Page 61
1 Le mercredi 16 décembre 2015
2 [Audience publique]
3 [Les appelants sont introduits dans le prétoire]
4 --- L'audience est ouverte à 8 heures 48.
5 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Bonjour à toutes les personnes
6 présentes dans le prétoire.
7 Madame la Greffière, veuillez citer l'affaire, s'il vous plaît.
8 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président,
9 Messieurs les Juges. Il s'agit de l'affaire IT-08-91-A, le Procureur contre
10 Mico Stanisic et Stojan Zupljanin.
11 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Merci. Avant de commencer, je souhaite
12 m'assurer que les parties sont en mesure de suivre la procédure dans une
13 langue qu'ils comprennent.
14 Monsieur Stanisic, êtes-vous en mesure de suivre la procédure dans une
15 langue que vous comprenez ?
16 L'APPELANT STANISIC : [interprétation] Oui, oui, tout à fait, je le peux.
17 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Même question pour M. Zupljanin.
18 L'APPELANT ZUPLJANIN : [interprétation] Merci beaucoup. Tout à fait. Je
19 peux suivre la procédure.
20 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Merci.
21 A titre préliminaire et avant de demander aux parties de se présenter, le
22 18 novembre, M. Dragan Krgovic, conseil de M. Zupljanin, par
23 l'intermédiaire d'un courriel envoyé au juriste de la Chambre d'appel, a
24 demandé à ce que M. Christopher Gosnell, conseiller juridique dans l'équipe
25 de Défense Zupljanin, ait le droit d'assister à l'audience, à savoir cette
26 audience en appel. Il n'y a pas eu d'objection quant à cette demande. Le
27 bureau de l'aide juridictionnelle et des questions de Défense du TPIY a
28 confirmé que M. Gosnell est tout à fait qualifié et qu'il figure sur la
Page 62
1 liste des conseils en vertu de l'article 45 du Règlement de procédure et de
2 preuve. M. Gosnell a contribué, en réalité, à l'appel de M. Zupljanin en
3 tant que conseiller juridique et connaît l'affaire.
4 Dans ces conditions, la Chambre d'appel est convaincue que faire droit à la
5 demande de M. Gosnell, à savoir que M. Gosnell a le droit d'assister à
6 l'audience est dans l'intérêt de la justice et fait donc droit à ladite
7 demande.
8 Puis-je avoir la présentation des parties, s'il vous plaît, à commencer par
9 l'Accusation.
10 Mme BAIG : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs les
11 Juges. Mme Laurel Baig du côté de l'Accusation. M. Todd Schneider, M.
12 Aditya Menon, Grace Harbour, et notre commis à l'affaire, Colin Nawrot, qui
13 m'assiste aujourd'hui.
14 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Je vous remercie.
15 Le conseil de M. Stanisic.
16 M. ZECEVIC : [interprétation] Bonjour, Messieurs les Juges. Représentant la
17 Défense de M. Stanisic, Slobodan Zecevic, Stéphane Bourgon, James Jackson,
18 Isabelle Martineau, Relja Radovic et Mme Claire Smith.
19 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Je vous remercie.
20 La Défense de M. Zupljanin, s'il vous plaît.
21 M. KRGOVIC : [interprétation] Bonjour, Messieurs les Juges. Dragan Krgovic,
22 Tatjana Cmeric et M. Christopher Gosnell, représentant les intérêts de M.
23 Zupljanin.
24 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Je vous remercie.
25 M. Stanisic, M. Zupljanin et le bureau du Procureur ont interjeté appel du
26 jugement rendu par la Chambre de première instance en l'espèce le 27 mars
27 2013 par la Chambre numéro II. Conformément à l'ordonnance portant au
28 calendrier délivré le 30 octobre 2015, la Chambre d'appel va entendre
Page 63
1 l'appel aujourd'hui. Avant de le faire, je vais vous fournir un bref résumé
2 de l'affaire, ainsi que les appels respectifs de M. Stanisic, Zupljanin et
3 de l'Accusation. Ensuite, je vais vous indiquer comment nous allons
4 procéder aujourd'hui.
5 Cette affaire porte sur la responsabilité de M. Stanisic et M. Zupljanin
6 pour des crimes commis en Bosnie-Herzégovine entre le 1er avril et le 31
7 décembre 1992. Pendant toute cette période, M. Stanisic était le ministre
8 de l'Intérieur du ministère de l'Intérieur nouvellement établi dans la
9 République serbe en Bosnie-Herzégovine, et un membre d'office du Conseil de
10 sécurité nationale. M. Zupljanin était le chef du Centre régional des
11 services de sécurité de Banja Luka, et pour une partie de la période
12 couverte par l'acte d'accusation, il était également membre de la cellule
13 de Crise de la Région autonome de Krajina.
14 La Chambre de première instance a conclu qu'une entreprise criminelle
15 commune a existé au plus tard le 24 octobre 1991, et ce, jusqu'au moins le
16 31 décembre 1992, dont l'objectif était de déplacer pour toujours les
17 Musulmans de Bosnie et les Croates de Bosnie du territoire de l'Etat
18 envisagé par la Serbie, ci-après dénommé entreprise criminelle commune.
19 Elle a également constaté que objectif a été réalisé par la commission des
20 crimes de persécution, transfert forcé et expulsion, déportation et actes
21 inhumains, transferts forcés en tant que crimes contre l'humanité.
22 La Chambre de première instance a condamné M. Stanisic pour des crimes
23 commis dans chacune des 20 municipalités énumérés dans l'acte d'accusation;
24 M. Zupljanin pour des crimes commis dans huit municipalités de la Région
25 autonome de Krajina. Ces deux personnes ont été condamnées au titre de la
26 première catégorie de l'entreprise criminelle commune pour persécutions en
27 tant que crimes contre l'humanité, et au titre de la troisième catégorie de
28 l'entreprise criminelle commune pour meurtres et tortures en tant que
Page 64
1 violation des lois ou coutumes de la guerre.
2 En outre, M. Zupljanin a été condamné en vertu de la troisième catégorie de
3 l'entreprise criminelle commune pour extermination en tant que crimes
4 contre l'humanité et pour avoir ordonné des persécutions par appropriation.
5 Sur la base des principes liés au cumul des déclarations de culpabilité, la
6 Chambre de première instance n'a pas condamné MM. Stanisic et Zupljanin
7 pour assassinat, torture, actes inhumains, expulsion et actes inhumains
8 (transferts forcé) en tant que crimes contre l'humanité ou pour traitement
9 cruel en tant que violation des lois ou coutumes de la guerre.
10 La Chambre de première instance a condamné M. Stanisic et M. Zupljanin à
11 une peine de 22 ans de réclusion.
12 M. Stanisic présente 16 moyens d'appels; M. Zupljanin, six, qui remettent
13 en cause les condamnations respectives et peines respectives.
14 Dans son premier moyen d'appel 1 bis, de M. Stanisic et le sixième
15 moyen d'appel de M. Zupljanin, les deux appelants font valoir que le droit
16 à un procès équitable de la part d'un tribunal impartial et indépendant a
17 été violé compte tenu de la participation du Juge Harhoff aux débats. Dans
18 son premier moyen d'appel, M. Stanisic fait valoir que la Chambre de
19 première instance a commis une erreur de droit en ne fournissant pas une
20 opinion motivée pour ses condamnations de persécution, meurtres, torture au
21 titre des première et troisième catégories de l'entreprise criminelle
22 commune.
23 Dans ses moyens d'appels 2 à 6, M. Stanisic remet en cause les
24 conclusions de la Chambre de première instance concernant sa responsabilité
25 en vertu de la première catégorie de l'entreprise criminelle commune. Dans
26 son septième moyen d'appel, M. Stanisic remet en cause l'appréciation de la
27 Chambre de première instance, à savoir son entretien avec l'Accusation.
28 Dans ses moyens d'appel 8 à 11, M. Stanisic soulève un certain nombre
Page 65
1 de points à contester liés à sa condamnation en vertu de la troisième
2 catégorie de l'entreprise criminelle commune.
3 Et, pour finir, dans ses moyens d'appels 12 à 15, M. Stanisic
4 présente un certain nombre d'erreurs de droit et de faits portant sur sa
5 peine.
6 L'Accusation répond que l'appel de M. Stanisic doit être rejeté dans
7 son intégralité.
8 Dans son premier moyen d'appel, M. Zupljanin soulève un certain
9 nombre de points à contester par rapport aux conclusions de la Chambre de
10 première instance eu égard à sa responsabilité en vertu de la première
11 catégorie de l'entreprise criminelle commune.
12 Dans son deuxième moyen d'appel, M. Zupljanin remet en cause ses
13 condamnations en vertu de la troisième catégorie de l'entreprise criminelle
14 commune.
15 Dans son troisième moyen d'appel, il fait valoir que des erreurs ont
16 été commises au niveau des conclusions de la Chambre de première instance
17 concernant la question de l'extermination. Dans son quatrième moyen
18 d'appel, M. Zupljanin fait valoir qu'il y a eu des erreurs multiples
19 concernant sa peine.
20 Et pour finir, dans son cinquième moyen d'appel, M. Zupljanin fait valoir
21 que la Chambre de première instance a commis une erreur en le déclarant
22 responsable de persécutions par appropriation de biens.
23 L'Accusation répond que l'appel de M. Zupljanin doit être rejeté.
24 Je vais maintenant aborder la question de l'appel de l'Accusation.
25 L'Accusation présente deux moyens d'appel. Le premier moyen, il conteste la
26 peine imposée par la Chambre de première instance à MM. Stanisic et
27 Zupljanin et demandent à ce que la Chambre d'appel remplace ces peines par
28 des peines allant de 30 à 40 ans. Dans son deuxième moyen d'appel,
Page 66
1 l'Accusation fait valoir que la Chambre de première instance a commis une
2 erreur lorsqu'elle a appliqué le droit qui porte sur le cumul des
3 déclarations de culpabilité.
4 MM. Stanisic et Zupljanin ont répliqué que la Chambre d'appel doit rejeter
5 les moyens d'appel de l'Accusation dans leur intégralité.
6 Au cours de cette audience, les conseils sont en droit de plaider
7 leurs moyens d'appel dans l'ordre qu'ils jugent approprié. Cependant,
8 j'enjoins les conseils de ne pas répéter ou résumer les arguments déjà
9 présentés dans leurs mémoires et à propos desquels je souhaite vous
10 rappeler que les Juges de la Chambre d'appel connaissent déjà la teneur.
11 Je rappelle aux parties que nous les invitons à aborder des arguments
12 oraux sur certaines questions qui ont été présentées dans l'addendum à
13 l'ordonnance portant calendrier le 4 décembre 2015. Pour que les choses
14 soient bien claires, je souhaite demander aux parties quelles sont les
15 questions qu'elles souhaitent aborder, et ce, au début de la présentation
16 de leurs arguments.
17 En outre, j'invite les parties à citer des références précises aux
18 documents qui étayent leurs arguments oraux.
19 Je souhaite également vous rappeler que cet appel n'est pas un procès
20 de novo et que les parties doivent s'abstenir de répéter la présentation ou
21 leurs thèses qui ont été présentées au procès. Les arguments doivent être
22 limités à des erreurs de droits allégués qui annulent ou invalident le
23 jugement de première instance ou qui occasionne des erreurs de faits
24 allégués qui donnent lieu à un déni de justice.
25 Pour finir, je souhaite rappeler aux parties de faire
26 particulièrement attention de ne divulguer aucun élément d'information
27 susceptible d'identifier un témoin protégé ou d'autres éléments
28 d'informations protégés.
Page 67
1 Je vais maintenant aborder le calendrier d'aujourd'hui, tel
2 qu'indiqué dans la décision de la Chambre d'appel et sur la requête urgente
3 de l'Accusation aux fins de revoir le calendrier d'aujourd'hui dans le
4 cadre de l'audience en appel le 11 décembre comme suit :
5 Nous allons d'abord entendre les arguments du conseil de M. Stanisic
6 pendant une heure 35. Ensuite, nous poursuivrons, nous entendrons la
7 réponse de 15 minutes de l'Accusation. Après une pause de 20 minutes, nous
8 reprendrons et nous entendrons le reste de la réponse de l'Accusation
9 pendant 45 minutes, suivi de la réplique de M. Stanisic pendant 20 minutes.
10 Ensuite, nous entendrons les arguments de M. Zupljanin pendant 55 minutes
11 et nous aurons une pause pour le déjeuner à 13 heures cinq.
12 Nous reprendrons à 14 heures 10 pour entendre le reste des arguments
13 de M. Zupljanin pendant 40 minutes encore, ensuite, nous entendrons la
14 réponse de l'Accusation pendant 60 minutes. Après quoi, M. Zupljanin aura
15 la possibilité de répliquer pendant 20 minutes et nous aurons une pause de
16 25 minutes. Nous reprendrons ensuite à 16 heures 35 pour entendre les
17 arguments de l'Accusation pendant 40 minutes, ainsi que les répliques des
18 équipes juridiques de M. Stanisic et M. Zupljanin pendant 20 minutes
19 chacune. Ensuite, l'Accusation aura 15 minutes pour répondre à ces
20 répliques.
21 Et, pour finir, la Chambre d'appel, habituellement, permet aux
22 appelants de s'adresser personnellement aux Juges de la Chambre d'appel
23 s'ils le souhaitent. Par conséquent, à la fin de cette audience, MM.
24 Stanisic et Zupljanin auront 10 minutes, s'ils le souhaitent, pour
25 s'adresser personnellement aux Juges de la Chambre d'appel.
26 Je souhaite rappeler aux parties que les Juges peuvent les
27 interromprent à tout moment pour leur poser des questions ou eux-mêmes
28 peuvent poser des questions suite à leurs arguments ou à la fin de
Page 68
1 l'audience. Tout dépend ce que nous jugeons être préférable à tout moment.
2 Nous allons maintenant entendre les arguments de l'équipe de M.
3 Stanisic. Nous allons vérifier le temps en regardant l'horloge qui se
4 trouve dans cette salle d'audience. Vous allez donc commencer à 9 heures
5 cinq. Merci.
6 Et je vous en prie, Maître Zecevic, c'est à vous.
7 M. ZECEVIC : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. Bonjour,
8 estimés Juges. J'ai l'honneur de commencer la présentation de nos arguments
9 oraux au nom de M. Stanisic concernant l'appel contre sa condamnation. Nous
10 avons un temps limité, donc mon introduction sera brève. Vous avez déjà
11 entendu cet argument auparavant, mais je dois dire : le cas de M. Stanisic
12 est unique.
13 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Un instant, s'il vous plaît. J'ai
14 remarqué que sur un des moniteurs, nous avons le compte rendu d'audience et
15 sur l'autre écran qui est LiveNote, e-court, nous n'avons rien. Dans
16 l'intervalle, nous pouvons continuer, parce que je suis sûr qu'on peut
17 récupérer cela.
18 Bien. Maître Zecevic, pardonnez-moi. C'est à vous.
19 M. ZECEVIC : [interprétation] Pas de problème. Je comprends, Monsieur le
20 Président.
21 Monsieur le Président, nous avons une présentation PowerPoint qui
22 correspond à ma présentation. J'espère que vous l'avez sur vos écrans.
23 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Nous devrions l'avoir ici. Oui, je
24 l'ai. Vous devez appuyer sur la touche prétoire électronique du côté
25 gauche.
26 Vous pouvez poursuivre.
27 M. ZECEVIC : [interprétation] Merci beaucoup, Monsieur le Président.
28 Comme je disais, l'affaire concernant M. Stanisic est unique. Compte tenu
Page 69
1 de la situation impliquant le Juge Harhoff, un des Juges siégeant dans la
2 Chambre de première instance qui, au mois de juin 2013, a fait montre d'une
3 crainte légitime de partialité en faveur de la condamnation qui a une
4 incidence sur le jugement rendu par la Chambre de première instance le 27
5 mars 2013. Ceci est unique compte tenu du poste qu'occupait M. Stanisic en
6 qualité de ministre de l'Intérieur, il faisait partie du gouvernement, dont
7 certains membres ont été impliqués dans une entreprise criminelle commune
8 pour transférer par la force et expulser des Musulmans et des Croates --
9 une entreprise criminelle commune visant à transférer par la force et
10 expulser les Musulmans et les Croates des territoires en Bosnie-
11 Herzégovine. Ce cas est unique, parce qu'il a été conclu que M. Stanisic a
12 contribué à l'entreprise criminelle commune, non pas sur le fondement d'un
13 acte particulier, mais parce qu'il a omis de prendre les mesures
14 suffisantes pour enquêter sur lesdits crimes et poursuivre les auteurs des
15 crimes commis contre les Musulmans et les Croates.
16 Sauf votre respect, il s'agit d'une première, d'après nous.
17 Il s'ensuit, Monsieur le Président, que le contexte de cette affaire revêt
18 une importance capitale, même au stade de l'appel. La façon dont cette
19 affaire a été menée est également importante. Mico Stanisic s'est rendu, le
20 11 mars 2005, dès qu'il a eu connaissance de l'acte d'accusation; il a
21 donné son consentement pour avoir un entretien détaillé avec l'Accusation
22 avant le début de son procès; il a fourni des éléments d'information à
23 l'Accusation pendant l'entretien avant le procès; il a présenté ses
24 arguments en clôture conformément aux éléments d'informations fournis à
25 l'Accusation pendant l'entretien avant le procès; il a été dans
26 l'incertitude pendant plus de dix ans.
27 Nous faisons valoir aujourd'hui les éléments suivants :
28 La première partie, sous le point A, la correspondance électronique du Juge
Page 70
1 Harhoff qu'il a adressée à 56 "amis" soulève une crainte légitime de
2 partialité, ce qui invalide les condamnations de Mico Stanisic aux chefs
3 respectifs de l'acte d'accusation.
4 B : Réponse de la Chambre d'appel aux questions préliminaires aux points
5 (i) et (ii).
6 Deuxième partie : Réponse aux questions 1(i) posée par la Chambre d'appel;
7 B, réponse à la question 1(ii) posée par la Chambre d'appel; C, réponse à
8 la deuxième question posée par la Chambre d'appel; en D, réponse à la
9 question 1(ii), et 3, la Chambre d'appel.
10 Je vais maintenant passer la parole à mon confrère qui va aborder la
11 première partie de nos arguments.
12 M. BOURGON : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. Bonjour,
13 Messieurs les Juges. C'est à la fois un honneur et un privilège que de me
14 présenter devant vous pour présenter les arguments au nom de M. Stanisic
15 aujourd'hui.
16 Première partie de nos arguments porte sur la question impliquant M.
17 le Juge Harhoff. Monsieur le Président, cette crainte légitime de
18 partialité de la part du Juge Frederik Harhoff qui découle de son courriel
19 adressé à 56 amis est une question extrêmement sensible. Nous n'avons aucun
20 plaisir à plaider cette question devant la Chambre d'appel ce matin.
21 Cependant, compte tenu des conséquences éventuelles pour Mico Stanisic,
22 mais également compte tenu des conséquences que ceci peut avoir pour le
23 TPIY, ainsi que l'incidence que ceci peut avoir pour la justice pénale
24 internationale en tant que tel, c'est dans l'intérêt de la justice, à nos
25 yeux, de présenter nos arguments en détail sur cette question, et ce, de
26 façon très ouverte.
27 Mes arguments ce matin vont être présentés de la façon suivante :
28 Je vais tout d'abord aborder la question de la lettre en tant que
Page 71
1 telle ou le courriel et l'incidence que ceci a en l'espèce, autrement dit
2 dans le procès contre Mico Stanisic. Un point que nous avons abordé dans
3 notre mémoire en appel, au chapitre 2, section B(ii), pages 13 à 19.
4 Ensuite, les éléments de preuve en réplique qui ont été présentés sur cette
5 question. Et troisièmement, je vais expliquer pourquoi la décision rendue
6 par la Chambre, constituée uniquement à cette intention, la Chambre
7 spéciale dans l'affaire Seselj, je parle de la première décision, ainsi que
8 la décision portant sur le réexamen, je vais expliquer pourquoi ces
9 décisions sont pertinentes et que ces décisions ont une valeur probante
10 permettant de conclure qu'il y a une crainte légitime de partialité de la
11 part du Juge Harhoff en l'espèce.
12 Je vais ensuite, bien évidemment, répondre à la première question
13 posée par les Juges de la Chambre d'appel et je vais répondre à cette
14 question - ce qui ne vous surprend certainement pas - en répondant par
15 l'affirmative. Et je vais expliquer pourquoi la participation du Juge
16 Harhoff au procès invalide la condamnation contre Mico Stanisic. Je vais
17 également arguer dans cette section du fait que le recours aux réparations
18 dans un cas de violation comme celui-ci n'est pas moins qu'un non-lieu, un
19 arrêt de procédure ou un non-lieu.
20 Dernièrement, je vais répondre à la deuxième question posée par la
21 Chambre d'appel.
22 Avant de présenter ces cinq arguments, j'estime qu'il est important
23 de faire quelques remarques préliminaires qui, d'après moi, revêtent la
24 plus grande importance, car il s'agit de déterminer si le courriel adressée
25 par M. le Juge Frederik Harhoff à 56 amis révèle effectivement qu'il y a
26 crainte légitime de partialité, encore une fois, dans le cadre de ce procès
27 contre Mico Stanisic.
28 La première observation préliminaire que je souhaite formuler se
Page 72
1 rapporte à l'importance du droit de l'accusé à être jugé par une Chambre
2 impartiale composée de Juges indépendants et autonomes. C'est une question
3 de confiance, Monsieur le Juge. L'impartialité des Juges est l'aspect le
4 plus important du système judiciaire. S'il n'y a point de confiance, s'il
5 n'y a pas de confiance dans un Juge dans un cas ou dans cette procédure
6 concrète, ou lorsqu'il semble qu'un Juge n'a pas été impartial aux yeux
7 d'un observateur raisonnable, il n'y a point de justice, et c'est la raison
8 pour laquelle il doit y avoir un arrêt de procédure.
9 La Chambre de première instance a l'obligation de diligenter la
10 justice de façon appropriée, et c'est une chose fort bien connue, Monsieur
11 le Président, que la justice non seulement doit être mise en œuvre, mais il
12 faut que cette justice soit faite de façon évidente.
13 Ma deuxième observation préliminaire, c'est la présomption
14 d'impartialité qui se rapporte aux Juges et le fait est que cette
15 présomption est importante. Elle doit exister par avance et elle ne doit
16 pas être mise en question. Nous avons parfaitement conscience de
17 l'importance et du poids de cette présomption; et avec tout le respect qui
18 est dû à tout un chacun, nous affirmons que la Chambre d'appel ne doit
19 hésiter à aucun moment lorsque l'on commence à douter de façon raisonnable
20 de l'impartialité d'un Juge. Et dans ce cas concret, les mesures se doivent
21 d'être prises pour que dans l'opinion publique il soit rétabli la confiance
22 en ce qui est l'administration de la justice. S'agissant des accusés, il
23 convient de prendre des mesures afin d'entraver toute enfreinte aux droits
24 fondamentaux.
25 Ma troisième observation préliminaire se base sur les deux premières,
26 bien entendu. Et, à cet effet, je voudrais dire pourquoi, avant l'audience
27 de ce matin, nous avons décidé de déposer toute une série de documents pour
28 ce qui est des décisions qui ont été rendues précédemment.
Page 73
1 Monsieur le Président, on ne peut dissimuler le fait que la
2 publication de la lettre du Juge Harhoff dans les journaux danois à la date
3 du 13 juin est une chose qui a fortement secoué ce Tribunal, et la décision
4 a été celle de convoquer une Chambre -- la session d'une Chambre l'a été
5 également. Et je suis en train de peser mes mots. Le Tribunal a peut-être
6 été secoué, mais pas choqué.
7 Alors, les constatations de la Chambre spéciale convoquée à cet
8 effet, et je vais donner lecture du texte comme il a été énoncé :
9 "Référence faite à la 'pratique' de la condamnation des personnes
10 accusées sans évaluer les éléments de preuve dans chaque cas concret, la
11 majorité des Juges, avec une opinion dissidente du Juge Liu, considère
12 qu'il y a des fondements pour ce qui est de conclure qu'un observateur
13 raisonnable bien informé est susceptible de conclure de façon raisonnable
14 le fait que le Juge Harhoff a manifesté de l'impartialité pour ce qui est
15 d'être favorable à des jugements de condamnation. Ceci se rapporte
16 également à ce que le Juge a déclaré dans cette Chambre.
17 "L'apparence de la partialité est encore plus présente pour ce qui
18 est de l'opinion du Juge Harhoff, où il y a un dilemme professionnel et
19 moral qui se pose, de l'avis de la plupart des Juges, il y a référence
20 faite aux difficultés auxquelles on fait face lorsqu'il s'agit de mettre en
21 œuvre la pratique juridique de ce Tribunal et dans les circonstances
22 données, la majorité a considéré", exception faite du Juge Liu, "que
23 lorsque l'on prend lecture de la lettre, on met en doute la présomption
24 d'impartialité."
25 C'est une conclusion sans précédent. Nous avons procédé à des
26 recherches dans ce domaine. Nous avons déjà entendu les affirmations
27 consistant à affirmer que certains juges sont plus portés à condamner qu'à
28 prendre des décisions autres, et on a entendu des opinions mettant en doute
Page 74
1 l'impartialité des Juges. Mais c'est la première fois, malheureusement, que
2 nous faisons face à ce type de situation dans la pratique. Lorsqu'un Juge
3 manifeste une tendance à la partialité en faveur des condamnations, ceci
4 peut, de façon générale, inciter à la nécessité d'entreprendre quelque
5 chose.
6 Les constatations liées à la légalité du TPIY doivent être prises en
7 compte. Personnellement, en ma qualité de conseil de la Défense pendant de
8 longues années durant, et on sait ce à quoi j'ai vaqué, j'ai été chef de
9 Cabinet du Président, j'ai coopéré de façon très étroite avec les Juges, et
10 tout un chacun sait dans quelle mesure je respecte le rôle des Juges. Mais
11 cette lettre a eu des conséquences dévastatrices pour ce qui est de la
12 confiance du public. Ce n'est pas une question qui se pose aujourd'hui. La
13 question qui se pose aujourd'hui, c'est de savoir ce qu'il convient de
14 faire avec M. Stanisic, et c'est l'aspect que je vais aborder.
15 Compte tenu de la décision qui a été prise dans le procès du
16 Procureur contre Seselj, nous avons insisté sur la nécessité de rendre une
17 décision à cet effet parce que cette impression de partialité se base sur
18 la même lettre, et je vais dire qu'à quelques différences près de ce qui
19 s'est passé dans l'affaire Seselj, il y a des similitudes avec ce qui s'est
20 passé dans cette affaire. La Chambre d'appel a décidé de traiter de la
21 question dans l'appel. Et c'est conformément à cette décision que je vais
22 agir aujourd'hui.
23 Nous insistons sur le fait que la Chambre d'appel doit tout d'abord
24 prendre en considération ce motif d'appel avant que de passer à la partie 2
25 de notre appel. Dans le cas où la Chambre d'appel venait à retenir ce motif
26 d'appel, il ne serait point nécessaire de parler des autres moyens d'appel.
27 Si ce n'est pas le cas, il nous faudra passer à la partie 2 de notre appel.
28 Et même dans ce cas de figure-là, les propos tenus par le Juge Harhoff, par
Page 75
1 exemple, s'agissant de la façon dont il considère que dans le cadre de
2 l'entreprise criminelle commune on peut condamner quelqu'un partant de ce
3 que l'on aura appris dans le procès, et ceci deviendra pertinent dans le
4 deuxième volet de notre appel.
5 Je vais commencer par la présentation des arguments liés aux critères
6 adoptés par un observateur impartial et raisonnable. S'agissant du droit du
7 TPIY, un Juge peut être disqualifié s'il se comporte de façon partiale. Et,
8 à cet effet, je peux faire référence à l'affaire le Procureur contre
9 Delalic, le Procureur contre Milosevic, le Procureur contre Furundzija, et
10 je crois que c'est la première fois que ce type de critère a été formulé
11 pour la première fois. On peut considérer que quelque chose semble être
12 partial si l'observateur raisonnable, bien informé, peut considérer de
13 façon raisonnable qu'il y a partialité. Ceci se trouve être l'un des
14 critères de ce que l'on considère comme étant un observateur raisonnable.
15 On considère que c'est :
16 "…quelqu'un d'informé, qui a des informations relatives à toutes les
17 circonstances pertinentes, y compris", comme l'a dit le Juge Liu dans son
18 opinion dissidente, "s'agissant de toutes les circonstances pertinentes, y
19 compris les traditions d'intégrité et d'impartialité qui doivent constituer
20 la toile de fond de celui-ci."
21 Donc, il convient de considérer qu'une personne raisonnable se doit d'être
22 bien informée des circonstances pertinentes - et je vais y revenir - doit
23 être au courant du fait de la tradition d'intégrité et d'impartialité en
24 place, et cet observateur raisonnable, compte tenu de la totalité des
25 circonstances, doit considérer comme inacceptable toute manifestation de
26 partialité.
27 Le problème, c'est le mot "inacceptable". Cette expression-là est quelque
28 peu inhabituelle. Cela ne s'intègre pas dans cette définition parce qu'on
Page 76
1 peut considérer qu'on a une apparence de partialité ou d'impartialité;
2 c'est une espèce de double test. On peut donc considérer que quelqu'un peu
3 paraître comme impartial ou partial. C'est une opinion qui a été formulée
4 par la Cour suprême du Canada, où on a défini les appréhensions liées à la
5 partialité comme suit : "…une personne se doit être considérée comme
6 raisonnable qui s'est informée et qui s'est procuré tous les renseignements
7 pertinents…"
8 Donc, il y a deux critères objectifs à prendre en compte : la personne qui
9 se penche sur les critères de partialité, cette personne doit être
10 raisonnable, et ce qui peut être considéré comme de la partialité doit être
11 traité comme une conséquence des circonstances dans telle ou telle autre
12 affaire.
13 La question qui se pose maintenant est la suivante : est-ce qu'un
14 observateur raisonnable, qui étudie une lettre ou un courriel émanant du
15 Juge Harhoff, se trouve être pleinement informé de la totalité des éléments
16 du contexte, cette personne-là peut-elle tirer une conclusion raisonnable
17 pour ce qui est d'une appréhension justifiée de partialité lorsqu'il s'agit
18 des propos tenus par le Juge Harhoff dans cette affaire. Nous avons
19 pleinement pris connaissance de l'opinion dissidente du Juge Afande, qui se
20 trouve être jointe à la décision de réexamen pour ce qui est de notre
21 motion pour ce qui est d'un déni de justice.
22 Ce courriel suffit-il pour montrer qu'il y a une appréhension raisonnable
23 de partialité s'agissant du Juge Harhoff ? Et la question qui se pose en
24 fin de journée est la suivante : est-ce qu'il est plus ou moins probable
25 que le Juge Harhoff ait véhiculé cette partialité lorsqu'il y a eu un
26 jugement de rendu contre Mico Stanisic ? Et c'est, en fin de compte, la
27 question à laquelle la Chambre d'appel doit répondre.
28 Je vais me pencher d'abord sur le contexte. Nous avons un Juge qui siège au
Page 77
1 niveau d'un Tribunal international, c'est un Juge qui a été professeur de
2 droit et qui est réputé pour ce qui est de son contexte en matière de
3 droit. Il a été conseil juridique au niveau des Chambres de ce Tribunal,
4 puis il a été Juge pendant six ans. Et au moment où il a rédigé cette
5 lettre, il était impliqué dans cinq affaires différentes devant le TPIY. Il
6 s'agit, entre autres, de l'affaire le Procureur contre Dragomir Milosevic;
7 le Procureur contre Delic, où il a été Juge de la Chambre de première
8 instance; et puis, il y a l'affaire le Procureur contre Seselj; le
9 Procureur contre Djordjevic, et il a été Juge de la mise en état, et il n'a
10 pas siégé dans le procès en première instance; et dans cette affaire-ci, à
11 savoir l'affaire contre Mico Stanisic et Zupljanin.
12 Tous ces procès ont traité de la responsabilité de commandement ou de
13 l'entreprise criminelle commune pour ce qui était aussi de savoir si les
14 accusés ont aidé et encouragé à la perpétration de crimes. Et dans les
15 jugements rendus, les accusés ont été déclarés coupables. Bien entendu,
16 ceci n'a rien de mauvais en soi, mais il convient de prendre en
17 considération le fait que dans les affaires où ce Juge-là a siégé et qui
18 sont liées aux sujets abordés par la lettre, les accusés ont été condamnés,
19 déclarés coupables. C'est un fait, rien de plus.
20 Le problème, Monsieur le Président, ce n'est pas le fait que le Juge
21 Frederik Harhoff ait réagi à certains jugements rendus; ce qui est plus
22 problématique, c'est la façon dont il a réagi à certains jugements
23 prononcés parce qu'il s'agit d'affaires où il était impliqué. Cependant, le
24 contexte de sa lettre nous fait nous poser la question de savoir comment il
25 s'est procuré des informations au sujet de deux jugements rendus par des
26 pairs à lui.
27 Quels sont ces jugements ? Il s'agit du jugement dans l'affaire Peresic,
28 puis du jugement dans l'affaire Gotovina, et enfin, le jugement rendu par
Page 78
1 la Chambre de première instance dans l'affaire Stanisic et Simatovic. C'est
2 le contexte général. Donc, il s'est procuré un certain nombre
3 d'informations au sujet de ces jugements rendus. Il a pu lire les articles
4 publiés dans les médias relatifs auxdits procès et auxdites condamnations.
5 Ayant lu bon nombre d'articles publiés par les médias au sujet des
6 jugements rendus en question, il a réagi à la situation. Et ce courriel
7 constitue sa réaction à trois décisions rendues, deux arrêts de la Chambre
8 d'appel et un jugement de la Chambre de première instance.
9 Le problème n'est pas sa réaction en tant que telle. Mais on s'attend parce
10 qu'on s'attend à ce que les Juges se penchent sur les jugements rendus par
11 des pairs au titre de développement et d'évolution professionnelle. Ce
12 n'est pas là le problème. Le problème, c'est la façon dont il a réagi et ce
13 qu'a révélé sa réaction. D'après nous, la façon dont il a réagi révèle au-
14 delà de tout doute possible, nous fait comprendre, pour le moins, qu'il y a
15 une appréhension de partialité pour ce qui est d'être favorable à des
16 condamnations en faveur de tout leader ou tout accusé qui avait eu
17 connaissance de crimes commis dans le cadre d'un objectif commun. Ce sont
18 ses propos, et c'est ce qui figure dans la lettre qu'il a envoyée en tant
19 que message.
20 Alors, nous sommes d'avis que Mico Stanisic, étant donné qu'il a été
21 ministre de l'Intérieur et qu'il a été accusé d'une participation à une
22 entreprise criminelle commune englobant un nettoyage ethnique, chose qui
23 est mentionnée dans sa lettre, et qu'on considère avoir contribué à la
24 réalisation des objectifs de l'entreprise criminelle commune, en sa qualité
25 à lui, il fait concrètement partie d'une catégorie de personnes qui, compte
26 tenu des prédispositions qui sont celles du Juge Harhoff semblent être
27 condamnées d'avance, indépendamment des éléments de preuve que l'on a
28 présentés.
Page 79
1 Le Juge Harhoff reconnaît dans a sa lettre la chose suivante, i il a
2 dit que : "Dans toutes les affaires où il était impliqué ici, il est parti
3 du fait qu'il était justifié de prononcer des jugements de condamnations
4 s'agissant de leaders pour des crimes qui ont été commis dans le cadre de
5 ce qu'ils savaient dans le cadre de leur travail pour ce qui est de
6 l'entreprise ou d'un objectif commun." Et il fait référence à l'entreprise
7 criminelle commune pour ce qui est des condamnations, et il explique
8 pourquoi. Et les explications apportées montrent que le Juge Frederik est
9 prédisposé à des jugements en condamnation partant de ce qu'il en sait.
10 Comment le Juge Harhoff a-t-il réagi ? Nous avons appris dans sa
11 lettre qu'il a d'abord fait passer deux articles, deux articles publiés
12 dans la presse, et j'y reviendrai tout à fait, à ce groupe de 56 prétendus
13 amis. Nous ne savons pas qui sont ces gens-là. Nous n'avons pas non plus pu
14 voir quelle est la teneur du courriel qui a été envoyé avec les deux
15 articles de presse en question. Mais nous avons appris qu'apparemment ce
16 courrier avait pour intention de faire référence à des commentaires
17 personnels pour ce qui est du courriel précédemment envoyé, ce qui ne doit
18 pas en soi constituer un problème. Il a fait circuler deux articles publiés
19 par les médias et il voulait les commenter d'un point de vue personnel.
20 Ce qui peut paraître surprenant, c'est le fait qu'il s'agisse d'un
21 Juge qui communique avec 56 amis pour partager ses préoccupations
22 profondes, où il affirme que c'est partagé par ses collègues dans les
23 Chambres. Et je ne pense pas que ceci en soi puisse faire penser à de la
24 partialité. Mais on fait référence à une pratique. D'après lui, ce qui
25 constitue une situation prévalant au Tribunal, et cela jusqu'à l'automne
26 2012. Il décrit la situation comme étant une situation de "…pratique
27 habituelle où les commandants militaires sont tenus responsables des crimes
28 de guerre commis par leurs subordonnés pendant la guerre…", et il dit que
Page 80
1 c'est une pratique mise en place sans pour autant faire référence aux
2 éléments de preuve présentés.
3 Et c'est déjà problématique. C'est en particulier le cas lorsque l'on
4 prend lecture de ce paragraphe en corrélation avec le paragraphe suivant,
5 où on peut lire ce qui suit :
6 "Dans tous les tribunaux où j'ai travaillé, je suis toujours parti du
7 principe qu'il était juste de condamner des dirigeants pour des crimes
8 commis et dont ils avaient connaissance dans le cadre d'un objectif
9 commun."
10 La confession du Juge Harhoff qui fait référence à la responsabilité
11 pour entreprise criminelle commune révèle une prédisposition à condamner
12 les dirigeants, quand ils le savaient, quel que soit le droit applicable,
13 qui demande et qui exige toujours que les membres d'une entreprise
14 criminelle commune avaient l'intention de réaliser l'objectif commun.
15 Alors, le Juge Harhoff continue en soulignant ce qui lui semble être un
16 changement vers le bas du droit applicable devant le Tribunal
17 international, qui est mis en œuvre, d'après lui. La Chambre d'appel, dans
18 deux arrêts : l'affaire Gotovina du 15 avril 2011, en première instance, et
19 puis en appel, le 16 novembre 2012. Il parle également de l'affaire
20 Perisic, jugement du 6 septembre 2011 et arrêt du 28 février 2013, ainsi
21 que l'affaire Stanisic et Simatovic, et il critique l'utilisation du terme
22 bras droit ou homme de main.
23 Le Juge Harhoff n'a fait aucun commentaire sur l'affaire Prlic qui
24 est tombée juste avant l'affaire Stanisic et qui a condamné six généraux
25 croates ou responsables de haut rang. Dans sa lettre, il explique
26 clairement son mécontentement quant à ce changement qu'il a perçu.
27 Nous faisons valoir que les Juges devraient s'abstenir de critiquer
28 publiquement des jugements rendus par leurs confrères. Cela est arrivé par
Page 81
1 le passé et il n'y a eu aucune allégation de parti pris, pour autant que
2 nous sachions, qui ait donné lieu à des allégations donnant lieu à une
3 crainte de parti pris. Mais la situation en l'espèce est totalement
4 différente. Les critiques du Juge Harhoff découlent de sa frustration en
5 conséquence de ces jugements, la pratique établie de tenir responsable des
6 commandants pour des crimes connus, car ils en avaient connaissance et de
7 l'histoire ancienne, apparemment. Et le Juge Harhoff a explicitement dit la
8 chose suivante dans sa lettre :
9 "En conséquence, le Tribunal a non seulement reculé, régressé, il n'a
10 pas continué dans la lancée de partir du principe que les dirigeants et les
11 commandants de l'armée doivent être connus responsables pour les crimes de
12 leurs subordonnés, sauf si on peut prouver qu'ils n'en savaient absolument
13 rien, mais aussi du fait que la théorie de la responsabilité au titre de
14 l'entreprise criminelle commune a été réduite d'une contribution à des
15 crimes (d'une façon ou d'une autre) à exiger une intention directe de
16 commettre un crime, et donc, pas uniquement d'accepter les crimes commis.
17 Et que la plupart des affaires auront pour résultat que des commandants
18 partiront d'ici libres."
19 Ensuite, il explicite davantage sa frustration en disant :
20 "Comment expliquons-nous maintenant aux milliers de victimes que le
21 Tribunal n'est plus capable de condamner les participants de l'entreprise
22 criminelle commune à moins que des Juges puissent justifier que les
23 participants à la réalisation de l'objectif avaient l'intention directe et
24 active de contribuer aux crimes ?
25 "Jusqu'à présent, nous avons convaincu ces participants qui, d'une façon ou
26 d'une autre, avaient montré qu'ils étaient d'accord…" et puis, bien sûr, il
27 donne l'exemple de "l'éradication de la population non-serbe de régions que
28 les Serbes avaient tâcher de nettoyer ou qui, d'une façon ou d'une autre,
Page 82
1 avaient contribué à réaliser l'objectif commun, sans devoir nécessairement
2 prouver qu'ils avaient une intention directe de commettre chaque crime pour
3 y arriver. C'est presque impossible à prouver."
4 Il est donc frustré, mais il est faux que nous ne puissions pas condamner;
5 il est faux de dire qu'il y avait une pratique commune. Mais sa
6 compréhension du droit et la façon dont il l'a appliqué est explicitée dans
7 la lettre. Alors, si l'on tient compte du fait qu'il n'y a pas eu de
8 modification dans le droit applicable pour le mode de responsabilité au
9 titre de l'entreprise criminelle commune, c'est encore plus troublant.
10 Et qui plus est, un Juge qui a avoué avoir toujours présumé qu'il était
11 juste de condamner des dirigeants pour les crimes commis lorsqu'ils en
12 étaient au courant, dans le cadre d'un objectif commun, révèle cette
13 prédisposition à condamner les dirigeants sur la base de leurs
14 connaissances, contrairement au droit applicable dans ce Tribunal.
15 Une telle disposition, qui crée une crainte raisonnable de parti pris, à
16 nos yeux, est étayée par sa déclaration :
17 "Les derniers jugements m'ont mis dans un dilemme professionnel et moral,
18 jamais rencontré auparavant. Il se peut que certains de mes collègues aient
19 été sous des pressions politiques qui modifient totalement mon travail au
20 service de la sagesse et du droit."
21 Passons à présent à l'observateur raisonnable. Qu'en ferait-il s'il
22 remarquait que le Juge Harhoff avait réagi à cela suite à trois jugements,
23 deux en première instance et un arrêt, allant du 16 novembre 2013 au 30 mai
24 2013 ?
25 Tout d'abord, l'observateur raisonnable saurait que Mico Stanisic, en
26 qualité de ministre de l'Intérieur, est sans aucun doute inclus dans la
27 catégorie de dirigeants, dont le Juge Harhoff fait mention dans sa lettre.
28 Deuxièmement, l'observateur raisonnable remarquerait que Mico Stanisic a
Page 83
1 été poursuivi en application du mode de responsabilité pour entreprise
2 criminelle commune.
3 Troisièmement, l'observateur raisonnable remarquerait que l'entreprise
4 criminelle commune alléguée dans l'acte d'accusation à l'encontre de Mico
5 Stanisic inclut les crimes liés à l'expulsion de la population non-serbe de
6 régions de la Republika Srpska, comme il le dit dans la lettre. Et il
7 remarquerait également que Mico Stanisic a été condamné par un collège de
8 trois Juges et que Mico Stanisic a été condamné en application du mode de
9 responsabilité entreprise criminelle commune. Il saurait que le jugement à
10 l'encontre de Mico Stanisic a été rendu le 27 mars 2013, c'est-à-dire 71
11 jours avant la publication de la lettre du Juge Harhoff, le 13 juin 2013.
12 Il saurait que le Juge Harhoff a envoyé cette lettre à 56 amis, en tenant
13 compte du contexte dans lequel elle a été rédigée et publiée, et que cela
14 révèle une crainte raisonnable de parti pris en faveur d'une condamnation
15 de dirigeants, et il remarquerait également que le Juge Harhoff, à
16 l'époque, était face à un dilemme professionnel et moral pendant la période
17 où il délibérait sur le procès contre Mico Stanisic.
18 En conclusion, nous faisons valoir que la lettre du Juge Harhoff révèle une
19 crainte raisonnable de parti pris et que le Juge Harhoff, alors qu'il était
20 nommé comme Juge dans l'affaire Mico Stanisic, n'a pas décidé
21 équitablement.
