Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 LE TRIBUNAL PÉNAL INTERNATIONAL Affaire IT-94-1-T

2 POUR L’EX-YOUGOSLAVIE

3 Jeudi,1er août 1996

4 (10h00)

5 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Monsieur Wladimiroff, hier après-midi, vous

6 avez soulevé une question concernant la manière d’objecter du

7 Procureur. J’ai dit à ce moment-là que je jetterais un coup d’oeil

8 au compte rendu afin de mieux comprendre le sujet de votre

9 inquiétude. Voudriez-vous reprendre vos arguments ? Nous avons

10 regardé le compte rendu et nous pensons savoir quelle objection est

11 à l’origine de votre position. Cependant, veuillez nous l’expliquer

12 de nouveau.

13 MONSIEUR WLADIMIROFF : Je vais m’y efforcer, Madame le Président. Ce que

14 j’avais à l’esprit quand j’ai soulevé ce problème - J’ai maintenant

15 eu l’occasion moi aussi de lire le compte rendu - page 2967 -

16 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Ligne 21 ?

17 MONSIEUR WLADIMIROFF : Je dirais plutôt 24. Madame Hollis s’est opposée en

18 disant que c’était trompeur, que "on ne lui avait jamais demandé si

19 elle reconnaissait Du{ko Tadi}. On lui a demandé si elle

20 reconnaissait quelqu’un sur les photographies". A la page suivante,

21 page 2968, ligne 11, Monsieur Kay reprend son contre-interrogatoire

22 et demande "Vous a-t-on demandé quand on vous a montré cet album de

23 photographies, Madame Jaskic ?" Le témoin répond, ligne 13, "Ils

24 m’ont demandé si je reconnaissais quelqu’un sur cette photographie".

25 Oui, sur cette photographie. Cela m’a traversé l’esprit quand j’ai

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1 soulevé cette question.

2 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Ce que nous avons examiné se réfère au même

3 point, mais en un endroit différent du compte rendu. Page 2967,

4 Monsieur Kay demande, ligne 21 : "N’avez-vous pas dit à l’enquêteur

5 de l’Accusation que vous ne reconnaissiez pas Du{ko Tadi} ?" Madame

6 Hollis : "Madame le Président, je soulève une objection. Cette

7 question est trompeuse dans la mesure où on ne lui a jamais demandé

8 si elle reconnaissait Du{ko Tadi}. On lui a demandé si elle

9 reconnaissait quelqu’un sur les photographies". Monsieur Kay : "Il

10 vaudrait peut-être mieux entendre le témoin plutôt que d’écouter ce

11 que l’Accusation croît qu’il s’est dit".

12 Madame Hollis : "Excusez-moi, Madame le Président, mais lors de

13 l’interrogatoire principal, la question était : "Vous a-t-on demandé

14 si vous reconnaissiez quelqu’un sur les photographies ?" et sa

15 réponse était "Oui, on me l’a demandé". Cela se trouve dans le

16 témoignage". Monsieur Kay : "L’accusation a posé une question

17 tendancieuse et cherché à obtenir une réaction du témoin à cette

18 question. La Défense est en droit de faire dire au témoin ce qui

19 s’est réellement dit. Il semble que la procédure suivie par

20 l’Accusation leur a fourni une non-identification et qu’ils ont

21 tenté de le présenter de manière positive, Madame le Président, ce

22 qui forme une base adéquate pour que la Défense examine le type de

23 témoignage que ce témoin présente à la cour".

24 Donc, il me semble que, premièrement, Madame Hollis a fait

25 opposition à la question de Monsieur Kay, la jugeant tendancieuse.

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1 Ce à quoi Monsieur Kay a répondu en disant qu’elle n’était pas

2 tendancieuse mais que la question posée par Madame Hollis était

3 tendancieuse, en conséquence de quoi la Défense est en droit de

4 poser cette question.

5 Revenons à la question posée par Madame Hollis page 2964, ligne 20 :

6 "Vous souvenez-vous qu’un membre du Tribunal vous ai montré un album

7 de photographies ce jour-là en vous demandant de les regarder et de

8 dire si vous reconnaissiez quelqu’un ?" Réponse du témoin : "Oui."

9 Question : "Avez-vous reconnu quelqu’un sur ces photographies ?"

10 Réponse : "Oui." Question : "Qui avez-vous reconnu ?" Réponse :

11 "J’ai reconnu Du{ko Tadi}."

12 Donc, en fait, il semble que Madame Hollis a raison de maintenir que

13 la question était : "Avez-vous reconnu quelqu’un sur ces

14 photographies ?" à laquelle le témoin a répondu "Oui." et ainsi de

15 suite alors que Monsieur Kay prétendait que le témoignage de la page

16 2967, ligne 21 était le suivant : N’avez-vous pas dit à l’enquêteur

17 de l’Accusation que vous ne reconnaissiez pas Tadi} ?", ce qui a

18 provoqué l’opposition de Madame Hollis.

19 Il semble donc que la question de Monsieur Kay était une déformation

20 de la réponse du témoin. Sa réponse était : "Bien, il s’agissait

21 d’une question tendancieuse. Nous avons le droit de la remettre en

22 question." Nous maintenons qu’en cas de question tendancieuse, et la

23 question "Avez-vous reconnu quelqu’un sur ces photographies" ne

24 l’est pas, bien que la question précédente ait pu contenir des

25 éléments tendancieux, donc, en cas de question tendancieuse, la

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1 procédure à suivre et de s’y opposer immédiatement et non de

2 déformer la déposition du témoin, ce qui a été fait en l’occurrence.

3 Comprenez-vous ce que je dis ou est-ce que je parle trop vite ?

4 MONSIEUR WLADIMIROFF : J’accepte cela, mais ce n’est pas la question que

5 j’ai soulevée hier. Ce que j’ai essayé d’expliquer hier, c’est que

6 je pense qu’il n’était pas approprié que le témoin écoute la

7 discussion que vous venez de rapporter, celle des pages 2967-2968,

8 parce qu’il peut parfaitement déduire de cette conversation quelle

9 réponse on attend de lui. Voilà la teneur de mon objection. J’aurais

10 préféré que le témoin ne comprenne pas l’objet de cette discussion.

11 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Convenez-vous que la question était

12 tendancieuse ?

13 MONSIEUR WLADIMIROFF : Oui, mais ce n’est pas l’objet de mon discours.

14 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Donc vous voudriez que les avocats se

15 rapprochent des juges ?

16 MONSIEUR WLADIMIROFF : Ou que l’on demande au témoin d’enlever ses

17 écouteurs.

18 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : D’accord. Cela ne me pose aucun problème.

19 Cela vous pose-t-il un problème, Madame Hollis ?

20 MADAME HOLLIS : Non, Madame le Président.

21 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Ou Monsieur Niemann, plutôt - Avec cette

22 procédure ?

23 MONSIEUR NIEMANN : Non, Madame le Président. Il n’y a aucun problème.

24 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Très bien. Donc, nous le ferons.

25 MONSIEUR WLADIMIROFF : Merci.

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1 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Comme je l’ai dit, n’hésitez pas, Monsieur

2 Kay à faire opposition si une question tendancieuse est posée...

3 MONSIEUR KAY : Oui.

4 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : - plutôt que de choisir l’autre approche.

5 Désormais je demanderai au Procureur de répondre à vos objections,

6 même si elles sont justifiées, d’essayer d’y répondre sans donner

7 d’indication au témoin. S’il apparaît que le témoin reçoit des

8 indications, je prierai Monsieur Kay ou Monsieur Wladimiroff de s’y

9 opposer. Alors nous demanderons au témoin de retirer ses écouteurs,

10 je pense que c’est une bonne manière de procéder, en espérant que

11 celui-ci ne comprend pas mieux l’anglais que nous le supposons, mais

12 nous ferons de notre mieux dans ces circonstances. Est-ce

13 acceptable, Madame Hollis ?

14 MADAME HOLLIS : Bien sûr, Madame le Président. J’aimerais que le greffier

15 enregistre que je n’essayais aucunement de fournir une réponse à ce

16 témoin.

17 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Non. Je ne pense pas que ce soit là l’opinion

18 de la Chambre. C’est une objection appropriée. La question est

19 comment procéder ? Je pense que nous l’avons suffisamment définie.

20 Pourquoi ne pas continuer tout simplement et reprendre le témoignage

21 ?

22 MADAME HOLLIS : Oui, Madame le Président. Pour les témoins anglophones, je

23 pense qu’il nous faudrait prendre des mesures -

24 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Je le sais.

25 MADAME HOLLIS : - différentes

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1 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Vous savez que j’en suis consciente. Je

2 repousse simplement la décision à une autre occasion. Nous

3 trouverons une autre manière de résoudre ce problème.

4 MADAME HOLLIS : Peut-être pourrait-on demander à ces témoins de mettre les

5 écouteurs ! Madame le Président, hier, nous avons versé au dossier

6 la pièce 292 de l’Accusation, il s’agissait d’un album de

7 photographies employé avec Draguna Jaskic. Nous en avons fait des

8 copies. Nous en avons fourni une copie et l’album à la Défense afin

9 qu’elle les inspecte et nous avons maintenant une copie pour chacun

10 des Juges. Je voudrais que l’Huissier fournisse maintenant cette

11 pièce et ses copies au Greffe.

12 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Madame Hollis, voudriez-vous poursuivre

13 l’interrogatoire de Madame Mujic, s’il vous plaît ?

14 MADAME HOLLIS : Oui, Madame le Président, j’avais terminé l’interrogatoire

15 principal du témoin.

16 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Très bien. Il ne nous manque plus que le

17 témoin maintenant.

18 Madame SUBHA MUJIC, rappelée à la barre.

19 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Madame Mujic, vous comprenez que vous êtes

20 encore liée par la déclaration solennelle de vérité que vous avez

21 prononcée hier ?

22 TÉMOIN ?Interprétation? : Oui.

23 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Merci. Monsieur Kay ?

24 Contre-interrogatoire par Monsieur Kay.

25 Q. : Madame Mujic, savez-vous depuis combien de temps Du{ko Tadi} avait un

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1 café à Kozarac avant le conflit ?

2 R. : Je ne sais pas.

3 Q. : Vous ne vous souvenez pas quand il a commencé à travailler comme

4 patron de café ?

5 R. : Non. Je ne sais pas quand il a commencé. Je n’y portais pas

6 attention.

7 Q. : Savez-vous quand s’est ouvert un café à sa maison de Kozarac ?

8 R. : Non.

9 Q. : Aviez-vous jamais parlé à Du{ko Tadi} ?

10 R. : Non.

11 Q. : Ou passé un moment en sa compagnie ?

12 R. : Non.

13 Q. : Je voudrais maintenant vous parler du 14 juin 1992 quand vous étiez

14 chez Draguna Jaskic.

15 R. : Oui.

16 Q. : Vous souvenez-vous à quelle heure les soldats sont venus à la maison

17 ce jour-là ?

18 R. : Vers 3 heures.

19 Q. : Étiez-vous dans la maison quand les soldats sont arrivés ?

20 R. : Oui.

21 Q. : Les femmes et les hommes de la maison ont tous dû sortir en même

22 temps, n’est-ce pas ?

23 R. : Oui.

24 Q. : À un moment donné les hommes ont été séparés de vous et emmenés près

25 du tas de sable à côté de la grange, n’est-ce pas ?

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1 R. : Oui.

2 Q. : Pendant que vous étiez encore dehors vous nous avez dit que Dule

3 Tadi} avait battu les hommes de la maison alors que vous étiez

4 présente ?

5 R. : Oui. Oui.

6 Q. : Cela s’est passé devant vous pendant que vous vous teniez devant la

7 maison ?

8 R. : Oui.

9 Q. : Pouvez-vous vous souvenir des uniformes que portaient les soldats qui

10 se trouvaient à l’extérieur ?

11 R. : Des uniformes noirs, des uniformes camouflés.

12 Q. : Que voulez-vous dire par uniformes noirs qui sont des uniformes

13 camouflés ? Pouvez-vous en décrire les couleurs ?

14 R. : Comme bleu marine.

15 Q. : Est-ce que le haut du vêtement était bleu marine comme le pantalon ?

16 R. : Oui.

17 Q. : Combien d’entre eux portaient cet uniforme noir qui en fait était

18 bleu marine ?

19 R. : Je ne sais pas. Qu’est-ce que j’en sais ? Je sais qu’il y en avait

20 deux dans la cour.

21 Q. : Ces deux venaient de la maison, n’est-ce pas ?

22 R. : Un venait de la maison.

23 Q. : Que faisait l’autre ?

24 R. : Il montait la garde.

25 Q. : Où montait-il la garde ?

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1 R. : : Il se tenait près des hommes et près de l’entrée de la maison.

2 Q. : Montait-il aussi la garde quand vous étiez dans la maison ?

3 R. : Non, ils sont partis sur la route.

4 Q. : Vous avez dit que le soldat avait dit que si vous regardiez il

5 tirerait sur vous ?

6 R. : Oui.

7 Q. : Est-ce que des soldats vous surveillaient pour vous empêcher de

8 regarder dehors ?

9 R. : Non.

10 Q. : Est-ce que vous ne craigniez pas que l’un d’eux puisse vous voir

11 regarder par la fenêtre de la maison ?

12 R. : De quoi aurions-nous dû avoir peur ? Nos vies ne valent pas plus

13 celles de nos parents et de nos maris.

14 Q. : Les hommes vêtus de cette manière, vous souvenez-vous s’il portaient

15 quelque chose sur la tête, s’ils portaient un couvre-chef ?

16 R. : Oui.

17 Q. : De quel type ?

18 R. : Je ne sais pas. Ils avaient quelque chose sur le visage.

19 Q. : Avaient-ils des masques sur le visage ?

20 R. : Oui.

21 Q. : Combien portaient de tels masques ?

22 R. : Deux.

23 Q. : Est-ce qu’aucun des autres ne portait quelque chose pour dissimuler

24 leur visage ?

25 R. : Non.

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1 Q. : L’homme dont vous dites qu’il s’agissait de Du{ko Tadi} est-ce qu’il

2 portait un masque ?

3 R. : Non.

4 Q. : Vous souvenez-vous si ces hommes portaient des vestes ou des chemises

5 en haut ?

6 R. : Des vestes.

7 Q. : Est-ce que ces vestes...

8 R. : Comme des vestes militaires.

9 Q. : Les manches de ces vestes couvraient-elles les bras ?

10 R. : Oui. Des manches longues.

11 Q. : Est-ce que tous ces hommes étaient habillés de la même manière, avec

12 le même type de vêtements ?

13 R. : Ceux que j’ai vu, le seul était celui qui les battait.

14 Q. : Comment celui qui les battait était-il habillé ?

15 R. : L’uniforme de camouflage, un uniforme de plusieurs couleurs.

16 Q. : Est-ce que c’était une couleur différente de l’uniforme camouflé noir

17 ?

18 R. : Oui.

19 Q. : De quelle couleur était-il ?

20 R. : Comme du vert, pas du vert franc mais du vert olive.

21 Q. : Donc vous avez vu Du{ko Tadi} battre -

22 R. : Oui.

23 Q. : les hommes de votre maison -

24 R. : Oui, oui.

25 Q. : - devant la maison, n’est-ce pas ?

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1 R. : Sur la route.

2 Q. : Sur la route. Quand vous étiez dans la maison, étaient-ils au même

3 endroit sur la route ou s’étaient-ils déplacés ?

4 R. : Allongés sur la route.

5 Q. : Donc ils avaient déjà commencé à les battre sur la route avant que

6 vous ne rentriez dans la maison ?

7 R. : Oui.

8 Q. : Où bien est-ce que les sévices avaient commencés pendant qu’ils

9 étaient près du sable non loin de la grange ?

10 R. : Non.

11 Q. : Vous nous avez rapporté que votre soeur a dit : "Regarde Du{ko Tadi},

12 il bat notre famille, le mari, le père, le frère, tout le monde, il

13 tue toute la famille, le mari, le père, le frère, tout le monde "?

14 R. : Oui.

15 Q. : Mais cela ne se passait pas dehors sur la route, n’est-ce pas ?

16 R. : Je suis sûre que si.

17 Q. : Mais elle vous a simplement dit ces mots ? Comment les a-t-elle dit ?

18 R. : "Dule Tadi} tue toute notre famille, les parents et les maris."

19 Q. : Est-ce qu’elle pleurait ou criait, était-elle bouleversée ?

20 R. : Comment aurait-elle pu ne pas être agitée et comment aurions-nous pu

21 ne pas pleurer toutes les deux alors qu’ils les tuaient tous les uns

22 après les autres ? Est-ce que vous vous tairiez ou est-ce que vous

23 garderiez le silence ?

24 Q. : D’après votre description il n’y a pas eu de coups de feu tirés

25 dehors sur la route. Il semble qu’ils les ont battus, leur ont donné

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1 des coups de pieds et les ont frappés ?

2 R. : Dans la maison, il y a eu des coups de feu que je n’ai pas entendus.

3 Q. : Mais cela ne s’est pas passé pendant que vous regardiez ce qui se

4 passait sur la route ?

5 R. : Pendant que nous étions dehors.

6 Q. : Il y a eu des coups de feu dans votre maison pendant qu’un des

7 soldats la fouillait, n’est-ce pas ?

8 R. : Oui, dans la maison de ma soeur.

9 Q. : Aucun des soldats ne vous a entendues vous et votre soeur ?

10 R. : Non.

11 Q. : Vous n’avez pas attiré leur attention en regardant par la fenêtre ?

12 R. : Comment ? Ils nous auraient tuées.

13 Q. : Vous nous avez dit que vous aviez pris ce risque parce que cela

14 n’avait pas d’importance et que c’est la raison pour laquelle...

15 R. : Eh bien c’est vrai, c’est certainement vrai.

16 Q. : Parce que ce que je pense c’est qu’en fait vous n’avez pas vu tout ce

17 que vous avez décrit ?

18 R. : Seulement si vous pouvez dire que nous n’étions pas là et que cela ne

19 s’est pas produit et que nous n’existions pas.

20 Q. :Et que vous n’avez pas vu Dule Tadi} à Jaskici ?

21 R. : Je l’ai vu.

22 Q. : Et vous avez prétendu connaître Dule Tadi} alors que ce n’était pas

23 le cas ?

24 R. : Je le connaissais.

25 Q. : Pouvez-vous nous en dire plus sur Dusko Tadi} ?

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1 R. : J’ai dit ce que je savais.

2 MONSIEUR KAY : Merci. Je n’ai plus de questions.

3 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Madame Hollis, interrogatoire supplémentaire

4 ?

5 MADAME HOLLIS : Non, Madame le Président, pas de nouvel interrogatoire.

6 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Y a-t-il une opposition à ce que Madame Mujic

7 soit définitivement excusée ?

8 MONSIEUR KAY : Non, Madame le Président.

9 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Madame Mujic, vous êtes définitivement

10 excusée. Vous êtes libre de partir. Merci d’être venue.

11 (Le témoin se retire)

12 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Monsieur Keegan ?

13 MONSIEUR KEEGAN : Madame le Président, l’accusation appelle Madame Zemka

14 Sahbaz à la barre.

15 Madame Zemka Sahbaz, à la barre

16 LE TÉMOIN ?Interprétation? : Je déclare solennellement de dire la vérité,

17 toute la vérité et rien que la vérité.

18 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Merci Madame Sahbaz. Vous pouvez vous

19 asseoir.

20 Interrogée par MONSIEUR Keegan.

21 Q. : Pourriez-vous nous donner votre nom complet pour le procès-verbal ?

22 R. : Zemka Sahbaz.

23 Q. : Madame Sahbaz, quelle est votre date de naissance ?

24 R. : Le 18 février 1949.

25 Q. : Où êtes-vous née ?

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1 R. : Dans le village de Jaskici, la commune locale de Kamicani près de

2 Kozarac.

3 Q. : Y avez-vous grandi ?

4 R. : J’ai grandi dans le village de Jaskici.

5 Q. : Vous êtes mariée ?

6 R. : Oui.

7 Q. : Vous avez des enfants ?

8 R. : Cinq, malheureusement, quatre sont vivants et je ne sais pas quel est

9 le sort du cinquième. Je n’ai aucune information à son sujet et

10 cette incertitude est terrible pour moi.

11 Q. : Oui, Madame. Où avez-vous vécu après votre mariage Madame Sahbaz ?

12 R. : Dans le village de Babici.

13 Q. : Avant l’attaque de mai 1992 contre Kozarac êtes-vous allée résider à

14 Jaskici ?

15 R. : Oui.

16 Q. : Pourquoi avez-vous quitté Babici ?

17 R. : Je suis allée chez des parents proches, mes parents les plus proches.

18 Des soeurs, ma mère et des frères y habitaient. Là où je m’étais

19 mariée la population était plutôt serbe et malheureusement je les ai

20 vu nous encercler avec des armes de tous calibres. Nous pouvions

21 voir les canons des chars dirigés directement contre notre village.

22 Q. : Madame Sahbaz, puis-je vous demander de parler un peu plus lentement

23 pour que les interprètes puissent vous suivre ?

24 R. : Merci.

25 Q. : Où étiez-vous au début du bombardement de Kozarac ?

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1 R. : Dans le village de Jaskici.

2 Q. : Qu’avez vous fait lorsque le bombardement a commencé dans cette zone

3 ?

4 R. : Je ne savais pas où aller, que faire et personne ne savait où trouver

5 refuge quand les bombes frappaient de tous les côtés et qu’on

6 entendait toutes sortes de coups de feu.

7 Q. : Où sont allés les résidents du village quand le bombardement a

8 commencé ?

9 R. : Ils erraient à droite et à gauche. Nous ne pouvions aller nulle part

10 parce que nous étions encerclés dans les champs, dans les bois. Nous

11 ne savions pas où aller, vers quoi nous tourner, comment sauver nos

12 têtes.

13 Q. : Après le début de l’attaque dans la région de Kozarac, des réfugiés

14 sont-ils venus dans le village de Jaskici ?

