Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 LE TRIBUNAL PÉNAL INTERNATIONAL Affaire IT-94-1-T

2 POUR L’EX-YOUGOSLAVIE

3 Jeudi, le 25 juillet 1996

4 (10h00)

5 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : M. Tieger ?

6 M. TIEGER : Oui, Madame le Président. Le témoin suivant répond au nom de

7 Muharem Besic.

8 M. MUHAREM BESIC est appelé à la barre.

9 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : M. Besic, veuillez prêter serment, s'il vous

10 plaît.

11 LE TÉMOIN [Traduction] : Je déclare solennellement que je dirai la vérité,

12 toute la vérité et rien que la vérité.

13 (Le témoin a prêté serment)

14 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Bien. Merci. Veuillez-vous asseoir.

15 Interrogatoire par M. TIEGER

16 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : M. Tieger ?

17 M. TIEGER : Merci, Madame le Président. Comment vous appelez-vous,

18 monsieur ?

19 R. : Muharem Besic.

20 Q. : En quelle année êtes-vous né ?

21 R. : Le 12 octobre 1955 à Kozarac.

22 Q. : Êtes-vous allé à l'école primaire à Kozarac ?

23 R. : Oui.

24 Q. : Etait-ce l'école Rade Kondic ?

25 R. : Oui.

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1 Q. : Au début de votre vie d'adulte, avez-vous travaillé comme peintre

2 pendant environ trois ou quatre ans à Zagreb ?

3 R. : Oui.

4 Q. : Pendant cette période, reveniez-vous chez vous à Kozarac tous les

5 week-end ou un week-end sur deux ?

6 R. : Oui.

7 Q. : Puis, êtes-vous revenu vivre à Kozarac pendant une période de deux

8 ans ?

9 R. : Oui.

10 Q. : Puis vous avez ensuite travaillé deux ans dans le bâtiment en Croatie

11 ?

12 R. : Oui.

13 Q. : Durant cette période, rentriez-vous également chez vous tous les

14 week-ends ou un week-end sur deux ?

15 R. : C'est exact.

16 Q. : Après cela, vous êtes revenu vivre à Kozarac et y avez travaillé à

17 plein temps ?

18 R. : Oui.

19 Q. : Donc, à l'exception de ces quatre à cinq ans en Croatie au cours

20 desquels vous êtes revenu chez vous régulièrement, vous avez passé

21 toute votre vie à Kozarac jusqu'au conflit en 1992 ?

22 R. : Absolument.

23 Q. : Juste avant la guerre, habitiez-vous à Kozarac ?

24 R. : Oui.

25 Q. : Dans le village de Besici ?

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1 R. : Oui.

2 Q. : Avec qui viviez-vous ?

3 R. : Besici.

4 Q. : Y habitiez-vous avec votre famille ?

5 R. : Je vivais avec mon père, ma mère, mon frère, sa femme et deux de

6 leurs enfants.

7 Q. : M. Besic, connaissez-vous Dusko Tadic ?

8 R. : Oui.

9 Q. : Depuis combien de temps le connaissez-vous ?

10 R. : Je le connais depuis mon enfance, depuis que j'ai 10 ou 12 ans, donc

11 ça fait a peu près 30 ans.

12 Q. : Etes-vous allés à l'école ensemble ?

13 R. : Oui.

14 Q. : Vous étiez-vous donnés des surnoms ?

15 R. : Oui.

16 Q. : Comment l'appeliez-vous et comment vous appelait-il ?

17 R. : Je l'appelais Dule et il m'appelait Cicak.

18 Q. : Et, en grandissant, êtes-vous restés en bons termes avec Dusko Tadic

19 ?

20 R. : Et bien, nous n'étions pas particulièrement proches, mais chaque fois

21 que nous nous rencontrions, nous ne manquions pas de nous saluer,

22 "Bonjour, Dule, quoi de neuf ?", des choses comme ça et lui faisait

23 pareil.

24 Q. : Vous retrouviez-vous parfois, par exemple dans un café pour boire un

25 verre, etc.?

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1 R. : Oui. Nous nous retrouvions souvent, enfin, peut-être pas si souvent,

2 peut-être une fois par an, peut-être même moins.

3 Q. : Connaissiez-vous sa famille ?

4 R. : Oui.

5 Q. : Connaissiez-vous ses parents ?

6 R. : Oui.

7 Q. : Ses frères ?

8 R. : Ses frères, oui.

9 Q. : Etiez-vous ami avec l'un de ses frères ?

10 R. : Avec son frère aîné, Ljubo, nous avons été très proches pendant deux

11 ans environ. Nous étions de vrais amis.

12 Q. : Alliez-vous chez les Tadic?

13 R. : Oui, avec son frère aîné, Ljubo, j'allais chez lui.

14 Q. : Connaissiez-vous l'épouse de M. Tadic ?

15 R. : Oui.

16 Q. : M. Besic, après le début de la guerre en Croatie et l'aggravation des

17 tensions entre Musulmans et Serbes, avez-vous pu observer certaines

18 des personnes qui se retrouvaient au café de M. Tadic ?

19 R. : Oui.

20 Q. : Plus précisément, certains des individus qui étaient partisans de la

21 guerre ou qui y participaient étaient-ils des habitués du café de M.

22 Tadic?

23 R. : Oui, des gens qui...

24 M. KAY : Mon éminent collègue pourrait-il éviter de guider le témoin sur

25 ces faits, en invitant le témoin à confirmer la conclusion que

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1 contient sa question ?

2 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : La question portait plus particulièrement sur

3 l'identité des personnes en faveur de la guerre. J'essaie d'étudier

4 la question. Si c'est une question préliminaire, alors il n'y a pas

5 de problème. M. Tieger, quelle était votre question ?

6 M. TIEGER : Je crois que la question était, certains individus qui étaient

7 en faveur de la guerre ou qui y participaient étaient-ils des

8 habitués du café de M. Tadic?

9 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Objection rejetée.

10 LE TÉMOIN : Oui, c'était des habitués du café, ces gens qui faisaient la

11 guerre en Croatie, et qui étaient revenus du front, et ces

12 réservistes. Ces soldats-là, ils venaient souvent au café et

13 buvaient jusqu'à des heures tardives et faisaient toutes sortes de

14 choses.

15 Q. : Parmi ces personnes, y avait-il des habitants de Kozarac et ses

16 environs ?

17 R. : Oui.

18 Q. : Vous souvenez-vous de certains d'entre eux ?

19 R. : Drago Vidovic, surnommé "Tepo", Goran Borovnica et de nombreux autres

20 dont je ne connais pas le nom. Ils arrivaient dans des véhicules de

21 l'armée et ils se garaient là-bas. Je voyais tout cela très bien,

22 puisqu'en face, de l'autre côté de la rue, il y avait le coiffeur où

23 j'allais tous les jours, ou plutôt, tous les deux jours, pour me

24 faire raser.

25 Q. : Ces personnes dont vous ne connaissez pas le nom et qui arrivaient

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1 dans des véhicules de l'armée, venaient-elles ou non dans la région

2 de Kozarac ?

3 R. : Des environs de Kozarac parce qu'il n'y avait pas de tels individus

4 dans le centre de Kozarac ou, du moins, très peu, mais des environs,

5 de la périphérie de Kozarac.

6 Q. : M. Besic, étiez-vous à Kozarac lorsque l'attaque militaire a débuté

7 le 24 mai ?

8 R. : Oui.

9 Q. : Etiez-vous dans le centre de Kozarac à ce moment-là ?

10 R. : Oui, j'étais dans le centre de Kozarac.

11 Q. : Avez-vous cherché à vous abriter dans le sous-sol de la banque qui se

12 trouvait dans la rue principale ?

13 R. : Oui, oui. J'étais dans le sous-sol de la banque avec les gens qui

14 habitaient cet immeuble et les habitants du bâtiment adjacent.

15 Q. : Etes-vous resté là jusqu'à votre reddition aux forces serbes le 26

16 mai ?

17 R. : Oui. J'y suis resté jusqu'au mardi matin, jusqu'à 9h00 ou 10h00 à peu

18 près, je ne sais pas exactement, lorsque la colonne à été formée

19 devant la banque.

20 Q. : Vous avez parlé d'une colonne. Qu'y avait-il à la tête de cette

21 colonne ?

22 R. : Au début de la colonne, c'était un ordre, je ne sais pas de qui il

23 émanait, mais le drapeau blanc devait être porté et il y avait un

24 jeune garçon qui portait un drapeau blanc à la tête de la colonne.

25 Q. : Cette colonne était-elle constituée d'hommes, de femmes et d'enfants

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1 musulmans ?

2 R. : Oui, les habitants de Kozarac, même les nouveaux nés étaient là.

3 Q. : Quelle était la situation à Kozarac à ce moment-là ? Dans quel état

4 le centre de Kozarac était-il ?

5 Q. : Et bien, les toits avaient déjà reçu des obus. Il y avait des

6 incendies ici et là, mais la plupart des toits et des fenêtres

7 étaient déjà détruits, brisés par les détonations et les arbres,

8 lorsqu'un obus touchait un arbre, la route se couvrait de vert, de

9 branches et de feuilles. Donc, Kozarac a été pilonné à partir de

10 2h00, le dimanche, et pendant deux jours, le pilonnage a été

11 intensif. Le pilonnage allait au rythme d'un semoir répandant des

12 graines dans un champ et voilà.

13 Q. : M. Besic, où la colonne est-elle allée ?

14 R. : La colonne a rejoint la route reliant Prijedor à Banja Luka ou

15 plutôt, on nous a dit de nous diriger vers Prijedor.

16 Q. : La colonne s'est-elle arrêtée durant le trajet ?

17 R. : La colonne s'est arrêtée au premier arrêt vers, pendant le trajet

18 vers Prijedor, à Sujica à un endroit qui s'appelait Limenka.

19 Q. : Vous avez parlé d'un premier arrêt, s'agissait-il d'un arrêt de bus ?

20 R. : Non, c'était le premier arrêt que nous faisions au cours de notre

21 marche.

22 Q. : A quelle distance approximativement cet endroit se trouvait-il du

23 carrefour de la route de Prijedor/Banja Luka et de celle de Kozarac

24 ?

25 R. : A un kilomètre et demi ou deux kilomètres.

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1 Q. : Y avait-il des forces serbes à Limenka ?

2 R. : Oui. Il y avait beaucoup d'équipement militaire et de soldats : des

3 chars, véhicules blindés, fusils, canons, artilleurs et tireurs. Ils

4 étaient tous armés.

5 Q. : Vous avez dit qu'il y avait beaucoup de soldats là-bas. Comment les

6 Serbes étaient-ils vêtus ? Que portaient-ils ?

7 R. : La plupart portait des uniformes de camouflage, certains avaient des

8 casquettes ici avec des visières. Certains portaient également des

9 masques sur le visage. Certains n'en portaient pas. Il y avait des

10 gens qui étaient habillés à moitié en militaire, à moitié en civil.

11 Q. : Les hommes en uniforme étaient-ils armés ?

12 R. : Oui, bien sûr, ils avaient tous des fusils, certains avaient même des

13 mitraillettes.

14 Q. : A Limenka, les hommes musulmans ont-ils été séparés des femmes et

15 enfants musulmans ?

16 R. : Oui, ils ont été séparés. Les hommes ont été séparés des femmes et le

17 groupe des hommes a été à son tour divisé, c'est-à-dire qu'on a fait

18 monter certains hommes dans des cars et d'autres dans d'autres cars.

19 Je ne sais pas quelle était la signification de cette division.

20 Q. : Certains hommes musulmans ont-ils été emmenés ailleurs que dans les

21 cars ?

22 R. : Oui, en face de Limenka, de l'autre côté de la route, sur la gauche

23 quand on va vers Prijedor, il y avait une immense maison avec un

24 balcon qui s'étendait sur toute la longueur de la façade et il y

25 avait une mitrailleuse orientée vers la route, vers nous. Il y avait

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1 quatre ou cinq Serbes sur le balcon et des gens étaient emmenés vers

2 la maison. Parmi eux se trouvait un homme nommé Muma. Je ne connais

3 pas son nom de famille parce qu'il n'a pas résidé longtemps à

4 Kozarac. Il était marié à une femme de Kozarac et vivait là-bas,

5 mais il était originaire de Prijedor. Il fut emmené à l'intérieur de

6 la maison, avec d'autres. A en juger par la situation, il y avait

7 sûrement quelqu'un dans la maison qui connaissait très bien Kozarac

8 et ses habitants.

9 Q. : A votre connaissance, a-t-on jamais revu les hommes qui ont été

10 emmenés à l'intérieur de cette maison ?

11 R. : Non, ni entendus ni revus vivants.

12 Q. : Vous a-t-on fait monter dans un car ?

13 R. : J'ai d'abord été séparé de la colonne quand ils ont sélectionné les

14 hommes, puis j'ai ensuite été mis dans un groupe spécial, on m'a

15 emmené dans un car, les policiers serbes nous ont fouillés, ils

16 m'ont laissé rentrer, et ils ont noté mes prénom et nom de famille.

17 Q. : Après cela, votre car a-t-il quitté Limenka ?

18 R. : Le car est parti vers Prijedor, en direction de Prijedor. Nous nous

19 sommes arrêtés à Kozarusa en face du café de Ziko.

20 Q. : Après cet arrêt au café de Ziko, le car a-t-il continué jusqu'à

21 Keraterm ?

22 R. : Oui, le car a continué en direction de Prijedor, mais nous avons

23 ensuite bifurqué vers Keraterm, parce que Keraterm se trouve avant

24 Prijedor.

25 Q. : A-t-on fait descendre les hommes du car et les a-t-on détenus à

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1 Keraterm ?

2 R. : Oui. Nous sommes descendus du car. Nous avons dû lever les bras comme

3 ça derrière la nuque et nous sommes entrés dans un bâtiment très

4 poussiéreux, et il y avait beaucoup de matériaux d'emballage, des

5 palettes, entre autres.

6 Q. : Où avez-vous été détenu à Keraterm ? Dans quelle partie du bâtiment ?

7 R. : Dans une grande pièce. Avant cette pièce, il y a une petite pièce, et

8 puis on arrive dans la plus grande.

9 Q. : Avez-vous passé cette nuit-là, puis le lendemain, à Keraterm ?

10 R. : J'y ai passé la nuit, la journée du lendemain, puis vers 10h00 du

11 soir, ils ont commencé à nous faire remonter dans les cars.

12 Q. : Où ces cars sont-ils allés ?

13 R. : Ça, je ne l'ai appris qu'après plusieurs heures passées dans le car.

14 On nous emmenait à Omarska, à la mine d'Omarska.

15 Q. : Vous êtes donc arrivé à Omarska au milieu de la nuit ?

16 R. : Oui, peut-être à minuit ou une heure du matin.

17 Q. : Des gardes attendaient-ils l'arrivée des cars ?

18 R. : Oui, les gardes formaient une haie et nous devions passer entre eux

19 avant d'atteindre la pièce dans laquelle nous étions alors détenus.

20 Q. : Les prisonniers devaient-ils se tenir d'une manière particulière pour

21 sortir des cars ?

22 R. : Oui, nous devions sortir les mains derrière la tête et ils nous

23 frappaient avec tout ce qu'ils avaient sous la main, certains plus

24 que d'autres, avec un bâton, s'ils en avaient un, une matraque, ou

25 en nous donnant des coups de pied, etc.

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1 Q. : Où avez-vous d'abord été détenus ?

2 R. : Nous avons d'abord été détenus dans une immense salle. Qu'est-ce que

3 ça veut dire, "immense" ? Une grande salle, plutôt, d'après ce que

4 j'avais vu puisque j'avais beaucoup travaillé dans ce domaine à

5 l'extérieur et je me changeais sur les chantiers de construction, il

6 y avait des armoires qui fermaient à clé pour y mettre ses

7 vêtements. Je sais à quoi elles ressemblent. C'était donc une salle

8 où les employés venaient se changer.

9 Q. : M. Besic, durant votre séjour à Omarska, des prisonniers ont-ils été

10 tués ?

11 R. : Oui. Cette nuit-là, nous ne sommes même pas tous rentrés et seuls les

12 hommes à forte personnalité, quelqu'un qui avait vraiment -- il y

13 avait Ahil Dedic qui avait une volonté d'acier, ils l'ont d'abord

14 frappé à l'entrée. Puis Ahil est rentré, il avait été passé à tabac,

15 ces vêtements étaient déchirés et puis, à mon avis, au bout de 10

16 minutes et le connaissant bien, Ahil a dû devenir fou. Il a cassé

17 une porte et il a trouvé une machine dans la pièce, et à ce moment-

18 là, nous n'étions pas encore enregistrés comme détenus, mais

19 lorsqu'il a cassé cette porte, cela a fait beaucoup de bruit et un

20 soldat serbe est entré, celui qui s'appelait Cigo. Je ne connais que

21 son surnom. Il a frappé Ahil au visage avec la crosse de son fusil,

22 avec la crosse. il tenait le fusil par le canon. Puis ils ont fait

23 sortir Ahil et on a entendu des coups de feu, une salve. Je ne peux

24 pas dire qu'il a été tué, mais les faits vont plutôt dans ce sens

25 puisque le lendemain matin, je l'ai vu couché dans l'herbe.

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1 Q. : Avez-vous vu le cadavre d'Ahil Dedic le lendemain matin gisant dans

2 l'herbe ?

3 R. : Oui, celui d'Ahil Dedic, oui.

4 Q. : Le lendemain de votre arrivée, M. Besic, vous a-t-on emmené pour être

5 interrogé ?

6 R. : Oui, le lendemain, un soldat est entré et nous a dit de nous mettre

7 en rang par quatre et que nous allions être interrogés, et j'étais

8 dans le premier groupe de quatre.

9 Q. : Où vous a-t-on emmené pour être interrogé ?

10 R. : On m'a emmené à l'étage du bâtiment où se trouvait la cuisine.

11 Q. : A l'étage, avez-vous vu des Serbes que vous avez reconnu ?

12 R. : Oui, en haut de l'escalier en colimaçon qui montait à l'étage, il y

13 avait peut-être six, peut-être 10 soldats au maximum. Je ne les ai

14 pas comptés. Je ne les regardais pas dans les yeux. J'avais les

15 mains derrière la tête et Neso Janjic m'a dit "Où étais-tu, Cicak ?"

16 et j'ai répondu "me voilà". C'est le seul que j'ai reconnu. Il avait

17 un café à Suhi Brod qui s'appelait Sretno. Il ne lui appartenait

18 pas. Il le louait seulement. Il venait d'un village près d'Omarska.

19 Q. : Vous a-t-on fouillé avant de vous interroger ?

20 R. : On m'a amené devant une porte et on m'a plaqué contre le mur, le

21 visage contre le mur, en m'obligeant à faire le signe serbe des

22 trois doigts levés, et le soldat a commencé à me fouiller un peu

23 partout. Lorsque il a terminé, la porte s'est ouverte et on m'a fait

24 entrer.

25 Q. : Connaissiez-vous la personne qui vous a interrogé et, si oui, la

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1 connaissiez-vous avant la guerre ?

2 R. : Lorsque je suis rentré, l'homme a dit "Salut, Cicak". Je le

3 connaissais et lui me connaissait. Il s'appelle Rade Knezevic.

4 C'était un ancien inspecteur du SUP.

5 Q. : Quelle était la nationalité de M. Knezevic ?

6 R. : Serbe.

7 Q. : Après votre interrogatoire, M. Besic, où avez-vous été détenu ?

8 R. : Après l'interrogatoire, on m'a emmené au garage. C'était une petite

9 pièce dans cette salle immense -- ce bâtiment immense. Quand on

10 rentre, on prend à droite. C'est là que je suis allé.

11 Q. : Combien de temps vous a-t-on maintenu là-bas ?

12 R. : A mon arrivée, il était midi environ et j'y ai été maintenu toute la

13 nuit et le lendemain jusqu'au crépuscule, à peu près.

14 Q. : Y avait-il d'autres prisonniers avec vous ?

15 R. : Oui, au fur et à mesure qu'ils étaient interrogés, certains étaient

16 envoyés dans d'autres pièces alors que d'autres venaient avec moi

17 dans le garage. Le garage s'est rempli et c'est comme si nous étions

18 plantés dans le sol. On ne pouvait pas bouger. Il y avait plus de

19 100 personnes là-dedans.

20 Q. : Vous avez dit que vous avez été maintenu dans cette pièce toute la

21 journée, puis le lendemain jusqu'au crépuscule. Où vous a-t-on

22 emmené ensuite ?

23 R. : Oui. Ensuite on nous a emmené, on m'a emmené dans cette immense

24 salle, au dernière étage, en haut des escaliers et on nous y a

25 laissé pendant une heure environ parce que la pièce était

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1 surpeuplée. Puis ils ont dit que ceux qui étaient les plus proches

2 de la porte allaient être emmenés ailleurs et j'étais parmi ceux-là.

3 Q. : Où vous a-t-on emmené ?

4 R. : On m'a emmené au rez-de-chaussée dans une autre pièce appelée

5 l'atelier d'électricité.

6 Q. : M. Besic, je voudrais vous demander de vous lever un instant et de

7 montrer sur la maquette la pièce ou l'on vous maintenait captif, la

8 pièce dont vous venez de parler. Lorsque vous arriverez à cette

9 partie de la maquette, veuillez mettre les écouteurs qui vous seront

10 remis et vous saisir du pointeur qui se trouve également sur la

11 table.

12 R. : Merci.

13 Q. : M. Besic, si vous souhaitez dire quoi que ce soit, veuillez s'il vous

14 plaît parler dans la direction du micro qui se trouve sur la table à

15 droite.

16 R. : D'accord.

17 Q. : Pouvez-vous donc nous indiquer l'endroit où vous avez été emmené

18 après votre interrogatoire ?

19 R. : Après l'interrogatoire, on m'a emmené dans cette pièce ici.

20 Q. : Pouvez-vous revenir à cet autre endroit, là ? Il s'agit du petit

21 garage auquel vous avez fait référence, M. Besic ?

22 R. : Le petit garage, oui.

23 Q. : Et après cela, où étiez-vous détenu? le fil s'est débranché.

24 M'entendez-vous, maintenant ?

25 R. : Oui, je vous entends -- Oh, maintenant, je n'entends plus rien.

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1 Q. : Entendez-vous maintenant l'interprétation de ce que je dis ?

