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Jugement rendu dans l'affaire le Procureur c/ Sefer Halilovic

CHAMBRES
JUGEMENT RENDU DANS L'AFFAIRE LE PROCUREUR C/ SEFER HALILOVIC Communiqué de Presse
(Exclusively for the use of the media. Not an official document)

La Haye, 17 novembre 2005

CC/MO/1021f


LA CHAMBRE DE PREMIERE INSTANCE I ACQUITTE HALILOVIC MISE EN LIBERTE IMMEDIATE DE SEFER HALILOVIC

Veuillez trouver ci-dessous le résumé du jugement rendu par la Chambre de 1ére instance I composée des Juges Liu (Président), El Mahdi, et Mumba, tel que lu à l'audience de ce jour par le Juge Président.


Résumé du jugement rendu dans l'affaire Le Procureur c/ Sefer Halilovic
La Chambre de première instance I, section A, est réunie aujourd'hui pour rendre son jugement dans l'affaire Le Procureur c/ Sefer Halilovic.


Au cours de la présente audience, la Chambre de première instance exposera ses constatations et conclusions de manière succincte. Nous tenons à souligner qu'il s'agit uniquement d'un résumé. Seul fait autorité l'exposé des constatations, conclusions et motifs de la Chambre que l'on trouve dans le jugement écrit, dont des copies seront mises à la disposition des parties et du public
à l'issue de l'audience.Rappel de la procédure


Le procès intenté à l'accusé, Sefer Halilovic, s'est ouvert le 31 janvier 2005 et a pris fin le 31 aoűt 2005. Au cours du procès, la Chambre de première instance a entendu 41 témoins et admis 14 déclarations de témoins en application de l'article 92 bis du Règlement. 500 pièces à conviction environ ont été versées au dossier tout au long du procès.


Les faits reprochés
L'acte d'accusation dressé à l'encontre de Sefer Halilovic porte sur des meurtres qui auraient été commis par des soldats appartenant à l'Armée de la République de Bosnie Herzégovine (« ABiH ») à Grabovica et à Uzdol, des villages situés dans les régions de Jablanica et de Prozor, en Herzégovine. Les faits se seraient déroulés en septembre
1993, lors d'une opération militaire baptisée « Opération Neretva » (« l'Opération »). Selon l'Accusation, Sefer Halilovic commandait l'Opération et, par conséquent, les forces qui y étaient engagées étaient placées sous sa direction et son commandement.


L'Accusation affirme que l'Opération était commandée et coordonnée depuis le poste de commandement avancé (« IKM ») situé à Jablanica. L'une des lignes d'attaque comprenait le secteur de Grabovica. Cette partie de l'Opération était commandée par Zulfikar Ališpago et faisait intervenir des éléments appartenant au 1er corps d'armée de l'ABiH, notamment la 9e brigade motorisée, la 10e
brigade de montagne et le 2e bataillon indépendant. Une autre ligne d'attaque traversait le secteur où se trouve le village d'Uzdol. Cette partie de l'Opération faisait intervenir le bataillon indépendant de Prozor, sous le commandement d'Enver Buza.


Selon l'Accusation, Sefer Halilovic, tout en sachant que la 9e et la 10e brigades étaient « tristement célèbres pour leur comportement criminel et incontrôlé », a ordonné que certaines de leurs unités soient déployées en Herzégovine. L'Accusation affirme en outre que les 7 et 8 septembre 1993, une unité de la 9e brigade, un petit groupe appartenant à la 10e brigade ainsi que le 2e
bataillon indépendant, se sont trouvés cantonnés dans le village de Grabovica.