15 R. : Oui, un certain nombre d’entre eux.

16 Q. : A Jaskici, où résidiez-vous au départ, dans quelle maison ?

17 R. : Avec mes soeurs pendant un certain temps et quand le village a

18 commencé à déborder de réfugiés, une voisine proche, qui habitait la

19 troisième maison après celle de ma soeur et qui vivait seule avec sa

20 fille est venue à la maison. Nous avions peur que sa maison ne soit

21 incendiée parce qu’on avait tiré dessus et qu’elle était isolée

22 parce qu’ils mettaient surtout le feu aux maisons vides. Donc nous

23 nous sommes installés dans sa maison avec elle afin qu’elle reste

24 intacte parce que nous ne savions pas si nous pourrions aller autre

25 part.

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1 Q. : Madame Sahbaz, vous voyez ce plan derrière vous, la pièce 287 ?

2 R. : Oui.

3 Q. : Pourriez vous prendre le pointeur - gardez les écouteurs, s’il vous

4 plaît - et indiquer dans un premier temps la maison de votre soeur ?

5 R. : Voici la maison de ma soeur où je me trouvais le premier jour de la

6 guerre.

7 Q. : Pourriez-vous indiquer où se trouve la maison de votre soeur sur le

8 schéma de la rue? Désigner quelle maison parmi les carrés rouges ?

9 JUGE VOHRAH : Je ne vois pas.

10 LE TÉMOIN : Ici.

11 L’INTERPRÈTE : Le témoin pourrait-il parler dans le micro, nous

12 l’entendons très mal.

13 MONSIEUR KEEGAN : Madame Sahbaz, pourriez-vous vous rapprocher de votre

14 siège afin d’être plus proche du micro. Pourriez-vous indiquer à

15 nouveau l’emplacement de la maison de votre soeur ?

16 R. : Voici la maison de ma soeur.

17 Q. : Et sur le plan de la rue, les carrés rouges ?

18 R. : C’est Iso Nureski, c’est le mari.

19 Q. : Merci. Maintenant dans quelle maison vous êtes-vous installée ensuite

20 dans le village ?

21 R. : Ahmet Jaskic.

22 Q. : Pouvez-vous désigner cette maison sur la carte ?

23 R. : Voici la maison dans laquelle j’étais quand l’armée est arrivée.

24 Q. : Merci beaucoup. Vous pouvez vous rasseoir. Quel jour les soldats

25 sont-ils arrivés au village de Jaskici ?

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1 R. : Le 14 juin. Je n’oublierai jamais ce jour.

2 Q. : Vous souvenez-vous de l’heure ?

3 R. : Je ne me souviens pas de l’heure. Je sais seulement que c’était

4 l’après-midi.

5 Q. : Que s’est-il passé quand les soldats sont arrivés dans le village ?

6 R. : Je me souviens d’abord que nous avons entendu du vacarme et des coups

7 de feu lointains et en rafales espacées.

8 Q. : Les coups se sont-ils rapprochés ?

9 R. : Du village de Sivci que jouxte le village de Jaskici, les voix se

10 rapprochaient toujours et quand nous avons vu que cela se

11 rapprochait de nos maisons nous cherchions un abri dans les maisons

12 les plus proches donc nous étions tous à l’intérieur.

13 Q. : Êtes-vous sortie de la maison par la suite ?

14 R. : J’ai essayé de sortir et j’ai entendu une très forte rafale et je me

15 suis précipitée comme si j’ignorais les tirs, pour voir ce qui se

16 passait.

17 Q. : Cette photographie pourrait-elle être enregistrée à la suite à la

18 cote 293 je crois, puis communiquée au témoin.

19 Madame Sahbaz, reconnaissez-vous ce cliché ?

20 R. : Oui, l’image est claire, sauf que ce n’était pas comme ça mais

21 heureusement, j’ai eu la chance de voir l’endroit et l’entrée de la

22 maison est encore là. Je peux vous dire où je me trouvais à ce

23 moment-là, par où je suis sortie.

24 Q. : Quelle maison est représentée ici ?

25 R. : C’est la maison de Ahmet Jaskic.

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1 Q. : Madame Sahbaz, pourriez-vous s’il vous plaît indiquer l’emplacement

2 de l’entrée de la maison ? L’indiquer sur la photographie ?

3 R. : On entrait du côté de la rue principale dans la cour, du côté bas, on

4 montait les escaliers et entrait dans l’entrée. Le petit mur était

5 là. Comme vous pouvez le voir, ici il y avait une entrée. C’est

6 l’endroit où l’on enlevait ses chaussures et autres.

7 Q. : Pourriez-vous nous indiquer où se trouvaient les escaliers s’il vous

8 plaît.

9 R. : Les escaliers étaient ici.

10 Q. : Vous entriez...

11 R. : Du côté de l’entrée.

12 Q. : ... du côté de la partie blanche de cette photo ?

13 R. : Oui.

14 Q. : Où vous trouviez-vous quand vous êtes sortis ?

15 R. : Nous nous trouvions près de cette extrémité du mur sur les marches

16 elles-mêmes.

17 Q. : Que pouviez-vous voir une fois dehors ?

18 R. : D’abord j’ai regardé vers le bout de la grange que vous voyez là,

19 sauf que maintenant elle est recouverte de buissons et d’arbres qui

20 ne s’y trouvaient pas lorsque j’y étais pour autant que je m’en

21 souvienne. Cela n’existait pas alors.

22 Q. :Qu’avez-vous vu en regardant de ce côté là ?

23 R. : Nous avons vu un homme en uniforme qui menait un homme par la peau du

24 cou d’une main et qui avait un fusil dans l’autre. Près de lui il y

25 avait un garçon blond qui me tournait le dos. Je ne pouvais pas voir

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1 son visage.

2 Q. : Quel type d’uniforme portait l’homme dont vous avez dit qu’il portait

3 un uniforme ?

4 R. : Camouflage.

5 Q. : Où avez-vous vu cet homme ?

6 R. : Sur la route derrière cette grange, au coin de celle-ci, sauf qu’il

7 était sur la route et qu’une barrière séparait la cour de Ahmet

8 Jaskic de la route.

9 Q. : Merci. Vous pouvez vous rasseoir maintenant. L’homme qu’ils menaient

10 par la peau du cou, l’homme du village, avez-vous remarqué quelque

11 chose de particulier le concernant ?

12 R. : Il était ensanglanté. Sa chemise était couverte de sang et son nez

13 saignait, c’est ce que j’ai vu en le regardant. Je préférerais ne

14 pas parler de lui pour la sécurité de ses parents entre autres. Je

15 connais le nom de cet homme.

16 Q. : L’homme aux cheveux blonds que vous avez vu également c’était l’un

17 des soldats ?

18 R. : Je ne le connais pas du tout. Tout ce que j’ai pu voir, c’est qu’il

19 avait un bâton dans les mains.

20 Q. : Avait-il... Que portait-il ?

21 R. : J’essaie d’oublier tout cela. Je ne veux pas me souvenir de tout.

22 C’est très dur pour moi. Je suis une mère.

23 Q. : Je comprends, mais pour autant que vous vous souveniez, que portait-

24 il dans votre souvenir, quel type de vêtements ?

25 R. : Je pense qu’il portait une chemise. Il portait une sorte de chemise.

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1 Il ne portait pas de vêtements de camouflage.

2 Q. : Vous souvenez-vous de la couleur de sa chemise ?

3 R. : J’essaie d’oublier beaucoup de choses. Alors plutôt que de me

4 tromper, il était habillé comme ça. Ce que j’ai le plus regardé, ce

5 sont les uniformes des gens.

6 Q. : De quelle couleur était l’uniforme camouflé que vous avez vu ?

7 L’homme en uniforme camouflé, de quelle couleur était son uniforme ?

8 R. : De nombreuses couleurs, tacheté.

9 Q. : Vous souvenez-vous quelle en était la couleur principale ?

10 R. : Bleu sombre et café, café léger, toutes les couleurs étaient plutôt

11 pâles.

12 Q. : Outre ces deux soldats, que pouviez-vous voir quand vous étiez près

13 des escaliers ?

14 R. : Devant la maison de Salko j’ai vu que les femmes et les hommes

15 étaient à l’extérieur. Ils se tenaient contre le mur de la maison de

16 Salko.

17 Q. : Avez-vous vu des soldats à cet endroit ?

18 R. : Oui.

19 Q. : Vous souvenez-vous de ce que portait ce soldat ?

20 R. : Un t-shirt noir.

21 MONSIEUR KAY : Je suis désolé d’interrompre, je viens juste de remarquer

22 que nous avons perdu le compte-rendu sur nos écrans, je ne sais pas

23 s’il s’agit d’un problème technique que nous devrions résoudre,

24 désolé Monsieur Keegan.

25 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Merci, Monsieur Kay. Nous nous sommes arrêtés

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1 à "camouflage".

2 MONSIEUR KAY : J’en suis au même point.

3 MONSIEUR KEEGAN : Je n’avais pas réalisé qu’il s’était arrêté.

4 (L’audience est suspendue un court instant).

5 (11h05)

6 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Monsieur Keegan, savez-vous combien nous

7 avons perdu ?

8 MONSIEUR KEEGAN : Oui, Madame le Président. Je pense qu’après cela j’ai

9 simplement continué en demandant "Avez-vous vu autre chose et elle a

10 répondu en décrivant ce qui se passait de l’autre côté de la rue

11 chez Salko. Donc je reprendrai à ce point.

12 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : OK, c’est ce que montrent mes notes.

13 MONSIEUR KAY : Je pense que la couleur des uniformes est la note qui suit

14 pour moi.

15 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Je pense que vous avez raison. Nous ne

16 voulons pas vous dicter vos actions mais mes notes mentionnent aussi

17 des couleurs, alors pourquoi ne pas repartir de là ?

18 MONSIEUR KEEGAN : Oui.

19 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Je présente mes excuses pour ce problème

20 technique. Je suis sûre que vous, les juristes, et que tout le monde

21 comprend que nous faisons de notre mieux. Il est intéressant de voir

22 que la salle d’audience a été conçue, une belle salle d’audience,

23 puis que l’équipement n’a cessé d’augmenter et il est parfois

24 difficile de tout concilier. Sous le sol il y a plus de fils,

25 parfois je crains qu’un fil ne sorte du sol. Donc, je présente mes

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1 excuses, mais cela fonctionne plutôt bien étant donné les

2 circonstances. Monsieur Keegan, voulez-vous continuer ?

3 MONSIEUR KEEGAN : Merci, Madame le Président. Madame Sahbaz, nous avons

4 manqué un ou deux événements, je vais donc reprendre une ou deux

5 questions. L’homme en uniforme camouflé, je vous ai demandé si vous

6 pouviez vous souvenir des couleurs de cet uniforme.

7 R. : Oui.

8 Q. : OK. Pourriez-vous répéter les couleurs dont vous vous souvenez ?

9 R. : Vert sombre et café sombre.

10 Q. : L’autre homme, le blond, vous souvenez-vous de ce qu’il portait?

11 R. : Il portait une chemise et un pantalon.

12 Q. : Oui. Vous souvenez-vous de quelles couleurs ils étaient ?

13 R. : Je ne sais pas vraiment de quelle couleur. Je regardais surtout le

14 visage, la tête. La couleur ne m’interessait pas, j’étais confuse.

15 J’avais peur.

16 Q. : Vous dites que vous regardiez surtout la tête et le visage de quelle

17 personne ?

18 R. : L’homme blond, qui avait une chemise et un pieu, un pieu, cet homme.

19 Mais il me tournait le dos.

20 Q. : Outre ces deux hommes que vous avez vu sur la route, en avez-vous vus

21 d’autres ?

22 R. : Dans la cour.

23 Q. : Dans quelle cour ?

24 R. : Dans la cour de Salko, de Salko Jaskic.

25 Q. :Qu’avez-vous vu dans la cour de Salko Jaskic ?

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1 R. : Des hommes et des femmes alignés contre un mur.

2 Q. : Y avait-il des soldats avec eux ?

3 R. : J’en ai vu un en t-shirt noir qui se tenait entre la porte de Salko.

4 Q. : L’interprétation dit que l’homme se tenait "entre la porte de Salko".

5 Que voulez-vous dire par là ?

6 R. : Il était dans la cour quand je l’ai vu.

7 Q. : Pourriez-vous s’il vous plaît prendre le pointeur et montrer sur la

8 photo de la maison de Salko qui se trouve sur le grand panneau où se

9 tenait ce soldat, s’il vous plaît ?

10 R. : Juste ici, c’est...

11 Q. : Madame Sahbaz ?

12 R. : ...c’est la cuisine et ici, la porte et ici, l’endroit où les hommes

13 et les femmes étaient alignés.

14 Q. : Pouvez-vous vous reculer pour que tout le monde puisse voir l’endroit

15 que vous désignez, s’il vous plaît et que le pointeur soit plus

16 long. Merci.

17 R. : Entre la porte de la maison et la porte de la cuisine, la cuisine

18 d’été. Il se tenait là. Quand je l’ai vu il tournait de gauche à

19 droite, son fusil était armé.

20 Q. : Très bien. Pour le procès-verbal, Madame le Président, il s’agit de

21 la photo en bas à droite du tableau dans votre sens et la zone

22 indiquée semble être ce que ressemble à une porte blanche ou une

23 ouverture blanche dans la partie centrale de la photo.

24 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Est-ce exact, Madame Sahbaz?

25 MONSIEUR KEEGAN : Nous parlons de la zone représentée sur la photo que

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1 vous venez de désigner, Madame Sahbaz.

2 R. : La partie que nous avons montré de la maison de Salko. Certainement

3 entre la maison de Salko et la cuisine et il y avait aussi une

4 grange et un puit à ce moment-là. Tout est clair. Il allait de

5 gauche à droite mais quand je l’ai aperçu, il était là, c’est après

6 qu’il s’est déplacé de gauche à droite.

7 R. : Merci. Vous pouvez vous rasseoir maintenant. Vous nous avez dit que

8 vous aviez vu l’homme en uniforme de camouflage sur la route à la

9 hauteur de l’angle de l’étable de la maison d’Ahmet que vous avez

10 désignée.

11 R. : Oui.

12 Q. : Quand vous avez-vu cet homme avez-vous bien vu son visage ?

13 R. : Oui, entièrement, il était tourné vers moi.

14 Q. : Qu’a-t-il fait quand il vous a vu ?

15 Q. : Quand il m’a vu, avant de me voir il a injurié mon fils et lui a dit

16 "Qu’est-ce que vous attendez ? Pourquoi est-ce que vous ne sortez

17 pas vous tous ?"

18 Q. : Qu’a-t-il fait ensuite ?

19 R. : "Si je trouve quelqu’un dans la maison je vous tuerai tous."

20 Q. : A-t-il tiré ?

21 R. : Il a levé son fusil et a tiré vers la maison. Je ne sais pas s’il a

22 tiré en l’air ou sur le toit, je ne peux pas le dire, mais j’ai

23 entendu le bruit du fusil et j’étais - je lui avais déjà tourné le

24 dos, j’allais vers la maison.

25 Q. : Après être entrée dans la maison, avez...

Page 4935

1 R. : Tous le monde était bouleversé dans la maison. Ils voyaient ce qui se

2 passait. Ils me regardaient. Leurs visages étaient pâles. Ils

3 avaient peur. J’ai dit "Nous devons sortir".

4 Q. : Qui était dans la maison ?

5 R. : Il n’y avait que des femmes et mon fils de 19 ans.

6 Q. : Êtes-vous tous sortis de la maison ?

7 R. : Nous sommes tous sortis.

8 Q. : Êtes-vous allée dire à votre fils de sortir ?

9 R. : Mon fils est venu aussi, ma fille lui a dit "J’avais trop peur, je ne

10 savais pas où j’étais". Je suis sortie la première. Je suis venue,

11 je suis allée près de la grange à blé et je ne sais pas où étaient

12 les autres. Donc je suis arrivée la première près du portail de

13 Ahmet et les autres suivaient. J’étais la plus proche de la route.

14 Q. : Pourrions-nous allumer à nouveau le rétroprojecteur ? Madame Sahbaz,

15 en regardant de nouveau la photo de la maison d’Ahmet, pouvez-vous

16 en utilisant le pointeur...

17 R. : Oui.

18 Q. : ... indiquer l’endroit où vous vous teniez quand vous êtes ressortie

19 ?

20 R. : Oui. Quand je suis sortie par cette porte, je me suis dirigée vers

21 cet endroit là, où se trouvent les poteaux. Maintenant la grange à

22 blé n’est plus là. Je me tenais là près de ce poteau qui y est

23 toujours ce qui prouve que c’est la vérité et les autres se sont

24 alignés. Je ne sais pas s’ils étaient vers la maison ou ailleurs, je

25 ne me souviens pas, mais je ne dis que ce dont je me souviens, ce

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1 que j’ai gardé en mémoire.

2 Q. : Merci. Vous pouvez vous rasseoir.

3 R. : Merci.

4 Q. : Quand vous êtes ressortie que se passait-il sur la route ?

5 R. : J’ai vu des hommes dans la cour de Salko. Ils étaient déjà tous sur

6 la route, allongés en travers de celle-ci les uns à côté des autres.

7 Q. : Outre les hommes de la maison de Salko, y avait-il aussi d’autres

8 hommes du village ?

9 R. : Il y avait des réfugiés. Je ne regardais pas à ce moment-là. Je ne

10 les connaissais pas. Ceux que je connais sont ceux de ces maisons.

11 Tout le monde était chez soi dans ce village, les habitants.

12 Q. : Où se trouvait l’homme en uniforme camouflé à ce moment-là ?

13 R. : Il se trouvait toujours près de la grange mais sur la route, la

14 grange d’Ahmet près de la route et il se tenait sur la route.

15 Q. : Que s’est-il passé ensuite ?

16 R. : Je l’ai vu hocher la tête. Il a fait signe au blond qui avait un pieu

17 à la main. Il n’a pas dit un mot, mais a fait un geste de la tête et

18 l’homme blond a pris le pieu et commencé à battre les gens.

19 Q. : Bon. Cet homme blond, qui battait-il ?

20 R. : Ceux qui étaient allongés devant lui.

21 Q. : De quelle taille était son bâton ?

22 R. : Approximativement, à ce que j’ai vu, je ne l’ai pas mesuré mais à ce

23 que j’ai vu il passait sur deux hommes et atteignait le troisième.

24 Comme les gens étaient allongés, il leur frappait le dos.

25 Q. : Les battait-il brutalement ?

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1 R. : Il les battait de toutes ses forces.

2 Q. : Les hommes criaient-ils quand il les frappait ?

3 R. : Certains qui n’étaient pas frappés étaient silencieux et ceux qui

4 étaient frappés gémissaient et levaient un peu la tête et les jambes

5 mais leurs ventres étaient sur la route et quand le coup venait ils

6 se cambraient et puis ils retombaient sur le sol.

7 Q. : Pendant ce temps, avez-vous regardé l’homme en uniforme camouflé ?

8 R. : Je l’ai regardé pendant tout ce temps.

9 Q. : Pourquoi faisiez-vous attention à l’homme en uniforme camouflé ?

10 R. : Je ne savais pas qu’un moment viendrait où j’aurais l’occasion de

11 dire des choses pareilles. Je ne croyais pas que je vivrais pour

12 voir ça et j’ai regardé à cause de ça, qu’ils exécutent les ordres

13 qu’il donnait.

14 Q. : L’homme en uniforme camouflé donnait des ordres aux autres ?

15 R. : Je l’ai observé tout le temps.

16 Q. : Que s’est-il passé ensuite ?

17 R. : Il est venu dans la cour de Ahmet.

18 Q. : Qui est venu dans la cour de Ahmet ?

19 R. : La personne en uniforme et qui nous a dit de rentrer dans la maison

20 tous, devant la maison d’Ahmet.

21 Q. : Vous êtes tous rentrés dans la maison ?

22 R. : Nous sommes rentrés dans la maison un par un. C’est ce qu’il nous

23 avait dit. Au moment où nous rentrions, mon fils était sur le seuil,

24 il lui restait peut-être deux marches pour rentrer dans la maison,

25 il s’est retourné et a regardé la route, vers les personnes qui se

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1 trouvaient déjà sur la route et au moment où il s’est retourné, la

2 même personne en uniforme a dit "Viens ici".

3 Q. : Bon. Quand votre fils s’est retourné et a regardé la route que s’est-

4 il passé ?

5 R. : Il a appelé, la personne en uniforme a demandé a mon fils de venir

6 sur la route.

7 Q. : Votre fils est-il allé sur la route ?

8 R. : Mon fils, parce qu’il était pieds nus, s’est penché pour mettre ses

9 addidas qui étaient là.

10 Q. : Pendant qu’il mettait ses chaussures vous a-t-il dit quelque chose à

11 propos des soldats ?

12 R. : Il n’a rien dit aux soldats. Il m’a juste murmuré "Maman", comme s’il

13 avait moins peur, "Maman, je connais l’un d’entre eux". Il était

14 très pâle. Il avait très peur.

15 Q. :Votre fils vous a-t-il dit lequel des soldats il connaissait ?

16 R. : Il ne me l’a pas montré. Il a juste dit "Celui avec le t-shirt noir,

17 c’est celui que je connais."

18 Q. :Vous a-t-il dit quelque chose au sujet de ce soldat, comment il le

19 connaissait ?

20 R. : "Quand j’allais à l’école il contrôlait nos tickets de bus."

21 Q. : Donc votre fils vous a dit que le soldat travaillait dans le bus

22 qu’il prenait pour aller à l’école ?

23 R. : Oui.

24 Q. : Après que votre fils a mis ses chaussures et soit parti dans la cour,

25 qu’avez-vous fait ?

Page 4939

1 R. : Je l’ai suivi.

2 Q. : Pourquoi l’avez-vous suivi ?

3 R. : Je suis allée presque jusqu’au portail. Je ne sais pas ce qui

4 m’arrivait. Je ne quitte pas mon enfant, ce qui lui arrive à lui,

5 m’arrivera à moi. Mon fils passat le portail et j’étais environ à

6 trois mètres de lui. Quelqu’un a appelé, l’a appelé. Il y avait une

7 haie, elle était taillée.Puis il y avait des fossés creux. Donc la

8 route est beaucoup plus basse que les haies. Quelqu’un l’a appelé et

9 a dit "Viens, avance." Je ne voyais pas l’homme. J’ai juste entendu

10 une voix dire "Avance".