2 R. : Je n'entends rien.

3 Q. : Peut-être y a-t-il un faux contact dans le morceau du fil qui est par

4 terre.

5 R. : Je viens d'entendre quelque chose. Pouvez-vous répéter ? Non, je

6 n'entends plus rien -- si.

7 Q. : Veuillez nous excuser pour ce problème technique, monsieur.

8 M'entendez-vous maintenant ? M. Besic, puis-je vous demander de

9 prendre le pointeur qui est derrière vous sur la maquette et pouvez-

10 vous, soit nous montrer, soit nous dire, où vous avez été emmené

11 immédiatement après avoir quitté le petit garage ?

12 R. : [Pas d'interprétation].

13 Q. : Je suis désolé, mais je n'entends pas l'interprétation.

14 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Nous l'entendons mais en serbo-croate, pas en

15 anglais.

16 R. : Après, on m'a transféré au dernier étage, la grande salle au dessus

17 de la pièce où mène l'escalier, au dernier étage, où j'ai passé une

18 heure environ. Ensuite, ils se sont décidés, ils nous ont ramenés

19 dans cette pièce en bas que l'on appelait l'atelier d'électricité.

20 Q. : Pouvez-vous lire le numéro qui figure sur le sol de la pièce dans

21 laquelle vous avez été conduit ?

22 R. : A17.

23 Q. : M. Besic, avez-vous occupé un emplacement spécifique dans cette pièce

24 ?

25 R. : Oui. Je suis resté tout le temps dans cette partie ici. C'est-à-dire

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1 le coin en haut à gauche de la pièce quand on regarde de la porte en

2 entrant ici.

3 Q. : Les juges ont-ils bien vu ainsi que le conseil de la défense la

4 position approximative que le témoin vient d'indiquer ? Monsieur,

5 pourriez-vous remontrer plus ou moins le lieu que vous avez indiqué

6 ?

7 R. : Juste ici.

8 M. KAY : Oui, Madame le Président.

9 M. TIEGER : Merci. M. Besic. vous pouvez vous rasseoir. Merci. M. Besic,

10 puis-je vous demander de décrire brièvement les conditions qui

11 régnaient à Omarska au cours de la période que vous y avez passée ?

12 R. : Que puis-je vous dire ? en 70, 75 jours, j'ai perdu 29 kilos. On m'a

13 d'abord pesé après à Manjaca et cela peut être confirmé par la Croix

14 Rouge. Je ne me lavais pas. Il n'y avait aucune condition d'hygiène

15 et je ne me suis pas allongé une seule nuit. Il y avait beaucoup de

16 poux. Nous étions tous fatigués. Les hommes étaient frappés, ceux

17 qui arrivaient. Les hommes urinaient dans la pièce, ils urinaient

18 même tout habillés. Vous imaginez, quand les gens ont passé toute la

19 journée comme ça avec une température de 35, 40° centigrade, vous

20 imaginez la situation avec 200 personnes dans la même pièce. La

21 pièce fait, peut être, disons 40 mètres carré --mais je crois que

22 c'est encore trop -- vous pouvez imaginer ce qu'on vivait là-dedans.

23 Puis les gens ont été malades et ils pleuraient. Les huit premiers

24 jours, je ne sortais même pas manger. J'avais trop peur.

25 J'étais -- J'ai mentionné mon surnom, Cicak. Tout le monde me

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1 connaissait par mon surnom "Cicak". Les gens ne connaissaient pas

2 mon nom parce que je crois que la mort m'attendait, si j'étais sorti

3 -- moi et les autres aussi. Ils disaient que c'était juste un

4 centre, un centre d'enregistrement. C'est un mensonge. C'était

5 totalement faux. La guerre a éclaté parce qu'ils ont poursuivi --

6 une malédiction les poursuivait. Au début, vous possédez quelque

7 chose et puis vous êtes dépossédé de tout.

8 Q. : M. Besic, êtes-vous restés à Omarska jusqu'à votre transfert à

9 Manjaca début août ?

10 R. : Oui, je suis resté à Omarska jusqu'au 6 août.

11 M. TIEGER : Madame le Président, la pièce 268, cette photographie, peut-

12 elle être enregistrée aux fins d'identification ? M. Besic,

13 reconnaissez-vous cette photographie ou ce qu'elle représente ?

14 R. : Oui, au milieu de la photo, c'est moi.

15 Q. : Cette photo a-t-elle été prise à Manjaca ?

16 R. : Oui.

17 M. TIEGER : Madame le Président, je demande que cette photographie soit

18 versée au dossier et qu'elle soit placée sur le rétroprojecteur.

19 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Des objections ?

20 M. KAY : Pas d'objection.

21 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : La pièce 268 est admise.

22 M. TIEGER : Monsieur, pouvez-vous indiquer où vous vous trouvez sur cette

23 photographie ?

24 R. : Là, c'est moi.

25 Q. : Savez-vous a peu près combien de temps après votre arrivée à Manjaca

Page 4409

1 cette photo a été prise ?

2 R. : Peut-être un mois, un mois et demi.

3 Q. : Merci, monsieur. M. Besic, avez-vous jamais vu Dule Tadic à Omarska ?

4 R. : Oui.

5 Q. : Où étiez-vous lorsque vous l'avez vu ?

6 R. : J'étais dans la pièce que j'ai occupé tout au long de la période

7 passée à Omarska.

8 Q. : C'est la pièce que vous nous avez indiqué sur la maquette ?

9 R. : Oui.

10 Q. : Savez-vous à quelle date approximativement vous avez vu Dule Tadic ?

11 R. : Je ne me rappelle pas de la date exacte, mais c'était en été, entre

12 le 16 et le 19 juin.

13 Q. : Vous souvenez-vous approximativement de l'heure à laquelle vous

14 l'avez vu ?

15 R. : Dans l'après-midi, entre 4h00 et 5h00, 4h00 et 5h00 à peu près.

16 Q. : Cet après-midi là, vous êtes-vous peu à peu rendu compte du fait que

17 des personnes extérieures au camp venaient dans votre zone ?

18 R. Bien sûr, ils venaient. Ceux qui étaient appelé les colorés, c'est-à-

19 dire ceux qui portaient des uniformes de camouflage, et ceux qui

20 venaient des lignes de front. Ils avaient une sorte de permission et

21 lorsqu'ils arrivaient, ils frappaient les gens.

22 Q. : Les prisonniers avaient-ils particulièrement peur de ces gens de

23 l'extérieur ?

24 R. : Par exemple, les gardes qui étaient là étaient des gens comme les

25 autres. Ils sont justes venus les chercher chez eux pour qu'ils

Page 4410

1 deviennent gardes. Alors ils disaient, "rentre, les colorés

2 arrivent", et quel qu'ait été le -- ils se retiraient afin de ne pas

3 être exposés, les gardes eux-mêmes avaient peur d'eux.

4 Q. : Certains prisonniers qui se trouvaient à l'extérieur rentraient-ils

5 dans la pièce lorsqu'on annonçait l'arrivée de ces hommes?

6 R. : Oui, il s'agissait par exemple d'hommes qui, à ce moment-là, étaient

7 aux toilettes, je me souviens de Senad Garibovic. Je pense qu'il est

8 mort. Je ne l'ai plus jamais revu. Il a été emmené quelques jours

9 plus tard. Il était revenu trempé.

10 Q. : A un moment donné après cela, avez-vous entendu que des prisonniers

11 étaient appelés et devaient quitter leur pièce ?

12 R.: Oui, quand tout devenait calme, ils commençaient à appeler des

13 prisonniers, mais je ne peux pas vous donner l'ordre exact. Eno Alic

14 fut appelé, Emir Karabasic et Jasko Hrnic. Jasko Hrnic a été appelé

15 en dernier. Il était dans la même pièce que moi. On lui a dit de

16 sortir cinq ou six fois, et ils ont appelé "Asko" cinq ou six fois

17 et il ne répondait pas.

18 Alors Dule Tadic est venu jusqu'à la porte et a dit "Jasko, sors de

19 là. Je sais que tu es là. Je vous tuerai tous". Et Jasko s'est levé

20 et s'est dirigé vers la porte. Au moment où il est sorti, j'ai vu

21 Dusko Tadic. Lorsque Jasko a ouvert la porte, j'ai vu clairement

22 Dusko Tadic. Ça a dû durer 10 secondes à peu près, peut-être un peu

23 plus. J'ai juste levé les yeux et j'ai vu qui c'était et je savais

24 que c'était Dusko Tadic parce que je connaissais sa voix. Je savais

25 qu'il était là.

Page 4411

1 Q. : M. Besic, vous souvenez-vous de l'endroit où se trouvait Jasko Hrnic

2 dans la pièce ?

3 R. : Oui, la place de Jasko était sous la table.

4 Q. : Où se trouvait la table ?

5 R. : La table était juste au coin, sur la gauche de la porte à trois

6 mètres environ.

7 Q. : Avant que Jasko Hrnic ne quitte la pièce, avez-vous entendu des sons

8 provenant de l'extérieur indiquant le sort réservé aux autres

9 prisonniers qu'on avait fait sortir ?

10 R. : Oui, ils étaient probablement déjà sortis, Eno Alic et Emir

11 Karabasic. On entendait des cris de douleur et des coups, comme des

12 cris d'animaux, comme s'ils n'étaient plus des hommes, mais des

13 animaux. Les hommes peuvent être comme des chevaux, et les chevaux,

14 on peut les castrer. Je ne sais pas si je dois vous expliquer

15 comment on castre les chevaux.

16 Q. : Vous rappelez-vous de l'état de Jasko Hrnic avant qu'il ne sorte ?

17 Avait-il été déjà passé à tabac ?

18 R. : Oui, il avait été frappé et il avait passé peut-être 10 jours dans le

19 petit garage.

20 Q. : Où était-il avant Omarska ?

21 R. : Il avait été capturé à Benkovac.

22 Q. : Jasko a donc été appelé à de nombreuses reprises et il a fini par se

23 diriger vers la porte pour sortir. A-t-il fait quoi que ce soit

24 avant de sortir ?

25 R. : Il a dit quelque chose aux hommes qui se trouvaient près de lui et il

Page 4412

1 a enfilé une espèce de protection parce qu'il allait être frappé.

2 Q. : Pendant la période au cours de laquelle Jasko a reçu l'ordre de

3 sortir et n'a pas répondu, la porte était-elle ouverte ou fermée ?

4 R. : Fermée.

5 Q. : La porte s'est ouverte lorsque Jasko est enfin sorti de la pièce ?

6 R. : Oui, exactement. Jasko a ouvert la porte. Juste à côté de la porte,

7 il y avait beaucoup de monde. Ils étaient presque les uns sur les

8 autres, alors on ne pouvait rejoindre la porte en ligne droite. Il

9 fallait faire attention en marchant à ne pas piétiner les pieds, les

10 mains ou la tête des autres.

11 Q. : Savez-vous pendant combien de temps la porte est restée ouverte après

12 son départ ?

13 R. : Lorsque Jasko est sorti, Dule était nettement visible, et au moment

14 où il a passé le seuil de la porte, Dule a juré en insultant sa mère

15 et on a entendu un bruit de coup.

16 Q. : Avez-vous pu voir le coup porté ou ne l'avez-vous qu'entendu ?

17 R. : Je ne l'ai qu'entendu.

18 Q. : Vous souvenez-vous de ce que portait Dule Tadic ?

19 R. : Dule Tadic portait un uniforme de camouflage et peut-être une barbe

20 de, vous savez, 10, 14 jours, 12 jours.

21 Q. : Après que Jasko a quitté la pièce, avez-vous entendu des sons

22 provenant du sol du hangar ou d'à côté ?

23 R. : On entendait un "Mords", un "Suce", "Qu'est-ce que t'as fait de ton

24 karaté ?", puis des cris "Tape-le", etc.

25 Q. : Lorsque vous parlez de "cris", voulez-vous dire qu'il y avait des

Page 4413

1 hommes qui criaient sur les prisonniers ou que c'était les

2 prisonniers qui criaient de douleur ?

3 R. : Je suppose que ceux qui criaient étaient les auteurs de ces actes. Je

4 crois qu'ils hurlaient, mais je ne peux pas vous dire sur qui ils

5 criaient ou hurlaient.

6 Q. : Avez-vous entendu les prisonniers pousser des cris ?

7 R. : Oui, je l'ai déjà expliqué, comme des hurlements, les hommes

8 hurlaient comme des animaux, "Pourquoi moi ? Qu'est-ce que je vous

9 ai fait ?" Il y avait toutes sortes de -- Vous n'imaginez pas la

10 situation. A ce moment-là, je ne sais pas, nous étions a peu près --

11 je suis sûr que nous étions 3.000 dans ce camp. Je ne sais pas si

12 quiconque osait respirer fort, alors, encore moins écouter. Je pense

13 que cela a duré une heure à peu près, plus ou moins, mais je ne sais

14 pas s'il y avait un seul prisonnier à Omarska qui n'en avait pas

15 jusque là de tout ça. Je ne pense pas qu'il y ait un seul homme qui

16 ait pu oublier cet incident. Je crois qu'à la moindre mention

17 d'Omarska, c'est la première chose à laquelle pensent tous les

18 prisonniers.

19 Q. : M. Besic, dans l'interprétation que nous recevons, il est dit que

20 vous avez entendu un "mords" et un "suce", est-ce à dire que vous

21 avez entendu que l'ordre était donné de "mordre" et de "sucer" ?

22 R. : Oui.

23 Q. : Vous souvenez-vous si de la musique a été passée pendant ou après

24 l'incident ?

25 R. : Je me souviens avoir entendu de la musique après. C'est après que

Page 4414

1 j'ai entendu de la musique. Lorsque tout a été fini, l'un d'entre

2 eux (peut-être à 20, 25 mètres de moi), j'ai entendu quelqu'un crier

3 "deux", il a dit "je veux deux volontaires, deux hommes forts, nous

4 ne vous ferons rien, vous n'avez rien à craindre, " et je suppose

5 qu'ils sont sortis. Je ne sais pas qui est sorti. Personne n'est

6 sorti de ma pièce. Mais lorsque tout a été fini, alors ils ont passé

7 de la musique et le garde est venu, a ouvert la porte, et a dit,

8 "Maintenant, tout va bien, c'est fini et on les a emmenés à

9 l'hôpital".

10 Q. : M. Besic, est-ce pendant cette période d'à peu près une heure au

11 cours de laquelle vous avez entendu ces hurlements et ces cris que

12 vous avez également entendu que l'on appelait deux volontaires, deux

13 hommes forts ?

14 R. : Oui.

15 Q. : M. Besic, voyez-vous Dule Tadic dans ce prétoire aujourd'hui ?

16 R. : Oui.

17 Q. : Pouvez-vous le montrer du doigt et nous décrire sa tenue

18 vestimentaire ?

19 R. : L'homme porte une veste verte, une chemise crème et une cravate

20 bigarrée.

21 M. TIEGER : Madame le Président, le procès-verbal pourrait-il faire état

22 de l'identification de l'accusé ?

23 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Oui. Le procès-verbal fera état du fait que

24 le témoin a identifié l'accusé.

25 M. TIEGER : Merci, Madame le Président. Je n'ai plus de question.

Page 4415

1 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Contre-interrogatoire ?

2 Contre-interrogatoire par M. KAY

3 M. KAY : Oui, Madame le Président. (Au témoin) : M. Besic, d'après ce que

4 vous avez déclaré devant cette chambre ce matin, vous n'étiez pas

5 particulièrement un ami de Dusko Tadic, n'est-ce pas ?

6 R. : Ce n'est pas que je n'étais pas particulièrement l'un de ces amis.

7 Nous n'étions pas des amis très proches, mais nous ne nous croisions

8 jamais dans la rue sans nous saluer, mais nous ne faisions pas

9 d'affaires ensemble. Je ne me suis jamais adressé à lui pour ce

10 genre de chose, et lui non plus, mais si j'étais seul dans un café

11 et si Dule arrivait, il venait s'asseoir à ma table et vice-versa ;

12 si je le rencontrais dans un café, j'allais m'asseoir à sa table.

13 Q. : Je crois que vous nous avez dit que vous vous asseyiez à la même

14 table de café une fois par an ou même peut-être moins qu'une fois

15 par an.

16 R. : Non.

17 Q. : Ça n'est pas ce que vous nous avez dit ce matin ?

18 R. : Si.

19 Q. : Donc, il ne semble pas que vous parliez avec lui très fréquemment

20 pendant l'année, n'est-ce pas ?

21 R. : Et bien, ces sept ou huit dernières années, probablement moins, mais

22 par le passé, nous allions nager ensemble, faire -- J'allais souvent

23 nager dans une piscine qu'il y avait là-bas.

24 Q. : Alors à quand cela remonte-t-il ?

25 R. : Et bien, à six ou sept ans. Si l'on supprime les années de guerre, si

Page 4416

1 l'on ne les compte pas, ça ferait six ou sept ans avant 1990.

2 Q. : D'après ce que vous dites, vous ne fréquentiez pas ses amis, n'est-ce

3 pas ?

4 R. : De temps en temps, si. J'avais mes amis et il avait les siens. Je

5 voyais son frère aîné.

6 Q. : Par son frère aîné, vous voulez dire un frère plus âgé que lui ou le

7 plus âgé de ses frères ?

8 R. : Je parle du frère qui est son aîné, Ljubo. C'est-à-dire, celui qui

9 précède immédiatement Dule. Il s'appelle Ljubomir.

10 Q. : Je voudrais maintenant que nous parlions de l'endroit où vous vous

11 trouviez dans cette pièce, dans l'atelier d'électricité, dans le

12 hangar. Il semble, d'après ce que vous nous avez montré sur la

13 maquette, que vous étiez dans le coin gauche lorsqu'on rentre par la

14 porte de cette pièce ?

15 R. : Oui, oui.

16 Q. : Donc, vous étiez contre le mur le plus éloigné de la porte ?

17 R. : Non, non.

18 Q. : Nous avez-vous montré que le coin formé par le mur du fond de la

19 pièce ------

20 R. : Non, j'ai montré que je n'étais pas dans cette direction. J'étais sur

21 la gauche à côté du mur dans le coin. J'étais à un mètre à peu près,

22 si l'on mesure la partie supérieure.

23 Q. : Donc, vous étiez à un mètre du mur du fond ?

24 R : Oui, vers la porte.

25 Q. : Y avait-il quelqu'un d'autre qui était assis derrière vous, dans cet

Page 4417

1 espace d'un mètre ?

2 R. : Peut-être un ou deux hommes. Je ne peux pas dire combien, mais je

3 n'étais pas contre le mur.

4 Q. : Etiez-vous assis par terre ou sur un banc ?

5 R. : Oui, par terre.

6 Q. : Donc entre l'endroit que vous occupiez et la porte, il y avait

7 beaucoup de monde ?

8 R. : Oui, tout le monde était assis.

9 Q. : Dans cette pièce, le mur de ce côté ne va pas jusqu'à la porte en

10 ligne droite ?

11 R. : Si. Non, non, pas en ligne droite. Il y a un coin.

12 Q. : Dans ce coin, il y avait une table, n'est-ce pas ?

13 R. : Oui.

14 Q. : C'est là qu'était assis Jasko Hrnic ?

15 R. : Jasko Hrnic, à ce moment-là, était assis sous la table ou, plutôt,

16 juste devant la table. Il est resté longtemps sur la table parce

17 qu'il a souvent été frappé et il pouvait s'allonger sur la table.

18 C'était plus confortable pour lui.

19 Q. : Lorsqu'il était sous la table, une ou plusieurs autres personnes

20 venaient-elles s'asseoir sur la table ?

21 R. : Oui, ça dépendait de l'heure, de la situation, qui sautait sur la

22 table, à cet endroit.

23 Q. : La porte de la pièce se trouvait sur ce pan-là du mur ?

24 R. : Oui.

25 Q. : Vous souvenez-vous si la porte s'ouvrait vers l'extérieur ou vers

Page 4418

1 l'intérieur ?

2 R. : Elle s'ouvrait vers l'extérieur si l'on regardait de l'extérieur de

3 la pièce. Lorsque l'on entrait dans la pièce, alors on ouvrait la

4 porte en tirant vers soi.

5 Q. Vous souvenez-vous de quel côté de la porte se trouvaient les gonds ?

6 Etaient-ils du côté du mur ou du côté du ----

7 R. : Quand on quitte la grande salle pour rentrer dans la petite pièce,

8 dans l'atelier d'électricité, alors la poignée était sur la droite

9 et le chambranle, avec les gonds, se trouvait de l'autre côté, sur

10 la gauche. Bien sûr, c'était l'inverse lorsqu'on sortait de la

11 pièce.

12 Q. : Donc, la poignée se trouvait du côté du mur ?

13 R. : Non. non.

14 Q. : Les gonds alors étaient du côté du mur ?

15 R. : Oui.

16 Q. : C'est ça ?

17 L'INTERPRÈTE : Nous sommes désolés, nous n'avons pas entendu la réponse du

18 témoin.

19 M. KAY : Monsieur, pourriez-vous vous rapprocher du micro, les interprètes

20 ----

21 LE TÉMOIN : Oui, oui, bien sûr.

22 Q. : Les gonds, donc, se trouvaient du côté du mur ?

23 R. : Oui.

24 Q. : Vous rappelez-vous le nombre approximatif d'hommes qui se trouvaient

25 dans cette pièce et dont le nom a été appelé ce jour-là ?

Page 4419

1 R. : Environ 200.

2 Q. : Et dans votre souvenir, le premier nom à avoir été appelé était celui

3 d'Eno Alic, n'est-ce pas ?

4 R. : Je n'ai pas dit qu'Eno Alic avait été le premier à avoir été appelé.

5 Je sais seulement que Jasko Hrnic a été le dernier à être appelé et

6 que c'est le dernier à être sorti.

7 Q. : Jasko Hrnic a quitté la pièce où vous vous trouviez, n'est-ce pas ?

8 R. : Oui.

9 Q. : Tout ce dont vous vous souvenez, c'est que c'est lui qui a été le

10 dernier à sortir ?

