Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le mardi 26 avril 2011

  2   [Audience publique]

  3   [L'accusé est introduit dans le prétoire]

  4   --- L'audience est ouverte à 14 heures 29.

  5   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Bonjour à tous dans le prétoire,

  6   bonjour aussi aux personnes qui suivent la procédure à l'extérieur du

  7   prétoire. Toutes nos excuses pour ce début tardif de l'audience, qui est dû

  8   à des circonstances que nous ne maîtrisions pas.

  9   Le témoin va être introduit dans le prétoire. Mais pour permettre au témoin

 10   de pénétrer dans le prétoire, nous devons passer à huis clos partiel un

 11   bref instant.

 12   Huis clos partiel [comme interprété], je vous prie.

 13   M. LE GREFFIER : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel [comme

 14   interprété], Monsieur le Président.

 15   [Audience à huis clos]

 16   (expurgé)

 17   (expurgé)

 18   (expurgé)

 19   (expurgé)

 20   (expurgé)

 21   (expurgé)

 22   [Audience publique]

 23   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Bonjour, Monsieur. Bienvenue une

 24   nouvelle fois dans ce prétoire.

 25   Je me dois de vous rappeler que la déclaration prononcée par vous selon

 26   laquelle vous vous apprêtiez à dire la vérité, déclaration que vous avez

 27   faite au début de votre déposition jeudi dernier, s'applique toujours.

 28   LE TÉMOIN : NESIB SALIC [Reprise]


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  1   [Le témoin répond par l'interprète]

  2   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] M. Elderkin, du côté de l'Accusation,

  3   a encore quelques questions à vous poser.

  4   M. ELDERKIN : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

  5   Bonjour à tous dans le prétoire et à l'extérieur du prétoire.

  6   Interrogatoire principal par M. Elderkin : [Suite] 

  7   Q.  [interprétation] Monsieur le Témoin, la dernière question que je vous

  8   ai posée jeudi dernier était la suivante : vous rappelez-vous ce moment de

  9   juillet 1995 où Srebrenica est tombée, et vous avez commencé à répondre en

 10   disant que cet événement faisait beaucoup parler; que des voisins sont

 11   venus rendre visite à vos parents et qu'ils ont parlé de la chute de

 12   Srebrenica.

 13   J'aimerais à présent vous demander de préciser si des hommes qui avaient

 14   fui Srebrenica sont arrivés à Zepa ?

 15   R.  Oui, par groupes peu nombreux. Je ne saurais pas vous donner le nombre

 16   exact de ces personnes, mais en tout cas certains disaient qu'ils avaient

 17   traversé la forêt pour arriver. Voilà ce que je peux en dire.

 18   Q.  A peu près à ce moment-là, donc en juillet 1995, y a-t-il eu des

 19   bombardements dont vous auriez été témoin à Zepa ?

 20   R.  Oui.

 21   Q.  Pouvez-vous nous en parler, je vous prie ?

 22   R.  Oui. Il y avait des tirs tous les jours. Donc, pour ne pas être exposé,

 23   je ne pouvais pas vraiment me promener à mon gré. Ma mère, surtout,

 24   m'empêchait de sortir afin d'éviter que je ne subisse des désagréments.

 25   J'étais dans un abri non loin de notre maison et j'ai entendu des

 26   détonations tous les jours. C'était un moment très pénible.

 27   Q.  Vous rappelez-vous ou pourriez-vous nous donner une impression de

 28   l'intensité de ces bombardements pendant ces journées-là, combien d'obus


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  1   sont tombés ?

  2   R.  Eh bien, en une journée -- et je n'ai pas oublié parce que j'étais

  3   assis dans l'abri et je comptais les obus, il arrivait parfois que cinq

  4   obus tombent, d'autres fois un seul obus, et à d'autres moments 250 obus

  5   pouvaient tomber.

  6   Q.  Y a-t-il eu des habitants de votre village qui auraient été blessés en

  7   raison de ces bombardements ?

  8   R.  Oui, deux personnes qui étaient sorties pour trouver des vivres pour le

  9   déjeuner, mais ces personnes n'ont pas été grièvement blessées.

 10   Q.  Qui étaient ces personnes ?

 11   R.  L'une de ces personnes était une personne assez jeune, et l'autre une

 12   personne plus âgée.

 13   Q.  Etait-ce des femmes ou des hommes ?

 14   R.  Des femmes.

 15   Q.  Et votre famille a-t-elle quitté le village un certain jour de juillet

 16   1995 ?

 17   R.  Non, ils ne sont pas partis. Ma mère était là, mon père aussi. Il

 18   s'occupait du bétail, il faisait tout ce qu'il importait de faire pour

 19   préserver la vie des animaux, qui étaient son moyen d'existence, donc nous

 20   avons essayé de protéger les animaux des bombardements.

 21   Q.  Est-ce que vous avez cherché refuge dans un lieu situé hors du village

 22   à un certain moment ?

 23   R.  Oui. La seule chose, c'est que nous allions parfois sur nos terres pour

 24   ramasser des pommes de terre, cueillir des fruits et ce genre de chose.

 25   Q.  Au mois de juillet 1995, est-ce que vous avez passé un certain temps

 26   dans les prairies de Zvijezda ?

 27   R.  Oui. Je ne me rappelle pas le jour exact, mais c'est le jour où le

 28   territoire de Zepa était près de tomber. Nous sommes sortis avec mes sœurs,


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  1   ma mère et mon père, et nous sommes allés sur les pentes du mont Zvijezda.

  2   Q.  Où avez-vous passé la nuit sur le mont Zvijezda ?

  3   R.  Il y a là-bas des petites maisons qui sont des maisons de vacances ou

  4   de week-end - je ne sais pas très bien comment les décrire. Nous y avons

  5   passé un certain temps, une semaine ou deux peut-être, mais pas plus que

  6   cela. Je ne me rappelle pas exactement la durée de notre séjour là-bas.

  7   Q.  Y a-t-il eu des bombardements pendant que vous étiez à cet endroit ?

  8   R.  Oui, bien sûr, il y en a eu. Pas trop, mais il y en a eu. Il y a eu des

  9   moments où il a fallu se mettre à l'abri.

 10   Q.  Après le moment que vous avez passé sur le mont Zvijezda, est-ce que

 11   vous êtes allés ailleurs ?

 12   R.  Oui. Une estafette qui venait d'en haut est arrivée et nous a dit qu'il

 13   serait préférable que nous nous retirions un peu plus bas vers le centre de

 14   Zepa, où se trouvent l'école de la ville et une fontaine. Donc nous sommes

 15   descendus avec ma mère et mes sœurs, et nous avons trouvé là-bas un grand

 16   nombre de personnes qui étaient regroupées avant d'être expulsées, je

 17   crois, dans la direction de Kladanj.

 18   Q.  Votre père est-il descendu vers la ville de Zepa ?

 19   R.  Non, lui est resté là-haut sur la montagne.

 20   Q.  Est-ce que vous savez pourquoi il est resté éloigné de la ville ?

 21   R.  Sans doute parce qu'il était plus âgé et qu'il ne pouvait pas marcher

 22   aussi longtemps que les autres personnes. En tout cas, c'est ce qu'il

 23   pensait.

 24   Q.  Vous avez dit qu'il y avait beaucoup de monde regroupé en ville dans ce

 25   quartier où se trouvent l'école et la fontaine. Pourriez-vous nous décrire

 26   le plus précisément possible, en vous appuyant sur vos souvenirs, ce que

 27   vous avez vu à cet endroit, je veux parler des personnes qui se trouvaient

 28   là et du climat qui régnait sur place, je vous prie ?


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  1   R.  Eh bien, il y avait là surtout des femmes et des enfants. L'atmosphère,

  2   bien sûr, était une atmosphère très lourde, car il y avait tout autour des

  3   soldats serbes. Quel autre nom je pourrais leur donner, puisque c'était

  4   bien ce qu'ils étaient. Et je suis resté là avec ma mère et mes sœurs, et

  5   nous avons attendu qu'arrive un autobus qui devait assurer l'expulsion de

  6   toutes ces personnes. Mais à ce moment-là, des événements ont eu lieu. Un

  7   des soldats s'est approché de moi - je ne connais pas son nom exact - et il

  8   m'a simplement demandé : Où allez-vous, Monsieur ? Je lui ai dit que

  9   j'allais monter à bord de l'autobus avec mes sœurs et ma mère pour aller

 10   jusqu'au territoire libéré. Et à ce moment-là il m'a dit : Attendez un

 11   instant ici. Eloignez-vous de l'autobus et attendez un peu. Moi je ne

 12   savais absolument pas quelles pouvaient être ses intentions, et je me suis

 13   mis à réfléchir, en me disant : Mon Dieu, peut-être que ma dernière heure

 14   est venue. Alors, j'ai fait mes adieux à ma mère et à mes sœurs, et j'ai

 15   repris le chemin du mont Zvijezda à la recherche de mon père. Bien sûr,

 16   j'ai retrouvé mon père, et je suis resté là-bas un certain temps avec lui.

 17   Peut-être deux ou trois jours, à peu près.

 18   Q.  Vous rappelez-vous quel a été le comportement ou le ton sur lequel ce

 19   soldat serbe vous a parlé lorsqu'il vous a interpellé ?

 20   R.  Oui. Il était très brutal. J'avais l'air un peu plus âgé que mon âge

 21   sans doute, donc il a pensé que j'étais plus âgé et que j'étais peut-être

 22   un soldat. Il m'a dit : Qu'est-ce que tu fais là ? J'ai dit : Monsieur, je

 23   suis très jeune. J'ai 15 ans. Le 15 juillet je venais de fêter mon 15e

 24   anniversaire. Et il ne m'a pas cru, et il m'a répondu ce que j'ai dit tout

 25   à l'heure, c'est-à-dire qu'il fallait que je m'écarte de l'autobus et que

 26   j'attende à un endroit déterminé qu'il revienne.

 27   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Monsieur Tolimir.

 28   L'ACCUSÉ : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.


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  1   J'exprime mes respects à toutes les personnes présentes et souhaite que la

  2   paix règne dans cet endroit et que la procédure se déroule selon la volonté

  3   de Dieu.

  4   Monsieur le Président, Madame le Juge, en page 4, ligne 23 du compte rendu

  5   d'audience de la journée d'aujourd'hui, le témoin n'a pas dit à quelles

  6   forces appartenaient ces soldats serbes, il n'a parlé que de soldats. Mais

  7   l'Accusation lui a demandé s'il s'agissait d'un soldat serbe. Le Procureur,

  8   en fait, a dit au témoin que c'était un soldat serbe, alors que le témoin

  9   n'a pas dit à quelle armée appartenait ce soldat.

 10   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Monsieur Tolimir, peut-être n'avez-

 11   vous pas entendu entièrement ce qu'a dit le témoin, car il a déclaré, je

 12   cite :

 13   "Il y avait là surtout des femmes et des enfants. L'atmosphère était,

 14   bien sûr, très lourde, car nous étions entourés de soldats serbes, si je

 15   puis les définir ainsi."

 16   Ce sont les mots exacts prononcés par le témoin à M. Elderkin, qui a

 17   embrayé sur cette réponse du témoin.

 18   Monsieur Elderkin, veuillez poursuivre.

 19   M. ELDERKIN : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 20   Q.  Donc, Monsieur le Témoin, quel a été votre sentiment lorsque ce soldat

 21   serbe s'est adressé à vous de cette façon ?

 22   R.  Très mal. J'ai pensé, alors que j'avais à peine 15 ans et sept jours,

 23   puisque je venais de fêter mon 15e anniversaire, j'ai pensé que ma vie

 24   allait s'arrêter. Et j'ai décidé de partir avant son retour. Je suis donc

 25   allé dire au revoir à ma mère et à mes sœurs, et je me suis faufilé pour

 26   remonter sur la montagne à la recherche de mon père, que j'ai fini par

 27   trouver.

 28   Q.  Avez-vous réussi à trouver votre père ?


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  1   R.  Oui, je l'ai trouvé très vite, au bout de cinq ou six heures à peu

  2   près, c'est-à-dire le temps qu'il m'a fallu pour quitter la ville et

  3   franchir le chemin. C'est une pente très raide qui mène à la montagne.

  4   Q.  Votre père était-il resté à l'endroit où vous l'aviez laissé lorsque

  5   vous étiez parti accompagné de votre mère et de vos soeurs ?

  6   R.  Oui, bien sûr, c'est là qu'il était, car nous avions là-haut des terres

  7   qui appartenaient à mon père. Donc c'est là qu'il se trouvait accompagné

  8   d'un certain nombre d'hommes. Je ne sais pas exactement quel était leur

  9   nombre, mais enfin, ils étaient assez nombreux.

 10   Q.  Combien de temps êtes-vous resté à cet endroit avec votre père et ces

 11   autres hommes ?

 12   R.  Je ne sais pas exactement. Deux ou trois jours peut-être, maximum, pas

 13   plus.

 14   Q.  Y a-t-il eu des bombardements pendant cette période ?

 15   R.  Oui, oui. C'étaient des tirs d'obus assez fréquents, et dans ces cas-là

 16   nous prenions la fuite et essayions de nous cacher derrière des arbres,

 17   afin qu'il n'y ait pas de victimes.

 18   Q.  Est-il arrivé un moment où vous avez quitté cet endroit ?

 19   R.  Oui, bien sûr. Nous avons pris le chemin de Poljanice, je crois que

 20   c'est le nom de ce village, qui est tout près de Luka, un autre village. Il

 21   y avait là une prairie très vaste, et c'est là que la plupart des hommes se

 22   sont regroupés. Ils étaient très nombreux.

 23   Q.  Savez-vous qui avait pris la décision de se diriger vers cet endroit ?

 24   R.  Je ne sais pas exactement, mais on nous a simplement dit de nous

 25   diriger vers ce village de Luka et ce lieu-dit Poljanice, qui est une

 26   prairie d'assez grande taille. C'est là que nous avons passé la nuit. Après

 27   quoi, nous avons pris le chemin qui menait vers la Drina, vers Crni Potok

 28   plus précisément.


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  1   Q.  Votre père faisait-il partie de l'armée ou était-il actif dans le cadre

  2   de la défense de Zepa en 1995 ?

  3   R.  Je ne sais pas. Je ne l'ai jamais vu porter des armes, donc je ne sais

  4   pas. Peut-être en faisait-il partie, mais lui, en tout cas, ne m'en a

  5   jamais parlé.

  6   Q.  Lui ou un autre des hommes qui composaient ce groupe dans lequel vous

  7   vous êtes trouvé aurait-il eu un rôle à jouer au sein de l'armée ou dans le

  8   cadre de la défense de Zepa cette année-là ?

  9   R.  Il est probable que oui, mais je n'ai vu à aucun moment qui que ce soit

 10   portant des armes au sein de ce groupe. Mais il est probable qu'il y avait

 11   des gens qui assuraient la garde en périphérie du groupe qui se trouvait

 12   dans cette prairie afin que personne ne pénètre dans cet endroit.

 13   Q.  Y avait-il des hommes qui portaient un uniforme de l'armée ou des

 14   parties d'uniforme de l'armée ?

 15   R.  Non, vraiment, je n'ai vu personne habillé de cette façon. Tous ces

 16   hommes portaient des vêtements civils. Il est possible qu'il y en ait eu

 17   ici ou là quelques-uns qui portaient l'uniforme, je ne sais pas, mais moi,

 18   vraiment, je n'en ai vu aucun avec un uniforme sur le dos.

 19   Q.  Vous avez déclaré que vous aviez pris le chemin de la Drina, plus

 20   précisément de Crni Potok. Combien de temps vous a-t-il fallu pour

 21   atteindre la rivière ?

 22   R.  Deux heures peut-être, car c'est un chemin très pierreux, avec beaucoup

 23   de virages, et donc il fallait marcher très précautionneusement pour ne pas

 24   risquer de glisser sur un caillou et de se blesser en dégringolant sur les

 25   rochers ou quelque chose comme ça.

 26   Q.  Lorsque vous dites deux heures, c'est la durée de votre parcours depuis

 27   la prairie de Zvijezda jusqu'à la Drina ou la durée de votre parcours

 28   depuis l'endroit où vous vous étiez regroupés à Luka ?


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  1   R.  Non, non. C'est la durée du parcours depuis Luka. Il nous a fallu --

  2   voilà, c'est à peu près ça, deux heures pour descendre jusqu'à la rivière.

  3   Q.  Et entre Zvijezda et Luka, il faut combien de temps de marche ?

  4   R.  Eh bien, nous avons marché la nuit. Je dirais cinq ou six heures,

  5   maximum, pas plus que cela.

  6   Q.  Pendant ce trajet-là, y a-t-il eu des bombardements ?

  7   R.  Oui, bien sûr, mais heureusement, personne n'a été blessé. C'est peut-

  8   être parce que c'était la nuit et qu'on n'y voyait pas bien. Il est donc

  9   possible que personne n'ait pu viser avec une précision suffisante pour

 10   nous atteindre. Et puis, le groupe était nombreux.

 11   Q.  Pourriez-vous nous dire quel était l'aspect de la rivière et du paysage

 12   à Crni Potok ?

 13   R.  Oui, c'est un endroit très encaissé, où on ne voit pas grand-chose aux

 14   environs, dirais-je. On ne voit pratiquement que le ciel au-dessus, donc ce

 15   n'est pas un beau paysage parce que, bien sûr, les parois sont des parois

 16   rocheuses. C'est donc comme un canyon de la rivière. Je ne sais pas

 17   exactement où il mène, mais il est très difficile d'accès. Et les gens

 18   trébuchaient très souvent et chutaient de temps en temps et, bien sûr, nous

 19   nous entraidions parce qu'il n'y avait pas de médecin et pas d'assistance

 20   médicale sur place. Donc la situation était difficile.

