tenu des avis, de la structure du parti et de ce que

8 pensaient les gens, je pensais que toutes les personnes présentes

9 devaient exprimer leurs vues sur toutes les questions importantes et

10 que mon seul rôle en tant que président était d’essayer de dégager

11 la meilleure position commune acceptable pour tout le monde, et

12 c’est de cette manière que, le plus souvent, les décisions étaient

13 prises.

14 Q. : Donc, vous n’exerciez pas un contrôle très important sur la base du

15 SDA; est-ce bien exact ?

16 R. : Oui, on pourrait décrire les choses de cette manière.

17 Q. : De 1990 à 1991 puis à 1992, le nombre de membres a-t-il continué

18 d’augmenter dans la région de Prijedor ?

19 R. : Je pense que la majorité des membres du SDA qui se sont affiliés au

20 parti l’ont fait avant les élections. Après les élections, les

21 nouveaux membres étaient un peu moins nombreux et je dirais que le

22 nombre d’affiliés variait dans des proportions normales. Quelques

23 personnes ont même quitté le parti et d’autres s’y sont inscrites.

24 Je n’affirmerais pas que le nombre de membres ait augmenté de

25 manière considérable à partir de 1991. Le nombre d’affiliés n’a pas

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1 connu d’augmentation sensible. On pourrait peut-être affirmer qu’en

2 raison de la structure de la société, le parti comptait plus de

3 membres de la région urbaine plus tard dans l’année 1991. Le nombre

4 de membres habitant dans la ville a augmenté par rapport au nombre

5 de membres provenant des localités environnantes.

6 Q. : J’imagine qu’à l’instar de la plupart des partis politiques, le

7 nombre de sympathisants était plus élevé que le nombre d’affiliés;

8 est-ce exact ?

9 R. : Avant de devenir président du parti, je n’avais jamais occupé de

10 fonction de dirigeant. Je n’ai jamais été cadre. C’était pour moi la

11 première fois que je dirigeais une organisation. Après tout, j’étais

12 âgé de 27 ans seulement à ce moment-là, mais j’ai compris qu’il

13 existait une règle : sur la plupart des questions, je n’ai jamais

14 réussi à atteindre un consensus supérieur à 60 ou 70 pour cent des

15 personnes présentes. Quels que soient les efforts fournis pour

16 obtenir le consensus le plus large possible et pour éviter tout

17 conflit au sein du parti, je n’ai jamais pu obtenir un consensus

18 supérieur à 60 à 70 pour cent sur la plupart des questions. Il y

19 avait toujours 30 à 40 pour cent de personnes contre. J’exclus

20 seulement certaines questions générales sur lesquelles nous nous

21 entendions tous, sinon nous ne pourrions pas être membres d’un même

22 parti si nous ne nous entendions pas sur certaines questions

23 figurant dans le programme du parti.

24 Q. : Merci, mais ma question était plutôt destinée à savoir si votre parti

25 comptait en fait plus de sympathisants que de personnes réellement

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1 affiliées. Comprenez-vous la question ?

2 R. : Je pense que vous avez raison, il y avait plus de sympathisants que

3 de membres du parti, mais je pense que c’est courant dans tous les

4 partis. En Europe, il y a toujours plus de personnes qui votent pour

5 le programme d’un parti spécifique que de membres affiliés à ce

6 parti.

7 Q. : En ce qui concerne le financement du parti SDA dans la municipalité

8 de Prijedor, comment s’organisait votre financement ? D’où venait

9 votre argent ?

10 R. : Personnellement, j’utilisais toujours ma voiture. Je n’ai jamais

11 exigé de per diem. Ce que nous consommions dans le cadre de nos

12 activités, nous le payions nous-mêmes. Ce n’est qu’au début de 1992

13 que le siège de notre parti nous a fourni un véhicule qu’il avait

14 acheté pour nous, et il a fait la même chose pour tous les autres

15 comités régionaux. Donc, une voiture a été achetée pour le comité

16 régional de Banja Luka et il y avait la voiture que j’ai reçue en ma

17 qualité de président du comité régional et non en tant que président

18 du comité municipal, parce qu’au même moment j’exerçais la fonction

19 de président du comité régional.

20 Nous n’avons jamais reçu de fonds de la part de notre siège. Tous

21 les fonds dont nous disposions étaient recueillis à l’occasion de

22 manifestations. Lors de meetings importants, nous recevions des

23 contributions volontaires. Nous bénéficions du soutien de certains

24 de nos supporters, sympathisants, hommes d’affaires, propriétaires

25 d’entreprises privées qui, de temps en temps, versaient des

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1 contributions volontaires au parti. C’est tout ce que nous avions.

2 Donc, cela ne concernait que les activités particulières. Le reste

3 du temps, nous nous autofinancions. Nous n’avons jamais reçu

4 d’argent de notre siège de Sarajevo ou de tout autre endroit.

5 Q. : Les membres du parti au niveau local devaient-ils verser une

6 cotisation ?

7 R. : Il y a eu plusieurs tentatives visant à recueillir des cotisations

8 régulières dans le courant de 1991, et je sais que notre siège de

9 Sarajevo a envoyé certains formulaires pour recueillir ces

10 cotisations. Cependant, cela n’a jamais fonctionné correctement

11 parce que l’idée était d’envoyer à Sarajevo toutes les cotisations

12 recueillies, puis de redistribuer une partie de ces cotisations.

13 Dans certaines localités, certaines cotisations ont été prélevées,

14 mais je pense que seulement deux ou trois localités ont versé ces

15 cotisations pour le comité municipal. Mais ces sommes d’argent

16 étaient symboliques et une partie plus ou moins grande des comités

17 locaux qui ont recueilli ces cotisations ont conservé l’argent,

18 tandis que la plupart des comités municipaux n’ont même pas

19 recueilli de cotisations. Notre système de cotisation n’était donc

20 pas véritablement au point. J’ai oublié de mentionner que,

21 conformément à la législation de Bosnie-Herzégovine, le gouvernement

22 municipal octroyait certaines sommes à tous les partis de la

23 municipalité en fonction du nombre de représentants qu’ils avaient à

24 l’assemblée municipale. Mais même ces sommes-là étaient symboliques.

25 Donc, nous étions très ..., nous avions des ressources financières

Page 1714

1 très limitées et nous financions la plupart des choses nous-mêmes.

2 Q. : Avez-vous recueilli des fonds à l’étranger ? Parmi les gens qui

3 contribuaient au financement du SDA à Prijedor, y en a-t-il certains

4 qui vivaient à l’étranger, en Allemagne, par exemple ?

5 R. : Oui. Je me suis rendu en Allemagne une seule fois seulement, sur

6 l’ordre du siège du parti, et six personnes ont réuni 2.500 marks

7 allemands, et comme elles venaient de la région de Brdo, elles m’ont

8 demandé de donner cet argent aux gens de la région de Brdo. Etant

9 donné qu’à Brdo, il y avait six ou sept comités locaux, j’ai informé

10 les gens de là-bas et je leur ai dit que cette somme d’argent avait

11 été réunie et qu’ils pouvaient en faire ce qu’ils voulaient. J’ai

12 donné l’argent au secrétaire, non, pardon, ce n’était pas le

13 secrétaire, c’était le président de l’un des comités locaux. C’était

14 la seule action à laquelle j’ai participé en matière de financement.

15 Je me rappelle exactement quelles étaient les personnes qui ont

16 contribué à ces fonds initialement venus de Brdo, mais je n’exclus

17 pas la possibilité, dans la mesure où il existait un certain nombre

18 de localités qui agissaient assez librement et où le comité

19 municipal n’exerçait aucune pression sur elles, je n’exclus pas la

20 possibilité qu’il y ait eu d’autres initiatives de collecte de fonds

21 dans la région de Kozarac, que des fonds aient été versés par des

22 gens originaires de Kozarac résidant à l’étranger, mais ce dont je

23 suis certain, c’est qu’il ne s’agissait pas de sommes

24 significatives.

25 Q. : Donc, tous les fonds qui provenaient de l’étranger ne passaient pas

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1 entre vos mains ?

2 R. : Nous avions un compte, notre propre compte légal, et nous avions des

3 gens qui travaillaient avec ce compte et tous les fonds destinés au

4 comité municipal étaient déposés sur ce compte. Attendez, je précise

5 qu’une somme symbolique, je répète, était versée tous les deux ou

6 trois mois par le gouvernement municipal, qui finançait tous les

7 partis en fonction de leur nombre de représentants à l’assemblée. De

8 temps à autre, il y avait quelques contributions volontaires versées

9 par des entrepreneurs privés, mais c’était alors dans le cadre

10 d’activités spécifiques, d’une initiative concrète, lorsque nous

11 organisions quelque chose.

12 Q. : Les collectivités locales pouvaient recevoir de l’argent de

13 l’étranger pour soutenir le SDA dans leur village ou leur localité,

14 et comme cet argent ne provenait pas de la municipalité, il ne

15 devait pas transiter par votre compte principal, est-ce bien exact ?

16 R. : Oui, c’est exact. Lorsqu’une personne venant d’un village ou d’une

17 localité spécifique, quelqu’un de Kozarac, voulait financer une

18 activité spécifique - il y avait pas mal d’activités. Par exemple,

19 l’idée a été lancée de rénover la vieille tour de Kozarac qui datait

20 de la même époque que la vieille ville; quelqu’un a eu l’idée de

21 couler une route asphaltée; il y a eu aussi certaines initiatives

22 visant à améliorer l’approvisionnement en eau, le réseau

23 téléphonique. Des citoyens finançaient ces activités, mais cela ne

24 passait pas par le SDA même, mais plutôt par les communes locales;

25 c’est-à-dire la structure de l’Etat qui était comparable aux

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1 collectivités locales. Elles n’avaient aucune couleur politique,

2 c’étaient les collectivités locales, tandis que d’autres activités

3 de plus grande envergure en relation avec le parti /sic/, je ne puis

4 me rappeler aucune activité significative pour laquelle des fonds

5 plus importants aient été recueillis.

6 Q. : Existait-il un formulaire spécial que vous utilisiez comme reçu en

7 échange des dons faits au parti SDA et que vous signiez de votre nom

8 ?

9 R. : Je pense qu’il existait une sorte de reçu, un formulaire. De tels

10 formulaires existaient probablement, parce que lorsque nous

11 recevions une contribution volontaire, nous délivrions des reçus. Je

12 ne me souviens plus si nous avions des formulaires spéciaux.

13 C’étaient peut-être les formulaires habituels, mais nous délivrions

14 un reçu à chaque citoyen en échange de sa contribution volontaire.

15 Même pour une somme infime, on lui donnait un reçu. De toute façon,

16 c’est conforme à la loi, il faut le faire.

17 Q. : Existait-il des cellules du SDA en Allemagne par exemple, qui

18 organisaient au niveau local dans ce pays des collectes de fonds

19 pour votre parti à Prijedor ?

20 R. : Pourriez-vous répéter la traduction parce que je n’ai pas bien prêté

21 attention à la question en anglais. Pourriez-vous répéter ?

22 Q. : Existait-il des cellules du SDA à l’étranger, en Allemagne par

23 exemple, où le parti SDA s’était structuré dans une ville

24 spécifique, disons Westfalen, et où les membres du SDA de cette

25 ville réunissaient des fonds pour vous, le SDA de Prijedor ?