11 R. : Oui.

12 Q. : Les deux autres, Eno Alic et Emir Karabasic, où étaient-ils ?

13 R. : Dans d'autres pièces que je ne connais pas, mais ce que je sais,

14 c'est que les coups et le bruit ont commencé lorsqu'ils sont sortis.

15 Celui-là a été appelé cinq ou six fois et il ne sortait pas parce

16 qu'il savait ce qui arrivait généralement aux hommes qui sortaient.

17 Donc, il ne sortait pas, malgré les appels. C'est alors que Dusko

18 Tadic a dit "Sors de là. je sais que tu es là. Je vous tuerai tous".

19 Il y alors eu un certain tumulte parmi les prisonniers , et les

20 hommes ont commencé à dire, "Jasko, sors ou il va nous tuer".

21 Q. : Mais la porte donnant accès à cette pièce était fermée ?

22 R. : Oui.

23 Q. : Elle n'a été ouverte que lorsque Jasko Hrnic a quitté la pièce ?

24 R. : Oui.

25 Q. : La porte n'a été ouverte que pour le laisser sortir de cette pièce ?

Page 4420

1 R. : Oui, mais les conditions n'étaient pas normales. On ne pouvait pas

2 sortir de la pièce régulièrement. Comme, par exemple, ici dans ce

3 prétoire, il faut du temps pour sortir de la pièce, un pas après

4 l'autre, et Jasko avait, Jasko devait parcourir une certaine

5 distance, il devait enjamber d'autres hommes, puis ouvrir la porte,

6 puis il fallait encore un peu de temps pour qu'il passe le seuil,

7 parce qu'il y avait trop de monde vers la porte. On ne pouvait pas

8 aller à la porte normalement. Il fallait tâtonner, on ne pouvait

9 poser tout son pied par terre parce qu'on risquait de marcher sur le

10 pied, sur la tête ou sur la main d'un autre ou ce genre de choses.

11 Q. : Vous dites qu'à la porte, vous avez vu Dusko Tadic ?

12 R. : Oui, quand la porte s'est ouverte.

13 Q. : Avez-vous vu d'autres gardes ?

14 R. : Non.

15 Q. : Vous dites que c'est Dusko Tadic qui parlait à Jasko Hrnic ?

16 R. : Oui.

17 Q. : Votre emplacement est à droite en bas, ici, au bout de la pièce et

18 vous êtes assis par terre ---

19 R. : Oui.

20 Q. : --- regardant par-dessus ces corps qui vous séparent de la porte ?

21 R. : Oui.

22 Q. : Cette porte n'a été ouverte que très peu de temps ?

23 R. : Oui, 10 secondes environ.

24 Q. : Vous avez inventé cette histoire selon laquelle vous avez vu Dusko

25 Tadic à la porte, M. Besic ?

Page 4421

1 R. : C'est faux, et j'ai juré que je dirai la vérité. Monsieur, je suis

2 désolé. Vous êtes payés pour faire ce que vous faites et moi, je le

3 fais pour des raisons éthiques, parce que j'ai une obligation morale

4 envers mon peuple et mon État.

5 Q. : Jasko Hrnic était-il un membre de votre famille ?

6 R. : Non. Sa femme et la mienne, oui.

7 Q. : Jasko était le mari de votre cousine, n'est-ce pas ?

8 R. : La fille, la fille de l'oncle -- la fille du frère du frère.

9 Q. : C'était un homme dont vous étiez très proche ?

10 R. : Oui, oui.

11 Q. : Vous le connaissiez très bien ?

12 R. : Relativement.

13 Q. : Lorsque Jasko s'est levé pour quitter la pièce et est passé entre les

14 hommes, vous avez dû regarder au-delà de lui parce qu'il allait vers

15 la porte, n'est-ce pas ?

16 R. : Monsieur, je suis prêt à me prêter à une reconstitution de ces

17 événements sur les lieux, si quelqu'un peut me donner des garanties

18 quant à ma vie et ma sécurité, et je peux vous expliquer comment les

19 choses se sont passées. Je peux aussi vous le montrer sur la

20 maquette ici.

21 Q. : Vous n'êtes pas grand, M. Besic ? Vous êtes moins grand que la

22 moyenne ? Combien mesurez-vous ?

23 R. : 1m67.

24 Q. : Jasko Hrnic était-il grand ?

25 R. : Oui, bien sûr. Il avait votre taille, je pense.

Page 4422

1 Q. : Etait-il bien charpenté ?

2 R. : Pas vraiment, pas vraiment charpenté mais il était grand.

3 Q. : Paraissait-il grand et fort ?

4 R. : Il ne paraissait pas fort.

5 Q. Les juges ont une photo et effectivement ---

6 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Oui, 24.4.91 ?

7 M. KAY : Oui. (Au témoin) : Dans cette pièce, l'atelier d'électricité, à

8 cette occasion, aucun des gardes ou qui que ce soit d'autre n'est

9 rentré pendant l'incident ?

10 R. : Non, non.

11 Q. : Non. Ils ne se sont pas montrés dans la pièce ?

12 R. : Non.

13 Q. : Semblaient-ils vouloir se dérober au regard des hommes qui se

14 trouvaient dans votre pièce ?

15 R. : Ils cachaient tout. Ils cachaient tout et ils mentaient.

16 Q. : Lorsque vous dites avoir vu clairement le visage qui se trouvait à

17 l'autre bout de la pièce comme étant celui de Dusko Tadic, c'est

18 tout simplement un mensonge, M. Besic, n'est-ce pas ?

19 R. : Alors, vous ne reconnaîtriez pas un homme si vous l'aviez connu

20 lorsqu'il avait 12 ans, 18 ans, 20 ans, 25 ans, 30 ans, 35 ans ou 40

21 ans ? Quelqu'un, vous savez, un simple coup d'oeil suffit à 10 ou

22 peut-être 12 mètres de distance. Ça suffit pour le reconnaître.

23 Faut-il scruter du regard un homme que l'on connaît depuis 30 ou 40

24 ans ?

25 Q. : Vous êtes en train de me dire que vous l'avez reconnu parce que vous

Page 4423

1 avez entendu des histoires portant sur l'incident ---

2 R. : Non.

3 Q. : --- Après qu'il s'est produit ?

4 R. : Non.

5 Q. : N'y a-t-il pas eu de nombreuses discussions à Omarska après ce jour-

6 là ?

7 R. : Comment ça, des discussions ? Personne n'a parlé de ce qui s'était

8 passé de toute la nuit. La moitié des hommes sont restés silencieux

9 sur l'incident. Personne n'osait en parler.

10 Q. : Vous en avez parlé avec d'autres à Omarska avant de quitter le camp ?

11 R. : Nous avons fait quelques commentaires entre nous.

12 Q. : Le camp dans lequel vous avez été transféré par la suite était

13 Manjaca ?

14 R. : Oui.

15 Q. : Vous avez reparlé de cet incident avec d'autres ?

16 R. : Oui, bien sûr, non seulement de cet incident, mais des choses qui se

17 passaient en général, parce que nous étions plus en sécurité à

18 Manjaca. La Croix Rouge nous rendait visite tous les jours. Nous

19 n'étions pas maltraités là-bas. Nous pouvions donc nous reposer un

20 peu et discuter.

21 Q. : Vous avez parlé à un homme appelé G. Savez-vous de qui je parle

22 lorsque j'utilise l'initiale G dans ce prétoire ?

23 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : M. Besic, ne mentionnez pas son nom, s'il

24 vous plaît.

25 LE TÉMOIN : Oui, je pense. Oui, je sais.

Page 4424

1 M. KAY : Vous savez que vous lui avez parlé de cet incident à Manjaca,

2 n'est-ce pas ?

3 R. : Oui.

4 Q. : Lui et d'autres vous ont dit que c'est Dusko Tadic qui était là ?

5 R. : Non, personne ne me l'a dit. Vous m'avez demandé, avez-vous vu quoi

6 que ce soit et est-ce que mon champ de vision n'était pas obstrué,

7 parce que je ne pouvais pas voir. Cela s'est passé devant une foule

8 de personnes. Sommes-nous rentrés dans les détails, nous, non, c'est

9 faux. Laissez-moi vous dire une chose, l'homme à qui j'ai parlé

10 n'était pas du tout doué pour la communication.

11 Q. : Vous avez repris l'histoire que d'autres ont raconté selon laquelle

12 Dusko Tadic était présent. C'est pourquoi vous avez été préparé à

13 venir ici et à raconter, d'après cette seule et unique vision de lui

14 à Omarska, qu'il était là-bas ?

15 R. : Je vous ai déjà dit que je n'ai pas inventé cette histoire, que c'est

16 un honneur pour moi que d'être ici et vous, vous êtes là pour

17 inventer et orchestrer les choses mais moi, j'étais là-bas, sur les

18 lieux.

19 Q. : Insinuer que vous connaissiez sa voix alors que vous lui aviez à

20 peine parlé ces derniers temps est-ce un moyen d'essayer de rendre

21 plus crédible votre identification du garde à la porte ?

22 R. : Je vous répète que je peux le reconnaître par sa voix.

23 Q. : Ce que vous nous dites, et c'est votre témoignage, c'est que la

24 personne qui a appelé et fait sortir l'homme de la pièce n'était pas

25 un autre garde, que c'était bien Dusko Tadic ?

Page 4425

1 R. : Oui.

2 M. KAY : Merci. Je n'ai plus de question.

3 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : M. Tieger ?

4 Interrogatoire supplémentaire par M. TIEGER

5 M. TIEGER : Merci, Madame le Président. M. Besic, au cours des quatre à

6 cinq ans qui ont précédé le début du conflit, avez-vous passé

7 beaucoup de temps dans le centre de la région de Kozarac ?

8 R. : Oui, et j'ai passé les deux années qui ont précédé la guerre, deux

9 ans, deux ans et demi, à Kozarac-même.

10 Q. : Y étiez-vous pour ainsi dire tous les jours ?

11 R. : Tous les jours, tous les jours dans le centre.

12 Q. : Voyiez-vous Dule Tadic régulièrement dans le centre de Kozarac

13 pendant cette période ?

14 R. : Oui, quand il passait. Il construisait son café à l'époque, il

15 passait donc souvent dans le centre de Kozarac.

16 Q. : M. Besic, de l'endroit où vous étiez assis, d'autres prisonniers vous

17 bloquaient-ils la vue et vous empêchaient-ils de voir le visage de

18 Dusko Tadic dans l'embrasure de la porte ?

19 R. : Non, écoutez, il y a une personne debout, une autre qui est assise à

20 sept ou huit mètres, et un homme assis ne peut cacher, obstruer la

21 vue d'une personne qui se tient debout.

22 Q. : M. Besic, savez-vous exactement combien de temps la porte est restée

23 ouverte, en secondes ?

24 R. : J'ai déjà dit 10 secondes environ. Peut-être qu'elle est restée

25 ouverte par la suite, mais d'après mes souvenirs, elle ne l'était

Page 4426

1 pas.

2 Q. : Lorsque Jasko Hrnic a quitté la pièce, a-t-il obstrué à un moment

3 donné la vision de l'encadrement de la porte ?

4 R. : Je peux vous le montrer. Jasko Hrnic se dirigeait vers la porte, pas

5 en ligne droite. Son côté gauche, sa main gauche était plus proche

6 de la porte. Donc il n'obstruait pas la vue. Il devait choisir les

7 endroits où il trouvait un peu de place pour se déplacer et il

8 devait zigzaguer dans la pièce. Il ne faisait pas un pas, puis un

9 autre, puis encore un autre. Il devait choisir, donc il zigzaguait

10 dans la pièce, en utilisant les quelques espaces inoccupés pour y

11 poser le pied.

12 Q. : Dule Tadic se tenait-il dans l'embrasure de la porte et bloquait-il

13 le passage au moment où Jasko a essayé de sortir ?

14 R. : Lorsque Jasko était en train de sortir de la pièce, Dule a fait un

15 pas en arrière, a ouvert la porte et Jasko a avancé, c'est-à-dire,

16 vers le seuil, et là j'ai vu Tadic faire un pas en arrière. Jasko

17 sort. L'autre insulte le nom de sa mère et on entend un coup.

18 M. TIEGER : Merci, Monsieur. J'en ai terminé.

19 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : M. Kay, un contre-interrogatoire

20 supplémentaire ?

21 M. KAY : Pas de question, merci, Madame le Président.

22 Interrogatoire par la Cour

23 JUGE STEPHEN : Monsieur le témoin, je croyais que vous nous aviez dit que

24 c'était Hrnic qui avait ouvert la porte, avait enjambé les corps et

25 ouvert la porte, n'est-ce pas exact ?

Page 4427

1 R. : Oui.

2 Q. : Par conséquent, avant qu'il ait ouvert la porte, vous ne pouviez pas

3 voir qui se trouvait à l'extérieur ?

4 R. : Non.

5 JUGE STEPHEN : Merci.

6 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : M. Besic, vous souvenez-vous de la surface de

7 A17, la pièce dans laquelle vous vous trouviez, en mètres, la

8 longueur du mur, de la porte au mur ?

9 R. : De la porte au mur du fond, huit peut-être dix mètres -- je ne peux

10 pas être plus précis -- ou peut-être neuf. Je ne peux vraiment,

11 vraiment pas vous répondre avec précision. Huit sur cinq.

12 Q. : Je suis sûre que nous en disposons sous une forme ou une autre.

13 L'emplacement que vous occupiez ne m'est pas encore très clair. Je

14 n'ai pas très bien vu. Pourriez-vous me montrer une fois de plus où

15 vous étiez assis, s'il vous plaît ? Dites-le-moi afin que je puisse

16 mieux comprendre.

17 R. : Oui, oui, bien sûr. Je peux vous montrer, où voulez-vous que je vous

18 le dise ?

19 Q. : Dites-le moi -- montrez-le-moi, si vous le pouvez, sur la maquette en

20 nous permettant de voir.

21 R. : D'accord. J'étais ici.

22 Q. : Attendez. D'accord. A quelle distance ?

23 R. : (Le témoin indique l'endroit sur la maquette).

24 Q. : Voyons voir. Nous avons ici un plan du sol qui n'est pas forcément

25 exact, mais s'il s'agit de A17 -- diriez-vous qu'un quart de la

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1 distance séparait le mur du fond de l'endroit où, comme nous l'avons

2 entendu dans un autre témoignage, se trouvait une table à l'endroit

3 où le mur fait un coude ?

4 R. : En partant d'ici ?

5 Q. : Oui, monsieur.

6 R. : A quelle distance étais-je d'ici ? à la moitié ou aux deux tiers vers

7 le mur du fond.

8 Q. : Deux tiers vers le mur du fond. Donc vous étiez éloigné de la porte

9 de deux tiers de la longueur, c'est bien ce que vous dites ?

10 R. : De la porte ? je parlais du coude du mur. J'étais à peu près à six ou

11 sept mètres de la porte.

12 Q. : D'accord. Et de ce coin dont vous parlez, vous étiez à peu près aux

13 deux tiers du coin vers le mur du fond ?

14 R. : Oui.

15 Q. : Il suffira simplement de mesurer la distance par rapport au coude

16 pour que nous comprenions cela. Merci. Veuillez vous asseoir. Vous

17 avez dit dans une réponse à une question de M. Kay que vous aviez

18 parlé avec le témoin G de cet incident, n'est-ce pas, à Manjaca ?

19 R. : Oui -- Non, pas moi, pas personnellement. Nous nous rencontrions par

20 hasard, nous pouvions marcher, parler de cela, mais pas seulement de

21 cela, de tous les incidents parce que nous avions beaucoup plus de

22 possibilités de le faire là-bas et plus de liberté de mouvement à

23 Manjaca, dans cette enceinte que nous appelions le camp.

24 Q. : Vous a-t-il parlé de cet incident ?

25 R. : Oui, il a parlé de certaines choses officieuses, de choses dont on a

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1 du mal à parler et dont on est réticent à se souvenir, mais il a des

2 capacités très limitées. Il jurait souvent lorsque des gens lui

3 posaient des questions là-dessus et il était très réticent à parler

4 des épreuves qu'il avait vécu.

5 Q. : Je poursuivrai sans doute cela après la pause. Nous suspendons nos

6 débats pendant 20 minutes.

7 (11h30)

8 (Brève suspension d'audience)

9 (11h50)

10 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Je n'ai plus de question. M. Tieger, M. Kay.

11 des questions ? M. Tieger ?

12 M. TIEGER : Avec votre permission, Madame le Président ?

13 Interrogatoire supplémentaire par M. TIEGER

14 Q. : M. Besic, j'ai peut-être posé une question plus tôt qui n'était pas

15 très claire. Si vous me le permettez, je souhaiterais vous posez

16 quelques questions sur des détails que vous avez pu observer lorsque

17 Jasko Hrnic a quitté la pièce. Tout d'abord, est-il exact que, pour

18 quitter la pièce, Jasko Hrnic faisait des mouvements lents et

19 maladroits parce qu'il passait parmi de nombreux hommes dans la

20 pièce ?

21 R. : Oui, oui, c'est exact.

22 Q. : Pendant qu'il se dirigeait vers la porte, celle-ci était-elle ouverte

23 ou fermée ?

24 R. : Il s'est penché vers la porte d'assez loin, parce qu'il est grand,

25 donc il s'est étiré vers l'avant. Ça lui permettait aussi d'être

Page 4430

1 stable, parce qu'il zigzaguait et qu'il fallait qu'il fasse

2 attention où il mettait les pieds.

3 Q. : Après qu'il a ouvert la porte, a-t-il pu y aller en ligne droite ou

4 a-t-il dû contourner un ou plusieurs prisonniers pour sortir ?

5 R. : Oui, il a ouvert la porte avant d'arriver à la porte. Il s'est juste

6 penché en avant pour l'ouvrir. La porte était ouverte, alors qu'il

7 lui restait encore quelques pas à parcourir avant d'y arriver.

8 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : C'est ce que je ne comprends pas. Qui a

9 ouvert la porte, M. Hrnic ou quelqu'un d'autre ?

10 R. : M. Hrnic.

11 M. TIEGER : Au moment où Jasko Hrnic a franchi le seuil de la porte, Dule

12 a-t-il fait un pas en arrière ?

13 R. : Non, lorsque la porte était ouverte, Dule Tadic se tenait dans

14 l'encadrement de la porte et Jasko était encore à l'intérieur de la

15 pièce. Il n'était pas encore sorti. Il lui fallait encore faire une

16 enjambée avant d'y arriver.

17 Q. : Au moment où Jasko Hrnic a passé le seuil, Dule a-t-il reculé ?

18 R. : Oui.

19 Q. : Après cela, la porte a-t-elle été refermée ?

20 R. : Oui.

21 Q. : C'est au cours de cet événement que vous avez vu Dule Tadic, au cours

22 de tout ce ----

23 R. : Oui, au cours de la période précédente, j'ai vu Dule Tadic.

24 M. TIEGER : Merci, Monsieur.

25 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : M. Kay ?

Page 4431

1 M. KAY : Je n'ai pas de question, Madame le Président.

2 M. TIEGER : Madame le Président --Non, excusez-moi. .

3 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Personne n'a plus de questions. Y a-t-il une

4 objection à ce que le témoin soit définitivement libéré ?

5 M. KAY : Non, Madame le PrésidentLE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : M. Besic,

6 vous êtes définitivement libéré. Vous pouvez partir. Merci d'être

7 venu.

8 LE TÉMOIN : Merci.

9 (Départ du témoin)

10 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : M. Tieger, voulez-vous appeler le témoin

11 suivant ?

12 M. TIEGER : Madame le Président, le témoin suivant s'appelle Husein

13 Hodzic.

14 Appel à la barre de M. HUSEIN HODZIC

15 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Lorsque nous reprendrons nos travaux cet

16 après-midi, nous passerons directement en audience à huis clos

17 pendant 10 à 15 minutes environ pour reparler des questions que nous

18 avons abordées hier. Donc, lorsque nous reviendrons après le

19 déjeuner, nous commencerons en audience à huis clos pendant 10 à 15

20 minutes pour débattre de ces questions. Puis nous passerons en

21 audience publique. (Au témoin) M. Hodzic, voulez-vous plaît prêter

22 serment en lisant le texte qui vous est remis ?

23 LE TÉMOIN [Traduction] : Je déclare solennellement que je dirai la vérité,

24 toute la vérité et rien que la vérité.

25 (Prestation de serment du témoin)

Page 4432

1 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Merci. Veuillez-vous asseoir.

2 Interrogatoire par M. TIEGER

3 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : M. Tieger, allez-y.

4 M. TIEGER : Merci, Madame le Président. Monsieur, comment vous appelez-

5 vous ?

6 R. : Hodzic, Husein.

7 Q. : En quelle année êtes-vous né ?

8 R. : 1965.

9 Q. : Où êtes-vous né ?

10 R. : Dans la ville de Kozarac.

11 Q. : Quelle est votre nationalité ?

12 R. : Je suis Musulman.

13 Q. : Dans quel quartier de Kozarac viviez-vous ?

14 R. : Dans un quartier qu'on appelait la vieille ville.

15 Q. : Etait-ce proche de la grande rue de Kozarac ?

16 R. : Oui, c'était immédiatement à côté de la grande rue.

17 Q. : Avez-vous été à l'école à Kozarac ?

18 R. : Oui, au cours élémentaire.

19 Q. : Après avoir fini vos études, avez-vous servi dans les rangs de la JNA

20 ?

21 R. : Oui.

22 Q. : En quelle année et où ?

23 R. : En 1985, au Monténégro, à Danilovgrad près de Titograd.

24 Q. : Etes-vous revenu à Kozarac ?

25 R. : Oui.

Page 4433

1 Q. : Quelle était votre profession ?

2 R. : J'étais technicien des mines.

3 Q. : Combien de mines trouve-t-on dans la région de Kozarac ou Prijedor ?

4 R. : Il y avait un ensemble de mines, c'est-à-dire, Ljubija d'où l'on

5 extrayait du minerai, donc, Omarska, Ljubija et Tomasica, d'où l'on

6 extrayait du minerai de fer.

7 Q. : Ces mines étaient-elles exploitées par la même entreprise ou

8 organisation ?

9 R. : Oui, la même entreprise, la même organisation. C'était les mines de

10 minerai de fer Ljubija.