11 Q. : Votre fils s’est-il ensuite dirigé vers la route ?

12 R. : Oui. Vers Kozarac, le long de la route qui mène à Kozarac, la route

13 Kamicani/ Kozarac.

14 Q. : Que vous est-il arrivé dans la cour ?

15 R. : La personne qui me regardait, j’étais déjà au portail, j’étais proche

16 d’elle, à trois ou quatre mètres, il a donné un coup de pied dans la

17 clôture, la clôture qui séparait la cour de Ahmet et la route. Il a

18 donné un coup de pied dans la clôture et la clôture est tombée dans

19 la cour de Ahmet et il a maudit ma mère et il a dit "Bula, vous êtes

20 venue reconnaître quelqu’un ?" Il a levé son fusil. Il n’a pas tiré.

21 Q. : Quel est l’homme qui a fait cela, qui a donné un coup de pied dans la

22 clôture et pointé son fusil ?

23 R. : Celui en uniforme qui se tenait près de cette route, près de ce

24 portail, en uniforme de camouflage.

25 Q. : Qu’avez-vous fait à ce moment là ?

Page 4940

1 R. : Mes filles ont traversé et ont couru à la maison et j’étais

2 complètement perdue. Je ne savais pas où aller, vers quoi me tourner

3 et je l’aurais laissé tirer.

4 Q. : Que s’est-il passé ensuite ?

5 R. : Pendant que j’étais dans l’entrée, je me suis arrêtée près de la

6 fenêtre, près de la fenêtre de l’entrée. Mes jambes tremblaient. Je

7 ne pouvais simplement plus continuer. Je me suis arrêtée là et j’ai

8 regardé encore une fois. Des gens, des gens étaient allongés sur le

9 sol et on les battait encore et je me suis sentie mal et je ne sais

10 rien de plus. Mes filles m’ont transportée à la maison pour un

11 moment. J’étais inconsciente et je ne savais rien, ou ils sont

12 allés, comment et ce qui s’est passé devant la maison de Ahmet. Je

13 n’ai pas de mots pour cela.

14 MONSIEUR KEEGAN : Madame le Président, ne serait-ce pas un moment

15 approprié ?

16 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Voyons s’il est possible de continuer encore

17 un quart d’heure.

18 MONSIEUR KEEGAN : Très bien, Madame le Président.

19 Madame Sahbaz, savez-vous combien de temps vous êtes restée

20 dans la maison après être rentrée -

21 R. : Je ne sais pas, je ne m’en souviens pas.

22 Q. : Êtes-vous ressortie de la maison par la suite ?

23 R. : Quand j’ai entendu des cris de douleur presque devant la maison sur

24 la route entre les maisons d’Ahmet et celle de Salko, alors je suis

25 sortie.

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1 Q. : Qu’avez-vous vu en sortant ?

2 R. : J’ai vu les deux filles d’Abaz Jaskic, elles s’arrachaient les

3 cheveux et elles pleuraient. Entre elles il y avait le sang des

4 personnes qui avaient été battues à cet endroit.

5 Q. : Êtes-vous allée jusqu’à la route ?

6 R. : Oui, je suis allée sur la route en direction de Kozarac.

7 Q. : En arrivant sur la route entre les maisons de Ahmet et de Salko,

8 qu’avez-vous vu ?

9 R. : J’ai marché sur la route et je suis arrivée près de la maison de ma

10 soeur, près de la maison de Dzemila et j’ai vu les cadavres des

11 personnes mortes sur la route.

12 Q. :Vous avez dit que vous aviez vu du sang sur la route en sortant de la

13 maison ?

14 R. : Oui, devant la maison de Ahmet, entre les maisons de Ahmet et de

15 Salko, là où ils avaient battu ces gens, il restait du sang à

16 l’emplacement de leur tête. Leurs têtes étaient du côté de la cour

17 et de la maison de Salko et leurs jambes, leurs pieds vers la maison

18 de Ahmet. C’est ainsi qu’ils étaient allongés.

19 Q. : Y avait-il d’autres traces sur la route à part le sang à l’endroit où

20 les hommes étaient allongés ?

21 R. : Je ne me souviens même pas comment je suis arrivée jusque chez ma

22 soeur. Je ne sais pas. Nous étions complètement bouleversés. On ne

23 pouvait demander à personne. On essayait simplement de survivre soi-

24 même et on avait peur. Nous ne savions pas qui était où parce qu’on

25 entendait des coups de feu de tous les côtés. Il y avait beaucoup de

Page 4942

1 bruit.

2 Q. : Est-ce que la route était mouillée par endroits comme si on l’avait

3 aspergée d’eau ?

4 R. : C’est ce qu’on nous a dit. Je ne l’ai pas vu, mais c’est ce que les

5 jeunes m’ont dit et aucune des femmes n’a parlé de ça, mais ceux qui

6 pouvaient tout supporter, les plus jeunes les petites filles et les

7 petits garçons, ils avaient pris un pot plein d’eau près du puits,

8 le seau qui se trouvait près du puits et ils l’on versé sur les gens

9 pour les aider à se lever. Mais ils me l’on dit, je ne l’ai pas vu.

10 J’ai seulement vu que la route était mouillée et j’ai vu le sang, en

11 fait, j’ai vu qu’elle était humide et couverte de sang.

12 Q. : À quel endroit la route était-elle tâchée de sang et humide ?

13 R. : Juste entre les maisons de Ahmet et de Salko, là où les gens avaient

14 été allongés sur la route.

15 Q. : Vous dites que vous avez marché sur la route vers la maison de votre

16 soeur ?

17 R. : Oui.

18 Q. : Est-ce dans la direction de Kozarac ?

19 R. : Oui.

20 Q. : Outre les deux cadavres que vous avez vus sur la route, avez-vous vu

21 d’autres corps ce jour là ?

22 R. : De l’autre côté.

23 Q. : À quel endroit ?

24 R. : Derrière la maison de Ilijaz Elkasovic, il y avait d’autres

25 cadavres.

Page 4943

1 Q. :Pourrions nous avoir la pièce 285, s’il vous plaît ? Madame Sahbaz, je

2 voudrais que vous regardiez cette liste de noms. Veuillez garder la

3 liste à plat sur la table. Reconnaissez-vous des noms dans cette

4 liste ?

5 R. : Oui. Pas tous, mais j’en reconnais certains, il y avait des réfugiés

6 que je ne connaissais pas mais sur la première page je connais tous

7 ces gens.

8 Q. : Pourriez-vous nous dire, s’il vous plaît, le numéro ou la lettre

9 désignant l’homme que vous avez vu venir avec du sang sur le visage

10 quand vous êtes sortie de la maison pour la première fois ?

11 R. : Un instant. n° 7.

12 Q. : Lesquels de ces noms, toujours en donnant le chiffre ou la lettre qui

13 les désigne, étaient dans le groupe pour autant que vous vous en

14 souveniez ?

15 R. : Je ne comprends pas.

16 Q. : D’accord. Pourriez-vous indiquer le chiffre ou la lettre qui désigne

17 les hommes que vous avez vus allongés sur la route et que l’on

18 battait.

19 R. : Oui, n°1, n°2 et n°7. Ce sont les trois hommes que j’ai vus battre

20 sous mes propres yeux. Les autres non. Je ne pouvais pas, je n’ai

21 pas regardé.

22 Q. :Vous souvenez-vous si oui ou non d’autres hommes étaient allongés avec

23 ces trois là et que l’on battait ?

24 R. : Oui, mais je ne m’en souviens pas. Je ne peux pas reconnaître les

25 gens qui s’éloignent du portail et je ne peux pas les voir. Ils

Page 4944

1 avancent sur la route. Il y a une haie et on ne peut pas voir plus

2 loin. Je n’ai vu que ces trois là.

3 Q. : Pourriez-vous désigner par leur lettre l’identité des corps que vous

4 avez vu dans le village ce jour-là ?

5 R. : Oui. Lettre A, B, C , D, E... ils sont morts.

6 Q. : Enfin, pourriez-vous désigner par leur chiffre les hommes dont vous

7 savez qu’il ont été emmenés du village de Jaskici ce jour-là ?

8 R. : Oui, 1, 2, 3, 4, excusez-moi, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13 et 14.

9 Q. : Le numéro 13 est votre fils ?

10 R. : Oui, c’est pour cela que je me suis arrêtée. J’ai vu son nom et mes

11 mains se sont mises à trembler parce qu’il est presque le dernier.

12 Q. : Cette année en mai, un enquêteur du tribunal vous a montré un album

13 de photos, n’est-ce pas ?

14 R. : Oui.

15 Q. :Que vous a-t-il dit en vous montrant cet album ?

16 R. : Il m’a demandé si je reconnaissais quelqu’un sur les photos qu’il me

17 montrait "Les connaissez-vous" ?

18 Q. :Avez-vous reconnu quelqu’un sur les clichés ?

19 R. : Une seule sur toutes les photos.

20 Q. : Quel homme avez-vous reconnu ? Où l’aviez-vous vu avant ?

21 R. : Je l’avais vu dans la cour de la route entre les maisons d’Ahmet et

22 de Salko. C’était l’homme en uniforme de camouflage, dans l’uniforme

23 tacheté, multicolore. C’est la personne que j’ai reconnue.

24 Q. : Avez-vous signé cette photo au dos ?

25 R. : Oui, j’étais sûre que ça pouvait être cette personne.

Page 4945

1 Q. :Cet album pourrait-il être versé au dossier ? Il s’agit de la pièce

2 295 que l’on montre maintenant au témoin.

3 R. : Merci.

4 Q. : Madame Sahbaz, pourriez-vous regarder cet album et me dire si vous le

5 reconnaissez ?

6 R. : Je reconnais cet album Monsieur Il était avec moi et j’ai regardé

7 toutes ces photos. Il s’agit de cette photo.

8 Q. : Pouvez-vous retourner cette photo et me dire si votre signature se

9 trouve au dos ?

10 R. : Seulement si je sors la photo.

11 Q. : Merci. Madame le Président, je voudrais verser la pièce 294.

12 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Des objections ?

13 MONSIEUR KAY : Pas d’objections, Madame le Président.

14 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : La pièce 294 est admise.

15 MONSIEUR KEEGAN : Je pense avoir omis de verser la pièce 293, la

16 photographie de la maison de Ahmet Jaskic. Je voudrais le faire

17 maintenant.

18 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Des objections ?

19 MONSIEUR KAY : Pas d’objections.

20 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : La pièce 293 est admise.

21 MONSIEUR KEEGAN : Madame Sahbaz, est-ce que l’on a eu des nouvelles des

22 hommes qui ont été emmenés ce jour-là, pour autant que vous le

23 sachiez ?

24 R. : On a entendu parler d’un et malheureusement, je n’ai rien pu

25 apprendre directement ni parler directement à cet homme, l’un d’eux

Page 4946

1 a survécu.

2 Q. : Avez-vous eu des nouvelles ou avez-vous vu votre fils depuis ce jour-

3 là ?

4 R. : Non, jamais. Je n’ai pas eu de nouvelles de mon fils mais j’ai

5 entendu parler d’une personne qui était partie avec ce groupe et qui

6 a survécu et au sujet de mon fils j’ai entendu plusieurs

7 déclarations qu’il était en vie et qu’il me reviendrait.

8 Q. : Mais vous a-t-il jamais donné de nouvelles ?

9 R. : Jamais.

10 MONSIEUR KEEGAN : Rien d’autre, Madame le Président.

11 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : L’audience est suspendue pour 20 minutes.

12 (11h45)

13 (Brève suspension d’audience)

14 (12h05)

15 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Le Conseil n’entendra pas cette affaire

16 demain. Nous reprendrons mardi prochain à dix heures, après avoir

17 terminé l’audience d’aujourd’hui bien sûr. Monsieur Kay, contre-

18 interrogatoire ?

19 MONSIEUR KAY : Merci, Madame le Président.

20 Contre-interrogatoire par MONSIEUR KAY

21 Q. : Madame Sahbaz, connaissiez-vous Du{ko Tadi} de Kozarac ?

22 R. : Non.

23 Q. : Concernant les photos que l’on vous a demandé de regarder en mai

24 cette année, vous avez écrit au dos de celle dont vous avez reconnue

25 la date à laquelle vous les aviez regardées, n’est-ce pas ?

Page 4947

1 R. : Oui.

2 Q. : A ce que j’ai vu, c’était le 31 mai de cette année ?

3 R. : Le 31, oui, mais je ne me souviens plus de quel mois, si c’était en

4 mai ou non, mais la date oui, le 31, ma signature, mais je ne me

5 souviens pas du mois.

6 Q. : Merci. Aviez-vous vu des reportages sur ce procès avant de regarder

7 cette photo ?

8 R. : Non, absolument pas. Je n’ai pas la télévision par satellite. Je n’ai

9 pas l’occasion de regarder. Je suis à la campagne en (expurgé) et il

10 n’y a que quatre familles bosniaques et nous ne regardons pas la

11 télévision. Si je peux aller chez les (expurgé), c’est impossible.

12 Q. : Mais avez-vous vu des journaux télévisés concernant ce procès sur les

13 chaînes du pays où vous vivez ?

14 R. : Pas la télévision, parfois nous écoutons la radio. Je ne veux pas

15 écouter. C’est difficile pour moi. Je suis une mère et j’évite les

16 informations. Cela me bouleverse, comme on dit. Je ne peux pas le

17 supporter.

18 Q. : Mais vous avez une télévision chez vous ?

19 R. : Non, j’ai une télévision mais je n’ai pas de satellite, donc je ne

20 peux pas regarder.

21 Q. : Mais la télévision ordinaire, pas les canaux satellite, la télévision

22 ordinaire du pays où vous êtes, vous la recevez ?

23 R. : Oui.

24 Q. : Pendant les informations...

25 R. : Je ne me souviens pas. Je regarde rarement la télévision. Nous allons

Page 4948

1 nous promener. Mon mari a été dans trois camps. Il est tout le temps

2 bouleversé. Il ne veut rien voir ni entendre. Nous sommes sans

3 nouvelles de notre fils depuis cinq ans. Nous vivons dans

4 l’incertitude. Il n’a pas vu sa mère depuis cinq ans. Il ne sait pas

5 si elle est vivante et si j’allais voir les informations, cela ne

6 m’intéresse pas. Je sauve juste ma peau. Je détourne la tête afin de

7 ne pas voir des cadavres et tout ça.

8 Q. : Mais la télévision à donné des nouvelles de ce procès quand il a

9 commencé ?

10 R. : Non, je ne croyais pas que je viendrais, que je dirais quelque chose

11 à la télévision mais je ne m’intéresse pas à ce que les autres

12 disent, seulement à ce dont j’ai besoin, ce qui m’intéresse.

13 Q. : Quelque chose dans les journaux sur l’affaire de Monsieur Tadi} ?

14 Avez-vous vu quelque chose dans les journaux du pays où vous résidez

15 ?

16 R. : Je n’ai rien compris.

17 Q. : N’avez-vous rien vu ...

18 R. : Je n’ai pas entendu.

19 Q. : ... dans les journaux du pays où vous vivez au sujet de cette affaire

20 ?

21 R. : Je ne lis pas les journaux. Je ne peux pas lire les journaux. Je ne

22 vois pas. Je n’ai pas de lunettes. Je pleure tout le temps. Quand je

23 dois voir une photo, je demande une paire de lunettes et je ne lis

24 pas du tout les journaux.

25 Q. :Avez-vous vu des photos de Monsieur Tadi} dans le journal que vous

Page 4949

1 avez vu ?

2 R. : Je n’achète pas les journaux je ne les suis pas, absolument pas,

3 seulement des images, des photos que je reçois de quelqu’un de ma

4 famille. Pour cela je cherche des lunettes, rien d’autre et dans ce

5 cas je les emprunte. Je n’en possède pas.

6 Q. : Très bien. Je vais vous poser quelques questions sur cette après-midi

7 du 14 juin 1992. Vous nous avez parlé du soldat serbe en uniforme

8 camouflé qui menait un homme par la peau du cou sur la route en

9 direction de votre maison, vous vous souvenez ?

10 R. : Oui, je m’en souviens.

11 Q. : Est-il exact que l’homme conduit de cette façon était Ismet Jaski} ?

12 R. : Lui-même, Ismet Jaskic, fils de Huso Jaskic, c’est à dire le fils de

13 mon oncle et je l’ai vu couvert de sang aux mains d’un soldat en

14 uniforme camouflé.

15 Q. : Cet homme avait-il aussi un chapeau sur la tête ?

16 R. : La première fois que je l’ai vu, il semblait en uniforme camouflé de

17 la tête aux pieds et je crois qu’il avait quelque chose sur la tête

18 une sorte de protection. Je pense que c’est ce qu’il avait sur la

19 tête. C’est l’impression que j’ai eue.

20 Q. :Vous souvenez-vous s’il portait un chapeau de camouflage à larges

21 bords ?

22 R. : Non. C’était d’une seule couleur, cet uniforme, multicolore, comme

23 l’uniforme. C’était juste une protection contre le soleil. La

24 deuxième fois que je suis sortie, je ne me souviens pas de quoi que

25 ce soit. J’étais juste..., je ne sais pas ce qu’il portait. Je ne

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1 faisais que suivre ses paroles parce que j’avais peur. J’avais très

2 peur. J’avais peur tout le temps.

3 Q. : Si vous avez dit qu’il avait une protection contre le soleil, il est

4 donc exact que vous vous souvenez que cet homme portait un chapeau ?

5 R. : Je me souviens.

6 Q. :Vous vous souvenez que cet homme portait un chapeau ?

7 R. : Je me souviens. Je pense qu’il l’a porté un moment, après, je ne me

8 souviens pas, mais je me souviens de l’homme lui-même et de son

9 visage et je l’ai regardé tout le temps pour ne pas l’oublier. Je ne

10 voulais pas me souvenir mais je ne peux pas l’oublier, ni la peur

11 que j’ai eue ni ce que j’ai vu là.

12 Q. : Pouvons-nous parler du chapeau un instant, s’agissait-il d’un chapeau

13 de camouflage ?

14 R. : Je n’observais pas sa tête. Je ne pouvais pas me retourner pour

15 l’analyser. On peut seulement regarder la personne. Quand vous êtes

16 calme et quand vous avez peur, vous pouvez seulement justifier le

17 moment ou vous êtes.

18 Q. : Vous souvenez-vous cependant si ce chapeau avait de larges bords ?

19 R. : Oui, je me souviens.

20 Q. : Quand vous avez fait des descriptions de cet homme dans le passé

21 avez-vous mentionné qu’il portait un chapeau ?

22 R. : Oui.

23 Q. : L’uniforme camouflé dont vous nous avez parlé plus tôt dans la

24 matinée, j’ai compris qu’il comportait la couleur bleue et café et

25 des couleurs pâles ainsi que foncée, bleu foncé ?

Page 4951

1 R. : De couleur verte, vert foncé et café, ce que j’imagine et ce que j’ai

2 vu, et vous pouvez dire ce que vous voulez, votre opinion et la

3 votre est la mienne est ce que j’ai vu.

4 Q. : Je me posais simplement la question parce que j’utilisais les mots

5 même que vous avez employés dans la matinée et vous avez bien dit

6 qu’il était bleu foncé ?

7 R. : Vert foncé.

8 Q. : Ce matin il ne s’agissait donc que d’une simple erreur si vous avez

9 dit cela ?

10 R. : Pas pour moi. Ce n’est pas mon opinion, pas une erreur à mon avis.

11 Q. : Quand vous dites que vous avez vu cet homme et que vous avez regardé

12 son visage, pouvez-vous vous souvenir s’il avait ou non une barbe ?

13 R. : Je ne me souviens absolument pas d’une barbe.

14 Q. : L’autre homme que vous avez décrit, le blond, c’était l’homme avec un

15 long bâton, n’est-ce pas ?

16 R. : Il l’avait - ce n’était pas un bâton mais un pieu, retiré de la

17 clôture.

18 Q. : Vous souvenez-vous de la couleur des vêtements qu’il portait ?

19 R. : J’essaie d’oublier tout le reste. Je me souviens de sa tête et de ses

20 cheveux. Il était tourné - sa tête - il me tournait le dos. C’est ce

21 dont je me souviens. Son visage n’était pas vers moi. Aussi

22 longtemps que je l’ai regardé, il me tournait le dos. Il faisait

23 face à la maison de Salko et à la route.

24 MONSIEUR KEEGAN : Je suis désolé. Excusez mon interruption, Madame le

25 Président, il s’agit d’une question d’expurgation.

Page 4952

1 MONSIEUR KAY : Oui, je vous en prie.

2 MONSIEUR KEEGAN : Le code temporel est 12.11.42 ce qui je crois correspond

3 à la page 57, ligne 6. Et je crois qu’il y en a eu une seconde, une

4 ou deux phrase après. La seconde est à 12.11.52, Madame le

5 Président.

6 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Des objections à ce que ce soit expurgé ?

7 MONSIEUR KAY : Non, Madame le Président.

8 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Elles sont accordées. Monsieur Tadi}, je veux

9 dire Monsieur Kay pour Monsieur Tadi}. Vous n’avez pas de barbe.

10 MONSIEUR KAY ?Au témoin? : Pouvez vous vous souvenir d’autres couvre-chefs

11 portés par les soldats qui se trouvaient à Jaskici ?

12 R. : Depuis ce jour, je pense à mon enfant, et à ce que j’ai vécu, voilà à

13 quoi je pense et les gens qui se sont conduits ainsi, je n’ai pas

14 beaucoup observé, juste la personne qui était en uniforme et les

15 autres ne m’intéressaient pas tellement parce qu’ils prenaient tous

16 leurs ordres de lui.

17 Q. :Donc l’homme au chapeau à large bords donnait des ordres aux autres,

18 c’est cela ?

19 R. : Il n’y avait pas d’écran blanc? Je n’ai vu aucun écran blanc.

20 Q. : Je ne crois pas avoir dit cela mais -

21 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : C’est un problème d’interprétation.

22 MONSIEUR KAY : Je vais reposer ma question. Vous dites bien que l’homme au

23 chapeau à larges bords était celui qui donnait des ordres aux

24 autres ?

25 R. : Qu’il ait eu un bord ou non, je ne sais pas, mais il donnait des

Page 4953

1 ordres. C’était un écran comme pour le soleil. C’était cela, vous

2 savez, c’est ce que j’ai vu. Mais ensuite je ne me souviens plus

3 s’il l’avait encore ou pas. Il ne cachait pas ses yeux, c’est tout

4 ce que j’ai vu et puis comme l’uniforme, camouflage. Tout était

5 pareil.