Page 1717

1 R. : Pas seulement en Allemagne, mais dans toute l’Europe occidentale

2 avant la création des associations de guerre formées par les

3 citoyens. Ce n’étaient pas des organisations politiques, mais des

4 associations de citoyens parrainées par le SDA, le parti d’action

5 démocratique. Elles n’ont aucune finalité politique là-bas et se

6 limitent à organiser des activités culturelles, parce que la

7 législation des pays hôtes ne le leur permet pas. C’est donc une

8 distinction qu’il convient d’opérer. Ensuite, toutes ces

9 organisations à l’étranger concernent l’ensemble de la Bosnie-

10 Herzégovine. Par exemple, en Allemagne, à Munich, à Munich, il y a

11 une cellule du SDA qui regroupe des membres se trouvant

12 temporairement à Munich et provenant de toutes les parties de la

13 Bosnie-Herzégovine, de Zvornik, Sarajevo, Banja Luka, de toute la

14 Bosnie-Herzégovine. Donc, à l’étranger, il n’existait aucune

15 structure du SDA liée à Prijedor, susceptible de recueillir des

16 fonds uniquement pour Prijedor. Certaines collectes de fonds ont été

17 réalisées à l’étranger, mais elles étaient pour la plupart

18 individuelles, c’étaient des campagnes organisées par des

19 particuliers. Par exemple, un particulier entraînait un ami ou

20 plusieurs amis de Prijedor ou d’ailleurs en disant "Organisons une

21 collecte de fonds pour aider les gens là-bas". C’est le genre

22 d’activités qui étaient organisées, mais il n’y avait pas

23 d’initiative de plus grande envergure visant à recueillir des fonds,

24 pour autant que je sache.

25 M. KAY : Mme la Présidente, le moment est bien choisi.

Page 1718

1 LA PRESIDENTE : Très bien. L’audience est suspendue jusqu’à 14h30.

2 (13h04)

3 (L’audience est suspendue pour le déjeuner)

4 (14h30)

5 LA PRESIDENTE : M. Kay, vous avez la parole.

6 M. KAY : M. Mujadzic, Hambarine et l’incident que vous avez évoqué devant

7 la cour ce matin ...

8 R. : Oui.

9 Q. : ... on vous a dit que la date était le 23 mai, mais je pense que nous

10 parlons en fait du 22 mai, est-ce bien exact ?

11 R. : L’incident à Hambarine ?

12 Q. : Oui.

13 R. : Je continue de penser que c’était le 23.

14 Q. : Très bien. Votre frère se trouvait-il dans le village également

15 lorsque cet incident est survenu ?

16 R. : Vous voulez dire la localité, dans cette localité, lorsque l’incident

17 est survenu ? Oui, il était là.

18 Q. : Il s’agit d’Emir Mujadzic, est-ce bien exact ?

19 R. : Oui.

20 Q. : Votre cousin était-il là également ?

21 R. : Quel cousin ?

22 Q. : Mehmed Avdic, était-il là également ?

23 R. : Je n’ai pas de cousin portant ce nom.

24 Q. : Vous n’avez pas de cousin dénommé ainsi ?

25 R. : Dans notre langue, le cousin est le fils d’un frère. Le fils de mon

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1 frère s’appelle Emir et est âgé de quatre ans. Voudriez-vous

2 préciser votre question ?

3 Q. : Dans notre langue, le cousin est le fils du frère ou de la soeur de

4 votre père ou de votre mère.

5 LA PRESIDENTE : Dans ma langue, il peut s’agir aussi bien d’un cousin

6 germain que d’un petit cousin.

7 LE TEMOIN : Je ne connais personne portant ce nom, Mehmed Avdic.

8 Q. : "Avdic", A-V-D-I-C ?

9 R. : Vous voulez peut-être parler d’Esad Avdic, c’est mon oncle. Son fils

10 s’appelle Alan Avdic, et c’est le seul parent appelé "Avdic" que

11 j’aie.

12 Q. : Votre oncle ou son fils étaient-ils présents à Hambarine ce jour, le

13 jour de la fusillade ?

14 R. : Quel oncle, pourriez-vous préciser, car j’ai plusieurs oncles.

15 Voulez-vous dire celui dont j’ai parlé, Esad Avdic ?

16 Q. : Celui que vous avez mentionné, Esad Avdic, ou son fils également

17 appelé Avdic, A-V-D-I-C, étaient-ils l’un ou l’autre présents lors

18 de la fusillade à Hambarine?

19 R. : Esad Avdic n’était pas là et son fils Alan était âgé, je pense, de 12

20 ou 13 ans à l’époque et était donc un garçon qui n’avait rien à voir

21 avec cette histoire. Esad Avdic vit à environ un kilomètre et demi

22 de cet endroit. Il n’était même pas membre du SDA et n’a pas

23 participé aux activités de la Défense territoriale, en sorte que je

24 puis affirmer avec beaucoup de certitude qu’il n’était pas là et ...

25 Q. : Etaient-ce seulement des membres du SDA qui pouvaient participer à la

Page 1720

1 Défense territoriale ?

2 R. : Je n’ai pas entendu l’interprétation. J’ai quelques problèmes

3 techniques. Pourriez-vous répéter la question, s’il vous plaît ?

4 Q. : Il n’est pas indispensable d’être membre du SDA pour faire partie de

5 la Défense territoriale, n’est-ce pas ?

6 R. : C’est une question tendancieuse. Je ne sais pas pourquoi vous avez

7 pensé à la poser. J’ai simplement dit qu’Esad Avdic ne faisait

8 partie ni de la Défense territoriale, ni du SDA, et qu’il n’avait

9 participé à aucune activité ayant un rapport avec l’événement. Je ne

10 sais pas comment vous avez établi ce lien, ni ce qui vous a porté à

11 penser qu’il existait une relation causale entre le SDA et la

12 participation à la Défense territoriale.

13 Q. : Laissez-moi vous expliquer une chose. Je suis ici non pour répondre à

14 des questions, mais pour vous en poser. Je vous interroge sur ce qui

15 s’est passé à Hambarine lors d’une fusillade à un barrage routier.

16 Il se fait que vous vous trouviez à Hambarine ce jour-là, est-ce

17 bien correct ?

18 R. : Plus précisément, il s’agit d’une localité appelée Polje et de la rue

19 Sarajevo qui se trouve à Tukovi.

20 Q. : Peut-être pourrions-nous avoir la pièce à conviction 79 et regarder

21 où se trouvait ce barrage routier ?

22 LA PRESIDENTE : M. Kay, vous n’avez pas encore obtenu de réponse à votre

23 question. Voudriez-vous y revenir ?

24 M. KAY : J’y pense, je vais continuer et j’y reviendrai peut-être. Je vous

25 remercie, Mme la Présidente. Ici, nous avons Prijedor. Peut-on

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1 déplacer la carte pour voir Hambarine au milieu de l’écran ? Merci

2 beaucoup, M. Bos. Nous voyons Hambarine ici. Pourriez-vous nous

3 indiquer où se trouvait ce barrage routier, où la fusillade a eu

4 lieu. C’est bien.

5 R. : Voici Hambarine.

6 Q. : Pourriez-vous indiquer le barrage routier ?

7 R. : Un petit moment, je vais le faire. L’endroit exact se trouve ici.

8 Q. : Merci. Pourriez-vous indiquer l’endroit où vous vous trouviez au

9 moment de la fusillade, s’il est indiqué sur la carte ?

10 R. : Je me trouvais environ ici, à 3 ou 400 mètres en direction de

11 Prijedor et voici la rue Sarajevo qui fait partie de Tukovi ou,

12 plutôt, la zone limite vers Hambarine et vers la localité de Tukovi.

13 Q. : Depuis combien de temps ce barrage routier était-il en place à

14 Hambarine ?

15 R. : Attendez, j’essaye de m’en souvenir. Pas plus longtemps, je pense,

16 que 10 ou 15 jours, pas plus, mais de toute manière, il datait

17 d’après la prise de pouvoir à Prijedor. Lorsque le parti

18 démocratique serbe a fait son coup d’état à Prijedor le 29 avril, il

19 a installé des postes de contrôle aux entrées et aux sorties de la

20 ville de Prijedor. L’un de ces postes de contrôle se trouvait ici,

21 de l’autre côté du pont, ici. A cet endroit-ci, se trouvait le

22 premier poste de contrôle de la Défense territoriale, qui avait été

23 installé après le coup d’état, pas moins de sept jours après le coup

24 d’état, et de toute manière après le 30 avril.

25 Q. : Existait-il d’autres postes de contrôle sur les routes menant à

Page 1722

1 Hambarine ?

2 R. : Si vous vous éloignez de Prijedor, le poste de contrôle se trouvait

3 ici au carrefour à Tukovi, mais c’était le poste de contrôle établi

4 par des unités paramilitaires serbes et je pense qu’il y en avait un

5 autre ici également, installé par des unités paramilitaires serbes.

6 Le premier poste de contrôle de la Défense territoriale se trouvait

7 seulement ici, presqu’à l’entrée de Hambarine.

8 Q. : Vous avez dit que la Défense territoriale avait placé des hommes au

9 poste de contrôle d’Hambarine où cet incident s’est déroulé. Est-il

10 exact d’affirmer que les membres de ce groupe de la Défense

11 territoriale étaient musulmans ?

12 R. : C’étaient simplement des membres de la Défense territoriale. Personne

13 ne demande à un membre de la Défense territoriale s’il est musulman.

14 Le fait qu’il se dise être de religion musulmane ou autre est une

15 question personnelle. C’est le droit de tout individu, de tout être

16 humain.

17 Q. : Peut-être voudriez-vous nous aider, car je souhaiterais connaître la

18 réponse à ma question, si vous l’avez, à savoir, les gens qui se

19 trouvaient au poste de contrôle étaient-ils musulmans à votre

20 connaissance ?

21 R. : Oui, tous les membres étaient musulmans, mais tous les habitants de

22 cette collectivité locale d’où venaient des membres de la Défense

23 territoriale étaient également musulmans, et il n’était pas possible

24 d’avoir d’autres groupes ethniques ici, dans la mesure où c’était

25 une collectivité locale habitée par des Musulmans uniquement. Dans

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1 d’autres endroits, dans des environnements mixtes, il y avait des

2 membres de la Défense territoriale de service à divers postes de

3 contrôle, qui n’étaient pas des Musulmans.

4 Q. : Les Musulmans qui se trouvaient au poste de contrôle, portaient-ils

5 des armes?

6 R. : Oui, c’étaient des membres de la Défense territoriale et ils étaient

7 armés, bien entendu.

8 Q. : De combien d’armes disposaient-ils ?

9 R. : Je ne sais pas exactement. Je ne pourrais pas le dire.

10 Q. : Mais vous êtes arrivé sur place après la fusillade et vous nous avez

11 dit que vous avez fait des enquêtes et que vous avez parlé aux gens.

12 Combien d’armes avez-vous vu ?

13 R. : Je suis médecin et la première chose qui m’intéressait était l’état

14 de santé des blessés. C’était ma principale préoccupation. La

15 question de savoir combien d’armes il y avait passait au second

16 plan. J’ai vu plusieurs fusils, quatre ou cinq fusils, et des armes

17 automatiques, mais on m’a également dit que les quatre personnes qui

18 se trouvaient dans la voiture des Aigles blancs, les membres de

19 l’unité paramilitaire tchetnik, qu’ils étaient tous armés de fusils

20 automatiques.

21 Q. : Vous nous avez dit que vous étiez médecin et que vous vous

22 intéressiez à la santé des gens qui se trouvaient là. Pardonnez-moi

23 cette réflexion, mais vous semblez vous rappeler de détails

24 concernant les gens qui se trouvaient dans la voiture et qui étaient

25 soit serbes, soit croates, mais vous êtes incapable de nous aider en

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1 nous donnant des informations sur les gens qui se trouvaient à

2 l’extérieur du poste de contrôle. Peut-être que vous pourriez

3 essayer de vous souvenir et nous dire, après avoir réfléchi à la

4 question, combien d’armes vous avez vu en possession des gens qui

5 étaient de service au poste de contrôle ?

6 R. : Un instant, je vais essayer de me souvenir des détails. Je n’en suis

7 pas certain, mais je pense qu’il ne devait pas y avoir plus de

8 quatre ou cinq fusils - il ne pouvait y en avoir plus - quatre ou

9 cinq fusils en possession des membres de la Défense territoriale.