11 Q. : Dans quelles mines travailliez-vous ?

12 R. : Dans les mines d'Omarska et de Ljubija.

13 Q. : Quelle a été la dernière mine où vous ayez travaillé avant le début

14 de la guerre ?

15 R. : Dans la mine de minerai de fer d'Omarska.

16 Q. : Quand à peu près avez-vous cessé de travailler à Omarska ?

17 R. : Sept à dix jours avant l'offensive contre Kozarac, avant l'éclatement

18 de la guerre.

19 Q. : Avez-vous travaillé le dernier jour que vous avez passé à Omarska ?

20 R. : Ce jour-là, il n'y avait pas de production, elle était arrêtée. Nous

21 étions assis dans le bureau de l'administration. Nous étions

22 contremaîtres et c'est ce que nous appelions la maison blanche.

23 C'était la pièce utilisée par les mineurs et nous, les

24 contremaîtres.

25 Q. : Quelque chose d'étrange s'est-il produit à la mine, ce jour-là ?

Page 4434

1 R. : Oui -- et ça m'a surpris -- des armes ont été distribuées.

2 Q. : Ces armes, à qui étaient-elles distribuées ?

3 R. : Principalement aux personnes serbes, en fait, à tous les hommes du

4 groupe ethnique serbe.

5 Q. : M. Hodzic, voyez-vous la maquette devant vous ?

6 R. : Oui.

7 Q. : Identifiez-vous cette maquette comme étant une partie des bâtiments

8 de la mine d'Omarska ?

9 R. : Oui, c'est le bâtiment administratif et le restaurant et l'atelier de

10 réparation du matériel. Derrière, c'est la maison blanche, c'est là

11 que les mineurs et nous pointions, et puis à gauche, le petit

12 bâtiment rouge, nous l'appelions le bâtiment de lavage, où tout le

13 matériel était lavé après la journée de travail, pour enlever la

14 boue, ou la terre.

15 Q. : Cette grande surface en béton où se trouvent ces bâtiments était-elle

16 utilisée dans le cadre de la production ou de l'entretien à la mine

17 ?

18 R. : Oui. C'était un parking, où l'on garait les camions-bennes et les

19 autre camions après la journée de travail.

20 Q. : La maison blanche dont vous venez de parler, outre l'appel des

21 mineurs qui y était effectué, abritait-elle des bureaux utilisés par

22 les contremaîtres ?

23 R. : Oui.

24 Q. : Votre bureau se trouvait-il là ?

25 R. : La fenêtre à droite. Mon bureau était la première pièce en rentrant.

Page 4435

1 Q. : M. Hodzic, connaissez-vous Dule Tadic ?

2 R. : Oui.

3 Q. : Depuis combien de temps ?

4 R. : Depuis que j'ai 10 ans.

5 Q. : À quelle occasion l'avez-vous connu lorsque vous étiez enfant ?

6 R. : Comme Dusko Tadic était un athlète, il était expert en karaté et tous

7 les enfants de Kozarac, moi y compris, le considéraient comme un

8 homme admirable, un athlète, et peut-être qu'inconsciemment, nous

9 voulions tous pratiquer ce sport. Alors, dès mon jeune âge, je l'ai

10 très bien connu. Pour toutes ces raisons et parce qu'en plus, il

11 habitait comme moi à Kozarac, je le connaissais bien.

12 Q. : En grandissant, avez-vous entretenu une relation amicale avec lui

13 jusqu'à la période de tensions qui a précédé la guerre ?

14 R. : Oui.

15 Q. : Par exemple, vous saluiez-vous lorsque que vous vous rencontriez dans

16 la rue ou dans les cafés ?

17 R. : Oui. La plupart du temps, oui, lorsque nous nous rencontrions, nous

18 ne nous serrions par forcément la main, mais nous nous saluions, en

19 disant : "Salut".

20 Q. : Connaissiez-vous ses parents ?

21 R. : Oui.

22 Q. : Connaissiez-vous ses frères ?

23 R. : Oui.

24 Q. : Connaissiez-vous sa femme ?

25 R. : Oui.

Page 4436

1 Q. : Son métier, par exemple.

2 R. : Vous voulez dire, de sa femme ?

3 Q. : Oui.

4 R. : Elle était infirmière, au dispensaire de Kozarac.

5 Q. : Je voudrais vous poser quelques questions à propos de quelques autres

6 habitants de la région. Connaissiez-vous Emir Karabasic ?

7 R. : Oui.

8 Q. : Quel était son métier ?

9 R. : Il était policier actif.

10 Q. : Connaissiez-vous Jasko Hrnic ?

11 R. : Oui.

12 Q. : Est-ce un personnage connu ou populaire à Kozarac ?

13 R. : Oui. Il avait une entreprise de transport. Il avait aussi des motos.

14 Il était assez connu à Kozarac.

15 Q. : Juste par curiosité, vous souvenez-vous par hasard de la couleur de

16 sa dernière moto avant le début de la guerre ?

17 R. : Rouge et noire. Je n'en suis pas complètement sûr, mais son cousin

18 s'est tué avec cette moto, alors après, il ne l'a plus conduite.

19 Q. : Connaissiez-vous Enver Alic ?

20 R. : Oui.

21 Q. : Etiez-vous parents ?

22 R. : Oui.

23 Q. : C'était votre oncle ?

24 R. : Oui.

25 Q. : Les trois hommes que je viens de mentionner, Emir Karabasic, Jasko

Page 4437

1 Hrnic et Enver Alic étaient-ils de bons amis ?

2 R. : Oui.

3 Q. : Ces trois hommes étaient Musulmans, n'est-ce pas ?

4 R. : Oui.

5 Q. : Dule Tadic connaissait-il ces trois hommes ?

6 R. : Oui, il les connaissait extrêmement bien.

7 Q. : A un moment donné, vous êtes-vous trouvé en compagnie de l'un de ces

8 hommes et de Dule Tadic en même temps ?

9 R. : Oui.

10 M. TIEGER : Madame le Président, je demande que cette photographie, la

11 pièce 269, soit enregistrée aux fins d'identification, s'il vous

12 plaît. M. Hodzic, reconnaissez-vous les personnes qui sont sur cette

13 photo ?

14 R. : Oui. On y voit Emir Karabasic et Dusko Tadic.

15 M. TIEGER : Madame le Président, je demande que cette photographie, la

16 pièce 269, soit versée au dossier et qu'elle soit placée sur

17 l'écran.

18 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Y a-t-il des objections ?

19 M. KAY : Pas d'objection, Madame le Président.

20 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : La pièce 269 est admise.

21 M. TIEGER : A l'aide du pointeur, M. Hodzic, pouvez-vous indiquer Emir

22 Karabasic ? Excusez-moi, avez-vous entendu ma question ?

23 L'INTERPRÈTE : Le micro n'est pas branché.

24 M. TIEGER : Excusez-moi, merci. M. Hodzic, à l'aide du pointeur, pouvez-

25 vous nous indiquer Emir Karabasic et Dusko Tadic ?

Page 4438

1 R. : (Le témoin les indique sur la photographie).

2 Q. : Merci, monsieur. Pour le compte rendu, Madame le Président, le témoin

3 a indiqué Emir Karabasic comme étant l'homme de droite et Dusko

4 Tadic celui de gauche.

5 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Oui.

6 M. TIEGER : M. Hodzic, tout d'abord, pendant la période qui a suivi les

7 élections de 1990 et avant le début de la guerre, les tensions se

8 sont-elles exacerbées entre Musulmans et Serbes ?

9 R. : Je n'ai pas très bien compris la question en ce qui concerne les

10 tensions. Oui, il y en avait. Après les élections, il y avait des

11 indices de tensions entre Musulmans et Serbes.

12 Q. Avant que la guerre n'éclate, avez-vous remarqué si, oui ou non, les

13 relations entre Dule Tadic et nombre de ses connaissances musulmanes

14 ont changé ?

15 R. : Oui, ça se voyait.

16 Q. : A-t-il commencé à ne fréquenter pratiquement que des gens d'un groupe

17 ethnique particulier ?

18 R. : Oui, à ce moment-là, il fréquentait principalement, presque

19 exclusivement, des gens de nationalité serbe.

20 Q. : Avez-vous eu l'occasion de voir qui fréquentait son café ?

21 R. : Des membres de ce qu'on appelait L'Armée populaire yougoslave, mais à

22 l'époque ils n'étaient pas membres de cette armée car ils portaient

23 différents insignes et avaient des véhicules militaires.

24 Q. : Avez-vous vu des personnes de cette armée fréquenter le café ?

25 R. : Oui. Lorsqu'ils arrivaient, qu'ils se garaient sur la chaussée devant

Page 4439

1 le café et qu'ils y entraient.

2 Q. : Dans quel type de véhicules arrivaient-ils ?

3 R. : C'était des Pitzgauers de différentes entreprises, mais ils ne

4 portaient pas d'insigne de la JNA, de l'Armée Populaire Yougoslave.

5 Q. : Quel type d'insigne avez-vous vu sur ces véhicules ?

6 R. : Un insigne serbe, avec quatre S cyrilliques ou le drapeau tricolore

7 serbe.

8 Q. : M. Hodzic, vous avez mentionné les Pitzgauer. Je ne sais pas si

9 quelqu'un l'a déjà fait devant ce Tribunal mais peut-être pourriez-

10 vous nous dire ce qu'est un Pitzgauer ?

11 R. : C'est un véhicule militaire. Un véhicule tout-terrain qui peut sortir

12 des routes, des routes de village, et des pentes fortes lorsque la

13 route est enneigée. A l'arrière du véhicule, 10 personnes peuvent

14 tenir, jusqu'à 10 personnes, c'est-à-dire entre 6 et 10. A l'avant,

15 il n'y a qu'un siège pour le conducteur et un autre.

16 Q. : Merci, monsieur. Une autre précision encore, ce véhicule est-il un

17 véhicule à roues ou à chenilles ?

18 R. : A roues.

19 Q. : Est-ce un véhicule blindé ?

20 R. : Non.

21 Q. : Savez-vous si oui ou non, Dusko Tadic a quitté Kozarac peu avant ou

22 immédiatement avant l'offensive contre Kozarac ?

23 R. : Il a quitté Kozarac la veille de l'attaque de Kozarac.

24 Q. : Tous les Serbes de Kozarac sont-ils partis ?

25 R. : Non.

Page 4440

1 Q. : Certains d'entre eux se trouvaient-ils dans les abris avec des

2 Musulmans au cours de l'attaque ?

3 R. : Oui.

4 Q. : Etiez-vous chez vous lorsque l'attaque a débuté le 24 mai ?

5 R. : Oui, j'étais chez moi.

6 Q. : Avez-vous passé ce jour-là et le suivant chez vous dans votre cave ?

7 R. : Oui.

8 Q. : De temps en temps, sortiez-vous de la cave pour évaluer la situation

9 ?

10 R. : Oui, quand il y avait une accalmie, une pause dans le pilonnage, les

11 gens pouvaient sortir dans la rue pour vérifier que tout le monde

12 était là et pour essayer de calculer pendant combien de temps ça

13 allait durer. Nous cherchions des réponses les uns chez les autres,

14 ce que nous devions faire, etc ; nous avons pu sortir de temps en

15 temps.

16 Q. : Etes-vous allés à un moment donné dans la zone de Brdjani ?

17 R. : Oui. Le lendemain, le lundi, il y a eu un afflux de gens, de convois

18 de Trnopolje, de Sivci, Menkovic sur des tracteurs, sur des

19 charrettes, et à pied, alors nous avons paniqué et nous avons tous

20 cherché du secours. Il y avait une forêt et nous voulions tous nous

21 y cacher.

22 Q. : Y avait-il beaucoup de personnes qui essayaient de s'échapper dans la

23 forêt ?

24 R. : Un nombre considérable.

25 Q. : Le mardi 26 mai, vous êtes-vous rendus aux forces serbes ?

Page 4441

1 R. : Oui.

2 Q. : A quelle heure à peu près la reddition a-t-elle commencé ? Est-ce

3 pour cela que vous avez quitté votre maison ?

4 R. : Le matin, à la fin de la matinée.

5 Q. : Avez-vous rejoint un groupe ou une colonne de personnes qui se

6 rendaient ?

7 R. : Oui.

8 Q. : Où se dirigeait cette colonne ?

9 R. : En direction de Prijedor.

10 Q. : Comment ce groupe de Musulmans indiquait-il qu'il se rendait ?

11 R. : A la tête de la colonne il y avait un drapeau blanc et un signe qui

12 indiquait que nous nous rendions pacifiquement.

13 Q. : Pendant le trajet vers Prijedor, où la colonne s'est-elle arrêtée ?

14 R. : La colonne s'est arrêtée à Susici.

15 Q. : A un endroit particulier de Susici ?

16 R. : Oui. il y avait un arrêt de bus que l'on appelait localement

17 "Limenka", ce qui voulait dire qu'il était construit en taules --

18 "lim" veut dire fer -- et les gens attendaient là. C'était comme un

19 abri.

20 Q. : Y avait-il également des forces serbes qui attendaient ?

21 R. : Oui.

22 Q. : Que portaient ces hommes ?

23 R. : Ils avaient différents uniformes, différentes types de vêtements,

24 plus des vêtements civils. Je me souviens d'un en particulier, il

25 portait un bandana sur lequel on voyait "UN". Cela ressemblait à

Page 4442

1 tout sauf à l'Armée yougoslave.

2 Q. : Y avait-il d'autres indications que les vêtements qui vous donnaient

3 à penser que cette armée était différente de l'Armée yougoslave que

4 vous connaissiez ?

5 R. : Il y avait l'insigne, un aigle blanc et la Kokarda, les quatre S

6 cyrilliques, et puis l'insigne "UN" est différente de l'insigne de

7 l'Armée populaire yougoslave dont l'insigne était claire, une étoile

8 à cinq branches. Un membre de cette armée devait être soigné, rasé

9 de près et ne devait pas avoir les cheveux longs ni la barbe. J'ai

10 été membre de l'Armée populaire yougoslave en 1985.

11 Q. : Les forces serbes à Limenka étaient-elles armées ?

12 R. : Oui, elles étaient armées.

13 Q. : Y avait-il des véhicules militaires sur place ?

14 R. : Oui, il y avait des véhicules militaires. Il y avait des véhicules

15 blindés et des armes légères, d'infanterie.

16 Q. : Y avait-il des indications que la zone avait été pilonnée ?

17 R. : Sur la route, il y avait beaucoup de douilles et de douilles d'obus,

18 je suppose qu'ils avaient été utilisés pour pilonner la zone les

19 deux jours précédents.

20 Q. : A Limenka, les hommes musulmans ont-ils été séparés des femmes et des

21 enfants ?

22 R. : Oui, cela a été fait au début.

23 Q. : Quelle était la limite d'âge entre ceux qui étaient mis dans le

24 groupe des hommes et ceux qui allaient avec les enfants ?

25 R. : 15 ans, 16 ans même jusqu'à 70 ans.

Page 4443

1 Q. : Qui vous accompagnait ?

2 R. : Mon fils qui avait alors 6 ans.

3 Q. : Votre femme était décédée trois ans auparavant ?

4 R. : Oui.

5 Q. : Pendant que vous étiez là-bas, vous avez eu à faire à un soldat serbe

6 qui vous connaissait et que vous connaissiez ?

7 R. : Oui, mon collègue de travail, Cedo Cunjak.

8 Q. : Que vous a dit Cedo Cunjak ?

9 R. : Il a injurié ma mère et m'a dit "C'est toi que j'attends".

10 Q. : Avez-vous essayé de lui faire entendre raison ou de vous faire

11 entendre de lui d'une manière ou d'une autre ?

12 R. : Oui, j'ai essayé, parce qu'il connaissait bien ma situation, il

13 savait que mon fils n'avait plus que son père et que je ne pouvais

14 que supplier. A ce moment-là, il m'a arraché l'enfant et il l'a jeté

15 dans le car et avant -- et l'enfant s'est mis à pleurer et il lui a

16 dit "Ne t'inquiète pas, rien ne va t'arriver à toi, mais à ton père,

17 si."

18 Q. : C'est Cunjak qui a dit cela à votre fils ?

19 R. : Oui.

20 Q. : A peu près à ce moment-là, avez-vous vu quelqu'un d'autre que vous

21 connaissiez déjà avant la guerre ?

22 R. : Oui, j'ai vu Goran Borovnica qui vivait à Kozarac, c'était donc un

23 habitant de Kozarac, Goran Borovnica.

24 Q. : Que portait Borovnica ?

25 R. : Il portait un uniforme de camouflage et une casquette qui couvrait

Page 4444

1 ses oreilles, il n'était pas rasé, pas soigné, il avait une

2 mitraillette au bras et une autre arme -- une arme antichar par-

3 dessus son épaule.

4 Q. : Au cours des années pendant lesquelles vous connaissiez Borovnica,

5 avez-vous remarqué un élément distinctif dans son apparence physique

6 ?

7 R. : Oui, oui, c'était assez visible. Lorsqu'il regardait un point, ses

8 yeux partaient dans des directions différentes, l'un allait dans

9 l'une, l'autre dans l'autre.

10 Q. : Borovnica vous a-t-il posé des questions ?

11 R. : Oui.

12 Q. : Et vous a-t-il semblé qu'il était en train de décider de votre sort ?

13 R. : Lorsque Borovnica m'a parlé, il m'a d'abord demandé où étaient mes

14 armes, mais je n'en avais jamais eu ; je lui ai dit que je n'avais

15 pas d'armes, que les seules armes de la maison étaient les armes de

16 mon père qui était chasseur et qui avait un permis de port d'arme.

17 Il était débout là, à me regarder, et je me suis rendu compte qu'il

18 essayait simplement de décider ce qu'il allait faire de moi, me

19 liquider ou m'épargner. A un moment, il a dit "Monte dans le car".

20 Q. : Dans le car, Cedo Cunjak vous a-t-il a nouveau repéré ?

21 R. : Oui, j'étais curieux. Je voulais savoir quel sort était réservé aux

22 autres personnes qui arrivaient. A ce moment-là, Cedo Cunjak est

23 passé le long du car du côté où j'étais assis, il a levé les yeux

24 vers moi, plein de colère, a fait le tour du car, est monté, là

25 encore s'est livré à sa tirade d'insultes primitive de la

Page 4445

1 soldatesque et m'a fait redescendre du car.

2 Q. : Lorsqu'il vous a fait descendre, a-t-il exprimé sa surprise de vous

3 voir encore vivant ?

4 R. : Oui. Tout d'abord, si je peux me permettre ses mots, il a dit "Enculé

5 de ta mère, t'es toujours en vie".

6 Q. : Cunjak vous a-t-il frappé et vous a-t-il fait traverser la route ?

7 R. : Oui.

8 Q. : Y a-t-il eu ensuite une discussion entre Cunjak et un autre Serbe sur

9 vous et votre frère ?

10 R. : Quand Cunjak m'a fait sortir du car et traverser la route, Nedjo Kos,

11 le chauffeur d'un car d'Autotransport où mon frère Hikmet

12 travaillait se trouvait là. Puisque nous nous ressemblons un peu, il

13 m'a tout de suite reconnu et a demandé à Cedo, ou plutôt, lui a dit

14 : "S'il est comme son frère, alors il faudrait en finir avec eux

15 immédiatement". Ça voulait clairement dire nous "liquider".

16 Q. : Sont-ils partis avec vous à la recherche de votre frère et l'avez-

17 vous finalement trouvé ?

18 R. : Oui. Cedo Cunjak m'a ordonné de faire tous les cars pour trouver mon

19 frère et le faire descendre. Etant donné les circonstances, je ne

20 pouvais pas faire autrement que de m'exécuter, mais inconsciemment,

21 j'avais pris ma décision, je n'allais pas désigner mon frère. Si moi

22 je devais mourir, j'éviterai que lui ne soit tué.

23 Q. : Lorsque vous êtes arrivés à proximité de votre frère, a-t-il fait un

24 geste qui a attiré l'attention sur lui et qui l'a fait repéré ?

25 R. : Oui, ce lien fraternel, cet amour, il n'a pas pu s'en empêcher, il a

Page 4446

1 levé la tête et il a dit : "Qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce qu'il y

2 a, Sendo ?"

3 Q. : Après que votre frère a été repéré, la personne que Kos et Cunjak

4 avaient l'intention de liquider, où vous ont-ils emmené, vous et

5 votre frère ?

6 R. : De l'autre côté de la route, c'est-à-dire dans la direction de

7 Kozarac/Prijedor, à gauche de la route pavée, la route principale

8 Banja Luka/Prijedor, Goran Borovnica nous attendait à nouveau.

9 Q. : Borovnica vous a-t-il posé des questions, à vous et à votre frère,

10 plus précises, cette fois ?

11 R. : Oui. Il a demandé à mon frère la même chose qu'à moi, à propos des

12 armes, et mon frère a sorti son permis de port d'arme pour les armes

13 de chasse et pour les armes de petit calibre et lui a dit : "C'est

14 tout ce que j'ai et ce sont des armes que j'ai le droit de

15 posséder". Goran Borovnica a pris les deux documents et a dit : "Je

16 vérifierai quand nous ferons une percée à Kozarac", et il les a mis

17 dans sa poche.

18 Q. : Votre frère et vous êtes remontés dans le car ?

19 R. : Oui.

20 Q. : Excusez-moi, Monsieur. Un peu plus tard encore, vous a-t-on fait

21 descendre une fois de plus du car, en vous menaçant de vous

22 liquider, mais vous avez finalement réussi à remonter dans le car au

23 moment où celui-ci s'ébranlait ?

24 R. : Oui.

25 Q. : Le car s'est-il arrêté près du restaurant de Ziko ?

Page 4447

1 R. : Brièvement, oui, brièvement au café appartenant à Ziko ; nous

2 l'appelions le pub de Ziko.

3 Q. : Des forces serbes étaient-elles rassemblées là-bas ?

4 R. : Oui.

5 Q. : Combien étaient-elles et étaient-elles bien équipées ?

6 R. : Elles étaient extrêmement bien équipées et il y avait beaucoup

7 d'hommes, donc toute tentative de fuite ou de toute autre chose

8 était exclue.