6 Q. : Donc il s’agissait d’un chapeau de camouflage ?

7 R. : C’est cela.Comme le reste des vêtements sauf que ce n’était pas un

8 chapeau mais plus une visière.

9 Q. :Est-ce que l’un des soldats portait un béret français rouge ?

10 R. : Oui. Un. Je me souviens, dans la cour de Salko, mais je n’ai pas

11 beaucoup regardé, j’ai vu ça.

12 Q. : En avez-vous vu d’autres avec des bérets rouges ?

13 R. : Non. Seulement un.

14 Q. :Est-ce que ceux qui portaient des t-shirts noirs avaient des bérets

15 rouges ?

16 R. : Non, je n’ai pas vu.

17 MONSIEUR KAY : Je n’ai plus de questions, Madame le Président.

18 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Monsieur Keegan, nouvel interrogatoire ?

19 MONSIEUR KEEGAN : Non, Madame le Président.

20 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Quelqu’un s’oppose-t-il à ce que Madame

21 Sahbaz soit définitivement libérée ?

22 MONSIEUR KAY : Non, Madame le Président.

23 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Madame Sahbaz, vous êtes libre de vous

24 retirer définitivement. Vous pouvez partir. Merci d’être venue. Vous

25 pouvez partir, merci.

Page 4954

1 (Le témoin se retire)

2 MONSIEUR KEEGAN : Madame le Président, l’Accusation appelle Senija

3 Elkasovic à la barre des témoins.

4 Appel de MADAME SENIJA ELKASOVIC.

5 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Madame Elkasovic, voulez-vous prêter serment

6 ?

7 LE TÉMOIN ?Interprétation? : Je déclare solennellement de dire la vérité,

8 toute la vérité et rien que la vérité.

9 (Prestation de serment du témoin

10 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Bien. Merci. Vous pouvez vous asseoir.

11 Interrogatoire mené par MONSIEUR KEEGAN

12 Q. : Madame Elkasovic, pourriez-vous donner votre nom complet pour le

13 procès-verbal ?

14 R. : Senija Elkasovic.

15 Q. : Quelle est votre date de naissance ?

16 R. : Le 28 janvier 1961.

17 Q. : Dans quelle localité ?

18 R. : A Brdjani.

19 Q. : Est-ce dans l’opstina de Prijedor en République de Bosnie-Herzégovine

20 ?

21 R. : Oui.

22 Q. : Où avez-vous grandi ?

23 R. : Dans le village de Brdjani.

24 Q. : Y êtes-vous aussi allée à l’école ?

25 R. : Oui, à Kozarac.

Page 4955

1 Q. : Êtes-vous mariée ?

2 R. : Oui.

3 Q. : Avez-vous des enfants ?

4 R. : Oui, deux.

5 Q. :Où avez-vous vécu après votre mariage ?

6 R. : Dans le village de Jaskici.

7 Q. : Connaissez-vous un homme de Kozarac du nom de Du{ko Tadi} ?

8 R. : Oui.

9 Q. : Depuis combien de temps connaissez-vous cet homme ?

10 R. : Depuis 15 ans environ.

11 Q. : Comment l’avez-vous connu ?

12 R. : Je l’ai connu à Kozarac parce qu’il s’est marié au village de

13 Vidovici.

14 Q. : Saviez-vous qui il était avant qu’il ne se marie ?

15 R. : Avant qu’il ne se marie, je le connaissais de vue. Je ne connaissais

16 pas vraiment son nom. Mais quand il a épousé Madame Mira, alors j’ai

17 su qui il était et ce qu’il faisait.

18 Q. : Avant qu’il ne se marie, quand vous avez appris qui il était, que

19 voulez-vous dire en disant que vous le connaissiez de vue ?

20 R. : Eh bien, vous savez, de Kozarac, de vue.

21 Q. : Connaissiez-vous Mira, sa femme ?

22 R. : Oui.

23 Q. : Comment la connaissiez-vous ?

24 R. : Nous vivions près l’une de l’autre et nous avons presque grandi

25 ensemble.

Page 4956

1 Q. : Est-ce que Vidovici fait partie de Brdjani ?

2 R. : Oui.

3 Q. : Viviez-vous près de Mira quand vous étiez enfants ?

4 R. : Oui, nous étions - nous vivions près l’une de l’autre.

5 Q. : Quand avez-vous appris le nom de Du{ko Tadi} ?

6 R. : Quand je l’ai appris, eh bien, quand lui et Mira se sont mariés.

7 Q. : Avez-vous rencontré Du{ko Tadi} personnellement ?

8 R. : Non, seulement en passant.

9 Q. : Échangiez-vous des salutations avec lui et Mira ?

10 R. : Je disais "Bonjour", "Bon après-midi" et "Comment allez-vous" en

11 passant.

12 Q. : Où vous saluiez-vous ?

13 R. : Disons, cela dépend, à Kozarac quand nous nous rencontrions à

14 Vidovici.

15 Q. : Savez-vous où habitaient Du{ko Tadi} et sa femme Mira à Kozarac ?

16 R. : Oui. A Kozarac, ils vivaient en face de la pharmacie.

17 Q. : Savez-vous quel était le métier de Du{ko Tadi} ?

18 R. : Il faisait du karaté et il avait un café et des choses comme ça.

19 Q. : Savez-vous quel était le travail de Mira dans la région ?

20 R. : Oui, elle travaillait au dispensaire. Elle était infirmière.

21 Q. : Savez-vous s’il avaient des enfants ?

22 R. : Oui, ils avaient deux filles.

23 Q. : Avant la guerre avez-vous vu Du{ko Tadi} avec une barbe ?

24 R. : Avant la guerre oui, je l’ai vu avec une barbe et sans barbe.

25 Q. : Pourrait-on montrer la pièce à conviction 269 au témoin s’il vous

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1 plaît ? Pourrait-on la placer sur le rétroprojecteur ?

2 R. : C’est -

3 Q. : Un instant, s’il vous plaît. Peut-on brancher le rétroprojecteur,

4 s’il vous plaît ? Merci.

5 R. : Du{ko Tadi}.

6 Q. : Reconnaissez-vous l’autre personne sur la photo ?

7 R. : Émir Karabasic.

8 Q. : Connaissez-vous Émir Karabasic, Madame Elkasovic ?

9 R. : Il se trouvait aussi à Brdjani et je passais devant sa maison.

10 Q. : Merci. Vous souvenez-vous de la date du début de la guerre à Kozarac

11 ?

12 R. : Le 24 mai 1992.

13 Q. : Où vous trouviez-vous au début du bombardement ?

14 R. : Quand le bombardement a commencé je me trouvais dans mon champ, je

15 creusais, je travaillais le blé.

16 Q. : Qu’avez vous fait quand le bombardement a commencé ?

17 R. : Mon mari est venu et m’a dit "Laisse ça, viens."

18 Q. : Où sont allés les gens du village de Jaskici durant le bombardement ?

19 R. : Ils sont tous allés s’abriter, à la maison.

20 Q. : Sont-ils allés dans des maisons particulières dans le village ?

21 R. : Ça dépend de ce qu’ils sont arrivés à faire. Certains sont allés chez

22 Abaz Jaskic. Ceux qui étaient plus près de Sivci, ont fuit à Sivci

23 et ainsi de suite.

24 Q. : Pourquoi aller chez Abaz Jaskic ?

25 R. : Parce que c’était la maison la plus solide de l’endroit.

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1 Q. : Pourquoi d’autres sont-ils allés à Sivci ?

2 R. : Ça dépendait de l’endroit où ils se trouvaient, je veux dire, quand

3 ils ont fuit. Nous n’étions pas tous au même endroit.

4 Q. : Êtes-vous restés pendant tout le temps dans les endroits où vous vous

5 étiez réfugiés ou êtes-vous retourné chez vous ?

6 R. : J’ai passé tout ce jour-là et puis nous sommes allés à Sivci et nous

7 sommes revenus chez nous. Donc nous sommes allés à Sivci et chez

8 Abaz et nous sommes rentrés chez nous durant le bombardement.

9 Q. : À Sivci où alliez-vous ?

10 R. : Je suis allée chez, comment s’appelle-t-il, Sadik Sivac.

11 Q. : Pourquoi être allée dans cette maison là en particulier ?

12 R. : C’était aussi une maison solide, une grande maison. Nous y étions

13 nombreux et c’est pour cela que nous y sommes allés.

14 Q. : Durant les jours suivants pendant la poursuite de l’attaque contre

15 Kozarac, des réfugiés sont-ils arrivés dans votre village ?

16 R. : Oui, en effet, ils venaient chez moi les réfugiés, mes parents, ma

17 mère, ma soeur, mon beau-frère de Brdjani sont venus chez moi.

18 Q. : Que se passait-il dans les autres maisons du village, des réfugiés y

19 venaient-ils aussi ?

20 R. : Oui, dans toutes les maisons, tous ceux qui avaient de la famille,

21 des réfugiés venaient chez eux.

22 Q. : D’où venaient ces réfugiés ?

23 R. : Voyons, il y avait des réfugiés de Brdjani, de Kamicani, de

24 Jakupovici, de Kozarusa, Besici, de partout. Tous ceux qui avaient

25 de la famille ici, venaient.

Page 4959

1 Q. : De quel groupe ethnique étaient les réfugiés qui venaient dans votre

2 village ?

3 R. : Je ne comprends pas.

4 Q. : De quelle nationalité ?

5 R. : Oh, Musulmans.

6 Q. : De quelle nationalité êtes-vous ?

7 R. : Musulmane.

8 Q. : Et les autres familles du village ?

9 R. : De notre village ?

10 Q. : Oui.

11 R. : Dans notre village il y avait des Musulmans. Il y avait un foyer

12 ukrainien.

13 Q. : De quelle maison s’agissait-il ?

14 R. : C’était la famille de Jozo Orlovski.

15 Q. : Avant le jour où les soldats sont venus à Jaskici, combien de

16 familles parmi celles qui vivaient à Jaskici sont parties ?

17 R. : Quatre familles après le nettoyage, il ne restait des gens que dans

18 cinq maisons. Toute la famille de Huso Jaskic est partie. Il est

19 resté tout seul à la maison.

20 Q. : Y avait-il des points de contrôle dans le village ou près du village

21 ?

22 R. : Non.

23 Q. : Est-ce que les hommes du village patrouillaient avec des armes ?

24 R. : Vous voulez dire nos hommes ?

25 Q. : Oui.

Page 4960

1 R. : Non.

2 Q. : Quel jour les soldats sont-ils venus au village ?

3 R. : Le 14 juin 1992.

4 Q. : Vers quelle heure sont-ils arrivés ?

5 R. : Entre 14h et 15h.

6 Q. : Quelle est la première chose dont vous vous souveniez quand ils sont

7 arrivés dans le village ?

8 R. : La première chose dont je me souviens, c’est un coup de feu derrière

9 la maison. C’était très proche. Mon mari est allé regarder de la

10 chambre et il a vu l’armée arriver vers la maison et il a dit "Ils

11 arrivent". Alors tous ceux qui étaient là se sont levés, nous avons

12 bondi. Mon enfant dormait à ce moment-là, alors je suis allée le

13 chercher. J’ai pris l’enfant et nous nous sommes dirigés vers

14 l’entrée pour sortir mais avant cela nous les avons entendus crier

15 "Y-a-t-il quelqu’un à la maison ?" et nous avons répondu "Oui". Nous

16 avons répondu "Oui" et nous sommes allés vers l’entrée.

17 Q. : Madame Elkasovic, quand votre mari a regardé par la fenêtre après

18 avoir entendu le coup de feu, dans quelle direction a-t-il regardé ?

19 R. : A l’arrière de la maison, vers le champ.

20 Q. : Bien. Y avait-il un village de l’autre côté de ce champ ?

21 R. : Il y avait une forêt derrière le champ et puis le village de Sivci.

22 Q. : Pourriez-vous s’il vous plaît utiliser ce pointeur qui se trouve près

23 de vous sur la table et indiquer sur la carte quelle maison est la

24 vôtre, il s’agit de la pièce 287.

25 R. : ?Le témoin indique sur la carte? Ma maison.

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1 Q. : Madame Elkasovic, pourriez-vous vous éloigner du tableau, s’il vous

2 plaît, pour que les gens puissent voir l’endroit que vous indiquez.

3 Pourriez-vous maintenant désigner -

4 R. : Ma maison.

5 Q. : - sur le plan des rues, les carrés rouges quelle maison est la vôtre

6 ?

7 R. : ?Le témoin désigne l’endroit? Celui-ci.

8 Q. : Pour le procès-verbal, pouvez vous désigner la maison de Jozo

9 Orlovski sur ce schéma ?

10 R. : ?Le témoin désigne l’endroit?

11 Q. : Et quelle image ?

12 R. : ?Le témoin l’indique?

13 Q. : Merci. Vous pouvez vous rasseoir. Savez-vous quelle est la

14 nationalité de Jozo Orlovski ?

15 R. : Jovo Orlovski, qui est ce Jovo ?

16 Q. : Jozo.

17 R. : Jozo. Eh bien, à ce que je sais, il est Ukrainien, mais je ne connais

18 pas grand chose sur le sujet.

19 Q. : Vous avez dit que vous vous êtes dirigés vers l’entrée après que

20 quelqu’un ait demandé en hurlant s’il y avait quelqu’un dans la

21 maison. Que s’est-il passé ensuite ?

22 R. : Eh bien quand nous avons avancé j’ai vu deux canons d’arme dans mon

23 entrée, à la porte d’entrée et bien sûr, nous tous, les femmes et

24 les enfants et les hommes et puis un soldat "Les femmes et les

25 enfants, reculez, les hommes, avancez".

Page 4962

1 Q. : Vous dites avoir vu deux canons dans votre entrée, quelle sorte de

2 canons ?

3 R. : Oh, il s’agissait de fusils, mais je ne connais rien aux fusils.

4 Q. : Ces fusils étaient pointés vers votre maison ?

5 R. : Vers mon entrée, celle par laquelle nous essayions de sortir.

6 Q. : Que s’est-il passé après que le soldat ait crié "Les femmes et les

7 enfants, reculez, les hommes, avancez", que s’est-il passé ?

8 R. : Les hommes sont sortis. Nous sommes retournés dans l’entrée et un

9 soldat a suivi.

10 Q. : Cette photographie pourrait-elle être enregistrée comme la prochaine

11 pièce à la cote 295, puis transmise au témoin ? Madame Elkasovic,

12 reconnaissez-vous cette photo ?

13 R. : Je la reconnais. C’est ma maison.

14 Q. : Peut-on la placer sur le rétroprojecteur, s’il vous plaît ?

15 R. : C’est ma maison.

16 Q. : Madame Elkasovic, pourriez-vous d’abord indiquer, s’il vous plaît où

17 se trouve l’entrée de votre maison, la porte d’entrée dont vous

18 parliez ?

19 R. : Ici, là où sont ces gens.

20 Q. : Quand les hommes de votre maison sont sortis vous dites qu’un soldat

21 est entré ?

22 R. : Oui.

23 Q. : Quels sont les hommes qui ont quitté votre maison ce jour-là ?

24 R. : Mon mari, Ilijaz Elkasovic, mon frère Senad Majdanac, mon beau-frère

25 Fehim Turkanovic ont quitté la maison.

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1 Q. : Quand le soldat est entré qu’a-t-il dit aux femmes et aux enfants de

2 faire ?

3 R. : Il a dit en criant "Plus vite, vous devez tous vous allonger sur le

4 sol et y rester", les femmes sont entrées, en arrivant une par une,

5 alors nous sommes entrés. Je suis entrée dans ma cuisine et je suis

6 allée à la fenêtre. En m’approchant de la fenêtre, j’ai regardé au

7 dehors. Je voulais savoir où allaient les hommes de ma maison. En

8 regardant où ils allaient, j’ai vu Du{ko Tadi} debout dans ma cour.

9 Q. : Madame Elkasovic, pourriez-vous s’il vous plaît indiquer sur la photo

10 la fenêtre par laquelle vous avez regardé ?

11 R. : ?Le témoin indique l’endroit sur la photo? Par cette fenêtre.

12 Q. : Pour le procès-verbal, Madame le Président, il s’agit de la fenêtre

13 située sur la droite lorsque l’on regarde la photo. Merci. En

14 entrant dans cette pièce et en regardant par la fenêtre, qu’est-ce

15 que ce soldat vous a dit de faire ?

16 R. : Il a dit qu’il fallait aussi que je me couche. Je portais le bébé

17 dans mes bras. Je l’ai posé à côté de moi et je me suis allongée.

18 Q. : En regardant par cette fenêtre avez-vous vu Du{ko Tadi} clairement ?

19 R. : Oui. Très clairement et très proche.

20 Q. : Pourriez-vous indiquer sur la photo l’endroit approximatif où il se

21 trouvait quand vous l’avez vu ?

22 R. : L’entrée de la maison est donc ici et les hommes venaient par là vers

23 le centre et quelque part par là se trouvait l’entrée de la route et

24 Du{ko Tadi} se tenait approximativement ici.

25 Q. : Donc vers le centre de la pelouse quand nous regardons la photo ?

Page 4964

1 R. : Oui.

2 Q. : Est-ce que les hommes qui sortaient de votre maison sont passés

3 devant Tadi}, c’est-à-dire entre Du{ko Tadi} et la fenêtre par

4 laquelle vous regardiez ou de l’autre côté ?

5 R. : Ils sont passés devant lui.

6 Q. : Donc ils sont passés entre Du{ko Tadi} et la fenêtre ?

7 R. : J’étais dans la maison et ils étaient à l’extérieur. Ils sont passés

8 devant lui. Ils sont passés devant cette fenêtre. Ils sont passés

9 devant la fenêtre dans ce sens là, de là à là. C’est ainsi qu’ils

10 sont passés.

11 Q. : Donc quand les hommes sont passés, ils vous ont caché Du{ko Tadi} ?

12 R. : Je l’ai vu en personne, il était tourné vers la fenêtre, à leur

13 rencontre.

14 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Monsieur Keegan, pourriez-vous demander au

15 témoin d’indiquer à nouveau la direction d’où venaient les soldats ?

16 J’ai détourné la tête. Je vous prie de m’excuser.

17 MONSIEUR KEEGAN : Bien. Madame Elkasovic, pourriez-vous s’il vous plaît

18 indiquer comment les hommes sont sortis de votre maison et ont

19 quitté la cour ?

20 R. : Ils venaient d’ici, où était l’entrée et il y avait un chemin ici

21 pour sortir. C’est ma voie d’accès à la route. De là, ils ont pris

22 cette direction et Monsieur Tadi} était ici. Donc de cette fenêtre,

23 ici, je voyais de mes propres yeux la personne que j’ai reconnue et

24 un soldat qui les suivait et qui me tournait le dos de sorte que je

25 ne pouvais le reconnaître.

Page 4965

1 Q. : Le soldat qui escortait les hommes depuis la maison ?

2 R. : Oui, il les suivait tous les trois.

3 Q. : Que faisait Du{ko Tadi} pendant que les hommes quittaient votre

4 maison ?

5 R. :Eh bien, j’ai dû me coucher et je ne sais pas ce qui s’est passé

6 ensuite. Je veux dire, la seule chose que j’ai vue c’est quand j’ai

7 regardé par la fenêtre. C’est tout ce que j’ai pu voir.

8 Q. : C’est de ce moment que je parle. Que faisait Du{ko Tadi} quand vous

9 l’avez vu ?

10 R. : Il restait là.

11 Q. : Vous souvenez-vous de la manière dont il était habillé quand vous

12 l’avez vu ?

13 R. : Il avait un costume bariolé.

14 Q. : Que voulez vous dire par "costume bariolé" ?

15 R. : Eh bien, vous savez, leurs vêtements tachetés, de camouflage, ceux de

16 toutes les couleurs, militaires.

17 Q. : S’agissait-il d’un uniforme ou de vêtements civils ?

18 R. : Un uniforme, militaire, un uniforme de l’armée de leur - cet

19 uniforme-là. Je veux dire, ils avaient tous des vêtements comme ça.

20 Q. : Quelles couleurs ? Vous nous avez dit qu’il s’agissait d’un

21 camouflage multicolore, de quelles couleurs était-il ?

22 R. : Écoutez, quelles étaient ces couleurs ? Ces couleurs étaient, vous

23 savez, quelque chose entre café et café au lait, je veux dire,

24 comment expliquer ?

25 Q. : Vous souvenez-vous d’autres couleurs que la couleur café ?

Page 4966

1 R. : Bon, vous savez, certaines étaient plus claires, certaines plus

2 pâles. Il y avait tant de couleurs.

3 Q. : Après vous être allongée sur le sol de quoi vous souvenez-vous ?

4 R. : Je me suis allongée et le soldat qui était rentré dans la maison

5 passait parmi nous, il cherchait l’argent, les bijoux, ouvrait les

6 armoires, vidait les tiroirs. Il parcourait la maison en hurlant, en

7 criant. Puis j’ai entendu beaucoup de bruit sur la route, des cris

8 et ainsi de suite.

9 Q. : Est-ce que le soldat qui était dans la maison vous a dit quelque

10 chose ?

11 R. : Oui. Il nous a insultés. Il a dit que ce n’était pas notre place, que

12 nous n’allions pas rester ici, qu’on nous enverrait en Turquie, il

13 injuriait nos mères, et nous insultait de toutes sortes de façons.

14 Q. : A-t-il dit quelque chose sur le fait de le regarder ?

15 R. : Oui, il a dit "Je coupe la gorge à celle qui me regarde".

16 Q. : A-t-il dit quelque chose sur ce qu’il ferait s’il trouvait quelqu’un

17 d’autre dans la maison ?

18 R. : Oui, il a parcouru la maison, il a cherché. Il est allé dans

19 l’entrée, dans les pièces "Est-ce que quelqu’un se cache ici ? Si je

20 trouve quelqu’un je l’égorge, je le tue."

21 Q. : Avez-vous pu voir ce que portait cet homme ?

22 R. : Oui.

23 Q. : Que portait-il ?

24 R. : Il avait aussi des vêtements multicolores et des bottes militaires et

25 un grand couteau suspendu à la ceinture et il avait une sorte de

Page 4967

1 bonnet rouge sur la tête.

2 Q. : Vous souvenez-vous de quelles couleurs étaient composés les vêtements

3 multicolores qu’il portait ?