 21   Q.  Pourquoi aviez-vous choisi cet endroit difficile au bord de la rivière

 22   plutôt qu'un endroit plus facile d'accès ?

 23   R.  Sans doute parce qu'il était impossible de faire autrement. J'ai

 24   entendu des gens qui disaient que plus loin les différents sites étaient

 25   exposés à des tirs de tireurs embusqués ou à des tirs d'obus. Donc nous,

 26   nous avons trouvé ce canyon, et nous pensions que c'était le seul trajet

 27   possible si nous voulions être protégés contre les obus. Il est probable

 28   que l'un des nôtres ait dit qu'il nous fallait emprunter ce chemin-là et


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  1   pas un autre.

  2   Q.  Une fois que vous êtes arrivés au bord de la rivière, que s'est-il

  3   passé ?

  4   R.  Une fois sur place, il y a des gens qui ont construit un petit radeau à

  5   notre intention pour nous permettre de traverser la rivière qui avait à ce

  6   niveau-là une largeur de 150 mètres à peu près, un peu plus, un peu moins,

  7   je pense. Ce n'est qu'une estimation de ma part. L'eau était assez profonde

  8   à certains endroits. Donc nous sommes arrivés au bord de la rivière et

  9   avons continué notre chemin. Il y en a qui sont partis à la nage, d'autres

 10   qui sont montés sur le radeau. Mais c'était un petit radeau sur lequel ne

 11   pouvaient trouver place que cinq ou six personnes, et nous avions peur que

 12   quelqu'un tombe à l'eau et se noie.

 13   Q.  Comment êtes-vous arrivés de l'autre côté de la rivière ?

 14   R.  Moi, j'ai nagé en me tenant au radeau. Mon père était sur le radeau

 15   parce qu'il ne pouvait pas nager, et moi j'étais là à côté de lui pour

 16   l'aider si c'était nécessaire, ou que lui m'aide si la nécessité se faisait

 17   sentir. Mais le plus probable c'est que c'est moi qui l'aurais aidé parce

 18   qu'il ne savait pas nager, et je voulais garder un œil sur lui au moins

 19   jusqu'à l'arrivée sur la rive d'en face, parce que le reste du temps

 20   c'était plutôt lui qui veillait sur moi.

 21   Q.  Combien de temps vous a-t-il fallu pour atteindre la rive opposée ?

 22   R.  Une quinzaine de minutes peut-être, il y avait de l'autre côté des gens

 23   qui avaient déjà fait la traversée à la nage et le radeau était accroché à

 24   une corde que les uns tiraient d'un côté, et les autres tiraient de l'autre

 25   côté, une fois que le radeau s'était déchargé des personnes qui se

 26   trouvaient sur le radeau. Donc le radeau faisait la traversée avec des

 27   hommes sur le radeau, et une fois arrivé sur place, ceux de l'autre côté le

 28   retiraient à l'aide de cette corde jusqu'au point de départ.


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  1   Q.  Y a-t-il eu des bombardements pendant que vous avez traversé ?

  2   R.  Non, il n'y en a pas eu jusqu'à la soirée, ou plus précisément jusqu'à

  3   la tombée de la nuit. A ce moment-là, des obus sont tombés, mais pas

  4   exactement à l'endroit où nous traversions la rivière. Ils ont sans doute

  5   eu des difficultés à viser exactement cet endroit. Cela dit, je ne connais

  6   pas ce genre d'armes. Quoi qu'il en soit, des obus sont tombés autour de

  7   nous à une distance de 50 à 100 mètres de l'endroit où nous traversions la

  8   rivière.

  9   Q.  Où est-ce que vous êtes allés lorsque vous êtes arrivés de l'autre côté

 10   ?

 11   R.  Nous avons pris le chemin de la Serbie. Je crois que l'endroit porte le

 12   nom de Jagostica. C'était un terrain assez difficile, et j'ai entendu des

 13   gens qui faisaient partie du groupe qui disaient que nous nous dirigions

 14   vers la frontière séparant la Serbie de la Bosnie.

 15   Q.  Avez-vous atteint la frontière ?

 16   R.  Oui, bien sûr.

 17   Q.  Et qu'est-il arrivé lorsque vous êtes arrivés à la frontière ?

 18   R.  On nous a arrêtés, je suppose qu'il s'agissait des gardes-frontières ou

 19   membres de l'armée, de cette partie de l'armée qui gardait les frontières,

 20   je ne sais pas comment expliquer cela. Ils nous ont dit qu'il fallait

 21   donner tout ce que nous avions sur le pré même. Il y avait une école à la

 22   proximité de cet endroit, et près de l'école il y avait ce pré sur lequel

 23   nous étions. Ils nous ont dit poliment que nous devions rendre tous les

 24   objets tranchants, et que nous pouvions garder sur nous de l'argent ou des

 25   bijoux.

 26   Q.  Donc la garde-frontière qui vous a arrêté, elle se trouvait de quel

 27   côté de la frontière, du côté de la Bosnie-Herzégovine ou du côté de la

 28   Serbie ?


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  1   R.  C'était du côté de la Serbie, à l'endroit où ces gardes-frontières nous

  2   ont arrêtés.

  3   Q.  Quel était le nombre de personnes qui sont passées et qui sont arrivées

  4   à cet endroit ?

  5   R.  A peu près 480 personnes. Je ne peux pas vous donner le chiffre exact,

  6   parce que je n'ai noté nulle part, ça, et j'ai oublié pas mal de choses,

  7   mais je pense que c'était environ 480 personnes.

  8   Q.  Y avait-il d'autres jeunes hommes de votre âge dans votre groupe ?

  9   R.  Oui, il y avait deux autres jeunes hommes.

 10   Q.  Savez-vous quel était leur âge ?

 11   R.  Ils avaient mon âge, ils sont nés dans les années 1980, mais je ne sais

 12   pas quand exactement ils sont nés.

 13   Q.  Est-ce qu'il y avait d'autres hommes un peu plus âgés dans ce groupe ?

 14   R.  Oui. Je me souviens qu'il y avait trois personnes âgées qui avaient à

 15   peu près 80 ans chacun.

 16   Q.  Est-ce qu'ils ont également réussi à franchir la rivière à Crni Potok ?

 17   R.  Oui.

 18   Q.  Qu'est-ce qui s'est passé après que vous avez franchi la frontière et

 19   après que vous avez été fouillés par ces gardes-frontières ?

 20   R.  Oui, ils nous ont fouillés. Ils nous ont fouillés, mon père était

 21   toujours près de moi, il me disait que je ne devais pas avoir peur, qu'ils

 22   n'allaient rien nous faire de mal. Mais eux, ils se tenaient debout avec

 23   des mitrailleuses ou d'autres armes, c'était quelque chose comme cela. Moi

 24   je pensais que c'est mon dernier jour était arrivé, qu'ils allaient nous

 25   tuer tous à cet endroit-là, que ma dernière heure était venue. Mais

 26   heureusement, rien de tel ne s'est passé.

 27   Des véhicules sont arrivés, ils nous ont fait monter à bord de ces

 28   véhicules pour partir dans une direction inconnue, nous ne savions pas dans


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  1   quelle direction nous partions, il faisait déjà nuit et le trajet était

  2   long. Le lendemain matin tôt, un officier, je pense que c'était un

  3   officier, il nous a dit que nous étions arrivés à Uzice, c'est comme ça que

  4   s'appelait cette ville, en Serbie, bien sûr.

  5   Q.  Est-ce que vous avez passé un certain temps en Serbie une fois arrivé

  6   sur le territoire de la Serbie ?

  7   R.  Oui. J'y ai passé à peu près une vingtaine de jours, au maximum. Après

  8   quoi, nous avons été à nouveau déportés dans la direction de Mitrovo Polje,

  9   c'est comme ça que s'appelle cet endroit, près de Vrnjacka Banja ou de

 10   Prus. Je ne me souviens pas exactement du nom de cette ville.

 11   Q.  Est-ce que Mitrovo Polje se trouve en Serbie ?

 12   R.  Oui, bien sûr.

 13   Q.  Et où est-ce que vous avez été logés ?

 14   R.  Il y avait des hangars ou des entrepôts, où nous sommes restés deux

 15   jours. Après quoi, nous avons été transportés jusqu'à deux écoles, est-ce

 16   que c'étaient des écoles, je ne suis pas certain, mais nous sommes restés

 17   là-bas pendant une période plus longtemps de temps.

 18   Q.  Est-ce que vous avez été enregistrés par des organes officiels, par

 19   exemple, par la Croix-Rouge ?

 20   R.  Oui, c'était la Croix-Rouge qui nous a enregistrés. Je ne me souviens

 21   pas de la date exacte de cela, peut-être un mois ou un mois et demi après

 22   que les membres de la Croix-Rouge étaient arrivés pour enregistrer tout ce

 23   qui nous concernait. Ils nous ont posé des questions, donc ils ont tout

 24   enregistré.

 25   Q.  Quand avez-vous quitté la Serbie définitivement ?

 26   R.  En novembre 1995. Non, je ne me souviens pas de la date exacte. Je

 27   pense que c'était pendant l'hiver. Oui, oui, oui, c'était pendant l'hiver.

 28   Je pense que c'était en novembre que nous avons quitté cet endroit et la


Page 13248

  1   Serbie.

  2   Q.  Où êtes-vous allés par la suite ?

  3   R.  Il y avait une prison en Vojvodine, quelque part en Vojvodine, c'est là

  4   où nous attendions pendant deux ou trois jours. Après quoi, on nous a fait

  5   partir, un groupe est parti. J'étais au sein de ce groupe, le groupe est

  6   parti en Australie, et les autres sont partis ailleurs en Europe ou aux

  7   Etats-Unis.

  8   Q.  Est-ce que vous êtes retourné d'Australie en Bosnie à un moment donné ?

  9   R.  Oui, bien sûr. Je n'ai pas eu de droit de vote puisque mon père était

 10   avec moi tout le temps. Si j'avais eu 18 ans, j'aurais pu y rester, mais

 11   j'ai dû retourner avec mon père.

 12   Q.  Monsieur, j'aimerais vous montrer une carte maintenant qui représente

 13   l'enclave de Zepa.

 14   M. ELDERKIN : [interprétation] Est-ce qu'on peut maintenant afficher P104,

 15   et il nous faut la page 13 dans le prétoire électronique par rapport à

 16   cette carte.

 17   Q.  J'aimerais vous montrer des localités que vous venez de nous décrire.

 18   M. ELDERKIN : [interprétation] Est-ce que M. l'Huissier pourrait aider le

 19   témoin pour ce qui est des annotations sur la carte ?

 20   Q.  Monsieur, d'abord, pouvez-vous apposer le chiffre 1 à côté du village

 21   de Pripecak, votre village ?

 22   R.  [Le témoin s'exécute]

 23   Q.  Ensuite, s'il vous plaît, annotez la région où se trouve Zvijezda, dans

 24   la direction de cette montagne vous êtes donc parti après l'attaque contre

 25   Srebrenica. Pouvez-vous apposer le chiffre 2 à côté de cet endroit.

 26   R.  [Le témoin s'exécute]

 27   Q.  Pouvez-vous maintenant nous montrer l'itinéraire que vous avez emprunté

 28   dans la direction de la rivière Drina, et pouvez-vous nous dire quel


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  1   itinéraire vous avez emprunté en partant de la montagne Zvijezda dans la

  2   direction de la rivière Drina, s'il vous plaît.

  3   R.  [Le témoin s'exécute]

  4   Q.  Pouvez-vous apposer le chiffre 3 à l'endroit où vous avez traversé la

  5   rivière Drina ?

  6   R.  [Le témoin s'exécute]

  7   Q.  Pouvez-vous annoter l'endroit où vous êtes arrivé près de la frontière

  8   avec la Serbie ?

  9   R.  [Le témoin s'exécute]

 10   Q.  Pouvez-vous apposer le chiffre 4 près de l'endroit où vous êtes

 11   finalement arrivé ?

 12   R.  [Le témoin s'exécute]

 13   M. ELDERKIN : [interprétation] Je demande que ce document soit versé au

 14   dossier.

 15   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Oui, cela sera versé au dossier.

 16   M. LE GREFFIER : [interprétation] P104 obtiendra la cote P2189.

 17   M. ELDERKIN : [interprétation] Je n'ai plus de questions pour ce témoin.

 18   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Merci.

 19   Monsieur Tolimir -- mais avant, Mme le Juge Nyambe a une question à poser

 20   au témoin.

 21   Mme LE JUGE NYAMBE : [interprétation] A la page 4, ligne 10 du compte

 22   rendu, vous avez dit :

 23   "Une estafette est arrivée de là-bas et nous a dit que nous devions nous

 24   retirer vers le centre de Zepa où se trouvaient l'école et la fontaine."

 25   Ma question est comme suit : Qui était cette estafette ?

 26   LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne connais pas son nom ni son prénom. C'est

 27   mon père qui m'a dit que cette estafette était arrivée. Je ne connais pas

 28   son nom et son prénom.


Page 13250

  1   Mme LE JUGE NYAMBE : [interprétation] Savez-vous d'où il était ?

  2   LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne le sais pas, je ne le sais vraiment pas.

  3   Mme LE JUGE NYAMBE : [interprétation] Est-ce que c'était l'un de vos hommes

  4   ou quelqu'un de l'extérieur, de l'autre côté ?

  5   LE TÉMOIN : [interprétation] Il était de notre camp.

  6   Mme LE JUGE NYAMBE : [interprétation] Merci.

  7   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] J'ai une question découlant de la

  8   question du Juge Nyambe.

  9   Est-ce qu'il portait un uniforme, cette estafette ?

 10   LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne pouvais pas le voir, donc je ne peux pas

 11   répondre à cette question, puisque mon père ne voulait pas que je m'écarte

 12   de lui, puisqu'il ne voulait pas que quelque chose de mal m'arrive.

 13   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Oui, Madame le Juge Nyambe.

 14   Mme LE JUGE NYAMBE : [interprétation] J'ai encore une question pour vous.

 15   Vous avez dit que vous êtes parti immédiatement pour l'Australie.

 16   Est-ce que votre père est parti avec vous ?

 17   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, bien sûr.

 18   Mme LE JUGE NYAMBE : [interprétation] Merci.

 19   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Monsieur le Témoin, M. Tolimir

 20   maintenant va vous poser des questions dans le cadre de son contre-

 21   interrogatoire.

 22   Monsieur Tolimir, vous avez la parole.

 23   L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci.

 24   Bonjour à M. le Témoin. Je lui souhaite un séjour agréable, et

 25   j'aimerais que cette journée se finisse conformément à la volonté de Dieu

 26   et non pas à la mienne.

 27   Contre-interrogatoire par M. Tolimir : 

 28   Q.  [interprétation] J'aimerais vous poser la question suivante, Monsieur


Page 13251

  1   le Témoin : pourquoi utilisez-vous le terme "déportation", lorsque vous

  2   avez parlé du fait que vous êtes passé en Serbie de votre propre gré, est-

  3   ce que vous avez décidé d'aller en Australie ou aux Etats-Unis ? Pourquoi

  4   vous avez utilisé ce terme "déportation" ?

  5   R.  Non, Monsieur. C'est quelqu'un d'autre qui en a décidé ainsi. Je ne

  6   sais pas qui exactement, quelqu'un de la Croix-Rouge ou quelqu'un d'autre,

  7   qui a décidé que nous devions être déportés. Ce n'était pas notre propre

  8   volonté. Et le fait que nous devions aller vers la Serbie, ça aussi, ça a

  9   été décidé par quelqu'un d'autre. Moi je peux vous dire que je n'ai honte

 10   de rien.

 11   Q.  Merci. Est-ce que votre groupe, où se trouvaient votre père et les

 12   autres, est-ce qu'ils savaient que la République de Serbie a permis votre

 13   passage sur le territoire de la Serbie et que c'était la raison pour

 14   laquelle les gardes-frontières ne vous tiraient pas dessus ?

 15   R.  Je ne sais vraiment pas. Personne ne me l'a dit. Personne n'a rien dit

 16   par rapport à cela, et je n'ai pas non plus entendu cela.

 17   Q.  Vous avez dit lors de l'interrogatoire principal qu'il vous a été

 18   ordonné de traverser la rivière et il vous a été ordonné de partir pour

 19   l'Australie ou pour les Etats-Unis. C'est pour cela que j'aimerais vous

 20   poser la question suivante : est-ce que les personnes adultes, votre père

 21   par exemple, et les autres, les personnes âgées, savaient que la traversée

 22   de la rivière Drina faisait l'objet d'un accord avec les représentants de

 23   la République de Serbie ?

 24   R.  Je ne sais pas. Je n'ai pas entendu parler de cela. Je n'ai pas entendu

 25   parler d'un tel accord. Aujourd'hui non plus, je ne sais pas si quelqu'un

 26   aurait dit à l'époque que nous devions y aller ou qu'un accord aurait été

 27   conclu par rapport à cela.

 28   Q.  Merci. Savez-vous que le général Smith, commandant de la FORPRONU, a


Page 13252

  1   témoigné qu'après la conférence qui a eu lieu à Londres, un accord a été

  2   conclu entre les représentants de la communauté internationale et les

  3   autorités de la Serbie concernant votre traversée de Zepa en Serbie ?

  4   R.  Encore une fois, je dois vous répondre de la même façon, je ne le sais

  5   vraiment pas.

  6   Q.  Nous pouvons maintenant vous donner la référence du compte rendu du

  7   témoignage de général Smith, à la page 11 572, lignes 11 et 12, où il a

  8   dit, je cite :

  9   "Je me souviens et j'ai des preuves qui démontrent que les gens ont

 10   traversé la rivière Drina et sont passés en Serbie à peu près vers cette

 11   heure."