22 Alors, je n'ai pas abordé lors de mes arguments les allégations du Juge
23 Harhoff à l'encontre d'autres Juges du Tribunal, le Juge Meron, l'ancien
24 Président; le Juge Orie; le Juge zimbabwéen; ainsi que le Juge Guney, qui
25 mettent encore plus en exergue la prédisposition du Juge Harhoff à
26 condamner, ce qui met à mal l'héritage de ce Tribunal international.
27 Deuxième partie, à présent. Regardons les pièces en réplique. La
28 jurisprudence établit clairement que le critère de l'observateur
Page 84
1 raisonnable part du postulat que cet observateur raisonnable doit être
2 informé de façon appropriée, ce qui veut dire qu'il dispose de toutes les
3 informations pertinentes qui pourraient avoir une incidence sur son
4 appréciation de la situation, y compris le contexte, qui pourraient donner
5 lieu à une crainte raisonnable de parti pris. S'agissant du contexte, il a
6 déjà été couvert dans le mémoire en appel de Mico Stanisic et dans mes
7 arguments de tout à l'heure. Donc, je vais me concentrer sur les pièces en
8 réplique qui ont été admises à la demande de l'Accusation, c'est-à-dire le
9 mémo du Juge Harhoff au Juge Antonetti et les deux articles.
10 Les deux articles sont d'une part celui de l'"Economist", qui parle de deux
11 jugements. Il a été publié le 1er juin. Les deux jugements sont Perisic
12 [comme interprété], tout d'abord, où l'on aborde l'entreprise criminelle
13 commune; et Stanisic et Simatovic.
14 Alors, le premier article revient sur la jurisprudence des deux
15 dernières années du Tribunal et il semble, selon l'article, que la
16 population est choquée par les jugements qui ont été mentionnés tout à
17 l'heure.
18 Deuxième article, le "New York Times" a publié un article le 2 juin
19 2013. Eric Corney l'a rédigé, il est politologue et sociologue. Il a été
20 cité dans le premier article et il aborde la question de l'acquittement de
21 Stanisic et Simatovic, et il parle d'un reversement dramatique du fait,
22 encore une fois, que la population se pose des questions sur ces
23 acquittements. Il évoque l'entreprise criminelle commune et les critères
24 requis pour l'état d'esprit. Il parle de l'aide et de l'encouragement,
25 d'instructions spécifiques.
26 Et ces deux articles aide à expliquer le contexte, mais en aucun cas
27 les critiques du Juge Harhoff et la façon dont il a critiqué les choses.
28 Le mémo du Juge Harhoff est encore plus important. Le moment où il a
Page 85
1 été envoyé n'est pas tellement important, parce qu'il a réagi lorsqu'il en
2 a eu l'occasion en application de l'article 15(B) du Règlement, lors de la
3 procédure spéciale. En tout cas, c'est ce qui a été consigné au compte
4 rendu. Donc, le moment et le fait qu'il ait attendu est important, mais pas
5 tellement important.
6 Ce qui est important, c'est qu'il a eu énormément de temps pour y
7 réfléchir avant de donner son avis au Juge Antonetti, le Président de
8 l'affaire Seselj. Ce courriel a été envoyé aux mêmes 56 personnes du
9 premier courriel, et il y a eu une fuite et la presse l'a eu.
10 Alors, le Juge Harhoff insiste sur le fait qu'il n'a jamais eu
11 l'intention de le faire publier. Alors, nous n'en sommes pas convaincus.
12 Lorsqu'un Juge envoie un courriel à 56 personnes dans le monde
13 d'aujourd'hui, il accepte le risque que ce document puisse devenir public.
14 Alors, ce qui est important, c'est ce qu'il y dit. Il y dit : Le fait
15 que je ne l'ai pas dit n'implique pas que j'ai abandonné le critère des
16 éléments. C'est facile de le dire après les faits, mais les gens lisent la
17 lettre. Il dit qu'il n'avait pas abandonné ce critère pour évaluer tous les
18 faits. Mais cela aurait dû se trouver dans la lettre, si c'est ce qu'il
19 voulait dire.
20 La modification des conditions pour responsabilité pénale est tout à
21 fait pertinente, parce qu'il n'y a pas eu de changements. Il n'y a pas eu
22 d'exigences supplémentaires dans Gotovina, contrairement à ce qu'il dit
23 dans sa lettre. Il explique, en fait, ce que constitue cette apparence de
24 parti pris, c'est la partie la plus importante. Il explique dans ses
25 remarques qu'il a toujours considéré que c'est juste, et je vous renvoie à
26 son courriel où il utilise ce terme de "juste".
27 Tout d'abord, il dit que si vous condamnez en vertu de l'entreprise
28 criminelle commune, dans ce cas, vous avez abandonné la condition de la
Page 86
1 mens rea, contrairement à ce qu'il dit. De la part du Juge, le contexte
2 juridique n'est pas exact. Il faut davantage qu'un simple degré plus
3 important d'intentions, ce qui n'est pas exact. Même dans son courriel, à
4 la façon dont il aborde le droit, eh bien, sa manière de le faire n'est pas
5 correcte.
6 Encore une fois, dans son mémo, il explique que : "Il sera peut-être
7 très difficile de condamner des commandants militaires haut gradés, que ce
8 sera peut-être impossible de condamner des généraux à l'avenir" et qu'il
9 n'a pas eu de changement. Même dans son courriel, il ne modifie pas sa
10 prédisposition à la condamnation.
11 Il ajoute un peu plus tard que :
12 "J'ai toujours rendu mes jugement en étant sûr que les commandants
13 supérieurs ou haut gradés viendraient ou se rendraient compte finalement à
14 un moment donné qu'il y avait ce plan commun visant à chasser par la force
15 'les autres' dans 'leurs propres secteurs' contredit l'ordre fondamental ou
16 le monde de vie fondamental…"
17 Pardonnez-moi, mais ceci laisse l'impression que l'homme a une
18 mission à accomplir, et que sa mission consiste à condamner. Ils se
19 rendront compte que je -- ils se rendront compte que je vais condamner sur
20 la base de la connaissance et ils se rendront compte qu'ils se sont trompés
21 une fois qu'ils seront en détention. C'est l'impression. Je ne dis pas que
22 c'est ce que le Juge Harhoff pense, mais c'est certainement l'impression
23 qui en découle. Il dit qu'il s'agit d'une déclaration politique morale et
24 non pas d'une position juridique, ce ne correspond pas au contexte. Le
25 contexte doit être lu de façon complètement différente dans le contexte de
26 sa lettre et de sa déclaration. Il a toujours estimé juste de condamner sur
27 la base de la connaissance, et cela ne peut pas échapper à un observateur
28 raisonnable.
Page 87
1 Le dernier commentaire est très important lorsqu'il parle du dilemme
2 qui est le sien, je souhaite attirer votre attention sur ce paragraphe et
3 la différence entre son mémo et son courriel. C'est un dilemme qui se
4 présente à lui, parce que brusquement dans son mémo, il sait pertinemment
5 quelle est cette apparence de parti pris qui découle de sa lettre. Ensuite,
6 il essaie de repartir en arrière et il dit "le dilemme qui serait le sien".
7 Alors, après avoir dit que c'était un véritable dilemme auquel il était
8 confronté, mais que ce serait un dilemme pour lui dans le cas où il y
9 aurait une ingérence de l'extérieur, une ingérence internationale. Sa
10 tentative consistant à modifier ce paragraphe est tout à fait révélateur.
11 La décision dans l'affaire Seselj, partie 3, troisième partie. La
12 lettre a été publiée le 13 juin. Seselj a réagi le 1er juin, même si nous
13 n'avons jamais eu connaissance de cela avant le 9 -- pardonnez-moi, il a
14 réagi le 1er juillet, et ceci a été rendu public le 9 juillet en raison d'un
15 problème de traduction. Mico Stanisic a réagi tout de suite le 2 juillet.
16 Le 20 juin, Delic a également réagi. Zupljanin a réagi peu de temps après.
17 Le fait est que trois accusés qui ont ou soit été jugés par le Juge Harhoff
18 ont réagi peu de temps après la publication de la lettre du Juge Harhoff,
19 ce qui fait qu'un observateur raisonnable ne peut pas manquer de voir.
20 La Chambre spécialement constituée a rendu sa décision et a conclu à
21 la majorité que le Juge Harhoff avait fait preuve de l'existence d'une
22 apparence de parti pris. Donc, c'est la conclusion d'un observateur
23 raisonnable qui serait bien informé, ont constaté que la présomption
24 d'impartialité, malgré son importance, a été réfutée.
25 Le 9 septembre, en nous fondant sur cette décision, nous avons tout
26 de suite demandé des éléments d'information supplémentaire et que ceci soit
27 ajouté à notre demande de présentation à nouveau de notre acte d'appel, et
28 nous avons renvoyé à ce dépôt d'écriture parce que là, nous avons dit, dans
Page 88
1 ce document, que nous insistons sur l'importance de la décision.
2 Nous insistons également dans ce document qu'il n'y a pas de droit
3 d'appel dans cette décision-là. C'est tout à fait clair. Lorsqu'il y a eu
4 conclusion sur une prédisposition à condamner et qu'il y a une apparence de
5 parti pris au niveau de la condamnation, il faudrait énormément d'éléments
6 de preuve pour renverser cette impression, et il faudrait que ce soit tout
7 à fait cohérent pour ce qui est des décisions prises par ce Tribunal.
8 Et la majorité a rejeté la demande de l'Accusation pour un réexamen
9 et, en raison de cette décision-là, nous avons estimé que cette décision
10 était définitive et qu'il nous faut prononcer un jugement le plus
11 rapidement possible. En raison de la nature même et de cette apparence de
12 partialité, c'est la raison pour laquelle nous avons agi ainsi. Dans le cas
13 où le parti pris du Juge Harhoff s'appliquait uniquement à l'affaire
14 Seselj, si, par exemple, il avait participé dans d'autres affaires devant
15 le TPIR, dans une affaire contre le Procureur, dans ce cas, évidemment,
16 cela serait limité à l'affaire Seselj, même si cela pourrait avoir des
17 conséquences, mais maintenant nous parlons d'une apparence de parti pris en
18 faveur d'une condamnation.
19 La question n'aurait pas une valeur probante aussi importante si elle
20 n'avait pas un caractère aussi général et si elle n'était pas inhérente au
21 rôle du Juge qui a une incidence sur l'impartialité d'un Juge en faveur de
22 la condamnation. A de nombreuses reprises, l'indépendance et l'impartialité
23 des Juges constitue tout élément légitime de toute institution judiciaire.
24 Alors, y a-t-il au niveau de la décision prise ici dans l'espèce ? Le
25 fait est que la décision a déjà été rendue. Mais nous avons expliqué dans
26 nos arguments qu'il est évident que cette apparence de parti pris qui
27 figure dans sa lettre a eu une incidence sur la procédure et existait au
28 moment où il prononçait un jugement dans cette affaire-ci.
Page 89
1 La deuxième différence, c'est que la Chambre qui a été constituée
2 spécialement ne semble pas s'être penchée sur le mémorandum du Juge Harhoff
3 et n'a pas tenu compte des deux articles dans la presse, qui constituent
4 des éléments de preuve en réplique. Je sais qu'il ne s'agissait pas là
5 d'une erreur juridique, car c'est ce que prévoit l'article 15(B), et c'est
6 ce qui a été fait à l'époque. Mais nous nous trouvons dans deux situations
7 différentes. Vous allez vous pencher sur le mémo du Juge Harhoff et vous
8 allez vous pencher sur deux articles de presse, chose que la Chambre
9 constituée à cet effet n'a pas fait. Quand bien même vous tenez compte de
10 ces documents-là, nous faisons valoir, sauf votre respect, que vous allez
11 conclure, en particulier compte tenu de la question du dilemme moral qui
12 était celui du Juge Harhoff, vous allez conclure que les éléments de preuve
13 en réplique fournissent un contexte, mais insistent sur le caractère
14 inacceptable de la lettre, ce qui va bien au-delà du comportement d'un
15 Juge, quel que soit le sens de cela au niveau d'un Juge. Nous parlons ici
16 d'une apparence de parti pris en faveur de la condamnation qui met à mal la
17 décision contre Mico Stanisic.
18 Je conclus mes arguments en disant que dans nos arguments, ceci doit mener
19 à l'annulation des conclusions ou des condamnations prononcées contre Mico
20 Stanisic. C'est ma réponse à votre première question. Notre réponse à la
21 première question est très simple. En raison du droit à être jugé par une
22 Chambre composée de trois Juges impartiaux, ce qui n'a pas été le cas, la
23 condamnation pour les chefs 1, 4 et 6 doit être annulée. C'est quelque
24 chose que nous avons expliqué dans nos écritures.
25 Ce qui est encore plus important, cependant, c'est ce que nous allons faire
26 à partir de maintenant. Si vous annulez la condamnation, compte tenu de la
27 gravité de la violation, ce qui n'a rien à voir avec Mico Stanisic, compte
28 tenu de l'importance du droit d'être jugé par une Chambre composée de Juges
Page 90
1 impartiaux et indépendants, compte tenu du fait que M. Stanisic a été
2 incriminé pendant dix ans, en considérant que Mico Stanisic, depuis son
3 arrivée, en tout cas depuis qu'il a coopéré, souhaitait fournir des
4 éléments d'information, preuve en est l'interview qu'il a donnée à
5 l'Accusation, donc il n'y a qu'une seule possibilité : il s'agit de
6 surseoir à la procédure ou de délivrer un non-lieu et de le remettre en
7 liberté.
8 Dans nos écritures, nous avons insisté sur la possibilité que Mico Stanisic
9 puisse être jugé à nouveau. Ce n'est pas à nous de décider si oui ou non il
10 doit y avoir un procès de novo. Ce n'est pas à nous de plaider dans ce
11 sens. Nous faisons valoir la violation, l'annulation, de surseoir ou d'un
12 non-lieu. S'il doit y avoir un procès de novo, il revient à l'Accusation de
13 décider si oui ou non cela est nécessaire et si c'est dans l'intérêt de la
14 justice, et nous réagirons à ce moment-là.
15 La deuxième question posée par les Juges de la Chambre d'appel, si les
16 Juges de l'appel constatent qu'il y a eu violation, mais pas suffisamment
17 pour justifier une annulation de la condamnation, dans ce cas, Monsieur le
18 Président, il semble qu'il s'agisse ici d'une question théorique assez
19 simple. Et dans ce cas - je ne peux pas vraiment trouver le terme exact -
20 la réaction, disons, qu'il s'agit d'une apparence inacceptable de parti
21 pris, ceci s'applique en l'espèce, si vous estimez que cela n'est
22 suffisamment important, la condamnation peut être annulée.
23 Mais vous avez posé une question, donc nous allons répondre. D'après nous,
24 le seul recours possible en l'espèce est de maintenir la condamnation, mais
25 vous devez réduire la peine et tenir compte du temps déjà passé au quartier
26 pénitentiaire et le renvoyer à la maison. Le Tribunal affirme sa
27 conviction, dans ce cas. Et dans l'intérêt de la justice, l'accusé, dans ce
28 cas, est présenté avec l'existence d'une violation et c'est noté dans les
Page 91
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14 Page intercalée pour assurer l’équivalence de pagination des
15 versions anglaise et française
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28
Page 92
1 annales de la justice pénale internationale.
2 Nous avons tenu compte d'une autre possibilité. Peut-être que si la
3 violation constatée par la Chambre d'appel est quelque chose que notent les
4 Juges de la Chambre d'appel sans examiner ce que les Juges ont fait, et
5 apprécieront les éléments de preuve à nouveau. Dans un appel normal,
6 certainement, la Chambre d'appel peut faire cela et analyser tous les
7 éléments de preuve et rendre des décisions de novo, ce qui s'est déjà
8 passé. Parce que de nombreux éléments de preuve que constituent le dossier
9 sont les résultats des décisions rendues par ces trois Juges, ce qui
10 signifie que la Chambre d'appel devra non seulement rendre sa décision sur
11 la base d'éléments de preuve, mais il faudra qu'elle revienne en arrière
12 jusqu'au début du procès, comme s'il s'agissait d'une Chambre de première
13 instance.
14 Quelque chose sur lequel on a insisté, cela peut être extrêmement
15 difficile, et M. le Juge Afande a insisté là-dessus, parce qu'il a parlé du
16 fait de remplacer le Juge Harhoff dans l'affaire Seselj. Et nous faisons
17 valoir que la Chambre d'appel ne peut pas faire cela parce que, dans ce
18 cas-là, la Chambre d'appel agirait comme une Chambre de première instance,
19 et ainsi, M. Stanisic serait privé de son droit en appel. Ce serait une
20 condamnation qui serait prononcée en appel. Le Juge Pocar a insisté là-
21 dessus à de multiples reprises dans ses opinions dissidentes ou séparées.
22 Ceci conclut mes arguments concernant M. le Juge Harhoff. Si vous n'avez
23 pas d'autres questions, je vais aborder la deuxième partie de mes arguments
24 qui concerne la première question posée par les Juges d'appel concernant la
25 question de la resubordination des membres du MUP de la Republika Srpska.
26 Concernant la première question, qui se lit comme suit :
27 "Compte tenu des conclusions de la Chambre de première instance aux
28 paragraphes 737 à 759 et, en particulier 757, des jugements rendus par la
Page 93
1 Chambre de première instance, si la Chambre a constaté que Stanisic était
2 responsable pour avoir omis d'enquêter sur les crimes commis par la police
3 resubordonnée à l'armée."
4 La réponse toute simple à cette question est oui. Si nous regardons le
5 paragraphe 757, la Chambre de première instance a conclu que Mico Stanisic
6 a omis d'agir de manière décisive concernant les autres crimes, tels que la
7 détention illégale et le déplacement de Musulmans, Croates, et d'autres
8 civils non-serbes, et les crimes qui s'en sont suivis, meurtres et
9 traitements inhumains.
10 Les crimes cités par la Chambre de première instance dans ce paragraphe
11 sont les premiers et les plus importants crimes commis lors de la prise de
12 contrôle de ces municipalités, confer le paragraphe 737 du jugement. Au
13 paragraphe 737, où les crimes sont décrits, les auteurs sont identifiés
14 comme étant le MUP ainsi que d'autres forces serbes. Ceci renvoie
15 précisément à la situation où les actions conjointes ont été menées par le
16 MUP de la RS et les autres forces serbes.
17 Même si l'ensemble du paragraphe portant sur la contribution de Mico
18 Stanisic à l'entreprise criminelle commune aux paragraphes 729 à 756 ne
19 contient aucune note en bas de page, ce qui rend très difficile d'accepter
20 les conclusions telles que présentées par la Chambre de première instance.
21 Néanmoins, au paragraphe 737, il décrit une situation où le MUP du RS avait
22 été resubordonné à l'armée.
23 J'attire l'attention des Juges de la Chambre d'appel aux paragraphes 740,
24 743, 745 et 750, ce qui précise que ces paragraphes s'appliquent aux
25 membres de la police qui ont été resubordonnés à l'armée. En fait, le 759
26 est plus clair encore que cela. Il parle de la responsabilité de Mico
27 Stanisic pour ce qui est d'avoir de ne pas avoir fait ce qu'il fallait pour
28 mettre un terme aux crimes mentionnés précédemment, et c'est ce qui a
Page 94
1 permis aux forces du MUP à participer à des opérations conjointes aux côtés
2 de l'armée dans les différentes municipalités en question.
3 Donc, c'est là que se trouve la réponse à la question posée par la Chambre
4 d'appel, que convient-il de faire maintenant ? C'est ce qui importe le
5 plus. Et, il s'agit là des conséquences, des constatations sur lesquelles
6 je voudrais attirer l'attention des Juges de la Chambre, et notamment
7 s'agissant du paragraphe 342, où la Chambre de première instance a confirmé
8 qu'elle n'était pas à même d'en arriver à des conclusions pour ce qui est
9 de savoir si c'est l'armée ou les autorités civiles qui étaient chargées
10 d'investiguer ou de poursuivre en justice tous crimes commis à l'égard des
11 Musulmans et Croates qui auraient été le fait de policiers resubordonnés à
12 l'armée.
13 Ce qu'il convient de préciser, c'est que la Chambre de première
14 instance a omis de se prononcer sur cette responsabilité s'agissant de
15 savoir qui est-ce qui devait enquêter et poursuivre ce que vient d'être
16 dit. Tout d'abord, ceci est contraire aux affirmations de la Chambre de
17 première instance parce que ça sort du cadre de l'article 7(3) du Statut.
18 Deuxièmement, il n'est pas exact de dire que la Chambre n'est pas
19 capable de dire qui est responsable : soit c'est A, soit c'est B. On ne
20 peut pas, dans ce cas de figure-là, affirmer que Mico Stanisic était
21 coupable d'avoir omis d'enquêter ou de poursuivre en justice. Les deux
22 choses ne vont pas ensemble.
23 Troisièmement, ce qui est encore plus important, c'est que la Chambre
24 de première instance a approfondi son erreur en se servant de cette
25 conclusion-là pour affirmer que Mico Stanisic était membre d'une entreprise
26 criminelle commune. Et cette erreur doit être redressée, et il convient
27 d'invalider les chefs 1, 4 et 6.
28 J'en arrive maintenant à la question suivante par la Chambre d'appel,
Page 95
1 à savoir celle qui concerne le mens rea et l'omission de formuler une
2 opinion raisonnable pour ce qui est de savoir à partir de quel moment Mico
3 Stanisic avait conscience de ce qui se faisait du point de vue de
4 l'entreprise criminelle commune.
5 La Chambre de première instance a adopté des conclusions du point de
6 vue du mens rea dans l'affaire Mico Stanisic aux paragraphes 766 à 769,
7 donc il ne s'agit que de quatre ou cinq paragraphes. Alors, ce que nous
8 estimons, c'est que nous considérons que la Chambre de première instance a
9 commis une erreur pour ce qui est de la conclusion adoptée, à savoir que
10 Mico Stanisic avait partagé un mens rea, une intention délictueuse.
11 Alors, je commence maintenant à présenter nos arguments. Et je ne
12 vais pas élaborer davantage. La Chambre d'appel est consciente du droit
13 applicable. Et il s'agit d'un certain nombre d'erreurs commises par la
14 Chambre de première instance pour ce qui est de la loi à mettre en œuvre,
15 et on a procédé à des déductions en absence d'éléments de preuve directs.
16 Et il est clairement établi qu'il convient de tirer des conclusions,
17 compte tenu de la totalité des éléments de preuve au dossier. Deuxièmement,
18 on a procédé à des raisonnements par déduction concernant ce qui a été
19 présenté; or, la seule conclusion raisonnable et logique doit être tirée
20 des circonstances telles qu'énoncées. J'attire l'attention des Juges sur
21 les éléments de preuve dans le dossier le Procureur contre Vasiljevic et le
22 Procureur contre Oric, mais il y a beaucoup d'autres endroits où on peut
23 trouver des exemples similaires.
24 Donc, nous sommes humblement d'avis que ça n'a pas été fait par la
25 Chambre de première instance et elle n'en s'est pas tenue à ce droit et à
26 cette règle. Ces déductions faites par la Chambre de première instance ne
27 se basent pas sur la totalité des éléments de preuve présentés. La Chambre
28 de première instance n'a même pas pris en considération certains éléments
Page 96
1 de preuve pertinents. Je vais vous donner un exemple, Monsieur le
2 Président, il s'agit d'un rapport envoyé à Karadzic le 17 juillet 1992, la
3 pièce à conviction P427.8. Le jugement n'y fait pas du tout référence. Or,
4 de notre avis, c'est éminemment pertinent.
5 Dans d'autres cas de figure, la Chambre a fait référence à certaines
6 pièces à conviction comme, par exemple, les ordres donnés par Mico
7 Stanisic, sans pour autant prendre en considération les mêmes ordres pour
8 ce qui est de tirer des conclusions par déduction, chose qui fait l'objet
9 de notre appel.
10 Par exemple, l'ordre donné le 23 juillet. Si on se penche sur le
11 paragraphe 644 du jugement rendu : "Stanisic a donné l'ordre de prendre des
12 mesures légales à l'égard de membres du MUP ayant commis des crimes à
13 compter du moment où il y a eu création du MUP de la Republika Srpska."
14 Au paragraphe 664 : "Stanisic a donné l'ordre à la totalité des
15 centres de Sécurité publique et des postes de Sécurité publique, ainsi qu'à
16 leurs chefs pour obtenir des informations relatives au traitement des
17 prisonniers de guerre et aux conditions de détention de prisonniers."
18 Au paragraphe 667 : "Dans un ordre daté du 10 août, Stanisic a donné
19 l'ordre au chef des CSB de Sarajevo, Doboj, Trebinje, Bijeljina et Banja
20 Luka, pour souligner la nécessité de se situer dans le cadre de la
21 réglementation en place."
22 Au paragraphe 668 : "Ordre du 17 août, Stanisic a donné l'ordre aux
23 chefs des CSB, en leur indiquant la nécessité de s'en tenir aux lois
24 régissant la guerre et aux conventions internationales."
25 Ce n'est que quelques exemples. La Chambre de première instance
26 mentionne les ordres en question mais ne les prend pas en considération
27 pour ce qui est des conditions tirées au regard du mens rea. Enfin, si la
28 Chambre avait pris en considération la totalité des éléments de preuve,
Page 97
1 elle aurait certainement tiré une conclusion, de notre avis, qui serait
2 celle de conclure du fait que Mico Stanisic avait partagé le mens rea des
3 autres pour ce qui est de la participation à l'entreprise criminelle
4 commune, ce n'est pas la seule conclusion possible à tirer.
5 Il y a d'autres conclusions qui peuvent également être tirées, et
6 notamment celle d'affirmer que Mico Stanisic s'en est tenu aux objectifs
7 légitimes de la Republika Srpska mais n'a pas partagé le mens rea pour ce
8 qui est des crimes commis.
9 Tous nos arguments présentés dans notre mémoire se trouvent être
10 présentés dans le mémoire. Je n'ai pris et mis en exergue que quelques-unes
11 des conclusions relatives aux erreurs importantes.
12 Nous considérons également que la Chambre a commis un nombre
13 important d'erreurs de faits. La Chambre d'appel est donc conviée à se
14 pencher une fois de plus sur notre mémoire en appel. Il y a beaucoup plus
15 d'erreurs de signalées.
16 On a affirmé que Stanisic était membre du SDS, ce qui est faux. Dans
17 le mémoire en appel, on a dit à l'article 131 que Stanisic était membre de
18 l'assemblée des Serbes de Bosnie; cela n'est pas exact non plus. On peut
19 retrouver ce passage dans le mémoire en appel au paragraphe 125. On a
20 affirmé également que Stanisic avait approuvé les activités d'Arkan; or,
21 cela est faux. Stanisic n'a pas du tout approuvé ce qu'Arkan était en train
22 de faire. Référence y a été faite aux paragraphes 140 à 146 de notre
23 mémoire en appel. De notre avis, il convient, pour ce qui est des Juges de
24 la Chambre d'appel de se pencher sur les éléments de preuve fournis par
25 Bjelosevic, à titre confidentiel; le témoignage de Pejic; le témoignage
26 d'Adnan; le témoignage de Davidovic et, en particulier, constater l'erreur
27 commise par la Chambre de première instance, erreur de fait, en concluant
28 de l'approbation fournie par Stanisic s'agissant des activités déployées
Page 98
1 par Arkan.
2 La motivation de Mico Stanisic pour ce qui est de l'arrestation des Guêpes
3 jaunes n'avait pas été liée à la perpétration de crimes, mais c'était la
4 motivation véritable de Stanisic qui se rapportait aux vols commis, a-t-on
5 affirmé. C'est faux. C'est une erreur de fait. Stanisic s'était
6 véritablement opposé aux agissements des Guêpes jaunes. Il y en a eu deux
7 de condamnés pour crimes commis à l'extérieur de la Republika Srpska et
8 d'autres ont également été déclarés coupables pour crimes moindres. Je
9 convie donc les Juges de la Chambre d'appel à se pencher sur nos
10 paragraphes 413 et 417.
11 Nous avons quatre exemples qui font état d'erreurs de fait commises par la
12 Chambre de première instance. La Chambre, si elle n'avait pas commis ce
13 type d'erreurs de fait, n'aurait certainement pas tiré les conclusions
14 erronées qu'elle a tirées.
15 Il convient donc de se pencher sur les positions prises par la
16 Chambre de première instance avant que de se pencher sur les éléments de
17 preuve, les conclusions initiales, donc. Il y en a au moins trois que je
18 voudrais mettre en exergue où on voit que la Chambre de première instance
19 n'a pas évalué les éléments de preuve de façon appropriée.
20 Le premier exemple se rapporte à la direction des Serbes de Bosnie. Ceci se
21 trouve dans notre mémoire en appel au motif d'appel numéro 2. La Chambre a
22 erré pour ce qui est de considérer qu'il y avait une entité appelée
23 direction des Serbes de Bosnie, et cette entité aurait été constituée par
24 les membres éminents du SDS et ceux qui avaient occupé des postes
25 d'importance dans la Republika Srpska. La Chambre de première instance
26 dit :
27 "Ils ont tous partagé les agissements des Serbes de Bosnie et ils ont tous
28 œuvré à la réalisation d'un objectif commun."
Page 99
1 En affirmant ceci, sans pour autant se pencher sur les éléments de preuve
2 fournis, il y a eu une création arbitraire d'une entité dont Mico Stanisic
3 aurait fait automatiquement partie puisqu'il était ministre, et on a
4 attribué aux membres dudit groupe l'intention d'œuvrer dans le sens de la
5 réalisation d'un même objectif. En faisant ainsi, on a donc considéré que
6 Mico Stanisic avait fait partie d'un mens rea sans avoir étudié les
7 éléments de preuve avancés à cet effet.
8 Deuxièmement, il serait intervenu dans la réalisation d'un objectif
9 politique commun. Et si l'on se penche sur le fait que Mico Stanisic était
10 ministre et il intervenait dans le cadre d'un gouvernement, il devait donc
11 agir de concert avec d'autres membres du gouvernement. Certains de ces
12 membres du gouvernement ont fait partie d'une entreprise criminelle
13 commune. Mais le problème, c'est que lorsque la Chambre de première
14 instance s'est penchée sur le cadre de ce qu'il a fait ou pas fait dans le
15 cadre de la réalisation d'objectifs politiques légitimes, ils ont considéré
16 qu'il était ministre et qu'il était intervenu dans le cadre d'un même
17 gouvernement, pour tirer la conclusion de dire qu'il avait partagé
18 l'intention de ceux qui faisaient partie de l'entreprise criminelle
19 commune.
20 Enfin, j'aborderai la question de la minorité et de ne pas avoir tenu
21 compte qu'il y avait au moins une minorité dans les rangs de ce groupe qui
22 n'avait pas eu l'intention d'expulser les non-Serbes au moyen de crimes.
23 Cela se retrouve dans notre mémoire au quatrième moyen d'appel. La Chambre
24 a reconnu l'existence d'une majorité au sein des dirigeants serbes de
25 Bosnie, mais n'a pas tenu compte de l'existence d'une minorité dans le même
26 groupe, dont M. Stanisic aurait pu être partie.
27 Ensuite vient le critère de connaissance. Nous estimons que la Chambre de
28 première instance a déduit le fait que Mico Stanisic avait partagé
Page 100
1 l'intention de réaliser l'entreprise criminelle commune, mais elle l'a fait
2 en utilisant le critère de connaissance incorrect. Il est bien établi que
3 la connaissance d'un accusé ne doit pas se confiner à l'intention de
4 l'accusé. A partir de là, si un accusé a agi d'une certaine façon, on peut
5 remettre tous les éléments ensemble et peut-être arriver à la déduction,
6 mais pas juste à des connaissances faites. L'accusé doit avoir agi d'une
7 façon ou d'une autre. Il est très important de tenir compte de cela ici
8 parce que la façon dont il a agi est contraire à l'état d'esprit de
9 l'entreprise criminelle commune, et c'est cela qui met le doigt sur tout le
10 problème.
11 Lorsque Mico Stanisic a obtenu les informations sur les crimes - cela se
12 retrouve dans le jugement et nous le reconnaissons - il a agi lorsqu'il a
13 eu connaissance de cela. Prenons un exemple qui définit bien les événements
14 : le 11 juillet, le premier collège du 11 juillet 1992, c'est à ce moment-
15 là que Mico Stanisic a obtenu des informations sur le fait que des crimes à
16 grande échelle étaient en train d'être commis. Qu'a-t-il fait ensuite ? Eh
17 bien, le 2 juillet [comme interprété], il répond à Karadzic; le 18 juillet,
18 il écrit une lettre au ministre Djeric. Je fais référence là, pour ma
19 première référence, au paragraphe 427.8, pièce P00190. Le 19 juillet, il
20 reçoit un rapport sur la question, pièce 1D00076. Le 19 juillet, Mico
21 Stanisic a introduit le questionnaire sur les auteurs de crimes de guerre
22 et a instruit à tous les officiers de police de faire rapport de crimes de
23 guerre, à remplir le questionnaire contenant, entre autres, l'appartenance
24 ethnique des auteurs et l'appartenance ethnique de la victime, pièce
25 1D00063. Le 19 septembre, Mico Stanisic a délivré des règles sur la
26 responsabilité disciplinaire des fonctionnaires du ministère de l'Intérieur
27 de la République serbe en temps de guerre.
28 Malgré tout cela, si vous regardez les informations obtenues par Mico
Page 101
1 Stanisic le 11 juillet 1992 conjointement à ses actions lorsqu'il a obtenu
2 ces informations, on ne peut en aucun cas déduire qu'il était dans l'état
3 d'esprit de commettre ces crimes ou d'autoriser la commission de ces
4 crimes.
5 A cet égard, la Chambre de première instance a établi clairement
6 qu'elle avait commencé son appréciation de l'état d'esprit de Mico Stanisic
7 en regardant s'il avait connaissance des crimes commis. Et, là encore,
8 c'est très important, vous le verrez dans notre réponse à la deuxième
9 question --
10 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Il vous reste dix minutes, Monsieur
11 Bourgon.
12 M. BOURGON : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
13 Alors, je vais passer à la question suivante qui porte sur l'état d'esprit,
14 justement. Cela est très important et les actions entreprises pour
15 s'opposer aux unités paramilitaires partout en Bosnie, pas seulement dans
16 une seule région, mais partout.
17 L'opposition de Mico Stanisic à l'utilisation de forces paramilitaires lui
18 a coûté cher. Il s'est opposé à Biljana Plavsic et a été considéré comme un
19 traître. Il a mis en péril sa famille. Donc, les choses ont été bien au-
20 delà que d'être uniquement un personnage impopulaire. Un ministre qui prend
21 de telles actions dans ces circonstances, eh bien, on ne peut pas dire de
22 lui qu'il avait une intention de commettre une entreprise criminelle
23 commune.
24 Enfin, je vais regarder les ordres qui se trouvent au compte rendu et au
25 dossier que la Chambre de première instance a cité, mais dont elle n'a pas
26 tenu compte s'agissant de l'état d'esprit.
27 Et pour toutes ces raisons, il est clair, en tout cas pour nous,
28 l'état d'esprit de la déduction qu'il avait partagé est faux parce qu'il
Page 102
1 n'y a aucune conclusion raisonnable que l'on puisse tirer à la lumière des
2 éléments de preuve.
3 Alors, la question de savoir, comme l'a demandé la Chambre d'appel,
4 s'il y a eu des conclusions. Eh bien, dans l'affaire contre Zupljanin, une
5 date a été citée à laquelle il aurait été animé de cet état d'esprit. Pour
6 Stanisic, il n'y a pas de date qui a été fixée. Si nous essayons de trouver
7 sur cette sur la base des éléments de preuve, nous n'en trouverons pas.
8 Donc, il est impossible d'en établir une, et cela est essentiel. Si vous ne
9 pouvez pas identifier la date à laquelle l'état d'esprit a commencé, eh
10 bien, vous ne pouvez pas avoir une incidence directe sur les condamnations,
11 en tout cas pour les chefs 1, 4 et 6.
12 Je vais passer la parole à présent à mon confrère qui va pouvoir
13 parler de la question numéro 2.
14 M. ZECEVIC : [interprétation] Merci, Messieurs les Juges. Je suis conscient
15 de l'heure qu'il est. Ce n'est pas tout à fait ce que nous avons convenu,
16 mais je vais faire de mon mieux pour y arriver.
17 Je vais parler maintenant de l'élément 2 de la première question, à
18 savoir indication des éléments de preuve et conclusions de la Chambre de
19 première instance qui réfute les conclusions adoptées pour ce qui est de la
20 contribution de Stanisic à l'entreprise criminelle commune. La Chambre de
21 première instance n'a pas conclu directement et expressément du fait que
22 Stanisic ait contribué de façon significative à l'entreprise criminelle
23 commune.
24 Je n'ai pas assez de temps, Messieurs les Juges, mais tous nos
25 arguments oraux, pour ce qui est du motif d'appel numéro 6 dans le mémoire
26 en appel, se trouvent dans les écrits. Je vais seulement me concentrer sur
27 un certain nombre des éléments. Il s'agit des erreurs de fait qui ont été
28 commises et nous avons abordé le sujet dans nos écritures.
Page 103
1 Je vais maintenant me limiter à quatre cas concrets d'erreurs
2 commises dans le jugement rendu. Une erreur se trouve au paragraphe 733, la
3 Chambre a erré en constatant qu'il savait à partir du 1er avril 1992,
4 Stanisic avait procédé à des nominations cruciales au sein du MUP de la RS
5 et qu'il avait le seul à avoir l'autorité de procéder à des nominations de
6 chefs de CSB et de SJB. Mico Stanisic n'avait pas été le seul à avoir cette
7 autorité ou ces compétences-là. Tout d'abord, ces personnes ont été postées
8 à ces fonctions par le ministre de la Bosnie-Herzégovine, à savoir M.
9 Delimustafic, et ils seraient restés à ces postes que M. Stanisic ait fait
10 quelque chose ou pas.
11 Ensuite, au paragraphe 695, la Chambre de première instance a considéré
12 qu'en vertu des règlements modifiés, en septembre 1992 par les soins de
13 Mico Stanisic, constituent les premiers éléments de preuve du point de vue
14 d'un raisonnement juridique qui font que Mico Stanisic avait été le seul à
15 avoir l'autorité de prononcer des mesures de discipline ou démettre de
16 leurs fonctions des chefs de poste. Et cela serait entré en application en
17 septembre 1992. Je fais référence au Témoin Kovac, à la page 27 238 du
18 compte rendu d'audience, paragraphes 14 à 695 du jugement rendu, et il
19 s'agit notamment de la pièce 1D54.
20 La deuxième erreur se trouve au paragraphe 739, où on a considéré que
21 Karadzic avait demandé à Mico Stanisic le 1er juillet de le faire; or, on
22 indique que le MUP de la RS n'était pas intervenu pour ce qui est des
23 nominations dans les rangs de l'armée pour ce qui est d'accomplissement de
24 missions au combat. Et la confirmation de l'erreur se trouve au justement
25 au paragraphe 591, où l'on voit que Karadzic aurait donné des ordres à Mico
26 Stanisic en sa qualité de commandant suprême. Par la suite, Stanisic a
27 demandé à ce que soient ramené à leurs postes des personnes. Il s'agit des
28 éléments de preuve 1D99, 1D100, et le témoignage du Témoin Borovcanin.
Page 104
1 Messieurs les Juges, je vais parler maintenant d'un autre aspect. Il est
2 question du problème d'identification d'agissements concrets. La Chambre de
3 première instance n'a pas identifié un seul acte concret qui serait
4 attribué à Stanisic où il serait démontrer qu'il avait contribué à la JCE,
5 entreprise criminelle commune. Et s'agissant maintenant des agissements
6 concrets, la Chambre s'est penchée sur le rôle qui avait été le sien, celui
7 du ministre de l'Intérieur. Mais quand on se penche sur les agissements
8 concrets, on voit qu'il est réfuté toute participation à l'entreprise
9 criminelle commune.
10 Je vais maintenant faire référence à l'argumentation présentée tout à
11 l'heure par mon collègue. En effet, la Chambre de première instance a omis
12 de démontrer que Stanisic avait eu l'intention de commettre ce qui fait
13 partie de la catégorie 1 de l'entreprise criminelle commune. Pour ce qui
14 est des autres rôles qui ont été effectués ou joués par Stanisic, il y a un
15 élément qui est en commun : dans tout cas de figure, il s'agit
16 d'agissements de sa part qui n'ont rien à voir avec l'entreprise criminelle
17 commune. En sus, la Chambre a considéré que Stanisic n'avait pas fait assez
18 pour ce qui est d'empêcher l'entreprise criminelle commune.
19 Et la Chambre a considéré que cela avait été une omission; or,
20 l'omission ne se trouve pas être liée à une responsabilité en soi. La
21 Chambre, si elle avait considéré de façon appropriée les omissions dans ce
22 contexte-ci, elle aurait pu, au plus, considérer qu'il s'agissait
23 d'omissions punissables en soi, mais cela n'avait pas été des crimes et
24 encore moins une contribution à l'entreprise criminelle commune.
25 Compte tenu des conclusions pour ce qui est de la contribution de
26 Stanisic à l'entreprise criminelle commune, en donnant toute une série
27 d'ordres pour empêcher la perpétration de crimes, et on lui a reproché de
28 ne pas en avoir fait assez, cela démontre que la Chambre de première
Page 105
1 instance n'a pas démontré quel a été le cumul d'agissements ou de non-
2 agissements pour ce qui est de l'entreprise criminelle commune.
3 Et ceci a été considéré comme étant une contribution, et c'est en
4 ceci est unique, et c'est là que la Chambre d'appel s'est penchée sur les
5 erreurs de fait et sur les erreurs autres commises par la Chambre de
6 première instance. On parle d'effet cumulé des ordres de Stanisic et pour
7 savoir quels sont les critères de contribution, et ces critères n'existent
8 pas.
9 Je vais maintenant me pencher sur ce que nous avons déjà présenté
10 comme argument. Il n'est point de doute que cette contribution doit être
11 prise en considération avec le mens rea. Par conséquent, la première des
12 démarches à faire, c'est de savoir quel est l'état d'esprit qui a été mis
13 en place et de quelle façon cet état d'esprit a contribué à l'entreprise
14 criminelle commune, donc avant qu'il y ait eu formation d'un état d'esprit,
15 il eut fallu avoir des critères pour ce qui est de l'entreprise criminelle
16 commune.
17 Or, la Chambre a omis d'identifier le moment où Mico Stanisic aurait
18 formé son mens rea, et la Chambre d'appel ne saurait identifier le moment
19 où il a commencé à contribuer à l'entreprise criminelle commune. Par
20 conséquent, il convient d'annuler les condamnations pour ce qui est des
21 chefs 1, 4 et 6.
22 Messieurs les Juges, il me reste quelques minutes et, étant donné que
23 nous avons des difficultés techniques, je pense que vous allez vous en
24 souvenir.
25 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Mais la cassette prendra fin dans
26 quatre minutes, de toute façon.
27 M. ZECEVIC : [interprétation] Merci.
28 Nous voudrions demander aux Juges de la Chambre d'appel de prendre en
Page 106
1 considération nos arguments pour ce qui est des apparences de partialité
2 pour ce qui est d'être favorable à la condamnation des leaders quant aux
3 crimes commis dans le cadre de l'entreprise criminelle commune, même quand
4 il n'y a pas de mens rea.
5 Et lorsque la Chambre d'appel aura conclu de la présomption d'impartialité
6 ou de partialité liée au Juge Harhoff, il est indispensable, de notre avis,
7 de constater qu'il y a eu partialité, il ne serait point nécessaire d'aller
8 au-delà. Or, si la Chambre de première instance estime que le Juge Harhoff
9 n'a pas fait preuve de partialité, il va falloir prendre en considération
10 les autres motifs d'appel.
11 Comme vous avez pu le voir dans nos arguments d'aujourd'hui, nous
12 nous sommes concentrés sur ce que nous avons considéré comme étant des
13 erreurs commises par la Chambre de première instance lorsqu'elle a conclu
14 du fait que Mico Stanisic avait partagé le mens rea nécessaire à
15 l'entreprise criminelle commune et nous avons également pris en
16 considération les erreurs alléguées commises par la Chambre de première
17 instance pour ce qui est de la contribution de Mico Stanisic à l'entreprise
18 criminelle commune.
19 Nous n'avons pas eu le temps de nous pencher sur les autres fondements de
20 notre appel, mais nous maintenons les arguments présentés par écrit, et
21 nous demanderions aux Juges de la Chambre d'appel de se pencher sur les
22 éléments présentés dans notre mémoire en appel.
