Chambres de Prem. Inst.

Le Procureur c/ Vidoje Blagojevic - Affaire n° IT-02-60-PT

"Décision relative à la requête orale aux fins de remplacement d'un coconseil"

9 décembre 2002
Chambre de première instance II (Juges Schomburg [Président], Mumba et Agius)

Le pouvoir d’une Chambre de première instance de réexaminer une décision du Greffier relative à la nomination d’un conseil

Le pouvoir d’une Chambre de première instance de réexaminer une décision du Greffier relative à la nomination d’un conseil : les difficultés relatives à la défense d’un accusé vont retentir sur le déroulement de la procédure que la Chambre de première instance a non seulement le pouvoir mais aussi le devoir de régir en conformité avec les dispositions statutaires en vue d’un procès rapide et équitable . Une Chambre de première instance est investie du pouvoir de réexaminer une décision de ce genre dans l’intérêt de la justice. Le fondement qu’a une Chambre de première instance pour agir relativement à cette question réside dans son pouvoir inhérent et son obligation de garantir un procès équitable et le bon déroulement de l’instance , énoncés aux articles 20 et 21 du Statut du Tribunal. C’est au Greffier qu’échoit la responsabilité principale sur ce point. Si ce dernier n’a pas été correctement informé des faits essentiels, il est habilité à reconsidérer sa décision antérieure sur la base de nouvelles données dont il ne disposait pas jusqu’alors.

Rappel de la procédure

· En application de la Directive relative à la commission d’office de conseil de la défense (ci-après la «Directive»), le Greffier a désigné Michael Karnavas en tant que conseiller principal de l’accusé le 31 août 2001, et Suzana Tomanovic en tant que coconseil le 25 septembre 2002.

· Lors de la conférence de mise en état du 27 novembre 2002, Vidoje Blagojevic (ci-après «l’accusé») a déclaré oralement ne pas être satisfait de la nomination du conseil commis à sa défense. Le même jour, lors d’une audience à huis clos relative à la requête (ci-après l’«audience relative à la requête»), l’accusé a précisé que sa contestation se limitait à la nomination du coconseil qui, selon lui, «doit être choisi et nommé conformément à la demande et aux intérêts du client, ce qui en l’occurrence n’a pas été fait».1

La Décision

La Chambre de première instance a rejeté la requête orale aux fins de remplacement d’un coconseil.

Les motifs

Le pouvoir d’une Chambre de première instance de réexaminer une décision du Greffier relative à la nomination d’un conseil.

La Chambre de première instance a déclaré que «le fondement qu’a une Chambre de première instance pour agir relativement à cette question réside dans son pouvoir inhérent et son obligation de garantir un procès équitable et le bon déroulement de l’instance, énoncés aux articles 202 et 213 du Statut du Tribunal».4

Elle a jugé que «les difficultés relatives à la défense d’un accusé vont retentir sur le déroulement de la procédure que la Chambre de première instance a non seulement le pouvoir mais aussi le devoir de régir en conformité avec les dispositions statutaires en vue d’un procès rapide et équitable». La Chambre de première instance a estimé qu’«elle est investie du pouvoir de réexaminer une décision de ce genre dans l’intérêt de la justice». Elle a reconnu que c’est au Greffier qu’échoit la responsabilité principale sur ce point et a déclaré que «si ce dernier n’a pas été correctement informé des faits essentiels, il est habilité à reconsidérer sa décision antérieure sur la base de nouvelles données dont il ne disposait pas jusqu’alors».5

Le rejet de la requête

La Chambre de première instance a noté que, en vertu de l’article 16 de la Directive relative à la commission d’office de conseil de la défense,6 c’est au conseil de demander la nomination d’un coconseil. Elle a noté qu’elle n’avait pas observé un climat de défiance entre eux, et que l’accusé avait seulement déclaré que la nomination du coconseil n’avait pas été faite conformément à ses propositions et avec son accord.

La Chambre de première instance n’a pas pu conclure que le coconseil était incompétent et agissait d’une façon contraire au meilleur avantage de son client.7 Elle a estimé que «les problèmes allégués entre l’accusé et la Défense reposent en fait sur le souhait de l’accusé d’avoir une tierce personne inconnue nommée en tant que coconseil, et ne sont pas consécutifs à une faute, une incompétence ou un quelconque conflit d’intérêts de la part du coconseil». En outre, elle n’a identifié aucun motif qui «pourrait révéler un manque de confiance entre l’accusé et l’équipe de la Défense ou qui, d’une autre manière, serait de nature à justifier qu’une coopération entre l’accusé et cette équipe n’é[tait] désormais plus envisageable».