Du 8 au 9 septembre 1993, trente-trois civils croates de Bosnie auraient été tués à Grabovica. Il est en outre allégué que Sefer Halilovic connaissait la réputation de criminels des soldats des 9e et 10e brigades et qu'il était présent lorsque, le 8 septembre, Vehbija Karic, l'un des membres de l'équipe d'inspecteurs, avait dit aux soldats qu'ils devaient juger sommairement les
civils croates de Bosnie et les jeter dans la Neretva si les villageois refusaient d'accepter que des soldats soient logés chez eux. L'Accusation affirme qu'après avoir été informé dans la nuit du 8 septembre que des civils avaient été tués, Sefer Halilovic avait le devoir d'agir de toute urgence pour empęcher que d'autres crimes ne soient commis.


Selon l'Accusation, Sefer Halilovic a reçu l'ordre, donné par Rasim Delic le 12 septembre, « de reconsidérer la portée de l'opération « Neretva-93 », d'isoler les responsables des crimes commis à Grabovica, de prendre des mesures actives et de faire immédiatement un rapport sur les mesures prises ». Sefer Halilovic n'aurait pas exécuté l'ordre de Rasim Delic, laissant ainsi les
crimes impunis.


Dans l'acte d'accusation, il est également indiqué que le 14 septembre 1993, dans le cadre de l'Opération, le bataillon indépendant de Prozor a attaqué le village d'Uzdol et tué vingt-neuf civils croates de Bosnie et un prisonnier de guerre, membre du HVO.


Selon l'Accusation, Sefer Halilovic, en vertu de sa position et de ses pouvoirs de commandant de l'« Opération Neretva », exerçait un contrôle effectif sur les unités qui lui étaient subordonnées, dont les 9e et 10e brigades, le 2e bataillon indépendant et le bataillon indépendant de Prozor.


Sur la base des faits reprochés, Sefer Halilovic devait répondre de meurtre, un crime sanctionné par l'article 3 du Statut, et reconnu par l'article 3) 1) a) des Conventions de Genève. Il ressort de l'acte d'accusation que Sefer Halilovic serait pénalement responsable au regard de l'article 7 3) du Statut car, malgré les devoirs qui lui incombaient en tant que commandant, il n'a
pas pris de mesures effectives pour empêcher le meurtre de civils à Grabovica, ni entrepris d'ouvrir une enquête en bonne et due forme pour identifier les responsables des meurtres commis à Grabovica et à Uzdol et les punir en conséquence, puisque c'est lui qui commandait l'Opération.


L'accusé
Le 25 mai 1992, la Présidence de la République de Bosnie Herzégovine nomme Sefer Halilovic commandant de l'état-major de la Défense territoriale (TO) Après juillet 1992, il devient « chef de l'état-major général » de l'ABiH. Le 18 août 1992, la Présidence de la République de Bosnie Herzégovine forme cinq corps de l'ABiH, Sefer Halilovic étant « chef de
l'état major principal ». Il exerce également les fonctions de chef de l'état-major du commandement supręme de l'ABiH jusqu'au 8 juin 1993, date à laquelle le Président de la République de Bosnie Herzégovine décide de réorganiser la structure du commandement suprême de l'ABIH et de créer un nouveau poste, celui de « commandant de l'état-major principal », auquel est affecté Rasim
Delic. Sefer Halilovic conserve les fonctions de « chef de l'état-major principal » de l'ABiH jusqu'en novembre 1993. Le 18 juillet 1993, Alija Izetbegovic rend une nouvelle décision, par laquelle le « chef de l'état major principal » exerce désormais les fonctions de commandant adjoint, portant ainsi à trois le nombre de commandants adjoints. En vertu de cette décision, les
commandants adjoints exercent à tour de rôle les fonctions de « chef de l'état-major principal ».


Grabovica
La Chambre de première instance constate que pour mener des opérations de combat en Herzégovine en vue de mettre fin au blocus de Mostar instauré par le HVO pendant la période visée par l'acte d'accusation, des unités de la 9e et de la 10e brigades, ainsi que des unités du 2e bataillon indépendant, toutes subordonnées au 1e corps de l'ABiH, ont quitté Sarajevo
pour être envoyées dans le secteur de Jablanica. Grabovica se situait dans ce secteur, qui, à l'époque, faisait partie de la zone de responsabilité du 6e corps d'armée. La Chambre de première instance estime que les unités en question ont été déployées en Herzégovine à la suite d'un ordre donné par Sefer Halilovic.