9 Q. : Y avait-il aussi un grand rassemblement de civils musulmans ?

10 R. : Oui, il y avait une concentration de femmes, d'enfants et de

11 personnes âgées. Il y avait foule. Il est même difficile de donner

12 un chiffre, mais je dirais des milliers.

13 Q. : A partir du restaurant de Ziko, le car vous a-t-il ensuite

14 transporté, vous et les autres hommes, à Keraterm ?

15 R. : Oui.

16 Q. : Avez-vous été détenu à Keraterm jusqu'à la nuit suivante ?

17 R. : Nous avons passé la soirée et la nuit à Keraterm. Puis le lendemain,

18 nous avons passé toute la journée à Keraterm et c'est seulement le

19 soir, tard, que nous sommes montés dans les cars et que nous avons

20 été transférés.

21 Q. : Une fois dans les cars, où avez-vous été transférés ?

22 R. : A Omarska.

23 Q. : Après votre arrivée à Omarska, M. Hodzic, où avez-vous d'abord été

24 détenus ?

25 R. : Avant l'interrogatoire, j'étais dans la pièce 15.

Page 4448

1 Q. : Pendant combien de temps y êtes-vous resté ?

2 R. : De sept à 10 jours, environ 10 jours.

3 Q. : Où avez-vous été interrogé ?

4 R. : Qui m'a interrogé, oui, j'ai été interrogé dans le bâtiment

5 administratif de mon ancienne entreprise.

6 Q. : Connaissiez-vous déjà avant la guerre la personne qui vous a

7 interrogé ?

8 R. : Oui, Rade Kovic.

9 Q. : Quelle était sa nationalité ?

10 R. : Serbe.

11 Q. : Vous a-t-on frappé au cours de l'interrogatoire ?

12 R. : Oui.

13 Q. : Combien de temps ?

14 R. : Environ une heure.

15 Q. : Rade Kovic a-t-il appris que vous aviez travaillé à la mine d'Omarska

16 ?

17 R. : Oui. Lorsqu'il m'a demandé où j'avais travaillé, je lui ai dit, ici,

18 à la mine d'Omarska.

19 Q. : Qu'a-t-il dit quand il a appris cela ?

20 R. : Il est devenu encore plus haineux, il m'a donc insulté et a continué

21 à me frapper, "Vous les Musulmans, vous travailliez à Omarska dans

22 la mine serbe et les Serbes pointent au chômage".

23 Q. : Les coups portés étaient-ils violents ?

24 R. : Ils étaient si violents et si nombreux que j'en ai encore des

25 séquelles. A ce moment-là, il m'a brisé la mâchoire, en plusieurs

Page 4449

1 morceaux, je n'ai pas pu faire de radio à Omarska pour vérifier,

2 mais j'entends encore le bruit que fait ma mâchoire, comme elle

3 fonctionne mal, comme si quelque chose était brisé.

4 Q. : Après l'interrogatoire, où avez-vous été détenu ?

5 R. : J'ai été transféré dans une pièce qu'on appelait "la grande salle".

6 Q. : Ces deux pièces se trouvaient-elles dans le hangar ?

7 R. : Oui.

8 Q. : Au rez-de-chaussée ou au premier étage ?

9 R. : Au premier étage.

10 Q. : Madame le Président, puis-je demander à Madame Sutherland ou à

11 l'huissier -- je serais tout à fait prêt à le faire moi-même avec

12 l'autorisation des juges -- de replacer le premier étage sur la

13 maquette afin que le témoin puisse indiquer où se trouvaient ces

14 pièces ?

15 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Monsieur l'huissier.

16 M. TIEGER : Merci. M. Hodzic, je vais vous demander dans un instant de

17 vous lever et de nous indiquer les pièces dont vous avez parlé. Je

18 vous demanderai de vous saisir du pointeur devant vous et de mettre

19 les écouteurs qui se trouvent sur la table devant vous. Si vous avez

20 l'occasion de répondre à une question, pourriez-vous parler dans le

21 micro qui se trouve sur cette même table ?

22 R. : Oui.

23 Q. : Puis-je vous demander de vous lever et de nous montrer tout d'abord

24 la pièce 15 ? Pouvez-vous vous décaler d'un côté ou de l'autre afin

25 que les Juges -- Vous pouvez vous reculer, peut-être, afin de pas

Page 4450

1 bloquer la vue aux Juges. Pourriez-vous nous remontrer la pièce 15 ?

2 R. : (Le témoin indique l'endroit sur la maquette)

3 Q. : Pour le procès-verbal, pouvez-vous lire les nombres qui sont écrits

4 sur le sol de la zone recouvrant la pièce 15 ?

5 R. : B23 et B8, ce sont les lavabos et les toilettes.

6 Q. : Je suis désolé, monsieur. Il semble qu'un chiffre ait été omis.

7 Pourriez-vous nous les redire rapidement ?

8 R. : B7 est la pièce 15.

9 Q. : Pouvez-vous nous montrer où se trouvait la grande salle dans laquelle

10 vous avez été transféré après l'interrogatoire ?

11 R. : (Le témoin indique l'endroit sur la maquette).

12 Q. : Quel(s) chiffre(s) figure(nt) sur le sol de la salle ?

13 R. : B14.

14 Q. : Pour revenir à la pièce 15, il semble y avoir une porte à droite

15 lorsque l'on fait face à la maquette. La voyez-vous ?

16 R. : (Le témoin indique l'endroit sur la maquette).

17 Q. : En regardant à droite de cette porte, y a-t-il une autre porte de

18 l'autre côté de cette pièce ?

19 R. : Oui, ici .

20 Q. : La porte était-elle maintenue ouverte ou fermée ?

21 R. : Elle était fermée. A clé.

22 Q. : Par conséquent, les prisonniers de la pièce 15 n'avaient pas accès à

23 l'autre partie du premier étage de l'autre côté de la porte ?

24 R. : Non, ils ne pouvaient pas emprunter ce passage pour aller d'un côté à

25 l'autre.

Page 4451

1 Q. : Dans la grande salle que vous avez indiqué, les gardes étaient-ils

2 postés à la porte au premier étage, à l'intérieur de cette pièce ?

3 R. : Non.

4 Q. : Comment les prisonniers entraient-ils dans cette salle ?

5 R. : Les prisonniers empruntaient les escaliers qui menaient à cette

6 grande salle à l'intérieur du hangar.

7 Q. : Les gardes étaient-ils au rez-de-chaussée ?

8 R. : Oui, au rez-de-chaussée.

9 Q. : Pour revenir à la pièce 15, il y a un ensemble de portes plus

10 petites, de pièces plus petites au-delà de la pièce 15. Que sont-

11 elles --Pouvez-vous tout d'abord nous les montrer ?

12 R. : Cette zone abrite des bacs en ciment et des robinets, où les ouvriers

13 pouvaient se laver les mains et le corps après leurs heures de

14 travail.

15 Q. : Si l'on se déplace vers la gauche du bâtiment et l'on dépasse la

16 pièce 15 -- excusez-moi, permettez-moi de vous poser un brève

17 question. A quoi correspond l'endroit que vous venez juste

18 d'indiquer ?

19 R. : Là, C'est l'endroit où se trouvaient les douches, où les mineurs

20 pouvaient aussi prendre une douche dans les cabines après leurs

21 heures de travail.

22 Q. : Si l'on regarde plus à gauche au-delà de la pièce 15, il y a un

23 couloir et des pièces qui donnent sur ce couloir, à quoi servaient

24 ces pièces ?

25 R. : Ces pièces étaient plus petites, un genre de bureaux qui, avant la

Page 4452

1 guerre, étaient utilisés pour les différentes activités de la mine.

2 Lorsque l'endroit est devenu un camp, l'un des bureaux a été utilisé

3 par les gardes, les gardiens du camp.

4 Q. : Si l'on suit le couloir vers la gauche, on trouve une grande pièce au

5 bout, la pièce que vous montrez maintenant, à quoi servait cette

6 pièce ?

7 R. : Cette pièce avant la guerre était le bureau de conception, pour

8 dessiner différentes choses, une salle de dessin que nous utilisions

9 à la mine pour travailler sur différents projets de conception.

10 Q. : Pendant la période où Omarska a servi de camp, la pièce a-t-elle été

11 utilisée pour enfermer des prisonniers ?

12 R. : Oui. Oui, à cette époque, il y avait des prisonniers dans cette pièce

13 Q. : Pour finir, en revenant une fois de plus à la grande salle, il y a

14 également des pièces qui apparaissent à gauche de cette salle.

15 Pouvez-vous les indiquer ? A votre gauche, au bout du couloir

16 lorsqu'on fait face à la pièce 15, à quoi servait ces pièces, celles

17 que vous êtes en train de montrer ?

18 R. : Ces pièces étaient également des bureaux. Je ne sais pas trop -- Je

19 ne savais pas à qui elles appartenaient, mais elles servaient de

20 bureaux pour la mine, etc.

21 Q. : Lorsque Omarska est devenu un camp pour les Croates et les Musulmans,

22 à quoi ont servi ces pièces ?

23 R. : Ces deux pièces étroites étaient les toilettes et les autres, même si

24 nous n'avions pas le droit de nous en servir, nous avons forcé la

25 serrure et nous venions parfois dans cette pièce quand l'autre était

Page 4453

1 bondée. C'était toujours bondé et certains utilisaient les autres

2 pièces. Personnellement, je ne l'ai pas fait.

3 Q. : Merci, Monsieur. Vous pouvez vous rasseoir. M. Hodzic, pouvez-vous

4 décrire les conditions générales qui régnaient à Omarska pendant

5 votre captivité ?

6 R. : Les conditions de vie à Omarska...Du point de vue d'un élément

7 fondamental et de base, l'eau que nous buvions, nous n'avions pas

8 d'eau potable du tout, parce que avant je travaillais dans la mine,

9 et nous n'en avions jamais eu. C'était de l'eau "industrielle", de

10 l'eau utilisée pour nettoyer le matériel, la pista et pas pour autre

11 chose. Pendant notre séjour dans le camp, nous avons bu cette eau et

12 nous étions heureux de boire cette eau imbuvable parce que même

13 celle-là, il n'y en avait pas beaucoup.

14 Q. : Combien de cabinets de toilettes les mineurs pouvaient-ils utiliser

15 avant la guerre ?

16 R. : Avant la guerre, une équipe comprenait environ 150 hommes, 50 hommes

17 et il y avait des W-C à peu près pour ce nombre d'hommes. Lorsque le

18 camp a été établi, la moitié des W-C s'est bouchée, alors que nous

19 étions des milliers là-dedans.

20 Q. : Quel a été l'effet de -- Permettez-moi de vous demander la chose

21 suivante. Pour ne parler que des W-C qui fonctionnaient, les hommes

22 y avaient-ils accès librement ?

23 R. : De temps en temps ?

24 Q. : Quel effet l'absence de sanitaires en quantités suffisantes et la

25 peur de les utiliser avaient-ils ?

Page 4454

1 R. : Si l'on décidait d'aller aux toilettes, les conséquences étaient très

2 graves. Il fallait s'attendre à être battu, frappé, passé à tabac.

3 Il y avait donc pleins d'hommes qui choisissaient tout simplement de

4 ne pas y aller et pour se soulager, ils utilisaient des bottes, des

5 boîtes en plastique, même des pantalons et puis ils attendaient un

6 instant. Parfois, il y avait un garde compréhensif qui nous

7 permettait de sortir rapidement et d'aller le jeter. C'est comme ça

8 que nous nous sommes débrouillés, ça n'était pas facile, mais nous

9 nous sommes débrouillés.

10 Q. : Outre les coups que vous receviez quand vous alliez aux toilettes,

11 étiez-vous aussi battus lorsque vous alliez manger ?

12 R. : Oui, tous les jours, sans faute. Nous y étions devenus insensibles,

13 voilà tout.

14 Q. : Etait-il demandé aux prisonniers de sortir de leur pièce et les

15 battait-on ou les tuait-on ?

16 R. : Oui, souvent.

17 Q. : Avez-vous vu des corps à Omarska, des corps de prisonniers musulmans

18 ?

19 R. : Oui.

20 Q. : Savez-vous comment ces corps étaient généralement transportés, quel

21 type de véhicules était utilisé ?

22 R. : Des véhicules qui appartenaient à la mine d'Omarska, un "TAM", un

23 petit "TAM", jaune et un gros camion "FAP", mais principalement des

24 véhicules appartenant à la mine.

25 Q. : Le camion "TAM" est un petit camion, n'est-ce pas ? un petit camion à

Page 4455

1 plateau ?

2 R. : Oui, un petit.

3 Q. : Le camion "FAP" dont vous parlez est un gros véhicule ?

4 R. : Non pas si gros, mais un peu tout de même. Sa capacité était d'à peu

5 près huit tonnes.

6 Q. : Avez-vous eu l'occasion de voir le camion "FAP" ou un camion "TAM"

7 être utilisé pour le transport de corps du camp d'Omarska ?

8 R. : Oui, une fois, j'ai vu un camion "FAP", on ne pouvait pas charger les

9 corps à la main, et une chargeuse avec un godet chargeur énorme a

10 été utilisée et ils ont charrié les corps, le godet chargeur

11 soulevait tous les corps et les laisser tomber dans le camion. Ils

12 ont fait avec les corps ce qu'ils faisaient avant avec des cailloux

13 et des blocs de pierre. Certains corps étaient déjà raides, d'autres

14 étaient mutilés. Ça n'était plus des corps. C'était l'horreur pure

15 et simple.

16 Q. : Avez-vous vu le camion "FAP" peu de temps après qu'un groupe

17 important de prisonniers est arrivé de Hambarine en juillet ?

18 R. : J'ai vu le camion lorsqu'un groupe de prisonniers est arrivé de la

19 zone de Hambarine et des villages environnants.

20 Q. : C'est après leur arrivée que vous avez vu le camion être chargé de

21 ces cadavres, après l'arrivée de ces prisonniers ?

22 R. : Oui.

23 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Nous allons lever l'audience jusqu'à 14h30.

24 Comme je l'ai indiqué, lorsque nous rouvrirons l'audience, nous

25 serons en séance à huis clos pendant 10 à 15 minutes.

Page 4456

1 (13h00)

2 (Pause-Déjeuner)

3 (14h30)

4 (Séance à huis clos)

5

6

7

8

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11

12

13 pages 4456-4475 expurgées – audience à huis clos

14

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19

20

21

22

23

24

25

Page 4476

1 (15.20)

2 (Brève suspension d'audience)

3 (15.30

4 (Audience publique)

5 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Nous allons poursuivre sans pause jusqu'à

6 17.30 puisque nous avons dû traiter différentes questions en

7 audience à huis clos. La sténotypiste est-elle d'accord? Très bien.

8 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : M. Tieger, allez-vous citer votre témoin

9 suivant à la barre, ou vous reste-t-il des questions à poser à M.

10 Besic ?

11 M. TIEGER : M. Hodzic.

12 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Je suis désolée, je n'ai pas son nom sous les

13 yeux. Très bien. Veuillez le faire entrer.

14 Rappel à la barre de M. HUSEIN HODZIC

15 Reprise de l'interrogatoire par M. TIEGER

16 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Veuillez-vous asseoir, monsieur. M. Tieger ?

17 M. TIEGER : Merci, Madame le Président.

18 M. Hodzic, juste quelques précisions sur certains points que vous

19 avez abordés précédemment. Tout d'abord, vous avez dit que l'eau qui

20 avait été utilisé auparavant à des fins industrielles, pour nettoyer

21 la pista, par exemple, était utilisée dans le camp en guise d'eau

22 potable pour les prisonniers. Lorsque vous dites "pour nettoyer la

23 pista avant la guerre", parlez-vous de cette zone entièrement

24 bétonnée où les gros véhicules et machines étaient garés.

25 R. : Oui.

Page 4477

1 Q. : Vous avez également dit de Jasko Hrnic qu'il possédait des motos.

2 Puis vous avez mentionné que son frère s'était tué avec l'une

3 d'entre elles et que Jasko ne voulait plus s'en servir. M. Hrnic

4 possédait-il d'autres motos ?

5 R. : Oui.

6 Q. : Vous souvenez-vous de la marque ou de la couleur ?

7 R. : Il y avait des grosses cylindrées, Kawasaki et Suzuki. Pour la

8 plupart, c'était des grosses motos et il en changeait souvent.

9 C'était un de ses passe-temps, et comme c'était un homme d'affaires

10 qui avait sa propre entreprise de transport, il en avait les moyens.

11 Q. : Vous rappelez-vous la couleur de l'une ou de l'autre de ses motos ?

12 R. : Je me rappelle l'une de ses motos Kawasaki. C'était une 50

13 centimètres cubes et j'ai eu le plaisir de faire un tour dessus avec

14 lui. Il conduisait et j'étais derrière, c'est pour ça que c'est de

15 celle-là dont je me souviens le mieux.

16 Q. : Vous rappelez-vous la couleur de cette moto ?

17 R. : Cette moto était rouge.

18 JUGE STEPHEN : Avant de passer à autre chose, nous nous intéressons

19 seulement à la dernière moto qu'il a eu en sa possession, n'est-ce

20 pas ? D'après ce que je comprends de ce que dit le témoin, il parle

21 de toutes les motos possédées sur plusieurs années.

22 M. TIEGER : Peut-être cela n'était-il pas clair.

23 JUGE STEPHEN : Pouvez-vous éclaircir ce point ?

24 M. TIEGER : Oui, merci, monsieur le Juge. Vous avez raison, j'ai commencé

25 en parlant des motos qu'il possédait encore après le moment où

Page 4478

1 l'autre a été accidentée. (Au témoin) : M. Hodzic, la moto dont vous

2 venez de parler, la rouge sur laquelle vous êtes monté, M. Hrnic la

3 possédait-elle encore juste avant le début de la guerre ?

4 R. : Je crois que oui. Je crois que c'est la dernière qu'il a eue à

5 l'époque.

6 Q. : Merci. M. Hodzic, pour revenir à Omarska, les prisonniers étaient-ils

7 régulièrement appelés pour sortir de la pièce ?

8 R. : Oui.

9 Q. : Certains des prisonniers sont-ils revenus ?

10 R. : Oui, certains.

11 Q. : Dans quel état les prisonniers qui revenaient se trouvaient-ils

12 souvent ?

13 R. : Ils avaient l'air d'avoir été frappés, certains pouvaient revenir

14 seuls, d'autres étaient ramenés dans une couverture, cela dépendait

15 des situations.

16 Q. : Vous souvenez-vous d'un homme du nom de Silvio Saric ?

17 R. : Oui.

18 Q. : Etait-il Président du parti du HDZ à Prijedor avant la guerre ?

19 R. : Oui.

20 Q. : L'a-t-on appelé à l'extérieur et est-il revenu ?

21 R. : On lui a ordonné de sortir et il est revenu.

22 Q. : Dans quel état était-il ?

23 R. : Son état était l'un des pires de tous les hommes qui sortaient et

24 rentraient. Il était -- Il a fallu le ramener à l'intérieur. Il ne

25 pouvait plus marcher tout seul. Les seuls signes de vie qu'il

Page 4479

1 montrait étaient une respiration haletante et son regard. Toutes les

2 autres fonctions de son corps étaient réduites à néant.

3 Q. : M. Saric a-t-il succombé à ses blessures quelques jours après son

4 retour ?

5 R. : Oui. Il est mort dans la pièce quelques jours plus tard.

6 Q. : Certains prisonniers ont-ils été appelés à l'extérieur et tués dehors

7 ?

8 R. : Oui.

9 Q. : Connaissiez-vous, par exemple, un homme portant le nom de Sefik Sivac

10 ?

11 R. : Oui, je le connaissais bien.

12 Q. : Que faisait-il avant la guerre ?

13 R. : Avant la guerre, il avait l'un des restaurants les plus luxueux de

14 Kozarac, le "De Luxe", qu'il a par la suite rebaptisé

15 "l'International" puis il a tenu un café à Prijedor au vieux marché.

16 Q. : Avait-il déjà été frappé avant qu'on ne lui ordonne de sortir pour la

17 dernière fois ?

18 R. : Oui.

19 Q. : Après que Sefik Sivac ait été appelé pour la dernière fois, avez-vous

20 pu voir son corps par la suite ?

21 R. : Oui, le lendemain, j'ai vu son corps, son cadavre.

22 Q. : Dans quel état était son corps ?

23 R. : Ça ressemblait à tout sauf à un corps. Les vêtements étaient en

24 lambeaux. On voyait clairement du sang. C'était tout simplement --

25 Le cadavre avait une forme terrible.

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1 Q. : Ce cadavre était-il seul ou était-il entassé avec d'autres ?

2 R. : Son corps se trouvait sur un tas formé par d'autres corps, environ

3 10, huit à dix corps. J'ai reconnu le sien et celui d'un autre

4 homme.

5 Q. : Juste pour le procès-verbal, j'ai remarqué que dans le transcript, le

6 nom "Dzavid Sivac" apparaît deux fois, et la personne au sujet de

7 laquelle je vous ai posé ces questions est bien Sefik Sivac, n'est-

8 ce pas ? Vous parliez de Sefik Sivac ?

9 R. : Sefik Sivac.

10 Q. : Certains prisonniers ont-ils reçu l'ordre de sortir et ont tout

11 simplement disparu ?

12 R. : Beaucoup.

13 Q. : M. Hodzic, aviez-vous une place attitrée, un endroit où vous vous

14 trouviez normalement dans la grande salle ?

15 R. : Oui, nous avions tous nos places plus ou moins attitrées. Lorsque

16 quelqu'un rentrait pour la première fois, il conservait généralement

17 la première place qu'il trouvait. C'était une habitude. J'avais ma

18 place.

19 Q. : Emir Karabasic était-il dans votre pièce ?

20 R. : Oui.

21 Q. : Se trouvait-il près de vous ?

22 R. : Oui, c'était le troisième homme sur ma gauche.

23 Q. : Puis-je vous demander de vous lever et de nous montrer sur la

24 maquette où vous vous trouviez dans la pièce et où se trouvait M.

25 Karabasic ?

Page 4481

1 R. : Oui. (Le témoin indique un emplacement sur la maquette). J'étais ici.

2 Q. : Pour le procès-verbal, cela correspond-il à un emplacement le long du

3 mur du fond de la pièce, quand on rentre, près du coin gauche ?