23 En particulier, je voudrais attirer l'attention des Juges de la
24 Chambre d'appel sur les motifs qui ont été pris en considération pour ce
25 qui est du prononcé de la peine. D'abord, il y a des erreurs techniques
26 auxquelles on peut remédier et qui peuvent nous mener à une diminution de
27 la peine prononcée; deuxièmement, la peine prononcée n'est pas
28 raisonnablement évaluée parce que nous considérons que tous ces éléments
Page 107
1 n'ont pas été pris en considération.
2 La conclusion qui devrait s'imposer, au cas où la Chambre d'appel
3 confirmerait les conclusions des Juges de la Chambre de première instance
4 en disant que Mico Stanisic a fait partie de l'entreprise criminelle
5 commune, nous serions d'avis qu'il ne pourrait être ignoré la prise en
6 considération de tous les éléments de preuve au dossier et estimé que nous
7 sommes loin d'avoir autant d'éléments de culpabilité pour ce qui est d'une
8 peine de 22 ans, qui devrait être dramatiquement réduite.
9 Messieurs les Juges, ceci met un terme aux motifs d'appel pour ce qui est
10 de Mico Stanisic et, à moins qu'il n'y ait des questions à poser, nous
11 céderions le micro à l'Accusation. Merci, Monsieur le Juge.
12 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Merci, Maître Zecevic.
13 M. ZECEVIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
14 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Bon, il n'y a pas de questions de la
15 part des Juges de la Chambre d'appel. Nous allons faire une pause, et nous
16 allons reprendre à 11 heures. Merci.
17 --- L'audience est suspendue à 10 heures 43.
18 --- L'audience est reprise à 11 heures 05.
19 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] L'Accusation, vous disposez de 60
20 minutes.
21 M. SCHNEIDER : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs
22 les Juges. Je m'appelle Todd Schneider, et je représente l'Accusation.
23 Messieurs les Juges, aujourd'hui, je vais traiter de questions spécifiques
24 relatives à Mico Stanisic en répondant aux arguments de la Défense qui
25 viennent d'être évoqués. Ma confrère, Mme Baig, va ensuite poser des
26 questions au sujet de la réponse par e-mail du Juge Harhoff. Quant au reste
27 des arguments de la Défense aujourd'hui et à leur pourvoi en appel, nous
28 nous appuierons sur notre mémoire en réponse.
Page 108
1 Messieurs les Juges, en tant que ministère de l'Intérieur, Mico Stanisic a
2 déployé sa police dans le but d'enfreindre la loi plutôt que de la faire
3 respecter, en visant les non-Serbes plutôt qu'en les protégeant, et dans la
4 poursuite de l'entreprise criminelle commune, afin d'expulser de façon
5 permanente les non-Serbes de la Republika Srpska et de mettre en place un
6 Etat serbe aussi pure que possible sur le plan ethnique. Il n'était pas
7 simplement en train de remplir ses fonctions de ministre, comme la Défense
8 l'a invoqué aujourd'hui, dans le but de réaliser un objectif politique
9 légitime. Stanisic a joué un rôle central dans la campagne de nettoyage
10 ethnique en même temps que les autres membres de l'entreprise criminelle
11 commune à laquelle il appartenait, Radovan Karadzic, Stojan Zupljanin, et
12 d'autres. La Chambre de première instance a conclu à juste titre qu'il
13 était membre de cette entreprise criminelle commune.
14 Je concentrerai mon propos aujourd'hui sur vos questions. Je m'écarterai
15 légèrement de l'ordre prévu et me concentrerai d'abord sur la deuxième
16 partie de la question 1 concernant la conclusion de la Chambre de première
17 instance au sujet de l'intention et de la contribution de Stanisic dans le
18 cadre de l'entreprise criminelle commune. Je consacrerai le plus gros de
19 mon temps à répondre à cela. Ensuite, je répondrai à vos questions numéros
20 2 et 3 au sujet des questions de calendrier, et je traiterai finalement de
21 la première partie de la question A concernant la resubordination.
22 Commençons donc par la deuxième partie de la première question, identifier
23 les éléments de preuve et les conclusions à l'appui des conclusions de la
24 Chambre de première instance dans le Volume 2, paragraphes 729 à 769,
25 concernant la contribution de Stanisic et l'intention partagée qui était la
26 sienne de faire progresser les objectifs de l'entreprise criminelle
27 commune. Les conclusions de la Chambre de première instance reposaient sur
28 toute une série d'éléments de preuve et sur des conclusions et des éléments
Page 109
1 de preuve détaillant le rôle important joué par Stanisic au sein de
2 l'entreprise criminelle commune. Ces éléments montraient, d'abord, la
3 contribution importante et très vaste de Stanisic, qui a utilisé en
4 particulier sa police pour expulser des non-Serbes; et deuxièmement, le
5 fait qu'il partageait l'intention de l'entreprise criminelle commune.
6 Donc, je parlerai d'abord des conclusions de la Chambre de première
7 instance concernant sa contribution importante. Comme l'a conclu la Chambre
8 de première instance, Stanisic a contribué à l'entreprise criminelle
9 commune en utilisant les forces de police sous son commandement pour
10 avancer vers l'objectif criminel commun.
11 Je couvrirai aujourd'hui quatre exemples de ses contributions sur
12 lesquels s'est appuyée la Chambre de première instance. D'abord, il a joué
13 un rôle central dans la création des institutions bosno-serbes et des
14 politiques bosno-serbes. Ensuite, il a utilisé sa police dans les prises de
15 contrôle et les campagnes de violence qui s'en sont suivies. Ceci incluait
16 en troisième point le fait de veiller à ce que ces groupes jouent un rôle
17 important dans les détentions illégales de masse. Et quatrièmement, il a
18 veillé à ce que sa police ferme les yeux sur les crimes commis contre des
19 non-Serbes. Contrairement aux arguments de la Défense présentés
20 aujourd'hui, sa contribution n'a pas reposé uniquement sur le rôle qui
21 était le sien en tant que ministre.
22 Commençons par sa première contribution, Stanisic a joué un rôle central
23 dans la création des institutions bosno-serbes et de ses politiques. La
24 Chambre de première instance s'est raisonnablement appuyée sur ce fait
25 comme constituant une de ses contributions importantes parce que, par ses
26 actions, des politiques de haut niveau ont été mises en place et la police
27 a été créée pour appliquer l'entreprise criminelle commune; Volume 2,
28 paragraphes 734 et 769. Stanisic était un membre crucial des autorités
Page 110
1 douées de pouvoirs de décision au sein des Serbes de Bosnie; Volume 2,
2 paragraphe 732. Les dirigeants bosno-serbes se sont tournés vers lui à
3 plusieurs reprises lorsqu'ils étaient en train de mettre en place les plus
4 importantes institutions des Serbes de Bosnie. Il a été un membre fondateur
5 du SDS. Il était membre du Conseil des ministres de la Republika Srpska
6 depuis le début, même chose pour le Conseil de sécurité nationale, et ce
7 qui est encore plus important dans la présente affaire, il était ministère
8 de l'Intérieur et chef des forces de police; Volume 2, paragraphes 144, 542
9 et 549.
10 Dans chaque poste qu'il a occupé, aux côtés d'autres membres de
11 l'entreprise criminelle commune, aux fins de mettre en place des politiques
12 et des structures destinées à l'application de l'objectif criminel commun,
13 Stanisic a participé au premier Conseil des ministres le 11 janvier 1992,
14 au moment où le conseil a établi en tant que priorité la "définition du
15 territoire ethnique." Volume 2, paragraphe 551. Comme l'a conclu la Chambre
16 de première instance, la définition d'un territoire ethnique implique de
17 "prendre de force le contrôle sur des territoires." Volume 2, paragraphe
18 310.
19 Et puis, le 11 février 1992, Stanisic a participé à une réunion collégiale
20 des Serbes, dont l'objectif consistait à créer la police de la Republika
21 Srpska; Volume 2, paragraphe 732. Assistant avec Zupljanin et d'autres
22 dirigeants importants à cette réunion, le but était de mettre en œuvre
23 l'entreprise criminelle commune. A cette réunion, Stanisic a expliqué à
24 chacun la position du Conseil des ministres de la Republika Srpska sur les
25 territoires de Bosnie qui "sont sous contrôle serbe, et ce contrôle doit
26 être ressenti." Volume 2, paragraphe 555. Et, en fait, la police de
27 Stanisic a joué un rôle-clé dans l'établissement du contrôle serbe et le
28 fait que celui-ci soit ressenti, mais afin d'agir de la sorte, il avait
Page 111
1 besoin des bonnes personnes pour faire le travail. Il a nommé à des postes-
2 clés un certain nombre de personnes dont la Chambre a conclu qu'ils étaient
3 membres de l'entreprise criminelle commune, y compris Zupljanin, à partir
4 du 1er avril 1992; Volume 2, paragraphes 579 et 744.
5 "Les voleurs et les criminels", comme Stanisic les décrivait, ont été
6 acceptés au sein des forces de police de réserve dès les premiers jours de
7 la création de cette réserve; Volume 2, paragraphe 600. Et il a purgé les
8 forces de police des Musulmans et des Croates; Volume 2, paragraphes 576 à
9 577 et paragraphe 738. Avec les bonnes personnes en place, Stanisic était
10 prêt --
11 L'INTERPRÈTE : Interruption pour problème technique. Les interprètes d'une
12 autre cabine disent qu'ils n'entendent pas l'orateur.
13 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Très bien. Je vous remercie.
14 Eh bien, procédons à présent, puisque le problème semble réglé, et je
15 demande à M. Zupljanin de nous faire connaître le problème s'il se
16 reproduit.
17 Même chose pour M. Stanisic.
18 M. SCHNEIDER : [interprétation] Avec les bonnes personnes en place,
19 Stanisic était prêt à utiliser sa police pour mettre en place l'entreprise
20 criminelle commune, et c'est exactement ce qu'il a fait, ce qui m'amène à
21 sa contribution suivante.
22 Stanisic a utilisé sa police dans les prises de contrôle de territoires et
23 il s'en est suivi des campagnes de persécution et de violence contre les
24 non-Serbes. La Chambre de première instance s'est raisonnablement appuyée
25 sur ce fait en tant que partie de sa contribution significative parce que
26 les prises de contrôle et ces conséquences violentes ont eu pour résultat
27 un exode de masse des non-Serbes; Volume 2, paragraphe 737.
28 Stanisic et sa police ont été impliqués depuis le début, ils ont même joué
Page 112
1 dès le début un rôle critique pour le succès des prises de contrôle de
2 territoires. La police a eu le rôle central dans les instructions,
3 variantes A et B, l'objectif principal de ces instructions était de
4 préparer les Serbes de Bosnie de la région à la prise de pouvoir au sein
5 des municipalités. La police, avant la création de la VRS, était également
6 la seule force armée directement et exclusivement contrôlée par les
7 dirigeants de la Republika Srpska, et 14 des municipalités prises en compte
8 en l'espèce ont été reprises avant la création de la VRS. C'est la raison
9 pour laquelle j'ai fait remarquer ce point aux paragraphes 57, 310, 731 et
10 741 du Volume 2.
11 Comme l'a écrit Stanisic dans une lettre du 18 avril 1992, juste trois
12 semaines après le début des prises de contrôle, la police contrôlait déjà
13 près de 70 % du territoire de la Bosnie-Herzégovine; pièce à conviction
14 P54, page 2. Et elle le faisait à la demande de Stanisic, le plus haut
15 commandant des forces de police de la Republika Srpska.
16 Stanisic a continuellement utilisé ses pouvoirs en tant que chef de la
17 police pour mettre les ressources de la police au service d'une opération
18 armée conjointe avec la VRS pendant les prises de contrôle et leurs
19 conséquences. Par exemple, le 15 mai 1992, il a émis un ordre spécifique.
20 Cet ordre stipulait que la police serait organisée en unités de temps de
21 guerre et indiquait que la police participerait à une action coordonnée
22 avec les forces armées. Cet ordre reflétait son commandement et son
23 contrôle car il précisait que Stanisic ou un haut responsable avait
24 autorité sur la participation de la police au combat pour l'autoriser et
25 exigeait que le ministre soit informé des dépliements; Volume 2,
26 paragraphes 758 et 739. Stanisic a agi en conséquence de cet ordre pendant
27 le reste de 1992 en approuvant constamment les déploiements proposés de la
28 police; Volume 2, paragraphes 594, 743, et des exemples de cela se trouvent
Page 113
1 dans notre mémoire en réponse au paragraphe 128.
2 Stanisic n'a pas admis une quelconque limite à l'utilisation de sa police
3 dans les premières prises de contrôle. Même après que les forces serbes ont
4 pris un certain nombre de municipalités, sa police a continué à faire
5 partie de la campagne de violence destinée à expulser les non-Serbes, à les
6 contraindre au départ. Je vais vous en donner un exemple. Le peloton
7 spécial de la police de Dusko Malovic était personnellement commandé par
8 Stanisic. En décembre 1992, cette unité a tué 21 Musulmans à Bijeljina dans
9 le cadre d'un plan destiné à semer la terreur parmi la population
10 musulmane. Néanmoins, comme la Chambre de première instance l'a conclu, des
11 responsables de haut vol de la police ont essayé de couvrir ces crimes;
12 Volume 2, paragraphes 601 à 603, et Volume 1, paragraphes 894 à 895.
13 Donc, je vais maintenant parler de sa deuxième contribution : Stanisic a
14 utilisé sa police pour arrêter, mettre en détention, et finalement expulser
15 les non-Serbes. Pour être clair, ceci est une sous-partie importante de sa
16 contribution précédente, utiliser sa police dans les prises de contrôle et
17 les violences qui s'en sont suivies, mais il est plus aisé de discuter des
18 deux points séparément.
19 La Chambre de première instance a eu raison de s'appuyer sur le fait que
20 Stanisic ait utilisé sa police dans les mises en détention illégales parce
21 que ces détentions font partie des moyens de violation des lois qui ont
22 provoqué l'exode de masse des non-Serbes; Volume 2, paragraphes 737 et 761.
23 La police de Stanisic a pris sa part à des arrestations massives, à des
24 détentions, et à des abus massifs de toutes sortes. Les ressources
25 importantes de la police ont été consacrées à ces arrestations, détentions,
26 et interrogatoires de milliers de non-Serbes. Des détenus ont été maintenus
27 en détention dans au moins de 50 centres de détention sur toute la
28 Republika Srpska. Dans certains cas, la police a placé en détention des
Page 114
1 personnes dans les locaux de ses SJB ou dans des installations annexes des
2 postes de police. Dans d'autres cas, la police a créé, géré et gardé avec
3 les militaires de tels centres de détention; Volume 2, paragraphes 745, 760
4 et 761, et nous vous renvoyons également à notre mémoire d'appel,
5 paragraphe 10.
6 Stanisic a directement contribué à ce système criminel de détention. Il
7 aurait pu fermer des centres de détention à certains moments; Volume 2,
8 paragraphe 761. Mais il a choisi de ne pas le faire. Au lieu de cela, il a
9 attendu jusqu'à ce que la communauté internationale fasse connaître sa
10 révolte et que celle-ci devienne si grande qu'il soit contraint de faire
11 quelque chose et, à ce moment-là, il a émis des ordres qui n'ont jamais été
12 suivis.
13 Les conséquences pour les non-Serbes ont été horrifiantes. La police, aux
14 côtés d'autres forces, a placé en détention illégalement et violemment
15 maltraité des milliers de non-Serbes. Elle les a maintenus dans des
16 conditions inhumaines, notamment dans des endroits qui n'avaient jamais été
17 destinés à une détention de prisonniers. Les détenus ont été frappés de
18 façon horrifiante, même au point d'en mourir, ou ont été simplement
19 exécutés, et des prisonniers ont été violés et ont subi des violences
20 sexuelles. Voir les conclusions rassemblées dans notre mémoire en appel,
21 paragraphes 10 à 24.
22 Je parlerai maintenant de la dernière forme de contribution qui est la
23 sienne : la police discriminatoire de Stanisic qui a créé un climat
24 d'impunité au sein de la police et un climat d'insécurité au sein de la
25 population non-serbe.
26 La Chambre de première instance a eu raison de s'appuyer sur cette partie
27 de sa contribution importante parce que ce climat d'impunité et
28 d'insécurité n'a laissé aucun choix aux non-Serbes autre que la fuite;
Page 115
1 Volume 2, paragraphes 745, 757 et 758.
2 Qu'est-ce que je veux dire lorsque je parle de "police discriminatoire" ?
3 Eh bien, je parle de la façon dont Stanisic a établi les priorités des
4 enquêtes liés à des crimes contre des Serbes pendant qu'ils fermaient les
5 yeux sur des crimes commis contre les non-Serbes, qu'ils aient été commis
6 par des membres de sa propre police ou par d'autres auteurs.
7 Je rappelle les conclusions très vastes sur ce plan de la Chambre de
8 première instance. Dans toute la Republika Srpska, la police et les
9 procureurs ont opéré d'une façon discriminatoire en ne rapportant pas ou en
10 minimisant la gravité des crimes commis par des auteurs serbes contre les
11 non-Serbes; Volume 2, paragraphes 104 et 745. Ceci se constate également
12 dans les registres criminels de la police de la Republika Srpska à partir
13 de 1992, ainsi que dans les registres concernant les civils et les
14 militaires dans la même époque, qui contiennent tous des enregistrements de
15 ce genre de crimes; Volume 2, paragraphes 34 et 35, paragraphes 96 à 98, et
16 paragraphe 101.
17 Stanisic a joué un rôle important, un rôle de direction dans cette
18 action discriminatoire de la police qui a créé l'insécurité parmi la
19 population non-serbe. Il a émis à de nombreuses reprises des ordres
20 destinés à ce que des enquêtes soient menées sur des crimes contre les
21 Serbes uniquement; Volume 2, paragraphes 723, 727, et 758. Et nous venons
22 de mettre en exergue un exemple, celui du 16 mai 1992, un ordre émanant de
23 lui, qui constitue la pièce P173, discuté dans le Volume 2, paragraphe 723.
24 Dans cet ordre, Stanisic écrit :
25 "Les mesures et les activités conduites en vue de documenter les
26 crimes de guerre exigent que soient recueillies des informations et des
27 documents concernant les crimes de guerre commis contre les Serbes", je
28 répète, "contre les Serbes." Parce que c'est de cela que Stanisic
Page 116
1 s'occupait vraiment. En revanche, Stanisic n'a pas agi de façon décisive
2 lorsque les victimes étaient des non-Serbes; Volume 2, paragraphe 757.
3 Comme la Défense l'a fait remarquer aujourd'hui, il s'en est suivi la
4 création d'une unité paramilitaire notoire, les Guêpes jaunes; et
5 contrairement aux arguments de la Défense, il a suivi ce groupe parce que
6 les membres de ce groupe refusaient de se soumettre au commandement de
7 l'armée, et parce qu'ils ont attaqué un responsable de la Republika Srpska,
8 qui n'a pas été poursuivi pour crime de guerre.
9 On trouve des citations relatives aux conclusions dont je viens de discuter
10 dans le Volume 2, paragraphe 713 à 715 et paragraphe 756.
11 Stanisic a été chargé de recueillir des informations au sujet des Musulmans
12 et d'autres personnes qui quittaient la Republika Srpska; Volume 2,
13 paragraphes 627 et 650. En dépit de cela, il n'a pris aucune mesure
14 décisive par rapport aux expulsions de masse et a omis de prendre des
15 mesures décisives contre les crimes liées à mises en détention; Volume 2,
16 paragraphe 757.
17 Par ailleurs, Stanisic a promu la création d'un climat d'impunité au sein
18 de la police, en tout cas en ce qui concernait les crimes commis contre les
19 non-Serbes. Oui, il a imposé des mesures disciplinaires et démis de leurs
20 fonctions des membres de sa police, mais c'était pour des vols et pour des
21 fautes professionnelles dans le cadre de la protection d'autres personnes
22 que les Musulmans. Il n'a pas émis de sanctions disciplinaires pour des
23 personnes qui suivaient les objectifs de l'entreprise criminelle commune;
24 Volume 2, paragraphes 698 à 708, et 754.
25 A travers cette action discriminatoire, il a fait la promotion d'un crime
26 contre l'humanité, le crime d'impunité. Contrairement à ce qu'avance la
27 Défense, il ne s'est pas agi simplement d'omission de la part de Stanisic
28 en l'espèce.
Page 117
1 Pour résumer ce que je viens de dire, étant donné que Stanisic a créé les
2 institutions et mis en place les politiques des Serbes de Bosnie, étant
3 donné la façon dont il a utilisé sa police dans les prises de contrôle de
4 territoire et les violences qui s'en sont suivies, étant donné les mises en
5 détention illégales, et le fait que l'insécurité s'est répandue, il a été
6 le promoteur d'un crime contre l'humanité, crime d'impunité et
7 d'insécurité. La Chambre de première instance a donc eu raison de conclure
8 que Stanisic a largement contribué à l'entreprise criminelle commune.
9 J'aimerais maintenant, dans le cadre de votre question numéro 1, dans sa
10 deuxième partie, parler de l'intention partagée dans le cadre de
11 l'entreprise criminelle commune, et du fait qu'il la partageait. La Chambre
12 de première instance a conclu que Stanisic partageait l'intention de
13 l'entreprise criminelle commune : par la mise en place d'un certain nombre
14 de politiques; par sa relation étroite avec Karadzic, président du SDS; par
15 le fait que Stanisic a agi avec le criminel violent Arkan; par le fait de
16 ses contributions de longue durée à l'entreprise criminelle commune en
17 dépit de sa connaissance de la commission d'un crime. Contrairement aux
18 arguments de la Défense aujourd'hui, il n'a pas été conclu automatiquement
19 qu'il était membre de l'entreprise criminelle commune uniquement sur la
20 base du fait qu'il était ministre. Les conclusions de la Chambre de
21 première instance ne se sont pas appuyées uniquement sur ses connaissances
22 de la situation.
23 Je renvoie au premier point, première série de conclusions, qui
24 concernent l'engagement de longue durée de Stanisic par rapport aux
25 politiques du SDS. La Chambre de première instance a eu raison de s'appuyer
26 sur ces éléments pour contribuer à démontrer son intention partagée; Volume
27 2, paragraphes 767 et 769.
28 Comme la Chambre de première instance l'a conclu, la structure du SDS
Page 118
1 partageait et travaillait dans le sens de l'objectif consistant à établir
2 un Etat serbe aussi pur que possible sur le plan ethnique par le truchement
3 d'expulsions permanentes de non-Serbes; Volume 2, paragraphe 311. Les mots
4 de Stanisic montrent qu'il partageait cet objectif et l'intention de
5 l'entreprise criminelle commune. Comme il l'a admis lui-même dans un
6 discours prononcé en novembre 1992, il a constamment suivi les politiques
7 de la présidence du SDS et de ces représentants au sein de l'Etat. "Ceux
8 qui souhaitent me séparer de ceux qui ont commis une erreur." Volume 2,
9 paragraphe 570 et également paragraphe 734.
10 Au moment où Stanisic a prononcé son discours du mois de novembre, la
11 signification des politiques du SDS dans la pratique était évidente pour
12 tous ceux qui avaient déjà été touchés par ces politiques. Plus de 100 000
13 non-Serbes avaient été contraints au départ, des milliers avaient tués ou
14 subi des outrages. Contrairement aux affirmations de la Défense aujourd'hui
15 qui tentent de faire passer tout cela pour un objectif politique légitime.
16 Mon point suivant concerne les rapports étroits entretenus par
17 Stanisic avec Karadzic sur lesquels la Chambre de première instance s'est
18 raisonnablement appuyée pour contribuer à démontrer qu'il partageait
19 l'intention de l'entreprise criminelle commune; Volume 2, paragraphe 769.
20 Karadzic présidait le SDS et était le principal décideur au sein des
21 dirigeants des Serbes de Bosnie. Il est devenu président de la présidence;
22 Volume 2, paragraphes 132, 136 et 137.
23 Grâce à sa position de dirigeant, Karadzic était le personnage-clé dans la
24 mise en place des politiques de persécution dues aux dirigeants des Serbes
25 de Bosnie. Par exemple, il a menacé en public le peuple musulman d'une
26 extinction possible si la Bosnie-Herzégovine déclarait son indépendance. En
27 mars 1992, juste après le conflit, Karadzic a annoncé une guerre qui
28 entraînerait sous la contrainte et de façon sanglante le transfert de
Page 119
1 minorités et la création de régions ethniquement homogènes au sein de la
2 Bosnie-Herzégovine; Volume 2, paragraphes 161 et 179.
3 Stanisic était proche de Karadzic depuis le début de 1991. Ils étaient si
4 proches qu'il était surnommé l'homme de Radovan. Le dévouement de Stanisic
5 à Karadzic a servi à mettre en place les institutions de haut niveau de la
6 Republika Srpska, telle que le Conseil de sécurité nationale; Volume 2,
7 paragraphe 144. Et en qualité de ministère de l'Intérieur, Stanisic a
8 souvent contourné les canaux officiels pour communiquer directement avec
9 Karadzic et la présidence; Volume 2, paragraphes 565 à 570 et paragraphe
10 730.
11 Stanisic ne s'est jamais écarté de sa loyauté vis-à-vis de Karadzic et ses
12 politiques, y compris à la suite des crimes massifs et systématiques commis
13 sous la direction globale de Karadzic, le prouvent. Ceci est un indicateur
14 très clair que Stanisic partageait l'intention de l'entreprise criminelle
15 commune.
16 Mon troisième point est le suivant, l'action de Stanisic auprès d'Arkan sur
17 laquelle la Chambre de première instance s'est raisonnablement appuyée pour
18 démontrer qu'il partageait l'intention de l'entreprise criminelle commune;
19 Volume 2, paragraphe 768. Stanisic a approuvé Arkan et ses hommes dans les
20 actes violents notoires qu'ils commettaient et a aidé aux prises de
21 contrôle en échange de l'admission par Stanisic de l'action des hommes
22 d'Arkan et du fait qu'ils pouvaient s'emparer de tous les biens sur
23 lesquels ils voulaient faire main basse; Volume 2, paragraphe 710.
24 Pendant les prises de contrôle, les hommes d'Arkan ont commis des crimes
25 horrifiants. La Défense met en cause les éléments de preuve concernant ce
26 point dans notre mémoire en réponse aux paragraphes 51 à 53. Etant donné
27 que la Chambre a eu raison de conclure que Stanisic a conclu un tel accord
28 avec Arkan et ses hommes, elle a également conclu à juste titre que c'était
Page 120
1 un indicateur très fort du fait qu'il partageait l'intention criminelle.
2 Le dernier point dont je parlerai, c'est la façon dont Stanisic a sans
3 cesse contribué à l'entreprise criminelle commune pendant une période de
4 temps prolongée, malgré le fait qu'il connaissait l'étendue des crimes
5 commis contre les non-Serbes. La Chambre de première instance s'est appuyée
6 à juste titre sur ce point pour prouver qu'il partageait l'intention
7 criminelle; Volume 2, paragraphes 743, 768 et 769. J'ai déjà évoqué ses
8 contributions importantes et multiformes.
9 Je vais maintenant me concentrer sur ce qu'il savait des crimes
10 contre les non-Serbes grâce à plusieurs canaux d'information, y compris les
11 diverses sources existant au sein de la police et du gouvernement de la
12 Republika Srpska, ainsi qu'à partir des médias internationaux et des
13 organisations internationales; Volume 2, paragraphes 757 et 759.
14 Avant d'évoquer les rapports spécifiques sur lesquels s'est appuyée la
15 Chambre de première instance, j'aimerais évoquer les différents canaux
16 d'information utilisés par Stanisic. Comme la Chambre de première instance
17 l'a conclu, la structure de la police était telle qu'elle devait établir au
18 quotidien, hebdomadairement, et trimestriellement des rapports destinés à
19 informer Stanisic sur ce qui se passait au sein de la Republika Srpska;
20 Volume 2, paragraphe 690. Le service de sécurité de la police, le SNB,
21 maintenait le système d'information à jour et rendait compte de toutes les
22 évolutions au sein des municipalités; Volume 2, paragraphes 26 et 689.
23 Stanisic a assisté à des réunions communes du Conseil de sécurité nationale
24 et du gouvernement de la Republika Srpska qui se réunissaient au quotidien
25 pendant le mois d'avril et le début du mois de mai 1992. A ces réunions,
26 des décisions ont été prises concernant les activités militaires et de
27 sécurité et des rapports de combat ainsi que sur la situation politique
28 étaient présentés; Volume 2, paragraphes 144 et 573. Stanisic faisait
Page 121
1 également partie du gouvernement de la Republika Srpska et assistait à la
2 plupart de ses réunions; Volume 2, paragraphe 572.
3 Au vu des nombreux canaux d'information et de communication dont il
4 disposait, j'aimerais maintenant évoquer les conclusions de la Chambre de
5 première instance concernant les rapports spécifiques qu'elle a eu à
6 connaître au sujet des crimes liés à Stanisic. Par exemple, en avril 1992,
7 Stanisic a été informé du pillage de propriétés musulmanes par les
8 réservistes de la police; Volume 2, paragraphe 603. Au début du mois de
9 mai, il a eu connaissance d'un "comportement indécent" de la part des
10 réservistes de sa police; Volume 2, paragraphe 613. Au début du mois de
11 juin, au plus tard, il a été informé de mises en détention illégales de
12 non-Serbes; Volume 2, paragraphe 762. Cette conclusion s'appuie, entre
13 autres, sur le fait qu'en juin 1992, Stanisic a assisté à une réunion du
14 gouvernement de la RS où des questions ont été discutées qui concernaient
15 le traitement des détenus en rapport avec des plaintes qui évoquaient des
16 mauvais traitements de la population civile; Volume 2, paragraphes 623 et
17 763.
18 A cette époque, les arrestations massives de milliers de Musulmans et de
19 Croates avaient commencé et l'existence des camps était internationalement
20 connue; Volume 2, paragraphe 763. Ensuite, le 11 juillet 1992, Zupljanin
21 rend compte à Stanisic du fait que l'armée et les cellules de Crise avaient
22 demandé que le plus grand nombre possible de Musulmans soient regroupés, et
23 Zupljanin dit également que les Musulmans sont placés en détention par la
24 police dans des camps, dans de très mauvaises conditions, qui ne respectent
25 pas les normes internationales; Volume 2, paragraphes 631 et 633.
26 Deux semaines après les rapports de Zupljanin à Stanisic selon lesquels la
27 police tenait dans un certain nombre de camps plusieurs milliers de
28 Musulmans et de Croates, y compris des mineurs, des personnes âgées et des
Page 122
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14 Page intercalée pour assurer l’équivalence de pagination des
15 versions anglaise et française
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28
Page 123
1 handicapés, Zupljanin propose que les détenus illégalement détenus et non-
2 Serbes soient utilisés en tant qu'otages; Volume 2, paragraphes 633 et 638,
3 entre autres.
4 Comme la Chambre de première instance l'a conclu, les crimes violents
5 commis contre les non-Serbes, y compris les détentions illégales et les
6 mauvais traitements illégaux, ont abouti à un déplacement sous la
7 contrainte de non-Serbes; Volume 2, paragraphe 737. En fait, le déplacement
8 des non-Serbes a été si important, si massif, que le 4 juillet 1992, lors
9 d'une réunion du gouvernement de la RS à laquelle assistait Stanisic, la
10 question a été évoquée de savoir si "des critères faisant l'objet d'un
11 accord concernant le déplacement de la population musulmane" avaient été
12 mis en place par la RS. Le ministère de l'Intérieur Stanisic a été chargé
13 de recueillir des informations sur ce point; Volume 2, paragraphe 627 et
14 pièce à conviction P236, pages 4 et 5.
15 Une semaine après cela, Stanisic a appris la réinstallation d'un certain
16 nombre de "villages de citoyens" et des tentatives visant à charger de
17 cette mission la police. Peu après, il a reçu un rapport provenant de
18 Visegrad indiquant que plus de 2 000 Musulmans avaient été déplacés de
19 manière organisée pendant que la police avait agi de façon manquant de
20 professionnalisme; Volume 2, paragraphes 627, 632 et 634.
21 Bien que Stanisic ait eu connaissance des crimes qui n'ont cessé de se
22 multiplier dans le temps, il a choisi de continuer à contribuer à
23 l'entreprise criminelle commune. Contrairement aux arguments proposés par
24 la Défense aujourd'hui, ce sont bien les actions de Stanisic après qu'il
25 ait eu connaissance de ces crimes qui confirment qu'il partageait
26 l'intention criminelle.
27 Donc, pour toutes ces raisons que je viens d'évoquer, la Chambre de
28 première instance a eu raison de conclure que Stanisic partageait
Page 124
1 l'intention de l'entreprise criminelle commune et d'émettre les diverses
2 conclusions en appuyant les divers éléments de preuve dont elle s'est
3 servie pour aboutir à ses conclusions selon lesquelles Stanisic était bien
4 membre de l'entreprise criminelle commune. Ceci met un point final à la
5 réponse de notre part à la deuxième partie de la question 1.
6 Avant d'évoquer vos autres questions, j'aimerais revenir sur un argument
7 évoqué par la Défense concernant à la fois le partage de l'intention et la
8 contribution de Stanisic.
9 La Défense a dit ici aujourd'hui que Stanisic avait essayé d'arrêter les
10 crimes commis contre les non-Serbes par le truchement de ses ordres. La
11 Défense a cité une série d'ordres émis par lui. La Chambre de première
12 instance, contrairement aux arguments de la Défense, a considéré ces ordres
13 et elle l'a fait à juste titre comme n'ayant rien qui justifie d'aller
14 contre les conclusions qu'elle a rendues au sujet du partage de l'intention
15 et de la contribution importante de Stanisic, et elle a indiqué qu'elle ne
16 voyait pas pourquoi vous auriez besoin d'avoir ces ordres sous les yeux.
17 Nombreux sont ces ordres cités aujourd'hui, ainsi que dans le mémoire
18 en appel de la Défense, qui concernent d'autres catégories de crimes, les
19 vols, des fautes professionnelles de la police, qui ne sont pas de crimes
20 graves contre des non-Serbes. D'autres ordres montrent que Stanisic a
21 transféré les criminels depuis les locaux tenus par les réservistes de la
22 police jusqu'à des locaux de l'armée, mais comme la Chambre de première
23 instance l'a conclu à juste titre, ce n'était pas une réponse appropriée
24 parce que cela signifiait que des criminels notoires continueraient à agir
25 en rapport avec les civils; Volume 2, paragraphe 751.
26 Quant aux ordres concernant les crimes commis en détention contre des
27 détenus, dont la Défense a parlé aujourd'hui, la pression internationale
28 était telle que certains ordres ont été émis par Stanisic, mais la teneur
Page 125
1 de ces ordres, les mots indiqués dans ces ordres n'ont jamais été suivi des
2 faits dans les actions. Donc, Stanisic avait connaissance des crimes commis
3 contre des détenus qui se sont poursuivis malgré ces ordres; Volume 2,
4 paragraphes 752 à 753.
5 Qu'est-ce que j'entends par "actions importantes" ? Eh bien,
6 examinons les mesures qu'il a prises lorsque les Serbes étaient victimes,
7 par exemple, s'agissant du groupe paramilitaire les Guêpes jaunes qu'il a
8 poursuivi pour vols et harcèlement des Serbes, la police a lancé une
9 opération d'importance en vue de les arrêter après que Stanisic leur avait
10 donné instruction d'agir dans ce sens; Volume 2, paragraphes 714 et 756.
11 Un autre exemple des fortes actions de Stanisic, c'est lorsque des
12 Golf, des voitures de modèle Golf, Volkswagen, ont été volées dans une
13 usine, Stanisic a organisé une unité destinée à assurer la sécurité des
14 voitures qui étaient encore dans l'enceinte de cette usine; Volume 2,
15 paragraphe 708. Aucune mesure de ce genre n'a été prise lorsque des actions
16 ont été menées contre des non-Serbes, y compris des détentions illégales et
17 abusives.
18 Donc, je vais maintenant m'occuper des questions 2 et 3 dans
19 lesquelles les Juges de la Chambre d'appel ont posé la question de savoir à
20 quel moment la Chambre de première instance a conclu que Stanisic avait eu
21 connaissance des crimes, à quel moment elle a conclu qu'il partageait
22 l'intention de l'entreprise criminelle commune numéro 1, et à quel moment
23 il a commencé à contribuer à l'entreprise criminelle commune de façon
24 globale. Je vais traiter de ces questions dans l'ordre inverse, en
25 commençant par ses contributions, puis son intention, et en évoquant enfin
26 sa connaissance des crimes.
27 Commençons par sa contribution. Lorsqu'on parle des contributions de
28 Stanisic à l'entreprise criminelle commune, la première contribution à
Page 126
1 laquelle la Chambre de première instance a conclu a été sa participation le
2 11 février 1992 à une réunion avec Zupljanin et d'autres où des préparatifs
3 ont été mis en place pour créer la force de police de la RS; Volume 2,
4 paragraphes 732 et 544 à 555.
5 Ensuite, l'intention. A quel moment la Chambre a-t-elle conclu que
6 Stanisic partageait l'intention criminelle de l'entreprise criminelle
7 commune, eh bien, les conclusions de la Chambre montrent que Stanisic a
8 partagé cette intention à partir de la création même de l'entreprise
9 criminelle commune. Comme la Chambre de première instance l'a conclu,
10 l'entreprise criminelle commune existait à partir du 24 octobre 1991, au
11 plus tard; Volume 2, paragraphe 313. Et lorsqu'il a été nécessaire
12 d'établir l'élément moral lié à Stanisic, la Chambre a conclu qu'il
13 partageait l'intention criminelle de l'entreprise criminelle commune avec
14 d'autres de ces membres; Volume 2, paragraphe 769.
15 Les éléments dont je viens de parler démontrent que Stanisic avait
16 depuis longtemps l'intention qui était la sienne, depuis la création de
17 l'entreprise criminelle commune. En particulier lorsqu'on apprécie
18 l'intention de Stanisic, la Chambre s'est appuyée sur l'engagement de
19 celui-ci par rapport à la politique du SDS et sur ses rapports étroits avec
20 les principaux créateurs de la politique du SDS, Karadzic en particulier;
21 Volume 2, paragraphes 565, 570, 767 et 769.
22 Longtemps avant le début du conflit, il était clair que ces
23 politiques impliquaient le déplacement sous la contrainte de non-Serbes;
24 Volume 2, paragraphes 311, 313 et 767. En tout cas, et pour le moins, la
25 Chambre a conclu de façon très claire que Stanisic partageait l'intention
26 de l'entreprise criminelle commune au 1er avril 1992, moment où les crimes
27 commis dans le cadre de l'entreprise criminelle commune ont commencé, parce
28 que la Chambre a conclu à la responsabilité de Stanisic par rapport à des
Page 127
1 crimes commis en avril 1992 et à sa participation à l'entreprise criminelle
2 commune dans toute cette période. Je renvoie les Juges de la Chambre
3 d'appel aux conclusions de la Chambre de première instance; Volume 2,
4 paragraphes 801 à 885.
5 Et puis, dans le cadre de vos questions, j'évoquerais également le
6 moment où la Chambre a conclu que Stanisic avait eu connaissance des
7 crimes. J'ai déjà évoqué les conclusions de la Chambre au sujet de sa
8 connaissance des crimes et les nombres canaux d'informations qui étaient à
9 sa disposition.
10 Pour répondre précisément à votre question, Stanisic a été informé à
11 partir du mois d'avril 1992 du fait que des crimes étaient utilisés comme
12 moyens de violence destinés à contraindre les non-Serbes à partir, sous la
13 forme de pillages et de passages à tabac; Volume 2, paragraphes 603, 610 à
14 612.
15 Au début du mois de juin, au plus tard, il était au courant que des
16 détentions abusives de non-Serbes avaient lieu; Volume 2, paragraphe 762.
17 Il disposait de rapports spécifiques concernant le déplacement de
18 populations non-serbes depuis au moins le mois de juillet 1992; Volume 2,
19 paragraphes 627, 632 et 634. Ces rapports envoyés à Stanisic ne font que
20 confirmer qu'il avait l'intention de faire ce qu'il a fait à partir du
21 moment où il a rejoint l'entreprise criminelle commune. Et ceci complète ma
22 réponse aux questions 2 et 3.
23 Passons maintenant à la dernière question que je vais traiter,
24 première partie de la question 1, à savoir : est-ce que la Chambre de
25 première instance a conclu à la responsabilité de Stanisic pour n'avoir pas
26 enquêté sur les crimes de la façon qui convenait.
27 Lorsque nous parlons de l'analyse de la Chambre, nous aurons besoin
28 de distinguer entre son analyse des omissions de Stanisic par rapport à la
Page 128
1 nécessité dans laquelle il était de satisfaire à deux devoirs principaux :
2 d'abord, c'était son devoir en tant que supérieur d'empêcher ou de prévenir
3 les crimes commis par ses subordonnés; deuxièmement, il avait le devoir en
4 tant que responsable de la police de protéger la population civile; Volume
5 2, paragraphe 754.
6 Par rapport à son premier devoir, et pour répondre à votre question,
7 je dirais non. Lorsque la Chambre a examiné les omissions de Stanisic par
8 rapport à son devoir de prévention et de punition des crimes de ses
9 subordonnés, la Chambre a conclu à juste titre son analyse de ces
10 subordonnés en indiquant qu'ils étaient sous son autorité directe. Au
11 nombre de ses subordonnées se trouvaient par exemple les chefs des CSB et
12 des SJB qui lui étaient directement subordonnés, tels que Simo Drljaca à
13 Prijedor, qui a créé le camp d'Omarska; Volume 2, paragraphe 754 à 755. Le
14 fait que Stanisic n'a pas mené enquête sur des crimes commis par ses
15 subordonnés de la police auprès de l'armée n'a pas été examiné.
16 Je vais maintenant me pencher sur l'autre devoir de Stanisic, son
17 devoir de responsable de la police de protéger la population civile. Par
18 rapport à ce devoir, la réponse à votre question est que c'était un élément
19 non pertinent dans l'analyse de la Chambre de première instance. Parce que
20 le devoir de Stanisic de protéger les civils étaient d'une ampleur plus
21 importante que son devoir de prévenir ou d'empêcher les crimes de ses
22 subordonnés, parce que contrairement à son supérieur, Stanisic a pris des
23 mesures pour enquêter au sujet de tous les crimes commis contre la
24 population civile indépendamment de l'identité des auteurs. C'est en tout
25 cas ce qu'il aurait dû faire. Et le fait de savoir si les subordonnés de
26 Stanisic avaient été resubordonnés ou pas auprès de l'armée n'a pas
27 pertinence, c'est la conclusion de la Chambre de première instance,
28 conclusion correcte, selon laquelle Stanisic n'a pas protégé la population
Page 129
1 civile; paragraphes 751 et 754 du Volume 2.
2 Ceci complète ma réponse à la première partie de la question 1 des Juges,
3 et je vais maintenant donner la parole à ma consœur Mme Baig.
4 M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Avant que vous n'agissiez ainsi, j'ai
5 une question à vous poser, Monsieur Schneider. Je n'ai rien entendu au
6 sujet de votre position eu égard à l'appartenance alléguée de M. Stanisic
7 en tant que ministre du MUP à l'assemblée des Serbes de Bosnie, mais je
8 vois dans vos arguments écrits que vous avez à ce sujet la même position
9 que la Défense, paragraphe 125 du mémoire en appel de la Défense. Est-ce
10 que vous avez la moindre idée du contexte juridique de cette affirmation
11 qu'un ministre n'aurait pas dû pouvoir en même temps être ministre et
12 membre de l'assemblée ?
13 Même question pendant la réponse de la Défense. C'est ce que je demandais.
14 Est-ce que vous avez une réponse, Monsieur Schneider ?
15 M. SCHNEIDER : [interprétation] Un instant.
16 [Le conseil de l'Accusation se concerte]
17 M. SCHNEIDER : [interprétation] Merci de votre question. Nous confirmons,
18 encore une fois, ce point dans notre mémoire en réponse, il n'était pas
19 membre de l'assemblée des Serbes de Bosnie. Quant à la question concernant
20 le contexte juridique, nous n'avons pour l'instant pas d'argument
21 particulier sur ce point.