10 Q. : Qui commandait l’unité de la Défense territoriale au poste de

11 contrôle ? Quel était le nom de cette personne ?

12 R. : Aziz Aliskovic.

13 Q. : De combien d’hommes Aliskovic disposait-il à ce poste de contrôle ?

14 R. : Je ne m’en souviens plus très bien parce que je n’ai pas établi ces

15 postes de contrôle et je n’ai pas participé à leur mise sur pied -

16 cela n’entrait pas dans le cadre de mon mandat - mais je pense qu’il

17 ne peut y avoir eu plus de sept ou huit personnes. Pour autant que

18 je m’en rappelle, je pense qu’il ne peut y avoir eu plus de sept ou

19 huit personnes. Je ne m’en souviens pas exactement.

20 Q. : Portaient-ils un uniforme militaire ?

21 R. : C’étaient des uniformes qui avaient été distribués par la Défense

22 territoriale de Prijedor lors de la mobilisation légale, c’est-à-

23 dire des uniformes qui provenaient des dépôts de l’Armée populaire

24 yougoslave. C’étaient des uniformes traditionnels de la JNA de

25 couleur gris-vert olive.

Page 1725

1 Q. : Portaient-ils des insignes sur leurs uniformes qui permettaient de

2 les identifier?

3 R. : Non.

4 Q. : Ils ne portaient aucun écusson avec l’insigne de la Bosnie-

5 Herzégovine, les lis?

6 R. : Je pense que personne ne portait cet écusson au poste de contrôle.

7 Q. : Lorsque vous dites que vous vous êtes rendu au poste de contrôle

8 après la fusillade, combien de temps vous a-t-il fallu pour arriver

9 à cet endroit ? Combien de temps s’est-il écoulé ?

10 R. : Eh bien, j’ai déjà dit que la maison dans laquelle je me trouvais

11 était située à 300 ou 400 mètres de là, pas plus, mais je ne

12 pourrais le dire avec précision. Cela m’a pris quelques minutes,

13 parce que je me suis littéralement précipité hors de la maison

14 lorsque j’ai entendu les coups de feu.

15 Q. : Votre frère se trouvait-il déjà là ou vous a-t-il accompagné au poste

16 de contrôle ?

17 R. : Mon frère n’était pas là et je n’ai aucun souvenir de ce qu’il se

18 soit jamais trouvé au poste de contrôle. Je veux dire, vraiment

19 /sic/; il est arrivé plus tard au poste de contrôle.

20 Q. : Vous l’avez vu plus tard, dites-vous, au poste de contrôle et non

21 lorsque vous y êtes arrivé ?

22 R. : Non. J’ai dit que je ne l’ai jamais vu. Je n’ai aucun souvenir de ce

23 qu’il soit jamais venu au poste de contrôle.

24 Q. : Pourtant, vous l’avez vu, n’est-ce pas, ce soir-là à Hambarine ? Vous

25 l’avez vu à cet endroit ?

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1 R. : Non, je ne l’ai pas vu du tout ce soir-là.

2 Q. : Lorsque vous êtes arrivé au poste de contrôle, vous étiez-vous déjà

3 rendu à ce poste de contrôle auparavant ?

4 R. : Je suis passé plusieurs fois devant ce poste en me rendant de

5 Hambarine à Ljubija, parce que lorsqu’on se rend quelque part depuis

6 la maison de mes parents, et que l’on veut aller à Hambarine,

7 Ljubija ou Brdo, il faut passer devant le poste de contrôle avant

8 d’entrer dans Hambarine.

9 Q. : A quoi servait ce poste de contrôle ?

10 R. : Il avait été créé pour des raisons de sécurité.

11 Q. : Etait-ce pour arrêter les gens qui se rendaient à Hambarine ?

12 R. : Non. En même temps que ce poste de contrôle - pourriez-vous me

13 montrer la carte ? Un moment, je voudrais indiquer l’emplacement

14 d’un autre poste de contrôle. Pourrais-je avoir la carte ? Donc, le

15 poste de contrôle vers Hambarine, le premier après Prijedor, se

16 trouvait ici et j’ai dit que je me trouvais ici plus haut, face à

17 Hambarine. Je me dirigeais vers Hambarine et immédiatement après

18 Hambarine, vers le bas ici, il y avait un autre poste de contrôle,

19 mais qui était tenu par des hommes du SDS. Il y a quelques maisons

20 serbes là et tous les gens passaient librement à travers ces postes

21 de contrôle.

22 Des contrôles de sécurité étaient opérés uniquement dans la mesure -

23 compte tenu d’une éventuelle offensive d’extrémistes serbes, comme

24 les Aigles blancs, les unités extrémistes techniks ou d’autres

25 Tchetniks extrémistes. Je pense que cette crainte était relativement

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1 justifiée, comme la situation à Prijedor l’a démontré

2 ultérieurement.

3 Q. : Donc la réponse à cette question est que le poste de contrôle avait

4 pour objet de contrôler toute personne qui entrait dans le village

5 de Hambarine ?

6 R. : Je ne puis l’affirmer avec précision. Je ne pense pas qu’ils

7 contrôlaient tout le monde, et il ne s’agissait pas d’une entrée,

8 mais simplement d’un passage vers d’autres endroits. Hambarine est

9 un point de transit, disons, parce qu’il faut traverser Hambarine

10 pour se rendre dans d’autres localités. Il y a ici plusieurs autres

11 villages serbes, comme Niska Glava, Ljeskare et d’autres, Donji

12 Volar est un autre village serbe, Niska Glava. Donc, les citoyens

13 d’origine serbo-croate et tous les autres passaient librement à ce

14 poste de contrôle.

15 Q. : Merci beaucoup, mais quelle est l’utilité de placer neuf hommes en

16 uniforme à un poste de contrôle sur la route et de les équiper de

17 quatre ou cinq fusils si ce n’est pour contrôler les gens qui se

18 présentaient à ce poste ?

19 R. : Je n’ai pas dit que les gens qui se présentaient n’étaient pas

20 contrôlés. J’ai simplement dit que tout le monde n’était pas

21 nécessairement contrôlé, qu’ils ne contrôlaient pas systématiquement

22 toutes les personnes qui se présentaient.

23 Q. : Examinons plus en détail ce qui s’est effectivement passé le 23 mai,

24 dites-vous. A quelle heure cette fusillade a-t-elle eu lieu ?

25 R. : Dans l’après-midi, entre 19h20 et 19h30 dans l’après-midi, dans la

Page 1728

1 soirée.

2 Q. : Rendiez-vous une simple visite de courtoisie à vos parents ?

3 R. : Non, le 30, le jour où le putsch a été commis et, comme je l’ai déjà

4 dit, j’ai parcouru toutes les zones habitées ce jour-là, et le 1er

5 mai, lorsque je voulais me rendre vers Prijedor, le 2 mai, /sic/

6 certaines personnes m’ont dit que si je me rendais à Prijedor, les

7 extrémistes tchetniks m’arrêteraient et m’exécuteraient peut-être.

8 C’est pourquoi à partir du 2 mai, pour des raisons de sécurité, je

9 ne suis pas retourné à Prijedor et toutes les réunions qui ont eu

10 lieu après cette date-là se sont tenues à Hambarine pour des raisons

11 de sécurité. Je me trouvais donc dans la maison de mes parents pour

12 des raisons de sécurité car je n’étais, bien entendu, plus en

13 sécurité à Prijedor parce qu’on m’avait averti qu’il était probable

14 que les extrémistes serbes m’arrêtent et m’exécutent.

15 Q. : Lorsque vous avez entendu les coups, vous avez décidé d’aller voir ce

16 qui se passait plutôt que de quitter l’endroit, n’est-ce pas ?

17 R. : Oui.

18 Q. : Lorsque vous êtes arrivé au poste de contrôle, quel type de voiture

19 avez-vous vu ?

20 R. : Je pense que c’était une vieille Lada, ou nous l’appelons PZ, Fiat

21 PZ127, une vieille Lada blanche.

22 Q. : Et deux personnes étaient mortes ?

23 R. : Je pense que, dans la voiture même, il n’y avait personne. Ils

24 étaient tous à l’extérieur de la voiture.

25 Q. : Vous dites qu’ils étaient à l’extérieur de la voiture, pourriez-vous

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1 alors expliquer où se trouvaient les corps ?

2 R. : Je pense qu’ils se trouvaient juste à côté de la voiture, peut-être à

3 1 ou 2 ou peut-être 3 mètres de la voiture, 1, 2 ou 3. Je ne me

4 souviens pas exactement de la distance qui séparait les corps de la

5 voiture. Après tout, quatre ans se sont écoulés depuis lors.

6 Q. : Où exactement se trouvait la voiture, pourriez-vous nous dire où elle

7 se trouvait ?

8 R. : La voiture se trouvait tout en haut, près du poste de contrôle, parce

9 que dès qu’elle s’est immobilisée, elle n’a plus bougé.

10 Q. : Donc, la voiture s’est immobilisée sur la route au niveau du poste de

11 contrôle ?

12 R. : Oui.

13 Q. : La voiture n’a rien heurté ?

14 R. : Non, autant que je m’en souvienne, non. Je n’en suis pas certain.

15 Q. : Lorsque vous dites que la voiture s’est immobilisée au poste de

16 contrôle, y avait-il une barrière en travers de la route ?

17 R. : Je pense qu’il n’y avait pas de barrière. La voiture s’est simplement

18 immobilisée parce que les gens du poste de contrôle l’avaient

19 arrêtée en agitant probablement quelque chose.

20 Q. : Les deux corps, où se trouvaient-ils exactement ? Vous souvenez-vous

21 de l’endroit où ils se trouvaient lorsque vous êtes arrivé ?

22 R. : Je pense qu’ils se trouvaient juste à côté de la voiture. J’ai déjà

23 dit qu’ils se trouvaient probablement à deux ou trois mètres de la

24 voiture.

25 Q. : Devant ou derrière la voiture ?

Page 1730

1 R. : Je ne m’en souviens pas.

2 Q. : Combien de personnes au total la voiture contenait-elle ? Avez-vous

3 pu préciser le nombre de personnes qui se trouvaient dans la voiture

4 ?

5 R. : Six.

6 Q. : Deux autres personnes de la voiture ont été blessées ?

7 R. : Oui.

8 Q. : Où se trouvaient-elles lorsque vous êtes arrivé ?

9 R. : Je pense que l’une d’entre elles - je ne m’en souviens pas

10 exactement, mais je sais que certains des blessés se trouvaient

11 debout à cet endroit et avaient été désarmés. Ils se trouvaient

12 debout à côté de la voiture. Je ne m’en souviens pas exactement. Ils

13 se trouvaient debout près de la voiture, je pense, quelque part près

14 du poste de contrôle.

15 Q. : Donc, les deux personnes qui ont été blessées ont été désarmées et

16 leurs armes ont été confisquées ?

17 R. : Oui.

18 Q. : Etaient-elles serbes ?

19 R. : Quatre d’entre-elles étaient des Serbes qui portaient des uniformes

20 avec l’insigne des Aigles blancs, l’insigne du groupement tchetnik

21 de l’extrémiste Seselj. Je pense que deux d’entre-eux, ceux qui

22 conduisaient la voiture, étaient de nationalité croate et portaient

23 des vêtements civils. Ils m’ont dit qu’ils n’avaient rien à voir

24 avec tout cela et que ces quatre hommes les avaient obligés à

25 conduire cette voiture, à emmener les hommes et à les conduire.

Page 1731

1 Q. : Les deux hommes qui étaient morts étaient-ils aussi serbes ?

2 R. : Les deux morts étaient serbes, mais les deux Croates étaient

3 également blessés. Ils ont été touchés tous les six parce que, aux

4 dires de ceux qui étaient présents, l’un des membres de la Défense

5 territoriale a tiré sans vraiment viser et les a tous touchés.