4 R. : Oui, j'appuyais ma tête contre le mur, ce qui veut dire que j'étais

5 dans le dernier rang contre le mur, ici.

6 Q. : Emir Karabasic était-il proche de vous ?

7 R. : Sur la gauche, la troisième personne à partir de moi.

8 M. TIEGER : Les juges ont-ils vu le dernier emplacement qui vient d'être

9 indiqué ?

10 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Non, pas le dernier emplacement. Je n'ai pas

11 vu le dernier mais j'ai vu le premier endroit qu'il a indiqué, celui

12 où il était assis.

13 M. TIEGER : Oui, il y avait un meilleur angle à l'écran.

14 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Indiquez-le une nouvelle fois en nous

15 permettant de voir.

16 M. TIEGER : Pourriez-vous nous montrer à nouveau votre emplacement ?

17 Pourriez-vous très rapidement nous indiquer à nouveau où vous vous

18 trouviez ?

19 R. : (Le témoin indique son emplacement sur la maquette).

20 Q. : Merci. Je suis désolé. Pourriez-vous retourner vous asseoir -- avant

21 cela, permettez-moi de vous poser une ou deux autres questions.

22 Savez-vous où Enver Alic était détenu ?

23 R. : Enver Alic se trouvait dans cette pièce-ci, mais dans le hall, là.

24 Q. : Savez-vous où était Jasko Hrnic ?

25 R. : Dans la pièce sous la grande salle.

Page 4482

1 Q. : Merci. Vous pouvez retourner vous asseoir. Certains prisonniers

2 pouvaient-ils parfois se rendre visite d'une pièce à l'autre ?

3 R. : Oui, c'était possible.

4 Q. : Et cela dépendait de quoi ?

5 R. : Ça dépendait des gardes, de chaque garde et de sa personnalité, de

6 son degré de bienveillance.

7 Q. : Vous avez mentionné le fait qu'Emir Karabasic et Jasko Hrnic étaient

8 de bons amis. Emir Karabasic rendait-il parfois visite à Jasko Hrnic

9 ?

10 R. : Oui.

11 Q. : Vous souvenez-vous du jour où Emir Karabasic a reçu l'ordre de sortir

12 de la grande salle pour la dernière fois ?

13 R. : Je m'en souviens.

14 Q. : Vous rappelez-vous plus ou moins la date de ce jour ?

15 R. : Pas la date, mais c'était en juin, entre le 15 et le 20 juin.

16 Q. : Vous rappelez-vous approximativement de l'heure à laquelle cela s'est

17 produit ?

18 R. : Dans l'après-midi, entre 4h00 et 6h00. Je ne sais pas quelle heure il

19 était exactement.

20 Q. : Avait-on déjà ordonné à Emir Karabasic de sortir auparavant ?

21 R. : Oui.

22 Q. : Dans quel état était-il le jour où on l'a appelé pour la dernière

23 fois ?

24 R. : Son état était très mauvais, il avait de nombreuses marques de coups.

25 Il était tout noir. On voyait nettement des marques de chaîne sur

Page 4483

1 son torse, des marques de coups de barre de métal, parce que la

2 ligne était droite. Environ 90 pour cent de son corps était noir,

3 même la plante de ses pieds parce qu'il était pieds nus, il n'avait

4 pas de chaussettes. La plante de ses pieds était donc noire, et cela

5 lui posait un grave problème parce qu'il ne pouvait plus marcher.

6 Q. : Etait-il en train de se remettre des passages à tabac précédents le

7 jour où on l'a appelé pour la dernière fois ?

8 R. : Je ne sais pas. Il s'était assez bien remis. Je ne sais pas s'il

9 s'était complètement remis mais presque.

10 Q. : Emir Karabasic était-il inquiet de l'éventuelle venue de telle ou

11 telle personne au camp ?

12 R. : Oui, sa plus grande crainte était l'arrivée de Dule Tadic. Je crois

13 que c'est ce qu'il craignait le plus, il le répétait, il insistait

14 sur ce point. Je ne sais pas pourquoi. J'ai essayé plusieurs fois

15 lorsque j'en ai eu l'occasion de lui demander pourquoi. Je pensais

16 que c'était l'un des ses amis, un vieil ami ; peut-être pouvait-il

17 s'attendre à recevoir un peu d'aide de sa part et ne pas le craindre

18 parce que Emir et moi (sic) étions de bons amis.

19 Une fois, il a réussi à me dire seulement, "J'ai vu quelque chose

20 que je n'aurai pas dû voir, je me suis trouvé à un endroit où je

21 n'aurais pas dû être". Il n'a pas dit ce qu'il avait vu ni où il

22 s'était trouvé, mais il avait très peur. La seule pensée de Dusko

23 Tadic le terrorisait. Je ne comprenais pas -- peut-être que, même

24 aujourd'hui, je ne comprends toujours pas.

25 M. KAY : Madame le Président, puis-je soulever un point ? Nous évoluons

Page 4484

1 ici dans une sphère où des éléments de preuve préjudiciables à

2 l'accusé sont présentés, qui, selon moi, l'empêchent de jouir d'un

3 procès équitable, à cause de la nature de ces éléments de preuve qui

4 sont en fait une conversation relatée impliquant une tierce

5 personne. Ces propos tombent dans la catégorie de preuves indirectes

6 au sujet desquelles nous avons déjà exprimé notre opposition.

7 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : M. Tieger ?

8 M. TIEGER : Madame le Président, même dans un système juridique dont les

9 principes régissant l'ouï-dire sont très rigoureux, cet élément de

10 preuve devrait faire l'objet d'une "exception d'état d'esprit". De

11 plus, c'est un élément de base qui précède une autre déclaration

12 faite en anticipation de mort".

13 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : M. Kay ?

14 M. KAY : Puis-je répondre ? Tout d'abord, il n'y a rien qui vienne étayer

15 l'argument de l'anticipation de mort qui est l'exception à la règle

16 de l'ouï-dire dans les systèmes juridiques acceptant la preuve

17 indirecte. Il n'y a rien dans les éléments présentés par

18 l'Accusation qui montre que les déclarations faites à cette époque

19 par cette partie tombent dans cette catégorie.

20 L'état d'esprit de la partie auquel il est fait référence n'est pas

21 pertinent en l'espèce. Je ne vois pas comment l'état d'esprit d'une

22 personne pourrait avoir un quelconque effet sur la situation lorsque

23 les actes sont perpétrés par une autre personne et comment cela peut

24 être pertinent dans cette affaire. Si l'Accusation envisage la

25 situation en partant de cette base, alors nous déclarons qu'ils

Page 4485

1 commettent une erreur fondamentale dans la manière dont ils

2 présentent cet élément de preuve et la base de leur argument.

3 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : M. Tieger ?

4 M. TIEGER : Tout d'abord, Madame le Président, il me semble clair que

5 l'état d'esprit de cette victime-là a un rôle à jouer dans l'analyse

6 générale de cet incident et a valeur probante lorsqu'il est placé

7 dans le contexte des faits.

8 Deuxième point, cette déclaration n'a pas été entendue -- Je ne

9 fonde pas cet élément de preuve en particulier sur la prévision de

10 mort à ce moment précis, mais c'est une première étape vers une

11 déclaration faite au moment où la victime était directement

12 confrontée à l'éventualité qu'elle craignait tant, et si vous me

13 permettez d'utiliser cette déclaration, à ce moment-là, il croyait

14 fermement être un homme mort.

15 Comme vous l'entendrez, cette déclaration est entièrement fiable en

16 tant qu'expression d'une impression immédiate et d'une sensation

17 spontanée qui permettrait son admission, même dans un système

18 juridique très strict sur le point de la preuve indirecte.

19 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Comme vous l'avez dit à plusieurs reprises,

20 notre Règlement de procédure et de preuve n'exclut pas explicitement

21 la preuve indirecte. L'article 89 C) prévoit l'admission de tout

22 élément de preuve pertinent et ayant valeur probante. La requête que

23 vous avez déposé sur la preuve indirecte, ou l'ouï-dire, pour

24 laquelle nous vous avons promis que vous recevriez une réponse cette

25 semaine, le -- Nous avons entendu vos arguments la semaine dernière,

Page 4486

1 nous y travaillons actuellement -- Il y a en fait deux parties dans

2 cette requête. L'une étant que tout élément de preuve présenté qui

3 porte directement sur la culpabilité de l'accusé soit exclus s'il

4 s'agit de preuve par "ouï-dire" et si elle ne tombe pas, je suppose,

5 dans l'une des catégories d'exceptions reconnues et mentionnées dans

6 vos arguments écrits. Vous en citez deux, les cas de déclaration

7 faite sous l'emprise d'un choc ou d'un état d'excitation et une

8 autre que j'ai oubliée.

9 La deuxième partie de votre requête, cependant, demande que les

10 Juges n'entendent pas ce témoignage, même s'il tombe dans une des

11 catégories d'exception, jusqu'à ce que nous déterminions les

12 circonstances dans lesquelles le témoignage a été recueilli. Nous

13 n'avons pas statué, mais nous travaillons sur la décision et nous en

14 débattons. Par conséquent, je rejette votre objection.

15 Une fois de plus, c'est la valeur probante qui nous intéresse.

16 L'article 89 D) du Règlement permet à ce Tribunal ou à une Chambre

17 de première instance d'écarter tout élément de preuve dont la valeur

18 probante, bien qu'elle existe, est largement inférieure à l'exigence

19 d'un procès équitable. Il n'y est pas question d'"effet

20 préjudiciable", mais de "procès équitable". À ce stade, nous

21 interprétons cet article d'une manière qui nous autorise à entendre

22 ce témoignage. Ce témoignage est certainement pertinent, il semble

23 avoir valeur probante. S'il apparaît qu'il est largement inférieur à

24 la nécessité pour M. Tadic de jouir d'un procès équitable, dans ce

25 cas-là, nous ne le prendrons pas en considération. Il n'influencera

Page 4487

1 pas notre décision finale en l'espèce.

2 Je rejette donc votre objection. M. Tieger, veuillez poursuivre.

3 M. TIEGER : Merci, Madame le Président.

4 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Le fait que M. Tieger élève ces objections et

5 que tous les deux vous deviez débattre de ce genre de détails met en

6 lumière un problème auquel doit faire face un tribunal international

7 qui nous amène à travailler dans un nouveau système qui combine les

8 systèmes de tradition civiliste, où l'ouï-dire n'est même pas prise

9 en compte, et les systèmes de common law. M. Tieger, des États-Unis,

10 nous parle d'exceptions que je suis à même de connaître, alors que

11 vous faites référence à des exceptions sans doute plus connues des

12 juges Stephen et Vohrah. Nous nous concentrons sur une chose tout à

13 fait différente, à savoir la valeur probante. Lorsque nous vous

14 communiquerons notre décision, nous espérons que vous comprendrez

15 notre analyse. Cependant, je rejette votre objection.

16 M. KAY : Oui, Madame le Président.

17 M. TIEGER (au témoin) : Emir Karabasic vous a-t-il dit ce qu'il pensait

18 qu'il allait advenir si Dule Tadic venait au camp ?

19 R. : Oui, il a été très clair. Il a dit qu'il n'existerait plus, ce qui

20 voulait dire qu'il allait être tué. Je suis tout à fait sûr de cela.

21 Il n'a pas dit cela une seule fois, il a répété quelque chose comme

22 "Si Dule vient, alors je ne suis plus là, je suis fini" à plusieurs

23 reprises.

24 Q. : Comment était-il quand il disait cela ?

25 R. : Je ne l'avais jamais vu dans un état pareil -- une peur panique,

Page 4488

1 misérable, terrifié. Un homme qui n'avait jamais eu peur de rien, un

2 homme très conscient de sa dignité et qui était tombé si bas.

3 Q. : Vous avez dit que lorsque vous lui posiez des questions, il ne vous

4 disait pas exactement pour quelles raisons il avait peur. Les

5 prisonniers rechignaient-ils à partager les choses qu'ils avaient vu

6 ?

7 R. : Oui, c'était, si l'on peut dire, la première chose à dire à quelqu'un

8 parce que plus vous en saviez, plus vous aviez de chances de vous

9 faire tuer. C'est pour cette raison que les gens, un frère par

10 exemple, ne disait rien à son frère, parce que s'il savait quelque

11 chose, alors vous vous feriez tuer afin que vous ne le sachiez plus.

12 Q. : Excusez-moi, je souhaiterais simplement éclaircir l'interprétation.

13 L'interprétation dit "c'était la première chose à dire à quelqu'un

14 parce que plus vous en saviez, plus vous aviez de chances de vous

15 faire tuer." La première chose à dire, c'était donc de dire aux

16 nouveaux prisonniers qu'ils ne devaient pas se parler entre eux ?

17 R. : C'est ce que nous pensions, parce que si quelqu'un avait assisté à la

18 perpétration d'un acte monstrueux, alors cette personne

19 disparaissait peu de temps après, mais pas tous, heureusement pas

20 tous parmi nous. Certains survivaient parce qu'il est impossible de

21 détruire un peuple.

22 Q. : Le jour, où l'après-midi, au cours duquel il a été ordonné pour la

23 dernière fois à Emir Karabasic de sortir, en quels termes cet ordre

24 a-t-il été formulé ?

25 R. : Emir Karabasic doit descendre.

Page 4489

1 Q. : D'où venait la voix ?

2 R. : Du rez-de-chaussée, de la pièce en face de la porte d'entrée que l'on

3 devait traverser pour pouvoir monter jusqu'à la grande salle dans

4 laquelle Emir Karabasic et moi-même nous trouvions.

5 Q. : Comment a réagi Emir Karabasic ? Dans quel état était-il après avoir

6 entendu son nom ?

7 R. : Il a sauté sur ces pieds, il était pale, effrayé. Il s'est levé pour

8 se rendre à la fenêtre. Il a fallu qu'il passe par dessus mon pied,

9 mes jambes. Il est donc allé jusqu'à la fenêtre, s'est penché, puis

10 il s'est retourné vers nous, il était aussi face à moi à ce moment-

11 là, et à ce moment-là, j'ai pensé que la peur allait le faire

12 mourir, mais la seule chose qu'il a dite était "Dule est arrivé, je

13 suis fini".

14 M. TIEGER : Madame le Président, Peut-on enregistrer cette photographie

15 sous la cote 270 aux fins d'identification, s'il vous plaît ? Peut-

16 on la faire apparaître sur l'écran sous le numéro 15/32 ? M. Hodzic,

17 reconnaissez-vous cette photographie ?

18 R. : Oui, c'est la pièce dans laquelle je me trouvais, avec Emir

19 Karabasic.

20 Q. : Le mur que l'on voit à droite sur la photographie, est-ce le mur du

21 fond de la pièce contre lequel vous étiez adossé ?

22 R. : Oui, c'est le mur du fond, près des armoires bleues.

23 Q. : Le placard bleu était-il déjà là à l'époque ?

24 R. : Non.

25 Q. : La fenêtre que l'on voit à droite ou au centre de la photographie

Page 4490

1 est-elle la fenêtre vers laquelle Emir Karabasic s'est rendu après

2 avoir entendu son nom ?

3 R. : Oui.

4 Q. : Qu'a-t-il fait quand il est arrivé à la fenêtre ?

5 R. : Cette fenêtre, c'était pour nous une source d'oxygène, d'air, elle

6 était ouverte en permanence, et il est donc allé jusqu'à la fenêtre.

7 Il n'avait pas besoin de se pencher au-dessus car la vue était

8 large. Il s'est alors retourné et a dit "Dule est là, c'en est fini

9 de moi".

10 Q. : Quel air avait-il à ce moment-là ?

11 R. : Il avait l'air tellement terrifié, il avait perdu tout espoir de

12 pouvoir revenir après cet appel. Plus d'espoir et une peur immense.

13 Q. : Emir Karabasic est-il descendu ?

14 R. : Oui.

15 Q. : Quels bruits vous sont parvenus du rez-de-chaussée du hangar, après

16 son départ ?

17 R. : Je n'ai pas entendu la question.

18 Q. : Quels bruits vous sont parvenus du rez-de-chaussée du hangar, après

19 son départ ?

20 R. : Un bruit de coups, de passage à tabac qui a commencé immédiatement,

21 des obscénités. Cet acte barbare avait déjà commencé.

22 Q. : Avez-vous entendu le nom d'autres prisonniers être appelés après Emir

23 Karabasic ?

24 R. : J'ai entendu celui de Jasko Hrnic. Il a été appelé plusieurs fois.

25 Q. : Pendant combien de temps les bruits de coups et les cris vous sont-

Page 4491

1 ils parvenus d'en bas ?

2 R. : D'après moi et sachant que nous n'avions pas de montre, et de toute

3 façon, personne n'aurait pensé à regarder l'heure, cela doit avoir

4 duré environ une heure, à 10 minutes près, mais nous n'avions pas de

5 montre. Les gardes nous les avaient prises.

6 Q. : Pouvez-vous nous dire combien de prisonniers ont été passés à tabac

7 en bas, d'après les bruits que vous avez perçu ?

8 R. : Plusieurs. J'en ai reconnu certains au son de leur voix, parce que

9 les cris s'alternaient, ils ne venaient pas d'un seul homme. C'est

10 différent. Vous savez, vous connaissez un homme, vous le connaissez

11 très bien et puis il gémit, il hurle, et cela continue avec un

12 deuxième, puis un troisième.

13 Q. : Avez-vous pu évaluer combien de gardes ou d'autres personnes

14 passaient les prisonniers à tabac ?

15 R. : Un certain nombre de gardes. Je ne sais pas combien. Je ne pouvais

16 pas les compter mais il y en avait un certain nombre parce qu'un

17 homme ne peut pas distribuer tous ces coups aussi vite et les

18 atteindre tous, et chacun avait ses jurons de prédilection. On

19 distinguait clairement qu'il y avait différentes personnes. Combien,

20 je ne sais pas.

21 Q. : Pendant l'heure qu'a duré approximativement le passage a tabac, avez-

22 vous entendu des ordres qui étaient proférés ?

23 R. : Oui.

24 Q. : Qu'avez-vous entendu ?

25 R. : Des mots dont je ne croyais pas capable un homme digne de ce nom,

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1 "Mords", "Tire", "Attrape", "Déchire", ce genre de choses. Je sais

2 très bien que l'objet de ces ordres étaient les parties génitales

3 des victimes parce qu'à ce moment-là, j'ai entendu, veuillez excuser

4 mon langage très cru "Arrache-lui les couilles avec tes dents" et

5 c'était très clair parce qu'un homme n'en a qu'à un seul endroit.

6 Cette douleur, la douleur de ces hommes, ces hurlements de douleur,

7 c'était si atroce. Hitchcock, ça n'est rien, c'est juste un

8 cinéaste, il n'est rien par rapport à eux, pour montrer quelque

9 chose comme ça. A travers la douleur et les hurlements, ils les

10 imploraient, les gens qui subissaient cela les imploraient, mais les

11 auteurs semblaient trouver du courage dans ces actes. Il y avait de

12 plus en plus de bruits et les coups étaient de plus en plus

13 violents. C'était horrible.

14 Q. : Et, pendant tout cela, avez-vous essayé de ne pas écouter ?

15 R. : Oh oui, j'ai essayé, j'ai essayé de me boucher les oreilles. J'ai

16 prié Dieu pour ne plus être là parce que ces cris de douleur étaient

17 difficiles, très difficiles à endurer pour un homme normal. J'ai

18 donc essayé de baisser la tête, de mettre mes mains sur mes

19 oreilles, et je les enlevais, peut-être allais-je entendre quelqu'un

20 qui réussissait à survivre, et puis, je les couvrais à nouveau.

21 C'était -- Si je devais revivre ça, je ne crois pas que j'y

22 survivrai, juste le fait d'entendre ce qui se passait.

23 C'est la pire des choses qui me soient arrivées dans le camp et dans

24 ma vie. C'est quelque chose de difficile, de difficile à décrire. Il

25 faut vraiment que la chance vous ait quitté pour vivre une chose

Page 4493

1 pareille. C'est seulement si la chance vous a quitté, si vous n'avez

2 absolument pas de chance qu'une telle chose peut vous arriver.

3 Q. : M. Hodzic, lorsque que les bruits qui montaient du rez-de-chaussée du

4 hangar se sont finalement tus, c'est-à-dire, les bruits que vous

5 avez décrits, avez-vous ensuite entendu autre chose dans le hangar,

6 une fois l'incident terminé ?

7 R. : Lorsqu'ils ont arrêté les passages à tabac et que les cris, les

8 gémissements, je ne sais pas comment les appeler, se sont tus, une

9 pause a suivi, une pause. Je ne sais pas combien de temps elle a

10 duré. Je ne sais pas ce qu'est un silence de mort, c'est une

11 expression couramment utilisée. Il régnait un silence de mort. Puis

12 nous avons entendu le bruit d'un petit camion, un TAM, et lorsque le

13 bruit s'est éloigné, on a entendu un bruit de lavage, quelqu'un

14 lavait quelque chose.

15 Q. : Vous souvenez-vous s'il y avait de la musique au cours de l'incident

16 ou après ?

17 R. : À l'époque, la musique représentait un facteur motivant, cela les

18 aidait aussi. Elle leur remontait le moral, aux gardes, à ces

19 hommes, je ne sais pas comment les appeler. Je ne veux pas les

20 insulter, mais ces hommes, ces humains, passaient de la musique. Les

21 paroles sont maintenant gravées dans ma mémoire, "Laissez moi vivre,

22 ne touchez pas à mon bonheur", et la traduction de ces paroles est

23 suffisamment claire et montre quelles étaient leurs intentions. Les

24 hommes torturés devaient sentir deux sortes de douleur, une douleur

25 physique à cause des coups et une douleur psychologique en entendant

Page 4494

1 les paroles provocantes de la chanson.

2 Q. : M. Hodzic, avez-vous revu Emir Karabasic, Jasko Hrnic ou Enver Alic

3 vivants après ce jour ?