 12   Et ensuite, à la page 11 573, lignes 11 et 12, il a dit : 

 13   "A l'époque, je n'ai pas été inquiet puisque j'ai compris que la

 14   porte était ouverte pour traverser la Drina et passer en Serbie."

 15   Et à la page 1 168, lignes 10 à 14 :

 16   "J'ai utilisé de façon erronée le terme preuve, puisque je ne me

 17   souviens pas qu'on m'ait donné de liste de personnes. Je me souviens qu'on

 18   m'a dit que certaines personnes ont traversé la rivière Drina pour passer

 19   en Serbie.

 20   Et ensuite, à la page 11 602, ligne 12, il a dit, je cite :

 21   "Je sais que Carl Bildt menait des négociations à l'époque. A

 22   l'époque, je savais qu'un accord a été conclu et qu'il était possible que

 23   les gens traversent la rivière Drina. C'est ce qui a été fait."

 24   Mais il ne savait pas qui informait là-dessus. "Ce sont les

 25   informations limitées que j'ai reçues. Je sais que les négociations sont en

 26   cours. Je n'ai pas d'autres informations."

 27   Vu tout ce que M. Smith a dit par rapport à cela, j'aimerais vous

 28   poser la question suivante : tout à l'heure, vous avez dit que vous aviez


Page 13253

  1   emprunté l'itinéraire passant par un défilé, une gorge. Est-ce que vous

  2   avez emprunté cet itinéraire pour passer en Serbie de façon clandestine,

  3   puisque vous n'avez pas voulu qu'on vous voie ?

  4   R.  Non. Nous voulions nous abriter des pilonnages. Mais j'ai déjà

  5   dit que le pilonnage n'a pas duré très longtemps. Nous voulions nous

  6   abriter des pilonnages, pour éviter les pilonnages et pour éviter que les

  7   gens soient tués.

  8   Q.  Merci. Puisque vous avez dit cela et puisque vous avez dit qu'on vous a

  9   ordonné de partir, est-ce que vous savez qu'il a été ordonné que le passage

 10   clandestin se fasse de Zepa en Serbie ou bien cela a été dit de façon

 11   publique et tout le monde pouvait se rendre où il le voulait ?

 12   R.  Je sais que tout le monde faisait partie de ce groupe. Pour ce qui est

 13   de ces ordres, je n'en sais rien, mais vous avez dit que cela était fait.

 14   Mais je ne me souviens pas de cela. Je ne me souviens pas si cela a été

 15   ordonné. Si cela a été ordonné par Carl Bildt, comme vous avez dit, qu'il a

 16   été ordonné que la traversée de la rivière Drina soit faite. Je n'ai pas

 17   non plus entendu parler de cet accord avec la Serbie pour que nous

 18   traversions la rivière et passions en Serbie.

 19   Q.  A la page 11, ligne 3, vous avez dit, je cite :

 20   "Nous avons dû rendre des objets tranchants, et nous pouvions garder

 21   de l'argent et des bijoux en or."

 22   Voilà ma question pour vous : est-ce que qui que ce soit vous a pris

 23   cela une fois en Serbie ?

 24   R.  Non.

 25   Q.  Et est-ce que les autres ont dû rendre de l'argent et des bijoux en or

 26   en Serbie ?

 27   R.  Probablement que non, puisque personne ne s'est plaint. Nous étions

 28   tous ensemble au sein du même groupe, donc je n'ai entendu personne dire


Page 13254

  1   que de l'argent ou des bijoux en or leur auraient été pris.

  2   Q.  Si vous avez pu suivre cette affaire, est-ce que vous avez pu entendre

  3   qu'il y a eu des témoignages de témoins qui sont passés en Serbie et qui

  4   ont dit qu'ils ont été battus ou malmenés ?

  5   R.  Oui, bien sûr. Un matin, lorsque je suis sorti du bâtiment où je me

  6   trouvais, j'ai vu un homme qui était ligoté, parce que nous prenions notre

  7   petit déjeuner sous une tente. Donc cet homme, je l'ai vu attaché à un

  8   arbre. Je ne sais pas pourquoi il a été attaché. Je ne le connaissais pas,

  9   je ne peux pas me souvenir qui il était. Je ne le voyais pas là-bas.

 10   Q.  Est-ce que vous avez appris pourquoi il a été attaché à cet arbre ?

 11   Est-ce que vous avez appris qu'il voulait fuir ou s'il s'est comporté de

 12   façon à ce qu'il a été décidé qu'il soit attaché ?

 13   R.  Je ne sais. Je n'ai osé poser de questions. J'étais très jeune à

 14   l'époque et j'avais peur que la même chose ne m'arrive.

 15   Q.  Merci. A la page 3, vous avez dit, à la ligne 2, que parfois il y avait

 16   des pilonnages, parfois il y avait seulement un obus qui tombait, et

 17   parfois vous avez dit qu'il y en a eu 250, et vous avez dit que deux femmes

 18   ont été blessées ?

 19   R.  L'une des deux était une fille. Vous avez donc dit qu'il y avait des

 20   pilonnages. Par exemple, en une minute, ou cinq minutes au plus, il y avait

 21   30 ou 35 obus qui tombaient. Je me trouvais dans un abri, je ne pouvais

 22   sortir, et je ne pouvais pas vraiment savoir quel était le nombre d'obus

 23   qui tombait.

 24   Q.  Jeudi dernier, vous avez témoigné, et à la page 13 231, vous avez dit,

 25   en répondant à la question du Procureur, qui voulait savoir si vous

 26   connaissiez l'imam, vous avez dit que oui. Il vous a demandé s'il assistait

 27   à des funérailles, et vous avez dit que oui. Est-ce qu'à Zepa il y avait un

 28   autre imam ?


Page 13255

  1   R.  Je connaissais cet imam, puisque mon père m'a dit qu'il n'y avait qu'un

  2   seul imam. Mais je ne le connaissais pas en personne. Je n'ai pas eu de

  3   contact avec lui, je ne lui ai pas parlé.

  4   Q.  Merci. Est-ce que vous avez entendu parler de Hamdija Torlak ?

  5   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Monsieur Tolimir, vous avez fait la

  6   référence à la page 13 221, mais je pense que le compte rendu de l'audience

  7   ce jour-là n'a pas eu autant de pages. Pouvez-vous vérifier votre

  8   référence.

  9   L'ACCUSÉ : [interprétation] C'est la page 13 231. J'ai peut-être commis une

 10   erreur. C'était à la page 76, ligne 21, où M. Elderkin a posé la question

 11   suivante : est-ce que l'imam assistait à des funérailles en tant que

 12   représentant de la communauté religieuse, et il a pensé à Hamdija. Et à la

 13   page 76, à la ligne 16, le témoin a dit qu'il s'appelait Hajric. Merci.

 14   J'ai commis une erreur peut-être pour ce qui est du nombre de pages du

 15   compte rendu de l'audience.

 16   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] En effet, ce n'est pas la bonne page,

 17   puisque le compte rendu de l'audience de jeudi dernier finit par la page 13

 18   153 et 154.

 19   M. ELDERKIN : [interprétation] Monsieur le Président, j'ai un exemplaire du

 20   compte rendu où il est question de l'imam, et c'est à la page 13 231. M.

 21   Tolimir, me semble-t-il, cite la même source. J'aimerais quand même savoir

 22   où se trouve la référence à Hamdija. Je n'ai pas vu, je n'ai pas entendu

 23   non plus, le nom de Hamdija dans le compte rendu jeudi dernier. Mais pour

 24   ce qui est du numéro de la page, je l'ai.

 25   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Nous l'avons maintenant à l'écran, et

 26   c'est le bon numéro de la page. Mais à mon écran, le numéro de la page est

 27   différent; il peut s'agir d'un problème technique.

 28   Oui, Monsieur Tolimir.


Page 13256

  1   L'ACCUSÉ : [interprétation] Le témoin a dit que c'était Hajric, et c'était

  2   à la page 13 231, à la ligne 16.

  3   M. TOLIMIR : [interprétation]

  4   Q.  Savez-vous qui était M. Hajric ?

  5   R.  Je ne le sais pas. Je sais qu'il était l'imam, mais pour ce qui est

  6   d'autre chose le concernant, je n'en sais rien. Je n'ai pas eu de contact

  7   avec lui.

  8   Q.  Merci. Savez-vous qui était le président de la présidence de Guerre à

  9   Zepa en 1995, lors des événements à propos desquels vous témoignez ?

 10   R.  Non.

 11   Q.  Merci. Savez-vous que M. Torlak était le président du Conseil exécutif

 12   de Zepa ? Or, le 13 août 2010, au compte rendu, page 4 543, lignes 14 à 22,

 13   les choses suivantes, et je le cite :

 14   "A ma connaissance, M. Hajric n'était pas un religieux à Zepa, il n'avait

 15   pas de fonction religieuse. Il était imam, certes, mais ce n'était pas lui

 16   le chef spirituel de la ville. Avant la guerre, il travaillait dans un

 17   autre village. Il était 'hodja', imam, à Zepa. Il y est resté pendant la

 18   guerre, et là il était imam, c'était sa fonction."

 19   Et lorsqu'il parle de Hajric, il dit :

 20   "Lorsque la guerre a éclaté, il est arrivé à Zepa. De toute façon, il

 21   n'était pas 'hodja', imam, de Zepa. En effet, au cours de la guerre, c'est

 22   une personne qui détenait ce poste. Cette autre personne était résidente de

 23   Zepa toujours, elle habitait à Zepa. Donc, pour dire les choses simplement,

 24   Hajric n'a jamais été imam ou 'hodja' à Zepa."

 25   J'ai posé une question à M. Torlak :

 26   "Etiez-vous 'hodja', imam, lorsque vous étiez président de la présidence de

 27   Guerre ?

 28   Il a répondu à la page 5 444, lignes 2 à 3 :


Page 13257

  1   "Non, jamais. C'était son métier, mais il était imam dans un autre endroit

  2   avant 1992."

  3   Ma question : d'après vous, est-ce que vous vous souvenez de ça ou peut-

  4   être, tout simplement, pas de ce Hajric, qui aurait été imam et qui aurait

  5   effectué les rites religieux ? Il se peut que vous confondiez les deux

  6   personnes, après tout ?

  7   R.  Je vous répète que je ne sais pas. C'est ce que j'ai entendu dire. J'ai

  8   entendu dire qu'il y avait un "hodja". Que ce soit Hajric ou Torlak, ça, je

  9   ne sais pas. J'étais un enfant. Je n'avais pas le droit de sortir de toute

 10   façon. Je ne pouvais pas sortir pour savoir ce qui se passait. Je ne me

 11   souviens absolument pas. Je n'ai pas vu ces gens. Peut-être que je suis

 12   passé à côté d'eux, mais je tiens à dire que la plupart du temps, je

 13   restais avec ma mère, à côté d'elle. Il m'était interdit de m'écarter de la

 14   maison.

 15   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Connaissez-vous une personne appelée

 16   Hamdija Torlak, le connaissiez-vous à l'époque ?

 17   LE TÉMOIN : [interprétation] Non, Monsieur le Président.

 18   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Monsieur Tolimir, poursuivez.

 19   L'ACCUSÉ : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.

 20   Pourrait-on maintenant voir à l'écran le document P736. Je vais poser des

 21   questions sur M. Torlak et sur ce M. Hajric à partir de ce document.

 22   Q.  Bien. Vous avez le document à l'écran, il s'agit d'une décision de la

 23   présidence de Guerre de Zepa. Il est écrit que tout homme valide de

 24   Zvijezda, y compris vous-même d'ailleurs, doivent rendre leurs armes. Vous

 25   pouvez lire la première ligne :

 26   "Tout homme valide de 18 à 55 ans devra rendre ses armes…"

 27   Et cetera, et cetera, c'est une décision donc de la présidence de

 28   Guerre de Zepa signée, comme vous le voyez, par des personnes à propos


Page 13258

  1   desquelles je vous ai posé des questions. Il y a Mehmed Hajric, Hamdija

  2   Torlak et Amir Imamovic.

  3   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Monsieur Elderkin.

  4   M. ELDERKIN : [interprétation] Mais j'ai entendu M. Tolimir dire "tout

  5   homme valide, y compris vous-même." On vient d'entendre ce qu'a dit le

  6   témoin, il avait 15 ans à l'époque, donc d'après le compte rendu on voit

  7   bien qu'il n'était pas compris dans ces hommes valides de 18 à 55 ans

  8   puisqu'il n'avait que 15 ans.

  9   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Pouvez-vous m'aider ? Je ne vois pas

 10   cela au compte rendu.

 11   M. ELDERKIN : [interprétation] Je l'ai entendu. Je l'ai entendu, mais je ne

 12   l'ai pas vu au compte rendu, en effet -- enfin, je l'ai entendu et je vois

 13   que ce n'est pas au compte rendu en anglais.

 14   M. LE JUGE FLUEGGE : [aucune interprétation]

 15   M. ELDERKIN : [aucune interprétation]

 16   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Enfin, ce n'est pas dans le document,

 17   ça c'est certain. Je ne l'ai pas entendu, je ne l'ai pas entendu et je ne

 18   le vois pas au compte rendu. Alors je ne sais pas.

 19   Mais poursuivez, Monsieur Tolimir.

 20   L'ACCUSÉ : [interprétation] Ecoutez, de toute façon, si j'ai fait une

 21   erreur, je m'en excuse. Je n'ai jamais dit que le témoin à l'époque était

 22   un homme valide en âge de porter les armes, et cetera, et cetera. Je savais

 23   qu'il avait 15 ans, je l'ai dit qu'il avait 15 ans d'ailleurs à l'époque.

 24   Donc je lui montre un document juste pour voir s'il se souvient du nom de

 25   personnes qui étaient les autorités de Zepa à l'époque lorsqu'il avait 15

 26   ans.

 27   Donc on voit "Mehmed Hajric", qui est président de la présidence de Guerre.

 28   Ensuite "Hamdija Torlak", qui était membre de la présidence de Guerre et


Page 13259

  1   président du Conseil exécutif de l'assemblée municipale de Zepa. Et

  2   troisième nom, "Amir Imamovic", membre de la présidence de Guerre et membre

  3   de la Défense territoriale.

  4   M. TOLIMIR : [interprétation]

  5   Q.  Ces noms vous disent-ils quelque chose, Monsieur le Témoin ? Et si

  6   c'est le cas, à propos de quoi en avez-vous entendu parler ?

  7   R.  Non, je ne me souviens absolument d'aucun de ces noms. Je suis désolé,

  8   je ne connais pas ce Torlak, ni cet Imamovic, et ni ce Hajric. J'ai entendu

  9   dire qu'il y avait des gens de ce type, mais je ne savais pas qui ils

 10   étaient ou quoi d'ailleurs.

 11   Q.  Merci. Je suis désolé, j'ai donc dû me tromper lorsque j'ai consigné

 12   qu'à la page 13 297 vous auriez dit, je l'ai écrit d'ailleurs :

 13   "Hajric est le seul 'hodja', imam, dont j'avais entendu parler, mais je

 14   n'ai jamais eu aucun contact avec lui. Je l'ai rencontré une ou deux fois

 15   au cours de toute la guerre."

 16   C'est ça que j'ai écrit, lignes 23 à 25, compte rendu page 3 231. Je suis

 17   désolé si je n'ai pas consigné les choses correctement.

 18   R.  Vous n'avez pas écrit cela de façon incorrecte, vous n'avez pas

 19   consigné de façon incorrecte, mais je ne me souviens pas de cet homme

 20   précis. Je ne me souviens pas de sa figure. C'étaient cinq années de guerre

 21   absolument épouvantables, donc si on voit une personne une fois, ce Hajric,

 22   j'avais entendu dire que c'était un "hodja", un imam. Mais quant à savoir

 23   si c'était le seul "hodja" ou s'il y en avait d'autres, ça j'en ai aucune

 24   idée. J'imagine que s'il y avait un enterrement ils appelaient un "hodja",

 25   donc un imam. Alors que ce soit Hajric ou un autre, ça je n'en sais rien.

 26   Q.  Bien.

 27   L'ACCUSÉ : [interprétation] Pouvons-nous avoir à l'écran la pièce 1D738. Il

 28   s'agit d'une déclaration que vous avez faite devant le Tribunal


Page 13260

  1   international, déclaration en date du 7 novembre 2008.

  2   Bien sûr, je demande à ce que la première page ne soit pas diffusée en

  3   dehors de ce prétoire. Donc il faudrait plutôt afficher la deuxième page.

  4   Je répète la cote de ce document, il s'agit du 1D738.

  5   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Non, ça a l'air d'être une erreur. Je

  6   pense que vous confondez, car cette pièce est introuvable.

  7   L'ACCUSÉ : [interprétation] Toutes mes excuses. Il s'agit de la pièce

  8   1D741.

  9   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Monsieur Tolimir, il n'y a pas besoin

 10   de protéger ce document. Ce témoin ne bénéficie que des déformations des

 11   traits du visage. Son nom est connu, donc on peut montrer la première page.

 12   Poursuivez, Monsieur Tolimir.

 13   L'ACCUSÉ : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.

 14   M. TOLIMIR : [interprétation]

 15   Q.  Témoin, à la page 2 de votre déclaration, quatrième paragraphe, le

 16   paragraphe qui commence par le mot "sometimes" en anglais, "à un moment",

 17   vous dites que vous vous souvenez du jour où vous êtes monté à bord des

 18   bus. Un soldat s'est approché de vous, vous a demandé quelque chose, et

 19   qu'après vous avez eu peur. C'est ce qui est écrit. Un soldat serbe est

 20   arrivé, vous a demandé où vous alliez, et vous avez eu peur. Alors voilà ma

 21   question : êtes-vous absolument certain qu'il s'agissait d'un soldat serbe,

 22   c'était peut-être juste un soldat de l'ABiH qui s'occupait de faire monter

 23   les gens à bord des autocars ?