6 Q. : Ils les a tous touchés en tirant un seul coup ?

7 R. : Non, non, il avait un fusil automatique.

8 Q. : Donc, ...

9 R. : Une rafale de coups d’arme automatique.

10 Q. : ... sans viser, il a réussi à en tuer deux et à en blesser deux

11 autres ?

12 R. : Il y avait six personnes dans la voiture et il a tiré dans leur

13 direction. Deux personnes ont été tuées et les quatre autres ont été

14 blessées, deux gravement et deux plus légèrement.

15 Q. : Donc, tous les gens qui se trouvaient dans la voiture ont été touchés

16 par les tirs?

17 R. : Oui.

18 Q. : En ce qui concerne le poste de contrôle de la Défense territoriale,

19 il y a eu un blessé ?

20 R. : Oui, un membre de la Défense territoriale a été blessé.

21 Q. : Qu’est-il advenu des blessés ? Vous avez dit qu’il s’agissait de deux

22 Croates et de deux Serbes. Qu’est-il advenu d’eux ? Où sont-ils

23 allés après votre arrivée au poste de contrôle ?

24 R. : Comme les lignes téléphoniques avec la ville de Prijedor étaient

25 coupées, il n’était pas possible d’appeler une ambulance pour

Page 1732

1 emmener les blessés. Il existait un système spécial - je ne m’y

2 connais pas très bien en matière d’équipement technique - une sorte

3 de système radio miniature. On a pu, quelqu’un a proposé de recourir

4 à ce système pour se mettre en rapport avec le centre à Prijedor et

5 les informer; et j’ai immédiatement dit à Rizvanovici d’essayer

6 d’appeler le centre d’information pour les informer de ce qui

7 s’était passé et demander que quelqu’un de l’hôpital, du service des

8 urgences, vienne immédiatement et s’occupe des blessés.

9 Q. : Les quatre blessés qui se trouvaient dans la voiture ont-ils été

10 transportés à l’hôpital ?

11 R. : Je ne sais pas, je ne puis l’affirmer car, comme je l’ai déjà dit,

12 immédiatement après cet incident, une voiture de police, un

13 transport blindé est arrivé sur les lieux. Je leur ai demandé

14 d’emporter ces gens et ils ont refusé. Ils ont reculé de 300 ou 400

15 mètres, peut-être plus, 500 ou 600, je ne puis le dire avec plus de

16 précision, et ils ont ouvert le feu sur le poste de contrôle.

17 Après cela, le crépuscule était déjà tombé et des chars sont arrivés

18 à Tukovi avec certaines unités. Tout était bloqué à Tukovi, sur un

19 kilomètre en direction de Prijedor, par des unités militaires du

20 SDS. Après avoir essayé d’informer Prijedor de ce qui s’était passé,

21 j’ai appris que quelqu’un était venu de Prijedor en voiture et avait

22 emmené ces gens - du moins c’est ce qu’on m’a raconté.

23 Q. : Voyons à quel moment le véhicule de police est arrivé sur les lieux

24 après la fusillade et a demandé au chef du groupe de la Défense

25 territoriale, Aliskovic, de se rendre.

Page 1733

1 R. : Je n’ai pas vu les gens parler depuis le véhicule. Ils n’en sont même

2 pas sortis. Ils ont parlé à travers l’orifice, ils ont donné des

3 ordres et ont exigé qu’Aziz et tous les autres se rendent. Je leur

4 ai simplement dit qu’il fallait constituer une commission pour

5 enquêter sur cet incident plutôt que d’arrêter des gens de manière

6 aussi arbitraire.

7 Q. : Qu’entendez-vous par "arrêter des gens de manière aussi arbitraire" ?

8 Il y avait deux morts, quatre blessés et la police était arrivée sur

9 les lieux. Pourquoi avez-vous dit qu’il fallait une commission pour

10 enquêter sur ce qui s’était passé ? Les gens de la Défense

11 territoriale, près du barrage routier, avaient ouvert le feu ?

12 R. : Oui, mais vous oubliez que cette police était illégale, qu’il

13 s’agissait de criminels de droit commun et que le chef de la police

14 légitimement en place avait été destitué après le putsch.

15 Q. : Vous vouliez qu’une commission fasse une enquête pour éviter que les

16 membres de la Défense territoriale qui se trouvaient au barrage

17 routier ne soient arrêtés ?

18 R. : Je ne sais pas qui devait arrêter qui parce que, si nous examinons

19 les choses d’un point de vue légal, les gens qui sont venus avec la

20 police auraient dû être arrêtés, parce que c’étaient eux qui étaient

21 à l’origine de l’incident et qui avaient renversé le gouvernement

22 légitime en place.

23 Q. : Vous ne pensez pas, en votre qualité de président d’un parti

24 politique de la région investi d’une certaine responsabilité, que

25 lorsque des meurtres ont été commis, il faut que la police fasse une

Page 1734

1 enquête ?

2 R. : Oui, certainement, mais il faut que ce soient des organes légitimes,

3 des forces de police légitimes. Les gens qui sont venus à ce moment

4 n’en faisaient pas partie et je m’adressais à eux en ma qualité de

5 député et de membre du parlement de la République du conseil des

6 citoyens /sic/, l’organe législatif le plus haut placé de la

7 République de Bosnie-Herzégovine.

8 Q. : Vous ne saviez pas qui étaient ces policiers dans ce véhicule, n’est-

9 ce pas ?

10 R. : Ce dont j’étais certain, c’est qu’ils ne représentaient pas les

11 autorités légales de la Bosnie-Herzégovine. De toute manière, ils

12 n’ont pas montré de documents et ne sont même pas sortis du

13 véhicule. Par contre, l’insigne sur le véhicule indiquait clairement

14 qu’il s’agissait de forces extrémistes du SDS.

15 Q. : C’est ce que vous affirmez, mais vous étiez plutôt heureux que cette

16 fusillade et ces meurtres se déroulent et que la justice ne soit pas

17 rendue comme il se doit, n’est-ce pas, M. Mujadzic ?

18 R. : Je pense que votre question est tendancieuse. Je ne sais pas ce qui

19 vous amène à conclure que je souhaitais que cette fusillade ait

20 lieu, parce qu’il se fait que j’en ai entendu parler par hasard.

21 C’est mon premier argument. Ensuite, il est pratiquement certain que

22 les gens qui se trouvaient dans la voiture ont été les premiers à

23 tirer sans avertissement sur les membres de la Défense territoriale

24 et que la réaction de l’un de ceux-ci relevait de la légitime

25 défense, alors qu’il se jetait à terre pendant que les gens lui

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1 tiraient dessus depuis la voiture.

2 Q. : Comment pouvez-vous affirmer cela alors que vous n’y étiez pas. Vous

3 n’avez pas vu qui a tiré en premier lieu, vous arrivez sur les lieux

4 et vous voyez deux Serbes morts, quatre autres personnes de la

5 voiture blessées, et vous dites que ces gens sont des extrémistes

6 qui ont commencé, alors que vous avez un blessé léger membre de la

7 Défense territoriale; vous avez été impartial dans toute cette

8 histoire, n’est-ce pas, M. Mujadzic ?

9 R. : Je pense que j’ai présenté toute l’affaire de manière absolument

10 impartiale. Vous oubliez que, sur ces six personnes, deux étaient

11 des Croates qui n’avaient rien à faire avec les quatre extrémistes

12 serbes membres des Aigles blancs, l’organisation tchetnik la plus

13 extrémiste. Ils ont confirmé que tout s’est bien passé comme cela.

14 Et de toute manière, l’une des personnes présentes, un Serbe, a

15 également confirmé, à l’instar de tous les autres témoins qui ont

16 assisté à cet incident, que l’un des membres des Aigles blancs avait

17 ouvert le feu sans avertissement sur des membres de la Défense

18 territoriale, en sorte que je ne vois pas pourquoi je ferais preuve

19 de partialité.

20 M. KAY : Merci beaucoup.

21 LA PRESIDENTE : D’autres questions, M. Keegan ?

22 M. KEEGAN : Oui, merci, Madame la Présidente.

23 (Poursuite de l’interrogatoire par M. KEEGAN)

24 Q. : D. Mujadzic, à partir du 27 juin, lorsque vous vous êtes caché dans

25 ce trou dans les bois pendant des mois pendant que vous étiez

Page 1736

1 bombardés tous les jours, l’une quelconque de ces forces de police

2 a-t-elle tenté d’intervenir pour aider votre groupe ?

3 M. KAY : Excusez-moi, je ne suis pas certain de comprendre dans quelle

4 mesure cette question a un rapport avec l’un des points soulevés

5 lors du contre-interrogatoire. Peut-être mon distingué ami souhaite-

6 t-il simplement prendre la parole ?

7 LA PRESIDENTE : S’il s’agit d’une objection ...

8 M. KAY : Oui ...

9 LA PRESIDENTE : ... l’objection est rejetée.

10 M. KEEGAN : Vous pouvez répondre à la question.

11 R. : Je peux répondre à la question ?

12 Q. : Oui.

13 R. : Ma tête avait été mise à prix et Stojan Zupljanin avait lui-même

14 déclaré, lors de négociations à Bihac en présence de Zijed Kadic

15 qu’ils essaieraient de m’attraper par tous les moyens et qu’il était

16 impossible que je m’échappe. La propagande serbe précisait chaque

17 jour si j’avais été capturé et si des gens m’avaient vu et, selon

18 les informations que je recevais, une récompense était offerte à

19 toute personne qui serait en mesure de dire où je me trouvais ou qui

20 me capturerait.

21 Finalement, comme ils n’arrivaient pas à me localiser et à me

22 capturer, ils ont diffusé la nouvelle qu’ils m’avaient écrasé entre

23 deux véhicules. Abdulah Konjici, le président du conseil des

24 citoyens, a adressé une lettre de protestation contre un acte aussi

25 barbare et il se fait que tous les gens de Sarajevo ont cru que cela

Page 1737

1 m’était réellement arrivé. Cependant, Dieu merci, ce n’était que de

2 la propagande serbe/tchetnik.

3 M. KEEGAN : Pas d’autre question, Madame la Présidente.

4 LA PRESIDENTE : D’autres questions, M. Kay ?

5 M. KAY : Non merci, Madame la Présidente.

6 JUGE STEPHEN : J’ai, je pense, trois questions à vous poser. La première

7 question concerne l’incident que vous avez évoqué, lorsque les chars

8 sont arrivés et lorsque, comme vous l’aviez précisé, les citoyens

9 s’inquiétaient de savoir ce que signifiait exactement cet incident.

10 Pourriez-vous me dire si cet incident s’est déroulé à un moment où

11 il y avait des combats en Croatie ?

12 R. : Je pense qu’à ce moment, la guerre avait éclaté en Croatie, que les

13 combats s’étaient bien amplifiés et que les médiats de Zagreb et de

14 Belgrade donnaient deux versions totalement différentes de la

15 guerre. Les médias de Zagreb ont diffusé la nouvelle de la

16 perpétration de crimes terribles et d’un bain de sang.

17 Q. : Je voudrais simplement savoir si les chars sont arrivés à un moment

18 où des combats se déroulaient en Croatie et je pense que vous avez

19 répondu "oui" à cette question ?

20 R. : Oui.

21 Q. : Bien, la deuxième question que je souhaitais vous poser concerne les

22 fonctions qu’occupait le Dr. Karadzic lorsqu’il a fait devant

23 l’Assemblée de la République cette déclaration qui a horrifié les

24 délégués. Quelles fonctions occupait-il à ce moment ?

25 R. : Il était alors président du parti démocratique serbe de Bosnie-

Page 1738

1 Herzégovine.

2 Q. : Et il était donc membre de l’Assemblée à ce titre, n’est-ce pas ?

3 R. : Non. Non, devant le parlement de Bosnie-Herzégovine et pour autant

4 que le parlement y consente, une personne qui n’a pas la qualité de

5 parlementaire peut prendre la parole, en sorte que Karadzic

6 s’exprimait uniquement en sa qualité de président du parti. Il

7 n’était pas parlementaire.