Le village de Grabovica était peuplé de Croates de Bosnie. La Chambre observe que Grabovica était tenu par l'ABiH depuis mai 1993 et que les habitants de Grabovica et les soldats de l'ABiH qui y étaient cantonnés entretenaient de bons rapports. En l'absence d'autres lieux d'hébergement pour accueillir les nouveaux arrivants, il a été décidé que ceux-ci prendraient leurs quartiers
chez les habitants du village.


Des éléments de preuve ont été présentés à la Chambre de première instance au sujet des 9e et 10e brigades, « tristement célèbres pour leur comportement criminel et incontrôlé », ainsi qu'il est dit dans l'acte d'accusation. Il en ressort, non seulement que des membres de l'une et l'autre de ces brigades se sont montrés peu disciplinés, mais aussi qu'ils ont emmené des civils sur
la ligne de front pour y creuser des tranchées et se sont livrés à des vols ou à d'autres malversations. La Chambre de première instance estime néanmoins que l'on ne saurait comparer ces agissements aux crimes perpétrés à Grabovica. À cet égard, la Chambre prend note du témoignage de Vahid Karavelic, commandant du 1e corps d'armée, qui, tout en ayant connaissance des fautes commises
contre la discipline et des comportements adoptés précédemment par des membres de ces brigades, a déclaré qu'il ne lui était jamais venu à l'esprit que ceux-ci pourraient commettre des atrocités à l'encontre des civils de Grabovica.


Des éléments de preuve ont également été présentés au sujet des problèmes rencontrés par les soldats qui essayaient de se loger chez les habitants de Grabovica. La Chambre de première instance est d'avis que les preuves ne sont pas cohérentes quant aux circonstances dans lesquelles Vehbija Karic aurait tenu les propos allégués, s'agissant notamment du moment, de l'endroit et de la
présence ou non de Sefer Halilovic, et, de surcroît, elle ne juge pas les témoins dignes de foi sur ce point. Partant, la Chambre de première instance conclut qu'il n'est pas avéré que Vehbija Karic ait tenu de tels propos ni que Sefer Halilovic ait été présent à ce moment-là.


Les éléments de preuve présentés indiquent que l'arrivée de l'unité de la 9e brigade a transformé l'atmosphère qui régnait jusqu'alors à Grabovica et que des actes de violence ont commencé à se produire. Pendant toute la nuit du 8 septembre, des tirs ont été entendus dans le village. Un témoin a déclaré avoir entendu des femmes gémir et pleurer, tandis que, pour sa part, elle
restait « assise par terre sans rien faire, livrée au destin ». La Chambre de première instance a constaté qu'aux premières heures de l'après-midi du 9 septembre, plusieurs habitants de Grabovica avaient été tués par des soldats appartenant à des unités de l'ABiH qui se trouvaient alors dans le village. La Chambre note tout particulièment la manière impitoyable dont un membre de la 9e
brigade a abattu Pero Maric, alors qu'il était assis à la même table, face à sa victime. La Chambre prend également acte de la brutalité avec laquelle Ljubica Zadro et Mladenka Zadro ont été tuées. Ljubica Zadro portait dans ses bras sa fille Mladenka, âgée de quatre ans, lorsqu'elles ont été abattues toutes les deux à bout portant par des membres de la 9e brigade.