La Chambre de première instance a considéré que l’accusé ne pouvait subir aucun tort du fait que Mme Tomanovic soit maintenue dans ses fonctions de coconseil, et que le remplacement du coconseil à ce stade de la procédure pourrait porter préjudice à l’accusé en occasionnant notamment un retard dans le déroulement de cette dernière , retard qui nuirait à son droit d’être jugé rapidement.

Elle n’a trouvé aucune bonne raison d’intervenir dans la décision du Greffier et a donc rejeté la requête.

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1. Audience relative à la requête, 27 novembre 2002, p.107 (huis clos).
2. Article 20 du Statut (Ouverture et conduite du procès)
1. La Chambre de première instance veille à ce que le procès soit équitable et rapide et à ce que l’instance se déroule conformément aux règles de procédure et de preuve, les droits de l’accusé étant pleinement respectés et la protection des victimes et des témoins dûment assurée.
2. Toute personne contre laquelle un acte d’accusation a été confirmé est, conformément à une ordonnance ou un mandat d’arrêt décerné par le Tribunal international, placée en état d’arrestation, immédiatement informée des chefs d’accusation portés contre elle et déférée au Tribunal international.
3. La Chambre de première instance donne lecture de l’acte d’accusation, s’assure que les droits de l’accusé sont respectés, confirme que l’accusé a compris le contenu de l’acte d’accusation et lui ordonne de plaider coupable ou non coupable. La Chambre de première instance fixe alors la date du procès.
4. Les audiences sont publiques à moins que la Chambre de première instance décide de les tenir à huis clos conformément à ses règles de procédure et de preuve.
3. Article 21 du Statut (Les droits de l’accusé)
1. Tous sont égaux devant le Tribunal international.
2. Toute personne contre laquelle des accusations sont portées a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement, sous réserve des dispositions de l’article 22 du statut.
3. Toute personne accusée est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été établie conformément aux dispositions du présent statut.
4. Toute personne contre laquelle une accusation est portée en vertu du présent statut a droit, en pleine égalité, au moins aux garanties suivantes :
a) à être informée, dans le plus court délai, dans une langue qu’elle comprend et de façon détaillée, de la nature et des motifs de l’accusation portée contre elle ;
b) à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et à communiquer avec le conseil de son choix ;
c) à être jugée sans retard excessif ;
d) à être présente au procès et à se défendre elle-même ou à avoir l’assistance d’un défenseur de son choix ; si elle n’a pas de défenseur, à être informée de son droit d’en avoir un, et, chaque fois que l’intérêt de la justice l’exige, à se voir attribuer d’office un défenseur, sans frais, si elle n’a pas les moyens de le rémunérer ;
e) à interroger ou faire interroger les témoins à charge et à obtenir la comparution et l’interrogatoire des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;
f) à se faire assister gratuitement d’un interprète si elle ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience ;
g) à ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s’avouer coupable.
4. Référence à la Décision de la même Chambre de première instance dans l’affaire Hadzihasanovic et al., IT-01-47-PT, Décision relative à la requête de l’Accusation aux fins d’examen de la décision du Greffier de nommer M. Rodney Dixon comme coconseil de l’accusé Kubura, 26 mars 2002, Judicial Supplement no 31bis. Dans l’affaire Knezevic, IT-95-4-PT & IT-95-8/1-PT, Décision relative à la demande de l’accusé aux fins d’examen de la décision du Greffier concernant la commission d’office d’un conseil, 6 septembre 2002, Supplément Judiciaire n° 36, la Chambre de première instance III a basé sa compétence pour examiner une décision du greffier relative à cette question sur l’article 54 du Règlement (Disposition générale).
5. En l’espèce, le Greffe a informé la Chambre de première instance, lors de l’audience relative à la requête, que le coconseil avait été nommé «selon la politique […] appliquée par le Greffe», qu’il avait les qualifications requises et avait travaillé précédemment sur cette affaire en tant qu’assistant juridique. Il a de même informé la Chambre de première instance qu’il était au courant du désaccord existant entre l’accusé et son conseil relativement à la nomination de Suzana Tomanovic, mais que le problème, de son point de vue, avait été résolu.
6. Article 16 (principes généraux)
C) Dans l’intérêt de la justice et à la demande du conseil commis d’office, le Greffier peut, en conformité avec l’article 14, nommer un coconseil pour assister le conseil principal. Le conseil commis d’office le premier est appelé conseil principal.
7. Référence à l’affaire Barayagwiza, TPIR-97-19-T, Décision relative à la demande du conseil de la défense d’être révoqué, 2 novembre 2000, dans laquelle la Chambre de première instance a estimé en l’espèce que le fait que l’accusé n’exprimait pas un manque de confiance vis-à-vis de ses conseils et le fait qu’il ne faisait pas fait valoir leur incompétence constituaient des facteurs pertinents pour se prononcer sur la requête aux fins de révocation d’un conseil.