 24   R.  Ecoutez, ça devait être un soldat serbe. Il y avait certes certains

 25   soldats de notre camp, mais ils n'avaient pas le droit de venir là sur

 26   place. Donc la seule réponse logique c'est que c'était un soldat serbe

 27   parce que les soldats serbes et les soldats de l'ABiH n'étaient pas

 28   ensemble à cette époque-là, à ce moment-là, en tout cas.


Page 13261

  1   Q.  Merci. Lorsque vous êtes arrivé, combien y avait-il de personnes au

  2   centre de Zepa, près de Fontana, était-ce le premier jour, le deuxième ou

  3   le troisième jour où on a rempli les autocars ?

  4   R.  C'était le premier jour. Je ne peux pas vous dire exactement combien de

  5   gens il y avait, je ne peux pas vous donner de chiffres. Il y avait des

  6   autocars, et beaucoup de gens agglutinés autour de ces autocars; des

  7   femmes, des enfants et des personnes âgées. Mais je n'ai pas eu le temps de

  8   les compter, je ne sais absolument pas combien il y en avait.

  9   M. LE JUGE FLUEGGE : [aucune interprétation]

 10   L'ACCUSÉ : [interprétation] Je suis désolé, Monsieur le Président.

 11   M. TOLIMIR : [interprétation]

 12   Q.  Donc, Monsieur le Témoin, avez-vous vu Mehmed Hajric, le président de

 13   la présidence de Guerre, à côté des autocars, ou peut-être M. Kulovac ? Il

 14   était médecin, vous devez vous en souvenir ? Ou peut-être Avdo Palic, avez-

 15   vous vu la moindre personne qui occupait un poste officiel à Zepa à ce

 16   moment-là ?

 17   R.  Non.

 18   Q.  Merci. Avez-vous vu des personnes qui établissaient des listes des gens

 19   montant à bord des autocars afin de savoir une fois arrivée à destination

 20   qui était arrivé ?

 21   R.  J'imagine qu'il y avait des gens qui s'occupaient de faire cela, mais

 22   moi je n'ai pas vraiment regardé aux alentours. Je crois qu'il y avait une

 23   infirmière. J'imagine qu'ils faisaient une espèce de liste des gens qui

 24   montaient à bord des autocars. Je m'étais dirigé vers un bus.

 25   Q.  Merci. A-t-on pris votre nom pour vous inscrire sur une liste en tant

 26   que personne à bord de l'autocar partant pour Zepa ou Kladanj ?

 27   R.  Oui, j'imagine. Mais quand je suis arrivé, j'ai essayé de monter à bord

 28   de l'autocar, un soldat serbe m'a arrêté, il m'a dit où vas-tu, et voilà.


Page 13262

  1   Q.  Bien.

  2   L'ACCUSÉ : [interprétation] Nous allons bientôt faire la pause, mais sachez

  3   qu'après la pause je vais vous montrer un film, et qu'ainsi vous pourrez

  4   vous souvenir de l'ambiance et tous les détails de ce moment. Je vous

  5   remercie d'avoir répondu à mes questions jusqu'à présent.

  6   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Eh bien, Monsieur Tolimir, merci.

  7   Nous allons donc prendre notre première pause, et nous reprendrons à 4

  8   heures et quart.

  9   --- L'audience est suspendue à 15 heures 48.

 10   --- L'audience est reprise à 16 heures 17.

 11   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Monsieur Tolimir, le sténotypiste

 12   vient de me dire qu'il y a une nouvelle correction qui a été apportée au

 13   compte rendu en ce qui concerne donc cette citation que vous avez faite à

 14   propos des hommes valides de 18 à 55 ans. Vous avez dit -- voici vos propos

 15   tels qu'ils sont au compte rendu en anglais maintenant :

 16   "…tous les hommes valides à Zvijezda, y compris vous-même, devaient rendre

 17   leurs armes."

 18   Donc ce sont bel et bien vos mots, vous avez bien dit "y compris vous-

 19   même". Je crois que vous avez déjà de toute façon présenté vos excuses au

 20   témoin, car, en effet, vous saviez qu'il avait 15 ans à l'époque et qu'il

 21   ne pouvait donc pas être considéré comme un homme valide en âge de porter

 22   les armes. Tout ceci est au compte rendu. Et ce qui est certain, c'est que

 23   maintenant le compte rendu est parfaitement exact.

 24   Vous pouvez poursuivre.

 25   L'ACCUSÉ : [interprétation] Je vous remercie.

 26   Et je présente à nouveau mes excuses au témoin si je l'ai appelé un homme

 27   valide. Je sais qu'il n'était qu'un garçon à l'époque, il n'avait que 15

 28   ans. Je peux peut-être lui reposer la question pour être certain des


Page 13263

  1   choses.

  2   M. TOLIMIR : [interprétation]

  3   Q.  Aviez-vous bien 15 ans à l'époque lorsque les hommes valides étaient au

  4   pied de la montagne de Zvijezda, et aviez-vous une arme à l'époque ?

  5   R.  Non, je n'avais pas d'arme, et d'ailleurs les gens autour de moi n'en

  6   avaient pas non plus. En tout cas, je n'en ai pas vu, je n'ai pas vu

  7   d'hommes portant des armes. Il se peut que certains de ceux qui montaient

  8   la garde étaient équipés d'armes.

  9   L'ACCUSÉ : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président. Et je

 10   vous remercie, Monsieur le Témoin.

 11   J'espère qu'il est bien consigné au compte rendu maintenant que le témoin a

 12   dit qu'il n'avait pas d'arme. Et je suis tout à fait d'accord avec lui

 13   lorsqu'il dit qu'à l'époque les enfants de 15 ans ne disposaient pas

 14   d'armes.

 15   Passons maintenant à la pièce P740. Il s'agit d'une vidéo --

 16   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Oui, vous avez utilisé la déclaration

 17   du témoin devant le bureau du Procureur, la pièce 1D741. Voulez-vous la

 18   verser au dossier ? Veuillez, s'il vous plaît, nous signifier le compte que

 19   vous comptez réserver à cette pièce.

 20   L'ACCUSÉ : [interprétation] Non, je ne voulais absolument pas la verser au

 21   dossier. Je voulais juste en parler afin qu'il y ait référence au clip

 22   vidéo que nous allons voir où les gens sont en train de monter à bord des

 23   autocars.

 24   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Très bien. Poursuivez.

 25   L'ACCUSÉ : [interprétation] Je vous remercie.

 26   Donc nous avons à l'écran un titre : "Ville de Zepa, 25 juillet 1995."

 27   M. TOLIMIR : [interprétation]

 28   Q.  Vous dites que vous êtes arrivés le premier jour et que vous avez été


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  1   enregistrés avec vos sœurs par quelqu'un. De qui s'agissait-il, des Serbes

  2   ou des Musulmans ?

  3   R.  Je n'en sais rien.

  4   Q.  Mais où s'est fait l'enregistrement; devant les autocars ?

  5   R.  Je n'en sais rien. Mes sœurs sont allées quelque part, elles sont

  6   revenues assez vite d'ailleurs. Je ne sais pas vraiment.

  7   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Je vais vous demander à tous deux de

  8   faire une pause entre les questions et les réponses, de ne pas parler en

  9   même temps, sinon la tâche de l'interprète devient impossible et on

 10   n'arrive plus du tout à saisir vos propos.

 11   Monsieur Tolimir, poursuivez.

 12   L'ACCUSÉ : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.

 13   Pourrions-nous avoir la pièce P740 à l'écran. Il s'agit d'une séquence

 14   vidéo qui illustre l'évacuation de la population de Zepa le 25 juillet

 15   1995. Le passage qui nous intéresse va de 36 minutes, 40 secondes à 37

 16   minutes, 50 secondes.

 17   [Diffusion de la cassette vidéo]

 18   L'ACCUSÉ : [interprétation] Veuillez vous arrêter.

 19   M. TOLIMIR : [interprétation]

 20   Q.  A 43 minutes, 36 secondes, il y a trois soldats serbes devant la

 21   maison; les voyez-vous ?

 22   R.  Oui.

 23   Q.  Vous voyez qu'à leur gauche il y a d'autres personnes qui ont des

 24   pantalons de camouflage et des chemises gris olive, ainsi que casquettes

 25   bleues et des uniformes de camouflage. Ils ne sont pas armés. Savez-vous à

 26   quelle armée ils appartiennent, est-ce que vous les connaissez ?

 27   R.  Non.

 28   Q.  Se peut-il qu'ils soient membres de la VRS ?


Page 13265

  1   R.  Peut-être. Peut-être bien que oui, peut-être bien que non. Pour ce qui

  2   est de la casquette bleue, d'habitude c'est les membres des Nations Unies

  3   qui arborent ce type de couvre-chefs.

  4   Q.  Oui.

  5   R.  Enfin, je ne sais plus. Je ne me souviens pas de ce soldat en tout cas.

  6   Je ne me souviens pas de ces trois-là. 

  7   Q.  Est-ce que l'un de ces trois vous aurait arrêté ?

  8   R.  Je ne me souviens pas de leurs visages.

  9   Q.  Très bien.

 10   L'ACCUSÉ : [interprétation] Poursuivons la séquence de la vidéo.

 11   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Pour le compte rendu, je tiens à dire

 12   que la séquence vidéo avait été arrêtée à 36 minutes, 43 secondes. Il y

 13   avait une erreur dans l'interprétation du chronomètre.

 14   L'ACCUSÉ : [interprétation] Très bien.

 15   Veuillez poursuivre la vidéo.

 16   [Diffusion de la cassette vidéo]

 17   L'ACCUSÉ : [interprétation] Arrêtez-vous à nouveau.

 18   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Nous nous sommes arrêtés à la marque

 19   36 minutes, 49 secondes.

 20   L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci.

 21   M. TOLIMIR : [interprétation]

 22   Q.  Voyez-vous le soldat, s'agit-il d'un soldat de la VRS ou d'un soldat de

 23   l'ABiH ?

 24   R.  Ecoutez, je n'en sais rien. Je ne l'ai jamais rencontré et je ne

 25   reconnais pas son visage.

 26   Q.  Oui, mais au vu de ces insignes, de ces armes, de son uniforme, pouvez-

 27   vous nous dire quelque chose ? Enfin, voici ma question : les soldats de la

 28   VRS seraient-ils rentrés dans Zepa le 25 juillet sans armes ?


Page 13266

  1   R.  Bon, ils étaient sans doute armés. Celui qui m'a arrêté, lui, était

  2   armé. Celui-là, bien, je ne vois pas s'il a une arme ou non. Il porte une

  3   valise, ou un sac. Je ne sais pas.

  4   L'ACCUSÉ : [interprétation] Poursuivons la lecture de cette séquence vidéo

  5   à partir donc de 36 minutes, 43 secondes.

  6   [Diffusion de la cassette vidéo]

  7   L'ACCUSÉ : [interprétation] Arrêtez-vous là.

  8   Nous sommes arrêtés à 36 minutes, 59 secondes.

  9   M. TOLIMIR : [interprétation]

 10   Q.  Connaissez-vous l'homme en uniforme qui se trouve juste derrière la

 11   femme blonde ? On ne voit plus que le haut de son visage, mais il y a une

 12   seconde on le voyait en entier.

 13   R.  Non, je ne me souviens pas de son visage.

 14   Q.  Connaissez-vous Avdo Palic, le commandant de la Brigade de Zepa ?

 15   R.  J'ai entendu parler de lui seulement, mais je ne sais pas à quoi il

 16   ressemble.

 17   L'ACCUSÉ : [interprétation] Veuillez poursuivre la vidéo.

 18   [Diffusion de la cassette vidéo]

 19   L'ACCUSÉ : [interprétation] Veuillez vous arrêter.

 20   Nous avons arrêté la séquence vidéo à 37 minutes, 13 secondes.

 21   M. TOLIMIR : [interprétation]

 22   Q.  Avez-vous vu les personnes qui se trouvent devant les autocars et qui

 23   ont des listes, et qui vont laisser les gens monter à bord des autocars,

 24   d'après les listes bien sûr ?

 25   R.  Non, lui, je ne l'ai pas vu. Il a le dos tourné; je ne peux pas voir

 26   son visage.

 27   Q.  Bien. Mais voyez-vous ce qu'il tient à la main ? C'est une feuille de

 28   papier ?


Page 13267

  1   R.  Oui, ça rassemble à du papier. C'est sans doute une liste de noms qu'il

  2   a dû lire à haute voix pour appeler les gens pour qu'ils montent dans les

  3   bus.

  4   L'ACCUSÉ : [interprétation] Très bien.

  5   Poursuivons la vidéo à partir de 37 minutes, 13 secondes.

  6   [Diffusion de la cassette vidéo]

  7   L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci.

  8   M. TOLIMIR : [interprétation]

  9   Q.  Reconnaissez-vous cet homme maintenant ? On voit son visage. Le

 10   reconnaissez-vous ? C'est l'homme qui auparavant tenait la feuille de

 11   papier, mais maintenant il s'est tourné, on voit son visage.

 12   R.  Eh bien, il est écrit qu'il s'appelle Mehmed Hajric. Je me souviens

 13   très vaguement de l'avoir vu. Ça fait très longtemps, donc je ne me

 14   rappelle pas très bien les traits de son visage. Je ne peux pas vous dire

 15   que c'est lui. Je ne peux pas en être certain à 100 %.

 16   Q.  Oui, mais à l'époque des événements de Zepa à propos desquels vous êtes

 17   venu nous parler, était-il président de la présidence de Guerre de Zepa ?

 18   R.  Mais je ne n'en sais rien. Je dois répéter ce que je vous ai déjà dit,

 19   je ne sais absolument pas s'il était ou non président de cette entité.

 20   L'ACCUSÉ : [interprétation] Poursuivons la vidéo à partir de 37 minutes, 30

 21   secondes.

 22   [Diffusion de la cassette vidéo]

 23   L'ACCUSÉ : [interprétation] La séquence vidéo a été arrêtée à 37 minutes,

 24   51 secondes.

 25   M. TOLIMIR : [interprétation]

 26   Q.  Connaissez-vous ces deux hommes qui se serrent la main ?

 27   R.  Ecoutez, l'autre homme c'est vous -- enfin, je vous regarde maintenant.

 28   Quant à son interlocuteur, je ne sais pas qui c'est. Probablement --


Page 13268

  1   Q.  Connaissez-vous le barbu, qui est en jean avec une chemise bleue ?

  2   R.  Non, ça, je ne sais pas c'est qui.

  3   Q.  Merci.

  4   L'ACCUSÉ : [interprétation] Poursuivons la séquence. Nous étions donc à 37

  5   minutes, 51 secondes.

  6   [Diffusion de la cassette vidéo]

  7   M. TOLIMIR : [interprétation]

  8   Q.  Après avoir vu cette vidéo, ce passage de la séquence vidéo, en tout

  9   cas, où l'on voit les gens qui montent dans les autocars devant la

 10   fontaine, avez-vous vu des gens qui étaient devant des autocars et d'autres

 11   personnes qui avaient des listes, et j'aimerais savoir si ces personnes

 12   étaient les représentants des autorités de Zepa ?

 13   L'INTERPRÈTE : Les interprètes demandent au témoin de répéter sa réponse.

 14   LE TÉMOIN : [interprétation] Non, je ne l'ai pas vu. Je n'ai vu ni l'un ni

 15   l'autre.

 16   M. TOLIMIR : [interprétation]

 17   Q.  Moi non plus, je ne l'ai pas vu. C'est le caméraman de M. Smith, il

 18   avait demandé à ce que l'on enregistre cela.

 19   L'ACCUSÉ : [interprétation] Pourrions-nous maintenant avoir la pièce P740,

 20   à partir de 59 minutes.

 21   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Monsieur Tolimir, je ne comprends

 22   plus très bien. Nous avons une dernière image. Il y avait un arrêt sur

 23   image et vous avez fait ce commentaire à propos de l'homme auquel M. Smith

 24   aurait demandé -- enfin, je n'ai pas vu de quelle personne il s'agissait.

 25   L'ACCUSÉ : [interprétation] Le témoin a dit qu'il n'avait pas vu le

 26   caméraman. J'ai répliqué que je ne l'avais pas vu non plus. Et M. Smith,

 27   dans sa déposition, a déclaré que c'est lui qui avait demandé qu'un

 28   caméraman se rende sur les lieux et que c'est lui qui les avait envoyés à


Page 13269

  1   Zepa. Je vous remercie. Mais je n'ai pas vu non plus le caméraman sur les

  2   images de ce clip vidéo. Merci.

  3   M. TOLIMIR : [interprétation]

  4   Q.  Pouvez-vous me répondre maintenant : avez-vous obtenu des informations

  5   vous permettant de savoir si, parmi les habitants et soldats de Zepa qui

  6   s'étaient engouffrés dans l'autocar le même jour où vous avez essayé de le

  7   faire, ils en étaient revenus par la suite ?

  8   R.  Non, Monsieur. J'étais là ce jour-là, en effet, en compagnie de

  9   beaucoup de monde, et j'étais avec ma mère et mes sœurs. Je ne cesse de

 10   répéter que j'étais avec ma mère et mes sœurs. Et à ce moment-là, cet homme

 11   s'est approché de moi, je veux dire ce soldat serbe. Il m'a dit : Viens par

 12   ici, de sorte que j'ai été obligé de le faire parce qu'il était armé. Et

 13   ensuite, il est reparti je ne sais pas exactement où, mais avant de partir

 14   il m'a intimé l'ordre d'attendre son retour à l'endroit où je me trouvais.