22 M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Je vous remercie.
23 Mme BAIG : [interprétation] Monsieur le Président, Messieurs les Juges, si
24 vous m'y autorisez, je vais maintenant évoquer la question liée au Juge
25 Harhoff et à son courriel.
26 Un observateur raisonnable et correctement informé qui aurait connaissance
27 de toutes les circonstances pertinentes considérerait le procès Stanisic-
28 Zupljanin comme s'étant conclu de façon équitable grâce aux conclusions de
Page 130
1 Juges impartiaux, s'agissant notamment du respect des droits des accusés.
2 Ceci, parce qu'en l'espèce, les circonstances de ce procès ne donnent lieu
3 à aucune appréhension de partialité de la part du Juge Harhoff, ni dans son
4 courriel, ni dans le fait qu'il a expressément exprimé un désaccord
5 juridique avec l'évolution de la jurisprudence, ni ensuite au sujet de sa
6 position par rapport à la décision majoritaire dans la Chambre de première
7 instance spéciale Seselj, rien ne peut nuire à cette présomption
8 d'impartialité.
9 Je vais d'abord traiter du courriel du Juge Harhoff dans lequel il se dit
10 en désaccord sur des points de droit, je parlerai du contexte dans lequel
11 il convient d'apprécier ce courriel; et puis, j'expliquerai comment et pour
12 quelles raisons l'approche prise dans l'affaire Seselj a été erronée,
13 incapable de convaincre, et ne doit pas être suivie. Et enfin, je
14 m'occuperai de répondre aux questions des Juges de la Chambre d'appel
15 concernant les remèdes possibles.
16 Le courriel n'évoque aucune apparence de partialité en l'espèce. Un
17 observateur raisonnable devrait considérer ce courriel au vu de son
18 caractère informel et le resituer dans son contexte, et l'examiner
19 également au vu du jugement rendu. Ce courriel était une forme de
20 communication informelle. Dans ce courriel, le Juge Harhoff utilise un
21 langage tout à fait familier et qui n'a rien de juridique, contrairement à
22 ce que l'on aurait pu attendre d'une communication plus officielle, mais
23 c'est le langage que l'on attend lorsqu'on communique avec un groupe
24 d'amis. Il est déraisonnable de s'attendre à obtenir le même niveau de
25 précision dans des observations informelles que dans une communication
26 juridique.
27 Lorsqu'on discute d'un sujet juridique, comme le mode de responsabilité,
28 devant un auditoire qui n'est pas composé de juristes, le fait de ne pas
Page 131
1 utiliser de mots très précis et très techniques juridiquement n'a rien
2 d'étonnant, contrairement à ce que l'on peut attendre d'un écrit juridique
3 officiel. Donc, tout cela n'a rien de surprenant, et on voit que ce
4 courriel n'évoque en rien les différents modes de responsabilité, les
5 formes de commandement, le fait d'aider et d'encourager, les entreprises
6 criminelles communes de catégorie 1 et de catégorie 3 qui ont été évoquées
7 par mes collègues ce matin.
8 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Il vous reste dix minutes.
9 Mme BAIG : [interprétation] Oui. Je vous remercie, Monsieur le Juge.
10 Mais le langage informel utilisé ne permet pas de penser que le Juge
11 Harhoff n'avait pas la volonté d'appliquer correctement le droit et ne peut
12 en aucun cas mener à une conclusion de partialité.
13 Le contexte dans lequel ce courriel a été envoyé est d'une importance
14 cruciale également. Dans son courriel, le Juge Harhoff commente deux
15 articles de presse récemment parus qu'il a fait circuler vers les mêmes
16 destinataires que ceux de son courriel et il réagit à ces deux articles en
17 exprimant un désaccord par rapport à la tendance de la jurisprudence en
18 l'espèce concernant le jugement Stanisic-Simatovic, c'est-à-dire qu'il se
19 dit favorable à une condamnation de tous les dirigeants militaires de très
20 haut niveau. C'est un désaccord sur un point de droit et c'est une tendance
21 qu'il exprime dans une affaire juridique. Il ne parle pas de l'affaire
22 Stanisic-Zupljanin en particulier, il ne commente aucun point de ce procès
23 dans lequel il a servi en tant que Juge.
24 Il serait déraisonnable de s'attendre à ce que les Juges n'aient aucun
25 sentiment personnel sur des points de droit et sur des évolutions
26 juridiques ou de s'attendre à ce qu'ils soient toujours d'accord avec tous
27 les éléments d'un procès. Ce qu'un observateur raisonnable peut attendre,
28 c'est que des Juges professionnels soient capables de mettre de côté leurs
Page 132
1 positions personnelles lorsque le moment vient de se prononcer sur
2 l'affaire qui leur est soumise.
3 Et c'est la raison pour laquelle, Messieurs les Juges, il est également
4 d'une importance cruciale pour un observateur raisonnable de se pencher sur
5 le courriel en question et de le mettre en parallèle avec le jugement rendu
6 en l'espèce. Le jugement en l'espèce confirme que ce courriel a été bien
7 interprété, à savoir qu'il ne permet en aucun cas de supputer d'une
8 partialité quelconque. C'est dans le jugement que le Juge Harhoff a
9 enregistré sa position professionnelle en matière d'équité, sa position
10 professionnelle sur les faits, sur les points de droit, sur le doute
11 raisonnable, et sur la culpabilité.
12 Dans le jugement unanime de la Chambre de première instance, le Juge
13 Harhoff et ses deux collègues Juges ont été d'accord pour prononcer aussi
14 bien une condamnation qu'un acquittement, tous deux prononcés à
15 l'unanimité, et rien ne prouve qu'il y ait eu partialité en faveur de la
16 condamnation. Le jugement ne fait preuve, donc, d'aucune prédisposition; il
17 repose sur les éléments de preuve.
18 Et, Messieurs les Juges, ce qui, encore une fois, prouve qu'il n'y a
19 pas eu partialité, ce sont les registres du procès, le dossier lui-même,
20 comme nous l'indiquons dans notre mémoire. Un observateur raisonnable qui
21 se penche sur le courriel et qui tient compte de sa nature, du contexte
22 dans lequel il a été envoyé, et du jugement, eh bien, cet observateur
23 raisonnable bien informé ne peut que conclure que le jugement de la Chambre
24 a été rendu correctement, a été juste.
25 Et cette conclusion ne doit pas être affectée par la décision de la
26 majorité Seselj. Cette décision n'est pas un précédent juridique, quel que
27 soit le sens qu'on donne à ce mot. Il ne peut pas être impacté par les
28 propos de la majorité dans l'affaire Seselj. C'est une décision en première
Page 133
1 instance qui n'a pas autorité s'agissant de son aspect de persuasion. La
2 majorité n'a fait connaître que le détail de ses raisonnements dans
3 quelques paragraphes. Ce n'est certainement pas une situation dans laquelle
4 on peut trouver une erreur.
5 J'aimerais maintenant vous évoquer les défauts de cette décision
6 majoritaire dans l'affaire Seselj. D'abord, il y a un défaut juridique
7 parce qu'on présume de l'existence de partialité plutôt que de s'appuyer
8 sur la présomption d'impartialité au départ. La conclusion indique que le
9 Juge Harhoff aurait condamné un accusé sans prendre en compte tous les
10 éléments de preuve qui lui ont été proposés, qu'il n'a pas fait référence à
11 son courriel informel à un moment crucial, courriel envoyé à un groupe
12 d'amis, ce qui n'est pas en accord avec son expérience professionnelle de
13 longue durée en tant que Juge, et cette omission ne peut pas suffire à
14 remettre en cause la présomption de professionnalisme des Juges qui fondent
15 leurs décisions et leurs conclusions sur les lois et les faits qui leur
16 sont proposés.
17 Cette décision Seselj était également erronée sur le plan des faits. Au
18 lieu de considérer le courriel dans sa totalité, la majorité s'est
19 concentrée sur quelques phrases uniquement, qui ont été sorties de leur
20 contexte et leur a donné un sens qui n'était pas le leur. Il n'y a aucun
21 élément, aucune base permettant de prouver que la conclusion majoritaire
22 dans l'affaire Seselj démontrerait que le Juge Harhoff a eu un comportement
23 professionnel ou moral répréhensible et qu'il aurait été réticent à
24 appliquer correctement le droit. Dans la phrase suivante, le Juge Harhoff
25 indique simplement que le dilemme qu'il ressentait était lié aux soupçons
26 qu'il nourrissait que des collègues puissent avoir subi des pressions
27 politiques. C'est l'interprétation correcte du courriel qui est confirmée
28 par le Juge Harhoff dans ses explications dans la pièce à conviction qui
Page 134
1 contient ses explications et dans l'article de presse qui figure également
2 au nombre de pièces à conviction.
3 Donc, en dehors des erreurs de la décision Seselj, erreurs de droit et
4 erreurs de fait, l'interprétation majoritaire de ce courriel par l'affaire
5 Seselj était évidemment incorrecte. Le procès montre que la lecture de ce
6 courriel, la suggestion selon laquelle le Juge Harhoff aurait pu condamner
7 quelqu'un sans tenir correctement compte des preuves est réfutée par le
8 jugement. Le jugement montre aussi quel interprétation donnée à ce
9 courriel, le fait que la lecture faite de ce courriel par la majorité dans
10 l'affaire Seselj a été erronée, les Juges de première instance, incluant
11 les Juges Harhoff, ont appliqué correctement le droit en l'espèce.
12 Messieurs les Juges, il y a également d'autres éléments de preuve admis en
13 appel qui n'ont pas été pris en compte par la majorité Seselj et qui
14 permettent de mieux situer dans le contexte les mots figurant dans le
15 courriel en question. Vous avez deux articles de presse ainsi que les vues
16 du Juge Harhoff au sujet de ce courriel. Vous avez son explication, vous
17 avez son mémoire, pièce à conviction PA1, dans laquelle il explique les
18 mots qu'il a utilisés et les motivations derrière ces mots. Cette
19 explication n'a pas été prise en compte par la majorité Seselj. Ceci a fait
20 l'objet de critiques. La majorité Seselj a considéré les commentaires en
21 question comme n'était pas pertinents par rapport à la question en cause,
22 et l'article 15, qui a été récemment modifié, stipule que "le rapport du
23 Président de la Chambre doit inclure des commentaires sur les éléments
24 fournis au Panel." Donc, Messieurs les Juges, la décision Seselj détermine
25 la question à laquelle nous à répondre aujourd'hui.
26 J'en arrive à votre question. Si vous trouvez une partialité, est-ce que
27 ceci mettrait en cause la condamnation ? La position de l'Accusation, c'est
28 qu'afin de maintenir la confiance publique dans l'intégrité de la présente
Page 135
1 institution, une conclusion qui aboutirait à dire qu'il y a eu partialité
2 sur le plan judiciaire résulterait à invalider la condamnation. Mais ceci
3 ne doit pas signifier qu'un verdict de culpabilité doit être rendu.
4 Dans une affaire où la condamnation est unanime par rapport à un
5 crime d'importance internationale avec de nombreux éléments de preuve
6 particulièrement valables prouvant la culpabilité, ce serait une injustice
7 grave d'acquitter à cause d'un courriel ou de suspendre les charges, comme
8 cela a été demandé. D'autres remèdes sont possibles pour répondre à votre
9 question. On pourrait renvoyer l'affaire devant les Juges avec un Juge
10 substitutif, comme cela a été fait dans l'affaire Seselj, pour
11 réévaluation. Deuxième option, il s'agirait de procéder à un nouveau
12 procès, comme la Chambre d'appel l'a ordonné hier dans l'affaire Stanisic-
13 Simatovic. Et Zupljanin demande un nouveau procès de la part de la Chambre
14 de première instance, comme il y voit un remède pour corriger une erreur
15 d'équité dans un procès, une erreur de droit.
16 Et puis, par rapport à la deuxième partie de votre question, il est très
17 difficile d'envisager une situation où une conclusion de partialité
18 conduirait à un remède autre que l'invalidation d'un verdict. Je ne peux
19 que souligner que s'il y a apparence de partialité en l'espèce, ce ne
20 serait pas une réalité de partialité, mais seulement une apparence. Il
21 conviendrait de se pencher sur les faits. Ce serait une interprétation très
22 limite d'une communication informelle qui ne doit pas avoir d'impact sur
23 l'espèce, dans laquelle toutes les sauvegardes ont été appliquées.
24 Si l'apparence hypothétique de partialité est si faible qu'elle peut être
25 compensée par un remède qui ne consisterait pas en une modification du
26 verdict, alors, Messieurs les Juges, la question véritable qui se pose
27 c'est de situer le juste niveau de cette partialité. Dans les écritures de
28 l'Accusation, c'est ce qui est fait. Disqualifier des Juges sur la base
Page 136
1 d'allégations sans fondement relatives à une prétendue partialité est une
2 grave menace pour la justice, qui est impartiale.
3 Je pense que ceci conclut nos arguments.
4 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Je vous remercie.
5 Maître Zecevic, Maître Bourgon, vous avez 20 minutes.
6 M. ZECEVIC : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.
7 Je commencerai, et mon confrère Me Bourgon poursuivra. D'abord, j'aimerais
8 répondre du mieux possible à la question des Juges concernant la relation
9 entre les membres de l'assemblée parlementaire des Serbes de Bosnie et les
10 ministres.
11 Monsieur le Président, selon les réglementations pertinentes, d'abord, et
12 avant tout, la Constitution de la Republika Srpska, la Loi sur le
13 gouvernement également, le gouvernement est responsable de son travail
14 devant l'assemblée des Serbes de Bosnie. L'assemblée des Serbes de Bosnie
15 nomme à leurs postes, choisit, élit le premier ministre et les autres
16 ministres, qui ont à répondre de leur travail devant cette assemblée. Par
17 conséquent, toutes mes excuses, mais je ne peux vous donner le détail des
18 dispositions précises de la loi parce que je ne les connais pas par cœur,
19 mais il est aisé de comprendre qu'il n'y aurait pas de conflit d'intérêt
20 répréhensible si une personne devait siéger en tant que parlementaire à
21 l'assemblée et être en même temps au poste de ministre responsable de son
22 travail devant la même assemblée. En fait, l'assemblée a le pouvoir de
23 démettre les ministres de leurs fonctions, ce qui a été le cas pour Mico
24 Stanisic en novembre 1992.
25 M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Je vous remercie.
26 M. ZECEVIC : [interprétation] Messieurs les Juges, je vais encore une fois,
27 du mieux possible, essayer de répondre de façon synthétique aux questions
28 évoquées par mes collègues de l'Accusation.
Page 137
1 Les propositions formulées par l'Accusation ici même aujourd'hui quant au
2 rôle de Mico Stanisic ne se sont pas appuyées uniquement sur ses fonctions
3 de ministre; toutefois, même si ce n'était pas son seul rôle, il avait
4 également ce rôle. Et puis, l'Accusation a également cité les différents
5 rôles et les différents actes de Stanisic en qualité de ministre, en
6 particulier son pouvoir de nomination et l'usage qui a été fait dans la
7 police dans les prises de contrôle de territoires ainsi que d'autres rôles
8 joués par lui, qui sont cités dans le jugement, et que l'on regroupe sous
9 le nom de contribution.
10 Par rapport aux erreurs commises, je vais vous donner deux exemples à
11 l'appui de notre position. Par exemple, au paragraphe 758, la Chambre a
12 commis une erreur en concluant que les instructions ne comprenaient pas le
13 fait d'enquêter - je parle ici des instructions provenant du MUP fédéral -
14 n'englobait pas la nécessité d'enquêter sur tous les crimes, quelle que
15 soit l'appartenance ethnique des victimes. Toutefois, le document qui est à
16 votre disposition renvoie aux crimes de guerre, crimes de génocides, et
17 autres crimes contre l'humanité et au droit international, crimes commis
18 contre les Serbes et contre des personnes d'autres appartenances ethniques.
19 Les éléments de preuve existent pour démontrer qu'il y a eu erreur, entre
20 autres, sur ce point, je cite, les pièces 1D634 ainsi que l'audition du
21 témoin de la Défense Macar, page 22 879 du compte rendu d'audience; du
22 Témoin Tusevljak, page 22 420 du compte rendu d'audience également.
23 Une autre erreur figure au paragraphe 764, dans lequel la Chambre a commis
24 une erreur en concluant que sur la base de la déposition du Témoin
25 Radulovic, des informations ont été recueillies par le SNB qui était
26 disponible à Stanisic. Le témoin a confirmé que Stanisic n'avait pas été
27 informé dans ses rapports. Les éléments de preuve confirmant cette erreur
28 se trouvent, entre autres, dans les pages du compte rendu d'audience 11
Page 138
1 014, 11 073, 11 188, 11 199, ainsi que dans les pages 8 412 et 8 470 du
2 compte rendu Skipina.
3 Messieurs les Juges, nous abordons maintenant la question de la
4 connaissance que Stanisic avait des crimes, question également évoquée par
5 l'Accusation. Je renvoie les Juges de la Chambre d'appel au paragraphe 275
6 du mémoire final, mémoire de la Défense, qui explique la situation. La
7 situation était telle que conformément aux conclusions et confirmé par le
8 jugement, la totalité des dépêches qui ont été envoyées au fil de neuf mois
9 se chiffrent à quelque 4 040 dépêches reçues par le ministère et 4 170
10 dépêches d'envoyées. Si l'on compare ceci avec la situation d'avant la
11 guerre ou juste après, c'est-à-dire en 1993, il s'avère que le nombre des
12 messages, c'est-à-dire des dépêches envoyées au fil des neuf premiers mois
13 de la guerre en Bosnie-Herzégovine se trouve être inférieur à la moyenne
14 mensuelle des dépêches d'avant la guerre, c'est-à-dire celle de 1993.
15 Si l'on compare donc les choses, il y a eu un total de quelque 8 500
16 dépêches réceptionnées et envoyées, alors qu'en 1993, ce nombre a cru
17 jusqu'à 353 215. Ceci pourrait illustrer la situation telle qu'elle s'est
18 présentée dans le système des transmissions et des informations dont
19 disposait tout un chacun.
20 Il me semble que l'Accusation a affirmé ou allégué un certain nombre
21 de choses qui ferait état d'erreurs commises par les Juges de la Chambre de
22 première instance dans le jugement rendu. Par exemple, on dit que le
23 dispositif des autorités civiles a été discriminé pendant la période et que
24 c'était la faute de Mico Stanisic. Nous avons déjà demandé à un témoin de
25 comparaître à cet effet, et il me semble que la situation était la
26 suivante. Ce que le Procureur a laissé entendre et ce que les Juges de la
27 Chambre ont laissé entendre, c'est que Mico Stanisic, d'une façon étrange
28 en sa qualité de ministre, aurait eu le droit de donner des instructions
Page 139
1 aux procureurs et aux gens de la justice comment leur travail devait être
2 fait. Nous estimons dans -- et nous l'indiquons dans nos arguments
3 présentés par écrit sur ce qui suit. Je peux vous donner un exemple. Pièce
4 à conviction P1609.1, qui dit le contraire de ce que l'Accusation a affirmé
5 du point de vue de l'aspect discriminatoire qu'avaient eu les activités de
6 la police.
7 Et à cet effet, je me dois de dire que les Juges de la Chambre ont
8 constaté que Mico Stanisic était coupable du transfert des effectifs de
9 réserve de la police dans les rangs de l'armée. Mais avant cela, la Chambre
10 a constaté que Mico Stanisic n'avait pas d'autres possibilités à sa
11 disposition et aucune mesure disciplinaire à pouvoir prendre, si ce n'est
12 de faire en sorte que ces policiers de la réserve, qui n'étaient pas
13 appropriés ou qualifiés pour faire partie de la police, devraient donc être
14 transférés vers les rangs de l'armée. Alors, si vous me le permettez, les
15 Juges de la Chambre de la première instance, tout comme l'Accusation,
16 essaient d'appliquer à l'égard de Mico Stanisic des normes de superman qui
17 était censé en faire beaucoup plus que réaliste.
18 Alors, je vais maintenant donner la parole à mon éminent confrère, Me
19 Bourgon. Merci.
20 M. BOURGON : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
21 Je me propose maintenant de parler des arguments relatifs au mens rea,
22 c'est-à-dire à ce que mon collègue de la partie adverse a dit. On s'est
23 centrés sur le fait que Mico Stanisic avait adhéré à la politique du SDS;
24 deuxièmement, on a parlé de sa relation avec Karadzic; et numéro 3, il
25 avait, dit-on, approuvé les activités d'Arkan.
26 S'agissant maintenant de la politique du SDS, Mico Stanisic, en sa
27 qualité de ministre, s'était conformé à la politique qui a été déterminée
28 par la loi; c'était son travail de ministre, et nous l'avons souligné dans
Page 140
1 l'argumentation présentée par nos soins. Le fait qu'il a suivi une
2 politique légitime n'a rien à voir avec le mens rea.
3 La relation qu'il avait eue avec Karadzic est abordée dans notre
4 moyen d'appel numéro 4. Il n'était pas un proche de Karadzic. Il n'y avait
5 pas eu de relation particulièrement bonne avec lui. Et le fait qu'il
6 aurait, par exemple, essayé de contourner les filières normales pour
7 s'entretenir avec Karadzic n'est tout simplement pas vrai. Il y a des
8 rapports au quotidien qui étaient présentés par le ministère de l'Intérieur
9 à l'intention du gouvernement.
10 L'aspect relatif à Arkan est important, et nous l'avons déjà dit. Ce
11 qu'on a affirmé est tout à fait erroné. Une fois que les Juges de la
12 Chambre d'appel se mettront à analyser les témoignages des témoins et, en
13 particulier, celui de Davidovic et la façon dont les Juges de la Chambre
14 ont pris en considération ce témoignage, on verra clairement que Mico
15 Stanisic n'avait pas du tout à approuver les activités d'Arkan.
16 Quelques mots encore au sujet de ce que mon confrère a dit au sujet
17 des Guêpes jaunes. Il a lancé une opération de grande envergure à des fins
18 d'arrestation de ces Guêpes jaunes, mais on voit la chose dans le contexte
19 des relations qu'il avait eues avec Plavsic. Il était en conflit avec
20 Plavsic. Et si on met ces deux éléments l'un à côté de l'autre,
21 indépendamment des motifs de l'arrestation, le résultat est ce qui importe
22 pour ce qui est de la constatation du mens rea de M. Stanisic. Et si vous
23 vous penchez sur le résultat, deux membres des Guêpes jaunes ont été
24 poursuivis en justice pour crimes de guerre, bien que commis à l'extérieur
25 de la Republika Srpska; et les autres ont été relâchés. Alors, mon confrère
26 a dit qu'il attribuait plus d'importance au fait de ne pas tomber sous le
27 commandement de l'armée, mais c'est important. Pour Stanisic, il importe de
28 faire en sorte que les criminels et les criminels de guerre et les
Page 141
1 criminels ordinaires ne déambulent pas où bon leur semblait. C'était
2 important à ses yeux.
3 Et mon confrère a dit que c'était sa contribution permanente,
4 indépendamment des informations qui étaient les siennes. Mais on ne prend
5 pas compte des ordres qu'il a donnés pendant cette période. Mes confrères
6 disent que c'étaient des ordres qui n'avaient pas d'autorité ou de
7 potentiel de faire quoi que ce soit. Mais on doit garder à l'esprit le fait
8 que Stanisic a fait démissionner des responsables de haut niveau, y compris
9 deux assistants de ministre. Il a démantelé les effectifs de la police
10 spéciale. Et s'agissant de la police de réserve, il a fait ce qu'il pouvait
11 faire dans le cadre de la loi.
12 Mon confrère a dit en page 61, lignes 1 à 6, il a parlé du 11
13 juillet. Mais ça a été un point tournant. Stanisic, ce qu'il a fait après
14 le 11 juillet est crucial. Le rapport de Visegrad, page 61, lignes 21 à 24,
15 constitue une erreur de fait. Et les Juges de la Chambre vont se pencher
16 sur le rapport, il y a une erreur, on parle de 2 000 personnes déplacées et
17 d'un manque de professionnalisme de la part de la police. Et ceci constitue
18 l'un des éléments principaux qui ont été pris en compte par les Juges de la
19 Chambre de première instance pour ce qui est de l'élément contribution.
20 Alors, mon confrère parle de l'action du 11 février. Il ne prend pas en
21 compte le fait que jusque-là, Mico Stanisic n'avait aucunement un élément
22 moral à cet effet. Il faut prendre le 11 juillet comme date où il n'y avait
23 pas eu de mens rea. Et après ? Mon confrère a dit que l'entreprise
24 criminelle commune commence à telle date et qu'il n'était pas membre de
25 l'entreprise criminelle commune jusque-là; mais à partir de cette date-là,
26 il en faisait partie. Mais ce n'est pas ainsi que les choses
27 fonctionnement.
28 On parle de l'argument resubordination. Mon confrère a parlé de la mission
Page 142
1 de punir les criminels et de protéger les civils, mais ce n'est pas la
2 question. Il faut être clair. La question est celle de savoir s'il a été
3 considéré responsable pour ce qui est des enquêtes et des punitions ? Est-
4 ce que la Chambre a omis de dire qui avait assumé des responsabilités ? Si,
5 elle l'a fait. Donc, elle ne s'est pas prononcée; ceci met un terme au
6 sujet.
7 Alors, maintenant, pour ce qui est du sujet Harhoff, mon confrère dit qu'il
8 s'agit de quelque chose de non conforme à la pratique judiciaire, mais la
9 situation est bien plus sérieuse que cela. Mon confrère s'appuie sur ce qui
10 a été la décision dans l'affaire Seselj.
11 Mais l'important, c'est de savoir si la communication du Juge Harhoff était
12 informelle, adressée à des amis, mais ce n'est pas là la question. La
13 question, c'est de savoir si, pour un Juge, il est raisonnable ou pas de
14 parler dans un courriel de façon stricte ou officieuse. Ce qui importe,
15 c'est quelle est l'impression qu'on se fait à la lecture de ce mémo. Il est
16 question ici d'un penchant pour ce qui est de peines en condamnation, et
17 c'est l'élément que cette lettre révèle.
18 Mon confrère a parlé de la question au 69, lignes 7 à 8. Alors, à la
19 lecture de ce mémo, je n'ai pas l'impression qu'il s'agit là d'un Juge qui
20 peut mettre de côté ses opinions professionnelles. Ce courriel dit le
21 contraire, tout à fait le contraire. Le fait est qu'il y ait une décision
22 unanime dans l'affaire Stanisic n'a pas d'importance. C'est de savoir si le
23 jugement a été partial ou pas, s'il a été unanime. Ce que l'on évoque ici,
24 c'est de savoir si la lettre en question nous laisse entendre qu'il y a
25 partialité ou impartialité et quel est son impact sur le procès. Est-ce que
26 le procès a été équitable et est-ce que la décision a été adoptée par trois
27 Juges de façon unanime.
28 Alors, s'il y a apparence de partialité, il y aurait eu opinion dissidente.
Page 143
1 Mais c'est l'apparence de la partialité qui importe. Si celle-ci est
2 présente, un Juge ne va pas dire dans le jugement qu'il n'est pas d'accord
3 avec la loi et que d'habitude, il condamne les gens partant de ce qu'il a
4 appris à ce sujet. Il ne va sûrement pas le mettre dans une opinion
5 dissidente. Ce n'est pas ainsi que les choses fonctionnent.
6 Dans l'affaire Seselj, on a convoqué une Chambre spéciale, d'un, ils n'ont
7 commis aucune erreur en matière légale - je l'ai déjà dit - et ils ne sont
8 pas partis d'une présomption de partialité. Ce n'est pas ce qui y est dit.
9 Et je vous renvoie vers la chose la plus importante, j'imagine, dans le
10 commentaire du Juge Harhoff, c'est le dilemme, et il explique le dilemme
11 qu'il a, il essaie de s'en éloigner parce qu'il sait exactement de quoi il
12 s'agit et de quoi parle le dilemme dans le courriel. Alors, il dit, s'il
13 avait eu le dilemme, il aurait agi ainsi. Or, le dilemme était évidemment
14 présent.
15 Maintenant, si les règles ont été changées, et il y a eu un changement de
16 règles, il me semble que ce changement de règles coïncide avec l'opinion
17 distincte du Juge Afande. Et dans ce cas concret, ce rapport ne fait que
18 renforcer l'apparence de partialité.
19 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Vous devez en terminer.
20 M. BOURGON : [interprétation] Nous sommes d'accord avec l'Accusation pour
21 dire que si apparence de partialité il y a, le seul remède juridique, c'est
22 d'invalider la condamnation et de lui renvoyer à la maison. Et si le
23 Procureur demande que le procès soit réitéré, eh bien, nous allons répondre
24 à la question.
25 Merci beaucoup, Monsieur le Président.
26 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Merci, Monsieur Bourgon.
27 Je ne sais pas si c'est M. Krgovic ou M. Gosnell qui va prendre la parole
28 en premier. Nous allons travailler jusqu'à 13 heures 05, et par la suite,
Page 144
1 nous allons reprendre après la pause déjeuner.
2 M. GOSNELL : [interprétation] Merci beaucoup, Monsieur le Président. Merci
3 aux Juges. Pour ceux qui ne me connaissent pas, je m'appelle Christopher
4 Gosnell et je suis ici pour assurer la Défense de M. Zupljanin.
5 Je parle en premier pour aborder trois questions. La première de ces
6 questions, c'est les violations des droits de M. Zupljanin pour ce qui est
7 du droit à un procès équitable et impartial; le deuxième fait, c'est que la
8 Chambre de première instance s'est fondée de façon inappropriée sur la
9 présence alléguée de M. Zupljanin à l'hôtel Holiday Inn en février 1992; et
10 l'absence de raison ou d'omission pour ce qui est de l'actus reus et du
11 mens rea de M. Zupljanin pour ce qui est de la perpétration de l'entreprise
12 criminelle commune.
13 Mon éminent confrère, M. Krgovic, va parler de l'importance de cette
14 resubordination pour ce qui est du procès, et cela est illustré par le fait
15 que les Juges ont demandé à des témoins de comparaître à cet effet.
16 Et mon éminente consœur, Mme Cmeric, va parler aux Juges de la Chambre de
17 l'aspect extermination et du jugement.
18 Messieurs les Juges, le courriel envoyé par le Juge Harhoff à l'intention
19 de 56 amis et connaissances a été envoyé 71 jours après la signature du
20 jugement en condamnation de M. Zupljanin, le condamnant à 22 ans de
21 réclusion. Or, partant de ceci, nous devons dire que ce courriel montre
22 qu'il y a une appréhension raisonnable de partialité du fait des
23 hésitations pour ce qui est de la mise en place de normes qui sont bien
24 établies et bien connues, bien comprises, et longuement mises en œuvre par
25 ce Tribunal dans les différentes affaires.
26 Avant que de nous embarquer dans un débat sur le courriel en tant que tel,
27 il serait peut-être utile de se pencher sur les positions qui ont été
28 lancées et sur la doctrine qui est évoquée. Je vous convie à vous pencher
Page 145
1 sur ce que j'ai fait sous forme de tableau PowerPoint et de présentation à
2 cet effet.
3 Cet aspect unique de l'entreprise criminelle commune parle d'une forme de
4 commission où l'actus reus peut être le fait de plusieurs personnes. Ceci
5 signifie qu'à la différence d'une personne particulière, il n'est point
6 besoin d'avoir une personne physique pour ce qui est de l'actus reus; cet
7 actus reus peut être étendu sur plusieurs personnes. Donc, il s'agit d'un
8 niveau inférieur pour ce qui est du fondement de ce que l'on entend par
9 l'actus reus.
10 Mais en même temps, la norme relative au mens rea est la même pour ce qui
11 est de la perpétration physique, donc l'accusé était censé avoir
12 l'intention de commettre un crime.
13 Il ne s'agit pas ici de parler de tout ce qui fait partie des annales de ce
14 Tribunal pour ce qui est de l'entreprise criminelle commune, parce qu'il ne
15 s'agit pas seulement d'une position ou d'une opinion quand on parle du mens
16 rea; c'est une intention vive et agissante de quelqu'un. Alors, si
17 maintenant, on ramène le palier de l'actus reus, cela signifierait que les
18 Juges disposeraient de moins d'informations pour tirer des conclusions pour
19 ce qui est de déterminer s'il y a eu une intention véritable derrière
20 certains agissements. Et l'analyse devient encore plus complexe lorsque
21 nous avons des actes de violence qui sont commis pendant un conflit armé.
22 La situation est encore plus compliquée par le fait qu'il y a des objectifs
23 que l'on souhaite réaliser par des moyens légitimes ou d'autres moyens
24 illégitimes, c'est-à-dire criminels.
25 Compte tenu du contexte où il est si difficile de déterminer les
26 faits, notamment dans le contexte d'un actus reus réduit, comment les Juges
27 de la Chambre de ce Tribunal ont pu établir ou faire en sorte que les
28 normes de l'intention du mens rea soient maintenues ?
Page 146
1 Eh bien, d'abord, le premier pas, c'est de définir la finalité
2 commune, parce qu'il peut y avoir une finalité qui n'est pas criminelle.
3 Alors, on peut analyser le mens rea dans un cadre qui est par trop vaste.
4 On pourrait également parler d'un mens rea qui n'est pas tout à fait
5 criminel.
6 Dans la pratique juridique de ce Tribunal, il est depuis longtemps
7 indiqué que cette finalité peut englober des finalités criminelles aussi,
8 mais ce que nous affirmons c'est qu'il convient alors de comprendre que
9 c'est indissociable, inhérent à la finalité criminelle ou à l'objectif
10 criminel et non pas seulement un moyen prévisible d'aboutir à la
11 réalisation d'un objectif, parce que si l'on parle des concepts de
12 prévisibilité, de possibilité, la norme d'intention directe se trouve être
13 ramenée vers le bas.
14 Quelle est, alors, la relation à mettre en place - et il en a été
15 longuement question dans le jugement en première instance - entre donc le
16 fait de savoir et le fait d'avoir l'intention ? Et je fais référence à un
17 jugement à un arrêt en appel récent dans l'affaire Sainovic, où on peut
18 partager l'intention de la perpétration d'un crime sans pour autant
19 seulement parler de la prévisibilité. Cela n'est pas donc une chose que
20 l'on peut mécaniquement ou automatiquement appliquer pour ce qui est de
21 l'intention directe. On ne peut pas le mettre en œuvre même si, à l'époque,
22 on avait connaissance des crimes commis.
23 Une partie très importante de ce passage que vous voyez dans l'arrêt
24 de l'affaire Krajisnik, c'est ce qui se trouve être souligné vers la fin où
25 l'on décrit quelle est la bonne procédure de détermination des faits avant
26 que de pouvoir tirer des conclusions relatives au mens rea. Et je cite :
27 "Dans les cas de figure où la Chambre de première instance fait
28 référence à un mois particulier dans le courant duquel les membres de
Page 147
1 l'entreprise criminelle commune auraient eu vent de la perpétration de
2 crimes de grande envergure, ça n'a pas précisé la date à laquelle ça s'est
3 produit, et on ne dit pas que Krajisnik était parmi les membres de
4 l'entreprise criminelle commune qui en avaient eu connaissance, et encore
5 mois, a-t-on dit, quand est-ce que les membres directeurs de l'entreprise
6 criminelle commune sont passés de la qualité des personnes qui avaient eu
7 vent et qui avaient eu l'intention de commettre des crimes."
8 Donc, cet élément est requis pour ce qui est de la détermination du
9 mens rea. Et cette norme, ce standard est établi depuis longtemps pour ce
10 qui est de l'analyse de ce que le Juge Harhoff a écrit 71 jours après avoir
11 signé le jugement en première instance dans l'affaire Zupljanin.
12 Et maintenant, il dit la chose suivante, et je me propose d'essayer
13 d'ajouter des éléments nouveaux par rapport à ce que mes confrères ont déjà
14 dit au sujet de ce courriel, et je vais le faire en essayant d'en donner
15 lecture dans son intégralité pour qu'il n'y ait pas de malentendu au sujet
16 de ce que le Juge Harhoff voulait dire dans ce courriel. Ce courriel
17 commence par un débat au sujet de l'entreprise criminelle, et il dit :
18 "Nous avons développé et étendu la responsabilité pénale aux
19 ministres politiques, leaders militaires, officiers et autres, qui avaient
20 appuyé la réalisation d'un objectif général qui visait à éradiquer des
21 groupes ethniques de certains secteurs au travers de violence criminelle,
22 ce qui a contribué à la réalisation d'un tel objectif; donc c'est là que
23 consiste leur responsabilité."
24 Je m'arrête maintenant un instant pour dire que dans les mots
25 utilisés "pour appuyer ou soutenir un objectif général", il n'y a rien que
26 l'on puisse interpréter comme étant une intention directe et rien qui
27 permettrait à un observateur raisonnable de dire que le Juge Harhoff est en
28 train de proposer un rabaissement des critères nécessaires pour ce qui est
Page 148
1 du mens rea. Cette partie, telle qu'interprétée, telle que lue, peut être
2 interprétée comme étant une façon de décrire le critère de l'intention
3 directe. Mais le reste du courriel montre que ce n'est pas la façon dont il
4 interprète l'appui ou le soutien apporté ou pas.
5 Et il y a trois éléments que mes confrères ont mentionnés, et le Juge
6 Harhoff dit dans la suite :
7 "Que pouvons-nous apprendre de toute ce qui vient d'être dit ?
8 "Eh bien on peut penser que les établissements militaires dans les
9 Etats importants (tels que les Etats-Unis et Israël) se rapprochent de la
10 pratique de la responsabilité des commandants militaires. Et on avait
11 espéré que les commandants ne seraient pas tenus responsables lorsqu'ils
12 n'encouragent pas leurs subordonnés à commettre des crimes. En d'autres
13 termes :
14 "Ce Tribunal est allé trop loin pour ce qui est de considérer que les
15 officiers en commandement étaient responsables de tout crime commis par
16 leur subordonnés, ce qui signifie qu'il y a une intention de commettre un
17 crime qui doit être concrètement prouvée.
18 "Mais en fait, ceci signifie", défend le Juge Harhoff cette position
19 que :
20 "C'est précisément la raison pour laquelle les commandants sont payés
21 : Ils doivent s'assurer du fait que dans leur zone de responsabilité il n'y
22 aura pas de crimes commis, et ils doivent entreprendre tout ce que qui est
23 dans leur pouvoir pour poursuivre les criminels. Donc, il n'est pas
24 question dans la finalité d'un nettoyage ethnique d'appuyer ou de nier la
25 responsabilité des responsables.
26 "Mais ceci n'est plus mis en œuvre. Il semble maintenant nécessaire
27 pour chaque commandant d'avoir une intention directe de commettre des
28 crimes - et non pas seulement la connaissance ou des doutes pour ce qui est
Page 149
1 des crimes qui auraient été commis."
2 En ce moment-ci, donc, un observateur raisonnable, d'après moi, ne
3 peut plus éviter de voir l'impression qui se dégage de la part des propos
4 du Juge Harhoff qui fait une distinction entre deux concepts : le standard
5 entreprise criminel commune, d'une part, avec un appui, et le soutien à
6 l'intention de commettre des crimes. Alors, nous ne savons pas ce qu'il
7 sous-entend par "soutien", mais il nous semble que le pallier soit plus bas
8 que dans le cas d'une intention directe, bien plus bas, ce qui fait que
9 dans ce courriel, il utilise des propos très crus.
10 Ce qu'il fait aussi, c'est qu'il rejette une norme généralement
11 établie dans la pratique judiciaire de ce Tribunal qui n'a pas modifié les
12 décisions auxquelles il fait référence. C'est la pratique judiciaire depuis
13 l'affaire Tadic. Et le fait que le Juge Harhoff interprète de façon erronée
14 ce qui a été énoncé dans les affaires précédentes est dénué de pertinence.
15 Ce qui est important, c'est le désaccord exprimé par le Juge Harhoff pour
16 ce qui est des normes d'intention directes dans la perpétration ou dans la
17 conduite d'une entreprise criminelle commune.
18 Est-ce qu'un Juge a le droit de ne pas être d'accord avec une norme ?
19 Est-ce que c'est conforme au serment qu'il a prêté ? Oui, il a le droit
20 d'être en désaccord. Le Juge Schomburg a également exprimé son désaccord.
21 Il l'a dit de façon tout à fait express, explicite dans un jugement. Et
22 cette position, exprimée clairement, a permis aux Juges de la Chambre
23 d'appel de voir quelle est la norme qui a été mise en œuvre et de
24 déterminer si la peine prononcée est bonne, compte tenu des standards ou
25 des normes auxquelles les Juges s'étaient référés.
26 Il est possible que l'on puisse dire ou présenter un argument disant que le
27 Juge Harhoff fait référence uniquement à l'élément actus reus et que cela
28 n'est pas nécessairement être criminel, et cela se trouve être tout à fait
Page 150
1 exacte dans l'affaire Sainovic; l'actus reus n'est pas censé sous-entendre
2 l'implication dans un crime. La question n'est pas contestée. Mais quand
3 bien même dans cet actus, il n'y a pas de crime de commis, la norme d'actus
4 reus a toujours une corrélation avec l'intention.
5 Messieurs les Juges, je ne vais pas vous donner lecture de ce qui se trouve
6 sur ce transparent. Ce passage en particulier est bien connu et je pense
7 que le Juge Liu a bien résumé les choses lorsqu'il a dit, je cite, "que ces
8 propos constituent des conjectures non-pondérées et des insinuations d'un
9 comportement inacceptable de la part d'autres collègues d'une façon qui va
10 au détriment d'un Juge."
11 Sans entrer dans les détails, ce qui est important c'est les mots utilisés,
12 le niveau d'hostilité, une usurpation du droit en conséquence des dernières
13 affaires.
14 Le Juge Harhoff poursuit :
15 "La théorie de la responsabilité a été réduite et passée d'une
16 contribution à des crimes d'une façon ou d'une autre à l'exigence d'une
17 intention directe de commettre un crime." J'ai cité là le courriel du Juge
18 Harhoff. Et il dit que :
19 "La théorie de la responsabilité au titre d'une entreprise criminelle
20 commune est donc passée à cette intention de commettre un crime et pas
21 juste l'acceptation du fait que les crimes aient été commis."
22 Là encore, on voit une juxtaposition de ce que nous avons vu tout à
23 l'heure, d'une part une intention directe de commettre un crime et, d'autre
24 part, une acceptation - acceptation - que les crimes aient été commis. Même
25 si cela n'est pas parfait, la distinction qui semble être faite ici en
26 termes latins semble être celle du dolus directus et du dolus eventualis,
27 c'est-à-dire entre une intention directe et l'acceptation du risque de la
28 possibilité d'occurrence de crimes, même distinction, qui, comme vous le
Page 151
1 savez, se fait entre le mens rea, d'un côté, l'état d'esprit, première
2 catégorie d'entreprise criminelle commune et troisième catégorie
3 d'entreprise criminelle commune. Et là, on voit que le Juge Harhoff dit que
4 le critère pour la troisième catégorie est tout à fait acceptable pour
5 imposer une responsabilité en application de la première catégorie.
6 Alors la distinction revient encore plus tard dans son courriel. Il dit :
7 "J'ai toujours présumé qu'il était juste de condamner des dirigeants pour
8 les crimes commis lorsqu'ils le savaient dans le cadre d'un objectif
9 commun. Tout revient à établir ce distinguo entre savoir, d'une part, que
10 les crimes étaient en train d'être commis, ou qu'ils allaient être commis,
11 et d'autre part, la planification de la commission de ces crimes. C'est
12 cela l'important."
13 Alors comme vous le savez, la planification exige une intention directe. On
14 voit encore une fois cette dichotomie, être une forme de responsabilité, la
15 planification qui exige une intention directe et une simple connaissance du
16 fait que les crimes auraient pu être commis ou seraient commis. Et un
17 observateur raisonnable ne pourrait qu'en déduire de ce passage, si on le
18 lit conjointement avec les passages que j'ai lus tout à l'heure, que c'est
19 exactement le critère d'entreprise criminelle commune qui était appliqué
20 dans l'affaire Zupljanin. Pourquoi est-ce que je vous le dis ? Eh bien, à
21 la page qui est à l'écran à présent, vous voyez qu'il a dit :
22 "Dans tous les tribunaux où j'ai travaillé, j'ai toujours présumé qu'il
23 était juste de condamner les dirigeants," et cetera, et cetera.
24 Donc je suis sûr que cela s'appliquait à l'affaire sur laquelle il avait
25 travaillé, la dernière, le jugement qui avait été délivré deux mois
26 auparavant. C'est une référence indirecte et implicite à ses travaux en
27 tant que Juge. Donc même s'il n'y a pas de référence express dans le
28 courriel à l'une de ces affaires sur lesquelles il travaillait, il y a
Page 152
1 certainement une référence implicite. Mais une indication aussi au critère
2 qu'il appliquait dans ces affaires-là.