4 R. : Je vous dis que je ne me souviens pas vraiment des couleurs, vous

5 savez, je n’ai pas eu beaucoup de temps pour observer. Je sais qu’il

6 y avait diverses couleurs. C’était entre la couleur café et café au

7 lait.

8 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Monsieur Keegan, l’audience est suspendue

9 jusqu’à 14h30.

10 (13h00)

11 (Pause déjeuner)

12 (14h30)

13 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Monsieur Keegan, voulez-vous continuer ?

14 MONSIEUR KEEGAN : Merci, Madame le Président. Madame Elkasovic, quand nous

15 nous sommes arrêtés pour la pause déjeuner, nous parlions de la

16 couleur de l’uniforme de camouflage de Monsieur Tadi}. Pourrait-on

17 montrer la pièce à conviction 139 au témoin et mettre cette

18 photographie sur l’écran, s’il vous plaît ? Je sais qu’il est un peu

19 difficile de voir sur l’écran. La photo sera fournie aux Juges après

20 que le témoin en aura fini avec elle, Madame le Président.

21 Madame Elkasovic, est-ce que l’uniforme de camouflage que vous avez

22 vu sur Monsieur Tadi} était de même couleur que celui présenté sur

23 cette photo, la pièce à conviction 139 ?

24 R. : Non, non.

25 Q. : De quelle couleur était l’uniforme porté par Monsieur Tadi} ?

Page 4968

1 R. : De couleur verdâtre et café au lait.

2 Q. : Peut-on donner cette photographie aux Juges, s’il vous plaît ? Madame

3 Elkasovic, quand vous et les autres femmes de votre maison étiez

4 allongées sur le sol, avez-vous entendu ce qui se passait au-dehors

5 ?

6 R. : Oui.

7 Q. : Qu’avez-vous pu entendre, s’il vous plaît ?

8 R. : J’ai entendu du bruit, des voix, des cris et j’ai entendu un soldat

9 hurler "Ne levez pas la tête" et, à ce moment là, les coups de feu

10 ont commencé. Cependant, ma mère s’est levée pour s’asseoir et a dit

11 "Ils les tuent". Puis le soldat qui était dans ma maison est arrivé

12 vers elle en courant, il a pointé son fusil tout autour et il a dit

13 "Allongez-vous où vous êtes ou je vous tue, je vous égorge". Bien

14 sûr, elle a dû retourner à sa place et ainsi de suite.

15 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Pouvez-vous entendre le témoin ? Peut-être le

16 témoin pourrait-il parler un peu plus fort et, Monsieur Bos, peut-

17 être...

18 L’INTERPRÈTE : Merci.

19 MONSIEUR KEEGAN : Madame Elkasovi}, savez-vous à quel moment le soldat a

20 quitté votre maison ?

21 R. : J’ai supposé qu’il était parti quand je n’ai plus entendu de pas dans

22 la maison. Alors j’ai pensé qu’il était parti. Alors j’ai rampé

23 jusqu’à la porte et j’ai regardé dans l’entrée et dans la pièce et

24 j’ai vu qu’il n’y était pas. Puis je suis revenue et je me suis

25 levée pour regarder vers la route par la fenêtre, pour voir ce qui

Page 4969

1 se passait.

2 Q. : Qu’avez-vous vu en regardant à l’extérieur ?

3 R. : J’ai vu les militaires et les gens qui vivaient là, ils s’éloignaient

4 de ma maison. Ils partaient.

5 Q. : Dans quelle direction les hommes allaient-ils ?

6 R. : Ils descendaient la route. Je les ai vus près de la maison de Zijad

7 Elkasovic.

8 Q. : Dans quelle direction passaient-ils devant la maison de Zijad

9 Elkasovic ?

10 R. : Vers Kozarac.

11 Q. : Pourriez-vous indiquer sur le plan des rues à l’aide du pointeur la

12 direction de Kozarac depuis le village ?

13 R. : Dans cette direction.

14 MONSIEUR WLADIMIROFF : Nous ne voyons rien.

15 MONSIEUR KEEGAN : Pourriez-vous vous éloigner un peu du schéma afin que

16 les gens de l’autre côté de la salle puissent également voir ? Pour

17 le procès-verbal, Madame le Président, je voudrais indiquer que le

18 témoin a indiqué vers le nord vers le mot Jaskici depuis la maison

19 marquée Zijad Elkasovic.

20 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Oui.

21 MONSIEUR KEEGAN : Merci. Vous pouvez vous asseoir. Avez-vous reconnu des

22 hommes du village parmi le groupe de tête ?

23 R. : Oui, j’ai reconnu deux jeunes hommes.

24 Q. : A quoi les avez-vous reconnus ?

25 R. : A leurs chemises.

Page 4970

1 Q. : Êtes-vous sortie tout de suite ?

2 R. : À ce moment-là, je me suis assise à l’endroit où je me trouvais. Je

3 ne sais pas combien de temps a passé avant que je me lève et que

4 j’aille dans la cour. En arrivant dans la cage d’escalier, j’ai vu

5 deux hommes à terre dans mon potager. Je n’ai pas compris qu’ils

6 étaient morts. Je suis simplement allée dans la cour. Là, j’ai

7 d’abord regardé vers la route.

8 Puis j’ai regardé en direction des gens qui partaient. Quand j’ai

9 regardé dans la direction des gens qui partaient je n’ai vu

10 personne. Il n’y avait personne. Alors j’ai longé la haie vers la

11 maison de Zijad Elkasovic.

12 Q. : Qu’avez-vous vu en vous dirigeant vers la maison de Zijad Elkasovic ?

13 R. : D’abord, j’ai vu un cadavre. J’ai continué un peu. J’en ai vu un

14 deuxième et puis je me suis simplement effondrée et je suis restée

15 là. Je ne sais pas combien de temps j’y suis restée.

16 Q. : Avez-vous reconnu les corps ?

17 R. : Oui.

18 Q. : S’agissait-il d’hommes du village ?

19 R. : La plupart étaient des hommes de notre village.

20 Q. : Avez-vous vu comment ils avaient été tués ? Pouviez-vous le voir ?

21 R. : Par balle.

22 Q. :Avez-vous vu où les balles les avaient touchés ?

23 R. : Le premier corps avait été touché par derrière. La balle avait frappé

24 l’autre au front.

25 Q. : Le premier homme, quand vous dites qu’il a été tué par-derrière, vous

Page 4971

1 voulez dire à l’arrière de la tête ?

2 R. : À la tête.

3 Q. : Vous dites que vous vous êtes effondrée sur la route. Que s’est-il

4 passé ensuite à votre souvenir ?

5 R. : Quelqu’un m’a interpellée "Qu’est-ce que vous faites ici ? Levez-

6 vous, partez de là." Je ne pouvais pas me lever.

7 Q. : Qui vous parlait ?

8 R. : Mon beau-père, Zijad Elkasovic.

9 Q. : Après que vous beau-père vous a rejointe, où êtes-vous allée ?

10 R. : Il m’a aidée à me lever. Je suis retournée à la maison.

11 Q. : Vous n’êtes pas allée voir qui étaient les hommes dans le jardin

12 derrière la maison ?

13 R. : Pas à ce moment-là, mais la famille des morts est arrivée et a

14 commencé à chercher, à essayer de savoir ce qui était arrivé aux

15 hommes et quand ils ont commencé, je les ai suivis.

16 Q. :Êtes-vous allés dans le jardin où se trouvaient les corps?

17 R. : Oui.

18 Q. : Avez-vous vu comment ils avaient été tués ?

19 R. : Ils avaient été blessés à l’arrière de la tête.

20 Q. : Après le départ des soldats ce jour-là, restait-il des hommes dans le

21 village ?

22 R. : Il restait trois hommes âgés.

23 Q. : Vous souvenez-vous qui étaient ces hommes ?

24 R. : Oui, il s’agissait de mon beau-père, Zijad Elkasovic de Huse Jaskic

25 et ...

Page 4972

1 L’INTERPRÈTE : Excusez-moi, je n’ai pas compris le second, désolé.

2 MONSIEUR KEEGAN : Quel était le deuxième nom ? L’interprète ne l’a pas

3 entendu.

4 R. : Munib Jusovic.

5 Q. : Merci. Pourrait-on montrer la pièce à conviction 285 au témoin, s’il

6 vous plaît ? Madame Elkasovic, pourriez-vous laisser cette liste de

7 nom à plat sur le bureau pendant que vous la lisez ? Reconnaissez-

8 vous des noms sur cette liste ?

9 R. : Oui.

10 Q. : Pouvez-vous nous dire, en les désignant par la lettre ou le chiffre

11 qui les désigne lesquels des hommes du village vous avez vus morts

12 ce jour-là ?

13 R. : Oui.

14 Q. : Pourriez-vous nous dire le chiffre ou la lettre en face de leur nom ?

15 R. : Lettre A, mort, lettre B, mort, lettre C, mort, lettre D, mort,

16 lettre E, mort.

17 Q. : Parmi ces hommes, quels sont ceux que vous avez vus sur la route près

18 de la maison de votre beau-père, Zijad Elkasovic ?

19 R. : Lettre A est la première personne que j’ai vue, lettre B, la seconde.

20 Ils étaient près de la maison de Zijad, entre ma maison et celle de

21 Zijad Elkasovic.

22 Q. : Pouvez-vous indiquer par le numéro qui fait face à leur nom les

23 hommes qui ont été emmenés ce jour-là ?

24 R. : Les personnes n° 1, n°2, n°3, n°4, n°5, n°6, n°7, n°8, n°9, n°10,

25 n°11, n°12, n°13 et n°14 ont été emmenées.

Page 4973

1 Q. : Le n°4 est votre mari ?

2 R. : Oui.

3 Q. : Le n°9 est votre frère ?

4 R. : Oui.

5 Q. : Le n°14 est bien votre beau-frère, le mari de votre soeur ?

6 R. : Oui.

7 Q. : Qu’a-t-on fait des corps des hommes tués ce jour-là dans le village ?

8 R. : Eh bien, on a caché la première personne, lettre A, dans la forêt,

9 loin de sa mère, on a également transporté B, C et E dans la forêt.

10 Q. : Merci. Qui a porté ces corps dans la forêt ?

11 R. : Zijad Elkasovic et Huse Jaskic.

12 Q. : Pourquoi les y ont-ils emmenés ?

13 R. : Ils les ont emmenés, pour que les parents ne voient pas ça, surtout

14 les mères.

15 Q. : Pourquoi n’ont-ils pas enterré les cadavres tout de suite ?

16 R. : Ils ne les ont pas enterrés parce que nous ne pouvions pas, nous

17 n’osions pas.

18 Q. : Pourquoi pas ?

19 R. : Nous n’osions pas à cause des militaires. Ils venaient tous les jours

20 après le nettoyage, dix fois par jour, presque toutes les heures.

21 Q. : Quand les hommes ont-ils finalement été enterrés, combien de jours

22 plus tard ?

23 R. : Trois jours.

24 Q. : Vous fallait-il une permission pour les enterrer ?

25 R. : Oui. Nous avons dû aller à Trnopolje, au camp.

Page 4974

1 Q. : Pourquoi ne pas être allés voir les autorités municipales de Prijedor

2 ou de Kozarac ?

3 R. : Nous ne voyions jamais Kozarac ou Prijedor. Il était impossible d’y

4 aller.

5 Q. : A qui avez-vous parlé au camp de Trnopolje ?

6 R. : J’ai demandé à des soldats réguliers qui gardaient le camp à qui nous

7 pouvions demander, à qui nous pouvions parler pour enterrer les

8 corps. Ils ont dit "Allez voir Kuruzovic".

9 Q. : Qui était Kuruzovic ?

10 R. : Il était une sorte de chef parmi eux. Je ne le connaissais pas avant

11 cela.

12 Q. : Vous a-t-il donné la permission d’enterrer les corps ?

13 R. : Rien par écrit. Il a dit "Vous pouvez les enterrer tranquillement,

14 personne ne fera rien."

15 Q. : Que s’est-il passé en fait quand vous avez emmmené les corps pour les

16 enterrer ?

17 R. : Et bien on a pris une charrette, on y a mis les corps et on l’a

18 emmenée à l’entrée de Sivci et là il y avait un autre groupe de

19 militaires. Ils ont demandé "Qu’est-ce que vous transportez là ?" en

20 parlant des corps. "Nous devons les enterrer", "Découvrez-les pour

21 qu’on voit". Alors nous les avons découverts.

22 Quand ils les ont vus, ils les ont insultés. "Pourquoi les enterrer

23 ? Nous les avons tués. Ils puent." Puis un s’est approché, il a pris

24 un pistolet et l’a appuyé sur la tempe de Huse Jaskic et l’autre a

25 tiré sur Zijad Elkasovic, entre les jambes et ils les ont laissé

Page 4975

1 partir. Alors ils sont arrivés au mestef /école religieuse ?/ dans

2 le village de Sivci. Puis ils ont creusé une sorte de fosse commune

3 et ils les ont enterrés ensemble.

4 Q. : Huse Jaskic et Zija Elkasovic ont-ils dit aux soldats que Monsieur

5 Kuruzovic leur avait permis d’enterrer les corps ?

6 R. : Ils ont dit qu’on leur avait permis de les enterrer, mais ils

7 n’avaient pas de papier.

8 Q. : Après avoir dit cela aux soldats, ceux-ci les ont-ils laissés passer

9 pour enterrer les corps ?

10 R. : Oui, après les avoir insultés, ils les ont laissé partir.

11 Q. : Vous dites qu’après le 14 juin les soldats continuaient à venir au

12 village. Que voulaient-ils ?

13 R. : Oui, après cela. Ils cherchaient les voitures, les tracteurs, le

14 carburant, le bétail, l’alcool, tout ce qui leur passait par la

15 tête.

16 Q. : Tous les combien venaient-ils ?

17 R. : Ils venaient tous les jours, tant que je suis restée là-bas dans la

18 maison, au moins dix personnes, des personnes différentes.

19 Q. : Qu’est-ce qu’ils vous disaient quand ils venaient chez vous ?

20 R. : Ils disaient ce dont ils avaient besoin, ce qu’ils devaient prendre,

21 ce qu’ils voulaient prendre, que nous ne devions pas regarder, que

22 nous de devions pas les suivre.

23 Q. : Vous ont-ils dit d’où ils venaient ?

24 R. : Oui, ils cherchaient une voiture ou un tracteur ou que sais-je

25 "Donne-le nous. Tu vis ici. Nous le garderons pour toi jusqu’à ce

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1 que tu rentres. N’aie pas peur. Je suis de Kozarusa". L’autre est

2 venu et a raconté la même histoire, ce qu’il veut, il demande un

3 tracteur ou je ne sais quoi "Je suis de Radivojci" et qu’il nous le

4 gardera jusqu’à ce que nous revenions." Le troisième dit "Je le

5 garderai pour vous jusqu’à votre retour . Je suis de Babici". Ça se

6 passait comme ça ... c’est ce qu’ils nous disaient, qu’ils étaient

7 de ces endroits.

8 Q. : Après le 14 juin, après le départ des soldats, combien restait-il de

9 familles dans le village ?

10 R. : Après le 14, une fois les hommes emmenés, ce jour-là, le 14, quatre

11 familles sont parties immédiatement. De sorte qu’il restait environ

12 cinq familles et Huse Jaskic, tout seul dans sa maison. Toute sa

13 famille était partie.

14 Q. : Avant le 14 juin, avant l’arrivée des soldats ce jour-là, est-ce que

15 certaines des familles avaient quitté le village ou étaient-elles

16 toutes restées ?

17 R. : Non, non, non, non, personne n’était parti avant le 14, personne

18 n’était parti. Jusqu’au 14 nous étions tous chez nous.

19 Q. : Combien de temps êtes-vous restée à Jaskici après le 14 juin ?

20 R. : Après le 14, je suis restée, un, deux ou trois mois à la maison.

21 Q. : L’interprétation dit "Après le 14, je suis restée, un, deux ou trois

22 mois à la maison". Pourriez vous nous répéter combien de temps vous

23 êtes restée au village de Jaskici ?

24 R. : Après le 14, je suis restée un mois et deux ou trois jours de plus.

25 Q. : Pourquoi avez-vous quitté le village ?

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1 R. : Parce qu’on m’a expulsée.

2 Q. : Comment vous a-t-on expulsée ?

3 R. : La police.

4 Q. : Qu’a dit ou qu’a fait la police ?

5 R. : "Vous devez être dehors dans cinq minutes, vous partez".

6 Q. : Vous ont-ils dit où vous alliez ?

7 R. : Ils nous ont dit que nous allions vers Trnopolje.

8 Q. : Où vous ont-ils emmenée ?

9 R. : Au camp de Trnopolje.

10 Q. : Combien de temps êtes-vous restée au camp de Trnopolje ?

11 R. : Quatre jours. Le cinquième je suis partie.

12 Q. : Comment êtes-vous sortie du camp le cinquième jour ?

13 R. : Ils avaient organisé des autocars qui nous ont emmenés à Stari

14 Travnik.

15 Q. : Pouvez-vous décrire le trajet en autocar ?

16 R. : Oui. On nous a entassés dans ces autocars comme du bétail, comme on

17 dit. J’ai dû rester debout tout le temps en tenant mon enfant dans

18 mes bras. Nous sommes allés à Kozarac par la route principale

19 Prijedor/Banja Luka. Là, l’armée nous a arrêtés. Ils sont montés

20 dans le bus pour l’inspecter. Il y avait trois ou quatre hommes âgés

21 parmi les femmes et les enfants. Le soldat est entré et quand ils

22 nous a eu tous inspectés, il a insulté la mère de Kuruzovic en

23 disant "Pourquoi laisse-t-il ceux-là passer ? Les gens comme ça, on

24 les tue." Puis nous avons continué le trajet vers Banja Luka.

25 Puis, dans les environs de Banja Luka on nous a donné un petit sac,

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1 une poche dans laquelle nous devions rassembler l’argent et les

2 bijoux. Cette poche est passée de main en main et tous ceux qui

3 avaient quelque chose sur eux devaient le mettre dans cette poche.

4 La poche a fait l’aller retour dans le bus et l’homme a dit "Non, ce

5 n’est pas assez" et a renvoyé la poche. Ceux qui avaient essayé de

6 garder quelque chose ont dû donner le reste. La poche a fait l’aller

7 retour et il l’a prise. Le trajet a continué.

8 Q. : Est-ce qu’une des personnes à bord de l’autocar est morte durant ce

9 trajet ?

10 R. : Un homme est mort, quelque part près de Vlasic. L’autocar s’est

11 arrêté. Ils ont sorti le vieil homme et l’on laissé là, en lisière

12 de forêt sur le bord de la route.

13 Q. : Où vous êtes-vous arrêtés ? Où êtes-vous descendus de l’autocar ?

14 R. : Ils nous ont dit "Des déchets", ont-ils dit et ils nous ont dit de

15 descendre. C’est là que nous sommes descendus et ils nous ont dit

16 "Allez rejoindre votre peuple, Alija Tudjman, ils vous attendent".

17 Donc nous avons continué à pied et il y avait le feu. Donc nous

18 avons atteint une grande barricade, un grand barrage.

19 Q. : Madame Elkasovi}...

20 R. : Et nous...

21 Q. : ...Je suis désolé, pourriez-vous répéter la phrase, le nom de

22 l’endroit où vous êtes descendue en bosniaque ?

23 R. : Décharge, ordures, quelque chose comme ça, ils ont dit "smetliste".

24 Q. : Merci. Vous avez dit quelque chose au sujet d’une grande barricade

25 après avoir été forcés de marcher. De quoi était-elle faite ?

Page 4979

1 R. : De pierre.

2 Q. : Pourquoi n’avez-vous pas contourné cette barricade ?

3 R. : On m’a dit que c’était miné tout autour, que je devais la traverser.

4 Q. : Comment avez-vous fait ?

5 R. : Vous savez, vu la situation... Vous savez ce que c’est. J’ai pris un

6 enfant. Je l’ai fait traverser et je suis revenue chercher l’autre.

7 Je l’ai fait passer et j’ai poursuivi mon chemin.

8 Q. : Que s’est-il passé à cette barricade ? Avez-vous rencontré un soldat

9 ?

10 R. : Oui, j’ai rencontré un soldat qui a dit "N’ayez pas peur. Nous sommes

11 des vôtres".

12 Q. : Que vous a-t-il dit ?

13 R. : Il a dit "Ne restez pas en groupes. Il vaut mieux que les groupes

14 soient aussi petits que possible et que vous soyez dispersés et que

15 vous vous déplaciez vite parce qu’ils bombardent et ils tuent."

16 Q. : Quelle distance avez-vous dû parcourir ?

17 R. : 40 kilomètres, 40 ou 50 kilomètres. Je suis allée à pied. Il devait

18 être 10h ou 11h. Je ne pensais vraiment pas à l’heure. On nous a

19 laissés à la décharge et vers 9h j’ai atteint l’école où j’étais

20 supposée aller.

21 Q. : En quittant le camp ce jour-là à Trnopolje vous a-t-on donné de l’eau

22 ou des provisions pour le voyage ?

23 R. : Ceux qui avaient de l’eau avec eux l’ont emporté, oui. Je pense

24 qu’ils ont rempli quelque chose. Ceux qui n’en avaient pas, n’en

25 avait pas.

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1 Q. : Durant cette marche est-ce que tous ceux qui étaient dans cet

2 autocar, les vieux, les femmes et les enfants ont tous été capables

3 de cette marche ?

4 R. : Non, plusieurs personnes âgées sont restées sur la route et à la

5 tombée de la nuit les militaires sont venus avec des brouettes et

6 les ont emmené à un engin, Fiat, un petit camion ou un truc comme

7 ça. Ils ont essayé de les transférer d’une manière ou d’une autre à

8 Travnik.

9 Q. : Madame Elkasovic, vous avez désigné la photo de votre maison sur le

10 tableau là-haut ?

11 R. : Oui.

12 Q. : Pouvez-vous me dire si votre maison ressemblait à cela avant le 14

13 juin 1992 ?

14 R. : Non.

15 Q. : Le second étage était-il complet ?

16 R. : La maison était entière, tout y était, de la façade à l’arrière de la

17 maison.

18 Q. : Madame Elkasovic, avez-vous vu ou entendu parler de votre mari ou de

19 celui de votre soeur depuis le 14 juin 1992 ?