4 R. : Non.

5 Q. : Avez-vous jamais vu Dule Tadic à Omarska ?

6 R. : Oui.

7 Q. : Où étiez-vous lorsque vous l'avez vu ?

8 R. : Je faisais la queue pour le déjeuner, par groupe de 30 et, au moment

9 où je suis sorti, il y avait déjà une queue dans la cuisine. Nous

10 attendions le long du mur de ce bâtiment devant moi. Dans l'angle de

11 la cuisine se tenait Dusko Tadic. Je le connaissais très bien, et

12 j'ai senti la peur m'envahir à l'idée d'être repéré par lui.

13 Q. : S'agissait-il de l'angle faisant directement face à l'endroit où les

14 prisonniers faisaient la queue ? L'angle de la cuisine faisant

15 directement face à l'endroit où les prisonniers faisaient la queue ?

16 R. : Oui, oui, et je regardais droit devant, c'est-à-dire que mon regard

17 était tourné dans sa direction.

18 Q. : Comment les prisonniers faisaient-ils la queue ?

19 R. : En file indienne.

20 Q. : Tournés dans quelle direction ?

21 R. : La direction de la cuisine.

22 Q. : Donc votre épaule droite était contre le mur ?

23 R. : Oui, contre le mur.

24 Q. : Les prisonniers faisaient-ils toujours la queue ainsi pour aller

25 déjeuner ?

Page 4495

1 R. : Pas toujours. Parfois, nous devions nous mettre face au mur, parfois

2 regarder nos pieds. Ça dépendait. Le plus souvent, nous ne pouvions

3 ni regarder devant nous, ni sur les côtés.

4 Q. : Comment Dule Tadic était-il vêtu ce jour-là, si vous vous en souvenez

5 ?

6 R. : Je me souviens qu'il portait un uniforme de camouflage.

7 Q. : Y avait-il beaucoup de soldats ou de gardes à l'endroit où il se

8 trouvait ?

9 R. : Oui, sur la gauche par rapport à moi, c'était courant, c'était là que

10 se tenaient les gardes, tous les jours. C'était le poste de la

11 sentinelle. Un garde se tenait là, cherchant à se protéger du

12 soleil. Ils avaient installé un genre de store improvisé et il se

13 tenait devant eux à l'angle du restaurant.

14 Q. : Après avoir repéré et reconnu Dule Tadic et commencé à avancer pour

15 aller déjeuner, avez-vous tenté de vous dissimuler pour ne pas qu'il

16 vous voie ?

17 R. : J'ai fait ce que j'ai pu pour ne pas qu'il me remarque.

18 Q. : Savez-vous s'il se trouvait encore sur place lorsque vous êtes

19 revenus du déjeuner quelques minutes plus tard ?

20 R. : Oui, il était toujours là.

21 Q. : M. Hodzic, voyez-vous M. Dule Tadic dans ce prétoire ?

22 R. : Si je le vois ?

23 Q. : Oui, pouvez-vous regarder autour de vous et nous dire si vous voyez

24 Dule Tadic dans ce prétoire ?

25 R. : Oui, je le vois. Il est assis entre deux policiers, il a un visage

Page 4496

1 peu amène et il porte une cravate. Je le vois bien.

2 M. TIEGER : Le procès-verbal pourra-t-il faire état de l'identification de

3 l'accusé ?

4 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Le procès-verbal mentionnera état de

5 l'identification de l'accusé par le témoin mais, M. Hodzic, s'il

6 vous plaît, veuillez éviter les descriptions négatives. Dites-nous

7 seulement ce que porte M. Tadic. Cela sera suffisant. Merci.

8 M. TIEGER : Je n'ai plus de questions, Madame le Président.

9 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Voulez-vous contre-interroger le témoin, M.

10 Kay ?

11 M. KAY : Oui, Madame le Président.

12 (Contre-interrogatoire par M. KAY)

13 Q. : M. Hodzic, d'après ce que vous nous avez dit, vous n'avez pas vu Dule

14 Tadic dans le camp, cet après-midi au cours duquel Emir Karabasic a

15 été appelé ?

16 R. : Si, je l'ai vu.

17 Q. : Vous nous avez dit que Emir Karabasic vous avait déclaré avoir peur

18 de Dusko Tadic ?

19 R. : Oui, je l'ai entendu le dire.

20 Q. : Vous nous avez dit qu'il s'était confié à vous ?

21 R. : Oui.

22 Q. : Emir Karabasic était un homme connu à Kozarac ?

23 R. : Oui.

24 Q. : Beaucoup de gens du camp connaissaient son identité ?

25 R. : Je suppose, oui.

Page 4497

1 Q. : Ce qu'il semble vous avoir dit est "Si Dusko Tadic vient au camp et

2 apprend que je suis ici, alors quelque chose va m'arriver" ?

3 R. : Oui, c'est ce qu'il m'a dit.

4 Q. : Donc, avant cette après-midi là, aucun indice dans le discours d'Emir

5 Karabasic n'indiquait que Dusko Tadic était déjà venu au camp et

6 qu'il savait qu'il était là ?

7 R. : Il ne me l'a pas dit.

8 Q. : L'après-midi où Emir Karabasic a été appelé, vous souvenez-vous si un

9 ou plusieurs autres noms ont été appelés ?

10 R. : Oui, Jasko Hrnic.

11 Q. : Quelqu'un d'autre ?

12 R. : Je n'ai pas entendu.

13 Q. : Eno Alic, par exemple, savez-vous qu'il a été appelé ?

14 R. : Il n'a pas été appelé, d'après ce que j'ai entendu. Je n'ai pas

15 entendu qu'on l'appelait. Je ne sais pas comment il est sorti de la

16 pièce mais on ne l'a pas appelé.

17 Q. : Avez-vous entendu d'autres personnes être appelées ?

18 R. : Cet après-midi là ?

19 Q. : Oui.

20 R. : Non.

21 Q. : Donc, vous n'avez entendu que ces deux noms et vous vous trouviez

22 dans cette pièce au premier étage au bout du couloir lorsque vous

23 avez entendu ces noms, c'est ça ?

24 R. : Oui.

25 Q. : Est-ce la pièce dans laquelle vous êtes resté durant votre période de

Page 4498

1 détention à Omarska jusqu'au moment où vous avez été transféré ?

2 R. : Oui, mais avant l'interrogatoire, j'étais dans la pièce 15.

3 Q. : Oui, mais vous êtes resté dans cette pièce jusqu'à ce que vous

4 finissiez par être transféré en août, n'est-ce pas ?

5 R. : Oui.

6 Q. : En fin d'après-midi lorsque ces incidents ont eu lieu, avez-vous

7 parlé à d'autres personnes de ce qui s'était passé ?

8 R. : Après cet événement ?

9 Q. : Oui.

10 R. : Je n'en avais pas le courage, parce que si l'un d'entre nous

11 commençait à poser des questions sur quelque chose, alors cela

12 pouvait devenir dangereux.

13 Q. : Savez-vous de qui je parle lorsque je parle du témoin G ? Vous a-t-on

14 dit que c'est le pseudonyme à employer si l'on parlait au cours de

15 ces débats d'une personne qui se trouvait dans le camp ?

16 R. : Non.

17 Q. : Je voudrais que vous regardiez ce morceau de papier. Je ne veux pas

18 que les personnes se trouvant dans la galerie du public derrière

19 vous le voie, alors assurez-vous de le maintenir juste devant vous,

20 puis veuillez plier la feuille.

21 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Mettez-le à plat sur la table. Voulez-vous

22 montrer ce papier au Procureur ? (le morceau de papier est transmis)

23 M. KAY (Au témoin) : Ce nom que j'ai écrit sur un morceau de papier est-ce

24 le nom d'une personne dont vous savez qu'elle a participé aux

25 événements du hangar ?

Page 4499

1 R. : Je l'ai entendu dire mais je n'en suis pas sûr.

2 Q. : Avez-vous vu cette personne que nous appellerons G, vous comprenez,

3 participer aux événements qui se sont déroulés cet après-midi là ?

4 R. : Je n'ai pas vu ce qui s'était passé cet après-midi là et je n'ai pas

5 vu la personne G.

6 Q. : Parce que ce que je suggère, c'est que vous avez dit à ce Tribunal

7 qu'Emir Karabasic a mentionné Dule Tadic au moment où il quittait la

8 pièce parce que vous voulez impliquer Dusko Tadic dans les

9 événements qui se sont produits cet après-midi là ?

10 R. : Je ne veux pas incriminer Dusan Tadic. Je veux incriminer ceux qui

11 sont coupables de quelque chose et pas seulement Dusko Tadic

12 personnellement. Je préférerais pouvoir le défendre que l'accuser.

13 Q. : Ce que je suggère, c'est que vous avez inventé cette histoire pour

14 l'impliquer dans ce que vous dites avoir entendu ?

15 R. : C'est faux. Je ne l'ai pas inventé.

16 Q. : Avez-vous toujours parlé de ce qui s'était produit cet après-midi là

17 sans rien inventer sur ce que vous pensez qu'il s'est passé, sans

18 inventer des parties de l'histoire ?

19 R. : Je n'ai rien inventé, ni ajouté quoi que ce soit à l'histoire et je

20 vous demande, monsieur, de bien vouloir me poser des questions plus

21 courtes, parce que j'ai du mal à répondre à de longues questions.

22 Q. : Avez-vous toujours dit la vérité sur ce qui s'est passé cet après-

23 midi là ?

24 R. : Oui.

25 Q. : Donc, d'après ce que vous avez dit, vous n'avez rien vu de ce qui

Page 4500

1 s'est passé dans le hangar lorsque ces cris vous sont parvenus ?

2 R. : Je n'ai rien vu.

3 Q. : Je voudrais que vous examiniez cette déclaration dont vous êtes

4 l'auteur et que je vais vous donner dans votre langue. C'est une

5 déclaration prise sous la forme d'une interview. Aux fins

6 d'identification, Madame le Président, pourrait-on enregistrer cette

7 pièce sous la côte D24, qui est le numéro suivant ? Je pense que le

8 Procureur dispose déjà d'une copie.

9 Je voudrais vous présenter cette déclaration. Vous y verrez quelque

10 chose d'écrit dans votre propre langue. Vous rappelez-vous avoir

11 fait une déclaration en juillet 1993, environ un an plus tard, en

12 réponse à un questionnaire d'une organisation du nom de Réfugiés de

13 l'ex-Yougoslavie ? Vous en souvenez-vous ?

14 R. : Oui, je m'en souviens. Ça n'était pas une déclaration. C'est une

15 histoire qui raconte comment j'ai survécu dans le camp et aucune

16 distinction n'a été faite entre ce que j'ai entendu dire et ce que

17 j'ai personnellement vécu, c'était juste une histoire générale du

18 camp.

19 Q. : Cette déclaration a-t-elle été écrite avec l'aide d'un interprète ?

20 R. : Oui, il y avait un interprète à la présence duquel j'ai objecté

21 d'emblée parce qu'il était Albanais et qu'il connaissait mal la

22 langue que je parle.

23 Q. : Quel que soit son degré de connaissance de la langue, vous ne pensez

24 pas qu'il aurait inventé des choses que vous auriez vues, n'est-ce

25 pas, M. Hodzic ?

Page 4501

1 R. : Mais les choses ont pu être confondues, entre ce que j'ai entendu

2 dire et ce que j'ai vu.

3 Q. : Veuillez aller en pages 5 et 6 de la déclaration et en haut de la

4 page 7, les premiers paragraphes -- Vous n'avez pas besoin de lire

5 ce passage à haute voix. Vous pouvez le lire dans votre tête et je

6 vous poserai ensuite quelques questions.

7 R. : J'ai fini.

8 Q. : Bien. Veuillez prendre la page 6 de la déclaration, vous y voyez les

9 noms mentionnés, vous dites dans cette déclaration que l'un des

10 gardes a appelé quatre noms, Enver Alic, Emir Karabasic, Jasko Hrnic

11 et Fikret Harambasic, n'est-ce pas ? Les noms d'Enver Alic et Emir

12 Karabasic figurent à la page 5.

13 R. : Oui, c'est ce qui est dit ici.

14 Q. : Oui, vous prétendez donc que ces quatre noms ont été appelés mais

15 c'est quelque chose que vous n'avez pas entendu personnellement,

16 c'est ça ?

17 R. : Je n'ai entendu que deux noms et cette déclaration que j'ai faite

18 n'est qu'une histoire de la période que j'ai passée au camp, ce que

19 j'y ai entendu dire et ce que j'y ai vu. C'est --Aucune distinction

20 n'est faite entre ce que j'ai entendu dire et ce que j'ai vu,

21 contrairement à ce que je fais maintenant.

22 Q. : Est-ce bien exact, car vous remarquerez qu'à la fin de la phrase dans

23 le premier paragraphe de la page 6, vous dites avoir été le témoin

24 oculaire de la majeure partie des faits que vous allez relater,

25 "tout le reste je l'ai entendu dire". Peut-être pourriez-vous lire à

Page 4502

1 haute voix ces deux phrases qui concluent le premier paragraphe de

2 la page 6, qui commencent par "Vecinu" ? Pourriez-vous lire ce

3 passage à haute voix pour les Juges ?

4 R. : "j'ai été le témoin oculaire de la majeure partie des faits que je

5 vais relater. Tout le reste, je l'ai entendu dire".

6 Q. : Merci. Dans le paragraphe suivant, vous dites que "ils étaient

7 frappés violemment à l'aide de crosses de fusils et de barres de fer

8 devant le hangar, là où nous pouvions voir", c'est exact ?

9 R. : Oui.

10 Q. : Ils recevaient l'ordre de se coucher par terre. Ils recevaient des

11 coups de toute part et sur toutes les parties du corps".

12 R. : Monsieur, il est dit "Là où nous pouvions les voir."

13 Q. : Oui.

14 R. : C'est un pluriel. Par la suite, j'ai entendu quelque chose parce que

15 plus haut, il est dit " j'ai entendu le reste".

16 Q. : Vous n'avez donc vu personne être frappé dans ce hangar, comme vous

17 l'avez dit aux juges ?

18 R. : Cet après-midi là, je n'ai vu personne être frappé. Je n'ai fait

19 qu'entendre les passages à tabac.

20 Q. : Et pourtant, dans votre déclaration, vous affirmez y avoir assisté ?

21 R. : Ce "nous pouvions", cela peut aussi bien vouloir dire que quelqu'un

22 d'autre qui y a assisté m'en a parlé.

23 Q. : On ne peut pas dire qu'ils étaient frappé sur toutes les parties du

24 corps en écoutant seulement l'incident se dérouler, il faut y avoir

25 assisté, parce que, si ça n'était pas le cas, comment sauriez-vous

Page 4503

1 qu'ils recevaient des coups sur toutes les parties du corps ?

2 R. : J'ai été personnellement frappé et je sais qu'ils vous frappent sur

3 toutes les parties du corps.

4 Q. : Dans ce même paragraphe, vous poursuivez en disant "C'est la pire des

5 choses à laquelle nous ayons assisté" ? C'est exact, n'est-ce pas ?

6 R. : Oui, mais dans quel paragraphe ?

7 Q. : Dans le deuxième paragraphe, page 6, juste après l'épisode au cours

8 duquel ils sont violemment frappés, devant, "là où nous pouvions

9 voir" et qu'ils sont frappés sur toutes les parties du corps, vous

10 dites "C'est la pire des choses à laquelle nous ayons assisté".

11 R. : Oui, mais cette phrase dit également que nous y avons assisté ; cela

12 veut donc dire là aussi que plusieurs personnes y ont assisté, et

13 j'ai pu l'entendre d'autres personnes. C'était juste une histoire

14 pour que la personne qui m'interrogeait se fasse une idée de ce qui

15 nous était arrivé dans le camp.

16 Q. : Vous continuez plus loin dans votre déclaration en disant : "15

17 minutes plus tard, les tortionnaires firent sortir un autre

18 Musulman, "G"" et la lettre G est utilisée dans la traduction et

19 remplace son vrai nom ?

20 R. : Oui.

21 Q. : Dans la phrase suivante, "Les tortionnaires ouvrirent la porte du

22 hangar où je me trouvais et prirent la première personne qu'ils

23 virent" ?

24 R. : Oui.

25 Q. : Vous prétendiez que G venait de la même pièce que vous ?

Page 4504

1 R. : Oui, la personne où se trouvait G (sic) appartenait à notre pièce.

2 Nous partagions la même porte pour entrer et sortir.

3 Q. : "Les tortionnaires formaient une allée. G devait prendre pratiquement

4 tous les corps inertes par les chevilles ou les bras et les traîner

5 le long de cette allée comme des sacs à patates. Pendant ce temps,

6 les tortionnaires continuaient à frapper les corps presque sans vie.

7 Lorsqu'il finissait de tirer un corps, il devait le laisser et en

8 tirer un autre"

9 R. : Oui, c'est ce qui est dit ici.

10 Q. : C'est ce que vous prétendez avoir vu ? Vous prétendez avoir vu des

11 choses cet après-midi là qui n'étaient pas exactes, que vous n'avez

12 pas vues ?

13 R. : Je n'ai pas vu cela et il est clair dans tous les cas que c'est un

14 pluriel, que c'était -- ce qui diffère de "je". Il y a une

15 différence entre "nous" et "je" et c'était l'histoire du camp.

16 Q. : Mais pourquoi parlez-vous ici de G alors que vous n'aviez aucune idée

17 de la participation de G à l'incident ?

18 R. : Lorsque, par la suite, il est devenu possible d'avoir des

19 conversations entre nous quand le danger avait cessé, je n'ai pas

20 voulu lui rappeler des souvenirs qui lui étaient si douloureux.

21 Q. : Si nous passons au paragraphe suivant : "La première fois que Jasmin

22 Hrnic a été tiré dans l'allée, il était déjà mort. Je sais que

23 c'était Hrnic parce que l'un des Serbes fit remarquer que sur sa

24 moto, il était plus fort. Je savais que Hrnic était le seul à

25 conduire une moto".

Page 4505

1 R. : Oui, cela ne dit pas quand il a été traîné la première fois, mais

2 quand Jasmin Hrnic a été traîné dans cette haie de soldats, et il

3 n'est pas précisé qu'il s'agit de la première, deuxième ou troisième

4 fois.

5 Q. : Mais vous n'avez rien vu de tout cela ?

6 R. : Non, je n'ai pas vu cela. Je ne prétends pas l'avoir vu.

7 Q. : Pourquoi avoir dit le contraire dans votre déclaration, ce qui vous

8 vaut d'être aujourd'hui un témoin du Procureur ?

9 M. TIEGER : Madame le Président, j'ai plusieurs objections à formuler eu

10 égard à cette question. Je crois que l'objection principale est que

11 le conseil ressasse encore et encore le même point paragraphe après

12 paragraphe et repose la même question à laquelle le témoin a déjà

13 apporté une réponse à maintes reprises. Deuxièmement, sur cette

14 question en particulier, je ne pense pas qu'il y ait un quelconque

15 fondement justifiant la formulation par la Défense dans ces

16 questions de supposition quand à la motivation sous-tendant la

17 comparution de ce témoin.

18 M. KAY : Je suis désolé que ceci mette M. Tieger mal à l'aise.

19 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Le témoin a déjà dit à plusieurs reprises "ce

20 n'est pas une déclaration, mais une histoire construite à partir de

21 ce que j'ai entendu dire et vu". Et très souvent, vous lui demandez

22 "Pourquoi ceci figure-t-il dans votre déclaration si vous ne l'avez

23 pas vu ?" La réponse a toujours été "ce n'est pas une déclaration

24 relatant ce que j'ai vu. C'est une déclaration, comme je l'ai dit

25 d'emblée, de ce que j'ai entendu dire et vu".

Page 4506

1 Je peux donc rejeter votre objection. Il se répète beaucoup et vous

2 obtenez de nombreuses informations sur un événement au sujet duquel

3 le témoin n'a pas témoigné aujourd'hui parce qu'il dit ne pas y

4 avoir assisté. Si vous voulez continuer à lire toutes ces choses

5 dont ils dit qu'elles ont été entendues par d'autres personnes qui

6 les lui ont décrites par la suite, faites. Objection rejetée.

7 M. KAY (Au témoin) : Là encore, lorsque vous avez fait votre déclaration,

8 vous avez dit que G a reçu l'ordre de boire de l'huile de moteur,

9 est-ce exact ?

10 R. : Lorsque j'ai raconté cette histoire du camp, pas la déclaration.

11 Q. : Cependant, dans cette déclaration, vous dites, en haut de la page 6,

12 "j'ai été le témoin oculaire de la majeure partie des faits que je

13 vais relater. Tout le reste, je l'ai entendu dire".

14 R. : Tout ce que j'ai entendu ou vu, je l'ai raconté à cette Chambre.

15 Q. : A cette occasion, vous avez fait une déclaration qui allait permettre

16 à l'Accusation (NdT : version en anglais incomplète) des présumés

17 criminels de guerre serbes, n'est-ce pas ?

18 M. TIEGER : Madame le Président, je fais opposition. Cet ensemble de

19 questions a commencé lorsque le conseil lui-même a demandé au témoin

20 quel était le titre du "questionnaire pour les réfugiés d'ex-

21 Yougoslavie". C'est une question extrêmement injuste que le conseil

22 pose maintenant au témoin.

23 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : La question est si oui ou non c'est une

24 déclaration qui a amené le Procureur à penser que des criminels de

25 guerre serbes -- je n'arrive pas à lire le reste. A moins que le

Page 4507

1 témoin ait eu personnellement connaissance du fait que son

2 témoignage allait être remis à l'Accusation, et que l'Accusation ait

3 alors évalué le témoignage afin de décider si un acte d'accusation

4 allait être déposé, je crois que c'est une question déplacée. C'est

5 à l'Accusation d'y répondre. Sa déclaration, si j'ai bien compris,

6 n'a pas été recueillie par l'Accusation. Elle a été recueillie par

7 qui, les Réfugiés -- une organisation. Son nom complet m'échappe.

8 M. KAY : Recueillie sans condition par les Nations unies.

9 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Réfugiés d'ex-Yougoslavie, oui. Je fais donc

10 droit à l'opposition. Il s'agit là de spéculation. Cette question

11 appelle une conclusion que le témoin ne peut pas tirer.