3 Alors, dans les passages suivants, et je pars toujours du point de départ
4 de cet observateur, du critère d'observateur, on parle du droit applicable
5 à ce Tribunal, et pour qu'un observateur du moins informé comprenne cette
6 dichotomie, nous devons lire le passage suivant :
7 "Comment pouvons-nous expliquer aux milliers de victimes à présent
8 que le Tribunal ne peut plus condamner les participants d'entreprise
9 criminelle commune, à moins que les Juges ne puissent justifier que les
10 participants à l'objectif commun avaient contribué de façon active dans une
11 intention directe à la commission des crimes ? Jusqu'à présent, nous avons
12 condamné ces participants lorsqu'ils avaient, d'une façon ou d'une autre,
13 montré qu'ils étaient d'accord avec l'objectif commun - sans prouver
14 particulièrement qu'ils avaient une intention directe de commettre chaque
15 crime pour y arriver. C'est presque impossible à prouver."
16 Là encore, Messieurs les Juges, même distinguo, même dichotomie, même
17 contraste entre accord et intention directe, alors que l'accord est d'un
18 niveau plus bas.
19 Par la suite, le Juge Harhoff déclare qu'il a eu le temps de
20 réfléchir sur le contenu de ce courriel afin d'expliquer ses propos. Il
21 nous dit :
22 "En fait, et c'est clair si l'on regarde le contexte, la nouvelle
23 pratique exigerait plus que juste le degré d'intention associée à la
24 connaissance, c'est-à-dire que les commandants ultimes ne pourraient être
25 condamnés à l'avenir que si un niveau supérieur, un degré supérieur
26 d'intention pouvait être prouvé lors du procès."
27 Messieurs les Juges, nous venons de voir dans le passage tiré de
28 l'affaire Krajisnik qu'il était important pendant tout le procès d'analyser
Page 153
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14 Page intercalée pour assurer l’équivalence de pagination des
15 versions anglaise et française
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28
Page 154
1 les faits pour pouvoir déterminer s'il y avait intention et si l'on peut en
2 déduire une connaissance, si les actes étaient suffisants pour indiquer que
3 cet état d'esprit, ce mens rea existait. S'agissant des connaissances à
4 présent, le Juge Harhoff s'est prononcé sur ce critère-là avec le recul, il
5 avait l'avantage du recul.
6 Mais, en fait, une référence standard est faite au cadre d'entreprise
7 criminelle commune ou au cadre régulier de mens rea et d'actus reus qui
8 doit être lue à la lumière de tout cela, et, en fait, nous devons relire
9 attentivement tous les passages du courriel qui nous montrent, Messieurs
10 les Juges, que pour le Juge Harhoff, ce cadre est celui du mens rea au sein
11 d'une entreprise criminelle commune, avec un critère qui est moindre de
12 l'intention directe.
13 Alors lorsque l'Accusation a pris la parole, elle a déclaré qu'il n'y
14 avait pas de problème majeur parce que le jugement montre que le Juge
15 Harhoff avait appliqué le critère idoine. Il a mis de côté ses points de
16 vue personnels sur l'entreprise criminelle commune et a participé au
17 jugement qui a bien appliqué la norme. Est-ce bien vrai ? Y a-t-il des
18 indications dans le jugement montrant qu'un niveau moindre que l'intention
19 directe a été appliqué ?
20 Et vous siégez aujourd'hui au sein d'une Chambre d'appel et vous
21 devez étudier plusieurs questions qui ont une compétence très, très
22 limitée. Bien sûr, vous devez certains égards au raisonnement, aux
23 appréciations de la Chambre de première instance, mais d'autre part, à ce
24 stade-ci du parcours du Tribunal, les Juges de première instance ne peuvent
25 pas commettre des erreurs si évidentes sur le droit applicable, et on ne
26 s'attend non plus à ce que vous, Messieurs les Juges, ne recherchiez aucune
27 indication, aucun indice, aucune suggestion qui indiquerait que ce critère
28 n'a pas été bien appliqué. Et pour le faire, vous devez regarder s'il y a
Page 155
1 eu des omissions, s'il y a des déclarations, peut-être pas dans le
2 jugement, mais s'il y a des indications vous disant que quelque chose a
3 cloché, que vous aurez du mal à apprécier si, oui ou non, la norme qui a
4 été fixée est celle qu'il fallait appliquer. Et nous faisons valoir,
5 Messieurs les Juges, qu'il existe de telles indications et qu'il y a eu un
6 problème quant à l'application du critère du mens rea.
7 Alors au paragraphe 313, Volume 2 du jugement, nous voyons une de ces
8 indications l'objectif commun existait et il avait pour but "d'expulser de
9 façon permanente les Musulmans de Bosnie … par la commission de crimes ou
10 de transfert forcé … la Chambre conclut qu'il n'y a pas suffisamment
11 d'élément de preuve pour établir que d'autres crimes allégués dans l'acte
12 d'accusation ont fait partie de cette entreprise criminelle commune."
13 Donc, la Chambre de première instance estimait qu'un objectif
14 criminel commun impliquant expulsion et transfert forcé a eu lieu. Comment
15 le transfert forcé est-il exécuté ? Le transfert forcé s'exécute via la
16 coercition, la contrainte illégale. En général, le niveau le plus bas de
17 coercition est celui du type de crime repris dans le statut du TPIY,
18 persécution, discrimination contre une personne par moyens divers pour les
19 faire sentir malvenus, pour simplifier les choses. C'est, en général, la
20 façon la plus basique pour encourager les gens à quitter une région.
21 Mais que nous dit la Chambre de première instance sur la persécution
22 ? Paragraphe 528, elle rappelle, et je cite :
23 "La Chambre de première instance rappelle ses conclusions selon
24 lesquelles les forces serbes avaient mené à bien l'expulsion forcée… en
25 commettant des crimes à leur encontre et en rendant les conditions de vie
26 insupportables suite à la prise de villes et de villages. Zupljanin était
27 également un membre de la RAK et des cellules de Crise de Banja Luka, qui
28 ont délivré des ordres restreignant les droits des Musulmans et des Croates
Page 156
1 à avoir certains emplois ou à limiter leur droit à la propriété. Sur cette
2 base, la Chambre de première instance conclut que la possibilité que les
3 forces serbes imposaient ou maintenaient des mesures restrictives ou
4 discriminatoires contre des non-Serbes dans les municipalités de la RAK
5 dans l'exécution du plan commun était suffisamment importante pour être
6 prévisible à Stojan Zupljanin et qu'il a, en toute connaissance de cause,
7 pris ce risque."
8 Même chose, même conclusion pour la détention illégale, et tous les
9 autres crimes qui sont repris dans l'acte d'accusation.
10 Alors est-ce que tout cela est compatible ? Est-ce que ces
11 conclusions sont totalement incompatibles ? Peut-être. Je dirais, Monsieur
12 le Juge, que probablement elles ne sont pas compatibles. Mais même si elles
13 étaient compatibles, ces conclusions sont incongrues et elles apparaissent
14 dans le jugement sans une explication, sans une discussion, sans une
15 tentative de dire : Voilà pourquoi nous concluons que M. Zupljanin avait
16 l'intention directe de soumettre à une coercition la population, de les
17 encourager à partir, et cetera, et cetera.
18 Autre déduction de ces deux passages, c'est de les voir, en fait,
19 complètement compatibles si vous appliquez le critère que nous voyons dans
20 le courriel du Juge Harhoff, c'est-à-dire la connaissance, la prévisibilité
21 qui mène à une présomption qu'il y avait quelque chose moindre qu'une
22 intention directe, mais qu'une certaine prévisibilité existait quand même
23 pour arriver à la conclusion des Juges.
24 M. le Juge Liu avait soulevé des préoccupations très importantes
25 quant à la suffisance du raisonnement de la majorité de la Chambre spéciale
26 qui avait dessaisi le Juge Harhoff de l'affaire Seselj, ce qui ne veut pas
27 nécessairement dire que leurs conclusions étaient mauvaises, mais d'autre
28 part, les observations du Juge Liu justifient certainement une discussion
Page 157
1 plus avant.
2 Et le Juge Liu a mis le doigt sur deux facteurs particuliers qu'il
3 avait considéré importants dans son opinion dissidente. Premier point, tout
4 le contexte devait être pris en considération, y compris le mémo
5 explicatoire du Juge Harhoff. Alors, comme le transparent du mémo le
6 montre, le Juge Harhoff renforce en fait, il ne rejette pas, l'impression
7 selon laquelle il pense que l'état de droit ou l'état de la législation
8 aujourd'hui nous dit que l'intention directe n'est pas requise pour
9 conclure d'une responsabilité au titre de l'ECC.
10 Autre aspect encore important du 8 juillet, c'est le mémo
11 explicatoire, qui aurait dû être pris en compte et, Messieurs les Juges, il
12 doit être pris en compte dans votre analyse aujourd'hui. Il y a également
13 les remarques très frappantes du Juge Liu sur la nature du comportement du
14 Juge Harhoff, et dans son mémo explicatoire, le Juge Harhoff ne reconnaît
15 pas toute déviance, tout écart des normes acceptées ou du comportement
16 judiciaire. Il ne dit pas qu'il n'a rien fait de mal et qu'il regrette
17 d'avoir indiqué certaines choses qu'il a indiquées dans son courriel.
18 Deuxième point, et qui vient du désaccord du Juge Liu et qui est très
19 pertinent pour la question de savoir si un dilemme professionnel et moral
20 profond est réel ou potentiel. Le Juge Harhoff, dans son mémo explicatoire,
21 estime que ce dilemme est potentiel. Dans le courriel, il dit qu'un dilemme
22 professionnel et moral profond découle, et je cite, des "derniers jugements
23 prononcés ici". Et il dit qu'il s'agit d'un dilemme jamais rencontré
24 auparavant. Là encore, l'impression d'un observateur raisonnable serait de
25 dire que le Juge Harhoff est confronté à un dilemme, et pas parce qu'il y a
26 eu un mauvais comportement, qu'il n'y pas eu une bonne communication entre
27 les Juges; il est face à ce dilemme parce qu'il décrit les dernières
28 évolutions dans l'affaire Perisic.
Page 158
1 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Il nous reste cinq minutes,
2 Monsieur Gosnell.
3 M. GOSNELL : [interprétation] Je peux aller jusqu'à 1 heure cinq, ou nous
4 pouvons nous arrêter maintenant.
5 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] C'est à vous de voir.
6 M. GOSNELL : [interprétation] Alors peut-être que nous pouvons nous
7 arrêter maintenant et revenir après la pause.
8 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Très bien.
9 Donc nous allons faire une pause et nous reprendrons à 2 heures 05.
10 --- L'audience est levée pour le déjeuner à 12 heures 59.
11 --- L'audience est reprise à 14 heures 06.
12 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Nous allons maintenant poursuivre et
13 entendre les arguments de M. Zupljanin. Vous avez 60 minutes qui vous
14 restent, si mes calculs sont exacts.
15 Il y a un nouveau calendrier que je suis sur le point de vous expliquer.
16 Comme je l'ai dit, les arguments de M. Zupljanin correspondent à de 14
17 heures 05 à 15 heures 05. L'Accusation répondra encore 15 heures 05 et 16
18 heures 05, à moins que vous ne souhaitez diminuer ce temps. Ensuite, il y
19 aura une pause de 16 heures 05 à 16 heures 25, et la pause va être réduite
20 et passée de une demi-heure à 20 minutes. Et ensuite, il y aura la réplique
21 de M. Zupljanin entre 16 heures 25 et 45 minutes pour répliquer, 16 heures
22 45. Ensuite, nous avons les arguments de l'Accusation de 16 heures 45, 40
23 minutes pour leur appel. Ensuite, 17 heures 25 à 17 heures 45, la réplique
24 de Stanisic, 20 minutes. Et donc, nous aurons ensuite une pause entre 17
25 heures 45 et 18 heures 05, encore 20 minutes. Et la réplique de Zupljanin,
26 correspondant à 20 minutes. La réponse de l'Accusation entre 18 heures 25
27 et 18 heures 40. Et pour finir, si les appelants vont s'adresser aux Juges
28 de la Chambre, à ce moment-là, M. Stanisic aura 10 minutes à partir de 18
Page 159
1 heures 40, et M. Zupljanin aura dix minutes à partir de 18 heures 50, et
2 nous terminerons à 19 heures. Bien.
3 Alors, il nous faut coopérer, la journée est longue. Je vais vous demander
4 de bien vouloir éviter les redites, s'il vous plaît. Nous avons entendu
5 beaucoup de redites par rapport à ce que contiennent les mémoires en
6 appels, malgré la suggestion que j'ai faite ce matin de ne pas procéder
7 ainsi.
8 Monsieur Gosnell.
9 M. GOSNELL : [interprétation] Monsieur le Président, je vous remercie de
10 votre recommandation. Je dirais qu'il n'y a pas grand-chose d'autre à dire
11 si ce n'est que la question de ce courriel, et je souhaite que vous vous
12 concentriez particulièrement sur l'affaire Hoekstra, qui présente les
13 caractéristiques analogues que celles dont nous sommes en présence
14 aujourd'hui.
15 Dans l'ordonnance portant au calendrier, s'il y a une apparence de
16 parti pris, à savoir si cela invalide la condamnation de M. Zupljanin ou
17 non, assurément, c'est le cas, Monsieur le Président. Et je vous demande de
18 bien vouloir vous pencher sur l'affaire Medicaments, paragraphe 35;
19 l'affaire Hatchcock, paragraphe 4; l'affaire Hoekstra, paragraphe 24; ainsi
20 que les affaires citées par M. le Juge Afande dans son opinion dissidente
21 concernant l'affaire Seselj, au paragraphe 11.
22 Ensuite, deuxième question, dans le cas où la condamnation n'est pas
23 annulée, qu'en est-il de la violation des droits à un procès équitable de
24 M. Zupljanin. La réponse, Monsieur le Président, c'est qu'il n'y en a pas.
25 Il n'y a aucun recours possible qui correspond au préjudice qui découle de
26 la participation d'un Juge qui a fait montre d'une apparence de partialité.
27 La position adoptée dans le mémoire en appel par rapport à des
28 conclusions trouvées à nouveau était une position secondaire. En tout cas,
Page 160
1 par rapport à la position premier. De toute façon, compte tenu de la
2 jurisprudence, en tout cas, de la Chambre d'appel, il ne serait pas
3 possible, en fait, de trouver de nouveaux éléments faisant porter la
4 responsabilité à l'accusé à nouveau. Nous laissons entendre que dans un cas
5 comme celui-ci, toutes les conclusions qui ont été faites, eh bien, même
6 s'il y a un procès de nouveau, cela ne pourrait pas donner lieu à une
7 déclaration de culpabilité.
8 Vous avez demandé s'il y avait un manquement de la part de la Chambre
9 de première instance et si la Chambre de première instance a commis une
10 erreur en déterminant que M. Zupljanin était présent à l'hôtel Holiday Inn
11 et s'il a participé ou s'il a présidé au comité exécutif et comité central
12 du SDS à cet endroit, et la réponse, Messieurs les Juges, c'est que la
13 Chambre de première instance a commis une erreur sur ce point. La question
14 a à peine été mentionnée lors du procès. La réunion est mentionnée dans le
15 mémoire préalable à l'appel de l'Accusation, aux paragraphes 85, 86, sans
16 pourtant qu'il y ait une quelconque référence à la présence de M.
17 Zupljanin. Lorsqu'un témoin est venu comparaître, alors que lui a assisté à
18 la réunion, on ne lui a pas posé la question de savoir si M. Zupljanin
19 était présent. On n'a même pas posé la question à ce témoin de savoir qui a
20 assisté à cette réunion. Ensuite, la Chambre de première instance a conclu
21 que M. Zupljanin était présent en se fondant sur un reçu de l'hôtel Holiday
22 Inn sur lequel figurait le nom de Zupljanin, et une écoute téléphonique où
23 un interlocuteur qui discutait avec M. Karadzic disait qu'il pouvait
24 rencontrer une personne répondant au nom de Stojan pendant les pauses. Même
25 si on écarte cet élément de preuve, à supposer même que ces éléments de
26 preuve soient fiables, rien ne laisse entendre que M. Zupljanin était là
27 lors de la réunion, qu'il a assisté au moment où la discussion s'est
28 déroulée sur les Variantes A et B et les propositions qui ont été faites à
Page 161
1 cette réunion, ce qui, en réalité, est important lorsqu'il s'agit de
2 déduire l'élément moral de l'appelant.
3 A cet égard, Messieurs les Juges, il y a peu d'éléments de preuve et ceci
4 est assez frappant. Si on regarde ce sur quoi on s'est fondé pour arriver à
5 cette conclusion, paragraphe 519 dans le deuxième volume, le mens rea,
6 élément essentiel sur lequel se fondent les conclusions des Juges de la
7 Chambre, est quelque chose qui n'a même pas été abordé lors du procès. Et
8 tout à coup, cela se trouve être une conclusion essentielle sur laquelle
9 repose le jugement rendu en première instance par la Chambre.
10 Pourquoi est-ce le cas ? Pourquoi ? Pourquoi les Juges de la Chambre se
11 sont efforcés de dire que M. Zupljanin était présent ? Monsieur le
12 Président, c'est parce que c'est une des rares indications de mens rea, de
13 l'élément moral, qui remonte au début du mois d'avril et que les Juges de
14 la Chambre ont attribué à M. Zupljanin. Et comme vous le savez, Messieurs
15 les Juges, d'après notre mémoire en appel, je ne vais pas répéter les
16 arguments, les Juges de la Chambre se sont reposés de façon très importante
17 sur les actes de M. Zupljanin qui se sont déroulés ou qui ont été les siens
18 longtemps après le mois d'avril 1992, et aucune discussion n'a porté là-
19 dessus pour savoir pourquoi ces actes qui remontaient au mois de novembre
20 1992 ont été étayés par le fait qu'il avait cette intention et cet élément
21 moral depuis le mois d'avril.
22 Je me souviens, dans l'affaire Sainovic, le jugement, au paragraphe 1035,
23 la Chambre d'appel n'a pas été convaincue par les arguments de
24 l'Accusation, à savoir que le manquement tardif de Sainovic à encourager
25 les personnes reprochées pour poursuivre les personnes concernées était une
26 indication de son intention au moment où les crimes ont été commis. Il doit
27 y avoir cette coïncidence entre le mens rea et l'actus reus, l'élément
28 moral et l'élément matériel. Il s'agit de déclarer au-delà de tout doute
Page 162
1 raisonnable qu'il y a effectivement un élément moral et qui correspond à
2 l'époque en question, et la Chambre de première instance a conclu de façon
3 indiscriminée sur tous ces événements jusqu'au mois de novembre 1992, et
4 donc, Messieurs les Juges de la Chambre d'appel, il y a un doute qui pèse
5 là-dessus, à savoir quand et de dire que M. Zupljanin possède cet élément
6 moral, et donc, il y a un manque de précision au niveau du moment ou de la
7 date à laquelle il a rejoint l'entreprise criminelle commune et le
8 fondement sur lequel ceci a porté.
9 Messieurs les Juges, vous avez demandé par rapport au premier moyen d'appel
10 de M. Zupljanin, la Chambre de première instance a condamné M. Zupljanin
11 parce qu'il manqué à son devoir d'enquêter sur les crimes commis par la
12 police qui avait été resubordonnée à l'armée. Et je répondrai oui. Si vous
13 regardez le paragraphe 519, que j'ai cité comme étant le paragraphe
14 essentiel pour déterminer l'élément moral de l'accusé, les actes et
15 omissions qui sont cités, et ensuite, au milieu du paragraphe :
16 "La Chambre de première instance s'est également penchée sur le manquement
17 de Zupljanin à son obligation de protéger la population non-serbe, y
18 compris sa participation dans le détachement du SOS et son manque d'action,
19 il n'a pas pris les mesures nécessaires par rapport aux crimes commis par
20 cette unité et ses déclarations et actions menées en guise de réponse."
21 Alors, voici donc les omissions. Et c'est le paragraphe 504 également, où
22 M. Zupljanin est censé n'avoir rien fait. Paragraphe 505, il n'a pas imposé
23 de mesures disciplinaires. Aux paragraphes 441 et 455, l'intitulé de ce
24 paragraphe, "Un manquement alors qu'il avait l'obligation en vertu des lois
25 et règlements applicables au MUP de protéger toute la population civile qui
26 se trouvait dans les municipalités contrôlées par la RAK." Aux paragraphes
27 457 à 488, encourager et faciliter la commission des crimes commis par des
28 forces serbes en ne prenant pas les mesures nécessaires pour mener des
Page 163
1 enquêtes, arrêter ou sanctionner les auteurs de tels crimes.
2 Il est vrai que la Chambre de première instance n'a pas conclu de façon
3 expresse qu'à certaines occasions, un policier qui était subordonné à
4 l'armée n'a pas fait l'objet de mesures disciplinaires ou de sanctions de
5 la part de M. Zupljanin et qu'on pourrait en déduire qu'il y avait une
6 intention à cet égard. Cela est vrai, mais c'est seulement parce que la
7 Chambre de première instance a renoncé à toute obligation ou nécessité
8 d'expliquer ce lien de subordination à aucun moment. Et ce n'est pas -
9 comme le fait valoir l'Accusation aux paragraphes 33 et 71 de leur mémoire
10 en réponse - que cette question n'a pas été abordée sur un plan purement
11 théorique ou qu'il s'agissait d'une préoccupation purement hypothétique.
12 C'est simplement, cette question n'a pas été abordée non seulement
13 théoriquement et hypothétiquement, cette question n'a pas été abordée du
14 tout de façon spécifique. Il s'agit des éléments qui ont conduit à cet
15 événement au paragraphe 519 et l'intention dont on parle.
16 Et compte tenu du contexte, combien de temps au procès a été consacré à ces
17 questions-là, qui ont été abordées par mon confrère Me Krgovic, la Chambre
18 de première instance s'est intéressée de façon active au long de certains
19 paragraphes l'implication de la question de la subordination, et donc, dans
20 ce contexte, on peut en conclure qu'il ne s'agit pas simplement d'une
21 préoccupation hypothétique qui est mentionnée par la Défense dans son
22 mémoire en clôture : Non, attendez un instant, nous avons un fondement pour
23 dire qu'il n'avait pas la compétence pour le faire. Simplement, la
24 question, pendant toute la durée du procès, les Juges savaient qu'ils ont
25 renoncé à la nécessité d'aborder cette question-là.
26 Comment peut-on établir qu'une personne participe à l'entreprise criminelle
27 commune. Nous avons des recommandations d'après le jugement Tolimir qui
28 nous ont été présentées, au paragraphe 1117. Je renvoie ici à quatre
Page 164
1 éléments et on renvoie ici à la responsabilité pénale pour omission en
2 vertu de l'article 7(1). Rien ne laisse entendre ici que l'entreprise
3 criminelle commune doit être exonérée de cette approche. L'entreprise
4 criminelle commune est une forme de commission en vertu de l'article 7(1).
5 Et vous pouvez analyser les quatre conditions requises : il y a
6 l'obligation d'agir en vertu du droit public, du droit pénal, mais la
7 personne avait la capacité d'agir pour honorer cette obligation; en outre,
8 la personne a omis d'agir, et donc, avait pour intention la commission de
9 ces crimes et des conséquences; et donc, ce manquement à l'obligation de
10 réagir a conduit à la commission du crime.
11 Et la position de l'Accusation n'est pas si différente, même si sa position
12 est un peu plus vague. Alors, lorsque la Chambre de première instance
13 considère que la responsabilité en vertu de l'entreprise criminelle
14 commune, en partie en raison de l'omission, ceci est important dans
15 l'analyse sur le mens rea d'analyser si l'accusé avait l'obligation d'agir,
16 et donc, son manquement à agir a contribué à la mise en œuvre de
17 l'entreprise criminelle commune.
18 Et nous disons, bien évidemment, que ces critères sont trop bas, mais dans
19 un sens ou dans un autre, en tout cas, il s'agit de critères qui permettent
20 d'apprécier si oui ou non une action hypothétique qui n'a pas été réalisée
21 par un accusé constitue en réalité une omission qui peut être considérée
22 comme un élément qui fait partie de l'élément moral et de l'élément
23 matériel dans le cadre de la commission de crimes en vertu de l'entreprise
24 criminelle commune.
25 Quelle a été la position de la Chambre de première instance sur cette
26 question ? Avant d'aborder cette question-là, j'ai eu la possibilité, en
27 quelques mots, de me familiariser, Messieurs les Juges, avec votre décision
28 rendue dans l'affaire Stanisic et Simatovic, et ce que je constate au vu de
Page 165
1 ce jugement, en l'analysant de façon superficielle, je constate que,
2 Messieurs les Juges, vous faites très attention à l'application de
3 l'entreprise criminelle commune, et que cette forme de responsabilité doit
4 être étayée par des conclusions très précises, des indications précises sur
5 la manière dont l'actus reus a été déterminé et l'élément moral a été
6 déterminé, l'élément matériel et l'élément moral.
7 Et comment les Juges de la Chambre ont-ils apprécié ces éléments-là,
8 à savoir si les actions hypothétiques qui n'ont pas été prises doivent être
9 attribuées à M. Zupljanin ? Aucune analyse, Messieurs les Juges. Aucune
10 description. Nous n'avons qu'une série de conclusions et d'observations
11 par-ci par-là. On précise qu'il a omis de faire X ou Y, ou de contre X et
12 Y. Non seulement il n'y a pas de cadre correspondant à cette analyse, et si
13 l'on ajoute cela à un manquement d'obligation à remplir son obligation par
14 rapport à la question de la resubordination, il y a un manque de motifs qui
15 permettraient de convaincre les Juges de la Chambre qu'effectivement
16 l'approche correcte à la mens rea, à l'actus reus a été adoptée.
17 Donc pour ce qui est de la question de l'appréciation de la
18 resubordination, les Juges de la Chambre ont fait un amalgame entre la
19 resubordination et la responsabilité du supérieur hiérarchique, comme si le
20 premier ne pouvait être que pertinent par rapport au dernier élément, la
21 subordination ne pouvait être que pertinente par rapport à la
22 responsabilité du supérieur hiérarchique. Il ne s'agit pas d'équivalence
23 ici. Les forces de police ont été soupçonnées d'avoir commis des crimes à
24 l'époque où ils avaient été resubordonnés à l'armée, mais ceci ne s'exclut
25 pas mutuellement l'autorité de M. Zupljanin. M. Zupljanin avait l'autorité
26 sur eux. La Chambre de première instance reconnaît qu'ils ne pouvaient pas
27 déterminer s'il avait l'autorité pour punir, discipliner et contrôler la
28 police qui était resubordonnée à l'armée. Donc la Chambre de première
Page 166
1 instance appelle cela une conclusion. Une fois que la Chambre de première
2 instance avait conclu cela, il revenait aux Juges de la Chambre de première
3 instance d'analyser de façon rigoureuse si des actes précis commis par les
4 policiers ont été commis dans le cadre de cette resubordination ou non,
5 parce que si cela n'est pas le cas, nous nous retrouverons dans une
6 situation où la Chambre de première instance ne peut pas dire, au vu des
7 doutes qu'elle a elle-même sur la question de la resubordination, et le
8 fait qu'elle reconnaît la gravité de la question, que c'était essentiel
9 d'analyser cela pour analyser l'obligation, la capacité de M. Zupljanin à
10 agir, et qu'au vu de tous ces éléments, la Chambre de première instance n'a
11 pas pu conclure au delà de tout doute raisonnable que différentes actions
12 spécifiques commises par différentes personnes qui avaient été
13 resubordonnées à l'armée peuvent être attribuées à M. Zupljanin.
14 Monsieur le Président, avec votre permission, je vais maintenant
15 donner la parole à M. Krgovic, qui va aborder certains des éléments de
16 preuve très détaillés qui ont été entendus lors du procès. Je vous
17 remercie.
18 M. KRGOVIC : [interprétation] Messieurs les Juges, je vais m'exprimer
19 en serbe.
20 Je vais m'exprimer en serbe, parce que je peux m'expliquer de façon
21 plus aisée dans ma langue maternelle, et j'ai fourni une transcription de
22 mes arguments aux cabines d'interprètes, donc vous n'aurez pas de mal à
23 suivre ce que je vais vous dire.
24 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, la resubordination est un
25 sujet central dont se sont occupés intensivement la Défense, l'Accusation
26 et les Juges pendant toute la durée du procès. La question était évoquée
27 dans le prétoire pour la première fois le 2 octobre 2009, au début du
28 procès, deux semaines à peu près après son commencement. Nous avons passé
Page 167
1 des mois dans ce prétoire, sinon une année entière, à discuter de la
2 question. Des dizaines de témoin ont été entendus. Un grand nombre de
3 documents a été soumis aux Juges, y compris deux rapports d'expert
4 provenant de la Défense ainsi que du témoin expert. En outre, deux témoins
5 experts de l'Accusation, un témoin de la police et un témoin de l'armée ont
6 témoigné sur cette question. En outre, la Chambre de première instance a
7 cité à la barre ses propres témoins proprio motu qui se sont occupés
8 exclusivement de ce sujet.
9 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je tiens à appeler votre
10 attention sur notre présentation PowerPoint, où nous entendons le Juge Hall
11 commenter le témoignage du général Lisica dans les termes suivants :
12 "…demandez votre aide quant à la resubordination des forces de police
13 à l'armée et à la responsabilité d'enquêter, de poursuivre les crimes
14 graves prétendument commis par des forces resubordonnées pendant la durée
15 de leur resubordination."
16 Alors, Messieurs les Juges, nous avons entamé le procès sur ce sujet
17 et nous l'avons conclu également sur ce sujet. Quel a été le résultat de
18 tout cela ? Suite à la synthèse de la plus grande part des dépositions de
19 témoins et des éléments de preuve soumis à la Chambre sur ce sujet, la
20 Chambre de première instance a d'abord déclaré qu'elle n'était pas en
21 mesure d'établir si les autorités militaires ou autorités civiles pouvaient
22 être tenues responsables des enquêtes à mener et des poursuites à engager
23 en rapport avec des crimes visant des Musulmans et des Croates qui auraient
24 été commis par des membres d'une police resubordonnée à l'armée. La Chambre
25 de première instance a par ailleurs déclaré qu'il n'y avait pas nécessité
26 de formuler des conclusions sur la question de la resubordination en tant
27 que telle.
28 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, en dépit de cela, au
Page 168
1 paragraphe 518, Volume 2 du jugement, la Chambre de première instance a
2 conclu que Zupljanin était responsable, parce que, je cite, "il avait omis
3 de lancer des enquêtes pénales et de prendre des mesures disciplinaires par
4 rapport à ses subordonnés qui avaient commis des crimes contre des non-
5 Serbes, créant ainsi un climat d'impunité."
6 Au paragraphe 519 du Volume 2 du jugement, la Chambre de première
7 instance conclut que Zupljanin a également omis de protéger la population
8 non-serbe, entre autres, en omettant de prononcer des sanctions
9 disciplinaires contre les unités qui étaient sous son contrôle. Les
10 questions centrales auxquelles la Chambre de première instance n'a pas
11 fourni de réponse, si elles avaient été correctement analysées dans le
12 détail et si une réponse correcte leur avait été apportée, auraient eu une
13 signification très importante, sinon complète, et auraient changé les
14 conclusions de la Chambre de première instance eu égard à l'omission d'agir
15 de la part de Zupljanin.
16 La première question de ce genre consiste à se demander quand et dans
17 quelle circonstance les membres de la police ont été resubordonnés à
18 l'armée. En d'autres termes, dans quelle situation et à quelle période les
19 membres de la police ont échappé à l'autorité et à la compétence de
20 Zupljanin ? Et deuxièmement, il convient de se demander dans quelle mesure
21 les crimes dont Zupljanin a été accusé étaient des crimes commis par les
22 membres de la police pendant sa resubordination à l'armée de la Republika
23 Srpska ?
24 Quelle est cette question importante, Monsieur le Président,
25 Messieurs les Juges ? Et je vais vous donner quelques exemples du jugement
26 où les postes de police pertinents, y compris des postes de police
27 complets, ont été totalement resubordonnés aux structures militaires. Ces
28 exemples sont ceux de Donji Vakuf, Kljuc, Kotor Varos, les responsables de
Page 169
1 la sécurité des camps militaires de Manjaca et de Trnopolje, ainsi que la
2 participation de la police à toutes les activités de combat menées sur le
3 territoire de la Région autonome de Krajina.
4 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, la Chambre de première instance
5 a eu sous les yeux pléthore d'éléments de preuve et de dépositions sur
6 lesquels il eut été facile de se reposer pour établir qui détenait
7 l'autorité et qui était responsable de lancer des enquêtes et de prendre
8 des mesures disciplinaires contre les auteurs agissant dans ces lieux et
9 ces localités. Je voudrais simplement vous en citer quelques-uns, quelques
10 pièces à conviction ainsi que le nom de certains témoins. Les éléments en
11 question sont les suivants : pièces à conviction 5160, 2D159, 1D662, 1D368,
12 P1888, P624, ainsi que les dépositions des témoins Slavko Lisica,
13 Aleksandar Krulj, du Témoin SD172, du Témoin le général Vidosav Kovacevic,
14 ainsi que du Témoin Nenad Krejic. Eh bien, la Chambre de première instance
15 a ignoré tous ces éléments de preuve.
16 Et puis, quelle est l'autre raison pour laquelle la subordination est
17 importante, Monsieur le Président, Messieurs les Juges ? Il a été dit dans
18 les éléments de preuve que 80 % des policiers qui étaient membres du centre
19 de Sécurité publique de Banja Luka ont été resubordonnés à l'armée entre le
20 4 avril 1992 et le mois de décembre 1992.
21 Ces faits ressortent de la pièce P624, qui est un rapport de travail
22 du CSB de Banja Luka rédigé par M. Zupljanin, et ils ressortent également
23 du témoignage de Goran Macar, pages 23 094 à 23 095 du compte rendu
24 d'audience.
25 Et puis, Messieurs les Juges, Zupljanin n'avait pas compétence sur
26 des forces qui éventuellement ont commis des crimes dans la période en
27 question. Il avait même des difficultés à imposer son contrôle sur les
28 niveaux inférieurs de la police qui, eux, n'étaient pas composés d'hommes
Page 170
1 resubordonnés à l'armée, comme on peut le voir dans la pièce P624. Donc,
2 même si Zupljanin avait essayé d'émettre un ordre aux forces qui avaient
3 été resubordonnées à l'armée, ces individus ou ces unités n'auraient
4 absolument eu aucune obligation d'agir en fonction de cet ordre, car à
5 cette époque-là, ces individus et ces unités dépendaient d'une autre chaîne
6 de commandement et de prise de décision.
7 La décision de resubordination est également liée de très près à la
8 question de l'obligation de Zupljanin et de sa responsabilité pénale vis-à-
9 vis de la protection des civils dans leur ensemble. Le simple fait,
10 Messieurs les Juges, que plus de 80 % des forces de police régulière et de
11 réserve ont été resubordonnées à l'armée entre le mois d'avril et le mois
12 de décembre 1992, et que Zupljanin ne pouvait exercer son autorité sur ces
13 forces, ni compter sur elles pour remplir les missions policières
14 régulières, explique pourquoi Zupljanin n'était pas en mesure de facto de
15 garantir une protection suffisante à la population civile, ce qui lui a été
16 reproché et ce pourquoi il a été jugé coupable.
17 Par conséquent, dans la mesure où les ordres de Zupljanin ont été
18 inefficaces, eh bien, ce fait n'est pas dû au désir de Zupljanin qu'il en
19 soit ainsi parce qu'il protégeait les membres de la police; ce fait est dû
20 à l'impossibilité pour lui de concevoir et de mettre en place les moyens
21 nécessaires pour y remédier. Nous avons, à ce sujet, la déposition du
22 Témoin SD161, pages 3 527 et 3 528 du compte rendu d'audience, ainsi que
23 pages 3 533 à 3 535, nous avons aussi la déposition du Témoin SD007, qui a
24 déclaré clairement que les ordres de Zupljanin n'auraient jamais pu être
25 mis en application.
26 Finalement, Messieurs les Juges, je voudrais aborder un point que mon
27 confrère, Me Gosnell, a également évoqué et qui fait l'objet d'une question
28 des Juges de la Chambre d'appel. Vous avez souhaité savoir si la Chambre de
Page 171
1 première instance avait jugé Zupljanin responsable d'une omission à
2 enquêter sur les crimes commis par la police resubordonnée à l'armée.
3 Eh bien, Messieurs les Juges, sur la base de tous les éléments
4 contenus dans notre mémoire en appel et de tous les éléments contenus dans
5 la réponse de Zupljanin, ce que je déclare ici aujourd'hui, c'est que nous
6 croyons que la réponse à cette question doit être positive, à savoir que la
7 Chambre de première instance a effectivement déclaré Zupljanin coupable de
8 n'avoir pas enquêté ou imposé des sanctions disciplinaires aux auteurs de
9 crimes dans les cas où ces crimes ont été commis par des policiers qui, à
10 l'époque de leur commission, étaient resubordonnés à la VRS.
11 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, ces petites omissions de
12 la part de la Chambre de première instance ne sont pas de légères erreurs
13 techniques qui n'auraient aucun impact sur leur responsabilité vis-à-vis de
14 la sentence infligée à l'accusé. Ces questions portent sur le cœur même des
15 conclusions de la Chambre de première instance s'agissant d'établir la
16 responsabilité de Stojan Zupljanin. Ce sont des erreurs graves de la part
17 de la Chambre de première instance qui invalident le jugement à plusieurs
18 niveaux. La Chambre de première instance a rendu ses conclusions au vu de
19 faits qui étaient pour le moins incertains et dont on peut même en
20 qualifier certains de déraisonnables. En tant que tel, ceci exige une
21 intervention radicale de la part de la Chambre d'appel.
22 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, c'est sur ces mots que je
23 conclus mon propos. Mme Cmeric me remplacera au micro.
24 Mme CMERIC : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs les
25 Juges. Je m'appelle Tatjana Cmeric, et je vais traiter aujourd'hui d'une
26 question concernant la charge d'extermination, après quoi je passerai à la
27 sentence.
28 Monsieur le Président, avec votre permission, j'aimerais continuer les
Page 172
1 réponses aux questions des Juges de la Chambre d'appel concernant le
2 troisième motif d'appel de Zupljanin; à savoir, je cite, "déterminer si la
3 Chambre de première instance a apporté les conclusions nécessaires en
4 indiquant que les auteurs des meurtres de 20 détenus pendant leur transport
5 du centre de détention de Betonirka au camp de Manjaca le 7 juillet 1992
6 possédaient l'intention requise pour prononcer une condamnation pour
7 extermination; et si tel n'est pas le cas, déterminer si l'absence de cette
8 conclusion permet d'invalider la conclusion de la Chambre de première
9 instance."
10 L'élément moral d'extermination exige que l'intention de l'auteur de tuer à
11 grande échelle ou systématiquement un certain nombre de personnes soit
12 soumis aux conditions qui ont pu mener à leurs morts. Dans le Volume 1,
13 paragraphe 215 du jugement, la Chambre de première instance répond, et je
14 cite, "les officiers de police avaient l'intention d'infliger de graves
15 blessures physiques aux détenus qui étaient en train d'être transportés et
16 avaient l'intention que ces blessures aboutissent à leur mort."
17 La Chambre semble accepter dans ce même paragraphe et dans le jugement la
18 possibilité que la mort d'une vingtaine de détenus, comme c'est indiqué
19 dans le jugement, n'ait peut-être pas été intentionnelle; à savoir que dans
20 le paragraphe 215 du jugement, la Chambre de première instance déclare, et
21 je cite, "les officiers de police savaient ou auraient dû savoir que leurs
22 actions pouvaient provoquer la mort des victimes."
23 Dans le Volume 2, paragraphe 524 du jugement, la Chambre déclare, je cite :
24 "Le 7 juillet 1992, 20 détenus non-serbes ont été tués dans un camion alors
25 qu'ils étaient transportés par la police de Sanski Most."
26 Tous les faits entourant cet incident, qu'on les considère sous un angle ou
27 un autre, ne parviennent pas à démontrer au-delà de tout doute raisonnable
28 que les auteurs principaux possédaient l'élément moral requis pour
Page 173
1 prononcer qu'il y a eu extermination. Ce serait certainement une déduction
2 déraisonnable pour tout juge des faits de se prononcer dans ce sens.
3 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je demande que nous passions à
4 huis clos partiel.
5 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Passons à huis clos partiel. Est-ce que
6 nous sommes à huis clos partiel ?
7 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel,
8 Monsieur le Président.
9 [Audience à huis clos partiel]
10 (expurgé)
11 (expurgé)
12 (expurgé)
13 (expurgé)
14 (expurgé)
15 (expurgé)
16 (expurgé)
17 (expurgé)
18 (expurgé)
19 (expurgé)
20 (expurgé)
21 (expurgé)
22 (expurgé)
23 (expurgé)
24 (expurgé)
25 (expurgé)
26 (expurgé)
27 (expurgé)
28 (expurgé)
Page 174
1 (expurgé)
2 (expurgé)
3 (expurgé)
4 (expurgé)
5 (expurgé)
6 (expurgé)
7 (expurgé)
8 (expurgé)
9 (expurgé)
10 (expurgé)
11 (expurgé)
12 (expurgé)
13 (expurgé)
14 (expurgé)
15 (expurgé)
16 (expurgé)
17 (expurgé)
18 (expurgé)
19 (expurgé)
20 [Audience publique]
21 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Madame Cmeric, nous sommes en
22 audience publique.
23 Mme CMERIC : [interprétation] Je vous remercie.
24 Donc, ce témoin déclare que les membres de la police qui étaient en
25 tête de colonne n'avaient pas connaissance des conditions dans lesquelles
26 les détenus étaient transportés à Manjaca. Et nous n'avons aucun autre
27 élément de preuve permettant de penser qu'ils aient pu en avoir une
28 quelconque connaissance, et encore moins qu'ils aient eu l'intention de
Page 175
1 soumettre les détenus à des conditions qui conduiraient à leur mort. La
2 Chambre de première instance a totalement négligé de s'intéresser à cet
3 aspect de la question.
4 Et de tels témoignages n'auraient pas dû être laissés de côté, mais
5 auraient dû être pris en compte en rapport avec l'élément de preuve P486,
6 qui est un rapport quotidien émanant du camp de Manjaca de l'équipe
7 opérationnelle de ce camp et adressé au commandement du département de
8 renseignement et de sécurité du 1er Corps de la Krajina en date du 8 juillet
9 1992. Ce document évoque 24 prisonniers qui, comme on peut le lire dans le
10 rapport, ont trouvé la mort probablement par manque d'oxygène. Le rapport
11 émet des critiques par rapport aux organes de Sanski Most, donc pas
12 précisément par rapport à la police ou en tout cas pas uniquement par
13 rapport à la police et même pas du tout par rapport à la police de Sanski
14 Most.
15 Un rapport comparable que l'on trouve dans la pièce P487, en date du
16 9 juillet 1992, existe. Ces deux rapports ont été envoyés à un corps de
17 l'armée et pas à la police de Sanski Most ou de Banja Luka, pas non plus à
18 Zupljanin. Donc, même en admettant que la police ou une autre personne
19 impliquée dans le transport des détenus à Manjaca ait pu avoir connaissance
20 des conditions dans lesquelles ce transport s'est déroulé, l'Accusation n'a
21 pas prouvé au-delà de tout doute raisonnable que les auteurs principaux
22 possédaient l'élément moral requis pour soit tuer à grande échelle, soit
23 soumettre systématiquement les détenus à des conditions d'existence qui
24 auraient conduit à leur mort. Ce qui est exigé, c'est que l'élément mental
25 de l'auteur englobe tous les éléments objectifs du crime. L'annihilation
26 d'une masse humaine importante et ces directives établissent le niveau de
27 criminalité requis, à savoir qu'il y a eu négligence importante, grave
28 négligence.
Page 176
1 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, si nous allons plus loin,
2 si le dolus eventualis est satisfait, si l'élément moral prouvant
3 l'extermination par rapport à Sanski Most est satisfait, la conclusion de
4 la Chambre de première instance n'en satisfait pas pour autant ce critère
5 inférieur par rapport à l'incident de Sanski Most. La Chambre a conclu que
6 les officiers de police, et je vous cite une nouvelle fois les mots en
7 question, "savaient ou auraient dû savoir que par leurs actions, ils
8 pouvaient provoquer la mort des victimes."
9 Donc, ce critère de la connaissance est une déclaration de négligence
10 et d'absence d'attention, mais ne prouve pas qu'il y a eu entreprise
11 volontaire par rapport au risque couvert par le dolus eventualis. La
12 conclusion de la Chambre ne satisfait pas au seuil nécessaire pour établir
13 l'élément moral d'extermination.