8 Q. : Merci. La troisième question fait référence aux "lis". J’ai lu dans

9 un certain nombre de pièces à conviction que certaines forces armées

10 arboraient des badges sur lesquels figuraient des lis et on vous a

11 posé des questions sur les lis lors du contre-interrogatoire.

12 Pourriez-vous nous en dire plus sur cet insigne et sur les personnes

13 qui l’arboraient ?

14 R. : C’était tout au début et ces insignes étaient arborés par certains

15 membres de la Défense territoriale qui, par chance, avaient réussi à

16 en trouver ou à le dessiner; tous les membres de la Défense

17 territoriale n’en possédaient pas, parce que ces insignes étaient

18 très rares.

19 Q. : Cet insigne est-il ensuite devenu l’insigne officiel d’une force

20 armée en Bosnie?

21 R. : Oui, celui de l’armée de Bosnie-Herzégovine, mais si vous pensez au

22 tout début, s’il existait alors une autre organisation qui avait cet

23 insigne officiel /sic/.

24 Q. : Mais plus tard, c’est alors devenu l’insigne officiel de l’armée de

25 Bosnie-Herzégovine ?

Page 1739

1 R. : Oui, oui, c’est bien cela.

2 JUGE STEPHEN : Merci.

3 JUGE VOHRAH : M. Mujadzic, lorsque vous vous êtes réfugié dans la forêt

4 avec vos compagnons, étiez-vous armés ?

5 R. : Oui, nous avions nos propres armes. Je possédais un pistolet

6 légalement enregistré, un Magnum 357 - j’avais un permis de port

7 d’armes - et ceux qui se trouvaient avec moi avaient aussi des

8 pistolets.

9 JUGE VOHRAH : Merci.

10 LA PRESIDENTE : M. Mujadzic, vous avez dit que le 30 avril - je pense que

11 c’était bien cette date-là - des militaires sont arrivés à Prijedor.

12 De quels militaires s’agissait-il ?

13 R. : Vous pensez probablement aux forces qui ont perpétré le putsch et que

14 j’ai vues au début de la journée du 30 avril devant la plupart des

15 bâtiments importants, à l’entrée de ces bâtiments. C’étaient des

16 forces de la 5e brigade de Kozara, des formations paramilitaires du

17 parti démocratique serbe. Il y avait également des forces spéciales,

18 des unités spéciales, de Banja Luka, ainsi que la police spéciale de

19 Banja Luka, et des gens qui appartenaient à je ne sais quelle unité,

20 qui venaient de Klujc, Dubica, d’autres municipalités situées en-

21 dehors de Prijedor.

22 Q. : La 5e brigade de Kozara était-elle originaire de Serbie, de Bosnie-

23 Herzégovine, de Croatie ou faisait-elle partie de la Défense

24 territoriale ?

25 R. : La 5e brigade de Kozara était une brigade commandée par Colic Pero,

Page 1740

1 qui avait combattu en Croatie sur le front de Lipik et de Pakrac et

2 qui, avec la 43e brigade, était retournée à Prijedor. Elle faisait

3 partie de la brigade du corps de Banja Luka qui appartenait au corps

4 de Banja Luka de l’armée populaire yougoslave.

5 Q. : Vous avez indiqué que le colonel Arsi} est un Serbe de Serbie. A

6 quelle armée appartenait-il ? De quelle unité était-il le colonel,

7 si vous le savez ?

8 R. : De l'armée populaire yougoslave.

9 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : M. Keegan, avez-vous d'autres questions ?

10 M. KEEGAN : Non, Mme le Président.

11 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : M. Kay ?

12 M. KAY : Non, merci, Mme le Président.

13 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Parfait. Avez-vous des objections à ce que M.

14 Mujad`i} soit excusé de façon permanente ?

15 M. KAY : Non, Mme le Président.

16 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Très bien. Vous êtes excusé de façon permanente.

17 Merci d'être venu M. Mujad`i}.

18 LE TEMOIN : Merci.

19 (Le témoin quitte le prétoire)

20 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : M. Keegan, voulez-vous appeler votre témoin

21 suivant - M. Tieger, ou tous les deux ... M. Tieger ?

22 M. TIEGER : Le témoin suivant témoignera à huis clos.

23 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Nous déclarons donc le huis clos.

24 (Audience à huis clos)- Rendu public par la Chambre II - 13 octobre 1996

25 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : M. Tieger, êtes-vous prêt ?

Page 1741

1 M. TIEGER : Oui, Mme le Président. Je pense que cela prendra quelque temps

2 en raison du départ du témoin précédent. Il doit avoir quitté le

3 prétoire avant qu'on amène le témoin suivant.

4 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Combien de temps ?

5 M. TIEGER : Cela ne devrait pas être très long. Il s'agit d'un bref délai

6 mais je ne pense pas que nous ayons besoin d'une suspension.

7 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : M. Wladimiroff, s'agissant de la requête

8 suggérée par la Chambre de première instance à l'Accusation

9 concernant la notification de l'intention d'invoquer l'alibi.

10 L'Accusation déposera sa requête dans une semaine à compter d'hier

11 et vous avez 14 jours, 14 jours ouvrables à compter de la réception

12 de cette requête pour déposer votre réponse.

13 M. WLADIMIROFF : Parfait.

14 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Très bien. Merci.

15 JUGE STEPHEN : Pendant que nous attendons, je me demande. A t-on des

16 copies supplémentaires de la pièce à conviction 79, la carte en

17 couleur ? Ce serait très utile. Je sais que j'en ai déjà une dans

18 mon cabinet. Ce serait très pratique d'en avoir une et je pense que

19 nous aurions tous intérêt à en avoir une ici.

20 M. NIEMANN : Nous pouvons essayer d'en trouver une, M. le Juge.

21 JUGE STEPHEN : Ce n'est pas urgent, mais est-ce possible ?

22 M. NIEMANN : Oui, M. le Juge.

23 JUGE STEPHEN : Merci.

24 M. NIEMANN : Oui, M. le Juge.

25 (Entrée du témoin dans le prétoire)

Page 1742

1 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Monsieur, voulez-vous prêter serment s'il vous

2 plaît ?

3 LE TEMOIN (Interprétation) : Bien sûr. Je jure solennellement de dire la

4 vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

5 (Prestation de serment du témoin)

6 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Très bien. Veuillez vous asseoir. Merci. M.

7 Tieger, vous pouvez commencer.

8 Interrogatoire de M. TIEGER

9 M. TIEGER : Merci, Mme le Président. (Au témoin) : Monsieur, durant votre

10 témoignage dans cette affaire en vertu d'une ordonnance de la Cour,

11 vous serez connu sous le pseudonyme "P" et, aux seules fins de

12 confirmation, la Cour a demandé à son personnel de s'assurer qu'il

13 n'y a pas de diffusion à l'extérieur, d'enregistrement télévisé

14 diffusé à l'extérieur de ce prétoire.

15 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Oui, nous avons demandé que ce soit vérifié et

16 ça l'a été, n'est-ce pas ? Le témoignage que vous allez donner n'est

17 donc pas enregistré. Cet enregistrement ne sera pas divulgué au

18 public. Il restera dans nos archives. Le compte rendu de cette

19 audience restera également confidentiel jusqu'à ce que l'Accusation

20 puisse l'examiner et s'assurer que le compte rendu n'indique en rien

21 votre identité. Le Conseil de la Défense aura aussi l'occasion

22 d'examiner le compte rendu mais celui-ci ne sera pas divulgué avant

23 qu'il soit déterminé qu'il ne révèle pas votre identité. Vous pouvez

24 reprendre, M. Tieger.

25 M. WLADIMIROFF : Puis-je soulever une autre question, Mme le Président ?

Page 1743

1 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Oui.

2 M. WLADIMIROFF : Nous avons jusqu'à présent appelé ce témoin par son

3 pseudonyme de témoin "P" et nous continuerons mais est-ce qu'il ne

4 serait pas approprié qu'on lui demande de décliner sa véritable

5 identité et de lui demander si elle est exacte, de sorte à éviter

6 toute confusion à propos des identités ?

7 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Je ne l'ai pas.

8 M. TIEGER : Je pense que la suggestion de Juge Stephen est une parfaite

9 solution et si nous pouvions le montrer au professeur Wladimiroff ?

10 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Je ne connais pas le nom mais vous voulez dire

11 qu'il le lise pour lui-même ?

12 M. WLADIMIROFF : Oui.

13 M. TIEGER : Correct.

14 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Mais sans le lire à voix haute ?

15 LE TEMOIN : Oui, c'est bien mon nom.

16 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Parfait.

17 M. TIEGER : Melle Sutherland montrera à M. Wladimiroff le nom lu par le

18 témoin.

19 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : M. P, pouvez-vous vérifier qu'il s'agit bien de

20 votre nom. Nous ne vous connaissons pas et ne voulons pas connaître

21 votre identité.

22 LE TEMOIN : Oui.

23 M. WLADIMIROFF : Merci.

24 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Vous pouvez reprendre M. Tieger.

25 M. TIEGER : Merci, Mme le Président. (Au témoin) : Monsieur, je sais

Page 1744

1 qu'avant votre arrivée aujourd'hui, vous vous attendiez à vous

2 trouver dans une salle de déposition

3 séparée et sous les feux de cette salle et je suppose que c'est la

4 raison pour laquelle vous êtes vêtu de façon sport. Je voulais le

5 mentionner. Monsieur, pouvez-vous préciser à la Cour votre lieu de

6 naissance s'il vous plaît ?

7 R. : [expurgé]

8 Q. : C'est en Bosnie-Herzégovine ?

9 R. : Oui.

10 Q. : Avez-vous grandi dans la région de [expurgé] ?

11 R. : [expurgé]

12 Q. : [expurgé]

13 R. : [expurgé]

14 Q. : [expurgé]

15 R. : [expurgé]

16 Q. : Avez-vous fait votre service militaire obligatoire dans les rangs de

17 la JNA ?

18 R. : Oui.

19 Q. : [expurgé]

20 R. : [expurgé]

21 Q. : [expurgé]

22 R. : [expurgé]

23 Q. : [expurgé]

24 R. : [expurgé]

25 Q. : [expurgé]

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1 R. : [expurgé]

2 Q. : [expurgé]

3 R. : [expurgé]

4 Q. : [expurgé]

5 R. : [expurgé]

6 Q. : [expurgé]

7 R. : [expurgé]

8 Q. : [expurgé]

9 R. : [expurgé]

10 Q. : [expurgé]

11 R. : [expurgé]

12 Q. : [expurgé]

13 R. : [expurgé]

14 Q. : [expurgé]

15 R. : [expurgé]

16 Q. : [expurgé]

17 R. : [expurgé]

18 Q. : [expurgé]

19 R. : [expurgé]

20 Q. : [expurgé]

21 R. : [expurgé]

22 M. TIEGER : [expurgé]

23 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : [expurgé]

24 M. WLADIMIROFF : [expurgé]

25 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : [expurgé]

Page 1746

1 M. TIEGER : [expurgé]

2 R. : [expurgé]

3 Q. : [expurgé]

4 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : [expurgé]

5 M. TIEGER : [expurgé]

6 M. WLADIMIROFF : [expurgé]

7 M. TIEGER : [expurgé]

8 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : [expurgé]

9 LE TEMOIN : [expurgé]

10 M. TIEGER : [expurgé]

11 M. WLADIMIROFF : [expurgé]

12 M. TIEGER : [expurgé]

13 R. : [expurgé]

14 Q. : [expurgé]

15 R. : [expurgé]

16 Q. : [expurgé]

17 R. : [expurgé]

18 Q. : [expurgé]

19 R. : [expurgé]

20 Q. : [expurgé]

21 R. : [expurgé]

22 Q. : [expurgé]

23 R. : [expurgé]

24 Q. : [expurgé]

25 R. : [expurgé]

Page 1747

1 Q. : [expurgé]

2 R. : [expurgé]

3 Q. : [expurgé]

4 R. : [expurgé]

5 Q. : [expurgé]

6 R. : [expurgé]

7 Q. : [expurgé]

8 R. : [expurgé]

9 Q. : [expurgé]

10 R. : [expurgé]

11 Q. : [expurgé]

12 R. : [expurgé]

13 Q. : A titre préliminaire, permettez moi de vous demander quelle était la

14 composition ethnique de la région de Banja Luka et, tout d'abord, de

15 Banja Luka proprement dit.

16 R. : La ville de Banja Luka avait une population d'environ 140 000

17 résidents. S'agissant de la composition ethnique, il y avait à peu

18 près le même nombre de Musulmans et de Croates. Il y avait

19 légèrement plus de Musulmans à Banja Luka parce que certains des

20 Croates vivaient dans les villages voisins de la ville mais à

21 l'intérieur de la municipalité. Les Serbes constituaient le groupe

22 le plus nombreux dans la ville comme dans la municipalité. La

23 population de la municipalité de Banja Luka atteignait environ 200

24 000 résidents d'après le recensement de 1991, du 1er avril 1991. Il

25 y avait légèrement ... 54 % de Serbes, environ 15 % de Croates et

Page 1748

1 environ 15 % de Musulmans, près de 15 %, et les 18 % restants

2 étaient constitués d'autres ethnies. C'était donc la structure

3 ethnique de la municipalité qui était publiée et officielle.

