DEVANT LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II
Devant : M. le Juge David Hunt, Juge de la mise en état
Assistée de : M. Hans Holthuis, Greffier
Décision rendue le : 16 juillet 2001
LE PROCUREUR c/ Dragan NIKOLIC
LE PROCUREUR c/ Mitar VASILJEVIC
LE PROCUREUR c/ Radoslav BRDJANIN & Momir TALIC
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DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE DÉPOSÉE
EN APPLICATION DE L’ARTICLE 75 D) DU RÈGLEMENT PAR L’ACCUSATION
DANS L’AFFAIRE LE PROCUREUR c/ MOMCILO KRAJISNIK & BILJANA PLAVSIC
(affaire n° IT-00-39&40-PT)
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Les conseils :
(dans Le Procureur c/ Momcilo Krajisnik & Biljana Plavsic)
MM. Mark Harmon & Alan Tieger pour le Bureau du Procureur
M. Deyan Ranko Brashich, pour Momcilo Krajisnik
M. Robert J. Pavich, pour Biljana Plavsic
(dans Le Procureur c/ Dragan Nikolic)
MM. Dirk Ryneveld et Dermot Groome pour le Bureau du Procureur
M. Howard Morrison pour Dragan Nikolic
(dans Le Procureur c/ Mitar Vasiljevic)
MM. Dermot Groome et Frederic Ossogo et Mme Sabine Bauer pour le Bureau
du Procureur
M. Vladimir Domazet pour Mitar Vasiljevic
(dans Le Procureur c/ Radoslav Brdjanin et Momir Talic)
Mme Joanna Korner, MM. Andrew Cayley et Nicolas Koumjian, Mmes Anna Richterova
et Ann Sutherland pour le Bureau du Procureur
M. John Ackerman pour Radoslav Brdjanin
MM. Xavier de Roux et Michel Pitron pour Momir Talic
1. Dans le cadre de l’affaire Le Procureur c/ Momcilo Krajisnik & Biljana Plavsic (affaire n° IT-00-39&40-PT), l’Accusation a, entre autres, demandé à la Chambre de première instance III de transmettre à la présente Chambre de première instance sa demande de modification d’ordonnances, rendues par cette dernière, accordant des mesures de protection dans trois affaires : Le Procureur c/ Dragan Nikolić (affaire n° IT-94-2-PT), Le Procureur c/ Mitar Vasiljevic (affaire n° IT-98-32-PT) et Le Procureur c/ Radoslav Brdjanin et Momir Talic (affaire n° IT-99-36-PT)1. L’objectif déclaré de la modification demandée était de «permettre l’utilisation de pièces confidentielles et la comparution des témoins» dans Le Procureur c/ Krajisnik & Plavsic2, au motif que3:
L’article 75 D) [sic] du Règlement interdit au Procureur de communiquer les déclarations de témoins à la Défense en l’espèce [c’est-à-dire dans Le Procureur c/ Krajisnik & Plavsic], avant que les Chambres de première instance qui ont accordé les mesures de protection aux témoins rendent une ordonnance à cette fin.
La Chambre de première instance III a transmis la Requête de l’Accusation à la présente Chambre de première instance4.
2. La Requête de l’Accusation a été déposée confidentiellement et ex parte. La confidentialité était requise parce que la Requête donne en détail le nom des témoins que le Procureur entend citer à comparaître dans Le Procureur c/ Krajisnik & Plavsic, et qui doivent également être cités dans les trois affaires susmentionnées, dont est saisie la présente Chambre de première instance. La raison pour laquelle la Requête de l’Accusation a été déposée ex parte n’est pas immédiatement évidente5,mais, étant donné que nous entendons la rejeter, il est inutile d’aborder cette question ici. Il conviendrait toutefois que des parties qui demandent la modification de mesures de protection accordées dans d’autres affaires n’oublient pas qu’il peut leur être nécessaire de notifier leur requête non seulement aux parties dans l’affaire dans laquelle les mesures de protection ont été accordées, mais aussi aux témoins qui bénéficient de ces mesures. Cependant, nonobstant le fondement de la Requête de l’Accusation, l’utilisation de plus en plus fréquente de l’article 75 D) du Règlement présente une question procédurale majeure. Dès lors dans la mesure où elle ne divulgue aucune des pièces confidentielles mentionnées dans ladite Requête, et où l’on ne peut dire que la révélation du dépôt de cette requête peut porter préjudice à quiconque, la présente Décision est rendue tout à fait publiquement.
3. L’article 75 D) du Règlement dispose impérativement que, si la Chambre de première instance qui a accordé les mesures de protection que l’on demande de modifier peut toujours être constituée des mêmes juges, seule cette Chambre peut les modifier. Il est non seulement inutile, mais aussi inopportun, voire préjudiciable pour l’autre partie, que la requête soit soumise d’emblée à la Chambre saisie de l’affaire dans laquelle on demande à utiliser des pièces visées par les mesures de protection accordées par une autre Chambre. Ce problème a été débattu dans Le Procureur c/ Brdjanin & Talic6, où il a été fait référence au préjudice subi par l’Accusation suite à l’adoption de pareille procédure7. On a également dit depuis que la requête adressée à la Chambre ayant accordé les mesures devrait être déposée directement dans le cadre de l’instance dans laquelle elles ont été octroyées8. Ce n’est que dans le cadre de cette affaire que la Chambre peut rendre l’ordonnance les modifiant. Il est très déconcertant pour le Greffe (et pour quiconque) que la requête soit soumise à la Chambre de première instance qui a accordé les mesures, mais dans un document dont l’en-tête porte le nom de l’affaire dans laquelle on demande l’utilisation des pièces confidentielles.