20 R. : Je ne les ai pas vus et je n’en ai pas eu de nouvelles.

21 Q. : Madame Elkasovic, je voudrais que vous regardiez autour de vous dans

22 la salle d’audience, s’il vous plaît, et que vous me disiez si vous

23 voyez l’homme que vous connaissez comme étant Du{ko Tadi} ?

24 R. : Oui, je le vois.

25 Q. : Pouvez-vous décrire ses vêtements, s’il vous plaît ?

Page 4981

1 R. : Il porte une veste verte, verdâtre, une cravate de plusieurs couleurs

2 et une chemise café au lait.

3 MONSIEUR KEEGAN : Merci. Je n’ai pas d’autres questions, Madame le

4 Président.

5 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Contre-interrogatoire, Madame de Bertodano ?

6 MADAME DE BERTODANO : Oui, Madame le Président.

7 Contre-interrogatoire conduit par MADAME DE BERTODANO

8 Q. : Madame Elkasovic, je voudrais vous poser quelques questions sur le 14

9 juin 1992. Vous nous avez dit que ce jour-là les soldats sont

10 arrivés chez vous entre 14 et 15 heures, c’est cela ?

11 R. : Le 14 juin, entre 2 et 3 heures, les soldats sont venus dans notre

12 maison.

13 Q. : La première chose que vous ayez vu sont deux canons de fusils à votre

14 porte d’entrée ?

15 R. : Oui.

16 Q. : Puis vous en avez entendu un dire que les femmes et les enfants

17 devaient rentrer et que les hommes devaient sortir ?

18 R. : Oui.

19 Q. : Vous nous avez dit que les trois hommes qui étaient avec vous à la

20 maison sont sortis ?

21 R. : Oui.

22 Q. : Combien de femmes et d’enfants sont restés dans la maison ?

23 R. : Voyons, moi et mes deux enfants, ma soeur avec un enfant, ma mère

24 avec un fils mineur, ma belle-soeur, la femme de mon frère avec son

25 enfant.

Page 4982

1 Q. : Donc environ neuf personnes. Quel âge avaient vos enfants à cette

2 date ?

3 R. : Le plus jeune n’avait pas encore cinq ans et l’aîné dix.

4 Q. :C’est le cadet que vous aviez dans vos bras, n’est-ce pas ?

5 R. : Oui.

6 Q. : Quand vous avez reçu l’ordre de rentrer, vous vous êtes rendus dans

7 la cuisine sous la surveillance d’un soldat ?

8 R. : Oui.

9 Q. : Le soldat vous suivait-il ou se trouvait-il devant vous ?

10 R. : Oui, derrière moi.

11 Q. : Étiez-vous la première personne des neuf à entrer dans la cuisine ?

12 R. : Non, la dernière.

13 Q. : Donc quand vous êtes arrivée dans la cuisine, il y avait déjà huit

14 personnes ?

15 R. : Oui.

16 Q. : Que faisaient-ils quand vous êtes arrivée ?

17 R. : Certains étaient déjà allongés, certains allaient le faire. Ça

18 dépendait. En entrant, ils devaient obéir aux ordres.

19 Q. : Vous portiez votre enfant de cinq ans dans vos bras. L’enfant était-

20 il bouleversé à ce moment-là ?

21 R. : Je l’avais réveillé, il dormait.

22 Q. : Vous êtes entrée dans la cuisine et vous avez regardé par la fenêtre

23 ?

24 R. : Oui.

25 Q. : Par celle-ci vous avez vu un soldat debout dans la cour ?

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1 R. : Oui. Par la fenêtre, j’ai vu qui était debout dans ma cour.

2 Q. : Je pense, d’après ce que vous nous avez montré sur le schéma, qu’il

3 était quelque part sur votre droite, n’est-ce pas ?

4 R. : Oui, en regardant par la fenêtre, je le voyais en face de celle-ci.

5 Je ne me souviens pas exactement si c’était à droite ou à gauche.

6 Q. : Les trois hommes qui avaient quitté votre maison étaient en train de

7 sortir et de passer devant ce soldat ?

8 R. : Devant, devant cet homme.

9 Q. : Donc plus sur votre droite que le soldat ?

10 R. : À mes yeux, en sortant ils étaient plutôt sur la gauche que sur la

11 droite.

12 Q. : Très bien. Le soldat, vous nous avez dit aujourd’hui, était debout au

13 milieu de la cour ?

14 R. : Oui.

15 Q. : Y avait-il un tas de sable dans votre cour ?

16 R. : Oui, il y en avait un tas, il n’était pas très haut, mais il était

17 là.

18 Q. : Où se trouvait-il dans la cour ?

19 R. : Près de la fenêtre, devant la fenêtre, un peu sur la droite.

20 Q. : Quand vous avez vu cet homme, ce matin vous vous souveniez qu’il

21 portait un uniforme de camouflage que vous avez décrit comme sombre

22 et café clair ?

23 R. : Peut-être ai-je fait une petite erreur, mais il était verdâtre et

24 café au lait.

25 Q. : Est-ce ce dont vous vous souvenez cet après-midi ?

Page 4984

1 R. : Pas maintenant, tout le temps. Peut-être ai-je dit le contraire.

2 Q. : Portait-il quelque chose sur la tête ?

3 R. : De qui parlez-vous ?

4 Q. : Du soldat dont vous dites qu’il s’agissait de Du{ko Tadi}.

5 R. : Il n’avait rien sur la tête.

6 Q. : Vous l’avez vu par la fenêtre puis vous avez posé votre enfant sur le

7 sol et vous vous êtes allongée à côté de lui, c’est cela ?

8 R. : Après avoir vu dans la cour ceux que l’on emmenaient et qui se

9 tenaient là, oui, j’ai posé mon enfant et je me suis allongée sur le

10 sol.

11 Q. : Le soldat qui vous accompagnait vous a suivi dans la cuisine, n’est-

12 ce pas ?

13 R. : Quand je suis entrée, il me suivait.

14 Q. : C’est lui qui vous a dit de vous allonger ?

15 R. : Oui, il criait "Tous par terre."

16 Q. : Un moment après, vous avez entendu que les choses se calmaient, vous

17 avez quitté la maison et vous avez vu les soldats partir ?

18 R. : Quand j’ai eu l’impression qu’il avait quitté la maison, j’ai d’abord

19 vérifié et je suis revenue, j’ai regardé par la fenêtre et je les ai

20 vu s’éloigner vers la maison de Zijad Elkasovic.

21 Q. : Combien de temps s’était écoulé d’après vous entre le moment où les

22 soldats sont arrivés chez vous et celui où vous les avez vu partir ?

23 R. : Ça, je ne sais pas. C’étaient les moments les plus importants de ma

24 vie.

25 Q. : Quand vous avez regardé l’homme que vous décrivez comme Du{ko Tadi}

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1 par la fenêtre, est-ce qu’il regardait les hommes qui sortaient de

2 la maison ?

3 R. : Oui, il attendait ces hommes, donc il était tourné vers la fenêtre et

4 la maison et il attendait que les hommes en sortent.

5 MADAME DE BERTODANO : Rien de plus, Madame le Président.

6 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Monsieur Keegan, interrogatoire

7 supplémentaire ?

8 MONSIEUR KEEGAN : Merci, Madame le Président.

9 Interrogatoire supplémentaire par Monsieur Keegan

10 Q. : Madame Elkasovic, qu’avez-vous pensé en voyant Du{ko Tadi} dans la

11 cour ?

12 R. : J’ai pensé que parce que je connaissais cet homme, il devait

13 connaître quelques personnes dans le village et que ce qui est

14 arrivé n’arriverait pas.

15 Q. : Que voulez-vous dire par "ce qui est arrivé n’arriverait pas ?"

16 R. : Qu’il n’y aurait pas ces meurtres, cette attente. J’attends depuis

17 cinq ans et je ne sais toujours pas où ils sont.

18 MONSIEUR KEEGAN : Plus de questions, Madame le Président.

19 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Un nouveau contre-interrogatoire ?

20 MADAME DE BERTODANO : Non, Madame le Président.

21 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Y a-t-il une opposition à ce que Madame

22 Elkasovic soit définitivement excusée ?

23 MADAME DE BERTODANO : Pas d’objection.

24 PRESIDENT DE LA CHAMBRE : Madame Elkasovic, vous pouvez vous retirer

25 définitivement. Vous êtes libre de partir. Merci d’être venue.

Page 4986

1 TÉMOIN : Je vous en prie.

2 (Le témoin se retire.)

3 MONSIEUR KEEGAN : Madame le Président, pourrions-nous disposer d’une pause

4 de cinq minutes pour préparer notre prochain témoin ?

5 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Nous suspendons l’audience pour la pause de

6 l’après-midi, 20 minutes, donc vous pouvez prendre votre café ou

7 votre thé maintenant et nous nous retrouvons dans 20 minutes. Merci.

8 (15h25)

9 (Brève suspension d’audience)

10 (15h45)

11 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Madame Hollis ?

12 MADAME HOLLIS : Madame le Président, avant d’appeler le prochain témoin,

13 je souhaiterais que nous traitions un point de la déposition du

14 dernier témoin. Je voudrais que la Cour prenne note du fait que le

15 témoin Senija Elkasovic a correctement identifié l’accusé.

16 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Monsieur Kay, des objections ?

17 MONSIEUR KAY : Pas de problème, Madame le Président.

18 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Mis à part votre objection de principe. Oui,

19 le procès-verbal notera que le témoin a correctement identifié

20 l’accusé.

21 MADAME HOLLIS : Madame le Président, une chose encore, on a porté à mon

22 attention le fait que la pièce à conviction 295 n’aurait pas été

23 présentée ; si c’est bien le cas, nous voudrions le faire

24 maintenant. C’était un cliché de la maison de Senija Elkasovic.

25 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Y a-t-il une objection ?

Page 4987

1 MONSIEUR KAY : Pas de problème, Madame le Président.

2 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : La pièce 295 est admise.

3 MADAME HOLLIS : Merci, Madame le Président.

4 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Monsieur Tieger, voulez-vous appeler le

5 témoin suivant ?

6 MONSIEUR TIEGER : Madame le Président, le témoin suivant est Monsieur

7 Vasic Gutic.

8 Appel de Monsieur Vasic Gutic

9 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Monsieur, veuillez prêter le serment qui vous

10 est donné ?

11 TÉMOIN ?Interprétation? : Je déclare solennellement dire la vérité, toute

12 la vérité et rien que la vérité.

13 (Prestation de serment)

14 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Bien. Merci. Vous pouvez vous asseoir.

15 Interrogé par Monsieur TIEGER

16 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Monsieur Tieger, vous pouvez commencer.

17 MONSIEUR TIEGER : Merci, Madame le Président.

18 Q. : Monsieur, quel est votre nom s’il vous plaît ?

19 R. : Je m’appelle Gutic, Vasif.

20 Q. : Quelle est votre date de naissance ?

21 R. : Le 20 juin 1965 à Prijedor.

22 Q. : De quelle nationalité êtes-vous ?

23 R. : Je suis Musulman.

24 Q. : Dans quelle partie de l’opstina de Prijedor avez-vous grandi ?

25 R. : J’ai grandi à Kozarac.

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1 Q. : Où êtes-vous allé à l’école ?

2 R. : Je suis allé à l’école primaire de Kozarac, puis au lycée médical de

3 Prijedor et j’ai ensuite étudié à la faculté de médecine de

4 l’université de Banja Luka.

5 Q. : Avez-vous servi dans la JNA ?

6 R. : Oui, j’y ai fait mon service militaire.

7 Q. : Quelles étaient vos fonctions dans la JNA

8 R. : J’étais dans l’infanterie. Après l’entraînement, on m’a assigné à la

9 garde d’un site militaire.

10 Q. : Quelle était votre profession immédiatement avant le conflit de 1992

11 ?

12 R. : En 1992 j’étais - j’avais passé tous mes examens à l’Université de

13 Banja Luka, en fait, il me restait trois examens.

14 Q. : Ceux-ci ont été suspendus du fait du déclenchement du conflit ?

15 R. : Oui, ils ont été suspendus. L’examen devait avoir lieu le 26 mai 1992

16 et le sort a voulu que ce jour là je finisse dans un camp.

17 Q. : Laissez-moi vous poser rapidement une question au sujet de

18 l’Université de Banja Luka où vous avez étudié la médecine. Au début

19 de vos études, vos professeurs venaient-ils d’endroits différents en

20 ex-Yougoslavie ?

21 R. : Oui. L’université de Banja Luka est l’une des universités les plus

22 récentes, certaines chaires étaient donc tenues par des professeurs

23 d’autres universités, notamment de celle de Zagreb. Nous avions des

24 professeurs invités, des conférenciers qui en venaient mais aussi de

25 Tuzla et Sarajevo.

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1 Q. : Quand vous avez arrêté vos études en 1992, la situation avait-elle

2 changé ?

3 R. : Oui, entre temps l’administration de l’université a changé et les

4 professeurs invités de Zagreb et Sarajevo ont été remplacés par des

5 professeurs de Belgrade.

6 Q. : Monsieur, vous avez dit avoir grandi à Kozarac et y être allé à

7 l’école primaire. Connaissez-vous Dule Tadi} ?

8 R. : Oui.

9 R. : Depuis combien de temps le connaissez-vous ?

10 R. : J’ai rencontré Dule Tadi} comme moniteur de karaté de l’école

11 primaire de Kozarac, parce que je voulais faire ce sport mais à

12 l’époque il n’y avait pas de place. J’avais fait ma demande trop

13 tard. Donc je ne pouvais que regarder l’entraînement des élèves de

14 karaté et j’avais quinze ou seize ans, quinze ans.

15 Q. : Pour vous en tant qu’adolescent était-il une des personnes

16 importantes de Kozarac ?

17 R. : Non, pas à ce moment-là, parce que j’ai abandonné ce sport et après

18 cela je ne m’intéressais ni à lui ni au karaté.

19 Q. :L’avez-vous vu périodiquement à Kozarac durant les années suivantes ?

20 R. : Oui, oui. Je l’ai vu de temps en temps.

21 Q. : Savez-vous, par exemple, quand il a ouvert son café ?

22 R. : Oui.

23 Q. : Entre les élections et le déclenchement du conflit, avez-vous entendu

24 dire que Monsieur Tadi} ne voulait pas de Musulmans dans son café ?

25 R. : Oui, j’ai entendu ça quand je suis revenu, quand j’allais à Kozarac,

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1 je l’ai entendu dire par d’autres que Dule déclarait qu’aucune

2 oreille musulmane n’entrerait dans son café, qu’il ne permettrait

3 pas aux Musulmans d’entrer.

4 Q. : Est-ce pour cela que vous avez fait plus attention à Monsieur Tadi}

5 lorsque vous l’avez rencontré à Kozarac par la suite ?

6 R. : Oui, ce genre de déclaration dans le milieu de Kozarac à l’époque

7 (qui avait à l’époque la réputation d’être une ville tolérante)

8 était quelque chose de terrible, faire des différences nationales,

9 et c’est pour cela que cette déclaration m’a surpris. Alors

10 simplement en passant devant le café ou dans la ville, j’y faisais

11 attention, peut-être inconsciemment, je faisais attention à Tadi} et

12 à son café parce que j’étais véritablement surpris.

13 Q. : En fait, vous est-il arrivé d’entrer dans son café ?

14 R. : Oui, après un moment cette déclaration a quelque peu sombré dans

15 l’oubli et quand nous avions le temps ou en passant, nous nous

16 arrêtions, pas souvent, mais de temps en temps moi et mes collègues

17 nous nous asseyions. Je me suis assis dehors une ou deux fois. Près

18 de la salle à l’intérieur il avait un petit bout de jardin où on

19 pouvait s’asseoir. Il avait une ou deux tables auxquelles on pouvait

20 s’asseoir.

21 Q. : Parlons maintenant de l’attaque contre Kozarac le 24 mai 1992. Où

22 étiez-vous lorsque l’attaque a commencé ?

23 R. : Au moment de l’attaque je me trouvais au centre médical de Kozarac.

24 Q. : Y travailliez-vous dans le cadre de votre formation de médecin ?

25 R. : Oui, comme Kozarac avait reçu un ultimatum, se rendre ou être

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1 bombardée, j’ai pensé qu’il était de mon devoir moral en tant

2 qu’étudiant en médecine d’offrir mon aide aux blessés en cas

3 d’attaque et je suis allé au centre médical ce jour-là pour me

4 mettre à disposition, au cas ou il y aurait des blessés.

5 Q. : Durant le bombardement, avez-vous pu déterminer si le centre médical

6 de Kozarac était la cible d’attaques ?

7 R. : Oui, les premières bombes sont tombées autour du centre médical et

8 l’une d’elles est tombée dans la cour devant celui-ci. Le bâtiment a

9 beaucoup tremblé, nous avions très peur. Puis le bombardement s’est

10 poursuivi dans les environs. On entendait de fortes détonations.

11 L’un - pendant ce temps, nous avions déjà reçu les premiers patients

12 et nous commencions à les soigner.

13 Tout de suite après, une bombe est tombée juste à l’entrée de la

14 cour du centre médical et a touché un véhicule qui arrivait chargé

15 d’un patient. Le chauffeur lui-même a été légèrement blessé. Après

16 cela, une autre a frappé le coin même du bâtiment. Celui-ci

17 tremblait beaucoup et presque toutes les vitres étaient en morceaux.

18 Nous avons senti la détonation de l’intérieur, nous nous sommes

19 arrêtés de travailler et puis nous avons repris, nous avons continué

20 à travailler. Nous avions beaucoup de travail. Tout cela se passait

21 durant la première heure du bombardement et de l’attaque de Kozarac,

22 malgré le drapeau de la croix rouge qui surmontait le bâtiment et

23 indiquait qu’il s’agissait d’un centre médical.

24 Q. : Le personnel médical du centre a-t-il déplacé les installations

25 médicales vers un autre endroit de Kozarac ?

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1 R. : Oui, ce premier jour et toute la nuit du 24 au 25 mai nous sommes

2 restés à Kozarac, puis le lendemain matin nous avons déménagé à

3 Rejkovici dans un motel abandonné pour nous protéger et protéger nos

4 patients de nouveaux bombardements et pour permettre aux gens de

5 continuer à nous amener les victimes et pour ne pas les mettre en

6 danger.

7 Q. : Le matin du 26, est-ce que vous et le reste du personnel médical êtes

8 retournés au centre médical de Kozarac, à l’ambulanta de Kozarac ?

9 R. : Oui.

10 Q. : Pour quelle raison y êtes-vous retournés ?

11 R. : Cette nuit-là, la nuit du 25 au 26, à Kozarac, un officier de l’armée

12 serbe, Radmilo Zeljaja a envoyé un ultimatum radiodiffusé demandant

13 à tous de se rendre à l’armée serbe. C’était pendant la nuit, vers

14 onze heures. Après ça, il y a eu des consultations avec la police,

15 le contact a été rétabli et on a dit qu’il était humainement

16 impossible d’informer tous ceux qui s’abritaient des bombardements

17 et Zeljaja a dit "D’accord".

18 Q. : Dr Gutic, permettez-moi de vous poser cette question. Êtes-vous

19 retourné à Kozarac parce que vous prévoyiez l’ordre de reddition du

20 26 et dans le but d’offrir une assistance médicale à ceux qui en

21 avaient besoin dans la ville ?

22 R. : Oui, nous sommes rentrés à Kozarac parce que nous n’avions pas

23 d’informations sur ce qui se passait à l’extérieur et aussi, s’il y

24 avait d’autres personnes blessées, pour continuer à les aider, pour

25 continuer notre travail.

Page 4993

1 Q. : Avez-vous été capturé ou arrêté au centre médical ce matin-là ?

2 R. : Oui, ce matin-là.

3 Q. : Les officiers serbes ont-ils emporté les stocks de produits

4 pharmaceutiques ?

5 R. : Oui, ils nous ont faits prisonniers puis, un moment après, ils nous

6 ont ordonné de rassembler les médicaments et l’équipement et de

7 charger le tout dans un camion militaire.

8 Q. : Qu’a-t-on fait de ces stocks de médicaments et d’équipements médicaux

9 ?

10 R. : L’officier de l’armée serbe qui avait établi le contact radio avec le

11 centre médical de Prijedor a dit "Je vous envoie les médicaments des

12 Musulmans de Kozarac pour votre usage."

13 Q. : Ce jour-là, on vous a emmené au camp de Trnopolje ?

14 R. : Oui, on nous a emmené ce jour-là. D’abord à l’école de Kozarac puis à

15 Trnopolje.

16 Q. : Combien de personnes à peu près sont arrivées au camp de Trnopolje le

17 même jour que vous ?

18 R. : Je ne peux pas dire pour ce jour-là, parce qu’une fois arrivés à

19 Trnopolje on nous a conduits au centre médical, mais le jour

20 suivant, j’ai eu l’occasion de me déplacer dans le camp et je pense

21 qu’il y avait déjà entre 4 000 et 5 000 personnes ce jour-là dans le

22 camp.

23 Q. : De quelles tranches d’âges étaient ces gens et de quel sexe ?

24 R. : Ils étaient de tous âges, depuis des bébés de deux mois aux personnes

25 âgées de 70 ou 80 ans. Bien sûr des femmes, des enfants, aussi des

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1 hommes, de tous âges.

2 Q. : Ces hommes, ces femmes et ces enfants étaient-ils libres de quitter

3 le camp ?

4 R. : Non, personne ne pouvait quitter le camp à ce moment-là.

5 Q. : Comment empêchait-on de quitter le camp ?

6 R. : Pardon ?

7 Q. :Y avait-il des forces serbes, des gardes ou des soldats ?

8 R. : Oui. Tout le camp était gardé par l’armée serbe qui était placée

9 tout autour et qui empêchait de quitter le camp. Si quelqu’un

10 essayait, on le ramenait ou on le frappait.

11 Q. : Vous avez signalé plus tôt que le premier jour vous vous trouviez

12 dans la clinique. Est-ce que vous aviez monté de toutes pièces une

13 clinique dans le camp de Trnopolje ?

14 R. : Avant la guerre dans ce complexe, dans cette école, il y avait déjà

15 un centre médical, où un docteur travaillait avec trois assistants

16 et il y avait aussi un petit laboratoire qui offrait ses services à

17 la population locale.