4 S'agissant de la structure ethnique de la ville proprement dite,

5 elle était impossible à déterminer parce que les résultats n'ont

6 jamais été déposés, ils n'ont jamais été enregistrés officiellement

7 ou annoncés. D'après le recensement de 1991, ou de 1981, 10 jours

8 (sic) plus tôt, parce que les recensements avaient lieu tous les 10

9 ans. Il y avait 51,5 % de Serbes à Banja Luka en 1981 et environ 50

10 % de Croates, Musulmans et autres ethnies.

11 Les résultats de 1981, du recensement de 1981, ont été pris dans

12 toute la Bosnie-Herzégovine comme l'un des critères, l'une des clés

13 pour les élections de 1990 et ont servi de critères pour l'exécution

14 de certaines lois comme, par exemple, la loi sur les affaires

15 municipales, la loi électorale et la loi sur les affaires

16 intérieures.

17 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Avant la suspension d'audience de l'après-midi,

18 je veux renvoyer le Conseil et M. Tadi} au contenu de l'ordonnance

19 qui a été rendue en ce qui concerne les mesures de protection pour

20 P. M. Tadi}, pourriez-vous mettre vos écouteurs ? Pouvez-vous

21 entendre M. Tadi} ?

22 L'ACCUSE TADIc : Oui, je peux vous entendre.

23 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Dans une langue que vous comprenez ?

24 L'ACCUSE TADIc . Je peux vous entendre que je porte ou non mes écouteurs

25 parce que l'acoustique est excellente.

Page 1749

1 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : L'ordonnance est constituée de onze points dans

2 lesquels la Cour a ordonné au Conseil et aux parties de s'abstenir

3 d'un certain nombre d'actions. Permettez-moi de vous lire seulement

4 les points 9) et 10). Il s'agit d'une ordonnance que la Chambre de

5 première instance a rendu le 15 mai 1996 et elle se rapporte au

6 témoin P. Le paragraphe 9) de l'ordonnance est rédigé ainsi :

7 "L'accusé, le Conseil de la Défense et les représentants qui

8 agissent conformément à leurs instructions ou à leur demande ne

9 divulgueront pas le nom du témoin P, ou tout autre renseignement

10 d'identification le concernant, au public ou aux médias, sauf dans

11 la mesure limitée où cette divulgation à des membres du public est

12 nécessaire pour enquêter de façon appropriée sur le témoin. Cette

13 divulgation aura lieu de façon à minimiser le risque que l'identité

14 du témoin soit divulguée au grand public ou aux médias".

15 Le paragraphe 10 de l'ordonnance est rédigé comme suit : "L'accusé,

16 le Conseil de la Défense et les représentants qui agissent

17 conformément à leurs instructions ou sur leur demande notifieront le

18 Bureau du Procureur de toute demande d'entrer en rapport avec P ou

19 des parents de P et le Bureau du Procureur prendra les dispositions

20 jugées nécessaires pour ce contact".

21 Je voulais simplement lire cela pour le procès-verbal pour m'assurer

22 que c'était bien compris. Bien sûr, l'ordonnance se suffit à elle-

23 même et elle se compose de plusieurs paragraphes. Nous suspendons la

24 séance pendant 20 minutes s'il vous plaît.

25 (16 heures 05)

Page 1750

1 (Brève suspension d'audience)

2 (16 heures 25)

3 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : M. Keegan ?

4 M. KEEGAN : Mme le Président, si je peux me permettre, avant que M. Tieger

5 ne reprenne. En ce qui concerne la demande de cartes. La carte

6 spécifique demandée par Juge Stephen pourrait prendre un certain

7 temps à obtenir. Elle devra être reproduite et nous le ferons à la

8 première occasion. Mais, à court terme, avec le consentement de la

9 Défense, nous avons ces cartes pour chacun des Juges. Elles vous

10 donneront une meilleure image généralement en ce qui concerne

11 l'emplacement géographique des diverses villes. Si je peux vous les

12 remettre ?

13 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : De quelle pièce à conviction s'agit-il ou est-ce

14 simplement un présent ?

15 M. KEEGAN : Ce ne sont pas des pièces à conviction. Elles sont destinées

16 uniquement à votre usage.

17 M. WLADIMIROFF : Nous avons les mêmes.

18 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Y a t-il des objections ?

19 M. WLADIMIROFF : Absolument aucune.

20 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Bien. M. Tieger, pourriez-vous continuer s'il

21 vous plaît ?

22 M. TIEGER : Oui, Mme le Président, merci. (Au témoin) : Monsieur, juste

23 avant la brève suspension, je vous ai demandé la composition

24 ethnique de Banja Luka. Quelle était la composition ethnique des

25 municipalités entourant Banja Luka ? Etaient-elles principalement

Page 1751

1 serbes ou musulmanes ou mixtes ?

2 R. : Les serbes étaient en majorité dans plusieurs municipalités

3 adjacentes à Banja Luka comme Celinac, Laktasi, voisine de la

4 municipalité de Banja Luka; puis celle de Srbac dont les Serbes

5 constituaient aussi la majorité. Et dans l'association des

6 municipalités de Banja Luka, vous aviez celle de Skender Vakuf à

7 majorité serbe mais avec un fort pourcentage de Musulmans; et Kotor

8 Varos où les Musulmans et les Croates dépassaient les Serbes qui

9 représentaient environ un tiers de la population; et Prnjavor, une

10 autre municipalité à majorité serbe. C'était l'association des

11 municipalités de Banja Luka avant 1990.

12 Nous avions une autre association de municipalités sur le territoire

13 de Bosanska Krajina, avec son siège à Prijedor et à Jajce, qui

14 incorporait plusieurs municipalités de Bosanska Krajina et une du

15 territoire de la Bosnie centrale. Quand je parle de "Bosanska

16 Krajina", je ne veux pas dire la région qui figure sur les cartes,

17 dans le nord-ouest de la Bosnie-Herzégovine et qui a toujours été

18 connue sous le nom de Bihac Krajina ou Krajina uniquement, parce que

19 celle-ci constitue une association distincte de municipalités qui

20 incorporait Bihac, Carzin, Velika Kladusa avec une majorité

21 musulmane et Bosanski Petrovac, Drvar et Grahovo où la majorité

22 était serbe.

23 Q. : [expurgé]

24 [expurgée]

25 R. : [expurgé]

Page 1752

1 [expurgée]

2 Q. : Une dernière question géographique rapide. Quelle est la distance

3 entre Banja Luka et la municipalité de Prijedor ?

4 R. : Les distances, la distance entre les villes de Banja Luka et de

5 Prijedor est d'environ 50 kilomètres.

6 Q. : J'aimerais maintenant vous poser quelques questions sur le régime

7 politique que vous avez évoqué antérieurement dans l'ex-Yougoslavie,

8 qui existait avant les élections démocratiques. [expurgé]

9 R. : Oui, politiquement parlant, la Yougoslavie était un régime politique

10 à parti unique. Il s'agissait d'une République. Les Républiques

11 avaient leurs Assemblées et vous aviez des Assemblées municipales

12 dont les membres étaient élus au suffrage direct tandis que ceux du

13 Parlement fédéral l'étaient au suffrage indirect. Puis, après la

14 Deuxième Guerre mondiale en 1945, quand l'Etat formé par la

15 Yougoslavie socialiste a été reconnu, il n'y avait qu'un parti

16 unique, qui était alors un parti politique, et il s'agissait du

17 parti communiste de Yougoslavie.

18 Le Parti communiste de Yougoslavie a changé de nom lors de son 5ème

19 ou 6ème Congrès, je crois, en 1958 pour devenir la Ligue des

20 communistes de Yougoslavie et il a, par la même occasion, changé

21 d'une certaine façon son attitude envers le pouvoir. Le parti

22 communiste de Yougoslavie n'était pas le parti au pouvoir en

23 Yougoslavie et cette relation entre le Parti communiste , c'est-à-

24 dire la Ligue des communistes après 1958 et le pouvoir a subsisté

25 jusqu'en 1990.

Page 1753

1 A cette époque, la Yougoslavie disposait d'une organisation socio-

2 politique appelée l'Alliance socialiste des travailleurs et elle

3 recouvrait toutes les autres organisations socio-politiques et

4 associations de citoyens. On retrouvait dans ces organisations

5 socio-politiques, la Ligue des communistes de Yougoslavie, la

6 Fédération des syndicats et l'Union de la jeunesse socialiste.

7 Les associations de citoyens étaient variées et elles étaient

8 établies en vertu de la législation des Républiques sur ce type

9 d'associations; il pouvait s'agir de clubs sportifs, de sociétés

10 d'amateurs, de toutes sortes d'associations qui, par leur statut ou

11 leur acte constitutif n'étaient pas hostiles, n'étaient pas opposées

12 au système politique en place. Telle était la situation juridique.

13 Au plan concret, jusqu'en 1990 la situation se présentait ainsi. La

14 Ligue des communistes de Yougoslavie décidait de toutes les

15 questions qui, d'une façon ou d'une autre, intéressaient l'ex-

16 Yougoslavie d'un point de vue politique, économique, culturel ou

17 autre. Cela avait lieu par l'intermédiaire des décisions finales des

18 Congrès du Parti et ces décisions finales, qui embrassaient, qui

19 couvraient toute la vie dans l'ex-Yougoslavie, reposaient dans les

20 organes représentatifs, c'est-à-dire dans les organes élus à

21 commencer avec l'Assemblée générale puis les Assemblées des

22 Républiques et enfin les Assemblées municipales. Elles étaient

23 exécutées complètement par ces organes. Il n'était pas question de

24 s'écarter de ces documents. Toute modification de ces directives du

25 Congrès signifiait une déviation par rapport à la ligne du parti et

Page 1754

1 entraînait la responsabilité devant le parti.

2 Je dois mentionner que cette responsabilité devant le parti, même si

3 personne ne pouvait être condamné ou jeté en prison, était néanmoins

4 très rigoureuse. La perte du statut de membre de la Ligue des

5 communistes signifiait généralement la perte de son emploi, de toute

6 fonction élevée ou de direction, de tout poste exécutif, y compris

7 dans les sociétés ou clubs sportifs.