4. S’agissant de la Requête dont il est question, aucune des trois affaires susmentionnées, dont est saisie la présente Chambre, n’a encore atteint la phase du procès, aucune pièce pertinente pour les faits dans ces instances n’a été versée confidentiellement, et aucun élément de preuve pertinent pour ces faits n’a été présenté sous huis clos total ou partiel. Les seules mesures de protection accordées par la présente Chambre dans chacune de ces affaires visent à empêcher la divulgation par la Défense, sauf dans des circonstances restreintes, de l’identitié de certains témoins à charge qui doivent être cités à comparaître, ou de toute pièce fournie confidentiellement par l’Accusation (y compris des déclarations de témoin)9. S’il est bien possible que l’Accusation entende utiliser, dans Le Procureur c/ Krajisnik & Plavsic, les mêmes déclarations de témoin que dans les trois affaires susmentionnées, rien dans les ordonnances rendues par la présente Chambre ne l’empêche de le faire, pas plus d’ailleurs que de communiquer ces déclarations à la Défense ou de citer les témoins dans l’affaire Krajisnik & Plavsic.
5. La requête de l’Accusation est mal fondée pour ce qui est des trois affaires dont est saisie la présente Chambre. Le Procureur devrait demander de nouvelles mesures de protection à la Chambre de première instance III visant la divulgation par la Défense dans l’affaire Krajisnik & Plavsic, mesures qui seront sûrement très similaires à celles accordées dans les trois affaires susmentionnées. La présente Chambre suggère respectueusement que l’on envisage l’inclusion de deux mesures de protection supplémentaires relatives à toute pièce confidentielle reçue d’autres affaires, et qui consisteraient à :
i) empêcher toute divulgation du fait que les témoins en question comparaîtront également (ou ont comparu) dans d’autres affaires dont est saisi le Tribunal10, et
ii) s’agissant de pièces confidentielles autres que des déclarations de témoins que l’on se propose d’utiliser dans l’affaire pour laquelle la modification est demandée, permettre l’expurgation de ces pièces dans la mesure où elles identifient tout témoin, quel qu’il soit, jusqu’à ce que la Défense soit en mesure de démontrer à partir des pièces expurgées que ces témoins peuvent matériellement l’aider d’une façon identifiée dans la présentation de sa cause, et aussi que cette aide n’est pas par ailleurs raisonnablement disponible11.
6. La Requête de l’Accusation est rejetée.
Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.
Fait le 16 juillet 2001
La Haye (Pays-Bas)
Le Juge de la mise en état
(signature)
M. le Juge David Hunt
[Sceau du Tribunal]
1. Le Procureur c/ Krajisnik & Plavsic,
affaire n° IT-00-39&40-PT, Requête de l'Accusation aux fins de
mesures de protection en application de l'article 75 A) et D) du Règlement
(la «Requête de l'Accusation»), 23 mai 2001, par. 4.
2. Ibid, par. 4.
3. Ibid, par. 3.
4. Requête adressée aux Chambres de première
instance I et II et au Président du Tribunal en application de l'article
75 D) du Règlement, 9 juillet 2001, troisième page non numérotée.
5. Les procédures ex parte ne sont appropriées
que lorsqu'il est probable que la communication à l'autre partie ou autres
parties au litige des informations contenues dans la requête, ou le simple
fait que la requête soit déposée, nuirait injustement à
la partie requérante ou à toute personne impliquée dans
la requête ou s'y rattachant : Le Procureur c/ Simic et consorts,
affaire n° IT-95-9-PT, Décision relative 1) à la requête
de Stevan Todorovic aux fins de réexaminer la décision du 27 juillet
1999, 2) à la requête du CICR aux fins de réexaminer l'ordonnance
portant calendrier du 18 novembre 1999 et 3) aux conditions d'accès aux
pièces, 28 février 2000, par. 41 ; Le Procureur c/ Brdanin
et Talic, Décision relative à la deuxième requête
de l'Accusation aux fins de mesures de protection, 27 octobre 2000, par. 8 à
11.
6. Le Procureur c/ Brdanin & Talic, Décision
relative à la deuxième requête de Radoslav Brdanin aux fins
d'accès à des documents confidentiels, 20 juin 2001, par. 3 à
5.
7. Pareille requête déposée par un accusé
a été examinée après avoir été transférée
de la présente Chambre de première instance, sans que l'Accusation
ait eu la possibilité d'être entendue.
8. Le Procureur c/ Brdanin & Talic, Décision
relative à la deuxième requête de Momir Talic aux fins d'accès
à des documents confidentiels, 26 juin 2001, par. 2.
9. Le Procureur c/ Nikolic, Décision relative
à la deuxième requête du Procureur aux fins de mesures de
protection, 29 novembre 2000 ; Décision relative à la troisième
requête de l'Accusation aux fins de mesures de protection, 20 mars 2001
; Le Procureur c/ Vasiljevic, Décision relative à une requête
de l'Accusation aux fins de mesures de protection, 8 septembre 2000 ; Le
Procureur c/ Brdanin & Talic, Décision relative à la requête
de l'Accusation aux fins de mesures de protection, 3 juillet 2000.
10. Le Procureur c/ Kvocka et consorts, affaire n°
IT-98-30/1-T, Décision relative à la requête de la Défense
aux fins d'accès à des informations confidentielles, 3 octobre
2000, p. 3.
11. Le Procureur c/ Brdanin & Talic, Deuxième
décision relative aux requêtes de Radoslav Brdanin & Momir
Talic aux fins d'accès à des documents confidentiels, 15 novembre
2000, par. 8 à 13.