18 Q. : De quel équipement médical et de quels médicaments disposiez-vous,

19 vous et le reste du personnel médical détenu au camp de Trnopolje

20 pour soigner les détenus ?

21 R. : Quand nous sommes arrivés à l’ambulanta, nous avons vu qu’elle avait

22 subi une effraction et que tous les médicaments avaient été volés,

23 donc nous n’avons rien trouvé.

24 Q. : Vous nous avez indiqué que les gardes empêchaient les prisonniers de

25 quitter le camp. Comment ces gardes étaient-ils armés ?

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1 R. : Ils avaient des fusils semi-automatiques et automatiques et des

2 sortes de mitrailleuses de type M72.

3 MONSIEUR TIEGER : Madame le Président, j’aimerais maintenant utiliser une

4 vidéo dont je crois qu’elle a déjà été admise comme pièce à

5 conviction et demander au docteur d’indiquer quelques endroits dans

6 le camp. Pourrions nous regarder cette vidéo ?

7 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Savez-vous de quelle pièce à conviction il

8 s’agit, par hasard ? Vous pouvez la repérer et nous le dire.

9 MONSIEUR TIEGER : Je sais qu’elle se trouve actuellement dans la cabine et

10 j’aimerais fournir sa cote à la Cour. Malheureusement, Madame le

11 Président, pour le moment je sais seulement de quel numéro il ne

12 s’agit pas.

13 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Quel est le numéro ?

14 MONSIEUR TIEGER : Pouvons nous arrêter un moment, s’il vous plaît ? On

15 vient de me dire que le numéro que je pensais être celui de la pièce

16 est incorrect. Nous ne sommes pas sûrs du numéro correct.

17 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Pour la vidéo non plus ?

18 MONSIEUR TIEGER : Non plus.

19 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : La Défense sait-elle quelle vidéo va être

20 présentée ?

21 MONSIEUR KAY : Non, Madame le Président.

22 JUGE STEPHEN : Nous l’avons vue.

23 MONSIEUR TIEGER : Madame le Président, il serait sans doute plus simple de

24 donner une nouvelle cote à cette pièce, ce qui serait le numéro 296.

25 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Le Juge Stephen en a vu une partie et l’a

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1 reconnue il pense qu’elle fait déjà partie des éléments de preuve.

2 JUGE STEPHEN : Nous l’avons déjà vue. Il s’agit de celle sur laquelle on a

3 identifié Monsieur Tadi} à un coin et où les bûches étaient

4 absentes.

5 MONSIEUR WLADIMIROFF : Il s’agissait d’un cliché. Il s’agissait d’une

6 photographie.

7 JUGE STEPHEN : Qui semble en être tirée.

8 MONSIEUR WLADIMIROFF : Exactement le même endroit.

9 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Je ne l’ai pas vu sur l’écran. Passons-la et

10 nous verrons bien, nous répondrons à toutes les objections.

11 MONSIEUR KAY : Nous ne présentons pas d’objection.

12 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Très bien. Merci. Allez-y. Veuillez passer la

13 vidéo.

14 MONSIEUR TIEGER : Merci, Madame le Président.

15 (Passage de la vidéo)

16 Pouvons-nous arrêter ici, s’il vous plaît ? Dr Gutic, que montre

17 cette partie de la vidéo ?

18 R. : Il s’agit du bâtiment de l’école primaire de Trnopolje qui est devenu

19 un camp pendant la guerre.

20 Q. : Les prisonniers étaient-ils détenus dans le bâtiment de l’école

21 primaire ?

22 R. : Oui, les prisonniers étaient enfermés là. Ils dormaient dans les

23 salles de classe, dans les couloirs, dans les escaliers, partout où

24 il y avait de la place.

25 Q. : Pouvons-nous continuer s’il vous plaît ?

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1 R. : Je dois remarquer -

2 Q. : Pardon, pouvez-vous arrêter ? Oui, Monsieur, excusez-moi.

3 R. : Je remarque un objet qui n’y était pas au moment du camp, ce petit

4 appentis. Il a été construit par la suite.

5 Q. : OK. Pouvons-nous arrêter ici, s’il vous plaît ? Monsieur, le bâtiment

6 qui vient de passer sur l’écran et dont nous voyons encore le côté

7 gauche, qu’était-ce ?

8 R. : Il s’agissait du bâtiment du magasin, l’épicerie de Trnopolje qui a

9 également servi à abriter les prisonniers durant la guerre,

10 notamment les femmes et les enfants qui allaient être déplacés. Un

11 groupe de 13 à 15, d’environ 15 enfants ont été amenés à un moment

12 au camp, ils avaient été capturés dans une forêt près de Prijedor.

13 Q. : Pouvons-nous continuer, s’il vous plaît ? Pouvons-nous arrêter, s’il

14 vous plaît ? Juste pour notre orientation, dans quelle direction

15 regardons-nous ?

16 R. : Maintenant nous regardons en direction de la gare ferroviaire de

17 Kozarac - vers la gare de Trnopolje à partir de Kozarac.

18 Q. : Donc la gare se trouve au bout de la route que nous voyons ?

19 R. : Oui.

20 Q. : A quelle distance approximativement ?

21 R. : Entre 400 et 500 mètres.

22 Q. : Pouvons-nous continuer, s’il vous plaît ? Pouvez-vous couper le son

23 de la vidéo, s’il vous plaît ? Monsieur, que voit-on ?

24 R. : C’est le côté nord de l’école de Trnopolje, du bâtiment qui formait

25 le camp avec l’entrée nord au milieu.

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1 Q. : Pouvons-nous continuer ? Pouvons-nous arrêter ici, s’il vous plaît ?

2 Vous avez dit que des gardes empêchaient les prisonniers de quitter

3 le camp. Y avait-il un poste de garde à l’endroit que nous voyons à

4 présent ?

5 R. : Oui derrière ce petit bâtiment, cette petite maison à l’arrière-plan.

6 Au nord de celle-ci, il y avait un point de contrôle militaire avec

7 un soldat serbe qui protégeait la sortie du camp du côté nord.

8 Q. : Pouvons-nous continuer ? Pouvons-nous arrêter un instant ? Il me

9 semble que nous venons changer d’endroit. Avancez un peu. Arrêtez

10 ici. À nouveau, Monsieur, pour orientation, dans quelle direction

11 regardons-nous ?

12 R. : Nous regardons maintenant en direction de Kozarac. La route mène à

13 Kozarac.

14 Q. : Merci.

15 R. : Près de cette maison, le seconde maison de l’autre côté de la route

16 était un autre point de contrôle de l’entrée nord du camp.

17 Q. : Pouvons-nous continuer, s’il vous plaît ? Pouvons-nous arrêter un

18 moment ? Quelle partie du camp voyons-nous ici ?

19 R. : Il s’agit du sud du camp, vers la gare ferroviaire, au niveau des

20 anciens entrepôts de matériaux de construction.

21 Q. : Qu’est-ce que l’objet qui s’élève dans la partie supérieure droite de

22 l’écran ?

23 R. : Il s’agissait d’un relais électrique.

24 Q. : Avancez, s’il vous plaît. Veuillez arrêter un instant. Monsieur, le

25 champ que nous venons de voir, fait-il également partie de l’école ?

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1 R. : Oui.

2 Q. : Gardait-on des prisonniers sur des parties de ce champ ?

3 R. : Oui, on gardait des prisonniers dans le bâtiment que nous avons vu et

4 dans ce champ.

5 Q. : Disposaient-ils d’abris ?

6 R. : Non, les prisonniers improvisaient eux-même des tentes à partir de ce

7 qu’ils avaient, des couvertures, des morceaux de bâche plastique.

8 Ils improvisaient.

9 Q. : Le bâtiment que nous voyons dans la partie supérieure droite de

10 l’écran maintenant, oui, pourrions-nous avancer un petit peu, quel

11 est ce bâtiment ?

12 R. : Il appartenait aussi à cet ensemble avant la guerre. Avant la guerre,

13 c’était un cinéma, sur l’avant il y avait un petit bar et sur le

14 côté là-haut il y avait aussi les bureaux de la commune locale, oui,

15 de la commune locale.

16 Q. : Ce bâtiment faisait-il partie du camp de Trnopolje durant son

17 existence ?

18 R. : Oui, les détenus y étaient également logés, je veux dire les femmes

19 et les enfants.

20 Q. : Étaient-ils utilisé par les responsables du camp ?

21 R. : Oui, une pièce dans la partie centrale où se trouvent ces voûtes, ce

22 bureau était également utilisé par la croix rouge serbe et par le

23 Commandant du camp et le chef du personnel.

24 Q. : Les bureaux de la Croix rouge serbe étaient-ils situés dans ce

25 bâtiment durant toute la période de fonctionnement du camp ?

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1 R. : Non, leur majeure partie était là, mais ensuite ils ont déménagé dans

2 un bâtiment de l’autre côté de la rue, qui avait abrité un petit

3 restaurant, un café avant la guerre.

4 Q. : Peut-on continuer, s’il vous plaît ? Peut-on arrêter ici ? Que

5 voyons-nous maintenant sur l’écran, Monsieur ?

6 R. : A cet endroit nous avons une vue sud du magasin, nous voyons

7 toujours le bâtiment du dispensaire, du centre médical, où nous

8 travaillions.

9 Q. : Donc la clinique dont vous parliez se trouve dans ce bâtiment ?

10 R. : Oui.

11 Q. :Pour notre orientation, le bâtiment de l’école est derrière celui-ci,

12 n’est-ce pas ?

13 R. : Oui.

14 Q. : Pouvons-nous poursuivre s’il vous plaît ? Cela montre-t-il le champ

15 de l’école sur lequel les prisonniers avaient organisé des abris de

16 fortune ?

17 R. : Oui. Ils se trouvaient là, mais à l’arrière.

18 Q. : Arrêtez ici. Le bâtiment maintenant sur l’écran, les deux bâtiments

19 sur l’écran ?

20 R. : C’est toujours l’école, vue du sud et à gauche sur l’écran le gymnase

21 et sur la droite l’école. Au milieu se trouve l’entrée sud de

22 l’école avec la chaufferie.

23 Q. : Continuez, s’il vous plaît. Arrêtez ici. Que voyez-vous ?

24 R. : Maintenant nous voyons l’ancien cinéma de Trnopolje, où on passait

25 des films et durant la guerre il a également servi à abriter des

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1 prisonniers, des détenus et des femmes et des enfants qui allaient

2 être déportés.

3 Q. : Pouvons-nous continuer ? Arrêtez ici. Lorsque la caméra a reculé,

4 elle montrait la direction de la gare ferroviaire, n’est-ce pas ?

5 R. : Oui.

6 Q. : Merci. Madame le Président, il s’agit bien d’une nouvelle pièce, le

7 n° 296.

8 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Des objections à la pièce 296 ?

9 MONSIEUR KAY : Pas d’objection, Madame le Président.

10 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : La pièce 296 est admise.

11 MONSIEUR TIEGER : Monsieur, vous avez mentionné des gardes. Est-ce que les

12 gardes de Trnopolje travaillaient par roulement d’équipes ?

13 R. : Oui, ils travaillaient par équipes.

14 Q. : Combien y avait-il de gardes par équipe ?

15 R. : Il y avait environ 50 gardes par équipe, surtout au départ, et tout

16 au début ils étaient renforcés par des unités de combat, un groupe

17 d’hommes relativement restreint qui ne sont restés que peu de temps.

18 Seuls les gardes en équipes sont restés pour surveiller le camp.

19 Q. : Quelle explication officielle donnait-on au rassemblement des hommes,

20 des femmes et des enfants musulmans au camp de Trnopolje ?

21 R. : Au début, dans les premiers temps, les soldats serbes nous disaient

22 que nous étions là pour qu’eux, l’armée serbe, puissent nous

23 protéger des attaques des extrémistes musulmans, comme ils disaient.

24 Q. : À votre connaissance, les extrémistes musulmans menaçaient-ils

25 d’attaquer les Musulmans de Kozarac, de Trnopolje, Prijedor ou

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1 d’Hambarine ?

2 R. : Non, aucunement. Je veux dire, ça n’est pas possible.

3 Q. : Est-ce qu’une équipe de télévision serbe est venue au camp et y a

4 fait un film ?

5 R. : Oui, une fois une équipe de Banja Luka est venue au camp. Ils

6 voulaient montrer à leurs téléspectateurs comment l’armée serbe

7 protégeait le peuple musulman. Donc des soldats ont été assignés à

8 différents endroits et ont commencé à tirer et à prendre leurs

9 positions. Bien sûr, la caméra filmait tout ça pour prouver qu’ils

10 nous protégeaient et que le camp était attaqué par des Musulmans,

11 donc que les Musulmans attaquaient les leurs, d’autres Musulmans.

12 Q. : Avant de prendre ces positions et de commencer à tirer, les gardes ou

13 les soldats serbes s’étaient-ils concertés avec l’équipe de

14 télévision ?

15 R. : Oui, oui. Le directeur de cette entreprise, probablement, a assigné

16 des positions aux soldats, les a déplacés, les a changés de place,

17 leur a indiqué dans quelle direction ils devaient courir ou se

18 plaquer au sol, dans quelle direction tirer et ainsi de suite. Donc

19 ils ont fait une répétition générale puis ils ont vraiment commencé

20 à filmer.

21 Q. : Le camp de Trnopolje a-t-il réellement fait l’objet d’une attaque ?

22 R. : Non.

23 Q. : Monsieur, s’il n’avait pas pour rôle de protéger le peuple musulman

24 contre les attaques d’extrémistes, à quoi servait Trnopolje ?

25 R. : En fait, le camp de Trnopolje servait à nettoyer la région de Kozarac

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1 de sa population musulmane. C’était une sorte de point de

2 rassemblement de la population civile, hommes, femmes et enfants,

3 avant de les déporter vers d’autres parties de la Bosnie ou d’autres

4 territoires. En fait, c’était un point de regroupement, mais

5 également un endroit de destruction de la population musulmane. De

6 nombreux musulmans ont été tués dans ce camp.

7 Q. : Est-ce que les responsables du camp ont dit explicitement si oui ou

8 non les Musulmans pourraient rester à Prijedor ?

9 R. : Oui, une fois j’étais dans les bureaux de la Croix rouge où se

10 trouvait le Commandant du camp et il a dit durant la conversation

11 avec ses associés que seul un petit nombre, que les gens qui

12 n’avaient plus de maisons à eux parce qu’elles avaient été détruites

13 seraient déportés et que les autres resteraient. Mais ensuite il a

14 ajouté "10% des Musulmans peuvent rester, les autres doivent

15 partir".

16 Q. : Qui a dit que 10% des musulmans pouvaient rester à Prijedor mais que

17 les autres devaient partir ?

18 R. : Ils doivent disparaître, c’est le Commandant du camp qui a dit ça,

19 Monsieur - Major Kuruzovi}.

20 Q. : Avez-vous par la suite entendu des propos de responsables serbes

21 laissant entendre qu’il y avait un problème ou un désaccord même par

22 rapport à ce nombre limité ?

23 R. : Oui, par la suite un soldat serbe nous a dit qu’une grande partie de

24 la population avait déjà été déportée, que certaines forces

25 politiques s’opposaient même à ce faible pourcentage et qu’il

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1 devrait être réduit à 2% de la population musulmane.

2 Q. : Décourageait-on les civils serbes ou les autres d’aider les Musulmans

3 que se trouvaient dans le camp ?

4 R. : Oui, plus tard dans l’existence du camp, les gens du coin, des

5 individus, des Serbes ont essayé d’aider leurs voisins musulmans. Je

6 me souviens d’une vieille femme qui apportait de la nourriture à son

7 voisin musulman mais les gardes sont intervenus sévèrement, l’ont

8 renvoyée chez elle et jeté la nourriture par terre. Mais le

9 lendemain, elle est revenue et à nouveau ils sont intervenus, et la

10 même chose s’est reproduite et nous avons appris qu’ils avaient tiré

11 sur sa maison en disant qu’elle était un traître.

12 De plus, d’autres Serbes nous ont appris qu’il leur était interdit

13 de communiquer avec des Musulmans, de leur parler et que ceux qui

14 étaient pris sur le fait seraient punis ou qu’ils subiraient des

15 sanctions ou plutôt qu’ils pourraient perdre leur travail ou, pour

16 les hommes, qu’ils seraient envoyés sur le front.

17 Q. : Est-ce qu’une des personnes dépendant de la Croix rouge serbe est

18 venue au camp durant ses premiers jours de fonctionnement pour

19 apporter du lait maternisé?

20 R. : Oui, un Serbe, qui faisait partie des dirigeants de la Croix rouge

21 de Prijedor nous apportait au départ des petites quantités de lait

22 en poudre pour les nourrissons du camp. Bien sûr cela n’a pas plu à

23 l’un des dirigeants militaires. Et en rentrant à Prijedor, il a été

24 arrêté à un point de contrôle et battu sur place. Il a perdu son

25 travail et il a été remplacé par un autre homme.

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1 Q. : Savez-vous qui l’a remplacé ou qui était à la tête de la Croix rouge

2 serbe durant le fonctionnement du camp de Trnopolje ?

3 R. : Il a été remplacé par Pero Curguz.

4 Q. : Vous avez dit que l’ancien dirigeant avait apporté de petites

5 quantités de lait maternisé. Combien y avait-il de nourrissons

6 approximativement dans les premiers temps à Trnopolje ?

7 R. : Quand ils distribuaient ce lait, ils avaient une liste de 800

8 enfants, c’est-à-dire de nourrissons de moins d’un an. Les mères

9 devaient amener leur enfant et inscrire leur nom complet pour

10 recevoir ce lait et il a dit "Nous avons distribué 800 paquets."

11 Q. : Des Musulmans qui n’avaient pas été amenés au camp ont-ils essayé

12 d’aider ceux qui y étaient détenus et cela a-t-il parfois provoqué

13 des réactions violentes ?

14 R. : Oui, au début du camp, la population qui habitait chez elle autour de

15 Trnopolje a également essayé de nous faire parvenir de la

16 nourriture, de donner de la nourriture aux détenus mais ils le

17 refusaient, ils insultaient les gens qui apportaient de la

18 nourriture et ils les chassaient du camp.

19 Q. : Vous souvenez-vous d’une fois ou un Musulman a apporté de l’argent

20 pour acheter du pain aux prisonniers de Trnopolje ?

21 R. : Oui, une fois un Musulman a apporté 1 000 marks allemands à la Croix

22 rouge serbe. Il leur a montré l’argent en demandant que la Croix

23 rouge organise une distribution de pain de Prijedor à tous ces gens

24 qui étaient dans le camp. Ils ont pris l’argent. Nous n’avons jamais

25 eu le pain. Cet homme a été conduit au bureau et a été interrogé et

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1 gravement battu. Il a vraiment été battu très gravement. Après il a

2 été détenu dans une pièce de notre laboratoire.

3 Q. : Je voudrais vous poser quelques questions générales sur les

4 conditions au camp de Trnopolje, mais auparavant, je voudrais que

5 nous parlions de votre explication comme quoi Trnopolje était

6 utilisé comme endroit de déportation. De quelle manière les

7 prisonniers de Trnopolje étaient-ils déportés ou expulsés ? Comment

8 les rassemblaient-on et les emmenait-on ?

9 R. : Après la reddition de Kozarac même, on a ordonné que la population

10 civile soit rassemblée dans le stade ou, plutôt, devant l’école de

11 Kozarac. Là ils ont séparé les hommes des femmes et les ont envoyés

12 sur la route en direction de Prijedor.

13 Q. : Pardon -

14 R. : Là -

15 Q. : Permettez-moi de vous interrompre, cette question n’était pas claire.

16 Ce que je demandais était : Une fois les gens réunis au camp de

17 Trnopolje comment en étaient-ils emmenés ?

18 R. : D’accord. Les gens étaient déportés de Trnopolje par le train, en

19 wagons. On les escortait jusqu’à la gare où on leur ordonnait de

20 monter en voiture. Bien sûr, il s’agissait de civils, de femmes et

21 d’enfants. De là, ils partaient vers Banja Luka ou plus loin encore,

22 mais alors nous ne savions pas où on les emmenait. Une partie de la

23 population a également été déportée en camions et en autocars.

24 Q. : Vous avez dit qu’une partie des personnes déportées à partir du camp

25 de Trnopolje l’étaient en train. Les mettait-on dans des voitures de

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1 passagers ?

2 R. : Oui - non, non. C’étaient des wagons pour bétail ou des wagons de

3 marchandises. Il ne s’agissait pas de voitures pour passagers. Il

4 s’agissait de wagons de marchandises clos.

5 Q. : Pouvez-vous donner une estimation du nombre de prisonniers déportés

6 par wagons de marchandises ou wagons à bestiaux à un moment donné ?

7 R. : Selon les déclarations de ces gens, ils avaient très peu de place,

8 donc ils devaient être nombreux par wagon, entre 100 et 150, mais

9 ils étaient vraiment serrés les uns contre les autres.

10 Q. : Avez-vous eu l’occasion de compter le nombre de wagons à bestiaux ou

11 de wagons de marchandises d’un train utilisé pour déporter les gens

12 ?

13 R. : Oui, une fois j’ai réussi à sortir pour suivre les civils jusqu’à la

14 gare et dans ce convoi-là, ce train-là comportait 27 voitures.

15 Q. : Les déportations par train, par camion ou par bus suivaient-elles le

16 rythme des nettoyages des villages et des hameaux dans la région de

17 Kozarac et de Trnopolje et dans la municipalité de Prijedor en

18 général ?

19 R. : Oui, ces trains étaient organisés à intervalles, avant cela on

20 rassemblait la population du voisinage, dans ces villages, ces

21 villages particuliers, ou plutôt comme le disaient les soldats

22 serbes ces villages étaient nettoyés.

23 Ils venaient avec un véhicule blindé de transport des troupes et

24 avec des troupes de police spéciales de Prijedor et ils entraient,

25 ils l’entourait et ils se déployaient autour de cette zone. Ils

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1 voulaient expulser. Puis ils entraient dans les maisons, par

2 effraction, en tirant et s’ils trouvaient quelqu’un ils lui

3 ordonnaient de sortir immédiatement. Ils forçaient les gens à sortir

4 et si quelqu’un réussissait à prendre des effets personnels, c’était

5 déjà beaucoup. Bien sûr, durant ces opérations certaines personnes

6 étaient tuées si elles les croisaient.