 15   Et je répète que j'avais tout simplement peur et que je me suis dit que si

 16   j'attendais son retour, ma vie s'achèverait sur place, qu'il risquait fort

 17   de me tuer. Donc j'ai eu très peur et j'ai pris la fuite. J'ai dit au

 18   revoir à ma mère et mes sœurs et j'ai pris le chemin de la montagne.

 19   Q.  Oui, ça, je le sais, vous l'avez dit. Mais ma question est la suivante

 20   : est-ce que vous avez obtenu des informations indiquant que ce jour-là,

 21   une quelconque personne qui serait montée à bord de l'autobus serait

 22   revenue, c'est-à-dire qu'on l'aurait empêchée de monter à bord de l'autobus

 23   ? Et est-ce que vous aviez la moindre raison d'avoir peur ? Bien sûr, vous

 24   étiez un jeune garçon de 15 ans, donc il est possible que vous ayez eu

 25   peur, mais est-ce que vous aviez une raison concrète d'avoir peur ? Est-ce

 26   que vous aviez vécu quelque chose qui justifiait cette peur ? Merci.

 27   R.  Oui, bien sûr. J'avais peur pour ma vie. J'avais peur qu'il me tue ou

 28   qu'il me fasse quelque chose. Et je ne me rappelle pas que parmi les


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  1   personnes présentes à cet endroit -- parce que moi j'ai traversé la foule

  2   tout seul, je n'ai pas fait attention à quoi que ce soit autour de moi sauf

  3   à ce qu'il fallait que je fasse pour essayer d'éviter cet homme, de ne pas

  4   le rencontrer en chemin. Donc j'ai suivi ma route vers la montagne, et je

  5   connaissais bien le chemin parce que c'était un chemin que j'empruntais

  6   pour aller à l'école.

  7   Q.  Je vous remercie. Vous avez dit que vous aviez peur d'être tué et que

  8   vous étiez aligné avec les soldats serbes de l'autre côté de la Drina, et

  9   qu'une fois que vous avez traversé la rivière, votre père vous a dit de ne

 10   pas avoir peur, et cetera, et cetera. Vous vous rappelez cela ? Merci.

 11   R.  Oui, bien sûr, je m'en rappelle. Il est probable qu'il essayait de me

 12   rassurer en me disant : Quoi qu'il se passe, nous sommes ensemble. Et il me

 13   tenait la main en permanence, ce genre de chose, voyez-vous.

 14   Q.  Mais étant donné la situation et les événements qui étaient en train de

 15   se produire, en tant que jeune garçon, vous auriez pu ressentir une

 16   certaine peur par rapport à cette situation, même s'il n'existait pas de

 17   véritables raisons d'avoir peur ?

 18   R.  Oui, bien sûr, la peur régnait en permanence. Parce qu'à un certain

 19   moment on est là, et le moment suivant on peut ne plus y être.

 20   Q.  Merci.

 21   L'ACCUSÉ : [interprétation] Je demande la suite de la diffusion depuis 59

 22   minutes 45.

 23   [Diffusion de la cassette vidéo]

 24   L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]

 25   "Ah, Mon Oncle, il y a pas mal de gens aptes dans le coin."

 26   [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]

 27   L'ACCUSÉ : [interprétation] La séquence s'est arrêtée à 59 minutes, 57

 28   secondes.


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  1   M. TOLIMIR : [interprétation]

  2   Q.  Est-ce que vous avez entendu le général Mladic en train de dire : Oh,

  3   Mon Oncle, tu as ici beaucoup d'hommes aptes ? Si vous ne l'avez pas

  4   entendu, on peut diffuser une nouvelle fois la séquence.

  5   R.  Oui, bien sûr, je viens de l'entendre.

  6   L'ACCUSÉ : [interprétation] Dans ce cas, je demande la suite de la

  7   diffusion à partir de 59 minutes, 57 secondes, et j'aimerais que le son

  8   soit audible. Merci.

  9   [Diffusion de la cassette vidéo]

 10   L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]

 11   "Mais il n'y a plus de pardon si quelqu'un vient ici. Je ne veux pas

 12   entendre dire que la nouvelle Brigade de Zepa a été reconstituée. Cela

 13   m'arrivera aux oreilles immédiatement. Je veux dire, ce serait bien, tout

 14   de même."

 15   [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]

 16   L'ACCUSÉ : [hors micro]

 17   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Votre micro n'est pas allumé.

 18   Veuillez répéter votre question.

 19   L'ACCUSÉ : [interprétation] Toutes mes excuses. Merci.

 20   M. TOLIMIR : [interprétation]

 21   Q.  Est-ce que vous avez entendu cet homme, c'est-à-dire le général Mladic,

 22   qui dit : Il ne faut pas que qui que ce soit arrive ici, et je ne veux pas

 23   entendre dire qu'une nouvelle Brigade de Zepa a été constituée ?

 24   R.  Oui, je viens de l'entendre dire cela.

 25   L'ACCUSÉ : [interprétation] Je demande la suite de la diffusion à partir de

 26   1 minute, et je voudrais que le son soit audible de façon à ce que je n'aie

 27   pas à répéter ce que dit ce film. Je préfèrerais --hors micro]

 28   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Votre micro.


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  1   L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci. Excusez-moi d'oublier toujours d'allumer

  2   mon micro.

  3   Je voudrais que l'on voie la partie de cette séquence vidéo où le général

  4   Mladic monte à bord de l'autobus. Merci.

  5   [Diffusion de la cassette vidéo]

  6   L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]

  7   "Bonjour. Eh bien, le jour est venu où vous me voyez en face de vous,

  8   n'est-ce pas ? Je m'appelle Général Mladic. N'ayez absolument pas peur,

  9   vous allez tous à Kladanj. Je vous souhaite de la chance, et je souhaite

 10   que nous ne nous battions plus les uns contre les autres. Au revoir. Que

 11   faire d'autre ? Allez de l'avant.

 12   Comment tu t'appelles, toi ?

 13   Hasim.

 14   N'aie pas peur. Je vous souhaite bonne chance, tout ira bien.

 15   Bonjour. Eh bien, nous nous revoyons. Je suis le général Mladic. Vous

 16   allez tous être transférés à Kladanj. Je vous fais à tous cadeau de votre

 17   vie. Vous êtes innocents. Je vous souhaite bonne chance, une bonne

 18   continuation de votre vie, et je souhaite que nous vivions tous dans la

 19   paix. Au revoir.

 20   Bonjour. Je suis le général Mladic. On vous a dit toutes sortes de choses à

 21   mon sujet, n'est-ce pas ? Je vous fais cadeau de vos vies. Vous allez tous

 22   à Kladanj. Personne ne touchera à un cheveu de votre tête. Je vous souhaite

 23   bonne chance, et je souhaite que nous vivions dans la paix. Au revoir.

 24   Sachez, raison gardée, tout ça c'est Alija et sa bande qui vous l'ont fait.

 25   Tant que nous sommes ensemble, il n'y a pas de problème. Au revoir."

 26   [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]

 27   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Il faudrait que vous posiez des

 28   questions au témoin. Le témoin a vu ces images, nous les avons vues, nous


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  1   les connaissons; elles sont déjà au dossier. Veuillez, je vous prie, poser

  2   une question au témoin.

  3   L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

  4   M. TOLIMIR : [interprétation]

  5   Q.  Monsieur le Témoin, dites-nous, je vous prie, si par la suite votre

  6   mère ou vos sœurs vous auraient dit qu'elles ont eu un problème pendant

  7   leur transfert à bord de l'autobus de Zepa à  Kladanj ? Merci.

  8   R.  Non. Elles m'ont dit que tout s'était bien passé. Il est probable que

  9   ce monsieur qui est monté à bord pour dire quelques mots -- eh bien, elles

 10   ne m'ont pas dit qu'il y avait eu le moindre problème. Elles m'ont

 11   simplement dit qu'elles avaient réussi à passer. Et quand je suis rentré

 12   d'Australie, je suis allé à Zenica, et j'y ai trouvé mes sœurs et ma mère.

 13   L'ACCUSÉ : [interprétation] Voyons la suite du film pour voir ce que dit le

 14   général Mladic aux hommes aptes à porter les armes qui se trouvaient à bord

 15   de l'autobus. Merci. Donc je demande la suite de la diffusion de cette

 16   séquence à partir de 57 minutes, 16 secondes.

 17   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Monsieur Tolimir, nous avons vu ces

 18   images. Est-il vraiment indispensable que nous revoyions cette longue

 19   séquence ?

 20   Monsieur le Témoin, est-ce que vous savez quoi que ce soit au sujet de ces

 21   propos tenus par le général Mladic dans les autobus ? Monsieur, je vous

 22   pose la question.

 23   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, ma mère et mes sœurs m'ont raconté ça.

 24   Elles m'ont dit qu'il n'y avait eu aucun problème. Je ne sais pas s'il est

 25   monté à bord de tous les autobus, mais en tout cas il est monté dans des

 26   autobus. C'est ce qu'elles m'ont dit quand je suis rentré à Zenica.

 27   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Monsieur Tolimir, ce qui m'inquiète

 28   un peu c'est cette répétition, voyez-vous. Je sais que cette séquence vidéo


Page 13274

  1   est très longue, et dès lors que le témoin vous donne une réponse, il

  2   faudrait que vous poursuiviez.

  3   L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

  4   Nous avons entendu la réponse à cette question. Le témoin sait que le

  5   général Mladic n'a fait descendre personne des autobus, même s'il y avait à

  6   bord des autobus des hommes aptes à porter les armes. Je sais que nous

  7   l'avons entendu dire qu'il y a ici beaucoup d'hommes aptes à porter les

  8   armes. Nous l'avons entendu tout à l'heure.

  9   Mais quoi qu'il en soit, penchons-nous maintenant sur la pièce D111, page

 10   28, ligne 97.

 11   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Si je ne me trompe, cette liste ne

 12   devrait pas être diffusée hors du prétoire. C'est une liste de noms,

 13   semble-t-il.

 14   Mme le Juge Nyambe a une question.

 15   Mme LE JUGE NYAMBE : [interprétation] En effet.

 16   Page 36 du compte rendu d'audience d'aujourd'hui, ligne 22, vous avez

 17   dit ce qui suit :

 18   "…je craignais de voir mon dernier moment arriver, je craignais qu'il ne me

 19   tue."

 20   Alors, ma question est la suivante : est-ce que vous avez vu qui que ce

 21   soit se faire tuer ce jour-là ?

 22   LE TÉMOIN : [interprétation] Non, Madame le Juge.

 23   Mme LE JUGE NYAMBE : [interprétation] Je vous remercie.

 24   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Monsieur Tolimir, c'est à vous.

 25   L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 26   Je demanderais au témoin de se concentrer sur le nom qui figure au regard

 27   du numéro 97. Il y a dans ce nom deux fautes d'orthographe. Au lieu du son

 28   "sc" c'est la lettre "z" qui est écrite, et au lieu d'un "b" à la fin, on


Page 13275

  1   voit un "f".

  2   M. TOLIMIR : [interprétation]

  3   Q.  Est-ce bien votre nom, Monsieur, à ce niveau-là de la  liste ?

  4   R.  Oui, c'est probablement le mien, mais il y a quelques lettres qui sont

  5   faussement orthographiées.

  6   Q.  Je vous remercie. Connaissez-vous la personne dont le nom figure au

  7   regard du numéro 98, donc juste après le vôtre, et est-ce que cette

  8   personne était avec vous ?

  9   R.  Non, il n'était pas avec moi. C'était un voisin. Ce qui est écrit ici,

 10   c'est que c'était un soldat, mais je suppose qu'il était à la fin de son

 11   service militaire, parce qu'il n'avait que 18 ans.

 12   Q.  Merci. Rien d'autre ne nous intéresse dans cette liste. La seule chose

 13   qui nous intéresse, c'est de savoir si vous avez reconnu votre nom dans

 14   cette liste, et si vous avez donc été enregistré par la Croix-Rouge

 15   internationale. Merci.

 16   R.  Oui, bien sûr. J'ai été enregistré par la Croix-Rouge internationale.

 17   L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci. Merci aux réponses que vous avez

 18   apportées à mes questions. Merci d'être venu témoigner. Que Dieu vous

 19   garde. Je vous souhaite un bon voyage de retour, et plein succès dans votre

 20   métier, qui est très pénible et très dangereux.

 21   Merci, Monsieur le Président. J'ai obtenu les réponses que je

 22   souhaitais à mes questions. Je n'ai plus de questions à poser au témoin.

 23   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Merci beaucoup.

 24   Avant de donner la parole à M. Elderkin, Monsieur le Témoin, pouvez-

 25   vous nous dire si votre père vous a accompagné en Australie, est allé avec

 26   vous en Australie ?

 27   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, bien sûr, Monsieur le Président.

 28   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Etes-vous entré en Bosnie avec lui


Page 13276

  1   aussi par la suite ?

  2   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, bien sûr.

  3   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Je vous remercie.

  4   Monsieur Elderkin, avez-vous des questions supplémentaires ?

  5   M. ELDERKIN : [interprétation] Monsieur le Président, quelques

  6   rapides questions si vous me le permettez.

  7   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Oui, bien sûr.

  8   M. ELDERKIN : [interprétation] J'aimerais que nous revenions à la pièce

  9   D111, la dernière pièce qui a été examinée par le témoin, même page que

 10   celle qui lui a été proposée par M. Tolimir.

 11   Nouvel interrogatoire par M. Elderkin :

 12   Q.  [interprétation] Veuillez, Monsieur, regarder ce qui figure au regard

 13   du numéro 95. Voyez le nom qui est écrit à ce niveau de la liste, "Salic,

 14   Osman Jusuf", et à côté la date de 1948. De qui s'agit-il, je vous prie ?

 15   R.  Oui, il s'agit de mon père.

 16   Q.  Est-ce que dans une quelconque liste le concernant on voit quel était

 17   son statut, est-ce qu'il était soldat ou autre chose ?

 18   R.  Non, je ne vois aucune mention.

 19   M. ELDERKIN : [interprétation] Je vous remercie.

 20   Je n'ai plus de questions, Monsieur le Président.

 21   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Monsieur, la Chambre tient à vous

 22   remercier d'être venu à La Haye pour nous aider à établir la réalité des

 23   faits. Je vous remercie de nous avoir apporté votre concours. Vous avez

 24   maintenant toute liberté de retourner à vos activités normales. Vous pouvez

 25   donc rentrer chez vous. Je vous remercie une nouvelle fois.

 26   Nous allons maintenant passer à huis clos [comme interprété] partiel

 27   de façon à permettre au témoin de quitter le prétoire, tout en respectant

 28   les mesures de protection dont il bénéficie. Veuillez rester assis un


Page 13277

  1   instant, Monsieur, je vous prie.

  2   M. LE GREFFIER : [interprétation] Nous sommes à huis clos, Monsieur le

  3   Président. Je vous remercie.

  4   [Audience à huis clos]

  5   (expurgé)

  6   (expurgé)

  7   (expurgé)

  8   (expurgé)

  9   (expurgé)

 10   (expurgé)

 11   (expurgé)

 12   [Audience publique]

 13   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Monsieur Elderkin.

 14   M. ELDERKIN : [interprétation] Monsieur le Président, je me demandais si je

 15   ne pourrais pas bénéficier d'une courte pause grâce à l'indulgence de la

 16   Chambre. En effet, c'est moi qui interrogeais le témoin précédent et qui

 17   vient interroger le suivant, et j'apprécierais beaucoup d'avoir la

 18   possibilité de serrer la main du témoin qui vient de partir pour lui dire

 19   au revoir, et aussi de remettre un peu d'ordre dans mes affaires avant de

 20   commencer l'audition de Mme Palic.

 21   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Vous avez besoin de combien de

 22   minutes ?

 23   M. ELDERKIN : [interprétation] Quelques petites minutes. Deux ou trois

 24   minutes me suffiraient pour sortir quelques instants du prétoire.

 25   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Est-ce que le moment est opportun

 26   pour la deuxième pause ? Nous pourrions donc reprendre à 17 heures 20. Non,

 27   c'est trop long. Ce ne sera pas possible.

 28   M. ELDERKIN : [interprétation] Si les interprètes n'y voient pas


Page 13278

  1   d'inconvénient, nous pourrions raccourcir un peu cette partie de

  2   l'audience, et en avoir une un peu plus longue après la pause. Je suis à

  3   votre disposition, quoi qu'il en soit.

  4   [La Chambre de première instance et le Greffier se concertent]

  5   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Je pense que la meilleure solution,

  6   c'est de faire la deuxième pause maintenant.

  7   Nous reprendrons donc nos débats à 17 heures 25.

  8   --- L'audience est suspendue à 16 heures 53.

  9   --- L'audience est reprise à 17 heures 27.

 10   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Monsieur Elderkin, le témoin suivant

 11   est-il prêt ?

 12   M. ELDERKIN : [interprétation] Oui, elle devrait être prête.

 13   Mais avant qu'elle entre dans le prétoire, j'aimerais soulever une

 14   question préliminaire, et je serai bref, j'en ai déjà informé la Chambre

 15   ainsi que la Défense, et cela concerne l'état de santé de Mme Palic. Il ne

 16   s'agit pas de quelque chose qui saurait interrompre la procédure, mais

 17   l'année dernière elle a eu une crise cardiaque, et j'ai discuté avec elle à

 18   ce propos lors de la séance de récolement pour savoir si elle aurait besoin

 19   de plusieurs petites pauses. Elle a dit qu'elle pensait qu'elle irait bien,

 20   mais j'ai voulu donc dire cela à la Chambre avant pour que la Chambre ne

 21   soit pas surprise.