12 M. KAY (Au témoin) : Voyons, M. Hodzic, si vous pouvez répondre à cette

13 question étant donné que vous avez eu amplement le temps de vous

14 appuyer sur le fait que vous relatiez des événements que vous

15 connaissiez et qui faisaient partie de l'histoire du camp. Si vous

16 vous penchez sur le paragraphe où vous mentionnez l'ordre qui est

17 donné à G de boire de l'huile de moteur, dites-vous également "A

18 partir de ce moment-là, je n'ai pas pu continuer à regarder"?

19 R. : A quelle page est-ce ?

20 Q. : Au milieu de la page 6. " Nous avons entendu qu'on donnait l'ordre à

21 G de boire de l'huile de moteur usée".

22 R. : "Puis j'ai entendu", et non "vu", "que G recevait l'ordre et à partir

23 de cet instant je ne pouvais plus voir quoi que ce soit". Il y a ici

24 une erreur de traduction car il y a une différence entre "entendu"

25 et "vu".

Page 4508

1 Q. : Oui. "Je ne pouvais plus voir quoi que ce soit" implique que vous

2 pouviez les voir avant ?

3 R. : J'ai dit et répété -- je ne sais pas combien de fois encore il faut

4 que je le répète -- cette déclaration, cette histoire relatant mon

5 expérience au camp n'est pas destinée à accuser qui que ce soit.

6 C'est un questionnaire soumis à tous les détenus, tous les réfugiés

7 de l'ex-Yougoslavie afin de donner une image, d'une certaine

8 manière, une image générale de la situation d'alors. Il n'y avait

9 rien, pas de cadre défini à l'époque auquel nous devions nous tenir,

10 je ne fais que raconter une histoire.

11 Q. : Sur cette question, justement, nous l'avons vu dans votre

12 déclaration, vous donnez moult détails sur G et sur ce qu'il est

13 censé avoir fait cet après-midi là, n'est-ce pas ?

14 R. : Là encore, lorsque nous avons "entendu", je n'ai pas vu cela --si

15 vous trouvez un exemple dans lequel j'ai dit "J'ai vu", "Nous avons

16 entendu qu'on ordonnait à G de boire de l'huile de moteur usée",

17 etc. Par la suite, il m'a dit qu'il avait dû boire, il me l'a

18 raconté. Ma déclaration est composée d'éléments que j'ai vus et

19 d'autres qui m'ont été rapportés.

20 Q. : Dans cette déclaration, vous ne dites pas avoir entendu Emir

21 Karabasic dire "Dule est là, je suis fini"?

22 R. : Si je devais raconter tout ce que j'ai vu et entendu, j'en aurais

23 pour très longtemps. Ce serait une histoire en plusieurs volumes.

24 Q. : Ce que je vous suggère, c'est la chose suivante : vous avez entendu

25 une rumeur disant que Dule Tadic était mêlé à tout cela, n'est-ce

Page 4509

1 pas ?

2 R. : Ça n'est pas vrai.

3 Q. : G n'est-il pas monté dans la grande pièce et n'y a-t-il pas eu une

4 rumeur qui circulait entre vous sur les événements qui s'étaient

5 produits ?

6 R. : G ne pouvait presque plus parler après cela, parce qu'après l'acte

7 qu'on lui a ordonné de commettre, il est difficile de parler de quoi

8 que ce soit, alors vous pensez bien qu'il n'allait pas rentrer et

9 dire "Hé, Dule Tadic était dans le coin, etc., etc...". Je ne sais

10 pas si vous vous rendez compte ce que c'était que d'être dans ce

11 camp.

12 Q. : Vous ne saviez pas qu'il y avait un second volontaire dans le hangar

13 avec G, n'est-ce pas ?

14 R. : Il ne pouvait pas y avoir qu'une personne. Une personne n'aurait pas

15 été suffisante pour satisfaire leurs besoins de divertissements,

16 pour traîner, tirer, pour tout faire, pour tenir. Une personne

17 n'aurait pas pu faire cela seule. C'est logique qu'ils aient été

18 plusieurs.

19 Q. : Je suis en train de vous suggérer la chose suivante : à cause de

20 cette rumeur et parce que vous prétendez avoir vu plus de choses que

21 les autres, vous êtes venu ici pour incriminer Dusko Tadic ?

22 R. : C'est faux.

23 M. KAY : Je n'ai plus de questions. Madame le Président, j'ai demandé le

24 versement au dossier de la déclaration. Peut-elle être enregistrée

25 sous la cote D24 ? J'ai oublié de le rappeler.

Page 4510

1 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Oui. Quelle est la cote ?

2 M. KAY : 24.

3 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Elle a été enregistrée aux fins

4 d'identification. Vous en demandez le versement au dossier. Y fait-

5 on opposition ?

6 M. TIEGER : Madame le Président, elle fait déjà partie des éléments dont

7 dispose cette Chambre, suite au versement de la pièce par

8 l'Accusation. En ce qui concerne la déclaration -- la traduction du

9 document dont le versement est demandé, je ne suis pas bien sûr de

10 savoir où nous en sommes. Nous avons transmis à la Défense une

11 traduction en anglais du questionnaire. Il y a maintenant une

12 traduction en serbo-croate qui, d'après ce que je comprends, fait

13 l'objet de la demande de versement devant cette Chambre. J'aimerais

14 au moins avoir la possibilité de contrôler la conformité de cette

15 version aux versions originales. Mais, sauf cette réserve, je ne m'y

16 oppose pas.

17 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Dans ce cas, nous réservons notre décision.

18 Donnons-leur la possibilité d'examiner l'anglais et de s'assurer que

19 la traduction est bonne, en tout cas du point de vue de

20 l'Accusation. Peut-être qu'il n'y aura pas de problème.

21 M. KAY : Oui. Madame le Président, vous vous souviendrez sûrement que le

22 témoin l'a examinée avec moi en audience. Je ne m'oppose donc pas à

23 ce que la version en serbo-croate soit la pièce 24A, et la version

24 en anglais la pièce 24B.

25 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Je crois que M. Tieger veut dire que -- avez-

Page 4511

1 vous lu la déclaration dans sa totalité ? Je suis désolée, alors je

2 ne l'ai pas entendue. Je pensais que vous ne l'aviez lue que

3 partiellement.

4 M. KAY : Cet incident correspond à la section 6. J'ai résumé la fin.

5 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : La version en anglais est admise sous la côte

6 24B.

7 M. KAY : Oui.

8 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : 24A est admise, sous réserve que le Procureur

9 ait la possibilité de confirmer la traduction que vous avez faite de

10 l'anglais.

11 M. KAY : C'est une traduction du Tribunal, du Greffe. Elle a été faite à

12 notre demande.

13 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : D'accord.

14 M. KAY : Par le Tribunal.

15 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : M. Tieger, disposez-vous d'un exemplaire de

16 24A ? C'est le serbo-croate.

17 M. TIEGER : Non.

18 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Elle est versée. S'il y a une problème de

19 traduction, nous le résoudrons ultérieurement. 24A et 24B sont

20 admises. Veuillez transmettre un exemplaire de 24A à l'Accusation,

21 s'il vous plaît.

22 M. Tieger, avez-vous de nouvelles questions ?

23 (Interrogatoire supplémentaire par M. TIEGER)

24 Q. : Une seule question peut-être, M. Hodzic. Veuillez consulter la

25 première page du questionnaire, en bas du premier paragraphe, dans

Page 4512

1 la dernière phrase, le traducteur ou l'interprète à qui vous vous

2 adressiez en répondant au questionnaire a-t-il compris que vous

3 disiez vouloir résumer certains des pires événements survenus à

4 Omarska, et cela se reflète-t-il dans la déclaration ?

5 R. : Si l'interprète a compris cela ?

6 Q. : Et bien, au moins, cela apparaît-il dans l'exemplaire du

7 questionnaire que vous avez sous les yeux en bas, juste avant le

8 récit du premier incident ?

9 R. : "J'ai vécu des choses terribles au cours de cette période. Je vais

10 essayer de parler brièvement des pires événements".

11 Q. : Était-ce ce que vous avez essayé de faire pour les personnes qui vous

12 questionnaient ou qui vous ont demandé de répondre au questionnaire

13 ce jour-là, de leur permettre de comprendre dans une certaine mesure

14 ce qui s'était passé à Omarska en leur fournissant les informations

15 dont vous disposiez ?

16 R. : Oui, c'est ce que j'essayais de faire, de leur dresser une image

17 générale de ce qui se passait dans le camp. Je ne l'ai pas considéré

18 comme une déclaration parce que je ne peux fonder une déclaration

19 sur l'ouï-dire, de quelque chose de plus important (sic). C'était

20 juste une histoire, une histoire que je racontais sur quelque chose

21 qui s'était produit dans ma vie pendant que j'étais au camp.

22 M. TIEGER : Merci, monsieur, je n'ai plus de question. Madame le

23 Président, madame Sutherland me souffle que nous avons omis de

24 demander le versement de la pièce 270 au dossier.

25 M. KAY : Pas d'opposition, Madame le Président.

Page 4513

1 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : C'est la photo de M. Karabasic et de M.

2 Tadic, n'est-ce pas ?

3 M. TIEGER : Non, Madame le Président, c'est la photo de la grande salle.

4 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : De l'endroit où se trouvait le témoin. Oui,

5 très bien.

6 M. TIEGER : C'est exact.

7 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Pas d'opposition au versement de la pièce 270

8 ?

9 M. KAY : Non, Madame le Président.

10 M. TIEGER : Madame le Président, je vous demande de m'accorder un instant.

11 J'ai terminé, merci.

12 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : M. Kay ?

13 M. KAY : Moi aussi.

14 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Je n'ai pas de question. Monsieur, vous êtes

15 définitivement libéré. Merci de votre présence.

16 LE TÉMOIN : Je vous en prie.

17 (Départ du Témoin)

18 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : M. Keegan, voulez-vous appeler le témoin

19 suivant ?

20 M. KEEGAN : Oui, madame le Président, le témoin suivant est Armin Mujcic.

21 (Appel à la barre de M. Armin MUJCIC)

22 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Monsieur, veuillez vous lever et prêter

23 serment.

24 LE TÉMOIN [Traduction] : Je déclare solennellement que je dirai la vérité,

25 toute la vérité et rien que la vérité.

Page 4514

1 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Merci. Vous pouvez vous asseoir.

2 Interrogatoire par M. KEEGAN

3 Q. : Monsieur, pourriez-vous décliner votre identité ?

4 R. : Je m'appelle Armin Mujcic.

5 Q. : Quand êtes-vous né ?

6 R. : le 26 avril 1968.

7 Q. : Êtes-vous né dans la ville de Kozarac dans la municipalité de

8 Prijedor ?

9 R. : Oui.

10 Q. : Où avez-vous été élevé et où êtes-vous allé à l'école ?

11 R. : J'ai été élevé à Kozarac et j'y ai fait quatre ans d'école primaire.

12 Q. : C'était à "Kozarusa" et non "Kozarac" ?

13 R. : À Kozarusa.

14 Q. : Après vos quatre premières années à l'école, avez-vous continué

15 l'école dans la ville de Kozarac puis à Prijedor ?

16 R. : Oui.

17 Q. : Quel est votre métier, monsieur ?

18 R. : Je suis serrurier.

19 Q. : Avez-vous fait votre service militaire obligatoire ?

20 R. : Oui.

21 Q. : En quel année ?

22 R. : 1986/87.

23 Q. : Quelle formation avez-vous reçu ?

24 R. : J'étais dans les chars.

25 Q. : Etiez-vous conducteur ou artilleur ?

Page 4515

1 R. : Artilleur.

2 Q. : Après votre retour dans la région de Kozarac, avez-vous exécuté

3 certaines tâches en tant que réserviste ?

4 R. : Oui.

5 Q. : Quand avez-vous exécuté votre dernière mission en tant que réserviste

6 ?

7 R. : À la veille de la guerre, au moment de l'éclatement du conflit en

8 Slovénie et en Croatie.

9 Q. : Lors de cette mission, vous a-t-on remis un uniforme et des armes ?

10 R. : Nous avions notre uniforme chez nous et on nous a remis des armes.

11 Q. : Où vous ont-elles été remises ?

12 R. : Le jour où les manoeuvres ont commencé.

13 Q. : Étiez-vous autorisés à garder vos armes avec vous ?

14 R. : Non.

15 Q. : Quand devaient-elles être rendues ?

16 R. : Lorsque les manoeuvres étaient terminées.

17 Q. : Après avoir terminé votre service militaire obligatoire et être

18 revenu dans votre région, où avez-vous travaillé ?

19 R. : J'ai travaillé à l'usine de pneus de Ljubija.

20 Q. : Êtes-vous marié ?

21 R. : Oui.

22 Q. : Avez-vous des enfants ?

23 R. : Oui, un.

24 Q. : Monsieur, connaissez-vous un homme du nom de Dusko Tadic de Kozarac ?

25 R. : Oui.

Page 4516

1 Q. : Comment l'avez-vous connu ?

2 R. : Je le connais depuis l'école primaire lorsqu'il y donnait des cours

3 de karaté.

4 Q. : Avez-vous jamais participé à un entraînement de karaté ?

5 R. : Oui.

6 Q. : Quel âge aviez-vous ?

7 R. : 13 ou 14 ans, je me rappelle plus.

8 Q. : Depuis cette époque où vous avez participé à cet entraînement de

9 karaté, avez-vous revu Dusko Tadic dans la région de Kozarac ?

10 R. : Oui, je le voyais en compagnie de tous les gens qui possédaient des

11 cafés ou des bars, des gens qui avaient une entreprise de transport,

12 qui avaient leurs propres camions.

13 Q. : Connaissez-vous les noms de certaines de ces personnes ?

14 R. : Jasmin Hrnic, surnommé Jasko. Parfois, je le voyais aussi avec un

15 policier, Emir Karabasic.

16 Q. : Que faisait Jasmin Hrnic dans la vie ?

17 R. : Il avait une entreprise privée de transport routier.

18 Q. : Était-il aussi connu pour ses motos ?

19 R. : Oui, il conduisait toujours de bonnes motos, chères, puissantes.

20 Q. : Vous rappelez-vous par hasard la couleur de la moto qu'il avait avant

21 la guerre ?

22 R. : Je crois que c'était une Kawasaki rouge.

23 Q. : La pièce 269 pourrait-elle être placée sur l'écran, s'il vous plaît ?

24 Désolé, la pièce 269 pourrait-elle être placée sur le

25 rétroprojecteur ? Peut-on brancher le rétroprojecteur, s'il vous

Page 4517

1 plaît ? Merci. Monsieur, reconnaissez-vous les personnes sur cette

2 photo ?

3 R. : Oui.

4 Q. : De qui s'agit-il ?

5 R. : À droite, on voit Emir Karabasic et Dusko Tadic sur la droite avec

6 une barbe.

7 Q. : Excusez-moi, la traduction dit " À droite, on voit Emir Karabasic et

8 Dusko Tadic sur la droite avec une barbe" ?

9 R. : De mon point de vue, il est sur ma droite, c'est-à-dire Emir

10 Karabasic.

11 Q. : Oui, et par conséquent M. Dusko Tadic est sur la gauche ?

12 R. : Oui, il porte une barbe et une moustache.

13 Q. : Merci. Monsieur, voyez-vous l'homme que vous savez être Dusko Tadic

14 dans ce prétoire ? Pourriez-vous regarder dans le prétoire et nous

15 dire si vous y voyez Dusko Tadic ?

16 R. : Oui.

17 Q. : Pourriez-vous nous le montrer du doigt et décrire les vêtements qu'il

18 porte ?

19 R. : Il porte un costume vert et il est assis entre deux policiers.

20 Q. : Merci. Le procès-verbal peut-il indiquer que le témoin a identifié

21 l'accusé ?

22 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Le procès-verbal mentionnera que le témoin a

23 identifié l'accusé.

24 M. KEEGAN : Monsieur, avant la guerre, quand vous êtes-vous arrêté de

25 travailler ?

Page 4518

1 R. : Avant la guerre, nous avons arrêté le travail quand Prijedor a été

2 occupé par l'armée, par l'armée serbe, la police, et cela a duré

3 pendant deux ou trois jours. Tout s'est arrêté. Ensuite, ils ont

4 déclaré vouloir mettre de l'ordre. L'armée était postée dans tous

5 les bâtiments stratégiques. Des drapeaux serbes furent hissés. C'est

6 comme ça que nous avons dû nous déplacer pendant plusieurs jours. Il

7 y avait des postes de contrôle.

8 Q. : Pendant combien de temps après ces événements avez-vous pu continuer

9 à travailler ?

10 R. : Plusieurs jours.

11 Q. : Et que s'est-il passé ensuite ?

12 R. : Un jour, à un poste de contrôle occupé par l'armée serbe à Orlovci,

13 des soldats sont montés et ont dit "nous voulons vérifier vos

14 papiers d'identité".

15 Q. : Lorsque vous dites que les soldats sont montés, vous voulez dire

16 "dans le bus" ?

17 R. : Oui. Ceux qui étaient d'origine serbe, ils l'ont déduit de leurs

18 noms, ont eu le droit de continuer, et nous, qui étions musulmans,

19 ou peut-être d'autre origine, avons reçu l'ordre de rebrousser

20 chemin. À partir de ce jour-là, nous ne sommes plus retourner

21 travailler.

22 Q. : Étiez-vous dans la région de Kozarac lorsque l'offensive a été lancée

23 ?

24 R. : Oui.

25 Q. : Vous rappelez-vous le jour où a débuté l'offensive ?

Page 4519

1 R. : Oui. C'était un dimanche après-midi. le 24 ou le 25. Je ne me

2 souviens pas de la date exacte.

3 Q. : Où étiez-vous au début de l'offensive ?

4 R. : J'étais à Kozarusa à un endroit appelé Mujkanovici.

5 Q. : Étiez-vous chez vous ou chez une autre personne ?

6 R. : J'étais chez des parents, de l'autre côté. Ma maison se trouve à la

7 limite entre les communes de Garevci et Kozarusa.

8 Q. : Pourquoi n'étiez-vous pas chez vous ?

9 R. : Nous allions à la maison le jour, mais la nuit, nous n'y dormions pas

10 parce qu'à partir du jour où l'armée a pris le contrôle de Prijedor,

11 il y a eu des patrouilles et des soldats armés dont nous avions

12 peur.

13 Q. : Le région où vous habitiez était elle à forte prédominance serbe ?

14 R. : Oui. Il n'y avait que trois maisons musulmanes. Les autres étaient

15 serbes.

16 Q. : Lorsque l'offensive a débuté, qu'avez-vous vu ?

17 R. : Elle a commencé d'un seul coup. Un grand nombre d'armes différentes

18 tiraient et bombardaient. J'ai vu une colonne de véhicules arriver

19 de la direction de Prijedor. Une partie des véhicules a fait un

20 détour en passant par la route de Garevci et l'autre s'est dirigée

21 vers Kozarac et a commencé à pilonner les maisons une à une. J'ai vu

22 ma maison brûler, j'ai vu qu'elle avait été touchée, ainsi que

23 d'autres maisons voisines. Les véhicules sur la route de Garevci, le

24 char, celui qui avait fait un détour par la route de Garevci, ils

25 ont aussi commencé à tirer.

Page 4520

1 Q. : Après le début de l'offensive, qu'avez-vous fait ?

2 R. : Que pouvions-nous faire ? Il y avait des femmes et des enfants. Nous

3 nous sentions perdus. Nous ne savions pas où aller, ni quoi faire.

4 Nous avons donc essayé de nous cacher dans des caves là où les obus

5 ne pouvaient pas nous atteindre, mais les obus tombaient partout. Il

6 tombait un obus par seconde, semblait-il.

7 Q. : Avez-vous continué à vous déplacer à l'intérieur de cette zone les

8 deux jours qui ont suivi et à aller d'un endroit à un autre ?

9 R. : Oui.

10 Q. : À un moment donné, êtes-vous rentrés dans la ville de Kozarac ?

11 R. : Oui, je suis allé à Kozarac. Nous avons pensé que nous serions plus

12 en sécurité si nous arrivions à Kozarac, aux bois.

13 Q. : Lorsque vous êtes arrivés à Kozarac, y avez-vous vu Dusko Tadic ?

14 R. : Oui.

15 Q. : Pouvez-vous décrire les circonstances dans lesquelles vous l'avez vu

16 ?

17 R. : Je crois que c'était pendant le deuxième jour. Nous étions fatigués,

18 il y avait plusieurs jeunes garçons et hommes avec moi. Nous étions

19 mouillés parce que nous nous étions déplacés dans l'eau ; c'était

20 notre meilleur protection contre les obus, les balles et tout le

21 reste. Nous avons rencontrés des gens qui nous ont dit que des cars

22 venaient et repartaient vers Trnopolje, qu'il y avait un espèce de

23 centre de rassemblement là-bas, bien que nous ayons vu des cars

24 venant de Kozarac et partant en direction de Prijedor. Nous avions

25 décidé de nous joindre aux colonnes que nous avions vu venir de la

Page 4521

1 direction de Kotlovici, de Mrakovici, du haut de Kozarac vers la

2 route de Banja Luka. Nous pensions éventuellement rejoindre l'une de

3 ces colonnes.

4 Q. : À quel endroit de la ville vous trouviez-vous lorsque vous avez vu

5 Dusko Tadic ?

6 R. : Nous étions parvenus à l'endroit où se trouve l'école. À ce moment-

7 là, quand j'ai vu un char, j'étais derrière la pharmacie, derrière

8 le bâtiment qui abritait la pharmacie.

9 Q. : Vous avez parlé d'un char. Qu'avez-vous vu dans le char ?

10 R. : J'ai vu une colonne qui se déplaçait à gauche du char. J'ai reconnu

11 deux personnes sur le char : Dusko Tadic et Goran Borovnica.

12 Q. : Que les avez-vous vu faire ?

13 R. : Au moment où il est descendu du char, les gens demandaient quelque

14 chose, posaient des questions sur quelque chose. J'ai entendu un

15 bruit, des insultes. J'ai entendu "mère balija" et d'autres choses

16 de ce type. Un jeune homme, un jeune garçon s'est approché et Dule

17 l'a frappé.

18 M. KEEGAN : Madame le Président, peut-être serait-ce un bon moment --

19 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Oui. La Chambre de première instance lève

20 l'audience jusqu'à demain matin, 10h00.

21 (17h30)

22 (Ajournement de l'audience au lendemain)

23

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