Uzdol
En 1993, le village d'Uzdol était peuplé exclusivement de Croates de Bosnie. Uzdol regroupait plusieurs hameaux et comptait au total une centaine d'habitants. En septembre 1993, le HVO tenait plusieurs positions à Uzdol et dans les environs. La Chambre de première instance constate qu'à l'aube du 14 septembre, les soldats du bataillon indépendant de Prozor,
de concert avec des membres de la police civile du Ministère de l'intérieur, ont attaqué le quartier général du HVO, situé dans l'école de l'un des hameaux d'Uzdol. Peu après le début de l'attaque, le HVO s'est mis à pilonner Uzdol. La Chambre estime que, durant l'attaque, un certain nombre d'habitants du village ont été tués par des soldats placés sous le commandement de
l'ABiH.


La Chambre de première instance observe que certains des meurtres commis à Uzdol étaient particulièrement cruels. Rappelons à cet égard le meurtre d'Anica Stojanovic, accroupie par terre, près de sa maison, lorsqu'un soldat qui se tenait à trois mètres de distance l'a abattue d'une balle dans la tête. Selon les témoignages, elle aurait crié le nom de son fils avant d'être abattue.
La Chambre prend également note des témoignages directs concernant le meurtre de Ruza Zelic et de ses deux enfants, âgés de treize et dix ans. Ils avaient fui pour échapper aux soldats mais ces derniers les avaient rattrapés. Ruza Zelic a supplié les soldats de les épargner mais ils ont tous les trois été tués.


Constatations relatives aux faits reprochés
S'agissant des crimes commis à Grabovica, la Chambre de première instance estime que le cantonnement de soldats de l'ABiH à Grabovica en vue de mener des opérations de combat en Herzégovine a largement contribué à ce que ces soldats puissent commettre les crimes imputés. Quant aux crimes d'Uzdol, la Chambre est d'avis
qu'ils ont été perpétrés au cours d'une attaque lancée contre le village dans le cadre d'opérations de combat. Aussi la Chambre de première instance conclut-elle à l'existence d'un lien entre les crimes commis à Grabovica et Uzdol et le conflit armé qui se déroulait dans la région.


S'agissant des crimes commis à Grabovica, la Chambre de première instance conclut qu'il a été établi au-delà de tout doute raisonnable que 13 villageois, qui ne prenaient pas une part active aux hostilités, ont été tués par des membres de la 9e brigade et des soldats de l'ABiH dont l'identité n'est pas connue, le 8 ou le 9 septembre 1993.


La Chambre de première instance estime que l'Accusation n'a pas prouvé au-delà de tout doute raisonnable que 14 personnes dont le nom figure dans l'acte d'accusation ont été tuées par des membres de l'ABiH à Grabovica pendant la période visée.


La Chambre note que, pendant le procès, six des victimes présumées recensées dans l'acte d'accusation en ont été retirées.


S'agissant des crimes commis à Uzdol, la Chambre de première instance conclut que 25 villageois ont été tués par des membres d'unités placées sous le commandement de l'ABiH le 14 septembre 1993, et que ces victimes ne prenaient pas une part active aux hostilités.


La Chambre de première instance estime que l'Accusation n'a pas prouvé au-delà de tout doute raisonnable que deux personnes dont le nom figure dans l'acte d'accusation ne prenaient pas une part active aux hostilités au moment de leur décès, le 14 septembre 1993. La Chambre est d'avis que l'Accusation n'a pas non plus prouvé au-delà de tout doute raisonnable que deux autres
personnes dont le nom figure dans l'acte d'accusation ont bien été tuées par des membres d'unités placées sous le commandement de l'ABiH qui ont attaqué Uzdol le 14 septembre 1993.


La Chambre de première instance note qu'à l'issue du procès, l'une des victimes présumées recensées dans l'acte d'accusation en a été retirée.


La Défense a fait valoir que les victimes d'Uzdol étaient décédées des suites du pilonnage mené par le HVO ou avaient succombé aux tirs échangés entre l'ABiH et le HVO lors de l'attaque du village par l'ABiH le 14 septembre 1993. La Chambre de première instance a constaté que le HVO avait lourdement pilonné les hameaux du village d'Uzdol. Or, les rapports relatifs aux autopsies
effectuées sur les victimes ne font état d'aucun élément de preuve indiquant que celles-ci auraient été tuées, ou même blessées, par des éclats d'obus. La Chambre estime donc que les preuves ne viennent pas étayer l'argument avancé par la Défense à ce sujet.