 22   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Merci.

 23   On peut faire entrer le témoin dans le prétoire.

 24   Monsieur Elderkin, est-ce qu'il y a des problèmes pour que cela soit

 25   consigné au compte rendu ?

 26   M. ELDERKIN : [interprétation] Si j'ai bien compris, non, cela ne pose

 27   aucun problème. Parce que j'ai posé cette question à Mme Palic, on a

 28   discuté de cela, et elle a dit que cela pourrait être dit publiquement.


Page 13279

  1   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Merci.

  2   [Le témoin est introduit dans le prétoire]

  3   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Bonjour, Madame Palic. Bienvenue au

  4   Tribunal international pour l'ex-Yougoslavie.

  5   Pouvez-vous maintenant lire à voix haute la déclaration solennelle.

  6   LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la

  7   vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

  8   LE TÉMOIN : ESMA PALIC [Assermentée]

  9   [Le témoin répond par l'interprète]

 10   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Merci.

 11   Veuillez vous asseoir.

 12   S'il vous plaît, dites à la Chambre si à un moment vous avez des

 13   problèmes durant votre témoignage. Si vous avez besoin d'une pause, vous

 14   pouvez dire cela à la Chambre. Merci.

 15   M. Elderkin va commencer son interrogatoire principal, il va vous poser des

 16   questions maintenant.

 17   Monsieur Elderkin, vous avez la parole.

 18   M. ELDERKIN : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 19   Interrogatoire principal par M. Elderkin : 

 20   Q.  [interprétation] Bonjour, Madame Palic.

 21   R.  Bonjour.

 22   Q.  Pouvez-vous maintenant décliner votre identité aux fins du compte rendu

 23   ?

 24   R.  Je m'appelle Esma Palic.

 25   Q.  Quand êtes-vous née ?

 26   R.  Je suis née le 21 mars 1967.

 27   Q.  Quelle est votre citoyenneté ?

 28   R.  Je suis citoyenne de Bosnie-Herzégovine.


Page 13280

  1   Q.  Quelle est votre confession ?

  2   R.  Musulmane.

  3   Q.  Où êtes-vous née ?

  4   R.  Je suis née à Zepa.

  5   Q.  Est-ce que c'est à Zepa que vous avez grandi ?

  6   R.  Oui. Pendant les premières 15 années de ma vie, j'ai habité Zepa.

  7   Q.  Est-ce vrai qu'à un moment donné vous êtes partie à Sarajevo pour faire

  8   vos études universitaires ?

  9   R.  Oui. D'abord, je suis allée à Rogatica pour finir l'école secondaire,

 10   après quoi je suis allée à Sarajevo pour faire mes études.

 11   Q.  Vous avez fait des études en quoi à Sarajevo ?

 12   R.  D'abord, j'ai fait des études en électrotechnique, et ensuite en

 13   psychologie.

 14   Q.  Quelle est votre profession ?

 15   R.  Je suis psychologue.

 16   Q.  Quand avez-vous rencontré Avdo Palic ?

 17   R.  Nous nous sommes rencontrés à Sarajevo.

 18   Q.  Et est-ce que c'était pendant que vous étiez étudiante là-bas ?

 19   R.  Oui, c'était pendant mes études.

 20   Q.  Est-ce qu'Avdo Palic est devenu votre mari ?

 21   R.  Oui.

 22   Q.  C'était en quelle année que vous vous êtes mariés ?

 23   R.  C'était en 1993, à Zepa.

 24   Q.  Quelle était la profession de votre époux ? Quelle formation

 25   professionnelle a-t-il suivie ?

 26   R.  Il avait un diplôme d'ingénieur en mécanique. C'était sa première

 27   formation professionnelle.

 28   Q.  Est-ce que votre mari a fait son service au sein de la   JNA ?


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  1   R.  Oui, il a fait son service militaire au sein de la JNA.

  2   Q.  Et après avoir suivi la formation au sein de la JNA, est-ce qu'il est

  3   resté au sein de la JNA en tant qu'officier de réserve ?

  4   R.  Oui.

  5   Q.  Est-ce que vous avez des enfants ?

  6   R.  Oui, j'ai des enfants.

  7   Q.  Avez-vous des filles ou des garçons ?

  8   R.  J'ai deux filles.

  9   Q.  Quand sont-elles nées ?

 10   R.  Mon aînée est née le 3 mars 1994, et la cadette est née le 26 mars

 11   1995.

 12   Q.  J'aimerais qu'on parle de l'année 1992. Où habitiez-vous au début de

 13   l'année 1992 ?

 14   R.  Au début de l'année 1992, je vivais à Sarajevo. Donc les dernières dix,

 15   ou plutôt, six années, je vis à Sarajevo. Le 29 mars 1992, je suis partie à

 16   Zepa. Puisque le 4 avril était la fête religieuse musulmane, j'ai voulu

 17   rendre visite à mes parents. Jusqu'au 29 mars, je vivais à Sarajevo. Après

 18   cette date-là, je vivais à Zepa.

 19   Q.  Est-ce que vous vous êtes rendue à Zepa pour rendre visite à vos

 20   parents pour la fête religieuse en 1992 ? Est-ce que vous avez eu

 21   l'intention de rester à Zepa ?

 22   R.  Non. Je me suis rendue à Zepa pour y rester une semaine. Il est vrai

 23   que j'ai pris seulement quelques affaires personnelles avec moi. Et pendant

 24   la guerre, et surtout au début de la guerre, j'ai eu beaucoup de mal à

 25   penser à l'impossibilité de prendre mes autres affaires.

 26   Q.  Donc votre intention était de rester une semaine, mais la situation a

 27   changé. Pourquoi n'étiez-vous plus en mesure de quitter Zepa une fois

 28   arrivée ?


Page 13282

  1   R.  La guerre a éclaté, et le jour de la fête religieuse musulmane, un

  2   massacre a eu lieu à Sarajevo. La première victime a été tuée. Pour ce qui

  3   est de Zepa, Zepa était déjà encerclée par les forces de l'armée serbe au

  4   moment où je suis entrée à Zepa. La première nuit, sur les collines qui

  5   entourent Zepa, on pouvait voir les balles traçantes qui survolaient Zepa.

  6   On pouvait entendre des coups de feu au-delà des collines. Lorsque j'ai

  7   posé la question à ma mère pour savoir de quoi il s'agissait, elle m'a dit

  8   que dans les villages serbes entourant Zepa, depuis un certain temps, on

  9   pouvait entendre des coups de feu et que cela représentait une forme

 10   d'intimidation de la population. C'est alors que j'ai compris pourquoi mon

 11   père, quelques jours avant mon arrivée à Zepa, en me parlant au téléphone,

 12   me disait que je ne devais pas venir à Zepa, mais il ne m'a pas dit

 13   pourquoi je ne devais pas venir à Zepa.

 14   Q.  Où étiez-vous exactement lorsque vous êtes arrivée à Zepa ? Où se

 15   trouve la maison familiale de vos parents ?

 16   R.  La maison de mes parents se trouve au centre de Zepa, à quelque 150

 17   mètres avant le quartier qui se trouve au centre de Zepa.

 18   Q.  Est-ce que votre mari est venu à Zepa à l'occasion de cette fête

 19   religieuse musulmane, est-ce qu'il est venu avec vous à Zepa ?

 20   R.  Avdo travaillait à Vlasenica à l'époque. Il était professeur dans une

 21   école secondaire. Il est venu à Zepa pour rendre visite à son père, mais ce

 22   n'était pas le jour de la fête religieuse musulmane. Puisque lorsqu'à

 23   Vlasenica il y a eu des tirs le jour de cette fête religieuse, lui et

 24   quelques-uns de ses amis ont réussi à fuir la ville où des Musulmans

 25   commençaient déjà à être tués.

 26   Q.  Pendant la guerre, votre mari a servi aux rangs de l'ABiH, n'est-ce pas

 27   ?

 28   R.  Oui, c'est vrai.


Page 13283

  1   Q.  En 1995, quel était son grade ?

  2   R.  En 1995, Avdo était colonel de l'ABiH.

  3   Q.  Et il était colonel au sein de quelle unité, quelle brigade ou unité de

  4   l'ABiH ?

  5   R.  Il était colonel de la Brigade légère de Bosnie orientale de montagne,

  6   à savoir dans la brigade qui défendait le territoire de Zepa.

  7   Q.  Quelle était la composition ethnique de la population à Zepa pendant la

  8   guerre ?

  9   R.  Pendant la guerre, à Zepa, il n'y avait que des Musulmans, exception

 10   faite de deux enseignantes. L'une était Jelenka Cesko, qui était mariée à

 11   un habitant de Zepa. L'autre était Rosa Lazarevic, institutrice qui

 12   travaillait à Zepa pendant la plupart de sa carrière professionnelle et qui

 13   était notre voisine qui nous était très chère.

 14   Q.  Est-ce que les gens venaient à Zepa d'autres régions pendant la guerre

 15   ?

 16   R.  En avril, en mai et en juin 1992, à Zepa affluaient des colonnes et des

 17   colonnes de la population expulsée d'autres villages et d'autres villes aux

 18   alentours de Zepa. Et puisque la JNA et l'armée serbe ont pris la ville de

 19   Visegrad, la population non serbe, en premier lieu les Musulmans, qui se

 20   trouvaient à Visegrad et qui ont été faits prisonniers par les soldats

 21   serbes, puisqu'il y a eu d'horribles massacres là-bas, la population des

 22   villages aux alentours ont fui et sont arrivés à Zepa. La même chose s'est

 23   produite pour ce qui est des villages autour de Rogatica, de Han Pijesak,

 24   de Vlasenica, et à un moment donné la population de Srebrenica a commencé à

 25   affluer puisque Srebrenica a été occupée par l'armée serbe au début de la

 26   guerre. Donc Zepa était pleine de gens qui ont été expulsés des

 27   municipalités qui se trouvaient autour de Zepa.

 28   Q.  Pourquoi sont-ils venus à Zepa, pourquoi ne sont-ils pas partis dans la


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  1   direction d'autres villes ou d'autres villages ?

  2   R.  Je pense que la plupart de ces gens ont pensé que cela faisait partie

  3   de leur malheur. Il y en avait qui avaient des cousins à Zepa. Il y en

  4   avait qui pensaient - et c'était la plupart de la population musulmane qui

  5   le pensait - que la guerre ne durerait pas longtemps, et ils sont partis

  6   probablement dans la direction de Zepa pour y attendre que la guerre

  7   finisse, d'une part. Et d'autre part, tout simplement, ils se sont trouvés

  8   dans la situation où il n'y avait plus d'issue pour se rendre sur d'autres

  9   territoires qui étaient plus en sécurité, puisqu'ils se sont trouvés

 10   isolés.

 11   Q.  Pouvez-vous nous dire approximativement quel était le nombre

 12   d'habitants dans l'enclave de Zepa avant la chute de l'enclave en juillet

 13   1995 ?

 14   R.  Il est difficile de le dire. A peu près 8 000. Un certain nombre de

 15   nouveaux habitants de Zepa se trouvaient entre Zepa et Srebrenica. C'est-à-

 16   dire une partie de famille vivait à Srebrenica et une partie de famille à

 17   Zepa. Et donc, on parlait du chiffre approximatif de 8 000 personnes.

 18   Q.  Maintenant, j'aimerais vous poser des questions concernant le pilonnage

 19   de Zepa.

 20   Pouvez-vous nous dire d'abord s'il y a eu des pilonnages au début de la

 21   guerre lorsque vous habitiez Zepa ?

 22   R.  Je vais vous dire la chose suivante, il n'y a pas d'endroit plus petit

 23   en Bosnie-Herzégovine, ou peut-être même dans le monde entier, qui a vu

 24   plus d'obus, plus de bombes de modèles différents. Zepa a été pilonnée des

 25   armes lourdes, et Zepa a été bombardée des avions également. Quand les

 26   forces serbes ont réussi à monter au sommet des collines autour de Zepa, et

 27   lorsque les forces serbes ont pu utiliser des PAM et des PAT et des

 28   projectiles à défragmentation, elles l'ont fait, je vous l'ai dit, puisque


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  1   ma maison a été donc criblée de tels projectiles. Ensuite, ils ont utilisé

  2   des hélicoptères. En 1992, ils ont utilisé des roquettes qui ont détruit le

  3   minaret de la mosquée de Zepa, des roquettes téléguidées. Ensuite, ils ont

  4   détruit quelques appartements se trouvant dans le bâtiment qui se trouvait

  5   à la proximité de la mosquée. Ensuite, ils lançaient des tonneaux remplis

  6   de poudre qui provoquaient des incendies, ainsi que des bombes qu'on

  7   appelait des "truies", c'est comme ça qu'on les appelait, c'était une

  8   appellation que le peuple a donnée à ce type de bombes.

  9   Q.  Vous avez mentionné des armes en utilisant des abréviations PAM et PAT.

 10   Pouvez-vous nous dire quelles sont les acceptions de ces abréviations ? De

 11   quels types d'armes il s'agit ?

 12   R.  Je ne saurais pas vous dire. C'étaient des termes qu'on utilisait à

 13   l'époque. On les appelait les PRAGA, les PAM, les PAT. Je ne suis pas

 14   soldat, et je ne connais pas l'aspect de ces armes. Il s'agit des

 15   projectiles à défragmentation -- fragmentation, j'ai déjà dit qu'ils

 16   larguaient des bombes des avions.

 17   Ce type d'armes et de projectiles est très dangereux, il est difficile de

 18   s'abriter. Pour ce qui est de l'utilisation de ce type de projectiles,

 19   c'est surtout par rapport à quelques premiers mois de 1992.

 20   Q.  Quant à la période jusqu'au mois de mai 1992, pouvez-vous nous dire

 21   quelles régions ont été prises pour cibles pour ce qui est des armes que

 22   vous venez de décrire ?

 23   R.  Il n'y a pas d'endroit sur le territoire de Zepa qui n'a pas été

 24   pilonné. Il y avait certains endroits où le nombre de projectiles était

 25   peut-être moindre par rapport à d'autres régions. Moi je vivais au centre

 26   de Zepa, et je sais que beaucoup de projectiles sont tombés dans le centre,

 27   beaucoup de bombes larguées des avions, des projectiles lancés des chars,

 28   et cetera. Ensuite, la périphérie de la municipalité de Zepa, telle Krivace


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  1   et Stoborane, Godjenje, ces quartiers sont tombés en 1992, à savoir les

  2   forces serbes sont entrées dans ces quartiers et les ont incendiés,

  3   détruits, et la population a fui dans la direction de Zepa. Donc ils ont

  4   utilisé tous les moyens qui étaient à leur disposition. Mon mari a regardé

  5   sa maison qui était en train d'être détruite par les projectiles de chars.

  6   Q.  Est-ce qu'il y a eu des occasions où votre propre maison ou la maison

  7   de votre mari ont été pilonnées en 1992 ou 1993 ? Et si c'était le cas,

  8   pouvez-vous nous dire quelque chose là-dessus ?

  9   R.  Je n'ai pas compris votre question, puisque j'ai entendu

 10   l'interprétation de votre question, et votre question en même temps.

 11   Q.  Est-ce que votre maison familiale a été pilonnée en 1992 ou en 1993 ?

 12   R.  Oui, la maison de mon mari a été détruite en août 1992, et elle a été

 13   détruite par des obus de chars. Et en 1992, la maison de mes parents a été

 14   pilonnée en décembre. A cette occasion-là, une partie de la maison a été

 15   détruite et on ne pouvait plus utiliser cette partie de la maison, il n'y

 16   avait plus de vitres dans cette partie de la maison. Ensuite, le 8 mars

 17   1993, un obus est tombé sur la maison, cet obus a endommagé le deuxième

 18   étage de la maison. Et c'est à ce moment-là que j'ai failli périr puisque

 19   cet obus a détruit le mur de la pièce où je me trouvais et a fait un trou

 20   dans ce mur.

 21   Q.  Pendant cet incident ou pendant d'autres incidents de pilonnage que

 22   vous avez pu voir, est-ce qu'il y a eu des personnes blessées ou des

 23   personnes tuées ?

 24   R.  Bien sûr. Mais vu le nombre d'obus tombés, il y a eu peu de personnes

 25   tuées. Peut-être parce que les gens étaient disciplinés, c'était surtout en

 26   été 1993 que la plupart de la population se trouvait dans des grottes.

 27   Zepa est un endroit dont la situation géographique est spécifique, c'est

 28   parce qu'à Zepa il y a un certain nombre d'abris naturels, il s'agit des


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  1   grottes dans des rochers. Et puisqu'à partir de la fin de la Deuxième

  2   Guerre mondiale les gens savaient qu'il y avait des abris dans ces grottes,

  3   et ils les ont utilisés. Pourtant, il y a eu des morts parmi mes amis,

  4   parmi mes voisins, ainsi que parmi les réfugiés, à savoir parmi les gens

  5   qui ont été expulsés de leurs foyers et qui sont arrivés à Zepa. Et c'est à

  6   Zepa qu'ils ont trouvé la mort.

  7   Q.  Parmi les personnes tuées que vous connaissiez, est-ce qu'il y avait

  8   des civils, des femmes, des enfants, des personnes âgées ?

  9   R.  J'ai pensé aux civils en tout, j'ai pensé aux femmes, aux enfants et

 10   aux hommes plus âgés qui ne pouvaient pas être aptes à porter des armes. En

 11   fait, il y avait plus de victimes parmi cette partie de la population que

 12   parmi les soldats. Il y avait peu de victimes parmi les soldats à Zepa.