8 Dans ce modèle, dans ce système de parti ou, plutôt, dans ce régime

9 de pouvoir, l'ex-Yougoslavie ne connaissait pas la dégradation

10 politique. Il n'y avait que la liquidation, politique et, aussi,

11 parfois, physique.

12 Q. : Par "dégradation politique" entendez-vous les rétrogradations au sein

13 du parti qui avaient lieu seulement au plan politique par opposition

14 à la liquidation physique ?

15 R. : Non, je ne voulais pas dire seulement cela. J'emploie le terme

16 "dégradation politique" et par là, j'entends les mouvements normaux

17 par rapport à un poste politique ou au sein du parti, c'est-à-dire

18 la démission en cas de désaccord sur un document, sur la ligne du

19 parti, sur des conclusion et garder une fonction professionnelle ou

20 quelque autre activité. Autrement dit, avoir une nouvelle chance de

21 réussir ou, plutôt, de revenir sur la scène politique.

22 Dans l'ex-Yougoslavie, dans la Ligue des communistes, c'était

23 impossible. Une chute politique signifiait une chute absolue. Des

24 responsables de rang très élevé ont réussi à demeurer dans l'ombre,

25 c'est-à-dire en dehors de la vie politique, mais il s'agissait de

Page 1755

1 personnes qui s'étaient distinguées durant la Deuxième Guerre

2 mondiale et que ce régime politique n'osait tout simplement pas

3 complètement liquider politiquement.

4 S'agissant de la prise de décision au sein de la Ligue des

5 communistes, elle suivait un modèle connu sous le nom de modèle

6 démocratique ou système de centralisme démocratique, ce qui

7 signifiait que les décisions des échelons supérieurs du parti,

8 quelque soit le niveau - municipalité, république ou tout le pays -

9 devaient être exécutées, c'est-à-dire adoptées sans objection et

10 souvent sans aucune chance, sans aucune possibilité de discuter une

11 opinion particulière.

12 De cette façon, un système a été établi permettant aux échelons les

13 plus élevés du parti de prendre les décisions pour le compte du

14 parti co-politique (sic), c'est-à-dire de l'ensemble de

15 l'organisation socio-politique et, officiellement, ils

16 fournissaient, ils assuraient les votes aux échelons les plus bas de

17 l'organisation, qui étaient les organisations de base de la Ligue

18 des communistes.

19 La Ligue des communistes se distinguait d'un parti politique par un

20 autre point au plan de l'organisation et il s'agit de sa division en

21 organisations de la Ligue à l'échelon des républiques, de sorte que

22 chaque république avait sa propre Ligue des communistes en tant

23 qu'organisation autonome, dans l'ensemble autonome, puis ces

24 organisations républicaines étaient regroupées à l'échelon de la

25 Yougoslavie dans la Ligue des communistes de Yougoslavie. [expurgé]

Page 1756

1 Q. : Les participants à ce système de longue date, les communistes, ont-

2 ils joué un rôle actif dans les nouveaux partis en Bosnie-

3 Herzégovine en 1990 ?

4 R. : Oui, les anciens membres de la Ligue des communistes se sont

5 retrouvés dans les partis politiques établis en 1990 puis inscrits

6 pour la première fois cette année là au registre des partis

7 politiques. Presque tous les membres de la Ligue des communistes

8 sont devenus membres des nouveaux partis politiques pas seulement

9 d'un seul mais de tous les partis politiques; certains d'entre eux,

10 un petit nombre, sont restés en dehors de la vie politique. Cette

11 présence des anciens membres de la Ligue des communistes de

12 Yougoslavie a en grande partie déterminé la nature et les règles de

13 conduite des nouveaux partis politiques fondés en 1990.

14 Tous ces membres de la Ligue des communistes n'ont pas changé leurs

15 habitudes. Leurs règles de comportement, leurs conceptions de la

16 vie, de la politique, d'un parti politique sont restées intactes. Et

17 dans les statuts de la quasi-totalité des partis politiques on

18 retrouve des dispositions réglementant ce qui était appelé la

19 "discipline du parti", de sorte que les règles les plus lourdes, les

20 pires de la Ligue des communistes de Yougoslavie ont été presque

21 adoptées sans changement par les nouveaux partis politiques.

22 Le problème primordial des nouveaux partis politiques était que les

23 individus, concrètement parlant, n'avaient pas du tout changé. Ils

24 ont simplement changé leur étendard. Plutôt que l'étendard de la

25 Ligue - le drapeau de la Ligue des communistes de Yougoslavie, ils

Page 1757

1 brandissaient maintenant au-dessus de leur tête l'étendard de leur

2 partie politique ou de leur nation.

3 Q. : Dans le régime communiste de l'ex-Yougoslavie [expurgé], comment se

4 faisait la promotion politique ? De quoi dépendait-elle ?

5 R. : La promotion dans l'ex-Yougoslavie était possible dans deux domaines,

6 dans votre profession, votre carrière et dans la politique et dans

7 ces deux domaines on ne pouvait avancer que de deux manières. En

8 raison de qualités exceptionnelles, en particulier si vous n'étiez

9 pas membre de la Ligue des communistes et certaines personnes ont

10 progressé sur cette base mais elles étaient rares; ou pour des

11 raisons de loyauté ou plutôt, devrais-je dire, d'une attitude

12 servile totale. La servilité envers les dirigeants du parti

13 garantissait l'avancement et le progrès dans votre carrière, tant au

14 plan politique que professionnel.

15 Jusque vers les années 1980, personne ne pouvait être nommé

16 administrateur ou directeur s'il n'était membre de la Ligue des

17 communistes. Cette politique a été un peu assouplie deux ou trois

18 ans après le décès de Tito de sorte qu'il est devenu possible pour

19 quelqu'un d'extrêmement compétent de devenir un directeur général

20 sans être membre de la Ligue des communistes. Mais la Ligue des

21 communistes était une organisation qui ralliait ou, plutôt, tous les

22 juges, procureurs, policiers, fonctionnaires, les directeurs

23 d'entreprises, devaient tous être membre de la Ligue des

24 communistes. Personne ne pouvait être élu juge sans être membre de

25 la Ligue des communistes. C'était impossible.

Page 1758

1 Q. : Pouvez-vous nous donner des exemples de la façon dont une personne

2 dans ce régime, dont des éléments ont été transplantés dans le

3 milieu post-élections, progresserait dans ce système si c'est ce que

4 cette personne recherchait ?

5 R. : Oui, ces exemples sont nombreux. Il existe de nombreux exemples de

6 membres les plus durs, presque orthodoxes de la Ligue des

7 communistes qui, après être passés aux partis politiques sont

8 devenus les Serbes, Croates ou Musulmans les plus orthodoxes. Un

9 excellent exemple d'une telle personne est le Président du quartier

10 général de crise de la Krajina, qui était un communiste bien connu

11 de la ligne dure, extrêmement rigoureux dans ses demandes de respect

12 des règles de la Ligue des communistes et qui, après avoir rejoint

13 le SDS, est devenu l'un des Serbes les plus orthodoxes.

14 Cette transformation n'a pas pris plus de temps que celui nécessaire

15 pour changer sa carte de parti. Certains leaders éminents du SDS à

16 Banja Luka ne se sont même jamais retirés de la Ligue des

17 communistes. Le Président du Comité municipal du SDS pour Banja Luka

18 au printemps de 1991 était toujours officiellement un membre de la

19 Ligue des communistes et il figurait dans les dossiers des membres

20 de la Ligue et continuait d'occuper le poste de Secrétaire de

21 l'organisation de base de la Ligue des communistes à la Faculté de

22 médecine.

23 Q. : Dans ce système, quelle était la relation entre l'expression de son

24 engagement personnel en faveur de la politique du parti et les

25 chances de promotion ?

Page 1759

1 R. : Dans la Ligue des communistes ?

2 Q. : Oui.

3 R. : La Ligue des communistes avait une politique du personnel très

4 étrange. On parlait de politique du personnel mais il s'agissait en

5 fait d'un réseau de cadres qui étaient nommés aux postes principaux.

6 Vous deviez être un membre très loyal de la Ligue des communistes,

7 lutter contre l'église, contre la religion, être contre toutes les

8 idéologies incompatibles avec la Ligue des communistes et, du fait

9 de la façon dont elle était organisée en tant qu'organisation socio-

10 politique chapeautée par l'alliance socialiste, la politique du

11 personnel était généralement décidée lors de soirées, à des

12 résidences ou des restaurants. Il importait peu que vous soyez un

13 individu compétent ou un travailleur acharné ou doté d'une

14 éducation. Ce qui importait était votre loyauté envers les

15 dirigeants du parti. C'était la condition préalable à tout

16 avancement dans votre carrière.

17 Q. : Est-ce que cet aspect de l'ancien régime a aussi été transplanté dans

18 les partis dans le contexte établi après les élections ?

19 R. : Il a été entièrement transplanté, totalement. Qui plus est, après la

20 prise de pouvoir ou, plutôt, après les élections et la distribution

21 des départements parmi les partenaires de la coalition dirigeante,

22 des changements ont été introduits au plan des dirigeants, dans

23 l'économie, dans les services publics, dans l'administration

24 publique. Le même modèle que la Ligue des communistes a été appliqué

25 intégralement. Plus un membre était loyal, excessif, extrême et plus

Page 1760

1 grandes étaient ses chances d'avancement pour une meilleure

2 carrière, pour acquérir un bon poste dans les affaires ou en

3 politique.

4 Q. : Les élections de 1990 ont-elles permis à des gens qui ne s'étaient

5 pas jusqu'alors distingués au plan politique ou professionnel de

6 progresser avec leurs partis par l'expression d'une telle loyauté ?

7 R. : Oui, s'ils étaient membres des partis au pouvoir, et en Bosnie-

8 Herzégovine il s'agissait de la coalition dirigeante composée des

9 SDS, HDZ et SDA. L'avancement pour les membres d'autres partis

10 politiques, sauf à Tuzla, était impossible.

11 Q. : Les chances de cet avancement se rapportaient-elles à la vigueur de

12 l'engagement apparent en faveur des idéaux du parti ?

13 R. : Oui, c'était une condition préalable à l'avancement, un engagement

14 absolu en faveur des idéaux politiques, des objectifs politiques

15 actuels et l'expression extrêmement ferme des positions du parti. De

16 cette façon, par ce comportement, il était possible de progresser

17 dans votre carrière, de parvenir à un poste de direction ou à un

18 poste mieux rémunéré et aussi d'obtenir des fonctions politiques qui

19 signifiaient un poste politique dans son propre parti ou dans le

20 système politique, un membre d'une Assemblée, un organe de travail

21 de l'Assemblée qui signifiait un pouvoir social considérable, un

22 énorme pouvoir dans la société.

23 Q. : Concentrant votre attention sur les environs de la date des élections

24 de 1990, est-ce que des mouvements nationalistes s'étaient faits

25 jour à cette date dans l'ex-Yougoslavie ?

Page 1761

1 R. : Oui.

2 Q. : Y avait-il un mouvement nationaliste serbe à cette date ?

3 R. : Oui, on observait une telle ambiance, un mouvement pourrait-on dire,

4 qui s'est fortement intensifié quelques années avant l'élection.

5 Q. : Le nationalisme serbe embrassait-il le concept d'un Etat serbe élargi

6 et unifié ?

7 R. : Oui. Fondamentalement, à la base de ce mouvement nationaliste - et je

8 dois dire que le mouvement nationaliste croate était aussi très

9 puissant - il y avait le concept d'une Grande Serbie. Ce concept

10 d'une Grande Serbie n'est pas nouveau et il n'a pas non plus été

11 découvert par les politiciens qui sont apparus sur la scène

12 politique juste avant les élections de 1990, c'est-à-dire en 1988/89

13 . Ils ont simplement appliqué cette notion avec énormément de

14 succès. La notion d'une Grande Serbie est née il y a quelque 150

15 ans. Elle a acquis un dynamisme considérable entre les deux guerres

16 et elle a toujours été présente dans la République socialiste

17 fédérative de Yougoslavie.