Quant à l'argument de la Défense selon lequel les victimes auraient été prises entre deux feux, la Chambre observe qu'il ressort des preuves produites en l'espèce que des combats intenses ont opposé les unités placées sous le commandement de l'ABiH et les soldats du HVO dans la région d'Uzdol pendant l'attaque. Les preuves démontrent en outre que les habitants de la région ont
abandonné leur domicile et se sont enfuis pour avoir la vie sauve. Contrairement à ce que la Défense affirme, la Chambre de première instance est d'avis que les victimes ont été tuées délibérément et note en particulier ce qui suit : plusieurs d'entre elles ont été abattues à bout portant ; deux personnes, dont l'une était invalide, ont été tuées dans leur lit; l'une des victimes a
été mutilée avant d'être tuée ; une autre a été sauvagement frappée à la tête jusqu'à ce que mort s'ensuive, après avoir d'abord été blessée par balles au thorax et à la jambe ; une autre victime encore a succombé aux coups qui lui ont été portés à la tête à l'aide d'un objet à la fois tranchant et contondant. La Chambre note enfin que des enfants, eux aussi, ont été tués.


Conclusions relatives à la responsabilité pénale individuelle de l'accusé
Après avoir constaté que des meurtres ont été commis tant à Grabovica qu'à Uzdol, la Chambre de première instance rappelle qu'un procès a pour objectif non seulement d'établir si des violations graves du droit humanitaire international ont été commises, mais aussi, en dernière analyse, de
déterminer si l'accusé est individuellement pénalement responsable de ces crimes.


La Chambre de première instance a procédé à l'évaluation de la responsabilité pénale individuelle de Sefer Halilovic sur la base de la totalité des éléments de preuve présentés au cours du procès.


À titre préliminaire, la Chambre de première instance fait observer qu'elle n'est pas convaincue que les opérations de combat menées en Herzégovine pendant la période visée à l'acte d'accusation portaient le nom de « Opération Neretva ». À l'exception d'une carte, aucune pièce à conviction présentée à la Chambre de première instance ne fait référence aux opérations de combat sous
la dénomination « Opération Neretva ». De plus, la Chambre de première instance relève que plusieurs témoins actifs au sein de l'ABiH à l'époque, dont deux chefs de Corps, n'ont jamais entendu utiliser cette dénomination au cours des opérations de combat. La Chambre de première instance a cependant employé le terme de « Opération Neretva » dans le présent jugement pour désigner les
opérations de combat menées en Herzégovine pendant la période visée à l'acte d'accusation.


La Chambre de première instance a conclu que les participants à une réunion tenue à Zenica les 21 et 22 août 1993 et présidée par le chef de l'état-major principal, Rasim Delic, n'avaient pas discuté de l' « Opération Neretva ». Il s'agissait d'une réunion d'information des chefs de Corps portant sur leurs zones de responsabilité respectives et au cours de laquelle ils ont exprimé
leur inquiétude à propos de l'orientation prise par le conflit et de son évolution future. La Chambre de première instance a en outre conclu que, à cette réunion, ni Sefer Halilovic, ni qui que ce soit d'autre n'avait été nommé commandant d'une quelconque « Opération Neretva », ni d'aucune autre opération. De plus, la Chambre de première instance a conclu qu'à la suite de la réunion
de Zenica, Sefer Halilovic avait, avec d'autres, entrepris une mission de réorganisation et de re-subordination des unités et ce, conformément à un ordre émis par Rasim Delic le 1er septembre.