14 Comme indiqué dans le paragraphe 234 du mémoire en appel de
15 Zupljanin, les auteurs, par conséquent, n'ont pas commis le crime
16 d'extermination, et ceci ne peut pas être imputé non plus dans le cadre de
17 l'entreprise criminelle commune pour peu qu'il ait été prévisible. Il
18 s'agit d'une erreur de droit qui découle d'une déclaration erronée des
19 conclusions de la Chambre de première instance permettant d'invalider la
20 conclusion juridique de la Chambre.
21 Enfin, pour répondre à la première partie de la question des Juges de
22 la Chambre d'appel, la Chambre de première instance est arrivée à une
23 conclusion concernant les auteurs principaux quant à leurs intentions vis-
24 à-vis de l'extermination. La question ici, par conséquent, ne réside pas
25 dans l'absence d'une quelconque conclusion de la part de la Chambre de
26 première instance, mais est due à la conclusion même qui ne satisfait pas
27 l'exigence d'élément moral vis-à-vis du crime d'extermination.
28 Et pour répondre à la deuxième partie de la question des Juges de la
Page 177
1 Chambre d'appel, l'existence de la conclusion telle qu'elle est invalide la
2 conclusion de la Chambre de première instance en ce que la conclusion vis-
3 à-vis de l'extermination et de l'incident du 7 juillet 1992 ne peut pas
4 tenir.
5 Ceci met un point final à ce que j'avais à vous dire sur ce sujet,
6 Monsieur le Président, Messieurs les Juges. Et j'aimerais maintenant parler
7 de la sentence.
8 La Chambre de première instance a correctement établi le droit applicable
9 s'agissant de la sentence, mais a omis de respecter ce droit et n'a pas
10 exercé son pouvoir discrétionnaire afin d'établir un équilibre approprié
11 entre le niveau de la sentence et la gravité des crimes ainsi que les
12 circonstances individuelles dans lesquelles se trouvaient les accusés. La
13 Chambre de première instance a commis un certain nombre d'erreurs
14 discernables qui, qu'elles soient prises en compte séparément ou ensemble,
15 ont causé un dommage irréparable à la sentence prononcée dans le jugement.
16 Les sentences imposées dans les affaires précédentes ne sont pas
17 exécutoires par les Chambres saisies ultérieurement et il y a obligation
18 d'individualiser la peine. La Chambre, comme indiqué dans le Volume 2,
19 paragraphe 887, doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour déterminer
20 quelle est la sentence la plus appropriée, même si celui-ci est vaste, il
21 n'est pas sans limite. La Chambre de première instance, en l'espèce, n'a
22 pas accordé un poids suffisant aux considérations pertinentes. Elle a
23 commis clairement des erreurs sur les faits au moment d'exercer son pouvoir
24 discrétionnaire et a pris des décisions qui sont déraisonnables et
25 injustes, décisions que la Chambre d'appel est capable d'utiliser pour
26 déduire que la Chambre de première instance n'a pas exercé son pouvoir
27 discrétionnaire correctement.
28 La Chambre de première instance a surestimé la position de M. Zupljanin
Page 178
1 ainsi que ses responsabilités et son autorité. Par ailleurs, elle a sous-
2 évalué ses actes positifs et ses efforts. La Chambre a considéré comme
3 situation aggravante le fait que Zupljanin n'avait pas utilisé correctement
4 son autorité pour prévenir les crimes. Toutefois, lorsque le paragraphe 948
5 du Volume 2 du jugement est lu avec attention, il en ressort que la Chambre
6 s'est appuyée, en fait, sur le poste officiel de Zupljanin en tant que chef
7 du CSB de Banja Luka, ce qui l'a amenée à commettre une erreur discernable
8 de doublon.
9 Dans l'affaire Stakic, la Chambre d'appel a estimé que la Chambre de
10 première instance devait fournir des raisons convaincantes pour justifier
11 son choix; ceci figure au paragraphe 416 du jugement. La Chambre de
12 première instance a omis d'agir ainsi lorsqu'elle n'a pas établi que les
13 dépêches et les ordres de Zupljanin étaient en soi criminels. En fait,
14 aucune conclusion dans le jugement de la Chambre de première instance ne
15 permet de démontrer que Zupljanin aurait fait mauvais usage de son autorité
16 sur ce plan.
17 Par ses actions directes, Zupljanin a, entre autres, réussi à sauver plus
18 de mille vies humaines. Il est intervenu lorsque 600 personnes
19 d'appartenance ethnique rom et musulmane étaient en cause, et il a
20 également activement participé à la libération de plusieurs centaines de
21 détenus non-Serbes à Teslic. Les Juges de la Chambre d'appel trouveront les
22 arguments détaillés à ce sujet aux paragraphes 247 et 249 du mémoire en
23 appel de Zupljanin, et également aux pages du compte rendu d'audience 27
24 630, 27 631, ainsi que dans toutes les références qui y figurent.
25 La Chambre n'a fait aucune mention de ces éléments dans le chapitre du
26 jugement consacré à la sentence. En lieu de quoi, elle a estimé que
27 Zupljanin n'avait fait que réagir et, je cite, "ne l'avait fait que dans
28 des cas spécifiques et isolés." Volume 2, paragraphe 952 du jugement.
Page 179
1 L'Accusation a établi, aux paragraphes 212 et 213 de son mémoire en
2 réponse, et le répétera sans doute, que Zupljanin ne devrait pas bénéficier
3 de circonstances atténuantes étant donné les situations qu'il a contribué à
4 créer en participant à l'entreprise criminelle commune.
5 Tout en contestant la position de l'Accusation, j'appelle l'attention des
6 Juges de la Chambre d'appel sur l'affaire Krajisnik, dans laquelle la
7 Chambre d'appel a admis en tant que condition atténuante les tentatives de
8 Krajisnik d'apporter son aide à certains non-Serbes par rapport à leur
9 emprisonnement et à la nécessité pour eux de recevoir de l'aide
10 humanitaire; paragraphes 816 et 817 du jugement. La Chambre de première
11 instance a agi ainsi en dépit de la conclusion indiquant que M. Krajisnik
12 était, je cite, "l'architecte du nettoyage ethnique par rapport à la
13 création des conditions d'emprisonnement."
14 La position de la Chambre de première instance dans l'affaire Popovic et
15 consorts selon laquelle des vies ont été sauvées et que cela constitue une
16 circonstance atténuante, même si l'acte est motivé par des considérations
17 militaires, cette position est étayée en note de bas de page 340 du mémoire
18 en appel de Zupljanin et contestée par l'Accusation au paragraphe 213 de
19 son mémoire en réplique. De sorte que la position adoptée dans l'affaire
20 Popovic est désormais appuyée par celle de la Chambre d'appel, que l'on
21 trouve aux paragraphes 2076 et 2077 de l'arrêt.
22 Les actions positives de Zupljanin ne peuvent pas servir à dissimuler ces
23 motifs néfastes, mais ne se sont pas vu accorder un poids suffisant ou même
24 ont été totalement laissées de côté par la Chambre. Des éléments de preuve
25 nombreux ont été présentés à la Chambre en première instance sur les
26 conditions d'existence dans la période en question, sur le fait que les
27 voies de communication étaient coupées et qu'il y avait des difficultés à
28 établir des rapports et à les transmettre. Je renvoie les Juges de la
Page 180
1 Chambre d'appel aux pièces 2D52, P595, P621, P160, 2D50, et également à la
2 déposition du Témoin SD166 et du Témoin SD167.
3 Il y a également eu des éléments de preuve soumis en première instance
4 quant à la pénurie de personnel à laquelle Zupljanin a dû faire face; par
5 exemple, vous pouvez vous pencher sur la pièce à conviction P560.
6 Egalement, sur les risques auxquels était confronté Zupljanin, pièce à
7 conviction 2D91 et également dans les dépositions des Témoins SD182 et
8 SD172. Et en dépit de cela, Zupljanin a eu des difficultés en raison des
9 problèmes à communiquer avec certains officiers s'agissant de leur
10 comportement vis-à-vis de la population non-serbe, et puis il y avait ces
11 conditions particulièrement difficiles dans les camps qui ont été
12 qualifiées de violations manifestes des normes internationales, on trouve
13 ces éléments évoqués dans les pièces P160 et 2D25, sur lesquelles il n'a
14 pas pu communiquer non plus avec les responsables.
15 Zupljanin a plaidé auprès de ses pairs pour que tout soit fait afin de
16 préserver la paix. Il a déployé des efforts importants pour concevoir et
17 mettre en œuvre un plan de travail destiné à réduire la criminalité. On
18 trouve cela dans la pièce 1D198. Il s'est opposé ouvertement aux crimes,
19 aux violences, et a déployé des efforts pour protéger la population non-
20 serbe. Il a déployé des efforts répétés pour maintenir et restaurer la loi
21 et l'ordre. Par exemple, vous pouvez vous pencher sur les pièces P601 et
22 P595, et également sur les pièces P621 et P624 à cet égard, sans parler des
23 nombreuses plaintes au pénal et rapports qu'il a déposés. Je renvoie les
24 Juges de la Chambre d'appel aux pièces 2D57, 2D58, 2D59, et cetera, pour
25 n'en citer que quelques-unes.
26 La Chambre de première instance n'a pas non plus pris en compte ces
27 efforts, elle est même allée plus loin en évoquant, je cite, "le rôle
28 crucial dans la commission des crimes qui a été joué par Zupljanin pour
Page 181
1 lesquels il doit être déclaré coupable", sans aucune référence ou mention
2 de la nature de la participation de Zupljanin à ces crimes donnant lieu à
3 cette sentence. Ces arguments sont détaillés dans les sous-motifs d'appel
4 4(B) du mémoire en appel de Zupljanin.
5 La Chambre d'appel a soutenu les conclusions factuelles sur lesquelles
6 s'appuie la sentence imposée à Zupljanin, à savoir que cette sentence doit
7 être réduite. Comme constaté dans l'arrêt Galic, paragraphe 455, je cite :
8 "Bien que la Chambre de première instance n'ait commis aucune erreur dans
9 ses conclusions factuelles et ait correctement pris en compte les principes
10 régissant la sentence, elle a commis une erreur en concluant que la
11 sentence imposée était suffisante à rendre compte du niveau de gravité des
12 crimes commis par Galic et de son degré de participation."
13 Ceci est également référencé par l'arrêt récent dans l'affaire Djordjevic,
14 paragraphe 968.
15 M. Zupljanin n'a peut-être pas réussi à réagir aussi promptement que
16 nécessaire et aussi adéquatement que possible, comme on aurait pu
17 l'attendre d'un officier respectant la loi. Il n'a pas toujours été
18 particulièrement autoritaire dans ses réactions et il est possible qu'il
19 n'ait pas trouvé les solutions les plus appropriées aux problèmes auxquels
20 il était confronté. Pendant plus de 20 après la guerre et les événements en
21 question, on peut tomber facilement dans le piège dangereux d'une
22 simplification exagérée des circonstances de l'époque.
23 Si l'on examine les choses depuis cette perspective, il peut apparaître
24 facile de choisir entre plusieurs solutions et plusieurs moyens à sa
25 disposition pour prendre les bonnes décisions, mais à l'époque des faits
26 pendant la guerre, il s'agit, si on réfléchit ainsi, d'une simplification
27 exagérée. Les solutions et les décisions simples étaient souvent rendues
28 impossibles par des obstacles et des difficultés inimaginables pour un
Page 182
1 observateur d'aujourd'hui. Et oui, dans un monde idéal, on peut faire
2 beaucoup plus, on aurait pu faire beaucoup plus pour empêcher le
3 déplacement des populations ou les mauvais traitements et de nombreuses
4 vies auraient pu être sauvées.
5 Mais les circonstances entourant les tâches quotidiennes de M. Zupljanin
6 et ses activités étaient tout sauf idéales. Elles étaient difficiles; elles
7 étaient chaotiques, elles étaient imprévisibles, elles étaient exigeantes.
8 C'est la raison pour laquelle la sentence prononcée à son encontre, s'il
9 doit y en avoir une, doit prendre en compte tous les efforts déployés par
10 Zupljanin pour réprimer la violence, empêcher, prévenir ou forcer à rendre
11 compte de leurs actes tous les auteurs, et encore toutes les actions
12 entreprises par lui et les nombreuses vies d'individus et de familles qu'il
13 a réussi à sauver. Ces actes méritent d'être pris en compte et ne devraient
14 pas avoir été laissés de côté si légèrement. 22 ans, à savoir la sentence
15 imposée à M. Zupljanin, est manifestement excessif et disproportionné.
16 Outre le maintien de tous les arguments figurant dans le mémoire en appel
17 et dans le mémoire en réplique, il est indiqué qu'un poids suffisant aurait
18 dû être accordé aux facteurs que je viens d'évoquer et aux circonstances
19 dont je viens de parler qui ont été, manifestement, laissés de côté,
20 méprisés dans la partie du jugement concernant la sentence de la part de la
21 Chambre de première instance. Par conséquent, les Juges de la Chambre
22 d'appel sont appelés à rectifier ces erreurs et ces omissions et à réduire
23 la sentence imposée à M. Zupljanin.
24 J'en ai terminé, Monsieur le Président.
25 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Très bien. Merci, Madame Cmeric.
26 L'Accusation va maintenant prendre la parole. Elle dispose de 60 minutes.
27 Il est 3 heures, selon l'horloge du prétoire.
28 M. MENON : [interprétation] Bonjour, Messieurs les Juges. Je m'appelle M.
Page 183
1 Aditya Menon, et je répondrai à l'appel de M. Zupljanin, avec Mme Baig.
2 Nous allons, pendant l'après-midi, vous démontrer pourquoi la condamnation
3 de M. Zupljanin est correcte et ne devrait pas être infirmée, pourquoi,
4 Messieurs les Juges, vous pouvez conclure que Zupljanin a été jugé par un
5 collège de Juges juste et impartial, et pourquoi ce collège a eu raison de
6 le condamner. En fait, Messieurs les Juges, les arguments de la Défense
7 remettant en question la condamnation de M. Zupljanin et sa peine
8 s'écartent d'un fondement simple, évident et raisonnable, sur laquelle la
9 Chambre de première instance a établi la responsabilité de Zupljanin.
10 Zupljanin était le chef de la police, après tout. Il a créé une unité
11 composée de criminels et a déployé cette unité encore et encore et encore,
12 même des membres de cette unité ont victimisé des non-Serbes. C'était le
13 chef de la police qui a dit aux non-Serbes qu'il ne pouvait pas les
14 protéger et a tenu parole en permettant aux non-Serbes d'être victimes dans
15 le bâtiment où il travaillait, dans la ville où il était basé, et dans la
16 région de la RAK pour laquelle il était responsable.
17 Il était le chef de la police qui a vu les crimes horribles que les
18 forces serbes ont perpétré au premier plan, a entendu parler de ces
19 derniers, a lu à propos de ces derniers dans des rapports qu'il recevait et
20 qui, cependant, a été enhardi à protéger ces auteurs de poursuite au pénal.
21 Ce n'est pas moi qui l'ai dit, c'est la Défense.
22 Et aux yeux de la Défense, on ne peut échapper aux conclusions
23 raisonnées et raisonnables de la Chambre sur les choix que Zupljanin a
24 faits, le comportement délibéré auquel il se prêtait, les crimes nombreux
25 desquels il avait connaissance, et son engagement indéfectible à cette
26 entreprise criminelle commune.
27 Alors lors de mes arguments cet après-midi, Messieurs les Juges, je
28 vais discuter du fondement pour les conclusions de la Chambre concernant
Page 184
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14 Page intercalée pour assurer l’équivalence de pagination des
15 versions anglaise et française
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28
Page 185
1 les contributions à l'entreprise criminelle commune de Zupljanin. Je vais
2 commencer par le nombre énorme d'exemples de comportement actif que la
3 Chambre a utilisé pour établir la contribution significative de Zupljanin.
4 Ensuite, après avoir discuté de ce comportement actif de Zupljanin,
5 je parlerai du climat d'impunité que Zupljanin a créé dans la RAK au moyen
6 de ses actes et de son manque d'action délibéré. J'aborderai ensuite les
7 conclusions de la Chambre sur le devoir de protéger de Zupljanin, protéger
8 la population civile et ensuite passer à la question de la resubordination.
9 Je répondrai aux questions que vous avez soulevées s'agissant des
10 premier et troisième moyens d'appel de Zupljanin, et Mme Baig conclura les
11 arguments de l'Accusation en répondant aux arguments de Zupljanin
12 concernant le sixième moyen d'appel, la question du courriel du Juge
13 Harhoff.
14 Alors passant au comportement actif, la Chambre de première instance
15 s'est fondée pour établir la contribution significative de Zupljanin sur
16 les éléments suivants. Alors que Zupljanin avait certainement contribué à
17 l'objectif criminel commun par son manque d'action, la Chambre de première
18 instance a également établi des conclusions assez détaillées concernant son
19 comportement actif, des conclusions qui établissent en elles-mêmes sa
20 contribution significative.
21 Qu'incluait ce comportement actif ? Eh bien, il incluait la création
22 et le déploiement du détachement de la police spéciale, le désarmement de
23 non-Serbes, avoir joué un rôle actif dans la campagne d'arrestation
24 illégale et de détention, et les arguments de la Défense obscurcissent
25 l'impact de ses actions dans la réalisation de l'objectif criminel commun.
26 J'aimerais commencer mon argumentaire en vous parlant du comportement
27 actif de Zupljanin à Banja Luka, parce que c'est là que toute l'histoire
28 commence à propos de ce détachement spécial de la police.
Page 186
1 Ayant été l'un des acteurs-clés qui avait organisé le blocus de Banja
2 Luka par le groupe paramilitaire des forces de défense serbe, les SOS, le 3
3 avril 1992, Zupljanin a alimenté la campagne de violence qui a suivi le
4 blocus en créant et en déployant son détachement spécial de la police, une
5 unité qu'il a constituée de criminels expérimentés.
6 Qu'a fait la campagne de violence à Banja Luka ? A quoi ressemblait-
7 elle lorsque Zupljanin a mis en place sont détachement spécial de la police
8 ? Après le blocus, le SOS, qui avait des liens étroits avec le SDS, a mené
9 des attaques contre les non-Serbes et leurs biens en plastiquant des
10 maisons et des entreprises deux à trois fois par semaine. Je me fonde ici
11 sur le Tome 1 du jugement, paragraphes 157 et 209.
12 Les officiers de police de Zupljanin n'ont pas abordé ces crimes de
13 façon éclairée, dirons-nous; au lieu de cela, lorsqu'ils patrouillaient
14 dans les quartiers musulmans, ils ont saisi de l'argent et ont accueilli
15 des informations qui avaient été utilisées pour emmener des personnes en
16 interrogatoire au QG de Zupljanin, au bâtiment du CSB de Banja Luka; Tome
17 1, paragraphe 157.
18 Un groupe de Serbes qui conduisaient une camionnette rouge et qui incluait
19 des membres des forces de police de Zupljanin était particulièrement connu.
20 Ils rouaient de coups, harcelaient, arrêtaient et volaient des biens de
21 non-Serbes; Tome 1, 159. Ceux qu'ils ont enlevés de façon violente étaient
22 emmenés dans la camionnette qui était conduite autour de Banja Luka les
23 portes ouvertes pour que les victimes soient vues de tous lors de leurs
24 mauvais traitements. Le groupe de la camionnette rouge a lancé certaines
25 attaques du bâtiment du CSB de Zupljanin et y est retourné avec les
26 victimes pour que les victimes puissent encore être rouées de coups et
27 humiliées encore plus.
28 Pire encore, Zupljanin a octroyé à ces auteurs une impunité en annonçant
Page 187
1 publiquement, au premier semestre du mois d'avril, qu'il ne pouvait pas
2 garantir la sécurité physique des non-Serbes et de leurs biens. Je fais
3 référence ici au Tome 2, 450 à 496. L'atmosphère de menace à Banja Luka
4 suite au blocus a fait que des centaines de non-Serbes ont quitté la
5 municipalité, et ce, semaine après semaine, dans des autocars escortés par
6 la police; Tome 2, 499 et 512.
7 Et c'est en plein milieu de cette vague de violence qui avait lieu
8 autour de lui que Zupljanin a créé son détachement spécial de police de 150
9 à 200 hommes. Zupljanin leur a fourni, en qualité de membres du
10 détachement, de cartes d'identité qui les habilitaient à arrêter des
11 personnes, à mener des fouilles sans mandat, et à porter et à utiliser des
12 armes à feu; Tome 2, 390.
13 Zupljanin a été averti des dangers s'il intégrait des criminels des
14 SOS dans son détachement spécial de la police, mais il a balayé du revers
15 de la main ces avertissements et a loué les SOS comme étant des chevaliers
16 serbes; Tome 2, 388, 499; et Tome 1, 143 [comme interprété].
17 Suite à sa création, Zupljanin a laissé le détachement à Banja Luka
18 se déchaîner en mai 1992, où des membres de l'unité ont arrêté de façon
19 arbitraire et ont roué de coups des non-Serbes et on pillé leurs biens.
20 Tout comme d'autres auteurs l'avaient fait depuis le blocus, les membres du
21 détachement ont pris les non-Serbes au QG de Zupljanin, le bâtiment du CSB
22 de Banja Luka, et les ont battus là-bas; Tome 1, paragraphes 164 et 201.
23 En mai 1992, des membres du détachement ont également commis de façon
24 active des crimes en dehors de Banja Luka. Ce mois-là, Zupljanin avait
25 envoyé les membres du détachement à Bosanski Novi et Doboj et avait appris
26 qu'ils avaient commis des crimes dans ses municipalités également; Tome 2,
27 paragraphes 405, 431, 440 et 502.
28 Malgré le fait qu'il savait que ses membres avaient fait des non-
Page 188
1 Serbes des victimes, Zupljanin a permis au détachement d'agir à Banja Luka
2 et à déployer le détachement pour aider à la prise d'autres municipalités
3 également. Il n'est pas surprenant d'apprendre que les membres du
4 détachement ont continué à commettre des crimes contre des non-Serbes. Par
5 exemple, le 13 juin, le chef du SJB de Prijedor, Simo Drljaca, a rapporté à
6 Zupljanin que des membres du détachement avaient procédé à des arrestations
7 arbitraires, abusaient et volaient des prisonniers au camp d'Omarska, et
8 avaient pillé des biens pendant des opérations de nettoyage.
9 En juin 1992, Zupljanin a également déployé le détachement à Kotor
10 Varos à la demande de la cellule de Crise locale, et à la fin de ce mois-
11 là, des rapports concernant la participation du détachement à des pillages,
12 à des mauvais traitements, à des meurtres et à des viols de non-Serbes à
13 Kotor Varos sont arrivés à Zupljanin; Tome 1, paragraphe 451; Tome 2,
14 paragraphe 425. Au moins d'août 1992, des membres du détachement
15 expulsaient encore des Musulmans; Tome 2, paragraphe 397.
16 Au-delà de son rôle dans le déploiement du détachement, Zupljanin a
17 également activement contribué à l'objectif criminel commun en ordonnant
18 aux policiers de la RAK de coopérer avec d'autres forces serbes dans la
19 mise en œuvre d'opérations de désarmement en mai et juin 1992, et la
20 Chambre de première instance a conclu qu'elle a été essentielle -
21 essentielle - pour l'expulsion de la population non-serbe; Tome 2,
22 paragraphe 500.
23 L'opération de désarmement a facilité les attaques sur les non-Serbes
24 de la part des forces serbes. Par exemple, à Prijedor, un raid réussi de
25 confiscation d'armes des Musulmans et de la population croate, y compris
26 des fusils et des pistolets obtenus légalement, a donné lieu à une prise
27 sans opposition que les forces serbes ont exploitée en rasant les zones
28 non-serbes qu'ils attaquaient. Les attaques ont provoqué la fuite de la
Page 189
1 population civile, et cette population civile s'est cachée dans des villes
2 proches, des forêts, des vallées, où elle était traquée et arrêtée.
3 A Prijedor, comme dans d'autres municipalités de la RAK, les
4 arrestations de non-Serbes ont été massives et indiscriminées. Ces
5 arrestations font partie de la ligne de conduite destinée à débarrasser la
6 Republika Srpska de sa population non-serbe. La Chambre de première
7 instance a conclu que Zupljanin avait joué un rôle proactif dans les
8 arrestations massives et détention des non-Serbes, qu'il s'agit encore
9 d'une illustration du comportement actif qui était le sien dans la
10 réalisation de l'objectif criminel commun.
11 Comment Zupljanin a-t-il joué un rôle actif dans les arrestations
12 massives et les opérations de détention ? Tout d'abord, il a surveillé
13 l'opération de très près. Souvenez-vous, Messieurs les Juges, Zupljanin
14 avait une connaissance de première main des mauvais traitements violents
15 infligés aux détenus au bâtiment CSB de Banja Luka, c'était son propre
16 bâtiment CSB de Banja Luka, où la pratique communément adoptée consistait à
17 frapper ouvertement et humilier les non-Serbes; Volume 1, paragraphes 166
18 et 201; Volume 2, paragraphes 415 et 503.
19 En sus de cela, Zupljanin a visité le camp d'Omarska et a vu des
20 détenus non-serbes qui avaient l'air très malheureux et sous alimentés, qui
21 sentaient mauvais et montraient les signes de sévices dont ils avaient fait
22 l'objet; Volume 2, paragraphes 424 et 508. Zupljanin s'est également rendu
23 au camp de Manjaca où il a vu des détenus qui avaient été privés des
24 conditions sanitaires essentielles leur permettant de se laver. Ils
25 vivaient dans des étables destinées aux animaux; Volume 1, paragraphe 182;
26 Volume 2, paragraphe 506.
27 Au-delà de ce qu'il a pu observer directement, Zupljanin recevait des
28 rapports sur la détention illégale, les mauvais traitements et les meurtres
Page 190
1 de non-Serbes; Volume 2, paragraphe 418 à 423, 425 à 427, 506 à 510.
2 Mais, Messieurs les Juges, Zupljanin n'a pas simplement suivi de très
3 près les événements sur le terrain, il a fourni des éléments d'information
4 à Stanisic sur l'ampleur de l'opération de détention dans la RAK, des
5 crimes commis, et il a également proposé des recommandations sur la manière
6 dont l'opération devait être menée, l'opération de détention; Volume 2,
7 paragraphes 434 à 435.
8 Zupljanin était tellement impliqué dans l'opération de détention
9 qu'il a même facilité le déplacement des détenus de la Republika Srpska.
10 Par exemple, le 29 septembre 1992, Zupljanin a ordonné à la police de
11 Prijedor d'escorter par les autocars transportant plus de 1 500 non-Serbes
12 du camp de Trnopolje en Croatie; Volume 2, paragraphe 511.
13 Outre son rôle dans le désarmement des non-Serbes, la création, le
14 déploiement du détachement de la police spéciales, il a crée un climat
15 d'impunité dans la RAK qui perpétuait le cycle de violence qui avait pour
16 but de chasser les non-Serbes de la Republika Srpska.
17 Comment a-t-il créé ce climat d'impunité ? Par le biais d'actions et
18 d'inactions délibérées. Zupljanin a délibérément déposé des rapports pénaux
19 qui induisaient en erreur les lecteurs concernant le massacre de Koricanske
20 Stijene et les meurtres devant le camp de Manjaca pour pouvoir protéger les
21 auteurs de poursuite pénale; Volume 2, paragraphe 519.
22 Zupljanin a également mis sur pied un simulacre de commission pour
23 inspecter les camps de détention et les installations de Prijedor, Sanski
24 Most et Bosanski Samac [comme interprété]. La commission a produit un
25 rapport que la Défense a reconnu, au paragraphe 166, c'était dans son
26 mémoire en appel de Zupljanin, il s'agissait, en fait, de maquiller à la
27 chaux un rapport qui servait leurs intérêts.
28 En déposant ces rapports pénaux qui induisaient en erreur et ce simulacre
Page 191
1 de commission, Zupljanin a protégé les auteurs. Mais comme je l'ai dit, le
2 climat d'impunité de la RAK était dû à ses actes ainsi que son inaction
3 délibérée, les actes de Zupljanin et son inaction délibérée.
4 A terme, la Chambre a constaté et déterminé qu'au vu des éléments de
5 preuve, les actes et inactions de Zupljanin étaient un choix qui était le
6 sien, un choix qui a eu des conséquences terribles et mortelles pour les
7 non-Serbes, le choix de ne pas protéger les non-Serbes, un choix qui
8 émanait d'un chef de la police de la stature de Zupljanin qui a dit aux
9 auteurs : Il n'y a pas de problème, vous pouvez terroriser les non-Serbes
10 parce qu'il fallait poursuivre ce cycle de violence, un choix que Zupljanin
11 savait qui contraindrait les non-Serbes à quitter les municipalités de la
12 RAK et, effectivement, la Republika Srpska.
13 Le choix de Zupljanin était que trop apparent au mois d'avril 1992,
14 lorsqu'il a diffusé à Banja Luka cela en disant qu'il ne pouvait pas
15 garantir la sécurité physique des non-Serbes ainsi que de leurs biens,
16 confer le paragraphe 519 du Volume 2 du jugement. Zupljanin aurait pu dire
17 qu'il ne pouvait pas protéger les non-Serbes et leurs biens, mais ce qu'il
18 voulait vraiment dire c'est qu'il ne souhaitait pas protéger les non-Serbes
19 et leurs biens, et, par conséquent, qu'il ne les protégerait pas.
20 Après tout, Messieurs les Juges, vous pouvez vous poser la question de
21 savoir qui à Banja Luka est-ce que Zupljanin pensait qu'il pouvait protéger
22 la population non-serbe ? Etait-ce ce groupe de la camionnette rouge qui a
23 lancé des attaques depuis le même bâtiment du CSB et où des personnes ont
24 été victimes, qu'il l'emmenait là et qui étaient frappées ? Etait-ce le SOS
25 qui a terrorisé les non-Serbes sur lesquels Zupljanin tarissait d'éloges en
26 les appelant les chevaliers serbes ? Ou le détachement de la police
27 spéciale que Zupljanin a lâché contre la population non-serbe quelques
28 semaines après cette annonce ?
Page 192
1 Il s'agit d'une affaire, Messieurs les Juges, où la Défense a mentionné les
2 arguments au niveau du prononcé de la peine. Zupljanin a simplement manqué
3 à son obligation d'agir rapidement et de façon adéquate, ce que l'on peut
4 attendre à quelqu'un qui représente la loi; c'est une affaire, en fait, qui
5 porte sur son choix délibéré et de chasser les non-Serbes de la RAK et de
6 la Republika Srpska.
7 Pendant toute l'année 1992, au paragraphe 164; Volume 1, paragraphe 164;
8 Volume 2, 415 et 496. Lorsque les non-Serbes se plaignaient auprès de
9 Zupljanin au sujet des sévices qu'ils subissaient, un groupe de
10 représentants musulmans, à la mi-juillet [comme interprété] 1992, ont été
11 encore davantage terrorisés par les polices de Zupljanin; Volume 2,
12 paragraphe 451, 497 et 499.
13 Comme à Banja Luka dans les jours, semaines et mois qui ont suivi l'annonce
14 qu'il a faite au mois d'avril, lorsque Zupljanin a dit qu'il ne pouvait pas
15 protéger les non-Serbes, il a tenu parole en omettant ou même en n'essayant
16 même pas de mettre un terme à la vague de crimes qui prenait pour cible des
17 non-Serbes sur l'ensemble du territoire de la RAK. Et ce choix était
18 manifeste. D'après son manquement sur l'obligation d'enquêter et de
19 discipliner les membres de son détachement de la police spéciale pour les
20 crimes qu'ils avaient commis à Banja Luka et dans d'autres endroits; Volume
21 2, paragraphes 462, 484, 504 et 505.
22 Le choix de Zupljanin était manifeste au niveau de son mépris total
23 lorsqu'il, à différentes occasions, a justifié les crimes épouvantables
24 commis à Omarska, Keraterm et Teslic en indiquant qu'une guerre faisait
25 rage; Volume 2, paragraphe 423; Volume 1, paragraphe 849.
26 La Défense a parlé de Teslic, mais plutôt que de montrer les efforts qui
27 étaient les siens pour protéger les non-Serbes, son comportement par
28 rapport à Teslic illustre son comportement qui consistait à ne pas les
Page 193
1 protéger pour que les non-Serbes quittent la RAK. Son choix était réel
2 lorsqu'il n'a pas fait droit à Predrag Radulovic, qui souhaitait mettre en
3 place une équipe de médecins légistes pour exhumer le groupe de Mice de
4 victimes non-serbes à Teslic.
5 Qu'est-ce qu'il a dit à Predrag Radulovic ? Il a dit que le moment n'était
6 pas bon pour mener une enquête médico-légale. Inutile d'organiser des
7 analyses médico-légales à Teslic; Volume 2, paragraphe 455. Le moment
8 n'était pas opportun pour enquêter sur des crimes commis contre des non-
9 Serbes à Teslic, comme cela n'était pas le bon moment pour enquêter sur les
10 crimes commis devant le camp de Manjaca ou le massacre des non-Serbes à
11 Koricanske Stijene, ou des milliers d'autres crimes épouvantables contre
12 les non-Serbes.
13 Je m'adresse à dessein à vous concernant ces crimes et ce cycle de violence
14 qui chassait les Serbes et qui faisait partie de la campagne d'expulsion.
15 Zupljanin a décidé de ne prendre aucune action décisive. Il a décidé de
16 faire l'annonce de son choix pour qu'il n'y ait aucun doute sur la
17 question, et il a fait son annonce à Banja Luka. Il a voulu protéger les
18 auteurs et il a voulu mettre en place un simulacre de commission pour
19 inspecter les sites de détention.
20 Par son inaction délibérée, Zupljanin a décidé de ne pas répondre à
21 l'obligation essentielle et élémentaire de tout officier de police, à
22 savoir l'obligation de protéger la population civile. Ce choix a encouragé
23 les auteurs à poursuivre la commission de leurs crimes et a découragé les
24 victimes de rester en Republika Srpska.
25 A Banja Luka, où des centaines de non-Serbes fuyaient la municipalité
26 toutes les semaines suite au blocus serbe, la communauté musulmane a été
27 anéantie par l'annonce de Zupljanin, à savoir qu'il ne pouvait pas les
28 protéger. Ils se sont rendu compte du fait qu'on ne pouvait pu garantir
Page 194
1 leur sécurité; Volume 2, paragraphe 450, 496. L'incidence sur l'ensemble du
2 territoire de la RAK n'était pas différente. Paragraphe 518 Volume 2, la
3 Chambre de première instance a constaté que le manquement de Zupljanin à
4 son obligation de protéger les non-Serbes a exacerbé leur sentiment
5 d'insécurité et a fortement contribué à leur fuite des municipalités de la
6 RAK.
7 Messieurs les Juges, il y a aucune différence entre le fait que la Chambre
8 s'est reposée sur l'obligation de réagir conformément au droit de la
9 Republika Srpska lorsqu'elle a apprécié l'inaction de Zupljanin. L'objectif
10 ou lorsqu'il y a obligation, il s'agit de réagir d'une certaine façon dans
11 certaines conditions. Il avait l'obligation de protéger la population
12 civile. Et comme les Juges de la Chambre l'ont constaté, une décision a été
13 prise de ne pas remplir cette obligation pour pouvoir agir de façon
14 discriminatoire contre les non-Serbes et de les contraindre à quitter les
15 municipalités de la RAK, et donc il a contribué à la réalisation de
16 l'objectif criminel commun par son inaction; Volume 2, paragraphe 519.
17 Et donc dans ces conditions, il s'agit du manquement délibéré de Zupljanin
18 de remplir son obligation, il savait qu'il avait l'obligation d'agir, et
19 ce, conformément à l'objectif criminel commun, s'il n'y a aucune différence
20 à l'obligation qui était la sienne en vertu du droit national et du
21 jugement récemment rendu dans l'affaire Butare confirme ceci; et le
22 jugement d'appel également.
23 La Chambre d'appel n'a jamais abordé la question de la responsabilité
24 limitée de cette façon dans le jugement Butaré, au paragraphe 2194.
25 Et si cette responsabilité est-elle fondée en droit pénal, ceci n'est
26 pas pertinent parce que les contributions à l'entreprise criminelle commune
27 n'ont pas besoin d'avoir un caractère criminel et ne font pas partie de
28 l'actus reus ou n'est pas un élément constitutif de l'actus reus du crime.
Page 195
1 Ce principe s'applique indépendamment qu'il y ait contribution par le biais
2 d'un acte ou une omission.
3 Par conséquent, s'il s'agit de contributions par omission, ceci n'a
4 pas forcément un caractère pénal, cela ne serait pas logique d'exiger que
5 l'obligation repose sur une contribution qui entraîne une sanction pénale.
6 De toute façon, Messieurs les Juges, il s'agit du manquement à l'obligation
7 d'un officier de police de remplir son obligation, ce qui avait un
8 caractère criminel en Republika Srpska. Je vous renvoie, Messieurs les
9 Juges, au mémoire en réponse de l'Accusation, note en bas de page 331.
10 La première question que vous avez posée, Messieurs les Juges, concernant
11 le premier moyen d'appel de Zupljanin, à savoir si la Chambre de première
12 instance a constaté que Zupljanin était responsable pour avoir manqué à son
13 obligation d'enquêter sur les crimes commis par la police qui était
14 resubordonnée à l'armée.
15 Messieurs les Juges, en réponse à votre question, je dois commencer par
16 l'obligation de Zupljanin de protéger la population civile. La
17 resubordination n'avait pas pertinence par rapport au devoir de Zupljanin
18 de remplir ce devoir. Il était non pertinent en raison du devoir de
19 Zupljanin de protéger la population civile qui pesait sur lui, donc un
20 devoir de réprimer le crime contre des victimes civiles, quel que soit le
21 statut ou l'affiliation de l'auteur. Par ailleurs, ce devoir ne consistait
22 pas simplement à enquêter au sujet des crimes; il concernait aussi la
23 nécessité de prendre des mesures, des mesures préventives, pour arrêter ces
24 crimes.
25 Aujourd'hui, il a été fait référence au paragraphe 342 du Volume 2. Les
26 observations de la Chambre dans ce paragraphe ne concernent pas le devoir
27 de protéger la population civile qui pesait sur Zupljanin. Le cœur de ce
28 paragraphe porte sur la question de savoir si des policiers resubordonnés
Page 196
1 dépendaient d'une chaîne de commandement militaire ou policière. Ces
2 observations sont pertinentes par rapport au devoir de Zupljanin d'exercer
3 sa mission de supérieur et de punir ses subordonnés.
4 La Chambre a pris le soin de distinguer ce devoir, son devoir en qualité de
5 supérieur, de son autre devoir de protéger la population civile. La Chambre
6 a eu raison de prendre en compte le devoir de Zupljanin en qualité de
7 supérieur car elle a raisonnablement établi qu'il exerçait son autorité sur
8 les policiers, dont elle a estimé qu'il n'avait pas enquêté à leur sujet ou
9 qu'il ne leur avait pas imposé de sanctions disciplinaires. Au nombre de
10 ces policiers se trouvaient des membres du détachement de police spéciale,
11 les policiers qui ont participé aux arrestations de masse et aux opérations
12 de placement en détention de masse, ainsi que les chefs du SJB, tel que
13 Simo Drljaca, qui a participé aux crimes commis contre les non-Serbes.
14 En établissant l'autorité de Zupljanin sur ces policiers, la Chambre a
15 manifestement décidé qu'ils n'étaient pas resubordonnés à l'armée. Aucun
16 des arguments de la Défense s'agissant de la resubordination ne permet donc
17 de renverser les conclusions attentives de la Chambre au sujet de
18 l'autorité exercée par Zupljanin.
19 J'aimerais maintenant vous donner quelques exemples qui illustreront la
20 démarche correcte appliquée par la Chambre de première instance à la
21 question relative à l'autorité de Zupljanin. D'abord, parlons du
22 détachement spécial de la police. La Chambre de première instance a établi
23 que Zupljanin avait créé ce détachement, l'avait déployé, que des crimes
24 avaient été commis par ce détachement à Kotor Varos et au-delà, et que ces
25 crimes lui avaient été rapportés et que les membres du détachement lui ont
26 demandé d'intervenir au moment où ils s'écartaient de la loi; Volume 2,
27 paragraphes 438 et 439, ainsi que paragraphes 501 et 503. La Chambre a
28 raisonnablement conclu que Zupljanin exerçait une autorité complète sur ce
Page 197
1 détachement et qu'il avait autorité pour en punir les membres.
2 Deuxième exemple au sujet de l'autorité exercée par Zupljanin sur les
3 policiers ayant participé à des arrestations et à des mises en détention
4 massives. La Défense a présenté des arguments précis au sujet de Manjaca,
5 Trnopolje et Keraterm, les différents camps sans définition précise que je
6 viens de citer. Je vais maintenant me concentrer sur le contexte plus large
7 qu'a pris en compte la Chambre de première instance pour établir que
8 Zupljanin avait autorité pour mener des enquêtes et imposer des sanctions
9 disciplinaires aux policiers ayant participé à des arrestations de masse et
10 des opérations de détention.
11 L'autorité de Zupljanin sur la police impliquait les arrestations et les
12 opérations de détention, et elle est visible dans les commentaires qu'il a
13 formulés lors de la réunion collégiale du 11 juillet où il a dit à Stanisic
14 et à d'autres participants à cette réunion que l'armée et les cellules de
15 Crise ou les présidences de Guerre demandaient que le plus grand nombre
16 possible de Musulmans soient regroupés et où ils demandaient que "ces camps
17 sans définition précise soient laissés à la responsabilité des organes des
18 affaires intérieures." Ceci figure dans la pièce P160, qui est discutée
19 dans le Volume 2, paragraphe 434 du jugement.
20 Zupljanin ne parle pas de la resubordination des policiers aux militaires
21 dans ce passage de la pièce P160; il parle du personnel du MUP, il parle
22 des opérations de détention dans les camps parce qu'il a connaissance de
23 l'existence de ces camps et il sait qu'ils ont été laissés à la
24 responsabilité des organes des affaires intérieures. L'autorité de
25 Zupljanin est tout à fait apparente dans le rapport qu'il adresse le 20
26 juillet à Stanisic, qui constitue la pièce P583, évoquée dans le Volume 2,
27 paragraphe 435 du jugement.
28 Dans ce rapport, Zupljanin fait référence à l'arrestation de plusieurs
Page 198
1 milliers de Musulmans et de Croates et indique que de nombreux policiers
2 d'active et de réserve ont participé à la sécurité des installations dans
3 lesquelles sont détenus ces prisonniers. Zupljanin demande à Stanisic de
4 contacter les organes d'autorité et la VRS afin, je cite, de "prendre des
5 positions décisives eu égard à leur statut futur et au traitement qui leur
6 sera réservé."
7 Zupljanin recommande aussi que les non-Serbes détenus illégalement soient
8 traités en tant qu'otages et servent dans les échanges de prisonniers et
9 que la responsabilité de la sécurité des centres de détention soit assumée
10 par la VRS.
11 Le rapport de Zupljanin à Stanisic, Messieurs les Juges, révèle la
12 participation importante du MUP dans l'autorité exercée sur les centres de
13 détention et les camps de la RAK. Zupljanin démontre son investissement
14 dans cette opération de détention en formulant des recommandations sur la
15 façon dont certaines questions doivent être résolues.
16 S'agissant des militaires, Zupljanin parle de collaboration avec la VRS en
17 vue de résoudre les problèmes liés au traitement des détenus. Il parle de
18 transfert de responsabilité eu égard à la garde des détenus vers la VRS. Il
19 ne laisse certainement pas entendre que les policiers travaillant dans les
20 centres de détention et dans les camps ont été resubordonnés à la VRS.
21 La Chambre a également eu le bénéfice des éléments de preuve qui montrent
22 que Zupljanin a été prié d'émettre des instructions destinées aux policiers
23 quant à la façon dont ils devaient traiter les détenus. Le 17 juin, le chef
24 du SJB de Sanski Most se plaint au sujet du nombre de détenus qui se
25 trouvent dans son centre du SJB et demande à Zupljanin, je cite, "d'émettre
26 un ordre pour donner des instructions strictes au SJB eu égard au
27 traitement des prisonniers." Ceci figure dans la pièce P411.21, qui est
28 discutée dans le Volume 2, paragraphe 418 du jugement.
Page 199
1 Il y a un autre problème avec ces arrestations de masse et détentions
2 massives à Sanski Most. La demande reçue par Zupljanin du chef du SJB de
3 Sanski Most indique, par conséquent, que c'est bien lui qui exerçait de
4 façon générale l'autorité sur les policiers impliqués dans ces arrestations
5 de masse et dans ces opérations de détention.
6 J'aimerais maintenant me tourner vers la deuxième question posée par les
7 Juges de la Chambre d'appel concernant le premier motif d'appel de
8 Zupljanin, à savoir est-ce que la Chambre de première instance a commis une
9 erreur en utilisant la présence de Zupljanin à la réunion de l'hôtel
10 Holiday Inn, réunion des comités exécutifs et du comité principal du SDS
11 pour apprécier son intention.