 13   Lorsque je dis "peu", il faut que je souligne que même une seule vie

 14   humaine c'est beaucoup, mais Avdo s'occupait de ces hommes, les protégeait,

 15   et il a eu beaucoup de chance dans ce sens-là.

 16   Q.  En 1993, est-ce que l'intensité des pilonnages a diminué à Zepa,

 17   puisque Zepa est devenue la zone protégée ?

 18   R.  Oui. Au début, lorsque les Nations Unies sont entrées à Zepa et lorsque

 19   les Nations Unies ont commencé à établir les lignes de démarcation, il y a

 20   eu des coups de feu sporadiques, il y a eu des pilonnages et des obus le

 21   long de la ligne de démarcation, mais il n'y avait plus de pilonnages

 22   d'enfer, puisque lorsque les Nations Unies sont arrivées à Zepa -- avant

 23   leur arrivée, en fait, il y a eu une grande offensive menée par l'armée

 24   serbe ainsi que le massacre qui a suivi cette attaque au village de Brezova

 25   Ravan. C'est le village qui se trouve sur une hauteur, et de cette hauteur,

 26   on peut voir toute la ville de Zepa. Après cela, lorsque les Nations Unies

 27   sont arrivées donc, il y a eu la paix.

 28   Q.  Pouvez-vous parler maintenant de l'année 1995 et nous dire ce qu'il en


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  1   était des bombardements à l'époque ?

  2   R.  En 1995, en mars - je m'en souviens très bien parce que c'est à ce

  3   moment-là que j'ai accouché de ma deuxième fille - je me souviens très bien

  4   de ce qui se passait. Donc on parlait de ces bombardements comme étant des

  5   bombardements de provocation parce qu'ils bombardaient les alentours de la

  6   ville, puis ensuite les tirs se sont rapprochés du centre. Avdo essayait

  7   d'intervenir avec la FORPRONU, mais les provocations, comme on les

  8   appelait, ont continué.

  9   Q.  Pourriez-vous maintenant nous parler du déroulement des bombardements

 10   après ce mois de mars, disons à partir de juin 1995, donc avant la chute de

 11   Srebrenica ?

 12   R.  Environ dix jours avant la chute de Srebrenica, les bombardements se

 13   sont intensifiés. Les obus tombaient d'abord plus près du centre, puis au

 14   centre de la ville et sur d'autres quartiers habités. La fréquence n'était

 15   pas très intense, mais en tout cas ce n'était plus la paix. Dès qu'on

 16   quittait la maison, on n'était pas sûrs qu'il n'y ait pas un obus qui

 17   tombe. Et puis les tirs se sont intensifiés dans les dix jours qui ont

 18   précédé la chute de Srebrenica. Et lorsque Srebrenica est tombée, alors là,

 19   ça a été l'enfer.

 20   Q.  Y avait-il des victimes suite à ces bombardements ?

 21   R.  Ecoutez, j'avais un bébé et mon autre fille était un grand bébé.

 22   J'étais presque toujours à l'intérieur, dans l'abri. Mais oui, il y a eu

 23   des victimes. Ces premiers bombardements ont fait des victimes. Il y a eu

 24   des victimes dans les villages environnants, je le sais. Je me souviens

 25   surtout très bien d'un voisin, un homme âgé, qui a été tué par un obus.

 26   J'ai vu son corps lorsqu'on l'emportait devant la maison de mes parents.

 27   Q.  Cet homme âgé était-il soldat lorsqu'il a été tué; le savez-vous ?

 28   R.  Non, non. Il a été tué sur le seuil de sa maison. Il n'était pas


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  1   soldat, il n'était pas apte au combat. C'était un vieillard. L'obus l'a tué

  2   dans son jardin, pas sur la ligne de front. Enfin, il n'y avait pas de

  3   ligne de front de toute façon.

  4   Q.  Et votre propre maison a-t-elle été bombardée au cours de cette période

  5   ?

  6   R.  Ma maison a été bombardée après la chute de Srebrenica. Mais avant

  7   cela, d'autres endroits avaient été bombardés. Aucun obus n'était tombé

  8   directement sur la maison. J'ai entendu lorsque le commandant ukrainien

  9   Dudnjik a dit à Avdo qu'il fallait qu'il fasse partir sa famille de la

 10   maison, parce que Kusic lui avait demandé les coordonnées de la maison.

 11   Donc les enfants et moi n'étions plus en sécurité dans cette maison.

 12   Q.  Vous dites que votre maison a bel et bien été bombardée après la chute

 13   de Srebrenica. Pourriez-vous nous raconter ce qui s'est passé en détail, si

 14   possible, si vous vous en souvenez, en commençant par nous donner la date à

 15   laquelle c'est arrivé ?

 16   R.  Il me semble que c'était le 17 ou le 18 juillet. Zepa avait été

 17   bombardée depuis des jours, et nous avions passé des jours et des jours

 18   dans des abris. Les gens de Srebrenica commençaient à arriver à Zepa et ils

 19   faisaient circuler des informations épouvantables. Il y avait beaucoup

 20   d'hommes blessés. Ils étaient dans l'abri dans la cour, alors que moi, les

 21   deux bébés, ma mère et ma sœur passions le plus clair de notre temps dans

 22   la maison. Il est difficile de rester aussi longtemps dans un espace aussi

 23   petit. Et le bébé, la plus jeune, était énervée, alors je l'avais dans le

 24   séjour, où il y avait un peu plus de place, un peu plus d'air, et je l'ai

 25   tenue là. Mais les tirs étaient incessants. Ma sœur nous a rejoints, elle

 26   s'est assise. Moi j'étais debout avec le bébé dans les bras. Et à ce

 27   moment-là, un obus a atterri. Et avant qu'on ait la détonation, la porte

 28   d'entrée de la maison et la porte du séjour se sont ouvertes. Alors, je


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  1   suis partie courir à l'abri, ma sœur aussi. Le bébé était en train de

  2   hurler. En plus, elle a commencé à vomir. J'avais très, très peur pour le

  3   bébé.

  4   Et on a entendu un obus qui avait atteint un tas de bois juste derrière la

  5   maison, et puis encore un obus a atteint la maison, la maison en tant que

  6   telle, et puis un troisième, un quatrième, un cinquième. En tout, il y en a

  7   eu cinq, cinq obus. Et nous, nous étions cinq à l'étroit dans un tout petit

  8   espace, on attendait ce qu'il allait arriver. Il y avait beaucoup de

  9   poussière, on n'arrivait plus à respirer. Les bombardements se sont

 10   arrêtés. Alors, on savait qu'il fallait s'enfuir, d'abord parce que l'air

 11   était irrespirable, il y avait trop de poussière, et on attendait qu'un

 12   obus tombe sur cette partie-là de la maison aussi.

 13   Lorsque je suis partie, lorsque j'ai quitté l'abri, la maison

 14   n'existait plus, on était à l'extérieur. Les obus avaient frappé la maison

 15   en faisant un trou dans les murs, dans le toit. On était déjà dehors. Il

 16   n'y avait plus de maison. Je me souviens que j'avais du lait dans le

 17   couloir près de l'abri, du lait pour le bébé, mais il y avait des débris

 18   partout; on ne pouvait plus utiliser le lait.

 19   Donc ma sœur s'est enfuie de l'abri pour se réfugier dans la cour, et moi

 20   je l'ai suivie avec l'autre enfant, et ma mère aussi, ensuite, nous a

 21   suivies.

 22   Q.  Ce jour-là, dans l'abri, y avait-il votre mari ou une autre personne

 23   membre de l'armée lorsque la maison a été bombardée ?

 24   R.  Non. Avdo était avec ces soldats et il a entendu l'ordre : Vise la

 25   maison de la belle-mère du chef.

 26   Q.  Lorsque vous dites qu'il a entendu cet ordre, expliquez-nous comment a-

 27   t-il fait pour entendre cet ordre ?

 28   R.  Ça, je n'en sais rien. Ils pouvaient intercepter les conversations


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  1   radio de la VRS, donc ils savaient ce qui se passait. Ils savaient ce que

  2   voulaient faire les Serbes.

  3   Q.  Nous reviendrons au déroulement de ces événements suite à ce

  4   bombardement de votre maison, mais passons à autre chose en attendant. Ce

  5   jour-là, la VRS s'est-elle adressée à la population de Zepa d'une manière

  6   ou d'une autre, leur a-t-elle parlé ?

  7   R.  On les entendait parler dans des mégaphones depuis les collines qui

  8   entourent Zepa, et ce, pendant des jours. Bon, je parle de Borovacke

  9   Stijene. Lorsque j'étais dans l'abri, je ne pouvais comprendre qu'une

 10   partie de ces messages, mais lorsque, parfois, je pouvais sortir et aller

 11   au balcon, j'entendais vraiment ce qu'ils disaient. Ils nous demandaient de

 12   nous rendre. Je me souviens de ces mots toute ma vie parce qu'ils

 13   correspondaient à ce qui me faisait le plus peur à propos de ce qui allait

 14   arriver à mon mari. La voix disait : Gens de Zepa, c'est Ratko Mladic qui

 15   vous parle. Et ensuite il disait quelque chose du style : Vous ne pouvez

 16   pas rester à Zepa. Prenez des drapeaux blancs et partez vers Brezova Ravan.

 17   Il y a des autocars qui vous y attendent et, de là, on vous transfèrera sur

 18   le territoire contrôlé par Alija Izetbegovic. N'écoutez pas Avdo, ce

 19   dingue. Vous êtes ses otages. Il vous emmènera à la mort.

 20   Les gens étaient très troublés. Donc l'ambiance à Zepa, après la chute de

 21   Srebrenica, était frénétique. Lorsque quelqu'un vous appelle, vous dit de

 22   ne pas écouter la personne en qui vous avez le plus confiance, ça vous

 23   perturbe encore plus. Je sais qu'un grand nombre de personnes étaient très

 24   troublées par ces messages qu'ils entendaient. Ils couraient dans tous les

 25   sens. Il y en a même qui sont venus chez moi en me demandant que faire, que

 26   faire, est-ce qu'on doit se rendre ? Et cetera, et cetera. Ils voulaient

 27   poser la question à Avdo. Et les femmes aussi avaient très peur. La

 28   situation rendait les gens complètement fous, ce qui était intensifié


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  1   encore par tous ces messages qu'on entendait depuis le camp serbe.

  2   Q.  Vous dites qu'une partie des messages que vous aviez entendus, c'est :

  3   Vous ne pouvez pas rester à Zepa. Etiez-vous surprise d'entendre ça ? Quel

  4   effet ça a eu sur vous ?

  5   R.  Je dois dire que ce qui me troublait le plus, c'était le message où on

  6   disait : N'écoutez pas Avdo, ce dingue. Vous êtes ses otages. Il va vous

  7   emmener vers la mort.

  8   En ce qui concerne le message selon lequel on ne pouvait pas rester à

  9   Zepa, on s'en est rendu compte dès que Srebrenica est tombée, on s'est

 10   rendu compte qu'on ne pouvait pas rester là. Parce qu'à Srebrenica, il y

 11   avait une présence beaucoup plus forte des troupes des Nations Unies, et

 12   puis la superficie de Srebrenica était à peu près identique à celle de

 13   Zepa, et ils voulaient d'abord nettoyer Zepa dès 1992. Donc, lorsque

 14   Srebrenica est tombée, ça a signifié automatiquement que Zepa allait aussi

 15   tomber. Enfin, c'était évident pour nous.

 16   Pendant toutes ces années, on savait très bien que les autorités

 17   serbes et que l'armée serbe ne pouvaient tolérer un territoire habité par

 18   des Musulmans à l'intérieur même du territoire qu'ils avaient nettoyé, à

 19   une telle profondeur dans le territoire. Donc le message était réitéré sans

 20   cesse, on ne pouvait pas survivre aux confins de la Serbie.

 21   Q.  Vous dites que ce message était entendu, car il était transmis par un

 22   mégaphone, et il semblait que ce soit Ratko Mladic qui parle. Donc votre

 23   mari, à un moment ou à un autre au cours de la guerre, a-t-il eu des

 24   messages directs du général Mladic ?

 25   R.  Oui, jusqu'en 1993, si je ne m'abuse, lorsque Zepa est devenue zone

 26   protégée des Nations Unies, c'est à ce moment-là qu'Avdo a reçu un message

 27   de Ratko Mladic directement. Ratko Mladic connaissait mon mari, il le

 28   connaissait d'avant la guerre. Il lui a envoyé une bouteille de whisky, je


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  1   crois, et un paquet de cigarettes, des cigarettes Drava, avec un petit

  2   message sur l'étiquette.

  3   M. ELDERKIN : [interprétation] Pourrions-nous avoir à l'écran la pièce 65

  4   ter 1716. Nous avons aussi l'original de ce document, nous pouvons le

  5   montrer à la Défense, bien qu'ils aient déjà pu le voir avant cette session

  6   de l'audience. Je demanderais aussi à ce que cette pièce soit montrée au

  7   témoin.

  8   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Veuillez le donner au témoin.

  9   Maître Gajic, vous avez bien vu ce document, n'est-ce pas, ou bien Monsieur

 10   Tolimir ?

 11   M. GAJIC : [interprétation] Monsieur le Président, oui, j'ai vu ce document

 12   au cours de la pause.

 13   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Très bien.

 14   Monsieur Elderkin, c'est à vous.

 15   M. ELDERKIN : [interprétation]

 16   Q.  Pourriez-vous nous dire de quoi il s'agit, quel est ce document que

 17   vous avez entre vos mains ?

 18   R.  C'est l'emballage dans lequel se trouvait le paquet de cigarettes que

 19   Mladic avait envoyé à mon mari en 1993, et il y avait inscrit ce petit

 20   message.

 21   Q.  Votre mari vous a-t-il expliqué pourquoi Mladic lui a fait ce cadeau,

 22   vous a-t-il dit ce que Mladic essayait de lui dire, ce qu'il en pensait, en

 23   tout cas ?

 24   R.  Oui, il me l'a dit. Il m'a dit qu'à plusieurs reprises on lui avait

 25   proposé de quitter Zepa, parce que Mladic connaissait Avdo, il savait que

 26   tant qu'Avdo serait à Zepa, il ne pourrait pas rentrer facilement, pas

 27   uniquement à cause de ses compétences militaires, car je dois dire qu'Avdo

 28   avait beaucoup d'influence sur la population de Zepa, les gens de Zepa lui


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  1   faisaient confiance, et du coup ils se sentaient protégés. Donc ils lui ont

  2   proposé de quitter Zepa, ils lui ont dit qu'ils le récompenseraient, qu'ils

  3   l'autoriseraient à s'établir où il le voulait, mais il n'a pas voulu le

  4   faire.

  5   M. ELDERKIN : [interprétation] Madame, Messieurs les Juges, j'aimerais que

  6   cette pièce soit versée au dossier.

  7   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Très bien.

  8   M. LE GREFFIER : [interprétation] La pièce 65 ter 1716 recevra la cote

  9   P2190. Je vous remercie.

 10   M. ELDERKIN : [interprétation]

 11   Q.  Avez-vous conservé d'autres messages que vous auriez reçus pour les

 12   donner il y a quelques années au bureau du Procureur de ce Tribunal ?

 13   R.  Lorsque j'ai quitté Zepa, Avdo m'a donné un petit dossier, pendant

 14   longtemps, je ne l'ai pas ouvert. Mais à un moment finalement, je l'ai

 15   ouvert et j'ai trouvé, entre autres, cet emballage de paquet de cigarettes.

 16   J'ai aussi trouvé des lettres, des lettres échangées entre mon mari et le

 17   commandant de l'armée serbe de Rogatica à l'époque, Rajko Kusic, des

 18   courriers entre mon mari et Dragomir Pecanac, qui était membre de l'état-

 19   major principal de Ratko Mladic et qui, entre autres, était l'une des

 20   personnes-clé dans la disparition de mon mari lorsqu'il a été arrêté en

 21   1995.

 22   Q.  Vous avez parlé de Rajko Kusic en disant qu'il était commandant de

 23   Rogatica. Ce Rajko Kusic était-il une connaissance personnelle de votre

 24   mari ?

 25   R.  Lorsque mon mari a eu son bac, il a d'abord travaillé pendant quatre

 26   ans pour que sa plus jeune sœur puisse aller à l'université, et il a

 27   travaillé avec Rajko Kusic à l'usine de filtres. Et avant, ils avaient joué

 28   au football ensemble, ils appartenaient au club de football Mladost de


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  1   Rogatica.

  2   M. ELDERKIN : [interprétation] Pourrions-nous avoir la pièce 65 ter 1717,

  3   et je tiens à dire que j'ai les originaux qui correspondent à ces

  4   documents. Ces originaux ont été montrés à l'équipe de la Défense au cours

  5   de la pause.

  6   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Certes, très bien. Mais en ce qui

  7   concerne la pièce P2190, nous allons bien sûr la rendre à l'Accusation,

  8   mais nous aimerions, nous, les Juges de la Chambre, la voir.

  9   M. ELDERKIN : [interprétation] Tout à fait. Je suis désolé, j'aurais dû

 10   vous la présenter d'abord et faire la même chose avec le dossier.

 11   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Veuillez donner ce document aux

 12   Juges. 

 13   La Chambre de première instance a vu ce premier document et l'a rendu à

 14   l'Accusation.

 15   M. ELDERKIN : [interprétation] Voulez-vous voir la deuxième pièce ?

 16   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Plus tard, plus tard.

 17   M. ELDERKIN : [interprétation] Très bien.

 18   Q.  Donc vous avez une petite liasse de documents papier sous les yeux,

 19   pourriez-vous nous dire tout d'abord si ces documents ont été écrits par

 20   votre mari ?