La Chambre de première instance estime que l'Accusation n'a pas démontré que Sefer Halilovic avait été nommé commandant de l' « Opération Neretva » par un ordre donné par Rasim Delic le 30 aoűt, comme cela est avancé dans l'acte d'accusation. En réalité, par cet ordre, Rasim Delic a nommé Sefer Halilovic chef d'une équipe d'inspecteurs, sans l'investir d'une autorité de
commandement, mais en lui attribuant des fonctions de coordination et de surveillance dans les zones de responsabilité des 4ème et 6ème Corps, c'est-à-dire les Corps d'armée qui ont mené des opérations militaires dans les zones susmentionnées où se situaient Grabovica et Uzdol. De plus la Chambre de première instance a conclu que le rôle de Sefer Halilovic dans la mise en œuvre des
ordres émis par Rasim Delic concernant la réorganisation et la re-subordination correspondait à son rôle de chef d'une équipe d'inspecteurs, investi de fonctions de coordination et de surveillance.


La Chambre de première instance estime également que les éléments de preuve produits par l'Accusation ne permettent pas de conclure que le lieu où était logée l'équipe d'inspecteurs à Jablanica était un IKM chargé du commandement d'une « opération » en Herzégovine, comme cela est allégué dans l'acte d'accusation. La Chambre de première instance relève que le terme d'IKM était
utilisé dans le « jargon » pour désigner les endroits où se trouvaient des officiers supérieurs.


La Chambre de première instance estime que les éléments de preuve présentés au sujet de la position de commandant de l' « Opération Neretva » qu'aurait occupée Sefer Halilovic manquent de cohérence. La Chambre de première instance relève en particulier que certains des militaires subalternes ayant déposé devant elle considéraient Sefer Halilovic comme le commandant de l' «
Opération Neretva ». La Chambre de première instance a cependant considéré que les dépositions de certains militaires subalternes dans ce sens sont simplement un signe du respect dont jouissait Sefer Halilovic en tant qu'officier supérieur et en tant que fondateur, parmi d'autres, de l'ABiH. La Chambre de première instance ne peut conclure que ces éléments de preuve suffisent à
eux-seuls à accréditer l'allégation de l'Accusation selon laquelle Sefer Halilovic était le commandant de l' « Opération Neretva ».


Les témoignages des officiers supérieurs de l'ABiH démontrent de manière plus cohérente que Sefer Halilovic ne commandait pas l' « Opération Neretva », mais était chargé de coordonner les activités de combat.


La Chambre de première instance observe également qu'à une réunion tenue à Donja Jablanica le 4 septembre, Rasim Delic a signé et approuvé les documents relatifs à l' « Opération ». On peut voir la signature de Rasim Delic sur une carte intitulée « Opération Neretva ». L'Accusation soutient que les signatures figurant sur cette carte, celle de Rasim Delic dans le coin supérieur
gauche, et celle de Sefer Halilovic dans le coin inférieur droit, indiquent que « Halilovic était le commandant responsable de l'Opération ». La Chambre de première instance estime cependant que, contrairement aux affirmations de l'Accusation, les signatures figurant sur cette carte ne permettent pas de déterminer qui commandait l'« Opération ».


Ayant examiné les éléments de preuve produits au sujet du rôle de Sefer Halilovic sur le terrain en Herzégovine en septembre 1993, la Chambre de première instance conclut qu'il a mené à bien des missions correspondant à son rôle de chef d'une équipe d'inspecteurs chargée de déterminer l'état de préparation au combat et de coordonner les opérations de combat, comme cela est indiqué
dans l'ordre émis par Rasim Delic le 30 aoűt 1993. La Chambre de première instance relève que, lorsqu'il s'agissait de donner des ordres, l'autorité de Sefer Halilovic était limitée à deux titres par l'ordre du 30 août : en premier lieu en ce que, pour toute « proposition radicale », Sefer Halilovic devait consulter Rasim Delic, et en deuxième lieu en ce que, de par cet ordre, Sefer
Halilovic avait uniquement le pouvoir de donner des ordres « conformes à son autorité ». La Chambre de première instance relève à ce sujet que la position de Sefer Halilovic au sein de la structure de l'état-major principal avait été circonscrite par suite des ordres émis les 8 juin et 18 juillet par Alija Izetbegovic. La Chambre de première instance observe également que l'on ne
trouve parmi les éléments de preuve aucun ordre préalable de Sefer Halilovic déclenchant des opérations de combat sur les lignes d'attaque. De plus, une analyse des éléments de preuve relatifs aux ordres émis par Sefer Halilovic et aux informations qu'il recevait du terrain indique que Sefer Halilovic donnait ses ordres sous l'autorité générale qu'exerçait Rasim Delic en sa qualité de
commandant de l'ABiH, et que les ordres de Sefer Halilovic constituaient en général la mise à exécution des instructions données par Rasim Delic.