12 Selon nos arguments, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, la
13 Chambre a raisonnablement établi que Zupljanin avait participé à la réunion
14 du SDS au Holiday Inn de Sarajevo le 14 février. Le reçu de l'Holiday Inn
15 que la Chambre a utilisé montrant qu'il était descendu à l'hôtel Holiday
16 Inn le jour même de la réunion du conseil principal et du conseil exécutif
17 du SDS et qu'il avait quitté l'hôtel le lendemain suffit à établir la
18 présence de Zupljanin à cette réunion et ainsi, bien sûr, que la
19 conversation interceptée sur laquelle s'est appuyée la Chambre à l'appui de
20 ces conclusions. Nous déclarons, ayant convenablement établi la présence de
21 Zupljanin à cette réunion, il était approprié pour la Chambre de première
22 instance de s'appuyer sur cette conclusion pour établir qu'il partageait
23 l'intention sous-jacente à l'objectif criminel commun.
24 A la réunion du 14 février, Karadzic a demandé que l'étape finale des
25 variantes A et B de ces instructions soient mises en œuvre; Volume 2,
26 paragraphe 237. La Chambre a conclu que ces instructions étaient destinées
27 à préparer les communautés locales serbes et leurs dirigeants à la prise du
28 pouvoir dans ces municipalités; Volume 2, paragraphe 310. Et en commençant
Page 200
1 par Banja Luka et pendant tous les déploiements du détachement spécial de
2 la police vers d'autres municipalités, Zupljanin a joué un rôle capital
3 dans la prise de contrôle de ces municipalités; Volume 2, paragraphes 495
4 et 518. La présence de Zupljanin à la réunion du 14 février, prise en
5 compte en même temps que son comportement ultérieur, démontre qu'il
6 connaissait et qu'il était d'accord avec l'objectif criminel commun. Cela
7 étant dit, même si, Messieurs les Juges, vous deviez conclure que la
8 Chambre de première instance avait commis une erreur en s'appuyant sur la
9 présence de Zupljanin à la réunion du 14 février, cette conclusion n'aurait
10 aucun impact sur le jugement.
11 M. Gosnell a laissé entendre que cette conclusion avait joué un rôle
12 central quant à établir l'intention de la part de la Chambre de première
13 instance. La conclusion de la Chambre de première instance selon laquelle
14 Zupljanin partageait l'objectif criminel commun est entièrement étayé par
15 un certain nombre d'autres facteurs, y compris les liens étroits que
16 Zupljanin entretenaient avec le SDS et le rôle qu'il a joué dans
17 l'organisation du blocus de Banja Luka; Volume 2, paragraphes 495 et 519.
18 Le rôle de Zupljanin dans la mise en œuvre d'une politique discriminatoire
19 qui était destinée à purger les municipalités des non-Serbes dans la RAK;
20 Volume 2, paragraphes 44, paragraphes 366, 377, 382 et 519 du jugement. Ses
21 efforts pour créer un climat d'impunité, celui qui régnait à Banja Luka
22 après le blocus du mois d'avril et sa promotion de ce climat d'impunité
23 dans toute la RAK. Les ordres de Zupljanin de désarmer les non-Serbes alors
24 qu'ils étaient attaqués à Banja Luka et juste avant cette attaque, dans
25 d'autres municipalités de la RAK. Le rôle proactif joué par Zupljanin dans
26 les arrestations de masse et l'opération de détention dans toute la RAK,
27 l'ordre émanant de lui le 31 juillet au milieu de la campagne d'expulsion
28 dans lequel il fait référence à un grand nombre de Musulmans et de Croates
Page 201
1 qui sont en train de quitter la RAK, et il ordonne à ses subordonnés de
2 maintenir la pression; Volume 2, paragraphes 490 et 506 [comme interprété].
3 Et la création par lui du détachement de police spéciale, le déploiement
4 immédiat et prolongé de ce détachement spécial, ainsi que le fait qu'il n'a
5 pas soumis les membres de cette unité à des mesures disciplinaires, tous
6 ces facteurs étayent de façon massive les conclusions de la Chambre de
7 première instance quant au partage par Zupljanin de l'objectif criminel
8 commun, en tout cas, à partir du début avril 1992.
9 J'aimerais maintenant, si vous me le permettez, aborder la question
10 posée par la Chambre d'appel sur le troisième motif d'appel de Zupljanin, à
11 savoir est-ce que la Chambre de première instance a abouti aux conclusions
12 qui s'imposaient en indiquant que les auteurs du meurtre de 20 détenus
13 pendant leur transport depuis le centre de détention de Betonirka à Sanski
14 Most jusqu'à Manjaca possédaient les éléments nécessaires pour prouver
15 l'intention d'extermination. La Chambre a conclu convenablement en
16 établissant l'intention de l'auteur vis-à-vis de l'extermination. Avant
17 d'aboutir à sa conclusion sur le fait de savoir si cet incident était
18 équivalent à une extermination, la Chambre a pris en compte avec attention
19 les éléments de preuve sous-jacents, paragraphe 189 du Volume 1, en
20 insistant sur le nombre de détenus transportés dans ce camion dans lequel
21 les victimes ont péri. Il y avait environ 64 non-Serbes dans ce transport.
22 Les prisonniers étaient entassés comme des sardines dans le camion dans
23 lequel ils étaient transportés sans air pour respirer. La Chambre a pris
24 note de la vulnérabilité particulière de certains de ces prisonniers. Elle
25 a fait observer que certains ont péri alors qu'ils étaient âgés et en
26 mauvaise santé.
27 Ayant pris en compte toutes ces circonstances, la Chambre a conclu
28 que les exigences vis-à-vis de l'extermination étaient satisfaites au
Page 202
1 paragraphe 219 du Volume 1 du jugement. Cette conclusion implicite, dirons-
2 nous, prouve que la Chambre a appliqué correctement le test du mens rea. En
3 d'autres termes, la Chambre s'est convaincue que les auteurs avaient bel et
4 bien l'intention de soumettre un grand nombre de personnes aux conditions
5 d'existence pouvant conduire à une mort. Il est implicite que ceci est le
6 test appliqué par la Chambre de première instance, parce que quoi qu'il en
7 soit, la Chambre a appliqué correctement le critère du mens rea vis-à-vis
8 de l'extermination. La seule conclusion raisonnable consistant à se
9 prononcer quant au fait que les auteurs possédaient cette intention. Les
10 tentatives de la Défense cet après-midi pour établir une distance par
11 rapport à cet incident dû à la police sur la base de certains nombre
12 d'éléments de preuve sélectifs ne prouvent aucune erreur de la part de la
13 Chambre de première instance lorsqu'elle a déclaré que la police avait en
14 fait joué un rôle central dans la mort de ces prisonniers non-Serbes.
15 Avant de conclure mes arguments, je vais maintenant m'occuper de
16 l'argument de la Défense quant à l'entreprise criminelle commune de
17 catégorie 3 et qui concerne le partage de l'intention de Zupljanin eu égard
18 aux transferts forcés et aux déportations. La Défense essaie d'introduire
19 de la confusion là où les choses sont très simples.
20 D'abord, les crimes relevant de la catégorie 3 d'entreprise
21 criminelle commune n'englobent pas de façon exhaustive les actes coercitifs
22 qui ont conduit les non-Serbes à fuir. Considérons, par exemple, l'annonce
23 de Zupljanin à Banja Luka selon laquelle ils ne pouvaient pas protéger les
24 non-Serbes et l'impact que celle-ci a eu sur la communauté musulmane. Nous
25 en avons déjà parlé. C'est un exemple de comportements qui n'étaient pas un
26 crime au titre de l'entreprise criminelle commune 3, mais qui ajoutait à
27 l'atmosphère de menace, a poussé les non-Serbes à fuir la Republika Srpska.
28 Deuxièmement, l'exclusion des crimes de catégorie 3 de l'entreprise
Page 203
1 criminelle commune de l'ensemble de l'objectif criminel commun n'a pas
2 pertinence par rapport aux conclusions de la Chambre de première instance
3 selon lesquelles Zupljanin partageait l'intention d'aboutir à un transfert
4 forcé et à des déportations. Cette conclusion sur le partage de
5 l'intention, pour l'établir, la Chambre n'avait besoin que d'une chose, à
6 savoir établir que Zupljanin avait l'intention d'obtenir ces déplacements
7 forcés. En d'autres termes, que les victimes n'avaient aucun autre choix
8 que de partir. C'est exactement ce que la Chambre a fait. J'ai déjà parlé
9 de cette conclusion qui étaye l'existence d'une intention partagée de la
10 part de Zupljanin. Ces conclusions prouvent que Zupljanin avait bel et bien
11 l'intention d'obtenir des transferts forcés et des déportations et qu'il
12 partageait cette intention avec les autres membres de l'entreprise
13 criminelle commune.
14 Troisième et dernier point, il concerne le fait de savoir si un
15 accusé peut être acquitté de -- même s'il est acquitté par rapport à des
16 transferts forcés et à des déportations, ne peut pas être acquitté par
17 rapport à l'impact que ces transferts forcés ont pu avoir.
18 Voilà, j'en suis arrivé aux termes de mes conclusions et je donne
19 maintenant la parole à Mme Baig.
20 Mme BAIG : [interprétation] Messieurs les Juges, comme je l'ai expliqué
21 plus en détail dans ma réponse aux arguments de l'équipe de M. Stanisic ce
22 matin, un observateur raisonnable, dûment informé et ayant eu connaissance
23 de toutes les circonstances pertinentes, verrait le procès Stanisic et
24 Zupljanin comme ayant été tranché de manière équitable par un collège du
25 Juge impartial tout en respectant les droits de l'accusé. Les circonstances
26 de l'espèce ne donnent lieu à aucune crainte de parti pris de la part du
27 Juge Harhoff. Son courriel peut être interprété à la lumière de la nature
28 informelle et du contexte.
Page 204
1 Mon confrère, ce matin, a abordé le courriel et l'intention
2 s'agissant des modes de responsabilité. Mais, là, encore, Messieurs les
3 Juges, je dois insister sur le fait qu'il ne s'agit pas d'un document
4 juridique. Il s'agit d'un courriel informel envoyé à des amis. La tentative
5 de rejeter la pierre ou de mettre le doigt sur des déclarations
6 particulières dans ce document n'a aucun objet. Mon confrère, dans son
7 argument, se fonde sur la prémisse que le Juge Harhoff ne parlait que d'un
8 mode particulier de responsabilité, celui de première catégorie. Il a pris
9 chaque déclaration en fonction ou à la lumière de ce critère exigé de
10 première catégorie d'entreprise criminelle commune. Mais avec tout le
11 respect que je lui dois, il s'agit d'un postulat erroné. Dans son courriel,
12 le Juge Harhoff parle des modes de responsabilité de façon très générale.
13 Il indique dans le courriel qu'il parle de la responsabilité de supérieur
14 hiérarchique de la première catégorie d'entreprise criminelle commune; de
15 l'entreprise criminelle commune de troisième catégorie étendue; et de
16 l'aide et de l'encouragement. Les articles de la presse et les affaires
17 dont il parle, ainsi que les références à ces autres modes, rendent les
18 choses très claires.
19 Quoi qu'il en soit, Messieurs les Juges, même si le Juge Harhoff a
20 commis des erreurs dans sa présentation des éléments liés en corrélation
21 avec les modes de responsabilité, que peut-on en conclure ? Eh bien, il n'y
22 a pas de parti pris. Cela montrerait juste une mécompréhension du droit.
23 Les Juges, même dans leurs jugements, même dans leurs écrits juridiques
24 formels, commettent des erreurs de droit. C'est l'un des objectifs
25 principaux de toute la procédure d'appel. Donc, savoir s'il y a un
26 désaccord sur le droit, comme je l'ai dit ce matin, ou une mauvaise
27 compréhension du droit, là est la question, mais même s'il y avait une
28 mauvaise compréhension du droit, avoir un élément moral moindre, un critère
Page 205
1 d'élément moral moindre ne veut pas dire qu'il y a parti pris. En tout état
2 de cause, Messieurs les Juges, le jugement confirme que l'interprétation
3 exacte du courriel est celle qui ne montre aucun parti pris.
4 Et pour toutes ces raisons et celles que j'ai exposées ce matin,
5 l'équité du procès n'a pas été entachée par la décision de la majorité des
6 Juges dans l'affaire Seselj. Et s'agissant de votre question, l'Accusation
7 fait valoir qu'une conclusion de crainte de parti pris mènerait à invalider
8 la condamnation, mais cela ne veut pas dire nécessairement un acquittement.
9 Cela voudrait dire soit un réexamen du procès ou, comme Zupljanin l'a
10 suggéré, une révision de la part de la Chambre d'appel elle-même.
11 A moins que vous n'ayez des questions, ceci conclut la réponse de
12 l'Accusation, Messieurs les Juges.
13 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Pas de question.
14 Nous allons faire une pause, que nous avons réduite à 20 minutes au lieu de
15 25 minutes. Il est 4 heures moins cinq, et nous reprendrons dans 20
16 minutes. Merci.
17 --- L'audience est suspendue à 15 heures 55.
18 --- L'audience est reprise à 16 heures 15.
19 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Le conseil de M. Zupljanin, vous avez
20 20 minutes à compter de maintenant.
21 Mme CMERIC : [interprétation] Encore une fois, je vais répondre en quelques
22 mots aux arguments de l'Accusation aux pages 137 et 138 de l'audience
23 d'aujourd'hui concernant la question que vous avez posée, Messieurs les
24 Juges, au sujet du troisième moyen d'appel.
25 Nous faisons valoir que l'Accusation n'a pas abordé la question
26 essentielle, à savoir elle a essayé de réfuter les arguments de la Défense
27 concernant le manque de mens rea de la part de l'auteur, et n'a pas
28 présenté des moyens de preuve suffisants quant à la participation de la
Page 206
1 police, l'Accusation n'a cité aucun élément indiquant le contraire au
2 dossier, autrement dit, la participation de la police à l'événement en
3 question. Et la raison en est simple, Messieurs les Juges, c'est que de
4 tels éléments de preuve n'existent pas, et les arguments de la Défense
5 fournissent une réponse exhaustive à la question posée.
6 M. Gosnell va maintenant aborder la fin de nos arguments concernant la
7 réponse du bureau du Procureur.
8 M. GOSNELL : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
9 Monsieur le Président, la Défense n'a jamais laissé entendre que la Chambre
10 de première instance ne s'est pas fondée sur des actes et omissions
11 lorsqu'elle a parvenu à ses conclusions concernant l'entreprise criminelle
12 commune, mais je pense que la mesure dans laquelle les omissions sont les
13 omissions sur lesquelles la Chambre de première instance s'est fondée sont
14 clairement précisés aux mémoires en appel aux paragraphes 61 et 62. Si vous
15 vous penchez sur ces deux paragraphes, il y a les éléments sur lesquels se
16 sont reposées les Chambres de première instance. La moitié des éléments sur
17 lesquels se fonde la Chambre de première instance, ce sont les omissions,
18 et la question qui est importante s'agissant des détails de tout ceci : si
19 la Chambre de première instance a commis une erreur concernant les
20 omissions, est-ce que la Chambre de première instance serait parvenue aux
21 mêmes conclusions dans le cas de la mens rea et de l'actus reus si elle
22 s'était reposée uniquement sur les actes cités. Et rien dans le jugement ne
23 laisse entendre cela.
24 Le deuxième point que je souhaite aborder, entre autres questions
25 soulevées par l'Accusation, est la question qui concerne l'obligation
26 ostensible qu'avait M. Zupljanin, ce qui est exposé, d'après ce que dit
27 l'Accusation, à la note en bas de page 331 dans leur réponse, mon renvoi au
28 droit qui précise, et il s'agit du droit pénal, qu'un représentant du
Page 207
1 ministère peut être déclaré coupable, entre autres, de manquement de
2 remplir ses obligations officielles.
3 Et donc, il s'agit ici pour l'essentiel des arguments de
4 l'Accusation, autrement dit, M. Zupljanin pourrait ou aurait dû avoir
5 commis cette omission fort importante dont il aurait fallu tenir compte
6 pour tout crime commis contre tout civil en Bosnie ou relevant de sa
7 compétence, en tout cas concernant sa zone de responsabilité.
8 Alors, réfléchissez à l'ampleur de cela, ce que vous trouverez déjà
9 au paragraphe 520 du Volume 2 du jugement de première instance, où la
10 Chambre de première instance estime que le manquement de Zupljanin à
11 protéger la population non-serbe. Donc, l'étendue de cette obligation est
12 tellement importante que cela signifierait que toute forme d'inaction
13 s'agissant d'un crime commis et qui n'est pas empêché ou que personne n'est
14 arrêté, peut être considéré comme une omission sur un plan juridique,
15 omission importante.
16 Si vous acceptez cela, Messieurs les Juges, cela signifie que toute
17 forme d'inaction, toute forme d'inaction putative est considérée comme une
18 action, autrement dit, a le même poids pour ce qui est de déduire l'actus
19 reus et le mens rea à partir de cela.
20 Alors, pourquoi est-ce si dangereux dans les conditions qui sont les
21 nôtres et qui sont celles d'aujourd'hui et qui sont celles auxquelles était
22 confronté M. Zupljanin ? Le paragraphe 29 du mémoire en réplique, où il est
23 évoqué la déposition du général Lisica, qui parle de la situation telle
24 qu'elle existait à l'époque au moment du conflit. Et ce qu'il dit, et
25 souvenez-vous que c'est un général, un militaire, ce n'est pas un policier
26 qui tente de faire porter la faute à quelqu'un d'autre. Et ce qu'il dit,
27 c'est :
28 "Toutes les forces de police étaient subordonnées au commandant de la
Page 208
1 zone de responsabilité que j'avais en qualité de commandant du Groupe
2 tactique numéro 3 ou commandant du Groupe opérationnel Doboj…", et ensuite,
3 il explique plus loin que le compte rendu est truffé d'exemples de ce type.
4 C'est la raison pour laquelle cela est si dangereux, à mon sens, et
5 si téméraire d'utiliser des termes comme "les SPD de Zupljanin ont commis
6 des crimes à Kotor Varos", et de supposer ensuite qu'il s'agissait d'un
7 manquement à l'obligation de les empêcher et de les punir, et que cela doit
8 relever de la responsabilité de M. Zupljanin. C'est tout le contraire,
9 lorsque la Chambre de première instance n'a pas décidé cela. Mais lorsque
10 le SPD lançait une opération de type combat, notamment à Kotor Varos, en
11 tout cas, les éléments ont évoqué cette possibilité qu'il pouvait s'agir
12 d'un cas de resubordination à l'armée avec tout ce que cela a comme
13 conséquences.
14 Moi, je ne suis pas ici pour vous convaincre d'une façon ou d'une autre si
15 la resubordination existait bel et bien, ou de vous convaincre des
16 incidences de cette resubordination. Je suis simplement là aujourd'hui pour
17 attirer votre attention sur le fait que la Chambre de première instance a
18 estimé qu'il s'agissait là d'une question importante, et que la
19 resubordination en tant que telle était suffisamment compliquée et ne lui
20 permettait pas de décider qui avait la responsabilité de poursuivre et
21 d'enquêter sur les crimes lorsque cette resubordination a effectivement eu
22 lieu, et ensuite, la Chambre de première instance n'a fourni aucune
23 conclusion quand, par exemple, le SPD a été envoyé à Donji Vakuf et que des
24 crimes ont été commis, ces crimes devraient-ils être imputés à M. Zupljanin
25 d'une manière ou d'une autre ? La Chambre de première instance a agi ainsi
26 et a attribué ces crimes à M. Zupljanin. C'est sa responsabilité, maintes
27 et maintes fois, qu'il s'agisse de sa connaissance des crimes, qu'il
28 s'agisse de son éventuelle capacité à enquêter sur ces crimes ou à
Page 209
1 poursuivre ces crimes. Et, encore une fois, aucune discussion, aucun motif
2 n'a a été avancé sur la vraie question, à savoir si oui ou non cette
3 formation, le SPD, à l'époque des crimes relevait de sa compétence ou non,
4 cela relevait-il de sa compétence ou non à l'époque où les crimes ont été
5 commis ?
6 Il ne suffit pas simplement de regrouper tout cela et de dire que, quand
7 cela a été établi, effectivement, le SPD faisait partie de la police. Mais
8 il y a une autre conclusion qu'il faut tirer, parce qu'il faut établir un
9 lien entre la prétendue inaction de M. Zupljanin concernant les crimes et
10 les crimes en tant que tels.
11 Messieurs les Juges, je crois qu'il convient d'afficher à l'écran le 1D198,
12 parce qu'on a dépeint M. Zupljanin d'une certaine façon, et nous faisons
13 valoir que nous avons abordé toutes les questions factuelles qui ont été
14 soulevées par ma consœur dans le mémoire en appel, et nous ne pouvons pas
15 aborder toutes ces questions factuelles en quelques minutes.
16 Je pense qu'il convient de procéder ainsi - cela n'est pas encore affiché à
17 l'écran - et de conclure une discussion sur le caractère même de Zupljanin,
18 un rapport rédigé par M. Zupljanin, et il s'agit là du plan de travail
19 qu'il avait préparé et qu'il a signé, qui est daté du 25 mai 1992. Et cela
20 est intitulé : "Plan de travail opérationnel pour trouver une solution aux
21 problèmes de cambriolages, terrorisme, extorsion, et cetera, qui se sont
22 intensifiés sur le territoire du SJB de Banja Luka depuis le début du mois
23 d'avril."
24 Ce qu'il fait dans ce rapport, c'est de décrire les crimes qui sont commis,
25 il identifie le SOS comme étant la formation à laquelle sont affiliés des
26 individus que l'on soupçonne d'avoir commis des crimes, et de décrire une
27 série d'actions --
28 M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Avant de poursuivre, nous devrions
Page 210
1 avoir la traduction anglaise à l'écran. Pour l'instant, nous n'avons que le
2 B/C/S.
3 M. GOSNELL : [interprétation] Et ensuite, il décrit les actions qui
4 devraient être menées. Mais je vais poursuivre sans la traduction anglaise,
5 avec votre permission, Monsieur le Juge.
6 M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Ça y est, nous l'avons à l'écran.
7 M. GOSNELL : [interprétation] Et il identifie les individus nommément. Il
8 dit que ces personnes doivent être arrêtées ou qu'il faut enquêter sur ces
9 personnes. On me dit qu'à la page 3, et c'est une information fiable, qu'au
10 milieu de la page, il y a une liste de noms de personnes dont quelqu'un qui
11 est identifié comme étant AKA Gavric [comme interprété], qui a été
12 identifié comme étant le chauffeur de cette camionnette rouge tristement
13 célèbre qui a commis des crimes à Banja Luka. Ce qui est important ici,
14 c'est que M. Zupljanin a, en réalité, déployé des efforts pour mener des
15 enquêtes, surtout près de chez lui où il était en mesure de le faire.
16 Si nous pouvons maintenant, s'il vous plaît, regarder la page 4, et je
17 pense que ceci permettra peut-être aux Juges de la Chambre d'avoir une idée
18 de la situation qui prévalait à l'époque et qui était celle dans laquelle
19 se trouvait M. Zupljanin à l'époque. Cela peut vous sembler étrange de
20 notre point de vue, qui est assez confortable, mais si nous essayons de
21 nous remettre dans l'ambiance de l'époque en regardant ces paragraphes,
22 ceci peut s'avérer utile.
23 Ce que nous pouvons lire ici, c'est que M. Zupljanin dit ceci, que de
24 nombreux suspects ont été mobilisés par la JNA et leur arrestation doit
25 être menée par des membres du détachement de la police spéciale, assistée
26 de la police militaire, et cetera.
27 "Il nous faut avoir un accord préalable avec les tribunaux militaires et
28 réguliers pour que toutes les personnes arrêtées soient placées en
Page 211
1 détention pour empêcher toute forme de résistance organisée. Tant que le
2 bureau du procureur militaire et les tribunaux militaires sont en voie de
3 création, ce plan ne peut pas être mis en œuvre parce que la plupart des
4 contrevenants sont des conscrits et des membres de l'ancienne TO. C'est la
5 raison pour laquelle les tribunaux civils et procureurs refusent de lancer
6 ces poursuites."
7 Ma consœur a dit en passant : Qui commettait ces crimes si ce n'était pas
8 la police ? Messieurs les Juges, il y avait des milliers et des milliers de
9 personnes, plus de 150 000 personnes mobilisées à l'époque à différents
10 moments en Bosnie. Et ces individus ne relevaient pas de la compétence de
11 M. Zupljanin, et c'est quelque chose sur laquelle la Chambre de première
12 instance n'a pas rendu de décision.
13 Je souhaite maintenant, en guise de conclusion, aborder une question qui
14 est celle du parti pris, c'est la question de savoir si, oui ou non, il ne
15 s'agit pas simplement dans le courriel de l'illustration d'un véritable
16 malentendu ou d'une incompréhension au niveau du droit. Les Juges peuvent
17 mal comprendre le droit et les avocats également.
18 Je vous recommande de relire la décision Hoekstra, une affaire jugée en
19 Ecosse. Le parti pris revêt toutes sortes de formes. Cela peut être d'ordre
20 financier ou d'association avec une partie; il s'agit d'une prédisposition
21 d'un juge par rapport à un principe juridique et qui bénéficiera l'accusé.
22 C'est ce que dit cette affaire Hoekstra. Et c'est précisément la position
23 qui a été adoptée par rapport à M. Zupljanin.
24 Si on laisse de côté, Messieurs les Juges, le fait de savoir si, oui ou
25 non, cela indique qu'il y a eu une erreur de commise au niveau du jugement,
26 nous écartons cette question-là, néanmoins, il y a une prédisposition, il y
27 a un ton, une hostilité eu égard à l'application de ce principe, et comme
28 vous pouvez le constater, Messieurs les Juges, cette prédisposition est
Page 212
1 trop forte et ne permet pas de croire qu'il peut y avoir autre chose qu'un
2 manque de partialité lorsque ont été fournies les conclusions et les
3 charges que l'on reproche à M. Zupljanin.
4 Merci de votre patience.
5 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Je me tourne maintenant vers
6 l'Accusation. Vous avez 40 minutes pour présenter vos arguments en appel.
7 Je vous remercie.
8 Mme BAIG : [interprétation] Merci, encore une fois. Je souhaite, aux fins
9 du compte rendu d'audience, préciser que nous avons légèrement inversé la
10 présentation des interlocuteurs. Nous aurons Mme Sarah Finnin au lieu de
11 Mme Harbour, maintenant.
12 Messieurs les Juges, avant d'aborder le moyen numéro 1 concernant une
13 erreur au niveau du prononcé de la peine, il y a un petit point que je
14 souhaite préciser concernant le moyen d'appel numéro 2 de l'appel de
15 l'Accusation, cela concerne le cumul des déclarations de culpabilité.
16 Une des questions qui est contestée entre les parties concernant le
17 moyen d'appel numéro 2 porte sur les éléments constitutifs de persécution.
18 Je souhaite consigner au compte rendu d'audience la position qui est celle
19 de l'Accusation concernant une question qui a été soulevée dans l'arrêt
20 Butare qui a été rendu lundi dernier. Dans l'arrêt Butare, le TPIR, la
21 Chambre d'appel constate que le TPIR n'est pas compétent pour condamner
22 pour persécution sur des bases ethniques. Je souhaite indiquer que le TPYI
23 n'est pas limité de cette façon-là, et que le raisonnement qui sous-tend
24 l'arrêt Butare est un raisonnement qui relève uniquement du TPIR.
25 Comme vous le savez, la Chambre d'appel du TPIR a toujours confirmé les
26 condamnations pour persécutions sur des bases ethniques. Comme vous le
27 savez, dans l'affaire Djordjevic, la Chambre d'appel a condamné l'accusé
28 pour persécution sur une base ethnique, dans Popovic, Kordic et Krnojelac,
Page 213
1 Kvocka, Stakic, exactement, la persécution a été reconnue sur des bases
2 ethniques. Et il n'y a pas de raisons qui permettraient de justifier que
3 l'on s'écarte en fait de cette jurisprudence établie du TPIY, et dans
4 l'affaire Butare, le TPYI a tenu compte de l'élément chapeau et des crimes
5 contre l'humanité qui ne sont pas des raisons dont on peut tenir compte
6 concernant la jurisprudence établie du TPIY.
7 Et donc nous utilisons le terme de "groupe ethnique" comme étant synonyme
8 d'appartenance politique et religieuse. Les Musulmans également que l'on
9 associe au SDA; les Croates avec le HDZ, le parti politique; et les membres
10 de l'entreprise criminelle commune. Alors, une des façons dont ils ont
11 déplacé par la force ou pris pour cible la population non-serbe, c'était
12 par le biais de destruction d'édifices religieux. Donc, l'élément ethnique
13 est un terme qui chapeaute à la fois les motifs politiques et religieux
14 discriminatoires.
15 Alors, je vais maintenant aborder le moyen d'appel numéro 1 portant
16 sur la peine. Mico Stanisic et Stojan Zupljanin ont été condamnés de crimes
17 épouvantables qui ont une incidence sur les vies de plus de milliers de
18 victimes. La Chambre de première instance a constaté qu'ils ont travaillé
19 ensemble avec d'autres dirigeants bosno-serbes afin de déplacer à jamais
20 les Musulmans de Bosnie, les Croates de Bosnie du territoire de l'Etat
21 serbe envisagé au moyen de la commission de crimes et des déplacements et
22 de persécutions forcées.
23 Suite à leur collaboration sinistre, plus de 100 000 personnes ont
24 été déplacées par la force de leurs maisons et villages dans la RAK, et
25 Stanisic était responsable du déplacement de quelque 30 000 personnes
26 d'autres municipalités de la Republika Srpska.
27 Cette campagne d'expulsion a donné lieu au meurtre de plus de 2 300
28 non-serbes, et 1 600 personnes dans la RAK. Des milliers d'autres victimes,
Page 214
1 dont vous avez entendu parler aujourd'hui, ont été soumises à des
2 traitements inhumains dans des lieux de détention, ont été violées, et ont
3 dû subir d'autres formes de violence sexuelle, ont été passées à tabac, et
4 ont été torturées. La peine qui convient à ce niveau, compte tenu de
5 l'étendue des crimes, de l'ampleur des crimes, en ce qui nous concerne,
6 doit donner lieu à un emprisonnement à vie. Compte tenu de la jurisprudence
7 précédente, l'Accusation a demandé à ce que soit augmentée la peine, allant
8 de 30 à 40 années d'emprisonnement; toute autre peine serait gravement
9 inappropriée.
10 La peine de 22 ans imposée par la Chambre de première instance montre
11 qu'il y a eu un abus des pouvoirs discrétionnaires de la Chambre s'agissant
12 du prononcé de la peine. Une peine de 22 ans ne correspond pas à la gravité
13 des crimes commis pour lequel les accusés ont été condamnés, ni avec la
14 forme ou le degré de leur participation.
15 Je vais commencer à présenter mes arguments en démontrant que leur
16 peine ne correspond pas à la pratique concernant le prononcé de l'appel du
17 TPIY. Je vais ensuite attirer votre attention sur quelques éléments-clé
18 pour vous expliquer pourquoi ces peines doivent être plus importantes. Et,
19 finalement, je vais aborder la question de l'effet qu'ont ces peines par
20 rapport à des peines moins importantes, qui envoient le message suivant que
21 des dirigeants haut placés, comme Stanisic et Zupljanin, sont moins
22 coupables que des criminels de moindre envergure qui ont œuvré pour mettre
23 en place le plan criminel.
24 A moins que vous n'ayez des questions, Messieurs les Juges, je n'ai
25 pas l'intention d'ajouter quoi que ce soit au deuxième moyen d'appel
26 concernant le cumul des déclarations de culpabilité. Je vais commencer par
27 les trois cas qui nous intéressent devant ce Tribunal, et l'Accusation fait
28 valoir que chaque peine doit correspondre aux circonstances individuelles
Page 215
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14 Page intercalée pour assurer l’équivalence de pagination des
15 versions anglaise et française
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28
Page 216
1 de l'espèce, où les crimes ne sont pas simplement analogues mais
2 identiques, c'est un élément qui nous permet d'appréhender le caractère
3 adéquat d'une peine.
4 Donc, un des événements très graves de meurtre pour lesquels Stanisic
5 et Zupljanin ont été condamnés était le massacre commis à Koricanske
6 Stijene, où entre 150 et 120 [comme interprété] Musulmans civils, détenus
7 musulmans ont été -- cela s'est produit le 21 août 1992. Darko Mrdja, un
8 membre du l'escouade d'intervention de la police civile de Prijedor, le
9 PIP, a plaidé coupable s'agissant de ce même événement devant la Chambre de
10 première instance du TPIY, il a été condamné à 17 ans d'emprisonnement.
11 Mrdja était un subordonné direct à la fois de Stanisic et Zupljanin.
12 Concernant un événement qui s'est déroulé un jour dans une municipalité, un
13 subordonné subalterne a été condamné à 17 ans d'emprisonnement, après un
14 plaidoyer de culpabilité.
15 Mitar Vasiljevic a été condamné pour avoir aidé et encouragé le
16 meurtre de cinq hommes non armés sur les rives de la Drina à Visegrad. Ce
17 n'est pas lui qui a tiré; c'était un auxiliaire. Souvenez-vous que la
18 Chambre d'appel a imposé une peine de 15 ans d'emprisonnement à cet homme.
19 Encore une fois, ces meurtres font partie de la condamnation pénale de
20 Stanisic. Un événement impliquant cinq morts, qui s'est déroulé en une
21 journée, dans une municipalité, un auxiliaire subalterne qui ne partageait
22 aucun objectif commun et qui n'a tué personne, a été condamné à une peine
23 de 15 ans d'emprisonnement.
24 Sredoje Lukic, qui était un officier d'active au sein de la police de
25 Visegrad, a été condamné pour avoir aidé et encouragé l'événement qui s'est
26 déroulé sur la rue Pionirska, en particulier l'incendie dans lequel 53
27 personnes ont été assassinées. Et la Chambre d'appel a imposé une peine
28 d'emprisonnement de 27 ans. Un jour dans une municipalité, un officier de
Page 217
1 police subordonné a été condamné à une peine de 27 ans par la Chambre
2 d'appel. On a estimé qu'il s'agissait d'une sanction appropriée pour avoir
3 aidé, encouragé le crime.
4 Et Stanisic, malgré le fait d'avoir été condamné pour exactement les mêmes
5 meurtres, en sus de quelque 2 000 meurtres supplémentaires, le déplacement
6 forcé de plus de 130 000 personnes, a été condamné à cinq ans de moins que
7 cet officier de police subalterne qui avait été condamné pour avoir aidé et
8 encouragé les meurtres.
9 Ces trois cas montrent que la participation à un événement ou à un meurtre
10 multiple justifie une peine de 15 à 27 ans, même en tant que subordonné,
11 même en tant qu'auxiliaire, et même après un plaidoyer de culpabilité.
12 Le cousin de Sredoje, Milan Lukic, encore une fois un membre des
13 réservistes de la police à Visegrad et un dirigeant paramilitaire local, a
14 également été condamné pour l'événement qui s'est déroulé sur les rives de
15 la Drina et les meurtres commis dans la rue Pionirska, ainsi que d'autres
16 crimes à Visegrad. Il a été condamné à vie pour crimes commis dans une
17 municipalité, ceci a été confirmé par la Chambre d'appel.
18 Et d'autres auteurs principaux, dont les crimes multiples font partie
19 de la condamnation contre Stanisic, ont également reçu des peines lourdes.
20 Par exemple, Goran Jelesic et Ranko Cesic ont été condamnés à 40 ans et 18
21 ans respectivement après leurs plaidoyers de culpabilité concernant les
22 crimes commis à Brcko.
23 Alors, je vais maintenant vous parler des trois cas relatifs aux camps.
24 Dans l'affaire Kvocka, les officiers de police impliqués dans la gestion du
25 camp d'Omarska ont été condamnés à des peines allant de cinq à 20 ans
26 d'emprisonnement. Zoran Zigic, un autre réserviste qui s'est rendu dans le
27 camp pour faire subir des sévices aux détenus et de les assassiner, a reçu
28 une peine de 25 ans, ce qui a été confirmé en appel. Stanisic et Zupljanin
Page 218
1 ont été condamnés pour des crimes commis dans ce camp, et des crimes pour
2 lesquels leurs subordonnés ont été déclarés responsables dans l'affaire
3 Kvocka. Un seul camp, une seule municipalité, et un petit nombre
4 d'événements, nous constatons que les peines rendues par la Chambre d'appel
5 vont jusqu'à 25 ans.
6 Le camp de Susica, dans la municipalité de Vlasenica, Dragan Nikolic a
7 plaidé coupable et a été condamné à 20 ans pour les terribles crimes qui
8 ont été commis à cet endroit. La condamnation de Stanisic comporte six des
9 neuf meurtres commis par Nikolic et reprennent les autres crimes. La
10 Chambre qui a prononcé une peine contre Nikolic a indiqué que s'il n'y
11 avait pas eu plaidoyer de culpabilité de sa part, il aurait été condamné à
12 vie. Encore une fois, il ne s'agit que d'une toute petite partie des
13 convictions en l'espèce. Il s'agit d'un camp, par rapport à 50 sur
14 l'ensemble de la Republika Srpska; une municipalité par rapport à 20; neuf
15 meurtres par rapport à plus de 2 000.
16 Et le camp de Keraterm, l'officier de police qui dirigeait ce camp, Dusko
17 Sikirica, a été condamné à une peine de 15 ans d'emprisonnement après un
18 plaidoyer de culpabilité. Il n'a pas été condamné pour une quelconque
19 participation dans le meurtre tristement célèbre de 128 détenus dans la
20 pièce numéro 3 où ces massacres ont eu lieu, qui font partie intégrante de
21 la condamnation de Stanisic et Zupljanin. Encore une fois, nous parlons
22 d'un camp, d'une municipalité, et une condamnation pénale bien moindre
23 après plaidoyer de culpabilité, il s'agit ici d'une peine très importante.
24 Il s'agit, en fait, de ces affaires-là qui montrent du doigt l'erreur
25 commise au niveau du prononcé de la peine concernant Stanisic et Zupljanin.
26 C'est la raison pour laquelle l'Accusation fait valoir que 22 ans est
27 manifestement inapproprié, car la responsabilité pénale et l'ampleur de la
28 responsabilité pénale de Stanisic et Zupljanin est bien plus grande que
Page 219
1 toute autre affaire portée devant le Tribunal. Leur responsabilité
2 représente beaucoup plus que le simple ajout de tous ces éléments; pour
3 cette raison, sa peine doit être beaucoup plus importante.
4 Je souhaite maintenant aborder cinq raisons pour lesquelles la
5 responsabilité pénale de Stanisic et Zupljanin est beaucoup plus important
6 et beaucoup plus grave et, par conséquent, requiert une peine beaucoup plus
7 lourde.
8 Les quatre premières raisons sont de nature quantitative. En bref, ces
9 délits méritent des peines plus grandes du fait de l'envergure des crimes
10 bien plus grands que lorsque nous avons eu des crimes isolés ou des camps
11 isolés. La dernière des raisons est qualitative; Stanisic et Zupljanin
12 méritent des peines plus grandes du fait de leur responsabilité qui est
13 bien plus lourde.
14 Raison numéro 1, d'abord la distinction significative, c'est le fait que
15 Stanisic et Zupljanin ont été condamnés pour des déplacements forcés de
16 non-Serbes depuis la Republika Srpska, et ce, vers l'extérieur des
17 territoires réclamés par les Serbes. Les déportations sous forme de
18 transferts forcés ne font pas partie intégrante des trois cas de meurtres
19 et des trois camps que j'ai mentionnés. Zupljanin a été déclaré responsable
20 au pénal pour un déplacement forcé de plus de 100 000 non-Serbes dans les
21 municipalités de la RAK. Stanisic, qui occupait une position plus
22 importante au niveau de la chaîne de commandement et qui assurait des
23 responsabilités dans un secteur plus grand, a été condamné pour plus de 130
24 000 déplacements forcés.
25 Tout au large de la Republika Srpska, les municipalités où les Serbes
26 avaient proclamé des droits ont d'abord fait l'objet d'une prise de pouvoir
27 sous forme de pilonnages, puis destructions, puis intimidation de civils et
28 opérations à l'occasion desquelles les civils ont été tués, leurs maisons
Page 220
1 détruites, et les autre ont été forcés à fuir. Stanisic et Zupljanin
2 avaient coopéré avec les instances militaires et civiles et la police a
3 joué un rôle crucial dans ces expulsions.
4 La Chambre d'appel dans l'affaire Krajisnik a qualifié les déportations,
5 les transferts forcés et les persécutions comme étant les pires des crimes
6 de l'humanité, et cela est indiqué au paragraphe 813 de l'appel Krajisnik.
7 Messieurs les Juges, lorsque les victimes de ces crimes les plus graves
8 connus de l'humanité se mesurent par des chiffres à six numéros, cela doit
9 nécessairement impliquer des peines plus grandes; 22 ans n'est tout
10 simplement pas suffisant.
11 Raison numéro 2, Stanisic et Zupljanin méritent d'être punis de façon plus
12 exemplaire parce qu'ils sont responsables de bon nombre d'incidents de
13 meurtres. Au fil de neuf mois, Stanisic et Zupljanin ont été impliqué dans
14 des activités ayant conduit au meurtre de 2 300 non-Serbes et plus de 1 600
15 dans la RAK. Zupljanin a également été condamné pour des actes
16 d'extermination comme crime contre l'humanité.
17 Les incidents avec Mrdja, Vasiljevic et Lukic impliquent 150 victimes, ce
18 qui est une toute petite fraction par rapport aux autres condamnations.
19 Lorsqu'ils s'emparaient des villes, les forces serbes, y compris la police,
20 ont utilisé une force démesurément grande qui a causé le décès de bon
21 nombre de civils. Pendant les prises de villes, les forces du MUP ont
22 exercé des pressions à l'égard des non-Serbes, y compris les meurtres ou
23 meurtres en masse pour y arriver. Ceux qui ont été arrêtés ou détenus de
24 façon autre ont, en particulier, été exposés au risque de se faire tuer.
25 Les détenus non-serbes ont souvent été battus à mort à l'occasion des
26 interrogatoires. A peu près 100 personnes ont été tuées à Omarska suite à
27 des passages à tabac, exécutions, ou suite à l'asphyxie. Vingt-six détenus
28 ont été exécutés par la police serbe, et ça a été le fait, y compris de
Page 221
1 membres du détachement de la police spéciale de Zupljanin, qui avait pour
2 siège Kotor Varos et son centre médical. Les forces serbes y ont tué 60
3 non-Serbes. Et un policier a coupé la tête d'un détenu.
4 Vingt-deux ans de réclusion ne reflètent pas de façon appropriée l'échelle
5 des meurtres dans cette affaire.
6 Et le fait que les condamnations ont été prononcées en application de
7 l'entreprise criminelle commune type 3 relève de leur responsabilité pénale
8 pour des meurtres, mais il convient de garder à l'esprit, Messieurs les
9 Juges, que toutes ces formes d'entreprises criminelles communes avaient
10 pour objectif des crimes et risques de meurtre - et dans le cas de
11 Zupljanin extermination - ce qui fait que les autres crimes en application
12 de ce qui est défini comme étant l'entreprise criminelle commune avaient
13 forcément des conséquences prévisibles. Dans l'arrêt Babic, il est dit que
14 la culpabilité ne se traduit pas seulement par une condamnation en
15 application de ce qui est entendu par l'entreprise criminelle commune,
16 paragraphes 26 et 27.
17 On signale également que dans Vasiljevic et Sredoje Lukic, il y a eu des
18 peines de 18 ans et plus pour avoir aidé les auteurs de meurtres isolés
19 avec cinq ou 53 victimes.
20 Mais la responsabilité pénale à cette échelle, avec le meurtre de plus de 1
21 600 ou plus de 2 300 victimes dans le cas de Zupljanin, nécessite forcément
22 une peine plus grande que celle qui a été prononcée à l'égard d'auteurs ou
23 d'auxiliaires qui ont commis une fraction seulement de ce chiffre.