18 Les partisans du concept d'une Grande Serbie étaient principalement

19 concentrés dans deux institutions, à savoir l'Académie serbe des

20 arts et des sciences (ou SANU en bref) à Belgrade, et l'Association

21 des écrivains de Serbie avec son siège au 7 de la rue Francuska,

22 connu sous le nom de "7 Francuska". L'un des partisans majeurs de ce

23 concept était Vasa Cubrilovi}, entre les deux Guerres mondiales,

24 dans les années 1930, et jusqu'à sa mort et il était membre de

25 l'Académie serbe des arts et des sciences. Et l'Association des

Page 1762

1 écrivains de Serbie regroupait un certain nombre de protagonistes

2 importants dont Dobrica Cosic était l'un des plus connus.

3 Q. : Permettez-moi d'examiner d'abord le cas de Vasa Cubrilovi}. Pouvez-

4 vous tout d'abord nous présenter très rapidement ses antécédents et

5 les raisons de son importance pour les Serbes ?

6 R. : Vasa Cubrilovi} était une personnalité très célèbre. Il était

7 considéré comme un héros national serbe. Il était membre du groupe

8 des jeunes bosniaques, Il est né à Bosanska Gradiska. Il était

9 membre de cette organisation, de l'organisation qui a mis sur pied

10 l'assassinat du prince Ferdinand à Sarajevo en 1914 et qui a été la

11 cause directe de l'éclatement de la Première Guerre mondiale et du

12 conflit entre la Serbie et l'Autriche.

13 Après sa libération de prison, après l'effondrement de l'empire

14 austro-hongrois, il a obtenu son diplôme de la Faculté de

15 philosophie et, en sa qualité de héros national, charismatique de

16 cette période, il était intouchable à maints égards. Il a été le

17 créateur en 1937, je crois, ou 1936 d'un programme appelé

18 l'"Emigration des Arnauti" ou des "Schipetars" dans lequel il

19 décrivait les moyens d'expulser la population albanaise, connue

20 officiellement sous le nom de "Schipetars", du territoire de Serbie.

21 Il a offert ces mêmes services à la Yougoslavie de Tito après la

22 Deuxième Guerre mondiale. Cependant, le Parti communiste de

23 Yougoslavie ou, plutôt, les événements dans la République socialiste

24 fédérative de Yougoslavie, ont fait que ce programme n'a été

25 appliqué qu'aux Allemands, c'est-à-dire les citoyens d'ethnie

Page 1763

1 allemande dans l'ex-Yougoslavie. Tous ou presque tous les citoyens

2 allemands ont été expulsés de l'ex-Yougoslavie. Tous ceux qui

3 appartenaient à l'armée allemande ou à tout parti politique

4 entretenant des relations avec elle ont vu leurs biens confisqués et

5 ont été interdits de séjour en Yougoslavie.

6 S'agissant des minorités ethniques dans l'ex-Yougoslavie, c'est-à-

7 dire dans la République socialiste fédérative de Yougoslavie, Tito

8 n'a jamais accepté le concept de Cubrilovi}.

9 M. TIEGER : Mme le Président, ce document peut-il être marqué pièce à

10 conviction 142 aux fins d'identification, s'il vous plaît ? (remise

11 du document). Monsieur, avez-vous récemment eu l'occasion d'examiner

12 certains des travaux de Vasa Cubrilovi} ainsi que d'autres

13 nationalistes serbes, comme Stevan Moljevi} ou Militim Nedi} ?

14 R. : Oui.

15 Q. : Avez-vous tiré des extraits de ces oeuvres et figurent-ils dans le

16 document qui se trouve maintenant devant vous ?

17 R. : Oui.

18 M. TIEGER : Je dépose ce document, Mme le Président.

19 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Y a t-il des objections à la pièce à conviction

20 142 ?

21 M. WLADIMIROFF : Non, Mme le Président.

22 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : La pièce à conviction 142 est déclarée

23 recevable, elle est admise.

24 M. TIEGER (Au témoin) : Monsieur, vous avez mentionné que Vasa Cubrilovi}

25 était un ... Je m'excuse, un petit problème technique. Je reprends.

Page 1764

1 Monsieur, vous avez mentionné que Vasa Cubrilovi} était un partisan

2 de la réalisation d'une Grande Serbie. A t-il, en particulier,

3 discuté de l'expulsion et du déplacement de minorités comme méthode

4 pour réaliser la Grande Serbie ?

5 R. : Oui, c'est la façon dont, selon lui, la Grande Serbie serait réalisée

6 en tant qu'Etat, non pas un Etat avec un territoire doté de citoyens

7 appartenant à plusieurs ethnies mais un seul Etat-nation. Dans son

8 ouvrage de 1937 sur la réinstallation des Arnauti, Cubrilovi} a

9 fourni des instructions détaillées sur la façon dont les autorités

10 devraient se comporter pour réaliser ce concept.

11 Q. : Puis-je vous interrompre un instant et demander que la traduction en

12 anglais des extraits de ce document soit affichée à l'écran, en

13 particulier les paragraphes 2 et 3 de la première page ? Aux

14 paragraphes 2 et 3, est-ce que Cubrilovi} décrit certaines des

15 méthodes qu'il recommande aux autorités d'adopter pour l'expulsion

16 ou la dispersion des Albanais ?

17 R. : Oui. Il dit qu'un autre moyen est la coercition par l'appareil de

18 l'Etat, que cet appareil devrait rendre la vie des Albanais parmi

19 les Serbes intolérable en utilisant des lois rigoureuses, en

20 augmentant les amendes - d'après cette terminologie, il s'agit

21 d'amendes pécuniaires - pour les infractions en tous genres ainsi

22 que pour les crimes, l'emprisonnement et toutes sortes de mesures

23 policières possibles, l'imposition de toutes sortes de travaux

24 forcés ou kuluk. "Kuluk" dans la législation du Royaume de

25 Yougoslavie, signifiait les travaux forcés comme l'une des formes de

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1 sanction.

2 Les mesures économiques n'étaient pas non plus négligées. Il était

3 considéré que les titres de propriété devraient être traités comme

4 nuls et non avenus dans le registre foncier; qu'il fallait insister

5 sur le règlement des dettes et sur le recouvrement des impôts; que

6 les concessions ou les permis de travail devraient être annulés pour

7 les artisans et les commerçants, que les personnes exerçant une

8 activité dans le secteur privé ou dans les services collectifs,

9 notamment les services de santé, devraient être licenciées. Plus

10 concrètement, les murs qui entourent traditionnellement les

11 résidences familiales albanaises devraient être abattus.

12 Il convient de noter ici que les résidences albanaises au Kosovo et

13 les nombreuses maisons musulmanes dans les villages typiquement

14 musulmans étaient entourées de murs élevés sur l'avant, vers la rue,

15 pour éviter qu'on puisse voir ce qui se passait dans la cour et

16 protéger la vie privée des résidents. A cette époque au Kosovo, il y

17 avait des familles élargies vivant dans une résidence connue sous le

18 nom de coopératives ou de familles élargies et la violation de la

19 vie privée était considérée comme une grande insulte et un coup

20 sérieux porté aux traditions et aux sentiments de ces familles.

21 C'était considéré comme très pénible.

22 Comptant sur les sentiments religieux des gens, il recommandait la

23 persécution des membres du clergé et la profanation des cimetières.

24 Il suggérait aussi que les colonies serbes devraient recevoir des

25 armes. L'une des mesures utilisées par le Royaume de Yougoslavie

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1 contre les Albanais au Kosovo a été une colonisation par les Serbes

2 en vue de s'emparer des biens des Albanais qui avaient été expulsés,

3 de sorte que si un bien albanais était exproprié ... si une famille

4 albanaise était expulsée, une famille serbe serait invitée à

5 s'installer à la place et ces mesures visaient à changer la

6 composition ethnique de la province et, selon Cubrilovi}, ces colons

7 devraient recevoir des armes.

8 Comme toujours, les Chetniks et les groupes paramilitaires devaient

9 être la force armée à utiliser contre ceux qui constituaient un

10 obstacle à la création d'une Grande Serbie homogène. A son avis,

11 quand le bon moment serait venu, il suffirait de permettre à une

12 foule de montagnards monténégrins de provoquer un conflit massif,

13 étant entendu que ce conflit serait préparé avec l'aide de personnes

14 de confiance.

15 Je dois expliquer ce qu'implique l'expression "montagnards

16 monténégrins". Le Monténégro était l'une des Républiques de l'ex-

17 Yougoslavie et sa continuité en tant qu'Etat indépendant n'a jamais

18 été interrompue avant 1919. L'empire turc qui avait occupé cette

19 partie de l'Europe n'est jamais parvenu à conquérir le Monténégro.

20 Il est peuplé de gens vivant dans les collines et les montagnes qui

21 ont toujours été autonomes et indépendants et qui étaient

22 constamment en guerre. Pendant des siècles, ces gens ont dormi leurs

23 armes à la main. Ces gens - ces gens habitués à la guerre et pour

24 qui la guerre n'était pas seulement une profession mais un motif

25 d'orgueil - devaient servir à résoudre le problème des Albanais au

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1 Kosovo.

2 Q. : Quand vous avez fait référence à la mise en place réussie dans les

3 années 1990 de certaines des idées avancées par les anciens

4 partisans du nationalisme serbe et de la Grande Serbie, pensiez-vous

5 aux idées de Vasa Cubrilovi} ?

6 R. : Oui, bien sûr. Le Comité de crise à Banja Luka en 1992 a suivi ces

7 instructions à la lettre. Toutes ces décisions signifiaient

8 l'exécution, la mise en opération des instructions présentées ici.

9 Dans la région autonome de la Krajina, ce concept, c'est-à-dire

10 l'attitude des autorités envers les minorités ethniques ou les non-

11 Serbes, a été appliqué et, en particulier, un point a été

12 particulièrement visé et il est assez important dans cet aide-

13 mémoire. Il figure au dernier paragraphe où il est dit que : "en

14 élaborant les mesures d'application de cet aide-mémoire, le rôle

15 primordial devrait être joué par l'Académie des sciences et

16 l'Université" et cela était vrai également au plan de la

17 concrétisation du concept de Grande Serbie. Les protagonistes

18 étaient l'Académie serbe des Sciences, les Universités et

19 l'Association des écrivains.

20 Q. : Je note que le nom de "Stevan Moljevi}" figure aussi dans le

21 document. Pouvez-vous nous dire brièvement qui il était ?

22 R. : Steven Moljevi}. Steven Moljevi} vient de Banja Luka. C'est un avocat

23 à Banja Luka et un membre du Parti démocratique indépendant de

24 Statozar Pribi~evi} avant la Deuxième Guerre mondiale dans le

25 Royaume de Yougoslavie, et un partisan important du concept de

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1 Grande Serbie, notamment sous sa forme élémentaire que l'on trouve

2 dans le projet Grasanin.

3 Cependant, Stevan Moljevi} a aussi tracé les frontières, les

4 frontières occidentales de la Grande Serbie et des autres

5 territoires qui n'ont jamais fait partie de la Serbie même quand,

6 historiquement, sous le Tsar Dusan, la Serbie a été à son plus

7 grand.

8 M. TIEGER : Mme le Président, puis-je faire appel à l'aide de la pièce à

9 conviction 2 ?

10 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Vous apprêtez-vous à passer à un autre domaine à

11 ce stade, parce que nous allons nous ajourner quelques minutes plus

12 tôt aujourd'hui. L'autre chambre de première instance a besoin de ce

13 prétoire et nous travaillons presque 24 heures sur 24, alors si le

14 moment est bien choisi ?

15 M. TIEGER : C'est parfait, Mme le Président.

16 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Nous nous ajournons donc jusqu'à demain 10

17 heures.

18 (Ajournement de l'audience jusqu'au lendemain)

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