La Chambre de première instance relève que les éléments de preuve ne comportent qu'un seul ordre relatif à des opérations de combat émis par Sefer Halilovic après la mise en place de l'équipe d'inspecteurs, en l'occurrence l'ordre du 15 septembre 1993. La Chambre de première instance estime que cet élément ne permet pas de conclure que Sefer Halilovic commandait des opérations de
combat en Herzégovine. De l'avis de la Chambre de première instance, on peut de surcroît considérer que cet ordre s'inscrivait dans le cadre des fonctions de coordination de l'équipe d'inspecteurs.


En conclusion, la Chambre de première instance estime que l'Accusation n'a pas prouvé au delà de tout doute raisonnable que Sefer Halilovic était, de droit ou de fait, le commandant de l'opération alléguée dénommée « Opération Neretva ».


De plus, la Chambre de première instance est parvenue aux conclusions suivantes :


S'agissant de Grabovica, la Chambre de première instance relève que l'ordre de combat portant déclenchement des opérations dans la ligne d'attaque de ce secteur a été donné par Zulfikar Ališpago, en sa qualité de commandant de cette partie de l'opération. La Chambre de première instance observe en particulier que l'unité de la 9ème brigade était sous le commandement
de Zulfikar Ališpago au moment où les crimes ont été commis. La Chambre de première instance conclut que les éléments de preuve produits ne suffisent pas à établir que Zulfikar Ališpago était subordonné à Sefer Halilovic.


La Chambre de première instance conclut en outre que Sefer Halilovic a eu connaissance dans la soirée du 9 septembre des crimes commis à Grabovica, alors que le dernier des crimes établis avait déjà été commis. La Chambre de première instance relève que, s'agissant de l'enquête sur les crimes de Grabovica, Sefer Halilovic a, dans la soirée du 9 septembre, donné pour consigne à
Namik Dzankovic, membre de l'équipe d'inspecteurs et du service de sécurité de l'état-major principal de l'ABiH, de coopérer avec le MUP ainsi qu'avec d'autres membres du SVB, afin d'enquêter sur les crimes et de tenir « Sarajevo » informé, et non lui-même. Les éléments de preuve montrent qu'à ce moment-là des enquêtes étaient déjà en cours. Les éléments de preuve ne montrent pas que
Sefer Halilovic ait été à l'origine des enquêtes ou qu'il les ait fait progresser de quelque manière que ce soit par ses actions. Les éléments de preuve montrent également que le service chargé de la sécurité au sein du 6ème Corps, le bataillon de police militaire du 6ème Corps et la police militaire de la 44ème brigade, qui se trouvait à Jablanica, ont participé à l'enquête sur les
événements de Grabovica. Le chef de la sécurité de l'état-major principal de l'ABiH, Jusuf Jašarevic, a été informé des résultats de leurs enquętes. La Chambre de première instance estime que, sur la base des éléments de preuve produits, on ne peut conclure que Sefer Halilovic avait la capacité matérielle de sanctionner les auteurs des crimes commis à Grabovica.