7 La population craignait pour sa vie. Malgré tout, ils fuyaient vers

8 Trnopolje parce que c’étaient les ordres, fuir vers Trnopolje et

9 quand ils arrivaient à Trnopolje ils étaient le plus souvent séparés

10 des autres détenus, généralement dans la salle de cinéma. Puis le

11 jour suivant ou le même jour ou, peut-être pour un autre jour ou

12 deux ils attendaient puis ils étaient déportés de la manière que

13 j’ai décrite.

14 Q. : Est-ce que les victimes traumatisées de ce genre de nettoyage

15 ethnique venaient vous voir à la clinique soit pour des conseils,

16 pour des médicaments ?

17 R. : Oui, les gens étaient paniqués, choqués, ils souffraient de stress

18 grave. Beaucoup ont vu des membres de leur famille proche tués à ce

19 moment-là ou ils ont vu leurs maisons incendiées parce qu’il y a

20 également eu des cas d’incendies criminels et bien sûr ils

21 ressentaient tout cela. Ils venaient nous demander de l’aide, des

22 médicaments, des conseils. Ils étaient dans un état mental

23 épouvantable.

24 Q. : Monsieur, permettez-moi de vous poser quelques questions générales

25 sur les conditions de vie dans le camp. Premièrement, est-ce que les

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1 responsables du camp donnaient de la nourriture aux prisonniers ?

2 R. : Non, à Trnopolje, la direction du camp n’organisait pas de

3 distribution de nourriture.

4 Q. : Comment les prisonniers se nourrissaient-ils ? Comment se

5 procuraient-ils de quoi manger ?

6 R. : Au début, les gens mangeaient les provisions qu’ils avaient dans

7 leurs sacs, s’ils étaient parvenus à en prendre. Après, nous vivions

8 de l’aide de la population locale, des voisins, de ceux qui avaient

9 de la famille ou quelqu’un pour leur apporter quelque chose. Plus

10 tard, quand cette population a été chassée, les détenus ont été

11 contraints de sortir du camp pendant une brève période. Au début,

12 nous l’appelions "aller faire une brasse" puis nous cherchions des

13 légumes dans les jardins, les fruits verts et tout ce qu’on pouvait

14 trouver dans ces maisons abandonnées. Les restes, un peu de farine,

15 peut-être ou tout ce qui était comestible et on le ramenait au camp

16 et nous préparions la nourriture.

17 Q. : Est-ce qu’il était dangereux d’"aller faire une brasse" pour

18 reprendre votre expression, c’est-à-dire de sortir pour chercher de

19 la nourriture ?

20 R. : C’était terriblement dangereux. Même les soldats serbes, des gardes

21 et d’autres, d’autres serbes dans le voisinage entraient par

22 effraction dans les maisons, pillaient les objets de valeur, et

23 parfois ils rencontraient des détenus et beaucoup étaient harcelés.

24 Certains, malheureusement ont été liquidés aussi en allant chercher

25 de la nourriture. Plus tard, dans les derniers temps du camp, il

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1 fallait de plus en plus s’éloigner du camp et c’était vraiment très

2 dangereux.

3 Q. : Pouvez-vous décrire les conditions d’hygiène au camp de Trnopolje ?

4 R. : Les conditions d’hygiène étaient horribles. Quand nous sommes arrivés

5 au camp, le bâtiment de l’école disposait encore d’eau courante

6 fournie par le réseau local, mais l’eau a été coupée dans les

7 premiers jours et les conditions se sont détériorées. Les gens

8 devaient se rendre à l’unique source d’eau qui se trouvait en face

9 de l’entrée principale de l’école.

10 Les toilettes qui avaient été utilisée pendant ce temps se sont

11 rapidement bouchées en raison du nombre de personnes. La tuyauterie

12 était bouchée et beaucoup ne pouvaient s’y rendre de sorte qu’ils

13 devaient faire leurs besoins à l’extérieur. Nous avons réussi à nous

14 organiser en creusant des toilettes improvisées qui ne pouvaient

15 être utilisées que de jour. En d’autres termes, pendant la nuit

16 personne ne pouvait se déplacer à l’extérieur sans être la cible des

17 gardes de service. Donc les gens faisaient leurs besoins près de la

18 porte ou près du mur ce qui a contribué à la déclaration de

19 maladies. Il y a eu un cas très grave de dysenterie. Nous n’avions

20 ni détergent, ni savon, rien.

21 Je me souviens que les gens quand je passais dans le camp pour

22 évaluer la situation faisaient la queue devant les toilettes et

23 quand ils avaient fini, ils devaient recommencer à faire la queue

24 parce qu’ils savaient qu’ils auraient besoin de retourner aux

25 toilettes. Donc beaucoup de gens n’étaient pas capable de se

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1 contrôler et ils se soulageaient, en quelque sorte, sur place.

2 C’était horrible.

3 Nous avions des patients qui venaient nous demander de l’aide et

4 souvent nous ne pouvions pas les aider. Nous n’avions rien à leur

5 donner. Ils avaient du sang dans les selles. Ils perdaient du sang

6 et cela bien sûr contribuait à la détérioration générale de leur

7 masse physique. Il n’y avait pas assez de nourriture et les gens

8 s’affaiblissaient vraiment.

9 Q. : Les enfants du camp étaient-ils particulièrement vulnérables aux

10 maladies comme la dysenterie ?

11 R. : Oui, les enfants étaient pratiquement la cible depuis le départ. Ils

12 étaient - les diarrhées provoquaient une perte d’eau et

13 d’électrolytes et cela provoque des réactions rapides sur des corps

14 jeunes. Ils nous amenaient, ils nous amenaient ces enfants et nous

15 essayions de les aider comme nous pouvions, ils étaient à moitié

16 morts. Nous leur donnions une sorte de sirop. C’était horrible.

17 Q. : A combien estimez-vous le pourcentage des détenus souffrant de

18 dysenterie dans le camp ?

19 R. : Mon estimation personnelle est d’environ 95 %. Je ne connais que très

20 peu de personnes qui n’avaient pas la dysenterie. Nous l’avions tous

21 plus ou moins, mais la plupart, comme j’ai dit, au moins 95%.

22 Q. : Y avait-il d’autres épidémies ou problèmes médicaux dans le camp

23 suite à la malnutrition et au manque d’hygiène ?

24 R. : Oui, très vite, nous avons eu des pous et la gale qui est très

25 désagréable et que nous ne pouvions pas éradiquer.

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1 Q. : Quels sont les effets de la gale sur le corps ?

2 R. : Le premier symptôme est l’irritation de différentes parties du corps.

3 Les gens en arrivent presque à s’arracher la peau à cause de

4 l’irritation, donc ils se blessaient, ils créaient ainsi des plaies

5 ouvertes qui s’infectaient très vite ce qui fait qu’il se formait

6 des abcès purulents, du pus, ce qui causait un gros problème. Nous

7 n’avions pas d’antibiotiques et les bactéries se propageaient très

8 rapidement dans le sang et dans d’autres parties du corps.

9 Q. : Vu le nombre de gens qui souffraient de dysenterie, avez-vous demandé

10 la remise en fonction ou l’extension des toilettes ?

11 R. : Oui, dans une conversation avec la Croix rouge serbe, nous avons

12 demandé que de nouvelles toilettes soient mises à l’extérieur et que

13 les fosses septiques soient curées et que le système d’égout soit

14 débouché ainsi que de permettre de réinstaller l’eau courante dans

15 l’école, afin d’améliorer l’hygiène. Mais cela a été refusé. Ils ont

16 dit que le réseau d’eau était endommagé, et ils ne l’ont pas fait.

17 Deux ou trois fois plus tard, des camions sont venus de Prijedor.

18 Ils ont nettoyé ces trous mais c’était une période très pluvieuse.

19 Donc ils se sont remplis de nouveau. Alors dans les puits

20 environnants, leur service de contrôle sanitaire est venu y mettre

21 quelque chose. Nous ne savions pas quoi. Donc les gens n’osaient pas

22 boire l’eau de ces puits parce qu’ils craignaient qu’ils soient

23 contaminés ou même empoisonnés, et nous pensions que cela était

24 effectivement possible.

25 Q. : Monsieur, outre les conditions générales que vous avez partiellement

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1 décrites, les prisonniers du camp de Trnopolje étaient-ils battus ?

2 R. : Oui, on les battait.

3 Q. : La nuit de votre arrivée au camp a-t-on amené un groupe d’hommes au

4 camp et les a-t-on battus ?

5 R. : Oui, la première nuit nous étions enfermés dans la clinique et plus

6 tard, un peu après minuit on a amené un groupe d’hommes jeunes. Ils

7 étaient alignés devant la clinique. Ils criaient contre eux. Ils

8 hurlaient. Puis ils les ont forcés à rentrer à coup de crosse. Ils

9 les menaçaient et ils les maudissaient. Après cinq ou dix minutes

10 ils les ont emmenés en direction du cinéma du côté sud du camp. Je

11 ne sais pas ce qui est arrivé à ces gens. Le lendemain j’ai demandé

12 aux détenus qui se trouvaient dans cette partie du camp et ils ont

13 dit que personne n’avait rejoint le reste des détenus cette nuit-là.

14 On les avait emmenés ailleurs.

15 Q. : Avez-vous entendu les responsables du camp ou les gardes parler de ce

16 qui était arrivé à ces gens ?

17 R. : Oui, plusieurs jours plus tard l’un des prisonniers a essayé de

18 passer au travers de la clôture près du portail et je me trouvais

19 dans les parages. Le garde l’a forcé à rentrer et lui a dit "Où

20 pensez-vous aller ? Voulez-vous..." Il a essayé de lui expliquer où

21 il allait et ce qu’il voulait et il a répondu "Rentre, ou bien tu te

22 feras manger par les poissons comme ceux d’il y a quelques jours."

23 Q. : En parlant de "manger pas les poissons", il parlait des pêcheries qui

24 se trouvaient près de là ?

25 R. : Oui, on pouvait déduire de ses propos, il a fait une sorte de sourire

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1 cynique, mais j’ai compris que cela voulait dire, que ces hommes

2 avaient été conduits à cette pêcherie et qu’on les avait tués là et

3 qu’ils avaient été jetés dans la pêcherie pour nourrir les poissons.

4 Q. : Où étaient détenus les prisonniers que l’on battait, dans quelle

5 partie du camp ?

6 R. : Des gens qui se trouvaient dans divers endroits du camp étaient

7 emmenés au centre communal. Parfois ils étaient interrogés, parfois

8 battus et puis on les amenait dans l’ancien laboratoire et certains

9 étaient interrogés ou battus sans interruption.

10 Q. : Pouvez-vous décrire le type de coups subis par certains des

11 prisonniers que l’on amenaient au laboratoire ?

12 R. : Comme le laboratoire était juste à côté de la clinique, nous

13 partagions pratiquement la même entrée. Nous voyions qui ils

14 amenaient. Et puis les fenêtres étaient ouvertes et nous pouvions

15 entendre ces bruits affreux, ces cris, les gémissements des

16 victimes, les coups. D’autre part, les injures des soldats serbes

17 qui les battaient, nous nous sentions très mal alors, nous nous

18 sentions sans recours. Nous ne pouvions rien faire et ils

19 continuaient à les battre. Cela arrivait souvent. Ils les battaient

20 avec toutes sortes d’objets, avec des fusils, des meubles. Ils les

21 frappaient avec des couteaux, les poings, les pieds, surtout plus

22 tard. Après ces séances de torture, quand nous allions au

23 laboratoire il y avait beaucoup de sang, sur les murs, sur le sol,

24 les empreintes de leurs bottes, c’était une vision de cauchemar.

25 Q. : Avez-vous essayé de soigner ou d’aider à soigner certains des détenus

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1 battus et de quelles sortes de blessures souffraient-ils à l’issue

2 des passages à tabac ?

3 R. : Bien sûr, nous essayions toujours de joindre les gens qui étaient

4 détenus là. Parfois nous y arrivions, parfois pas. Quand nous

5 réussissions à fléchir le commandant ou le garde responsable, alors

6 nous découvrions différents types de blessures. Je me souviens

7 d’abord d’hématomes, sur le dos, les reins, puis de lacérations au

8 visage. Puis nous avons eu un patient dont une partie du cuir

9 chevelu avait été détachée. Il pendait, on pouvait voir l’os et le

10 patient avait également le genou gauche percé. Plus tard j’ai vu un

11 autre homme avec la même blessure aux deux genoux. Ils lui avaient

12 apparemment dit de s’asseoir en tailleur, parce que c’est surtout

13 les Musulmans qui s’assoient comme ça et ils lui ont percé les deux

14 genoux avec une baïonnette. Cette blessure endommageait les nerfs.

15 Malheureusement, notre patient est resté handicapé.

16 Q. : Avez-vous vu des prisonniers avec une croix découpée sur le corps,

17 taillée dans le corps ?

18 R. : Oui, j’ai vu ce prisonnier.

19 Q. : A part les passages à tabac au laboratoire est-ce que les prisonniers

20 masculins étaient parfois appelés hors du camp ?

21 R. : Pardon ? Je n’ai pas -

22 Q. :Est-ce que certains prisonniers étaient simplement appelés hors du

23 camp et disparaissaient de Trnopolje ?

24 R. : Oui, cela arrivait aussi.

25 Q. :Est-ce que les prisonniers ont essayé de savoir ce qui arrivait à ces

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1 prisonniers là, où ils partaient ?

2 R. : Oui, généralement la procédure était la suivante. On appelait un

3 prisonnier par son prénom et son nom. Il y avait des gardes, des

4 équipes deux et trois, ils avaient des listes de noms et ils

5 parcouraient le camp en demandant. Bien sûr, cela s’est passé sur

6 une certaine période. Les groupes d’hommes qui partaient étaient

7 plus ou moins importants. Évidemment, nous avons demandé de leurs

8 nouvelles. Ce qui a retenu mon attention était que très souvent les

9 gens appelés n’allaient pas dans un autre camp comme Omarska,

10 Keraterm ou Manjaca. Un très petit nombre de ceux que nous

11 connaissions y ont fait leur réapparition, et pour beaucoup ce

12 n’était pas le cas. Beaucoup de ceux qui partaient disparaissaient

13 et pour beaucoup nous n’avons toujours pas de nouvelles aujourd’hui.

14 Q. : A-t-on su quel avait été le sort de certains des prisonniers appelés

15 hors de Trnopolje quand d’autres prisonniers ont dû les enterrer

16 près de Trnopolje ?

17 R. : Oui. Les gens sortaient dans les environs du camp, ils trouvaient les

18 corps de ces gens-là dans les prés, derrière des haies, dans les

19 ravins et puis ils nous le disaient à nous ou aux autres, aux

20 gardes. Puis dans certains cas, le commandement du camp assignait

21 des gens pour les enterrer. Donc nous savons quel a été le sort d’un

22 petit nombre d’entre eux.

23 Q. : Vous souvenez-vous de certains groupes de gens appelés à l’extérieur

24 et dont on a retrouvé les corps ?

25 R. : Oui, l’une des personnes qui creusaient, qui enterraient les morts,

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1 m’a dit plus tard dans le camp qu’ils avaient enterré les Foric, il

2 s’agissait de six jeunes gens apparentés qui ont été appelés hors du

3 camp un après-midi par un policier. En plus ils avaient enterré deux

4 hommes Ante et Zoran de Kozarac.

5 Q. : A-t-on également enterré des gens dont on ne connaissait pas

6 forcément le nom ?

7 R. : Oui, certains groupes ont été retrouvés plus tard alors que les corps

8 étaient déjà en décomposition, donc ils les mettaient dans une fosse

9 commune et ils les y enterraient. Il était impossible de les

10 reconnaître ou de faire quoi que ce soit. Il y a un charnier près de

11 là avec 15 corps et un autre de 16.

12 Q. : Deux endroits séparés, l’un contenant 15 corps et l’autre 16 ?

13 R. : Oui.

14 Q. : Est-ce que certaines des personnes contraintes d’enterrer ces

15 victimes sont venues à la clinique pour recevoir des soins ou des

16 conseils ?

17 R. : Oui, elles sont venues. Généralement, ils venaient cinq ou six jours

18 après. On les avait forcés à ne pas parler de qui ils avaient vu et

19 de ce qu’ils avaient fait sous peine de mort. Mais cela créait une

20 tension en eux. Pour certains d’entre eux, c’était la toute première

21 fois qu’ils avaient affaire à des cadavres. C’était particulièrement

22 horrible parce qu’il s’agissait de corps en décomposition et qu’il y

23 avait la puanteur et qu’ils ne pouvaient pas l’enterrer, cette

24 tension psychologique, ces cauchemars qu’ils avaient durant la nuit.

25 A la fin, ils décidaient de venir nous voir et de nous demander de

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1 l’aide parce qu’ils avaient confiance en nous, ils savaient que nous

2 ne dirions rien. Nous leur donnions des comprimés pour les calmer.

3 Nous essayions de leur parler, de les amener à oublier.

4 Q. : Monsieur, vous avez évoqué des listes de noms à partir desquelles on

5 appelait les gens. Est-ce que ces listes étaient dressées dans le

6 camp, dans Trnopolje ?

7 R. : Je ne sais pas qui dressait ces listes, bien sûr, mais j’ai

8 effectivement vu des gens qui dirigeaient le camp et les gardes avec

9 ces listes. Même la Croix rouge avait une liste, un recensement de

10 tous les hommes qui se trouvaient dans le camp à ce moment-là. On

11 avait annoncé que tout ceux qui ne s’étaient pas inscrits et qui se

12 trouvaient dans le camp seraient tués. Tout le monde devait être

13 inscrit. Ils le faisaient, mais bien sûr il y avait d’autres sortes

14 de listes. Elles étaient toutes recueillies dans un grand livre.

15 Q. : A certaines occasions est-ce que des gens extérieurs au camp venaient

16 pour fournir des listes, soit des gens à appeler ou afin de comparer

17 avec la liste déjà préparée ?

18 R. : Oui, cela est arrivé à de nombreuses reprises. Deux fois ou plus,

19 j’ai vu un véhicule de police, une estafette, un policier arrivait

20 au camp avec une liste de ce type et le commandant en second venait,

21 Slavko Puhalic. Il lui donnait le papier. Ils le commentaient. Puis

22 Slavko donnait cette liste au Commandant d’équipe et puis lui avec

23 les soldats allaient au camp et ils cherchaient les gens avec cette

24 liste et quand ils les trouvaient ils les mettaient dans l’estafette

25 et les emmenaient. Cela s’est répété plusieurs fois.

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1 Q. : Est-ce que le Commandant en second Puhalic venait parfois à la

2 clinique avec des listes de noms ?

3 R. : Oui, il venait aussi chez nous. Il pensait probablement que nous

4 avions des renseignements ou que nous connaissions certains de ces

5 gens. On m’a également posé des questions plus précises sur

6 certains. Il s’asseyait à table avec nous et regardait la liste.

7 Nous pouvions aussi la voir. C’était une liste de noms alignés.

8 Q. : Est-ce que les autorités du camp comme Puhalic ou le Major Kuruzovic

9 restaient en contact avec les autorités serbes de Prijedor ?

10 R. : Oui.

11 Q. : Vous a-t-on amené un jour à la cellule de crise à Prijedor ?

12 R. : Oui, je suis allé à la cellule de crise parce que l’un des gardes

13 était malade. En fait, il a eu une attaque et on nous l’a amené à la

14 clinique et nous lui avons donné les premiers soins. Puis ils nous

15 ont dit que nous devions l’escorter à l’hôpital de Prijedor.

16 Q. : Quelle heure était-il ?

17 R. : C’était le matin, très tôt.

18 Q. : Comment avez-vous été transportés à Prijedor ?

19 R. : Nous avons pris l’autocar de - il s’agit d’un autocar local de

20 Prijedor, d’un bus urbain qui avait amené les gens de la Croix

21 rouge. Il n’y avait pas d’autre véhicule à ce moment-là. Tous les

22 matins il amenait les gens de la Croix rouge. Donc c’est dans ce bus

23 sous escorte qu’on nous a conduit au service neurologique -

24 Q. : Ce bus était-il conduit par un soldat serbe ou un chauffeur du camp ?

25 R. : C’était un chauffeur de bus en vêtements civils, il ne faisait pas

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1 partie des gardes du camp.

2 Q. : Mais il amenait régulièrement les membres de la Croix Rouge au camp ?

3 R. : Oui.

4 Q. : Est-ce que le chauffeur vous a ramené a Trnopolje après avoir fait ce

5 que vous deviez faire à l’hôpital ?

6 R. : Non, il a refusé de retourner à Trnopolje. Il s’est un peu disputé

7 avec notre escorte. Puis l’escorte à dit "Alors qu’est-ce que nous

8 allons faire ici à Prijedor ? Nous devons rentrer." Le chauffeur a

9 dit "Je vous emmène à la cellule de crise à Cirkin Polje et ils

10 feront ce qu’ils voudront avec vous", et c’est exactement ce qu’il a

11 fait. Nous sommes descendus du bus et le soldat nous a amenés dans

12 un garage sous la surveillance d’un garde qui se trouvait là à ce

13 moment et qui gardait cet objet et il est allé à la cellule de

14 crise.

15 Q. : Après avoir attendu un certain temps quels personnages officiels du

16 camp de Trnopolje sont sortis de la Cellule de crise ?

17 R. : Après une heure ou deux d’attente le garde a dit "Sortez" et quand

18 nous sommes sortis nous avons vu le commandant du camp Slobodan

19 Kuruzovic et son adjoint Slavko Puhalic, deux Balaban des frères

20 jumeaux qui escortaient le Commandant- non? C’est tout.

21 Q. : Vous ont-ils ramenés au camp de Trnopolje ?

22 R. : Oui, le commandant, chacun avait son propre véhicule et le commandant

23 du camp a dit "vous venez avec moi". Nous sommes montés dans sa

24 voiture et il nous a ramenés à Trnopolje. Il a parlé un peu.

25 LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE : Nous ajournons l’audience jusqu’à mardi.

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1 Comme je l’ai mentionné, nous n’entendrons pas cette affaire demain

2 parce que nous devons traiter une autre question. Merci. Nous

3 ajournons l’audience jusqu’à mardi 10h00.

4 (17h30)

5 (La cour ajourne l’audience jusqu’au mardi 6 août 1996)

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