24 Donc, ils méritent des peines plus grandes parce qu'ils ont assumé
25 des responsabilités, non pas seulement pour un seul camp, mais pour bien
26 des camps et pour beaucoup plus de crimes commis là-bas. Stanisic et
27 Zupljanin ont été condamnés pour ce qui est des crimes commis dans 21
28 installations de détention dans la RAK et Stanisic pour un total de plus de
Page 222
1 50 sur le territoire de la RS. Et à Prijedor seulement, la Chambre de
2 première instance a constaté qu'il y avait eu plus de 11 000 non-Serbes
3 détenus. Les victimes ont été malmenées dans ces centres à Omarska,
4 Keraterm, Susica, Manjaca, Luka, et des centres de détention plus petits,
5 tels que les postes de police, y compris le centre des services de Sécurité
6 publique à Banja Luka qui étaient dirigés par Zupljanin.
7 La Chambre de première instance a constaté que la police était profondément
8 impliquée dans ces détentions contraires au droit, dans ces conditions
9 horribles de détention, meurtre, torture, traitements cruels, mauvais
10 traitements sadiques, et violence sexuelle.
11 Les auteurs principaux de ces crimes dans les camps ont été punis de peine
12 de 25 ans de réclusion. Et ces installations ont été mises en place,
13 gardiennées par la police de Stanisic et de Zupljanin. Donc ils avaient
14 l'autorité de faire mettre un terme à ces horribles mauvais traitements et,
15 à la place, ils ont attribué des ressources de la police à l'attention de
16 ces camps. Donc, le sort de ces détenus était entre leurs mains, et les
17 peines prononcées à leur égard se trouvent être égales ou inférieures à
18 celles de leurs subalternes. La responsabilité de tout ce réseau de camps
19 au travers de la RAK et de la Republika Srpska nécessite des peines bien
20 plus importantes.
21 La raison numéro 4, formes brutales de violence sexuelle pour lesquelles on
22 a constaté que Stanisic et Zupljanin avaient été trouvés responsables sur
23 le plan pénal, et cela nécessite également des peines plus importantes. Les
24 femmes détenues à Omarska ont souvent fait l'objet de viols et d'agressions
25 sexuelles. Les gardes de Mlado Radic ont été décrits comme étant les pires
26 et les Juges du TPIY l'ont condamné à 20 ans de prison dans l'affaire
27 Kvocka.
28 Le Dom de Celopek à Zvornik, avec les policiers de la réserve qui
Page 223
1 assuraient la garde, il y a eu des conditions terribles de détention, des
2 passages à tabac et meurtres. Les paramilitaires qui étaient assistés par
3 les forces de la police faisaient en sorte que les pères et leurs fils
4 devaient se violer mutuellement. Et on leur coupait le pénis, ou l'oreille,
5 et on obligeait les autres prisonniers à les manger.
6 Au SJB de Kotor Varos, les policiers ont obligé les détenus mâles et
7 femelles à avoir des relations sexuelles devant les autres et devant toute
8 une foule qui les encourageait, sous l'œil de la police et des militaires.
9 Les membres de la police spéciale de Zupljanin ont forcé deux détenus
10 hommes à exercer des violences sexuelles l'un et à l'égard de l'autre.
11 Des violences sexuelles, cette cruauté, ces viols, ces viols mutuels
12 entre membres de la même famille, viols publics, mutilation sexuelle,
13 cannibalisme sexuel - ont mérité des peines très élevées. Vingt-deux ans ce
14 n'est simplement pas assez.
15 Et avant que de passer à autre chose, je voudrais dire que je n'ai
16 pas essayé de présenter un tableau exhaustif de la totalité des délits au
17 pénal pour lesquels ils ont été condamnés. En sus de ce que j'ai mentionné,
18 Stanisic et Zupljanin ont également été condamnés pour des persécutions,
19 destructions de villes et de villages, y compris édifices religieux et
20 édifices culturels. Zupljanin a également été trouvé coupable d'avoir
21 ordonné aux membres de sa police des appropriations de biens de non-Serbes.
22 Ce que je voulais dire c'est tout à fait simple : Stanisic et
23 Zupljanin ont été trouvés coupables pour bien plus qu'un incident dans un
24 seul camp ou dans un seul cas de figure. Ceci explique en soi la raison
25 pour laquelle ils méritent des peines bien plus élevées.
26 Raison numéro cinq, Monsieur le Juge, est de nature qualitative. Ils
27 méritent des peines plus grandes parce qu'ils ont, par leurs agissements,
28 permis à des auteurs à un niveau inférieur tout ce qu'ils ont fait. Les
Page 224
1 participants de cette entreprise criminelle commune ont mis en place une
2 situation telle où les auteurs subalternes ont pu agir comme ils ont agi,
3 sans être punis. Stanisic et Zupljanin ont mis en scène tout ce qu'il
4 fallait pour que ces crimes puissent être parés. Donc, qualitativement
5 parlant, ils sont bien plus responsables que les auteurs à un niveau
6 inférieur qui se sont conformés à leur incitation.
7 Stanisic et Zupljanin se sont servis des forces qui étaient placées
8 sous leur contrôle à des fins de nettoyage ethnique. Ils ont contribué de
9 façon significative à la réalisation de cet objectif criminel de
10 déplacements permanents de Musulmans de Bosnie et de Croates de Bosnie des
11 territoires que l'on avait envisagés pour en faire un Etat serbe.
12 Et à la place de faire en sorte que les forces de la police et les
13 forces armées veillent à la sécurité de la population, ces mêmes forces ont
14 été utilisées contre la population sur des bases discriminatoires. Et ce
15 faisant, ils ont créé une atmosphère d'impunité où les crimes systématiques
16 contre les non-Serbes non seulement étaient tolérés mais ont été
17 officiellement encouragés.
18 Ceci est important pour ce qui est de Stanisic et Zupljanin qui, eux,
19 contrôlaient les effectifs de la police. La police civile opérait sur des
20 bases discriminatoires, a utilisé sur cette base-là ses ressources en
21 poursuivant des petits criminels contre les intérêts serbes, tout en
22 fermant l'œil pour ce qui est des crimes bien plus graves commis à l'égard
23 des non-Serbes, avec une participation directe de la police elle-même.
24 Stanisic a défini les priorités pour ce qui est des effectifs de la
25 police. Dès le début, il a fait savoir de façon claire que les crimes
26 contre les Serbes étaient la seule priorité de son point de vue. Il a
27 toujours agi de façon à faire en sorte que les ressources de la police
28 aient été attribuées à des fins de nettoyage ethnique et à des fins
Page 225
1 d'interventions illégales dans des camps de détention, en tolérant ou
2 ignorant la perpétration systématique de crimes contre les non-Serbes par
3 les policiers sous son commandement, y compris les crimes qui ont été
4 commis par son propre peloton de police spéciale.
5 Zupljanin a partagé ces mêmes priorités et les a mises en œuvre. Il a dit
6 qu'il ne protégerait pas les Musulmans de Banja Luka. Il n'a pris aucune
7 mesure pour ce qui est de faire répondre de leurs actes les auteurs de ces
8 délits, y compris les membres de sa propre police spéciale. Il a protégé
9 les auteurs de crime. Et il a permis des mauvais traitements et des
10 brutalités à l'égard de non-Serbes dans son QG à Banja Luka. Il a donc
11 ordonné aux policiers de voler de l'argent auprès de non-Serbes.
12 Stanisic et Zupljanin ont créé donc une atmosphère d'impunité. Les auteurs
13 ont été encouragés et protégés par leurs supérieurs hiérarchiques et autres
14 leaders qui se sont servis d'eux pour commettre des crimes. Ils savaient
15 pertinemment bien que la police, avec Stanisic et Zupljanin à leur tête, ne
16 les arrêterait jamais. Les crimes énumérés dans cette affaire ne se
17 seraient pas produits, n'auraient pas pu se produire s'il n'y avait pas eu
18 participation de la direction de la police, à savoir de Stanisic et
19 Zupljanin.
20 C'est la raison pour laquelle la responsabilité pénale de Stanisic et
21 Zupljanin englobe et dépasse la responsabilité pénale de chaque auteur
22 individuel de crimes. Et en leur qualité de membres de la direction des
23 Serbes de Bosnie, ils ont posé les bases de crimes et des atrocités
24 massives, ce qui fait que Stanisic et Zupljanin devraient se voir condamner
25 à des peines bien plus grandes. Et les peines prononcées dans cette affaire
26 ne reflètent pas leur rôle étant donné qu'il y a eu délibérément tant de
27 crimes commis et qui pouvaient être prévus, et il ne s'agit pas seulement
28 d'un seul cas, d'un seul camp, ou un seul jour.
Page 226
1 L'APPELANT ZUPLJANIN : [interprétation] Nous ne recevons pas
2 d'interprétation. Nous n'entendons pas l'interprétation. Nous n'entendons
3 pas donc les propos du Procureur.
4 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Est-ce que vous pouvez maintenant
5 entendre l'interprétation ?
6 L'APPELANT ZUPLJANIN : [interprétation] Merci.
7 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Nous pouvons continuer.
8 Monsieur Stanisic, vous n'avez pas de difficulté vous ? Bon. Alors allons-
9 y. Merci.
10 Mme BAIG : [interprétation] Monsieur le Président, je vais demander s'il
11 faut revenir en arrière sur ce que j'ai déjà dit ?
12 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Bien, je le ferais si j'étais vous.
13 Vous avez le compte rendu sous les yeux.
14 Peut-être reviendrais-je d'une phrase ou deux en arrière, et je crois que
15 ce serait bon.
16 Mme BAIG : [interprétation] Fort bien.
17 Les peines prononcées dans cette affaire ne reflètent pas de façon
18 appropriée le rôle qui a été le leur pour ce qui est de la mise en place
19 des conditions dans lesquelles tant de crimes ont été commis
20 intentionnellement, et les peines pouvaient être prévisibles du fait des
21 actions déployées par eux, il ne s'agit pas seulement d'un incident, d'un
22 seul camp, d'une seule journée ou d'une seule municipalité, mais, une fois,
23 et encore, et encore, et encore au travers de bon nombre de municipalités
24 et au fil de bon nombre de mois. Etant donné, donc, compte tenu de
25 l'échelle des crimes, ces rôles qualitativement différents nécessitent des
26 peines bien plus grandes que 22 ans de réclusion.
27 Pour conclure, Messieurs les Juges, les peines de 22 ans ne sont
28 manifestement pas adéquates. La Chambre de première instance a commis une
Page 227
1 erreur en prononçant des peines qui sortent du cadre du droit
2 discrétionnaire de la Chambre pour ce qui est du prononcé de la peine.
3 Vingt deux ans de prison pour Stanisic et Zupljanin compte tenu de la
4 responsabilité pénale revient à dire qu'on les ramène au niveau des petits
5 auteurs de crimes qui ont commis tel ou tel autre délit par rapport aux
6 quelque 100 000 crimes pour lesquels ceux-ci ont été condamnés. Donc, ces
7 peines ont été bien plus clémentes par rapport aux peines prononcées à
8 l'égard de leurs subordonnés directs, si elles sont plus indulgentes pour
9 eux que pour ceux qui ont été leur bras armé pour ce qui est de la
10 perpétration des crimes faisant partie de l'entreprise criminelle commune.
11 C'est une erreur claire.
12 Ces peines envoient un message erroné, le message dit que les
13 principaux auteurs sont moins responsables que les petits responsables ou
14 les petits délinquants. C'est une erreur. Ce n'est pas le message à faire
15 envoyer par le droit pénal international. Les crimes à ce niveau-là, avec
16 la participation de Stanisic et Zupljanin, n'auraient pas pu être commis
17 sans leur soutien à ce niveau-là. Donc, quand l'appareil de l'Etat se
18 retourne contre la population, ce n'est que là que ce type de crime devient
19 possible. Lorsque la police devient l'auteur de crime à la place d'être une
20 digue à l'égard de la perpétration de ces crimes, eh bien, c'est la raison
21 pour laquelle Stanisic et Zupljanin devraient être punis.
22 A Celebici, la Chambre d'appel a eu la sagesse de mettre en garde le
23 public sur la nécessité de l'administration de la justice conformément à la
24 gravité des crimes. Et quand il s'agit de cas similaires à ceci, il ne faut
25 pas qu'il y ait une différence aussi grande entre les peines prononcées,
26 par exemple à Celebici, dans le jugement en appel, le 20 février 2001,
27 paragraphes 756 et 758.
28 Il n'y a aucune justification dans l'affaire ici présente pour
Page 228
1 laquelle Stanisic et Zupljanin se verraient prononcer des peines si peu
2 indulgentes qu'à l'intention de ceux qui étaient des subalternes et qui ont
3 commis des crimes dans l'exécution du plan criminel de Stanisic et
4 Zupljanin. Donc, les peines appropriées pour les leaders de cette
5 entreprise criminelle commune qui ont rendu possible la perpétration des
6 crimes à si grande échelle contre l'humanité, cela devrait forcément être
7 des peines plus grandes que pour les individus qui ont commis des petits
8 crimes individuels. Donc, là, ces peines devraient être des peines de
9 détention à vie et ne devraient certainement pas être inférieures aux
10 peines qui ont été prononcées à l'égard de subalternes tels que Stakic et
11 autres.
12 Donc, l'Accusation demande à la Chambre d'appel, demande à celle-ci,
13 de prononcer des peines plus lourdes à Stanisic et Zupljanin pour refléter
14 de façon appropriée le rôle de leadership que ces hommes-là ont eu dans la
15 perpétration des crimes horribles pour lesquels ils ont été déclarés
16 coupables. Merci.
17 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Merci, Madame Baig.
18 Maître Zecevic ou Monsieur Bourgon, vous avez 20 minutes à compte de
19 maintenant. Il est 5 heures 7 minutes.
20 M. BOURGON : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Je crois avoir
21 besoin de moins de 20 minutes.
22 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Tant mieux.
23 M. BOURGON : [interprétation] Monsieur le Président, permettez-moi dès le
24 début de faire référence au motif d'appel 2 de l'Accusation. S'agissant de
25 ce motif d'appel 2, ce moyen d'appel 2, cela se rapporte aux condamnations
26 cumulatives pour ce qui est des persécutions et autres crimes contre
27 l'humanité, nous demandons aux Juges de la Chambre de se pencher sur notre
28 mémoire en réponse, à savoir les paragraphes 11 à 176. Nous maintenons
Page 229
1 notre opinion pour dire que la jurisprudence ne se prononçait pas pour ce
2 qui est de ce type de condamnation. Nous ne pensons pas que ce type de
3 sujet ait été adéquatement résolu. Il convient, donc, d'être équitable à
4 l'égard des accusés et que seulement des crimes particuliers peuvent
5 justifier des condamnations multiples.
6 Pour ce qui est des questions importantes, je vais dire ceci.
7 L'Accusation s'est appuyée sur deux mots-clé : quantitatif et qualitatif.
8 Partant du fait que ces crimes ont été commis à une si grande échelle, on a
9 considéré que les appelants étaient responsables et méritaient des peines
10 plus grandes. C'est en substance ce qu'on a entendu aujourd'hui. Et
11 l'Accusation a, en substance, répété son argumentation, celle du mémoire en
12 appel, et c'est ce qui fait que notre réponse sera plutôt courte.
13 Et lorsqu'il s'agit des crimes, il n'y a pas que l'échelle du crime,
14 il n'y a pas que l'envergure du crime, il y a la gravité, et la question
15 première est celle de savoir quelle a été la contribution de l'accusé à la
16 perpétration de tel crime. De quelle façon a-t-il contribué à la
17 perpétration d'un crime ? Et ce n'est pas nécessairement proportionnel au
18 rang ou au grade de l'accusé, pas plus qu'aux fonctions que l'accusé était
19 censé accomplir dans l'armée ou lorsqu'il était ministre. Monsieur le
20 Président, Messieurs les Juges, ce qui est dit ici, c'est que l'Accusation
21 insiste sur le fait que Stanisic avait bénéficié d'une autorité des plus
22 éminentes au sein du MUP de la RS et Stanisic devait s'assurer de la
23 nécessité de faire en sorte que ses forces ne participent pas à cette
24 entreprise criminelle commune.
25 Monsieur le Président, quand bien même on aurait rejeté la totalité
26 des moyens d'appel, dans notre argumentation et dans notre argumentation
27 orale présentée ce matin, nous avons clairement fait savoir que lorsqu'il
28 s'agissait de la contribution de Mico Stanisic au dit crime, cette
Page 230
1 contribution est loin d'être telle que décrite par l'Accusation ou par les
2 Juges de la Chambre de première instance, et l'Accusation n'a fait
3 qu'interpréter les conclusions des Juges de la Chambre de première
4 instance.
5 Alors, l'Accusation n'a pas pris en considération le fait que bon
6 nombre des crimes commis ont été commis pendant que les membres du MUP de
7 la RS ont été resubordonnés à l'armée. Par conséquent, la responsabilité de
8 ces crimes ne peut pas être attribuable à Mico Stanisic du fait que la
9 Chambre de première instance n'a pas tiré des conclusions appropriées à cet
10 égard. Ce que nous n'avons pas entendu de la part de l'Accusation, c'est
11 quelles sont les mesures prises par Stanisic, les licenciements de
12 personnes impliquées dans les crimes, le démantèlement d'unités complètes
13 qui ont été créées sans qu'il le sache, mesures de lutte contre les unités
14 paramilitaires, et délivrance de centaines d'ordres qui, toutes et tous
15 ensemble, avaient pour objectif d'empêcher les crimes et de s'assurer du
16 fait que certains crimes ne soient pas commis.
17 De notre avis, Monsieur le Président, il est tout à fait clair
18 lorsqu'on parle de mesures prises par M. Stanisic, que l'Accusation se soit
19 penchée sur des faits liés à des petits crimes de vols, et cetera, ce qui
20 n'est pas exact. Ce qui est beaucoup plus important, c'est que lorsque le
21 moment était venu de prendre des mesures, on a pris toutes les mesures qui
22 étaient mises à disposition pour arriver à un résultat. Et le résultat est
23 ce qui importe. Dans cette affaire-ci, lorsqu'on se penche sur les ordres
24 donnés, et bien que ces ordres n'ont pas toujours été mis en œuvre dans
25 leur pleine mesure, on peut noter qu'il y a eu protection de victimes, en
26 résultante de ces ordres, et je crois que M. Stanisic était parfaitement
27 conscient de la chose.
28 Pour ce qui est de la pratique de prononcé de peine, je vais aller assez
Page 231
1 vite. La pratique des peines prononcées, telles qu'énumérées par
2 l'Accusation, indique que le facteur crucial, ce n'est pas l'envergure mais
3 la gravité des crimes. On peut avoir un auteur individuel qui a commis un
4 seul crime et qui se trouve être condamné à 40 ans de prison, et il se peut
5 que son responsable ou son supérieur hiérarchique ait une peine moindre,
6 étant donné que son rôle était plus limité ou sa contribution à
7 l'entreprise criminelle commune ait été plus limitée, et il se peut donc
8 qu'il se voie prononcer une peine plus indulgente.
9 Nous estimons que la façon dont mes confrères ont décrit la jurisprudence à
10 ce jour ne constitue pas un problème. Ce qui est un problème, c'est, à
11 notre avis, une peine prononcée manifestement trop grande. Pourquoi ? Parce
12 que les mesures qui ont été prises par Stanisic, compte tenu de son rôle --
13 et vous allez voir, Monsieur le Président, que s'il a été membre de cette
14 entreprise criminelle commune, son rôle, au vu du compte rendu, et étant
15 donné que les Juges de la Chambre ont pu se pencher dessus, mais quand on
16 voit tout ce qu'il a fait et tout ce qu'il pouvait entreprendre dans les
17 circonstances données, quand on voit quelle était l'envergure de ses
18 responsabilités, en dépit du nombre de victimes que nous reconnaissons être
19 très grand, nous ne sommes pas ici pour diminuer le nombre des victimes ou
20 pour atténuer l'échelle de l'exode, et nous n'allons pas affirmer qu'il n'y
21 a pas eu beaucoup de personnes déplacées. Le problème, c'est que
22 l'Accusation établit un lien entre M. Stanisic et ces crimes. L'Accusation
23 affirme que ces crimes n'auraient pas pu se produire sans M. Stanisic. Or,
24 cela est tout à fait inexact, quand bien même il aurait été membre d'une
25 entreprise criminelle commune. Et pour cette raison-là, Monsieur le
26 Président, nous estimons que ce moyen d'appel de l'Accusation devrait être
27 rejeté de façon manifeste.
28 J'ai encore un petit commentaire à faire au sujet d'une observation faite
Page 232
1 par ma consœur pour ce qui est des crimes commis à Koricanske Stijene. Et à
2 cet effet, je voudrais souligner que M. Stanisic a été acquitté de toute
3 responsabilité au paragraphe 798 s'agissant d'une responsabilité de
4 commandement pour la situation concrète en question. Nous ne sommes pas
5 sûrs si ceci a fait partie des crimes englobés par l'entreprise criminelle
6 commune. Dans notre documentation, ce n'est pas le cas, mais je ne peux pas
7 être tout à fait certain. Donc, nous sommes en train de parler du type de
8 responsabilité et du type de contribution à la perpétration de crimes, et
9 M. Stanisic a bel et bien essayé, en sa qualité de ministère de
10 l'Intérieur, d'empêcher ces crimes.
11 Et c'est la raison pour laquelle nous estimons que ces motifs d'appels
12 devraient être rejetés. J'en ai terminé, Monsieur le Président.
13 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Merci, Monsieur Bourgon.
14 Je m'adresse à l'Accusation, aux parties, aux interprètes, aux techniciens
15 et à mes confrères pour dire que nous avons commencé cette session à 16
16 heures et quart. La bande d'enregistrement se terminera à 18 heures et
17 quart. Si nous utilisons à bon escient notre temps, nous aurons 20 minutes
18 plus 15, plus deux fois dix, donc 55 minutes au total. Cela nous
19 permettrait de terminer éventuellement à 18 heures et quart, à condition de
20 sauter la pause. Mais il faut que tout un chacun accepte de le faire.
21 A commencer par l'Accusation ?
22 Mme BAIG : [interprétation] Oui, Monsieur le Juge.
23 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Merci.
24 La Défense ?
25 M. ZECEVIC : [interprétation] Nous sommes d'accord.
26 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Les interprètes ? Je vois qu'on hoche
27 de la tête dans une des cabines -- dans la troisième cabine aussi.
28 Bon, j'imagine que mes confrères sont d'accord aussi. Le Juge Pocar, oui.
Page 233
1 Les autres, oui.
2 Bon, continuons. Nous allons maintenant entendre la réponse de la Défense
3 de M. Zupljanin. Vous avez 20 minutes.
4 Mme CMERIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Je vais entamer
5 la réponse à l'Accusation de la Défense Zupljanin en traitant du deuxième
6 moyen d'appel, à savoir les condamnations cumulatives.
7 Permettez-moi de dire d'emblée que Zupljanin maintient l'ensemble des
8 arguments contenus dans son mémoire en réplique, qui se trouvent aux
9 paragraphes 17 à 25 de celui-ci. Zupljanin est tout à fait conscient des
10 positions divergentes que l'on trouve dans la jurisprudence du Tribunal
11 quant au prononcé de condamnations pour crimes contre l'humanité qui soient
12 également la base de condamnations pour persécutions. L'Accusation a
13 indiqué en note en bas de page de son mémoire en appel qu'elle ne cherchera
14 pas à accroître la sentence de Zupljanin par des condamnations
15 supplémentaires de meurtre, torture, déportation, actes inhumains,
16 transfert forcé, et crimes contre l'humanité.
17 Si ce moyen d'appel, comme le comprend Zupljanin, relève plus d'une
18 question formelle qu'elle ne concerne l'harmonisation de la jurisprudence
19 et qu'elle n'aura aucun impact sur la sentence, Zupljanin s'abstiendra de
20 toute intervention supplémentaire en laissant cette question à la décision
21 de la Chambre d'appel, à sa décision très compétente.
22 Si, toutefois, sur la base des condamnations supplémentaires, la Chambre
23 d'appel est, pour une raison ou pour une autre, encline à envisager
24 d'accroître la sentence imposée à M. Zupljanin, la Défense de M. Zupljanin
25 indique qu'une telle approche équivaudrait effectivement à prononcer de
26 nouveaux chefs d'inculpation en appel, ce qui serait contraire au droit de
27 M. Zupljanin de se pourvoir en appel.
28 Donc, dans le cas où la Chambre d'appel déciderait de corriger le
Page 234
1 raisonnement et les conclusions de la Chambre de première instance,
2 Zupljanin déclare que la méthodologie utilisée par M. le Juge Pocar dans
3 son opinion partiellement dissidente dans l'affaire Popovic et consorts
4 devrait être respectée, devrait être appliquée. En d'autres termes, les
5 Juges de la Chambre d'appel sont invités à adopter la démarche qui a été
6 appliquée dans l'affaire Krstic et dans plusieurs autres arrêts, à savoir
7 se contenter de prononcer une erreur, mais décliner, refuser de prononcer
8 de nouvelles condamnations contre M. Zupljanin pour meurtre, torture,
9 déportation, actes inhumains, transfert forcé, en tant que crimes contre
10 l'humanité. Un tel prononcé n'aurait pas d'incidence sur la sentence
11 imposée à M. Zupljanin. De cette façon, Monsieur le Président, Messieurs
12 les Juges, nous déclarons qu'il y aurait équité par rapport à l'accusé et
13 les intérêts dans des condamnations qui respecteront le droit d'appel de M.
14 Zupljanin tout en étant suffisantes.
15 Je vais maintenant donner la parole à mon confrère, Me Gosnell, qui
16 traitera du reste de l'appel de l'Accusation. Je vous remercie.
17 M. GOSNELL : [interprétation] Monsieur le Président, Messieurs les Juges,
18 M. Zupljanin demande qu'il soit renoncé au chef d'accusation numéro 1 en
19 appel présenté par l'Accusation. L'Accusation vient de déclarer que la
20 sentence appliquée à M. Zupljanin ne devrait pas être inférieure à celle
21 qui a été prononcée dans d'autres cas impliquant des dirigeants dans des
22 circonstances similaires ou identiques. Et, pourtant, durant le procès,
23 l'Accusation a affirmé que M. Zupljanin n'était pas un Brdjanin, qu'il
24 n'était pas un Vukic, qu'il n'était pas un Kalenic, et cette affirmation
25 était une soumission mesurée qui se reflétait d'une certaine façon, que
26 l'on pouvait voir se refléter d'une certaine façon dans l'appréciation
27 faite par la Chambre de première instance en appréciation complète.
28 Quant au fait qu'il y a eu une erreur de méthode de la part de la
Page 235
1 Chambre de première instance lorsqu'elle a prononcé sa sentence. Bien au
2 contraire, la méthodologie proposée par l'Accusation constituerait une
3 erreur grave de méthode. En particulier, elle semble donner à entendre
4 qu'une intention devrait ne se voir accorder aucune valeur ou pratiquement
5 aucune valeur, alors que manifestement l'intention est le facteur premier
6 dans une appréciation de ce type.
7 Donc, Monsieur le Président, Monsieur les Juges, sur la base de ces
8 argumentations et de ces déclarations qui ont été faites par mon confrère
9 au nom de M. Stanisic, ainsi que des arguments qui ont été présentés dans
10 le cadre du moyen de Défense numéro 4 en appel, nous demandons que le moyen
11 d'appel numéro 1 soit rejeté.
12 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Je vous remercie. Je vois qu'il n'y a
13 plus d'intervention de votre côté.
14 Réponse de l'Accusation. Vous avez 15 minutes.
15 Mme BAIG : [interprétation] Je vous remercie. Monsieur le Président, j'ai
16 une précision à apporter en réplique simplement. Le conseil de Stanisic
17 s'est demandé si Stanisic était, en fait, condamné pour les événements de
18 Koricanske Stijene, et il est certain qu'il l'est. J'appellerais
19 l'attention des Juges de la Chambre d'appel sur les condamnations pour
20 meurtre qui figurent au paragraphe 858, Volume 2, et ensuite aux
21 paragraphes 855 et 856 du jugement. Le paragraphe auquel il a fait
22 référence, le paragraphe 798, est très clair, la Chambre n'y évoque que
23 l'extermination, et puisqu'il n'a pas été estimé qu'il avait été en mesure
24 de prévoir l'extermination, il ne doit pas être condamné au titre de la
25 troisième catégorie de l'entreprise criminelle commune, la Chambre s'est
26 ensuite penchée sur les autres modes de responsabilité et a conclu qu'il
27 n'était pas responsable de l'extermination au paragraphe 734 [comme
28 interprété] du jugement. Par conséquent, il a été condamné pour meurtre, ce
Page 236
1 qui constitue la base de la condamnation de Mrdja.
2 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, pendant la suite de notre
3 argumentation, nous aimerions reprendre nos mémoires. Et je vous demande un
4 instant.
5 J'aurais une précision simplement à demander. La citation concernant
6 Brdjanin et Vukic à laquelle a fait référence mon honorable confrère de la
7 Défense, on la trouve à la page 27 365 du compte rendu d'audience, et je
8 crois qu'elle a été sortie de son contexte.
9 S'agissant du reste de nos arguments, nous nous appuyons sur nos mémoires
10 écrits. Je vous remercie.
11 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Je vous remercie.
12 Maître Zecevic, est-ce que votre client va s'adresser à la Chambre
13 d'appel ?
14 M. ZECEVIC : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.
15 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Très bien.
16 Monsieur Stanisic, vous avez la possibilité maintenant de vous adresser à
17 la Chambre d'appel, et je vous demande de vous limiter à dix minutes. Je
18 vous remercie.
19 L'APPELANT STANISIC : [interprétation] Monsieur le Président de la Chambre,
20 Honorables Juges de la Chambre, permettez-moi d'entamer mon propos en
21 remerciant la Chambre pour la possibilité qui m'a été donnée de m'exprimer
22 aujourd'hui devant elle. Etant donné que la journée a été longue, je
23 m'engage à tenter d'être aussi bref que possible.
24 Durant les quelques derniers mois, vous avez entendu et lu beaucoup à mon
25 sujet dans les écrits et les déclarations de mon conseil et de
26 l'Accusation. Toutefois, à l'exception, bien entendu, du Président de cette
27 Chambre, c'est la première fois que vous me voyez en personne et que vous
28 avez la possibilité d'évaluer et de comparer tout ce que vous avez entendu
Page 237
1 ou lu à mon sujet - que ce soit bon ou mauvais - et que vous avez donc la
2 possibilité d'apprécier ces propos d'une façon convenable et humaine.
3 Il y a plus de dix ans - et j'ai peine à croire que tant de temps s'est
4 écoulé depuis - j'ai appris que le TPIY avait émis un acte d'accusation à
5 mon encontre. Bien entendu, un homme respectueux du droit et de l'éthique,
6 or ceci décrit l'intégralité de ma personne, en tant qu'homme de cette
7 nature j'ai immédiatement exprimé par le biais des organes pertinents de la
8 République de Serbie mon désir de me rendre à La Haye pour répondre des
9 accusations me concernant devant le TPIY. Je suis venu à La Haye avec un
10 objectif clair à l'esprit : je voulais être entreprenant et m'expliquer sur
11 les points suivants : qui je suis, quelle position j'ai prise dans la
12 période pertinente, ce que j'ai fait, et quelles mesures j'ai prises dans
13 les moments pertinents, pourquoi j'ai pris ces mesures, et comment j'ai agi
14 dans des conditions à peine supportables dans la période en question.
15 J'ai, par conséquent, accepté sans condition d'être interrogé par
16 l'Accusation de façon à ce qu'elle puisse comprendre mes positions. J'ai
17 répondu de façon prolongée à l'Accusation, et à partir de ce moment jusqu'à
18 aujourd'hui, ceci a été au cœur de la bataille de ma vie. J'ai autorisé
19 l'équipe de mon conseil à préparer ma défense conformément à toutes les
20 informations que j'avais fournies à l'Accusation, s'agissant de ma
21 personne, et j'ai communiqué tous les documents relatifs à la période
22 pertinente.
23 Depuis le premier jour du procès jusqu'aux arguments de clôture, selon une
24 démarche identique et inchangée, mon conseil a suivi mes positions
25 personnelles que je lui ai données depuis mon arrivée au TPIY. Mes conseils
26 ont expliqué qui j'étais, quelles mesures j'avais prises, et comment je
27 m'étais comporté. Inutile de dire que j'ai été particulièrement malheureux
28 d'entendre la condamnation prononcée à la fin du procès. Toutefois, j'ai
Page 238
1 immédiatement commencé à travailler à mon pourvoir en appel, en adoptant la
2 même démarche ouverte et transparente.
3 Depuis mon premier jour à La Haye jusqu'à aujourd'hui, je n'ai jamais rien
4 eu à cacher et cela n'a jamais changé. Même s'il est vrai que sur le
5 conseil de mon avocat j'ai d'abord refusé de témoigner dans l'affaire
6 Karadzic, à partir du moment où j'en ai reçu l'ordre, j'ai pleinement
7 coopéré avec la Chambre de première instance dans cette affaire en
8 répondant à toutes les questions au mieux de mes capacités. Je suis
9 conscient que ce que j'ai déclaré ne fait pas partie intégrante de mon
10 appel en l'espèce.
11 Quoi qu'il en soit, il m'importe de souligner que ce que j'ai dit dans
12 l'affaire Karadzic montre ma volonté de contribuer à l'établissement de la
13 vérité, en particulier en ce qui concerne mon comportement à l'époque
14 pertinente.
15 J'espère que vous savez que même si j'occupais le poste de ministre de
16 l'intérieur de la Republika Srpska, je n'ai jamais été un homme qui fait de
17 la politique. Je me contenterais de remarquer que j'ai eu à faire face à un
18 certain nombre de difficultés. J'aimerais vous décrire ma démarche
19 professionnelle lorsque j'ai essayé d'obtenir que les membres du MUP
20 s'acquittent de leurs devoirs dans des conditions difficiles, ou même
21 impossibles, dirais-je.
22 Je me suis opposé à Mme Plavsic, vice-présidente de la Republika Srpska,
23 parce qu'elle avait invité diverses formations paramilitaires venues du
24 territoire de l'ex-Yougoslavie en Republika Srpska, et que ces formations
25 ayant commis divers crimes, y compris le plus grave d'entre eux à leur
26 arrivée sur le territoire de la Republika Srpska. En raison de cela, avec
27 une partie des dirigeants de la Republika Srpska, elle a lancé une campagne
28 féroce et globale à mon encontre, m'accusant en déclarant que pendant que
Page 239
1 les volontaires venaient défendre le peuple serbe par rapport à ces
2 ennemis, je les ai arrêtés et persécutés avec l'aide des membres du MUP. En
3 raison de cette accusation, ma sécurité personnelle ainsi que celle de ma
4 famille a été mise en danger de la part d'extrémistes de notre peuple et
5 une partie des dirigeants de la Republika Srpska est devenue mon ennemi.
6 Après la première réunion collégiale qui a pu se tenir uniquement le 11
7 juillet 1992, après avoir évalué que mon insistance auprès de divers
8 départements n'avait pas suffi à imposer à ces hommes de remplir leurs
9 devoirs, j'ai immédiatement fait ce qui était nécessaire pour les démettre
10 de leurs fonctions. J'y ai réussi, mais en conséquence de cela, je me suis
11 fais d'autres ennemis dans mes propres rangs.
12 Le président Karadzic m'a deux fois démis de mes fonctions de
13 ministre de l'Intérieur, une fois pendant les événements qui ont conduit
14 aux accusations à mon encontre, et une fois plus tard. Dans les deux cas,
15 j'ai renoncé à mes fonctions sans faire d'histoire et j'ai quitté la
16 politique à laquelle je n'avais en fait jamais aspiré. Ce faisant, j'ai
17 sacrifié ma propre sécurité, ce qui n'aurait pas été important si je
18 n'avais pas également sacrifié la sécurité des membres de ma famille, y
19 compris de mes quatre enfants qui étaient mineurs à l'époque. Pendant le
20 procès, on m'a critiqué pour avoir prononcé le terme de "président" à
21 l'égard de Radovan Karadzic, mais ce n'était qu'une question d'étiquette et
22 une question d'éducation.
23 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, j'affirme en toute
24 responsabilité que je n'ai jamais commis aucun crime, y compris dans la
25 période pertinente. Il était clair à mes yeux en tant que membre du
26 gouvernement que le démantèlement de la Yougoslavie résulterait dans la
27 division de la Bosnie entre les parties belligérantes, mais j'affirme en
28 toute responsabilité que je n'ai jamais souhaité que cela arrive au travers
Page 240
1 de commission de quels que crimes que ce soient. J'affirme également que je
2 n'étais pas le seul à détenir une position comme la mienne. Il est vrai que
3 je ne peux pas affirmer devant vous qu'aucun des membres des plus hautes
4 instances de notre pouvoir, que ce soit même à des niveaux inférieurs,
5 auraient pu agir différemment, c'est-à-dire nourrir des intentions
6 discriminantes, mais je puis affirmer en toute responsabilité que je ne
7 faisais pas partie de ceux qui nourrissaient de telles intentions et qu'ils
8 n'ont jamais accepté mes positions par rapport aux crimes.
9 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je tiens à dire une chose
10 au sujet de la lettre publiée par l'un des honorables Juges devant lesquels
11 j'ai été amené à subir mon procès. Mon conseil m'a conseillé de m'abstenir
12 de parler de ce sujet, et je vais le faire. Toutefois, je considère
13 important d'exprimer mes positions. Lorsque j'ai lu cette lettre, j'ai été
14 surpris. Je me suis demandé s'il était possible que mon sort ait déjà été
15 scellé et que ma condamnation soit un résultat direct ou indirect des
16 idées, des points de vue et des critères exprimés dans cette lettre. Je ne
17 connaîtrai jamais la réponse à cette question, ce qui m'attriste et me
18 préoccupe.
19 Je regrette sincèrement que la guerre dont nous parlons ait eu lieu
20 et je souhaite sincèrement qu'aucune guerre n'ait plus lieu nulle part. Je
21 suis tout à fait désolé pour toutes les victimes qui ont péri suite à
22 certains actes répréhensibles commis pendant la guerre par des membres de
23 mon peuple. Je suis très attristé également, en raison de toutes les
24 familles qui ont été déchirées suite à ces événements. Je regrette aussi de
25 n'avoir pas pu contribuer davantage à m'assurer qu'un nombre plus important
26 de crimes commis et d'auteurs de ces crimes aient été traduis en justice.
27 Et finalement, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je me
28 tiens devant vous aujourd'hui pour affirmer en toute responsabilité que
Page 241
1 s'agissant des informations dont je disposais et des conditions extrêmement
2 difficiles dans lesquelles nous travaillons, j'ai fait de mon mieux pour
3 empêcher et mettre un frein à la commission des crimes, et que lorsque des
4 crimes étaient commis, les auteurs soient arrêtés et traduits en justice
5 quelle que soit leur appartenance ethnique ou leur religion. Je crois, et
6 je suis sûr, Monsieur le Président et Messieurs les Juges, que vous en avez
7 entendu suffisant pour prononcer votre décision quant à ma condamnation et
8 pour la changer en me renvoyant à la maison.
9 Compte tenu de ce qui précède, si vous ne pensez pas qu'il convient
10 d'annuler ma condamnation et que je rentre à la maison, je vous prierais de
11 faire votre possible pour qu'un nouveau procès soit organiser devant une
12 nouvelle Chambre de première instance de façon à ce que je puisse démontrer
13 que je n'ai jamais eu la volonté qu'aucun crime soit commis et que je
14 puisse m'expliquer sur ce qui suit : la position qui était la mienne à
15 l'époque pertinente, les mesures que j'ai prises, pourquoi j'ai pris ces
16 mesures et comment je les ai envisagées dans des conditions
17 particulièrement difficiles dans la période pertinente. Voilà ce que je
18 souhaitais vous dire, quel que soit le temps nécessaire pour un procès
19 impartial, je souhaite qu'il ait lieu, et c'est de façon volontaire que je
20 m'y soumettrai, comme je l'ai fait il y a dix ans.
21 Je vous remercie encore une fois pour la possibilité de parler devant
22 vous. Mon sort est entre vos mains. Je vous remercie.
23 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Merci, Monsieur Stanisic.
24 Monsieur Zupljanin, vous souhaitez vous exprimer ?
25 L'APPELANT ZUPLJANIN : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.
26 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Vous avez dix minutes.
27 L'APPELANT ZUPLJANIN : [interprétation] Monsieur le Président, Messieurs
28 les Juges, ce n'est pas mon intention de parler longuement, car beaucoup de
Page 242
1 mots ont déjà été prononcés ici; toutefois, je souhaite participer au
2 travail d'aujourd'hui afin de vous rappeler quelques détails. La guerre m'a
3 trouvé au poste de chef du CSB de Banja Luka; par le passé, au sein du
4 ministère de l'Intérieur de la Bosnie-Herzégovine, j'avais occupé pendant
5 17 ans un certain nombre d'autres fonctions. Je viens d'une famille mixte
6 dans laquelle on trouve des membres des trois groupes ethniques. Mais les
7 membres de ma famille vivaient ensemble avant la guerre. Ils ont vécu
8 ensemble pendant la guerre et le font encore aujourd'hui.
9 La situation dans laquelle nous nous sommes trouvés lorsque la guerre
10 civile a commencé était une situation grave. Il était très difficile de s'y
11 retrouver dans l'ensemble des événements qui ont commencé à s'accumuler. Au
12 fur et à mesure du conflit, le contrôle était de plus en plus difficile sur
13 ces événements et la polarisation ethnique ainsi que l'exode d'un certain
14 nombre groupes humains était de plus en plus difficile à empêcher. Dans ces
15 conditions, être policier devenait pratiquement impossible.
16 Mes collègues dans les rangs de mon service étaient aussi Croates et
17 Musulmans. Ils avaient des positions différentes. Lorsque la Republika
18 Srpska a été créée, je me suis battu pour les garder en notre sein, mais
19 malheureusement, je n'y ai pas réussi et le CSB a été décimé. Les forces de
20 police ont été dépassées par les événements et ont été privées d'un certain
21 nombre de cadres professionnels. Il a été très difficile de juguler le flot
22 des événements. Malheureusement pour l'ensemble d'entre nous, la guerre a
23 été déclarée, les gens allaient et venaient. La désobéissance civile est
24 devenue plus prononcée. Les incidents se sont multipliés. Des incendies ont
25 eu lieu, des pillages, des meurtres qui ont instauré le chaos et
26 l'insécurité pour l'ensemble de la population. Les forces qui étaient à ma
27 disposition n'avaient pas la capacité de répondre de façon adéquate à la
28 situation dans laquelle nous nous trouvions. J'ai rédigé plusieurs rapports
Page 243
1 et pris la parole en public au sujet de ces événements en les appelant par
2 leurs noms. J'ai établi des commissions et d'autres organes de travail dans
3 le but de tenter d'établir quelle était la réalité de la situation sur le
4 terrain; j'y ai parfois réussi et parfois, malheureusement, je n'y ai pas
5 réussi.
6 J'ai soumis un certain nombre de plaintes au pénal pour crimes contre
7 des non-Serbes chaque fois que j'ai pu le faire. J'ai mis en place des
8 plans opérationnels et procédé à des arrestations. Parfois, je suis même
9 allé aussi loin que j'étais autorisé à le faire dans le but de faire le
10 bien, mais je vois aujourd'hui que cela s'est retourné contre moi, car
11 c'était une preuve, semble-t-il, que mon autorité était grande. Dans cette
12 guerre très difficile, cette situation très difficile, des erreurs sont
13 possibles et des erreurs ont été commises, mais sans mauvaises intentions.
14 Il est certain que dans la perspective d'aujourd'hui, il est beaucoup plus
15 aisé de considérer tous ces événements qu'il n'était possible de le faire à
16 l'époque lorsqu'ils avaient lieu. C'est la raison pour laquelle je regrette
17 sincèrement certaines choses.
18 Je suis désolé pour les omissions dont j'ai pu être responsable. Je
19 regrette toutes les victimes de cette période. Dans ces circonstances, dans
20 des époques comme celles-là, est-ce que l'on aurait pu faire mieux ou plus,
21 c'est à la Chambre d'en décider. Je vous remercie.
22 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Très bien. Merci, Monsieur Zupljanin.
23 Des commentaires ? Pas de commentaires.
24 Eh bien, ceci met un point final à l'audience en appel en l'espèce. Avant
25 de lever l'audience, je voudrais consacrer un moment à remercier toutes les
26 parties qui ont participé à notre travail. J'aimerais également dire ma
27 gratitude aux membres du Greffe ici dans le prétoire et hors du prétoire, à
28 tous ceux qui ont pu faciliter notre audience d'aujourd'hui. En
Page 244
1 particulier, je tiens à remercier les interprètes, les sténotypistes pour
2 leur excellente assistance et les techniciens et autres personnes qui nous
3 ont aidés pendant l'audience d'aujourd'hui.
4 La Chambre d'appel rendra son arrêt en temps utile. La séance est levée.
5 --- L'audience d'appel est levée à 17 heures 42.
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28