Après examen de tous les éléments de preuve produits et à la lumière de ses constatations, la Chambre de première instance estime que l'Accusation n'a pas prouvé au delà de tout doute raisonnable que Sefer Halilovic exerçait un contrôle effectif sur les troupes qui se trouvaient à Grabovica les 8 et 9 septembre 1993 et qui, comme l'a constaté la Chambre de première instance, ont
commis les crimes en question.


S'agissant de Uzdol, la Chambre de première instance conclut que les crimes ont été commis par des membres d'unités placées sous le commandement de l'ABiH participant à l'attaque de positions du HVO à Uzdol et dans les environs. La Chambre de première instance conclut que ces unités étaient constituées par le bataillon indépendant de Prozor et par des membres des
forces de la police civile du MUP, unités placées sous le commandement du commandant du bataillon indépendant de Prozor, Enver Buza. La Chambre de première instance estime que les éléments de preuve produits ne permettent pas d'établir que Enver Buza était subordonné à Sefer Halilovic.


De plus, la Chambre de première instance estime que les éléments de preuve qui lui ont été présentés ne montrent pas que Sefer Halilovic a joué un rôle quelconque dans les enquêtes sur les crimes commis à Uzdol. Ces enquêtes ont été menées par les services de sécurité du 6ème Corps et par le bataillon indépendant de Prozor. Une fois encore, le chef de la sécurité de l'état-major
principal, Jusuf Jašarevic, a été informé des résultats des enquêtes. De l'avis de la Chambre de première instance, on ne peut conclure sur la base des éléments de preuve présentés que Sefer Halilovic avait la capacité matérielle de sanctionner les auteurs des crimes commis à Uzdol.


Après examen de tous les éléments de preuve produits et à la lumière de ses constatations, la Chambre de première instance estime que l'Accusation n'a pas prouvé au delà de tout doute raisonnable que Sefer Halilovic exerçait un contrôle effectif sur les unités qui étaient placées sous le commandement de l'AbiH et qui, comme en l'a constaté la Chambre de première instance, ont
commis les crimes de Uzdol.


Enfin, la Chambre de première instance conclut que Sefer Halilovic possédait une certaine influence en tant que haut gradé et en tant que fondateur, parmi d'autres, de l'AbiH. Cependant la Chambre de première instance estime que l'influence de Sefer Halilovic n'avait pas le niveau requis pour l'on puisse établir l'existence d'un contrôle effectif. En vertu de l'un des principes du
droit pénal international, un supérieur hiérarchique ne saurait être tenu responsable de crimes commis par des personnes qui n'étaient pas sous son commandement au moment des faits. La Chambre de première instance estime que l'Accusation n'a pas prouvé au delà de tout doute raisonnable que Sefer Halilovic était, de droit ou de fait, le commandant d'une opération dénommée « Opération
Neretva » et qui, selon l'Accusation, a été menée en Herzégovine. La Chambre de première instance estime également que l'Accusation n'a pas établi que Sefer Halilovic exerçait un contrôle effectif sur les troupes qui ont commis les crimes dans les secteurs de Grabovica et Uzdol. La Chambre de première instance conclut donc que l'Accusation n'a pas démontré que Sefer Halilovic était
responsable, au regard de l'article 7) 3 du Statut, des meurtres commis à Grabovica et Uzdol.


Dispositif
Par ces motifs, la Chambre de première instance conclut ce qui suit :


L'accusé Sefer Halilovic est déclaré non coupable et donc acquitté du chef de meurtres, une violation des lois ou coutumes de la guerre, qui lui était reproché dans l'acte d'accusation.


En vertu de l'article 99 du Règlement, la Chambre de première instance ordonne la mise en liberté immédiate de Sefer Halilovic du quartier pénitentiaire des Nations Unies une fois prises les dispositions pratiques nécessaires.


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Le texte intégral du jugement est disponible sur demande aux services d'Information Publique ainsi que sur le site Internet du Tribunal : www.un.org/icty.

Les audiences du Tribunal peuvent être suivies sur le site internet du Tribunal.