 21   R.  C'est le premier document écrit par mon mari.

 22   Q.  Est-ce le document que l'on a à l'écran ?

 23   R.  Oui.

 24   Q.  Veuillez, s'il vous plaît, parcourir ce document. Aux deuxième et

 25   troisième pages, il y a toute une série d'alinéas qui sont numérotés.

 26   Pourriez-vous nous les lire, s'il vous plaît.

 27   En ce qui concerne la version anglaise de ces alinéas, elle se trouve sur

 28   la première page.


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  1   R.  Très bien. Lorsqu'on voit la première page, il y est écrit -- non, vous

  2   voulez que je ne lise que les alinéas numérotés ?

  3   Q.  Non, je vous demande juste de lire le premier à haute voix, où il est

  4   écrit :

  5   "Arrêtez de bombarder Zepa tous les jours."

  6   Et veuillez nous donner la date de la lettre aussi.

  7   M. LE GREFFIER : [aucune interprétation]

  8   M. LE JUGE FLUEGGE : [aucune interprétation]

  9   M. LE GREFFIER : [aucune interprétation]

 10   [La Chambre de première instance et le Greffier se concertent]

 11   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Madame Palic, j'espère que ceci ne

 12   constitue pas un grave problème pour vous, ce qui vient de se passer. Nous

 13   souhaiterions poursuivre de façon à utiliser au mieux le temps de votre

 14   audition, mais il nous faut tout de même attendre un instant. Si vous avez

 15   besoin d'une pause, n'hésitez pas à nous le dire, je vous prie. Nous devons

 16   attendre le retour de l'huissier de façon à poursuivre.

 17   [La Chambre de première instance et le Juriste se concertent]

 18   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Pour le moment, nous ne pouvons rien

 19   faire pour la personne qui vient d'avoir un problème. Tout a été organisé

 20   pour lui venir en aide, donc pour ce qui nous concerne, nous allons

 21   poursuivre dans l'intérêt du témoin.

 22   [La Chambre de première instance et le Greffier se concertent]

 23   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Monsieur Elderkin, vous avez la

 24   parole, et je crois qu'il n'y a aucune raison de s'inquiéter de la

 25   situation en ce moment.

 26   M. ELDERKIN : [interprétation] Merci bien, Monsieur le Président. Nous

 27   verrons comment les choses évoluent.

 28   Q.  Madame Palic, je vous demanderais de bien vouloir vous concentrer à


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  1   nouveau sur le document que vous avez entre les mains, dont l'auteur est

  2   votre mari, et nous aimerions simplement reparler de ce point numéro 1, où

  3   on trouve la déclaration suivante, je cite :

  4   "Arrêtez de bombarder Zepa tous les jours."

  5   Pourriez-vous nous dire de quand date ce document ?

  6   R.  Avdo a écrit cette lettre le 18 janvier 1993, à 7 heures du matin.

  7   Q.  Ce commentaire, arrêtez de bombarder Zepa tous les jours, reflète-t-il

  8   correctement la situation qui régnait à cette époque-là, correspond-elle à

  9   ce que vous nous avez décrit des bombardements ?

 10   R.  Eh bien, jusqu'à l'arrivée des Nations Unies, Zepa a été bombardée tous

 11   les jours, littéralement tous les jours, de jour comme de nuit, ce qui est

 12   tout de même incroyable. Ils bombardaient y compris pendant la nuit. Donc

 13   il n'existe pas sur la surface du globe une localité plus petite qui ait

 14   reçu un pourcentage de bombes plus important. Ceci a duré jusqu'à l'arrivée

 15   de la FORPRONU en mai 1993. Par ailleurs, Zepa n'a pas été simplement

 16   bombardée. Quand je dis "Zepa", je pense aux êtres humains qui se sont

 17   retrouvés à Zepa. Alors que je lisais le point 2, j'ai ressenti le besoin

 18   de dire ce que je vais dire. La population qui se trouvait à Zepa a

 19   littéralement été affamée. Quand les municipalités qui entouraient Zepa

 20   sont tombées sous le contrôle des Bosno-Serbes, ou plus précisément de

 21   l'armée serbe, et quand tous ces gens sont arrivés à Zepa, nous nous sommes

 22   trouvés dans une situation où la population de réfugiés était trois fois

 23   supérieure à la population locale chez nous, et les vivres disponibles ont

 24   été consommés instantanément. La seule circonstance facilitant les choses

 25   c'est que nous étions en été et que les gens s'y sont retrouvés un peu

 26   mieux. Mais écoutez-moi, par exemple, pendant six mois, je n'ai

 27   véritablement pas vu un morceau de pain. Larry Hollingworth, un humanitaire

 28   qui à plusieurs reprises a essayé de faire entrer des convois d'aide


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  1   humanitaire du HCR dans la ville de Zepa, a emporté cette lettre à

  2   destination de Kusic. C'est un homme qui a déployé d'énormes efforts pour

  3   faire arriver le premier convoi d'aide humanitaire, et cela se passait le

  4   jour où cette lettre a été écrite.

  5   Q.  Très bien.

  6   M. ELDERKIN : [interprétation] J'aimerais que, grâce au prétoire

  7   électronique, nous voyions maintenant les autres documents. Vous avez entre

  8   les mains un exemplaire papier de la lettre qui a été photocopiée en format

  9   21 x 29 x 7. Et je crois que cela se trouve en page 5 du prétoire

 10   électronique en B/C/S et à partir de la page 3 en anglais.

 11   Q.  En voyant ce document, pouvez-vous nous dire qui en est l'auteur et à

 12   qui il est adressé ?

 13   R.  Ceci est la lettre de Rajko Kusic adressée à mon mari. Rajko

 14   Kusic n'a pas inscrit la date à laquelle la lettre a été écrite, mais je

 15   vois que mon mari l'a ajoutée. Mars 1993, 1er mars 1993, c'est ce qu'il a

 16   écrit.

 17   Q.  J'aimerais que nous nous penchions sur certaines des déclarations

 18   qui figurent dans cette lettre. Je vais en donner lecture à haute voix en

 19   m'appuyant sur la traduction dont je dispose, et si vous avez, de votre

 20   côté, besoin d'un temps plus important pour prendre connaissance de la

 21   version originale, dites-le-moi. Je cite :

 22   "Vous ne pouvez pas rester au bord de la Serbie pour nous séparer de notre

 23   peuple. Allez en même temps que votre peuple jusqu'à l'endroit dont vous

 24   faites partie, c'est-à-dire en Bosnie centrale, pendant qu'il y en est

 25   encore temps. L'Europe n'autorise pas l'Islam à continuer. Est-ce que vous

 26   ne le voyez pas ?"

 27   Comment est-ce que ces déclarations correspondent à votre façon de

 28   percevoir les objectifs poursuivis par le camp bosno-serbe dans la guerre ?


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  1   R.  Ceci, de façon tout à fait claire, reflète la façon de penser qui avait

  2   cours parmi les Serbes de Bosnie. Rajko Kusic s'est contenté de mettre

  3   cette façon de penser par écrit et de la faire connaître comme il l'a fait.

  4   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Pourrait-on ne pas laisser

  5   nécessairement la version B/C/S à l'écran et passer à la page suivante ?

  6   Merci.

  7   M. ELDERKIN : [interprétation] Je ménage un court instant qui permettra à

  8   la Défense de prendre connaissance du texte avant que je ne passe à ma

  9   question suivante et à lettre suivante.

 10   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Je crois que vous pouvez

 11   poursuivre.

 12   M. ELDERKIN : [interprétation] Je demanderais dans ce cas que s'affiche le

 13   document qui commence à la page 9 en B/C/S dans le prétoire électronique et

 14   à la page 5 en anglais. C'est un document qui, dans sa version papier,

 15   porte la date du 22 mars 1995.

 16   Q.  Madame Palic, de façon à m'assurer que vous examinez la même page que

 17   nous, je vous dirais que c'est la page qui, dans le coin supérieur gauche,

 18   comporte un sceau avec l'inscription du numéro 0602-4475.

 19   A qui ce document est-il adressé, et pouvez-vous nous dire qui en est

 20   l'auteur également ?

 21   R.  C'est également une lettre que Rajko Kusic a envoyée à mon mari.

 22   Q.  Cette lettre est-elle signée à la fin; et sinon, comment est-ce que

 23   vous avez pu établir que cette lettre venait de Rajko Kusic ?

 24   R.  Parce que mon mari me l'a montrée, et l'écriture est la même que celle

 25   que l'on voyait dans la lettre précédente. Et puis, d'après le contenu, on

 26   peut déterminer qu'il s'agit bien de Rajko.

 27   Q.  Dans les deux premières lettres que nous avons vues, dont la première

 28   était écrite par votre mari et la deuxième par Rajko Kusic, ces deux


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  1   lettres dataient de 1993. En ce moment, nous avons sous les yeux une lettre

  2   qui date de mars 1995. J'aimerais vous demander de lire dans le détail

  3   cette lettre, et en particulier la déclaration que l'on trouve vers la fin

  4   de la lettre, je cite :

  5   "Nous sommes en train de commencer à détruire votre Dinde, et récupérerons

  6   Zepa pour la convertir au christianisme, et nous ne tuerons personne."

  7   C'est ce qu'on peut lire au bas de la traduction anglaise ainsi que dans la

  8   partie droite de l'écran de nos moniteurs.

  9   Est-ce qu'en mars 1995, vous avez appris que votre mari avait reçu une

 10   lettre de Rajko Kusic ?

 11   R.  Avdo m'a montré cette lettre, et il s'est contenté de rire. Avdo était

 12   un vrai optimiste, il pensait que les gens qui faisaient ce genre de chose

 13   en auraient honte un jour. A mes yeux, si quelqu'un s'adressait à moi dans

 14   ces termes, cela ne pourrait jamais être quelque chose d'aussi facile à

 15   admettre. Mais voilà, c'est le souvenir que j'ai de lui, il était comme ça.

 16   Moi j'aurais eu du mal dans ces conditions à rester optimiste. Lui,

 17   cependant, croyait sincèrement que les gens allaient se repentir un jour et

 18   que chacun se remettrait à penser avec sa tête et à réfléchir de très près

 19   à ce qu'ils avaient fait. Il ne cessait de me dire que j'avais tort, et

 20   cette lettre c'est l'un des éléments dont nous avons discuté ensemble.

 21   M. ELDERKIN : [interprétation] Monsieur le Président, je demanderais le

 22   versement au dossier de cette série de documents.

 23   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Le document 65 ter numéro 1717 est

 24   admis en tant que pièce à conviction.

 25   M. LE GREFFIER : [interprétation] Monsieur le Président, le document 65 ter

 26   numéro 1717 devient la pièce à conviction P2191. Je vous remercie.

 27   M. ELDERKIN : [interprétation] Monsieur le Président, si les Juges

 28   souhaitent voir les originaux de ces lettres, nous pouvons les faire


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  1   remettre à la Chambre.

  2   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Oui, les Juges apprécieraient. Nous

  3   partons du principe que la Défense a eu l'occasion de les voir.

  4   M. ELDERKIN : [interprétation] C'est exact. Je ne sais pas si Me Gajic veut

  5   le confirmer, mais oui, la Défense les a reçus.

  6   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Je vous remercie.

  7   Veuillez poursuivre.

  8   M. ELDERKIN : [interprétation]

  9   Q.  Madame Palic, vous avez parlé il y a quelques instants de réfugiés qui

 10   étaient arrivés à Zepa après la chute de Srebrenica. S'il s'est passé

 11   quelque chose, pouvez-vous nous dire quoi, s'agissant de ce que ces

 12   personnes vous ont dit quant à ce qui s'était passé à Srebrenica et dans

 13   les environs de Srebrenica après la chute de cette ville ?

 14   R.  Les réfugiés, pour l'essentiel, sont arrivés à Zepa alors qu'ils

 15   étaient déjà blessés. Donc, soit ils sont venus dans la ville soit ils ont

 16   été logés dans des hôpitaux et dans certaines des maisons situées aux

 17   environs. Un certain nombre d'entre eux ont été logés dans la maison de mes

 18   parents. Le premier qui est arrivé avait la tête et le bras bandés, il

 19   était blessé. Et c'était quelqu'un que mon mari connaissait -- un ami de

 20   mon mari, et moi aussi je l'appréciais beaucoup. Sur le moment, je ne l'ai

 21   pas reconnu quand il a fait son apparition à la porte, mais je n'oublierai

 22   jamais ce qu'il m'a dit une fois qu'il s'est assis. Il a dit : Avdo, j'ai

 23   laissé tomber mon propre père. Je n'ai même pas pu l'enterrer. J'ai marché

 24   sur son cadavre. Il nous a dit qu'au moment où ils avaient pris la route

 25   pour se rendre vers le territoire libre, c'est-à-dire vers Tuzla, l'armée

 26   serbe interrompait leur trajet, coupait la colonne en plusieurs morceaux,

 27   se mettait à tuer et à arrêter les gens. Son récit était particulièrement

 28   terrifiant. Tout ce qu'il nous a dit montrait que le seul résultat possible


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  1   c'était de souhaiter ne plus être en vie, qu'il n'y avait pas d'autre

  2   solution. Parce que l'autre solution c'était de tomber entre leurs mains.

  3   Q.  Est-ce que vous avez entendu quoi que ce soit au sujet du fait que des

  4   hommes auraient été faits prisonniers ?

  5   R.  Eh bien, je l'ai dit, celui qui racontait cela a dit que les Serbes

  6   faisaient irruption au milieu de leur groupe, et qu'étant donné que la

  7   panique régnait parmi ces hommes, ils étaient incapables d'empêcher que ces

  8   Serbes de Bosnie fassent irruption au milieu de leur groupe. Puis il a dit

  9   aussi que ces hommes leur tendaient des pièges, des embuscades, et en ont

 10   emmenés quelques-uns, alors qu'ils en ont tués d'autres sur place. Celui

 11   qui racontait a réussi à se mettre à l'abri, à s'écarter des autres et à

 12   arriver jusqu'à Zepa. Mais il n'a même pas réussi à enterrer son père.

 13   Q.  J'aimerais que nous reparlions de ce jour où votre maison a été

 14   bombardée. Vous nous avez dit que cela s'était passé le 17 ou le 18 juillet

 15   1995.

 16   R.  Oui.

 17   Q.  Est-ce que vous êtes restée dans cette maison après ce bombardement ?

 18   R.  Non, parce qu'il n'y avait plus de maison, elle était totalement

 19   démolie. Donc nous avons réussi à sortir de la maison pour nous rendre dans

 20   l'abri qui se trouvait dans le jardin. Et quand la nuit est tombée, mon

 21   mari est arrivé. Il nous a dit qu'il serait préférable que nous partions

 22   tous dans un autre lieu. Nous sommes donc partis vers Stitkov Dol, qui se

 23   trouve à une demi-heure de marche à peu près de Zepa. Eux nous ont

 24   accompagnés, et toute la population est partie ensemble, vous voyez, les

 25   enfants et tous les habitants. Vous savez comment ça se passe en cas de

 26   panique. Il y avait une espèce de règle selon laquelle il fallait que la

 27   population suive de près les déplacements de la famille d'Avdo et en fasse

 28   autant. C'est la raison pour laquelle quand nous avons pris place dans la


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  1   voiture les autres habitants nous ont suivis et sont partis en même temps

  2   que nous, ce qui était tout à fait logique parce que la situation devenait

  3   véritablement invivable.

  4   Q.  Savez-vous pourquoi votre mari a proposé justement que vous partiez à

  5   Stitkov Dol ?

  6   R.  Stitkov Dol était un endroit qui se trouvait plus près du centre et se

  7   trouvait le plus abrité par rapport à d'autres endroits. C'était la

  8   première raison pour laquelle il a proposé qu'on aille là-bas.

  9   Et la deuxième raison était -- puisque si j'analyse tous nos

 10   déplacements en 1992, 1993 et 1994, ils se faisaient dans cette direction.

 11   A savoir, nous du centre de Zepa et la population des villages de Ljivo

 12   Stop [phon], Vrelo Polje, Bonisje [phon] et d'autres villages, nous nous

 13   rendions vers Stitkov Dol, et de Stitkov Dol vers Zepska Planina [phon]. En

 14   1992, c'était notre intention d'aller vers Srebrenica, de Zepska Planina

 15   vers Srebrenica, puisque de Srebrenica, on pouvait se rendre à Tuzla.

 16   C'était donc notre idée d'essayer de nous sauver comme cela en empruntant

 17   cette route de salut. En 1993 et en 1995, pendant que Zepa était férocement

 18   attaquée, je me trouvais dans ce village.

 19   Q.  Est-ce que les gens d'autres parties de l'enclave de Zepa affluaient à

 20   Stitkov Dol ou c'était seulement la population des villages que vous venez

 21   d'énumérer qui se trouvaient près de la ville de Zepa ?

 22   R.  Ce village n'était pas un grand village, et tout le monde ne pouvait

 23   pas s'y trouver. Il y avait d'autres endroits où les gens pouvaient se

 24   mettre à l'abri. Une certaine partie de la population se trouvait déjà à

 25   Zepska Planina [phon]. Non, tout le monde ne se trouvait pas dans ce petit

 26   village.

 27   M. ELDERKIN : [interprétation] Monsieur le Président, je vois qu'il

 28   est déjà 19 heures, et je pense qu'on pourrait lever l'audience.


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  1   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Je pense qu'on va lever

  2   l'audience. Merci.

  3   Nous allons continuer demain à 9 heures dans la même salle d'audience.

  4   Votre témoignage, Madame le Témoin, continuera demain, commençant à 9

  5   heures.

  6   L'audience est levée.

  7   [Le témoin quitte la barre]

  8   --- L'audience est levée à 18 heures 59 et reprendra le mercredi 27 avril

  9   2011, à 9 heures 00.

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